Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

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l'interprétation (361) qui font de l'aveu de complexité et de l'antiréductionnisme
leur cheval de bataille, la doctrine dominante a abandonné
progressivement une partie de son influence critique au profit d'un discours
favorable aux décisions de la Cour de cassation. Certes, il y eut des
controverses tenaces d'où ont émergé des conceptions doctrinales, mais en
règle générale, l'écart s'est creusé entre la part du recensement et la part de la
critique. L'enregistrement des décisions s'est substitué à l'analyse.
Naturellement, la doctrine demeure hétérogène, elle ne se réduit ni aux
opinions dominantes, ni aux opinions consacrées, ni aux opinions autorisées.
C'est pourquoi, en dehors des tentations suivistes, des auteurs ont oeuvré pour
un nouveau souffle doctrinal. La doctrine avait besoin de se ressourcer, ils
retournèrent aux orateurs de la Révolution, à Portalis, ou aux écrivains de la
Thémis, auxquels fut dédiée une prestigieuse collection d'ouvrages (362) .
D'autres cherchèrent chez Aristote et Saint Thomas d'Aquin les raisons de
croire que la théorie du droit n'était pas ensevelie sous la solution unique,
d'autres enfin, suivant les pas de Gény, regardèrent le droit sous son rapport
avec les théories de la connaissance. Plus rares, en droit privé, sont les auteurs
à avoir utilisé les positivistes anglo-américains. Malgré la diversité des
perspectives philosophiques à sa disposition, la doctrine française semble
rechercher encore sa propre légitimité scientifique dans la continuité du droit
privé.
64. Continuité ? - La doctrine universitaire et la magistrature ne sortent pas
indemnes de la période vichyste. Les auteurs que rattrape le spectre d'une
épuration anachronique ne parviennent pas à faire disparaître la tache des
écrits de jeunesse. Ceux qui se défendent d'avoir jamais collaboré se réfugient
derrière la neutralité politique de la doctrine et du droit (363) . Or il se trouve
que la neutralité de la doctrine est un concept bienvenu après guerre pour
légitimer à travers la survivance des institutions et leurs mutations, la
(361) La théorie du droit s'est rapprochée ainsi de la sociologie, de l'anthropologie, de la linguistique ou encore
de la philosophie du langage faisant du droit un objet interdisciplinaire. La revue Droit et société ou la Revue
interdiciplinaire d'études juridiques font écho à ce mouvement. Voir également M. VAN DE KERCHOVE (dir.),
L'interprétation en droit, approche interdisciplinaire, Bruxelles, FUSL, 1978 ; adde, D. DE BECHILLON,
"L'ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l'interprétation", RRJ 1994, p.247 ; M. TROPER,
"À propos de la théorie réaliste de l'interprétation. Réplique à D. de Béchillon", RRJ 1994, p.267.
(362) M. le doyen Carbonnier et les fondateurs de la collection Thémis aux presses universitaires de France
concevaient le titre de la collection comme une invocation à la revue du siècle dernier. Voir. J. CARBONNIER,
Droit civil, Introduction, 25ème éd., 1997, précité, [152], p.270.
(363) D. LOCHAK, "Écrire, se taire… Réflexions sur l'attitude de la doctrine française", in "Le droit antisémite
de Vichy", Le genre humain, Été-Automne 1996, Paris, Seuil, p.433.