CRIMES SCOLAIRES DU QUÉBEC - Accueil
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Patrick JJ Daganaud<br />
<strong>CRIMES</strong> <strong>SCOLAIRES</strong><br />
<strong>DU</strong> <strong>QUÉBEC</strong><br />
Contributions du système scolaire à<br />
l’hyperphénomène de la mort lente<br />
La beuglante de Galilée
Remerciements<br />
I<br />
Corruptio optimi pessima<br />
La corruption du meilleur (devenir) est la pire (qui puisse être)<br />
Je remercie avant tout ma conjointe et mes enfants. Elles sont mon phare et ce sont elles<br />
qui m’ont appris et aidé à fixer le cap de Bonne Espérance et à le maintenir sur le meilleur de<br />
nous-mêmes. Ce meilleur implique l’intégrité et l’humilité complémentaire qui permet, captant<br />
ses failles, erreurs et déroutes, de se pardonner, de considérer la coexistence du blanc et du<br />
noir et de garder l’œil ouvert «vers l’infini et plus loin encore»… J’ai appris d’elles et pour elles<br />
le puissant souffle de la vie.<br />
Je veux, de tout cœur, remercier chacun des écoliers et étudiants que j’ai desservis et que<br />
je dessers encore. J’ai exercé et j’exerce pour eux mon «ministère de l’Éducation» et…ils me le<br />
rendent au centuple. Particulièrement les plus vulnérables d’entre eux qui sont le moteur de tout<br />
désir d’amélioration et, parmi ces plus vulnérables, les élèves dits handicapés (qui le sont bien<br />
moins que plusieurs dirigeants du système scolaire !) J’ai appris d’eux et pour eux le puissant<br />
souffle de l’innocence. Hé oui!<br />
Je veux aussi remercier les intervenants scolaires du terrain que j’ai eu le plaisir et l’honneur<br />
de côtoyer. J’ai, quelquefois, douloureusement pour eux comme pour moi, fait l’effroyable<br />
constat de la contamination quotidienne que nous subissons, souvent victimes, parfois<br />
complices, dans une machine qui nie ses propres valeurs de promotion humaine au moment de<br />
servir ses, vos, nos enfants et de nous accorder, pour ce faire, toute la reconnaissance et la<br />
liberté professionnelles, tout le support et le soutien vrais dont nous avons besoin. J’ai appris<br />
qu’à son pire, cette contamination annihile notre essentielle et volontaire alliance et que, plutôt<br />
que provoquer et imposer un changement même jugé souhaitable, il vaut mieux consacrer nos<br />
énergies à la reconquête de notre intégrité et de celle de ce système vicié.
Parmi ces intervenants scolaires, je désire particulièrement souligner l’extraordinaire<br />
accomplissement de celles et ceux qui ont, de 1985 à 1997, participé à l’avènement de la<br />
communauté scolaire Sainte-Famille et Sainte-Famille-Laporte de Sherbrooke. Je leur lève mon<br />
chapeau! Je crois qu’ensemble, non sans quelques faux pas 1 , nous avons toujours eu à cœur<br />
de dire et d’agir vrai, pour le meilleur devenir de la collectivité, surtout de ses enfants.<br />
Je salue ensuite la dévotion épique des intervenants de l’École du Touret : je les espère<br />
mieux épaulés par leur C.S. qu’ils ne l’ont été par le passé. Je leur souhaite une participation<br />
collaborative sans limites aux essentiels plans de services et de transition de leurs amours : ces<br />
derniers ne méritent pas moins que cela…Puissent ces intervenants mériter ces jeunes!<br />
Je salue également l’engagement des enseignant(e)s de l’Écollectif envers un projet<br />
d’alternative dont des échos troublants annoncent régulièrement le sabordage par cette même<br />
C.S. : puisse l’avenir faire toujours mentir cette annonce répétitive. Puissent-t-ils aussi avoir<br />
tempéré la notion de liberté absolue qu’entretiennent abusivement, pour eux-mêmes et (contre)<br />
leur progéniture, certains parents d’élèves : l’apprentissage de l’Écollectif ne devrait pas être<br />
celui de la prédation.<br />
Je salue tout autant la communauté de l’École des Enfants de la Terre, en lui souhaitant<br />
l’ouverture et la totale transparence, internes et externes, qui lui ont fait (et font sans doute<br />
encore) largement défaut. L’autarcie et la sélection anthroposophiques initiatiques ne sont pas<br />
garantes de réincarnations réussies…Mais, que passent quand même les anges!<br />
Je salue enfin, pour leur ténacité d’abeilles, les gens de l’École du Boisjoli, ruche à alvéoles<br />
encore (partiellement) ouvertes, remplie de talents professoraux parfois (anciennement?) plus<br />
accaparés par leur déploiement personnel que par leur indispensable convergence : mes vœux<br />
pour cette communauté, avant tout ses enfants, concernent l’alliance qui, je l’espère, a pu ou<br />
saura rompre les individualismes dogmatiques. Cette alliance, partout due aux écoliers, peut<br />
faire que ce milieu choyé fasse mieux pour eux que ce qu’il a jadis produit…<br />
1 Jacques Brel dirait «il eût fallu bien du talent pour être vieux sans être adultes...»<br />
II
Je veux remercier tous ceux des partenaires hors réseau que j’ai rencontrés et qui<br />
bataillent, dans leur domaine, de similaires aberrations et les contradictions fondamentales qui<br />
en sont la cause. J’ai souvent eu le sentiment de bénéficier de plus d’écoute et<br />
d’accompagnement de leur part que de bien des collègues si complaisamment<br />
autoanesthésiés. Pour elles et eux, je formule l’espoir que l’anesthésie ne soit pas<br />
contagieuse…<br />
J’applaudis celles et ceux que je n’ai pas connus et qui s’emploient, au meilleur d’eux-<br />
mêmes, pour les clientèles qu’elles et ils ont à servir.<br />
Je souhaite un cœur et une âme aux autres. Il n’y a, dit ma mère, «pas pire aveugle que<br />
celui qui ne veut pas voir.» Je pourrais considérer la puissance de ma révolte comme une<br />
réaction à leur cécité volontaire et les remercier pour leur contribution à la force de mon combat.<br />
Mais, je me targue d’être un guerrier pacifique et je n’ai nul plaisir dans des luttes que je<br />
voudrais inutiles.<br />
Je me dois aussi de considérer l’héritage de corruption que je partage avec eux : j’ai<br />
régulièrement emprunté la ligne gauche à défaut de la droite, bien moins souvent néanmoins<br />
que ne l’ont véhiculé (pour se persuader qu’ils bougeaient) les faiseurs d’immobilisme. Mais, je<br />
l’ai empruntée et je sais intimement que la délinquance est, le plus souvent, le produit<br />
institutionnalisé de l’idéologie dominante corrompue.<br />
Et puis, malgré mon opiniâtreté, je n’ai réussi à changer le système dont je vais vous<br />
entretenir ici que de façon transitoire. C’est un phœnix hélas perverti!<br />
Au moins, ai-je essayé de toutes mes forces et je continue : le lecteur en jugera par lui-<br />
même. Puisse-t-il me pardonner mes irrévérences !<br />
Patrick JJ Daganaud<br />
III<br />
Je l’en remercie d’avance.
Crimes scolaires du Québec<br />
TABLE DES MATIÈRES<br />
Remerciements I<br />
Table des matières IV<br />
Glossaire VIII<br />
Introduction 1<br />
Chapitre I La préméditation 7<br />
12 Contexte d’analyse<br />
15 Logique et méthodologie systémiques<br />
16 Antiéthique<br />
19 Méthodologie conceptuelle<br />
19 Champs d’application<br />
20 L’État québécois et sa gouvernance<br />
21 Les grands courants de la philosophie politique<br />
28 La gestion appliquée du pouvoir, de l’information, de la<br />
manipulation<br />
30 De la protection et du développement de l’autonomie, de<br />
l’intégrité et de l’éthique fondamentale<br />
31 Les effets pervers du capitalisme : contradictions opératoires et<br />
contraintes sur la gouvernance<br />
32 De la promotion de la santé à l’état de l’intoxication<br />
V
Chapitre II Petite histoire de la préméditation 35<br />
35 De l’intégration des plus vulnérables<br />
37 Un bref historique en anthropologie et sociologie<br />
38 De l’élimination à la cachette (- 4000 à 1700)<br />
39 De la cachette à la ségrégation (1700 à 1945)<br />
41 …Le temps fuit…<br />
43 De la ségrégation à l’intégration (1939/1945-1995)<br />
43 L’humanité s’indigne des horreurs commises par... les autres…<br />
49 De l’intégration à l’inclusion (1980-2007)<br />
50 Au Québec<br />
55 Bilan temporaire et sectoriel<br />
Chapitre III «Redîtes 33» 59<br />
Chapitre IV MELS, prestidigitateur eugénique? 61<br />
61 1-Malversations administratives et financières du système de<br />
reconnaissance des élèves en difficulté d’apprentissage et<br />
d’adaptation et des élèves handicapés<br />
70 2-Suppression d’identification de caractéristiques de<br />
dysfonctions scolaires pourtant définies par le ministère<br />
72 3-Ignorance intentionnelle ou rejet de diagnostics<br />
89 4-Diminution statutaire ou contingentement des effectifs des<br />
élèves à risque, des élèves en trouble de comportement, de<br />
certains élèves handicapés<br />
96 5-Incapacité volontaire de considérer les multihandicaps<br />
105 6-Isolement des écoles à vocation régionale ou suprarégionale<br />
VI
Chapitre V P.S., P.I., P.T. pétés! 127<br />
127 Rapport 2003-2004 de la vérificatrice générale<br />
130 Quels sont donc les résultats de cette vérification ?<br />
149 7-Mauvaise gestion extrême des plans d’intervention<br />
163 8-Ignorance des plans de services, des plans de transition<br />
168 9-Refus d’expertises<br />
178 10-Refus d’évaluations causales<br />
182 11-Directives administratives hiérarchiques pour contraindre à<br />
fonctionner dans l’approximation, dans l’ambiguïté<br />
192 12-Privation de ressources de support, de soutien ou de<br />
maintien, sous le vocabulaire mensonger de la normalisation,<br />
aménagée en philosophie d’inclusion<br />
Chapitre VI Je réforme, tu réformes, il réforme, nous déformons, vous<br />
déformez, ils déforment<br />
205 13-Mauvaise planification didactique et pédagogique des<br />
réformes<br />
210 14-Mauvaises stratégies d’implantation<br />
225 15-Amoindrissement consécutif de la maîtrise de la langue<br />
253 16-Négation systématique des impacts<br />
Chapitre VII Hauts savoirs et météo 257<br />
257 17-Complicité béate et docile d’une partie du monde<br />
universitaire<br />
263 18-Déficit et dysfonctions de la recherche universitaire, en<br />
particulier de la recherche appliquée<br />
VII<br />
205
Chapitre VII Hauts savoirs et météo<br />
276 19-Remplacement du redoublement par la promotion en<br />
situation d’échec à la suite de la recherche universitaire<br />
289 20-Surspécialisation doctrinaire, négation de l’existence factuelle<br />
de contradictions, négation de résultats<br />
301 21-Incapacité grandissante du milieu universitaire de saisir la<br />
complexité par une pensée véritablement réflexive<br />
314 22-Autocongratulation informatisée et «colloquisée»<br />
318 23-Politisation de la pédagogie et de la didactique<br />
Chapitre VIII Pollué payeur 333<br />
333 24-Mauvaise et incomplète préparation des futurs enseignants,<br />
en particulier du régulier, malgré le passage de la formation<br />
initiale de trois à quatre ans au niveau du baccalauréat<br />
Chapitre IX Capharnaüm du MELS, des commissions scolaires et des<br />
écoles<br />
343 25-Focalisation sur la diplomatie et le sens politique dans le<br />
système rétrograde et (également) inutilement politisé des<br />
commissions scolaires<br />
362 26-Laxisme de gestion tous azimuts<br />
375 27-Culte du faire semblant jusqu’à la promotion aveugle et sans<br />
filet des élèves en situation d’échec<br />
384 28-Déviations des mesures et évaluations pour contenter les<br />
statistiques par pondération et normalisation<br />
389 29-Lavage de cerveau des jeunes gestionnaires<br />
VIII<br />
339
Chapitre X Allergies de contact et cautères sur des jambes de bois 397<br />
405 30-Absence de vraie opérationnalisation de l’entente de<br />
complémentarité des réseaux<br />
418 31-Absence de gouvernance éthique<br />
435 32-Absence de vision<br />
451 33-Isolement autarcique volontaire du système scolaire<br />
Conclusion 461<br />
Annexes 465<br />
465 En guise de postface<br />
466 De la nécessaire lecture systémique<br />
467 Le modèle de Parsons<br />
481 Le processus de production des handicaps<br />
487 La manipulation du comportement<br />
IX
GLOSSAIRE<br />
Les abréviations sont signe de mauvaise santé : elles donnent aux intervenants d’un<br />
secteur, d’un système, la pseudosécurité d’une codification secrète : un masque, un<br />
sentiment de spécialisation, voire d’expertise. Elles procèdent souvent d’un snobisme<br />
qui permet de se distinguer, artificiellement, de ce que l’on considère comme la masse.<br />
Au mieux, elles sont une mauvaise habitude.<br />
J’espère que l’usage que j’en fais ici ne témoigne que de cette dernière cause.<br />
Comme dans tous les cas, elles provoquent des bris de communication, je les<br />
traduis ici.<br />
Selon le contexte…<br />
ADQ Action démocratique du Québec<br />
AQEA Association québécoise pour les enfants atteints d’audimutité<br />
AQETA Association québécoise des troubles d’apprentissage<br />
ASS Adaptation scolaire et sociale<br />
AUDIMUTITÉ Regroupement impliquant des syndromes ou troubles de la parole et<br />
(ou) de l’audition<br />
CCG Comité consultatif de gestion : lieu de consultation et de concertation<br />
des cadres gestionnaires D’établissement<br />
CÉGEP Collège d’enseignement général et professionnel<br />
CJ Centre jeunesse<br />
CLSC Centre local de santé communautaire<br />
CO Classe ordinaire (classe régulière)<br />
XI
CR (selon le contexte) Classe ressource : elle est, en principe, fréquentée<br />
moins de 50% du temps par l’élève qui est officiellement inscrit dans une<br />
CO.<br />
CR (selon le contexte) Centre de réadaptation<br />
CRDI Centre régional en déficience intellectuelle<br />
CS (selon le contexte) Classe spéciale (classe fermée)<br />
CS (selon le contexte) Commission scolaire<br />
CSS Centre des services sociaux<br />
CSQ Centrale des syndicats du Québec<br />
DA Déficience auditive<br />
DES Diplôme d’enseignement secondaire<br />
DG Direction générale, directrice ou directeur général<br />
DGA (selon le contexte) Direction générale adjointe, directrice ou directeur<br />
général adjoint<br />
DGA (selon le contexte) Difficulté grave d’apprentissage<br />
DI Déficience intellectuelle<br />
DIL Déficience intellectuelle légère<br />
DIM Déficience intellectuelle moyenne<br />
DIS ou DIP Déficience intellectuelle sévère ou déficience intellectuelle profonde<br />
DL Déficience langagière<br />
DLA Difficulté légère d’apprentissage<br />
DML Déficience motrice légère<br />
DMG Déficience motrice grave<br />
DPJ Direction ou directrice, directeur de protection de la jeunesse<br />
DV Déficience visuelle<br />
XII
EDAA Élèves en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation<br />
EH Élèves handicapés<br />
EHDAA Élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation<br />
EO École ordinaire (régulière)<br />
EPP Enseignement préscolaire et primaire<br />
ES (selon le contexte) École spécialisée<br />
ES (selon le contexte) Enseignement secondaire<br />
FCSQ Fédération des commissions scolaires du Québec<br />
FQDE Fédérations québécoise des directions d’établissement d’enseignement<br />
FSE Fédération des syndicats de l’enseignement<br />
MÉQ Ministère de l’Éducation<br />
MÉLS Ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport<br />
MSSS Ministère de la Santé et des Services sociaux<br />
MSSSS Ministère des Services de santé et des Services sociaux<br />
NTIC Nouvelles technologies de l’information et de la communication<br />
OPHQ Office des personnes handicapées du Québec<br />
PA Plan d’action<br />
PI Plan d’intervention<br />
PIA Plan d’intervention adapté<br />
PLQ Parti libéral du Québec<br />
PPP Partenariat public-privé<br />
PQ Parti québécois<br />
PS Plan de services<br />
XIII
PSII Plan de services individualisé et intersectoriel<br />
PT Plan de transition<br />
Réseau<br />
4 S<br />
des Réseau du MSSSS<br />
SAAQ Société d’assurance automobile du Québec<br />
TC Trouble de comportement<br />
TED Trouble envahissant du développement<br />
TES Technicienne, technicien en éducation spécialisée<br />
TGC Trouble grave de comportement<br />
TOP Trouble d’ordre psychopathologique<br />
T.OP Trouble d’opposition ou oppositionnel<br />
XIV
«Crimes scolaires du Québec»<br />
Introduction<br />
- 1 -<br />
Qui nescit dissimulare, nescit regnare<br />
Qui ne sait dissimuler ne sait régner…<br />
Et qui règne, corrompt et se corrompt ! (Ajout essentiel : Pjjd)<br />
Si je tente de percuter l’imaginaire du lecteur par un titre apparemment si<br />
provocateur, c’est parce que ce qui se passe dans ce système scolaire vicié à la moelle<br />
est effectivement inimaginable. Je parle de «crimes scolaires» parce que je vais<br />
démontrer dans ces pages que le ministère de l’Éducation est le premier responsable<br />
de l’échec scolaire de milliers de ses jeunes, de la détérioration lente, mais assurée de<br />
la maîtrise des savoirs essentiels et pire encore, de la compromission définitive du<br />
développement optimal des plus fragiles. Cela signifie qu’il pourrait et devrait être<br />
poursuivi devant les tribunaux de la jeunesse !<br />
La vie est une maladie mortelle et la jeunesse a le temps devant elle : plusieurs<br />
adultes sensés l’élever l’ont compris depuis belle lurette, si bien que tenter l’hypothèse<br />
de la survie des plus forts est devenue, malgré tout dire, le modus operandi de<br />
L’Éducation, avec un grand L et un grand É, comme dans «Lamentable Échec».<br />
En comparaison des efforts (de moins en moins) raisonnablement consentis pour<br />
garantir la pérennité optimale du corps humain, il est remarquablement navrant de<br />
constater combien la conscience professionnelle se dissout au moment de protéger et<br />
promouvoir le développement et la croissance de l’esprit humain. Sans doute la bombe<br />
à retardement que représente l’éducation gâchée de milliers de jeunes ne représente-t-<br />
elle une menace ni suffisamment immédiate ni suffisamment puissante pour susciter
une prise de conscience collective véritable et sans doute l’approximation contente-t-<br />
elle convenablement et les instances responsables et la population.<br />
Au-delà du tangible et redondant constat de la dégradation quantitative et qualitative<br />
des résultats des élèves, lequel n’a cependant jamais arrêté la locomotive aveugle du<br />
MELS, j’en veux pour témoigner , bien partiellement, l’opération de sondage de la<br />
satisfaction parentale des services offerts dans ses écoles qu’a réalisée, à l’instar de<br />
bien d’autres, la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke (2005) : de mémoire,<br />
95 % des parents ont manifesté leur contentement des prestations offertes…au<br />
moment où cette même commission scolaire affichait certains de ses pires records de<br />
décrochage et de sortie sans diplôme !!!<br />
C’est donc dire aussi l’ignorance où sont tenus les parents d’élèves, surtout ceux des<br />
jeunes les plus vulnérables et l’extraordinaire manipulation de l’information par le<br />
monde scolaire et ses dirigeants administratifs et politiques.<br />
Mon trajet de 37 années dans le système scolaire québécois où j’ai commencé en<br />
1971 est ponctué de ce constat de dysfonctions criminellement chroniques. J’ose<br />
prétendre que plus on monte dans la pyramide hiérarchique qui pilote ce système, plus<br />
il s’agit d’homicides volontaires, souvent prémédités, dont la réalisation requiert<br />
néanmoins la complicité trop souvent docile des intervenants de terrain.<br />
Il est vrai que leurs «leaders patronaux» les épuisent tellement dans de vaines et<br />
interminables démarches bureaucratiques que beaucoup de ces derniers finissent par<br />
renoncer à leur sacerdoce et à la défense des droits inaliénables de la jeunesse<br />
desservie. Il est vrai également que tant d’énergies sont siphonnées à sauver la face de<br />
- 2 -
l’abominable machine qu’il en manque pour la défense de ses redevances<br />
fondamentales.<br />
Regard sévère, je le sais, que celui que je pose en ces lignes et je ne saurai<br />
échapper au devoir de l’étayer.<br />
Encore me faut-il spécifier d’emblée que ce livre n’est pas une condamnation des<br />
acteurs de premier niveau, loin de là : de façon générale, j’ai vu chez les gens de terrain<br />
d’admirables dévotions, des engagements certains, des talents tentant de se<br />
transmettre dans un désir constant de faire pour le mieux, ou plutôt pour le moins<br />
mauvais, dans les circonstances allouées…<br />
Même dans les cas où j’ai constaté, chez certains d’entre elles et eux, la contagion<br />
insidieuse des petits pouvoirs et ses effets pervers, j’ai pu toujours en attribuer les<br />
causes aux dysfonctions institutionnelles perpétrées par une gérance infâme.<br />
C’est pourquoi je n’absous cependant pas les individus qui ont choisi d’occuper les<br />
fonctions de commande du système et qui, par là, sont les véritables répondants de la<br />
fameuse «imputabilité» qu’ils décentralisent et distribuent à autrui avec tant de brio.<br />
Règle numéro un : moins on est capable de rendre des comptes, plus on en<br />
demande !<br />
Dans le fond, je postule que le mercantilisme administratif a eu raison de la mission<br />
du ministère (au sens noble du terme) de l’Éducation et que, lorsque les résultats<br />
contredisent le discours mensonger, on n’hésite nullement à en fabriquer d’autres,<br />
artificiels et déconnectés, pour masquer les bévues monumentales. Sacrifier des<br />
- 3 -
milliers d’écoliers et leur devenir dans l’approximation et l’expérimentation ne crée<br />
aucun remords aux gestionnaires de l’Éducation. Et à l’échec, la réponse causale est<br />
déjà prête :<br />
« C’est la résistance au changement qui a toujours provoqué et provoque encore la<br />
ruine des réformes et de LA RÉFORME !»<br />
Mon propos est de dénoncer la machination et de démonter et démontrer les<br />
rouages de son machiavélisme. Non de sanctionner, mais d’aviser, haut et fort : je<br />
laisse le soin cependant essentiel de la sentence à la jeunesse, à ses parents et à ses<br />
véritables défenseurs, non seulement, à tous celles et ceux qui reconnaîtront dans ces<br />
lignes les maléfices dont ils ont été victimes, mais encore à tous celles et ceux qui se<br />
seront usés et auront été usés, voire châtiés, pour leur tentative de révéler et combattre<br />
les méfaits et déviances scolaires : dîtes 33!<br />
1. malversations administratives et financières du système de reconnaissance des<br />
élèves en difficulté d’apprentissage et d’adaptation et des élèves handicapés;<br />
2. suppression d’identification de caractéristiques de dysfonctions scolaires<br />
pourtant définies par le ministère;<br />
3. ignorance intentionnelle ou rejet de diagnostics;<br />
4. diminution statutaire ou contingentement des effectifs des élèves à risque, des<br />
élèves en trouble de comportement, de certains élèves handicapés;<br />
5. incapacité volontaire de considérer les multihandicaps;<br />
6. isolement des écoles à vocation régionale ou suprarégionale;<br />
7. mauvaise gestion extrême des plans d’intervention;<br />
8. ignorance des plans de services, des plans de transition;<br />
- 4 -
9. refus d’expertises;<br />
10. refus d’évaluations causales;<br />
11. directives administratives hiérarchiques pour contraindre à fonctionner dans<br />
l’approximation, dans l’ambiguïté;<br />
12. privation de ressources de support, de soutien ou de maintien, sous le<br />
vocabulaire mensonger de la normalisation, aménagée en philosophie<br />
d’inclusion;<br />
13. mauvaise planification didactique et pédagogique des réformes;<br />
14. mauvaises stratégies d’implantation;<br />
15. amoindrissement consécutif de la maîtrise de la langue;<br />
16. négation systématique des impacts;<br />
17. complicité béate et docile d’une partie du monde universitaire;<br />
18. déficit et dysfonctions de la recherche universitaire, en particulier de la recherche<br />
appliquée;<br />
19. remplacement du redoublement par la promotion en situation d’échec à la suite<br />
de la recherche universitaire;<br />
20. surspécialisation doctrinaire, négation de l’existence factuelle de contradictions,<br />
négation de résultats;<br />
21. incapacité grandissante du milieu universitaire de saisir la complexité par une<br />
pensée véritablement réflexive;<br />
22. autocongratulation informatisée et «colloquisée»;<br />
23. politisation de la pédagogie et de la didactique;<br />
- 5 -
24. mauvaise et incomplète préparation des futurs enseignants, en particulier du<br />
régulier, malgré le passage de la formation initiale de trois à quatre ans au<br />
niveau du baccalauréat;<br />
25. focalisation sur la diplomatie et le sens politique dans le système rétrograde et<br />
(également) inutilement politisé des commissions scolaires,<br />
26. laxisme de gestion tous azimuts;<br />
27. culte du faire semblant jusqu’à la promotion aveugle et sans filet des élèves en<br />
situation d’échec;<br />
28. déviations des mesures et évaluations pour contenter les statistiques par<br />
pondération et normalisation;<br />
29. lavage de cerveau des jeunes gestionnaires.<br />
30. absence de vraie opérationnalisation de l’entente de complémentarité des<br />
réseaux;<br />
31. absence de gouvernance éthique;<br />
32. absence de vision;<br />
33. isolement autarcique volontaire du système scolaire.<br />
- 6 -
Véritable génocide éducatif!<br />
Hécatombe sociale insondable!<br />
Amoindrissement humain !<br />
Chapitre I<br />
La préméditation<br />
- 7 -<br />
Video meliora proboque deteriora sequor<br />
Je vois mon ange, je suis mon démon.<br />
Traduction libre Pjjd<br />
Voilà, en Éducation, les effets cumulatifs du même tribalisme dénoncé à maintes<br />
reprises par l’ex-honorable juge Ruffo, dans le domaine de la protection de l’enfance.<br />
Permettez-moi, en effet, cette courte digression.<br />
J’ai été bouleversé, encore et encore et comme plusieurs, par les drames humains<br />
exposés dans le documentaire de Paul Arcan, «Les voleurs d’enfance», où Madame<br />
Ruffo prend la parole pour défendre l’indivisibilité et l’inaliénabilité des droits de l’enfant.<br />
J’ai suivi longtemps, avec espoir, son parcours, croyant que sous son impulsion<br />
éthique vacillerait enfin la maltraitance de nos jeunes. J’ai cru qu’elle gagnerait les<br />
procès où l’ont traînée fallacieusement, pour conjurer leur léthargie coupable, les bien<br />
trop vénérables membres du Conseil de la magistrature. Durant les quinze dernières<br />
années de sa magistrature, la juge Ruffo a essuyé les coups de buttoir incessants de<br />
maints de ses bien-pensants confrères et partenaires. Cela, parce qu’elle n’a jamais<br />
lâché prise au moment d’exiger la seule application de la Loi de la protection de<br />
l’Enfance : une stricte application, non marchandable !
Imaginez : cela couvre les années 1990 à 2006 ! Mais…<br />
Mais je me souviens aussi des luttes locales et provinciales titanesques d’un Jean<br />
Gélinas, alors D.P.J de l’Estrie, qui avait ensuite temporairement démissionné de ses<br />
fonctions, me révélant, les yeux embués : «Patrick, je ne suis plus capable de me<br />
regarder dans le miroir. J’ai sans cesse deux cas à traiter simultanément : celui, par<br />
exemple, d’un adolescent suicidaire et celui d’un jeune de maternelle de ton école, que<br />
vous nous avez référé pour abus sexuel. Et je n’ai de ressource d’intervention que pour<br />
l’un des deux. Je dois choisir et je choisis …C’est l’ado, parce que sa mort est<br />
imminente si on ne fait rien. Tandis que ton jeune, il ne mourra pas tout de suite d’être<br />
abusé…Je n’en peux plus. Je lâche la D.P.J.»<br />
Jean a, fort heureusement, choisi de regagner son poste quelques années plus tard,<br />
s’étant aperçu que, si lui lâchait définitivement, il ne resterait personne d’assez<br />
combattif parmi les têtes dirigeantes pour empêcher plus grave dégradation.<br />
Je parle avec lui et cet exemple des années 80 à 90, ce qui veut dire que la situation<br />
peinte savamment par Arcand dans son documentaire prévaut depuis des lustres,<br />
depuis des décennies et qu’elle se prolonge malgré tous les discours et tous les<br />
«Québec, fou ou digne de ses enfants» !<br />
Il est vrai que dans ses stratégies de consolidation et de survie, l’idéologie sociale et<br />
politique dominante intègre aisément ses quelques soubresauts d’autoflagellation …<br />
Alors, ma digression sert simplement à illustrer que, de façon certainement moins<br />
spectaculaire, mais tout aussi perfide et encore plus sournoise, se produit le même<br />
- 8 -
phénomène en Éducation. Les constats que j’ai réalisés remontent aux premières<br />
années de mon entrée dans la profession : 1971, il y a 38 ans !<br />
Seuls les méthodes de camouflage et les raffinements de la langue de bois ont<br />
progressé, jusqu’à s’institutionnaliser, jusqu’à s’ériger en aptitudes recherchées chez<br />
les gestionnaires, s’incorporant même, dans certaines commissions scolaires, aux plus<br />
récents codes de déontologie : l’éthique appliquée permet désormais toutes les<br />
gymnastiques de l’immoralité.<br />
Comme me le miaulait, il y a quelque temps, un haut gestionnaire au moment où je<br />
dénonçais la situation scolaire de jeunes handicapés laissés quelques heures de plus<br />
dans leur couche souillée, à la suite des coupures des ressources déjà insuffisantes :<br />
«Es-tu en train de dire que tu n’es pas capable de vivre avec cela?»<br />
NON !<br />
C’est pourquoi j’écris ce livre. Avant que ne s’ancrent en moi des pensées où je vois<br />
ce même dirigeant, déjà bedonnant du corps comme de son morne esprit, mais vieilli,<br />
de surplus, de quelques décennies, dans une maison de retraite pour personnes en<br />
perte d’autonomie, avec un préposé qui répond à sa plainte de merde au cul : «Ben<br />
quoi, t’es pas capable de vivre avec cela ?»<br />
NON pour eux, non pour lui (malgré que 2 …), non pour nous tous !<br />
Nous avons inventé une société qui fabrique des enfants comme s’ils étaient des<br />
objets de consommation et qui jette ceux que son système éducatif rend impropres à la<br />
consommation : cela doit cesser.<br />
2 Finalement non : même leurs infamies ne méritent pas ce sort aux concernés. Cela serait aussi nous avilir de leur sorte.<br />
- 9 -
J’entends encore en sourdine cet autre «semi-haut-dirigeant», pourtant responsable<br />
des services éducatifs de sa commission scolaire, répliquer à ma demande de respect<br />
du droit à leur réussite d’élèves vivant des déficiences multiples : «Voyons donc,<br />
Patrick, la réussite des enfants handicapés, es-tu vraiment sérieux !» Je l’avais alors<br />
mis au défi de refaire une telle déclaration publiquement. Sans doute aujourd’hui ce<br />
fleuron d’anguille affirmerait-il qu’il ne l’a jamais dit…<br />
Violent mon discours : bien oui, pas mal !<br />
Mais pas violente la tolérance ordonnée au port de couches souillées?<br />
Pas violente la négation de leur droit à la réussite des élèves handicapés?<br />
Pas violent le massacre des élèves les plus vulnérables ?<br />
Pas violent leur génocide scolaire ?<br />
Pas violent le monumental gâchis des «élèves ordinaires» en matière de maîtrise de<br />
leur langue maternelle, en matière de savoirs essentiels?<br />
Alors, attendez-vous à mes irrévérences : je ne vais pas, comme on dit, y aller avec<br />
le dos de cuillère!<br />
Et puis sachez que j’ai, auparavant, parlé et écrit, haut et fort, des décennies durant,<br />
pour tenter, de l’intérieur, de faire évoluer les choses, identifiant au début de ma<br />
carrière les effets pervers de nos manques et de notre laxisme involontaires et<br />
dénonçant, à son terme précipité, leur institutionnalisation. Cela n’a pas et n’a jamais<br />
suffi parce que le système scolaire, dans son entièreté, est programmé et organisé pour<br />
nier et réfuter, sans examen, tout ce qui viendrait perturber son confort structural. Tant<br />
- 10 -
pis si cela condamne irrémédiablement des humains auxquels il est réputé offrir ses<br />
services<br />
Ce doit être, j’imagine, « ses dommages collatéraux»…<br />
Je décris donc, avec saines violence et révolte, des prises de position extrêmement<br />
révélatrices émanant des sommets hiérarchiques de l’exécutif du système.<br />
J’espère que l’on réagira à leur apparent caractère d’exception.<br />
Ce que j’affirme, c’est que, relativement à toutes les catégories d’élèves en difficulté,<br />
même mineure, d’apprentissage ou de comportement ou d’élèves handicapés, le MELS<br />
impose, par l’entremise de sa structure politique et administrative et de ses hauts<br />
fonctionnaires, avec les complicités universitaire et gouvernementale, des pratiques qui<br />
provoquent l’échec, le décrochage, la mésestime, la démission, la flétrissure, le<br />
handicap chez les plus vulnérables et la diminution flagrante des savoirs et des<br />
compétences des écoliers et étudiants qui les entourent, surtout dans les zones<br />
socioéconomiquement défavorisées.<br />
Le MELS, axé sur l’instruction, la socialisation et la qualification, produit de<br />
l’ignorance, de la marginalisation et de la déqualification.<br />
Il est le premier acteur dans ce qu’il est impératif d’identifier comme un processus<br />
étatique de production de handicaps.<br />
Ces crimes doivent cesser ! Cesser définitivement ! MAINTENANT.<br />
- 11 -
Contexte d’analyse<br />
Au cours de ces quatre dernières décennies, j’ai assisté à deux grands cycles, le<br />
premier de 20 ans de 1971 à 1991, le second, débuté en 1991 et encore en cours (je<br />
présume, à notre actuelle vitesse de croisière, que ce second cycle, aussi destructeur,<br />
se terminera en 2011).<br />
Je marque le tournant de ces cycles à l’année scolaire 91-92, année où l’Office des<br />
Personnes Handicapés du Québec (OPHQ) abandonna, sur l’ordre du Conseil du<br />
Trésor qui l’avait pourtant intentionnellement doté des fonds pour assurer mandat et<br />
services d’intégration, la dispensation du financement des services, entre autres,<br />
d’accompagnement en éducation spécialisée. C’est au MEQ que, selon le discours<br />
gouvernemental officiel, furent alors transférées les sommes dévolues les années<br />
précédentes à l’OPHQ.<br />
Cette année donna lieu à la fois au début de la dégradation des services (gagnés de<br />
chaudes luttes) à la clientèle la plus vulnérable du système scolaire et, au sein du MEQ,<br />
plus particulièrement à la Direction générale des finances, au déploiement d’une<br />
stratégie purement mercantile visant à contenir systématiquement les coûts des<br />
services aux élèves en difficulté d’apprentissage et d’adaptation et aux élèves<br />
handicapés (EHDAA) à leur plus bas niveau historique. Cette primauté administrative<br />
des finances est encore en vigueur et elle est grandement explicative des aberrations<br />
criminelles de notre système scolaire.<br />
- 12 -
Cela est en effet particulièrement révélateur du changement majeur qui s’est alors<br />
produit dans la gestion globale du système scolaire québécois. Ce changement<br />
concerne l’abandon de toute congruence entre le discours et les actions et sa lente,<br />
mais puissante institutionnalisation qui, aujourd’hui, aboutit en gestion scolaire à faire<br />
carrément semblant, à privilégier le sens diplomatique et le sens politique plus que la<br />
réelle atteinte des objectifs de la pleine réussite pour tous, à naviguer en toute aisance<br />
dans la plus parfaite ambigüité, cette aptitude à la gymnastique éthique étant<br />
hautement prônée chez les nouvelles recrues à la direction des commissions et des<br />
établissements scolaires.<br />
Non pas que le cycle 1971-1991 n’ait pas connu de soubresauts :<br />
En 1978, quatorze ans après la création du ministère de l’Éducation, le mot<br />
d’ordre est donné de compresser de 2% par année la masse salariale<br />
(essentiellement des intervenants de première ligne) : déjà se construit le<br />
changement structural du début des années 90;<br />
Le Québec comme bien d’autres provinces canadiennes ou d’états étrangers n’a<br />
jamais eu la volonté suffisante pour réaliser de façon satisfaisante ni l’un ni l’autre<br />
des deux grands modèles d’éducation démocratique :<br />
o quand il a favorisé l’éducation ségréguée en créant des classes et des écoles<br />
spécialisées, il n’y a ni créé un nombre suffisant de places, ni injecté le niveau<br />
requis de ressources;<br />
- 13 -
o et quand, dans un apparent souci d’inclusion, il a plutôt promu l’intégration, il<br />
n’a, encore une fois, accompagné son orientation, ni des moyens, ni des<br />
effectifs nécessaires.<br />
Tant et si bien que les structures organisationnelles qui ont découlé de ces choix (bien<br />
plus complémentaires qu’antinomiques) sont toujours demeurées boiteuses,<br />
expérimentant leurs conséquences désastreuses à l’encontre des clientèles à (bien)<br />
servir, induisant le phénomène monstrueux de leur amoindrissement.<br />
Autre soubresaut (c’est d’ailleurs peu dire) : dès le début de la décennie 80, il<br />
amorce, dans un élan généreux, mais (déjà) tout à fait improvisé, la refonte des<br />
programmes du primaire, jusqu’alors régionalisés à partir des programmes-<br />
cadres du MEQ. Cette refonte, on le verra, est celle qui a provoqué la<br />
dégradation effarante de la maîtrise de la langue et ce vent déséquilibré de<br />
pédagogie du moindre effort, sous le couvert d’apprentissages plus ludiques.<br />
L’influence néfaste de la recherche universitaire qui aurait dû vivifier et bonifier<br />
l’École québécoise a alors commencé à se faire sentir. Pourquoi néfaste ? Parce<br />
que le plus souvent totalement décalée de la réalité et incapable, dans sa<br />
surspécialisation disciplinaire, de considérer le volatil équilibre de la pratique,<br />
donc incapable de l’indispensable et incontournable approche systémique.<br />
Il est donc aisé de capter le caractère prémédité et multifactoriel des crimes<br />
scolaires du Québec…<br />
- 14 -
Logique et méthodologie systémiques<br />
Pour appréhender ces multiples facteurs qui ont causé et causent la ruine d’une<br />
partie grandissante de la population scolaire, j’ai utilisé et combiné trois modèles qui<br />
ont guidé ma pratique professionnelle et me tiennent à cœur pour leur puissance<br />
analytique. Certains de ces modèles «datent», on m’en excusera : ils ont cependant<br />
franchi avec succès l’épreuve du temps et du terrain et se sont raffinés dans la<br />
résolution permanente de problèmes de plus en plus complexes. Ils demeurent donc,<br />
de façon hautement justifiée, les pièces maîtresses de ma systémique.<br />
Il s’agit du modèle sociologique de Talcott Parsons, du modèle de processus de<br />
production des handicaps du Docteur Patrick Fourgeyrollas et des théories de gestion<br />
comportementale d’Argyris, Bandura et Staats.<br />
Mon propos n’étant surtout pas de faire un exposé détaillé de ces modèles, je me<br />
contente d’en expliciter, le plus brièvement possible, les grandes lignes, de telle sorte<br />
que le lecteur puisse ultérieurement reconstituer de lui-même les cheminements que je<br />
lui propose et confectionner les siens propres.<br />
Par ailleurs, pour ne pas différer la lecture des Crimes scolaires, je reporte en<br />
annexe la description sommaire de ces modèles.<br />
Je vais donc incorporer, parfois séparément, parfois conjointement, les trois<br />
modèles théoriques que j’ai choisis dans divers systèmes et sous-systèmes que je<br />
retiens pour leurs rôles hiérarchiques dans la gabegie infecte que produit l’actuel<br />
système éducatif.<br />
- 15 -
Je suis conscient, encore une fois, que l’on pourrait me demander de modérer mes<br />
propos, mais, dans la mesure où c’est la compromission politique et l’extraordinaire<br />
complaisance avec l’approximation qui ont victimisé des cohortes scolaires entières, il<br />
n’est pas temps d’apaiser la révolte et sa saine expression.<br />
Si je résume, à ce stade, les données contextuelles, elles se formulent en trois<br />
affirmations :<br />
1-le MELS et ses complices sont les principaux moteurs de la mise en situation de<br />
handicap de nombreux écoliers du «secteur jeune» de notre système scolaire et cela<br />
est démontrable via le modèle de processus de production du handicap;<br />
2-la mise en situation de handicap est à l’origine attribuable à des facteurs<br />
environnementaux d’ordre socioéconomique et politique;<br />
3-les facteurs socioéconomiques et politiques provoquant la mise en situation de<br />
handicap sont volontaires et, en ce sens, criminels pour ce qu’ils ruinent de chances et<br />
d’opportunités de meilleur devenir humain chez les nombreuses victimes, concentrées,<br />
mais non uniquement, parmi les plus vulnérables.<br />
De l’application contemporaine de l’éthique : de l’«antiéthique »<br />
Lorsque le Conseil de la magistrature blâme la juge Ruffo pour son manque<br />
d’éthique, la population ne suit pas. Elle sait, cette population, que la juge Ruffo a<br />
consacré sa vie à la défense des droits de l’enfance et de la jeunesse, tels que le<br />
simple bon sens permet de les saisir. Donc, elle ne comprend pas l’accusation de<br />
- 16 -
manque d’éthique qu’elle trouve sans fondements, malgré les prétextes bouffons à<br />
l’appui des jeux de toges.<br />
Bon, c’est sûr que la même population demeure dans un total immobilisme et que<br />
sa saine réaction aux pressions de la magistrature pour que la juge récalcitrante<br />
démissionne se traduit par un aboiement sans morsure, de même essence d’ailleurs<br />
que les puissantes, mais infructueuses palpitations éthiques qui ont suivi les premières<br />
projections du film d’Arcand.<br />
- 17 -<br />
Canis sine dentibus vehementius latrat<br />
(«Chien qui aboie ne mord pas»)<br />
Mêmes puissantes et infructueuses palpitations éthiques que celles qu’a également<br />
provoquées ce chef-d’œuvre de l’homéostasie quand il nous rappelle le fameux «Un<br />
Québec fou de ses enfants», vague soubresaut social face au sacrifice cumulatif<br />
inaltéré de nos jeunes.<br />
Il semble que le Québec politique et administratif contemporain, à l’instar de maintes<br />
sociétés modernes, ait adopté un processus d’équilibration qui lui permet de croire et<br />
de faire croire que dire ou écrire les choses revient à les faire.<br />
Dans un tel contexte, l’éthique se satisfait du discours et vit très bien avec des<br />
gestes contradictoires ou pas de gestes du tout. Elle «s’autotricote» une version<br />
pragmatique, complètement dissolue, où assujettir le droit aux contingences<br />
administratives est une vertu de haut mérite et ne pas le faire un crime déontologique !<br />
Cela permet, dans les écoles, de gérer des plans d’intervention individualisés sans<br />
procéder aux évaluations expertes, sans spécifier les diagnostics même scolaires, ni
encore moins les services appropriés qui en découleraient. Cela permet de préconiser<br />
la poursuite d’une réforme, sans temps d’arrêt et de réflexion, malgré son improvisation,<br />
malgré sa prise en otage d’élèves cobayes, malgré les dégâts incommensurables<br />
qu’elle provoque.<br />
Nous avons franchi tous les paliers de l’inconsistance et de l’incongruité en passant<br />
sans ambages du règne du faire-semblant au culte du faire semblant : d’où la fameuse<br />
et très recherchée capacité de gestion de «tolérance à l’ambigüité».<br />
Nous avons atteint le summum dans la poursuite du cercle vicieux et épousé le<br />
vice : l’éthique et l’antiéthique sont désormais confondues. Malheur à celle ou celui qui<br />
les distingue encore, plus encore si elle ou il ose le dénoncer.<br />
Piteuses, celles des directions d’école, la queue entre les pattes, cérébrolésées à<br />
longueur de CCG. pour passer le message officiel : «C’est la résistance au changement<br />
des enseignants qui ruine la réforme et non l’improvisation institutionnalisée et les<br />
aberrations du ministère de l’Éducation (à l’ignorance et l’amoindrissement), des Loisirs<br />
et du Sport.»<br />
Tout faux ou presque, partout ou presque !<br />
Un exemple ?<br />
C’est du programme de français de la décennie 1980 que provient la chute de la<br />
maîtrise de la langue, laquelle ne touche pas uniquement les actuelles cohortes du<br />
primaire, mais celles du secondaire, du collégial et de l’université. Alors la question<br />
- 18 -
piège : qui a rédigé et prescrit ce programme ? Qui a décidé de récidiver 25 ans plus<br />
tard pour voir si cela fera plus mal la deuxième fois que la première ? Soutenu et<br />
conseillé par qui?<br />
Je sais, cela fait frissonner : nous avons conçu un ministère de l’Éducation qui,<br />
avec maintes complicités, produit des handicaps.<br />
Rien que des handicaps ? Non !!! Mais vraiment beaucoup quand un seul, c’est<br />
un de trop !<br />
Cela doit cesser.<br />
Méthodologie conceptuelle<br />
Champs d’application<br />
Nous allons examiner tour à tour chacun des éléments qui structurent le système<br />
scolaire. À cet égard, l’approche systémique commande de débuter par celui d’entre<br />
eux qui exerce le plus de pouvoir sur la mission, la législation, les politiques et l’exercice<br />
ultime des rôles et responsabilités du système scolaire. Eh non, ici comme ailleurs, ce<br />
n’est pas le ministère de l’Éducation (des Loisirs et du Sport), mais bel et bien l’État, en<br />
l’occurrence québécois.<br />
- 19 -
Je ne veux pas faire un long débat des multiples incursions du gouvernement<br />
fédéral dans un champ d’exclusivité provinciale. De toute façon, le palier étatique n’a<br />
pas grande importance, tant c’est blanc bonnet et bonnet blanc, sauf les intérêts<br />
politiques et socioculturels sous-jacents, ce qui n’est pas rien, j’en conviens. Les<br />
participations fédérale et provinciale à la mise en situation de handicap des jeunes<br />
canadiens et québécois sont relativement égalitaires, mis à part la concurrence<br />
ethnique et l’interminable combat pour l’idéologie (entre autres, mais subsidiairement<br />
linguistique) dominante.<br />
Quand la Finlande choisit la réussite, elle se gouverne en conséquence!<br />
L’État québécois et sa gouvernance<br />
Il y a eu, à l’automne 2006, un colloque sur la gouvernance de l’Éducation. N’eût<br />
été des cours universitaires que je dispense, j’y serais volontiers allé, comme j’ai<br />
participé naguère, à Québec, à celui sur «le Québec fou des ses enfants».<br />
Celui-là m’a vraiment rendu fou : j’y ai cru de toutes mes forces et de toute mon<br />
âme. J’ai teinté et je teinte chacun de mes pas professionnels de cette folie-là.<br />
Mais je suis quand même un vieux loup dans un monde de rongeurs : pas à sa<br />
place…<br />
Comme l’a écrit Jean de Lafontaine, «Conseil tenu par les rats»!<br />
Vocalises intellectuelles aux retombées aléatoires selon les oreilles présentes et<br />
l’intérêt politique du moment.<br />
- 20 -
«Qui attachera un grelot au cou de l’État québécois, de l’État canadien, des États-<br />
Unis, des états jumeaux (ils ne le sont pas tous) de la communauté européenne, de<br />
l’imprévisible Russie, du mystérieux Japon quand il «harakirise» sa progéniture avant<br />
maturité, des émergentes puissances chinoise et indienne quand elles donnent<br />
l’impression (plus probablement l’illusion) d’opter pour le capital et notre forme de<br />
démocratie ?<br />
Les grands courants de la philosophie politique<br />
Construisons-nous rapidement une base commune de compréhension.<br />
Il y a deux grands courants philosophiques au plan politique :<br />
1-le capitalisme, fondé sur la croyance en la profonde bonté de la nature humaine,<br />
qui préconise la liberté individuelle et la libre entreprise… La liberté individuelle va<br />
permettre l’exercice du pouvoir individuel qui va à son tour fonder la libre entreprise et<br />
ainsi créer la richesse, d’abord individuelle, mais équitablement redistribuée en raison<br />
de la bonté humaine qui préside à l’exercice du pouvoir. C’est de toute beauté!<br />
2-le communisme, fondé (plus tardivement) sur la défiance (probablement<br />
légitimée par les constats historiques de la lutte des classes) envers la bonté de la<br />
nature humaine, qui préconise le contrôle des droits individuels par la collectivité pour la<br />
collectivité…Le contrôle va permettre de distribuer équitablement la richesse devenue<br />
bien de la collectivité en raison de ???<br />
La bonté humaine qui préside à l’exercice du pouvoir !!!<br />
Oups…!!!<br />
- 21 -
Les concepteurs de ces philosophies ont omis de prendre suffisamment en<br />
considération deux grands pôles de distraction du pouvoir dans sa dédicace au meilleur<br />
devenir de l’humanité :<br />
L’argent qui corrompt une partie importante de ceux qui en ont, au point illimité<br />
de désirer en avoir toujours davantage, quels que soient les moyens, (pouvoir<br />
dictatorial y compris) et fût-ce aux détriments multiples de ceux qui n’en ont pas…<br />
Le pouvoir lui-même qui corrompt presque tous ceux qui le détiennent, au point<br />
de s’y accrocher comme l’exécrable royauté à son règne et de s’octroyer ses<br />
bénéfices de toute nature (fortune incluse) au détriment de ceux qui cessent de<br />
l’avoir sur eux-mêmes, y compris sur des composantes élémentaires de leurs<br />
conditions de vie ou de survie...<br />
Une lecture politique contemporaine sommaire permet de constater que le<br />
capitalisme débridé et l’hyperconcentration de la richesse qu’il provoque sont néfastes<br />
au meilleur devenir humain, plus probablement au devenir humain tout court!<br />
La même lecture a permis aussi de constater que le communisme débridé qui<br />
musèle et annihile les libertés individuelles et l’hyperconcentration du pouvoir qu’il<br />
provoque sont tout aussi néfastes au meilleur devenir humain.<br />
- 22 -
De plus, le capitalisme débridé et le communisme débridé sont deux monstres qui<br />
nourrissent chacun l’excès de l’autre : outre la richesse qu’il détourne, le capitalisme<br />
débridé s’empare du pouvoir politique par sa mainmise économique ; outre le pouvoir<br />
politique qu’il occupe, le communisme débridé s’empare de la richesse économique<br />
qu’il est censé distribuer. Dans leur expression la plus tendancieuse, ces deux<br />
systèmes s’emparent des destinées de l’État et de sa gouvernance.<br />
Les seules sociétés qui offrent un rempart à ces abus étatisés sont celles à<br />
gouvernance sociodémocrate. Elles parviennent, contre vents et marées, à brider les<br />
deux monstres et à protéger un équilibre (précarisé par la mondialisation) entre les<br />
libertés individuelles et les libertés collectives, entre la richesse individuelle et la<br />
richesse collective, entre le pouvoir individuel et le pouvoir délégué par la collectivité.<br />
Dans ces sociétés, les gouvernements gouvernent et empêchent l’économie de fixer,<br />
unilatéralement ou par corruption politique, ses règles. Non pas qu’ils s’empêchent de<br />
tenir compte des facteurs économiques, mais qu’ils se réservent le droit d’établir si ces<br />
facteurs sont des contraintes et si oui, quelle doit en être l’amplitude.<br />
Maintenant, considérons les causes qui transforment une société et ses sous-<br />
systèmes en une vaste entreprise mercantile dédiée à la seule protection des très<br />
nantis.<br />
Rappelons-nous que tout système peut exercer sur lui-même ou subir deux types<br />
de changements : les changements d’équilibre et les changements de structure. Les<br />
changements d’équilibre maintiennent et protègent la structure en place tout en<br />
l’ajustant aux contraintes du moment. Les changements de structure modifient<br />
- 23 -
l’architecture du système et y redistribuent la hiérarchie cybernétique du contrôle de<br />
l’action.<br />
COMPOSANTES STRUCTURALES<br />
Système sain<br />
(celui du modèle sociologique parsonien)<br />
Modèle actuel de Québec solidaire<br />
- 24 -<br />
ENSEMBLES STRUCTURAUX<br />
Valeurs Socialisation<br />
Normes Droit<br />
COLLECTIVITÉS<br />
Politique<br />
Rôles Économie<br />
COMPOSANTES STRUCTURALES<br />
Système malade<br />
Modèle actuel du<br />
P.L., du P.Q. et de l’A.D.Q<br />
ENSEMBLES STRUCTURAUX<br />
Valeurs Économie<br />
Normes Politique<br />
Collectivités Droit<br />
Rôles Socialisation<br />
La plupart des sociétés industrialisées (mais pas toutes) ont connu un changement<br />
structural qui induit en elle la maladie sociosystémique contemporaine. Là où les<br />
valeurs morales et éthiques fondaient la socialisation se trouvent désormais l’économie<br />
et ses impératifs. Là où la société civile était une société de droit, la politique a pris
place, plaçant la diplomatie, le sens politique et la capacité de vivre dans la plus<br />
effarante ambigüité en autorité législative. Le droit qui établissait les normes sociales en<br />
fonction des valeurs sociales les établit désormais, sur commande politique, en fonction<br />
des impératifs dictés, à son profit, par l’économie.<br />
Les individus ne tiennent plus leurs rôles pour eux-mêmes, supportés par les<br />
moyens économiques mis à leur disposition : les individus ont cessé d’exister par et<br />
pour eux-mêmes ! Ils n’existent à présent qu’à travers les rôles sociaux qu’ils sont<br />
appelés à jouer, par attribution et décret.<br />
Quel que soit son modèle, un système social vise son maintien et sa croissance et,<br />
s’il peut, pour ce faire, tolérer, provoquer ou gérer des changements d’équilibre, il ne<br />
peut, sauf s’il a atteint un degré fort de macrocohésion en régime de collégialité, se<br />
confronter au risque des changements structuraux.<br />
Cette règle de viabilité conduit les sous-systèmes qui le composent à se rendre<br />
conciliables et, en leur sein, leurs composantes structurales à s’engager dans un même<br />
régime de conciliation visant l’équilibre homéostatique.<br />
À moins de n’être pas laxiste ET d’être particulièrement doué ou efficace dans ce<br />
processus de régulation des tensions, un sous-système peut néanmoins produire des<br />
composantes structurales inconciliables et incompatibles.<br />
Il induit alors, de façon apparemment surprenante, le rejet de ses propres<br />
productions.<br />
- 25 -
Allons-y de quelques exemples «chronoorganiques» s’appliquant au système<br />
scolaire de notre société québécoise.<br />
Mais, petit préambule politique obligé…<br />
Les sempiternelles tergiversations du Québec quant à réalisation de sa souveraineté<br />
font la démonstration qu’à ce stade-ci de son évolution, il est et a été incapable d’autres<br />
choses que de changements d’équilibre et qu’il redoute et a redouté les<br />
bouleversements prévisibles du changement de structure que provoquerait et que<br />
provoquera son indépendance socioéconomique et politique. Aussi est-il flagrant que<br />
les partis politiques qui l’animent (c’est beaucoup trop dire pour ce que «les majeurs»<br />
font réellement), mis à part leur différence quant à l’option nationaliste ou fédéraliste,<br />
sont intimement liés au niveau de la pensée et de l’action socioéconomique et que rien<br />
de fondamental, rien de structural, ne les distingue ni ne les a distingués vraiment au<br />
moment d’agir.<br />
Le parti Québec solidaire est, aujourd’hui, le seul qui bâtit à partir d’un modèle<br />
sociologique sain et systémique.<br />
Cela rend particulièrement terne le portrait politique québécois, mais permet de<br />
comprendre, relativement à son système éducatif, pourquoi, par exemple, il a été<br />
possible d’assister en 1982, sous la gouvernance du P.Q., à l’hécatombe percutante<br />
qu’a été le décret de la convention collective des enseignants et permet de comprendre,<br />
du même coup, pourquoi ce type de négociation castrante a annoncé, dix ans à<br />
l’avance, le changement de cap d’un système scolaire jusque-là, mais pas depuis<br />
toujours, dédié philosophiquement à l’intégrité développementale optimale individuelle.<br />
- 26 -
Pourquoi aussi peut encore naître en 79-80, sous l’élan de la Révolution tranquille,<br />
la nébuleuse vague bleue 3 des programmes du primaire, d’inspiration libertaire, à côté<br />
d’un sous-système budgétaire qui se rigidifie et qui n’a pas encore pris tout l’espace<br />
hiérarchique qu’il sous-tend et qui va modifier totalement le fonctionnement de ce qui<br />
est encore le MEQ<br />
Lors d’un revirement structural de la nature de celui qu’ont connu les sociétés<br />
capitalistes modernes, la maladie économique installe ses règles. À l’orée des années<br />
80, la restructuration budgétaire du système scolaire (qui, tel que mentionné, dès 1978<br />
et pour une décennie, donne la consigne d’une compression annuelle de 2% de sa<br />
masse salariale) est encore systémiquement compatible avec un phénomène<br />
pédagogique comme la vague bleue : le changement structural n’est pas complété et<br />
l’orientation philosophique des programmes est (inconsciemment) tolérée dans ce<br />
contexte.<br />
Lorsque son changement structural est complété, ce qui est le cas à la fin des<br />
années 80, le MEQ doit impérativement changer les règles qui le pilotent, ce qu’il va<br />
faire, à commencer par celles de son financement des commissions scolaires. À cette<br />
fin, il va réorganiser, entre autres, la validation des effectifs scolaires et le processus<br />
d’identification des clientèles handicapées ou en difficulté d’apprentissage ou<br />
d’adaptation.<br />
3 La vague bleue est ainsi appelée en raison de la couleur de la couverture des programmes que publie alors le M.E.Q. Le<br />
complément de l’explication (la vague) tient au nombre pour le moins impressionnant de programmes et de guides produits.<br />
- 27 -
Il va aussi, pour asseoir et protéger sa nouvelle structure où règnent dès lors en<br />
maître les critères budgétaires (c’est le début du vocabulaire d’efficience, d’efficacité, de<br />
qualité totale, d’imputabilité tiré tout droit des sciences administratives…), devoir réviser<br />
de fond en comble ses visées de formation. Cela génère toutes les études et tous les<br />
écrits sur l’avenir de l’Éducation, avec un grand É, se concrétise dans la tenue des<br />
États généraux sur l’Éducation (avec le même grand É, pour économiser?) et se<br />
formalise dans l’actuelle réforme et son programme de formation de l’École québécoise<br />
(P.F.É.Q.).<br />
Entretemps, le MEQ devient le MÉLS. Ce changement d’appellation ne serait que<br />
secondairement significatif s’il ne s’était accompagné de la réorientation axiologique<br />
dont j’ai déjà entretenu le lecteur (instruction, qualification, socialisation) d’où est<br />
carrément écarté l’axe éducatif, témoin et garant de l’individualité.<br />
La gestion appliquée du pouvoir, de l’information, de la manipulation<br />
La gestion du pouvoir par l’État est donc un indicateur fondamental de la santé<br />
sociale. L’examen un peu attentif du modèle parsonien permet de saisir les<br />
mécanismes par lesquels s’exerce le pouvoir et de constater, s’il y a lieu, les<br />
détournements effectués sur la hiérarchie cybernétique du contrôle de l’action lorsque<br />
des sous-systèmes sociaux, théoriquement assujettis, se débrident.<br />
C’est, comme illustré, le cas, au nord des Amériques, mais pas uniquement, du<br />
sous-système économique (théoriquement sous la juridiction de l’état, sous<br />
encadrement législatif au profit de la collectivité, sous politiques dédiées au mieux-être<br />
- 28 -
des collectivités), qui s’accapare, le plus souvent par contrainte et corruption, de la<br />
définition de la mission de l’État, contraint le législatif à édicter des lois contraires au<br />
bien public et réglemente, par restriction, les politiques sociales, tout en diminuant sans<br />
cesse sa contribution à l’enrichissement collectif égalitaire.<br />
L’un des éléments qui permettent le repérage assuré de cette pathologie<br />
gouvernementale est la diffusion de l’information. La manipulation de l’information est<br />
en effet l’élément de contrôle le plus sûr des pouvoirs de l’État et de son sous-système<br />
juridique. L’exemple de la législation à géométrie variable relative à la protection de nos<br />
parcs a été un modèle du genre, dans la mesure où l’on n’a même pas pris la<br />
précaution (est-ce encore nécessaire?) de camoufler les ficelles tirées en coulisse.<br />
L’hyperconcentration de l’information et, sous maints aspects, le récent phénomène<br />
réputé incontournable de la convergence sont d’autres indicateurs de la maladie. Il faut<br />
être particulièrement attentif pour ne pas être manipulé. C’est en soi une lutte<br />
exigeante qui contraint nécessairement à l’engagement. Pour beaucoup d’entre nous,<br />
et je ne le dis pas péjorativement, le défi est tellement ardu que l’anesthésie volontaire<br />
est l’alternative.<br />
Beaucoup de mes collègues à la direction d’établissements scolaires, pour des<br />
raisons fort diverses (dont l’isolement, le lavage (réussi) de cerveau, la peur de<br />
l’autoritarisme menaçant, le «narcissisme leadershipien» cultivé, etc.) sont sous<br />
anesthésie. Ils sont alors pilotés par les instances supérieures, elles-mêmes<br />
manipulées de plus haut, hiérarchiquement parlant…<br />
- 29 -
De la protection et du développement de l’autonomie, de l’intégrité et de l’éthique<br />
fondamentale<br />
Est-il besoin d’en ajouter ?<br />
On me reprochera peut-être d’avoir annoncé trop précocement l’entrée dans le vif<br />
du sujet.<br />
Mais n’y est-on pas ?<br />
Car, de vous à moi, si l’on convient que le développement de l’autonomie, de l’intégrité<br />
et de l’éthique fondamentale des jeunes est au cœur de la mission d’un système<br />
scolaire, est-il si difficile de concevoir que seules la qualité des chemins empruntés et<br />
leur congruence aux cibles visées vont garantir l’atteinte de cette mission ?<br />
Qu’il est donc vain de développer l’éthique, là où le système scolaire la bafoue au<br />
quotidien.<br />
Qu’il est donc vain de viser l’intégrité, là où le MELS refuse d’en reconnaître les<br />
disparités initiales.<br />
Qu’il est donc vain de prétendre au développement de l’autonomie, alors qu’on la<br />
réduit à l’assujettissement social et qu’on la réserve, dans sa définition atrophiée,<br />
aux étudiants consommables : les 65 (secteur jeune) à 80 % 4 (tous âges<br />
confondus) qui réussissent ou finissent par réussir, dans (presque) n’importe quel<br />
modèle, l’obtention du D.E.S. …<br />
4 Bon, je sais que je pourrais écrire 85% (statistiques ministérielles), mais je doute quelque peu de la cohérence de ces «stats»<br />
et de celles qui étudient la sous-scolarisation.<br />
- 30 -
Les effets pervers du capitalisme : contradictions opératoires et contraintes sur<br />
la gouvernance<br />
Le capitalisme débridé qui règne dans et sur notre État et dans et sur sa<br />
gouvernance est celui par lequel est nourri le culte du faire semblant.<br />
Il est bien évident que, contrairement aux bénéfices tangibles qu’il attend de ses<br />
investissements, la production d’un scolaire qu’il saigne régulièrement, qu’il<br />
contingente, qu’il déserte, ne l’intéresse que dans la mesure où elle lui est rentable.<br />
Toutefois, la rentabilité a désormais traversé les frontières et la scolarité n’est<br />
nécessaire que dans la mesure où elle permet de créer le produit, parce que, dans la<br />
plupart des cas, pour le produire, on va trouver une main-d’œuvre suffisamment formée<br />
(la meilleure formule étant le domptage) pour produire à moindres coûts.<br />
Le capitalisme débridé se fiche éperdument du meilleur devenir de l’individu ; ce qui<br />
l’intéresse, c’est, je l’ai dit, qu’il soit socialisé, instruit; qualifié et qu’il consomme.<br />
Ne tombons pas dans l’angélisme : ces trois ingrédients du développement humain<br />
sont indispensables parce qu’ils correspondent, pour la capacité à s’intégrer dans la<br />
société, aux exigences posées par le sous-système économique.<br />
Mais de grâce, ne tombons pas non plus dans l’innocence : ces trois axes de notre<br />
actuel système scolaire ne correspondent pas à l’esprit (humain) du Livre orange de<br />
1979 : L’École québécoise !<br />
Parti le développement global harmonieux de la personne; partie la formation<br />
personnelle; parti l’axe éducatif dans la mission au moment même où la jeunesse crie<br />
plus fort que jamais sa souffrance de vivre, au moment même où éduquer, même en<br />
- 31 -
milieu familial, relève d’une prouesse dans le combat incessant de la conciliation<br />
famille-travail, au moment même où s’amplifient les bris de communication, où<br />
s’accentuent les détresses physiques, psychologiques et affectives !<br />
De la promotion de la santé à l’état de l’intoxication<br />
La conjugaison des incidences dramatiques des dérapages et bévues des systèmes<br />
scolaires et des services de santé et des services sociaux, dérapages et bévues<br />
provoqués par les pseudoorientations et pseudochoix gouvernementaux (de fait, les<br />
balises imposées par le sous-système économique), induit un phénomène pandémique<br />
que j’ai baptisé :<br />
«hyperphénomène de la mort lente».<br />
Hyper parce que, tel un plan de services dont la monstruosité serait l’objectif, il allie,<br />
au détriment lentement mortel des enfants les plus vulnérables, les dysfonctions de<br />
plusieurs sous-systèmes théoriquement chargés de la promotion, de la prévention et de<br />
la curation auprès des jeunes malmenés, mais sous-systèmes complices factuels de<br />
leur cheminement vers une déchéance annihilante.<br />
La vie est forte qui donne l’illusion que l’enfant ou le jeune, encore campé sur ses<br />
deux jambes, mais terrassé dans ses espoirs de développement plénier intègre,<br />
procède toujours de son Éros, alors que l’énergie de mort le fait doucement se<br />
désagréger et se morfondre.<br />
- 32 -
Se morfondre, terme véridique pour décrire la communion progressivement intime<br />
avec la mort : la «mortfusion»!<br />
Nous sommes collectivement l’héritage de nos horreurs.<br />
Je ne crois pas qu’il se trouve beaucoup d’individus conscients qui veuillent ainsi le<br />
génocide dont nous nous rendons coupables.<br />
J’en ai cependant rencontré quelques-uns, purs carriéristes nombriliques<br />
préoccupés par leur seule ascension ou petits, très petits Napoléons pathologiquement<br />
imbus de leur autorité pontificale.<br />
Le DGA des services éducatifs, qui contestait (en privé, bien sûr…) aux enfants<br />
multihandicapés le droit à leur réussite, en est un piteux et exécrable exemple qui<br />
permet de capter que, quittant ce reste d’humanité pour revêtir leur habit de<br />
gestionnaires émérites, ces mutants de l’administration publique deviennent guidés par<br />
des principes diamétralement opposés à la mission qu’ils sont censés défendre.<br />
- 33 -
- 34 -
De l’intégration des plus vulnérables<br />
Chapitre II<br />
Petite histoire de la préméditation<br />
35<br />
Homo homini lupus<br />
L’homme est un loup pour l’homme<br />
On tira à la courte paille<br />
À l’ouverture du congrès de mars 2007 de l’AQETA, Égide Royer, professeur et<br />
chercheur de l’Université Laval a dénoncé l’oubli par la réforme comme par l’école des<br />
élèves en difficulté, se demandant si le problème entourant ces 20 % d'élèves n'est pas<br />
un problème scolaire plutôt qu'un problème d'élèves. Se référant aux données<br />
statistiques (27 % d’élèves en retard par rapport à l'âge attendu à la fin de la première<br />
secondaire, 68 % seulement de jeunes diplômés à 17 ans, nombre des élèves dits en<br />
difficulté passé de 11 % à 15 %, selon le MELS, la société tolérant 35 % de ses<br />
garçons de 20 ans sans aucun diplôme du secondaire), Égide Royer s'est indigné<br />
contre la «pensée magique» du MELS qui prétend que la réforme et l'intégration des<br />
élèves en difficulté en C.O. sont suffisantes pour faire réussir, contre l’adoption «comme<br />
une loi de la nature» que tous les élèves atteindront les objectifs du primaire en six ans.<br />
Selon le chercheur, les services professionnels sont commandés par les<br />
conventions collectives davantage que par les besoins et lorsque, à la suite de la<br />
dernière négociation, on a ajouté des ressources, ce sont des enseignants-ressources<br />
qui ont été engagés pour venir en aide à d’autres enseignants! À son avis, il aurait fallu<br />
augmenter les services professionnels dans les écoles pour favoriser la réussite<br />
scolaire des jeunes.
