Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

une situation plus incertaine, permet à l'agriculture de se développer, alors
que "d'un autre côté, la sécurité dans les rapports du métayer et du maître,
chose excellente en soi, favorise cependant l'esprit de routine trop naturel au
paysan ; elle le maintient dans un état d'immobilité nuisible à son bien-être,
nuisible aussi à l'agriculture (200) ". La parabole peut paraître audacieuse mais
elle traduit assez bien l'esprit et le sens de la revendication de certitudes par
les auteurs du XIXème siècle. L'incertitude remplit sa part de contribution au
progrès et l'exposé controversiste participe de la connaissance du droit. Aussi
bien chez les auteurs de traités que chez les arrêtistes. Si aujourd'hui, et c'est
heureux, la doctrine utilise encore ce genre pour affirmer que la controverse
est close ou pour la relever de son tombeau, la proportion des exposés
controversistes par rapport aux exposés dogmatiques est considérablement
plus faible. Elle est même presque inexistante dans les manuels (201) alors que,
dans les anciens traités, Demolombe ou Marcadé s'en prenaient directement
aux écrits de leurs maîtres. À ne lire que Troplong, on a le sentiment très vif
que Duvergier, continuateur de Toullier, n'avait rien entendu de la vileté du
prix (202) . Pont malmène les opinions de Troplong, à propos de l'interprétation
des articles 2093 et 2094 du Code civil, pour conclure que sa "doctrine n'a pas
prévalu et (…) qu'elle ne devait pas prévaloir (203) ". Cela n'est pas qu'une
affaire de style. La polémique n'est pas recherchée si elle ne sert pas les
convictions défendues. Il y a au-delà de la forme, la conscience de peser sur
l'évolution des solutions. Quand Labbé s'interroge sur le fait de savoir si "une
société civile peut se constituer en société anonyme ou si ses statuts peuvent
borner la responsabilité de ses membres envers les créanciers sociaux à la
perte de leurs mises (204) ", il ne manque pas d'introduire le débat en
remarquant que la question était "vivement agitée entre les jurisconsultes", et
bien qu'elle ait reçu dans l'arrêt commenté "une solution conforme à la
jurisprudence dominante, elle reste susceptible (…) de vigoureuses critiques".
La présentation des problèmes juridiques suit un canevas rarement
(200)
R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l'ordre du Code civil, De l'échange et du louage, tome 1,
préface précitée, p.XCVII.
(201)
Ph. JESTAZ, "Déclin de la doctrine ?", Droits-20, p.91.
(202)
R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l'ordre du Code civil, De l'échange et du louage, tome 1,
précité, p.60-64 ; pour une défense de Duvergier contre les attaques incessantes de Troplong, voir CHENU,
"Éloge de Duvergier", Discours prononcé à la rentrée de la conférence des Avocats le 29 novembre 1880, in
Mélanges de Jurisconsultes modernes, Bibl. universitaire d'Aix-en-Provence, cote 36106.
(203)
V.-N. MARCADE, Explication théorique et pratique du Code civil, Des privilèges et des hypothèques,
Paris, Cotillon, par P. PONT, 1856, p.14.
(204)
J.-E. LABBE, note sous Cass. req. 21 février 1883, S. 1884.1.361.
64