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<strong>Que</strong> <strong>faire</strong> ?<br />
de semer le doute sur la sincérité d’Eugénie Forestier en l’accusant de jalousie et de vengeance.<br />
Par ailleurs, il donna de sa propre vie un récit romanesque et se présenta comme un aventurier<br />
espagnol, joueur et séducteur, aux connaissances étendues. Tout au long du procès, il laissa<br />
entendre qu’il était de haute naissance et refusa de révéler son identité véritable, ce qui lui valut<br />
le surnom « d’assassin X… ». Malgré sa gouaille et son éloquence, Prado fut condamné puis<br />
exécuté le 28 décembre sur la place de la Roquette, par le célèbre bourreau Deibler. À la<br />
demande de Prado, son corps ne fut pas livré à la Faculté de médecine.<br />
22 Pranzini fut reconnu coupable d’avoir sauvagement assassiné Mme Régine de Montille, de son<br />
vrai nom Claudine-Marie Regnault, sa femme de chambre, Anne Gremeret, et l’enfant de celle-ci,<br />
Marie-Louise, dans leur appartement du 17, rue Montaigne, dans la nuit du 16 au 17 mars 1887.<br />
Toutes trois avaient eu la gorge sauvagement tranchée à l’aide d’un couteau de boucher. C’était<br />
l’œuvre d’un seul homme à la main vigoureuse, selon l’instruction, et le vol apparut comme le<br />
mobile du crime. Mme de Montille était une femme entretenue qui menait une existence déréglée<br />
depuis l’abandon récent de son amant de cœur. Sur la scène du crime, on retrouva une lettre<br />
signée « Gaston », des manchettes et une ceinture initialées « G.G. » qui lancèrent d’abord<br />
l’instruction sur la fausse piste d’un dénommé Gaston Geissler. Dès le départ, la presse s’empara<br />
de l’af<strong>faire</strong> : des récits fantaisistes parurent dans les journaux, et des reporters suivirent pas à<br />
pas, voire précédèrent, les recherches de M. Goron, sous-chef de la Sûreté, à une époque où<br />
l’instruction devait pourtant demeurer secrète. Alors que Gaston Geissler n’avait toujours pas été<br />
attrapé, M. Goron apprit par dépêche l’arrestation, à Marseille, du véritable coupable : Henri-<br />
Jacques-Ernest Pranzini, né en 1856 en Égypte, rastaquouère polyglotte au regard langoureux et<br />
à la musculature puissante. Il avait pris la fuite, aidé par sa maîtresse, Antoinette Sabatier, avec<br />
qui il demeurait à Paris, et après s’être adressé à Marseille, sous un faux nom, un paquet<br />
contenant les bijoux de Mme de Montille. Il fut dénoncé par deux filles d’une maison close<br />
marseillaise à qui il essaya de vendre à prix dérisoire certains de ces bijoux. Dans sa valise, on<br />
découvrit une liasse de lettres d’amour enflammées provenant de diverses femmes : une jeune,<br />
riche et naïve Américaine, Edith D., avec qui il comptait se marier à la suite du vol, une jeune<br />
veuve New-Yorkaise, Mrs Kate S. P., qui l’appelait son « chéri magnifique », et une femme du<br />
grand monde parisien, qui avait failli se <strong>faire</strong> prendre au même piège que Mme de Montille, et<br />
dont l’identité demeura le secret des magistrats chargés de l’af<strong>faire</strong> Pranzini. Antoinette Sabatier,<br />
arrêtée elle aussi, nia dans un premier temps toute l’af<strong>faire</strong>, puis avoua que Pranzini s’était<br />
absenté la nuit du meurtre, et qu’il lui avait raconté avoir été témoin de l’assassinat de Mme de<br />
Montille, caché chez elle dans une armoire. Or, Pranzini nia le récit de sa maîtresse, comme il<br />
affirma jusqu’à la fin du procès n’avoir « rien à voir dans cette af<strong>faire</strong> », se défendant à l’aide de<br />
mensonges inadmissibles. En cours d’assises, Pranzini apparut comme un homme peu<br />
intelligent, poseur, charmeur et exploiteur de femmes. La foule fut nombreuse, et en grande<br />
partie féminine lors du procès. Pranzini fut condamné à mort le 13 juillet, et exécuté le 1 er<br />
septembre 1887 par Deibler, bien qu’un point obscur demeurat dans l’af<strong>faire</strong> : en effet, les<br />
premiers témoins – la cuisinière de Mme de Montille, et les concierges de la maisons – disaient<br />
avoir vu, quelques jours avant le crime, un « gringalet » à la barbe brune, un « petit homme<br />
brun », qui avait passé la nuit chez Mme de Montille. Or, cet homme ne pouvait être confondu<br />
avec Pranzini, qui était grand et blond. La légende du « petit homme brun » fut par ailleurs<br />
entretenue par le témoignage d’un cocher, Lefèvre, qui avait conduit Pranzini dans Paris, au<br />
surlendemain du crime, et à la veille de sa fuite à Marseille. Pranzini était alors accompagné d’un<br />
individu de plus petite taille que lui. La défense avança que cet homme mystérieux était<br />
l’assassin, alors que Pranzini n’était qu’un receleur. Néanmoins, la possibilité de l’existence d’un<br />
complice fut rejetée. Les journaux suivirent attentivement les débats, et au terme du procès la<br />
question du « cas de conscience » de Mme Sabatier retint l’attention de la presse : avait-elle bien<br />
agi en livrant son amant à la justice ? En outre, l’af<strong>faire</strong> se prolongea encore par un scandale<br />
post-mortem : des porte-cartes avaient été confectionnés, avec un morceau de la peau de<br />
Pranzini, et offerts à M. Taylor, chef de la Sûreté, et à M. Goron. La Lanterne cria au scandale, la<br />
question fut portée au conseil des ministres et suite à une ordonnance de non-lieu, les portecartes<br />
furent brûlés.