«Voilà venu le temps de déboulonner certaines idées préconçues qui relèvent de la<br />
sagesse populaire et qu'on applique pour les élèves en difficulté sans que ça<br />
fonctionne!»<br />
M. Royer s'enflamme face à ces aberrations et préconise, entre autres, la prévention,<br />
les interventions précoces en lecture, une formation des maîtres davantage axée sur<br />
l'adaptation scolaire, des postes de médiateur scolaire et du matériel adapté pour les<br />
élèves en difficulté.<br />
Je ne puis qu’accorder crédit et appui à ces constats et à cette analyse. Cela n’est<br />
toutefois pas inconditionnel. Je veux en effet dénoncer le lobby des professions, auquel<br />
Royer se livre ici (et s’est livré ailleurs), qui place en concurrence des services<br />
vitalement complémentaires. Je veux aussi attribuer à la vraie source (elle n’est pas<br />
celle des conventions collectives) la pénurie ou l’inadéquation des services.<br />
Cette source, c’est le MELS lui-même qui, par son contingentement budgétaire du<br />
financement des EDAA (et des EH non admis) limite les taux de déclaration, falsifie les<br />
taux de prévalence et réduit artificiellement les besoins.<br />
Cette source, Monsieur Royer, j’ose à peine penser que vous ayez pu contribuer,<br />
même par générosité préventive, à l’alimenter :<br />
vouloir que l’étiquetage catégoriel ne marque pas les élèves concernés et<br />
vouloir que l’intervention soit amorcée avant que l’étiquette ne soit «collée» ne<br />
devaient pas autoriser à faire disparaître le repérage expert des besoins et son<br />
officialisation.<br />
36
C’est un peu comme si, redoutant la charge négative qui accompagne l’existence<br />
d’un cancer, on décrétait que l’on «épargnera» certains cancéreux en masquant leur<br />
diagnostic.<br />
Est-il si difficile de comprendre que ce qu’il convenait de faire et qu’il convient<br />
encore de faire, c’était et c’est de rendre positive la charge accompagnant tout<br />
diagnostic?<br />
De normaliser l’anormalité, puisque, de toute façon, nous sommes tous les<br />
anormaux de quelqu’un d’autre. De la révéler, respectueusement, de la documenter.<br />
Non de l’enfouir et de la cacher sous prétexte des torts non qu’elle véhicule, mais qu’on<br />
lui attribue.<br />
Me faut-il rappeler que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne reconnaît pas<br />
la notion de handicap comme attribuable à la personne, mais comme attribuée à la<br />
personne par son environnement? Qu’une personne vit des déficiences et que<br />
l’inadaptation de son environnement, socioculturel, légal, politique et économique,<br />
provoque et amplifie le ou les handicaps qu’elle subit?<br />
Un bref historique en anthropologie et sociologie<br />
De l’élimination à la cachette (- 4000 à 1700)<br />
Nous pourrions remonter à l’Antiquité et lire non seulement la ségrégation, mais<br />
l’élimination pure et simple des enfants porteurs de déficiences. Il nous faudrait alors<br />
aussitôt moduler notre constat, par la vision ajoutée de la précarité des soins d’hygiène<br />
37
et de santé qui induisaient un important taux de mortalité infantile, frappant tout<br />
particulièrement les nouveau-nés les plus fragiles.<br />
Il faudrait également considérer la défense guerrière coutumière de la tribu, puis<br />
celle de la Cité, tolérant tout au plus les femmes et les enfants en santé et se délestant<br />
de la «charge victimisante des handicapés» ;<br />
Il faudrait tout autant considérer les effets pervers de la peur religieuse induite, en<br />
situation de polythéisme, par la hantise d’accouplements coupables entre humains et<br />
animaux et par la diabolisation phallocratique de la femme.<br />
Ce troisième élément est probablement celui qui a le plus persisté, sans grand<br />
changement, de l’Antiquité au XVIII e siècle. Les oscillations ont été celles qu’ont pilotées<br />
essentiellement les religions et l’Église :<br />
o Quand, dans la mythique polythéiste, il n’est pas bon de se mettre à dos les démons<br />
et, par voie de conséquence, leur progéniture (handicapée à leur image), il est<br />
préférable de «tolérer» la «monstruosité humaine» ;<br />
o Dans la mythique catholique, la bonté incommensurable de Dieu se trouve<br />
confrontée à l’existence même d’humains (amoindris selon la perception de<br />
l’époque) : comment un Dieu si bon permet-il la naissance d’«êtres dénaturés» ? Ni<br />
Dieu, ni «son» Église ne répondent à cette question et il reste alors à concilier la<br />
charité et la pitié divines à l’induction d’un doute embarrassant sur l’omnipotence du<br />
Maître : autant cacher ceux qui génèrent cette confusion…Masquer le handicap et<br />
les handicapés résout le problème.<br />
38
o De temps à autre, quelque philosophe (religieux) prône l’idée du fardeau imposé par<br />
Dieu comme explication au handicap et, selon l’influence, place plus visible est<br />
taillée à certaines catégories «tolérables». C’est le cas de celui qui demeure le<br />
traditionnel «fou du village» et celui, par exemple, du bossu dont l’atrophie est un<br />
don porteur de chance pour celui qui la touche, malgré le dégoût qu’elle provoque…<br />
o Dans d’autres sociétés, l’incursion redondante dans le champ de la métempsychose<br />
ou dans celui des esprits véhicule l’idée que des relations particulières et<br />
privilégiées, inaccessibles à la «normalité», sont nouées entre certains handicapés<br />
(généralement par des psychoses) et l’autre monde…<br />
De la cachette à la ségrégation (1700 à 1945)<br />
Gémir, pleurer, prier est également lâche.<br />
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche<br />
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,<br />
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler.<br />
Alfred de Vigny (1797–†1863)<br />
Les philosophes du XVIII e siècle, siècle des lumières, obligent à retourner aux<br />
questions fondamentales sur la nature humaine. Comme leur démarche est purement<br />
intellectuelle, elle tranche leur discours dans le blanc ou le noir, opposant la bonté<br />
humaine (mythe du bon sauvage de Rousseau) et la nature animale de l’homme.<br />
Et la bonté prime : nous sommes nés bons et égaux! Alléluia!<br />
Simultanément, cela ouvre la porte à notre aptitude à devenir des capitalistes-<br />
modèles, aptes à l’équitable partage du profit découlant (de notre exploitation) du labeur<br />
de la masse ouvrière…<br />
39
Cela va donc se traduire dans l’action par l’émergence des mouvements<br />
révolutionnaires, des pensées gauchisantes et des luttes de classe.<br />
Deux domaines d’évolution particulièrement intéressants sont celui de l’école et de<br />
l’industrialisation.<br />
Relativement à l’école, je ne parlerai pas de l’apprentissage des métiers (qui<br />
structurent l’activité socioéconomique, de plus en plus urbaine, mais encore<br />
majoritairement rurale, de ce siècle), apprentissage qui est déjà organisé depuis belle<br />
lurette, généralement par compagnonnage, fraternités, associations ou confréries.<br />
Je parlerai de l’École chargée de l’héritage humaniste de la Renaissance, lui-même<br />
issu des traditions romaine et grecque antiques. L’école qui enseigne non les métiers,<br />
mais les langues et langages : l’école savante et des hauts-savoirs. Le canal de<br />
formation qu’elle représente, jusque-là réservé à la noblesse, la haute bourgeoisie et au<br />
clergé (qui généralement le dispense) va à la fois se démocratiser sous l’éclairage<br />
égalitaire des Lumières et se rendre indispensable sous la pression de l’industrialisation<br />
et de ses exigences de connaissance.<br />
Il va, pour ces deux motifs, devenir urgent de créer l’école publique.<br />
Celle-ci émerge et s’étend au XIXe siècle qui, par souci d’égalité, en profite pour<br />
abolir (enfin presque…) l’esclavage.<br />
Un problème palpite en sourdine : la médecine a progressé et sauve plus d’enfants<br />
en bas âge qu’elle ne le faisait. Malheureusement, l’urbanisation grandissante<br />
condamne une large tranche de population à des conditions précaires de survie et de<br />
nombreux enfants abandonnés à leur sort développent des déficiences multiples.<br />
40
N’empêche que les philosophes restent aux prises avec leur complexe de Dieu : que<br />
fait-on à l’école publique de ces «anormaux» désormais philosophiquement égaux ?<br />
Équilibre social, économique et homéostatique oblige, on va les desservir dans<br />
d’autres institutions et fonder les asiles. À l’origine, ce mot est synonyme de refuge,<br />
donc de protection…<br />
Dans les faits, les asiles où sont amalgamées les personnes les plus vulnérables de<br />
tous âges et de toutes vulnérabilités vont souvent devenir des ghettos de maltraitance<br />
et d’abus.<br />
La ségrégation factuelle se poursuit sous le couvert mensonger d’un discours<br />
égalitaire : cette modalité fonctionnelle va s’ériger en système d’action sociale et se<br />
perpétuer jusqu’à nos jours où elle est encore en vigueur.<br />
…Tempo fugit…<br />
Et tombent des monarchies et se fondent des républiques (et se maintiennent, tiens-<br />
donc !, des monarchies et des monarques (Son Altesse Sérénissime, Roi (ou reine) par<br />
la Grâce de Dieu : Dieu sait choisir ses nobles…)<br />
Cela n’est pas anodin dans la mesure où le jansénisme (ici appliqué à la sélection<br />
des classes) est un des germes du handicap. ..<br />
Nouveau et Ancien Mondes connaissent des évolutions communes, à peine<br />
décalées d’une à deux décennies, décalages néanmoins amplifiés par la proximité ou<br />
l’éloignement des guerres et l’accélération du peuplement urbain.<br />
L’esclave existe encore et s’appelle l’ouvrier, homme, femme ou enfant…Aux États-<br />
Unis, la ségrégation des Afro-Américains s’amplifie dans les états du Sud.<br />
41
Des complicités s’installent et s’étendent entre la noblesse, la haute bourgeoisie et<br />
la bourgeoisie.<br />
Le politique flirte allègrement avec l’économique.<br />
On raffine les méthodologies de l’exploitation de l’homme par l’homme. On raffine<br />
les méthodologies de la violence et de la manipulation : la coercition physique se trace<br />
un pendant psychologique…<br />
La ségrégation se colore…avec l’apport d’une main-d'œuvre étrangère plus<br />
aisément exploitable : il faut tracer des routes, des voies navigables et des chemins de<br />
fer, planter les poteaux électriques, creuser les égouts, les aqueducs et les gazoducs…<br />
Il faut exploiter des mines et déjà il faut du pétrole pour l’automobile, les navires et les<br />
avions.<br />
Il faut être socialement utile et rentable : INSTRUIT, QUALIFIÉ ET SOCIALISÉ…<br />
Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?<br />
Les mécanismes de l’économie souterraine sont déjà en place. La spéculation qui<br />
consiste à faire du profit sans rien produire s’érige en règle économique et se construit<br />
de puissants outils : les bourses et le marché boursier.<br />
Le rempart aux abus, le protectionnisme national, commence à être battu en<br />
brèche : le colonialisme connaît son apogée en systématisant le siphonnage des<br />
matières premières des pays conquis.<br />
Le capitalisme cannibale, protégé par des gouvernements soudoyés, est né et<br />
provoque le krach de 1929 et la Grande Crise (1929-1939). À 80 années d’intervalle<br />
(1929-2009), le cannibalisme inassouvissable des grands spéculateurs<br />
institutionnalisés répète le même scénario!<br />
42
hitlérien.<br />
De la ségrégation à l’intégration (1939/1945-1995)<br />
«Ce que tu fais parle si fort que je n’entends pas ce que tu dis !»<br />
Et puis se produit est produite la Seconde Guerre mondiale.<br />
Il va s’additionner aux horreurs traditionnelles de la guerre celles du nazisme<br />
La préconisation de la suprématie de la race arienne (eugénisme) s’accompagne<br />
de l’élimination (retour à l’Antiquité : tiens-donc en serions-nous encore si proches ?)<br />
des Juifs (meurtriers Arabes basanés et aux cheveux noirs de l’arien Jésus Christ et<br />
défi à la suprématie blonde-blanche aux yeux bleus), des Tziganes, des gais et…des<br />
handicapés, tares génétiques ralentissant l’avènement de la race suprême…<br />
Pie XII et l’Église se taisent ou chuchotent, comme Galilée, si doucement qu’on<br />
ne les entend pas…<br />
L’horreur sévit.<br />
L’industrie de guerre s’enrichit et «roule à la planche».<br />
Des fortunes se font et se défont au gré des collaborations.<br />
Hitler perd la guerre.<br />
L’humanité s’indigne des horreurs commises par... les autres…<br />
Les Amériques (du Sud et USA surtout) accueillent plusieurs officiers SS et<br />
nazis…Les alliés se partagent terres et influences. Les deux géants naissent : URSS et<br />
USA (et s’il n’en reste qu’un, ce sera celui-là, espère-t-il…)<br />
La population juive qui a survécu à l’Holocauste reçoit l’appui unanime de toutes les<br />
communautés juives internationales et, en particulier, de la toute puissante<br />
communauté juive des États-Unis.<br />
43
Comme le partage des influences plait aux avantagés, comme on veut le stabiliser<br />
et comme l’Humanité s’indigne encore, on fait le procès de Nuremberg (1945), on crée<br />
l’ONU (1946) et l’État d’Israël (1948) qui génère lui-même la Guerre d’Israël (1948),<br />
laquelle prépare le terrain à la méfiance raciale contemporaine à l’égard des Arabes, de<br />
leurs sociétés et de leur religion ( : l’axe du mal, tel que lu par l’ex-président Bush)<br />
Il est difficile de savoir en quoi le réflexe omniprésent de survie cristallise ces<br />
influences et partages territoriaux de l’échiquier mondial, mais il est déjà connu et<br />
probant que poussent, comme des tumeurs cancéreuses, les tentacules économiques<br />
gigantesques des pays industrialisés vainqueurs, pour poursuivre le pompage des<br />
ressources naturelles étrangères que le recul du colonialisme (ex. : indépendance de<br />
l’Inde, 1947) compromet.<br />
Mais la vertu continue sa veille :<br />
« Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres<br />
de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le<br />
fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.<br />
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont<br />
conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que<br />
l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de<br />
croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute<br />
aspiration de l’homme.<br />
44
Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un<br />
régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à<br />
la révolte contre la tyrannie et l’oppression.<br />
Considérant qu’il est essentiel d’encourager le développement de relations<br />
amicales entre nations.<br />
Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à<br />
nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la<br />
valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des<br />
femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à<br />
instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande.<br />
Considérant que les États membres se sont engagés à assurer, en coopération<br />
avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits<br />
de l’homme et des libertés fondamentales.<br />
Considérant qu’une conception commune de ces droits et libertés est de la plus<br />
haute importance pour remplir pleinement cet engagement…»<br />
L’ONU adopte, en effet, en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme 5 .<br />
Cette déclaration fait suite naturelle à la Charte des Nations-Unies 6 adoptée à San<br />
Francisco en septembre 1945. Du coup, toute discrimination est, en principe, bannie, y<br />
compris celle des personnes dites handicapées.<br />
Dans la tentative de réparation des torts causés par la guerre, ce sera désormais,<br />
sous la coupole politico-économique, le triomphe du droit.<br />
5 http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm : À LIRE....<br />
6 http://www.micheline.ca/doc-1945-onu-charte.htm<br />
45
Moteur de la législation internationale, l’ONU va servir de tremplin au<br />
développement du droit international et explique, en ce sens, le phénomène de<br />
convergence.<br />
Cependant, comme le veut l’adage, «tous les hommes sont égaux, mais certains<br />
sont plus égaux que d’autres…», la discrimination raciale à l’encontre des noirs fait<br />
rage aux États-Unis.<br />
La guerre a tué bien des hommes et accéléré la venue des femmes sur le marché<br />
du travail. Elles revendiquent de droit leur part entière. Le féminisme commence son<br />
œuvre égalisatrice. La contraception se raffine.<br />
La cellule familiale, dont l’économie moderne n’a que faire, commence sa lente<br />
agonie…<br />
Le syndrome de l’attachement et celui du cœur brisé accompagnent<br />
endémiquement les ravages de la modernité guerrière.<br />
Toutefois, pour délimiter le cours de l’histoire, je dirai que les résolutions<br />
législatives mondiales en matière des droits universels de l’homme vont agir comme<br />
catalyseur. L’influence notable de la démocratisation de l’enseignement liée à la<br />
structuration organisationnelle des systèmes scolaires désormais pris en charge par<br />
l’État, alliée aux progrès des supports à la communication, s’exerce pour diffuser à<br />
grande échelle les notions fondamentales des droits humains et trouve son nid dans un<br />
mouvement étudiant mondial.<br />
46
En contrepoids à la montée fulgurante du capitalisme génocidaire, le mouvement<br />
ouvrier se solidarise.<br />
Les deux mouvements (étudiant et ouvrier) convergent à leur tour dans les<br />
bouleversements sociaux des années 60 qui, non sans dommages collatéraux,<br />
«bulldozent» le racisme noir-américain, génèrent notre révolution tranquille et le<br />
mouvement souverainiste et aboutissent à l’apothéose planétaire de mai 1968.<br />
Comme il est clair que la couleur cessera (théoriquement) désormais d’être une<br />
base discriminatoire, il devient vrai que le handicap ne devra pas non plus servir à<br />
discriminer. Par ailleurs, il devient progressivement indéfendable, dans des écoles<br />
publiques fondées sur le droit, l’équité et l’égalité de pratiquer la ségrégation des<br />
enfants handicapés.<br />
Les chercheurs universitaires (Nirje(69), Wolfenberger(70), Kaufman (75)), mettent<br />
l’épaule à la roue. Le droit des personnes discriminées d’appartenir à la société telle<br />
que normalisée pour la majorité qui l’occupe et la dirige, guide leurs pas…<br />
Le 9 décembre 1975, l’ONU adopte la Déclaration des droits des personnes<br />
handicapées.<br />
En 1976, le «Council for Exceptional Children» (Rosenberg, 1980) voit le jour, tandis<br />
qu’est produit au Québec le volumineux rapport Copex qui fait état de la situation des<br />
EHDAA et de l’organisation des services spéciaux et recommande les voies de<br />
changement.<br />
Le courant intégrationniste évolue de l’éducation spécialisée à l’intégration<br />
(mainstreaming) et se met graduellement en place dans les systèmes éducatifs.<br />
47
Les finances publiques s’essoufflent à partir de la fin des années 70…On pourrait<br />
déjà projeter que les intentions pro-intégrationnistes ne seront pas financées ad vitam…<br />
On se garde bien de le projeter…<br />
Néanmoins, au tournant des années 80, L’OPHQ est mandaté et (grassement)<br />
financé par le gouvernement pour démontrer la faisabilité de l’intégration : on passe de<br />
l’intégration dite sauvage (parce que sans service) à l’intégration «musclée» (parce<br />
qu’imposant la normalité à l’anormalité).<br />
En 1988, la Loi de l’Instruction publique (LIP) consacre le droit aux services<br />
particuliers et complémentaires des EHDAA, mais le place sous réserve des<br />
contingences administratives, organisationnelles et financières : les commissions<br />
scolaires ont tout loisir de négliger la mise en place des structures requises.<br />
Cela doit être particulièrement souligné, puisque le législateur reconnaît un<br />
droit pour, factuellement, l’amputer en autorisant tous genres de dérogation.<br />
La LIP ordonne aussi la tenue, par la direction de l’École des plans d’intervention<br />
adaptés (PIA).<br />
Le MEQ attend 4 ans pour élaborer le cadre de gestion des PIA(1992), n’effectue<br />
aucun contrôle sur leur existence et ne le fera d’ailleurs qu’en 2002, à la suite d’un<br />
premier rapport du Vérificateur général du Québec ! Une majorité d’écoles négligent<br />
d’en tenir ou les restreignent à une simple démarche administrative, excluant souvent<br />
les parents de l’élève et l’élève ! Parfois même, tenez-vous bien, on exclut les<br />
intervenants-clés !<br />
48
Qu’à cela ne tienne, la démonstration de la faisabilité de l’intégration en milieu<br />
ordinaire étant faite (dans un nombre très restreint d’écoles pour ce qui est des cas les<br />
plus «lourds») le Conseil du trésor, sous l’inspiration d’une logique toute particulière,<br />
coupe ses fonds à l’OPHQ en 91-92 et les transfère (partiellement) au MEQ…<br />
Réagissant aux constats d’échec de la normalisation et aux effets contraires du<br />
sous-financement de l’adaptation scolaire et sociale, les universitaires et les<br />
intervenants de terrain s’orientent vers une redéfinition de l’intégration qui va conduire à<br />
l’inclusion. Malgré tout, le «mainstreaming» se poursuit jusqu’au milieu des années 90.<br />
De l’intégration à l’inclusion (1980-2007)<br />
«Plus de 300 participants représentant 92 gouvernements et 25 organisations<br />
internationales se sont réunis à Salamanque (Espagne), du 7 au 10 juin 1994, afin<br />
de faire avancer l’objectif de l’éducation pour tous en examinant les changements de<br />
politiques fondamentaux requis pour pro m o u voir l’approche intégratrice de<br />
l’éducation, c’est-à-dire pour permettre aux écoles d’être au service de tous les<br />
enfants, et en particulier de ceux qui ont des besoins éducatifs spéciaux.»<br />
Il convient ici de souligner, au plan international et émanant de l’ONU, la Déclaration<br />
de Salamanque (1994) et ses suivis (1999 et 2004). La Déclaration de Salamanque<br />
établit, entre autres, le cadre pour les besoins éducatifs spéciaux :<br />
Principes directeurs pour l’action nationale (des pays signataires) :<br />
A. Politique et organisation<br />
B. Facteurs scolaires<br />
49
C. Recrutement et formation des personnels de l'éducation<br />
D. Services de soutien externes<br />
E. Domaines d'action prioritaires<br />
F. Perspectives communautaires<br />
G. Ressources<br />
Aux États-Unis, le NCERI 7 (National Center on Educational Restructuring and<br />
Inclusion) se charge alors de la recherche de pointe en matière d’inclusion.<br />
Au Québec<br />
Au Québec, dès 94-95 (dans un élan intégrateur sans pareil…), le MEQ modifie ses<br />
paramètres de financement des EHDAA (pour les contingenter aux pourcentages<br />
historiques de déclaration afin d’éviter la croissance budgétaire des coûts de<br />
l’adaptation.) Pour ce faire, il modifie ses regroupements catégoriels, prétextant sa<br />
considération nouvelle des écoliers en difficultés d’apprentissage…Il amalgame, dans la<br />
notion d’abord budgétaire d’effectifs à risque, les écoliers en DLA, en DGA de 2 ans de<br />
retard, en DGA vivant des troubles spécifiques, les écoliers en TC et les écoliers en<br />
DIL. Cette stratégie est préparatoire aux définitions des EHDAA publiées en 2000.<br />
Ayant emprunté à nos voisins du Sud le modèle de l’Iowa qui préconise, pour les<br />
élèves en mésadaptation, l’intervention par l’enseignant la plus immédiatement<br />
consécutive au repérage de difficultés, il permet aux écoles de l’étendre à toutes les<br />
gammes de besoins et de différer aux calendes grecques les évaluations et<br />
interventions expertes, conditionnelles, de plus, au crible assassin d’un processus de<br />
référence rendu stratégiquement interminable.<br />
7 http://www.gc.cuny.edu/other_programs/research_centers_pages/NCERI.htm<br />
50
Ainsi, sous le couvert argumentaire du non-étiquetage précoce, le MEQ fait-il avaler<br />
la couleuvre des dédales labyrinthiques qui éloignent la conduite du PI, à point tel que,<br />
dans le chapitre 2 de son rapport 2003-2004, la Vérificatrice générale intérimaire du<br />
Québec constate avec effroi, 15 ans après la mise en application de l’exercice<br />
légalement obligatoire du PIA, le laxisme institutionnalisé qui le gère : celui de la<br />
majorité des directions d’établissements scolaires, soumises docilement aux pressions<br />
de leurs directions générales et du système dont ils sont les lieutenants…<br />
Le MEQ a donc confondu en un «melting pot» informe, le fourre-tout des élèves à<br />
risque (ER), les catégories DLA, DGA, TSA, DIL, TC et autres problématiques<br />
handicapant («mais pas trop») le cheminement scolaire. Le MEQ déclare (2000) ne<br />
pas vouloir savoir combien d’écoliers font désormais partie de ces ER…Aux<br />
commissions scolaires, il dit : «Déclarez en tant que vous voulez, vous ne recevrez,<br />
pour les élèves à risques, que ce que l’enveloppe budgétaire préfixée vous octroie.»<br />
Un peu plus tard (2001-2002-2003), le MEQ, dans le même élan de générosité<br />
intégrationniste, en profite pour retirer l’accès à la désignation (et au financement…) de<br />
handicaps scolaires pour certaines dysphasies, puis pour certaines formes de<br />
déficiences motrices légères, parmi lesquelles la plupart des dyspraxies. Sans<br />
commentaires : cela laisse muet ou aphasique (à vous de choisir) !<br />
La notion de multi ou polyhandicaps est absente de ses règles de financement…Je<br />
connais une élève souffrant de DIP qui a vu disparaître de sa fiche diagnostique sa<br />
DMG et sa DV entre 1992 et 2002 !!! Miracle !!!<br />
51
Retournons à la fin des années 80 et au milieu des années 90, là où s’instaurent sur<br />
le terrain le concept d’inclusion et ses divers costumes : (Brown (83) ; Purkey et<br />
Novak(84) ; Will (85) ; Forest et Lusthaus(87), Smith et Schloss(88) ; Falvey ; Stainback<br />
(89) ; Thousand et Villa (90) ; Cross et Villa ; Peterson ; Sapon-Shevin, (92) ; St-<br />
Laurent ; Cattlet et Osher (94)…<br />
Ne renonçant à aucun défi, d’autres chercheurs universitaires sont en train de lui<br />
confectionner une réforme et des pédagogies sur mesure : l’approche ludique,<br />
l’approche par compétences, l’approche coopérative, le constructivisme, le<br />
socioconstructivisme, la pédagogie du projet, la pédagogie différenciée, etc., magies de<br />
l’abracadabra qui commande aux enseignants de tout faire avec rien auprès d’une<br />
clientèle de plus en plus disparate, dans un contexte social de moins en moins<br />
favorable à la croissance du petit de l’homme, comme si, didactiquement et<br />
psychologiquement parlant, la complexité signifiante coopérée était à elle seule garante<br />
du développement des intelligences multiples de tous et de chacun, par l’intercession<br />
divinement opératoire de la médiation et de l’objectivation professorale.<br />
Car le problème est bien dans ce «à elle seule» qui accompagne depuis les débuts<br />
1980 les réformes scolaires où le nouveau chasse l’ancien comme la nouvelle religion,<br />
l’hérésie qui l’a précédée : on est toujours l’hérétique de quelqu’un, n’est-ce pas<br />
Messieurs Bush et leurs clones ?<br />
52
Entretemps le MEQ devient le MELS et complète, sur papier glacé et glissant,<br />
l’instrumentation de l’inclusion (j’en donne ici un aperçu partiel : il y a bien plus de<br />
scribes que cela au MELS…) :<br />
o 1999-politique de l’adaptation scolaire : prendre le virage du succès : voir, depuis<br />
lors, le décrochage et le taux de diplomation…<br />
o 1999-Plan d’action de l’adaptation scolaire : une école adaptée à tous ses élèves<br />
o 2000-Définitions des EHDAA<br />
o 2001-Formation à l’enseignement<br />
o 2001-Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de<br />
mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé<br />
physique<br />
o 2002-Les services complémentaires : essentiels à la réussite<br />
o 2003-Politique (en retard ????) d’évaluation des apprentissages<br />
o 2003-Organisation des services aux élèves à risque au premier cycle du secondaire<br />
: réflexion et orientations dans le contexte de la réforme<br />
o 2003-Les difficultés d’apprentissage à l’école Cadre de référence pour guider<br />
l’intervention<br />
o 2003-Entente de complémentarité des services entre le réseau de la santé et des<br />
services sociaux et le réseau de l’éducation. Cette publication mérite un arrêt parce<br />
que, d’une part, elle est dénoncée comme inopérante (plutôt inopérée) par la<br />
vérificatrice générale dans son rapport à l’Assemblée nationale en 2003-2004 et<br />
parce qu’elle s’est accompagnée, immédiatement après sa publication, d’un lac-à<br />
l’épaule tenu par le gouvernement avec tout ce qu’il y avait de DG et PDG de CS ou<br />
53
ASSSS pour présenter les paramètres de la «réingénierie de l’État». Ces<br />
paramètres commandent un budget zéro, ce qui veut dire que rien ni personne ne<br />
financera d’argent neuf l’entente de complémentarité. Je connais des DG et PDG<br />
qui ont compris précocement le message et ont tué dans l’œuf, sabordé ou saboté,<br />
dans leur région des initiatives de complémentarité pourtant essentielles à leur<br />
clientèle partagée, parce qu’elle menaçait leur équilibre mental, parfois déjà<br />
précaire, et leur équilibre budgétaire …<br />
Or, en pénurie de ressources, la seule voie de bonification des services est, en<br />
approche communautaire, celle de l’arrimage des complémentarités : encore<br />
faut-il le financer!<br />
o 2004-Un Québec digne de ses enfants<br />
o 2004-Nouveau cadre d’élaboration du PI, au service de la réussite de l’élève<br />
o 2004-Filles-Garçons-Accordons-nous.<br />
o 2005-École en santé-Guide d’animation<br />
o 2006- Programme de formation de l’école québécoise (version approuvée-<br />
Préscolaire et primaire)<br />
o 2006-L’organisation des services éducatifs aux élèves à risque et aux élèves<br />
handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA), document<br />
remplaçant celui des définitions des EHDAA (2000)<br />
o 2006-Modalités d’organisation et de gestion des services régionaux de soutien et<br />
d’expertise en adaptation scolaire.<br />
54
Bilan temporaire et sectoriel ( : mon expérience)<br />
Nous sommes en 2009, au cœur (secoué des spasmes récurrents du syndrome du<br />
cœur brisé) de l’inclusion.<br />
Je n’ai, de toute ma carrière où j’ai été constamment un ardent artisan de<br />
l’intégration, jamais vu d’option entièrement discutée, entièrement adoptée, entièrement<br />
implantée quelle qu’elle ait été.<br />
Quand nous avons collectivement pratiqué la ségrégation (différenciation ?) en CS<br />
dans des ES ou dans des EO, jamais le nombre de places et de ressources financées<br />
n’a égalé les besoins. Jamais.<br />
Quand nous avons pratiqué l’intégration, je n’ai vu ce financement des places et des<br />
ressources qu’entre 1985 et 1991et encore, faut-il le spécifier, dans une des rares<br />
écoles qui, à l’époque, a poussé à fond la démonstration de la faisabilité, intégrant,<br />
dans ses meilleures années, des enfants vivant des DIP, DIM, polyhandicaps avec<br />
DMG, DIL, DGA, DLA, TC, TGC, DML (dyspraxie) , DV, audimuets (dysphasies), TED,<br />
soit accompagnés par des T.E.S. en CO, soit sous la forme organisationnelle des CR.<br />
À cette époque, pas si lointaine, où le législateur ordonne l’intégration et où le<br />
politique la prône à ses fins détournées, les bâtons dans les roues sont venus de<br />
l’intérieur : ceux d’un directeur des services éducatifs qui n’y croyait pas, ceux d’un DG<br />
qui a cessé d’y croire quand la «balloune politique» s’est dégonflée…<br />
À la même époque, nous avons fait l’arrimage local avec l’ensemble des institutions<br />
du réseau des SSSS, dont la direction de protection de la jeunesse, avec l’Université de<br />
55
Sherbrooke (projets spéciaux en stages perlés longitudinaux en EPP, ASS, service<br />
social) et le CÉGEP de Sherbrooke.<br />
Nous avons créé alliance avec la Ligue pour la protection de l’enfance et invité La<br />
Grande Table à servir à la population démunie ses repas gratuits dans la cafétéria de<br />
l’école.<br />
Nous avons mis sur pied le service d’intervention précoce de prématernelle 4 ans<br />
qui a fonctionné par complémentarité école-université-CLSC durant 14 ans, avec un<br />
mini-minimum de financement ; nous avons initié les projets d’orthopédagogie Casse-<br />
tête, Orthirondelle et Orthosoleil, dispensant sans coût pour la population cible, le<br />
soutien rééducatif, y compris en période estivale. Nous avons créé des modèles<br />
d’organisation scolaire à progrès continu comme alternative au redoublement, vécu<br />
l’implantation des classes TC à paliers.<br />
Nous avons fait des fêtes de quartier, réunissant 1200 élèves et parents d’élèves et<br />
vivifiant la communauté scolaire. Nous avons amélioré le monde à notre portée.<br />
NOUS AVONS FAIT ET VÉCU L’INTÉGRATION.<br />
Nous avons appris que tout cela était faisable en le faisant. Nous savons que c’est<br />
encore faisable.<br />
Nous savons également que la condition de ces réalisations est de se taire et d’agir.<br />
Nous savons que le pire n’est pas de ne rien faire.<br />
Le pire est de dire que l’on fera ce qu’il faut, d’être en mesure de le planifier<br />
et de finir par ne rien faire.<br />
Rien d’autre que le vent des mots…<br />
56
Comme c’est hélas sur des approximations perpétuelles et des coups de tête ou de<br />
gueule politiques que la girouette du MEQ-MELS rend le Québec digne de ses enfants,<br />
comme dans certaines commissions scolaires les nouvelles recrues à la direction sont<br />
sélectionnées à partir de leur aptitude à vivre dans l’ambigüité (!!!), c’est-à-dire leur<br />
égale compétence à se fermer les yeux et la trappe sur les aberrations du système,<br />
additionné d’un leadership propre à forcer leurs troupes à se fermer, aussi serrés, les<br />
yeux et la trappe sur les mêmes aberrations, on n’est pas sorti de la fosse…<br />
N’est-ce pas dans la fosse que tout finit par se désintégrer ????<br />
Cela vous laisse sceptique : elle aussi, mais sans C !<br />
57
Chapitre III#<br />
«Redîtes 33»<br />
Vulnerant omnes, ultima necat<br />
Toutes blessent, la dernière tue<br />
J’ai identifié 33 problématiques et amorcé mes interventions pour certaines d’entre<br />
elles. Il est temps d’étayer ma démonstration. Les voici en rappel :<br />
1. malversations administratives et financières<br />
du système de reconnaissance des élèves<br />
en difficulté d’apprentissage et d’adaptation<br />
et des élèves handicapés;<br />
2. suppression d’identification de<br />
caractéristiques de dysfonctions scolaires<br />
pourtant définies par le ministère;<br />
3. ignorance intentionnelle ou rejet de<br />
diagnostics;<br />
4. diminution statutaire ou contingentement<br />
des effectifs des élèves à risque, des élèves<br />
en trouble de comportement, de certains<br />
élèves handicapés;<br />
5. incapacité volontaire de considérer les<br />
multihandicaps;<br />
6. isolement des écoles à vocation régionale<br />
ou suprarégionale;<br />
7. mauvaise gestion extrême des plans<br />
d’intervention;<br />
8. ignorance des plans de services, des plans<br />
de transition;<br />
9. refus d’expertises;<br />
10. refus d’évaluations causales;<br />
11. directives administratives hiérarchiques pour<br />
contraindre à fonctionner dans<br />
l’approximation, dans l’ambiguïté;<br />
12. privation de ressources de support, de<br />
soutien ou de maintien, sous le vocabulaire<br />
mensonger de la normalisation, aménagée<br />
en philosophie d’inclusion;<br />
13. mauvaise planification didactique et<br />
pédagogique des réformes;<br />
14. mauvaises stratégies d’implantation;<br />
15. amoindrissement consécutif de la maîtrise<br />
de la langue;<br />
16. négation systématique des impacts;<br />
17. complicité béate et docile d’une partie du<br />
monde universitaire;<br />
59<br />
18. déficit et dysfonctions de la recherche<br />
universitaire, en particulier de la recherche<br />
appliquée;<br />
19. remplacement du redoublement par la<br />
promotion en situation d’échec à la suite de<br />
la recherche universitaire;<br />
20. surspécialisation doctrinaire, négation de<br />
l’existence factuelle de contradictions,<br />
négation de résultats;<br />
21. incapacité grandissante du milieu<br />
universitaire de saisir la complexité par une<br />
pensée véritablement réflexive;<br />
22. autocongratulation informatisée et<br />
«colloquisée»;<br />
23. politisation de la pédagogie et de la<br />
didactique;<br />
24. mauvaise et incomplète préparation des<br />
futurs enseignants, en particulier du régulier,<br />
malgré le passage de la formation initiale de<br />
trois à quatre ans au niveau du<br />
baccalauréat;<br />
25. focalisation sur la diplomatie et le sens<br />
politique dans le système rétrograde et<br />
(également) inutilement politisé des<br />
commissions scolaires,<br />
26. laxisme de gestion tous azimuts;<br />
27. culte du faire-semblant jusqu’à la promotion<br />
aveugle et sans filet des élèves en situation<br />
d’échec;<br />
28. déviations des mesures et évaluations pour<br />
contenter les statistiques par pondération et<br />
normalisation;<br />
29. lavage de cerveau des jeunes gestionnaires.<br />
30. absence de vraie opérationnalisation de<br />
l’entente de complémentarité des réseaux;<br />
31. absence de gouvernance éthique;<br />
32. absence de vision;<br />
33. isolement autarcique volontaire du système<br />
scolaire.<br />
Je vais donc les repasser tour à tour et les illustrer de faits et d’interventions réalisées au<br />
cours de ma carrière.
Chapitre IV<br />
MELS, prestidigitateur eugénique?<br />
A bove ante, ab asino retro, a stulto undique caveto<br />
Prends garde au bœuf par devant, à l'âne par-derrière, à l'imbécile par tous les côtés<br />
1. Malversations administratives et financières du système de reconnaissance<br />
des élèves en difficulté d’apprentissage et d’adaptation et des élèves<br />
handicapés<br />
Dans un article récent de La Presse, Marie Allard rapportait la demande d’abolition<br />
des quotas d'élèves en difficulté, demande conjointement soutenue par l’Alliance des<br />
professeurs de Montréal et par le Comité central des parents de la Commission scolaire<br />
English-Montréal.<br />
Madame Allard relevait que 10 000 élèves en difficulté sont privés de services<br />
éducatifs à Montréal, selon les comités de parents et les enseignants des cinq<br />
commissions scolaires de l'île.<br />
Le coupable selon les parents et les intervenants? Un système de quotas mal<br />
adapté à la situation montréalaise, de même que des budgets limités, dépensés sans<br />
transparence par les commissions scolaires.<br />
Les résultantes décrites mentionnaient que, tandis que certaines écoles choisissent<br />
de diluer les ressources qui leur sont allouées afin de répondre aux besoins de tous les<br />
élèves, d'autres placent ceux qui excèdent le nombre permis sur des listes d'attente.<br />
«Les commissions scolaires admettent qu'elles manquent d'argent et qu'il y a des<br />
61
milliers d'élèves en difficulté en attente de services, a souligné Michèle Campini,<br />
présidente du Comité central des parents...<br />
Montréal se présente-t-elle comme la métropole d’une autre planète?<br />
Voyez plutôt ce que j’écrivais à ce même propos en juin 2004 :<br />
AVERTISSEMENT<br />
SITUATION RÉELLE DES EFFECTIFS DES EHDAA<br />
1. Les données chiffrées sont extraites des tableaux publiés par le MEQ dans sa<br />
Politique de l’adaptation scolaire (2000).<br />
2. Ces données sont complétées par les taux de prévalence historiquement connus ou<br />
statistiquement reconnus ou assimilés aux indices moyens de pays européens<br />
comparables.<br />
3. Ces données sont ensuite l’objet d’extrapolations mathématiques où la seule<br />
variable contestable est le salaire effectif moyen des PNE ou du personnel de<br />
soutien, temps supplémentaire compris.<br />
4. L’un des motifs de cette démonstration est le constat de la disparition (probablement<br />
planifiée) d’un lot important d’élèves EHDAA depuis les changements apportés par<br />
le MEQ dans ses règles de financement (1995 et 1999) et celui de l’intérêt financier<br />
qui peut en être la cause.<br />
5. L’autre motif est la remarque de la stratégie du MEQ qui consiste à limiter les<br />
catégories non contingentées des EH en y supprimant des effectifs alors passés<br />
parmi les DGA (nécessairement contingentés parmi les effectifs à risque).<br />
62
6. RAPPEL :<br />
DLA : difficulté légère d’apprentissage DGA : difficulté grave d’apprentissage<br />
TC : troubles du comportement TGC : troubles graves du comportement<br />
EH : élèves handicapés<br />
7. Avant septembre 95, les effectifs à risque comprenaient les catégories DGA, TC et<br />
DIL.<br />
À partir de septembre 95, en pratique, les effectifs à risque comprennent en plus :<br />
Les DLA;<br />
Les audimuets qui n’entrent pas dans le<br />
taux de prévalence de 3/1000 décrété par<br />
le MEQ, désormais classés DGA, parfois<br />
aussi TC…;<br />
Les handicapés auditifs dont le handicap<br />
concerne l’audition centrale, classés par<br />
décret dans la catégorie DGA ;<br />
Voici donc les constats à partir de ces prémisses : «…/…<br />
63<br />
Les élèves DML qui, souffrant par<br />
exemple de dyspraxie motrice, n’ont pas<br />
aux yeux du MEQ, de handicap moteur<br />
qui a ou aurait nécessité ou va devoir<br />
nécessiter un soutien relatif au handicap,<br />
mais requiert, à ses yeux, un soutien<br />
analogue aux élèves en troubles<br />
spécifiques d’apprentissage de la<br />
catégorie DGA.
Tableau 3 : ratios et coûts d’intervention selon MEQ<br />
Avertissement :<br />
1. Pour les effectifs EHDAA, je considère ici les services particuliers suivants :<br />
PNE : ergothérapeute, orthopédagogue, orthophoniste, psychoéducateur, psychologue et travailleur<br />
social.<br />
SOUTIEN : technicien en aide sociale, technicien en éducation spécialisée, technicien en<br />
psychométrie.<br />
2. Je distribue les effectifs donnés par le MEQ dans ses tableaux 11 et 12 selon le tableau suivant,<br />
lequel implique des hypothèses de services fondées sur la réalité probable:<br />
3. Le salaire moyen des PNE a été fixé à 55000 $<br />
Celui du soutien a été fixé à 40000 $.<br />
64
Note : on comprend pourquoi il est avantageux pour le MEQ de faire passer les élèves de la<br />
catégorie EH à celle des DGA ….et les DIM dans celle des DIL…<br />
Note : on comprend que l’économie se réalise aussi en ressources enseignantes et qu’elle viendrait s’additionner à<br />
la présente démonstration. En supposant seulement que le ratio moyen par élève disparu passe de 1/20 à 1/16, le<br />
résultat serait le suivant au salaire moyen calculé à 50000 $ :<br />
50 à 100 millions «d’épargnes» par année…<br />
65<br />
Patrick JJ Daganaud 2004 06<br />
On me répliquera sans doute que je divague lorsque j’avance de tels montants 8 , de<br />
tels effectifs, de tels taux de prévalence. Pourtant, d’une part, mon total des effectifs<br />
d’ÉHDAA correspond à 22,10%, desquels le système «qualifie» environ 4 sur 22, en<br />
8 Voir le tableau de la page 66
laissant 18 «sur le carreau», puisque son taux de diplomation, toutes années de<br />
fréquentation confondues, se limite à 82% environ.<br />
J’ajouterai une référence qui me fait «un petit velours», à nouveau celle à un article<br />
d’Égide Royer, dans Le devoir du 06 septembre 2006, Permettre à tous de réussir à<br />
l'école.<br />
Égide Royer, je le rappelle, professeur titulaire en adaptation scolaire à la faculté<br />
des sciences de l'éducation de l'Université Laval et auteur, entre autres, de l'ouvrage Le<br />
Chuchotement de Galilée (Publications École et Comportement, 2006), est un expert<br />
de renommée internationale auquel le MEQ a fait appel à de nombreuses reprises pour,<br />
à la fois, documenter (1991 et suivantes) les interventions auprès des écoliers vivant<br />
des troubles du comportement et (1994 et suivantes) orienter la nouvelle nomenclature<br />
des catégories de clientèle HDAA.<br />
Cet expert défend avec vigueur le droit à la réussite des «jeunes difficiles» et je<br />
partage plusieurs de ses constats et certaines de ses recommandations lorsqu’ils et<br />
elles décrivent la réalité des écoliers souffrants et réclament du MEQ et des<br />
commissions scolaires des actions plus concrètes que le discours magique de la<br />
différenciation.<br />
Monsieur Royer, du moins l’a-t-il présenté ainsi, à la suite d’une de mes questions,<br />
au colloque de février 2006 tenu à l’Université de Sherbrooke, est néanmoins favorable<br />
à la nouvelle nomenclature des ÉHDAA (dont il est coauteur) ainsi qu’au modèle de<br />
l’Iowa qui, s’il a l’avantage de débuter le plus tôt possible l’intervention auprès de<br />
l’écolier en péril, a le désagrément coupable de différer, souvent aux calendes<br />
grecques, les évaluations et interventions expertes.<br />
66
Non pas qu’Égide Royer désire qu’il en soit ainsi, mais parce que tel le veut la<br />
pratique des effectifs contingentés.<br />
écrit :<br />
Or, et j’en reviens à son article, le professeur Royer, qui chérit les élèves en TC,<br />
«La situation des services offerts aux jeunes qui sont «handicapés» par leurs comportements<br />
est en effet toujours préoccupante. Il s'agit, depuis les 20 dernières années, du sous-groupe<br />
d'élèves qui a connu la plus forte augmentation dans le secteur de l'adaptation scolaire. La<br />
réalité est incontournable : les jeunes qui manifestent des problèmes de comportement<br />
présentent de graves retards d'apprentissage, sont fréquemment exclus de l'école et<br />
n'obtiennent que rarement un des diplômes de l'enseignement secondaire.<br />
Échouer à donner un véritable accès à l'école ordinaire à tous les jeunes en difficulté de<br />
comportement aurait équivalu à maintenir une injustice grave. Mais ne pas se rendre compte<br />
que, après avoir réglé ce problème, il faut passer à la prochaine tâche, celle qui consiste à leur<br />
permettre de réussir à l'école, pourrait être tout aussi tragique.<br />
Malgré toute l'attention dont ont fait l'objet les jeunes de l'adaptation scolaire, force est de<br />
constater que les résultats scolaires et sociaux obtenus par les jeunes en difficulté de<br />
comportement continuent à être les pires de ceux de tous les jeunes handicapés ou en<br />
difficulté. Le nombre d'élèves présentant des problèmes de comportement est nettement sous-<br />
estimé dans tous les systèmes d'éducation occidentaux. Alors que les écoles nord-américaines<br />
ont de 2 à 3 % d'élèves en difficulté de comportement, on estime qu'environ 5 % des élèves<br />
présentent des problèmes chroniques de comportement et que 15 % risquent d'en développer.»<br />
15% à risque de TC plus 5% présentant des problèmes chroniques : 20 %!<br />
67
Et là, notons-le bien, Monsieur Royer n’a décompté ni les élèves en difficulté ou<br />
trouble spécifique d’apprentissage sans être en trouble de comportement, ni les élèves<br />
handicapés!<br />
Convenons donc que mes taux de prévalence font sens et que ma projection des<br />
«économies» du MEQ est assez réaliste!<br />
Je pourrais bien sûr ajouter l’économie avouée de 50 millions de dollars dans le<br />
dossier du redoublement, dossier plus ou moins défunt avec le recul politique qu’y a<br />
opéré l’actuelle ministre de l’Éducation. J’y reviendrai plus tard.<br />
Qu’il me soit seulement permis de dénoncer haut et fort ce premier versant des<br />
malversations administratives et financières du système de reconnaissance des élèves<br />
en difficulté d’apprentissage et d’adaptation et des élèves handicapés : traduit en clair,<br />
et sans élaborer au plan des impacts vécus par tous les élèves, cela signifie qu’un<br />
écolier en difficulté légère d’apprentissage, faute de reconnaissance officielle de ses<br />
besoins, va «tranquillement» glisser dans la catégorie des difficultés graves<br />
d’apprentissage, privé des services experts auxquels la Loi de l’instruction publique lui<br />
donne pourtant droit (sous réserve perpétrée, pour la commission scolaire, d’être en<br />
mesure d’organiser ses services…)<br />
En mars 2007, une étude, effectuée sur une période de trois ans par l'Association<br />
canadienne des troubles d'apprentissage, révélait, une fois de plus, que les troubles<br />
d'apprentissage provoquent des coûts sociaux élevés, que les victimes ont deux fois<br />
68
plus tendance à décrocher et à ne pas terminer leurs études secondaires et qu’elles ont<br />
aussi plus de difficultés à obtenir un emploi. Ces écoliers sont deux fois plus enclins à<br />
vivre des niveaux élevés de stress, de dépression et de troubles d'anxiété, et à avoir<br />
des pensées suicidaires. Finalement, ils ont une santé mentale générale plus faible.<br />
Elle demandait aux gouvernements de concrétiser l’aide scolaire précoce à ces<br />
victimes (et j’ajoute : de compromission de développement au sein même des systèmes<br />
éducatifs provinciaux).<br />
Petit intermède pour parer à une querelle de chiffres…<br />
Paramètres 2006 du financement par élève 9<br />
9 2 Élève handicapé par une déficience motrice légère ou organique ou par une déficience langagière.<br />
3 Élève handicapé par une déficience intellectuelle moyenne à sévère, par une déficience physique grave, par une déficience<br />
intellectuelle profonde ou élève ayant des troubles sévères du développement.<br />
69
2. Suppression d’identification de caractéristiques de dysfonctions scolaires<br />
pourtant définies par le ministère<br />
Il est éminemment, mais dramatiquement intéressant d’analyser les procédés par<br />
lesquels l’effacement s’est déroulé et se déroule.<br />
Voici l’une des trois parties d’un texte que j’ai rédigé en 2004 :<br />
Avis éclairé sur le redoublement, la gestion différée des plans d’intervention et<br />
l’effacement d’élèves à risque et handicapés<br />
3. L’effacement d’élèves handicapés<br />
Parlant de camouflage, je finis ici par la méthode du MEQ pour diminuer la reconnaissance des<br />
handicaps. Chose promise, chose due.<br />
En effet, dans ses règles budgétaires, le MEQ prétend financer tous les écoliers handicapés,<br />
sans contingentement. Alors, allons-y non pas d’un, mais de cinq exemples contradictoires :<br />
Les écoliers vivant une déficience auditive centrale (handicap dans la transmission ou le<br />
décodage de l’information entendue) sont versés par le MEQ dans le grand méli-mélo<br />
contingenté des élèves à risque, pourtant le milieu médical reconnaît ce type de handicap…<br />
Les écoliers vivant une déficience langagière sous forme d’un syndrome insuffisamment sévère<br />
malgré la permanence professionnellement reconnue de son caractère, sont versés aussi,<br />
par le MEQ, dans le grand méli-mélo contingenté des élèves à risque…<br />
Depuis cette année (2003-2004), les écoliers vivant certains syndromes dyspraxiques, même<br />
diagnostiqués médicalement comme une déficience motrice légère, ce qu’exige le MEQ lui-<br />
même, sont versés où cela ? Mais bien sûr, par le MEQ, dans le grand méli-mélo<br />
contingenté des élèves à risque…<br />
70
Tout élève handicapé «secouru» par une technologie cesse généralement d’être reconnu<br />
handicapé et est versé dans… le grand méli-mélo contingenté des élèves à risque…Aucune<br />
technologie ne corrige à elle seule et à ce jour un handicap.<br />
Tout élève porteur d’un double diagnostic ou de diagnostics multiples voit la reconnaissance<br />
officielle de son handicap par le MEQ limitée à la catégorie réputée la plus importante…<br />
mais c’est un peu comme si souffrant d’une dépression, d’épilepsie et d’un cancer, un<br />
patient se faisait dire que seul le traitement de son cancer sera financé !<br />
Je veux terminer en précisant que ce constat de stratégies douteuses ne vise pas à piéger ses<br />
auteurs : je leur fais le message et je le fais au MEQ qui les emploie que la construction de<br />
solutions efficaces,(parmi lesquelles des enveloppes financières dédiées et contrôlables,<br />
enrichies de fonds réservés de santé et de services sociaux, et sans contingence des cas<br />
reconnus), passe d’abord par l’aveu courageux de leur et de notre actuelle impuissance à<br />
donner des services adéquats et que la peur qui les mine des conséquences de cet aveu<br />
masque un péril plus grand encore : le coût humain et social irrécupérable de la ruine du<br />
développement optimal des écoliers les plus vulnérables .<br />
Je demeure intimement persuadé que la reconnaissance des écueils et des erreurs de parcours<br />
est, en toute problématique, seule garante de la correction des trajets empruntés et que cela est<br />
une œuvre collective accessible.<br />
Le pire est assurément de faire semblant.<br />
Le plus grave est de le taire.<br />
La faute est de le cacher.<br />
71<br />
2004-05-09<br />
Patrick JJ Daganaud, pédagogue, intervenant universitaire, gestionnaire scolaire
3. Ignorance intentionnelle ou rejet de diagnostics<br />
Il me faut donc expliciter ce qui s’est passé dans chacun des cas (1 à 5) mentionnés<br />
ci-haut.<br />
Pour ce qui est des écoliers vivant une déficience auditive centrale :<br />
Les progrès médicaux en neurologie et en audiologie ont permis de déceler que la<br />
déficience auditive n’affecte pas seulement l’audition périphérique et que tant le<br />
processus de transmission des sons périphériquement captés que le processus de<br />
décodage peuvent être handicapés. Lorsque ce type de déficience à l’audition centrale<br />
revêt un caractère permanent, il est considéré comme un handicap par le réseau<br />
médical et celui de la réadaptation.<br />
Mais il ne l’est pas par le MELS!<br />
L’un des motifs invoqués est lié à l’obtention (ou la fourniture) à l’écolier concerné<br />
d’un appareil à MF. Cet appareil qui capte directement la voix de l’interlocuteur muni<br />
d’un micro et d’un émetteur permet de limiter les interférences et d’amplifier le son<br />
pertinent entendu.<br />
Il ne fonctionne cependant pas pour tout ce qui peut être entendu des pairs non<br />
munis de micros et d’émetteurs dans les nombreuses mises en situation<br />
socioconstructivistes que permettent la collaboration et la coopération préconisées dans<br />
la réforme…<br />
Évidemment, comme pour d’autres déficiences, le degré de sévérité de l’atteinte<br />
varie d’un écolier à un autre, mais il est clair que, dans la majorité des cas, les<br />
limitations subsistent au-delà de la notion de risque telle que définie par le MELS et<br />
72
qu’elles commandent des adaptations plus diversifiées, plus pointues et plus expertes<br />
que celles que la catégorisation parmi «les élèves à risque» ne leur octroie!<br />
Cette déficience n’a jamais été reconnue comme un handicap par le MEQ ou le<br />
MELS qui, après l’avoir contestée, l’a rangée parmi les troubles spécifiques<br />
d’apprentissage, sous-ensemble des «élèves à risque».<br />
Pour ce qui est des écoliers vivant une déficience langagière sous forme d’un<br />
syndrome insuffisamment sévère malgré la permanence professionnellement reconnue<br />
de son caractère :<br />
La chicane relative aux syndromes dysphasiques en est d’abord une de «prononcé<br />
de la sentence». Il fut un temps (1985-1992 à peu près) où le MEQ acceptait les<br />
diagnostics de deux sources : l’une orthophonique, l’autre médicale, et plus<br />
particulièrement neurologique.<br />
Le ministère de l’Éducation ne doit pas être blâmé pour les incongruités qui ne lui<br />
appartiennent pas. La chicane a donc pris, sans que l’on sache vraiment qui avait le feu<br />
allumé (même si l’on peut soupçonner le MEQ d’avoir des allumettes…) entre les<br />
orthophonistes, spécialistes du langage et les médecins pédiatres, neurologues ou<br />
neuropédiatres. Son motif? Qui devait officialiser la déclaration de clientèle handicapée<br />
dans la catégorie 52, audimutité, d’alors?<br />
Ce sont surtout les orthophonistes qui se sont démenées pour faire reconnaître le<br />
caractère exclusif à leur profession de cette tâche et qui ont eu gain de cause. Pourquoi<br />
? Parce que le MEQ voulait éviter qu’en ce domaine, comme en celui des diagnostics<br />
médicaux, tout médecin puisse un jour déclarer des audimuets. Le risque? Augmenter<br />
jusqu'à concurrence de la réalité le taux de prévalence.<br />
73
Il faut dire qu’à l’époque, la pénurie québécoise d’orthophonistes était à son<br />
maximum et que le contingentement de la prévalence était mathématiquement moins<br />
risqué du côté de cette profession.<br />
Ce fut le premier round.<br />
À la même époque, la catégorie 52, audimutité, est rangée par le MEQ parmi les<br />
handicaps. Relativement aux déficiences langagières ou syndromes dysphasiques, elle<br />
les admet toutes, sous leurs appellations du moment. La catégorie 52 n’est donc pas<br />
contingentée : il est reconnu moralement et éthiquement inadmissible de contingenter<br />
les handicaps.<br />
Le second round a été déclenché par le MEQ, fin 1998.<br />
Entretemps et malgré la pénurie qui continuait de sévir en orthophonie par rapport<br />
aux besoins, le ministère fait le constat qu’augmente le nombre des élèves audimuets<br />
au rythme même de l’engagement des orthophonistes en milieu scolaire. Le<br />
portefeuille ministériel, placé dans son douillet veston à la place même du cœur,<br />
commence à battre la chamade.<br />
Le MEQ interpelle alors l’ordre des orthophonistes et requiert son expertise pour<br />
diminuer le nombre de syndromes dysphasiques reconnus comme des handicaps.<br />
L’ordre tient bon et prononce, en démarche éthique fondamentale, une fin de non-<br />
recevoir. Ses membres ne réduiront pas, pour des fins qui apparaissent administratives,<br />
les handicaps de langage et de communication.<br />
Un an s’est écoulé.<br />
74
Le MEQ n’entend pas continuer de financer aux taux des handicaps les services à<br />
une clientèle que ses propres professionnels refusent d’endiguer. Il décrète donc dans<br />
ses règles budgétaires que son barème de financement passera de 6 pour 1000<br />
(jeunes antérieurement reconnus de catégorie 52, puis de 34-déficience langagière-<br />
depuis 1995) à 3 pour 1000 (de catégorie 34 uniquement) l’année suivante. Nous<br />
sommes alors dans l’année scolaire 1999-2000.<br />
C’est le branle-bas de combat dans les commissions scolaires. Les formules<br />
utilisées pour offrir des services aux écoliers concernés vont subir une coupe sévère et<br />
ne pourront plus être assumées : il convient donc de déterminer quels élèves desservis<br />
soit en classe spéciale ou ressource de communication, soit en classe ordinaire avec<br />
services particuliers (d’éducation spécialisée par exemple) vont être sacrifiés à la norme<br />
budgétaire.<br />
En milieu scolaire, on ne sacrifie pas sans critère. J’ai coutume, pour ceux qui<br />
ont eu la chance de voir le film, de nommer cela le choix de Sophie.<br />
Les orthophonistes scolaires sont mis à contribution et reçoivent le mandat de<br />
déterminer «les cas les plus lourds».<br />
Bien sûr, on peut croire que l’éthique fondamentale qui avait inspiré leur réponse au<br />
MEQ en 99, aurait encore prévalu, mais éthique appliquée et loyauté à l’employeur<br />
obligent et les orthophonistes reconnaissent ceux des syndromes les plus sévères,<br />
épargnent les jeunes qui les souffrent et contribuent à envoyer en classe ordinaire ceux<br />
des élèves qui souffrent de syndromes légers à modérés…<br />
Dès le début de l’année scolaire 2000-2001, le taux de financement contingenté à<br />
3/1000 commence ses ravages : les écoliers en C.O., au mieux desservis en<br />
75
orthopédagogie, deviennent élèves en troubles spécifiques d’apprentissage et sont<br />
versés dans le fourre-tout… des élèves à risque!<br />
Sous la poussée des écoles qui vivent le dur impact de cette aberration, les<br />
commissions scolaires, celles-là mêmes qui ont programmé l’inexcusable<br />
accommodement raisonnable, font de timides et inefficaces représentations au<br />
ministère pour l’exhorter à plus d’humanisme. Petite peine, peine perdue!<br />
Il va falloir une délégation parentale de l’AQEA à l’Assemblée nationale du Québec<br />
pour que le MEQ change, apparemment, ses paramètres. Je rapporte ici un extrait du<br />
journal des débats de la Commission permanente des affaires sociales du 27 avril<br />
2001 :<br />
Quotas d'enfants dysphasiques dans les écoles<br />
M. Russell Williams, député :<br />
« Il y a tout un problème, Mme la ministre, et je suis certain que vous êtes au courant de ça, et<br />
je vais vous demander que vous fassiez les interventions auprès de votre collègue pour corriger<br />
une erreur grave que le gouvernement est en train de faire. Imaginez-vous que nous avons les<br />
quotas, les taux de prévalence dans nos écoles pour les enfants dysphasiques, pour les enfants<br />
qui ont des problèmes de langage sévères.<br />
M. le Président, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le gouvernement décide<br />
unilatéralement qu'il va payer pour trois enfants pour chaque 1 000 enfants dans les écoles,<br />
nonobstant le besoin, avec aucune analyse, et il admet qu'il y a beaucoup plus d'enfants qui ont<br />
besoin de services. Et si, dans une école... Et j'ai les exemples des commissions scolaires qui<br />
ont 20 élèves qui sont subventionnés pour trois ou cinq, ou les commissions scolaires qui ont<br />
beaucoup plus que ça, elles ne sont pas subventionnées pour les services. Je m'excuse, parce<br />
que j'aime être factuel quand je fais mes interventions, elles sont subventionnées trois enfants<br />
par 1 000 enfants au niveau primaire, deux enfants par 1 000 enfants, au niveau secondaire.<br />
76
Avec ça, nonobstant... On donne les services par les quotas. Pire que ça, mais c'est déjà assez<br />
pire, on donne une cote à ces enfants, on passe à effectifs à risque. Ce ne sont pas des<br />
effectifs à risque, ce sont des êtres humains. Et souvent, à cause de ce quota des codes 34<br />
pour les enfants dysphasiques, et je m'excuse de parler comme ça, mais c'est la façon dont le<br />
gouvernement parle de ça dans le nouveau règlement, c'est les êtres humains, c'est les jeunes<br />
et ce n'est pas une dépense, c'est un investissement. Si on peut donner de l'argent basé sur le<br />
besoin, pas basé sur un chiffre magique que l'une...(?) on peut commencer vraiment à travailler<br />
pour ces enfants et pour ces parents. (…)<br />
Le Président (M. Beaumier): Mme la ministre.<br />
Mme Maltais: Alors, M. le Président, d'abord, je me permettrai moi aussi de saluer les<br />
personnes qui sont dans la salle, qui sont venues nous... je pense qu'elles sont venues<br />
entendre les débats. Je sais qu'il y a des parents membres de la AQEA qui sont ici aujourd'hui<br />
et je voudrais d'abord leur dire toute l'attention que l'OPHQ et moi-même, comme ministre<br />
déléguée, portons à ce dossier actuellement, comme le ministre de l'Éducation actuellement lui<br />
porte attention. Nous avons très clairement compris qu'il y a des parents, en ce moment, des<br />
parents qui vivent avec des enfants, qui les aiment... J'essayais de dire... j'essayais d'amener<br />
une nouvelle approche qui s'appelait... Et je parlais d'ailleurs à la Société québécoise de<br />
l'autisme, quand je les ai rencontrés à leur congrès, je disais: Il faut apprendre à parler parents.<br />
Parler parents, c'est parler d'enfants qu'on aime, qu'on côtoie quotidiennement, qu'on voit<br />
évoluer et que, tout à coup, on voit freinés dans leur évolution. Parler parents, c'est dire... c'est<br />
se retrouver autour de l'enfant et non plus autour de nos structures, de nos systèmes, autour de<br />
nos cases, autour de nos problèmes. C'est parler tout à coup de... non plus...<br />
Vous m'invitez d'ailleurs, M. le député de Nelligan, non pas à parler de nos ministères et de<br />
vous dire... Je pourrais effectivement, et vous le savez très bien... il y a une des règles du jeu<br />
qui serait: Écoutez, ça concerne le ministre de l'Éducation, vous irez à la commission des<br />
77
crédits ou en période de questions interpeller le ministère de l'Éducation. Ce n'est pas ce que je<br />
vais vous répondre, M. le député.<br />
(…)<br />
Mme Maltais: Ah! Oui, bien sûr, et c'est tout à fait dans... je dirais même, c'est votre devoir<br />
d'interpeller le ministre de l'Éducation. Si je parle parents, je vous répondrai que déjà, suite à<br />
nos discussions et à cette interpellation des parents, parce que ce sont eux qui sont les<br />
premiers concernés, le président de l'OPHQ a demandé une rencontre qui devrait se produire<br />
très bientôt, on n'a tout simplement pas encore fixé la date, avec le ministère de l'Éducation,<br />
avec le ministre de l'Éducation. Donc, il y a une rencontre très, très, très bientôt. Parce que le<br />
premier chien de garde, le premier, c'est l'OPHQ, vous le dites vous-même. L'OPHQ doit jeter<br />
un regard sur comment on traite les personnes handicapées à travers tout le gouvernement.<br />
Donc, l'OPHQ, lui, il parle enfants, si vous voulez, et parents, c'est ça qu'elle fait. Elle est déjà<br />
donc... Il y a déjà, depuis un bout de temps, une rencontre ― elle n'est pas fixée, mais elle s'en<br />
vient très bientôt ― pour comprendre d'abord, parce qu'il faut comprendre pour mieux agir.<br />
C'est vous-même qui disiez aujourd'hui, M. le député, que nous devons mieux comprendre.<br />
Alors, il va y avoir une discussion avec l'OPHQ, qui est ce chien de garde.»<br />
Outre le constat de la nature relevée des réponses de la ministre déléguée, on peut<br />
certes décoder les aptitudes diplomatiques, le sens politique et la capacité de tolérer (et<br />
générer) l’ambigüité…<br />
Quand, hélas, j’écrivais «Il va falloir une délégation parentale de l’AQEA à<br />
l’Assemblée nationale du Québec pour que le MEQ change, apparemment, ses<br />
paramètres.», je n’ai pas spécifié pour quoi «apparemment».<br />
La réponse est fort simple. Le ministère savait déjà que le nombre d’orthophonistes<br />
continuerait quelque temps de croître. Il pouvait néanmoins, à risque financier calculé,<br />
revenir à un taux de financement de 6/1000 dans la mesure où la catégorie 34, celle de<br />
78
la déficience langagière, désormais mise en place avec le concours éminent des<br />
orthophonistes, éliminait des handicaps la plupart des syndromes dysphasiques légers<br />
à modérés.<br />
Cela ne vaut-il pas une bonne main d’applaudissements?<br />
Pour ce qui est des écoliers vivant certains syndromes dyspraxiques :<br />
En 2003, lors de la validation des effectifs handicapés, le MELS a rapatrié tous les<br />
dossiers de déclaration (d’un handicap) de déficience motrice légère. Suivant ses<br />
propres encadrements, plusieurs de ces dossiers incluaient une évaluation scolaire<br />
multidisciplinaire, accompagnée d’une évaluation médicale, souvent neurologique, de<br />
dépistage et diagnostic de la DML (sous forme d’un syndrome dyspraxique),<br />
régulièrement consolidée d’une évaluation ergothérapeutique et nécessairement<br />
documentée des constats des impacts sur le fonctionnement et la progression<br />
scolaires.<br />
Cependant, le MELS, comme pour les syndromes dysphasiques, trouvait que les<br />
déclarations d’effectifs handicapés, donc non contingentés, en raison d’une DML<br />
«éclataient comme des grains de maïs soufflé» et bouleversaient le contingentement de<br />
ses paramètres financiers.<br />
Fort de son expérience du dossier des dysphasies et pour éviter tout rebond<br />
parental, le MELS a géré la résolution de ce problème en catimini et, de son propre<br />
chef, contredisant les diagnostics médicaux et ses propres exigences de déclaration<br />
pourtant rencontrées, décrété que la majorité des syndromes dyspraxiques cessaient<br />
d’être des handicaps scolaires pour devenir, au mieux, des troubles spécifiques<br />
79
d’apprentissage et aboutir, conséquemment, dans l’océan insondable des élèves à<br />
risque…<br />
À l’époque, les parents des écoliers dyspraxiques sont peu ou mal organisés, peu<br />
ou pas regroupés. Cela est passé «comme une lettre à la poste».<br />
Dans le concret, cela s’est traduit de diverses façons.<br />
J’entends comme les échos sonores de sa docilité envers la compromission, les<br />
aboiements d’un (alors 10 ) coordonnateur aux services éducatifs qui, du haut de sa toute<br />
puissante expertise, contredit les diagnostics posés par une neuropédiatre de calibre et<br />
d’expertise internationaux, qui en démolit la crédibilité au sein de sa commission<br />
scolaire, qui n’hésite pas à livrer en pâture à l’échec des élèves auxquels il sait, parce<br />
qu’il n’est pas intellectuellement démuni, (mais qu’il l’est peut-être un peu moralement),<br />
que l’absence de reconnaissance et de financement de services experts individualisés,<br />
va faire un tort irréparable.<br />
J’ai suivi à distance le sort de 7 élèves de la même école (que j’ai dirigée), la<br />
majorité dûment catégorisés en DML, regroupés, à l’époque, au sein d’une classe<br />
régulière de première année. Ces élèves généraient alors deux ressources d’éducation<br />
spécialisée. Cette année-là, 2001-2002, ces écoliers ont été l’objet des soins<br />
ultraattentifs de l’équipe-degré des enseignantes de première. Elles ont en effet<br />
convenu de décloisonner leurs classes et de regrouper dans la même classe régulière<br />
et pour l’apprentissage primordial de la lecture, tous les élèves (21) les plus vulnérables<br />
de leurs 5 groupes réciproques.<br />
10 Depuis, il a été, compte tenu de son évidente efficacité administrative, promu…<br />
80
Durant les périodes de français, leur convention a concentré, dans cette même<br />
classe «ordinaire», les deux ressources en éducation spécialisée, la part de ressource<br />
allouée à leur degré en orthopédagogie, la stagiaire en adaptation scolaire et sociale et<br />
les deux stagiaires en enseignement préscolaire et primaire. Les quelques heures<br />
obtenues en orthophonie ont complété le niveau des services dispensés. Incluant<br />
l’enseignante titulaire, véritable chef d’orchestre de ce projet, le ratio en période<br />
d’enseignement a donc été de 1 adulte ressource pour 3 écoliers Tous les enfants ont<br />
réalisé des progrès les maintenant confortablement à flot dans l’apprentissage de la<br />
lecture.<br />
L’année 2002-2003, pour prolonger efficacement l’intervention auprès de ces 21<br />
enfants dont les 7 à l’origine du programme, il eût fallu soit vivre le looping (qui aurait<br />
affecté en deuxième l’équipe-degré de première), soit décloisonner le fonctionnement<br />
de l’équipe-degré de deuxième. Cela aurait assis les chances de réussite des élèves<br />
concernés. Mais…<br />
En mon absence et mon remplacement par un intérimaire dûment mandaté pour ne<br />
pas faire de vagues 11 , l’affectation par looping ne s’est pas réalisée et le<br />
décloisonnement a été refusé par la majorité des enseignantes et enseignants de<br />
deuxième.<br />
Les sept élèves en DML ou l’équivalent se sont retrouvés dans une classe régulière<br />
de deux, avec une enseignante très dévouée, mais une seule des deux ressources en<br />
éducation spécialisée (suite à une diminution d’affectation par la commission scolaire,<br />
11 Je présume que réclamer et organiser des services scolaires appropriés pour des enfants, à l’aide des ressources<br />
rémunérées pour ce faire, surtout si d’aucunes résistent, s’appelle «FAIRE DES VAGUES» : vive la mer !<br />
81
en l’absence de revendication suffisamment musclée) et aucun plan de concertation<br />
dans ce degré.<br />
Les écoliers n’ont pas été malheureux. Ils ont simplement, pour la plupart, stagné,<br />
puis régressé. De toute façon, ils ont tous été promus au terme de 2002-2003, plusieurs<br />
en situation d’échec.<br />
L’année subséquente, le MELS a retiré, à ceux des 4 qui conservaient leur<br />
ressource en éducation spécialisée en raison d’un handicap de DML, la reconnaissance<br />
de ce handicap. La dernière ressource en éducation spécialisée a disparu. Les derniers<br />
clous se sont enfoncés dans la croix scolaire que portaient désormais les plus fragiles.<br />
«Fort heureusement», cette école étant un point de service pour les classes de<br />
communication, certains «cas» y ont été admis pour «améliorer leur intégration<br />
scolaire».<br />
Voici dressé le portrait des impacts de cette autre malversation du MELS. Le<br />
problème, c’est que ce n’est pas un portrait abstrait : il a des visages, des esprits, des<br />
cœurs, des noms, ceux de ces jeunes délibérément sacrifiés alors que démonstration<br />
était faite des moyens de les sauver.<br />
Comme la dyspraxie n’est pas très connue du grand public, j’en profite pour le<br />
référer au livre de la Dre. Évelyne Pannetier, neurologue et neuropédiatre : La<br />
dyspraxie : une approche clinique et pratique. (2007) Éd. du CHU Sainte-Justine. Je le<br />
suggère aux intervenants scolaires pour leur essentielle autodidaxie et aux parents<br />
concernés afin qu’ils sachent quoi et comment faire face aux dysfonctions du<br />
développement psychomoteur de leur enfant et leurs effets scolaires pernicieux en<br />
l’absence de reconnaissance, d’adaptation et de ressources.<br />
82
Pour ce qui est des élèves handicapés «secourus » par une technologie :<br />
Bien entendu, dans la compréhension coutumière de la déficience motrice légère,<br />
on s’attend à rencontrer une personne qui va quand même montrer des signes visibles<br />
et manifestes au premier coup d’œil de son handicap.<br />
Hélas, pour plusieurs élèves, il n’en est rien et, si, par malheur, les parents n’y ont<br />
pas été attentifs, que les enseignants sont peu ou pas instruits des dyspraxies, que<br />
l’enfant semble présenter une vie scolaire normale et un langage apparemment adapté<br />
à son âge, il risque de se passer tout le temps de fréquentation de la maternelle, tout<br />
celui de la première, voire de la deuxième année, pour qu’émerge le lien entre les<br />
difficultés d’apprentissage rencontrées et l’hypothèse d’une dyspraxie.<br />
J’ai vu cela se produire en de nombreux exemplaires dans des écoles où cette<br />
problématique ou d’autres similaires quant aux effets sur les apprentissages sont tout<br />
bonnement ignorées.<br />
Dans de nombreux cas, les enfants concernés développent, faute de dépistage<br />
expert des vraies causes, une réaction de mésadaptation les catégorisant, à tort, en<br />
trouble de comportement.<br />
Comme, grâce à une convention collective favorable 12 , quoi qu’en dise Égide Royer,<br />
les élèves en TC sont pondérés comme valant plus que leur individualité et ont, en<br />
même temps, un suivi psychoéducatif, ces mêmes jeunes reçoivent une intervention qui<br />
porte sur leurs symptômes et non sur les causes de leurs déboires scolaires.<br />
12 Seuls les élèves en trouble de comportement sont l’objet d’une double mesure qui 1) les pondère pour diminuer le nombre des<br />
écoliers présents dans la classe qu’ils fréquentent régulièrement et 2) leur octroie un service (minimal) de suivi psychoéducatif.<br />
83
De façon générale, n’étant pas reconnus pour leurs vrais problèmes, étant perçus<br />
comme comportementalement inadéquats, ils vont manifester leur désarroi et leur<br />
colère en alimentant les comportements inappropriés qui leur sont reprochés. Le cercle<br />
vicieux est noué : ils participent à la preuve de leur existence comme «TC», puisque le<br />
système scolaire s’est donné l’habitude de désigner ces élèves par l’abréviation de leur<br />
catégorie. I<br />
En clair, plus on ignore les difficultés, troubles ou handicaps d’apprentissage,<br />
plus on fabrique d’élèves en trouble de comportement.<br />
Plus on fabrique de «TC», plus le lobby de la psychoéducation réclame sa part<br />
du butin scolaire et universitaire.<br />
Plus il y a d’intervention psychoéducative symptomatique au détriment des soutiens<br />
psychologiques, orthophoniques, orthopédagogiques, ergothérapeutiques, sociaux liés<br />
aux causes, plus le système consolide et génère les TC.<br />
Il existe un problème étiologique certain en ce domaine dont, au plan de la<br />
recherche universitaire, il n’est pas approprié qu’il soit traité ou analysé uniquement ou<br />
principalement par la psychoéducation.<br />
Je m’en voudrais cependant à moi-même de ne pas spécifier que plusieurs<br />
psychoéducateurs conscients et consciencieux pratiquent une approche écologique et<br />
causale des cas qui leur sont confiés. Ceux-là savent alors que leur démarche devrait<br />
se compléter d’un réseau multidisciplinaire autre que virtuel.<br />
Je reviens à mon sujet actuel : la non-reconnaissance d’élèves handicapés en<br />
raison du support d’une technologie.<br />
84
J’ai bifurqué, mais non sans raison. Il convient de savoir que, dans bien des<br />
commissions scolaires, un élève qui, lors de ses premières années de fréquentation,<br />
n’a pas fait la démonstration de ses besoins de soutien ou n’a pas obtenu ce soutien<br />
risque 1) de n’être pas reconnu et 2) de ne pas avoir accès aux ressources.<br />
Le motif vomitif en est fort simple. Il part du principe que, tout se déroulant<br />
adéquatement dans cet idyllique système, un vrai besoin va nécessairement être<br />
repéré, diagnostiqué, traité et traduit en adaptations de toutes natures, ce qui est<br />
totalement faux.<br />
La preuve en est de l’enchaînement des vérifications du MELS en période de<br />
validation des effectifs handicapés lorsque se présente une déclaration d’écolier<br />
«nouvellement handicapé». Je ne prétends d’ailleurs pas qu’à cet égard, le MELS n’ait<br />
pas à assumer un contrôle strict, car des abus de commissions scolaires ont déjà existé<br />
en ce domaine.<br />
La non-reconnaissance du statut d’élève handicapé en raison de la non-existence<br />
préalable des besoins est généralement l’apanage des commissions scolaires, au<br />
niveau de leurs services éducatifs, de leurs services aux élèves ou de leurs services<br />
d’adaptation scolaire. Cela est clairement attribuable au fait que, sur le terrain, ce sont<br />
les instances des commissions scolaires ( : ces services) qui gèrent, plutôt tant mal<br />
que bien, tout le phénomène du contingentement.<br />
De la même façon que la non-existence préalable des besoins découlant d’une<br />
déficience, un autre motif, sur le plancher, de non-reconnaissance du handicap est<br />
l’appareillage technologique. C’est particulièrement le cas des écoliers dont j’ai déjà<br />
85
documenté la situation : ceux qui sont handicapés par une déficience de l’audition<br />
centrale.<br />
Dans de nombreux cas, la reconnaissance de leurs autres besoins d’adaptation va<br />
disparaître au moment de l’obtention d’un appareillage à FM. À l’école d’y voir, sans<br />
rajustement de budget ou de ressources.<br />
Pour ce qui est des élèves porteurs d’un double diagnostic ou de diagnostics<br />
multiples :<br />
Comme hors-d’œuvre, je reproduis ici intégralement une intervention médiatique de<br />
la Fédération des syndicats de l’enseignement.<br />
Décote des élèves souffrant de psychopathologies sévères<br />
Une pratique ministérielle irresponsable<br />
Québec, le 31 mai 2006 – La présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement<br />
(FSE-CSQ), M me Johanne Fortier, a été choquée d’apprendre que le ministère de l’Éducation,<br />
du Loisir et du Sport (MELS), pour des considérations financières, a décidé de resserrer les<br />
règles administratives permettant d’accorder des services spécialisés à des enfants souffrant de<br />
psychopathologies sévères, comme le révélait le quotidien Le Devoir ce matin. Ainsi, plusieurs<br />
élèves bénéficiant actuellement de services spécialisés seront vraisemblablement intégrés dans<br />
les classes régulières, sans soutien. De plus, il appert que les nouveaux élèves ayant ces<br />
problèmes sérieux de santé mentale ne pourront tous se qualifier pour l’obtention de services<br />
dans des écoles spécialisées. On entend par psychopathologies sévères des enfants souffrant,<br />
par exemple, de comportement désorganisé avec des épisodes de perturbation grave, de<br />
déformation de la réalité accompagnée d’hallucinations et de délire, ou encore de troubles<br />
émotifs graves avec confusion extrême.<br />
86
" C’est irresponsable pour le bien-être des enfants. Ceux-ci sont fragilisés et ont besoin<br />
d’encadrement spécialisé. C’est de l’abus de bureaucratie que de sacrifier ces enfants pour des<br />
considérations financières. On va éventuellement intégrer ces élèves dans des classes<br />
régulières, ce qui n’aidera ni l’enfant en question, ni l’ensemble des élèves de la classe, ni<br />
l’enseignant. Le MELS démontre hors de tout doute que l’intégration est devenue un dogme,<br />
appliqué pour des raisons financières au détriment des plus vulnérables. Il ne s’agit pas de<br />
rationaliser une chaîne de montage pour faire des économies. Ce sont des enfants éprouvant<br />
de graves problèmes de santé mentale dont il est question et le MELS dérive de sa mission<br />
fondamentale ", s’est insurgée M me Fortier.<br />
La FSE somme le MELS de rendre publiques et transparentes l’ensemble des règles<br />
administratives, en révision ou en resserrement, permettant d’accorder des services à des<br />
élèves en difficulté. " Le MELS a agi en catimini. Ce qu’il donne d’une main, il le retire de l’autre.<br />
Que le ministre ait le courage de ses choix et qu’il ouvre ses livres. Nous estimons que le<br />
principe de l’intégration des élèves en difficulté dans les classes régulières a dépassé les limites<br />
de l’acceptable. C’est triste et révoltant pour les enfants de constater que le MELS en est rendu<br />
là ", a conclu M me Fortier.<br />
La Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE) est une organisation formée de l’ensemble<br />
des syndicats d’enseignement des commissions scolaires francophones du Québec. Elle représente<br />
plus de 80 000 enseignantes et enseignants à l'éducation préscolaire, à l’enseignement primaire et<br />
secondaire de même qu’aux secteurs de l'éducation des adultes et de la formation professionnelle.<br />
La FSE est affiliée à la CSQ.<br />
Source : Sylvie Lemieux, attachée de presse de la FSE-CSQ<br />
J’ai quant à moi déjà mentionné le cas de cette élève vivant une déficience<br />
intellectuelle profonde, une déficience visuelle et une déficience motrice grave,<br />
87
déficiences non pas reconnues, mais du moins identifiées en 1992 sur la fiche de<br />
déclaration des EHDAA de la commission scolaire et dont la fiche 2002 ne comportait<br />
que la déficience intellectuelle!<br />
J’ai coordonné aussi plusieurs plans d’intervention ou de services d’écoliers qui<br />
avaient le démérite de vivre non pas une, mais deux, trois, quatre, voire plus,<br />
problématiques et pour lesquels j’ai dû me battre pour faire admettre la multitude des<br />
caractéristiques fonctionnelles et (surtout!) dysfonctionnelles.<br />
À un moment donné, cette incapacité de considérer le polyhandicap provoque aussi<br />
une «antiguerre» des clans entre institutions (très) théoriquement partenaires: c’est à<br />
qui ne donnera pas le service ou le suivi, prétextant que le jeune est, d’abord et avant<br />
tout, le client de l’autre!<br />
À un autre moment, ce sont, par cloisonnement coupable des multidéficiences et<br />
absence de coordination des plans de services, des interventions qui se contredisent,<br />
s’annulent dans les meilleurs cas ou désagrègent le jeune dans les pires : ce jeune,<br />
sévèrement maltraité en bas âge et enfermé dans un placard obscur, soigné pour un<br />
posttrauma sévère en thérapie psychologique obtenue des fonds aux victimes d’acte<br />
criminel et dont un pédopsychiatre déconnecté préconisait qu’on le maintienne en<br />
contention et local de retrait lors des crises comportementales!<br />
88
L’inexistence dans le système scolaire de la notion de polyhandicap annihile<br />
l’obligation scolaire de coordonner non des plans d’intervention, mais des plans de<br />
services.<br />
4. Diminution statutaire ou contingentement des effectifs des élèves à risque,<br />
des élèves en trouble de comportement, de certains élèves handicapés<br />
Je ne vais pas réillustrer de cas ce phénomène. Je veux décrire ses méandres et<br />
impacts sur le terrain. Je veux aussi et tout d’abord en analyser les causes.<br />
J’ai mentionné que, dans ses encadrements, le ministère de l’Éducation préconise,<br />
depuis 1992, année de publication de son cadre d’élaboration des plans d’intervention,<br />
le modèle de l’Iowa.<br />
Ce modèle, introduit en 1985 chez nos voisins du Sud, revêt l’aspect séducteur d’un<br />
processus à paliers permettant d’initier, sans étiquetage précipité, une intervention dès<br />
l’émergence de difficultés, à l’origine d’adaptation, mais graduellement élargies aux<br />
difficultés d’apprentissage. Égide Royer, comme je l’ai souligné, en est l’un des illustres<br />
promoteurs.<br />
Cinq étapes caractérisent l’enchaînement des interventions :<br />
1. mises au point initiales en classe ou à la maison à partir des ressources usuelles<br />
(enseignant-parent);<br />
2. poursuite des mises au point et des interventions à partir des ressources usuelles,<br />
mais en faisant appel à l’éclairage et au support (très ponctuel) de professionnels;<br />
3. signalement et étude (longitudinale) de la pertinence de services éducatifs adaptés;<br />
89
4. choix des services éducatifs adaptés;<br />
5. mise en place, contrôle et reprogrammation des services et interventions adaptés.<br />
Je ne suis pas entièrement en désaccord avec une intervention de ce style<br />
relativement aux difficultés d’adaptation. Elle peut même avoir le mérite de retarder le<br />
focus sur les symptômes et permettre aux causes de se révéler.<br />
Je précise néanmoins «elle peut», car, à mon avis elle n’en est pas garante dans la<br />
mesure où elle laisse longtemps libre cours à l’improvisation et à l’application de talents<br />
enseignants fort diversifiés quant à la gestion des comportements difficiles et à une<br />
tendance, chez certains, à recourir avidement à des trucs et à des recettes (que<br />
soutiennent même certains programmes de formation bonbon de second cycle<br />
universitaire). Le libre cours à l’improvisation tient au fait que, sur le terrain, l’enseignant<br />
ou l’enseignante, livrés à eux-mêmes et qui, en priorité, dirigent une classe de 20<br />
élèves et plus dont ils ont à coeur la réussite, ne peuvent que rarement disposer du<br />
temps requis à une analyse systématique des données du problème adaptatif et que,<br />
en l’absence de cette analyse étiologique, ils vont poser des gestes autant qu’ils<br />
sachent, mais pas en pleine maîtrise des causes et effets.<br />
Par ailleurs, même le rôle de conseillers experts dévolu aux professionnels de la<br />
psychologie scolaire et de la psychoéducation manque sérieusement du regard interne<br />
de la gestion de classe telle que seuls les enseignants peuvent la vivre : certes, à<br />
l’étape 2, les conseils prodigués, selon les réactions de nombreux enseignants, donnent<br />
parfois (et non toujours) un éclairage dans une zone d’expertise qu’ils ne possèdent<br />
pas, souvent des recommandations d’interventions déjà réalisées et aussi souvent des<br />
90
ecommandations non praticables parce que propres à une intervention de nature<br />
thérapeutique ou clinique difficilement intégrable au temps d’enseignement.<br />
Une intervention complexe et régulière à caractère individualisée, essentielle à<br />
l’écolier souffrant, n’en déplaise aux professionnels du comportement, exige de figer un<br />
temps privilégié avec le jeune concerné, possibilité que réduisent à son extrême la<br />
considération des besoins simultanés des autres élèves et le devoir concomitant d’y<br />
répondre. Ce temps-là, ce sont les professionnels qui en disposent, pas les profs!<br />
C’est d’ailleurs l’une des causes pour lesquelles la recherche universitaire sur les<br />
TC, quand elle est de nature purement psychologique ou psychoéducative et même si<br />
elle clarifie la lecture des problématiques adaptatives, a tant de misère à proposer des<br />
pistes actualisables aux enseignants. Il lui faudrait systématiquement incorporer les<br />
paramètres qui contingentent la tâche enseignante, plutôt que de tenter de la taillader<br />
en tranches psychologiques ou psychoéducatives purement virtuelles.<br />
Bien sûr, je ne nie pas le bien-fondé d’approches plus globales, de caractère<br />
écologique, telles «vivre avec le pacifique» ou la médiation par les pairs ou encore la<br />
thérapie de la réalité, mais ce que j’affirme c’est que, dans les cas de grande<br />
souffrance, ces approches sont un cautère sur une jambe de bois. Elles estompent les<br />
symptômes, mais ni ne cernent, ni ne traitent les causes. Or, ces cas de grande<br />
souffrance sont le lot de la grande majorité des élèves dits en TC !<br />
De toute façon, les intervenants honnêtes savent que le modèle de l’Iowa est utilisé,<br />
à des fins détournées, pour retarder l’intervention experte directe afin de contingenter<br />
ses effectifs.<br />
91
C’est également pourquoi le discours d’Égide Royer est ambigu à cet égard, parce<br />
que, s’il est logique de réclamer plus de ressources professionnelles pour ne pas<br />
retarder les stades d’intervention soutenue, s’il est logique de prétendre que l’on aurait<br />
dû engager des professionnels plutôt que des enseignants-ressources, il est illogique<br />
d’avoir soutenu et de continuer à soutenir l’utilisation effective du modèle de l’Iowa!<br />
Ce modèle sert, sur le terrain, à contingenter les effectifs : qui le promeut ne<br />
peut logiquement s’insurger contre les déficits qu’il a contribué à provoquer!<br />
Tellement efficace le modèle de l’Iowa que, comme je l’ai abordé, le MEQ et les<br />
commissions scolaires et les gestionnaires du contingentement des ressources ont<br />
compris rapidement qu’il était précieux de l’appliquer aussi aux difficultés<br />
d’apprentissage et, tant qu’à faire, à l’ensemble de la gestion des P.I.<br />
Le problème, c’est que différer l’intervention experte sur le plan des difficultés<br />
d’apprentissage (ou de tout autre problématique) et son éclairage par des évaluations<br />
professionnelles, c’est, encore, improviser la différenciation (là, je partage la sentence<br />
de Royer), condamner l’enfant à cheminer de façon prolongée dans l’échec, ruiner son<br />
estime de lui, engendrer des réactions de détresse face à l’échec, c’est-à-dire, induire<br />
des troubles de comportement.<br />
Le système scolaire est le plus grand producteur de T.C.<br />
Maintenant «amusons-nous» à mesurer le temps de déroulement des étapes pour<br />
un nouveau cas :<br />
92
1. mises au point initiales en classe ou à la maison à partir des ressources usuelles<br />
(enseignant-parent) :<br />
Début d’année scolaire : si les enseignants sont chanceux, ils bénéficient de<br />
l’information relative aux EHDAA dans leur classe. Leur convention collective le leur<br />
garantit, mais cela n’est pas toujours fait de façon consciencieuse et exhaustive.<br />
Disons que cela dépend nettement de la conception de son rôle par la direction de<br />
l’établissement…<br />
Et puis, il y a les élèves qui ont changé d’école (et dont, le cas échéant, le dossier<br />
d’aide particulière, incluant le P.I., n’a pas suivi) et les nouveaux inscrits. Bref, calculons<br />
un mois et demi d’observation. Mi-octobre, les enseignants font leur première<br />
communication et, déjà, établissent les ponts avec les parents des élèves qu’ils ont<br />
repérés comme fragiles.<br />
Au plus vite, c’est là que s’instaurent les balbutiements de la collaboration avec les<br />
parents.<br />
Au moins vite, cela va en novembre et le temps de voir des changements, lorsqu’il<br />
s’en produit, est trop court avant la période des fêtes. On convient donc généralement<br />
de reprendre et poursuivre durant janvier.<br />
2. poursuite des mises au point et des interventions à partir des ressources usuelles,<br />
mais en faisant appel à l’éclairage et à l’appui (très ponctuel) de professionnels :<br />
L’année a déjà 5 mois. Les enseignants ont documenté le nouveau dossier et déjà<br />
fait part de la persistance des difficultés. Ils ont établi dès décembre un contact avec les<br />
professionnels assignés à l’école, quand ils ont pu les rencontrer, ces derniers étant<br />
déjà débordés des cas référés et retenus de l’année et des années précédentes.<br />
93
Fin janvier, une première rencontre se déroule entre le ou la titulaire et un<br />
professionnel (pas nécessairement le bon pour ce cas…) Le professionnel fait ses<br />
recommandations si le cas se situe dans son champ d’expertise, parfois des<br />
recommandations hors de son champ d’expertise ou réfère le cas à un collègue du bon<br />
champ. Pas nécessairement affecté à l’école…<br />
Par voie téléphonique, l’expertise s’accélère : elle n’intervient cependant pas, elle<br />
documente et conseille.<br />
Février, mars s’écoulent. Malheureusement, la situation ne se dénoue pas.<br />
3. signalement et étude (longitudinale) de la pertinence de services éducatifs adaptés :<br />
Fin février, les enseignants signalent le nouveau cas à la direction parce que les<br />
deux premières étapes ont été infructueuses. Fin mars, le cas ayant surmonté l’épreuve<br />
du tri de l’équipe multidisciplinaire, parfois réunie sans le ou la titulaire, est retenu pour<br />
une étude interne sur la pertinence de services adaptés.<br />
La réunion est fixée à la mi-avril, vu l’urgence de la situation et les difficultés de<br />
réunir autour d’une même table des personnes avec des horaires et des présences<br />
disparates…<br />
Parfois la première rencontre en P.I. va avoir lieu simultanément, mais c’est<br />
aléatoire.<br />
Mi-avril.<br />
Hourra, il y a unanimité sur la pertinence de services éducatifs adaptés !<br />
4. choix des services éducatifs adaptés :<br />
Hourra, encore, il y a unanimité sur leur choix.<br />
94
Si le P.I. n’a pas eu lieu en même temps, il faut le convoquer, car la mise en place<br />
de services adaptés exige l’approbation parentale.<br />
Nous sommes fin avril.<br />
Hélas, les services en question ne sont pas immédiatement disponibles : le cas est<br />
mis en attente jusqu’à libération d’une place dans le ou les services concernés.<br />
Est-il possible que tout ce beau monde ait erré? Hé bien, oui! Si l’opération s’est<br />
faite en situation diagnostique litigieuse et que les évaluations expertes requises pour<br />
éliminer le ou les litiges n’ont pas été réclamées ou sont différées, il y a même de fortes<br />
présomptions d’approximation.<br />
5. mise en place, contrôle et reprogrammation des services et interventions adaptés :<br />
L’année avance. L’enfant accuse un retard considérable et se sent inadéquat, «pas<br />
capable».<br />
Au plan de la programmation pédagogique, on entre déjà dans le cycle des révisions<br />
(de notions qu’il n’a pas acquises) et dans celui de l’évaluation de fin d’année (même à<br />
mi-cycle.)<br />
Ce jeune est chanceux, une place s’est libérée dans les services : en mai, il est suivi<br />
et les premières retombées enfin favorables font jour.<br />
Elles se poursuivent en juin et lors de la révision du cas, il est recommandé de<br />
poursuivre au début de l’année suivante.<br />
95
Il ne faudrait ni été pour, en l’absence de continuité du soutien, que ne se dissolvent<br />
pas les maigres progrès; ni changement d’école pour que le dossier ne se perde pas en<br />
même temps que ses recommandations et que tout soit entré dans la programmation<br />
(déjà «bookée») de la nouvelle école; ni changement d’affectation des professionnels<br />
ou intervenants qui ont débuté les services; ni nouveaux cas qui vont s’accaparer des<br />
services et faire abandonner le suivi pourtant prescrit (comme c’est, entre autres, le cas<br />
en orthophonie).<br />
Dans la plupart des cas les plus lourds, le fossé est déjà creusé et, si cela n’était<br />
pas morbide, je devrais écrire, la tombe scolaire déjà creusée.<br />
Bof! Ce n’est qu’un enfant.<br />
C’est fait fort un enfant!<br />
Même dans sa tombe scolaire, ça donne encore des signes de vie…<br />
5. Incapacité volontaire de considérer les multihandicaps<br />
J’ai rédigé en avril 2004, à l’intention de la communauté scolaire d’une école à<br />
vocation régionale, un cahier des charges. Cette école chargée de desservir la clientèle<br />
régionale du secteur secondaire vivant une déficience intellectuelle minimalement<br />
moyenne, accueillait, bien sûr, une majorité d’écoliers jeunes et adultes multi ou<br />
polyhandicapés; comme on le sait, le Québec scolarise ses élèves handicapés de 4 à<br />
21 ans.<br />
96
La partie de ce document que je reproduis ici expose les principaux, non les seuls,<br />
constats que j’ai effectués lors de mon analyse situationnelle qui a servi de base de<br />
données pour la rédaction du cahier des charges.<br />
On retrouvera d’autres extraits de ce cahier dans la partie 6 suivante : Isolement des<br />
écoles à vocation régionale ou suprarégionale.<br />
1. Élèves polyhandicapés<br />
⇒ L’intégration des enfants sévèrement handicapés au scolaire a laissé un vide au<br />
plan de l’intervention conjointe des réseaux scolaire et de santé et services sociaux.<br />
Ce vide s’est accentué avec le temps.<br />
⇒ Le scolaire a pris la relève de soins et de services, sans les compétences et les<br />
ressources humaines et financières appropriées.<br />
⇒ Graduellement, ces soins et services n’étant pas de sa compétence, il les a œuvrés<br />
en complément de tâches déjà pleines, au mieux avec les conseils experts des<br />
partenaires de l’autre réseau.<br />
⇒ Le réseau de santé et de services sociaux n’a ni «réservé», ni planifié les<br />
ajustements des ressources qu’il aurait dû et devrait investir auprès de clientèles<br />
d’intervention conjointe.<br />
⇒ Il s’est développé, dans les deux réseaux, par défaut de complémentarité active,<br />
une mentalité de champs d’intervention laissant au scolaire l’obligation quasi<br />
exclusive de desservir, dans l’action quotidienne, les écoliers lorsqu’ils sont dans<br />
l’école : une notion de «divisibilité» de l’écolier handicapé.<br />
97
⇒ Les plans d’intervention œuvrés dans l’école ont graduellement «oublié» les<br />
requêtes à livrer à l’autre réseau au plan de la santé tant physique que mentale de<br />
ses écoliers.<br />
⇒ Dans leurs plans d’action éducative, les intervenants scolaires (professeurs,<br />
technicien(ne)s en éducation spécialisée, préposé(e)s ont, avec le temps, posé de<br />
plus en plus de gestes en dehors de leurs compétences (interventions des<br />
domaines de la santé physique et mentale et interventions de réadaptation). Ces<br />
gestes «extra-professionnels» créent une pression insoutenable sur les intervenants<br />
scolaires. Certains sont illégaux.<br />
⇒ Dans leurs plans d’action éducative, les intervenants scolaires (professeurs,<br />
technicien(ne)s en éducation spécialisée, préposé(e)s ont, dans presque tous les<br />
cas où la santé physique et mentale est hautement handicapée, de plus en plus<br />
œuvré d’interventions cliniques et de réadaptation et de moins en moins<br />
d’intervention éducative. Le quotidien tel qu’il existe empêche le scolaire d’intervenir<br />
plus professionnellement dans son champ d’expertise et le conduit à perdre de<br />
l’expertise.<br />
Le problème est donc majeur, non exclusif à l’école (…) (qui le partage avec la<br />
quinzaine d’écoles à mandat régional au palier provincial) et c’est par l’activation de<br />
l’entente de complémentarité qu’il peut se résoudre…<br />
À condition que la lecture des origines et composantes du problème soit partagée…<br />
Et que le réseau de la santé et des services sociaux, déjà surchargé, accepte de<br />
reconnaître son désistement devenu historique et la nécessité de le corriger.<br />
98
2. À ce moment (2004), j’ajoutais ces autres constats de nature pratico-pratique :<br />
⇒ Changements des couches pas toujours disponibles rapidement : échauffement,<br />
rougeurs, infection…<br />
⇒ Lève-personnes pas installés partout où il se doit.<br />
⇒ Hygiène corporelle parfois déficitaire à l’arrivée de certains enfants.<br />
⇒ Pour les jeunes gastrostomisés, protocole de soins (entre autres rinçages réguliers<br />
de bouche) non respecté.<br />
⇒ Manque de ressources au plan des expertises appliquées en ergothérapie,<br />
physiothérapie et orthophonie.<br />
⇒ Champs d’intervention à déterminer lorsque les soins en sont manifestement de<br />
santé : nutrition individuelle, gavages, manipulations pour éviter d’ankyloser, etc.)<br />
⇒ Problème particulier du développement de la communication (généralement à initier<br />
par action-réaction par la stimulation sensorielle)<br />
⇒ Beaucoup de zones d’intervention sont de l’ordre de la réadaptation : il faut donc<br />
augmenter la présence et le support experts.<br />
⇒ Plans d’action requérant un rare niveau d’expertise, pas nécessairement acquis par<br />
le personnel préposé.<br />
⇒ Plans d’action requérant un rare niveau d’expertise pas nécessairement articulé et<br />
arrimé systématiquement. Risque important de freiner la projection<br />
