Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

établissant la sécurité juridique. Ce changement est progressif. Il est, du reste,
nourri d'influences contradictoires ; avant d'être affirmé par les théoriciens du
XXème siècle, sa nécessité est revendiquée par les commentateurs du XIXème,
non pas qu'ils soient précurseurs d'un abandon des préceptes de la tradition,
mais l'exposé controversiste invite toujours à repousser hors des frontières de
la pertinence les arguments qui ne satisfont pas la pratique. En ce sens
Marcadé critiquera abondamment les juristes qui n'auront pu adapter leurs
connaissances à l'esprit de la nouvelle législation (168) . "Si beaucoup de
professeurs (…) n’ont pas su s’affranchir de cette soumission exagérée à la
tradition, de ce respect pour l’autorité poussée jusqu’au fétichisme, il en est
heureusement d’autres qui marchent depuis longtemps dans la voie
contraire (169) ". On retiendra combien est actuel le regard porté par Marcadé
sur ses glorieux prédécesseurs. Ce reproche est en fait un refrain, la doctrine
d'hier n'a su adapter son savoir ni aux théories nouvelles, ni aux événements
sociaux. Elle s'est finalement trouvée prisonnière de ses dogmes périmés sans
pouvoir les renouveler, elle s'est montrée fétichiste de ses méthodes alors que
le monde avait changé (170) .
29. Premiers changements - Le rapport entre les interprètes est modifié par la
loi de 1837. Demolombe ne compte plus deux sortes d'interprètes mais trois et
distingue les propriétés de l'interprétation judiciaire de celles de
l'interprétation doctrinale. Ce sont les conséquences pratiques de la solution
posée "par voie d'argument", selon l'expression de Duranton, qui ouvre la
réflexion sur les dangers de l'interprétation judiciaire. De manière récurrente,
la crainte du désordre réapparaît et avec elle, la nécessité pour la doctrine de
procéder à une surveillance et à concevoir une remise en ordre du droit.
(168)
C'est Toullier qui est le plus violemment attaqué par MARCADE : "Docteur de l’ancienne école, nourri
surtout du droit romain, objet de sa prédilection, (…) c’était pour lui chose impossible, surhumaine de se
familiariser tout à coup avec les idées nouvelles que ce code consacrait : fortement imbu des anciens
principes, à la méditation desquels il avait passé sa vie, il n’a pas su, et il ne pouvait pas, en vérité, rompre
avec eux, pour se plier tout d’un coup à l’esprit de la loi nouvelle", Explication théorique et pratique du Code
civil, tome 1, préface précitée, p.17. Marcadé observera plus loin que ses contemporains trop enclins à suivre
l'argument d'autorité considéraient les critiques contre Toullier presque comme une impiété, quel qu'en fût
leur contenu.
(169)
V. N. MARCADE, Explication théorique et pratique du Code civil, tome 1, préface précitée, p.15-16. Il
épargne ainsi Oudot, Bugnet et Valette.
(170)
comparer avec le programme que se donne F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé
positif, tome 1, 2ème éd. 1919, précité, p.70 : "J'entends m'attaquer au fétichisme de la loi écrite et codifiée",
ou encore M. MIAILLE, Une introduction critique au droit, Paris, Maspéro, 1976, p.376, pour qui le
"fétichiste", le juriste sans qualité, est condamné à un raisonnement infécond, incapable d'adapter lui-même
ses raisonnements pour la compréhension des phénomènes sociaux de son temps.
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