Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

La réaction de Ripert contre la libre recherche et la radicalisation de son point
de vue au cours de sa carrière va le conduire à nier le rôle créateur de la
doctrine pour ne concevoir de droit que prétorien. Empruntant à la
rénovation du droit naturel, l'idée d'un retour à la continuité historique et à la
coutume pour déterminer l'applicabilité de la règle jurisprudentielle, Ripert
revendique un positivisme prétorien (339) . La loi positive, seule efficace, c'est la
jurisprudence constante. Le législateur de la IIIème République accompagnant
la décadence de l'autorité de la loi (340) , la doctrine en quête de liberté
scientifique, se livrant à d'illusoires spéculations, trouvent sur leur route
déclinante une Cour de cassation qui sans faiblir maintient la permanence et
l'efficacité des solutions que toute Morale impose. La réflexion de Ripert n'est
pas tant fondée sur le pouvoir créateur qu'il reconnaît à la jurisprudence, que
sur sa capacité à assurer la permanence des solutions, une permanence
prétorienne qui s'impose à tous y compris au législateur. "Les juristes qui
exaltent la valeur de la jurisprudence comme source créatrice du droit ne
remarquent pas assez qu'il s'agit d'une création du droit par la continuité des
décisions, qu'il est plus difficile de changer une jurisprudence établie que de
modifier une loi … Les praticiens trouvent dans la répétition des mêmes actes,
établis dans les mêmes formes, une sécurité que ne leur donnerait pas la plus
intelligente initiative (341) ". Et c'est moins la qualité scientifique d'une solution
qui en impose l'application que sa répétition. À l'adresse de ses contradicteurs,
et sur le terrain de la lutte pour l'autorité doctrinale, Ripert se place en
situation de successeur de Gény (342) . Comme la Libre recherche avait tenté de
discréditer les commentateurs du XIXème siècle, Ripert défend l'idée que les
limites de la liberté scientifique des juristes sont posées par la nature stable du
(339) On trouve pareillement cette idée chez Josserand qui livrera un Cours de droit civil positif. Pour M. le
doyen CARBONNIER, cet intitulé est révélateur de ce que "la véritable positivité est non pas légale, mais
jurisprudentielle. L'engouement pour la dernière jurisprudence remplace le culte du texte de loi", Droit civil,
Introduction, 25ème éd., 1997, précité, [150], p.266 ; v. également D. FENOUILLET, "Étienne, Louis Josserand
(1868-1941), RHFD. 1996, n°17, p.27 (p.39-40).
(340) G. MORIN, "La décadence de l'autorité de la loi", Rev. de Métaph. et de Morale 1925, p.259.
(341) G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.14.
(342) Les successeurs de Gény sont, en réalité, nombreux. On observe chez eux et malgré leur diversité, le désir
de coordonner la permanence et la stabilité des solutions juridiques à une attitude résolument pragmatique qui
commande de s'adapter aux changements de la société française. À l'instar de G. RENARD, qui, à travers une
théorie de l'institution juridique, reprend le credo de la pureté des concepts juridiques durables : “L’institution
juridique est une entité juridique qui a sa racine dans la personne, et qui pourtant la dépasse en durée, en
continuité et en permanence” (La théorie de l’institution, essai d’ontologie juridique, Paris, Sirey, 1930,
p.31) ; la doctrine montre sa fidélité à Gény en associant sécurité et justice.
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