développementale.<br />
⇒ Manque de formations conjointes.<br />
99
⇒ Effectifs et problématiques susceptibles d’augmenter : de nombreux prématurés<br />
avec handicaps majeurs sont « sauvés » ces dernières années.<br />
⇒ Pressions sur le scolaire des coûts requis par les services spécialisés à ces enfants<br />
par rapport à leur «rentabilité»…<br />
Mes «supérieurs» (sic) scolaires m’ont rappelé à maintes reprises que je dirigeais<br />
alors une école et pas un centre de réadaptation ni un hôpital.<br />
De mon côté, je ne poursuivais qu’un objectif, accompagné d’un indissociable outil :<br />
celui de servir adéquatement ces jeunes et, par nécessité, requérant de provoquer<br />
l’implosion de la structure en place, largement détériorée au fil des ans comme en<br />
témoignaient les plans d’effectifs partenariaux honteusement diminués.<br />
Pourquoi viser l’implosion?<br />
Parce que la détérioration graduelle de l’ensemble de la situation était le fait, comme<br />
elle l’est toujours, d’une série de changements d’équilibre cherchant à maintenir, dans<br />
chacune des institutions interpelées, l’homéostasie atteinte.<br />
Cette homéostasie, je le rappelle, est une fonction vitale ou «survitale» : tout comme<br />
un microsystème (une personne), un macrosystème (une institution) ne peut demeurer<br />
en état de déséquilibre. Soit il va se modifier de fond en comble pour s’ajuster vraiment<br />
aux nouvelles réalités, soit il va saupoudrer des changements cosmétiques pour se<br />
créer et créer l’illusion qu’il a pris en considération ces réalités.<br />
100
Tous les changements institutionnels d’équilibre ne sont pas nocifs et je dirais que le<br />
critère fondamental pour en prédire et jauger l’adéquation ultérieure est l’aptitude initiale<br />
à envisager véridiquement la réalité.<br />
L’exemple le plus frappant de démarche fallacieuse est celui que j’ai déjà donné au<br />
niveau du MEQ lors de la création du vaste fourre-tout que constitue l’hypercatégorie<br />
des élèves à risque. Souvenons-nous que nous avons alors affaire à un ministère qui<br />
affirme simultanément vouloir améliorer l’intervention auprès de ses écoliers fragilisés<br />
et ne vouloir en connaître ni les noms ni le nombre 13 !<br />
Il est rare que nous disposions d’indices aussi flagrants dans tous les cas de<br />
camouflage et de faire-semblant organisationnels. D'ailleurs, le MEQ s’étant lui-même<br />
aperçu de la révélation, par cet indice, de la nature mensongère de ses intentions (sa<br />
toute théorique réussite du plus grand nombre), a depuis fait semblant de corriger le tir<br />
en accueillant à nouveau les déclarations de clientèle à risque. Le MELS, dont les<br />
hémisphères gauche et droit ne sont pas nécessairement «connectés», ne s’était pas<br />
rendu compte qu’il ne courrait, quant à lui, aucun «risque» en obtenant les chiffres<br />
relatifs à ces écoliers fragilisés 14 puisque, de toute façon, il avait déjà contingenté le<br />
13 «La définition d’élève à risque qui est proposée sous-tend une approche globale visant à favoriser la prévention. Pour ces<br />
élèves, l’identification nominale n’est plus exigée. Ainsi, les énergies et les ressources pourront être orientées vers la recherche<br />
des meilleurs services à rendre à ces élèves.» MEQ (2000) : Élèves handicapés ou élèves en difficulté d’adaptation ou<br />
d’apprentissage (EHDAA) : définitions<br />
14 Du côté des EHDAA, les plus forts taux de réussite sont obtenus par les élèves ayant une déficience visuelle (44,4 p. 100),<br />
une déficience auditive (42,9 p. 100), une déficience motrice légère ou organique (44,3 p. 100) et par les élèves ayant une<br />
difficulté légère d’apprentissage (37,6 p. 100). Des taux particulièrement faibles sont observés chez les élèves ayant un<br />
trouble du comportement (14,9 p. 100) et les élèves ayant une difficulté grave d’apprentissage (12,7 p. 100). Puis-je<br />
encore rappeler que, parmi les écoliers en T.C., tous ne sont pas T.G.C. et que ce sont donc 7 écoliers à risque sur 10 qui ne<br />
«réussissent» pas !<br />
101
niveau possible de service en préfixant, par commission scolaire, le taux de<br />
financement…<br />
Pour terminer cette nouvelle digression, je vous propose un dernier exemple que<br />
j’exploite souvent pour illustrer l’incongruité de la situation.<br />
Je me transporte et vous transporte temporairement au sein de notre système de<br />
santé dont nous savons tous qu’il est aux prises avec un grave problème de<br />
financement vu l’ampleur des besoins. Nous savons tous également que des listes<br />
d’attente sont constituées pour pallier le manque de ressources ou, plus généralement,<br />
le déficit de financement des interventions, même si l’infrastructure (par exemple, la<br />
disponibilité des blocs opératoires) permettrait d’augmenter les quotas et…de diminuer<br />
l’attente.<br />
On pourrait donc croire à une analogie des dysfonctions de deux systèmes<br />
d’éducation et de santé.<br />
Pourtant, une distinction majeure les caractérise : tandis que l’on contingente,<br />
amalgame ou ignore les diagnostics scolaires, on ne déguise pas les diagnostics<br />
médicaux. Cela n’invalide pas les ratées du système de santé, mais cela empêche de<br />
nier les vrais besoins et constitue, en soi, une pression pour s’ajuster à la réalité. Les<br />
ajustements, dont le fameux, mais mercantile et tout aussi cosmétique P.P.P.,<br />
demeurent des changements d’équilibre, particulièrement sous des gouvernements<br />
néolibéraux, mais ils n’effacent pas les besoins. Le MEQ, oui!<br />
102
Je reviens à présent aux écoliers multihandicapés et aux effets qu’a pu avoir ma<br />
tentative d’implosion...<br />
Malgré la certitude que des changements ont été opérés à la suite de mon<br />
intervention, elle a été loin d’être la secousse sismique institutionnelle que je désirais<br />
provoquer : les organisations sont allergiques aux tremblements de leurs fondations.<br />
Elles préfèrent, de loin, faire trembler leurs membres «déloyaux», la loyauté<br />
institutionnelle permettant, déontologiquement, de trahir les clientèles, mais pas les<br />
fondements organisationnels! J’ai donc tremblé, intimement incapable de plier, et ai été,<br />
tel le chêne (idiot?) de la fable, déraciné. Je connaissais le risque, ce fut autre chose de<br />
le vivre!<br />
Aussi les améliorations obtenues, car il y en a eu, en sont-elles, selon moi,<br />
essentiellement de surface.<br />
Même si cette école «surspécialisée» a été rénovée, a vu sa vocation<br />
suprarégionale reconnue, a obtenu quelques ajustements des ressources du réseau<br />
des 4 S, rééquilibré sa situation budgétaire grâce à l’absorption, d’abord<br />
pathologiquement refusée par la C.S, d’une partie de son déficit, même si cela n’est pas<br />
rien et valait, à lui seul, la peine, le changement de structure ne s’est pas opéré : on n’y<br />
œuvre qu’épisodiquement de véritables plans de services et l’entente de<br />
complémentarité MELS-MSSSS demeure stratégiquement ligotée et sabordée par les<br />
instances supérieures internes chargées de l’actualiser.<br />
Pourquoi?<br />
103
Parce que des institutions, devenues volontairement incapables d’administrer des<br />
changements de structure qui leur imposeraient de se modifier et de contraindre de tels<br />
changements dans des organisations adjacentes, parfois devenues insubordonnées,<br />
additionnent leurs énergies d’équilibrage factice en une incroyable synergie de trahison<br />
des clientèles partagées.<br />
C’est pourquoi, localement, les C.S trahissent leurs écoliers multihandicapés plus<br />
encore qu’elles ne trahissent leurs élèves à risque et pourquoi le MELS et avant lui le<br />
MEQ ont trahi et trahissent les EHDAA à l’autel de l’économie capitaliste débridée.<br />
C’est pourquoi maintes C.S., pourtant actives et interactives dans la lutte au<br />
décrochage et à l’échec, ne maintiennent pas des résultants probants à long terme :<br />
elles font du développement cosmétique, politique, diplomatique, même à moyen ou<br />
long terme, tout en continuant de gérer systématiquement le faire semblant : il ne peut<br />
s’opérer de vrai «virage du succès» sans que ne soient pris en considération les vrais<br />
besoins! Quand une institution dépense tant de ses énergies à masquer et se masquer<br />
la réalité, les institutions complémentaires mandatées pour l’accompagner vont, elles<br />
aussi, orienter leurs énergies à la même duperie, rarement inconscientes de se<br />
disperser dans la poudre aux yeux et le bien-paraître!<br />
Vous vous souvenez que j’ai rapporté un bref échange avec un semi-haut dirigeant<br />
(aux affaires éducatives de sa commission scolaire) : «Voyons donc, Patrick, la réussite<br />
des enfants handicapés, es-tu vraiment sérieux !»<br />
Dès lors, imaginez sa pensée (et examinez la vôtre…) relativement à la réussite des<br />
écoliers multihandicapés et, puisque c’est cet illustre personnage qui a été désigné pour<br />
représenter sa C.S. dans la concrétisation de l’entente de complémentarité qui<br />
104
conjuguerait en une force suffisante les faiblesses institutionnelles, imaginez aussi à qui<br />
sont dédiés ses efforts. Il est clair qu’avec lui, mieux vaut être jeune, fort, intelligent et<br />
en santé que polyhandicapé (ce qui est pourtant, selon moi -puisse-t-on me pardonner<br />
ma méchanceté- son cas...)<br />
6. Isolement des écoles à vocation régionale ou suprarégionale<br />
Je veux poursuivre sur ma lancée au regard des particularités, mal connues, du<br />
mandat des écoles à vocation régionale et suprarégionale.<br />
Créées pour mieux répondre aux caractéristiques rares d’écoliers vivant une ou<br />
plusieurs déficiences, ces écoles à vocation régionale ou suprarégionale résultent de la<br />
nécessité de regrouper services, ressources humaines et matérielles spécialisées,<br />
finances et expertises pour offrir des services adéquats à une clientèle qui ne peut être<br />
que difficilement, ou conditionnellement à un niveau hautement individualisé de<br />
services, intégrée au milieu dit régulier.<br />
Je ne veux pas entrer de suite dans le débat qui oppose intégration et ségrégation :<br />
je crois cependant qu’à maints égards, lorsque l’inclusion sert à économiser plutôt qu’à<br />
supporter, elle est plus ségrégative que le classement en école spécialisée. J’y<br />
reviendrai.<br />
Il est certain que les problématiques rencontrées varient selon la nature des<br />
déficiences qui autorisent l’admission dans ces écoles.<br />
Je vais donc illustrer mon propos de la situation que j’ai moi-même documentée à la<br />
phase initiale de mon analyse institutionnelle.<br />
105
Le tableau qui suit ne décrit que très partiellement l’ampleur des problématiques<br />
vécues par la clientèle desservie dans un milieu où, je le souligne, la dévotion et<br />
l’engagement des personnels demeurent exceptionnels, malgré les embûches externes<br />
et, hélas, les acclimatations internes qui leur maintiennent la tête hors de l’eau, mais<br />
diluent cependant les impacts de leurs efforts.<br />
106
Durant les deux dernières décennies, la plupart des écoles à vocation régionale ou<br />
suprarégionale ont connu un alourdissement et une diversification notables de leur<br />
mandat.<br />
Dans le cas que je présente, et bien que cela ne fasse pas foi de ce qui a pu se<br />
produire dans toutes les régions, les prêts de service du réseau de santé et des<br />
services sociaux ont diminué au fur et à mesure qu’augmentait le nombre de jeunes<br />
admis et que croissaient leurs besoins.<br />
Ainsi, tandis que se présentaient plus d’élèves souffrant de problèmes de santé<br />
physique ou mentale, a-t-on supprimé l’affectation à temps partiel d’un médecin; tandis<br />
qu’étaient accueillis 100% d’écoliers avec problèmes majeurs de communication, a-t-on<br />
fait disparaître une ressource temps plein en orthophonie. De même a-t-on diminué les<br />
ressources en ergothérapie.<br />
La source de ces aberrations coupables est certes la divisibilité factuelle du jeune<br />
handicapé : de nos jours encore, tel morceau de ce jeune «appartient» au centre<br />
régional en déficience intellectuelle (CRDI), tel autre au centre de réadaptation, tel autre<br />
à centre de santé, tel autre à des cabinets médicaux privés, tel autre à un Centre-<br />
Jeunesse et à la D.P.J, tel autre à la SAAQ, tel autre à l’école, tel autre à la commission<br />
scolaire.<br />
Mais, Ô Esprit Saint retardataire, voici soudain que «Le comité national de<br />
concertation (relative à l’entente de complémentarité) a retenu le plan de services<br />
individualisé et intersectoriel (PSII) comme étant une des priorités à traiter,<br />
considérant les problèmes importants de concertation qui ont été décelés relativement à<br />
l’intervention conjointe pour certains jeunes. Les gestionnaires et intervenants des deux<br />
107
éseaux, ainsi que les jeunes et les parents, ont fait état de ces problèmes lors de la<br />
consultation qui a précédé l’élaboration de l’entente de complémentarité. 15 »<br />
Je vous rappelle que la publication de l’entente remonte à 2003…Il a fallu 3 ans au<br />
MELS pour accoucher, en 2006, du rapport sur le PSII!<br />
Si ce n’était pas si triste, on rirait à gorge déployée de lire qu’il aura fallu la<br />
consultation qui a précédé la publication de l’entente de complémentarité pour se<br />
rendre compte de la totale défaillance endémique de la tenue, de la coordination et de<br />
la gestion longitudinale des PSII.<br />
Dans les faits, la lacune a été quasi permanente au cours des dernières décennies<br />
et que l’on ose faire une révélation contemporaine des problèmes qu’elle a<br />
historiquement générés dénote un mépris absolu de tous ceux des jeunes qui, par le<br />
passé et aujourd’hui encore, en ont subi et en subissent les manquements.<br />
Avant cette récente publication 16 dont l’actualisation est loin d’être accomplie, le seul<br />
organisme apte à imposer, sur demande de la personne handicapée ou de l’autorité<br />
parentale, la coordination en plan de services a été l’Office des personnes handicapées<br />
du Québec.<br />
Lorsque des organismes ont, par le passé, œuvré des PSI, ils l’ont fait de façon<br />
généralement parcellaire (comme lors de la transition d’un jeune entre un centre de<br />
réadaptation et le scolaire) et rarement longitudinale. De nombreux plans de transition<br />
ont été bâclés et ceux des multihandicapés souffrant de DIS ou de DIP ont plus souvent<br />
qu’à leur tour frappé le vide interstellaire au terme de leur éligibilité à la fréquentation<br />
scolaire.<br />
15 MELS, 2006. Plan de services individualisé et intersectoriel, p.5.<br />
16 Je réfère encore à : MELS, 2006. Plan de services individualisé et intersectoriel<br />
108
Assez souvent, l’OPHQ n’a pas fait mieux dans le suivi à long terme de PSI qu’il<br />
avait été appelé à initier.<br />
De plus, les demandes volontaires n’ont pas plu (de pleuvoir…), d’une part parce<br />
que les écoliers souffrant de grandes déficiences ne se représentent pas eux-mêmes et<br />
que près du tiers sont placés, d’autre part parce que les «parents équipés» ne<br />
recourent pas nécessairement à l’Office et que les parents moins outillés n’en<br />
connaissent pas cet usage ou sont eux-mêmes usés au point de devoir être<br />
accompagnés dans leur propre démarche. La proportion des parents de jeunes<br />
handicapés qui vit une charge émotionnelle devenue insoutenable et dont la santé est<br />
grandement affectée est de près de la moitié…<br />
Enfin, L’OPHQ ne fait pas œuvre très proactive dans ce domaine : les ailes lui ont<br />
été coupées par le gouvernement en diminuant radicalement sa présence et ses<br />
effectifs décentralisés en régions. Il a encore le mandat légal de la supervision de plans<br />
de services, mais ni la prérogative autonome pour l’opérer, ni les ressources pour ce<br />
faire.<br />
Je réitère avec une totale conviction ce que j’ai mentionné dans mon introduction :<br />
cette partition de l’écolier handicapé n’est pas induite par les intervenants de terrain,<br />
professionnels, techniciens ou préposés : elle est avant tout l’œuvre des institutions et<br />
les gens qui sont en intervention directe, sans prérogative décisionnelle autre que celle<br />
de leur champ strict, la subissent avec répulsion, mais une répulsion souvent bien<br />
docile.<br />
109
Disons qu’ils s’y acclimatent, souvent forcés par le critère de loyauté envers<br />
l’organisation tel qu’ils le savent appliqué. Tout en acceptant ce compromis (et<br />
nécessairement cette compromission), ils font donc de leur mieux.<br />
Hélas, cette acclimatation qui garantit leur propre équilibre homéostatique se rend<br />
complice de la divisibilité de ces jeunes.<br />
Lorsque, dans les structures pyramidales de ces institutions, on gravit des échelons,<br />
lorsqu’on y acquiert du pouvoir, on se corrompt ou, plutôt, on a tendance à accepter de<br />
s’y corrompre en compensation du pouvoir détenu et de la sagesse et des aptitudes<br />
administratives extraordinaires que ceux qui nous engagent nous attribuent.<br />
Les bases de l’administration sont, de fait, d’obédience reptilienne (cf. Argyris). À<br />
preuve cet ingrédient recherché et retrouvé chez les gestionnaires de haute voltige : la<br />
motivation à détrôner le et les supérieurs, de le ou les «dévorer».<br />
Quand cette motivation dérive sur la crainte qu’engendre un subalterne plus<br />
consciencieux ou compétent que soi, imaginez les abus!<br />
J’ai en tête un certain D.G. «cannibale» qui se vante encore d’avoir décapité<br />
l’équipe collégiale de gestion qui faisait ombre à sa créativité bien plus doctrinaire que<br />
doctorale…<br />
110
Voici donc, pour illustrer d’autres méfaits du système, la suite du cahier des charges<br />
de cette école à mandat suprarégional et les impacts de la divisibilité de ses écoliers : «<br />
3. Élèves avec troubles de comportement (TC) liés à la déficience intellectuelle<br />
ou élèves avec troubles envahissants du développement (TED) ou avec<br />
troubles d’ordre psychopathologique (TOP) accompagnés d’une DI.<br />
⇒ En l’absence de guidance médicale experte au plan de la santé mentale et de<br />
l’intervention comportementale auprès de personnes avec lourdes déficiences,<br />
glissement des interventions vers une approche béhaviorale parfois (voire souvent)<br />
contraignante de l’élimination des TC.<br />
⇒ Le glissement précédent, faute de prévention, prend fortement la place des plans<br />
d’action éducative. Il produit un détournement et un effritement des compétences<br />
scolaires.<br />
⇒ Tendance à figer le scolaire au profit de l’occupationnel.<br />
⇒ Désistement, provoqué par les contraintes, quant au rôle de pivot à tenir par le<br />
professeur titulaire.<br />
⇒ Parmi les interventions contraignantes, toujours faute de prévention guidée par une<br />
expertise clinique immédiatement disponible, les contentions aux locaux de retrait<br />
(dont un capitonné) sont trop nombreuses et éthiquement majoritairement<br />
inacceptables. Elles sont illégales!<br />
⇒ Par les partenaires et par les parents, très habituel niveau de contestation externe<br />
de notre expertise, souvent justifiée, même si elle témoigne de l’ignorance de nos<br />
conditions et ne réalise pas sa propre absence (d’expertise partagée ET œuvrée).<br />
111
⇒ Instabilité prolongée de nombreux écoliers lors des prescriptions initiales ou les<br />
réajustements de médication.<br />
⇒ Interventions scolaires dans le champ de l’intervention pédopsychiatrique et<br />
psychiatrique exclusive (TED et TOP)<br />
⇒ Interventions scolaires dans le champ de l’intervention neurologique (entre autres,<br />
auprès des écoliers neurotraumatisés).<br />
⇒ Rareté extrême de la psychiatrie pour les 18 ans et plus.<br />
⇒ Pas d’ergo, de physio, d’orthophonie aux écoliers avec TED : ils ne relèvent pas du<br />
centre de réadaptation, mais du centre de santé qui ne les considère pas<br />
prioritaires, faute d’effectifs!<br />
⇒ Pas de plans de communication aux écoliers avec TED: ils ne relèvent pas du<br />
centre de réadaptation, mais du centre de santé!<br />
⇒ Déficit majeur au niveau du développement de la communication chez toute cette<br />
clientèle, faute de temps suffisant des ressources expertes.<br />
⇒ Déficit quant à l’utilisation systémique des nouvelles technologies de l’information et<br />
de la communication (NTIC) aux fins pédagogiques.<br />
⇒ Problèmes très importants d’hygiène.<br />
⇒ Pressions sur le scolaire des coûts requis par les services spécialisés à ces enfants<br />
par rapport à leur «rentabilité».<br />
⇒ Manque de matériel didactique adapté.<br />
4. Élèves avec déficience intellectuelle moyenne (DIM)<br />
⇒ Manque également de matériel didactique adapté.<br />
112
⇒ Déficit aussi partagé quant à l’utilisation systémique des NTIC aux fins<br />
pédagogiques.<br />
⇒ Déficit au niveau du développement de la communication chez une partie de cette<br />
clientèle, faute de temps suffisant des ressources expertes.<br />
⇒ Intégration à parfaire des plans de transition et de l’arrimage aux ateliers.<br />
⇒ Financement non récurrent de programmes d’insertion sociale et communautaire<br />
relevant des deux réseaux. (du type projet jumelage)<br />
⇒ Champs à clarifier de la réadaptation et du scolaire dans le cas d’écoliers avec<br />
problématiques associées à la DIM.<br />
⇒ Certain niveau de contestation de la pertinence de services spécialisés auprès d’une<br />
clientèle avec handicap intellectuel.<br />
5. Médication<br />
⇒ Administration encore factuellement scolaire de la médication et de l’observation de<br />
ses effets.<br />
⇒ Manque d’information au dossier de l’élève sur les effets secondaires et les effets<br />
croisés (neuroleptiques, anxiolytiques, amphétamines, psychotropes, etc.)<br />
⇒ Instabilité majeure de certains écoliers lors des prescriptions initiales et des<br />
ajustements.<br />
⇒ Lecture hypertrophiée de l’origine comportementale de l’instabilité.<br />
⇒ Répondance scolaire des effets des ajustements avec des facteurs relevant<br />
exclusivement du pharmacomédical.<br />
⇒ Délais expérimentaux entre la lecture experte des effets et les ajustements.<br />
113
⇒ Certains écoliers avec effets secondaires médicamenteux ignorés par défaut de<br />
mesure ou suivi.<br />
⇒ Nombreux cas de prise de poids, liée à la médication, jusqu’à l’obésité morbide.<br />
6. Concertation et arrimages<br />
⇒ Pas de dossier unique des clients communs.<br />
⇒ Dispersion des informations et rapports experts.<br />
⇒ Impossibilité de gérer des agendas communs.<br />
⇒ Retards très considérables dans les suivis de concertation.<br />
⇒ Écarts dans les lectures des réalités théoriquement partagées.<br />
⇒ Contestation d’expertises, stratégies d’évitement à tous les paliers.<br />
⇒ Contestation de professionnalisme.<br />
⇒ Interprétations des réalités vécues dans des environnements différents.<br />
⇒ Expertises parfois déconnectées des contingences ambiantes : alors purement<br />
théoriques.<br />
⇒ Expérimentations outrancières, en boucle, sur certains élèves.<br />
⇒ Triangulations, entre autres, auprès de la famille.<br />
7. Cas exceptionnels hors-normes<br />
⇒ Aucune prévention. Aucune planification préalable.<br />
⇒ Abandon réflexe total au scolaire par désistement.<br />
⇒ Pas de modèles transitoires ou permanents alternatifs.<br />
114
⇒ Pressions politiques probablement justifiées, mais niant les expertises et niant les<br />
écarts entre les commandes passées et les conditions réellement existantes ou<br />
faites pour répondre aux commandes passées.<br />
⇒ Pas de financement dans aucun réseau.<br />
⇒ Effectifs gravement handicapés susceptibles d’augmenter : plusieurs écoliers ou<br />
écolières vivent avec un handicap de communication et une maladie dégénérative<br />
touchant à la fois les fonctions cognitives et l’état de santé mentale et physique.<br />
8. Cas de protection<br />
⇒ Pas de prise en charge des compromissions de développement pour déficit et<br />
négligence de soins de santé physique et mentale.<br />
⇒ Insuffisance, par ignorance, de la prévention des situations de maltraitance des<br />
écoliers handicapés.<br />
⇒ Arrimages déficitaires en suivi de clientèles communes.<br />
⇒ Clarification à apporter dans la répondance de l’autorité parentale.<br />
⇒ Curatelles déficitaires ou questionnables.<br />
9. Agressions, accidents, stress, épuisement<br />
⇒ Niveau anormal d’agressions sur les intervenants, significatif des lacunes<br />
d’intervention préventive.<br />
⇒ Épuisement physique et affectif des intervenants.<br />
⇒ Épuisement de la relève.<br />
⇒ Stress constant auprès des jeunes avec TC, TED ou TOP.<br />
115
⇒ Nombreuses invalidités. Nombreux accidents.<br />
⇒ Sentiment d’isolement. Abandon des revendications par usure des canaux tentés<br />
sans succès.<br />
⇒ Pressions subies de la C.S. pour «faire avec».<br />
10. Parents<br />
⇒ Parents et familles d’accueil accaparés par le quotidien.<br />
⇒ Deuils non complétés accompagnés par le scolaire seulement.<br />
⇒ Manque de soutien à domicile, d’assistance et de répit dans plusieurs dossiers.<br />
⇒ Les services se dissolvent ou disparaissent (faute de concentration) à l’éloignement<br />
du centre urbain.<br />
⇒ Guidance déficitaire.<br />
11. Infrastructures adaptées<br />
⇒ Financement initial déficitaire pour les grosses infrastructures.<br />
⇒ Le financement des grosses infrastructures et de leur entretien et celui de<br />
l’enveloppe salariale consentie par le scolaire à des tâches qui ne relèvent pas de<br />
sa compétence s’accaparent du budget scolaire du matériel didactique.<br />
⇒ La piscine est (ici) un bain thérapeutique requérant un financement partagé (avec<br />
l’autre réseau) et des règles de sécurité conjointement établies.<br />
⇒ Élargissement (requis) des infrastructures pour les apprentissages en contexte réel :<br />
maison, ateliers, fermette, etc.<br />
116
12. Transport<br />
⇒ Durée de certaines «routes» : des jeunes multihandicapés passent plus de deux<br />
heures trente en autobus par jour!<br />
⇒ Jumelage d’écoliers pas toujours adapté.<br />
⇒ Conditions déficitaires de surveillance et d’intervention en situation de crise :<br />
accompagnement requis des chauffeurs.<br />
⇒ Cloisonnement des transports adaptés institutionnels : pas de partage des<br />
clientèles.<br />
13. Service de garde<br />
⇒ Caractère exceptionnel des services de garde à l’enfance handicapée : partage<br />
requis (avec l’autre réseau) non existant des responsabilités et répondances, y<br />
compris pour un service de garde en milieu scolaire.<br />
⇒ Sous-financement dans le cas des écoliers avec handicaps lourds exigeant un ratio<br />
adapté.<br />
⇒ Insuffisances du service en milieu scolaire pour les 4-12 ans handicapés.<br />
14. Service d’encadrement<br />
⇒ Inexistence d’un service d’encadrement hors grille horaire scolaire pour les 13 ans<br />
et plus.<br />
⇒ Inexistence du financement et des règles de gestion et d’infrastructure de ce<br />
service.<br />
117
15. Organisation des activités parascolaires<br />
⇒ Pas de conditions facilitantes des municipalités desservies dans l’organisation<br />
concertée des loisirs à la clientèle handicapée.<br />
⇒ Nombreux obstacles organisationnels (transport, animation, d’encadrement,<br />
financement, …)<br />
⇒ Clientèle polyhandicapée ou avec TC, TED ou TOP particulièrement délaissée.<br />
16. Plans d’action professionnels et plans de transition<br />
⇒ Manque de ressources scolaires en psychologie : 150 dossiers actifs en<br />
permanence pour 3 jours par semaine d’une ressource en psychologie!<br />
⇒ Manque de ressources de l’autre réseau en psychologie.<br />
⇒ Déficit des plans de transition qui commencent trop tard : en fin de l’année de<br />
transition.<br />
⇒ Arrimage déficitaire des ressources dédiées aux transitions.<br />
⇒ Manque de ressources scolaires en travail social : une trentaine de dossiers des 16<br />
-21 ans à suivre en permanence dans les plans de transition pour 1 jour par<br />
semaine d’une ressource en travail social!<br />
⇒ Manque de ressources de l’autre réseau en service social.<br />
⇒ Vide de services pour plusieurs élèves, passé 21 ans.<br />
⇒ Déficit des plans de transition pour les polyhandicapés.<br />
⇒ Déficits des plans de transition pour les écoliers vivant des TED ou des TOP.<br />
Je sais, la liste est longue et les gémissements redondants.<br />
118
Je pense tout à coup au DG de Saint-Charles-Borromée qui s’est suicidé peu de<br />
temps après la révélation des dérapages sordides vécus dans l’institution qu’il dirigeait.<br />
J’ai reconnu dans son discours la détresse d’un homme qui avait tenté d’éclairer les<br />
instances supérieures sur le glissement de ce centre de soins prolongés vers des abus<br />
de toute nature au détriment de sa clientèle.<br />
J’ai reconnu les signes de son isolement à la suite des silences qu’il a essuyés en<br />
guise de réponses à ses tentatives d’appel à l’aide. J’ai décelé la charge émotive qui l’a<br />
balancé dans sa pathologie suicidaire.<br />
Mais vous comprenez bien, comme moi, qu’il ne s’est pas suicidé : un système<br />
inhumain et immoral l’a tué!<br />
Alors, je veux vous dire de ne pas neutraliser les cahiers de charge, quels que<br />
soient leur appellation et le vocabulaire pour traduire les besoins.<br />
Je veux vous dire de ne pas vous neutraliser, de ne pas banaliser, de ne pas<br />
masquer, de ne pas vous anesthésier!<br />
Un cahier des charges n’est toutefois rien en soi s’il n’aboutit pas à un plan<br />
stratégique visant à corriger lacunes et méfaits.<br />
Je crois donc approprié, même si, là encore, il s’agit d’objectifs opérationnels typés<br />
à la clientèle servie, de révéler les actions promues : je veux, en effet, démontrer que<br />
des stratégies peuvent être élaborées, des objectifs fixés et opérationnalisés pour<br />
corriger les manquements.<br />
119
Projet éducatif d’une école à vocation suprarégionale.<br />
Axiome et cibles majeures de la communauté<br />
I. L’axiome de la communauté est le suivant :<br />
Reconnaissance indéfectible de l’indivisibilité de l’enfant :<br />
⇒ de son droit à son meilleur devenir.<br />
⇒ De son droit à la préservation de son intégrité.<br />
II. Cet axiome fondamental commande l’atteinte des cibles suivantes :<br />
1. L’une des premières cibles internes liées à cet axiome est de passer de la<br />
coordination de plans d’intervention scolaires à celle de plans de services concertés,<br />
incluant tous les partenaires fondamentaux ( : les PSII).<br />
2. Une seconde cible interne est l’incorporation des plans de transition dans la<br />
planification longitudinale des plans de services concertés.<br />
3. Une troisième cible interne est l’incorporation des objectifs de développement<br />
intégral, encadrée, mais non limitée par les formations par compétences prescrites<br />
et par les bulletins scolaires qui en découlent, au plan de services concertés.<br />
4. Une quatrième cible est l’harmonisation du partenariat interne. Le défi d’amplifier et<br />
d’harmoniser les partenariats nécessaires aux écoliers de l’école (..) est un<br />
fondement éthique incontournable de l’indivisibilité de l’enfant.<br />
5. Une cinquième cible est l’harmonisation du partenariat externe. Pour le pressentir<br />
riche et efficace, la communauté doit cibler le partenariat essentiel à l’obtention de<br />
réponses, de services et de ressources qu’aucune institution, prise séparément, n’a<br />
en quantité et qualité suffisantes dans notre actuelle société.<br />
120
6. La sixième cible est la reconnaissance tangible institutionnelle et interinstitutionnelle<br />
de la nature exceptionnelle des services dispensés à l’école (…) : à la fois école,<br />
clinique médicale, clinique de pédopsychiatrie, clinique thérapeutique de<br />
psychologie, centre de réadaptation, centre de jeunesse et d’accueil.<br />
7. La septième cible est naturellement la reconnaissance de la place unique, autonome<br />
et directe que doit occuper notre école aux plus hauts paliers de négociation des<br />
ententes intersectorielles, dont l’entente MELS-MSSSS : c’est l’un des moteurs pour<br />
faire reconnaître l’amplitude des besoins présents ici et obtenir les ajustements<br />
requis, lesquels sont quantitativement importants.<br />
III. Stratégies pour atteindre les cibles :<br />
1. L’approche communautaire<br />
Ces cibles, c’est la communauté qui va pouvoir les relever : de sa cohésion interne et<br />
de la cohésion avec ses partenaires-clés vont dépendre les résultats. Il faut donc<br />
activer la communauté.<br />
2. Un aveu d’impuissance : le cahier des charges<br />
Nous ne pouvons faire face à l’amplitude des besoins et des fonctions qui découlent de<br />
ces besoins à même les ressources dont nous disposons : expertise non accessible ou<br />
trop réduite dans de nombreux champs. Situations tenues à bout de bras, sans le<br />
niveau de qualification requis, sans les mandats légaux ou les prescriptions médicales,<br />
sans les ressources appropriées.<br />
Nous allons dire notre impuissance au lieu de la tenir à bout de bras. La dire<br />
ouvertement.<br />
121
Nous allons dire aussi notre désir de vaincre cette impuissance, dans un partenariat<br />
vraiment renouvelé.<br />
3. Un arrêt d’agir seuls stratégique<br />
Il y a et aura avis systématique de notre impuissance à poursuivre nos interventions<br />
(auprès des enfants) lorsqu’elles dépassent nos expertises, nos conditions<br />
fonctionnelles et nos ressources avec, en filigrane, le risque réel d’un retour temporaire<br />
chez lui de l’écolier. Le désir de ne pas interrompre le lien et la fréquentation scolaires<br />
sera formulé systématiquement à la famille et aux partenaires. Des ententes pour<br />
maintenir la fréquentation, moyennant ajustement des interventions et des effectifs,<br />
pourront être négociées. Des orientations extrascolaires pourront être validées.<br />
4. La démarche de partenariat<br />
Initiée par la direction dès l’automne 2003, elle sera intensifiée au printemps et à<br />
l’automne 2004 pour générer la complémentarité des réseaux scolaire et de santé et<br />
services sociaux. Elle analysera d’une lecture commune les besoins de nos enfants<br />
pour mesurer et programmer des réponses plus complètes et mieux articulées et faire<br />
le rattrapage dû dans les arrimages MELS-MSSSS.<br />
5. Une table de concertation 17<br />
L’organisation d’une table de concertation, sous forme d’un minicongrès tenu,<br />
probablement en janvier-février 2005, dans nos murs, devrait être le canal<br />
supplémentaire par lequel la cohésion désirée va pouvoir s’actualiser et les<br />
engagements tangibles se manifester à la communauté. Déjà sont entamées des<br />
démarches de rapprochement qui s’avèrent prometteuses.<br />
17<br />
J’ai eu très efficacement recours à 3 reprises à des tables de concertation, l’école prenant le<br />
leadership de l’arrimage partenarial.<br />
122
La table de concertation exigera :<br />
1. Une analyse interne<br />
⇒ Une identification exhaustive des dossiers gérés par l’école.<br />
⇒ Une identification des réponses gérées efficacement à même nos ressources.<br />
⇒ Une identification des réponses gérées efficacement à partir du partenariat déjà en<br />
place,<br />
⇒ Une identification des réponses inadéquates.<br />
⇒ Une identification des dossiers sans réponse.<br />
⇒ Une identification exhaustive des partenaires.<br />
⇒ Une identification des réponses inadéquates que les partenaires pourraient aider à<br />
corriger et des dossiers sans réponse auxquels ils pourraient collaborer à répondre.<br />
2. Une interpellation écrite<br />
⇒ Un envoi du dossier d’analyse à tous les partenaires, incluant l’invitation à la table<br />
de concertation.<br />
⇒ Un suivi personnalisé de l’engagement des partenaires à participer à la table de<br />
concertation.<br />
3. L’organisation de la table de concertation sous forme d’un minicongrès.<br />
⇒ L’organisation du lancement officiel orchestrable par le service des communications<br />
de la CS.<br />
⇒ L’organisation de la plénière de lancement du minicongrès<br />
⇒ L’organisation d’ateliers par dossiers, incluant les phases préliminaires<br />
d’engagement du partenariat, avec protocole d’animation, secrétariat et porte-parole<br />
en plénière.<br />
123
⇒ L’organisation de la plénière ou table de concertation et d’engagement du<br />
partenariat.<br />
⇒ L’organisation des suivis aux engagements et de leur évaluation.<br />
⇒ L’organisation du rapport du minicongrès.<br />
⇒ L’organisation de l’exportation de l’opération au plan provincial et supraprovincial.<br />
⇒ L’organisation de la table de concertation suivante.»<br />
Tout un menu!<br />
Du vrai pain sur la planche : des problèmes majeurs, mais aussi un projet concret<br />
pour activer des solutions.<br />
Un plan…<br />
Ce plan, adopté par le conseil d’établissement, s’il a, comme je l’ai écrit, généré<br />
certains ajustements partiels, mécaniques et matériels, n’a pas été maintenu et encore<br />
moins réalisé.<br />
Il est ahurissant de constater que le départ volontaire ou involontaire d’un<br />
gestionnaire puisse briser la poursuite d’objectifs et d’impératifs vitaux. C’est donc dire<br />
que l’instrument qu’est le plan de transition doit, dans une organisation civilisée,<br />
permettre de préserver l’essentiel au-delà des querelles pyramidales intestines.<br />
Je ne suis cependant pas innocent, je capte tous les dérangements que pouvait<br />
occasionner un projet éducatif de cet ordre à la C.S., à sa douce quiétude<br />
organisationnelle et à sa maîtrise de la remise du couvercle sur la marmite qu’il était<br />
parvenu, sans cachette, à déboulonner.<br />
124
Pas pour faire tort ou ombrage aux détenteurs du pouvoir, pas pour braver leur<br />
autorité de souverains pontifes, mais pour envisager, comme il est légiféré de le faire,<br />
la construction communautaire des solutions aux problèmes vécus par les<br />
jeunes, dans une concordance du discours et de l’action.<br />
Cette concordance est, à ce stade, souvent considérée une hérésie et c’est ce<br />
phénomène qu’il faut combattre et enrayer.<br />
Pour ce :<br />
• Il faut se réhabituer à dire les choses telles qu’elles sont et non telles que la gestion<br />
de l’ambiguïté impose de les formuler.<br />
• Il faut engager, rééduquer ou révoquer les administrateurs et hauts dirigeants pour<br />
qu’ils soient des gens de service plus que de petits napoléons boulimiques de<br />
pouvoir.<br />
Il faut, structuralement, se rendre capables de formuler des critiques, même sévères,<br />
sans que les responsables ne se sentent personnellement visés ou sentent leur pouvoir<br />
diminué.<br />
• Il faut que l’ordonnancement des valeurs qui réglementent l’institution, son éthique et<br />
sa déontologie soit reconstruit pour que la loyauté envers la clientèle n’ait pas à<br />
compétitionner avec la loyauté envers l’organisation, pour la simple raison que<br />
l’organisation accepte qu’elle prime!<br />
• Il faut assumer la concordance entre les dires et les actions.<br />
• Il faut que le gouvernement assujettisse l’économie.<br />
125
Sans ces conditions, tout changement de structure du système scolaire (et<br />
des institutions de l’État) est voué à l’échec.<br />
________________<br />
Dernière minute automnale (2008-09-16)<br />
Selon la rumeur, la CS va agrandir l’École (…), parce qu’elle vient de découvrir, ô<br />
surprise!, que sa clientèle augmente….Elle déménagera l’école alternative qui occupe<br />
le quatrième étage de la bâtisse….<br />
J’en avais avisé ses supérieurs en 2004…<br />
Quelle vivacité, quelle prévoyance, quelle transparence !!!<br />
126
Chapitre V<br />
P.S., P.I., P.T. pétés!<br />
Rapport 2003-2004 de la vérificatrice générale 18<br />
127<br />
Bene diagnoscitur, bene curatur<br />
Bien diagnostiquer, c'est bien soigner<br />
Largement passé sous silence, sauf par la C.S.Q. et encore, pas avec suffisamment<br />
de salutaire tapage, le rapport 2003-2004 de la vérificatrice générale (intérimaire) du<br />
Québec est peu connu de la plupart des intervenants scolaires de quelque secteur que<br />
ce soit : peu connu au primaire, peu connu au secondaire, peu connu au collégial, peu<br />
connu en milieu universitaire, même dans les facultés d’éducation !<br />
Pourtant, deux chapitres, au moins, revêtent un caractère essentiel en matière<br />
d’information fondamentale : le chapitre 2 sur la gestion par les écoles et les<br />
commissions scolaires des services aux élèves en difficulté d’apprentissage ou<br />
d’adaptation et aux élèves handicapés (EHDAA) et le chapitre 6 sur la gestion des<br />
services sociaux offerts aux jeunes.<br />
Je m’en voudrais de ne pas commencer par l’avis formulé par la vérificatrice<br />
générale lors du dépôt de son rapport à nos représentants à l’Assemblée nationale du<br />
Québec (tiens donc, nos gouvernants sont au courant…!) :<br />
«Les rapports du Vérificateur général mettent intentionnellement l’accent sur les<br />
déficiences et proposent des pistes à suivre pour les corriger. Cette approche permet<br />
18 Lorsque je résume ou rapporte les données de ce rapport, elles sont en italiques dans le texte de ce chapitre. Le plus souvent,<br />
je les résume.
aux parlementaires de concentrer leurs échanges avec les gestionnaires sur les<br />
améliorations à apporter aux services publics.<br />
Je veux toutefois souligner la compétence et le dévouement des gestionnaires et du<br />
personnel des entités que je vérifie. Le Québec bénéficie d’une fonction publique<br />
hautement professionnelle. Les améliorations, parfois importantes, qu’il faut apporter au<br />
fonctionnement de l’appareil gouvernemental ne doivent pas nous faire perdre de vue la<br />
qualité de service dont nous profitons déjà.<br />
La gestion de l’administration gouvernementale nécessite des efforts constants pour<br />
maintenir l’équilibre entre des ressources limitées et des besoins qui paraissent parfois<br />
illimités. Ce n’est pas une tâche facile.»<br />
Le second paragraphe dénote la parfaite harmonisation des mécanismes de la<br />
vérification à la notion d’ambigüité institutionnalisée que j’ai déjà mentionnée à<br />
plusieurs reprises.<br />
Le troisième excuse déjà les écarts du dire au faire en pointant l’équilibre nécessaire<br />
entre ressources (justement?) contingentées et besoins d’apparence vorace.<br />
Vous jugerez par vous-mêmes de cette incompatibilité à la lecture des faits<br />
effarants et épouvantables décelés par les équipes de vérification et, si vous trouvez,<br />
vous m’expliquerez comment une vérificatrice générale pourtant très consciencieuse<br />
peut, en même temps, révéler les lacunes insondables de la gestion des services aux<br />
EHDAA et louanger la qualité des prestations qui les produisent !<br />
La vérification produite avait 4 buts : «<br />
1-(s’)assurer que les commissions scolaires et les établissements publics<br />
d’éducation préscolaire et d’enseignement primaire interviennent rapidement<br />
128
2-et offrent des services qui satisfont aux besoins des élèves en difficulté.<br />
3-Un autre de nos objectifs était d’évaluer dans quelle mesure les sommes<br />
disponibles permettent de financer les services à offrir à ces élèves.<br />
4-Enfin, nous voulions vérifier que les structures organisationnelles favorisent la<br />
saine gestion des services qui leur sont fournis.»<br />
Les travaux de vérification tenus de septembre 2003 à mars 2004, ont touché le<br />
ministère, 7 commissions scolaires et 30 écoles : rencontres avec des gestionnaires,<br />
des directeurs d’école, des enseignants et des professionnels, cueillette de l’information<br />
au moyen de questionnaires remplis par 344 enseignants et 103 professionnels ou<br />
techniciens des écoles visitées, examen de 144 dossiers d’aide particulière qui incluent<br />
un plan d’intervention, c’est-à-dire un document «où l’on détermine formellement les<br />
actions nécessaires pour faciliter les apprentissages des élèves en difficulté ou<br />
l’adoption des comportements désirés.»<br />
La vérification a exclu de ses travaux l’enseignement secondaire pour valider<br />
l’application de la « prévention » qui, selon la politique de l’adaptation scolaire, doit se<br />
réaliser dès l’éducation préscolaire et se poursuivre au primaire; les problèmes se<br />
posent en effet différemment au secondaire où le système encaisse les inepties et<br />
bévues antérieures, ce qui a aussi pour effet de drainer vers ce secteur des ressources<br />
humaines et financières pour travailler de façon curative auprès d’une clientèle<br />
adolescente dont on a laissé se détériorer le développement global faute d’actions<br />
préventives causales.<br />
129
Dans le rapport de la vérificatrice, l’examen du financement des services aux<br />
EHDAA comprend toutefois autant l’éducation préscolaire que l’enseignement primaire<br />
et secondaire.<br />
Quels sont donc les résultats de cette vérification ?<br />
Tout d’abord des faits accompagnés de chiffres :<br />
Un taux de déclaration<br />
Dès le début des années 1980, le MEQ finance des effectifs à risque qu’il chiffre à<br />
7,5 p. cent de l’effectif des commissions scolaires au primaire, peu importe leur<br />
nombre réel. Ce « taux de normalisation » peut augmenter jusqu’à un maximum de<br />
9,8 p. cent en fonction d’un indice de défavorisation propre à chaque C.S.<br />
Les élèves en difficulté ont droit à des services de qualité pour répondre à leurs<br />
besoins particuliers. En 2002-2003, 11,9 p. cent des élèves de l’éducation<br />
préscolaire et du primaire (dont 84,4% -10,4/11,9- en difficulté d’apprentissage ou<br />
d’adaptation) étaient déclarés élèves en difficulté. Leur situation est difficile : faible<br />
taux de réussite, décrochage scolaire précoce, difficultés d’intégration<br />
professionnelle et d’insertion sociale. Le profil de ceux qui abandonnent l’école<br />
indique que ce sont surtout des jeunes ayant des difficultés d’apprentissage.<br />
La vérification a comparé les taux d’élèves à risque connus aux taux de<br />
normalisation utilisés par le ministère. Cet exercice montre que ces derniers ne<br />
correspondent pas à la réalité des commissions scolaires.<br />
130
Mon premier commentaire<br />
La réalité des besoins est systématiquement masquée par ce processus volontaire<br />
du MELS.<br />
Un gros budget pour les EHDAA…<br />
Pour la même année, le MELS a versé aux commissions scolaires des allocations de<br />
fonctionnement d’environ 5 milliards de dollars pour l’éducation préscolaire et<br />
l’enseignement primaire et secondaire.<br />
Le MELS estime (sic) que, sur cette somme, un milliard a été alloué pour les<br />
services éducatifs aux élèves en difficulté. La vérification émet l’avis que ces<br />
dépenses sont effectivement effectuées principalement pour les élèves en difficulté.<br />
Mais des mystères budgétaires insondables!<br />
Toutefois, lors de la vérification, il n’y avait aucun consensus entre le ministère et les<br />
commissions scolaires sur la façon de calculer la partie de l’allocation et des<br />
dépenses relatives aux élèves en difficulté. Aucune reddition de comptes n’avait été<br />
fournie par les C.S. au ministère à cet égard, puisqu’il n’en avait pas demandé…<br />
Le ministère ignore si sa base de répartition pour verser cette allocation est<br />
équitable : elle est constituée en partie de données historiques dont il n’a pas vérifié<br />
si elles concordent avec la réalité des commissions scolaires!<br />
C’est pourquoi la vérification a dû se contenter du budget préparé par certaines C.S.<br />
plutôt que de procéder à l’examen de leurs dépenses effectives : on sait que<br />
l’affectation d’un montant à un poste budgétaire ne garantit pas que la dépense<br />
131
éelle va concerner ce poste ou que cette dépense va concerner la clientèle<br />
théoriquement rattachée à ce poste.<br />
Le MEQ et les C.S, ne pouvant apprécier si les sommes sont dépensées de façon<br />
efficace, ne gèrent pas efficacement les services aux élèves en difficulté; il manque<br />
plusieurs détails sur les dépenses effectuées :<br />
1. sur la proportion des sommes dépensées pour les élèves handicapés ou<br />
pour ceux qui sont à risque.<br />
2. sur les élèves à qui sont rendus les services des professionnels.<br />
3. sur les sommes consacrées aux mesures de prévention, de dépistage<br />
précoce ou celles découlant d’un plan d’intervention.<br />
La vérificatrice a donc dû recommander au MELS d’imposer un modèle de reddition<br />
de comptes des dépenses relatives aux élèves en difficulté.<br />
De plus, elle a recommandé aux C.S. et aux écoles d’obtenir les données financières<br />
nécessaires à la gestion des services relatifs à ces élèves.<br />
Mon second commentaire<br />
Il concerne, bien sûr l’inextricable cafouillis budgétaire dans le domaine de la gestion<br />
des dépenses relatives aux EHDAA. Pourtant, l’instrumentation informatisée existante<br />
et, je dois le souligner, les efforts faits par le MELS pour contrôler jusqu’aux moindres<br />
détails des postes budgétaires devraient permettre une parfaite transparence.<br />
Son inexistence conclut certainement non à une défaillance technique ou<br />
instrumentale, mais bel et bien à une extraordinaire opération (aussi peu concertée que<br />
celle des pétrolières pour hausser les prix de l’essence) de camouflage.<br />
132
De fait, camouflage et affligeante incompétence!<br />
Je vais me permettre une autre longue digression illustrant de deux exemples les<br />
aberrations budgétaires du MELS et des C.S et leurs incidences au regard des EHDAA.<br />
Attachez bien vos ceintures!<br />
1. Le premier concerne l’origine des fonds dédiés aux maternelles 4 ans. Je<br />
remonte en 1984-85, année où le MEQ produit une (nouvelle) carte provinciale des<br />
écoles défavorisées afin, en toute logique, de dispenser ses allocations 85-86<br />
d’intervention préscolaire préventive dans les zones névralgiques. Par «malheur», je<br />
devrais écrire «par absolue et insondable stupidité», le MEQ pondère à un point tel la<br />
variable «endettement» que, dans la liste produite, des écoles de milieux<br />
particulièrement aisés, mais particulièrement endettés bien sûr (on ne prête qu’aux<br />
riches..) se retrouvent désignées pour les subventions aux maternelles 4 ans. Je dirige<br />
alors une école de zone socioéconomique défavorisée, ainsi qu’en témoignent toutes<br />
les données statistiques et les rapports d’intervention des institutions partenaires du<br />
MSSSQ : elle n’est, selon la logique implacable du MEQ, pas éligible au financement<br />
des services aux 4 ans! Par contre, l’École H-B, sise au sein du quartier le plus riche de<br />
la ville, est listée pour cette allocation! Tollé de protestations des C.S. où pareille<br />
aberration est multipliée ad nauseam. Retrait stratégique de sa carte par le MEQ.<br />
Valse-hésitation, tergiversation, délais, nouvelle carte, nouvelles failles : le MEQ finit par<br />
supprimer cette allocation spécifique et par l’intégrer aux paramètres de financement<br />
des opérations régulières.<br />
133
Petit problème : l’année où il annonce qu’il a décentralisé le montant dédié aux<br />
maternelles 4 ans, plusieurs C.S. protestent en déclarant ne pas avoir reçu ou identifié<br />
la nouvelle allocation théoriquement réservée.<br />
Qui dit vrai?<br />
Ce que donne le MEQ d’une main, il le reprend souvent de l’autre, ce qui fait qu’il<br />
est bien difficile de déterminer si une subvention est effectivement entrée ou si elle a<br />
été artificiellement générée par une coupure dans un autre dossier.<br />
De plus, comme l’enveloppe régulière des commissions scolaires est une enveloppe<br />
globale, il est quasi impossible, sauf parfaite transparence budgétaire des C.S., d’établir<br />
un pont entre les allocations et les dépenses. Comme le MEQ et les C.S. ont, malgré<br />
l’excellence et la puissance du système comptable informatisé, une notion différenciée<br />
de la transparence, inutile de vous dire que la résolution de l’équation «allocation-<br />
but/dépense-motif», sans être impossible, demeure très ardue.<br />
2. Mon second exemple va toucher au cloisonnement budgétaire.<br />
Ma dernière affectation à la direction d’établissements scolaires est, entre autres, en<br />
juillet 2003, à celle d’une école à vocation régionale. Je suis entré en fonctions en août<br />
et y ai décelé dès septembre et analysé dès octobre, une faille budgétaire colossale,<br />
révélant un déficit de dépenses courantes décentralisées de plus de deux cent mille<br />
dollars sur un budget total de huit cent mille, en raison d’un dépassement des<br />
allocations par la masse salariale, masse préautorisée par la C.S. lors de son<br />
approbation en mai 2003 du plan d’effectifs préparé par mon prédécesseur…<br />
Gardez en mémoire «MON» déficit de deux cent mille dollars…<br />
134
La C.S., malgré ses vérifications financières, n’avait ni anticipé ce trou, ni identifié sa<br />
cause : la création d’emplois permanents à partir d’allocations non récurrentes. Le<br />
même problème a d’ailleurs existé à répétitions dans notre C.S., particulièrement dans<br />
la gestion des ressources dédiées, y compris centralement, aux EHDAA.<br />
Il convient de noter, parce que c’est l’une des failles les plus fréquentes du<br />
contrôle exercé par les gestionnaires du système éducatif québécois que,<br />
lorsqu’une opération de vérification concerne factuellement plusieurs entités<br />
administratives, le fil conducteur se perd régulièrement dans le cloisonnement<br />
structural : les modalités actuelles de délégation fractionnent les tâches du<br />
contrôle et accroissent le risque de dérapage.<br />
On retrouvera cette même cause dans le chapitre qui traite de l’amoindrissement de<br />
la maîtrise de la langue, à la différence près qu’elle a pénalisé et pénalise des écoliers<br />
et des étudiants et non des équilibres budgétaires.<br />
La problématique qui avait donc échappé à ma C.S. mettait en cause à la fois le<br />
service des ressources humaines, chargé du contrôle des plans d’effectifs, les services<br />
financiers mandatés pour valider la suffisance des provisions budgétaires et,<br />
«suprêmement», le directeur général adjoint aux finances et son excellence, l’auguste<br />
directeur général.<br />
Je ne blâme ni ces instances impériales, ni leurs exécutants, pour la simple raison<br />
que l’erreur est humaine, à ces niveaux aussi, et ni nécessairement intentionnelle, ni, a<br />
fortiori, frauduleuse.<br />
Le masque qui a occasionné cette situation est à la fois l’illusion, aux bilans<br />
financiers de l’école, de son excellente santé budgétaire et la reconnaissance officielle<br />
135
effective, par approbation des plans d’effectifs, de l’adéquation entre les besoins des<br />
écoliers et les ressources humaines commandées (ce qui est tout à l’honneur des<br />
mêmes gestionnaires).<br />
Mon refus d’absorber ce déficit, par contraction du plan d’effectifs au détriment des<br />
écoliers desservis, s’est traduit par un conflit majeur de points de vue administratifs<br />
avec la D.G. de la C.S.<br />
Entretemps, ces charmants confrères et supérieurs avaient quelque peu changé<br />
leur fusil d’épaule ou retourné leur veste, et estimé superflus et luxueux les services mis<br />
en place…Après coup, les fous disent que seuls les fous ne changent pas d’avis!<br />
Par manque de loyauté organisationnelle et de déontologie, par (véritable)<br />
insubordination et parce que, je l’ai reconnu et le reconnais encore, j’ai moi aussi<br />
commis quelques erreurs, non des fraudes, au courant de mes 21 années à la direction,<br />
j’ai eu la chance de terminer ma carrière au secteur jeune du système scolaire (janvier<br />
2006), par une affectation temporaire comme conseiller pédagogique au service aux<br />
entreprises dans un grand centre de formation professionnelle.<br />
Patience, j’arrive à mon argument!<br />
À l’époque, dans ce centre réputé, 47 programmes de formation, une direction et<br />
quatre directions adjointes, un adjoint administratif, un coordonnateur au service aux<br />
entreprises, un régisseur à l’approvisionnement.<br />
C’est de ce dernier, en place jusqu’en juin 2005, que je tiens l’information que je<br />
vous livre ici. Il a tenté, sans succès, d’en mentionner les incongruités à la direction du<br />
centre et à la direction générale de la C.S. Il en a glissé un mot, infructueux, à une<br />
députation politique de sa connaissance :<br />
136
«Patrick, j’ai reçu en avril (2005) pour plus d’un million de dollars de commandes en<br />
provenance des diverses unités administratives du centre : remplacement de mobiliers pourtant<br />
neufs, changement d’écrans cathodiques fonctionnels d’ordinateurs pour des écrans plats,<br />
réfections de bureaux administratifs et de salles de professeurs pourtant propres et<br />
convenablement équipés…Tu sais, Patrick, le seul motif de ces commandes, à deux mois de la<br />
fin de l’année scolaire, est qu’il faut dépenser la totalité du budget avant le 30 juin. Si on ne le<br />
fait pas, on court le risque de voir amputées nos allocations pour l’année suivante parce que<br />
l’on aura fait la démonstration que l’on pouvait fonctionner avec un million de moins. Moi,<br />
Patrick, je te dis que l’on pourrait fonctionner chaque année avec deux millions de moins, sans<br />
se priver, simplement en faisant plus attention. Je l’ai dit aussi et répété à mes patrons et à la<br />
direction générale, mais j’ai reçu l’ordre de me taire.»<br />
Vous avez bonne mémoire?<br />
Au sein de la même C.S., il manquait deux cent mille dollars au budget essentiel<br />
de l’école dédiée aux jeunes les plus handicapés et il se construisait et s’achetait pour<br />
un million des biens de luxe à l’autre bout de la chaîne : soyez certains que la F.P.<br />
n’est pas le parent pauvre du système!<br />
Il est vrai que «ses produits finis», ses étudiants, sont un objet convoité de<br />
consommation dans notre actuelle économie : ils valent la peine d’investir…dans des<br />
dépenses tellement nécessaires…tandis que les multihandicapés, comme dirait encore<br />
un certain D.G. adjoint aux affaires éducatives, «voyons donc, (cibler) leur réussite!»<br />
137
Honte au MELS : il applique effectivement et à l’aveugle, de telles règles et c’est un<br />
encouragement à la dépense superflue pour éviter les coupures liées à l’historique des<br />
comptes 19 !<br />
Honte aux C.S. qui ferment les yeux et plus encore à celles qui les font fermer sur<br />
ces crimes financiers!<br />
Étonnés? Révoltés? Attendez de prendre connaissance de la suite du rapport<br />
de la vérificatrice générale…<br />
Des résultats favorables aux EHDAA?<br />
Malgré les milliards de dollars investis et les multiples actions entreprises depuis plus de 25<br />
ans pour combler les besoins des élèves en difficulté et les intégrer dans les classes<br />
ordinaires, peu d’information permet de voir si les services offerts répondent de façon<br />
satisfaisante aux besoins de ces élèves et s’ils leur donnent la possibilité de mieux réussir<br />
(!!!)<br />
Le choix de classement de l’élève entre la classe ordinaire et la classe spéciale ne s’appuie<br />
pas seulement sur les besoins du jeune : là où les classes spéciales persistent, elles sont<br />
utilisées. En leur absence ou encore en cas d’un nombre limité de places, l’élève est intégré<br />
en classe ordinaire par obligation plutôt que par choix éclairé par un P.I. articulé.<br />
19 J’ajoute que ce centre de renom avait alors besoin d’un agrandissement de cinq millions,<br />
agrandissement qu’il eût pu amortir sur une période de 3 à 5 ans, à même les surplus qu’il se serait<br />
constitués par une gestion responsable. Mais non, dans les règles du MELS, un surplus de centre ne<br />
peut pas permettre de constituer des fonds d’immobilisation. Alors, il vaut mieux solliciter une subvention<br />
de construction et gaspiller l’équivalent!<br />
138
L’analyse de 19 dossiers d’élèves en classe spéciale (élèves handicapés et élèves à risque)<br />
a révélé que très peu de documents permettent d’évaluer les motifs de ce classement :<br />
o est-ce avantageux pour l’élève concerné?<br />
o voulait-on éliminer sa nuisance aux autres élèves?<br />
o la commission scolaire jugeait-elle excessives les contraintes de l’intégration?<br />
Les dossiers ne mentionnent pas quels services adaptés auraient été nécessaires pour<br />
maintenir l’élève en classe ordinaire.<br />
Les dossiers ne mentionnent pas les conditions de réintégration en classe ordinaire.<br />
Malgré son discours préconisant la prévention, le milieu scolaire, dans son «grand respect»<br />
d’un modèle de l’Iowa, détourné de ses objectifs initiaux, applique des paramètres qui<br />
diluent, par leur approximation, l’efficacité d’un dépistage et d’un plan d’intervention experts<br />
précoces 20 : on consigne si peu d’information dans les dossiers lors des premières étapes<br />
qu’il est difficile de déterminer si tous les élèves ont bénéficié d’un dépistage (précoce) et si<br />
les délais ayant trait aux services sont raisonnables.<br />
Pour la plupart des élèves handicapés (mais donc pas tous 21 ), les écoles déterminent les<br />
besoins réels de soutien. Cependant, pour les élèves en difficulté, un directeur sur trois<br />
rencontrés n’en informe pas sa commission scolaire!<br />
Plusieurs directeurs sont incapables de préciser le nombre d’élèves sans services (en 2002-<br />
2003) ou encore celui des écoliers sans services suffisants.<br />
Ces directeurs et ces commissions scolaires sont donc incapables d’évaluer dans quelle<br />
mesure ils répondent aux besoins des élèves en difficulté et de déterminer si l’insuffisance<br />
des ressources.<br />
Dans la majorité des écoles visitées, les directeurs déclarent qu’ils ne répondent qu’aux<br />
priorités et aux besoins les plus criants.<br />
20 Ce souligné est ma traduction personnelle de cette partie du rapport de la vérificatrice.<br />
21 Même la vérificatrice ne peut soupçonner les jeux du MELS avec les handicaps…<br />
139
Les priorités varient d’une direction à l’autre : écoliers les plus jeunes ou élèves en trouble de<br />
comportement ou aucun service (d’orthopédagogie) avant la troisième année ou retrait du<br />
service la dernière année du primaire.<br />
Compte tenu du manque d’orthophonistes, les élèves avec déficience langagière ne<br />
reçoivent qu’une heure ou moins par semaine d’orthophonie.<br />
Ceux des directeurs qui choisissent de faire donner des services professionnels à tous les<br />
élèves retenus, en réduisent la fréquence et la durée selon la longueur de la liste, si bien que<br />
de nombreux écoliers desservis ne reçoivent qu’un service sporadique.<br />
Plusieurs psychologues et psychoéducateurs en soutien auprès d’élèves en trouble du<br />
comportement manquent de temps et ne font que gérer les crises.<br />
Mon troisième commentaire<br />
Voyez-vous, cette pénurie de service peut être analysée comme apparemment<br />
analogue aux délais de traitement du système de santé. À la différence notable près<br />
que, dans le système de santé, la consignation systématique des données permet de<br />
mesurer précisément les délais et, en conséquence, de se créer des intolérances<br />
éthiques et professionnelles face à des attentes que l’on sait dangereuses, voire<br />
mortelles.<br />
Pour les jeunes en difficultés de vivre, d’apprendre, de s’adapter, le système<br />
scolaire est le plus généreux contributeur à l’hyperphénomène de la mort lente.<br />
Hyperphénomène parce qu’il concerne la partie la plus fragile (et en nombre<br />
croissant) de la jeunesse universelle.<br />
Mort lente parce que la morgue qui concerne cette jeunesse martyrisée va les<br />
accueillir dans le long supplice d’une vie diminuée, amoindrie, handicapée par des<br />
humains adultes forts. L’homme a l’homme déchu.<br />
140
Pour ces jeunes, la vie ne sera pas un long fleuve, mais une longue mort tranquille!<br />
Les constats de la vérificatrice obligent en effet à considérer que le carcan structural<br />
mis en place pour desservir les EHDAA contraint la base à fonctionner dans<br />
l’approximation en la privant des données diagnostiques causales et en la faisant<br />
plancher, sans effectifs suffisants, sur une «réduction confortable» des symptômes, le<br />
confort en question n’étant pas celui de l’élève concerné, mais celui de l’administration.<br />
C’est pourquoi le débat intégration-ségrégation est un débat perpétuel, parce que,<br />
malgré des décennies de pratique qui devraient ou auraient dû permettre de constituer<br />
une banque scientifique de données, le faire-semblant efface toute récupération<br />
possible des actions bien fondées et tout repérage des actions dommageables. Peu<br />
d’universitaires ont étudié ce phénomène.<br />
C’est également pourquoi on poursuit, en milieu scolaire et universitaire, l’artifice du<br />
débat relatif à l’étiquetage catégoriel des jeunes : il est vrai que les traitements qui y<br />
sont consécutifs sont tellement peu garants de soins efficaces réels que l’étiquette<br />
n’apporte pas grand-chose si ce n’est son fardeau.<br />
Pourtant, il est aisé de capter que le vrai problème n’est pas celui de l’étiquetage et<br />
que le fardeau est précisément attribuable au fait que les services de réadaptation et de<br />
rééducation, tels que contingentés dans ce système criminel, au lieu de dissoudre<br />
l’anormalité, la fixent et la figent : notre système scolaire est le plus grand producteur de<br />
handicaps permanents.<br />
141
Il en est ainsi parce que notre société accepte que nos jeunes les plus vulnérables<br />
soient ainsi traités. Parce que notre société, sa gouvernance et les institutions qu’elle<br />
engendre se désistent de leurs responsabilités au moment d’examiner leur rôle premier<br />
dans la production de l’anormalité.<br />
Peut-être nous faut-il considérer que, sous notre vertueux vocabulaire d’égalisation<br />
et d’inclusion, nous sommes, de fait, des adeptes inconditionnels du «au plus fort la<br />
poche!»<br />
Je vous crie ici que, dans notre monde contemporain, pollué, par son économie<br />
avilissante et sa politique avilie, dans son air, dans son habitat, dans son alimentation,<br />
dans son éducation, dans son information, dans sa gouvernance, dans sa spiritualité,<br />
dans sa consommation, dans sa pharmacologie, être béatement normal est anormal.<br />
Qu’il convient donc de faire place à cette anormalité que l’on tait et fuit comme une<br />
tare contagieuse : l’identifier, la dire, la justifier comme une réaction normale à un<br />
environnement malsain, à des conditions de vie d’épouvante, à des blessures et à des<br />
souffrances du corps et de l’esprit explicatives des détresses et des troubles<br />
fonctionnels qui les accompagnent.<br />
C’est en décomptant et en comprenant l’anormalité de cette façon que les concepts<br />
de santé globale et d’intégrité peuvent gagner toute leur amplitude et permettre de<br />
concevoir la nécessaire complémentarité précoce de la promotion, de la prévention et<br />
de l’intervention curative experte.<br />
142
L’anormalité à corriger n’est pas celle des symptômes sélectionnés, elle est celles<br />
des causes exhaustives!<br />
Les symptômes doivent être apaisés, les causes éradiquées! L’économie et sa<br />
gouvernance asservie doivent être bridées!<br />
Le MELS contingente les ressources de telle sorte qu’entre son discours de<br />
dépistage et d’intervention précoces et leur réalisation, s’insère la menace de gruger<br />
les investissements auprès des élèves non HDAA.<br />
Les directions d’établissement scolaire sont placées devant «le choix de Sophie 22 » :<br />
sacrifier des élèves susceptibles de réussir OU sacrifier plusieurs de ceux qui sont les<br />
plus susceptibles d’échouer : devinez leur choix!!!<br />
Je le dénonce encore : les taux de prévalence sont inférieurs aux réalités<br />
scientifiquement documentées, lesquelles quantifient entre 20 et 25 % de la population<br />
des pays industrialisés, la population scolairement vulnérable.<br />
Comme, au Québec, toutes années confondues, on diplôme environ 80 % de nos<br />
effectifs initiaux, il est aisé de déduire qu’au moins 20 % ne peuvent l’être, dans l’actuel<br />
système, à cause de leurs difficultés d’apprentissage ou d’adaptation ou leurs<br />
handicaps.<br />
Je dis au moins, car on peut présumer qu’à côté de tous ceux que l’on ne diplôme<br />
pas, se trouve un petit lot d’EHDAA que l’on diplôme.<br />
C’est donc affirmer que le MELS, de fait le gouvernement du Québec, falsifie<br />
annuellement les effectifs réels, en les sous-estimant d’au moins 8 %) pour contenir les<br />
allocations selon des paramètres historiques délibérément tronqués!<br />
22 Styron William (1979) Le Choix de Sophie (Sophie’s Choice)<br />
143
Il faut s’armer du courage de faire vrai, de l’identification exacte et causale des<br />
besoins à leur nouvelle quantification à la suite du cycle de dépistage et d’intervention.<br />
Tout le reste n’est que «bouillie pour les chats» ou «pétage de bretelles».<br />
Passons à l’examen, par la vérificatrice générale, du traitement catégoriel des<br />
clientèles.<br />
Avant 2000, le ministère exigeait des C.S., une déclaration et le dénombrement de tous les<br />
EHDAA, et, pour les élèves ayant des troubles graves du comportement et ceux présentant<br />
un handicap, cette opération était essentielle afin d’obtenir des ressources supplémentaires,<br />
alors qu’en ce qui a trait aux élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, les<br />
sommes allouées étaient, depuis plusieurs années, déjà indépendantes de cette déclaration.<br />
En 2000, introduisant sa nouvelle politique d’adaptation scolaire, le ministère a modifié son<br />
classement des élèves en difficulté en y incorporant la notion d’«élève à risque», notion qui,<br />
de l’aveu même du MELS, soulève d’énormes problèmes de clarté parce que le ministère y<br />
amalgame les élèves qui faisaient partie des anciennes catégories – difficulté<br />
d’apprentissage, troubles du comportement et déficience intellectuelle légère- et y ajoute les<br />
élèves qui présentent, pour des causes multiples, des difficultés pouvant mener à des<br />
échecs, des retards d’apprentissage ou des troubles émotifs…<br />
Selon la vérificatrice, la réduction des contraintes administratives (invoquée pour justifier la<br />
mise en place de la catégorie «fourre-tout» des élèves à risque) ne s’est pas concrétisée.<br />
Le ministère est donc prié (rappel : rapport 2003-2004 de la vérificatrice) de préciser sa<br />
définition des élèves en difficulté, notamment la notion d’élève à risque.<br />
144
Mon quatrième commentaire<br />
La notion d’élèves à risque n’est pas propre au système scolaire québécois et une<br />
riche et volumineuse étude 23 d’avril 2003 de l’Université de Sherbrooke, commandée et<br />
subventionnée par le MELS, lui a consacré 343 pages de recension d’écrits<br />
conceptuels et d’interventions efficaces.<br />
Au plan notionnel :<br />
On pourrait croire soit à un problème de conceptualisation, soit à un problème de<br />
compréhension, soit à un problème d’appropriation, soit encore à un problème de<br />
lecture ou d’alphabétisation pour qu’après pareil travail de moine (inconnu de la<br />
vérificatrice lors de l’élaboration de son rapport?) règne encore la confusion la plus<br />
totale.<br />
C’est plutôt l’absence volontaire d’opérationnalisation du concept qui explique ce<br />
méli-mélo. L’ensemble des systèmes scolaires (et ils sont nombreux) qui ont adopté ce<br />
modèle se soucient peu pu pas (ou font semblant de se soucier) de la compréhension<br />
univoque du concept. Il leur importe préférablement d’enrayer tout risque d’intervention<br />
clinique spécialisée qui commanderait, pour chaque clarification diagnostique, la<br />
disponibilité d’une ressource experte ou la concertation coûteuse de plusieurs ou<br />
encore une mobilisation transdisciplinaire effective.<br />
Non pas que toutes ces voies fassent peur : ce qui fait peur, c’est de dépenser trop<br />
pour sauver ces jeunes!<br />
23 Schmidt, S., Tessier, O., Drapeau, G., Lachance, J., Kalubi, J-C., Fortin, L. (2003) Recension des écrits sur le concept d’«<br />
élèves à risque » et sur les interventions éducatives efficaces. Vol.1. Université de Sherbrooke<br />
145
Alors, on vante les résultats finlandais auprès des EHDAA, mais on se garde bien<br />
de rendre systémique l’appropriation des moyens.<br />
Ces mêmes systèmes choisissent tous stratégiquement, en lieu et place, le prétexte<br />
fallacieux du «respect-de-l’écolier-par-l’évitement-d’un-étiquetage-nocif» pour<br />
s’autoriser à repousser ad vitam aeternam ou à contingenter les interventions<br />
professionnelles appropriées.<br />
J’estime, hélas, que même la démarche conventionnée provincialement avec la<br />
CSE pour disperser cet épais brouillard ne permettra pas de bonifier le sort des élèves<br />
à risque tant que sera considéré gouvernementalement et économiquement rentable ce<br />
machiavélique concept.<br />
Au plan des interventions :<br />
C’est là que je rejoins entièrement Égide Royer. Je ne crois pas, par contre, qu’il me<br />
rejoigne entièrement…<br />
Au cours de leur formation universitaire initiale, par ailleurs provincialement<br />
largement déficitaire en matière d’adaptation scolaire et sociale, les étudiants en<br />
éducation préscolaire et primaire ou en éducation secondaire sont formés à la<br />
pédagogie différenciée. Elle leur est proposée comme LE remède à l’intégration<br />
désormais aussi nombreuse que coutumière d’écoliers vivant des problématiques<br />
différentes, parfois fort complexes.<br />
Par la suite, les enseignants titulaires du préscolaire et du primaire se font<br />
également charrier le concept pédagogique de différenciation comme une panacée à la<br />
diversité des besoins des élèves de leur groupe.<br />
146
La pensée magique de la pédagogie différenciée anime l’expertise, le discours de<br />
supervision pédagogique et la gestion différée des plans d’intervention de maintes<br />
directions d’écoles.<br />
Elle enrichit de sa «probante efficacité» l’accompagnement de la plupart des<br />
conseillers pédagogiques et se retrouve, par transposition, dans l’expertise<br />
professionnelle (sans diagnostic formel préalable) de plusieurs psychologues et<br />
psychoéducateurs scolaires.<br />
Abracadabra!<br />
Bon, c’est vrai que je griffe fort la différenciation de l’enseignement et que je dois<br />
corriger mon tir pour spécifier qu’il est vrai qu’elle a, maintenant comme toujours (sous<br />
un vocabulaire différent tel celui de l’individualisation) sa place.<br />
Le problème, c’est d’en faire une panacée et aussi de prétendre que cette<br />
«médication» est aisément gérable : sans support professionnel direct éclairé, sans<br />
formation beaucoup plus pointue, intense et outillée, sans conditions décentes<br />
d’opération et de soutien, le remède est totalement inefficace. Je dirais même qu’il<br />
risque d’empirer la situation en masquant temporairement, sous des ajustements<br />
cosmétiques, la détérioration du vécu scolaire tant des jeunes immédiatement<br />
concernés que de leurs pairs sans risque. C’est ce qu’affichent les études actuelles sur<br />
la situation dégradée des EHDAA.<br />
Coup d’œil de vérification, à présent, sur la formation des enseignants<br />
Plusieurs enseignants (des classes dites régulières) rencontrent diverses difficultés pour<br />
répondre aux besoins des EHDAA de leur classe : parmi celles-là, le manque de formation<br />
continue (en adaptation scolaire) limite près de 40% d’entre eux dans leurs interventions.<br />
147
En 2002-2003, seulement 1 enseignant sur 4 a suivi 20 heures ou plus de formation<br />
continue en adaptation scolaire. 1 sur 6 en a eu moins de 7 heures et presque 1 sur 3 en a<br />
eu zéro.<br />
Même si le ministère donne libre accès à de nombreux documents relatant des approches,<br />
des projets, des recherches, même si le web est riche d’une foule de précieuses références,<br />
près de 7 enseignants sur 10 n’utilisent aucun de ces outils d’autodidaxie.<br />
En principe, l’enseignant doit prendre des mesures dès qu’un enfant rencontre un problème<br />
important et en informer les parents. Pourtant, un tiers des enseignants questionnés ne font<br />
pas de récupération et n’offrent donc pas de soutien particulier aux élèves ayant des<br />
difficultés ou un retard pédagogique.<br />
22 p. cent des enseignants ont reconnu qu’ils n’adaptent pas leur enseignement. «Adapter<br />
l’enseignement» se traduit par l’emploi de moyens pédagogiques et didactiques diversifiés<br />
pour répondre aux besoins différents des élèves.<br />
Mon cinquième commentaire<br />
Tout d’abord, poser l’exigence de l’adaptation et de la formation continue n’outille<br />
pas les enseignants et ne confère pas les conditions pour la rencontrer. L’offre de<br />
formation est insuffisante et, généralement fixée durant les 20 journées de planification<br />
annuelles où elle gruge un précieux temps de préparation de classe et de suivi<br />
autonomes.<br />
En outre, la vérification passe sous silence que les problèmes rencontrés ne<br />
touchent pas que la récupération (rencontre des élèves en difficulté ou retard<br />
d’apprentissage) : les troubles spécifiques d’apprentissage (TSA : dyslexie, dysgraphie,<br />
dysorthographie, dyscalculie, dyspraxies, dysphasies, etc.) exigent à eux seuls une<br />
approche spécifique longitudinale à laquelle leur formation n’a pas préparé<br />
148
suffisamment les enseignants et pour laquelle le temps disponible de récupération,<br />
même lorsqu’elle est actée systématiquement, s’avère insuffisant.<br />
L’épuisement professionnel est-il lui aussi envisagé? Cet épuisement qui atteint de<br />
plein fouet la personne enseignante devenue à la fois psychoéducateur, travailleur<br />
social, psychologue, orthopédagogue, orthophoniste, technicien en informatique, aide<br />
soignant…et gestionnaire de la différenciation et de la pensée magique qui pilote le<br />
système.<br />
Cet épuisement des enseignants est également celui de professionnels soumis<br />
au droit de gérance d’une direction, pas toujours compétente, qui s’immisce dans leurs<br />
interventions non par expertise, mais par souci hiérarchique de répondre et<br />
correspondre fidèlement aux contingences imposées, fussent-elles fautives envers les<br />
écoliers.<br />
Cet épuisement provoque, à l’entrée dans la profession, un décrochage de plus de<br />
20% chez les jeunes recrues!<br />
7. Mauvaise gestion extrême des plans d’intervention<br />
Je réfère encore au rapport 2003-2004 de la vérificatrice générale du Québec…<br />
La Loi sur l’instruction publique commande l’élaboration d’un plan d’intervention pour chaque<br />
élève en difficulté.<br />
Toutefois, le système scolaire dissout lui-même sa loi-cadre en acceptant que sa politique de<br />
l’adaptation scolaire ne demande pas un tel plan pour tous les élèves à risque.<br />
Ajout de ma part : le législateur dissout aussi la L.I.P. en permettant que les<br />
contingences administratives autorisent les C.S. à ne pas fournir un service<br />
149
«impossible à organiser», faute de ressources financières ou humaines suffisantes<br />
ou faute d’une concentration suffisante des besoins.<br />
Les commissions scolaires ne s’assurent pas que ces modalités d’élaboration et d’évaluation<br />
des plans d’intervention pourtant prévues dans leur politique d’organisation des services<br />
éducatifs aux élèves en difficulté sont respectées et elles effectuent peu de contrôles de<br />
qualité.<br />
Mon sixième commentaire<br />
En 2002, préchauffé par les travaux de vérification, le MEQ, après 14 ans de leur<br />
mise en place obligatoire légiférée, a amorcé un contrôle sur l’existence effective des<br />
plans d’intervention : il était temps (sans commentaires)…<br />
Dans un mouvement de «rétroaction proactive», propre au système scolaire et<br />
défiant toutes les lois connues de la physique, ma commission scolaire a effectué le<br />
relevé des plans d’intervention actifs dans ses écoles primaires et secondaires.<br />
Le bilan vaut la peine d’être examiné.<br />
Les écoles secondaires affichent un taux de P.I. qui touche entre 13,4 et 26,6 % de<br />
leur clientèle réciproque, pour une moyenne de commission de 17,5% de clientèle<br />
desservie au secondaire en plan d’intervention. L’émotion m’étreint.<br />
En voici le tableau.<br />
150
Je pourrais épiloguer sur les écarts à moyenne, mais je préfère laisser aller mes<br />
larmes : dès 2002, ma commission scolaire et ses écoles secondaires faisaient leur<br />
devoir et géraient, en fonction des taux de prévalence, un nombre relativement<br />
raisonnable de P.I.!<br />
Examinons à présent la situation au primaire de la même commission scolaire.<br />
Comme on l’aura noté, son territoire est divisé en 4 quartiers.<br />
Voici le portrait du premier.<br />
Oups, on passe de 17,5% à 8,1% de P.I. Et encore dois-je préciser que l’école B<br />
que je dirigeais «fausse» les données avec 18,9%. Sans elle, le quartier en élabore<br />
5,9%...<br />
Portrait du second quartier.<br />
6,1% de P.I. en moyenne dans le quartier 2!<br />
151
Sans doute, l’explication se trouve-t-elle dans le fait que les quartiers 1 et 2<br />
accueillent la population la plus favorisée de la «Région-de-Sherbrooke»? Alors,<br />
pourquoi 15,2% de P.I. réalisés pour les écoliers du secondaire des mêmes quartiers?<br />
Cela témoigne-t-il d’une détérioration de la situation des élèves au secondaire et, si cela<br />
s’avère exact, pourquoi ne fait-on pas plus de prévention au primaire…en favorisant<br />
l’élaboration précoce des P.I.!<br />
Passons au troisième quartier.<br />
Situé en zone scolaire socioéconomiquement hétérogène, juxtaposant une clientèle<br />
moyennement aisée à une couche défavorisée de la population, le quartier 3 devrait<br />
afficher un taux plus élevé de P.I., car de nombreuses études ont établi une corrélation<br />
certaine entre la défavorisation et les facteurs de risque à la déscolarisation.<br />
Le quartier 4 est composé d’une clientèle plus homogène majoritairement<br />
défavorisée. Voyons, pour ses écoliers du primaire, ce que réalisent préventivement<br />
ses écoles.<br />
Il y a le signe notable de la tenue bonifiée de P.I. dans 3 écoles avec des taux<br />
oscillant de 16,8% à 27.3%.<br />
152
Peut-être convient-il de spécifier que l’école QV et l’école L sont des points de<br />
services pour l’accueil au primaire, la prématernelle, la déficience intellectuelle légère et<br />
moyenne et les écoliers en troubles de comportement.<br />
Cela illustre d’ailleurs éloquemment ce qu’un Jean Gélinas (souvenez-vous, le DPJ)<br />
désignait sous le vocabulaire de négligence municipale et scolaire : la ghettoïsation<br />
sherbrookoise des populations les plus vulnérables.<br />
Je ne nierai pas qu’un effort a été entrepris pour disperser les points de services<br />
d’accueil nés du flot de l’immigration. Je reconnais aussi qu’un tel effort a été fourni<br />
pour distribuer les points de service spécialisés ou ressources dans chacun des<br />
quartiers, avec, pour objectif, de les rapprocher des populations cibles.<br />
Toutefois, rien ne viendra expliquer pourquoi la C.S. a historiquement localisé ses<br />
classes spécialisées du primaire en déficience intellectuelle dans une école et un<br />
quartier d’où ne proviennent (ou ne provenaient) pas la majorité des écoliers concernés.<br />
Je dénoncerai de même la planification essentiellement mercantile de l’urbanisation<br />
de la métropole estrienne et pointerai la responsabilité des élus municipaux. Il est passé<br />
et il passe beaucoup d’argent en investissements structuraux dans l’étalement urbain<br />
153
qui, soit dit en passant, fait quelque peu mousser le prix des terrains des nouvelles<br />
zones commerciales ou industrielles. Disons que plusieurs Sherbrookois ou amis de<br />
grands Sherbrookois s’enrichissent dans l’immobilier…<br />
Je sais, je sais, je m’éloigne des plans d’intervention. J’y reviens donc avec le bilan<br />
2002 de la commission scolaire.<br />
Cette commission scolaire œuvrait des plans d’intervention pour 11,3% de ses<br />
écoliers du secteur des jeunes, soit 17,5% pour ses écoliers du secondaire et 8,1%<br />
pour ceux du primaire.<br />
Soit l’’inverse de la prévention, soit la notification de la détérioration<br />
situationnelle au secondaire!<br />
De fait, c’était (et c’est) bel et bien l’inverse de la prévention, mais pas la preuve de<br />
la détérioration de la situation des élèves au secondaire, quoi que puisse en dire mon<br />
ami Laurier Fortin, titulaire émérite de la chaire pour la réussite et sur la prévention du<br />
décrochage.<br />
Le motif qui, à la CS de Sherbrooke, a conduit à ce décalage ahurissant et<br />
contreproductif est d’abord et avant tout budgétaire.<br />
Disons qu’en cette matière, la distribution des allocations est comme la Tour de<br />
Pise : elle a une nette tendance à pencher d’un bord et ce bord est le secondaire.<br />
Mes collègues à la direction des polyvalentes avaient compris depuis belle lurette<br />
que la déclaration des effectifs des EHDAA influe sur plusieurs variables des<br />
154<br />
+
allocations et qu’en les déclarant plus généreusement, ils bonifiaient la situation<br />
financière de leurs écoles.<br />
Alertes, ils savaient aussi depuis longtemps que la déclaration devait préférablement<br />
s’accompagner d’un P.I., fût-il un simple document administratif…<br />
De leur côté, les gestionnaires scolaires de la haute voltige, à Sherbrooke comme<br />
ailleurs, ont traditionnellement favorisé ce drainage budgétaire parce que le secondaire<br />
crie plus fort, parce que les ados brassent, verbalisent et réclament davantage.<br />
(À Sherbrooke), par ce stratagème (connu et soutenu), en doublant leur déclaration<br />
par rapport au primaire, les directions du secondaire, avec moitié moins d’effectifs, ont<br />
doublé leurs allocations.<br />
Que ces gestionnaires aient utilisé à l’avantage de leurs institutions une telle<br />
modalité, modalité dûment identifiée lors des tables de concertation budgétaire issues<br />
de la fusion des commissions régionales et locales, cela démontre simplement que la<br />
démarche d’intervention précoce inscrite au cœur du plan est honnie et bafouée. Pas<br />
plus, pas moins. Aucune réflexion de ces directions, aucune réflexion de leurs patrons,<br />
aucune réflexion du ministère sur le fait que notre négligence à l’égard de la prévention<br />
entraîne un plus grand lot d’écoliers vers le gouffre.<br />
Eh oui, Laurier, si, jeune enfant, l’on a souffert longtemps sans être écouté, entendu<br />
et desservi, maudit que l’on va le faire savoir fort rendu ado!<br />
Si, petit, l’on a savouré les savantes manipulations du conditionnement opérant au<br />
lieu de bénéficier d’une approche écosystémique, Dieu que l’on va diversifier et<br />
amplifier les témoignages intempestifs de sa souffrance et de sa colère…<br />
155
Si, brillant ado, l’on a goûté aux fausses représentations de l’ordre établi et subi la<br />
castration de l’idéologie dominante qu’il orchestre, peut-être va-t-on inventer une autre<br />
idéologie, une délinquance, une violence qui ne fait pas semblant, une violence qui bat,<br />
qui frappe, qui blesse, qui tue, vite et sans faux-semblants. Une violence qui se sacre<br />
de ses victimes, les pas-musclés, les faibles du biceps, et se venge, à coups de<br />
fusillades, des hosties de bollés.<br />
Peut-être que, ado trahi, l’on va poser tous ces gestes pour transmettre aux adultes<br />
que l’on ne croit pas, que l’on ne croit plus, à leur cohérence.<br />
Peut-être que, ado désespéré, l’on va, sciemment au début, développer<br />
d’irrémédiables pathologies suicidaires pour tuer le reste d’humain en soi comme on<br />
désire, en quelque sorte, l’estropier ou l’anéantir dans tous ses loisirs extrêmes.<br />
Est-ce donc tellement trop demander que de ne pas opposer la promotion, la<br />
prévention et le curatif? De ne pas court-circuiter l’intervention clinique individuelle<br />
experte par les thérapies groupales? Et, chercheur, de ne pas s’arracher, dans des<br />
débats stériles, les origines de la violence comme si la recherche et ses sacralisations<br />
prévalaient sur les «clients», agressés et agresseurs, et leurs souffrances?<br />
Est-ce donc tellement trop demander que de gérer les plans d’intervention et de<br />
services individualisés et intersectoriels avec le professionnalisme attendu dans la<br />
gestion de nos dossiers de santé? Était-ce trop demander?<br />
Retournons aux constats de la vérificatrice générale : ils peuvent encore, hélas, nous<br />
en apprendre…<br />
Dès qu’un enseignant ne peut satisfaire seul les besoins d’un élève, il en informe la direction :<br />
seulement 1/3 directeur demande à l’enseignant de tenir un rapport de consignation de ses<br />
156
observations sur les difficultés de l’élève, des actions accomplies et des communications<br />
avec les parents.<br />
De plus, malgré l’existence de ces rapports dans un tiers des cas, plusieurs directions d’école<br />
se font un devoir de limiter les évaluations et les services aux contingentements commandés<br />
par leur C.S.<br />
La consignation déficitaire de l’information dans les dossiers d’aide rend difficile le repérage<br />
de ceux des élèves qui ont ou n’ont pas bénéficié d’un tel dépistage et on ignore si les<br />
délais de mise en place des services sont raisonnables.<br />
L’actualisation du plan d’intervention sur le terrain varie autant que le début de son<br />
élaboration ou que la précision de son contenu.<br />
Alors que la prévention, comme le mentionne le MELS, dans sa politique de l’adaptation<br />
scolaire et comme il demande aux C.S. de la réaliser dans leurs écoles, constitue la<br />
première voie d’action pour obtenir des résultats durables, les écoles suivent effectivement<br />
rarement le processus de dépistage précoce et d’intervention rapide.<br />
Mon septième commentaire<br />
Le MELS contingente les ressources de telle sorte que sa demande ne peut être<br />
réalisée sans menacer les investissements auprès des élèves non HDAA.<br />
De plus, le MELS contingente les déclarations d’effectifs HDAA<br />
De leur côté, les C.S sont, comme leurs chefs d’établissements, placées devant le<br />
«choix de Sophie» : sacrifier des élèves susceptibles de réussir ou sacrifier plusieurs<br />
de ceux qui sont les plus susceptibles d’échouer : devinez à nouveau leur choix!!!<br />
Les parents sont des partenaires obligatoires du P.I., mais un parent sur quatre (et plus)<br />
n’assiste pas à l’élaboration du plan d’intervention de son enfant.<br />
La participation parentale et celle de l’élève apte aux décisions ne sont pas toujours<br />
sollicitées : plans préparés par le personnel et présentés «tout cuits» aux parents ; invitations<br />
157
des parents et de l’élève oubliées lors de l’établissement du plan! Dès qu’il en est capable<br />
(ce critère aléatoire étant à la discrétion des directions), l’élève doit en effet jouer un rôle<br />
dans les décisions de son P.I. Seulement 1 élève sur 4 est présent à cette occasion!<br />
30 p. cent des plans d’intervention analysés ne synthétisent pas les renseignements fournis,<br />
ce qui empêche de cerner rapidement la situation de l’écolier : forces, difficultés, besoins,<br />
évaluations, diagnostics, cheminement scolaire, services reçus antérieurement.<br />
64 % des plans ne contiennent pas d’évaluation des objectifs atteints ou d’examen de la<br />
pertinence des moyens choisis. Additionné au fort roulement du personnel dans les écoles,<br />
cela rompt la continuité des services d’une année à l’autre et se traduit par la répétition<br />
d’actions contraires.<br />
(Dans l’illustration du faire-semblant :) le plan d’intervention et le dossier d’aide particulière<br />
n’identifient pas toujours les services dont l’élève a besoin. La fréquence et la durée du<br />
service des professionnels ou des techniciens assignés ainsi que les détails formels de leur<br />
intervention sont rarement indiqués.<br />
Quand l’intervention a lieu, les détails de sa réalisation ne sont pas toujours notés, tant et si<br />
bien que le continuum du suivi de maints élèves est rompu régulièrement.<br />
Un plan d’intervention sur 5 n’est l’objet d’aucune évaluation périodique ou annuelle, ne<br />
contrôle ni la pertinence ni l’atteinte des objectifs, ni l’efficacité des moyens choisis.<br />
L’annotation « à poursuivre » tient alors lieu de bilan.<br />
D’autre part, même existantes, les évaluations renseignent rarement sur les services<br />
effectivement dispensés à l’élève.<br />
Camouflage plus laxisme pour mieux ne rien faire, encore et encore…<br />
Un directeur a révélé que les besoins auxquels les ressources dont il dispose ne peuvent<br />
répondre ne sont tout simplement pas mentionnés dans les plans…<br />
158
Ajout personnel : dans une certaine C.S., en 2003-2004, lors d’un CCG,<br />
l’éminemment éthique 24 coordonnateur aux services éducatifs, devenu 25 depuis lors<br />
directeur adjoint des services éducatifs, secondé par le non moins éminemment<br />
éthique 23bis directeur général adjoint aux affaires éducatives, a présenté sa<br />
conception d’un P.I. «raisonnable». «Un P.I. «raisonnable» ne stipule pas un<br />
diagnostic même officiellement établi et connu, tel, par exemple, celui d’une<br />
dysphasie pragmatique-sémantique; il mentionne «un problème de langage ou de<br />
communication». Un P.I. «raisonnable» ne stipule pas le service professionnel<br />
préconisé (ex. l’orthophonie) : il recommande «un soutien en communication»!<br />
On m’a dit qu’un directeur chevronné avait protesté contre ce honteux camouflage<br />
institutionnel. On m’a dit que seul le silence mortellement craintif de ses collègues a<br />
accompagné son intervention, même si d’aucuns ont applaudi son intervention lors<br />
de…la pause café!<br />
On m’a dit que le directeur général de cette C.S. est intervenu pour le rabrouer et lui<br />
dire qu’«un gestionnaire consciencieux et respectueux de la déontologie, sachant la<br />
pénurie de ressources, sait qu’il doit formuler les caractéristiques de l’élève et les<br />
recommandations de service pour ne pas engager sa CS.»<br />
Cette CS, comme bien d’autres, mène actuellement une lutte épique contre le<br />
décrochage et pour la réussite…Sans commentaire!<br />
En conséquence de tous ces ratés, (telle qu’elle a déjà été dénoncée) l’orientation de<br />
plusieurs élèves en classe spéciale ou leur maintien en classe ordinaire n’ont pas pour<br />
fondement l’analyse de leurs besoins scolaires effectifs : ni mesure des avantages pour<br />
24 Je ne plaisante pas : l’éthique dont il est ici question est l’éthique appliquée (à se soumettre au faux-semblant, à le tenir pour<br />
vrai et à le promouvoir.)<br />
25 Je ne veux surtout pas nier la compétence de ce personnage, mais simplement illustrer que la capacité à s’adapter aux<br />
contingences organisationnelles, fussent-elles contraires au bien des élèves, est érigée en règle de droit.<br />
159
l’élève, ni évaluation de la nuisance de son comportement pour ses pairs, ni même rapport<br />
de contraintes excessives par la commission scolaire. Encore moins d’identification des<br />
conditions de réintégration en CO.<br />
Pour l’écolier qui demeure en classe ordinaire, aucune mention des services adaptés<br />
nécessaires pour l’y maintenir.<br />
La vérificatrice générale établit que le taux plus élevé d’intégration d’EHDAA des<br />
commissions scolaires en dehors des grands centres urbains est surtout d’ordre logistique :<br />
petit nombre d’élèves regroupables, dispersion géographique ou durée du transport sont les<br />
variables majeures.<br />
Dans leurs propres redditions lors de la vérification, les commissions scolaires ONT<br />
AVOUÉ ignorer si leurs écoles satisfont les besoins des élèves en difficulté! Elles ont avoué<br />
ignorer combien d’élèves reconnus en besoin n’ont pas reçu les services requis! Elles ont<br />
avoué ne pouvoir évaluer si les ressources allouées sont suffisantes ou non !<br />
Mon huitième commentaire<br />
Règles du jeu de massacre<br />
1-Faute avouée, faute à moitié pardonnée : il ne reste plus que 50% des crimes…<br />
2-Pas de corps, pas de crimes : le contingentement fait disparaître au moins 7 élèves<br />
sur 20 en besoin : il ne reste que 33,5% des crimes…<br />
3- Le camouflage fait disparaître la moitié des services requis : il ne reste que 16,75%<br />
des crimes.<br />
4-Félicitations, à ce taux-là, on ne parle plus de crimes, mais de dommages collatéraux!<br />
5-Offrez une prime de rendement aux hors cadres.<br />
6-Ne vous arrêtez pas en prison.<br />
160
Je me dois expressément et je vous dois de vous entretenir à présent d’une étude<br />
colossale, publiée en 2008, et intitulée RAPPORT D’ÉVALUATION DE L’APPLICATION DE LA<br />
POLITIQUE DE L’ADAPTATION SCOLAIRE.<br />
Cette évaluation réalisée (par une équipe de recherche de la Faculté des Sciences<br />
de l’Éducation de l’Université du Québec à Montréal) dans le cadre d'un mandat confié<br />
par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport comporte 658 pages de données<br />
précieuses obtenues de méthodologies quantitatives (statistiques comparées sur les<br />
EHDAA, leurs catégorisations, leur intégration, les budgets et ressources consacrés,<br />
etc.) et qualitatives (appréciation par enquêtes et observations (très détaillées, mais fort<br />
réduites) de la qualité des adaptations et interventions réalisées, des services<br />
dispensés, des suivis, contrôles et évaluations et, bien sûr, de la saine gestion des P.I.,<br />
etc.).<br />
Au plan de la recherche qualitative, il faut souligner l’effort entrepris pour paramétrer<br />
l’évaluation de la satisfaction des EHDAA, parents, enseignants, professionnels,<br />
personnels de direction et…chercheurs au regard de l’application de la politique de<br />
l’adaptation scolaire et de ses retombées et pour poser un diagnostic sur les<br />
ressources et pratiques éducatives et sur les résultats «pour les élèves et pour le<br />
système».<br />
Toutefois, malgré les 15 instruments ou séries d’instruments qui ont servi à recueillir la<br />
plupart des données nécessaires, les sources complémentaires de données (CS et<br />
MELS) et les 1675 personnes qui ont contribué à l’enquête, je suis resté sur ma faim.<br />
J’ai cru assister de visu à la mise au monde d’une souris par un éléphant.<br />
Voici en effet le jugement d’ensemble porté par l’équipe de recherche relativement à<br />
l’application de la politique de l’adaptation scolaire.<br />
161
«Les concordances et les discordances identifiées pour les ressources<br />
éducatives, les pratiques éducatives et les résultats pour les élèves et le système<br />
ont inspiré un jugement global sur la convergence entre l’énoncé de Politique et<br />
son application, tel que le voulait l’objectif de l’évaluation.<br />
Ce jugement est le suivant :<br />
la Politique et son application convergent plus qu’elles ne divergent et<br />
cette convergence est modérée.<br />
Les recommandations qui s’ensuivent portent sur les TIC, le perfectionnement en<br />
adaptation scolaire, les méthodes pédagogiques, le plan d’intervention, la<br />
consultation du comité consultatif sur les services offerts aux EHDAA, le conseil<br />
d’établissement, l’évaluation des services, le temps consacré aux tâches autres<br />
que l’enseignement et la réussite des élèves.»<br />
Je ne sais si l’équipe de recherche a déjà été soumise, en tout ou en partie, à<br />
l’imputabilité (que m’apparaît cerner mieux le rapport 2003-2004 de la vérificatrice<br />
générale), imputabilité qui impose des responsabilités quant aux résultats<br />
impérativement complémentaires produits au profit des EHDAA :<br />
o Meilleur appréhension des<br />
différences;<br />
o Meilleur concept de soi;<br />
o Meilleure intégration scolaire;<br />
o Diminution du décrochage;<br />
o Plus haut taux de réussite;<br />
o Plus haut taux de diplomation;<br />
o Plus haut taux de qualification et<br />
d’insertion professionnelle;<br />
162<br />
o Plus haut taux d’obtention d’un<br />
travail garantissant la dignité<br />
humaine;<br />
o Plus haut taux d’insertion sociale;<br />
o Plus haut taux de participation<br />
sociale;<br />
o Meilleure santé;<br />
o Meilleure espérance de vie;<br />
o Plus haut taux d’appréciation du<br />
bonheur de vivre;<br />
Or, sur la réussite des élèves concernés, un maigrichon paragraphe à tire de «non-<br />
recommandation»! :<br />
«La réussite des élèves sur le plan de l’instruction et de la qualification ne se<br />
prête pas à des recommandations en tant que telles, si ce n’est que<br />
d’appliquer les moyens la favorisant en se basant sur l’expérience et sur la<br />
recherche et en tenant compte d’une foule de facteurs.<br />
Quant à la réussite sur le plan de la socialisation, telle que définie<br />
précédemment, elle désigne surtout l’intégration des EHDAA à l’école et à la<br />
classe ordinaires.»<br />
C’est pourquoi, au moment de choisir mes références, je n’ai pas choisi d’élaborer<br />
sur cette publication souriquoise!
