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<strong>Que</strong> <strong>faire</strong> ?<br />
à une époque de la vie où les jeunes cervelles travaillent : qui sait quelles imaginations<br />
s’étaient logées dans cet esprit ingénu ?<br />
— Comment vas-tu, ma fille bien-aimée ? demanda-t-il.<br />
Elle se campa résolument devant lui :<br />
— Comme une jeune personne qui a eu dix-neuf ans aujourd’hui, et à laquelle son père<br />
a oublié de souhaiter sa fête.<br />
— La journée n’est pas finie ! Pardonne-moi... et viens déjeuner...<br />
La poussant avec gaminerie devant lui, il l’embrassa gentiment par derrière la tête...<br />
— Ah ! papa ! je suis bien heureuse !... Pourquoi n’êtes-vous pas toujours auprès de<br />
nous ?<br />
L’émotion l’avait rendue rose ; à l’ordinaire, elle avait une pâleur mate, et chez elle, les<br />
émotions se traduisaient par un léger afflux de sang aux joues ; ce matin-là, elle était si<br />
radieuse que sa grâce s’épanouissait dans toute sa fraîcheur vivante.<br />
Son regard fier et modeste allait de son père à sa mère, et ce regard de clairs yeux était<br />
divin. Sa chevelure d’un blond châtain, sa taille flexible et ondoyante, s’harmonisaient<br />
avec les traits pourtant tranquilles, purs, angéliques, mais pourtant empreints par<br />
instants de résolution et d’énergie.<br />
— À table, dit-elle, en frappant des mains. C’est si agréable d’être en famille, en bons<br />
bourgeois…<br />
Lorsque Emma apprit la nouvelle du départ, elle eut un soubresaut involontaire.<br />
— Cela te cause du chagrin ?<br />
— Non. Mais partir… pour si loin… tout de suite…<br />
— Tu ne seras pas malheureuse là-bas, et nous te marierons à ton choix.<br />
La jeune fille affirma vivement :<br />
— Je ne veux pas me marier… encore.<br />
— Oh ! oh ! fit le duc, c’est grave ! Tu n’aimes donc pas les Turcs ? Des hommes<br />
cuivrés avec un fez rouge 53 …<br />
Emma interrompit et, sérieusement :<br />
53 Cette plaisanterie est peut-être un clin d’œil à une anecdote de l’af<strong>faire</strong> de la rue Caumartin :<br />
lors du procès, Prado avait accusé Eugénie Forestier de s’être fait entretenir par un Turc, injure<br />
que celle-ci qualifia d’« abominable mensonge », à l’hilarité de l’auditoire. Cf Albert Bataille,<br />
« Prado », dans Causes criminelles et mondaines de 1888, Paris, E. Dentu, 1889, p. 345.