Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

eprésentations de l'ordre juridique et d'elle-même qui réservent aux
interprètes la part de création scientifique. La fixité et la permanence étant les
caractères de la norme législative, l'évolution du droit positif se fait lentement
par la simple adaptation aux hypothèses pratiques, par l'élaboration de
concepts ou d'interprétations originaux (165) ou par la résurgence de concepts
anciens (166) . L'autorité par voie de doctrine n'est pas discutée tant que dure la
stabilité des normes législatives, tant que le droit commun gouverne
l'ensemble du droit privé. Mais avec l'ère industrielle qui s'annonce, le droit
commercial a besoin d'adapter les structures juridiques des acteurs
économiques au capitalisme, et en contrepoint les législations du travail
désignent des domaines spécifiques pour la défense des intérêts des
ouvriers (167) . L'éclatement du droit commun est alors ressenti comme une
dérive. Ce sentiment est frémissant à la fin de la période de l'“ exégèse ” mais il
produira le basculement et la révolution de la Libre recherche. D'une position
de déférence vis-à-vis des Codes au tout début du XIXème siècle, la doctrine a
gagné en pouvoir critique et en autorité créatrice ; à tel point que la
transformation du droit la plus marquante sera, à la fin du XIXème siècle,
l'intronisation doctrinale de la jurisprudence au titre de "source du droit". La
Cour de cassation échappera alors à sa condition d'interprète par voie de
doctrine pour gagner le rang d'interprète par voie d'autorité laissée vacante,
depuis l'inefficacité avérée du référé législatif.
Sans aucun doute, il est causalement possible d'imputer aux phénomènes
sociaux la responsabilité de ce changement de perspective, mais plus
intéressante est la traduction théorique de ces changements. Car la science du
droit est à la fois créatrice des représentations de l'ordre juridique et en subit
nécessairement le reflet. En assurant à la Cour de cassation le pouvoir de
disposer par voie générale, la doctrine sonne la fin de l'" exégèse
controversiste " et condamne à terme le dogme de la loi, mais elle s'abandonne
alors au dogme de la solution unique. Le pouvoir jurislatif devient bicéphale.
Législateur et jurisprudence se partagent le pouvoir de faire la norme. Quand
la permanence de la norme législative est assurée, l'interprétation téléologique
rend au législateur la totalité de son pouvoir, quand l'instabilité législative
crée le désordre, c'est à la Cour de cassation de rendre au droit son unité en
(165) Sur la célèbre construction prétorienne de la validité des donations déguisées consacrée par la Cour de
cassation, v. H. BLAISE, "La formation au XIXème siècle de la jurisprudence sur les donations déguisées",
Mélanges Savatier, Paris, Dalloz, 1965, p.89.
(166) J. LEAUTE, Les éclipses et les renaissances d'institutions en droit civil français, Thèse Paris, 1946.
(167) comp. G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1951, p.37 s.
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