8. Ignorance des plans de services, des plans de transition<br />
J’ai précédemment salué la publication par le MELS du Plan de services<br />
individualisé et intersectoriel. Maintenant qu’existe enfin en milieu scolaire cette<br />
précieuse instrumentation, référons-y!<br />
Quand un PSII est-il requis? Laissons la parole aux révélations expertes 26 (et si<br />
nouvellement découvertes…)<br />
«Le PSII est requis dans les situations suivantes, quel que soit le lieu de scolarisation du jeune :<br />
• les situations complexes qui dépassent le mandat d’un seul établissement et qui nécessitent<br />
la mobilisation de plusieurs acteurs des deux réseaux ;<br />
• les situations qui nécessitent une harmonisation pour la mise en place d’interventions<br />
particulières, de ressources spécialisées ou de plusieurs adaptations, de la part des deux<br />
réseaux ;<br />
• les situations qui exigent des prises de décision qui auront une incidence dans les différentes<br />
sphères de développement du jeune ;<br />
• les situations où une concertation est requise pour préparer l’entrée à l’école, pour planifier la<br />
transition de l’école primaire à l’école secondaire, de l’école à la vie active, de l’école au<br />
centre de réadaptation ;<br />
• les situations où une concertation est requise pour prévenir une détérioration de la situation<br />
du jeune.»<br />
Je ne vous dirai pas le nombre de fois où, depuis 1997, encore placé à la direction<br />
d’écoles dispensant des services spécialisés, je me suis fait rabrouer par mes patrons<br />
26 MELS, 2006. Plan de services individualisé et intersectoriel, p.8. Un renvoi spécifie, par ailleurs, que<br />
ces motifs sont également mentionnés dans le cadre de référence pour l’établissement des plans<br />
d’intervention. On se demande pourquoi, dès lors, on n’a pas insisté, dans ce document antérieur, sur<br />
l’impératif de la tenue des PSII.<br />
163
pour avoir osé prendre les moyens pour qu’existent des PSII pour des jeunes qui<br />
répondaient, depuis des lustres, à ces critères et au devoir d’interpeler, pour eux, les<br />
institutions répondantes du réseau des 4S :<br />
«Tu fais trop de P.I., tu dépenses trop pour les réaliser, tu déranges nos partenaires,<br />
tu manques de sens politique, de tact, de diplomatie, de mesure…» Alouette!<br />
Même pour les élèves de l’école à vocation régionale que j’ai dirigée, cela a été<br />
considéré initialement comme une hérésie.<br />
Mais, comme j’avais déboulonné le couvercle, amplement dénoncé les<br />
conséquences désastreuses et rendu impossible le camouflage concerté, un «effort»<br />
consécutif a été fait.<br />
Troublant effort d’ailleurs que celui, non pas d’œuvrer les quelque 150 plans de<br />
services requis, mais de choisir 20 cas illustrant le mieux les réalités diverses de cette<br />
clientèle polyhandicapée et de les documenter, à la vitesse de l’éclair (les participants<br />
ayant des emplois du temps chargés et d’autres chats à fouetter), avec les partenaires<br />
de l’autre réseau, pour en identifier les services et les lacunes et…<br />
Et déterminer la pertinence d’œuvrer des plans de services…<br />
Il apparaît tellement évident que l’Agence de santé et de services sociaux qui pilotait<br />
ses représentants dans cette tentative de PSII et la commission scolaire, ayant, toutes<br />
deux et de connivence, préalablement disposé des conclusions de l’expérience,<br />
projetaient aux gens de la santé et des services sociaux l’image de sa lourdeur et de<br />
son inutile surcroît de travail.<br />
164
Or, quelles étaient les «préconclusions» de l’expérience? Toutes celles que<br />
pouvaient autoriser un partenariat sans dérangement aucun des rites institutionnels, ni<br />
investissement majoré, ni contrainte, ni, ni, ni, ni…<br />
C’est vous dire l’engouement suscité : près d’un mois entre chaque rencontre pour<br />
faire coïncider les agendas…<br />
Ce dernier exemple ne remonte pas à Mathusalem : il date des années scolaires<br />
2003-2004 et 2004-2005.<br />
Où en est-on en 2008? J’entends dire d’intervenants de ce milieu que l’élan a été de<br />
très courte durée et que rares sont les PSII maintenus au moment de cet écrit.<br />
Voyons donc à présent qui le rapport du MELS de 2006 désigne en milieu scolaire<br />
pour coordonner les PSII :<br />
«Chaque direction d’établissement du réseau de la santé et des services sociaux<br />
désigne un gestionnaire imputable de la réalisation des PSII. Ce gestionnaire désigne,<br />
à son tour, un ou des répondants, responsables de s’assurer de la participation de son<br />
établissement au PSII.<br />
Dans le réseau de l’éducation, la Loi sur l’instruction publique prévoit déjà que le<br />
directeur d’école assume la responsabilité de l’élaboration des PI.<br />
Le directeur d’école est le gestionnaire désigné en milieu scolaire pour les PSII.<br />
Pour s’assurer de la réalisation des PSII dans son établissement, le gestionnaire<br />
imputable voit à ce que son établissement mette en place les conditions de réussite<br />
requises. 27 »<br />
27 MELS, 2006. Plan de services individualisé et intersectoriel, p.12.<br />
165
Il faut croire que mes patrons de l’époque n’avaient pas un sens très développé de<br />
l’anticipation… Sans doute faut-il davantage comprendre que, si l’on massacre déjà<br />
allègrement la tenue systématique et professionnelle des P.I. pour éviter les risques de<br />
devoir répondre à des besoins dévoilés, il y a fort à craindre que l’on n’ait pas beaucoup<br />
d’ardeur pour autoriser la coordination de PSII qui vont, à coup sûr, brasser plus de<br />
poussière et commander plus de ressources.<br />
On n’aime pas beaucoup soulever la poussière en milieu scolaire : cela laisse<br />
l’illusion de la propreté.<br />
On n’aime pas non plus recevoir des commandes de ressources supplémentaires<br />
quand on fait semblant à cœur de jour que, Ô miracle sans nom, les besoins autorisés<br />
correspondent exactement aux ressources contingentées…<br />
Personne n’oserait le terme trop clément d’«hypocrite» pour désigner pareille<br />
confrérie de la langue brune!<br />
Malgré l’origine historique et l’amplitude croissante des besoins de PSII, malgré la<br />
publication de l’entente de complémentarité MELS/ MSSSS, le milieu scolaire n’a qu’un<br />
balbutiement timide d’expérience dans ce domaine. Les motifs sont nombreux :<br />
1. la nécessité d’opérer des PI, comme des PSII, n’a d’abord pas été envisagée;<br />
2. n’ayant pas été envisagée, cette nécessité n’a été ni étudiée, ni quantifiée : elle n’a<br />
pas fait l’objet d’une description de tâche prévoyant sa préparation, sa tenue, ses<br />
suivis, ses contrôles, ses rapports, ses évaluations, ses conditions de réalisation;<br />
3. elle n’a été, sous chacun des aspects précédents, ni programmée, ni incorporée<br />
comme fonction propre à la tâche de l’enseignant;<br />
4. elle s’est trouvée ajoutée à une assiette-horaire déjà pleine jusqu’à déborder;<br />
166
5. n’ayant été ni étudiée ni quantifiée, elle n’est pas assortie de paramètres<br />
générateurs de ressources temporelles, humaines, matérielles et financières;<br />
6. pas non plus assortie de conditions opérationnelles permettant, entre autres, de<br />
dégager des plages horaires et de coordonner des agendas, elle ne prévoit pas<br />
comment les parents, participants obligatoires au PI ou au PSII, se libèrent pour<br />
participer, ni comment ils négocient une libération auprès de leur employeur, ni les<br />
obligations de libération faites, à cet égard, aux employeurs;<br />
7. le fait qu’elle n’a pas été incorporée aux opérations courantes explique qu’elle est<br />
rarement planifiée et que, le plus souvent, elle s’improvise, malgré son<br />
instrumentation écrite;<br />
8. parlant de l’instrumentation écrite, pour surseoir aux obligations morales plus<br />
contraignantes du cadre d’élaboration des PI de 1992 (dont la congruence a donc<br />
été vérifiée par le MELS en 2002 -10 ans plus tard!- et par la vérificatrice générale<br />
en 2003-2004) , le MELS a savamment concocté un cadre renouvelé (2004) qui<br />
permet de retarder, éventuellement jusqu’aux calendes grecques, les requêtes<br />
d’évaluation et les interventions expertes, résolvant ainsi partiellement les<br />
contraintes de ressources qu’imposerait une démarche précoce et préventive<br />
systématique : abracadabra!<br />
Bien sûr, le plan de transition commande l’arrimage des institutions qui, dans leur<br />
environnement réciproque, dispensent, à une clientèle de mission commune ou<br />
complémentaire, des services théoriquement consécutifs. Or le plan de transition est<br />
une pièce constitutive du PSII.<br />
167
9. C’est dire que l’inexistence des PSII a occasionné l’inexistence des plans de<br />
transition ou leur in extremis élaboration;<br />
10. c’est aussi dire et dénoncer l’absence de prévision et de quantification des besoins<br />
liés aux transitions : infrastructure, ressources, financement;<br />
11. même relativement simples et peu coûteuses, sans être gratuites, à réaliser, à<br />
condition de bonne volonté, certaines transitions demeurent aléatoires : c’est le cas<br />
du passage du primaire au secondaire, qui s’opère pourtant en système unique;<br />
12. complexes et intersystémiques, les transitions sont souvent incomplètes par<br />
manque de temps, d’argent, de places…<br />
13. Lorsqu’elle laisse, sur liste d’attente et sans stimulation, un jeune dont la<br />
construction et la rétention des savoirs ont requis et requièrent, sous peine<br />
d’irréversible régression, un absolu continuum, il y a atteinte et compromission du<br />
développement : il y a crime!<br />
9. Refus d’expertises<br />
Il me faut ici vous présenter quelques exemples de la course à obstacles qu’impose<br />
notre système éducatif pour contrer l’incorporation des regards experts.<br />
Je vais le faire avec un maximum de délicatesse afin de ne pas heurter ceux des<br />
intervenants du terrain qui sont tombés dans l’épreuve, insuffisamment formés,<br />
insuffisamment épaulés, mais aussi isolés, contrôlés, vilipendés, menacés…<br />
Je donne cet avis préalable parce que je vais tout de même me permettre d’exposer<br />
les constats de réalités qui questionnent le caractère éthique et professionnel de<br />
certains agirs.<br />
168
Je donne cet avis parce que, comme je l’ai déjà écrit, la responsabilité des<br />
manquements n’incombent pas à cette tranche d’acteurs, mais aux administrateurs qui,<br />
ayant contraint ces derniers aux prestations de marionnettes, en tirent outrageusement<br />
les ficelles.<br />
Je reviens à cette école à vocation régionale dont je vous ai entretenus.<br />
À mon arrivée, il s’y réalise annuellement un certain nombre de P.I. (très peu de<br />
PSII) et mon prédécesseur m’informe que cette régularité concerne essentiellement<br />
ceux des jeunes (L’école dessert des 4-21 ans) qui connaissent des situations<br />
«visiblement» évolutives. Pour les autres élèves, le P.I. est reconduit d’une année sur<br />
l’autre, avec mention «à poursuivre». La tenue des PI est, de façon générale,<br />
coordonnée par la direction, en présence des intervenants directs auprès du jeune, le<br />
titulaire de classe déterminant, dans la plupart des cas, la nécessité des présences<br />
professionnelles.<br />
J’entreprends aussitôt une analyse situationnelle pour identifier les variables qui ont<br />
engendré cette pratique qui m’intrigue sous deux aspects : 1-les motifs de la limitation<br />
des PI œuvrés et 2-ceux de la sélection des participants.<br />
En ce qui a trait aux PI reconduits par automatisme, le critère principal est en effet<br />
le peu de progression des écoliers concernés dans l’atteinte des objectifs fixés pour<br />
assurer leur apprentissage et leur développement. La lenteur de la progression a donc<br />
rapidement servi de justification à la prolongation routinière de nombreux PI.<br />
En ce qui concerne la sélection des participants pour la réalisation des PI, ce sont<br />
les professionnelles de l’institution et des institutions partenaires qui m’apprennent que<br />
169
leur présence, initialement statutaire, a créé des remous en proposant d’autres façons<br />
de voir et d’autres moyens d’agir. Cela a indisposé ou frustré des intervenants directs,<br />
personnel enseignant et en éducation spécialisée, et les titulaires, fonctionnellement<br />
placés au centre de l’actualisation quotidienne des plans, ont fini par décréter qui serait<br />
présent ou pas lors des rencontres.<br />
Bien sûr, cette situation renferme des particularités de l’école en question, mais elle<br />
témoigne également de glissements et de dérapages qui ne lui sont pas exclusifs et<br />
dont les causes sont multiples.<br />
1. La logique qui dispose de la fréquence d’un PI selon la lenteur des progrès de<br />
l’élève (au double plan des apprentissages et du comportement) est certainement<br />
pratique pour opérer un tri de priorités fondé sur l’apparent immobilisme des<br />
besoins, mais elle est fondamentalement bancale : moins un progrès résulte d’une<br />
intervention, plus la fréquence et la qualité de son questionnement devraient<br />
s’accroître! Plus précisément, lorsqu’il est démontré que les moyens achoppent, les<br />
écoliers à progrès infimes doivent être l’objet d’une préoccupation quasi constante:<br />
la fréquence d’un PI doit être commandée par la remise en cause des moyens tant<br />
et aussi longtemps qu’on n’est pas assuré que la lenteur du progrès n’est pas liée à<br />
l’inadéquation méthodologique.<br />
2. Plusieurs directions d’école se sont partiellement désistées de la coordination des<br />
PI. Tantôt accaparées par la lourdeur des tâches administratives attribuables à une<br />
décentralisation improductive et aveugle, elles ont délégué, tantôt démunies et<br />
déstabilisées face à l’ampleur des besoins, elles ont préféré s’éloigner de cette zone<br />
d’action dont les paramètres éthiques confrontent la loyauté aux élèves et celle à<br />
170
l’organisation. La nature ayant horreur du vide, les influences et les pouvoirs en<br />
place ont fait le reste et déterminé les règles du jeu.<br />
3. Il en est de certains professionnels comme d’aucuns conseillers pédagogiques ou<br />
universitaires : l’expertise prononcée est sentencieuse, mais elle s’exerce dans les<br />
sphères de l’intellect et commande à autrui une actualisation dont la réussite fait<br />
gloire au professionnel et l’échec, ombre à l’exécutant. Beaucoup d’intervenants<br />
directs, après quelques années d’expérience, contemplent avec circonspection<br />
l’expertise qui ne les accompagne pas, qui fuit le terrain ou qui ne l’a jamais occupé;<br />
4. Il règne parfois, malgré le calibre autoconsacré de la formation universitaire, un<br />
certain sentiment d’incompétence chez les titulaires. Le MELS conserve un flou<br />
stratégique quant au statut qu’il reconnaît à ses enseignants, préférablement rangés<br />
au rang de techniciens en période de négociation et stratégiquement promus au<br />
rang de professionnels quand il lui sied de les flatter.<br />
Parlant de flou et de techniciens, je dénonce au passage la non-reconnaissance<br />
du statut du même nom à celles et ceux des techniciens auxquels on attribue des<br />
fonctions indéniablement professionnelles : c’est le cas de plusieurs techniciens en<br />
éducation spécialisée et en service social.<br />
Par ailleurs, pour revenir aux «vrais», notre système éducatif, inspiré du modèle<br />
à expertise différée de l’Iowa, a savamment attribué une ligne d’autorité<br />
institutionnelle aux équipes professionnelles multidisciplinaires, en confiant à leur<br />
expertise détournée la sélection des cas prioritaires. Professionnellement non<br />
rentable pour les écoliers qu’elles privent de ressources déjà insuffisantes, cette<br />
délégation à saveur administrative conduit majoritairement ces collaborateurs à<br />
171
participer, en équipe multidisciplinaire, avec allégresse et diligence au «choix de<br />
Sophie», leur compensation homéostatique étant la consécration hiérarchique tacite.<br />
Bon, j’avoue que je suis un peu sévère : disons qu’ils jouent alors le rôle de<br />
«l’infirmière au tri» de l’urgence, à la différence près que les relégués aux derniers<br />
rangs le sont plutôt aux oubliettes et n’auront jamais accès aux services…<br />
5. Hiérarchisation tacite et expertise combinées augmentent le clivage entre les<br />
conseilleurs et les payeurs; le support-conseil prend le pas sur l’évaluation experte,<br />
comme s’il pouvait se prononcer à vide, par science infuse. Les suggestions de<br />
différenciation sont catapultées sans identification certaine des différences!<br />
Plusieurs enseignants expérimentés ou débrouillards ont la nette impression qu’ils<br />
ont déjà exploité les pistes savantes que leur proposent leurs virtuoses collègues…<br />
6. Les compétences expertes, comme toutes les compétences, ne sont pas que<br />
déclaratives : elles sont aussi conditionnelles et procédurales. Toutefois, sous ces<br />
deux aspects, coexistent deux écueils. Le premier est que les compétences<br />
expertes se prononcent, la plupart du temps, dans des conditions d’exécution autres<br />
que leur champ d’expertise, conditions souvent uniquement livresquement connues.<br />
Le second est que la communication experte porte surtout sur les savoirs<br />
conditionnels et déclaratifs et rarement sur les savoirs procéduraux qui, eux,<br />
requièrent temps et terrain pour se déployer, ce dont ne disposent pas, vu leur<br />
pénurie, les professionnels. Les cas où j’ai pu constater l’accompagnement expert et<br />
son transfert (la transdisciplinarité), sont exclusivement ceux où la personne experte<br />
avait déjà (longuement) œuvré sur le terrain où elle professait et où il avait pris le<br />
temps de co-construire les procédures ou de les modéliser. J’ai eu la chance de<br />
172
côtoyer de ces personnes : Andrée D-H, Angèle B, Claudie L, Diane A, France O,<br />
Jacynthe C, Marjolaine Q, Ronald B, des vrais de vrais que je salue<br />
respectueusement!<br />
7. Même en spécifiant, à leur décharge, le nombre effarant d’écoles où ils étaient<br />
simultanément affectés, j’ai malheureusement en tête d’autres (prénoms et noms<br />
de) professionnels désarrimés, obnubilés par leur statut factice, cerbères de leurs<br />
chasses gardées : entre autres, un psychoéducateur carriériste qui, durant sa courte<br />
affectation, passa plus de temps à chercher les clés de sa filière qu’à intervenir.<br />
C’est ce bon larron qui eut un jour l’audace de se prononcer sur l’expertise d’une<br />
neurologue quant à des diagnostics de dyspraxie qu’il jugeait trop nombreux (je<br />
continue, par malice, à ajouter : pour ses propres capacités de gestion des<br />
véritables besoins)… Puis un psychologue, pourtant fort talentueux, qui gardait<br />
secrète la liste des écoliers évalués et se réservait les rapports synthèses de ses<br />
interventions et évaluations, tant et si bien que certains parents d’élèves rencontrés<br />
n’en avaient jamais reçu de compte rendu et que ni les enseignants requérants ni la<br />
direction ne savaient qui avait été desservi, répétant inutilement, d’une année sur<br />
l’autre, les requêtes de service. Quelle bataille que celle qui nous mérita le droit<br />
d’accès à ses rapports synthèses, seules expertises pouvant éclairer notre faible<br />
lanterne… Quelle autre bataille que celle de le convaincre de produire ses rapports<br />
au fur et à mesure de ses interventions : il s’était aménagé une tâche qui en différait<br />
la rédaction à la fin de l’année scolaire, de sorte que plusieurs mois pouvaient<br />
séparer l’éclairage demandé et la «lumière» reçue.<br />
173
J’ai en mémoire aussi le combat épique que fut la tentative avortée de quantifier<br />
les semaines d’affectation effective sur le terrain de ce même psychologue et de<br />
plusieurs de ses collègues : sous l’autorité des services éducatifs de la C.S.<br />
lorsqu’ils y travaillaient, ils devenaient théoriquement sous l’autorité de la direction<br />
de chacune de leurs écoles d’affectation lors de leurs présences très<br />
autodéterminées…42, 40, 38, 36, 34, 32, 30 semaines ? Au diable le contrôle :<br />
puissant lobby que celui des psys mâles!<br />
Et puis, pour terminer sur une note d’horreur- le croiriez-vous?- des expertises<br />
prononcées sur des enfants non rencontrés!<br />
Avouez que cela éclaire autrement le refus d’expertises!<br />
8. Dans les faits, une variable commune lie tous ces exemples et elle est unique au<br />
système éducatif : les seuls intervenants du terrain scolaire sont dans les classes,<br />
leur quotidien est auprès des jeunes, en situation de vie et en mission<br />
d’apprentissage, cette mission exclusive ne pouvant être interrompue. C’est<br />
pourquoi, lorsque l’expertise est formulée, la bouche (même doctorale) qui la<br />
prononce est si loin de la réalité de celles et ceux qui ont les oreilles pour l’entendre.<br />
J’ai assisté à des querelles parfois véhémentes lors de rencontres<br />
interinstitutionnelles ou de visites privées au moment où un professionnel, étranger<br />
de surcroît, venait, même savamment, nous en montrer. J’ai parfois eu à intervenir,<br />
une fois sans retenue, pour faire taire le message redondant de notre incompétence,<br />
servi par une orthopédagogue articulée et brillante, mais qui prenait pour acquis que<br />
le transfert des apprentissages réalisés dans sa pratique privée et au ratio 1/1 se<br />
réaliserait par l’opération du Saint-Esprit en classe et grand nombre. La réplique<br />
174
automatique des gens de pratique est «Mets mes bottines et marche mon champ et<br />
plusieurs de mes journées et l’on s’en reparlera!»<br />
Cette remarque vaut aussi pour les conseillers pédagogiques, même ex-profs,<br />
sporadiquement parachutés dans les classes pour montrer quoi faire aux innocents.<br />
Mesure improductive que de songer à les multiplier : c’est sur le terrain que<br />
manquent les effectifs et ces effectifs doivent manger le pain noir quotidien! Santé,<br />
paraît-il…<br />
Elle vaut aussi pour les directions des établissements scolaires, même ex-profs<br />
(parfois de spécialités où se cantonne leur expérience) qui se transforment, par<br />
hiérarchie et téléguidage, en pédagogues experts et se gargarisent de supervision<br />
pédagogique sur papier.<br />
Malgré tout, le mal du refus d’expertises procède d’une contagion systémique et les<br />
exemples que j’ai donnés, s’ils révèlent les symptômes, n’en dévoilent pas la cause. De<br />
fait, ils sont là pour la noyer. J’y reviendrai dans la partie 10 du présent chapitre : refus<br />
des évaluations causales.<br />
Je vous propose un intermède : celui qui illustre mon intervention de l’époque, dans<br />
une école spécialisée à vocation régionale, à la suite des constats de manquement à la<br />
tenue des PI et de lacunes quant à la composition des participants.<br />
175
PROCÉ<strong>DU</strong>RE DE GESTION DES DOSSIERS PS / PI / PA / DOSSIERS PROFESSIONNELS<br />
1. À la suite d’un (nouveau) ménage, la direction gèrera 2 dossiers d’élèves et seulement 2 :<br />
• Le dossier scolaire constitué selon les prescriptions du MEQ.<br />
• Le dossier d’aide particulière constitué<br />
o du plan de services, incluant le plan d’intervention et les rapports synthèses des<br />
plans d’action;<br />
o de la base de données pertinentes (rapports valables d’évaluation, d’expertise);<br />
o des archives selon les délais de conservation.<br />
Ce dossier est consultable sur place seulement. Des copies du plan de services sont remises<br />
au titulaire pour constituer la base du plan d’action pédagogique et aux professionnels pour<br />
constituer l’arrimage au plan d’action professionnel (ou dossier professionnel).<br />
2. Le dossier professionnel (correspondant au plan d’action professionnel) est géré par chaque<br />
professionnel selon les prescriptions de l’institution qui l’emploie et celles de sa corporation.<br />
3. Le plan d’action pédagogique est géré par le titulaire selon les prescriptions de la politique<br />
des services aux EHDAA de la C.S. et du guide de gestion des plans d’intervention. La loi<br />
sur la confidentialité s’applique.<br />
Au sein de ce plan d’action pédagogique, un plan commun est constitué par le titulaire, le /<br />
la T.E.S et le /la préposé(e) ou (à déterminer en assemblée générale comme modalité<br />
commune dans l’école) chaque intervenant gère son plan d’action selon les mêmes<br />
encadrements :<br />
o Plan d’action scolaire par le titulaire<br />
o Plan d’action éducative spécialisée par le ou la T.E.S<br />
o Plan d’action de soutien par le ou la préposée.<br />
4. Le plan d’actions institutionnelles et parentales est géré par la direction selon les mêmes<br />
prescriptions.<br />
5. Tout répondant d’un plan d’action ou dossier professionnel fournit un rapport synthèse de ce<br />
plan selon les échéances prescrites dans le plan de services.<br />
6. Les supports pour produire les PS / P.I. / P.A. seront révisés par consensus en cours de<br />
route. Le P.I standardisé de la C.S. n’est pas un instrument approprié à nos clientèles, sauf<br />
rares exceptions.<br />
176
Le tableau suivant ordonne l’ensemble de la procédure.<br />
Ordonnancement des plans et délégation de coordinations<br />
177
10. Refus d’évaluations causales<br />
Il se déploie, quasi en pure perte, une telle somme d’énergies que devrait, au sein<br />
des troupes scolaires, gronder la juste révolte. Mais…Mais le Québec est, de fait, une<br />
terre paisible, victime de son incommensurable docilité : pas de grandes envolées, pas<br />
d’esclandres, pas de coups de gueule. Rien ne vaut la sainte paix! «Ça peut brasser,<br />
mais pas trop!»<br />
Cependant, pas non plus de prises de position tranchées, pas d’autonomie, pas<br />
d’indépendance. Pas d’assurance franche, pas de structure librement constituée.<br />
Le Québec est terre où est pratiquée avec brio l’homéostasie. L’instrument-maître<br />
de cette performance, fondé sur une éthique dialogale, est l’équivalent d’une<br />
commission (permanente) de vérité et de réconciliation –CVR. Nous ne sommes pas,<br />
fort heureusement, en situation de crimes de masse, néanmoins la balance procédurale<br />
est totalement similaire et rend le Québec champion, toutes catégories, du changement<br />
d’équilibre : une province souveraine fédérée à «son» Canada. Une nation sans entité<br />
nationale : une existence sans naissance propre (octroyée plus que concédée par un<br />
ultraconservateur anglophone, héritier direct, non des bourreaux, mais des<br />
conquérants!) immédiatement vouée, comme elle le fait elle-même à sa jeunesse<br />
vulnérable, à l’hyperphénomène de la mort lente…<br />
La bonne question serait : mais pourquoi donc cette attitude suicidaire et cette<br />
délectation dans le «cuisons in english, mais à petit feu»?<br />
Parce que le Québec n’est pas lui.<br />
178
À défaut d’être soi-même, on devient quelqu’un d’autre et, si et quand on refuse<br />
d’envisager que l’on a changé de peau, il est impératif de n’examiner que l’extérieur,<br />
que l’habit qui devra invariablement faire le moine.<br />
Tout le reste est à l’avenant : toute structure contaminée va se colorer de ce travers<br />
et tout acte artificiellement introspectif va s’arrêter aux apparences et aux symptômes!<br />
Voilà qui explique, sociologiquement et systémiquement, le refus des évaluations<br />
causales.<br />
Je sais que j’ai bifurqué quelque peu par un détour à caractère apparemment<br />
politique et que, nationalisme faisant ou, plutôt, ne faisant pas, le lecteur confédéré me<br />
targuera d’errance.<br />
Toutefois, pensons-y un instant et examinons, sous leur aspect causal, quelques<br />
mises à l’examen social récentes et célèbres.<br />
1-le scandale des commandites : votre verdict? Examen causal ou examen<br />
symptomatique?<br />
2-L’affaire Norbourg : votre verdict? Examen causal ou examen symptomatique?<br />
3-La commission Johnson sur l’état de nos ponts : votre verdict? Examen causal ou<br />
examen symptomatique?<br />
4-L’état de nos routes lu par la SAAQ : votre verdict? Examen causal ou examen<br />
symptomatique?<br />
5-La crise économique mondiale : votre verdict? Examen causal ou examen<br />
symptomatique?<br />
6-La pollution et le développement durable : votre verdict? Examen causal ou<br />
examen symptomatique?<br />
179
7- Notre système de santé : votre verdict? Examen causal ou examen<br />
symptomatique?<br />
8-L’efficacité de la protection de la jeunesse : votre verdict? Examen causal ou<br />
examen symptomatique?<br />
9-La situation de la langue française au Québec : votre verdict? Examen causal ou<br />
examen symptomatique?<br />
10-La maîtrise de la langue par les écoliers et les étudiants: votre verdict? Examen<br />
causal ou examen symptomatique?<br />
11-Les effets de l’actuelle réforme en éducation: votre verdict? Examen causal ou<br />
examen symptomatique?<br />
12-Le traitement réservé aux élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage ou<br />
d’adaptation par le système scolaire québécois : votre verdict? Examen causal ou<br />
examen symptomatique?<br />
J’aurais pu ajouter à la liste, mais je crois suffisante la promenade en douze<br />
stations, des commandites aux EHDAA : nous fonctionnons systématiquement à partir<br />
des symptômes.<br />
Sommes-nous les seuls ? Non point!<br />
La désintégration nationale et la perte identitaire qui en résulte ont accompagné la<br />
mondialisation et provoqué ailleurs le même degré d’hypocrisie de gestion, auquel nous<br />
succombons presque tous : nos cousins français font semblant, nos cousins anglais<br />
aussi. Et nos cousins belges, et allemands, etc.<br />
C’est le motif pour lequel nous avons ce sentiment mal défini, mais envahissant,<br />
d’être désinformés, bafoués, trompés, floués et que rien de ce qui nous est présenté,<br />
180
quelle que soit la plateforme médiatique et sa place dans la mensongère convergence,<br />
n’est digne de confiance. Nous savons reptilienne l’idéologie planétaire dominante et<br />
craignons de nous faire bouffer.<br />
C’est là l’attraction de survie du «chacun-pour-soi» et, comme je l’ai déjà exposé,<br />
l’explication de la règle du«au-plus-fort-la-poche»!<br />
Alors les vulnérables, on n’en a rien à cirer!<br />
Oups : cela est inavouable, même si cela se pense et s’agit!<br />
La seule concession que l’on puisse (leur?) faire, c’est de nourrir notre bonne<br />
conscience : intervenons efficacement sur les symptômes, quand bien même aucun<br />
des mots de cette trilogie n’est sémantiquement compatible avec les autres.<br />
• Adoptons le modèle de l’Iowa.<br />
• Inventons un discours pro-intégration convergent -et vendeur.<br />
• Revampons le cadre d’élaboration des plans d’intervention pour en allonger<br />
interminablement la sauce.<br />
• Confondons en un tout compact action différenciée et actions coordonnées.<br />
• Empêchons le vocabulaire d’être précis quant aux diagnostics experts et aux<br />
services recommandés.<br />
• Sous le couvert de la contribution communautaire, «précisions» que le jeune en<br />
difficulté d’apprentissage sera celui qui, ayant bénéficié «de mesures de remédiation<br />
mises en place, par l’enseignante ou l’enseignant ou par les autres intervenantes<br />
ou intervenants durant une période significative (n’aura pas progressé)<br />
suffisamment dans ses apprentissages pour lui permettre d’atteindre les exigences<br />
181
minimales de réussite du cycle en langue d’enseignement ou en mathématique<br />
conformément au Programme de formation de l’école québécoise.» Ouf !<br />
En clair, c’est deux ans de pseudoservices avant toute recommandation et<br />
intervention expertes, liés à la haute probabilité de la mise en échec perpétuel<br />
lorsque et puisque l’on sait que 7 écoliers sur 10 en difficulté légère d’apprentissage<br />
n’obtiennent pas leur diplôme d’études secondaires!<br />
Tout est conséquemment faussé, à tel point que la menace présumée et pressentie<br />
de l’étiquetage accompagne tout diagnostic précis, se transformant en justification de<br />
l’occultation des évaluations expertes, en théorie discursive sur l’apparente inclusion,<br />
en ingrédient philosophique de base de LA cautérisante différenciation, en hypertrophie<br />
de la normalité et en clivage de l’anormalité, pourtant sœurs essentielles à notre<br />
existence et à notre survie.<br />
Exister sainement coûte trop cher…<br />
Pourtant, au prix actuel des médicaments de notre très éthique industrie<br />
pharmaceutique, Dieu sait que la maladie est dispendieuse…<br />
Votre verdict? Examen causal ou examen symptomatique?<br />
11. Directives administratives hiérarchiques pour contraindre à fonctionner dans<br />
l’approximation, dans l’ambiguïté<br />
Relativement au bâillonnement qui fait donc taire diagnostics et recommandations<br />
de services experts, j’ai déjà relaté ce CCG où se compléta un lavage collectif de<br />
182
cerveaux de directrices et directeurs d’établissements préscolaires, primaires et<br />
secondaires.<br />
Une direction d’établissement scolaire qui s’aplatit et se tait, c’est fait docile, comme<br />
le linge au lavage : le linge ne se plaint pas d’être lavé. Il ressort propre et net! Une<br />
direction «brainwashée», c’est propre et net.<br />
Par contre, le linge n’a pas de colonne vertébrale. Une direction d’établissement<br />
scolaire docilement cérébrolésée ??? La comparaison s’arrête là…<br />
Ce beau monde qui demeure propre et net reçoit, servilement, les ukases des petits<br />
tsars dodus, encore en selle ( : aucune illusion aux couches…) et en place.<br />
On se persuade du bien-fondé de la raison d’État, quitte à abandonner la sienne et à<br />
s’éloigner, à pas administrativement cadencés, de son âme et conscience.<br />
On se «zombifie»…<br />
J’ai entendu le discours hypnotique à modulation non de fréquence, mais de<br />
convictions pour convaincre de la nécessité de maquiller les expertises.<br />
On doit retarder les expertises pour :<br />
• Ne pas étiqueter.<br />
• Ne pas ostraciser.<br />
• Intégrer.<br />
• Inclure.<br />
• Intervenir de façon précoce.<br />
• Différencier à partir du menu<br />
régulier.<br />
Examinons donc une à la fois ces assertions :<br />
183<br />
• Bien gérer le budget alloué.<br />
• Tenir compte des<br />
contingentements de ressources.<br />
• Être un bon gestionnaire.<br />
• Être loyal à l’organisation.<br />
• Etc.<br />
1. L’étiquetage n’est pas l’effet du diagnostic, il est l’effet de la léthargie et du laxisme;
2. Les clientèles dont on retarde indûment les évaluations et les services experts qui<br />
devraient en découler deviennent ostracisées, parce que les variables de la<br />
discrimination sont alors augmentées au lieu d’être diminuées;<br />
3. Œuvrée sans coordination, sans évaluations spécialisées et sans services<br />
appropriés, l’intégration est une noyade dans le «mainstreaming» qui l’a<br />
historiquement inspiré : ce courant prétend que si on intègre une colombe avec des<br />
chats et qu’on lui interdit de piailler, elle va finir par miauler. Je sais pertinemment<br />
que vous allez me dire que c’est le cas des perroquets. Et pour prouver que tous les<br />
oiseaux miaulent, vous ajouterez que maints autres oiseaux les imitent, entre autres,<br />
le corbeau et la pie. Je vous suggèrerai alors que de nombreux humains miaulent<br />
aussi, ce qui prouve que maints humains sont de drôles d’oiseaux Il n’y a qu’un pas<br />
à franchir pour conclure que nous sommes tous des chats et que, quand nous ne le<br />
sommes pas, les souris dansent…Absurde, oui! Absurde : telle est l’intégration<br />
pratiquée à l’aveugle et sans ressources suffisantes!<br />
4. L’inclusion est le terme moderne pour faire croire que, changeant de vocabulaire, on<br />
a changé de mentalité et de façon de faire : la colombe est toujours avec les chats<br />
et on lui permet de piailler. Le socioconstructivisme va lui permettre, en coopération<br />
avec les félins, de changer ses plumes en poils. À moins que les chats ne<br />
l’entendant roucouler, ne lui fassent un sort en fricassée…Le modèle qui analyse le<br />
processus de production du handicap ne tait pas les différences, ni n’évite leurs<br />
obstacles, ni ne les nie, ni ne les laisse agir : il est fondé sur l’identification<br />
exhaustive et précise des déficiences personnelles et institutionnelles, la mesure de<br />
leurs impacts et leur correction systématique. Ce modèle reconnaît le fait établi que<br />
184
le handicap de la personne ne lui est pas attribuable et qu’il résulte de notre<br />
passivité ou de notre approximation dans les adaptations commandées par les<br />
déficiences;<br />
5. L’intervention précoce ne peut admettre qu’on laisse moisir, deux années durant, un<br />
écolier qui débute sa carrière littéraire et mathématique avant de lui octroyer un<br />
support individualisé expert. Or, la nouvelle définition de l’élève en difficulté<br />
d’apprentissage permet ce genre d’aberration! Pire, peut-être (est-ce possible?), la<br />
«découverte» que nous permet de décoder la récente enquête (février 2008) sur<br />
une partie des très jeunes Montréalais dont certains fréquentent nos centres de la<br />
petite enfance. 30 % d’entre eux s’y révèlent en retard dans l’acquisition des<br />
prérequis à l’entrée en maternelle. Ils ne possèdent pas, à un niveau suffisant, les<br />
préalables à la lecture, à la mathématique et à l’établissement de relations<br />
interpersonnelles saines. Mais les résultats de l’enquête réalisée par l’agence<br />
régionale des services de santé et des services sociaux ne sont pas «LA<br />
découverte» que j’ai annoncée. Cette découverte est plutôt celle que les mêmes<br />
données ont été rendues disponibles dans une enquête fédérale de 2003 et que pas<br />
grand-chose d’étatique, sinon rien, n’a efficacement été fait pour contrer ce<br />
handicap pandémique. Pire encore est la juxtaposition quasi machiavélique du<br />
document Riche de tous nos enfants, dans la foulée paronymique d’un Québec fou<br />
de ses enfants ou d’un Québec digne de ses enfants, à l’analyse qualitative 2007<br />
de l’UNESCO relative aux résultats du Canada dans sa lutte à la pauvreté chez ses<br />
enfants. Cette analyse conclut que presque rien, dans notre pays prospère, n’a été<br />
fait entre 1989 et 2007 pour contrer la pauvreté, et ce, malgré les sempiternelles<br />
185
promesses électorales! J’ai déjà mentionné ce fait antérieurement et, si je radote,<br />
c’est pour insister non sur ce scandale innommable, mais sur celui que représente la<br />
connaissance imperturbablement immobile des multiples impacts de la pauvreté sur<br />
le développement de la jeunesse : perturbations majeures quant à la santé<br />
physique, à la santé intellectuelle et à la santé psychoaffective. Je crois que l’on<br />
peut à juste titre parler de génocide tant il est vrai que sont similaires les voies<br />
anesthésiantes de la résilience des jeunes survivants, jusqu’à leur rupture<br />
multiforme du lien relationnel à l’environnement ambiant. C’est ce que j’ai appelé et<br />
que j’appelle l’hyperphénomène de la mort lente.<br />
Il y a quelque chose de terriblement commun entre le glissement dans des troubles<br />
qui envahissent le développement et le glissement dans la délinquance. En<br />
l’absence d’action préventive vraie, les méfaits de la pauvreté sur toute aspiration au<br />
meilleur devenir sont dramatiques et souvent irréversibles. L’intervention précoce<br />
purement livresque n’est que leurre et infamie! « Science sans conscience n’est que<br />
ruine de l’âme. » Or, c’est le lot de la majorité des institutions d’État et il faut des<br />
initiatives comme celle du Dr Gilles Julien, en pédiatrie sociale, pour capter dans<br />
toute son amplitude l’outrecuidance gouvernementale et son à-plat-ventrisme face<br />
aux dictats de l’économie capitaliste anarchique.<br />
6. La différenciation à partir du menu régulier n’est pas en soi une horreur. Il lui suffit<br />
cependant pour le devenir de s’imposer comme la voie universelle de l’adaptation,<br />
sans considération des écarts fonctionnels et des besoins inconciliables. Dans cette<br />
voie, la chronobiologie ou la chronopsychologie dévoilent également l’un des<br />
facteurs les plus névralgiques : la gestion du temps. Pour peu que «l’élève à risque»<br />
186
vive une intelligence lente ou plus analytique ou plus concrète et que son rythme de<br />
compréhension et de production en soit affecté, le facteur temps aura raison à la<br />
longue de toute tentative de différenciation, parce que, tôt ou tard, l’écolier se verra<br />
imposer un échéancier et des modalités évaluatives sanctionnantes standardisés en<br />
dehors de sa portée exécutive.<br />
Il faut être un derrière assis dans le confort de son bureau ou un pilier de corridors<br />
administratifs ou universitaires pour se satisfaire du mot différenciation et faire totale<br />
abstraction des résultantes réelles de cette panacée perverse. Mais le MELS vénère<br />
et approuve la pédagogie différenciée et permet donc au coureur hémiplégique de<br />
participer aux Olympiades. Il l’autorise même à s’exercer dans son fauteuil roulant<br />
jusqu’au jour de l’épreuve. Ce jour-là, le MELS hypocrite retire son fauteuil au<br />
coureur déficient physique (qu’il handicape du même coup fatal) et, le posant avec<br />
délicatesse sur la piste, requiert qu’il se lève et coure au bang du pistolet de starter.<br />
Jésus et Lazare… Cela me fait d’ailleurs penser aux hésitations qui ont ponctué le<br />
dossier de sélection olympique du coureur kangourou, sous prétexte que ses<br />
prothèses l’avantageraient outrageusement. Que le doping étatisé transforme en<br />
bombes pharmaceutiques de nombreux athlètes nationaux ne semblent pas<br />
émouvoir outre mesure les instances décisionnelles, rassurées, il est vrai, par des<br />
comités éthiques fondés sur des semblants de contrôles. Merci d’excuser cette<br />
petite incursion dans le monde sportif. Après tout, on a désormais un MELS avec un<br />
grand S sportif, comme dans sophisme : le ministère de l’Éducation ludique et<br />
sophistique ?<br />
187
7. Le système scolaire du secteur jeune (préscolaire, primaire, secondaire) est<br />
budgétairement efficace. Les gestionnaires des unités administratives qui le<br />
composent, de façon générale, entrent et rentrent, année après année, à l’intérieur<br />
des allocations paramétrées. Dans les établissements scolaires, la fonction<br />
comptable a évolué, de façon nocive à partir du tournant des années 80. À partir de<br />
ce moment, cette fonction a pris de plus en plus d’ampleur pour deux motifs<br />
complémentaires : 1) le nécessaire contrôle des dépenses du système et 2) la<br />
décentralisation.<br />
1) Le nécessaire contrôle des dépenses n’est pas propre au système scolaire : tout<br />
lieu de dépenses, y compris familial - comme vous le savez bien - commande<br />
l’exercice d’une vérification systématique qui va assurer que les dépenses ne<br />
surpassent pas les revenus disponibles. L’examen de ce nécessaire contrôle fait<br />
toutefois apparaître, en milieu scolaire, maints dérapages, même sous la<br />
supervision théoriquement experte de certains directeurs généraux adjoints aux<br />
finances, dont mon si fidèle et si droit Jici… Ces dérapages sont généralement<br />
attribuables à deux causes : la première est l’attribution à deux sources de<br />
dépenses d’un seul et même revenu, lorsque ledit revenu, en principe réservé à<br />
un impératif à venir, est utilisé à une impulsion directoriale plus ou moins<br />
justifiée. Ainsi en a-t-il été, à plusieurs reprises, d’argents dédiés à l’achat de<br />
volumes scolaires (alors que les éditeurs ne les avaient pas encore publiés) qui<br />
sont passés dans la rénovation luxueuse, difficilement justifiable, de bureaux de<br />
directions, en asphaltage (plus justifié, mais hautement questionnable) de cours<br />
de récréation ou en construction (également plus justifiée, mais tout aussi<br />
188
questionnable) de jeux modulaires…Je passe, non sans insistance, sur les<br />
dépenses réalisées en hâte, au 31 mai d’une année presque écoulée, pour<br />
éliminer tout risque de surplus et…tout risque de coupure dans les allocations<br />
ultérieures, puisque le système fonctionne avec la règle ahurissante que, si tu<br />
économises, tu as besoin de moins de ressources, donc on peut contraindre tes<br />
futures allocations : la castration de l’épargne, en quelque sorte.<br />
La seconde cause est la dépense récurrente de revenus non récurrents. J’ai<br />
illustré cela de l’exemple d’une école dont j’ai hérité du déficit et où la masse<br />
salariale décentralisée (c’est-à-dire les postes permanents créés par décision de<br />
la direction antérieure, avec bénédiction de la haute direction des finances de la<br />
commission scolaire et après contrôle –bâclé- de la direction des SRH) défonçait<br />
de plusieurs dizaines de milliers de dollars les allocations de la CS. Il faut dire, à<br />
la décharge de la direction d’école précédente, que des promesses de<br />
récurrence lui avaient été formulées par les hauts gestionnaires, garantissant un<br />
équilibre budgétaire, hautement essentiel dans cette école à vocation. Mais les<br />
promesses n’ont, non seulement, pas été tenues, elles ont été niées par ces<br />
bifronts!<br />
2) La décentralisation est la seconde source de nocivité. Elle explique, à elle seule,<br />
les choix non justifiés (rénovations, asphaltage, immobilisations, dépenses futiles<br />
de dernière minute) décrétés par celles des directions d’établissement scolaire<br />
qui se transforment en petits rois irresponsables et font passer le secondaire,<br />
voire l’inutile, avant l’indispensable. Elle explique tout autant, à la défense des<br />
directions d’école, leur triste désistement des tâches fondamentales au profit de<br />
189
l’administration comptable. La décentralisation s’est en effet accompagnée à la<br />
fois d’une imposante informatisation, laquelle exige des suivis nombreux et d’un<br />
impressionnant pelletage de tâches et fonctions autrefois centralisées, sans les<br />
ressources afférentes pour les financer.<br />
La décentralisation dont je parle, il faut bien le comprendre, est la stratégie par<br />
laquelle les gouvernements et gestionnaires de haut niveau pyramidal remettent à la<br />
base, sans lui fournir les moyens dont ils disposaient pour les accomplir, les objectifs,<br />
rôles et fonctions dont ils ont été incapables de s’acquitter.<br />
Son argumentaire invariable est le respect de la clientèle desservie, la<br />
reconnaissance du bien-fondé de son implication décisionnelle et la meilleure<br />
adéquation aux besoins du milieu des réponses apportées lorsque les problèmes ont<br />
été traités par le milieu lui-même.<br />
Cela donne le pataugeage abject auquel on s’est livré en matière de bulletin scolaire<br />
au moment où il a été si sagement décidé d’en livrer la facture à chaque école.<br />
Cela donne autant de divers manuels scolaires d’une même discipline qu’il y a de<br />
choix pédagogiques décentralisés, au détriment des écoliers qui, changeant d’écoles,<br />
changent de méthodes, de référentiels et, souvent, parce qu’ils sont encore utilisés<br />
comme compléments savamment soudés aux manuels, de cahiers d’exercices.<br />
Cela donne finalement une formidable addition d’énergies professionnelles<br />
consacrées à du magasinage de fournitures scolaires matérielles et didactiques.<br />
Quand je contemple ce siphonnage monstrueux du temps infiniment précieux des<br />
ressources humaines déjà contingentées en de futiles activités, je ne puis que dénoncer<br />
le sacrifice concomitant des tâches scolaires essentielles. Et ma dénonciation est<br />
190
flanquée d’une déduction : il en est ainsi parce que l’infernale machine s’en porte mieux<br />
dans son équilibre factice, parce qu’elle ne veut pas que le vrai ait lieu!<br />
Être un bon gestionnaire d’établissement scolaire, c’est donc accomplir bien et<br />
docilement le superflu, tel qu’il est défini par une organisation à laquelle nous devons<br />
aveugle et muette loyauté, renoncer sans rechigner à l’indispensable.<br />
C’est, comme je le mentionnais, vivre confortablement dans cette répugnante<br />
ambigüité, avec, en guise de royale compensation, le sentiment à risque narcissique<br />
d’être, comme la Reine d’Angleterre ou notre Gouverneure générale, persuadé que l’on<br />
est là par la grâce de Dieu!<br />
• Tant pis si la délégation remplace la coordination.<br />
• Tant pis si faire faire des plans d’action remplace faire des PI.<br />
• Tant pis, tant mieux…<br />
Cette autre hiérarchisation en valeurs suprêmes de l’approximation et de l’ambigüité<br />
ne pose surtout pas le questionnement de ses coûts sociaux.<br />
Il est vrai que ce ne sont que des jeunes qui en écopent et que leur mort lente a ceci de<br />
bien : durant leur longue agonie, on peut presque faire semblant qu’on a soin d’eux.<br />
Au moment où s’annonce, par le projet de Loi 88, une réforme de la Loi de<br />
l’instruction publique, conférant plus de pouvoir décisionnel aux directions<br />
d’établissement scolaire, je mets en garde la population sur le fait que ce modèle de<br />
surdécentralisation, emprunté à la Suède néolibérale, est nocif et dangereux : la preuve<br />
n’est pas du tout établie que cette surdécentralisation permettra à l’école québécoise<br />
d’accomplir mieux ses fonctions essentielles.<br />
191
Je suis navré de devoir affirmer que, pour les clientèles vulnérables, de fort<br />
nombreuses directions d’école, exécuteurs dociles du droit de gérance des<br />
commissions scolaires, font, à ce stade, partie non de la solution, mais du problème. Ce<br />
n’est certes pas en accroissant leur pouvoir loyalement aligné sur le faire semblant et<br />
leur manque de courage pour dénoncer les lacunes fonctionnelles du système qui les<br />
graisse et les engraisse, que l’on peut espérer faire du vrai.<br />
En ce domaine, les voies de l’avenir sont celles de la collégialité, pas celles du<br />
despotisme. Malheureusement, le contexte a imprégné plusieurs volontés fragiles des<br />
vertus et des préceptes mensongers du directivisme. Nul doute qu’il faut, y compris<br />
dans le champ de la formation administrative, publique ou privée, des gestionnaires,<br />
éliminer un peu de notre conception étriquée du leadership pour y introduire un peu<br />
plus d’humanisme et de mutualisme : Argyris pourrait en inspirer plus d’un à cet égard.<br />
12. Privation de ressources de support, de soutien ou de maintien, sous le<br />
vocabulaire mensonger de la normalisation, aménagée en philosophie<br />
d’inclusion<br />
J’ai longuement illustré et expliqué la mécanique par laquelle, pour demeurer en<br />
situation d’équilibre homéostatique, le système scolaire québécois s’y prend pour<br />
appliquer sa politique d’adaptation scolaire. Je pourrais élargir la démonstration<br />
suivante à bien d’autres systèmes scolaires comparables dont la similitude première<br />
réside dans l’incessant rapiéçage des applications de leurs propres politiques<br />
d’adaptation scolaire : c’est le cas, entre autres, de la France, de l’Angleterre et des<br />
États-Unis.<br />
192
Le modèle sociologique de Parsons nous permet de comprendre aisément, vu son<br />
intégration du modèle général de l’action, que la survie d’un système est lié à sa<br />
capacité soit de se restructurer, soit de se rééquilibrer, pour gérer le changement, le<br />
produire, le contrer ou y parer. Sauf s’il accepte de se mettre ou remettre lui-même en<br />
cause, un système (macro comme microsociologique) ne va pas opter pour le<br />
changement structural : cela lui imposerait de se transformer totalement, radicalement.<br />
Un peu comme si l’on commandait au capitalisme débridé d’incorporer le collectivisme.<br />
Il est conséquemment essentiel qu’un tel système qui désire se perpétrer et garantir<br />
sa pérennité, néanmoins confronté à l’existence indéniable de ses propres méfaits (ici<br />
le décrochage, l’échec scolaire, la disqualification, l’exclusion et la déviance sociales),<br />
maîtrise les règles de son équilibre.<br />
Le premier palier d’équilibrage est celui de la culture organisationnelle comme<br />
porteuse des aspirations et de la mission sociale : le discours rassembleur doit, bien<br />
sûr, être compatible avec le modèle structural du système, en l’occurrence, néolibéral,<br />
économe de ressources étatiques pour le plus grand privilège du capital, mais aussi<br />
avec les prétentions égalitaires qui permettent de soutenir les impératifs existentiels et<br />
de pérennité du système. Le discours doit donc prétendre et annoncer qu’il va<br />
efficacement aider les plus vulnérables, même s’il est fondé sur la loi du plus fort qui<br />
réclame de nécessaires victimes à ceux de ses jansénistes qui s’y octroient<br />
l’invulnérabilité.<br />
Notre système scolaire, si l’on se fie aux steppettes successives de ses ministres de<br />
l’Éducation, tout comme notre système social et de santé, si l’on se fie aux steppettes<br />
successives de ses ministres de la Santé et des Services sociaux, ont un discours<br />
193
équilibrant efficace : de façon générale, la population est encline à croire qu’une volonté<br />
de justice, d’équité, d’égalisation protège les moins bien nantis et les éclopés de la vie.<br />
La population a d’autant plus de facilité à croire ce discours que c’est, après tout, elle-<br />
même qui a élu les gouvernements qui tiennent pareille assertion. Si elle cessait de le<br />
croire, elle cesserait de SE croire et S’imposerait un changement structural, SE plaçant,<br />
individuellement et collectivement, en intense situation de déséquilibre. Elle aussi SE<br />
doit sa survie et, si et quand on lui fait croire que sa survie correspond au statu quo, la<br />
population ferme plus que les yeux sur les écarts entre le discours et les faits : elle se<br />
ferme la gueule! Elle se la boucle : tout le monde se boucle au Québec ! Ça roule<br />
«sécure»!<br />
Ces simulacres permettent de saisir pourquoi il n’y a que des différences<br />
cosmétiques au plan de l’échiquier politique provincial actuel, à l’exception du parti<br />
Québec solidaire : tous les autres partis défendent d’abord et avant tout la perpétration<br />
du néo-libéralisme.<br />
Ces mêmes simulacres permettent également d’analyser pourquoi, au palier fédéral,<br />
nous nous retrouvons, au moment où j’écris ces lignes, avec un gouvernement du parti<br />
(ultra) conservateur, gouvernement défendant une logique de guerre, sous prétexte<br />
mensonger de «pacifier et civiliser les contrées lointaines», y engloutissant des milliards<br />
de dollars goulument puisés dans les surplus de l’assurance-emploi, avec non l’accord,<br />
mais le laisser-faire de la Cour suprême, le tout au détriment du développement<br />
éducatif, social et de santé, dans un Canada où les sondages confirment la tendance<br />
majoritairement pacifique et antimilitariste de la population.<br />
194
Il faut, et pardon pour la nouvelle digression, que je vous cite ces paroles de l’ex-<br />
porte-parole de la Maison-Blanche (entre 2003 et 2006), Scott McClellan :<br />
« Au cours de l'été 2002, écrit-il, les principaux conseillers de Bush ont établi une stratégie pour<br />
orchestrer méticuleusement la campagne à venir pour vendre la guerre. [...] Il s'agissait de<br />
manipuler les sources de l'opinion publique à l'avantage du président. » Le président, précise-t-<br />
il, « a géré la crise d'une manière qui garantissait pratiquement que l'usage de la force<br />
deviendrait la seule option envisageable ».<br />
« Cela signifiait qu'il fallait travailler en mode campagne: ne jamais expliquer, ne jamais<br />
s'excuser, ne jamais battre en retraite. Malheureusement, cette stratégie avait des<br />
répercussions moins justifiables: ne jamais réfléchir, ne jamais reconsidérer, ne jamais<br />
faire de compromis.»<br />
Se peut-il, le plus simplement du monde, tant Simplet (celui de Blanche-Neige et<br />
non l’ex-président américain) et Harper ont de similitudes, que la même stratégie<br />
conduise actuellement les destinées du Canada?<br />
Mais retournons à nos moutons : je parle à présent de nos politiciens qui sont aussi<br />
nos législateurs!<br />
Le discours étant établi, il doit, en second lieu, traduire sa cohérence dans la logique<br />
de sa législation.<br />
Je vais me permettre de récrire à ce sujet que la Loi de l’instruction publique,<br />
désormais plus dans son application que dans sa lettre, demeure un révélateur<br />
magistral de l’incohérence entre le discours et les résultats réellement escomptés.<br />
En effet, quand elle annonce le droit de l’écolier aux services complémentaires<br />
susceptibles de le sortir d’une ornière, elle autorise encore factuellement, dans<br />
l’interprétation de l’accès à ce droit, son assujettissement tant à la disponibilité des<br />
195
services qu’à la capacité de la commission scolaire concernée à les organiser sur son<br />
territoire.<br />
Comme toutes les commissions scolaires sont autonomes quant au meilleur niveau<br />
de ressources financières consenties aux services complémentaires et comme elles<br />
peuvent aisément arguer l’impossibilité organisationnelle d’établir ces services, pour<br />
des motifs de toute nature, amalgamant le vrai et le faux de façon inextricable, la porte<br />
est grand ouverte, non pas à ne rien faire (ce qui risquerait des pressions de<br />
changement structural), mais à faire le minimum –in-décent pour limiter les réactions<br />
de la clientèle négligée, l’isoler et la priver du support général de la population non<br />
concernée (parce qu’à son sens, raisonnablement tranquillisée).<br />
À tout point de vue, la structure législative du système scolaire révèle que son but<br />
ultime est purement et uniquement la conservation de l’équilibre acquis. Les<br />
glissements déontologiques qui commandent aux gestionnaires une loyauté suzeraine<br />
à l’organisation, soit-elle contraire au bien des élèves en sont un autre témoignage.<br />
Ce n’est pas pour rien que la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, dans<br />
son rapport d'activités déposé en mai 2008, dénonce cet aspect déficient du réseau de<br />
l'éducation : l'absence d’impartialité pour traiter les plaintes des clientèles, écoliers<br />
comme parents : «Dans la plupart des situations où le citoyen vit un problème avec un<br />
milieu d'enseignement, il doit s'en remettre à des recours qui sont partie intégrante de<br />
ce même milieu, de nature variée, sans garantie d'indépendance ou d'impartialité»,<br />
L’absence d’arbitrage indépendant pour régler les litiges qui opposent les clientèles<br />
à leurs écoles et à leurs commissions scolaires est une retombée directe et volontaire<br />
du législateur qui, dans la Loi sur l’instruction publique, a bel et bien établi un<br />
196
processus de demande de révision pour disposer des revendications et conflits entre<br />
élèves et parents et tout officier d’une commission scolaire, mais qui en a ligoté la<br />
neutralité ultimement requise par le recours butoir et exécutoire à un comité de révision<br />
exclusivement formé de commissaires, nécessairement placés en situation de juge et<br />
partie.<br />
Tant et si bien qu’année après année, plus de cent cas traités en comité de révision<br />
par leurs commissions scolaires réciproques aboutissent quand même au bureau du<br />
Protecteur du citoyen. Plus de cent cas de parents pas encore découragés (ou<br />
suffisamment tenaces ou enragés pour ne pas l’être) par la tactique de l’usure<br />
couramment et stratégiquement utilisée par les instances éducatives. Il s’installe, en<br />
effet, tant de dédales et de délais dans les procédures pour si peu d’espoir d’un<br />
semblant de gain de cause ou de véritable et pertinente conciliation que la plupart des<br />
demandeurs se lassent, renoncent ou se plient aux décisions autarciques du système.<br />
De toute façon, comme le note la protectrice, sa neutralité n’est, en l’occurrence,<br />
d’aucune utilité en milieu scolaire puisqu’elle n'a aucune compétence reconnue dans le<br />
réseau du ministère de l'Éducation. Pourtant, depuis 2006, son pouvoir d’intervention<br />
s’est étendu jusque dans les établissements du réseau de la Santé. Il est donc difficile<br />
de concevoir pourquoi cette extension n’a pas gagné le réseau éducatif.<br />
S’il est adopté, le projet de loi 88, modifiant la loi de l’instruction publique, soutenu<br />
par l’actuelle ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, obligera, comme il le<br />
préconise, les commissions scolaires à se doter d'un Protecteur de l'élève. Cependant,<br />
cette intention vertueuse ne garantira pas l’objectivité et la neutralité de ce poste<br />
197
autrement que par l’espoir d’une éthique fondamentale, puisque l'article du projet 88 en<br />
fait celui d’«une personne désignée par la commission scolaire».<br />
Par ailleurs, l’application de l’éthique fondamentale provoque des crises sévères<br />
d’urticaire en milieu scolaire comme en matière de protection de l’enfance : il y a fort à<br />
parier que l’équilibre organisationnel homéostatique va continuer de se gaver de<br />
décisions en éthique appliquée, même inappropriées, fondées sur les ressources<br />
disponibles plutôt que sur les besoins sans réponse, puisque c’est, sans changement<br />
structural majeur, la survie d’un système inaltérable qui en dépend.<br />
Ce système exècre les revendicateurs et les insoumis. Il est fondé sur l’oligarchie<br />
savamment camouflée de ses hauts gestionnaires. Ce n’est certes pas pour intégrer<br />
constructivement les points de vue divergents de ces empêcheurs de tourner en rond<br />
que l’on songe à instaurer ce poste. Le législateur l’a compris aisément en attachant les<br />
honoraires à la structure en place…<br />
Les batailles, à ce stade infructueuses, vont se civiliser sous des augures<br />
apparemment favorables, mais on peut prévoir que tout ne sera qu’apparat : le<br />
législateur sait hausser, par de nouveaux protocoles, la convergence apparente entre,<br />
d’une part, le nécessaire et l’essentiel et, d’autre part, la neutralité qui en garantit<br />
l’obtention, tout en permettant aux machines qu’il huile de ne pas se modifier, de<br />
continuer à fabriquer du prétendument vrai avec du faux.<br />
Le législateur défend savamment l’inclusion et sa vertu inattaquable. Il saura placer,<br />
sous cette hiérarchie de valeurs, l’indépendance décisionnelle du protecteur de l’élève<br />
et, par là, préorienter les arbitrages de ce dernier, en faveur d’une intégration, qui,<br />
198
comme par magie, dispense d’un soutien individualisé et intensifié au profit d’une<br />
différenciation aveugle et caduque.<br />
La privation des ressources pertinentes et suffisantes de support, de soutien ou de<br />
maintien demeura légale, même autrement arbitrée.<br />
Dans un troisième temps, quittant la sphère du discours qui l’a conçue, l’action<br />
sociale va se concrétiser dans ses modes de réalisation législative (normes, politiques,<br />
règlements, règles, plans d’action) ainsi que dans les institutions qui vont veiller à<br />
l’application des encadrements légiférés. Nous sommes situés à un palier où le<br />
discours tenu est obligatoirement convergent avec le discours culturel et législatif<br />
officiel. S’il y a divergence, c’est l’action (contraire) qui va en être le révélateur et, si cela<br />
se produit, l’action contraire est quasi présanctionnée, toute dérogation étant a priori<br />
coupable.<br />
C’est, par exemple, à ce palier que se réalise le principe déontologique de la loyauté<br />
à l’organisation. Il n’y est pas décrété, ayant été enchâssé au palier supérieur de la<br />
législation.<br />
Je vous donne un exemple que j’ai personnellement vécu en 1992, au moment où<br />
ma commission scolaire dont je dirigeais l’école pratiquant le plus haut niveau<br />
d’intégration fut confrontée au changement de paradigme financier découlant du<br />
déplacement des fonds de l’OPHQ vers le MEQ.<br />
J’avais antérieurement desservi, avec succès, plusieurs élèves à dysphasies<br />
sévères dans des classes régulières. Cela était rendu possible par le truchement<br />
financier de l’OPHQ qui défrayait généreusement les ressources de soutien à l’élève<br />
handicapé.<br />
199
Du jour au lendemain, le ratio 1/1 en éducation spécialisée, jusqu’alors accessible<br />
dans les cas évalués extrêmes, devint une hérésie. J’avais alors un écolier concerné<br />
par cette coupure qui était rendu, sans retards ni académique ni chronologique, en<br />
quatrième année de fréquentation du primaire. La maman, dûment informée en plan<br />
de service de ce retrait du soutien et de ses conséquences probables, fit une demande<br />
de révision.<br />
Coordonnateur consciencieux des plans d’intervention de mon école, je l’avais<br />
documentée le mieux possible, comme le prévoit d’ailleurs la LIP, en vue de sa<br />
prestation devant le comité de révision. Je lui avais même proposé de me présenter à<br />
ses côtés, soutenant que je n’avais aucun problème à témoigner, en personne, des<br />
mêmes informations que j’avais transmises, par écrit, aux services éducatifs de ma<br />
commission scolaire. Elle avait naturellement accepté ma proposition.<br />
Le grand jour (non : le grand soir…) arrive. Le comité de révision est réuni. Il a déjà<br />
entendu les représentations services éducatifs de la commission scolaire à propos de<br />
ce cas et appelle la maman à présenter les siennes. Tel que promis, je l’accompagne.<br />
Les sourcils se haussent à mon entrée, surtout ceux de mon directeur général<br />
également présent. Mais personne n’intervient pour me dire de quitter. Fort bien : la<br />
maman verbalise ses arguments et me cite à l’appui. Je corrobore et complète de<br />
maints constats et motifs pédagogiques.<br />
Les commissaires du comité me posent une foule de questions, parce que, révèlent-<br />
ils, ma position diffère notablement de celle des services éducatifs (que j’ai pourtant<br />
documentés de même façon que la maman…) J’explicite et, étant particulièrement au<br />
fait des besoins de ce jeune, repousse les prétentions des services éducatifs.<br />
200
La maman et moi-même sommes remerciés, afin que le comité tienne ses<br />
délibérations.<br />
Mon directeur général vient prestement me rejoindre dans le corridor où nous<br />
attendons. Il m’attire à part : «Patrick, tu ne fais plus jamais ça! Tu es un gestionnaire<br />
de la commission scolaire : tu n’interviens pas à l’encontre d’un de ses services!»<br />
Naïf, impénitent ou (et) imprudent, je rétorque que les services éducatifs ne sont pas<br />
en ligne d’autorité avec moi, que seul lui l’est, et que je connais mieux ce dossier que<br />
quiconque, hormis les intervenants directs auprès de l’enfant.<br />
Ma seule chance est d’avoir, à l’époque, un DG qui soutient encore le mouvement<br />
pro-intégration et qui admet, sans faire de crise d’apoplexie, des arguments logiques<br />
même s’ils le contredisent.<br />
Je reçois quand même, quelques jours plus tard, un blâme écrit, versé à mon<br />
dossier, qui m’instruit de ma faute et m’avise de ne pas récidiver.<br />
Quand je trace ou retrace le bilan de cet épisode, je me réjouis à la pensée que j’ai,<br />
en cette occasion, failli à mon devoir de réserve, que j’ai effectivement été<br />
insubordonné et que, dans le fond, j’ai renoncé à une lobotomie qui m’aurait contraint à<br />
mentir sur les besoins fondamentaux d’un écolier.<br />
Je ne me réjouis pas d’avoir cessé d’être présent auprès des parents que j’aurais pu<br />
y soutenir, lors des séances ultérieures du comité de révision.<br />
Le fait que ma tête était sur le billot ne m’excuse pas davantage à mes yeux, même<br />
si je l’y ai replacée régulièrement. Le plus souvent, mes patrons, même débalancés, ont<br />
considéré que je me portais à la défense des plus vulnérables et que cela pardonnait à<br />
moitié mes fautes.<br />
201
J’ai toutefois eu de temps à autre le sentiment que, dans leurs aveux les plus criants<br />
d’impuissance, il ne restait à certains hors cadres sans panache que la menace de<br />
nous saisir par les testicules et de les broyer. De nous aveulir. De nous castrer.<br />
Mais la saisie des parties génitales (dont plusieurs étaient de toute façon<br />
dépourvus) m’est apparue tellement futile que j’ai cru que ce bluff était d’autant plus<br />
improbable qu’il était démesurément grossier. Mal m’en a pris : il y a aussi, même si<br />
grâce à Dieu elles sont rares, des outres pansues et charognardes, dévoreuses de<br />
génitoires à défaut d’en avoir.<br />
Ne vous tracassez pas pour moi : j’ai conservé intactes les miennes ainsi que mes<br />
fonctions cérébrales et, ce dont je suis fier, c’est de n’avoir jamais tu aux parents et à<br />
mes intervenants les besoins réels de leurs enfants ou de leurs élèves, les évaluations<br />
expertes requises, les services appropriés et leur niveau; de n’avoir jamais dit blanc à la<br />
clientèle et noir à ma commission, sous prétexte d’un poste de gestionnaire, d’une<br />
promotion, d’un sens politique, d’un sens de la diplomatie, d’une aptitude à vivre dans<br />
l’ambigüité ou d’un hypocrite devoir de réserve.<br />
Cet exemple du comité de révision, comme institution intégrée, et de son processus<br />
décisionnel est donc un parfait exemple de la réalisation, dans l’action, d’encadrements<br />
légiférés : il illustre non seulement la possible, mais la courante harmonisation des<br />
instruments à une âme dénaturée pour la perpétuer.<br />
Le quatrième et dernier palier est celui de la tenue des rôles et fonctions. Il se situe<br />
aussi au niveau de l’exécution, riche en énergie (comme le canard qui agite ses palmes<br />
dans la mare saumâtre) et pauvre en information (comme TQS vu par Remstar).<br />
202
Au chapitre de la privation de ressources de support, de soutien ou de maintien,<br />
sous le vocabulaire mensonger de la normalisation, aménagée en philosophie<br />
d’inclusion, il explique les comportements adoptés, en lien logique, par ceux des<br />
acteurs complices de ce système vicié.<br />
Il explique le changement de cap relatif à la tenue des plans d’intervention, son doux<br />
glissement vers le modèle de l’Iowa, qui fait murmurer Galilée, alors qu’il devrait<br />
s’époumoner, et qui retarde indûment les évaluations causales expertes qui, seules,<br />
vont clarifier les vraies astreintes, seules, vont permettre une approche écosystémique<br />
fondée, non seulement, sur les besoins découlant des déficiences du jeune, mais des<br />
déficiences causales de son environnement, incluant, comme dirait l’OPHQ «À part<br />
égale», famille, système scolaire et système social.<br />
Il explique le camouflage endémique orchestré par le gouvernement, avec la<br />
complicité dodelinante de ses hauts dirigeants, tous drapés dans les raisons d’État, et<br />
les dociles et béates courbettes des bien plus petits gestionnaires des établissements<br />
qui tentent, à perpétuité, l’impossible conciliation et participent allègrement au discours<br />
rassembleur pour expliquer pourquoi quarante ans plus tard, alors que c’est<br />
formellement du pareil au même, «ça s’est fondamentalement amélioré!»<br />
Il explique dramatiquement tout ce gâchis d’énergies et de sources de vie qui<br />
provient des combats incessants des intervenants du terrain qui, inlassablement,<br />
investissent le meilleur d’eux-mêmes pour faire flotter un Titanic déjà «iceberguisé» :<br />
c’est l’orchestre emblématique sur le pont du navire-catastrophe. C’est, dans le froid<br />
glacial du système scolaire québécois, le courage purement esthétique face à<br />
l’hyperphénomène de la mort lente.<br />
203
En guise de conclusion à ce chapitre<br />
«P.S., P.I., P.T. pétés! », titre du chapitre V de ce livre.<br />
Certains de mes étudiants universitaires, à leur retour de stages, me révèlent faire le<br />
constat de l’existence accrue des plans d’intervention et je crois plausible que le<br />
nombre de démarches d’adaptation ou de différenciation ait augmenté.<br />
Toutefois, comme dirait Jerry Boulet, «vous m’avez monté un beau grand bateau,<br />
vous m’avez fait de bien grandes vagues…» et, pour le vieux loup de mer que je suis, il<br />
n’est pas difficile de constater que la galère prend l’eau!<br />
Ce qui a numériquement augmenté, ce sont les plans d’action et, transformés en<br />
canards hyperactifs dans un effort sublime de délégation et de décentralisation de leur<br />
système scolaire et de leurs supérieurs hiérarchiques, les enseignants, plus ou moins<br />
supportés, de loin plus que de près, par les «équipes multi», qui pataugent dans une<br />
différenciation approximative, le plus souvent dénuée de ressources matérielles,<br />
financières et humaines complémentaires.<br />
L’acte de coordination, propre à la gestion efficace d’un plan d’intervention et qui<br />
interpelle et doit nécessairement interpeler, dans l’actuelle structure, la direction de<br />
l’établissement scolaire, n’a, le plus souvent, pas lieu : le PI est remplacé par le PA.<br />
Bien entendu, on masque, on dissimule et on continue de nommer PI des<br />
démarches qui n’en sont pas, l’objectif ultime étant à la fois de se convaincre que l’on<br />
en fait et de ne prendre aucun des engagements (matériels, financiers et humains) qui<br />
découleraient d’une véritable prise en charge.<br />
Parmi les facteurs de cette mise en scène scabreuse, trônent l’absence historique<br />
de gestion factuelle des PI, telle que dénoncée par la vérificatrice générale, et, en<br />
réaction homéostatique, le faire-semblant (d’avoir corrigé depuis cette indécente<br />
lacune) des directions des écoles.<br />
Ces «gestionnaires d’unités administratives» sont téléguidés en ce sens par un<br />
système qui refuse d’investir auprès de sa jeunesse vulnérable, acceptant du même<br />
coup, de diminuer le meilleur devenir de tous nos enfants : ce que la collectivité ne fait<br />
pas pour le plus faible d’entre les siens affaiblit l’ensemble de la collectivité.<br />
204
Chapitre VI<br />
Je réforme, tu réformes, il réforme.<br />
Nous déformons, vous déformez, ils déforment.<br />
205<br />
Abyssus abyssum invocat<br />
L'abîme appelle l'abîme (Psaume de David)<br />
13. Mauvaise planification didactique et pédagogique des réformes<br />
J’ai rédigé l’article qui suit en décembre 2002, en réaction au sempiternel lavage des<br />
cerveaux qui, au MEQ, puis au MELS, accompagne historiquement les implantations de<br />
ses réformes ou de ses nouveaux programmes, tatouant l’axiome du remplacement du<br />
pire par le mieux 28 .<br />
Les concepteurs du «nouveau» roucoulent le chant vantard de leur grandiose<br />
créativité pour s’autocongratuler : ils s’aiment grands découvreurs de terres<br />
inconnues…<br />
Souvent la création se limite à l’élaboration déficiente d’un dialecte nouveau, sous<br />
un vocabulaire pompeux, pour dire autrement le déjà-connu et formuler différemment le<br />
déjà-fait, le déjà-compris, le déjà-inclus.<br />
Ainsi, l’actuelle réforme prône-t-elle une approche par compétences : à ces seuls<br />
mots, votre mâchoire inférieure devrait perdre tout tonus et votre bouche devrait se figer<br />
dans un puissant immobilisme pantois et admiratif.<br />
Nous exercerons désormais des compétences. Sans doute serons-nous aussi les<br />
premières générations à en acquérir!<br />
28 Ce qui est particulièrement effarant, c’est que le MEQ est l’auteur tant des pires que des mieux que ne distingue<br />
fondamentalement que la date de publication…
Foutaise!<br />
La réforme de l’éducation : «lutte à finir» contre la prétention et le mutisme…<br />
2002-12-04<br />
La pédagogie a de tout temps visé le développement de compétences et nous ne pouvons que<br />
nous apitoyer sur le manque flagrant d’humilité de ceux et celles d’entre nous qui s’illusionnent<br />
dans un acte qu’ils et elles croient créatif parce qu’ils redécouvrent, au pire en la renommant, la<br />
sagesse ancestrale des éducateurs…<br />
Jamais l’éducation n’a négligé l’étalement des savoirs (savoirs ou connaissances, composantes<br />
du savoir-être, composantes du savoir-faire) et le passé (ne serait-ce que par l’éducation par<br />
compagnonnage issu de l’Antiquité et souvent sacrifié à l’industrialisation scolaire ou la véritable<br />
médiation parentale du temps où elle pouvait encore correctement s’exercer ), a savamment<br />
démontré son essentielle préoccupation de l’actualisation des potentiels développés dans la vie<br />
quotidienne, y compris durant l’acte d’apprendre.<br />
Bien sûr, les modes, ces phénix sociaux, ont parfois créé l’illusion que les connaissances et<br />
elles seules étaient dignes de sacralisation et que « le faire» leur était subalterne et<br />
nécessairement assujetti. Quant à « l’être», il était banni comme impropre à la consommation.<br />
Toutefois, même sous l’illusion que tout pouvoir résidait dans l’étendue des connaissances, les<br />
compétences étaient développées.<br />
C’est d’ailleurs pourquoi les universitaires et autres créateurs sacrés ou sacralisés qui<br />
prétendent que les compétences n’ont jamais été développées en milieu scolaire, en possèdent<br />
hélas suffisamment pour imposer leurs «nouvelles» visions. C’est pourquoi aussi, nous qui<br />
sommes assez vieux pour avoir été les victimes innocentes de la pédagogie encyclopédique,<br />
