Vivre dans le feu Marina Tsvetaeva, Bérangère Jannelle, Natacha Régnier Fruit d’une passion pour la langue incandescente de l’immense Tsvetaeva, un spectacle comme une expérience poétique de jeu, une conversation extrême, un hommage sincèrement amoureux à cette poétesse malicieuse et totalement anticonformiste. Bérangère Jannelle La comédienne Natacha Régnier (prix d’interprétation à Cannes - César du meilleur espoir féminin en 1998 pour La Vie rêvée des anges), vient du cinéma et pour ses débuts au théâtre, rencontre une femme inflexiblement lucide, poète d’exception, Marina Tsvetaeva (1892-1941). Vivre dans le Feu s’appuie sur les poèmes et carnets de Marina Tsvetaeva, qui fut la poète russe la plus moderne du XX e siècle, la plus audacieuse, la plus radicale et la plus obstinée. Dans ses écrits, dans sa vie sociale et amoureuse, elle s’est montrée inflexiblement lucide et passionnée. Libre, comme peu de femmes – ou d’hommes – ont osé l’être, elle a dû s’exiler et elle est revenue sans jamais céder. Ses carnets doivent être considérés comme les documents les plus spontanés et les plus subjectifs de l’héritage de Marina Tsvetaeva. Ce sont des journaux intimes, vestiges de sa vie secrète, indissociables de son activité créatrice. Sans cesse à la recherche de nouvelles issues du genre poétique, Marina Tsvetaeva explore d’autres formes d’expression. Elle se tourne vers l’écriture théâtrale qui est, une tentative d’adaptation du vers à une forme en action. Ses milliers de pages protégèrent Marina Tsvetaeva d’un anéantissement créatif. 6 | 7 « J’ai été vraiment touchée par le côté entier et vital » de l’écriture de Marina Tsvetaeva, explique Natacha Régnier, une plume dérangeante « qui ne s’est jamais rangée dans une catégorie sociale particulière », s’est frottée à l’hostilité des autorités et à l’indifférence de ses pairs. <strong>Le</strong>s fragments de textes évoquent la quête d’absolu, la hantise du quotidien et le besoin viscéral d’écriture de cette femme issue de la bourgeoisie russe, qui s’est pendue dans son pays natal à l’âge de 49 ans, après avoir connu la pauvreté et plusieurs exils. Son écriture, d’ « une beauté renversante (…) parle aux sensations (…) Une telle puissance d’émotion, ça saute aux yeux », dit l’actrice, en soulignant « son envie de vivre, sa recherche de joie dans une vie tragique ». « Il fallait qu’elle fasse ses mots, ne pas céder et partir vers la vie mondaine » qu’elle aurait pu avoir, explique l’actrice, qui se « reconnaît » dans le côté « sans concession » de Marina Tsvetaeva. Propos recueillis par Anne meyer, AFP le 14 janvier 2011 Réunissant des poèmes et des extraits de ses carnets, Bérangère Jannelle a composé le portrait d’une femme qui n’a su vivre que dans le feu. Feu, brûlure, les mots reviennent à tous les instants de son parcours. Et c’est Natacha Régnier qui, pour ses débuts au théâtre, avec une audace qu’aurait aimée Tsvetaeva, interprète ce personnage exceptionnel. Seule devant une table, possédée par les mots. Femme de feu. » Colette Godard > Mardi 10 janvier 20h30 / <strong>Le</strong> <strong>Parvis</strong> Rencontre à l’issue de la représentation avec Natacha Régnier et Bérangère Jannelle Happy child Compagnie Nathalie Béasse Dans cet espace, cinq interprètes vivent une grande aventure avec peu de mots, quelques chœurs et des moments très intenses : réminiscences de jeux, courses, retrouvailles bouleversées. Ils et elles s’embrassent, s’embrasent, fusionnent, jouent, s’affrontent aussi. <strong>Le</strong>s fratries qui s’empoignent ou s’étreignent nous chavirent, tant le jeu est intense, provoquant notre empathie jusqu’aux larmes. Nous sommes dans un monde mental qui est le nôtre et qui est aussi celui d’un Shakespeare. La magie de l’enfance, dans les pas de Nathalie Béasse On y est, on y croit. La magie de Happy Child réside dans sa façon de redonner au théâtre ses vertus fondamentales de sincérité et d’illusion, de catharsis aussi, liées à l’enfance. Loin des pon- cifs, ce spectacle rayonne d’une pure beauté ludique, rend à la scène une candeur qui émerveille. Son sens de l’économie visuelle relève d’une esthétique minimaliste sans ostentation. <strong>Le</strong> petit théâtre malhabile que l’on dresse, enfant, avec trois caisses et quelques vieux vêtements, n’est pas loin du plateau de Nathalie Béasse qui en retrouve les codes d’accès avec un instinct sophistiqué. Faire tout (un monde) avec rien (une couverture) est la recette féconde de Happy Child. Certaines scènes possèdent un attrait fou et incompréhensible. D’autres font rire sans non plus qu’on en décrypte les dessous. La séquence au cours de laquelle trois hommes en tailleurs féminins, chaussures à talons et perruques blondes, se livrent à un numéro de gymnastique qui dérape en concert de human beat box hip hop laisse bouche ouverte. <strong>Le</strong> talent des acteurs danseurs mène la ronde tandis que l’inconscient sert de tapis volant aux associations d’images. collection d’hiver L’ enfance heureuse évoquée par le titre tisse la trame généreuse d’une fascinante composition que l’on doit à Nathalie Béasse, une jeune metteur en scène et chorégraphe, formée en arts visuels aux Beaux- Arts puis au Conservatoire d’Art Dramatique d’Angers. Également scénographe, elle crée pour Happy Child « un écrin somptueux, tendu de velours écru, piano dans la fourrure blanche, lumières profondes emmitouflées dans un cocon douillet : une douceur heureuse ruisselle en majesté de cette proposition tout à fait hors du commun.» Si l’on parle de « danse théâtre », en référence à la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009), on peut ici évoquer une forme de « théâtre danse ». Des situations ordinaires (enlacer une femme en train de jouer du piano) décollent de la réalité grâce à une écriture chorégraphique paradoxalement savante et brute de décoffrage. Aucun mouvement gratuit dans cette exaspération physique d’une action nimbée de maladresse enfantine. Avec Happy Child, Nathalie Béasse, metteur en scène et chorégraphe, signe une alliance spectaculaire tout simplement impeccable. Rosita BOISSEAU, <strong>Le</strong> Monde, 04/11/2010 > Jeudi 12 janvier 20h30 / <strong>Le</strong> <strong>Parvis</strong> Rencontre avec Nathalie Béasse à l’issue de la représentation.