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<strong>Que</strong> <strong>faire</strong> ?<br />
— Un exorde est indispensable, madame la duchesse, mais il sera court... Je suis donc<br />
d’assez bonne noblesse 56 , ce qui ne m’empêche pas d’avoir des goûts aventureux et<br />
d’étudier les mœurs interlopes de Paris. Je fréquente volontiers les gens de toutes<br />
sortes, curieux à scruter. C’est ainsi que dans le monde de la galanterie j’ai rencontré, il<br />
y a quelque temps, un gaillard dont j’avais pressenti là prochaine célébrité. Il se nomme<br />
Pranzino...<br />
Il s’arrêta. Mme de Montfort-Chalosse ne pâlit pas, ne fit pas un mouvement, ne proféra<br />
pas un mot. Mais, si Modeste, pour une nécessité de toilette, eût dû lacer son corset,<br />
elle eût senti une sueur moite inonder le dos de sa maîtresse.<br />
Elle fit pourtant un geste indifférent signifiant : « Continuez ! »<br />
Il reprit :<br />
— C’était une de ces fêtes parisiennes par excellence où l’élégance et l’argent tiennent<br />
lieu de quartiers de noblesse et d’honnêteté, où tous les mondes se plaisent à se<br />
rencontrer dans une aimable promiscuité : une vente de charité... Il y avait là de grandes<br />
dames et des filles, des gentilshommes et des escrocs, des personnages vertueux et<br />
des assassins.<br />
Une duchesse authentique y causa avec ce Pranzino.<br />
Il s’arrêta encore les yeux fixés sur ceux de Mme de Montfort.<br />
— Ah ! vraiment ! eut-elle encore le courage de répondre.<br />
Mais elle fut obligée, pour proférer ces deux mots, à un effort plus énergique que si elle<br />
eût soulevé un poids immense.<br />
— Vous avez lu assez de romans, madame la duchesse, pour savoir qu’il est un<br />
moment, une minute psychologique, où la femme délaissée succombe fatalement, ne<br />
trouvant plus dans son cœur l’énergie nécessaire à la résistance. C’est ce qu’un dicton<br />
espagnol appelle « l’heure du muletier ». Celle dont je parle succomba.<br />
— Qu’en savez-vous, monsieur ?...<br />
— L’appartement où avaient lieu leurs rendez-vous avait été prêté à Pranzino, car il était<br />
sans asile ; et la grande dame n’aurait pas consenti à l’aller voir dans un hôtel meublé<br />
quelconque... de bas étage...<br />
Mme de Montfort se raidit :<br />
— Une visite peut être une imprudence... elle ne prouve pas fatalement une chute...<br />
Le marquis répondit avec une bonhomie attristée :<br />
56 Prado prétendait être d’origine noble et il insinua même, en cour d’assises, être le « fils naturel<br />
de Napoléon III, et peut-être mieux encore » (Pierre Bouchardon, L’assassin X, op. cit., p. 266).