avons le sentiment que nous en possédons aussi (des compétences…), dont plusieurs ont pour<br />
origine la formation reçue, y compris les méthodes employées pour ce faire…<br />
206
De fait, grosso modo, la seule chose qui ait changé, c’est la nature de la manipulation des<br />
comportements qui est passée de notre cerveau reptilien et de ses méthodes coercitives<br />
inavouables («Fais-le et tais-toi ! ») à notre cerveau limbique et à ses méthodes persuasives,<br />
affectivement publiables (« Ce serait tellement mieux pour toi et les autres si tu faisais<br />
autrement (sous-entendu : comme je te dis (encore ?) de le faire…). Bien oui, l’exploitation de<br />
l’homme par l’homme, grâce, entre autres, aux progrès de la psychologie, a raffiné ses<br />
manipulations comportementales et permis de gérer la manipulation dans des domaines autres<br />
que l’accumulation encyclopédique des savoirs : dès lors, les composantes du savoir-être et du<br />
savoir-faire pouvant être harnachées, les universitaires, spécialistes de la pédagogie sur papier,<br />
font mine de sortir de leurs tours d’ivoire et de Babel pour inculquer aux pauvres néophytes de<br />
la pratique quotidienne ( celle des compétences peut-être ?) ce que leur isolement séculaire<br />
dans leurs officines, agrémenté de trempettes aussi cosmétiques que stratégiques sur le<br />
terrain, leur ont fait découvrir que nous n’avons pas vécu.<br />
La seule prétention que nous devrions avoir l’humilité d’avouer devrait se limiter au constat de<br />
la communication plus ouverte et plus structurée des objectifs de formation, métacognitifs y<br />
compris, composant (encore) les compétences (inchangées) de l’être humain pleinement et<br />
harmonieusement développé : au risque, en effet d’en offusquer plusieurs, je prétends, par<br />
exemple, que le traitement compétent de l’information et sa réactualisation par transfert dans<br />
des zones d’autres savoirs (déclaratifs, procéduraux ou conditionnels ) sont vieux comme le<br />
monde dont ils expliquent l’évolution constante depuis « la nuit des temps», dans laquelle<br />
certaines mémoires semblent définitivement figées…<br />
Tout le reste est « de la bouillie pour les chats» et l’attitude des promoteurs de la nouvelle santé<br />
scolaire (qui refusent la saine et possible conciliation des gains du futur et de ses réformes aux<br />
savoirs, sagesses et compétences du présent et du passé et des mémoires de leurs réformes,)<br />
nie précisément la complexité qu’induisent comme essentielle leurs approches pédagogiques<br />
de voie-vérité-vie.<br />
207
Je veux terminer cet avis par deux exemples très concrets de la farce intellectuelle qui guide la<br />
démarche internationale d’implantation des réformes de l’éducation, par ailleurs toutes calquées<br />
sur le même moule grâce aux voyages d’études, conférences et colloques savants et à la<br />
mondialisation des échanges informatifs sur l’autoroute de l’osmose inversée…<br />
J’en appelle pédagogiquement à la gestion du temps, dans une classe ordinaire, composite,<br />
avec des écoliers d’intelligences diversifiées, parfois incapables de la conceptualisation si utile<br />
pour «faire du sens » ou le construire, d’écoliers-rois avides de plaisirs immédiats, forts et<br />
courts, d’écoliers « à cinq piastres», victimes d’abandon parental involontaire en garderie<br />
sanitaire, abandon forcé par l’exploitation moderne des humains aux fins des perpétuelles<br />
production et consommation. Comment le gérer ce temps dont le système refuse que l’on en<br />
dispose, tant est comptée et calibrée la durée de vie scolaire financièrement optimale de<br />
l’écolier et ce temps dont les concepteurs des réformes ne disent rien, comme s’il était variable<br />
négligeable, voire inexistante !<br />
J’ai aussi en tête ces ateliers où certains services éducatifs de nos commissions scolaires «<br />
injectent» au ratio 1/7 autant de conseillers pédagogiques qu’il en faut pour, par une démarche<br />
socioconstructiviste, amener (conduire ? instruire ? guider ? persuader ?) les « pôvres» profs<br />
innocents à utiliser «LA» démarche pédagogique (incidemment NON PRESCRITE par le<br />
programme des programmes). À cette dose, excusez-moi, mais ce n’est plus de l’éducation, ce<br />
n’est plus de l’enseignement, c’est de la thérapie ou…du lavage de cerveau ! À quand un<br />
semblable «débarquement» dans les classes si, pour parvenir à une démarche de construction<br />
des savoirs, un tel ratio est requis pour les adultes chargés de porter la bonne nouvelle ?<br />
Voilà, j’en ai provisoirement fini. J’attends d’autres réponses que la sempiternelle réplique de «<br />
résistance au changement » créée pour annihiler toute pensée critique constructive. Mes dires<br />
sont sérieux, campés dans la réalité. Si de vraies réponses n’y sont pas apportées, alors<br />
j’annonce, avec détresse, deux événements, déjà vécus, qui vont se reproduire dans notre<br />
système :<br />
208
1)- l’échec de l’implantation de cette nouvelle réforme, comme a échoué, pour des ignorances<br />
intentionnelles similaires, celle des programmes de 1980 ;<br />
2)- la ruine de nouvelles cohortes d’écoliers quant à la maîtrise des savoirs essentiels, en<br />
particulier au plan de la langue, comme la ruine qui s’est produite pour les cohortes d’écoliers<br />
qui ont vécu la réforme des années 80, ses manquements à la considération des variables<br />
menaçantes, écoliers que l’on retrouve sur les bancs universitaires et collégiaux, sans<br />
compétence suffisante pour écrire et sans structure adéquate pour traiter l’information. « C’est<br />
la démarche qui compte, pas l’exactitude de la réponse. » dirent à 22 ans d’intervalle deux<br />
conseillers pédagogiques « en implantation», l’un en français (1980), l’autre en mathématique<br />
(2002)…Moi, je veux bien, mais cela dépend de QUI ET QUOI comptent ! Quand on voit<br />
combien « se plantent» au test Turbo (à présent au SEL, après avoir été le Céfranc)…Ce n’est<br />
pas difficile : si on sanctionne un savoir, on doit viser à le maîtriser. C’est cela la règle et, dans<br />
la vraie vie, celle avec laquelle on ne triche pas, c’est comme cela que ça fonctionne ! Tant que<br />
la réforme des sanctions n’est pas complétée (et elle n’est pas près de l’être !), on pénalise les<br />
étudiants en en faisant fi.<br />
Cela, universitaires ou réformistes aveugles ou ignorants, n’est pas l’effet d’une approche<br />
encyclopédique d’ailleurs amplement transformée et enrichie dans la pratique enseignante des<br />
années 70 à 2000, mais la conséquence d’une réforme mal implantée, imposant contre toute<br />
réalité connue des praticiens, un modèle théorique expérimental sans répondre ni « à» ni « de»<br />
ses failles.<br />
Patrick JJ Daganaud, intervenant scolaire et universitaire, enseignant et pédagogue<br />
209
14. Mauvaises stratégies d’implantation<br />
Je poursuivrai en douceur avec l’avis que j’avais formulé dès 1999, en lettre<br />
ouverte, au ministre de l’Éducation, aux balbutiements de l’implantation de l’actuelle<br />
«déforme».<br />
M. François Legault<br />
Ministre de l’Éducation<br />
Je me permets de vous télécopier un texte que le quotidien La Tribune a publié dans l’édition du<br />
99-02-06 : je vous prie d’excuser le retard apporté à vous le transmettre puisque vous auriez dû<br />
en être le premier lecteur. Il ne m’apparaît pas inutile de signaler à votre attention que ce texte<br />
ne met nullement en cause ou en relation mon employeur, même si j’ai signé à titre de directeur<br />
d’établissement avec le désir que vous sachiez que le regard porté en est un de l’intérieur.<br />
Au-delà de certains aspects frondeurs, les questions que je soulève sont des questions de fond<br />
et comme j’ai écho de la dynamique qui prévaut dans l’engouement qui préside à l’implantation<br />
de la réforme, je me sens le devoir de vous communiquer mon expertise.<br />
À maints égards, les apprentis sorciers qui mijotent la réforme se gargarisent de projections<br />
futuristes dont ils ignorent, en réalité, les exactes retombées. Vu les désastres antérieurs, il<br />
n’est pas vain de le signaler.<br />
Enfin, Monsieur, puis-je vous rappeler, puisque l’on vous reconnaît le mérite de parler de<br />
valeurs éducatives, que votre ministère est, de tous, celui qui doit être en mesure de s’élever<br />
très haut au-dessus des contingences bassement mercantiles qui marchandent l’humain<br />
comme une denrée sociale de consommation?<br />
Respectueusement,<br />
210<br />
Patrick JJ Daganaud
DE LA RÉFORME DE L’ÉCOLE À «L’ÉCOLE DE RÉFORME»<br />
Lettre ouverte au ministre de L’Éducation, Monsieur François Legault<br />
Monsieur le Ministre,<br />
Vous n’avez pas connu les ravages qu’a occasionnés le programme de<br />
français des années 80, issu de votre ministère. D’où vous vient cet élan de saine prudence qui<br />
l’empêchera peut-être d’imposer des changements dont il ignore une fois de plus les<br />
conséquences ? Vous avez pourtant temporairement bâillonné le despotisme intellectuel qui a<br />
guidé la préparation de la réforme scolaire. Les gestionnaires de haute voltige qui l’ont pilotée et<br />
coordonnée se sont mis à la recherche des ingrédients manquants pour la rendre moins<br />
indigeste…S’éloignera-t-on des prétentions du premier ministre de changer par son école la<br />
société tout entière en lui faisant faire l’apprentissage douloureux de l’austérité et de la<br />
privation, de la discipline magique, de la compétition effrénée et de la sélection camouflée ?<br />
Les changements programmés par votre gouvernement font totale abstraction de l’humain à<br />
desservir : ne cherchez plus, c’est l’ingrédient manquant !<br />
En tant que directeur d’école au primaire, je vais, Monsieur, vous entretenir de ce que je<br />
constate, à ce moment, sur les premiers jalons connus de la réforme :<br />
1) Les services à la petite enfance que Madame Marois s’est targuée de défendre, d’illustrer et<br />
de démocratiser vont, paraît-il, suppléer la cellule familiale : il faut cependant une médiation<br />
parentale pour apporter l’équilibre émotionnel d’où procède le développement de l’enfant. En<br />
réduisant les choix parentaux par la subvention unique d’une formule stéréotypée<br />
(«kibboutzienne»?), le gouvernement augmentera le nombre d’enfants en déficit précoce de<br />
communication : parlez-en aux orthophonistes ! Cela amorce mal une scolarité…<br />
2) Les 45 minutes quotidiennes qui séparent l’horaire de maternelle et celui du primaire<br />
induisent une gymnastique organisationnelle inutile et infructueuse parce que le MEQ n’a pas<br />
complété le financement requis à une implantation civilisée de la maternelle à temps plein ! À<br />
quand le correctif ?<br />
211
3) La tentation grandissante d’«instruire» les cinq ans pour accoler ce degré au premier des<br />
trois cycles du primaire évacuera-t-elle dans les faits deux des trois axes fondamentaux de la<br />
maternelle, celui de la relation de l’enfant avec lui-même et celui de sa relation avec les autres ?<br />
4) La superposition anarchique du «programme des programmes» (qui ne pourra être rentable<br />
que s’il est à la fois l’objet de la pratique intégrée que le MEQ a prévue, mais aussi d’un temps<br />
réservé qu’ il a escamoté), hantera vos propres analyses sur l’application et l’applicabilité des<br />
programmes : elles ont fait la démonstration que les objectifs de ceux qui vont devenir les<br />
«nouveaux anciens» programmes ne pouvaient être correctement enseignés à la majorité des<br />
élèves à l’intérieur de l’assiette horaire ( : objectifs mis de côté en sciences de la nature, en arts,<br />
en enseignement religieux et en sciences humaines) ; or votre ministère se prépare à demander<br />
aux enseignants du primaire de faire plus en dedans des 4 ans que vont durer les 2 derniers<br />
cycles du primaire qu’en dedans des 6 de l’actuelle grille. À moins que vous n’ayez, à titre de<br />
Vice-Président de Conseil du Trésor, la tentation de financer l’augmentation de la fréquentation<br />
scolaire en même temps que l’équité salariale ?<br />
5) La marge de manœuvre soi-disant laissée aux écoles est purement et dangereusement<br />
illusoire puisque le MEQ consacre, dans sa réforme, l’existence (également ajoutée) de<br />
l’initiation à la technologie : elle intègrera les technologies de l’information et de la<br />
communication, lesquelles, contrairement à la croyance ministérielle, n’épargnent pas du temps<br />
d’enseignement, mais en commandent davantage, d’autant plus que, dans ce domaine comme<br />
dans bien d’autres (celui de l’intégration des EHDAA) le financement du support technique et de<br />
la formation continue a été «oublié» dans les formidables planifications du MEQ …<br />
6) L’abandon du programme de formation personnelle et sociale, sublimement créé par votre<br />
ministère (capable de dire, incapable de faire…), emporte avec lui tout le développement<br />
humain, pourtant essentiel au régime pédagogique d’une école respectueuse de l’enfant en<br />
devenir. Mais à l’époque, Monsieur le Ministre, ce programme a été superposé lui-même à une<br />
212
grille-matières déjà surchargée et a été implanté «à la va-comme-je-te-pousse» : des leçons à<br />
tirer… ?<br />
7) La récupération utilitariste du volet «éducation à la vie en société» du programme de<br />
formation personnelle et sociale, l’éducation à la citoyenneté (plus ou moins greffée à l’histoire<br />
et à la géographie?), servira quelle philosophie et quel modèle sociaux : ceux qu’édictent au<br />
gouvernement les maisons de courtage? Les indices de neutralité éthique n’abondent pas dans<br />
la partie connue des changements…<br />
8) La récupération du volet «éducation à la santé» du programme de formation personnelle et<br />
sociale , greffé au programme d’éducation physique (alors que votre ministère sait<br />
pertinemment qu’il manque d’heures dans cette spécialité pour couvrir tous les objectifs de<br />
l’actuel programme et que vous savez qu’il n’est point dans vos intentions d’en financer plus)<br />
fait-elle partie du virage ambulatoire …?<br />
9) La pensée magique qui guide le MEQ prévoit que les enfants, à la suite de la réforme, vont<br />
arriver à l’école frais et dispos pour être instruits, qualifiés, socialisés (et… éduqués peut-être<br />
?!) Vous donne t’elle le sentiment que les parents d’aujourd’hui, pressurisés dans la course folle<br />
au travail, dans les défis mensuels pour joindre les 2 bouts et préserver des coupures et<br />
restrictions incessantes les maigres compensations que leur méritent objectivement leurs<br />
efforts, cette pensée magique vous donne-t-elle l’impression que ces vrais parents, pourtant<br />
aimants, vont en donner davantage ? Faire plus de médiation parentale ? Arbitrer mieux les<br />
écarts de comportement auxquels se livre leur progéniture qui veut signifier que ses parents lui<br />
manquent ? Non, Monsieur : c’est l’école qui va suppléer !<br />
10) L’absence de véritable assise philosophique d’une réforme qui fait lamentablement<br />
semblant de se tourner vers l’avenir, son mutisme quant au développement optimal et<br />
harmonieux de la personne dans toutes les sphères démontrent, Monsieur, que votre ministère,<br />
comme il l’a déjà fait par le passé, est prêt à ruiner encore des générations d’écoliers.<br />
213
11) Enfin, Monsieur, l’absence de volonté véritable et d’arbitrage indispensable au combat des<br />
iniquités instrumente une réforme qui nie leurs causes : comment pourrait-elle activer leurs<br />
corrections ?<br />
Monsieur le Ministre, un temps de réflexion est en effet indispensable si vous voulez éviter que<br />
la réforme de l’École ne la transforme en «école de réforme» !<br />
Effet de mon intervention : (évidemment) 0 !<br />
Je «carbure» depuis toujours à la naïveté et j’avais le sentiment que des coups de<br />
semonce de cette nature alerteraient suffisamment les instances concernées, non pour<br />
imposer ma lecture et mes vues dans mes élans d’alarme, mais pour freiner les cohues<br />
et générer les échanges propices à l’identification préalable des risques et des<br />
dérapages.<br />
Je crois que, lorsque l’on véhicule des enfants, on n’a pas droit de courir de risques<br />
relativement à leur sécurité et je souligne les efforts et la performance… du transport<br />
scolaire en ce sens.<br />
Je crois aussi que, lorsque l’on véhicule des enfants sur la route de leur<br />
meilleur devenir, on n’a ni le droit de prendre des chances, ni celui<br />
d’expérimenter sur leur dos!<br />
Avec cet axiome, l’image qui me vient est celle de cette publicité télévisée des<br />
fabricants automobiles lorsqu’ils nous montrent des mannequins subissant les tests<br />
d’impacts de leurs véhicules. La pensée que je fuis, vous le comprendrez, est celle,<br />
214
théoriquement inimaginable, où l’on remplacerait les mannequins par des humains.<br />
Théoriquement inimaginable?<br />
Pas pour le MELS!<br />
Je reconnais d’emblée que de magistraux bancs d’essai sont planifiés et organisés<br />
par le MELS, avant la mise en place de ses changements. Toutefois, comme les<br />
ateliers destinés aux «agents multiplicateurs» et aux directions, lesquels sont organisés<br />
à des ratios d’animation pédagogique inaccessibles dans la réalité, les conditions<br />
financières, matérielles et humaines d’expérimentation sont sans lien avec celles qui<br />
prévalent dans le quotidien scolaire généralisé. Ces conditions sont aseptisées pour<br />
produire, à grand renfort de sélection des milieux propices, de prémotivation,<br />
d’accompagnement, d’expertise interne et externe, d’argent, les résultats escomptés.<br />
Un peu comme si l’auto du banc d’essai fonçait dans un amas de plumes…<br />
Il faut savoir que, lors des changements, certaines théories administratives, mal<br />
comprises ou mal gérées en éducation comme ailleurs, prennent le pas sur le dialogue<br />
éthique. Parmi ces théories, celle de la résistance au changement.<br />
Loin de moi l’idée de nier que tout changement provoque (sainement d’ailleurs) de la<br />
résistance, mais infiniment proche celle de dénoncer la réaction primaire, quasi<br />
reptilienne, du MELS et de ses stratèges lors de chacune des réformes, lors de chacun<br />
des changements.<br />
Le diagnostic relatif aux écarts dubitatifs est déjà prononcé : «les récalcitrants sont<br />
des arriérés pédagogiques, du «bois mort» (20%), des chialeurs, des passéistes, des<br />
vieux. Ils alimentent la résistance au changement et font échouer les réformes.»<br />
Cela occasionne trois impacts additionnels à ceux que je vais illustrer plus loin :<br />
215
1. un sentiment d’inadéquation des enseignantes et enseignants de 15 ans et plus<br />
d’expérience qui, lors d’un changement, ont déjà accumulé un bagage expérientiel<br />
qui a testé, confronté et assis leur enseignement. Ce sentiment d’inadéquation<br />
provient du leitmotiv traditionnel des implantations qui consiste à promouvoir le<br />
renouveau en dénigrant le passé (et celles et ceux qui l’ont vécu). Ce phénomène<br />
faisait dire à juste titre à une excellente enseignante qui en vivait les effets pervers,<br />
«nous exerçons probablement la seule profession où, plus on accumule<br />
d’expérience, moins on devient compétent!»<br />
2. un clivage intergénérationnel qui fait que plusieurs des plus jeunes recrues, fraiches<br />
émoulues d’une formation universitaire qui participe activement au même<br />
phénomène, pensent que les collègues d’expérience sont dépassés et, somme<br />
toute, ignorants des savoirs essentiels à l’accomplissement reconnu de la tâche.<br />
Comment et pourquoi l’université procède-t-elle à cet autre lavage de cerveau? Je<br />
détaillerai ma réponse et son illustration dans le chapitre VI de ce livre. En<br />
attendant, je pose quand même comme diagnostic causal, l’orientation tendancieuse<br />
de la recherche universitaire. Il est évident que l’objectif des chercheurs est de<br />
trouver et, préférablement, de trouver ce qui ne l’a jamais été antérieurement, c’est-<br />
à-dire de découvrir. Quatre axes s’offrent alors en ce domaine :<br />
a. la véritable (mais rare) découverte d’un champ nouveau ou d’un meilleur outil;<br />
b. l’instrumentation complémentaire équivalente d’un champ (qui ne fait qu’accroître<br />
les outils disponibles, mais ne devrait pas inciter à abandonner les autres);<br />
c. la reformulation en un vocabulaire nouveau de découvertes (de champs ou<br />
d’outils) passées pour faire croire que…<br />
216
d. le dénigrement (à démonstration empirique) des errances (de champs et d’outils)<br />
du passé. Cette dernière méthodologie a été, par exemple, largement utilisée<br />
pour dénigrer le (d’ailleurs bancal) redoublement et lui substituer la plus bancale<br />
promotion automatique en situation d’échec, dont les ravages se sont amorcés<br />
en 2006-2007 au secondaire et s’amplifieront jusqu’en 2011…Il y aura alors<br />
d’autres recherches universitaires pour dénigrer ce type de promotion<br />
mensongère.<br />
3. Le dernier impact touche la gestion de la supervision pédagogique par les directions<br />
des établissements scolaires. Parfaitement cérébrolésées par les ateliers de<br />
formation à l’implantation qui, comme le ministère ou les universités, leur inculquent<br />
que «le méchant» (presque l’axe du mal) doit être extirpé, les moins brillantes ou les<br />
plus influençables ou les plus fragiles ou les plus «leadershipiennes» d’entre elles<br />
(cela en fait un joli paquet) commencent, avec l’implantation de la réforme dans<br />
LEUR école, le harcèlement des…récalcitrants, des vieux, des passéistes. Il se<br />
crée, dans ce cas, un climat qui amplifie les deux impacts précédents.<br />
À la décharge de ces directions, je me dois d’ajouter que les directions générales<br />
des commissions scolaires, dans leur propre méthodologie de reddition de comptes<br />
de leurs subalternes, initient ce dernier impact. Cela leur est d’autant plus aisé<br />
qu’avec le temps, le critère de docilité, amalgamé au concept de loyauté envers<br />
l’employeur, leur facilite les conditions gagnantes.<br />
Au diable, encore une fois, la loyauté envers les écoliers!<br />
217
Cela me permet d’ajouter qu’IL Y A TOUT LIEU, pour ces motifs (et bien d’autres)<br />
D’ABOLIR LES COMMISSIONS <strong>SCOLAIRES</strong> et de NE PAS AMPLIFIER LES<br />
PRÉROGATIVES DES DIRECTIONS D’ÉTABLISSEMENTS <strong>SCOLAIRES</strong>.<br />
Cela distingue fondamentalement ma position de celle de la moribonde Action<br />
démocratique qui teindrait volontiers des couleurs suédoises la gestion de nos écoles et<br />
qui, sans l’avoir avoué à ce jour, mettrait en péril le processus provincial de négociation<br />
des conventions collectives.<br />
Le mouvement syndical sur la tête de qui, pas plus qu’à moi, je ne placerais<br />
d’auréole, s’est révélé de tout temps l’un des rares remparts contre des abus du<br />
système, plus prononcés encore, à l’égard de nos écoliers québécois. Il doit être<br />
maintenu par souci de protection de nos jeunes et par souci d’équité systémique.<br />
Je reviens à présent à mon analyse critique des erreurs d’implantation. J’ai commis<br />
ce texte le 11 janvier 2003.<br />
Pourquoi échouent souvent les réformes…<br />
Si, à trente-trois ans de carrière, on a une bonne idée des leçons du passé…<br />
Pour faire court (ce qui, dans mon cas, est une hérésie…), il y a non pas une, mais deux<br />
causes majeures à l’échec des réformes, tirant néanmoins leur origine du même réflexe<br />
reptilien ou de la même réaction limbique de base :<br />
1. celle indiquée par R 29 . et dénoncée par lui en expédiant l’article de son confrère, qui<br />
consiste à refuser le changement et à se réfugier systématiquement et sans discernement<br />
dans les «anciennes recettes».<br />
29 Initiale du prénom d’un conseiller pédagogique très, très «pro».<br />
218
2. Celle qui consiste à réfuter les apprentissages du passé, à ne voir du bon que dans le neuf,<br />
à expurger le présent des recettes efficaces du passé, à refuser la pratique du doute<br />
systémique (d’où découle l’identification des écueils) et le développement du jugement<br />
critique sain, favorable et positif.<br />
Les 2 attitudes sont extrêmement dommageables et menacent également, bien qu’en des<br />
termes différents, l’implantation réussie d’une réforme.<br />
R., via son confrère, ayant illustré la première, je vais illustrer la seconde.<br />
D’abord, il y a quelques contradictions dans les attitudes des praticiens de la seconde option :<br />
Comment, en effet, peut-on à la fois préconiser une pédagogie de l’ouverture et pratiquer<br />
une pédagogie de la fermeture : comment expliquer que l’approche est ouverte, mais qu’elle<br />
exclut tout autre référentiel que celui que l’on tient à implanter (malgré qu’il soit dit et écrit<br />
par le MEQ que les approches pédagogiques sont préconisées, mais non imposées) : long<br />
débat…<br />
Comment est-on ouvert au changement sans être ouvert à ses écueils ?<br />
Comment est-on ouvert au changement sans accepter dans traiter les craintes ?<br />
Comment démontrer la faisabilité, par un seul enseignant (réalité des classes) d’une<br />
pédagogie, à la fois du projet et différenciée, lorsque l’on se contraint, lors des ateliers de<br />
formation destinés aux enseignants qui devront le mettre en pratique, de s’organiser à un<br />
ratio 1/7 pour procéder ?<br />
Peut-être la réforme a-t-elle 5 ans et demi, mais elle MÉRITE d’être considérée dans ces<br />
possibles et hypothétiques conséquences néfastes comme dans ces possibles et hypothétiques<br />
conséquences favorables et voici sommairement pourquoi :<br />
1. La réforme a, en réalité, 25 ans et elle s’est amorcée vers 1978 et s’est déjà implantée,<br />
au primaire, dans les années 1980 à 1990, avec un vocabulaire différent (habiletés,<br />
capacités, processus naturel d’apprentissage en situation signifiante, approche par<br />
résolution de problèmes…), mais des fondements didactiques fort similaires. Le<br />
219
secondaire de l’époque l’a catapultée au nirvana des réformes, comme d’autres<br />
changements aux programmes-cadres, puis institutionnels précédemment…Limiter sa<br />
vision aux 5 dernières années est un manque de vision et une lecture adolescente de<br />
l’évolution du système éducatif. Le vocabulaire entourant les références au<br />
psychocognitivisme (dangereux s’il expurge l’acquisition des savoirs préalables (au<br />
traitement et transfert) essentiels), au socioconstructivisme, à l’approche par<br />
compétences, aux pédagogies du projet ou différenciée est précieux, mais<br />
fondamentalement descriptif de terrains connus : plusieurs universitaires<br />
contemporains se font gloire de créer en nommant différemment…peu habitués qu’ils<br />
sont à faire !<br />
2. Même si nous savons que la psychologie génétique de Piaget est considérablement<br />
remise en question par l’évolution des neurosciences cognitives, elle continue d’inspirer<br />
la didactique des programmes disciplinaires qui demeurent en place, parce que, que l’on<br />
le désire ou pas, la clientèle cible est restée celle qui peut réussir : celle qui, à compter<br />
de sa 3 e année de fréquentation du primaire est progressivement capable de<br />
conceptualiser et d’abstraire et qui pourra ainsi, à la fois, augmenter son rythme<br />
d’apprentissage, la quantité et la complexité des notions rencontrées. Cette proportion<br />
correspond historiquement à celle qui se qualifie par un diplôme secondaire dans la<br />
durée scolaire normale, sans reprise, du secteur jeune (environ 65 %).<br />
Un autre 15 à 17 %, ralenti (QI verbal plus faible ou troubles de comportement), mais non<br />
inapte dans sa capacité d’abstraire, complète sa diplomation au secteur adulte.<br />
Les 18 à 20 % restant sont de vrais EHDAA (auxquels il conviendrait d’ajouter la portion des<br />
TC ayant complété leur formation secondaire aux adultes (environ 5%) : dans toutes les<br />
sociétés industrialisées, on estime en effet, scientifiquement, entre 20 et 25 % la population<br />
EHDAA. Parmi elle (sur 25), toujours historiquement et contingenté par les reconnaissances<br />
et ressources attribuées, on en «réchappe» 7.<br />
220
3. Le MEQ en incitant à la suppression du redoublement économise 50 millions par année,<br />
en évitant que ne «traînent» dans le secteur jeune ceux des écoliers qui, de toute façon,<br />
ne se diplômeront qu’au secteur adulte. Le motif initial a été financier. Les études pour<br />
prouver l’inutilité et la dangerosité du redoublement ont été subventionnées par la<br />
suite… Même si le redoublement doit être de toute façon amplement réformé, il faut<br />
savoir que les explications scientifiques sont consécutives à la décision financière !<br />
Pour les autres élèves qui ne se diplômeront pas, le MEQ préconise l’approche<br />
différenciée en contexte régulier, tout en sachant, vu leur capacité limitée d’abstraire et<br />
l’alourdissement de la clientèle régulière, qu’elle leur sera difficilement accessible, en<br />
particulier si on leur retire le TEMPS…Mais pourquoi ouvrir les yeux quand on peut si<br />
joliment les fermer et prétexter les mérites, encore inexplorés, de la différenciation ? …<br />
4. Le MEQ, puisque l’on est dans les chiffres, a modifié en 2000 sa nomenclature des<br />
catégories diagnostiques des EHDAA, introduisant la vaste catégorie des élèves à<br />
risque et nous informant qu’il ne désire en connaître ni la composition ni les effectifs.<br />
Cela va de soi : le MEQ contingente et finance historiquement à 11 (sur 20 à 25) les<br />
EHDAA reconnus. Pour ne donner que cet exemple et il y en aurait bien d’autres, le<br />
nombre de DLA est provincialement amputé de 90 000 lorsque l’on passe du taux<br />
scientifique de prévalence ( entre 10 et 14 %, disons 12) à ce qui est devenu le taux de<br />
déclaration ( environ 7 %) : économie approximative de 100 millions : ça vaut drôlement<br />
la peine de trouver des raisons également «scientifiques» de modifier les pratiques, y<br />
compris de limiter les évaluations qui sont pourtant encore la porte d’accès aux services.<br />
Toutefois, là encore, cela est parfaitement contradictoire par rapport à la prévisible<br />
retombée du développement des neurosciences sur le scolaire, comme prévue dans<br />
l’étude de l’OCDE : Comprendre le cerveau - Vers une nouvelle science de<br />
l’apprentissage (2002) IL faut, selon cette étude de haut calibre et incontournable, non<br />
221
pas évacuer, mais pousser le processus d’évaluation pour valider et bonifier les<br />
interventions et…la différenciation !<br />
PS : Le MEQ sait que sept DLA sur dix ne se diplôment pas au secteur jeune…<br />
5. Enfin, non parce que c’est le dernier argument, mais parce que j’en ai déjà dit beaucoup,<br />
souvenons-nous que le MEQ lui-même, malgré sa kyrielle d’experts est celui qui, par<br />
son laxisme didactique, a provoqué la perte ou l’absence de maîtrise de la langue<br />
maternelle, ruinant le devenir de cohortes innombrables. Celui qui, par la seule<br />
proposition, mal implantée et mal comprise (mal critiquée), de la réforme (vague bleue)<br />
des années 80 a permis que la notion d’apprentissage se limite à sa réalisation<br />
univoque, dans le plaisir de la création : mouvement généreux, mais contraire à<br />
l’intelligence humaine qui, particulièrement en bas âge, cristallise que le raccourci<br />
acquis dans la joie est la seule voie admissible du développement humain.<br />
Je voudrais bien, mais…<br />
Mais notre société étant loin de fonctionner sur le mode du néocortex cérébral, il demeure<br />
des apprentissages sinueux à réaliser dans l’apprentissage concomitant de la frustration, de<br />
telle sorte que ces apprentissages essentiels se réalisent démocratiquement et que s’apprenne<br />
aussi l’(essentielle) adaptation à la frustration…<br />
Pour tous ces motifs, mon cher R., mes chers collègues, il est indispensable que notre<br />
expertise ( la tienne, la mienne et celle des autres ayant d’autres visions encore que les nôtres)<br />
se rende apte à porter un jugement critique salvateur sur la réforme, ses écueils et qu’elle<br />
prépare des remèdes aux maux que le MEQ, sans mauvaises intentions ( ?) ou intentions<br />
contradictoires ( ? ? ?) , y a introduits et qu’un aveuglement, sous prétexte de non-résistance au<br />
changement, amplifierait dangereusement : les écoliers que l’on «élève» méritent notre souci de<br />
garantir qu’ils ne sont pas des cobayes et qu’ils possèderont tous les outils propres à les<br />
conduire de façon autonome au meilleur d’eux-mêmes.<br />
222<br />
Patrick JJ Daganaud
Je veux évidemment revenir de façon plus pointue sur ce passage :<br />
J’ai aussi en tête ces ateliers où certains services éducatifs de nos commissions scolaires «<br />
injectent» au ratio 1/7 autant de conseillers pédagogiques qu’il en faut pour, par une démarche<br />
socioconstructiviste, amener (conduire ? instruire ? guider ? persuader ?) les « pôvres» profs<br />
innocents à utiliser «LA» démarche pédagogique (incidemment NON PRESCRITE par le<br />
programme des programmes). À cette dose, excusez-moi, mais ce n’est plus de l’éducation, ce<br />
n’est plus de l’enseignement, c’est de la thérapie ou…du lavage de cerveau ! À quand un<br />
semblable ratio dans les classes si, pour parvenir à une démarche de construction des savoirs,<br />
un tel ratio est requis pour les adultes chargés de porter la bonne nouvelle ?<br />
Sans présumer de ce qui s’est déroulé dans d’autres commissions scolaires (celle où<br />
j’œuvrais étant tellement, comme l’illustrent ses résultats, pédagogiquement<br />
progressiste…), je veux illustrer d’un autre échange l’osmose perverse perpétrée par<br />
cet alignement monolithique sur le «pédagogiquement correct».<br />
Cet échange entre une conseillère pédagogique et moi-même fait suite à la demande<br />
de perfectionnement d’un de mes enseignants en adaptation scolaire et sociale :<br />
«Bonjour Patrick,<br />
Il y a un de tes enseignants qui demande une formation sur la pédagogie du projet sauf qu'il me<br />
demande une personne ressource en magistral!!!<br />
Je ne sais pas de quelle façon répondre à cette demande, car la formation que nous offrons<br />
permet de vivre la démarche en projet afin de la comprendre pour pouvoir la faire vivre aux<br />
élèves. Peux-tu m'éclairer?<br />
Cet enseignant c'est S. V.<br />
Merci L.D.»<br />
223
2001-10-12<br />
Bonjour L.,<br />
Que de points d'exclamation!!!! Que signifient-ils ? S. est un professeur d'adaptation scolaire en<br />
classe-ressource DGA-DIL. Il est joignable, hors cours, à l'école sur envoi d'un message.<br />
Relativement à sa demande, je ne peux en aucun cas t'éclairer à sa place : il te faudra, le cas<br />
échéant, le questionner toi-même puisque c'est à toi et non à moi qu'il l'a adressée.<br />
Cependant, je peux te communiquer ce que je ferai en recevant pareille requête, parce que je<br />
vis (et certains autres collègues avec moi) ce «dilemme» à chaque atelier proposé aux<br />
directions par «vos» services éducatifs : nous sommes en effet quelques-uns à être<br />
«allergiques» à l'apprentissage «expérimental», à prétention socioconstructiviste, que vous<br />
préconisez systématiquement et communément à tous.<br />
Pour un, j'ai cessé d'apprendre ainsi depuis belle lurette : la voie que vous imposez est l'une<br />
des plus lentes qui soient pour prendre connaissance (au sens étymologique du terme) des<br />
notions rencontrées dans toutes leurs dimensions. C’est votre choix parce que vous avez le<br />
sentiment qu'apprendre autrement ne permet ni d'intégrer ni d'actualiser les apprentissages, ce<br />
qui est parfaitement erroné pour tous ceux des adultes qui ont depuis longtemps appris à<br />
traduire en actions, dans des conditions appropriées, leurs apprentissages théoriques. Ceux<br />
des adultes, donc, qui ne vous ont pas attendus pour développer leurs compétences…<br />
Alors, sans vouloir t'offenser, S. devrait avoir une réponse conforme à sa demande. Étant<br />
son superviseur pédagogique, je puis te garantir que ce jeune homme est tout à fait capable<br />
d'actualiser, dans une pratique déjà hautement adaptée à la réforme, les compléments de<br />
savoirs «théoriques» qu'il requiert.<br />
Je suggère d'ailleurs que ces savoirs soient de calibre supérieur, parce qu'il n'a attendu ni après<br />
moi, ni après vous pour initier sa formation pédagogique continue.<br />
224<br />
Bien respectueusement,<br />
Patrick JJ Daganaud
Je songe aussi, à cet égard, à certaines pratiques en formation universitaire…<br />
15. Amoindrissement consécutif de la maîtrise de la langue<br />
«Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire: Comment! Vous prétendiez être<br />
francophones, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue!...» d’après A.D.<br />
Je fais d’abord appel à une comparaison et me fais à nouveau pardonner ma<br />
digression. Je laisse encore s’exprimer l’ex-porte-parole de la Maison-Blanche, Scott<br />
McClellan :<br />
«Revenant sur la catastrophe engendrée par Katrina, McClellan se montre aussi très sévère<br />
envers l'administration Bush. «Washington, soutient-il, a passé l'essentiel de la première<br />
semaine dans un état de déni », et sa réponse a constitué « un échec de l'imagination et<br />
de l'initiative ». « Ce fut une bourde coûteuse », conclut-il là aussi.<br />
Ainsi en est-il, au Québec, de l’état des apprentissages dans le domaine des<br />
langues et de la communication.<br />
Je dénonce rapidement la situation de l’enseignement de la langue seconde dont on<br />
connaît les impératifs horaires pour générer l’impact escompté : une bonne<br />
compréhension et aisance dans l’aspect expressif.<br />
Il faut aimer l’apparence pour, à la fois, défendre l’impératif d’une initiation précoce à<br />
l’anglais pour contrer son apprentissage déficitaire et, contre tout avis expert, maintenir<br />
le nombre d’heures d’enseignement à un niveau insuffisant pour en garantir les<br />
prétendues retombées.<br />
Toutefois, il faut savoir que cette situation n’est pas la conséquence d’une<br />
xénophobie qui ferait craindre l’anglicisation du Québec : le gouvernement libéral ne<br />
craint ni ne combat socialement l’anglicisation; il la préconise.<br />
225
Cette situation est attribuable à un régime pédagogique farfelu qui, bien qu’il soit en<br />
juste mesure didactique de quantifier les heures pour garantir l’efficacité des<br />
apprentissages dans leurs domaines réciproques, devient incohérent dans leurs<br />
prescriptions : depuis toujours, les heures d’enseignement financées par le MELS ne<br />
permettent pas de couvrir les programmes créés par le MELS! La situation est donc la<br />
même dans l’enseignement de l’éducation physique et à la santé, dans celui des arts<br />
(musique, danse, expression dramatique et arts plastiques) et dans tous les domaines,<br />
et ils sont nombreux, où la multiplicité notionnelle produit plus d’embouteillage de<br />
cruches que d’ancrage.<br />
Si, fort heureusement, la fonction cérébrale de l’oubli décapsule le trop-plein de<br />
surcharge cognitive, il convient quand même de se demander si s’impose une réflexion<br />
lorsque les jeunes, ceux qui ont appris et réussi, se révèlent incapables, parfois moins<br />
de trois semaines après l’examen sommatif censé vérifier leurs acquis, de se<br />
remémorer les notions au programme. Ne convient-il pas de faire un énorme et enfin<br />
vrai triage entre l’essentiel et le secondaire ?<br />
Parlant d’essentiel, revenons à la maîtrise de la langue française.<br />
Sans verser dans un nationalisme aveugle, mais en revendiquant mordicus la liberté<br />
et l’indépendance, seules garanties d’un réel autonomisme, lui-même seul gage de<br />
l’intégrité, à son sens et à son essence étymologiques, elle-même seule possibilité<br />
d’être, de demeurer ou de devenir entièrement soi-même, et, par là, seule sauvegarde<br />
de la dignité, au sens primordial du respect de soi, je cite Alphonse Daudet, dans La<br />
226
dernière classe : «Quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient 30 bien sa langue,<br />
c’est comme s’il tenait les clés de sa prison.»<br />
Voici le court résumé d’un article du Devoir de mars 2008.<br />
Docteure et professeure universitaire en didactique du français, Suzanne-G. Chartrand,<br />
digne héritière de ses parents, Michel Chartrand et Simone Monet, constate l’absence de<br />
progression (notionnelle) dans les programmes de français au secondaire (…) En 2006, elle<br />
dénonçait déjà l’aspect sectaire de la Direction de la formation des jeunes du ministère de<br />
l'Éducation, ses rites et son jargon, son enfermement dans son monde et ses dogmes, son<br />
rejet de toute critique, en ridiculisant, dévoyant, marginalisant ou ignorant contenu et auteur des<br />
remises en question.<br />
Elle a, la même année, décrit comme une salade inacceptable, illisible, non structurée et<br />
incompréhensible, le programme de français de deuxième secondaire de la réforme, révélant<br />
que maints spécialistes d'expérience n’en comprenaient pas un traître mot !<br />
Et puis, ciblant récemment une situation provinciale (elle aurait pu appliquer son constat à la<br />
francophonie internationale), elle dévoile la diplomation, depuis 1993, de futurs maîtres «qui ne<br />
devraient pas avoir le droit d'enseigner», vu leur piètre maîtrise de la langue française.<br />
Son analyse des nouveaux programmes de français, ceux de la réforme (2003-07), révèle que,<br />
pour la première fois depuis les années 1940 au Québec, les programmes actuellement en<br />
vigueur sont muets sur la question de la progression : «On ne sait pas quelle notion de<br />
grammaire on doit enseigner et quand on doit l'enseigner, c'est-à-dire: orthographe, syntaxe,<br />
lexique, grammaire du texte. On ne sait pas quel genre de texte il faut faire écrire et quel genre<br />
de texte il faut faire produire à l'oral. On choisit dans des "familles de situation".»<br />
Mme Chartrand soupèse l’extrême gravité d’une situation où «chaque enseignant va devoir<br />
à peu près choisir ce qu'il fait».<br />
30 Pour les décodeurs défraîchis, ici «tenir sa langue» ne signifie pas se taire, se faire petit, se rabougrir, n’en déplaise aux<br />
fédéralistes tayloristes: cela signifie «faire de la maîtrise de sa langue, les clés de sa liberté !»<br />
227
Elle se réjouit du fait que la ministre Michelle Courchesne, dans son «coup de barre» pour<br />
le français, annoncé le 6 février 2008, ait décidé de revoir les contenus des programmes de<br />
français. Son appréciation d'un retour à la «culture de l'effort et de la rigueur» en français est<br />
plutôt favorable.<br />
Mais un doute lui demeure. «On verra ce que ça donnera, mais c'est essentiel qu'on revoie<br />
ces programmes, notamment pour mettre fin à l'amateurisme et à l'arbitraire dans leur<br />
élaboration».<br />
Mme Chartrand croit qu'il faut revenir à un «meilleur équilibre» entre une progression<br />
savamment encadrée des apprentissages et la fameuse autonomie pédagogique et didactique<br />
des enseignants, préconisée dans la réforme, comme corollaire de l’approche par<br />
compétences.<br />
Ce résumé contient l’essentiel des arguments présentables dans ce dossier, celui<br />
de la maîtrise de la langue française. Il décrit également correctement les effets pervers<br />
du programme en place.<br />
Ce que ce résumé n’identifie cependant pas, c’est l’origine de la problématique et<br />
son amplitude.<br />
Pour ce qui est de l’amplitude, réjouissons-nous du malheur des uns comme des<br />
autres : tous les pays de la francophonie y goûtent et- Ô jouissance suprême –<br />
pratiquement tous les pays possédant un fort réseau universitaire, dédié, entre autres, à<br />
la formation des maitres : ce qui fait que la majorité des pays industrialisés de langue<br />
anglaise connaissent les mêmes déboires.<br />
Il nous faut donc être conscients que les variables explicatives sont multiples.<br />
Allons-y d’un début de constat et évitons, surtout, de sombrer dans le déni de la<br />
problématique qui consiste, pour la minimiser, à citer des auteurs des siècles<br />
228
précédents qui fustigeaient déjà leurs systèmes scolaires réciproques, pour de pareilles<br />
conséquences.<br />
La situation contemporaine qui prévaut au Québec, comme l’indique Mme<br />
Chartrand, affecte des étudiants universitaires inscrits dans nos facultés d’éducation. Et<br />
cela prévaut depuis, dit-elle, 1993.<br />
Chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, depuis ces mêmes années, auprès<br />
des étudiants en éducation préscolaire et primaire ou en adaptation scolaire et sociale,<br />
dispensateur de cours de perfectionnement en français auprès de ceux d’entre eux qui<br />
ont échoué une fois, deux fois, trois fois, alouette, le Turbo, le Céfranc ou l’actuel test<br />
SEL - l’épreuve – je partage cet avis.<br />
Dès lors, calculant rapidement la durée de fréquentation de l’université (convenons<br />
d’1 an au moment du premier constat), du collégial (2), du secondaire (5), du primaire<br />
(6), j’arrive à 14 ans de scolarité, que je coordonne à l’âge d’entrée au primaire, pour<br />
obtenir 19 :<br />
À 19 -20 ans, en 1993, les étudiants de première année des facultés d’éducation<br />
montrent les signes précurseurs d’une perte de maîtrise de la langue française.<br />
MAIS, direz-vous! Mais…<br />
Vous aurez bien raison de réagir au fait que ces signes précurseurs ont quelques<br />
années de plus que l’actuelle réforme et vous continuerez d’avoir raison en recherchant<br />
une autre cause à ce début d’une débandade devenue presque ininterrompue. Il est<br />
aisé de trouver la cause recherchée : il suffit de placer cette cohorte sur une échelle de<br />
temps et de vérifier quand elle a commencé son primaire, donc, en principe son<br />
apprentissage scolaire du français, et sous quels encadrements de quel programme.<br />
229
J’ai effectué cet exercice pour la cohorte en question, mais aussi pour quelques<br />
autres dont le sort a généralement été similaire. Le tableau de la page suivante décrit<br />
explicitement mes constats. J’y ai donc d’abord placé la cohorte décrite par Madame<br />
Chartrand. J’ai identifié le début de sa scolarité au primaire (1979). J’ai fait coïncider, à<br />
ce début, le programme de français alors en vigueur, celui dont les familiers se<br />
souviendront comme l’un des nombreux éléments de la vague bleue, véritable<br />
déferlante de programmes et de guides de programmes et de guides de guides… Je<br />
reviendrai au programme de français de 1979…<br />
Poursuivant sur ma lancée, j’ai repéré les principales réécritures du programme<br />
d’étude du français entre 1979 et 2008 et, par acquit de conscience et pour consolider<br />
mes constats, superposé les cohortes étudiantes correspondantes.<br />
J’ai, enfin, écrit quelques-unes de mes observations sur le terrain et osé une<br />
projection (que je voudrais contredite par de véritables correctifs) sur les cohortes en<br />
croisière.<br />
Il y aurait là, pour un ou des doctorants éclairés, un sujet ou des sujets de thèse<br />
révélateurs. Je suggère leur titre :<br />
• Le génocide linguistique du Québec : étude didactique, pédagogique et sociologique<br />
des causes;<br />
• Le suicide identitaire: comparaison des détériorations du sonar linguistique québécois<br />
et du sonar des baleines dans leurs échouages réciproques;<br />
• Contribution de l’analphabétisme étatiquement programmé à l’hyperphénomène de la<br />
mort lente.<br />
230
231
La cohorte que j’ai désignée comme U1-1993 a amorcé son primaire l’année<br />
scolaire 1979-1980. Elle l’a fait sous les auspices du Programme d’étude du français au<br />
primaire (1979) et elle a eu la «chance» de bénéficier, en accédant au secondaire, de<br />
l’implantation du Programme d’étude du français au secondaire (1981).<br />
Il faut donc examiner ce qui s’est produit dans ces programmes. Il existe plusieurs<br />
éléments qui s’additionnent en cette palpitante époque.<br />
1-En linguistique, la grammaire structurale supplante la grammaire traditionnelle. Le<br />
«petit» problème qui va prévaloir est que les programmes de français vont adopter une<br />
grammaire qui n’a pas encore été enseignée aux futurs maîtres et qu’ils vont devoir<br />
apprendre sur le champ. Or cet apprentissage va bientôt être estompé par un second<br />
phénomène didactique qui va reléguer l’apprentissage grammatical du palier des<br />
objectifs, au palier de l’instrumentation…C’est sans doute la première, mais certes pas<br />
la dernière fois, que le MEQ va incorporer des changements drastiques sans que la<br />
formation pour les supporter n’ait été antérieurement adéquatement prévue et<br />
dispensée;<br />
2-Pour chapeauter l’élaboration des programmes (qui vont remplacer les<br />
programmes-cadres des années 70 et, à bon escient, faire cesser la production<br />
disparate des programmes institutionnels par chacune des trop nombreuses<br />
commissions scolaires locales et régionales), les didacticiens du MEQ, largement<br />
épaulés et inspirés par ceux des universités, commencent en effet une attaque de front<br />
contre le carcan encyclopédique : ils préconisent le processus naturel d’apprentissage<br />
et la signifiance et, pour favoriser la motivation (déjà vacillante?) une approche ludique.<br />
3-Que va-t-il résulter de ces trois paradigmes didactiques?<br />
232
• Du processus naturel d’apprentissage va découler la pédagogie du projet et<br />
l’approche par résolution de problèmes : on n’apprend pas de façon séquentielle et<br />
hors contexte. On apprend dans l’action. Tout le monde apprend-il au même rythme<br />
dans l’action? Cela, on sait que non, mais, pour l’heure, au diable les embûches !<br />
• De la signifiance, va découler la mise au rencart, à titre d’objectifs d’apprentissage,<br />
des contenus notionnels de l’orthographe d’usage, de l’orthographe grammaticale, de<br />
la ponctuation, du vocabulaire et de la syntaxe. Tout ce qui «ne fait pas de sens» ou<br />
tout ce qui «n’en construit pas» (ajoutez : dans les minutes suivantes) doit être sinon<br />
banni, du moins placé en subordination. Se peut-il alors que coiffeurs et didacticiens<br />
se conjuguent pour, sous-estimant le rôle de l’apparente non-signifiance dans la<br />
construction des savoirs, friser l’insignifiance ? Et là, je ne veux surtout pas<br />
incommoder les coiffeurs! Se peut-il aussi, si ces éléments subordonnés revêtent<br />
quelque importance dans l’apprentissage de la langue, que, sur le terrain où se joue<br />
la vraie partie, le temps, déjà accaparé par une multitude d’objectifs, ne permette pas<br />
aux enseignants de considérer le support instrumental à sa juste mesure? Non<br />
seulement il se peut, mais je vais, tantôt, vous dévoiler pire!<br />
• Au début des années 80, la nouvelle hiérarchie des savoirs (à acquérir) pose donc<br />
comme prémisse constitutionnelle des programmes, entre autres de français, que ne<br />
seront conservés, au rang des objectifs d’apprentissage, que les savoirs signifiants et<br />
motivants et que les autres sont conséquemment des outils, relégables à un<br />
apprentissage lui-même consécutif : l’apparent non-sens, fût-il, de tout temps, partie<br />
indivisible du savoir compétent, succèdera désormais logiquement à l’appréhension<br />
impérativement antérieure du sens, Nous sommes déjà dans le constructivisme.<br />
233
Mais, là encore, si la théorie «tenait et tient (effectivement) la route», la pratique ne<br />
méritait-elle (et ne mérite-t-elle) pas que les didacticiens s’attardent à (au moins) cinq<br />
conséquences potentielles de l’hégémonie théorisée de la signifiance motivante ?<br />
1- Les écoliers analytiques, ceux qui construisent du simple vers le complexe pour<br />
saisir toute la mécanique de la construction et s’élever au même rang métacognitif<br />
que leurs confrères synthétiques, peuvent-ils procéder dans le cadre d’une<br />
approche à caractère systémique où prévalent, dans toutes leurs intrications<br />
initiales, les liens complexes de sens?<br />
2- Ces mêmes écoliers peuvent-ils le réaliser lorsqu’ils deviennent confrontés à<br />
des contraintes horaires conçues pour des esprits synthétiques?<br />
3- Ces mêmes écoliers peuvent-ils soutenir l’accélération requise des rythmes<br />
d’apprentissage, d’exécution et de production lors de la confrontation, inévitable<br />
dans le cursus, à la résolution de problèmes de plus en plus complexes?<br />
4- Tous les écoliers que l’on habitue, en bas âge scolaire, à l’évitement de la<br />
frustration de l’apprentissage apparemment non signifiant perdent-ils, en tout ou<br />
en partie, leur capacité à apprendre dans un contexte frustrant?<br />
5- Tous les écoliers que l’on habitue, en bas âge scolaire, à une approche ludique<br />
de l’apprentissage perdent-ils, en tout ou en partie, leur capacité à apprendre dans<br />
un contexte autre que le jeu, commandant, tels la mémorisation, l’effort?<br />
• L’apprenant enterre l’élève et son maître. On aura appris ensuite, à la dure, qu’il<br />
enterre la maîtrise…L’apprendre à apprendre tambourine et annonce, à grands coups<br />
de stratégies cognitives et de gestion et de processus mentaux, la gestation des<br />
compétences transversales et l’accès objectivé à la métacognition. Les questions qui<br />
234
me viennent à cet égard sont : la métacognition était-elle inaccessible aux<br />
apprentis 31 d’hier? Nous a-t-elle échappé? Manquions-nous de stratégies<br />
d’apprentissage? Sommes-nous, croulants d’aujourd’hui, privés des modernes<br />
processus mentaux? A-t-il fallu attendre qu’on les nomme (autrement) pour<br />
qu’existent toutes ces constituantes et tous ces catalyseurs de l’apprentissage? Les<br />
compétences transversales étaient-elles déjà exercées du temps lointain de la<br />
dissertation et, plus lointain encore, de la maïeutique, revampée en «pédagogie de la<br />
question»? La transversalité de certaines compétences est-elle une révélation faite<br />
par Dieu à un Moïse pédagogique? Les objectifs d’apprentissage ont-ils, tout à coup,<br />
contenu du savoir, du savoir-faire et du savoir-être et n’en contenaient-ils pas avant<br />
qu’on les baptise? Les compétences ne sont-elles pas morcelables en habiletés et en<br />
capacités? C’est un avocat compétent est-il si distant de «c’est un avocat habile»?<br />
Les habiletés ne forment-elles pas l’habileté selon la même essence qu’elles forment<br />
la compétence?<br />
Jeux de mains,<br />
Jeux de vilains…<br />
Jeux de mots,<br />
Jeux de sots!<br />
• Et puis, gentes dames et gents damoiseaux, le mouvement n’est-il pas généreux, qui<br />
imprègne le paradigme inattaquable de l’éducabilité. Tout enfant est éducable. Qui ne<br />
souscrirait pas à un pareil projet de réalisation de l’égalisation des chances?<br />
Néanmoins, cette égalisation des chances, que je crois de tout cœur inaltérablement<br />
31 Ma foi, ce terme empreint d’une sage noblesse me paraît au moins aussi valable que celui d’apprenant…Je songe aussi, à ce<br />
propos, au socioconstructivisme moyenâgeux du compagnonnage…et à ses APPRENTIS !<br />
235
souhaitable, se colore malencontreusement aux couleurs de la pensée magique, en<br />
ne posant pas la question de l’accessibilité égalitaire au complexe…Dès lors que son<br />
projet se satisfait de cet accès égalitaire, par inclusion sauvage interposée, au même<br />
environnement conçu pour le jeune sans problème, sans trouble, sans déficience,<br />
nous sommes dans les déviances de l’éthique appliquée. Nous y baignons jusqu’à la<br />
noyade lorsque sa vertu se contente des intentions et fait totale abstraction des<br />
contingences prédictiblement contradictoires.<br />
• En lecture, de la signifiance va découler, à l’époque, la mise à l’index de l’entrée<br />
phonétique et de l’entrée syllabique, au profit de l’entrée globale : comme les enfants<br />
apprennent, ce qui est vrai, des mots globalement, dès leur plus tendre enfance, et,<br />
comme seuls les mots et les unités grammaticales supérieures sont porteurs de sens,<br />
il faut éviter les non-mots et les syllabes. À la limite, l’enfant en prendra lui-même<br />
conscience par induction. Ce sens, en lecture comme dans tout l’apprentissage du<br />
français (et des autres «in-disciplines», va se définir comme l’immédiatement<br />
palpable, l’immédiatement compréhensible, l’immédiatement motivant. Disons que le<br />
non-sens devient proscrit comme générateur de décrochage.<br />
• En bref, l’apprentissage moderne et de la modernité doit être immédiatement<br />
signifiant pour être motivant et pour être plus motivant encore, il est préférable qu’il<br />
soit ludique.<br />
J’ai mentionné vous devoir une révélation plus lourde de conséquences. La voici.<br />
Même s’ils sont rares, il y a eu et il y a encore quelques «didacticiens arpenteurs»,<br />
réputés de très haut calibre.<br />
236
Généralement consultés en raison de leur incontestable expérience du terrain, il<br />
s’agit généralement de conseillers pédagogiques, hautement diplômés dans leur<br />
discipline de formation initiale (au moins une maîtrise et, préférablement, un doctorat).<br />
Plusieurs ont publié des ensembles didactiques reconnus par le ministère, tout en<br />
exerçant leur mandat de conseillers.<br />
Ils sont, logiquement, mis à contribution par le MEQ (à présent le MELS) lors de<br />
l’élaboration des programmes d’études, puis lors des phases d’implantation, avec un<br />
rôle d’agent multiplicateur.<br />
C’est quand même dire que leur recrutement est préalablement teinté de l’assurance<br />
qu’entretient le ministère sur leur appartenance à une ou des écoles de pensée<br />
convergentes avec la ou les réformes entreprises.<br />
C’est d’ailleurs là que le bât blesse : le ministère ne s’autorise pas à confronter son<br />
école de pensée à des écoles de pensée divergentes : son cheminement, comme celui<br />
de ses recrues, devient donc monolithique, tant au plan de la création qu’au plan de la<br />
diffusion et de ses stratégies.<br />
Rappelez-vous Scott McClellan, indépendamment qu’il ait pu être ou un ange ou un<br />
démon :<br />
« Cela signifiait qu'il fallait travailler en mode campagne: ne jamais expliquer, ne<br />
jamais s'excuser, ne jamais battre en retraite. Malheureusement, cette stratégie<br />
avait des répercussions moins justifiables: ne jamais réfléchir, ne jamais<br />
reconsidérer, ne jamais faire de compromis.».<br />
Rappelez-vous Suzanne Chartrand : en 2006, elle dénonçait déjà l’aspect<br />
sectaire de la Direction de la formation des jeunes du ministère de l'Éducation,<br />
237
ses rites et son jargon, son enfermement dans son monde et ses dogmes, son<br />
rejet de toute critique, en ridiculisant, dévoyant, marginalisant ou ignorant<br />
contenu et auteur des remises en question.<br />
J’appelle à contribution outre-tombe un de ces didacticiens arpenteurs, participant<br />
émérite à la rédaction du programme d’étude du français au primaire de 1979, chargé<br />
d’implantation en région.<br />
Malgré les informations que je vais vous donner relativement à ses interventions et à<br />
leurs effets sur les âmes sensibles, je lui soulève à nouveau mon chapeau pour son<br />
engagement vrai et indéfectible envers la cause de l’éducation, pour la puissance de sa<br />
pensée, pour la densité et l’amplitude sa recherche, pour sa créativité.<br />
Comme il est en paix (et nous, non), je ne l’identifierai pas. Je préfère lui attribuer le<br />
prénom de Pierre, sur qui l’Église et sa doctrine furent fondées…Tu es Pierre et sur<br />
cette pierre, etc.<br />
Dans sa commission scolaire, Pierre a tenté sans grand succès d’introduire la<br />
grammaire structurale : son discours, didactiquement au summum de la connaissance,<br />
était tout bonnement incompréhensible aux néophytes, rassemblés en journées de<br />
perfectionnement lors des planifications.<br />
Il a donc contribué à l’écriture et à l’implantation du programme de français, dans le<br />
cadre de cette refonte, fin 70, des programmes du primaire, refonte baptisée «vague<br />
bleue» au regard de la couleur royale des couvertures et de l’espoir vacancier d’y surfer<br />
longtemps : on aurait dû, si l’on avait été clairvoyant, parler du «grand tsunami bleu»<br />
pour ce qu’il allait engloutir de clientèles étudiantes…<br />
238
«Si, disait Pierre et vendait-il aux enseignants soumis, un écolier produit un texte et<br />
que ce texte demeure dans la classe, qu’il n’est ni affiché à l’extérieur de la classe, ni<br />
publié dans un journal d’école et que sa lecture en est compréhensible, malgré les<br />
erreurs syntaxiques ou orthographiques, alors l’écolier n’a pas besoin de le corriger. Ce<br />
qui compte, c’est sa production écrite et le sens de sa production, selon ses<br />
intentions.»<br />
«Si, disait-il et vendait-il aux enseignants soumis, un écolier lit un texte et que sa<br />
lecture est compréhensible, malgré les erreurs de mots lus, de ponctuation ou<br />
d’intonation, alors l’écolier n’a pas besoin d’en corriger la lecture. Ce qui compte, c’est<br />
son plaisir de lire et le sens général attribuable au texte à la suite de sa lecture et en<br />
fonction des intentions de communication du scripteur.»<br />
Ce qui compte…<br />
Là est bien le propos!!!<br />
Ce qui compte, en ce moment, pour les étudiants de la faculté d’éducation auxquels<br />
j’offre mes cours de perfectionnement comme, d’ailleurs, aux centaines d’autres des<br />
autres universités, c’est de réussir avec une note minimale de 75% chacune des deux<br />
parties de l’épreuve SEL (à présent, à nouveau Céfranc...)<br />
Pourquoi, eux, peuvent-ils prétendre savoir ce qui compte ?<br />
Et pourquoi, nous tous, MELS, universités, commissions scolaires devrions-nous<br />
nous la boucler et les écouter, eux qui savent et nous qui ignorons ?<br />
Parce que, batèche, ils sont en train d’y laisser leur avenir : et dans cette phrase trop<br />
polie, le blasphème n’est pas où le logent les bien-pensants!<br />
239
Ce qui compte, c’est la sanction, non pas juste d’études, mais de vie, qui leur pend<br />
au-dessus de la tête, comme une épée de Damoclès qui, cette fois, aurait été<br />
suspendue non par un tyran (quoi que…), mais par leurs enseignants successifs!<br />
Je ne nie pas, loin de là, l’impératif d’une maîtrise de la langue chez nos futurs<br />
maitres, comme chez nos communicateurs et nos journalistes, d’ailleurs.<br />
Mais je veux que quelqu’un m’explique POURQUOI et COMMENT, entre 1985 et<br />
2008, mille (1000), deux mille (2000), dix mille (10 000), cent mille et plus (100 000)<br />
diplômés de secondaire V, avec unités créditées en français, qui ont passé deux<br />
années au collégial et réussi la passation de leur épreuve collégiale uniforme de<br />
français, sont si démunis en français : nature des mots, fonctions, accords, conjugaison,<br />
orthographe d’usage, vocabulaire, structure syntaxique, ponctuation.<br />
Quoi : nous avons généré des cohortes d’incultes? Engendré des escadrons de<br />
paresseux?<br />
«Ils ont ce qu’ils méritent, on ne va tout de même pas laisser nos enfants entre les<br />
mains de maîtres ignorants!»<br />
Vite, une maîtrise pour garantir une formation au niveau requis! Beau soubresaut,<br />
ministre Courchesne, mais mauvaise cible : c’est largement en amont que se trouve<br />
l’origine du problème.<br />
À la lecture et à la lumière du récent (janvier 2008) Rapport du Comité d’experts sur<br />
l’apprentissage de l’écriture, cette bancale mise en aval de la problématique est<br />
flagrante. Je ne ferai pas ici l’analyse de toutes les précieuses recommandations du<br />
comité, mais je veux explorer de façon particulière la recommandation numéro 2. Je<br />
redoute en effet qu’elle ne permette de projeter la continuation de la débâcle.<br />
240
Voici la recommandation 2 :<br />
Le Comité recommande au Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement<br />
de voir à ce que les programmes de formation initiale à l’éducation préscolaire et à<br />
l’enseignement primaire accroissent les exigences générales pour l’enseignement du français,<br />
notamment en ce qui regarde le développement de la compétence à écrire des élèves.<br />
Et le texte intégral qui accompagne la recommandation 2 :<br />
Les universités doivent s’assurer de la présence dans les programmes d’un socle minimal<br />
permettant et aux futures enseignantes et aux futurs enseignants de développer : ·<br />
• une compréhension des processus impliqués dans la lecture et l’écriture; ·<br />
• une solide connaissance du français sur les plans de la grammaire, de la syntaxe, du<br />
lexique et de l’orthographe ainsi que des connaissances appropriées sur l’organisation des<br />
textes; ·<br />
• des habiletés didactiques, particulièrement sur les plans de la grammaire, du lexique et de<br />
l’orthographe, permettant de développer chez les élèves des compétences visées par le<br />
programme ministériel;<br />
• la formation didactique inclut également les stratégies de révision et de correction d’une<br />
production écrite de même que la pratique de l’annotation comme moyen d’amener l’élève à<br />
progresser;<br />
• une connaissance active des concepts faisant partie du programme ministériel et du<br />
métalangage à utiliser en classe; ·<br />
• des conceptions justes relativement à la langue, notamment en ce qui concerne sa<br />
dimension sociale, les conditions de son apprentissage, la norme, les rapports entre l’oral et<br />
l’écrit; ·<br />
• une expérience personnelle d’écriture et de lecture, par des pratiques intégrées dans les<br />
cours et les activités du programme.<br />
241
Dans plusieurs programmes de formation, la prise en considération de ces exigences<br />
nécessitera sans doute la création de cours additionnels.<br />
Voici la traduction qu’a trouvée au MELS «courchesnois» cette recommandation ( : ses<br />
accommodements) :<br />
Accroître le niveau de préparation des enseignants<br />
(12-Le nombre de conseillers pédagogiques en français sera augmenté et un plan de formation<br />
assurera la mise à jour de leurs connaissances.)<br />
13-Les universités devront revoir le contenu linguistique de leurs programmes de formation<br />
préparant à l'enseignement du français.<br />
14-Les universités devront offrir une formation de 2e cycle en didactique comportant notamment<br />
un volet consacré aux difficultés des élèves en lecture et en écriture.<br />
15-Les universités devront faciliter l'accès à l'enseignement du français au secondaire pour les<br />
étudiants diplômés en linguistique et en littérature.<br />
16-Chaque enseignant devra se donner un plan de formation continue en français. Les<br />
universités devront mettre en place une offre de formation compatible avec les besoins<br />
exprimés.<br />
Et, pour être juste dans l’exposé des intentions ministérielles, voici le rehaussement prévu des<br />
exigences au secteur jeune (primaire et secondaire) de l’Éducation :<br />
Valoriser la place du français à l'école<br />
1-Les élèves devront écrire un texte au moins une fois par semaine dans le cadre de leur cours<br />
de français et faire une dictée régulièrement de manière à vérifier l'acquisition des<br />
connaissances.<br />
2-Une plage horaire consacrée à la lecture devra être prévue quotidiennement par les écoles.<br />
242
3-Les commissions scolaires devront fournir annuellement de l'information à l'égard du temps<br />
que leurs écoles consacrent à l'enseignement du français et analyser en conséquence les<br />
résultats de leurs élèves aux épreuves du Ministère en français.<br />
4-Chaque commission scolaire devra avoir une politique linguistique, notamment en ce qui<br />
concerne l'apprentissage du français et les communications avec les parents.<br />
5-Le niveau de maîtrise du français atteint par chaque élève à la fin du primaire sera<br />
communiqué à l'école secondaire qui l'accueille.<br />
Réviser le contenu du programme de français<br />
6-Les programmes d'études en français seront revus de manière à préciser ce que les élèves<br />
doivent connaître et être en mesure de faire à la fin de chaque année (orthographe, syntaxe).<br />
7-Un processus de mise à jour continue des programmes d'études sera établi, en commençant<br />
par le programme de français et en y associant étroitement les enseignants concernés.<br />
Accroître le suivi des élèves en français<br />
8-Deux examens d'écriture seront ajoutés (4e année du primaire et 2e secondaire) et les écoles<br />
devront prendre en considération le résultat obtenu par l'élève.<br />
9-Les exigences de réussite à l'épreuve d'écriture de la fin du primaire seront rehaussées,<br />
notamment en orthographe.<br />
10-Les commissions scolaires devront déterminer des cibles à atteindre concernant la<br />
performance des élèves aux examens de français du Ministère.<br />
11-Les écoles devront se fixer des objectifs d'amélioration en écriture dans toutes les matières<br />
et les intégrer à leur planification annuelle.<br />
Alors, lecteurs et lectrices haletants, voici ce qu’il faudrait lire pour envisager un réel<br />
changement.<br />
243
Au terme de leur troisième année de fréquentation du secondaire, les élèves<br />
devront avoir acquis:<br />
1. une compréhension des processus impliqués dans la lecture et l’écriture;<br />
2. une solide connaissance du français sur les plans de la grammaire, de la<br />
syntaxe, du lexique et de l’orthographe ainsi que des connaissances<br />
appropriées sur l’organisation des textes;<br />
3. les notions, les capacités et les habiletés, particulièrement sur les plans de la<br />
grammaire, du lexique et de l’orthographe, permettant de démontrer, dans<br />
leurs diverses productions à caractère narratif, déclaratif, argumentatif,<br />
incitatif, poétique ou ludique, les compétences fixées par le programme<br />
ministériel;<br />
4. des stratégies de révision et de correction d’une production écrite de même<br />
que la pratique de l’annotation comme moyen de progresser;<br />
5. une connaissance du métalangage à utiliser; ·<br />
6. des conceptions justes relativement à la langue, notamment en ce qui<br />
concerne sa dimension sociale, les conditions de son apprentissage, la<br />
norme, les rapports entre l’oral et l’écrit; ·<br />
7. une expérience personnelle d’écriture et de lecture, par des pratiques<br />
intégrées dans les cours et les activités du programme.<br />
Date de tombée : la fin du secondaire III.<br />
Pas la fin de la formation universitaire d’un enseignant !<br />
Est-ce possible ? OUI!<br />
Est-ce que cela a déjà été fait : OUI!<br />
244
Y a-t-il des conditions de réalisation : OUI!<br />
Les voici :<br />
1. le cheminement doit être préparé dès le préscolaire (préalables) et initié des la<br />
première année du primaire;<br />
2. les acquisitions notionnelles en orthographe d’usage, en orthographe grammaticale,<br />
en syntaxe, en vocabulaire, en conjugaison (y compris la concordance des temps),<br />
en ponctuation doivent être étagées, du simple au complexe, et réparties de l’année<br />
1 du primaire à l’année 3 du secondaire;<br />
3. ces acquisitions doivent faire l’objet d’un enseignement systématique, soutenu par<br />
une consolidation sous forme d’exercices intégrateurs; la dictée et la dictée trouée<br />
font partie des exercices intégrateurs;<br />
4. dans l’enseignement systématique, doit être intégré celui du vocabulaire, sous le<br />
quintuple aspect morphologique, phonologique, sémantique, lexical et syntaxique;<br />
5. les exercices intégrateurs doivent être corrigés;<br />
6. les référentiels d’apprentissage doivent être standardisés;<br />
7. les référentiels méthodologiques doivent être standardisés;<br />
8. les acquisitions notionnelles doivent régulièrement être incorporées aux productions<br />
écrites de l’élève;<br />
9. les productions écrites des élèves doivent être corrigées en quatre temps : a)<br />
autocorrection méthodologique par l’élève, b) correction formatrice par l’enseignant,<br />
c) correction assistée par l’élève, d) correction sommative sanctionnante par<br />
l’enseignant. Et, plaise à la ministre, de comprendre qu’elle est dans carrément dans<br />
le champ de patates lorsqu’elle écrit que les élèves devront écrire un texte au moins<br />
245
une fois par semaine dans le cadre de leur cours de français, pour la bonne raison<br />
que l’on ne sait pas où l’enseignant ainsi que l’élève trouveraient le temps de<br />
corriger ou se corriger!<br />
10. le développement de la métacognition, y compris impérativement syntaxique, doit<br />
être alimenté par une pratique graduelle, mais soutenue de l’analyse grammaticale<br />
(nature, fonctions et accords des mots dans la phrase) et de l’analyse logique (des<br />
phrases et de leurs propositions constituantes, fonctions comprises)<br />
11. le développement de la métacognition peut s’alimenter, mais pas uniquement, d’un<br />
processus constructiviste d’objectivation;<br />
12. la mémorisation doit être un canal complémentaire indispensable de la rétention des<br />
apprentissages;<br />
13. le plaisir doit être incorporé dans la démarche d’apprentissage, à la fois par une<br />
approche ludique et par l’habitude rééduquée de la satisfaction de l’effort.<br />
14. la pédagogie du projet doit donner signifiance plénière aux apprentissages, mais ne<br />
pas gruger le temps requis a l’intégration de leurs composantes essentielles;<br />
15. l’approche par compétences doit se conformer à la complémentarité des<br />
appréhensions analytique et synthétique et permettre la construction tant du<br />
complexe vers le simple que l’inverse : elle ne doit donc pas, charmante Louise,<br />
répudier la gradation et l’ordonnancement des savoirs et de leurs éléments<br />
constitutifs.<br />
Telles sont les balises aptes à stopper l’hécatombe.<br />
246
Je reviens à mes étudiants universitaires (et à leurs collègues d’ailleurs) en situation<br />
de reprise de leur épreuve de français.<br />
Mes constats, depuis quelques années, sont que l'échec, comme la réussite<br />
limite, au test SEL(à présent, à nouveau Céfranc...) ne témoigne ni des<br />
connaissances acquises, ni de leur maîtrise.<br />
Il y a de nombreux facteurs explicatifs des écarts qui se produisent : aux effets<br />
(cumulatifs d'échec en échec) du stress ou de l'anxiété, j’ajoute ceux de la saturation ou<br />
surcharge cognitive en période d'accélération des apprentissages qui font que certains<br />
étudiants, effaçant l'ancien acquis au profit du nouveau, mais étant dotés d'une<br />
mémoire de travail qui va préférablement à la pêche de l'ancien plutôt que de ce<br />
nouveau, voient leur performance plafonner ou, pire, régresser.<br />
Chez ce profil d’étudiants, le phénomène s’accélère d’autant plus que l’apprenant<br />
est consciencieux et discipliné dans sa tentative de révision : plus il va tenter d’en<br />
réviser davantage, plus il va effacer d’ancien. Plus au moment de mobiliser ses acquis,<br />
il va faire face au vide mémoriel.<br />
Je dois à d’autres d’ajouter un éclairage supplémentaire : j’ai testé, sans contrainte<br />
excessive 32 de temps, plusieurs de mes étudiants à partir des tests diagnostiques de<br />
l’excellent site interactif du Centre collégial de développement de matériel didactique. Il<br />
appert qu’en effaçant la pression du temps, les résultats atteints confirment, dans 100%<br />
des cas que j’ai colligés à ce jour, le niveau de maîtrise tel qu’il est demandé lors de la<br />
passation du test SEL. Les résultats que j’ai compilés et qui couvrent six composantes<br />
du code linguistique oscillent entre 77,3 et 86,7 % !<br />
32 De façon générale, les plus lents d’une cohorte ont besoin d’au plus 50% de temps supplémentaire. ( exemple : 135mn pour<br />
un test à durée contingentée de 90 mn)<br />
247
Le test SEL impose donc un type de maîtrise qui implique, entre autres, une<br />
aptitude à gérer ses savoirs dans un temps limité. Je ne nie pas que l’on puisse choisir<br />
ce type de critère. Ce que je propose, c’est d’en réévaluer la pertinence en fonction des<br />
contraintes réelles de la tâche enseignante.<br />
Il ne m’apparaît pas du tout certain que les balises temporelles émises soient<br />
analogues à celles du réel.<br />
Ce réel comprend aussi, comme je l’ai mentionné, des impératifs de réussite dont<br />
l’assurabilité diminue avec la répétition des échecs.<br />
Voici le défi qu’impose la précarisation répétitive et cumulative de l’étudiant qui rate<br />
plusieurs passations.<br />
Il devient de plus en plus impératif, mais de plus en plus complexe de cerner ce qui a<br />
occasionné la dégringolade : il s’agit de jeunes gens intelligents, acceptés en formation<br />
universitaire sur la foi de leur parcours scolaire antérieur et la mesure de leur aptitude à<br />
apprendre.<br />
Or, les ingrédients sommaires de la réussite d'un pareil test sont :<br />
1-La persévérance dans l'apprentissage;<br />
2-la classification;<br />
3-La rétention;<br />
4-La mémoire de travail;<br />
5-La gestion du stress;<br />
6-Celle de l'anxiété.<br />
Je distingue les conditions 5 et 6 parce qu'elles sont substantiellement différentes : le<br />
stress correspond à l'énervement situationnel face à l'épreuve, sans lien direct à la<br />
248
éussite; l'anxiété est, quant à elle, directement liée à la peur d'échouer, de ne pas être<br />
capable. Les deux peuvent s'additionner, mais pas nécessairement.<br />
Additionnées ou pas, ces deux conditions affectent, dans cet ordre, les conditions 4, 3<br />
et 2 : elles rendent dysfonctionnelle la mémoire de travail en la privant des accès<br />
