Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

méthodologique dissonante fut Lambert. Très tôt, dès 1903, il compose un
hymne à une méthode comparatiste qui, fondée sur le principe d'une analyse
historique de l'ordre juridique, évince le point de vue naturaliste au profit
d'une approche plus sociologique des univers juridiques comparés (293) . Comme
Gény, il critique sans ménagement l'École des interprètes du Code civil qui
"ont donné comme base essentielle à leur méthode un postulat qui constitue la
négation de l'une des lois les plus certaines du développement des sociétés, la
loi de perpétuelle mobilité du droit (294) ". Leurs chemins se séparent là où
Lambert n'admet pas l'idée que la solution des cas difficiles doive être
recherchée dans la nature des choses positive comme le recommande Gény.
Cette méthode produirait une fiction d'immobilité de l'ordre juridique qui
aurait, "quoique sur un champ moins large d'application, tous les fâcheux
effets de la méthode de l'École des interprètes du Code civil (295) ". Au reste, "en
donnant au droit naturel la forme complexe et mobile de la nature des choses
positive, il le rend même plus difficilement perceptible (296) ". S'appuyant sur un
éventail très réduit de sciences sociales imparfaites et en mutation, la méthode
de Gény "ne pourrait fournir de solutions fermes et définitives que sur un bien
petit nombre de problèmes juridiques (297) ". L'ambition de E. Lambert était sans
doute tout autre. En cherchant dans le droit comparé les principes d'un droit
commun législatif, il entendait donner clairement à la doctrine la mission
d'unifier le droit du monde "civilisé" (298) .
D'autres auteurs furent plus présents dès les années 1910 pour faire évoluer
le savoir doctrinal en adaptant la technique juridique à leur propre vision du
monde. Le premier et le plus important d'entre eux fut le doyen Georges
Ripert. Contradicteur de Gény, il illustrera le désir de neutralité de la
doctrine, il défendra également le pouvoir et l'autorité de la jurisprudence,
invitant à rendre véritablement à la Cour de cassation le culte du
précédent (299) afin de lutter contre le pouvoir politique : "Plus le juriste défend
(293)
E. Lambert se plaint de l'état d'abandon dans lequel on a laissé le comparatisme et revendique pour lui un
retour en grâce. Reste que là encore l'exposé historique sert la cause présente, le comparatisme ne fut peut-être
pas aussi ignoré que Lambert le prétend. Ses méthodes étaient jeunes. comp. J. HILAIRE, "Le comparatisme en
matière commerciale au XIXème siècle", RHFD 1991, n°12, p.127.
(294)
E. LAMBERT, Études de droit commun législatif, tome 1, précité, p.17.
(295)
E. LAMBERT, Études de droit commun législatif, tome 1, précité, p.35.
(296)
E. LAMBERT, Études de droit commun législatif, tome 1, précité, p.36.
(297)
E. LAMBERT, ibid., p.36.
(298)
A. COLIN et H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français - tome 1er, précité, p.33.
(299)
G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, tome 1er, Introduction générale, Paris, LGDJ, 1956,
n°226, p.103 : "Le pouvoir judiciaire a conscience d'une continuité nécessaire du droit. Ce serait créer le
désordre que de modifier dans chaque cas particulier l'application et l'interprétation des règles juridiques. La
conception de la permanence des règles façonne la psychologie du juge et lui donne le culte du précédent. (…)
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