Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

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70. Des autorités interprétatives concurrentes - Il apparaît ainsi que les causes
de l'insécurité sont moins à rechercher dans l'intervention du législateur que
dans les caractères de l'oeuvre jurisprudentielle. Alors que G. Ripert rendait
les législations contemporaines responsables de l'insécurité et du déclin du
droit (396) , la doctrine des années soixante va restaurer une certaine égalité
entre les interprètes par voie d'argument (397) . Le vocable utilisé est néanmoins
terre de confusion.
Rappelons qu'au début du XIXème siècle, la jurisprudence et les
jurisconsultes étaient ensemble interprètes doctrinaux face au seul interprète
par voie d'autorité qu'était le législateur.
Ce dernier est ensuite devenu une "source", accompagné plus tard par la
jurisprudence. Les thèses de M. le doyen Carbonnier ont restauré le législateur
comme seule source formelle et les interprètes sont devenus des
"autorités" (398) . Leur pouvoir de contrainte n'étant que moral, leur autorité,
même grande, n'est pas source de droit. "On aura beau dans une
jurisprudence, entasser les jugements couche par couche, on n'aura jamais que
des solutions particulières sans rayonnement au dehors, des
accommodements, des arrangements de conflits individuels. Même les arrêts
solennels des Chambres réunies, même les arrêts rendus par l'assemblée
plénière sont des jugements à autorité relative (399) ". M. le
professeur Carbonnier justifie ce déclassement - ou ce reclassement - de la
jurisprudence par ses pathologies ou plus exactement ses infirmités (400) : sa
lenteur, ses incertitudes, son insécurité et son impuissance à faire de véritables
réformes. Elle ne perçoit la réalité juridique que par le petit bout de la
lorgnette, "au filtre des procès. Or toutes les relations juridiques ne donnent
pas lieu à procès". L'approche sociologique du droit permet de redistribuer les
(396) G. RIPERT, "Le bilan d'un demi-siècle de vie juridique", D. 1950, chr. p.4.
(397) G. CORNU, "Aperçu de la pensée juridique contemporaine", Annales Université Poitiers, 1960, p.15.
(398) Il faut noter que cette position est antérieure à l'oeuvre législative que M. le doyen Carbonnier accomplira.
Voir J. CARBONNIER, Droit civil, tome 1, Introduction à l'étude du droit et droit des personnes, Paris, PUF,
3ème éd., 1960, [31] s., p.111 s.
(399) J. CARBONNIER, Introduction précitée, 3ème éd., 1960, [32], p.116 ; comp. G. RIPERT, Les forces
créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.381 à propos des arrêts rendus toutes chambres réunies et de
l'absence d'interprétation par voie d’autorité : "Sans doute cet arrêt n’est pas un arrêt de règlement et la Cour
peut revenir sur sa décision par un arrêt ultérieur. Il n’empêche que les divergences disparaissent en fait, que
les revirements de jurisprudence sont rares et que la loi est appliquée partout de la même manière".
(400) J. CARBONNIER, Introduction précitée, 3ème éd., 1960, [34], p.120. Les années soixante et soixante-dix
furent celles des grands réformateurs. Dans un article brûlot, M. le professeur ATIAS, ("Les maux du droit et
les mots pour le dire", D. 1997, chr. p.231) considère qu' il y aurait parmi les juristes tant de médecins de
Molière qui nourrissent l'illusion légaliste que les années à venir risquent d'être celles des charlatans (ibid.,
n°17).