mémoriels (rétention) à la classification (qui structure la mémoire long terme).<br />
Si le processus s'est déjà produit (lors d'échecs antérieurs), il est courant que la<br />
personne affectée neutralise les pires conséquences psychobiologiques de sa<br />
confrontation aux conditions antérieures qui l'ont «bouleversée»; cependant, si le stress<br />
peut être neutralisé (diminué pour être vivable), l'anxiété ne le peut pas et, le plus<br />
souvent, seule la fuite permet de «passer à travers».<br />
À ce moment, ce sera la condition 1 qui va être affectée par une baisse sensible de la<br />
persévérance.<br />
Parfois, cette baisse est masquée par une déviance de la persévérance : la<br />
persévérance improductive. La personne poursuit ses efforts, mais les pressent inutiles<br />
et les rend (inconsciemment) improductifs. Quand c'est comme cela, la personne a le<br />
sentiment profond de continuer pour rien.<br />
Tenter de déceler ce qui a fait défaut (:c'est obligatoirement parmi les éléments<br />
1 à 6) est primordial.<br />
La question devient donc : quelle aide, quel support, quel soutien, reçoivent les<br />
étudiants concernés?<br />
Qu’est-ce que nos lieux des hauts savoirs tolèrent et administrent quant aux causes de<br />
l’échec qu’ils contribuent à accentuer et qu’ils sont toutefois si doctes à déceler, décrire,<br />
théoriser, mais si peu enclins à intégrer dans leurs pratiques pédagogiques?<br />
249
DÉNONCIATION<br />
Je veux donc dénoncer l’injustice vécue par les étudiants universitaires confrontés, à<br />
l’heure actuelle, à une organisation farfelue de la mesure de la maîtrise de la langue.<br />
1-Ma dénonciation cible d’abord le ministère de l’Éducation, malade de ne jamais<br />
expliquer, ne jamais s'excuser, ne jamais battre en retraite. Malheureusement,<br />
cette stratégie a des répercussions (tout aussi) injustifiables: ne jamais réfléchir,<br />
ne jamais reconsidérer, ne jamais faire de compromis.<br />
Je dénonce le ministère de l’Éducation qui a confectionné des programmes de<br />
français<br />
• en perpétuant ses erreurs didactiques et pédagogiques initiales (1979),<br />
• en les implantant sous le mode «crois ou meurs»,<br />
• en transformant, sans vergogne, sa clientèle jeune en cobayes,<br />
• en ignorant les conséquences chez les maintes cohortes victimisées,<br />
• en normalisant les résultats contradictoires pour camoufler ses bévues,<br />
• en rendant responsables de sa contribution à leur mort lente, les écoliers victimes de<br />
ses crimes scolaires.<br />
2-Je dénonce ceux des universitaires de trop haute voltige qui ont, contre toute<br />
considération et juste mesure des impacts dans la réalité-terrain,<br />
• appuyé mordicus la validité de leur créatives, mais mortelles théorisations,<br />
• expérimenté dans des conditions qu’ils savaient inexportables pour démontrer<br />
l’exportabilité de leur ficelage préemballé,<br />
• ignoré les impacts révélés,<br />
250
• maintenu le Cap-Tourmente en ruinant l’avenir de milliers d’écoliers;<br />
• rendu responsables de leurs contributions à la mort lente, les écoliers victimes de<br />
leurs voyages astraux.<br />
RÉPARATION<br />
Il ne peut être que justice que le ministère et les universitaires complices fassent<br />
amende honorable.<br />
Il ne peut être que justice que des correctifs efficaces, garantissant (par une stricte<br />
mesure préalable d’impacts, telle qu’on la conçoit pour le développement durable)<br />
l’arrêt de toute expérimentation et un changement structural, rééquilibrant et<br />
harmonisant les vérités didactiques et pédagogiques tenues vicieusement pour<br />
contradictoires, soient adoptés, supportés et appliqués.<br />
Il ne peut être que justice que, maintenant, auprès des futurs maîtres, un haut<br />
niveau d’exigences dans la maîtrise de la langue, les étudiants universitaires victimes<br />
des errances ministérielles et universitaires cessent d’être tenus responsables. Pour ce,<br />
1. le programme de formation de l’école québécoise doit être réformé pour assurer, à<br />
la fin du secondaire 3, un réel niveau de maîtrise de la langue française;<br />
2. le calcul de son impact favorable à cet effet ne doit débuter qu’au moment où<br />
l’élaboration rectificative consciencieuse du dit programme et son implantation<br />
effective auront été complétées (délai d’environ 15 ans);<br />
En attendant 2023,<br />
3. l’examen de maîtrise de la langue à réussir aux fins d’études universitaires en<br />
éducation doit être l’épreuve (bonifiée au plan du code linguistique) de français<br />
administrée au collégial;<br />
251
4. sa réussite doit créditer les étudiants concernés de l’équivalent d’une année<br />
collégiale supplémentaire;<br />
5. son échec doit permettre la fréquentation, en milieu universitaire, d’une année<br />
préuniversitaire de consolidation et certification de maîtrise de la langue;<br />
6. cette année préuniversitaire doit être composée uniquement de cours de français, à<br />
raison de cinq par session, dont la réussite séquentielle, selon les critères<br />
universitaires usuels, suffira, sans épreuve sommative finale, à l’admissibilité à la<br />
formation des maîtres. L’année préuniversitaire réussie vaudra pour une année de<br />
niveau collégial;<br />
7. cette voie doit être rouverte à ceux des étudiants qui, ayant épuisé leurs droits de<br />
passation du test SEL (ou autre) ont été «remercié de leur formation devenue pure<br />
perte», après avoir néanmoins réussi leurs premières années de scolarité<br />
universitaire.<br />
Ce n’est que justice de le concevoir ainsi.<br />
Pour conclure, j’'appelle à la barre une étudiante universitaire de vingt-sept ans, du<br />
secteur de l'adaptation scolaire et sociale, qui se prépare d'arrache-pied à sa prochaine<br />
passation de l'épreuve SEL et se fait un sang d'encre à la pensée envahissante d'un<br />
éventuel échec. Son angoisse s'était jusqu'à récemment emparée de ces nuits comme<br />
de ces jours. Voilà ce qu'elle m’a écrit :<br />
«Ouf! Voilà je suis passée à une autre étape...tu sais celle de l'écoeurentite aigüe...Je ne te<br />
donnerai pas de détails sur comment mon corps réagit à l'idée du test Sel qui s'en vient… Mais<br />
là, ma tête a réalisé que je m'empoisonne pas mal trop la vie avec ça...Alors, ça ira comme ça<br />
devra....Je ne dis pas que j'arrête d'étudier, mais j'arrête de mettre ma vie de côté pour<br />
ça.....Demain je peux mourir d'un accident et le seul souvenir de moi sera «elle a passé sa<br />
252
dernière année de vie dans l'attente d'un résultat de français à la con....» Alors pas le goût<br />
pantoute, je préfère vivre ma vie et regarder devant moi!<br />
Je crois avoir plusieurs qualifications et expériences de travail et de vie qui me permettront<br />
d'avoir un bon emploi...Pourquoi pas m'ouvrir un organisme....genre un centre de formation<br />
pour les adultes avec déficience légère....à voir!<br />
Bref, je me dirigerai le 2 aout faire une dernière fois cet examen, je payerai encore une fois et<br />
j'attendrai le résultat, mais cette fois-ci l'attente ne sera pas mortelle!»<br />
Quel est ce peuple, tombé esclave, qui punit ses enfants comme s’ils avaient<br />
choisi eux-mêmes la délinquance linguistique qu’il leur a programmée? Quels<br />
sont ces peuples?<br />
16. Négation systématique des impacts<br />
À ce stade, tandis que nous négligeons les plans d’intervention efficaces, tandis<br />
que nous participons à l’érection des conditions du mal-être, tandis que préparons, en<br />
grand nombre, d’autres analphabètes fonctionnels et tandis que nous réduisons les<br />
perspectives réalistes d’une amélioration des acquis et d’un meilleur devenir, des<br />
milliers de jeunes écopent.<br />
On ne corrige pas : on farde. Je ne vais, au cours de ma carrière, avoir assisté qu’à<br />
la sempiternelle répétition des mêmes séances de barbouillage et de maquillage.<br />
Pour utiliser pareille recette cosmétique depuis si longtemps, il faut que,<br />
fondamentalement, les décideurs soient amplement satisfaits des résultats produits, et<br />
cela, indépendamment de tout discours qui pourrait laisser croire à un balbutiement de<br />
considération pour les écoliers vulnérables.<br />
253
Pour demeurer satisfaits sans avoir à investir, ils ont inventé la normalisation (des<br />
évaluations) qui permet la correction des résultats jugés insatisfaisants. Ainsi, sans<br />
injecter la plus petite ressource, transforment-ils en réussite le lot des échecs qui<br />
représente un écart à leurs attentes. C’est magique : l’ordinateur fait tout et cela ne<br />
coûte pratiquement rien!<br />
Bien sûr, pour que l’évaluation demeure valide, il faut des échecs (ce qu’André<br />
Antibi a baptisé la «constante macabre»). Combien d’échecs?<br />
Au finish, je dirais 15%, tous secteurs éducatifs et toutes durées de fréquentation<br />
scolaire confondus.<br />
Au secteur jeune, pour une durée de fréquentation égale aux paliers scolaires plus<br />
un, je dirais que les décideurs et leurs valets sont confortables avec 20 à 25% d’échecs.<br />
On peut croire ou se faire croire, comme Hubert Curien, ancien ministre français) de<br />
la Recherche que « La collusion trop fréquente entre éducation et sélection, stigmatisée<br />
par André Antibi, cause de réels ravages ... » Mais, en France comme ici, cette<br />
collusion effective n’est pas la cause première de la situation.<br />
La cause première, c’est que l’on se fiche royalement 33 des conséquences sur les<br />
jeunes touchés-coulés (comme à la bataille navale), tout en se faisant aller le «mâche-<br />
patates» pour glousser sa préoccupation des démunis.<br />
vrac.<br />
Le reste est à l’avenant : tous les manques d’actions vraies et efficaces sont niés en<br />
Il n’est qu’à lire la récente (juin 2008) déclaration à la ministre Courchesne de Jean<br />
Falardeau, président de la Fédération des professionnelles et professionnels de<br />
33 Il est clair que se ficher ROYALEMENT témoigne d’un jansénisme qui applique, comme une vérité incontestable, que certains<br />
sont prédestinés à perdre et d’autres à gagner : c’est mon petit hommage aux rois (des cons), par la Grâce de Dieu !<br />
254
l’éducation du Québec, en prévision du plan d’action que cette dernière a (encore)<br />
annoncé concernant les EHDAA.<br />
« L’effort mis en prévention, en dépistage et en intervention précoce par les commissions<br />
scolaires est nettement insuffisant et il contribue à accroître les problèmes d’apprentissage au<br />
primaire et le décrochage au secondaire. De plus, si le personnel professionnel déjà en place<br />
est affecté à la prévention et à l’intervention précoce, ce sont les élèves en difficulté suivis<br />
actuellement qui seront laissés pour contre. C’est par l’ajout de personnel professionnel<br />
spécifiquement affecté à ces dossiers que la ministre pourra répondre aux besoins urgents des<br />
élèves à risque et aux EHDAA ».<br />
Dévoilant qu’une recherche de 2006 sur l’épuisement professionnel démontre<br />
clairement que c’est en risquant leur santé que les professionnelles et professionnels<br />
consentent l’effort plus que jamais démesuré demandé, dénonçant l’intégration<br />
sauvage (sans les services appropriés pour les enseignantes et enseignants et les<br />
élèves) des EHDAA dans les classes ordinaires, Falardeau attribue à ces phénomènes<br />
une bonne partie des départs en maladie ou l’abandon de la carrière pour les débutants<br />
(plus d’un sur cinq avant sa cinquième année) et la détérioration situationnelle des<br />
écoliers en péril tout comme celle des élèves dits normaux :<br />
« Les élèves laissés sans services voient leurs problèmes augmenter et leur parcours les<br />
mener vers l’échec et/ou le décrochage.»<br />
Or, révèle Falardeau, la ministre répète depuis quelques mois que les services<br />
professionnels sont suffisants et qu’il faut travailler autrement, une nouvelle version du<br />
traditionnel « faire plus avec moins ».<br />
Ma foi, comme ses prédécesseurs, madame Courchesne a adopté comme recette<br />
d’application de la politique de l’adaptation scolaire, celle de la soupe aux boutons!<br />
255
«Il y a présentement à peine 1,1 professionnelles ou professionnels en service direct aux<br />
élèves par école. Ceux-ci ne représentent que 2,91 % du budget global des commissions<br />
scolaires. En 2006-2007, première année de la mesure visant (l’amélioration des) services aux<br />
élèves à risque et les EHDAA, les commissions scolaires n’ont ajouté que 61,4 professionnels<br />
(équivalent à temps plein) pour l’ensemble des commissions scolaires alors que le budget<br />
global de 15 millions aurait permis d’en ajouter 300.»<br />
Et Jean Falardeau de conclure :<br />
«L’intervention auprès des élèves à risque et des EHDAA constitue un défi de taille et il ne<br />
peut y avoir de demi-solution ni de pensée magique. Nous sommes convaincus que cela ne<br />
peut se faire sans l’expertise du personnel professionnel et donc sans l’ajout de personnel<br />
professionnel en nombre suffisant »<br />
Mais l’origine du problème des demi-solutions pour parer aux problèmes de la<br />
jeunesse n’est pas la pensée magique, c’est le culte du faux-semblant !<br />
256
Chapitre VII<br />
Hauts savoirs et météo<br />
Grammatici certant<br />
Les savants «s’ostinent.» (Traduction libre)<br />
«Être un vaurien vaut mieux que n’être rien.»<br />
F. Deligny<br />
Parce que le privilège, plus que le mérite même s’il est présent, que constitue la détention<br />
d’un professorat universitaire commande des redevances tangibles à la société ambiante, il est<br />
nécessaire d’exiger sans retenue des retombées concrètes permanentes au déploiement des<br />
hauts savoirs.<br />
Lorsque c’est avec des pincettes que le Conseil supérieur de l’éducation recommande, aux<br />
universitaires de ce secteur de faire passer à leurs recherches l’épreuve du terrain, il les<br />
protège au détriment des clientèles à mieux soutenir.<br />
Je choisis donc, sans décorum, de tailler dans le vif : entre le maintien du confort du docte<br />
privilège et les conséquences de la mort lente qu’il ne contribue pas suffisamment à enrayer, il<br />
fallait trancher! J’ai choisi les vraies victimes!<br />
17. Complicité béate et docile d’une partie du monde universitaire<br />
Réservons l’introduction à Marguerite Yourcenar :<br />
«(…) il n'existe aucun accommodement durable entre ceux qui cherchent, pèsent,<br />
dissèquent, et s'honorent d'être capables de penser demain autrement qu'aujourd'hui et ceux<br />
qui croient ou affirment de croire et obligent sous peine de mort leurs semblables à en faire<br />
autant.»<br />
Le problème avec une telle sentence, c’est que chacun qui la lit va immédiatement<br />
se positionner dans le bon rôle et positionner son ou ses détracteurs, dans le mauvais.<br />
257
Alors, pour mettre un terme précoce à ma propre destination, je vais me ranger<br />
d’emblée dans la catégorie des malfaisants : «ceux qui croient ou affirment de croire et<br />
obligent sous peine de mort leurs semblables à en faire autant.»<br />
Cela fera plaisir à ceux que je vais viser ici-bas et leur préparera un argumentaire<br />
facile, même s’ils sont unanimes à reconnaître que la mort ne fait pas partie de mes<br />
sentences.<br />
Il est néanmoins beaucoup plus probable que, tous, nous cherchons, pesons,<br />
disséquons et nous targuons d’une adaptabilité agile aux aléas contradictoires de la<br />
vie ; que tous, cependant, nous affirmons de croire et, avec ou sans recours à une<br />
peine de mort 34 , posons maints jalons pour contraindre autrui à notre pensée.<br />
L’une des failles de la recherche universitaire dans le domaine particulièrement<br />
fluctuant des sciences humaines et, en son sein, le domaine de l’éducation, est la<br />
fonction sacralisée de cette quête trop purement intellectuelle de l’inaltérable vérité et<br />
ce souci de persuader scientifiquement qu’on la possède : pour garantir et alimenter le<br />
processus de la consécration, pour protéger le prestige et la récurrence des hauts<br />
savoirs, il est primordial que la recherche empirique produise d’indestructibles et<br />
d’intemporelles découvertes ou de fracassantes démonstrations que, fussent-elles<br />
rendues caduques par leur confrontation au réel ambiant, y fussent-elles dévastatrices,<br />
leur ancrage dans la consécration va pourvoir d’une destructrice durabilité.<br />
Comme le disait récemment et judicieusement l’ex-juge Ruffo, à propos des règles<br />
qui gouvernent le tribalisme du Conseil de la magistrature qui l’a contrainte à se placer<br />
au rencart, les règles qui promeuvent et maintiennent dans l’état de grâce ne sont pas<br />
34 Il n’est pas inutile de rappeler que toute contribution à l’hyperphénomène de la mort lente est une peine de mort.<br />
258
là pour défendre les clientèles, mais pour conserver sa cohésion, en l’occurrence même<br />
honteuse, à la tribu.<br />
Sans doute, devrions-nous envisager qu’il existe de nos jours, dans le domaine des<br />
sciences humaines, sinon un tribalisme universitaire, du moins une hégémonie<br />
plénipotentiaire des mécanismes de la consécration et que cette hégémonie dicte non<br />
seulement le processus de sacralisation, mais aussi les interdits posés à la coexistence<br />
égalitaire de la pensée divergente.<br />
Mais passons plutôt à du concret.<br />
J’ai précédemment traité des effets pervers du renouveau linguistique et didactique<br />
sur la maîtrise de la langue. Que l’on ne s’y trompe pas : je ne confronte ici nullement<br />
les aspects théoriques de ce renouveau.<br />
Ce que je confronte chez ses théoriciens (ou chez ceux qui s’en sont inspirés), c’est<br />
la compétence conceptuelle d’applicabilité. Je ne critique pas ce qu’est ce renouveau,<br />
je dénonce ce qu’on lui a fait faire, sans qu’il y soit le moindrement prêt, au détriment de<br />
milliers d’élèves.<br />
Je dénonce le discours universitaire sans filet qui a prétendu améliorer la<br />
compréhension de la langue en conduisant les élèves à «construire du sens» à partir de<br />
leurs propres productions pour, décortiquant leurs erreurs rédemptrices, concevoir la<br />
mécanique linguistique, c’est-à-dire la réinventer.<br />
Je ne dénonce pas que quelqu’un ait eu l’idée brillante de le faire ainsi : elle est<br />
intellectuellement sublime. Je dénonce l’absence interstellaire de questionnement<br />
259
préalable sur sa faisabilité multicritères 35 dans un contexte de classe hétérogène<br />
parsemée d’écoliers de biorythmes et de capacités et déficits divergents.<br />
De façon à peine caricaturale, j’oserais dire que nous avons expérimenté l’extension<br />
de la didactique du préceptorat. Le slogan tapageur «passer de la scolarisation à la<br />
réussite du plus grand nombre» a certainement motivé la recherche sur la réussite et<br />
ses conditions. Je crois que la recherche a toutefois négligé l’impact du «plus grand<br />
nombre» sur l’applicabilité et sur l’exportabilité des solutions didactiques et<br />
pédagogiques préconisées. Je crois que, de façon générale, la réflexion universitaire a<br />
porté sur la microprogrammation de la réussite, auprès de clientèles à faibles écarts à<br />
la norme et fait abstraction des conséquences de l’inclusion sur l’amplitude de ces<br />
écarts.<br />
Je crois que nous avons conçu l’image virtuelle de l’écolier moyen, au biorythme<br />
moyen, apte à abstraire et généraliser dans les délais déjà normalisés et je crois que,<br />
de ce modèle nécessairement docile parce que conçu de toutes pièces pour sa<br />
recevabilité d’une éducation individualisée ou individuée, découle la pédagogie<br />
différenciée. La large majorité des EHDAA échappe à cette conception simpliste et<br />
c’est précisément là que le bât blesse.<br />
Considérez un milieu scolaire socialement et économiquement homogène, sans<br />
EHDAA, et concevez, sous quelque forme pédagogique que ce soit, un scénario<br />
d’apprentissage articulé et je vous garantis la réussite de tous.<br />
35 Une démarche où l’avenir des jeunes est en jeu devrait toujours s’appuyer sur une mesure systémique préalable des impacts<br />
générés par une expérimentation selon les paramètres du réel : on éviterait de les transformer en cobayes!<br />
260
Ajoutez un peu de chômage, une inquiétude sociale et économique chronique, des<br />
disparités de fortune, des déchirements familiaux, un peu de négligence, un peu de<br />
violence physique, un peu d’abus, les désordres comportementaux qui en découlent, en<br />
plus d’une panoplie de retards et de troubles d’apprentissage et placez-y de façon<br />
prolongée, même supporté par l’éclairage intellectuel de toutes les expertises<br />
professionnelles et universitaires que vous voulez, un enseignant formé à la<br />
différenciation et je vous garantis l’échec des plus vulnérables.<br />
La pédagogie différenciée est une pédagogie préceptrice qui, si elle est privée des<br />
effectifs et ressources de son applicabilité, relève de la pensée magique 36 .<br />
Comme j’ai été fort sérieux dans les dernières lignes, permettons-nous une pause<br />
métaphorique sur la pensée magique.<br />
Peut-être vous souvenez-vous de la fable de Lafontaine, Conseil tenu par les rats ?<br />
Un Chat, nommé Rodilardus<br />
Faisait des Rats telle déconfiture<br />
Que l'on n'en voyait presque plus,<br />
Tant il en avait mis dedans la sépulture.<br />
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,<br />
Ne trouvait à manger que le quart de son sou,<br />
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,<br />
Non pour un Chat, mais pour un Diable.<br />
Or un jour qu'au haut et au loin<br />
Le galant alla chercher femme,<br />
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa Dame,<br />
36 Je partage en cela le point de vue d’Égide Royer et défends, à ses côtés, l’injection impérative des ressources au niveau<br />
nécessaire et suffisant.<br />
261
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin<br />
Sur la nécessité présente.<br />
Dès l'abord, leur Doyen, personne fort prudente,<br />
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,<br />
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;<br />
Qu'ainsi, quand il irait en guerre,<br />
De sa marche avertis, ils s'enfuiraient en terre ;<br />
Qu'il n'y savait que ce moyen.<br />
Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen,<br />
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.<br />
La difficulté fut d'attacher le grelot.<br />
L'un dit : "Je n'y vas point, je ne suis pas si sot";<br />
L'autre : "Je ne saurais."Si bien que sans rien faire<br />
On se quitta. J'ai maints Chapitres vus,<br />
Qui pour néant se sont ainsi tenus ;<br />
Chapitres, non de Rats, mais Chapitres de Moines,<br />
Voire chapitres de Chanoines.<br />
Ne faut-il que délibérer,<br />
La Cour en Conseillers foisonne ;<br />
Est-il besoin d'exécuter,<br />
L'on ne rencontre plus personne.<br />
La métaphore est claire et directe : les solutions qui émanent de l’esprit même le<br />
plus brillant, même le plus reconnu, même le plus vénéré, sont lettres mortes si elles ne<br />
262
sont pas accompagnées, de façon permanente, de leur mode d’application et des<br />
ressources de son opérationnalisation.<br />
Je le crie haut et fort ici et pourtant ces hauts cris ne devraient pas être les miens,<br />
mais, à l’instar (amplifié) d’un Égide Royer, ceux de l’ensemble de la colonie<br />
universitaire.<br />
18. Déficit et dysfonctions de la recherche universitaire, en particulier de la<br />
recherche appliquée<br />
«Tous les hommes n'ont pas les mêmes opinions sur les choses que la jeunesse doit<br />
apprendre, soit en vue de la vertu, soit en vue de la vie plus parfaite; et on ne se rend pas non<br />
plus clairement compte s'il convient de viser au développement de l'intelligence plutôt qu'à celui<br />
des qualités de l'âme.»<br />
Aristote<br />
Éthique des hauts savoirs : petit défi pour Grands cerveaux<br />
Pourquoi ne pas commencer par un délicieux exercice de décodage à partir de la<br />
synthèse des intentions, nécessairement louables puisque subventionnées, d’une<br />
recherche.<br />
RECHERCHE SUBVENTIONNÉE MELS 2006-2007<br />
Contribution des éthiques narrative, discursive, reconstructive et dialogale<br />
à la justice réparatrice et à la réconciliation.<br />
Le cas des commissions de vérité et de réconciliation<br />
Dany Rondeau<br />
Université du Québec à Rimouski<br />
«Les commissions de vérité et de réconciliation (CVR) sont instaurées en vue de<br />
favoriser la transition politique et la réconciliation nationale suite à un épisode de crimes<br />
de masse. Malgré l’intérêt qu’elles suscitent, elles ont été peu étudiées autrement que<br />
d’un point de vue juridique ou politique. Politiquement, les CVR sont dépendantes des<br />
conditions négociées et du contexte fragile d’une transition. Juridiquement, elles ne<br />
possèdent pas les pouvoirs attribués à la justice pénale et doivent tenir compte de<br />
l’amnistie souvent décrétée lors des accords de paix. Pour soutenir la réconciliation<br />
nationale, des CVR ont intégré des éléments et des finalités propres à la notion de<br />
justice réparatrice. Ayant une finalité d’abord éthique 37 , la justice réparatrice vise à<br />
37 Moi, je pense que les finalités des CVR sont d’abord la vérité et la réconciliation. La finalité éthique est celle du chercheur !<br />
263
estaurer la dignité des victimes à travers la reconnaissance de ce qui leur a été fait et à<br />
réintégrer les agresseurs dans la communauté après qu’ils aient reconnu et réparé<br />
leurs torts, à travers un processus qui engage la communauté entière. Cette finalité<br />
éthique adoptée par plusieurs CVR n’a pas encore, à notre connaissance, fait l’objet<br />
d’une recherche approfondie.»<br />
Attention : attachez vos tuques!<br />
«Notre projet consiste ainsi à théoriser l’éthique qui intègre le mieux les éléments clés<br />
de la notion de justice réparatrice, à partir des éthiques narrative (Ricoeur, Taylor),<br />
discursive(Habermas), reconstructive (Ferry) et dialogale (Panikkar, Rondeau),afin<br />
de faire ressortir la contribution particulière de l’herméneutique diatopique et du<br />
dialogue dialogal (Panikkar) à la réconciliation nationale, dans un contexte où des<br />
histoires singulières et des univers conceptuels différents s’affrontent.»<br />
Je vous octroie, pour décoder, le temps d’un génocide, pas un trop gros, un petit, de<br />
telle sorte qu’il passe presque inaperçu ou que l’on ne le remarque que comme un trace<br />
de sang qui apparaîtrait soudainement dans un rétroviseur.<br />
Un au hasard des quelque 50 conflits militarisés que nourrit, au moment où j’écris,<br />
l’industrie de guerre, digne et vertueuse création du capitalisme démoniaque…<br />
SOLUTIONNAIRE<br />
Dring : le temps est écoulé!<br />
Éthique narrative<br />
Éthique appliquée au témoignage narratif (témoignage des vécus) : éthique du fond<br />
Éthique discursive<br />
Éthique appliquée au discours sur le témoignage des vécus : éthique de la forme<br />
Éthique reconstructive<br />
Éthique appliquée à la révision de son témoignage à la lumière du (des) témoignages<br />
opposés (ex : discours-témoin des victimes/ agresseurs)<br />
Éthique dialogale<br />
Éthique de la (re)construction d’un discours commun : perspective de coexistence<br />
Herméneutique<br />
Théorie, science de l'interprétation des signes, de leur valeur symbolique.<br />
264
Topique<br />
Espace topique. Lieu où se manifeste syntaxiquement une transformation, eu égard à<br />
un programme narratif donné, défini comme une transformation entre deux états<br />
narratifs stables (d'apr. GREIMAS-COURTÉS 1979).<br />
Diatopique<br />
Espace diatopique. Lieu où se manifestent syntaxiquement deux transformations, eu<br />
égard à deux programmes narratifs donnés, définis comme deux transformations entre<br />
quatre états narratifs stables (d'apr. GREIMAS-COURTÉS 1979).<br />
Herméneutique diatopique<br />
Mise au monde d’un «encadrement théorique» sur le quintuple phénomène :<br />
Victimes Agresseurs<br />
Discours initial des victimes Discours initial des agresseurs<br />
Discours éthique des victimes Discours éthique des agresseurs<br />
Discours commun de réconciliation en vue d’une coexistence pacifique<br />
Dialogue dialogal<br />
Dialogue visant la reconnaissance de discours opposés et la construction d’un discours<br />
commun (de (ré) conciliation.<br />
De fait, ladite recherche se résume à l’analyse des interactions entre les<br />
constituantes de mon tableau, mais il est évident que, dit comme cela, ça manque de<br />
punch…<br />
Ah ! Douceur de la masturbation intellectuelle !<br />
Je ne suis néanmoins pas sûr que les victimes méritent tant de jouissance !<br />
Y compris, d’ailleurs, dans nos écoles…<br />
Je pense même que certains universitaires des facultés d’éducation n’ont, par la<br />
rareté de leurs séjours prolongés sur le terrain scolaire contemporain (la masturbation<br />
intellectuelle se pratique en privé…) qu’une vision réduite de la réalité quotidienne des<br />
écoles et que d’autres, profondément dédiés à leurs dogmes doctoraux, mais défiant<br />
265
leur propre logique de la recherche empirique, transforment en dictats les conclusions<br />
de leurs démarches essentiellement, mais uniquement théorisées.<br />
J’en veux pour exemple (non scientifique) un certain reportage de l’émission Enjeux<br />
de septembre 2006 intitulé Les cobayes de la réforme.<br />
Comme son titre l’indique, l’émission tente de déterminer si les enfants sont victimes<br />
d’une expérimentation, voire d’une expérimentation aveugle.<br />
On y voit successivement l’analyse de deux chercheurs, Roch Chouinard,<br />
professeur agrégé au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université<br />
de Montréal et Marc-André Déniger, professeur au département des sciences de<br />
l’éducation, également de l’Université de Montréal.<br />
Les deux chercheurs se prononcent à la suite du visionnement d’une activité<br />
pédagogique par projet : la planification de A à Z de l’aménagement d’une aire<br />
récréative par des écoliers de sixième année.<br />
Voici donc l’évaluation de Roch Chouinard sur les apprentissages (potentiellement)<br />
réalisés<br />
«Je dirais (de ces élèves) qu’ils ont appris davantage dans des domaines plus complexes<br />
que des façons traditionnelles d’enseigner(…)<br />
Maintenant à savoir s’ils ont plus ou moins de connaissances que des enfants élevés dans<br />
un système plus traditionnel, je suis incapable de répondre à cette question là, parce que je n’ai<br />
pas de données pour répondre à cette question.»<br />
Puis, interrogé sur l’ancrage des connaissances : « Moi, je ne vois rien là pour être<br />
inquiet. Je vois, au contraire, des enfants qui, pour leur âge -ce sont des enfants de sixième<br />
année, fin de troisième cycle- sont capables de prendre des initiatives, de travailler en équipe,<br />
de résoudre des problèmes complexes. Non, je trouve cela extraordinaire, je vous dirais.»<br />
266
Passons à l’analyse de Marc-André Déniger, se prononçant, dans le même<br />
reportage, sur la mesure d’une bonification des apprentissages liés à la réforme :<br />
«À mon avis c’est à peu près impossible de le dire au moment où l’on se parle. On n’a pas<br />
prévu d’évaluation des effets sur les apprentissages ou sur le développement des<br />
compétences.»<br />
La narratrice introduit la suite du témoignage du professeur Déniger par le postulat<br />
suivant : selon lui, une évaluation scientifique, avant et après réforme, était obligatoire.<br />
«On ne peut gouverner un système éducatif sans mesurer l’atteinte de ses résultats, ça n’existe<br />
pas dans le monde.»<br />
Je voudrais entièrement souscrire à l’évaluation de Marc-André Déniger, mais je<br />
diverge d’opinion quant au fait que le laxisme en matière d’évaluation scientifique des<br />
réformes scolaires soit l’apanage du Québec. C’est un œcuménisme universitaire fort<br />
et prospère. J’y reviendrai dans la partie 22 de ce chapitre.<br />
Pour l’heure, je veux simplement, sans flagellation excessive, constater que Roch<br />
Chouinard, nonobstant la qualité de sa contribution, entre autres dans les domaines de<br />
la motivation et de la gestion de classe, a, en cette occasion, parlé à travers son<br />
mortier. Tous ses dires reposent sur des impressions et nourrissent une profession de<br />
foi préétablie : avec la réforme, les écoliers sont plus motivés, plus engagés, plus<br />
organisés, plus aptes à résoudre des problèmes complexes, etc.<br />
En cela, Roch Chouinard fait écho au discours officiel qui promeut la réforme à partir<br />
de ses intentions et tasse toute objection et tout résultat contradictoires.<br />
Le mystère qui demeure à élucider au regard admiratif de ce cumul de plus, c’est<br />
comment on aboutit à du MOINS.<br />
267
Sans entrer dans le débat public-privé, le fait que, dans l’émission, l’exemple soit<br />
donné de ce garçon de sixième qui a raté son examen d’entrée dans une école<br />
secondaire privée (sélective) parce que sa classe du primaire n’a pas approfondi les<br />
notions relatives aux fractions n’est nullement pris en considération dans l’analyse de<br />
Chouinard. Mais elle ne ferait pas non plus de différence dans les prononcés de<br />
plusieurs intervenants du terrain tant est occulté tout discours critique.<br />
À tel point que le réalisateur d’Enjeux, au moment de questionner les jeunes sur leur<br />
engouement pour l’actuelle réforme, son impact sur l’école d’aujourd’hui et<br />
l’engouement qu’ils en retirent, leur présente la vidéo d’une classe des années 50-60 :<br />
une sœur en avant, sur son estrade, les enfants cordés en arrière des pupitres et des<br />
encriers, un enseignement strictement magistral. Il ne manque que la férule de la<br />
maîtresse et la strappe du frère directeur…<br />
Il eût été passablement plus nuancé et sociologiquement plus adéquat de présenter<br />
l’école (de terrain) des années 70, pondérant par une pédagogie ouverte le maintien<br />
des exigences d’acquisition des connaissances. Celle-là même que saborda, en<br />
l’espace de quelques années, la puissante vague bleue, prétendant «qu’il fallait, et plus<br />
tôt que plus tard, attacher un» boulet au pied de l’écolier.<br />
À présentation caricaturale de la classe ancestrale, réponse caricaturale et,<br />
surprise, les élèves ont préféré l’école de la réforme!<br />
Que l’instauration du règne de l’enfant-roi par les adultes chargés de les élever (en<br />
principe au sens étymologique du terme) ait estompé graduellement toute tolérance à la<br />
frustration, toute tolérance à l’attente, toute tolérance à l’effort prolongé, au non-jeu,<br />
268
toute tolérance au non-sens (pourtant si présent dans notre vie quotidienne) n’effleure-t-<br />
il pas l’esprit du chercheur?<br />
Que se pose, au plan du développement optimal du petit de l’humain, la question<br />
fondamentale de son adaptation dirigée aux conditions hostiles et de son outillage,<br />
n’invite-t-il pas le chercheur à évaluer d’un regard suspicieux la trop aisée adaptation<br />
aux conditions aseptisées de l’école contemporaine et à leur décalage par rapport aux<br />
exigences du réel?<br />
Se peut-il que le désir du mieux-être fasse totale abstraction de l’environnement qui<br />
le contredit?<br />
Peut-on corriger cet environnement sans en intégrer les résistances?<br />
Dans une école sans savante et pondérée contrainte, ne prépare-t-on pas des<br />
individus incapables d’admettre une bribe d’évaluation moins élogieuse?<br />
En tout cas, maints superviseurs de la formation des maîtres vous diront les larmes<br />
essuyées et les épaules offertes aux stagiaires déconcertés par une contreperformance<br />
révélée, défaits comme si on les avait passés au bulldozer.<br />
Certains chargés de cours vous diront la déception outrée d’étudiants universitaires,<br />
y compris de deuxième cycle, face à un A MOINS , là où ils escomptaient un A PLUS ; ils vous<br />
diront leurs revendications quelquefois acharnées pour quêter quelques points pour un<br />
ajustement de note et de cote et la malheureuse démission, voire la soumission, de<br />
certains départements facultaires face à ces futilités et à la gymnastique de la<br />
distribution de l’excellence.<br />
Bien sûr, Aristote a raison quand il clame que «Tous les hommes n'ont pas les mêmes<br />
opinions sur les choses que la jeunesse doit apprendre, soit en vue de la vertu, soit en vue de<br />
la vie plus parfaite…», mais la vie plus parfaite est-elle une simple vue de l’esprit ou<br />
269
l’enfermement dans une virtualité accommodante ou l’autarcie élitiste dans un<br />
environnement entièrement contrôlé, avec, en toile de fond, l’élimination des pauvres,<br />
des différents, des inaptes et des déficients?<br />
Ce sont toutes ces dimensions que la recherche universitaire a de la difficulté à<br />
incorporer parce qu’elles sont des embûches sur la voie de la consécration : elles la<br />
complexifient, la relativisent, la contredisent, toutes choses auxquelles elle est<br />
puissamment allergique.<br />
Le réel ambiant contraint à l’explosion systémique de l’analyse : il ne peut cohabiter<br />
avec son propre réaménagement aux seuls paramètres de la théorie. Il ne peut se<br />
réduire à ce qui conforte les preuves soi-disant établies au détriment de sa plénitude et<br />
de sa synergie.<br />
Seule la recherche appliquée, administrée selon les ressources, conditions,<br />
contingences et paramètres -existants ou durablement projetables et accessibles- du<br />
réel ambiant, peut permettre de bonifier ce réel.<br />
Seule cette recherche peut prendre, dans toutes ses dimensions, le portrait du réel,<br />
réaliser les préalables et indispensables mesures d’impacts hypothétiques, anticiper la<br />
correction des tirs, expérimenter dans le faisable et l’exportable, se contrôler et<br />
contrôler objectivement ses résultats.<br />
Peut-être n’est-il pas nocif, pour faire taire les tollés, de rapporter ces extraits de la<br />
conclusion du Conseil supérieur de l’éducation dans son rapport annuel 2004-2005,<br />
LE DIALOGUE ENTRE LA RECHERCHE ET LA PRATIQUE EN É<strong>DU</strong>CATION : une clé<br />
pour la réussite.<br />
270
Synergie entre la recherche et la pratique<br />
«Le Conseil supérieur de l’éducation propose (…) une vision du<br />
développement de l’éducation qui s’appuie sur une synergie croissante entre<br />
l’univers de la recherche et celui de la pratique. Dans une telle culture de<br />
l’éducation, la recherche et la pratique pourront s’éclairer et s’enrichir<br />
mutuellement, à l’exemple de ce qui se fait dans le secteur de la santé. Il s’agit<br />
là d’un des défis à relever pour faire évoluer le système d’éducation et améliorer<br />
les pratiques éducatives et, ainsi, assurer la réussite et la qualification du plus<br />
grand nombre de personnes.»<br />
Commentaire personnel fondé sur mes observations :<br />
Pour que se réalise véritablement l’éclairage réciproque, encore faudrait-il que la<br />
recherche universitaire, gardienne exclusive et propriétaire autoproclamée des hauts<br />
savoirs, accorde docte crédit à la pratique…Ce n’est certes pas du tout cuit, tant est la<br />
chasse farouchement gardée!<br />
Un autre dossier adjacent témoigne de cette oligarchie : celui de la reconnaissance<br />
des acquis, qu’ils soient du domaine de la pratique et, ô monopole de la consécration,<br />
issus d’une formation universitaire «étrangère» ( : au Québec, le calque administratif<br />
états-unien fait en sorte qu’un régime tacite de privatisation autorise aussi les<br />
universités provinciales, payées par le peuple, à être un peu (trop) les étrangères les<br />
unes des autres…)!<br />
L’épreuve du terrain<br />
«On ne saurait en effet améliorer les pratiques éducatives ou en introduire<br />
de nouvelles sans les appuyer sur les connaissances acquises par la recherche.<br />
On ne saurait non plus faire avancer la recherche sans tirer les<br />
271
enseignements des expériences et des innovations qui ont passé<br />
l’épreuve du terrain. Il faut donc intensifier le dialogue et multiplier les<br />
collaborations entre les chercheurs et les praticiens.»<br />
Commentaire personnel fondé sur mes observations :<br />
S’il est utile de mettre un accent sur l’amélioration des pratiques éducatives par leur<br />
appui sur les connaissances acquises par la recherche, cela révèle certainement un<br />
problème de passation universitaire des savoirs et j’y vois deux causes : la première<br />
que j’ai déjà identifiée est la chasse gardée qu’exerce une certaine collectivité<br />
universitaire qui autodéfinit la conservation et la protection du pouvoir et des champs de<br />
passation pour protéger, seconde cause, les actuels mécanismes (dépassés) de<br />
consécration.<br />
J’en veux pour exemple, en éducation préscolaire et primaire ou secondaire pour<br />
«enseigner au régulier», l’infiniment coupable déficit de formation des futurs<br />
maîtres dans le domaine de l’adaptation scolaire et sociale.<br />
Ce déficit rend démunis les jeunes enseignants, au terme des quatre années de leur<br />
formation, à l’égard des besoins des EHDAA (dés-) intégrés dans leurs classes, tant au<br />
plan de l’identification qu’à celui de l’intervention. L’insuffisance des cours préparatoires<br />
à la gestion d’une «communauté apprenante» 38 aussi hétérogène est soulignée par les<br />
sortants dès leur insertion dans la profession. Elle explique leur démission précipitée et<br />
leur fragilisation. Elle est, de plus, commune à toutes nos universités, connue depuis<br />
des lustres et, lors de la révision des contenus de formation au passage de la formation<br />
38 Comme si le simple fait de la nommer ainsi lui octroyait du même souffle les résultats à l’avenant…<br />
272
de 3 à 4 ans, n’a été considérée que de façon hautement parcellaire, même si la réalité<br />
du terrain la confronte perpétuellement à son historique carence.<br />
Pour que, malgré les impacts connus auprès des jeunes les plus vulnérables,<br />
malgré tous les avis, contre le bon sens le plus élémentaire, les instances chargées de<br />
définir l’enseignement supérieur en éducation aient choisi de maintenir cette déficience,<br />
il faut qu’elle soit à leur profit.<br />
Quel est donc ce profit?<br />
Il y a bien sûr les guéguerres départementales et le souci vertueux de ne pas<br />
«anormaliser» tout le monde. Mais il y a surtout le cloisonnement, au régulier, de la<br />
didactique et celui, en adaptation scolaire, de l’orthodidactique, jusqu’aux confins des<br />
doctorats.<br />
Au régulier, l’expertise didactique doctorale est acquise et répandue, mais point ne<br />
l’est l’expertise orthodidactique. En tout cas, pas au point de s’instituer dans la<br />
passation systématique des hauts savoirs au premier cycle de la formation!<br />
Je n’oserais pas affirmer que le décloisonnement départemental, s’il était mis en<br />
place, provoquerait de l’ignorance universitaire, mais peut-être ai-je tort de ne pas oser.<br />
Peut-être ai-je tort de constater que le phénomène s’intensifie avec les nouvelles<br />
générations, de renommée si utile, de maîtres et de docteurs dont la pensée se<br />
cantonne aux niveaux préréflexif et quasi réflexif, tant sont sciées à la base toute<br />
perspective ou toute démarche systémiques et limitées l’arpentage et la connaissance<br />
du plancher.<br />
Pour que se passe objectivement l’épreuve du terrain, il faudrait que soit extirpé<br />
l’argument massue à l’effet que le problème vient entièrement de la résistance des<br />
273
praticiens à absorber la recherche, laquelle résistance explique du même jet les échecs<br />
de la recherche dans maintes épreuves du terrain…<br />
Il faudrait que soient circonscrites les conditions réalistes impératives de la<br />
passation de l’épreuve de la réalité.<br />
Parmi ces conditions, je suggère de calquer la durée de l’épreuve du réel sur la<br />
durée du changement et ses critères de permanence : en milieu scolaire, un<br />
changement d’amplitude prend sept années à s’installer, se répandre, se contrôler,<br />
s’évaluer.<br />
Un succès ne se révèle qu’au terme de ces sept ans.<br />
Un dégât ne se constate qu’au terme d’un septennat.<br />
Ainsi en est-il du dégât provoqué par la substitution de la promotion en situation<br />
d’échec au redoublement (même boiteux), non pas que cette promotion automatique ait<br />
été incluse dans la recherche sur le redoublement qui a préconisé de l’abolir, mais<br />
parce qu’elle en a été la conséquence RÉELLE indubitable.<br />
Un regard horizontal plutôt que vertical<br />
«Le processus de rapprochement entre le monde de la pratique et celui de<br />
la recherche doit continuer de se fonder sur les acquis relevés par le Conseil.<br />
Mais pour donner une impulsion décisive à ce développement, il faut faire<br />
davantage.<br />
Finalement, il faut intensifier le transfert des connaissances et multiplier, en<br />
particulier, les lieux et les occasions d’échange entre les chercheurs et les<br />
praticiens en éducation.<br />
274
Le Conseil est d’avis que les chercheurs en éducation doivent s’ouvrir<br />
davantage au monde de la pratique, contribuer plus résolument à la solution<br />
des problèmes en éducation, transmettre plus largement les connaissances<br />
acquises, notamment par la vulgarisation scientifique, et associer plus<br />
étroitement les praticiens à leurs activités de recherche.<br />
Il y a là tout un changement culturel à favoriser.<br />
Finalement, il faut soutenir le rassemblement et la diffusion des savoirs<br />
pratiques tout comme ceux qui sont issus de la recherche.<br />
Le Conseil estime que les besoins sont pressants chez une large majorité<br />
d’enseignants, que ce soit sur le plan de l’accès à la recherche, de son<br />
appropriation ou de son utilisation en vue de l’introduction de nouvelles<br />
pratiques éducatives.»<br />
Commentaire personnel fondé sur mes observations :<br />
Les conseillers ne sont pas les payeurs et il ne suffira ni de provoquer des<br />
rencontres entre chercheurs et praticiens, ni de les instrumenter, ni de les prolonger. Le<br />
changement culturel que doivent s’imposer les chercheurs comme les praticiens, c’est<br />
de marcher dans les pas les uns des autres, de «chausser les bottines de l’autre».<br />
Il est, à ce propos très intéressant de considérer l’existence du septennat en milieu<br />
universitaire, lequel autorise l’année sabbatique 39 .<br />
Ne pourrait-on considérer, pour les universitaires de carrière, une obligation<br />
concomitante qui commanderait deux années non consécutives sur sept de présence et<br />
d’action effectives sur le terrain, dans les conditions réelles ou généralement<br />
accessibles et durablement exportables?<br />
39 Année de congé accordée tous les sept ans aux professeurs d’université.<br />
275
Ne pourrait-on pas étendre cette obligation aux directions des établissements<br />
scolaires (si elles sont maintenues)?<br />
Ne pourrait-on pas, en réciprocité, concevoir un échange de poste à poste, qui<br />
favoriserait la présence à l’enseignement universitaire de praticiens reconnus par leurs<br />
pairs et l’intérim de certains autres en fonction directoriale?<br />
19. Remplacement du redoublement par la promotion en situation d’échec à la<br />
suite de la recherche universitaire<br />
J’ai donné et illustré l’exemple des bris de la maîtrise du français, altérée, c’est le<br />
moins que l’on puisse dire, par les préceptes aveugles de didacticiens et de linguistes,<br />
complices involontaires du MEQ, puis du MELS et auxquels une approche systémique<br />
aurait rendu la vue ou desquels elle aurait corrigé la myopie.<br />
Un autre exemple de cette docile et béate complicité est l’expurgation du<br />
redoublement. J’ai commencé à l’expliciter, voici la suite.<br />
Je propose au lecteur la première des trois parties d’un texte rédigé en 2004 dont j’ai<br />
déjà rapporté les deux autres.<br />
«Avis éclairé sur le redoublement, la gestion différée des plans d’intervention et<br />
l’effacement d’élèves à risque et handicapés<br />
1. Le redoublement<br />
En 94-95, une étude commandée par le MEQ chiffrait à 50 millions le coût scolaire des élèves<br />
doubleurs. Quelques études démontraient alors une grande concentration de décrocheurs et de<br />
non-diplômés parmi les clientèles ayant doublé (on s’en serait douté !) et concluaient à l’inutilité<br />
du redoublement. Ces études se sont curieusement multipliées dans les années qui ont suivi et<br />
276
ont servi à imposer les changements que cristallisera l’actuelle consultation sur le régime<br />
pédagogique.<br />
Je ne veux pas entrer dans le débat de fond sur le redoublement, mais simplement offrir un<br />
petit raisonnement : on préconise, à juste titre, la différenciation (des menus d’apprentissage)<br />
pour remplacer le redoublement. Cette différenciation s’appuie sur le fait que certains écoliers<br />
fonctionnent différemment, et relativement au rythme d’apprentissage, certains plus vite et<br />
d’autres plus lentement.<br />
Alors une simple question que je laisse sans réponse : comment différencier en imposant les<br />
mêmes rythmes et en provoquant, par promotion automatique en situation d’échec, un écart<br />
toujours plus grand à la norme ambiante ?<br />
J’affirme que la formule stéréotypée du redoublement méritait une profonde révision, mais que<br />
le MEQ a jeté le bébé avec l’eau du bain en réduisant les marges de sa gestion et que cela est<br />
au détriment de très nombreux élèves. L’analphabétisme fonctionnel va gagner du terrain de<br />
façon considérable dans les prochaines années. J’en tire l’alarme.<br />
277<br />
2004-05-09<br />
Patrick JJ Daganaud, pédagogue, intervenant universitaire, gestionnaire scolaire»<br />
Mon examen actuel des études internationales sur le redoublement et sa nocivité<br />
me permet d’avancer sommairement que trois situations prévalent en cette matière :<br />
1. La civilisée : le redoublement n’existe pas ou a été supprimé parce que les moyens<br />
préventifs concrets (organisation scolaire, RESSOURCES, SANCTION DES ÉTUDES,<br />
différenciation, y compris des rythmes d’apprentissage, mise à mort de la
«constante macabre») de l’éviter ont été mis en place par un gouvernement<br />
responsable non assujetti à l’impérialisme économique 40 ;<br />
2. L’hypocrite : le redoublement existe, mais est grandement critiqué en raison de ses<br />
impacts favorables réduits (plutôt présentés comme entièrement négatifs par le<br />
savant monde universitaire). De temps à autre, on contingente le redoublement ou<br />
on le supprime, puis on y revient. Cette situation est le lot des pays qui se disent<br />
civilisés, mais dont les gouvernements sont les valets du capitalisme débridé.<br />
Faisant perpétuellement semblant d’injecter les ressources requises, mais, de fait,<br />
les puisant sans arrêt dans de subtiles et antérieures coupes et compressions,<br />
prisonniers de leur incohérence et de leur inconsistance, ces gouvernements<br />
sauvent la face.<br />
Cependant, le redoublement, même boiteux, est maintenu parce qu’il offre un<br />
rempart contre une stupidité de calibre supérieur : j’ai nommé la promotion en<br />
situation d’échec.<br />
Que les grands parleurs universitaires se lèvent, je les attends de pied ferme, pour<br />
défendre cette conséquence encore plus inhumaine de leur insistance bancale de<br />
suppression du redoublement. Veuillent-ils en nier la paternité infanticide, qu’ils<br />
sachent, ces bouffis pédants, qu’ils ont provoqué, par ignorance des règles du terrain,<br />
la promotion automatique d’écoliers totalement décalés du cheminement ordinaire<br />
ambiant, sans aucun des préalables susceptibles de les maintenir la tête hors de l’eau,<br />
induisant vicieusement, chez les élèves concernés (comme chez ceux qui, les<br />
côtoyant, pensaient, peut-on les en blâmer, assister à la promotion du rien apprendre)<br />
le sentiment de l’inutilité de l’investissement personnel, de l’effort, et celui de l’inutilité<br />
40 L’économie du non-redoublement n’est alors pas le motif caché de sa suppression !<br />
278
du mérite de la réussite. Qu’ils sachent aussi que ce faisant, sous vertueux prétexte de<br />
préservation de l’estime de soi, de motivation (incompatible à l’automatisme<br />
promotionnel) ils ont largement contribué à «la disgrâce des bollés», à la promotion de<br />
la honte des meilleurs résultats et à l’objectif de médiocrité.<br />
Et, ne leur en déplaise, le redoublement bien géré (je l’ai fait tout au long de mes<br />
années à la direction), supporté par une approche médico-socio-éducative, une<br />
adaptation pédagogique (à saveur de progrès continu) et administrative de l’école et<br />
l’apport complémentaire de ressources communautaires, même s’il ne concurrence pas<br />
l’approche civilisée précédente, améliore les services dispensés aux plus vulnérables et<br />
leur chance de réussite.<br />
Mais revenons au troisième modèle, à la troisième situation.<br />
3. L’ignorante : cette situation prévaut là où le paradigme de l’éducabilité n’a pas<br />
trouvé place, là où on ne désire pas qu’il s’en taille une, parce que la<br />
reconnaissance des droits humains, hommes, femmes, enfants-gars, enfants-filles,<br />
n’existe pas dans les faits. Dans ces pays, maintenus par l’exploitation du<br />
capitalisme débridé dans un Moyen Âge reptilien, les filles ne vont pas à l’école, les<br />
handicapés non plus et les «poches» ou les «poqués» en sont rapidement exclus.<br />
On ne redouble pas : on n’est pas admis ou on est foutu dehors! Non, d’ailleurs, la<br />
résignation est telle que l’on ne s’inscrit pas ou que l’on part de soi-même!<br />
C’est le règne machiste du plus fort.<br />
La distance n’est pas si grande entre ce dernier modèle et le second…<br />
Tous les pays du monde fonctionnent sous les auspices d’un de ces trois modèles,<br />
selon leur état de civilisation. Au Québec, nous fonctionnons avec le second modèle<br />
279
parce qu’il est celui qui, malheureusement, mais incontournablement, est adapté à<br />
notre régime et notre contexte sociopolitiques pseudodémocrates.<br />
De temps à autre, par réaction vertueuse épisodique, les boucliers se lèvent pour<br />
dénoncer les effets négatifs sur les écoliers qui redoublent.<br />
Cette fois-ci, de nombreux universitaires ont emboité le pas mercantile du MEQ,<br />
pour prôner, j’ose présumer, la notion de progrès continu et sa panacée, la<br />
différenciation.<br />
La plupart ont consacré leur recherche à la démonstration des répercussions<br />
néfastes du redoublement. La littérature universitaire fait presque unanimité à ce sujet.<br />
Peu d’entre eux ont a priori adopté une pensée réflexive qui les a conduits à mettre<br />
en garde le système scolaire sur les conséquences prévisibles, autrement plus<br />
désastreuses, de la suppression sans filet du redoublement ou sur les conditions<br />
précises de mise en place de ce filet.<br />
Je suggère à tous les docteurs qui ont si savamment construit, par défaut, la<br />
promotion en situation d’échec d’en envisager les multiples séquelles pour compléter<br />
leur postdoctorat…<br />
La recherche a réellement beaucoup à apprendre de la pratique, surtout lorsqu’en<br />
l’ignorant, elle produit des catastrophes.<br />
Peut-être n’en fait-elle pas cas parce que, tout compte fait, ce n’est jamais elle qui<br />
paie le prix de ses bévues et de ses dérapages. Peut-être serait-il grand temps et<br />
sain de la rendre redevable?<br />
280
Et puis, pour conclure cette intervention sur le redoublement (depuis lors remis en<br />
place avec d’égales lacunes…), je propose aux chercheurs une petite réflexion sur la<br />
validité factuelle de certaines de leurs déductions. Allons-y de quelques chiffres dans le<br />
tableau de la page 279. L’idée est de désarçonner le pairage fallacieux entre le<br />
décrochage comme conséquence et le redoublement comme cause.<br />
Allez au tableau, puis revenez au texte qui suit.<br />
Rappel historique<br />
Tournée du ministre d'État à l'Éducation et à la Jeunesse<br />
"Se mobiliser pour lutter contre le décrochage scolaire"<br />
François Legault<br />
HULL, le 13 juin /CNW/ - Le ministre d'État à l'Éducation et à la Jeunesse, M. François<br />
Legault, poursuit aujourd'hui à Hull sa tournée des régions du Québec afin de présenter les<br />
moyens utilisés pour favoriser la réussite scolaire.<br />
"L'éducation ne laisse personne indifférent. La population souhaite que les enfants aient<br />
accès à une éducation de qualité. Une société, un pays, une nation qui croit dans son avenir<br />
doit miser sur l'éducation. En fait, l'éducation, ce n'est pas une dépense, c'est un investissement<br />
dans l'avenir", a déclaré le ministre en s'adressant aux principaux acteurs du milieu scolaire de<br />
la région.<br />
Notons qu'au Québec le taux de redoublement des enfants au primaire est de 23 %. "C'est<br />
inacceptable, surtout si l'on tient compte du fait que 70 % des enfants qui redoublent au<br />
primaire finissent par décrocher au secondaire", a poursuivi le ministre.<br />
Au secondaire aussi, les chiffres sont alarmants. En effet, 32 % des jeunes décrochent dans<br />
le secteur public du secondaire, soit un élève sur trois. Voilà pourquoi le gouvernement a<br />
demandé aux écoles de se donner des plans de réussite, afin qu'elles se fixent des objectifs et<br />
adoptent des moyens pour résoudre ce problème.<br />
Les écoles du Québec ont d'ailleurs rivalisé d'imagination pour trouver des solutions. Et si<br />
les objectifs sont atteints, le taux de redoublement passera de 23 à 12 % au primaire et le taux<br />
de décrochage, de 32 à 21 % au secondaire.<br />
281
Avec ou sans redoublement …<br />
Une classe «normale» avant toute décision de redoublement<br />
25 élèves du primaire<br />
13 en difficulté<br />
12 frais et<br />
4<br />
6<br />
3<br />
dispos<br />
d’adaptation des deux à la fois d’apprentissage<br />
30 %<br />
Charge effective de travail<br />
70 %<br />
Formation universitaire (Répartition des crédits)<br />
90 % 10 %<br />
13 écoliers à promotion<br />
12 à promotion compromise<br />
assurée, dont 1 en difficulté<br />
(dès le départ)<br />
13 sans besoin de p.i. 12 en besoin impératif d’un p.i.<br />
Non-bénéficiaires d’un PI : 85% : 22 dont 9 en<br />
besoin<br />
15 % (moyenne) : 3 bénéficiaires<br />
Sans problème d’apprentissage :<br />
16<br />
DLA : 4 DMA : 3 DGA 2<br />
Sans TSA ou TC : 75 % : 19 / 25<br />
Approximativement 5 à 6 / 13<br />
EHDAA sont «sauvés» (pour un<br />
taux de succès de 42 % de notre<br />
politique d’A.S.), du fait que 11 à 13<br />
% de tous les élèves sont financés<br />
à titre d’EHDAA… (la moitié moins<br />
que les effectifs HDAA réels) : ici, 4<br />
sur 9.<br />
17 écoliers sur 25 vont se diplômer<br />
Avec TSA ou TC : 25% : 6 / 25<br />
En 2001,<br />
En 2001, faute de mesures efficaces,<br />
77 % ne doublent pas, mais 8% d’entre<br />
eux<br />
(6 / 77) ne se diplôment pas<br />
23 % doublaient<br />
29 % ne se diplômeront pas<br />
Près de 18 enfants / 25, Il s’agit de tous les EHDAA soit non reconnus,<br />
71% vont se diplômer soit non ou mal desservis, soit ni reconnus ni<br />
5 à 6 sur 13 en difficultés sont<br />
desservis<br />
«réchappés» parce que reconnus<br />
C’est le bassin initial de l’échec<br />
et/ou desservis de façon<br />
«suffisante» ou…<br />
par ajustement complaisant<br />
(normalisation)<br />
C’est aussi le bassin initial du redoublement<br />
DLA : 7 sur 10<br />
n’obtiennent pas leur<br />
diplôme d’études<br />
secondaires<br />
Toutes années et secteurs confondus, il<br />
s’ajoutera entre 10 et 14% de diplômés<br />
pour un total de 80 à 85 % de diplomation<br />
de niveau secondaire<br />
282<br />
DMA : 3 sur 3<br />
n’obtiennent pas leur<br />
diplôme d’études<br />
secondaires<br />
DGA : 2 sur 2<br />
n’obtiennent pas leur<br />
diplôme d’études<br />
secondaires<br />
15 à 20 % sont marqués au fer rouge, faute<br />
de reconnaissance et de service
Le redoublement n’est pas le remède aux maux des apprentis décapités. Il pallie<br />
leur déficit d’évaluations expertes, d’interventions expertes éclairées et réellement<br />
différenciées, de plans d’intervention efficaces, coordonnés, évalués et suivis tout le<br />
temps requis, sans interruption ni fléchissement. Il ne provoque pas le décrochage, il<br />
l’accompagne comme un sirop la grippe : il ne guérit pas la maladie scolaire, il en allège<br />
les symptômes et, dans les conditions propices, permet à l’écolier compris et<br />
conscientisé et à ses parents rendus heureusement complices de se reprendre, au<br />
sens figuré comme littéral.<br />
Idéalement, il programme le progrès continu.<br />
Parlant de progrès continu, j’ai donc expérimenté, avec l’engagement extraordinaire et le<br />
consentement des enseignantes impliqués, quelques formules qui ont démontré leur efficacité :<br />
o La classe ordinaire-ressource, rassemblant tous les élèves en difficulté d’un degré (j’ai eu a<br />
chance de diriger de grosses écoles primaires) jumelée à une demi-ressource en<br />
orthopédagogie (supprimée aux autres classes allégées de ce degré) intervenant tout son<br />
mi-temps en classe, en compagnie de la titulaire;<br />
o Les classes de degré intermédiaire formé sur le modèle suivant :<br />
Classes ordinaires Maternelle Première Deuxième Troisième<br />
Classes de degré<br />
intermédiaire<br />
Apprentissages<br />
Mat-un Un-deux Deux-trois<br />
Fin maternelle<br />
Demi-première<br />
283<br />
Demi-première<br />
Demi-deuxième<br />
Demi-deuxième<br />
Demi-troisième<br />
Les clientèles des classes intermédiaires étaient constituées de façon hétérogène<br />
d’écoliers promus de façon anticipée après évaluation de l’atteinte des objectifs<br />
Passage en<br />
quatrième
terminaux du demi-degré suivant et d’écoliers qui, après avoir vécu un degré, n’en<br />
avait atteint que la moitié des objectifs.<br />
o Les projets spéciaux en stage, en belle et puissante complicité avec l’Université de<br />
Sherbrooke qui ont donné :<br />
Les prématernelles 4 ans accueillant, dans notre école, jusqu’à 75 enfants en<br />
retard développemental, projet conjoint avec le CLSC;<br />
Le projet casse-tête de bénévolat en orthopédagogie;<br />
Les stages perlés (à temps et formation majorés) en orthopédagogie;<br />
Le projet Orthoprintemps pour poursuivre en mai et juin les interventions<br />
orthopédagogiques (rémunérées pour ces deux mois) conduites par les stagiaires<br />
des stages perlés septembre-avril;<br />
Le projet Orthosoleil, sur la même formule que le précédent, pour poursuivre,<br />
agrémentée d’activités de vacances, l’intervention orthopédagogique en période<br />
estivale.<br />
Cela, messieurs-dames, c’est de la recherche appliquée !<br />
Si le temps me l’avait permis, j’aurais scientifiquement analysé les impacts de ces<br />
maints projets, en long, en large et en travers, par-devant, par derrière, par-dessus, par-<br />
dessous.<br />
Sur le terrain, appliqués à nourrir ces projets et à les financer (puisque nous<br />
n’étions certes pas des chercheurs subventionnables), nous nous sommes contentés<br />
du rattrapage effectif d’écoliers autrement perdus, de leur reprise en mains de leur<br />
avenir scolaire, de leur promotion en situation de réussite!<br />
284
Et nous avons angéliquement souri, d’une satisfaction indescriptiblement<br />
nourrissante, telle qu’elle se livre, récompense infinie, pour avoir véritablement<br />
aidé et protégé l’enfance qui nous était confiée.<br />
Et j’ai souri encore, mais cette fois-là pour ne pas hurler ou pour ne pas pleurer,<br />
quand ces projets, efficaces et rentables, ont été tour à tour sabotés et sabrés par…<br />
• Le déficit occasionné par des commissaires-politiciens qui ont utilisé le produit de la<br />
taxe foncière pour leurs bébés : développements immobiliers non subventionnés par<br />
le MEQ…que leurs coupures et compressions financières ont suivi;<br />
Tour à tour sabotés et sabrés par…<br />
• La concurrence farouche des projets curatifs du secondaire lors du partage des<br />
enveloppes, la méconnaissance 41 parfois astronomique des directions de<br />
polyvalentes quant aux besoins préalables des jeunes du préscolaire et du primaire;<br />
leur absence de conviction relativement à la prévention; leur voracité quant au<br />
maintien des disparités de financement qui avantagent le secondaire, leur<br />
mercantilisme politique auprès de la direction générale pour négocier en catimini, au<br />
détriment de la collectivité du secteur jeune, le maintien de leurs privilèges financiers<br />
sans égard aux conséquences;<br />
Tour à tour sabotés et sabrés par…<br />
• un directeur des services éducatifs de l’époque, quelque peu avide de centralisation<br />
et soucieux que rien ne lui porte ombrage, pas même l’oreille d’un éléphant;<br />
Tour à tour sabotés et sabrés par…<br />
• le transfert stratégique d’un surplus totalement excentrique d’élèves de la C.S.<br />
41 Pour leur mettre un peu de baume sur la blessure que je leur inflige, j’avoue que l’ignorance des réalités du secondaire par les<br />
directions d’écoles primaires est également insondable<br />
285
(au sens mathématique du terme) de clientèle dans une des unités de l’école<br />
institutionnelle qui vivait ces projets, avec, en toile de fond, l’objectif de démembrer<br />
un projet éducatif amorçant la démonstration de l’inutilité des services centraux de<br />
C.S., de la direction de ces services, des coûts de leur infrastructure, de la pyramide<br />
hiérarchique à cascades d’autant plus contrôlantes qu’elles sont superflues,<br />
jusqu’au summum de l’inutilité autosuffisante 42 : la direction générale (quand elle est<br />
tsariste) de la commission scolaire et ses dévoués et tout aussi inutiles<br />
commissaires;<br />
Tour à tour sabotés et sabrés par…<br />
• l’impact pratique involontaire des influences théoriques volontaires exercées par des<br />
chercheurs universitaires appelés en expertise;<br />
Tour à tour sabotés et sabrés par…<br />
• la mise au pas d’une direction d’école insubordonnée…que sa nécessaire<br />
insubordination ait été ou non le catalyseur et le facilitateur de ces projets…<br />
Je suis on ne peut plus conscient de m’être apparemment éloigné du redoublement.<br />
Sans doute la recherche tenterait-elle de l’isoler pour le scruter et examiner la<br />
probabilité dubitative de ce que nous, sur le terrain, avons vécu comme des faits, de ce<br />
que nous avons senti et ressenti, respiré, entendu, touché, fabriqué, testé, transformé,<br />
abandonné, repris, contrôlé, évalué, révisé, changé pour contrer le redoublement et,<br />
néanmoins, quand requis, le parfaire.<br />
Cette mystérieuse synergie explique pourquoi, dans un Québec insuffisamment<br />
civilisé, on oscille entre ses choix et la dénonciation subséquente de ses choix.<br />
42 On pourrait aisément tronquer la pyramide administrative et politique des commissions scolaires : ce n’est certes pas là que se<br />
réalise le vrai ouvrage ! Au contraire, dirais-je, c’est là que l’on empêche, le plus souvent, au vrai ouvrage de se faire !<br />
286
Voici le tableau synthèse de cette incessante oscillation.<br />
1990-2000<br />
Feu aux<br />
poudres<br />
Juin 2001<br />
Synthèse pour chercheurs intéressés<br />
Multiplication des recherches universitaires sur l’inutilité du redoublement et sur ses effets<br />
dévastateurs en matière de décrochage.<br />
Déclaration de guerre au redoublement du ministre de l’Éducation, François Legault.<br />
Objectif : faire fléchir de moitié le taux de redoublement.<br />
Effets 2001-2002<br />
o Aucun redoublement autorisé avant une fin de cycle;<br />
o Préférence notable pour le redoublement au terme normal du cycle 3;<br />
o Pas de tolérance de retard de deux ans;<br />
o Reddition de comptes des commissions scolaires au ministère sur le fléchissement de leur taux<br />
d’élèves en retard (âge chronologique versus niveau fréquenté) et comparaison aux années<br />
antérieures;<br />
o Pressions de conformité du ministère sur les CS.<br />
o Reddition de comptes des écoles à leur commission scolaire sur leur taux d’élèves en retard (âge<br />
chronologique versus niveau fréquenté) et comparaison aux années antérieures;<br />
o Pressions de conformité des CS sur les écoles : dans plusieurs cas, interdiction totale du<br />
redoublement;<br />
o Stratégies compensatoires : le décloisonnement et le looping<br />
o Stratégies d’adaptation : accent sur les objectifs de cycle<br />
o Effets pervers : perte des déjà minces références sur les échelles de compétences, promotion<br />
automatique de l’écolier<br />
Juin 2002 Première cohorte d’élèves promus en situation d’échec au primaire.<br />
Pas d’impact notable au secondaire. Élèves de sixième à niveau de 5 e lors du passage au<br />
secondaire : phénomène déjà connu, d’autres causes…<br />
Juin 2003 Seconde cohorte d’élèves promus en situation d’échec au primaire.<br />
Début d’impact au secondaire : élèves de sixième à niveau de 5 e ET 4e lors du passage au<br />
secondaire<br />
Juin 2004 et Cohortes subséquentes promues en situation d’échec.<br />
années Dénonciations multiples par le secondaire de la situation d’élèves passant au secondaire sans les<br />
suivantes<br />
acquis essentiels.<br />
Conscientisation du phénomène au primaire.<br />
Septembre «La ministre de l'Éducation Michelle Courchesne a changé les règles du jeu en septembre dernier,<br />
2007 en permettant le redoublement après l'une ou l'autre année du primaire et non plus uniquement<br />
Revirement<br />
après deux ou trois ans.»<br />
287
Étant d’un naturel frondeur, je m’en voudrais de ne pas titiller encore les chercheurs.<br />
Voici donc deux avis rapportés de deux de leurs éminents collègues sur le même sujet.<br />
Le texte, au titre immédiatement chatouillant, Redoubler peut être sain, est tiré du<br />
Journal de Montréal 43 , édition du 28 mai 2008, et son auteur en est Jean-Philippe<br />
Pineault.<br />
«Le taux de décrochage alarmant au Québec est en partie attribuable à la réforme, qui a interdit<br />
le redoublement, estiment des experts.<br />
«Il y a un certain nombre de jeunes qui ont surfé sur la promotion automatique», lance Égide<br />
Royer, professeur au département d'études sur l'enseignement et l'apprentissage de l'Université<br />
Laval.<br />
La réforme de l'éducation implantée en 2000 a mis un terme au redoublement, sauf dans<br />
certaines exceptions. Même s'ils étaient en échec, les élèves n'avaient le droit de redoubler<br />
qu'une seule fois à la fin de la 2e, de la 4e ou de la 6e année du primaire.<br />
La ministre de l'Éducation Michelle Courchesne a changé les règles du jeu en septembre<br />
dernier, en permettant le redoublement après l'une ou l'autre année du primaire et non plus<br />
uniquement après deux ou trois ans.<br />
Graves lacunes<br />
M. Royer juge que des jeunes qui auraient dû redoubler au primaire ont été promus d'année en<br />
année. Ils se sont retrouvés au secondaire avec de graves lacunes, notamment en lecture.<br />
«Faire poursuivre un jeune qui a du retard au primaire, c'est courir après la catastrophe»,<br />
ajoute-t-il.<br />
Ces élèves sont rapidement confrontés à l'échec scolaire et perdent leur motivation, avance<br />
Gérald Boutin, auteur du livre Réussir: prévenir et contrer l'échec scolaire.<br />
43 Oups, ce n’est pas une référence scientifique ! J’ai manqué le bateau… Tant pis : il prend l’eau !<br />
288
«Quand un élève redouble, c'est sûr que ça peut être difficile, mais c'est parfois nécessaire pour<br />
avoir les acquis de base», explique le professeur au département d'éducation et formation<br />
spécialisées de l'UQAM.<br />
Intervenir plus tôt<br />
À l'instar de tous les spécialistes du décrochage, Pierre Potvin, professeur au département de<br />
psychoéducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières, croit que les élèves en difficulté<br />
doivent être identifiés le plus tôt possible.<br />
«Il faut intervenir plus tôt, dès la garderie et le préscolaire, et aider rapidement les parents qui<br />
ont besoin d'aide dans l'éducation de leur enfant. On peut dépister dès la maternelle des<br />
enfants en difficulté scolaire», dit-il. (…)»<br />
20. Surspécialisation doctrinaire, négation de l’existence factuelle de<br />
contradictions, négation de résultats<br />
Avertissement : je donne ici des exemples tirés d’une réalité contemporaine et nomme<br />
donc des chercheurs. Mon propos n’est aucunement de dénoncer qui ils sont, mais<br />
d’examiner ce qu’ils font ou provoquent lors de leur chevauchement, à mon humble avis<br />
trop court pour la pratique systématique du doute, des domaines universitaires et<br />
préscolaire, primaire et secondaire.<br />
J’ai assisté, le 22 février 2007, à une journée-conférence internationale, tenue à<br />
l’Université de Sherbrooke et portant sur la violence en milieu scolaire.<br />
À cette occasion, la salle Maurice-O’bready a accueilli environ 500 intervenants<br />
des secteurs scolaires, de santé et sociaux. Plusieurs étudiants des deuxième et<br />
troisième cycles de l’adaptation scolaire, de la psychoéducation, du service social, de<br />
289
la psychologie sont venus entendre la brochette prestigieuse des spécialistes nationaux<br />
et internationaux que plusieurs espèrent, un jour pas trop lointain, devenir.<br />
Peu de têtes grises dans l’assistance. Encore moins de têtes blanches, de celles<br />
blanchies par la trouille que l’école soit vraiment le théâtre de Kafka que je décris ici.<br />
Après l’intervention d’Éric Debardieux, directeur de l’Observatoire international de la<br />
violence à l’école, sur «les dix commandements de la lutte contre la violence scolaire»,<br />
nous avons eu le bénéfice d’entendre Maryse Paquin de l’Université d’Ottawa qui est<br />
venue nous entretenir de la suspension scolaire pour comportements violents chez les<br />
3 à 9 ans.<br />
Je pourrais certainement suggérer un débat sur cette option d’intervention assez<br />
draconienne, surtout songeant aux 3 à 7 ans, ce dernier âge étant, encore de nos jours,<br />
considéré comme l’âge de raison.<br />
Je pourrais, plutôt que d’écouter l’exposé des «perceptions des parents face aux<br />
interventions du personnel d’écoles élémentaires francophones d’Ottawa», poser la<br />
question éthique du dressage ou du domptage des enfants et de leurs parents auquel<br />
nous nous livrons, car, à ceux qui se demanderaient si j’ai déjà suspendu la<br />
fréquentation scolaire de jeunes écoliers, je dois répondre par l’affirmative, non par<br />
conviction du bienfondé, mais par simple et douloureux aveu des faits.<br />
Le terrain scolaire miné et démuni pose régulièrement des gestes hors des<br />
limites éthiquement admissibles.<br />
Souvent dans l’inconscience et l’impuissance du moment, le terrain terrorise, à<br />
petit échelon : écoliers perdus dans des menus indigestes, écoliers distancés en<br />
attente dans un néant insondable, écoliers délaissés, écoliers étiquetés sans ressource<br />
290
attachée, écoliers en retrait prolongé régulier dans un coin ou un corridor, en isolement<br />
constant derrière un treillis de bois…Écoliers déficients en contention dans un local<br />
capitonné : c’est ma honte de l’avoir autorisé même en formalisant un protocole strict<br />
satisfaisant les critères de rationalité et de proportionnalité spécifiés par la Commission<br />
des droits de la personne et des droits de la jeunesse (oct. 97) !<br />
Mais ces faits antiéthiques sont directement occasionnés par l’insuffisance des<br />
ressources injectées ou consenties et ils expliquent, dans les pires cas, la plupart des<br />
dérapages rapportés dans les médias. Ils ne les excusent pas.<br />
Il y a des institutions et des intervenants qui finissent par perdre la boussole<br />
et par perdre le nord!<br />
Ces faits sont les conséquences de la violence et du harcèlement exercés sur tous<br />
les humains du terrain par le système éducatif et ceux qui le décident croche et ceux<br />
qui le financent mal. Et, comme dans le processus connu de la persécution, la victime<br />
devient parfois le bourreau.<br />
C’est pourquoi l’école, croche et mal financée, avant que d’accueillir des enfants<br />
manifestant par la violence l’incohérence adulte, est déjà un creuset de violence.<br />
C’est d’abord et avant tout cette cybernétique sociopolitique de la violence<br />
scolaire qui devrait être l’objet de conférences internationales et de recherches<br />
éminemment révélatrices de ses liens génétiques avec l’idéologie reptilienne<br />
dominante.<br />
Mais non, retournons à nos bons vieux symptômes!<br />
Parole à la professeure et chercheuse Maryse Paquin. Cette dernière, au cours de<br />
son exposé, en vient à affirmer que c’est dans la prime enfance que les enfants se<br />
291
montrent les plus agressifs. À l’instar de Richard Tremblay, professeur et chercheur à<br />
l’Université de Montréal, qui pilote le GRIPE 44 , elle défend le point de vue que grand<br />
nombre des très jeunes enfants manifestent des impulsions d’extrême agressivité.<br />
Son exposé se termine et c’est la période de questions.<br />
Il se présente au micro Laurier Fortin, professeur au département de<br />
psychoéducation de la Faculté d'éducation de l'Université de Sherbrooke et titulaire de<br />
la chaire de recherche de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke (CSRS)<br />
sur la réussite et la persévérance des élèves. Laurier Fortin est l'un des rares<br />
chercheurs au monde à avoir conduit une étude longitudinale sur le décrochage<br />
scolaire.<br />
«Professeure Paquin, vous avez affirmé que c’est dans la prime enfance que l’on<br />
trouve le plus haut taux d’agressivité, voulez-vous signifier que l’on y retrouve la plus<br />
extrême agressivité ou que l’on y retrouve le plus grand nombre de jeunes agressifs?<br />
Parce que moi, j’ai observé les comportements agressifs lors de l’adolescence et je<br />
peux vous dire que c’est à l’adolescence que les jeunes sont les plus agressifs.<br />
Professeure Paquin : Je veux dire que c’est chez les jeunes enfants que l’on<br />
retrouve à la fois le plus grand nombre de sujets agressifs et les manifestations<br />
agressives les plus intenses.<br />
Professeur Fortin : Bien là, je ne suis pas d’accord : c’est assez évident si l’on<br />
considère la taille, le poids, la force dont disposent les ados violents et les outils dont ils<br />
vont se munir pour la perpétrer que l’agressivité la plus extrême se manifeste à<br />
l’adolescence.<br />
-P.P. (…)<br />
44 GRIPE : groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant<br />
292
-P.F. (…) et etc.»<br />
Et c’est ainsi que cinq bonnes minutes d’échanges entre grands spécialistes ont<br />
confronté deux lectures expertes aux conclusions demeurées, ce jour-là, inconciliables.<br />
Bien utile ou bien futile débat? Il n’y a, après tout, qu’une lettre de différence…<br />
Tirez au sort : je suis d’accord.<br />
Mais il vous faut savoir qu’un tel débat, selon les oreilles qui écoutent, influence<br />
ultimement des orientations d’intervention.<br />
Sans doute Laurier ne l’a-t-il ni voulu ni formulé ainsi, mais à la CSRS où il a exercé<br />
son expertise et son charisme, il a aussi contribué à des décisions d’allocations<br />
financières et de retraits d’allocations et provoqué le déficit des investissements en<br />
intervention précoce (prématernelle, maternelle, premier cycle du primaire) au profit<br />
d’une intervention curative au secondaire, là où…s’est terminée son étude longitudinale<br />
sur le décrochage, là où il a côtoyé le plus couramment les directions d’établissement<br />
scolaire, là où l’intervention psychoéducative est la plus prisée tant on jongle avec les<br />
symptômes.<br />
Dans le fond, Laurier est titulaire d’une chaire d’où il contribue à sauver du<br />
décrochage des jeunes que son influence involontaire en ce sens a contribué à y<br />
plonger inexorablement.<br />
Remémorez-vous un instant le diagnostic que j’ai posé sur le sabotage de projets<br />
prometteurs. En voici l’illustration détaillée. Je suis certain que le professeur Fortin n’en<br />
a rien su ni soupçonné.<br />
«Tour à tour sabotés et sabrés par…<br />
293
• l’impact pratique involontaire des influences théoriques volontaires exercées par des<br />
chercheurs universitaires appelés en expertise…<br />
L’exemple?<br />
En un certain comité consultatif de gestion élargi du budget du début des années<br />
2000, c’est l’heure (le heurt aussi!) du choix entre des projets de développement :<br />
• maintien de l’enveloppe de 150 000 dollars aux prématernelles, permettant de<br />
desservir jusqu’à 300 enfants en retard de développement;<br />
• projet pour contrer la violence au primaire et au secondaire, avec budget par<br />
personne décentralisé.<br />
On espèrerait à juste titre que ces projets de développement ne se fassent pas<br />
concurrence, mais la réalité en dispose autrement…<br />
Le débat commence.<br />
J’interviens pour défendre la poursuite du projet des 4 ans, arguant son historique<br />
garant de sa fiabilité organisationnelle, son faible coût pour un grand nombre d’enfants<br />
desservis et ses impacts bénéfiques très largement documentés. Le projet est connu de<br />
longue date et renommé. J’ai vraiment bon espoir quant à sa reconduction : heureux les<br />
innocents, le royaume de Dieu leur appartient!<br />
Un collègue du secondaire prend à son tour la parole, décrit les violences (réelles)<br />
en milieu scolaire, surtout chez les ados selon son point de vue, cite à cet égard<br />
l’éclairage de la recherche du chercheur Fortin et son accompagnement disponible pour<br />
guider les projets d’interventions. Il ajoute que la commission scolaire n’a pas<br />
d’obligation au regard des 4 ans, que la scolarisation commence à 5 ans…<br />
294
Le bonheur veut que sa dernière intervention soit corrigée par un responsable des<br />
services éducatifs, psychoéducateur de formation plus que de profession :<br />
«Non, nous avons une obligation légale de scolarisation à l’égard des 4 ans<br />
handicapés sur simple demande des parents concernés et nous opérons déjà et<br />
devons maintenir un groupe officiel, avec titulaire, qui peut accueillir jusqu’à 15 enfants.<br />
Il est vrai que notre obligation s’arrête là et qu’il y a, par ailleurs, le projet Passe-partout<br />
qui marche bien dans d’autres commissions scolaires…Oui, il est vrai que la CSRS fait<br />
partie d’une recherche longitudinale sur le décrochage pilotée par Laurier Fortin.»<br />
Je comprends que je dois sauver les prématernelles 4 ans. Je m’adresse à tous,<br />
mais particulièrement aux collègues du primaire qui sont majoritaires au CCG et<br />
connaissent (du moins ceux qui l’opèrent) le projet des 4 ans. Ils vont sûrement<br />
l’appuyer...<br />
Le vote se prend.<br />
Se sentant peu concernée, la majorité des collègues du primaire, qui n’accueillent<br />
pas les prématernelles, se ligue aux collègues du secondaire, et tous, évidemment<br />
avides d’argent nouveau pour contrer le réel problème de la violence, des élèves en<br />
troubles de comportement et du décrochage, appuyés par les services éducatifs<br />
adoptent la proposition suivante :<br />
50 000 dollars serviront à maintenir une prématernelle officielle qui pourra accueillir<br />
deux groupes de 12 à un maximum de 15 enfants, pour un total de 30 enfants<br />
desservis, soit 10% du contingent antérieur : 270 enfants perdent leur service!<br />
Les services éducatifs exploreront la mise en place de Passe-partout et se font une<br />
réserve de 5000 dollars à cet effet;<br />
295
120 000 dollars pour contrer la violence et le décrochage seront décentralisés, la<br />
moitié de la somme au primaire et l’autre moitié au secondaire. La CSRS va investir<br />
dans la poursuite de la concertation avec le professeur Fortin.»<br />
Il n’est pas inutile de savoir qu’à l’époque, les effectifs d’élèves du préscolaire et du<br />
primaire (environ 12 000) sont grosso modo deux fois ceux du secondaire (environ<br />
6000) et que, ce faisant, le primaire vient d’hériter d’un per capita de 5 $ par élève pour<br />
opérer ces interventions préventives et curatives et que le secondaire bénéficie de 10 $<br />
par élève pour faire la même chose.<br />
Je ne dénigre ni la recherche de Laurier Fortin, ni les conclusions de sa recherche,<br />
ni le point de vue qu’il a développé sur le décrochage ou sur la violence en milieu<br />
scolaire, ni le rôle qu’il exerce comme titulaire de sa chaire.<br />
Je veux quand même que lui et des chercheurs aussi prestigieux que lui sachent<br />
que leurs incursions sur le terrain ne sont pas sans impact auxquels eux-mêmes ne<br />
souscriraient pas!<br />
Mais ne croyez pas que les impacts se sont arrêtés là :<br />
Il y a eu consécutivement arrêt des ententes de stages perlés en prématernelle<br />
(secteurs touchés : adaptation scolaire et sociale, éducation préscolaire et primaire,<br />
techniques d’aide sociale);<br />
Retrait facilité du CLSC Gaston-Lessard du bilan de santé des 3 ans : pourquoi les<br />
identifier quand on peut les ignorer?<br />
Bris de concertation avec ce même CLSC : «on ne mélange pas les torchons avec<br />
les serviettes», traduction de la pensée de Sieur Nitescence, fait récemment sous-<br />
296
ministre, probablement à cause de son profond attachement à l’approche<br />
communautaire et son sens de la collégialité…<br />
Dans ce regard doux-amer, je me contente de faire le constat que le cheminement<br />
de la recherche rend pointu le regard porté sur des réalités complexes et s’accompagne<br />
de multiples déviances, dont la surspécialisation volontairement ou involontairement<br />
doctrinaire.<br />
Ne soyez pas furibonds, professeurs et chercheurs universitaires; je ne vous dis<br />
pas que vous avez tort. Je vous dis que vous avez tous raison à la fois.<br />
Le problème est que, dans bien des cas, vous ne rechignez pas à prétendre à la<br />
meilleure raison ou à celle du plus fort…en dogmes scientifiquement établis comme en<br />
subventions de recherche, ce par quoi l’on vous mesure, vous pèse, vous calibre, vous<br />
distingue et vous gratifie.<br />
Vous vous contredîtes dans les conclusions de vos recherches : fort bien!<br />
Vous témoignez alors des contradictions du réel et il est vain de les confronter.<br />
L’ensemble des antinomies forme la sphère universelle des points de vue sur le réel<br />
(et l’irréel) et seule l’approche systémique en capte, encore maladroitement, les infinies<br />
orbites et la cybernétique des courses.<br />
Notre vision est toujours angulaire, ne croyez-vous pas qu’elle ne gagne rien, étant<br />
aigüe, à être étroite et qu’elle ne gagne, étant large, rien à être obtuse?<br />
Qui a raison de Maryse Paquin ou de Laurier Fortin?<br />
297
Qui a raison sur le redoublement : les nombreux chercheurs de la décennie 90 qui<br />
ont généré, par ignorance des conséquences, la promotion en situation d’échec ou les<br />
nouveaux découvreurs des dernières années, dont Égide et son chuchotement bien<br />
trop contenu pour être audible?<br />
Sur la réforme : Roch Chouinard aux rares moments où il sait sans mesure ou Marc-<br />
André Déniger quand il sait qu’il ne peut rien savoir sans mesure?<br />
Les vraies questions à poser à ces chercheurs et à tous les chercheurs ne sont-elles<br />
pas plutôt :<br />
1. Avez-vous songé aux diverses dimensions de l’implantation sur le terrain de vos<br />
théorisations?<br />
2. Avez-vous tenu compte dans vos planifications des ressources réelles actuelles ou<br />
certifiables et de leur permanence?<br />
3. Avez-vous mesuré les impacts directs et indirects qu’auront sur le terrain les<br />
théories que vous avancez?<br />
4. Mesurerez-vous objectivement les résultats effectifs et en tiendrez-vous compte?<br />
5. Modifierez-vous conséquemment votre point de vue?<br />
…dans le respect intégral de l’axiome de tous les axiomes :<br />
L’écolier N’EST PAS un cobaye!»<br />
Et, puisque nous en sommes à la prise en compte des résultats, déterminons, à la<br />
lumière des statistiques 2007, s’ils semblent avoir été considérés depuis le début de<br />
l’implantation de la réforme :<br />
298
• Pas d’amélioration de la réussite;<br />
• Stagnation des taux de diplomation à environ 70 %;<br />
• Un tiers des élèves quittent l'école sans diplôme, comme il y a dix ans;<br />
• Parmi les 70% des étudiants du secondaire qui réussissent, certains sont les heureux<br />
bénéficiaires d’une diminution stratégique des standards d'évaluation et d’une<br />
normalisation savamment orchestrée ;<br />
• Nivellement par le bas au primaire, produit, entre autres, par la promotion<br />
automatique opérée de 2001 à 2007;<br />
• Accentuation des causes du décrochage précoce;<br />
• Tendance progressive à quantifier sur une fréquentation de plus de cinq ans la<br />
mesure de la diplomation pour la hausser artificiellement;<br />
• «Production» d’élèves diplômés incapables d'écrire et même de lire ;<br />
• Tendance stratégique du ministère de l'Éducation à publier «son bulletin de<br />
performance» en période de moindre lecture;<br />
• Incapacité, malgré la réforme et les ressources investies de produire les résultats<br />
cibles escomptés… pour la réussite du plus grand nombre;<br />
• Décrochage en nombre inquiétant des nouveaux enseignants;<br />
• Pronostics noirs de la littératie d’ici 2031 : jusqu’à 40% des adultes en devenir ne<br />
possèderont pas les compétences ou habiletés ou capacités ou aptitudes 45<br />
suffisantes pour lire les consignes et procédures propres à leur emploi;<br />
• Impacts prévisibles sur la pénurie de main-d'œuvre qualifiée;<br />
• Répercussions notables sur l’économie du Québec.<br />
45 Tout cela pour dire que l’on se fiche pas mal des mots utilisés pour dire que 40% des personnes sont à risque<br />
d’analphabétisme fonctionnel.<br />
299
J’ai déjà mentionné que l’un des arguments qui me seront servis va être que la<br />
réforme ne produit pas ses fruits parce qu’elle est mal apprise, mal comprise et mal<br />
appliquée.<br />
J’accepte cet argument. La seule condition que je pose à ma conditionnelle<br />
acceptation est que l’on pousse la réflexion un peu plus loin : la réforme est-elle<br />
applicable dans les conditions multidimensionnelles faites au système éducatif<br />
contemporain? Est-elle viable, sans modifications structurales majeures, sur les terrains<br />
de la formation et de la scolarisation?<br />
Maints chercheurs qui ont présidé à son avènement demeurent les chiens de garde<br />
de sa perpétuation spirituelle en dépit de ses dérives. Cela dénote le clivage usuel entre<br />
la conscience et l’action, entre le cliquetis du grelot et le cou du chat…<br />
Échos encore sonores de la docteure et professeure universitaire<br />
en didactique du français, Suzanne-G. Chartrand :<br />
«Je ne veux pas attaquer la réforme en général, mais en particulier. On ne<br />
sait jamais exactement contre quoi les opposants à cette réforme sont.<br />
C'est une réforme à la fois administrative, "curriculaire", idéologique et<br />
réforme pédagogique. Quand on dit "contre la réforme", c'est trop général»,<br />
critique-t-elle. De plus, Mme Chartrand se dit «d'accord avec plein de<br />
principes de la réforme». C'est l'application, à son sens, qui lui semble<br />
«souvent impossible».<br />
Sa réponse, au fond, est celle d'une chercheuse. Elle participe d'ailleurs<br />
depuis 2007 à une grande enquête intitulée «Étude du renouveau<br />
pédagogique tel que défini par le discours officiel et vécu par les<br />
enseignants du primaire et du secondaire au Québec».<br />
300
21. Incapacité grandissante du milieu universitaire de saisir la complexité par une<br />
pensée véritablement réflexive<br />
Je retourne à la journée-conférence internationale sur la violence en milieu scolaire.<br />
La parole est à Julie Beaulieu, professeure à l’Université du Québec à Rimouski et<br />
chercheuse associée au Centre de recherche JEFAR (Centre de recherche sur<br />
l'adaptation des jeunes et des familles à risque). Madame Beaulieu est également<br />
secrétaire de l’Observatoire international de la violence à l’école.<br />
Cette dernière nous renseigne sur les conclusions de sa recherche, doctorale je<br />
crois, sur la question suivante : «Les jeunes victimes de la violence des pairs à l’école<br />
sont-ils plus à risque de présenter des problèmes de dépression à l’adolescence?»<br />
La réponse à la question est? Oui! Cela n’étonne pas vraiment. Cela ne renseigne<br />
pas vraiment non plus, bien que…allons voir de plus près…<br />
Julie Beaulieu nous expose que les jeunes agressés sont fragilisés, ont une faible<br />
estime d’eux-mêmes, un manque d’habiletés sociales<br />
Cela se révèle déjà plus intéressant. Allons-y à présent de l’analyse de ces<br />
données : celle de la professeure Beaulieu s’ajoute à la théorie nord-américaine de la<br />
victimisation.<br />
Il n’est, à ce stade, pas superflu de décrypter l’origine états-unienne de ce concept<br />
qui a d’abord servi à désigner le regroupement juridiquement organisé de victimes de<br />
mêmes sources, sorte de recours collectif pour réparation des préjudices subis et<br />
dénonciation publique et sociale des responsables.<br />
301
À ses balbutiements, la victimisation est donc manifestement une prise en charge<br />
de sa situation par la victime, associée à des victimes comme elle, en vue d’obtenir<br />
une légitime réparation.<br />
Le droit étant, aux États-Unis, ce qu’il est et les avocats, ce qu’ils sont, on a<br />
rapidement assisté à une distorsion de ce type de recours : recrutements systématiques<br />
(par des enquêtes de victimisation orchestrées par l’accusation rémunérée au prorata<br />
du montant global de la poursuite) de victimes, dont certaines ignoraient même qu’elles<br />
l’étaient ou avaient pu l’être avant d’être incorporées au recours constitué.<br />
En contrepartie, il devenait impératif pour la partie défenderesse de démontrer<br />
l’utilisation mercantile du statut de victime et les tricheries d’associations.<br />
La victimisation a alors élargi son champ sémantique : juridiquement, elle est<br />
devenue également la complaisance à être désignée comme victime en raison des<br />
bénéfices escomptés.<br />
Ce duel d’avocats, tout à fait prévisible, est, somme toute de bonne guerre.<br />
Le malheur est que le champ sémantique de la victimisation n’est pas demeuré dans<br />
le champ lexical du droit et de la justice. Il y était relativement canalisé. Toutefois,<br />
comme pour faire admettre la complaisance intéressée au rôle de victime, il fallait<br />
démontrer et la mauvaise foi et l’appât du gain, la psychologie et la psychiatrie ont été<br />
appelées à la rescousse.<br />
Le terme victimisation a pris dès lors d’autres connotations : de l’utilisation<br />
stratégique volontaire du statut de victime à la manipulation, le pas était d’autant aisé<br />
qu’il supportait l’expertise médicolégale. L’autre pas logique a fait passer de la<br />
302
démonstration de la collusion à celle de comportements individuels<br />
psychopathologiques.<br />
La psychiatrie, la psychologie, la psychoéducation , teintées de toutes les<br />
manipulations du béhaviorisme, ont graduellement conçu que la victime, en raison de<br />
déficiences fonctionnelles innées, attire à elle les préjudices et leurs responsables<br />
parce qu’elle en retire des avantages : une valorisation dans ce statut tandis qu’elle se<br />
sent incapable d’en obtenir d’autres en raison de sa faible estime d’elle-même,<br />
l’obtention d’attentions là où elle est malhabile à se forger des amitiés et de saines<br />
relations, son besoin insatiable de compassion qui va la conduire à répétition dans les<br />
mêmes guêpiers.<br />
C’est, de nos jours, en Amérique du Nord, cette compréhension du terme qui est la<br />
plus répandue : elle fait office de cadre conceptuel et balise les interventions tant<br />
auprès de la victime, transformée en patiente ou malade, que du bourreau transformé<br />
en angelot égaré.<br />
C’est ce cadre qu’a, à mon avis, épousé Julie Beaulieu, jeune spécialiste des<br />
troubles du comportement de type intériorisé. Je devrais plutôt dire et écrire que c’est<br />
ce cadre qui l’a épousée.<br />
Je sais que je vais, comme on dit vulgairement, «pousser le bouchon», mais,<br />
compte tenu des souffrances endurées par les harcelés dans ce modèle vicié, en avant<br />
la manœuvre!<br />
Non seulement les jeunes victimes qu’on nous a décrites sont plus susceptibles de<br />
dépression, mais elles le sont parce qu’elles étaient d’avance fragiles, donc victimes<br />
désignées, donc victimes complaisantes dans leur rôle de victimes. Elles sont les<br />
303
causes de leur propre malheur et nous devons, par grande bonté, le leur révéler, avec<br />
toutes les précautions possibles, et les aider à sortir de leur malencontreuse déviance.<br />
C’est, de façon générale, cette savante façon de voir qui guide les interventions<br />
thérapeutiques dont «bénéficient», de force plus que de gré, les victimes d’agression ou<br />
de harcèlement.<br />
Je ne sais pas si la professeure connaît l’histoire linguistique du terme. Bien des<br />
intervenants l’ignorent. Et tous appliquent généreusement la thérapie, non au bénéfice<br />
des victimes, mais pour LE BÉNÉFICE qu’ils en retirent eux-mêmes: il est tellement<br />
plus facile d’aider quelqu’un qui, si l’on échoue par nos insuffisances, demeurera la<br />
cause de tous ses maux.<br />
Pour avoir accompagné beaucoup de jeunes victimes d’agression et de<br />
harcèlement, pour les avoir suivis dans le cadre de plans d’intervention ou de service,<br />
j’ai constaté les répercussions cruelles de cette vision de la victime de sévices<br />
physiques, sexuels ou psychologiques.<br />
C’est comme si, violée dans son intégrité par son agresseur, la victime le devenait à<br />
nouveau par son thérapeute ou ses aidants, parfois même par ses aidants naturels.<br />
Ce n’est d’ailleurs pas «comme si» : c’est un second viol de l’intégrité. C’est ainsi<br />
que c’est vécu.<br />
Mon point de vue est donc diamétralement opposé : les réactions de détresse de la<br />
victime sont les conséquences de son agression, ses désordres fonctionnels sont<br />
consécutifs à la peur vécue, à l’angoisse déclenchée. Ils ne sont pas la cause.<br />
Il est d’ailleurs assez hallucinant qu’en matière de harcèlement, l’on soit incapable<br />
du cheminement que l’on a pu graduellement réaliser en matière d’abus sexuel et qui<br />
304
nous fait collectivement admettre, sauf du côté assez répugnant des avocats qui<br />
défendent les agresseurs, que la victime est la victime, qu’elle ne l’a pas cherché et que<br />
son traumatisme est la conséquence de la violence subie.<br />
Nouvelle longue démonstration pour illustrer la difficulté grandissante du milieu<br />
universitaire à considérer l’amplitude des champs investigués, leurs interrelations, leurs<br />
évolutions dans le temps et l’espace, leur dimension systémique.<br />
Longue démonstration pour attirer l’attention des chercheurs sur le fait que leurs<br />
dérapages les plus spectaculaires provoquent une confusion entre les causes et les<br />
conséquences, modifient la résolution de problème, tuent l’agressée à petites doses de<br />
diagnostics d’hystérie et médaillent l’agresseur dont la réhabilitation finit par compter<br />
plus que l’aide post-traumatique à la victime!<br />
J’invite les récalcitrants à se documenter, particulièrement en neurologie, sur le<br />
syndrome des cœurs brisés (ou cardiomyopathie de stress) ainsi que, pour commencer,<br />
sur la détérioration psychobiologique des neurones-miroirs et sa possible explication de<br />
la détérioration de l’empathie, à titre de régression transgénérationnelle de la<br />
manifestation de la compréhension d’autrui et du partage des émotions : rupture de<br />
communication et de cohérence sociales, origine possible des comportements<br />
d’agression et de harcèlement.<br />
Un autre beau sujet de doctorat…<br />
305
La balle serait dans le camp de l’agresseur et l’on pourrait inventer le terme<br />
«d’agrémentassion», mélange d’agrément et d’agression qui en viendrait à expliquer<br />
pourquoi les agresseurs ont tant de complaisance à l’être…<br />
Un autre beau sujet de doctorat…<br />
Je n’en ai cependant pas fini.<br />
Le professeur Égide Royer, rare intervenant de terrain, dont j’admire le combat pour<br />
les plus vulnérables de nos enfants, a défendu, la même journée, la prévention de la<br />
violence à l’école et présenté le comment composer avec les conduites agressives.<br />
Il a insisté sur la pensée magique que représente une différenciation dénuée d’un<br />
support professionnel suffisant et d’une gestion préventive efficace des comportements<br />
agressifs.<br />
J’ai déjà mentionné, dans les pages précédentes, que je doute des mérites factuels<br />
du modèle de l’Iowa qu’il a contribué à introduire dans le système scolaire québécois,<br />
même si je ne doute pas de ses bonnes intentions au moment de le recommander.<br />
C’est encore ce modèle qu’il a défendu lors de son exposé.<br />
Le modèle de l’Iowa, made in USA pour «prévenir les comportements difficiles»,<br />
préconise bel et bien une intervention la plus immédiate possible, sans attente de<br />
l’identification catégorielle de l’élève. À cela, je n’ai rien à redire : ce n’est pas parce que<br />
notre médecin nous prescrit des évaluations expertes pour clarifier son diagnostic qu’il<br />
ne peut pas commencer à nous soigner. À ce sujet, l’Iowa n’a pas découvert grand-<br />
chose…<br />
306
Il vient tout de même se greffer au modèle une réaction largement partagée et qui<br />
se croit vertueuse contre la catégorisation des élèves HDAA., c'est-à-dire leur<br />
classement par catégories selon les problématiques ou déficiences vécues.<br />
Hélas, comme je l’ai révélé, la cible n’est pas la bonne : c’est l’étiquetage qui est<br />
nocif! Catégoriser n’est pas une faute; étiqueter, oui quand cela revient à ranger<br />
l’écolier dans une catégorie sans étude ni secours.<br />
Alors, voici mes observations sur le terrain. J’ose les qualifier d’incontestables.<br />
Depuis l’implantation du modèle de l’Iowa que le MEQ a adopté sous expertise et<br />
influence universitaires bien fondées, il s’est produit un glissement graduel qui a affecté<br />
de façon majeure le cadre d’élaboration, puis la tenue des plans d’intervention. Le<br />
glissement a été graduel parce que cela prend toujours un peu de temps au ministère à<br />
tirer profit budgétaire (économie, devrais-je dire) des modèles qu’on lui propose.<br />
Comme je l’ai déjà illustré, il est assez performant à ce niveau, dois-je avouer : il est<br />
bien rare qu’il n’y parvienne pas…<br />
Personne n’a vu venir cet autre vice de procédure concocté par les marchands du<br />
temple (ministériel de l’ignorance) qui a permis de convaincre la plupart des<br />
intervenants scolaires de tous horizons que la catégorisation (savamment amalgamée à<br />
l’étiquetage) était nocive à l’enfant et qu’il valait mieux débuter l’intervention «sur les<br />
chapeaux de roue» que, prétendument, de la retarder pour l’éclairer des évaluations<br />
expertes (qui permettent la catégorisation).<br />
Or il faut savoir que le financement des services aux élèves handicapés ou en<br />
difficulté d’adaptation ou d’apprentissage passe par le recensement des élèves<br />
officiellement catégorisés, que, parmi ces services se trouvent ceux qu’Égide Royer<br />
307
trouve, à juste titre, insuffisants et que la catégorisation est précédée des expertises qui<br />
seules permettent une différenciation éclairée!<br />
Il est évident que tous les élèves HDAA doivent bénéficier, dans le cadre d’une<br />
intervention précoce qui ne s’y limite pas, des évaluations expertes, prévues et<br />
ordonnées par le MELS lui-même, le plus rapidement possible, lesquelles évaluations<br />
vont autoriser la catégorisation judicieuse et générer les allocations requises pour le<br />
financement et l’organisation des interventions et services…recommandés par les<br />
évaluations expertes ou qui vont en découler et permettre une différenciation autre<br />
que magique.<br />
Je suis sûr que le commun des mortels comprend aisément l’encadré qui précède.<br />
Le rapport de la vérificatrice générale du Québec, que j’ai abondamment présenté,<br />
étaye chacun de ces principes en identifiant l’horreur indicible des approximations dont<br />
sont victimes les écoliers concernés.<br />
Le problème de la catégorisation est un faux problème : il ne devrait pas plus<br />
exister à l’école qu’il existe en milieu médical. La conspiration qui l’entretient vise à y<br />
accoler une charge négative qui crée, chez l’élève, chez ses parents et chez les<br />
intervenants, des résistances à opérer les évaluations requises, à les empêcher, à les<br />
différer, à les masquer lorsqu’elles sont réalisées.<br />
La charge négative est celle de l’anormalité : on la refuse quand on la vit, on la fuit<br />
quand on l’observe.<br />
Pourtant, l’inclusion prêchée par le MELS ne peut se réaliser qu’en dévoilant<br />
l’anormalité, qu’en la normalisant (non en la banalisant). Le modèle du processus de<br />
308
production des handicaps (PPH) du Docteur Patrick Fourgeyrollas est révélateur à ce<br />
sujet : la négation de l’existence de dysfonctions et de déficiences ou leur<br />
méconnaissance engendre et aggrave le handicap faute des adaptations réfléchies que<br />
permet leur identification dans le but de contrecarrer ou de diminuer le handicap.<br />
Je n’ai rien à ajouter sur ce sujet spécifique. Le croiriez-vous : les mots me<br />
manquent pour décrire ce désastre programmé, y compris par naïveté universitaire.<br />
Par contre, je vais clore en douceur avec l’intervention de la professeure Pierrette<br />
Verlaan, chercheuse au groupe de recherche sur les inadaptations sociales sur les<br />
inadaptations de l’enfance (GRISE) : «L’agression indirecte, cette violence que l’on ne<br />
voit pas (…)».<br />
La journée-conférence était en effet (partiellement) dédiée au lancement en grande<br />
pompe d’une trousse de prévention de la violence psychologique en milieu scolaire.<br />
Cette trousse contient un document vidéo de témoignages d'enseignants ayant<br />
vécu le problème et observé des cas de violence et d'intimidation, de témoignages<br />
d'enfants victimes de violence et aussi des témoignages d'enfants qui ont perpétré des<br />
violences, des harcèlements et des intimidations auprès de leurs pairs. Il s’y ajoute un<br />
guide pédagogique et trois cahiers pédagogiques (enseignant-élève-parent) pour guider<br />
la mise en place du programme. La trousse est œuvre de concertation régionale<br />
multisectorielle, conçue et orchestrée par la professeure Verlaan et France Turmel,<br />
conseillère pédagogique au service régional de soutien et d'expertise du MELS pour les<br />
commissions scolaires de l'Estrie.<br />
309
À condition qu’elle soit longitudinalement actualisée dans les écoles et<br />
accompagnée de programmes de prévention et de support thérapeutique, cette<br />
trousse, exemple méritant d’arrimage entre la recherche et le terrain, aura, comme<br />
bien d’autres, courte existence et impact temporaire.<br />
Sans doute, ayant été conçue en concertation a-t-elle de meilleures chances de<br />
parvenir à ses fins.<br />
Mais parvenir à quoi?<br />
La présentation suggère que le programme novateur vise à déceler la violence<br />
psychologique à l’école, à sensibiliser au phénomène, à le prévenir et, le cas échéant, à<br />
intervenir pour le contrer et en amenuiser les impacts.<br />
Ma question vient donc de cette visée et du titre de l’intervention : «L’agression<br />
indirecte, cette violence que l’on ne voit pas (…)»<br />
J’ai beau me retenir, je ne puis m’empêcher de penser que le problème est aussi<br />
dans la formulation : n’eût-il pas été plus approprié de titrer : «L’agression indirecte,<br />
cette violence que l’on NE VEUT PAS voir.»<br />
Car, sur le chemin où j’ai accompagné bien des victimes, j’ai aussi constaté la<br />
contribution collective tacite pour faire le vide autour des agressés.<br />
Non seulement la fragilisation de la victime dérange, mais la considération que le<br />
problème pourrait nous appartenir plus qu’à elle-même nous révulse et il est plus facile<br />
de l’occulter que d’envisager nos obligations de protection.<br />
310
Nous sommes en effet en plein problème de protection, avec les mêmes<br />
impuissances, le même tribalisme institutionnel, les mêmes faux-semblants, le même<br />
mur du silence, les mêmes paupières volontairement closes.<br />
Puisse la vidéo de la trousse les ouvrir!<br />
La notion de complicité sociale tacite explique pourquoi l’agression occupe tous les<br />
espaces qu’elle occupe. Cette complicité rend légitime l’agression et pathologique le<br />
trauma.<br />
Elle résulte de la dégradation de la conduite de l’État, de sa soumission larviforme<br />
aux forces (et aux menaces) des prédateurs qui, à ce stade, gouvernent par l’économie<br />
et la guerre nos destinées.<br />
Je crois fermement que, pour provoquer le développement durable et harmonieux<br />
qui nous sauvera, il faut nommer les choses telles qu’elles sont (perçues) et pour les<br />
nommer et les considérer dans la plénitude de leur systémique et sociale existence.<br />
«La science sociale ne peut pas se réduire à une objectivation incapable de faire sa<br />
place à l’effort des agents pour construire leur représentation subjective d’eux-mêmes<br />
et du monde, parfois envers et contre toutes les données objectives […] En fait, le<br />
monde social est un objet de connaissance pour ceux qui en font partie, et qui, compris<br />
en lui, le comprennent, et le produisent, mais à partir du point de vue qu’ils y occupent.<br />
On ne peut donc exclure le percipere et le percipi […] Mais on ne peut davantage<br />
ignorer que, dans ces luttes proprement politiques pour modifier le monde en modifiant<br />
les représentations du monde, les agents prennent des positions qui, loin d’être<br />
interchangeables, comme le veut la perspective phénoméniste, dépendent toujours, en<br />
311
éalité, de leur position dans le monde social dont ils sont le produit et qu’ils contribuent<br />
pourtant à produire.<br />
Ne pouvant se contenter ni de la vision première, ni de la vision à laquelle le travail<br />
d’objectivation donne accès, on ne peut que s’efforcer de tenir ensemble, pour les<br />
intégrer, et le point de vue des agents qui sont pris dans l’objet et le point de vue sur ce<br />
point de vue auquel le travail d’analyse permet de parvenir en rapportant les prises de<br />
position aux positions d’où elles sont prises.»<br />
Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes<br />
«Je pense que, contrairement à ce qu’on nous dit de la sociologie, ce n’est pas du tout<br />
un instrument totalitaire, oppressif, dogmatique ; c’est potentiellement un instrument de<br />
libération individuel ou collectif. On peut utiliser la sociologie comme instrument pour<br />
connaître les limites et c’est déjà une formidable connaissance.»<br />
Pierre Bourdieu, « Secouez un peu vos structures ! »<br />
Esse est percipi aut percipere<br />
Être, c'est être perçu ou percevoir<br />
George Berkeley<br />
C’est un devoir d’éducation qui relève aussi des lieux de hauts savoirs.<br />
Il leur revient pour ce faire de se tenir au-dessus des effets simplificateurs des<br />
mécanismes de leur consécration 46 , de s’en libérer.<br />
46 À ce propos aussi, lire ou relire Bourdieu peut aider…Parsons peut ne pas nuire…<br />
312
Je m’en voudrais pour terminer (vraiment) de ne pas saluer une autre production qui<br />
a résulté de la conciliation de la recherche et du terrain. Il s’agit de la production<br />
d’un logiciel:<br />
Ce logiciel, distribué aux CS par la GRICS, a été créé à partir de l’étude longitudinale<br />
sur le décrochage, menée sous la direction du professeur Laurier Fortin, laquelle étude<br />
a porté sur les difficultés d’adaptation sociale et scolaire des élèves et leur rapport au<br />
décrochage scolaire et associé Pierre Potvin, de l’Université du Québec à Trois-<br />
Rivières, Égide Royer, de l’Université Laval, et Diane Marcotte, de l’Université du<br />
Québec à Montréal. Leurs recherches ont permis de préciser scientifiquement les<br />
dimensions pour lesquelles l’élève à risque présente une vulnérabilité. Les fondements<br />
du logiciel ont été validés auprès de 5 000 élèves provenant de 16 écoles secondaires<br />
de l’Estrie. Le logiciel a aussi la particularité de qualifier le risque de décrochage :<br />
intensité faible, modérée ou sévère.<br />
Les dimensions mesurées pourront orienter des plans d’intervention pour<br />
l’ensemble de l’école, des sous-groupes d’élèves ou pour des élèves à risque.<br />
De plus, un guide de prévention Y’a une place pour toi!, déjà apprécié du milieu<br />
scolaire, complète le logiciel en suggérant des stratégies d’interventions spécifiques aux<br />
4 types de décrocheurs et sur la relation maître-élève. 47<br />
La production d’un tel logiciel qui permet donc, selon ses auteurs, de qualifier chez<br />
des élèves à risque le risque de décrochage selon son intensité à partir, entre autres,<br />
de leurs difficultés d’adaptation scolaire et sociale prouve que la fonction diagnostique<br />
(accélérée par l’utilisation du logiciel) peut permettre d’orienter le plan d’intervention.<br />
47 D’après (27 avril 2007) : http://www.usherbrooke.ca/medias/communiques/2007/avril/logiciel_decrochage.html<br />
313
Constat : il faut diagnostiquer 48 ! Question 1 : pourquoi aussi tardivement?<br />
Question 2 : Le décrochage s’initiant dès le préscolaire, s’alimentant au premier cycle<br />
du primaire pour se cristalliser au second, à quand un logiciel de diagnostic précoce?<br />
22. Autocongratulation informatisée et «colloquisée»<br />
Je n’ai pas choisi au hasard la journée-conférence internationale du 22 février 2007.<br />
Je l’ai sélectionné parce qu’elle a réuni des chercheurs que j’estime, malgré les aléas<br />
que j’attribue à leurs recherches et mes charges trop sévères.<br />
Comme l’a fait dire à Cyrano de Bergerac Edmond Rostand : « Mais on ne se bat<br />
pas dans l'espoir du succès ! Non, non c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !»<br />
J’ai donc une admiration certaine pour tous ceux d’entre eux qui tentent de changer<br />
le mortel cours du Styx scolaire.<br />
Ma flamme vacille quelque peu lorsque l’harnachement auquel se livrent certains se<br />
transforme en entreprise de production par osmose de savants infatués. Attention! je ne<br />
suis pas en train de dire que ce soit ce à quoi j’ai assisté le 22.<br />
Tout au contraire, les spécialistes réunis en cette occasion étaient fort sympathiques<br />
et ne se pensaient apparemment nullement sortis de la cuisse de Jupiter. Savants, oui;<br />
fats, non!<br />
Mon obsession demeure de décrire, de mon point de vue assurément excessif et<br />
nécessairement subjectif, un aspect de la dynamique de ce colloque où se sont<br />
retrouvés, comme d’inséparables amis, les chercheurs d’un même domaine.<br />
48 CQFD derechef, sous l’égide du modèle de l’Iowa ?<br />
314
Ma description n’est pas un portrait figé et elle ne représente qu’une facette<br />
potentielle de ces augustes rencontres, disons, à mes yeux, un facteur musclé de<br />
risque.<br />
La réunion nourrit l’union, ce qui est loin d’être nuisible, et il se forge de favorables<br />
alliances telles que celle qui a prévalu dans la création du logiciel sur le dépistage du<br />
décrochage ou celle qui a permis la trousse sur l’agression psychologique.<br />
Vous comprendrez, vu les nombreuses questions et critiques que j’ai adressées<br />
aux collectivités d’auteurs, qu’une interrogation subsiste en mon esprit machiavélique<br />
quant à leur indispensable pratique cartésienne du doute 49 .<br />
J’ai grande difficulté à capter comment une démarche collective alliant, et je ne raille<br />
pas, de si puissants cerveaux ne génère pas plus d’interrogations antithétiques.<br />
Et, comme il me faut une réponse, je réinvente les phénomènes de l’osmose et de<br />
l’autocongratulation. Il y a de fortes chances que ce ne soit qu’une autre vue de mon<br />
esprit tordu, mais, au cas où elle ne le serait pas, je m’explique «pareil».<br />
1-L’effet Internet<br />
L’informatique et l’Internet ont créé de puissants instruments de rapprochement et<br />
des facilités d’échanges : nul ne doute de leurs formidables retombées.<br />
Entre deux conférences, entre deux colloques, entre deux séminaires, là où les<br />
contacts étaient différés, l’autoroute de l’information et de la communication les a<br />
«instantanéifiés».<br />
49 La pratique cartésienne du doute n’est pas le scepticisme. Elle consolide la thèse en provoquant l’antithèse. Elle permet de<br />
mieux choisir en ayant envisagé un ou des points de vue divergents, par fois diamétralement opposé.<br />
315
La résultante de cette accélération de la transmission de la pensée est l’estompage<br />
de sa décantation : elle accélère le processus de convergence et dissout simultanément<br />
les occasions et le temps de divergence.<br />
2- l’effet Colloque :<br />
Quand deux universitaires de qualité se rencontrent, s’ils ont des visions, lectures et<br />
projections analogues, ils vont naturellement être portés, à partir de ces affinités, à<br />
tisser des liens amicaux et… à se conforter dans leur pensée partagée :<br />
l’interpénétration analytique va s’approfondir.<br />
Comme les circonstances de leurs rencontres (colloque ou conférence ou<br />
séminaire) sont somme toute régulières et matériellement fort plaisantes –interruption<br />
des routines, changement d’air, de paysage, voyage, avion, hôtel, frais de déplacement,<br />
visites organisées, détente- la relation va s’enrichir de ce sentiment de bien-être, quasi-<br />
vacancier, et se cristalliser dans cette harmonie.<br />
La psychobiologie nous dirait que cette harmonie relationnelle va imprégner une<br />
harmonisation spirituelle. La bonne expression pour décrire cette conséquence est «Ils<br />
sont sur la même longueur d’onde».<br />
3-L’autocongratulation<br />
Quand deux universitaires de qualité se rencontrent, s’ils ont des visions, lectures et<br />
projections différentes, ils vont, au pire, vivre les affres d’une querelle intellectuelle.<br />
Ils savent, sauf s’ils ont des tendances narcissiques, qu’à qualité équivalente, ils<br />
peuvent avoir abouti à des démonstrations paradoxales sur un sujet commun.<br />
316
Hormis les possibles réactions pathologiques, ils vont considérer sereinement<br />
comme plausible la divergence de l’autre et ne s’attarder qu’à ses failles<br />
méthodologiques.<br />
S’il y a faille méthodologique, ils vont s’évertuer de la démontrer et d’en persuader<br />
ou d’en convenir.<br />
S’il n’y en a pas, ils vont mutuellement se reconnaître l’occupation d’un champ<br />
crédible du domaine touché et si cette reconnaissance prévaut, ils se rencontreront<br />
amicalement à l’occasion d’invitations à des débats contradictoires, dans un<br />
environnement «quasi-vacancier », propre à la réconciliation.<br />
La plupart du temps, tout se passe de façon fort civilisée comme il sied aux<br />
dépositaires de la sagesse. C’est précisément dans cette certitude philosophique que<br />
se fonde l’autocongratulation qui les béatifie.<br />
La certitude est assise sur la démarche scientifique qui guide leurs recherches et les<br />
rassemble en une communauté sacerdotale.<br />
Ce sont ces trois variables, l’effet Internet, l’effet Colloque et l’autocongratulation, qui<br />
forgent la convergence universitaire et réduisent sa portée systémique.<br />
Les effets quant à eux ne sont pas innocents, car ils incluent les licences que l’on<br />
s’octroie au moment de confronter sa recherche, sa sagesse et leurs conclusions à<br />
leurs impacts potentiels.<br />
317
Cela est vrai en toute chose et j’ai en tête, en d’autres domaines, les mensonges qui<br />
camouflent la nocivité actuelle des OGM, la volatilité menaçante des nanotechnologies,<br />
la création des chimères dans la manipulation génétique, les additifs alimentaires, les<br />
médicaments… Toutes sagesses qui nous conduiront au Styx!<br />
23. Politisation de la pédagogie et de la didactique<br />
« Ce qui nous intéresse, ce n'est pas la prise de pouvoir, mais la prise de<br />
conscience. » (Armand Gatti)<br />
Ce serait tellement rafraichissant que Gatti ait raison et que prévale la prise de<br />
conscience sur le pouvoir. C’est évidemment ce qui nous intéresse. Mais ce n’est pas<br />
ce qui se passe.<br />
Le pouvoir précède et la conscience suit.<br />
Je vais dans cette partie du chapitre VII revenir à la réforme de l’éducation.<br />
Mais, pour nous reposer vous et moi, vous proposer un voyage dans le temps, puis<br />
un colloque virtuel, le premier chez nos amis suisses et le second chez nos amis<br />
français qui sont également (maudit sois-je ou «tout s’explique») mes compatriotes…<br />
Voici l’extrait d’un flash de L’Expresso, rubrique de l’excellent Café pédagogique de<br />
François Jarraud.<br />
Jarraud en est l’auteur et le flash remonte au 5 septembre 2006.<br />
Éditorial : Genève, laboratoire des fusions conservatrices<br />
"Heureusement, c'est bien le peuple qui tranchera". Le 24 septembre, les citoyens du canton de<br />
Genève (Suisse) auront à se prononcer sur l'avenir de leur école. Une pétition signée par 28<br />
000 citoyens a permis à la droite de provoquer un référendum (une "votation") le 24 septembre<br />
sur l'organisation de l'école genevoise.<br />
318
Deux thèses s'affrontent.<br />
Pour la droite genevoise (parti libéral, parti démocrate-chrétien), fédérée dans l'Arle,<br />
"l'évolution de la société et des mœurs sert depuis quinze ans de prétexte à une innovation<br />
effrénée qui transforme l'école en un laboratoire d'expérimentation. Les réformes scolaires à<br />
répétition entravent l'acquisition des connaissances de base. La mission élémentaire de l'école<br />
primaire – apprendre à lire, à écrire et à compter – n'est pas efficacement assurée. L'idéologie<br />
qui inspire la rénovation de l'enseignement primaire est remise en question depuis longtemps.<br />
Elle consiste à inviter l'élève à découvrir et à «construire» les connaissances par lui-même et en<br />
interaction avec ses camarades. Les plus récentes études confirment les doutes émis sur cette<br />
méthode". On aura reconnu les thèses des "antipédagogistes ". Ils demandent le rétablissement<br />
des notes, la suppression des cycles et le retour du redoublement. Ils revendiquent " une école<br />
qui instruise avant d’éduquer. Les maîtres y transmettent des connaissances pas à pas, des<br />
plus simples aux plus complexes". Cette initiative demande l'abrogation d'une loi de rénovation<br />
de l'école, largement inspirée par les travaux de l'école de Genève (P. Perrenoud etc.), adoptée<br />
en 1994 et qui n'est encore que partiellement appliquée. Elle met en avant les mauvais résultats<br />
du système éducatif genevois.<br />
Les partis de gauche, socialistes, verts etc., et le principal syndicat enseignant<br />
soutiennent une position inverse. Ainsi pour le ministre socialiste de l'éducation, Charles Beer,<br />
"Tout ne se joue pas sur la manière d'enseigner et d'évaluer. Il y a par exemple le nombre<br />
d'heures d'enseignement. On ne passe pas d'une semaine de cinq jours à quatre jours, comme<br />
l'a fait Genève, sans conséquence, même si cela n'explique pas tout… La question des moyens<br />
donnés à l'enseignement est aussi primordiale. Au début des années 1990, Genève consacrait<br />
davantage de ressources financières à son éducation que l'ensemble des autres cantons,<br />
aujourd'hui on est pratiquement en queue de peloton. Or, pendant la même période, notre<br />
canton a connu une forte croissance de la population, qui place Genève comme l'un des<br />
principaux pôles de croissance démographique d'Europe, une montée des inégalités et une<br />
319
augmentation importante de la pauvreté. Difficile de mesurer les effets de la rénovation dans ce<br />
contexte".<br />
À Genève, l'École est devenue ouvertement le premier champ d'affrontement entre la<br />
droite et la gauche.<br />
En quelques années, on a vu la droite y construire un discours conservateur sur l'École en<br />
puisant dans l'argumentaire des antipédagogues, quelle que soit leur origine. Ce message<br />
exploite à la fois la nostalgie d'une école mythique, la peur de l'avenir, la défense de la<br />
ségrégation sociale et des hiérarchies. Ce discours s'appuie sur une tendance encore plus forte<br />
des sociétés occidentales : une méfiance envers l'État et le collectif qui génère une forte<br />
demande de personnalisation des services publics.<br />
En France, le même débat prend corps (même source) :<br />
On voit bien que cette évolution s'affirme également en France. C'est elle qui est à l'oeuvre<br />
dans la remédiation personnelle promise par les PPRE, dans l'expulsion des élèves à<br />
problèmes, dans l'apologie du mérite individuel et l'attribution de passe-droits aux élèves<br />
méritants des ZEP. La petite coterie des réactionnaires de l'École voit maintenant ses théories<br />
relayées dans l'appareil d'État. Elle s'invite et est mise en avant dans les meetings de la droite,<br />
par exemple lors de la dernière convention UMP. Le conservatisme éducatif et le conservatisme<br />
politique s'unissent sous nos yeux. Cette évolution ne peut qu'interpeller la gauche<br />
française : faut-il affronter la droite sur ce terrain ou le lui laisser ?<br />
Le gouvernement de Sarkozy a poursuivi la contreréforme scolaire initiée par le<br />
précédent et génère des prises de position politique tout aussi ségréguées.<br />
Les craintes sur la conception présidentielle de l'École se sont renforcées.<br />
La condamnation de l'esprit de mai 68 a cédé la place, lors du discours de Périgueux, à<br />
une dénonciation du "pédagogisme". En quelques semaines de nouveaux programmes du<br />
320
primaire, encore plus rétrogrades que les tentatives de Robien, ont été imposés. Ils tentent de<br />
ramener en classe des notions, des postures pédagogiques que l'on croyait dépassées.<br />
Dans chacune de ses publications, le Café pédagogique, proréforme, rapporte les méfaits<br />
antipédagogiques du diabolique Darcos, ministre de l’Éducation nationale, ignoble valet de<br />
Sarkozy, et les luttes entreprises :<br />
Cent chercheurs appellent à "sauver le primaire "<br />
S. Beaud, M. Duru-Bellat, S. Joshua, B. Lahire, C. Lelièvre, P. Meirieu, P. Merle, JY Rochex, A<br />
Van Zanten pour ne citer que les plus célèbres, une centaine de chercheurs en sciences de<br />
l'éducation lancent un appel au rassemblement contre les mesures Darcos. "Il est plus que<br />
temps que la communauté intellectuelle, les parents, les enseignants et l’ensemble des citoyens<br />
intéressés à la cause de l’école publique se réunissent pour mettre un terme à cette<br />
contreréforme et créent les conditions d’un autre avenir pour ce qui constitue la base de<br />
l’ensemble du système d’enseignement" affirment-ils.<br />
"Alors que les inégalités sociales de réussite scolaire sont toujours aussi manifestes, que pour<br />
toutes les familles les attentes à l’égard de l’école restent vives, une politique résolue doit être<br />
mise en œuvre pour prévenir, dès le plus jeune âge, la difficulté scolaire et mieux assurer la<br />
rencontre de tous les élèves avec les savoirs et les pratiques scolaires. Les acquis de la<br />
recherche démontrent qu’il s’agit de redonner toute leur place aux apprentissages des écoles<br />
maternelles et élémentaires, de renforcer leur cohérence, de prendre le temps de l’explicitation<br />
des attentes et de la régularité du travail demandé aux élèves, de mieux répartir les<br />
enseignements sur la semaine et sur l’année". Toutes choses que, selon eux, ne préparent pas<br />
les mesures ministérielles.<br />
"La politique gouvernementale prépare une véritable débâcle" prédisent-ils. "Avec moins de 140<br />
jours de classe par an, la France se situerait à un niveau des plus médiocres parmi les pays<br />
321
comparables. Mais il faudrait en plus se soumettre à des programmes impossibles.. On sait<br />
d’avance quels groupes sociaux feront les frais d’une telle politique".<br />
«Maman, c’ 50 est finiiiiiiiiiii!<br />
Le pouvoir précède et la conscience suit…<br />
Vous savez à présent que l’on est passablement plus paisible au Québec,<br />
sensiblement moins politisé, plus tolérant ou plus frileux, avec pas mal moins de coups<br />
de gueule que les cousins français (je fais probablement exception).<br />
Vous savez aussi que le débat pro ou anti réforme n’est pas l’apanage du Québec.<br />
C’est avec beaucoup plus de dentelles et de patchoulis, beaucoup plus de<br />
délicatesse, que le débat québécois sur la réforme scolaire tente de se tenir, la<br />
problématique étant que pour tenir débat, il faut des débatteurs (: en France et en<br />
Suisse, la gauche progressiste contre la droite ultraconservatrice au pouvoir) et que la<br />
brillante stratégie gouvernementale québécoise est historiquement de se retirer de la<br />
controverse et d’envoyer au front, en ses lieux et places, ceux des universitaires qui,<br />
depuis toujours, sont, beaucoup quasi aveuglément, dédiés à la réforme et sa cause.<br />
L’intention est moins de dépolitiser le débat que de permettre au gouvernement de<br />
ne répondre à aucune des interrogations ou des craintes légitimes et de louvoyer à son<br />
gré ou de se laisser piloter par la girouette populiste qui lui dicte ses voies.<br />
Malgré tout, entre les factions non gouvernementales, «Réussir la réforme» et<br />
«Stoppons la réforme», les clivages se forgent et, même si les référentiels politiques<br />
50 Je parle du voyage, pas des humours politciopédagogiques suisse et français.<br />
322
sont grossiers, on reconnaît les autoproclamés progressistes d’un bord, ouverts sur<br />
l’avenir et plus haut encore, et les désignés réactionnaires de l’autre, épris d’un furieux<br />
passéisme.<br />
Tout ce système spécieux d’action est très significatif de la maturité générale de ce<br />
sous-système du système social qui rassemble, en une communauté parfois glauque,<br />
des éléments de la population, des responsables et des intervenants du secteur jeune<br />
de l’éducation et des universitaires.<br />
De temps à autre, le niveau des échanges et les arguments font en effet penser à<br />
«La violence de l’agneau» mentionné précédemment.<br />
Je sais bien que cette comparaison vous paraîtra outrageuse, mais l’est-elle au<br />
regard des jeunes victimes qui s’entassent pendant qu’on se gave de tergiversations ?<br />
Je ne pose qu’une question extrêmement précise à tous les universitaires mono-<br />
insaturés qui préconisent de poursuivre le jeu de massacre : combien d’enfants parmi<br />
les plus fragiles, les plus vulnérables, les plus démunis a-t-on le droit de sacrifier pour<br />
l’avenir prometteur qui motive l’acharnement à poursuivre, coûte que coûte 51 , l’actuelle<br />
réforme ?<br />
Ce qu’elle est réellement, et c’est là le nœud gordien, nul ne le sait.<br />
Il faut être aussi déchu de sa paternité partagée que semble l’être Paul Inchauspé,<br />
ancien directeur général du collège Ahuntsic, commissaire aux États généraux sur<br />
l'éducation, président du Groupe de travail sur la réforme des curriculums, pour ignorer<br />
que, sur le terrain d’implantation de la réforme tel qu’il a véritablement été calciné par le<br />
MELS, des théories de l’apprentissage ont été imposées.<br />
51 «Les plus forts survivront.»<br />
323
Dans un extrait de Pour l'école - Lettre à un enseignant sur la réforme des<br />
programmes (Liber, 20007), le bon papa écrit -et je suis sûr qu’il est sincère :<br />
«Il peut y avoir des réformes d'éducation qui visent à implanter systématiquement dans<br />
les écoles un ensemble de pratiques inspirées d'une théorie d'apprentissage. La<br />
réforme de l'école genevoise est peut-être de ce type. Cela n'a pas été et n'est pas la<br />
nôtre, qui est une réforme du curriculum d'études.<br />
L'universitaire qui, pour embarrasser Pauline Marois, lui a récemment demandé ce<br />
qu'elle connaissait du socioconstructivisme s'est-il rendu compte du ridicule dont il<br />
faisait preuve en montrant son ignorance de la nature et des raisons d'une réforme qu'il<br />
aurait dû connaître?»<br />
N’est-ce pas mignon?<br />
Quiconque a assisté à la mise en place de la réforme, quiconque l’a pilotée,<br />
quiconque a sillonné, même en partie, les instruments d’implantation de la base<br />
documentaire faramineuse produite à cet effet par le MEQ, le MELS et, sous son<br />
inspiration, par les commissions scolaires, sait que l’approche par compétences, le<br />
psychocognitivisme, le constructivisme, le socioconstructivisme, la pédagogie du projet,<br />
l’approche coopérative et l’approche différenciée sont parmi les principales références<br />
inculquées lors des journées de formation, puis imposées, dans de nombreuses écoles,<br />
pour fonder la pratique de l’enseignement réformé, sous peine d’excommunication.<br />
Alors, ma nouvelle question est : qu’a-t-on fait au bébé d’Inchauspé pour que son<br />
papa ne le reconnaisse pas? En est-il bien le père? L’un des pères? Et où se trouve la<br />
maman? La mère porteuse?<br />
Et, avant de procéder au test de paternité (que, faute de budget de recherche, je ne<br />
pourrai compléter ici), ayant horreur de la mono-insaturation, je propose la voie de la<br />
324
polyinsaturation par deux lectures pour nourrir un débat sérieux. Jamais nous ne serons<br />
saturés de sagesse et, face à ce simple constat, il vaut mieux poly que mono…<br />
Le premier extrait provient d’une opinion libre exprimée dans Le Devoir, dans son<br />
édition du jeudi 12 mai 2005.<br />
Les auteurs en sont le professeur M’hammed Mellouki, chercheur régulier du<br />
CRIFPE 52 et le professeur Clermont Gauthier du département sur l’enseignement et<br />
l’apprentissage, titulaire de la Chaire de la recherche du Canada en formation à<br />
l’enseignement, membre régulier du CRIFPE, tous deux rattachés à l’Université Laval.<br />
«Dans un article publié dans Le Devoir du 23 février sur la réforme pédagogique en<br />
cours au Québec, nous avons demandé un temps d’arrêt pour évaluer les effets de<br />
ce qui se fait depuis cinq ans au primaire, avant de procéder à l’application de ladite<br />
réforme au secondaire comme prévu à partir de septembre 2005. Nous avions<br />
souligné, sur la base d’une analyse qui a porté sur un grand nombre de travaux<br />
de recherche, que les pédagogies de types constructivistes et assimilés,<br />
fortement recommandées par le ministère de l’Éducation, n’étaient pas de celles<br />
qui donnaient les meilleurs résultats avec les élèves des classes défavorisées et<br />
avec ceux qui éprouvaient des difficultés à l’école. C’est donc de la réforme des<br />
approches pédagogiques et de l’inefficacité de celles que le ministère de l’Éducation<br />
privilégie qu’il s’agissait.<br />
Dans leur réplique parue dans Le Devoir du 16 mars, Desautels et ses collaborateurs<br />
se portent à la défense des pédagogies constructivistes et socioconstructivistes sans<br />
un seul mot pour la réforme actuelle. Curieuse attitude qui risque de limiter le débat aux<br />
seuls initiés sans profit pour le lecteur ordinaire, ni pour les enseignants et les élèves<br />
52 Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante<br />
325
sur qui on expérimente des approches avant d’avoir pris les précautions scientifiques et<br />
éthiques qu’exige toute expérimentation du genre.<br />
Dissipons d’abord un malentendu : nous n’avons jamais affirmé que les pédagogies<br />
constructivistes et assimilées étaient inefficaces de manière absolue, mais qu’elles<br />
avaient produit des effets nuls ou plutôt négatifs sur l’apprentissage et la<br />
réussite scolaire des élèves qui proviennent des familles les moins scolarisées,<br />
celles des milieux populaires et ouvriers.<br />
Si les modèles constructivistes et consorts donnent de moins bons résultats auprès<br />
des catégories d’élèves susmentionnées, c’est qu’ils s’intéressent davantage à la<br />
manière dont les élèves apprennent – au processus d’apprentissage autrement<br />
dit – qu’à l’enseignement systématique et à l’évaluation rigoureuse de leurs<br />
apprentissages. De là le recours de plus en plus fréquent, dans ces approches, durant<br />
les 15 dernières années, aux évaluations de type subjectif : évaluation participative,<br />
évaluation authentique, portfolio, autoévaluation, etc.<br />
En ce qui concerne la signification même de l’avantage qu’a l’enseignement explicite<br />
sur les approches constructivistes, on peut avancer une hypothèse plus générale que<br />
des données internationales étayent. On peut la formuler de la façon suivante : les<br />
chances de succès des enfants des classes sociales populaires sont plus<br />
grandes dans les systèmes scolaires qui ont recours à des méthodes<br />
d’enseignement explicite et où les exigences et les règles de réussite sont<br />
clairement définies et connues des élèves.»<br />
Je ne vous supplie pas de croire Gauthier et Mellouki : je vous supplie de considérer<br />
leur point de vue comme un autre regard expert, sans lui attribuer, parce qu’il<br />
s’intéresse aux enfants des classes populaires, un parti-pris gauchisant.<br />
326
Le second extrait est tiré d’un texte des plus remarquables publié en 2006 par<br />
Normand Baillargeon, professeur en sciences de l’éducation à l’UQAM et<br />
membre du GREM, 53 , dans la revue Possibles (Vol. 30, numéro 1, Hiver-<br />
Printemps 2006).<br />
Avec votre permission, je commence par ses suaves citations :<br />
«Tout ce que je demande est que nous pensions à ce que nous faisons. H. Arendt<br />
Les problèmes de l'école tiennent bien moins à ceux qui la font qu'à ceux qui la pensent.<br />
Manon Boner-Gaillard<br />
Nous nous trouvons désormais confrontés à ce fait paradoxal que l'éducation est devenue un<br />
des principaux obstacles à l‘intelligence et à la liberté de penser.<br />
Bertrand Russell»<br />
Pour poursuivre avec la substantifique moelle :<br />
«(…) Je pense pouvoir dire avec assurance qu'on se serait épargné bien des erreurs<br />
si, avant de la mettre en œuvre, on avait apporté plus de soin à la clarification<br />
conceptuelle de la réforme envisagée. Mais bien des obstacles s'opposaient à ce<br />
modeste objectif. Les questions philosophiques, en éducation comme dans tout<br />
autre domaine qu'on voudra considérer, sont immensément difficiles et ne peuvent<br />
surtout pas se résoudre par le simple recours à des méthodes empiriques ou<br />
expérimentales ; s'y posent des problèmes spécifiques dont la résolution suppose<br />
le recours à l'analyse conceptuelle, laquelle a ses exigences et ses méthodes<br />
propres. Tout cela est aujourd'hui plutôt mal vu à l'université en général et dans les<br />
sciences de l'éducation en particulier, où on a bien d'autres choses à faire —<br />
notamment de la recherche subventionnée.<br />
53 Groupe de recherche sur l'éducation et les musées (GREM)<br />
327
(…) Quiconque aura trouvé convaincantes les analyses que je propose va<br />
immanquablement se demander comment et pourquoi on est arrivé à ce que je<br />
dénonce, à savoir à l'adoption et à la promotion de positions didactiques,<br />
curriculaires et pédagogiques profondément erronées et même discréditées à toutes<br />
fins utiles sur tous les plans, qui reposent de surcroît sur une vision pauvre et<br />
conceptuellement confuse de l'éducation et dont il est à craindre, comme je le<br />
suggérerai, qu'elles auront de dramatiques répercussions sociales et<br />
politiques, si du moins elles devaient être réellement et entièrement implantées.<br />
(…)Si j'ai raison en cela, il y a alors une certaine urgence à se pencher sur le travail<br />
qui s'accomplit dans les facultés de sciences de l’éducation, auxquelles il a<br />
justement depuis longtemps (trop?) déjà été confié la tâche de penser l'éducation.<br />
Après tout, ce sont bien elles qui ont été les conceptrices et les promotrices<br />
de la réforme. Comment expliquer les terribles carences que je mets à jour?<br />
(…)Il faut souligner ici que les recherches menées sur les méthodes pédagogiques<br />
convergent massivement pour inviter à conclure que, sur tous les plans, les<br />
méthodes traditionnelles d'instruction sont préférables, surtout pour les plus<br />
démunis culturellement.<br />
Ces recherches montrent encore que certaines des méthodes progressistes ont eu,<br />
cette fois encore notamment sur les plus démunis, des impacts catastrophiques –<br />
et en particulier pour l'apprentissage des savoirs de base : lecture, écriture,<br />
mathématiques.<br />
Dressant un imposant bilan des résultats de ces recherches, Jeanne S. Chall écrit :<br />
« La principale conclusion […] est qu'une approche traditionnelle de l'enseignement,<br />
centrée sur l'enseignant plutôt que sur l'enfant, résulte généralement en des<br />
résultats académiques supérieurs à ceux d'une approche progressiste [10]. » Toutes<br />
328
les recherches crédibles convergent vers cette conclusion, avec une constance dont<br />
il y a peu d'exemples dans toutes les sciences sociales.»<br />
Je ne vais pas vous supplier d’adhérer à l’analyse de Baillargeon dont j’ai le tort de<br />
ne conserver que les conclusions, vous privant de ses démonstrations par ailleurs trop<br />
fortement concentrées.<br />
Je saisis seulement le prétexte qu’elle m’offre encore de condamner la politisation<br />
de la pédagogie et de la didactique, non pas que l’éducation ne soit ni projet social, ni<br />
projet politique, mais parce que son but ultime, le meilleur devenir de chaque petit<br />
d’humain, commande un niveau de réflexion nettement plus haut que celui des us de<br />
notre Assemblée nationale.<br />
Parce que ce but ultime génère l’action sociale tout entière. Parce qu’il doit, pour ce<br />
faire, assujettir le droit, la politique et l’économie. Parce que cette action ne peut être<br />
différée pour nourrir des narcissismes intellectuels et qu’elle commande les brillantes<br />
conciliations dont les humains brillants sont capables.<br />
Pendant ce temps en France, la rentrée 2008-2009 arme un Darcos épris d’une<br />
«école "nouvelle génération" (c'est une école) qui comprend et anticipe les besoins de<br />
la société plutôt qu'elle ne contraint la société à se plier à ses propres exigences.»<br />
Ouf, ouf, ouf : thèse à venir sur l’utilitarisme mercantile de l’École "nouvelle<br />
génération"!<br />
Elle arme aussi, guerrier infatigable, un Meirieu qui fustige un «État (qui) se replie de<br />
plus en plus sur un fonctionnement technocratique strict, qu’il complète simplement par<br />
329
des dispositifs, tout aussi technocratiques, de soutien. C’est, estime Meirieu, une<br />
conception minimaliste de l’École.<br />
Quand, ajoute-t-il, on voit des décisions ahurissantes pleuvoir sans concertation, au<br />
mépris des travaux des chercheurs comme des expériences des enseignants, on se<br />
pose des questions sur le sens de la responsabilité des politiques et sur les effets d’un<br />
pilotage du système éducatif fondé sur la seule communication médiatique ! Quand on<br />
voit partout stigmatiser les enseignants et les accuser, en bloc, d’être responsables de<br />
la baisse du niveau et de la montée de la délinquance, de l’excitation des élèves et de<br />
la passivité de leurs parents, on trouve que les médias et les urbanistes, la publicité<br />
pulsionnelle et les exemples de comportements irresponsables au plus haut sommet de<br />
l’État sont un peu trop vite exonérés de toute responsabilité !»<br />
Souvenez-vous de cet axiome que j’ai posé dans les premiers chapitres : moins un<br />
système est en mesure de rendre des comptes, plus il en demande!<br />
Meirieu n’aurait néanmoins mon entière sympathie que s’il n’estompait pas la<br />
considération et le constat impératifs des déclins cognitifs de la clientèle scolaire au<br />
profit de la foi aveugle en les «travaux des chercheurs».<br />
L’acharnement à nier les évidentes débandades est-il un effet de l’âge?<br />
Notre Québec, devenu temporairement tranquille après les récentes élections,<br />
n’agite quant à lui-même plus les adéquistes, sorte d’épileptiques du scolaire, qui<br />
proposent des voies de progrès dans le cadre d’une culture politique réactionnaire :<br />
aller simple vers le capitalisme échevelé et le puritanisme du jumeau fédéralise<br />
conservateur! Éloge de l’antinomie!<br />
330
Les autres partis (au sens exact de «partis sans laisser d’adresse») balbutient des<br />
semblants de répliques et laissent tranquillement œuvrer l’hyperphénomène de la mort<br />
lente…<br />
331
332
Chapitre VIII<br />
Pollué payeur<br />
Dat veniam corvis, vexat censura columbas<br />
La censure pardonne aux corbeaux et poursuit les colombes<br />
(«Spécial» Conservateurs)<br />
24. Mauvaise et incomplète préparation des futurs enseignants, en particulier<br />
du régulier, malgré le passage de la formation initiale de trois à quatre ans au<br />
niveau du baccalauréat<br />
Ne trouvez-vous pas remarquable qu’un Clermont Gauthier, titulaire de la Chaire de<br />
la recherche du Canada en formation à l’enseignement recommande un moratoire qui,<br />
à ce stade, ne nous abusons pas de la poudre aux yeux, n’a pas eu lieu et ne donne<br />
pas signe qu’il s’en vient.<br />
Il s’agit de l’avis formulé par un expert de la formation à l’enseignement et cette<br />
expertise n’est pas sans poser la question des orientations de formation qui prévalent<br />
dans nos universités.<br />
Je puis vous dire par expérience que cette formation est monocentrée sur la<br />
réforme en cours.<br />
Centrée ne me dérangerait pas. Je continue de croire que de nombreux éléments de<br />
la réforme méritent d’être intégrés au curriculum universitaire de ces deux programmes.<br />
La formation monocentrée m’exaspère dans la mesure où, entre autres, elle exclut<br />
des voies d’apprentissage, dites traditionnelles, plus efficaces auprès des écoliers<br />
vulnérables et une programmation et une gradation notionnelles nettement plus<br />
systématiques. Elle fait également dramatiquement fi de l’effort et de l’apprentissage de<br />
l’indispensable tolérance à la frustration, en hypertrophiant l’espace de l’approche<br />
333
ludique. Elle rend l’approximation pédagogique acceptable et normalise le flou dans<br />
l’évaluation. Elle continue de prétendre que le socioconstructivisme est le fondement<br />
idéal de tout apprentissage. Elle y associe la pédagogie par projet et le tout à<br />
l’approche par compétences induisant, par cette alliance, une approche notionnelle du<br />
complexe vers le simple accroissant le risque d’inaccessibilité aux enfants d’intelligence<br />
plus concrète.<br />
Il lui est nécessaire de faire semblant que «la recette» est universellement<br />
consommable par tous les écoliers intégrés pour s’autoriser à minimiser les multiples<br />
impacts de la gestion de l’inclusion et les besoins de formation qui en découlent. Elle<br />
contribue à transformer la pédagogie différenciée en panacée. Elle prétend que<br />
l’approche coopérative est garante du transfert des apprentissages entre apprenants<br />
rapides et apprenants lents. Elle nie ou amenuise les rythmes différenciés de<br />
compréhension et de production. Elle ne porte pas de regard critique suffisant sur le<br />
système éducatif en place, minimise sa dimension systémique et ne s’élève pas au<br />
niveau d’indépendance apte à lui assurer son essentielle objectivité de calibre<br />
universitaire.<br />
Elle est donc en situation de compromission.<br />
Lorsque la formation au baccalauréat en éducation préscolaire et primaire et au<br />
baccalauréat en adaptation scolaire et sociale est passée de trois à quatre ans (de 90 à<br />
120 crédits), j’ai été sollicité, à la fois à titre de chargé de cours aux deux départements<br />
et à titre de directeur d’écoles régulières et spécialisées, pour donner avis sur les<br />
composantes des nouveaux programmes.<br />
334
En adaptation scolaire et sociale, j’ai beaucoup insisté sur l’accroissement de la<br />
formation en neurosciences cognitives et sur le maintien des cours couvrant toutes les<br />
catégories des EHDAA. J’ai demandé que soit lue avec grande circonspection la<br />
catégorie fourre-tout des élèves à risque et que les options du programme ne se<br />
teintent des égarements de son existence. J’ai signifié le besoin de bien préparer les<br />
intervenants en ASS relativement à la tenue des plans d’intervention, de service et de<br />
transition, collaborations y comprises.<br />
En éducation préscolaire et primaire, j’ai préconisé l’accroissement des cours relatifs<br />
au dépistage et à l’identification des EHDAA intégrés ou intégrables en CO, ainsi qu’à<br />
l’intervention auprès de ces élèves. J’ai recommandé une formation solide en<br />
neurosciences cognitives et suis intervenu de façon particulière pour que l’on ne néglige<br />
pas la formation relative au dépistage et à l’identification des troubles spécifiques<br />
d’apprentissage au profit obnubilant de la formation (à essence béhaviorale) sur la<br />
gestion des comportements difficiles. De même qu’en ASS, j’ai formulé une mise en<br />
garde sur la catégorie fourre-tout des élèves à risque et mentionné l’obligation de<br />
prévoir les exigences de formation sur la gestion de classe et sur la différenciation. J’ai<br />
signifié la même nécessité de préparer les intervenants en EPP relativement à la tenue<br />
concertée des plans d’intervention, de service et de transition et, compte tenu du rôle<br />
particulier du titulaire de classe au regard de la collaboration parentale, suggéré des<br />
cours dans ce domaine.<br />
Si la suite des événements a permis plusieurs des ajustements préconisés en ASS,<br />
c’est une autre paire de manches en éducation préscolaire et primaire où, comme je l’ai<br />
335
déjà rapporté, la formation est demeurée largement déficitaire en matière d’adaptation<br />
scolaire et sociale.<br />
J’ai aussi exploré quelques causes potentielles.<br />
Il est confondant de constater que la montagne des consultations menées<br />
provincialement auprès des gens de terrain a accouché d’une souris et cela l’est<br />
d’autant plus que l’unanimité s’était faite à la base pour transmettre au monde<br />
universitaire le constat des carences de formation des enseignants réguliers désormais<br />
aux prises avec une clientèle de plus en plus hétérogène. Cela est tellement surréaliste<br />
qu’une tentative d’explication s’impose.<br />
Quand un changement s’avère souhaitable et que sa réalisation est vouée au bien,<br />
s’il ne se réalise pas, c’est que quelque part, quelqu’un n’a pas voulu qu’il se fasse.<br />
Je suppute la cause valable puisque c’est celle que le MELS invoque à chaque fois<br />
qu’il échoue ses réformes. L’adage veut que le coupable soit généralement quelqu’un<br />
de la famille. En tout cas, je suis d’avis que quand le MELS pointe les responsables de<br />
ses propres bévues, ce sont assez régulièrement les méchants enseignants qui<br />
écopent : leur résistance pathologique au changement est la clé de voûte de ses<br />
explications pernicieuses. Je cherche donc, en matière de formation à l’enseignement,<br />
qui pourrait tirer profit des lacunes dans l’outillage en adaptation scolaire des futurs<br />
maîtres des champs du régulier et, sans presque d’efforts, je trouve non pas un<br />
coupable, ni deux, ni trois, mais quatre complices!<br />
Les quatre sont de la famille : nous ne ferons pas mentir l’adage.<br />
1-Le MELS ne désire pas que les enseignants soient mieux équipés qu’ils le sont en<br />
matière de dépistage et d’identification des EHDAA (par répercussion, en matière<br />
336
d’intervention) parce qu’il ne veut pas risquer le décontingentement des élèves<br />
vulnérables. Il en a fait la démonstration claire en adoptant la cynique et inique<br />
catégorie des élèves à risque.<br />
2- Le puissant lobby des disciplines d’enseignement ne veut pas perdre les<br />
espaces qu’occupent les disciplines en question. Selon son argumentation, une<br />
augmentation des cours en adaptation scolaire diminuerait les contenus disciplinaires<br />
de formation. Comme si l’on n’était pas capable de réaliser de l’intégration de matières!<br />
3-Beaucoup de professeurs ou chargés de cours de la formation universitaire à<br />
l’enseignement régulier ne réalisent pas ou ne sont pas en mesure de réaliser<br />
l’intégration de la didactique de leur discipline et de son orthodidactique. La diplomation<br />
précoce de troisième cycle fait également en sorte que la relève a une expérience très<br />
parcellaire du terrain et une tendance à le théoriser, chacun dans son champ<br />
disciplinaire.<br />
4-Enfin, l’organisation de l’enseignement facultaire par département crée un<br />
tribalisme et ses chasses gardées.<br />
On arguera à coup sûr que l’ajout de trop de cours en adaptation scolaire ferait<br />
courir le risque d’anormaliser le système. Comme je l’ai déjà mentionné et explicité, il<br />
serait bon qu’il le soit, pour, au contraire, normaliser l’anormal. Je rejette donc d’avance<br />
cette parade. Une fois rendus sur le terrain, les étudiants universitaires pâtissent de<br />
leur manque de formation adéquate et leurs jeunes clients en paient le lourd tribut :<br />
la pollution du système taxe allègrement ceux qu’elle pollue!<br />
337
338
Chapitre IX<br />
Capharnaüm du MELS, des commissions scolaires et des écoles<br />
339<br />
Dies irae<br />
Jour de colère !<br />
J’ai longuement exposé les méfaits et les crimes du système scolaire québécois.<br />
Sa situation n’est pas unique, je l’ai également mentionné, et il règne, pour les<br />
mêmes motifs, les mêmes ignominies en Angleterre, aux États-Unis (malgré le «No<br />
child left behind act of 2001», instauré en janvier 2002), en France, au Japon, en<br />
Russie, etc.<br />
Mais nous avons les systèmes éducatifs que nous méritons et il en est ainsi parce<br />
que ceux qui les font sont ceux que nous avons portés au pouvoir.<br />
C’est le motif pour lequel j’ai écrit, il y a quelques pages, ce que le système social<br />
fait, l’école le fait.<br />
Véritable leitmotiv dont on me blâmera à titre de rêveur, de gauchisant, de rêveur<br />
gauchisant, d’idiot invétéré ou les deux derniers à la fois : partout où pollue le<br />
capitalisme débridé, y compris dans poutine russe, la structure sociale est<br />
lourdement affectée.<br />
Bon, c’est reparti : je me paie la traite !<br />
Veuillez excuser cette «montée de lait», elle est force d’une nature dont mes filles<br />
prétendent qu’elle m’a fait homme rose... Alors, je reviendrai plus tard au MELS et au<br />
système éducatif. Je ne pense dalleurs pas m’en éloigner beaucoup..
La dictature économique impose sa culture : osmose, convergence clonante,<br />
abrutissement collectif «cellularisé», «radiophonisé», «ipodisé» et télévisé,<br />
asservissement, prédation, agressivité préférablement indirecte, cannibalisme virtuel<br />
inter et intragénérationnel («bouffer du prochain»), soumission, censure, détournements<br />
éthiques et déontologiques, tribalisme, élitisme, clans, marquage, perte identitaire,<br />
eugénisme, etc.<br />
Ceux et celles qui s’en tirent et brillent au firmament (Brel dirait «porcin») de la<br />
nouvelle bourgeoisie ont l’ego particulièrement en santé : ils ont le sentiment obèse que<br />
leur réussite tient à leurs talents, à leur positivisme, à leur volonté, à leur charisme. Ce<br />
sont des gagnants, des winners !<br />
De là à penser que les autres, les loosers, ont, dans le fond, ce qu’ils méritent, il n’y<br />
a qu’un pas que cette volée de paons franchit hardiment.<br />
Étant ce qu’ils sont et les minables ne l’étant pas, ils méritent les avantages<br />
pécuniaires de leur situation sociale. Ils frôlent le jet set ou, mieux, en font partie. C’est<br />
le people de la peopolisation, comme disent les Français snobinards (je veux dire ceux<br />
des Français qui le sont…)<br />
Et, sachant intimement que leur ascension n’est que duperie, ces nouveaux nobles<br />
par la grâce du Veau cristallisent leur position privilégiée usurpée par l’érection de<br />
règles et barèmes sociaux d’une hypocrisie sans limites.<br />
Parmi les barèmes sociaux qui viagraissent (sorte de mélange entre viagra et<br />
engraisser) ces glorieux, ils ont établi des niveaux salariaux démesurés qui, par la voie<br />
du seul système en cascades fonctionnel, justifient l’hypertrophie des revenus des<br />
gagnants subalternes.<br />
340
Quand un pousse-rondelle fait cinq, six, sept millions par saison, il y a de quoi<br />
gruger de ses incisives un bâton de hockey pour en faire un cure-dent ! Je sais, je<br />
retarde : le bâton de hockey n’est plus en bois.<br />
Et, naturellement, les médias qui sacralisent vont avoir eux aussi leur annonceur-<br />
vedette qui va brailler son maigre deux cent cinquante mille et le négocier à la hausse<br />
de ses cotes d’écoute, quitte à verser dans le sensationnalisme …<br />
De son côté, le convergent clan des acteurs-animateurs-humoristes-annonceurs de<br />
la guilde se prostitue à trois cent mille de base et fait hériter de millions le plus fin des<br />
chiens sales. Tout le monde s’en tape!<br />
Et ça se lèche et ça scratch my back, i’ll scratch yours : les règles de la<br />
convergence, c’est celle du retour de l’ascenseur et de «ma langue lèche mieux que la<br />
tienne».<br />
L’idée, c’est de limiter l’afflux de trop de people et, je présume que ceux qui ont cédé<br />
à la convergence le savent, de fidéliser les toutous. Et ça marche. Et ça lape sec !<br />
Le dieu Argent rançonne les âmes dans tous les champs, même communistes, de la<br />
planète, «ne laissant nulle place où la main ne passe et repasse».<br />
Cela n’est pas imposé, comme dans les films de fiction, par une machine infernale<br />
du style fauteuil de dentiste et vieux casque de salon de coiffure. Cela est distillé à<br />
petites doses par les médias complices, par le discours politique, par la culture et la<br />
structure organisationnelle des institutions publiques comme privées.<br />
De fait, toute l’action sociale détournée (comme les fonds Norbourg ou les<br />
commandites du scandale) concourt à la promotion de l’idéologie économique<br />
dominante : celle de l’exploitation de l’homme par l’homme.<br />
341
Les ambitions du prédateur sont devenues illimitées à tel point, malgré les flaflas<br />
discursifs, que certains des politiciens (que nous avons élus !) envisagent sans<br />
vergogne le sacrifice des plus vulnérables sur l’autel du profit.<br />
Détrompez-vous, je ne fais ici point métaphore, je décris ce qu’a accéléré la<br />
mondialisation dans ce qu’elle a de plus primitif, de plus immoral : faire périr des<br />
individus, ne pas les secourir, les exploiter, voler leurs richesses naturelles, les priver<br />
de soins, s’en servir comme cobayes, leur inoculer des maladies, les assoiffer, les<br />
affamer, les laisser et préférablement les faire s’entretuer.<br />
Si vous n’avez pas vu cela, si vous n’avez pas lu cela, alors on vous a remplacé les<br />
yeux et les oreilles par des prothèses aseptisantes et, pour plus de précautions, lavé le<br />
cerveau (ou remplacé par une éponge de chez Wall-Mart : c’est tellement plus<br />
absorbant !).<br />
Bon, d’accord, vous n’êtes nullement obligés d’adhérer à cette épouvantable<br />
description décapante des délices de notre civilisation.<br />
Mais, que diable, considérez au minimum que ça va fichtrement mal!<br />
Dans les cinq parties de ce chapitre, pour vous reposer un peu, je vais changer de<br />
registre et vous jaser solutions.<br />
Ne vous lassez donc pas des titres qui rappellent quelques-unes des tares qui<br />
pèsent sur le système éducatif, d’aucunes ici comme ailleurs : persévérez dans votre<br />
lecture avec autant d’énergie que le système en consacre à nourrir ses inepties…<br />
Les solutions que je vais avancer sont celles auxquelles m’ont conduit mes constats<br />
et, en ce sens, elles reflètent donc mon unique point de vue.<br />
342
Étant donné que j’ai, à de multiples reprises, attiré l’attention du lecteur sur la<br />
reconnaissance concomitante d’innombrables points de vue convergents et divergents,<br />
je tiens à préciser que ces solutions ne sont ni voie, ni vérité, ni vie : elles sont autant<br />
d’invitations à d’indispensables, musclées et saines confrontations.<br />
25. Focalisation sur la diplomatie et le sens politique dans le système rétrograde<br />
et (également) inutilement politisé des commissions scolaires<br />
Il suffit d’observer quels paliers et quelles fonctions sont politisés dans le système<br />
éducatif québécois pour déterminer les cibles à combattre ou abattre. Je ne vois, en<br />
effet, guère comment l’on pourrait se contenter des sparages qui revampent<br />
régulièrement la façade décrépite d’une architecture décadente.<br />
A) Les commissions scolaires<br />
J’ajusterai d’abord la mire sur les commissions scolaires. Je n’insisterai pas outre<br />
mesure sur la démonstration répétitive du désintéressement de la population quant aux<br />
élections des commissaires. Le ridicule ne tue pas; s’il tuait, cela fait longtemps que les<br />
épitaphes seraient rédigées …<br />
La parodie a assez duré : la représentation politique des CS a rejeté chacune de ses<br />
greffes cœur-poumon et ce n’est certes pas le respirateur artificiel qui la maintient en<br />
permanente situation d’insuffisance cardiorespiratoire qui rassure sur la pratique<br />
démocratique en milieu scolaire. La situation électorale famélique y parle d’elle-même!<br />
C’est sans doute sous le gouvernement du Parti québécois, après son triomphe aux<br />
élections de 76, que l’on est passé le plus près d’abroger définitivement l’impôt foncier<br />
scolaire et du même coup de couper la tête de l’hydre, mais deux éléments l’en ont<br />
343
prudemment «empêché» qui illustrent la nature dévoyée des motifs de la prolongation<br />
plus que trentenaire de la grossière indécence :<br />
1) la couleur politique des CS, tant dans les zones métropolitaines de quelque<br />
importance que dans les milieux ruraux, teinte assez uniformément les paliers<br />
municipaux et scolaires et, malgré leur absence de représentativité, les CS ont<br />
conservé la force et l’impact politiques de la structure qui les supporte.<br />
Stratégiquement investies par des cliques, plusieurs commissions scolaires peuvent<br />
représenter des influences électorales à s’allier plutôt que se mettre à dos. Il vaut<br />
mieux jouer de prudence et ne pas s’en faire des adversaires…encore en 2008!<br />
2) L’impôt foncier scolaire continue de justifier la structure politique des CS. S’il avait<br />
été abrogé, on aurait ouvert le carcan légal qui impose une représentation politique<br />
dans le scolaire.<br />
Mais l’impôt foncier scolaire n’a pas été aboli. Pourquoi? Pour la simple raison que<br />
les tentatives de l’éliminer se seraient naturellement accompagnées d’une<br />
centralisation de ce champ de taxation pour récupérer le montant de financement<br />
correspondant. Or les gouvernements successifs ont préféré limiter et encadrer le<br />
pouvoir local de taxation scolaire (qui créait des disparités entre riches et pauvres<br />
CS), récupérer subtilement une partie des points de taxe, puis, plus subtilement<br />
encore, débrider leurs propres encadrements pour permettre aux CS de regagner<br />
les marges «perdues» : c’est le passage des 25 cennes au 35 cennes par 100<br />
dollars d’évaluation foncière…<br />
Cela fait évidemment partie des tours de passe-passe que le ME LS s’autorise pour<br />
faire du «plus-moins-égal-zéro»…<br />
344
À la question peut-on abroger l’impôt foncier scolaire, la réponse est oui.<br />
À la question faut-il préserver une représentation politique locale, la réponse est<br />
non : elle n’est d’aucune utilité et le faible taux de participation aux élections<br />
scolaires est très éloquent sur le plan de sa non-représentativité.<br />
Les CS et leur fédération défendent le point de vue qu’elles sont indispensables.<br />
Qu’en est-il?<br />
3) Dans une CS, toutes les décisions du Conseil des commissaires pourraient être<br />
prises par d’autres instances sans rendre le système et ses institutions<br />
dysfonctionnelles.<br />
4) Beaucoup de ces décisions peuvent être prises centralement, au palier provincial.<br />
5) Les immobilisations peuvent être décidées centralement par le MELS : de toute<br />
façon, c’est lui qui les autorise pour la plupart et, quand il ne les autorise pas, elles<br />
témoignent régulièrement d’un détournement des argents de l’Éducation vers la<br />
brique (mais généralement pas vers les travaux d’entretien prioritaires…)<br />
6) Les services d’une CS assument toutes les fonctions exécutives selon des<br />
standards dont la majorité est décrétée à l’échelle nationale. Il n’est nul besoin d’un<br />
conseil et de son comité exécutif pour cela.<br />
7) Dans une nation de sept millions d’habitants, la décentralisation ne requiert pas un<br />
palier intermédiaire entre l’instance centrale et les établissements scolaires. À ce<br />
stade, pour le leurre de la représentation politique locale, il y a surdécentralisation<br />
et beaucoup d’énergies sont dépensées en pure perte, chaque conseil, dans son<br />
coin de province, réinventant le bouton à quatre trous ou, quand il innove, la<br />
fermeture éclair.<br />
345
8) La décentralisation s’avère nuisible quand elle atteint des éléments fonctionnels du<br />
système éducatif : si l’on a cru bon rendre normatif le PFÉQ, il est impossible de<br />
comprendre, sauf les gymnastiques constructivistes à géométrie et atterrissage<br />
variables, pourquoi le bulletin scolaire qui doit aussi témoigner de la rencontre des<br />
standards nationaux devrait être élaboré localement.<br />
9) Un certain nombre de services ne sont pas de nature scolaire : l’infrastructure<br />
municipale pourrait fort bien s’en acquitter, quitte à hériter de l’expertise scolaire<br />
acquise dans des champs particuliers (ex. : embauche ou transport scolaire)<br />
10) Un certain nombre de services sont improductifs : il n’y a d’avantages à retirer de<br />
l’existence des conseillers pédagogiques (CP) qu’en les dispersant sur le terrain.<br />
Lorsqu’ils se cantonnent ou sont cantonnés à leur bureau, ils sont plus nuisibles<br />
qu’utiles. En effet, tout comme pour ceux des universitaires qui sont réfugiés dans<br />
leurs officines, la déconnexion avec la réalité s’accentue avec le cantonnement.<br />
11) De plus, je ne prône pas la multiplication des CP : il est préférable d’envisager une<br />
bonification et une intégration professionnelle de la formation continue des<br />
intervenants scolaires que l’augmentation du nombre d’experts hors besogne. D’une<br />
part, les conseillers ne sont pas les payeurs et d’autre part, les conseillers<br />
déconnectés développent une compétence transversale aérienne à la lévitation…<br />
12) Il serait donc nécessaire et aisé de recenser ceux des services (non déplaçables<br />
au palier municipal) qui doivent être à tout prix regroupés et ce regroupement<br />
pourrait revêtir une structure suprarégionale très, très, très allégée.<br />
13) Vous avez remarqué que je n’ai pas beaucoup parlé de la direction générale des<br />
CS. Ce n’est généralement pas un service. Je n’en ai connu qu’une qui le soit, sous<br />
346
l’inspiration de son DG d’exception, Monsieur Bernard Desruisseaux. Mais c’est, le<br />
plus souvent, un point de jonction entre le politique et l’exécutif : supprimez l’inutile<br />
politique et vous venez de supprimer l’inutile point de jonction. De toute façon, à part<br />
émettre les «nouvelles» directives à propos d’opérations répétées annuellement et<br />
se persuader que c’est elle qui initie les plans de réussite de SES établissements, la<br />
direction générale usuelle d’une CS ne fait pas grand-chose d’exclusif, sauf dorer<br />
son propre blason.<br />
Ce sont, de fait, les services et les établissements qui travaillent pour elle et, comme<br />
moins elle est en mesure de rendre des comptes, plus elle en demande aux paliers<br />
qu’elle infériorise, si on la supprimait, les services continueraient de travailler,<br />
d’ailleurs probablement mieux pour la clientèle! Il est, à mes yeux, hautement<br />
probable que, si les plans de réussite fonctionnent moins bien qu’ils ne le devraient,<br />
cela est attribuable au siphonnage improductif de l’actualisation des paliers<br />
«inférieurs» par la virtualité obsessive compulsive qui pilote les CS, le paraître<br />
assujettissant l’être et le faire. C’est une forme coûteuse et pernicieuse de catalyse<br />
que d’octroyer un leadership du type trou noir ou sangsue : la direction générale<br />
d’une CS devrait être, comme toute partie haute de la pyramide, au service de la<br />
base, non le contraire, et encore moins la vider de son sang!<br />
Par ailleurs, chaque palier de l’actuelle pyramide est le valet volontairement ou<br />
involontairement soumis du palier supérieur et, relativement à la direction générale<br />
des CS, la dévotion complaisante au palier gouvernemental et à ses formes<br />
fallacieuses de gouvernance pseudo-intégrée est passée, depuis longtemps, au<br />
347
ang des vertus. Quand, la dernière fois, avez-vous tempêté les DG des CS face<br />
aux déroutes du système scolaire? Face à ces lacunes? Pour les plus vulnérables?<br />
Dans notre structure sociale actuelle, c’est le mutisme qui donne libre accès aux<br />
raisons d’État, celles qui autorisent, en toutes circonstances, à agir sans jamais fournir<br />
d’explications quant à ses vrais motifs.<br />
S’il est évident que notre actuel Premier ministre (fédéral), l’honorable Stephen<br />
Harper, est passé maître en cette matière, s’il apparaît que l’honorable et fort habile<br />
Jean Charest, Premier ministre du Québec, s’en tire, ma foi, plutôt excellemment en ce<br />
domaine, il est tout aussi probant que la conduite des CS revêt un caractère étatique<br />
qui, pas toujours, mais souvent, fait se vautrer allègrement certains DG dans le plus pur<br />
machiavélisme.<br />
B) Le MELS<br />
L’appareil d’État québécois souffre d’embonpoint (encore plus depuis les dernières<br />
élections) et le ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport n’échappe pas à cette<br />
bouffissure, sauf sa ministre... Je ne veux pas fustiger les gens qui y travaillent et qui,<br />
au quotidien, donnent, pour plusieurs, le meilleur d’eux-mêmes.<br />
Toutefois, donner le meilleur de soi-même dans une infrastructure aussi<br />
démesurément enflée n’est pas gage des meilleures retombées. Quand les pharaons<br />
élèvent le sommet de la pyramide jusqu’aux confins des cieux, il n’est pas sûr que les<br />
faces, les pierres (y compris angulaires…) et les étages se connaissent, même si<br />
l’ensemble de la structure apparaît fiable et solide.<br />
Le monolithisme guette la fonction homéostatique d’un tel système parce qu’il crée<br />
l’illusion, en se campant d’autorité sur des positions indiscutées et indiscutables,<br />
348
d’assurer la stabilité normative. Cela est particulièrement flagrant dans la persistance<br />
du MELS (du MEQ) dans ses erreurs et dans son allergie à les considérer, les avouer<br />
et les corriger.<br />
L’autre risque, malgré cette hiérarchie autocratique, est l’effet de dispersion.<br />
Le film documentaire de Paul Arcand sur les voleurs d’enfance illustre bien, au<br />
regard de la protection de l’enfance, la puissante imbécillité que constitue un<br />
organigramme labyrinthique et son effet contraire en matière de qualité des suivis.<br />
Trop corpulent, le MELS se compartimente et se sclérose, tant et si bien que ses<br />
multiples bras (j’ai failli écrire «gras») finissent régulièrement par échafauder des plans<br />
contradictoires, factuellement concoctés par des hémisphères qui s’ignorent.<br />
En quoi le MEQ / MELS est-il politisé, me demanderez-vous?<br />
Il l’est moins de ses ministres (24 en 44 ans, dont seulement 3 femmes : Robillard,<br />
Marois, Courchesne) qui, malgré leur coloration politique différente, libérale ou<br />
péquiste, se teintent des couleurs du haut fonctionnariat qui le gouverne réellement.<br />
Le MEQ / MELS est donc politisé de ses hauts fonctionnaires dont l’emprise sur ses<br />
destinées est assurément totalement démesurée.<br />
Osmose et symbiose programment et reprogramment ad nauseam une ribambelle<br />
de clones dont seul l’habit (qui ne fait ni le moine ni la moinerie) les distingue. Dans<br />
mes jours de clémence, je présume que ce phénomène génétique singulier est<br />
inévitable et qu’à force de vivre dans un bain de culture si homogène les monozygotes<br />
se multiplient. Sans doute le phénomène de la consécration, sanction de l’excellence<br />
dans la convergence plutôt que sanction dans l’excellence des écarts à l’osmose, a-t-il<br />
aussi quelque influence sur cette gémellation.<br />
349
Compte tenu de l’extraordinaire influence des véritables décideurs du MELS,<br />
compte tenu de son aspect néfaste, compte tenu de leur incapacité à considérer leurs<br />
bévues et déviances, compte tenu enfin de la démonstration qu’ils ont amplement faite<br />
de leur absolutisme et de leur acharnement à perpétrer, sans remords, leurs erreurs au<br />
préjudice tant de milliers d’écoliers dits ordinaires que de milliers d’écoliers parmi les<br />
plus vulnérables, il convient d’abolir la permanence de leurs fonctions.<br />
Je propose donc l’établissement de septennats pour occuper les postes de<br />
commande et le non-renouvellement du mandat attribué.<br />
Cette mandature est d’une durée justement efficace à ce niveau d’influence : elle<br />
permet des réalisations optimales, mais abroge la prolongation de dégâts potentiels et<br />
l’enfermement content des mandarins dans la suffisance et la complaisance, en haut de<br />
leurs tours d’ivoire, d’où (elle est facile, mais que diable, lâchons-nous!) ils n’y voient<br />
rien.<br />
L’instauration des septennats doit s’accompagner d’un aplatissement de la structure<br />
et d’une décentralisation des ressources récupérées vers la base, là où elles font<br />
cruellement défaut.<br />
Le palier régional du MELS pourrait, sans enflure, devenir l’instance suprarégionale<br />
que j’ai déjà mentionnée et récupérer, à la suite de l’abolition des C.S., celles des<br />
fonctions qui découlent de l’exclusivité de la mission afin que leurs ressources<br />
financières et humaines ne deviennent pas assimilées aux ressources municipales.<br />
Grosso modo, je vois aisément passer les services de la paie, des ressources<br />
matérielles et la gestion du transport scolaire au palier des municipalités ou<br />
municipalités régionales, avec transfert des budgets afférents et des fonctions<br />
350
complémentaires, tandis que seraient attribuées au palier suprarégional du MELS les<br />
services juridiques, l’embauche des intervenants scolaires, les services financiers à<br />
caractère éducatif et, bien sûr, les services aux élèves et ceux de l’adaptation scolaire.<br />
C) Les écoles<br />
Examinons, dans un premier temps, certaines assertions (partagées) d’un formateur 54<br />
de directions d’établissement. Les extraits proviennent d’un article intitulé «Devenir<br />
dirigeant en éducation : entre passages et ruptures».<br />
Dans cet article, Guy Pelletier intervient sur 9 paramètres liés à l’accession à la<br />
nouvelle fonction :<br />
1. Le « deuil de la classe » ; 2. L’identité professionnelle<br />
métissée ;<br />
3. La gestion de la « distance<br />
4. Le devoir d’explicitation et de<br />
sociale »<br />
conviction<br />
5. Le travail en équipe et la loyauté<br />
6. Les incontournables habiletés<br />
politiques<br />
7. Le rapport au temps 8. Le leadership pédagogique<br />
9. L’équilibre de soi<br />
Je ne m’attarderai pas à toutes les composantes.<br />
En ce qui concerne la seconde, je souscris aux propos de Pelletier :<br />
«Le passage d’enseignant à dirigeant conduit donc à un déséquilibre au niveau<br />
de ses compétences professionnelles et, de ce fait, l’on n’est pas sans éprouver un<br />
certain sentiment d’incompétence. On est alors à la recherche de nouveaux<br />
comportements et l’on pourra avoir tendance à transposer des attitudes et des<br />
comportements que l’on a acquis en tant qu’enseignant, voire à référer à des modèles<br />
54 Guy Pelletier, Ph. D. Professeur au Département de la gestion de l'éducation et de la formation Université de Sherbrooke<br />
351
d’exercice de l’autorité qui peuvent remonter jusqu’à notre enfance. Cette situation ne<br />
sera pas sans poser, à l’occasion, quelques dérapages dont on saurait bien se passer.<br />
Ainsi, on pourrait traiter les situations rencontrées avec le personnel sous le même<br />
registre que celui utilisé jusqu’ici avec les élèves ou les étudiants. Ce registre va bien<br />
au-delà de la simple interaction, mais s’inscrit dans la structuration même de la<br />
relation et de son rapport au temps(…).»<br />
Puisqu’il est question du temps et de sa gestion et sans omettre de souligner mon<br />
accord quant aux exigences astronomiques de la tâche, voici ce qu’avance l’auteur :<br />
«Le temps constitue donc une ressource stratégique qu’il est essentiel de se<br />
réapproprier sur un mode différent lorsque l’on devient dirigeant. En conséquence, il<br />
faut revoir et assouplir toutes ses notions concernant le temps… Par exemple, on<br />
observera qu’il y a beaucoup de gens pressés, mais qu’en est-il des urgences<br />
véritables ? Puis, en bien des circonstances, il faut apprendre à se hâter lentement…<br />
Comme le dit si bien le proverbe arabe « il y a du bien et du bon dans chaque retard ».<br />
Pour ma part, j’ai un dossier que j’ai intitulé « trop tard » et qui contient des<br />
artéfacts d’éléments dont je me demande encore pourquoi ils m’avaient autant stressé<br />
à l’époque…»<br />
Description qui m’apparaît tout à fait juste de l’adaptation à laquelle se livrent la<br />
plupart des gestionnaires des écoles.<br />
Encore me faut-il spécifier que cette «faculté» procède non de l’adéquation aux<br />
exigences de la fonction, mais bel et bien à l’inadéquation de ses composantes. Force<br />
est, en effet, de constater que, dans les sacrifices (nombreux) au dossier du «trop<br />
tard», se trouve, entre autres, la saine coordination des plans d’intervention!<br />
Mais ne stressons pas! Poursuivons plutôt avec «Les incontournables habiletés<br />
politiques» :<br />
«On ne devient pas dirigeant tout seul, pas plus que l’on dirige tout seul. Le soutien<br />
et la collaboration des uns et des autres sont essentiels pour se déployer dans ce<br />
352
métier, pour conduire ses dossiers et mener à terme ses projets. L’importance de la<br />
maîtrise des habiletés politiques pour comprendre les situations, pour établir des<br />
alliances, pour obtenir les ressources nécessaires, pour gérer les conflits est souvent<br />
l’un des premiers constats des dirigeants novices.<br />
Cette situation se manifeste aussi sous une autre forme. Pour obtenir un poste<br />
de direction, il faut bénéficier de l’appui de personnes ou de groupes d’intérêt. Même<br />
lorsqu’il y a existence d’un processus de sélection considéré comme « impersonnel »,<br />
une entrée en fonction réussie ne peut s’effectuer sans un certain soutien et un jeu<br />
d’alliances plus ou moins tacites. Par ailleurs, l’existence de réseaux de support mutuel<br />
est indispensable pour réaliser avec efficacité ses tâches, mais encore plus pour se<br />
déployer avec sérénité dans son développement professionnel. (…)»<br />
Je ne vais pas commenter immédiatement le choix de cet axe professionnel par<br />
Pelletier. Je vais me contenter de déclarer que le formateur effectue d’abord ce qui est<br />
un constat factuel, pour ensuite promouvoir ce constat en compétence.<br />
Je vais terminer par ce dernier extrait qui porte sur «Le travail en équipe et la<br />
loyauté».<br />
«Or, devenir dirigeant c’est apprendre à marcher sur soi, à faire siennes des<br />
décisions qui nous irritent, à développer et à assumer une loyauté jusqu’ici inconnue<br />
avec ses collègues de la direction et avec ses supérieurs, et cela même si l’on ne<br />
partage pas leur avis. Ainsi, en tant qu’enseignant, je peux me montrer très critique à<br />
l’égard de la « hiérarchie des patrons » et de leur décision. En tant que membre de<br />
cette structure hiérarchique, je dois composer avec une certaine réserve, accéder à une<br />
certaine tolérance et davantage chercher à comprendre la légitimité de décisions que<br />
j’aurais probablement classées naguère dans le bestiaire des gestes manqués, voire<br />
carrément des idées imbéciles. Bref, je dois accepter et faire miennes des décisions<br />
prises par d’autres collègues de la direction, dont j’aurais bien su me passer, car, à<br />
défaut, c’est ma propre crédibilité qui est en jeu. Si mon sens critique doit demeurer,<br />
voire se décupler, il ne peut plus se manifester de la même façon.»<br />
353
J’ai vu, aux mains d’habiles politiciens récemment débarqués dans leur nouvelle<br />
demeure, se fermer des points de services dédiés aux EHDAA pourtant longuement<br />
ancrés dans leur milieu et opérationnels…Trop vif (Saint) esprit de Saint-Aise?<br />
J’ai vu, «pour se déployer dans la profession», des collègues frisant l’excellence<br />
jusqu’à s’en faire un afro, ne pas hésiter, à l’appel du tsar, à se sublimer en en<br />
fossoyant d’autres…<br />
Bref, voilà donc additionnés en une mixture fétide, la compétence politique qui<br />
permet «une entrée en fonction réussie» (j’ajouterai qu’elle commande également la<br />
promotion par «léchage») et la loyauté abrutie qui rendent légitimes des «décisions<br />
que j’aurais probablement classées naguère dans le bestiaire des gestes manqués,<br />
voire carrément des idées imbéciles.»<br />
Le plus surprenant n’est pas l’amalgame, c’est sa proclamation de la politicaillerie et<br />
de l’imbécillité complice en compétences attendues : celle, aussi, d’une tolérance<br />
«moufettement» puante à l’ambigüité!<br />
Le produit fini, c’est, par déviance, le choix de la loyauté envers la hiérarchie<br />
organisationnelle à l’encontre, trop souvent, de la primauté absolue de la loyauté<br />
envers la clientèle desservie!<br />
La politique passe donc, actuellement et indéniablement, par la direction et passe<br />
par certains CO. Elle est génératrice d’impéritie chez les gestionnaires des<br />
établissements scolaires : on ne peut être à la fois administrateur et catalyseur<br />
pédagogique sans encourir de graves conflits (ou sans tripler son temps, ce qui génère<br />
aussi d’autres graves conflits…)<br />
354
Dans le modèle actuel, les directions des établissements scolaires publics sont, pour<br />
la plupart, coincées entre l’arbre et l’écorce : (presque) sur le terrain, elles ne peuvent<br />
en ignorer les réalités et besoins, cependant qu’elles sont confrontées aux pressions<br />
administratives contradictoires.<br />
Elles ont également à gérer le conflit qui, perpétuellement dans ce système bancal,<br />
oppose les réponses à apporter à la clientèle dite régulière aux réponses à apporter à la<br />
clientèle HDAA. Cette compétition institutionnalisée disposant en dernier recours de la<br />
distribution des ressources, les directions des écoles exercent le choix de Sophie,<br />
penchant inexorablement vers le bien de la majorité (électorale) plutôt que vers le bien<br />
(et la réussite) du plus grand nombre…<br />
Que celui qui prétendrait à une valable conciliation reçoive la première pierre!<br />
Comme on ne peut pas servir adéquatement deux maîtres en même temps, ces<br />
mêmes directions ne peuvent à la fois catalyser bien la pédagogie (et ses «à-côtés»,<br />
tels la supervision, l’évaluation, le classement, l’encadrement et la discipline,<br />
l’adaptation scolaire et sociale et ses services particuliers et complémentaires, la<br />
gestion et la coordination des P.I., les relations aux élèves, aux parents et celles aux<br />
intervenants…) et administrer bien les finances dont la décentralisation a occasionné un<br />
pelletage comptable insensé. Toutefois, le nerf de la guerre et celui des grades étant le<br />
fric, les directions, autoproclamées «leaders-naturels-sortis-de-la-masse», ont une<br />
inclination (qui finit par être) tout aussi naturelle pour leur rôle d’administrateurs<br />
scolaires, celui-là même qui les promeut au rang de cadres 55 . Cette inclination résulte<br />
sans équivoque de l’éclatement effectif de la tâche qui permet à la FQDE de<br />
déterminer, tout à son honneur, les paramètres de sa mission : «promouvoir le<br />
55 Cadres que certains commissaires, dans une attention «coupa-b-le», veulent parfois «accrocher au mur»<br />
355
développement professionnel et l'excellence dans la direction des établissements<br />
d'enseignement au Québec»; le problème étant néanmoins de déterminer les<br />
paramètres du développement professionnel et de définir «l’excellence dans la<br />
direction»…<br />
Il n’est pas inutile de savoir que le classement salarial des cadres de la Fonction<br />
publique résulte de la complexité des tâches à administrer comme, presque toujours, du<br />
nombre de «subalternes 56 » qui vont contribuer : ces données définissent les niveaux de<br />
responsabilité et de pouvoir exercés.<br />
Sur le plan de la motivation, laquelle passe par trois pôles attractifs, la complexité du<br />
rôle, la reconnaissance et le traitement, tout concourt pour figer la profession dans la<br />
dualité antinomique de sa structure.<br />
Il arrive conséquemment à la FQDE de défendre régulièrement l’idée qu’une<br />
augmentation des pouvoirs de ses membres, à la tête d’écoles plus autonomes,<br />
conclurait la reconnaissance de leur rôle essentiel. Cette augmentation des pouvoirs se<br />
calque à la fois sur la latitude fonctionnelle dont jouit le réseau des écoles privées<br />
québécoises, de la confusion ridicule entre cette latitude et les résultats obtenus dans<br />
un enseignement privé (voulu) encore largement sélectif et de l’attirance qu’a<br />
provoquée une réforme analogue du modèle suédois.<br />
Observons donc ce fameux modèle suédois, qui a tellement inspiré l’A.D.Q.<br />
moribonde et qui a expérimenté une décentralisation à outrance, assortie des bons<br />
d’éducation (les vouchers) et d’un pouvoir quasi dictatorial des chefs d’établissement.<br />
Dans ce modèle, le rôle de la direction d’école a été grandement amplifié.<br />
56 Au sens purement hiérarchique, dans une construction pyramidale.<br />
356
Il convient d’observer quelques-uns des objets de cette amplification :<br />
o Le pouvoir discrétionnaire de recruter et d’embaucher;<br />
o Le pouvoir discrétionnaire de congédier;<br />
o Le pouvoir de moduler les salaires;<br />
o Le pouvoir discrétionnaire de définir les tâches;<br />
o Le pouvoir de financer;<br />
o Le pouvoir de marauder (de concurrencer, de compétitionner)<br />
o Le pouvoir discrétionnaire de définir le projet éducatif ;<br />
o Le pouvoir d’établir les partenariats.<br />
Force est de constater que la Suède a ainsi transformé en réseau privé son réseau<br />
public : dans le fond, les «directions (très, très, trop) GÉNÉRALES» des écoles privées<br />
du Québec fonctionnent avec les mêmes prérogatives, à la différence (minime) que<br />
leurs vouchers proviennent des contributions parentales<br />
Une étude récente (septembre 2008), pilotée par Anders Böhlmark, membre du<br />
SOFI, Université de Stockholm et Mikael Lindahl, membre de l’IFAU et l’IZA, de<br />
l’Université d’Uppsala et publiée par l’IZA 57 conclut à l’inefficacité à long terme de cette<br />
forme déviante de P.P.P. étatisé :<br />
«This paper evaluates general achievement effects of choice and competition between<br />
private and public schools at the nine-year school level by assessing a radical voucher<br />
reform that was implemented in Sweden in 1992. Starting from a situation where the<br />
public schools essentially were monopolists on all local school markets, the degree of<br />
privatization has developed very differently across municipalities over time as a result of<br />
this reform.<br />
We estimate the impact of an increase in private enrolment on short, medium and longterm<br />
educational outcomes of all pupils using within-municipality variation over time,<br />
and control for differential pre-reform and concurrent municipality trends. We find that an<br />
increase in the private school share moderately improves short-term educational<br />
outcomes such as 9thgrade GPA and the fraction of students who choose an academic<br />
high school track.<br />
57 The Institute for the Study of Labor (IZA)<br />
357
However, we do not find any impact on medium or long-term educational outcomes<br />
such as high school GPA, university attainment or years of schooling.<br />
We conclude that the first-order short-term effect is too small to yield lasting positive<br />
effects. »<br />
Ô rage, ô désespoir, ô réel ennemi,<br />
N’avons-nous d’ADQ que pour cette infamie!<br />
Il faudra à Mario (ou autre…) trouver autre modèle<br />
Si l’ADQ ne veut (re)faire une folle d’elle…<br />
Adieu donc brisure de la convention,<br />
Le MELS ne sera pas concédé aux patrons!<br />
«Ci-gi-lles» à l’éminence grise,<br />
Un peu trop à la droite<br />
De sa propre expertise…<br />
Envisageons (plus?) sérieusement que l’administration scolaire est aux prises avec<br />
une problématique de fond qu’il faut considérer autrement que comme un problème<br />
d’insertion professionnelle.<br />
Le rapport 2006 de la FQDE est, en ce sens, une base de réflexion qui n’a pas, à ce<br />
stade, trouver l’écho qu’il mérite. Le motif en est, comme je l’ai analysé, l’ambigüité qui<br />
prévaut quant à l’orientation-maîtresse de la fonction :<br />
administration scolaire ou catalyse pédagogique.<br />
Relativement à leur vision anticipée et désirée de la pratique, 90% des nouvelles<br />
recrues à la direction des établissements d’enseignement précisent avoir choisi la<br />
profession pour «relever le défi que cela représentait pour elles», ce défi se traduisant<br />
par l’exercice prioritaire des rôles suivants.<br />
1. Influencer le climat de l’école : collaboration, formation d’équipes de travail, projets<br />
rassembleurs et dynamisants, choix de 94% des recrues;<br />
358
2. assumer un leadership pédagogique 58 : animation, supervision, accompagnement,<br />
choix de 84% des recrues.<br />
3. Opérer et opérationnaliser la gestion pédagogique : régime pédagogique, plan de<br />
réussite, plans d’intervention auprès des élèves, choix de 73% des recrues.<br />
Néanmoins, la réalité a tôt fait de déboulonner une représentation mentale<br />
visiblement marquée par son orientation pédagogique :<br />
«La pratique réelle est fort différente. Les tâches administratives sont nombreuses,<br />
urgentes, variées. Les demandes sont pressantes, les échéances rapprochées, les<br />
ressources limitées. Il n’y a plus de temps pour la pédagogie, pour la réflexion, pour<br />
l’animation. Il y a aussi les résistances, les tensions, les conflits, les négociations quasi<br />
permanentes…<br />
La pratique réelle se situe dans le quotidien, dans l’immédiat, repoussant dans le<br />
temps ou hors du temps l’action à long terme, les transformations en profondeur, la<br />
réalisation de projets, le projet éducatif de l’école.<br />
L’insertion professionnelle est donc pour, certain, un passage difficile de<br />
l’anticipation motivante à la désillusion progressive, alors que pour d’autres, c’est<br />
l’investissement continu dans la création d’un contexte propice à la réalisation de leurs<br />
aspirations.»<br />
LA FQDE fait alors le constat que l’écart entre les aspirations initiales et ce vécu où<br />
priment les obligations administratives conduit 69% des directions à envisager une<br />
réorientation de carrière.<br />
Les motifs invoqués concernent :<br />
«L’ampleur de la tâche : la quantité élevée de dossiers variés, le nombre d’heures<br />
qu’on y consacre, dont la gestion administrative, la reddition de comptes, la gestion<br />
du personnel, le manque de ressources, la gestion des conflits. Etc<br />
La lourdeur de la tâche : le cumul des différents aspects négatifs, l’urgence des<br />
situations, la pression des demandes multiples amènent plusieurs répondants à<br />
utiliser l’expression « lourdeur de la tâche ». Cette lourdeur contribue pour un assez<br />
58 Je suis très loin d’être sûr que l’actuelle formation des directions les outille pour «assumer un leadership pédagogique», pas<br />
plus qu’elle ne les équipe pour opérer une approche systémique de la pédagogie, de l’orthopédagogie et des plans<br />
d’intervention…Chacun y va avec ses convictions et, leadership aidant, finit par les appréhender comme un nec plus ultra. Or, la<br />
pédagogie est un art que nul n’inculque de force, aussi persuadé soit-il de la validité de son ou ses écoles de pensée et de son<br />
habileté à la ou les traduire dans son enseignement.<br />
359
grand nombre, à se questionner sur leur compétence et leur capacité à exercer cette<br />
fonction, « Suis-je à la hauteur? ».<br />
L’absence de réalisation pédagogique : on l’attribue au manque de temps, au<br />
manque d’autonomie, aux résistances des enseignants et aux divergences de vision<br />
avec le supérieur immédiat ou la commission scolaire, etc.<br />
Le manque de reconnaissance : le sentiment de ne pas être reconnu comme<br />
personne compétente ou comme collaborateur, ayant choisi la fonction de direction<br />
pour contribuer au système d’éducation, provoque chez certains répondants une<br />
grande déception. « Le feed-back positif est rare, notre avis n’est pas important, je<br />
suis informé à la dernière minute,…».<br />
L’isolement et la solitude : dans une équipe d’enseignants, les collègues sont à<br />
proximité, on partage des projets, des visions et des affinités se créent. Dans la<br />
nouvelle fonction, les collègues directions sont parfois éloignés en distance, chacun<br />
est absorbé par sa tâche, dans certains cas, on parle même de compétition. Les<br />
anciens collègues enseignants ne nous voient plus du même œil; le rôle a changé. «<br />
À qui puis-je parler? Me confier? Demander un avis? Sans être évalué? »<br />
La difficulté de concilier la vie personnelle et la vie professionnelle : pour<br />
plusieurs, la lourdeur de la tâche fait en sorte que leur qualité de vie personnelle ou<br />
familiale ainsi que leur santé sont en déséquilibre.»<br />
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la désillusion est profonde et qu’elle est liée<br />
à l’hypertrophie de la fonction politico-administrative et à ses nombreux impacts<br />
négatifs, entre autres sur la satisfaction face à la tâche accomplie.<br />
Ne nous leurrons pas : les gémissements des recrues ne sont pas seulement<br />
significatifs de problèmes d’insertion qui s’estomperaient graduellement avec le temps.<br />
Ce n’est pas le «bien-senti» de la douleur qui subit un dérèglement attribuable à des<br />
attentes trop vertueuses. C’est la vertu qui fiche le camp! Comment?<br />
Référez-vous à ce que j’ai écrit sur les mécanismes de l’anesthésie<br />
institutionnalisée, car c’est là qu’est l’explication. Le lavage de cerveau opère chez les<br />
jeunes gestionnaires de l’Éducation à la vitesse de l’éclair. Sans doute le profilage qui<br />
conduit leur recrutement y est-il pour quelque chose…<br />
360
La machine infernale fabrique des administrateurs scolaires qui, pour beaucoup,<br />
s’éloignent à des années-lumière des fonctions essentielles. Souvent, la préservation<br />
de leur santé physique et mentale est, comme dirait Fourgeyrollas, une cause<br />
aggravante. Par contre, celle-là, on la comprend. La cécité volontaire est plus dure à<br />
avaler!<br />
Le témoignage de leur désillusion reflète donc ce qui leur reste de réminiscence de<br />
ce qui, impérativement, devrait définir leur rôle :<br />
• nourrir le climat sain et propice de l’école;<br />
• être un catalyseur pédagogique;<br />
• opérationnaliser en collégialité et approche communautaire la gestion pédagogique<br />
et celle des services aux élèves.<br />
Pour cela, un correctif simple s’impose : il est impératif de dépolitiser le rôle de la<br />
direction en le cantonnant à la coordination pédagogique et à la gestion de l’adaptation<br />
scolaire.<br />
Je précise même que le titre de direction d’établissement d’enseignement devrait<br />
être remplacé par celui de coordonnateur: la pyramide ne souffrirait pas de s’aplatir et la<br />
santé mentale des gestionnaires risquerait moins de corruptions…<br />
Toutes les tâches comptables, supervisées par l’instance suprarégionale que j’ai<br />
suggérée, peuvent aisément être confiées à des équipes volantes de techniciens en<br />
administration, en finances et en organisation scolaire. Il n’est nul besoin d’en rattacher<br />
une à chacune des écoles si l’on considère l’illusion d’autonomie et le détournement de<br />
temps (et de fonds) que constitue la décentralisation d’opérations standardisables.<br />
361
Je complète cette piste de solution par la recommandation de transformer les<br />
conseils d’établissement en conseil d’administration à répondance pédagogique et de<br />
services d’adaptation scolaire et sociale.<br />
L’ensemble de ses changements structuraux permettrait de remettre les priorités au<br />
bon endroit : pédagogie et adaptation scolaire, dans le contexte d’une approche<br />
communautaire.<br />
Une imputabilité directement liée à la réussite du plus grand nombre regagnerait une<br />
signifiance dans cette congruence entre la mission et la structure fonctionnelle des<br />
établissements.<br />
26. Laxisme de gestion tous azimuts<br />
Je ne réserve pas le terme de gestion à la gestion budgétaire, mais je vais<br />
néanmoins commencer par elle.<br />
1-Gestion budgétaire<br />
Le système informatisé de comptabilité budgétaire utilisé dans les commissions<br />
scolaires et leurs établissements scolaires est bien conçu. Il n’empêche que certaines<br />
pratiques sont questionnables.<br />
Bon an, mal an, les commissions scolaires enregistrent des surplus budgétaires.<br />
Ces surplus constituent, de façon générale, des réserves pour des engagements déjà<br />
pris ou des développements envisagés que les marges d’un budget annuel ne<br />
pourraient financer.<br />
Les commissions scolaires, vantant les prouesses administratives de leurs chefs<br />
d’établissements scolaires et se gaussant du même coup des déficits des institutions de<br />
santé, se félicitent de leur saine gestion budgétaire.<br />
362
Dans le même temps et les mêmes espaces, ces mêmes commissions scolaires,<br />
sous la poussée logique des gens du terrain, font semblant de clamer au MELS leur<br />
manque de ressources financières pour répondre aux besoins annuels essentiels.<br />
Et le MELS, quant à lui, rit à gorge déployée!<br />
Il passe en boucle sa réplique, comme un leitmotiv bien huilé : « Vous prétendez<br />
avoir des besoins urgents non financés et vous parvenez quand même à entasser des<br />
surplus substantiels. Ce n’est pas raisonnable! Il est inconcevable de faire des réserves<br />
tout en prétendant avoir des besoins non comblés.»<br />
Je sais que la réplique ministérielle ne fait pas dans la dentelle, mais avouons<br />
qu’elle n’est pas désarticulée.<br />
Comment justifier que des besoins fondamentaux sont négligés quand il s’entasse<br />
des millions dans les coffres?<br />
La latitude de gestion laissée par le MELS aux CS s’agrémente de règles formelles<br />
et tacites connues qui aboutissent à des réalités pour le moins discutables :<br />
a) Il ne doit pas y avoir de déficits.<br />
b) Il est permis de faire des réserves.<br />
c) Tout argent dévolu aux opérations courantes non dépensé fait preuve que lesdites<br />
opérations courantes pouvaient être menées à moindre coût.<br />
d) L’historique des dépenses par activité détermine le niveau révisé des allocations<br />
ultérieures.<br />
e) Des dépenses récurrentes (justifiées) plus élevées dans une activité donnée<br />
génèrent normalement des allocations plus élevées les années subséquentes.<br />
363
f) Des surplus générés dans des opérations courantes récurrentes entraînent<br />
normalement une diminution des allocations dans les années subséquentes.<br />
g) Le premier principe «transannuel» est que le déficit de l’année antérieure constitue<br />
la première dépense de l’année suivante.<br />
h) Le second principe transannuel est que, tous ajustements confondus, le système<br />
fonctionne, en dollars constants à budget constant.<br />
i) De temps à autre, la constance est l’objet de contractions majeures, généralement<br />
orchestrées lors des périodes de négociation et visant régulièrement l’enveloppe<br />
salariale qui constitue 80% de l’investissement.<br />
j) Environ deux tiers des dépenses de fonctionnement d’une année (1 er juillet au 30<br />
juin) ont lieu entre avril de l’année précédente et septembre de l’année en cours : il<br />
reste 30% du budget pour couvrir les neuf mois d’octobre à juin.<br />
k) Les commissions scolaires voient leurs allocations octroyées en mai ou juin de<br />
l’année précédente. Ces allocations sont souvent temporaires. Elles sont l’objet de<br />
réajustements qui attendent la validation des clientèles du 30 septembre. Les<br />
réajustements peuvent être retardés à la fin octobre…<br />
l) Les écoles voient leurs allocations temporaires allouées fin juin, établissent alors<br />
un budget-bidon pour l’année à venir, budget qui, la plupart du temps, ne<br />
correspond qu’à une parcelle minime de la réalité.<br />
m) Elles reçoivent leurs allocations définitives au mieux à la fin octobre, alors que les<br />
trois quarts de leurs dépenses sont réalisés.<br />
n) Beaucoup d’écoles, par mesure de prudence, fonctionnent à budget zéro d’octobre<br />
à avril : les besoins même criants sont ignorés.<br />
364
o) Il se produit d’avril à juin deux phénomènes fréquents :<br />
o la mise en réserve des sommes non dépensées (par mesure de<br />
prudence) assortie à la démonstration que l’on est passé à travers les<br />
périls avec moins d’argent;<br />
o des dépenses frénétiques farfelues sur les trois derniers mois de l’année,<br />
alors que la réponse aux besoins criants, trop longtemps différée, est<br />
devenue caduque. Cette dernière situation est, comme je l’ai déjà illustré,<br />
particulièrement vraie au secteur de la formation professionnelle.<br />
p) Dans les écoles où opère une fondation efficace, il peut aussi s’accumuler des<br />
fonds propres, argents de provenance autre que les allocations officielles<br />
(campagnes de financement, etc.)<br />
q) il arrive que des postes soient créés à partir des fonds propres. Il arrive que ces<br />
postes deviennent récurrents alors que les fonds propres ne le sont pas.<br />
r) En principe 59 , le service des ressources humaines, celui des ressources<br />
financières, et, ultimement, la direction générale sont seuls à autoriser la création<br />
de postes dans les plans d’effectifs, mais il arrive qu’ils se trompent, générant, par<br />
complicité aveugle, des déficits dans les unités administratives concernées.<br />
s) Sur la même lancée, ces trois instances, par défaut de la CS (généralement de sa<br />
direction générale) de conclure des ententes intersectorielles effectives,<br />
contraignent certaines unités administratives spécialisées à créer des postes<br />
souvent récurrents dans des champs hors compétences et hors responsabilités :<br />
les partenaires responsables ont alors beau jeu de se désister partiellement ou<br />
totalement.<br />
59 Sans principes, comme dans une certaine commission scolaire estrienne de ma connaissance, ces trois paliers de supposé<br />
contrôle vont se liguer pour faire porter l’odieux de leur laxisme sur la direction d’établissement scolaire, soit-elle nouvellement<br />
affectée et n’ait-elle nullement été impliquée dans l’élaboration du plan d’effectifs en dépassement…il ne se délègue pas<br />
seulement des responsabilités dans certaines CS : il se déleste de l’incompétence complice !<br />
365
t) La réalité précédente peut engendrer en quelques années des dépenses<br />
«juridiquement étrangères» de plusieurs centaines de milliers de dollars.<br />
u) il arrive que les «dépenses étrangères» cessent d’un coup d’être compensées par<br />
les instances centrales et cela entraîne, par résurgence, des déficits pour lesquels<br />
les unités administratives doivent assumer des redressements budgétaires abusifs,<br />
au détriment de services consentis à la clientèle la plus vulnérable.<br />
v) Il arrive que cette cessation d’allocations compensatoires résulte d’une facturation<br />
insuffisante de services régionaux et suprarégionaux rendus par une CS aux CS<br />
périphériques et que le motif de cette insuffisance soit… purement politique!<br />
Pour toutes ces raisons et bien d’autres, nous devons conclure, malgré l’adéquation<br />
de l’instrumentation comptable, à un laxisme de gestion budgétaire (d’ailleurs démontré<br />
et dénoncé par la Vérificatrice générale du Québec dans son rapport 2003-2004).<br />
Il faut supprimer les commissions scolaires et recentraliser la part des budgets<br />
relative aux salaires et aux dépenses mobilières et immobilières et au transport.<br />
Certaines règles, absurdes, doivent être abolies. Les allocations doivent être<br />
consolidées avant le début d’une année scolaire.<br />
2-Gestion immobilière<br />
Si les ponts du Québec méritent une expertise de l’Ordre des ingénieurs, peut-être<br />
les infrastructures immobilières du système scolaire québécois en méritent-elles une<br />
aussi?<br />
Certains reportages récents nous montraient des écoles de la CS de Montréal dont<br />
les toits croulants étaient étayés de façon apparemment artisanale…<br />
366
Il aura fallu attendre que le poids de la neige de l’hiver 2007 menace de faire<br />
s’effondrer des bâtisses pour que les gestionnaires des commissions scolaires sortent<br />
de leur torpeur : sans doute avaient-ils, pour d’aucuns, entamé leur processus<br />
d’hibernation…Peut-être d’autres ont-ils été clonés avec des opossums et sont-ils dans<br />
un état permanent d’ensommeillement?<br />
À la CS de Montréal, ce sont 600 déneigeurs (300 des personnels de la CS et 300<br />
de firmes privées) qui ont déblayé les toits surchargés. Il aurait été d’intérêt public que<br />
l’on nous livre les coûts supplémentaires engendrés. Nous comprenons bien que le<br />
déneigement a un coût, mais le différer n’a-t-il pas amplifié la facture?<br />
Cet exemple illustre le fait que le mode de gestion immobilière est essentiellement<br />
réactif. En voici un autre.<br />
J’ai vu, dans ma commission scolaire, s’agrandir une école par la construction de<br />
classes dans une ancienne résidence de sœurs. Les plans du bâtiment avaient été<br />
égarés à la suite d’une saga judiciaire. Au moment d’abattre les cloisons de chacune<br />
des chambrettes de l’étage supérieur, l’entrepreneur s’est aperçu qu’il n’y avait pas de<br />
cloison portante et que chaque mur de chaque chambrette constituait la portance.<br />
L’expertise du service des ressources matérielles de la CS a été confrontée à la limite<br />
extrême de sa compétence. Le défi a cependant été relevé avec brio, l’imputation de<br />
ce colossal imprévu ayant été absorbée à même l’enveloppe budgétaire initialement<br />
consentie : l’argent prévu pour changer la fenestration grugée par les intempéries a<br />
servi à consolider la toiture. L’école a, par la suite, continué d’assumer les frais<br />
exorbitants d’un chauffage «intérieur-extérieur» : que de matériel pédagogique est parti<br />
«en fumée»!<br />
367
Il serait inconvenant de prétendre que tous sont dépassés, mais il est urgent de<br />
bonifier la gestion immobilière parce que le parc de notre système éducatif a besoin de<br />
plus, plus vite.<br />
C’était et c’est une risée annuelle pour les directions des établissements scolaires<br />
de prévoir la liste des rénovations ou aménagements souhaitables : le service des<br />
ressources matérielles dressait ensuite la longue liste des priorités et nous révélait au<br />
terme d’un exercice le plus souvent caduc qu’il faudrait quarante années pour y<br />
répondre…sans prévoir ni compter, bien sûr, les ajouts qui ne manqueraient pas de<br />
s’additionner au fil des quarante ans!<br />
Ce secteur d’activités commande un retrait de mandat aux CS et aux écoles.<br />
L’attribution de la responsabilité peut se faire aux instances municipales ou de la<br />
municipalité régionale ou à l’instance suprarégionale que j’ai déjà identifiée. Dans tous<br />
les cas, cette responsabilité doit s’accompagner d’une enveloppe dédiée.<br />
Il m’apparaît que l’instance suprarégionale, à condition de la préserver des<br />
influences politiques qui construisent, avant de calfeutrer les fenêtres, des salles de<br />
commissaires, des bunkers de direction générale et des bureaux comparables à ceux<br />
de firmes comptables ou d’avocats, serait le meilleur choix.<br />
3-Gestion des ressources humaines<br />
Le scolaire est concerné, en principe, par l’essence de l’être dont il devrait<br />
contribuer au meilleur devenir. La gestion de ses ressources humaines doit en être<br />
totalement inspirée.<br />
Si on engage à la direction générale d’une commission scolaire un ou une transfuge<br />
du secteur des télécommunications ou un ou une enfant de la balle, il faut s’attendre à<br />
368
ce que la gestion des ressources humaines se teinte, au moins provisoirement, d’un<br />
imagisme assez distant de la culture scolaire. Cela ne signifie ni que l’essentiel de cette<br />
culture, théoriquement plus humaniste que psychédélique, ne se rétablira pas, ni que le<br />
ou la transfuge ne redécouvrira pas ou ne réalisera pas l’essence de son être,<br />
retrouvant, à distance, le cap de Bonne Espérance, mais cela signifie nécessairement<br />
que le paraître va prendre au moins quelque temps une surcharge pondérale nocive.<br />
Si on engage à la direction du service des ressources humaines d’une commission<br />
scolaire un fier-à-bras, issu, par exemple, d’une l’industrie manufacturière où il se<br />
vanterait d’avoir cassé du travailleur, il y a fort à parier qu’au moins temporairement, les<br />
négociations patronales-syndicales vont se colorer de bras de fer intempestifs,<br />
contraires à l’harmonie requise dans le réseau scolaire.<br />
Il y a même fort à parier que la pondération souhaitable des parties va se traduire<br />
par une philosophie d’affrontement dont les sacrifiés seront ultimement les jeunes. Au<br />
cours d’interventions commandées par la nécessité de briser de malsains privilèges<br />
(non des droits 60 ) acquis par la seule ancienneté, il est probable que les privilégiés vont<br />
trouver dans un syndicalisme dévoyé l’instrument qui va permettre de protéger leurs<br />
acquis usurpés et leur confort douillet, au détriment de leurs collègues plus jeunes et<br />
des élèves pénalisés.<br />
Si un président ou une présidente de commission scolaire, dans le seul but de<br />
casser de la direction d’établissement scolaire, engage à la direction générale, même<br />
contre avis expert, un fier-pet sur sa (mauvaise) réputation de fossoyeur, il y a fort à<br />
parier que le muselage pathologique va taire toute saine confrontation, au risque<br />
60 Je reconnais que l’ancienneté est un critère, parmi d’autres, d’acquisition de droits.<br />
369
assassin d’accueillir avec flegme (St-Pion, verset 23-10) les nouvelles répétitives du<br />
déclassement des élèves.<br />
Que de telles aberrations chromosomiques puissent se dérouler démontre le<br />
caractère vicié de la procédure.<br />
Allons-y donc de l’abolition des C.S., de l’enterrement de leur direction générale et<br />
de la création d’une instance suprarégionale chargée des affaires matérielles. Il me<br />
semble que cela brasserait la cage, éliminerait les faucons (et les vrais) et autres<br />
oiseaux de mauvais augure et libèrerait les colombes.<br />
À l’instar de Réjean Parent, président de la CSQ dans les Nouvelles CSQ de<br />
l’automne 2008, «Je fais de l’éducation une priorité nationale. J’invite l’ensemble des<br />
citoyennes et des citoyens à considérer notre savoir et notre savoir-faire (note<br />
personnelle : celui des troupes plus que de ses dirigeants) comme notre plus grande<br />
richesse collective. J’entreprends la plus vaste campagne de valorisation de l’école<br />
publique, jamais vue. Je mets de l’avant des mesures concrètes pour revaloriser le<br />
personnel qui y travaille et les acteurs (note personnelle : vrais acteurs) qui la<br />
soutiennent. Cette campagne ne se fait pas en opposition au système privé, mais bien<br />
sur le caractère essentiel d’un système public fort devant assurer à chaque jeune un<br />
premier diplôme lui procurant les compétences et les connaissances essentielles à son<br />
évolution en société et à l’obtention d’un travail décent. »<br />
D’emblée, je recommande, dans l’ensemble du réseau, l’adoption d’une structure<br />
novatrice, entièrement collégiale avec partenariat syndical actif.<br />
J’ai trop vu certains benêts bretailleurs, directeurs de service ou carriéristes<br />
d’établissement pourfendre le méchant syndicaliste ou le subordonné rebelle.<br />
J’ai vu aussi, de temps à autre, des répliques syndicales dénuées d’analyse de fond<br />
et de dosage s’entacher de manigances mesquines, sans questionnement sur le bien<br />
prioritaire des écoliers.<br />
370
J’ai mentionné que la politisation de la tâche des directions des établissements<br />
scolaires a créé une déviance monumentale que révèle, d’ailleurs à leur honneur, la<br />
déconfiture de ces gestionnaires au moment d’examiner les écarts installés entre les<br />
aspirations pédagogiques de leur postulat et les réalités bureaucratiques de leur<br />
noviciat imposées par une structure sclérosée et ses profiteurs. Au moins, ils s’en<br />
souviennent…<br />
L’Étude d’août 2008 de l’OCDE, Améliorer la direction des établissements scolaires,<br />
volume 1 : politiques et pratiques de Beatriz Pont, Deborah Nusche et Hunter Moorman<br />
rappelle que «Dans de nombreux pays, les chefs d’établissement sont accablés de<br />
travail; beaucoup atteignent l’âge de la retraite et il est de plus en plus difficile de les<br />
remplacer. Les candidats possibles hésitent souvent à se présenter en raison des<br />
responsabilités excessives, d’une préparation et d’une formation insuffisantes, des<br />
perspectives d’évolution de carrière limitées et de l’inadéquation de l’accompagnement<br />
et des rémunérations.»<br />
La même étude propose donc quatre voies pour régler la problématique :<br />
1. une redéfinition des responsabilités de direction accompagnée<br />
o d’une autonomie soutenue et dédiée à l’amélioration des résultats des<br />
élèves;<br />
o de conditions d’une supervision pédagogique axée sur la formation continue;<br />
o d’une obligation d’une reddition de comptes portant sur les résultats des<br />
élèves et la qualité objective des conditions de production de ces résultats;<br />
o de mécanismes de saine gestion financière et humaine;<br />
o d’une approche systémique de la direction scolaire;<br />
o d’une approche coopérative interinstitutionnelle.<br />
371
2. la répartition étayée des fonctions de direction définie par<br />
o la distribution des fonctions «entre différentes personnes et structures<br />
organisationnelles»;<br />
o le renforcement du «concept d’équipe de direction dans les cadres<br />
nationaux», avec mécanismes «d’incitation pour récompenser la participation<br />
et les performances au sein de ces équipes»;<br />
o l’accompagnement des «conseils d’établissement dans l’accomplissement de<br />
leurs missions».<br />
3. l’acquisition des «compétences nécessaires à un exercice efficace des<br />
fonctions de direction»;<br />
4. la promotion concrète de la direction d’établissement à tire de «profession<br />
attrayante».<br />
Très curieusement, les auteurs de l’étude, plus frileux que je ne le suis quant aux<br />
mérites de la collégialité, passent assez bizarrement de la recommandation 2 à une<br />
série d’incitatifs qui font appel au processus traditionnel de recrutement individuel. C’est<br />
comme si l’audace de cette recommandation relative à «la répartition étayée des<br />
fonctions de direction» s’était diluée dans le marasme des habitudes pyramidales,<br />
même si l’étude insiste sur la faiblesse de la gestion (con)descendante pour implanter<br />
et réussir l’approche écosystémique indispensable.<br />
Je supprime donc les postes de directeur ou directrice d’établissement scolaire. Je<br />
les remplace par une équipe de gestion par école, secondée par un personnel<br />
permanent, non cadre et non décisionnel, assigné à la coordination.<br />
372
Je fonde un ordre professionnel multidisciplinaire syndiqué, rattaché à la CSQ à qui<br />
est confiée, comme à tout ordre professionnel, la fonction de définir la formation initiale,<br />
le perfectionnement et la formation continue et les mécanismes de la supervision<br />
pédagogique.<br />
Je remplace les négociations locales par une table provinciale de concertation<br />
chargée de recenser et d’approuver toutes les recettes viables d’aménagement des<br />
conditions provinciales de travail. Il n’y siège pas de partie dite patronale.<br />
Je maintiens la structure paritaire des conseils d’établissement scolaire, mais j’en<br />
confie la présidence à deux personnes, un parent élu par les parents du CÉ et un<br />
intervenant scolaire élu par ses pairs de l’équipe de gestion, sans aucun vote<br />
prépondérant.<br />
Ce modèle est, bien entendu, à peaufiner, mais il dessine les fondements d’un<br />
véritable renouveau pédagogique.<br />
Incidemment, j’injecte, moi-aussi (merci, Réjean) les 700 millions supplémentaires<br />
qui nous séparent de la moyenne de l’investissement canadien en éducation et je rends<br />
opérationnelle, sans délai, l’entente de complémentarité MELS-MSSSS.<br />
Étant donné que le faible état de littératie au Québec (comme dans le reste du<br />
Canada) pompe approximativement 7 milliards par année à notre économie (sur les 33<br />
du coût canadien) en coûts sociaux divers (dont les emplois disponibles non pourvus),<br />
j’augmente de deux milliards supplémentaires le budget du (redevenu) ministère de<br />
l’Éducation ou ministère de la réussite éducative, de la santé globale et du meilleur<br />
devenir des élèves.<br />
Rien de moins et, somme toute, une raisonnable réparation pour les crimes commis!<br />
373
Cette infrastructure est chargée de la gestion de l’enseignement, avec création de<br />
comités d’autosupervision pédagogique, appel au soutien universitaire, processus de<br />
libération pour formation continue.<br />
Elle met fin à la mainmise des directions des services éducatifs sur l’interprétation<br />
outrancière des programmes : au moment où le MELS publie (août 2008) sa<br />
Progression des apprentissages en français, je me souviens, de façon particulière, de<br />
la discussion, presque l’altercation, qui m’opposa au cerbère qui occupait ce poste, à<br />
propos de l’utilisation que j’avais avouée et défendue des échelles des niveaux de<br />
compétence pour graduer les apprentissages en français. « Tu ne peux pas : c’est<br />
contraire à l’approche par compétences qui exclut toute gradation, etc.»<br />
Que fais-tu aujourd’hui, toi qui gardes (et défends?) désormais «la progression des<br />
apprentissages» délicieusement insérée dans le PFÉQ? Te flagelles-tu?<br />
Cette infrastructure nouvelle que je préconise sera également chargée de la gestion<br />
de l’adaptation scolaire et sociale, laquelle implique l’accès sans délai aux expertises<br />
évaluatives et d’intervention et la tenue préventive précoce des plans de services,<br />
d’intervention et de transition et l’ensemble des conditions, humaines, matérielles et<br />
financières, de formation, de perfectionnement, de formation continue, d’allègement-<br />
intégration à la tâche, toutes choses essentielles à l’accomplissement éthique de cette<br />
adaptation.<br />
Enfin, cette infrastructure sera chargée de la gestion de la communauté scolaire et<br />
du partenariat, incluant le développement des réseaux d’arrimage scolaire-santé-<br />
services sociaux-communautaires, avec obligation de résultats tangibles.<br />
374
Et si vous me trouvez trop ambitieux ou démesuré, relisez plutôt le titre 27 qui<br />
suit et interpelle la véritable démesure à laquelle nous nous sommes déjà rendus et<br />
dont tous les effets dramatiques ne sont pas encore sondés à ce jour :<br />
27. Culte du faire-semblant jusqu’à la promotion aveugle et sans filet des élèves<br />
en situation d’échec<br />
« … ce n'est pas un mensonge. Pas un mensonge, mais pas la vérité non plus. Le petit espace<br />
sombre entre les deux, qu'on appelle «bullshit»,… »<br />
Patrick Lagacé; Le mirage des idées, La Presse, 13 septembre 2008.<br />
Le faire-semblant de l’École n’est pas sa créature : c’est, je l’ai illustré longuement,<br />
un parcours imposé : une société désorganisée par l’hégémonie politico-économique<br />
corrompt l’entièreté de son système social.<br />
Il demeure un espoir, mais maigre, et plus que maigre, rachitique!<br />
Assez bizarrement, il suffit d’examiner, comme je l’ai fait tout au long de ce livre, les<br />
mécanismes de rééquilibre homéostatique d’un système pour déceler la nature de sa<br />
mauvaise conscience collective.<br />
En ce qui a trait au système éducatif, l’ensemble des tentatives pour calfeutrer les<br />
brèches quant à l’état de perdition de notre jeunesse la plus vulnérable témoigne de<br />
notre malaise face à la réalité chronique de sa mort annonçable…<br />
Malheureusement ou malencontreusement, notre malaise ne nous empêche pas<br />
dormir allègrement sur nos deux oreilles. Il agace, mais ne dérange pas; en tout cas,<br />
pas nous! Or, le dérangement est le mal nécessaire pour changer les choses. Pas de<br />
dérangement personnel, pas de changement. Nous voyons, sans contredit, des élèves<br />
se briser, échouer, couler, décrocher et pressentons la programmation de leur mort<br />
lancinante, mais du même regard qui contemple sans frémir les reportages sur la<br />
375
famine, zappant lorsque l’image de l’enfant mourant harcèle…une mouche sur notre<br />
conscience comme celles dans son nez, ses yeux et sa bouche…<br />
Pour déranger, il faut, comme le veut de toutes mes forces ce livre, transformer la<br />
mort annonçable en mort annoncée et la rendre si près, si palpable que le regard,<br />
même initialement impuissant, ne puisse pas s’en détacher : «inzappable!»<br />
Mais comment rendre près et immédiatement palpable l’hyperphénomène scolaire la<br />
mort lente?<br />
En vous annonçant tout bonnement que c’est la vôtre, qu’elle est irréversiblement<br />
contagieuse et que vous allez y passer vous aussi : c’est une peste, la pire des pestes<br />
jamais connues. La peste humaine! Vous en serez tôt ou tard victimes et si ce n’est<br />
vous, ce seront vos enfants! Et si vous n’en êtes pas victimes, vous en serez les<br />
germes, les vecteurs et les bêtes : nul n’y échappera si nous n’y échappons pas tous.<br />
Ne vous leurrez pas : cela n’est pas une métaphore. C’est l’absolue réalité.<br />
Il n’y a d’avenir de l’humanité que dans son harmonie. La prédation est germe de<br />
peste humaine. Elle est la Terre malade, éventrée, défigurée : notre contagion.<br />
«Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient touchés…»<br />
Jean de Lafontaine Les animaux malades de la peste<br />
Lorsque, dans nos écoles, les 3% de doubleurs annuels cessent de doubler et sont<br />
promus en situation d’échec, que diabl’en avons-nous à «cirer»? Qu’ils passent dans un<br />
niveau supérieur encore plus distant de leurs acquis et qu’ils y amplifient leur sentiment<br />
d’inaptitude et leur incapacité réelle, cela ne nous émeut pas.<br />
Qu’ils apprennent la promotion sans effort, bof?<br />
Qu’ils apprennent à votre enfant la promotion sans effort, bof encore?<br />
376
Que ce camouflage - qui ne vous concerne pas - laisse présumer que d’autres<br />
camouflages ont lieu et vous concernent peut-être, bof toujours?<br />
3%, environ : 3000, par année…15 000 en cinq ans…<br />
«Oui, mais… les chercheurs universitaires ont dit que le redoublement est nocif. 61 »<br />
«Oui, mais ceci, oui, mais cela…» Pendant, ce temps, ils sont là!<br />
Lorsque les CS sont incapables de renseigner sur les services dus ou dispensés à<br />
un écolier, bof?<br />
Lorsqu’elles sont incapables de dénombrer et nommer les élèves en grande<br />
difficulté, bof?<br />
Lorsqu’elles ne savent pas si le classement au régulier ou en classe spéciale d’un<br />
élève correspond pour lui à la meilleure solution, bof et rebof!<br />
Lorsqu’elles traficotent les chiffres pour faire croire que leurs quoteparts de<br />
dépenses énergétiques sont des services aux EHDAA, bof et rebof et rerebof?<br />
Des mouches sur votre conscience?<br />
Lorsque vos conjoints ou vous-même perdez vos emplois ? Lorsque vous vieillissez,<br />
pas assez pour la retraite, mais trop pour le recyclage, et que votre usine vous<br />
congédie? Bof, bof, bof!<br />
Lorsque vous cherchez un médecin de famille pour vos enfants malades? BOF!<br />
Lorsque vous trimez comme des esclaves et que vous savez que vous sacrifiez de<br />
la qualité de vies, les vôtres et celles de vos enfants? Boooofff!<br />
Une autre mouche dans votre bouche bée? Ses larves dans votre nez, vos yeux,<br />
votre bouche?<br />
61 Et certains disent à présent le contraire… « — Parbieu, dit le Meunier, est bien fou du cerveau Qui prétend contenter tout le<br />
monde et son Père…» Jean de Lafontaine Le meunier, son fils et l’âne<br />
377
Quel sentiment vous habite et vous nourrit : le sentiment et le vécu d’une vie<br />
adaptée à la société ou celui d’une société adaptée à la vie? Vous sentez-vous un petit<br />
roi abattu sur un échiquier pestiféré?<br />
Êtes-vous, bonnes gens, familiers avec le concept du plein emploi, celui qui veut<br />
garantir qu’un emploi existe pour tout humain en âge de travailler?<br />
Y adhérez-vous et si oui, concevez-vous sa pleine correspondance dans le domaine<br />
scolaire : une place pour chaque élève et sa pleine actualisation!<br />
La vraie obligation de qualifier avec comme objectif zéro échec scolaire et social, y<br />
compris pour les EHDAA.<br />
Quand nos systèmes éducatifs modernes, déjà livrés corps et âme aux Conseils du<br />
patronat de ce monde, se sont emparés de la formation professionnelle, ils ont<br />
savamment haussé les niveaux de formation selon les contingences du marché et les<br />
progrès technologiques. Il y a là une logique a priori indiscutable.<br />
Cependant, cette logique s’accompagne d’impacts qui ont été ignorés:<br />
• La disparition d’emplois à tâches «automatisables» et leur remplacement<br />
par des robots-machines; ces emplois sont ceux qui requièrent des<br />
habiletés cognitives et psychosensorimotrices permettant d'exercer<br />
convenablement des activités ou des actions plus ou moins complexes.<br />
• La suppression d’autres formes standardisables d’apprentissage des<br />
métiers;<br />
• La mise hors d’atteinte pour une bonne partie de clientèle, dont plusieurs<br />
doubleurs, des niveaux initiaux d’admission en formation professionnelle<br />
rehaussée (3 e secondaire).<br />
378
Avez-vous remarqué que j’ai mis en italiques la description du niveau des habiletés<br />
requises dans de nombreux emplois disparus dans nos sociétés fortement<br />
industrialisées? Cette disparition est la conséquence de la modernisation des moyens<br />
de production et du déplacement mercantile de la production demeurée manuelle aux<br />
fins de majoration des profits par l’exploitation des masses ouvrières sous-payées (des<br />
pays dits en voie de développement, dans des conditions indécentes).<br />
Il convient, pour vous renseigner mieux, que je vous rende disponible ce court extrait,<br />
page 30, du PACTE (Programmes d'études adaptés avec compétences transférables<br />
essentielles) du MEQ (1997) :<br />
«Chaque volet (du PACTE) comporte des compétences à acquérir, sous lesquelles sont<br />
regroupés des éléments de compétence et des comportements observables. Les<br />
premiers sont formulés au regard de domaines d'apprentissage et les seconds<br />
permettent l'observation et la mesure de comportements et d'habiletés dans différents<br />
champs d'activité.<br />
• Compétence<br />
Dans le présent programme, le mot « compétence » désigne un ensemble intégré de<br />
comportements socioaffectifs ainsi que d'habiletés cognitives et psychosensorimotrices<br />
permettant d'exercer convenablement des activités ou des actions plus ou moins<br />
complexes.<br />
Les compétences sont les objectifs ultimes des programmes d'études et sont dérivées<br />
de déterminants tels que les buts de la formation, les finalités éducatives, les besoins,<br />
le groupe cible.<br />
Chaque compétence permet de préciser le comportement global attendu. Celui-ci est<br />
l'énoncé principal de l'objectif à atteindre. Il comprend l'action à faire et le résultat qui<br />
devra être obtenu à la fin d'une étape de développement de l'élève.<br />
379
• Éléments de compétence<br />
Les éléments de compétence sont des étapes de réalisation du comportement attendu<br />
dans les domaines d'apprentissage. Ils favorisent une compréhension univoque du<br />
comportement attendu.<br />
• Comportements observables<br />
Dans le présent programme, les comportements observables sont des actions<br />
accomplies par l'élève dans des contextes différents et qui permettent d'évaluer sa<br />
progression au regard d'une compétence donnée. Il ne s'agit pas d'une microgradation<br />
d'une compétence. La liste des comportements observables fournie pour chaque<br />
compétence n'est pas exhaustive. Elle donne des précisions au sujet du champ<br />
d'activité englobé dans une compétence.»<br />
Six questions :<br />
1. Cette approche est-elle qualifiante?<br />
2. Si cette voie de formation est qualifiante, est-elle diplômée?<br />
3. Combien d’élèves (HDAA ou non) bénéficieraient-ils d’une approche ayant cette<br />
définition de l’acquisition de compétences?<br />
4. Pour quels élèves cette adaptation a-t-elle été conçue?<br />
5. Cette voie de qualification nécessite-t-elle l’école?<br />
6. Combien d’emplois existe-t-il répondant à cette approche de formation ?<br />
Et les réponses aux questions sont :<br />
1-Oui, cette approche est qualifiante : le MEQ ne faisant évidemment aucune<br />
discrimination ne peut concevoir, dans ses programmes adaptés, que des approches<br />
qualifiantes. C’est d’ailleurs le motif pour lequel il s’impose une gymnastique didactique<br />
assez hallucinante pour référer mordicus à l’approche par compétences (qui se<br />
dessinait déjà comme la voie royale en 1997);<br />
380
2-Non, cette voie de formation n’est pas diplômée : le MEQ et ses CS produisent<br />
bien quelques pseudodiplômes pour la notifier, mais ces «pseudos» n’ont pas de<br />
véritable valeur sur le marché de l’emploi;<br />
3-Tous les élèves qui n’atteignent pas le niveau d’admission à la formation<br />
professionnelle conduisant au DEP peuvent bénéficier de cette approche : je les<br />
dénombre entre 15 et 20 % des effectifs, car ils sont ceux que le système éducatif ne<br />
diplôme jamais qu’en pseudos;<br />
4-Cette adaptation a été conçue «à l'intention des élèves qui présentent une déficience<br />
intellectuelle allant de moyenne à sévère, avec ou sans autres déficiences associées,<br />
que ces jeunes soient scolarisés en classe ordinaire, en classe-ressource, en classe<br />
spéciale ou dans une école spéciale.» Ils représentent 2,15 % de la clientèle totale;<br />
5-Cette voie de formation ne nécessite pas l’école : elle se réalise beaucoup plus<br />
aisément dans un environnement correspondant aux conditions systémiques exactes<br />
du milieu de travail réel; elle peut, par contre, déplacer l’école vers le milieu de travail<br />
réel;<br />
6-Il n’existe que peu d’emplois correspondant à cette approche de formation : ils ont été<br />
abolis ou déplacés par le patronat, parce que les gouvernements de nos pays civilisés<br />
l’ont laissé faire. Tant et si bien que, même si le MELS fait des efforts pour diversifier la<br />
diplomation, il ne qualifie pas par ses programmes adaptés. Ce doit être sa conception<br />
de l’école orientante pour cette partie de sa jeunesse, celle qui n’a ni besoin de savoir<br />
où pareille orientation la conduit ni de finir réellement orientée.<br />
Bla, bla, bla, Daganaud! Vous avez entièrement raison : je suis retourné à la case<br />
départ. Ces mots ne sont que des mots et ne vous intéressent pas. Ils ne sont pas<br />
381
plus, dans le fond, que ce que nous impose la vie décevante qui s’offre<br />
quotidiennement à nous. Mais si nous sommes effectivement déçus, le maigre espoir<br />
est là : nous aspirons à mieux. Nous aspirons à l’abolition du faire semblant, nous<br />
aspirons au vrai!<br />
Il nous faut donc passer (de l’énergie de mort (thanatos) qui nous paralyse dans un<br />
défaitisme et une impuissance consentis) à l’énergie de vie (éros) qui va nous mettre en<br />
action, nous redonner le pouvoir oublié sur nos destinées, raviver nos potentialités. Il<br />
nous faut aussi considérer la diversité des intelligences, étalées sur tout l’horizon de la<br />
courbe de Gauss, et décréter la réussite plénière vraie et l’incorporer aux valeurs<br />
sociales inaliénables. Il nous faut contrôler les gouvernements qui nous contrôlent et<br />
nous réduisent 62 et les contraindre à un développement écosystémique durable voué à<br />
la collectivité.<br />
62 Un petit peu comme dans le film que l’on songe à tourner : «Maman, j’ai réduit mes concitoyens !», coproduction<br />
libéroconservatrice avec fonds adéquistes et subventions centropéquistes….<br />
382
Courbe de Gauss commentée<br />
À<br />
54<br />
55<br />
À 69<br />
75<br />
80<br />
85<br />
90<br />
95<br />
100<br />
383<br />
105<br />
110<br />
115<br />
120<br />
5.5 11.9 11.9 5.4<br />
8<br />
4.3 11.5 11.<br />
5<br />
3.7 10.8 10.<br />
8<br />
125<br />
4.3<br />
4<br />
130<br />
3.7<br />
7<br />
130 À 144 145 ET<br />
PLUS<br />
0.13 2.15 13.59 34.13 34.13 13.59 2.15 0.13<br />
2.3 vivant une déficience<br />
intellectuelle<br />
35.8 plus<br />
analytiques, plus<br />
concrets, plus lents<br />
face à l’abstrait<br />
Programmes adaptés Programmes réguliers<br />
Besoin<br />
Besoin d’une redéfinition<br />
complète de la réussite<br />
impératif de concret<br />
Dans les meilleurs cas<br />
et compte tenu du<br />
temps standardisé<br />
imposé, réussite du<br />
primaire et du début<br />
du secondaire<br />
11.9<br />
50 % dont certains avec des TSA, mais aptes à<br />
répondre aux exigences du système quand vient le<br />
temps d’abstraire, de conceptualiser, de généraliser<br />
et de transférer.<br />
Pour pleine<br />
réussite primaire,<br />
secondaire et<br />
collégiale<br />
Capacité d’abstraire<br />
Pour réussite universitaire des 1 er , 2 e<br />
et, quoi que l’on en dise, 3 e cycle<br />
(d’où s’extirpe progressivement la<br />
pensée réflexive et systémique)
28. Déviations des mesures et évaluations pour contenter les statistiques par<br />
pondération et normalisation<br />
Je reprends et enrichis quelques éléments du tableau précédent.<br />
Programmes adaptés Programmes réguliers imposés<br />
Besoin d’une redéfinition<br />
complète de la réussite<br />
2,3%<br />
Dans les meilleurs cas et<br />
compte tenu du temps<br />
standardisé imposé,<br />
réussite du primaire et du<br />
début du secondaire<br />
24,3%<br />
2,3% 15,7 à<br />
17,7 %<br />
18 à 20 % à financer comme EHDAA<br />
et en besoin impératif de<br />
programmes adaptés, de voies de<br />
formation sur le terrain avec<br />
diplômes reconnus et emplois créés<br />
Besoin<br />
impératif de concret<br />
Pour pleine<br />
réussite primaire,<br />
secondaire et<br />
collégiale<br />
384<br />
Pour réussite universitaire des 1 er , 2 e<br />
et, quoi que l’on en dise, 3 e cycle<br />
(d’où s’extirpe progressivement la<br />
pensée réflexive et systémique)<br />
73,4% susceptibles de réussir dans le temps<br />
imparti au secteur jeune (taux de diplomation)<br />
80 à 82 % diplômés du secondaire (DES ou DEP) et<br />
plus sans tenir compte du temps imparti et …<br />
moyennant évaluations modulaires pour environ 9%<br />
(Notions difficilement intégrées et généralisées)<br />
Capacité d’abstraire<br />
Hypothèses<br />
Ce que ce tableau permet d’émettre comme hypothèses, c’est que :<br />
1. le taux de décrochage longitudinal au secteur jeune va toujours tendre vers 26% environ; dans<br />
la structure actuelle, il ne peut, au mieux, que compléter le taux optimal de diplomation au<br />
secteur jeune;<br />
2. il y a large sous-financement des services aux EHDAA; le budget dédié devrait s’accroître d’au<br />
moins 154% (20/13 e ), soit 540 millions;<br />
3. il y a insuffisance d’adaptation des programmes au regard des besoins de la clientèle<br />
vulnérable;<br />
4. il y a très grande insuffisance, voire absence, de voies de formation sur le terrain.<br />
5. il y a inadéquation des voies de qualification par diplômes et risque d’exclusion sociale pour 20%<br />
des jeunes;<br />
6. en standardisant le temps de formation, le modèle d’inclusion pratiqué est humainement et<br />
socialement handicapant pour les écoliers au rythme plus lent de compréhension, production ou<br />
exécution;<br />
7. la didactique des programmes a fait abstraction, par ignorance du terrain et des besoins effectifs<br />
des élèves vulnérables, des niveaux, séquences et pourcentages requis d’adaptation;<br />
8. le modèle actuel est programmé pour faire semblant en matière d’évaluation parce qu’il est le<br />
produit de changements d’équilibre plutôt que de changements structuraux : en clair, c’est un<br />
patchwork où l’effort consiste encore et toujours à tenter de rendre semblables des enfants<br />
différents, à leur détriment, quitte à magouiller…comme promouvoir en échec !
J’ai vu, en mathématique ou en français, des taux d’échec être instantanément<br />
réduits par une pondération ou une normalisation parce qu’il déplaisait à l’œil un taux<br />
d’échec trop élevé ou que, stratégiquement, la nouvelle forme d’évaluation, ajustée à<br />
une réforme, méritait un plus haut taux de succès. Ce n’est certes pas pratique unique<br />
de la commission scolaire où j’ai œuvré, mais aussi pratique usuelle du MEQ et du<br />
MELS.<br />
On fait dire aux chiffres ce que l’on veut qu’ils disent et, lorsqu’ils ne parlent pas<br />
assez fort dans le sens désiré, il n’est qu’à les changer.<br />
Ainsi en est-il aussi des résultats actuels de la lutte curative au décrochage où l’on<br />
mesure, d’ailleurs savamment, les progrès réalisés en faisant abstraction du fait que le<br />
taux de réussite stagne lorsque l’on ne le trafique pas.<br />
Dans ce même sens, le bulletin adapté des élèves en très grande difficulté, détourné<br />
de ses fonctions essentielles, leur servira bien moins qu’au système auquel il permettra<br />
de les soustraire à la quantification du taux de réussite.<br />
Dans un sens complémentaire, le même MELS qui, à l’origine, interdit les projets<br />
éducatifs élitistes à son secteur public (les livrant officiellement aux mains de la<br />
concurrence privée), tolère que ses commissions scolaires et leurs écoles multiplient<br />
les offres sélectives. Parmi celles-là trônent les fameux projets d’anglais intensif au<br />
troisième cycle du primaire, qui, accélération sur un semestre des apprentissages en<br />
français et mathématiques oblige, recrute sa clientèle dans les rangs-cinquièmes 1 et 2,<br />
ces deux premières positions de classement assurant, dit-on, la vitesse d’apprentissage<br />
requise.<br />
385
Je n’ai rien à redire des retombées favorables en anglais dont ne manquent pas de<br />
bénéficier les heureux élus. Je ne doute même pas que leurs apprentissages en<br />
français et mathématiques soient de qualité équivalente à celle qu’elle aurait été,<br />
étalée sur un an à côté des autres matières au programme (obligatoire) complétées à la<br />
maison (mon œil!).<br />
Je veux simplement schématiser ce qui se produit pour les autres, les non-élus…<br />
Avant la création du groupe d’anglais intensif dans un milieu x<br />
Classe a Classe b Classe c Classe d Classe e Classe f<br />
25 élèves 25 élèves 25 élèves 25 élèves 25 élèves 25 élèves<br />
1 1 1 1 1 1<br />
2 2 tc 2 2 tc 2 2 tc 2 2 tc 2 2 tc 2 2 tc<br />
3<br />
3<br />
3<br />
3<br />
3<br />
3<br />
4 5 dla 4 5 dla 4 5 dla 4 5 dla 4 5 dla 4 5 dla<br />
5 2dga 5 2dga 5 2dga 5 2dga 5 2dga 5 2dga<br />
En caractères gras et en grisé, le niveau moyen d’enseignement de la classe et le rapport de force<br />
entre la motivation intrinsèque et le comportement de retrait face à la difficulté<br />
Après la création du groupe d’anglais intensif dans un milieu x<br />
Classe<br />
d’anglais<br />
intensif<br />
Classe b Classe c Classe d Classe e Classe f<br />
30 élèves 24 élèves 24 élèves 24 élèves 24 élèves 24 élèves 24<br />
1<br />
1 3 1 3 1 3 1 3 1 3<br />
3<br />
15 0 tc 2 4 3 tc 2 4 3 tc 2 4 2 tc 2 3 2 tc 2 3 2 tc + 3<br />
2 12 3 5 3 5 3 5 3 6 3 6<br />
+ 3<br />
4 6 6 dla 4 6 6 dla 4 6 6 dla 4 6 6 dla 4 6 6 dla 3<br />
3 3 5 6 2 dga 5 6 2 dga 5 6 3 dga 5 6 3 dga 5 6 2 dga +6<br />
+6<br />
o Dans le premier tableau le niveau moyen d’enseignement correspond au rang 3 et balance la<br />
motivation et le retrait dans un rapport 1 / 1. dans une classe ordinaire balancée, les élèves<br />
forts «tirent» les élèves faibles vers la motivation à apprendre. On les appelle « la locomotive».<br />
o Dans le second tableau, la classe d’anglais intensif obtient un niveau moyen d’enseignement de<br />
1,5, à la frontière des rangs 1 et 2, malgré la présence de 3 écoliers de rang 3 qui seront drainés<br />
par leurs pairs très majoritaires.<br />
o Dans ce même tableau, les cinq classes régulières, toutes allégées d’un élève, voient le nombre<br />
de leur EDAA passé de 9 à 10 et, plus souvent 11. D’autre part, le rapport de force des élèves<br />
motivés (9 ou 37,5%) aux élèves à comportement de retrait (15 ou 62,5%) s’établit à 0,6 / 1,<br />
plombant la classe vers un niveau d’enseignement de rang 4.<br />
386
o Dans ce même tableau, le calcul des rangs-cinquièmes appliqué à la classe d’anglais intensif<br />
attribuera le rang 2 à 6 anciens élèves de rang 1 et le rang 3 à 2 autres également initialement<br />
de rang 1. Ce même calcul attribuera le rang 3 à 4 élèves d’ex-rang 2 et le rang 4 à 6 autres,<br />
enfin 3 élèves d’ex-rang 2 partageront le rang 5 avec les 3 élèves d’ex-rang 3. 63<br />
Anglais intensif<br />
Rang initial Rang final<br />
387<br />
1 6<br />
1 15<br />
2 6<br />
3<br />
2 12 3 3<br />
4 6<br />
3<br />
3 3 5<br />
3<br />
élèves élèves<br />
24 écoliers déclassés…<br />
o Dans ce même tableau, les élèves des classes régulières bénéficient des remontées suivantes :<br />
Classes régulières<br />
Rang initial Rang final<br />
1 3 1 3<br />
1<br />
2 4 2 3<br />
Jeux de chiffres…<br />
Avoir le sud-au-cul…<br />
Perdre le nord…<br />
3 5 3<br />
4 6 4<br />
2<br />
3<br />
2<br />
4<br />
1<br />
5 6 5 5<br />
élèves élèves<br />
6 écoliers surclassés…<br />
Je m’en voudrais de ne pas revenir, sur la lancée, sur un effet déjà nommé des<br />
déviations des mesures et évaluations : il s’agit de la maîtrise de la langue.<br />
63 Ce grotesque phénomène entre, à la fin du secondaire et au long du collégial dans les règles de calcul de la fameuse cote R,<br />
la cote de rendement…Cette cote qui commande encore l’entrée dans des programmes contingentés, parfois au 5/10 de point<br />
près. Énorme foutaise !
Moi, jeune adulte arrivant à l’université, en faculté d’éducation, après avoir réussi,<br />
parfois haut la main 64 , mes épreuves standardisées de français du secondaire et mon<br />
épreuve unique du collégial, je crois sottement que j’ai acquis les standards<br />
correspondants à mon niveau de scolarité, puisque le MELS m’a diplômé, et deux fois<br />
plutôt qu’une : DES et DEC!<br />
Puis j’apprends que non! J’ai échoué mon SEL ou mon Céfranc, tests de<br />
qualification en français et je ne puis, après deux ans de formation universitaire,<br />
poursuivre mon rêve d’enseigner. Je n’y comprends rien : le même MELS qui a<br />
sanctionné ma qualification la juge à présent insuffisante.<br />
L’était-elle lorsqu’il m’a favorablement sanctionné ?<br />
o Si oui, pourquoi n’ai-je pas reçu une formation suffisante?<br />
o Si oui, m’a-t-il triché en me sanctionnant favorablement alors que ma formation était<br />
insuffisante ?<br />
o Sinon, comment une formation suffisante se transforme-t-elle en formation<br />
insuffisante ?<br />
o Sinon, est-ce un autre type d’exigences ?<br />
o Si oui, pourquoi ne suis-je pas crédité pour les acquérir ? Pourquoi ne font-elles<br />
pas partie de mon curriculum officiel?<br />
Sinon, tout n’est-il que dérive et tripotage?<br />
Un grand ménage s’impose en matière d’évaluation, à commencer par la résolution<br />
sensée du dilemme de l’incorporation de l’évaluation différenciée à la sanction des<br />
études. Ce dilemme, comme je l’ai explicité, ne peut être résolu en circuit fermé par le<br />
64 J’ai déjà donné des cours de préparation au test SEL à des étudiantes qui, lors de leur collégial, ont été créditées pour des<br />
cours de soutien en français donnés à leurs pairs…<br />
388
seul système éducatif. Il ne peut être réglé sans une réingénierie fondamentale de<br />
l’appareil d’État pour qu’il soit invariablement et incorruptiblement consacré au bien-être<br />
collectif durable et qu’à cette fin, l’économie soit un moyen totalement bridé.<br />
L’évaluation différenciée ne peut pas être significative si elle n’aboutit pas à la<br />
sanction de formations qualifiantes et, pour ce faire, la différenciation doit trouver ses<br />
équivalences sur le marché de l’emploi : environ 20% de la population demeure en<br />
besoin essentiel à cet égard.<br />
Si cela ne se fait pas, le mensonge éducatif perpétrera ses crimes.<br />
De façon générale, lorsqu’un système éducatif ment, c’est que l’État qui le pilote le<br />
contraint à mentir pour couvrir ses zones de corruption et ses pactes avec les ennemis<br />
du bien public. Il est malheureux que je ne puisse pas dire que le système éducatif est<br />
le bras de l’État : cela supposerait que l’État est le cerveau et qu’il en a un.<br />
Or, dans un monde mené par le fric, il en est des cerveaux comme des capitaux :<br />
c’est la fuite!<br />
29. Lavage de cerveau des jeunes gestionnaires<br />
La haine des faibles n'est pas si dangereuse que leur amitié.<br />
Luc de Clapiers<br />
Le principe dévoyé de l’homéostasie fait en sorte que l’équilibre humain individuel est<br />
rompu de façon permanente et que la plupart de nos énergies ne sont pas consacrées<br />
à le vivre, mais à compenser notre état quasi permanent de déséquilibre, par des<br />
processus illusoires de rééquilibre. L’illusion consiste d’abord à faire croire à autrui que<br />
notre état d’équilibre revêt un caractère permanent, puis elle dévie vers la croyance<br />
personnelle, cristallisée en persuasion, que nous sommes personnellement en parfaite<br />
harmonie, en parfait contrôle, en parfait équilibre. En psychopathologie, ces processus<br />
389
correspondent aux modèles cognitifs des comportements inadaptés d’A.T. Beck et<br />
de J.E. Young.<br />
Nous avons vu l’écart rapide qui s’installe entre les aspirations premières des<br />
jeunes gestionnaires et les paramètres qui encadrent réellement leur<br />
administration des écoles.<br />
Ce qui est le plus surprenant dans cette situation, c’est la victimisation de ces<br />
jeunes recrues, comme si le fossé qui les sépare de leurs soi-disant valeurs était<br />
creusé de force par l’effroyable godet d’une gigantesque pelle mécanique.<br />
Il me faut leur révéler que, promus leaders incontestables par la machine qui<br />
les emploie, ils sont eux-mêmes l’objet de la manipulation qu’ils font subir à leurs<br />
subalternes.<br />
Disons, de façon à peine caricaturale, que le MELS, comme le gouvernement,<br />
définit la raison d’État. Les caractéristiques de cette raison sont qu’elle est insaisissable<br />
pour le commun des mortels dès qu’elle devient questionnée et confuse; qu’elle est, en<br />
même temps et en toutes circonstances, le motif à agir, la cause et l’explication<br />
premières. Elle agit comme un «crois ou meurs!». Dans une structure pyramidale, la<br />
raison d’État est perchée au sommet et est partiellement partagée avec les paliers<br />
«cadres».<br />
Ce partage, dans les C.S., se réalise principalement dans deux instances : le<br />
comité de régie, club sélect de la direction générale et des directions de services et le<br />
comité consultatif de gestion, bien moins sélect : même équipe additionnée des<br />
directions des établissements scolaires. Certains membres de comités de régie m’ont<br />
conté les rigolades qu’ils ont eues au regard amusé des manipulations décidées en<br />
390
comité de régie et exercées lors des comités consultatifs de gestion sur certaines<br />
directions d’écoles. Cela n’est pas sans rappeler les expériences de Stanley Milgram<br />
sur «la soumission à l’autorité» et sa révélation effrayante des compétences réjouies de<br />
bourreau d’une partie des tortionnaires…<br />
La règle qui prévaut est que tout palier supérieur manipule, délicatement ou<br />
coercitivement, les paliers inférieurs. Dans cette foulée, Chrys Argyris, éminent<br />
professeur à l’Université de Harvard, s’est intéressé aux relations entre individus et<br />
organisations et à la gestion du changement tel que piloté par les administrateurs ou<br />
gestionnaires.<br />
Ses conclusions sont à l’effet que nos supérieurs, leaders autoproclamés,<br />
maintiennent leurs subordonnés dans différents états de dépendance :<br />
o Infériorité<br />
o Passivité<br />
o Simplisme<br />
o Ignorance<br />
o Préoccupation à court terme<br />
o Vision à court terme.<br />
Argyris défend ainsi le point de vue que maints administrateurs sont plus<br />
compétents dans «la manipulation des individus» que dans la gestion stratégique de<br />
l’environnement.<br />
C’est précisément ce mal qui caractérise la philosophie d’intervention du MELS<br />
et celle d’une majorité des dirigeants de ses commissions scolaires et de ses écoles.<br />
391
Historiquement, c’est ainsi qu’ont été planifiées les réformes et leur implantation. On<br />
comprend (bien?) ou l’on m’accordera qu’au-dessus de ce champ de mines, règnent les<br />
véritables détenteurs du pouvoir et des capitaux dont les buts principaux sont la<br />
préservation et l’accroissement de leurs privilèges. La prédation est le premier motif.<br />
Rares sont les hommes dont le cheminement permet de retracer ce lien. Il<br />
faudrait trouver quelqu’un (qui cela peut-il être?) qui aurait servi successivement tous<br />
les maîtres (et pions) de ce petit monde, en dirigeant, en tout ou en partie, directement<br />
ou indirectement, un ministère de l’Éducation, une commission scolaire, une fédération<br />
de C.S., un conseil du patronat, un parti politique…Comme ces indices ne nous<br />
permettent pas d’identifier pareil cardinal (je veux dire éminence…), il nous faut donc<br />
retracer nous-mêmes les grandes lignes de cette toile.<br />
Dans toute tentative d’appréhension du monde, le premier stade d’apprentissage<br />
est l’automatisme qui consiste à enregistrer des données à l’état brut et à agir selon ces<br />
données : il s’agit de la pensée préréflexive. Le troisième stade d’apprentissage, qui a<br />
inspiré le courant psychocognitiviste, est le traitement réflexif des données qui permet<br />
de composer avec les données à l’état brut pour en examiner les causes et les effets et<br />
procéder, le cas échéant, à des remaniements. Entre les deux, un stade intermédiaire,<br />
celui de la pensée quasi réflexive correspond aux altérations qu’elle se fait elle-même<br />
subir en se prostituant ou s’avilissant.<br />
Les études d’Argyris suggèrent que, sous l’emprise d’un leader dévoué à la raison<br />
d’État, le subalterne peut être déstabilisé et rendu inapte à traiter ses propres données<br />
selon ses croyances personnelles, mais que, incapable de supporter cette inaptitude, il<br />
392
va préférer recouvrir sa capacité analytique, quitte à abandonner ses bases<br />
informatives et à bafouer ses croyances personnelles.<br />
Cette mécanique repose donc sur le fait que les gens sont originellement guidés par<br />
des «microthéories» intériorisées de l’action, théories «épousées» qu’ils conservent en<br />
tête et qui les motivent à agir dans le sens «librement choisi».<br />
Toutefois, parmi eux, rares sont ceux qui savent que, rendus inaptes à réfléchir sur<br />
leur comportement et ses effets, ils se guident plutôt ou vont se guider selon des<br />
théories inculquées. Ceux qui en ont toutefois conscience sont programmés pour ne<br />
pas dénoncer cette antinomie par les techniques usuelles du conditionnement opérant.<br />
Ces théories inculquées deviennent les théories en usage.<br />
Le stratège, leader, gestionnaire, administrateur les structure de telle sorte que ses<br />
valeurs (ou celles qu’il croit siennes) soient satisfaites et qu’il soit en mesure d’appliquer<br />
ses stratégies comportementales, lesquelles comprennent :<br />
1) sa définition unilatérale du pourquoi d’une situation,<br />
2) sa victoire ou sa «non-défaite»,<br />
3) la suppression des sentiments d’autrui,<br />
4) l’emphase sur la vie de tous les jours au détriment de la mesure des enjeux et<br />
impacts à moyen et long termes.<br />
Pour parvenir à ses fins, à ces variables, le leader va<br />
o s’adjuger une position et contrôler les autres unilatéralement de telle sorte qu’on lui<br />
concède cette position,<br />
o décider unilatéralement qui on informera et qui sera tenu dans l’ignorance,<br />
o contrôler seul les rôles qui seront alloués,<br />
393
o décider qui sera déçu et qui ne le sera pas de la distorsion de l’information.<br />
L’opérationnalisation de ce processus est certes graduelle, mais elle s’effectue dès<br />
les trois premières années de l’entrée en fonction. Les anciens compagnons<br />
enseignants voient alors se métamorphoser leur collègue promu-e. Bientôt, elle ou il est<br />
méconnaissable.<br />
Un tel mode de gestion n’est pas sans effet sur les subordonnés :<br />
o Le monde dans lequel ils évoluent les tend à devenir plus défensifs et moins<br />
ouverts;<br />
o Leur seul apprentissage possible dans ces conditions est de l’ordre de<br />
l’automatisme;<br />
o Il est rarement possible de tester publiquement ses idées et, par là même, d’acquérir<br />
autre chose que ce qui est prévu par la théorie inculquée;<br />
o La résolution de problème tend à devenir inefficace pour traiter des conséquences<br />
menaçantes ou difficiles d’un tel usage, traitement qui revient à violer les variables<br />
gouvernantes parmi lesquelles la modernité a ajouté la loyauté déontologique<br />
indéfectible à «l’Organisation», fût-elle contraire au bien des élèves;<br />
o Les personnes ainsi programmées évitent systématiquement le traitement des<br />
données et les situations où il est nécessaire.<br />
95% des 1000 cas organisationnels, y compris publics, étudiés par Argyris ont<br />
vérifié l'applicabilité de ce modèle : c’est tout dire!<br />
Le vieillissement des cadres à la direction des écoles a accentué le recrutement et<br />
l’entrée précoce dans la profession. Ce rajeunissement s’est accompagné d’une docilité<br />
394
accrue et d’une plus grande perméabilité au processus de lavage des cerveaux. À<br />
l’origine de cette malléabilité se trouve l’exercice mal intégré du pouvoir.<br />
Voici, quant à moi, la définition que j’ai établie de son champ d’application :<br />
Le seul pouvoir que l’on puisse détenir sur autrui est celui qui consiste à doter les<br />
autres du maximum de pouvoir sur eux-mêmes et d’une totale indépendance à<br />
l’égard de celui que l’on exerce sur eux.<br />
395<br />
Patrick JJ Daganaud, 2003<br />
Mais que faire, Ô misère, lorsqu’autrui ne veut pas, ne veut plus, du pouvoir sur lui-<br />
même, que faire lorsque la mort lente sévit?<br />
Maudite résilience qui tue le vivant souffrant pour faire vivre, immobile, l’anesthésié<br />
décapité.<br />
Le vrai pour l’image…
396
Chapitre X<br />
Allergies de contact et cautères sur des jambes de bois<br />
397<br />
De profundis clamavi<br />
Du fond de l’abîme, j’ai crié<br />
Il se réalise, sous de fort généreuses déterminations de commissions scolaires<br />
réellement arrimées à leurs localités, de formidables regroupements d’énergies pour<br />
contrer le décrochage et amplifier la réussite.<br />
Voilà, entre autres, tout à coup, le monde économique, bancaire, des caisses<br />
populaires, des moyennes et grosses entreprises, qui s’implique «bénévolement»,<br />
quasi par grandeur d’âme et charité dans des campagnes de promotion de l’école.<br />
Bon, c’est sûr que le tir vacille puisque, succédant à la promotion de la scolarisation<br />
prolongée jusqu’aux délices universitaires et au bienfondé de «l’économie de<br />
l’intelligence», la mire actuelle se voit confrontée aux besoins en main-d'œuvre<br />
spécialisée, mais à présent de niveau collégial ou de niveau secondaire…«Qui s’instruit<br />
s’enrichit», mais pas trop : un seul cerveau peut faire travailler plusieurs bras,<br />
préférablement électromécaniques…<br />
Mais là n’est quand même pas le problème.<br />
Dans ces admirables associations de haute voltige entre le capital, le haut savoir, la<br />
santé, les services sociaux et communautaires et le scolaire, les deux questions<br />
fondamentales sont : qu’en est-il des allergies de contact et produisent-elles des<br />
cautères sur des jambes de bois?
Première allergie<br />
Parce que le milliardaire n'a pas récolté sans peine, il s'imagine qu'il a semé.<br />
Jean Jaurès<br />
Le capital est majoritairement allergique à la répartition équitable du capital et au<br />
partage de ses pouvoirs : peut-il promouvoir une école démocratique et<br />
communautaire, une société néodémocrate et socialiste seule garante d’équité et seule<br />
protectrice des plus vulnérables?<br />
Et puis, cette tendance du capital à se gargariser de son implication sociale comme<br />
si elle était œuvre d’implication volontaire, alors qu’elle doit être contribution sociale<br />
réglementée et obligatoire, n’est-elle pas accompagnée de ses influences politiques<br />
tacites, de son unique désir ultime d’orienter à son profit les objectifs et opérations du<br />
système scolaire?<br />
L’argent en provenance du capital devrait être ponctionné à la source : ce<br />
n’est pas un don, c’est une redevance!<br />
Aucune influence en lien avec le surprofit du capital ne devrait entacher un système<br />
scolaire. C’est dire le point de rupture sociale que nous avons franchi lorsque nous en<br />
sommes à saluer béatement le bénévolat capitaliste.<br />
Je pourrais d’ailleurs l’élargir à toute zone de surprofit : celle du bénévolat du jet set<br />
artistique (au Québec, sous-produit de la convergence), celle du sport professionnel,<br />
celle des industries du vol légalisé : assurances, banques, pétrolières, industrie<br />
pharmaceutique et industrie privée de la santé, industrie agroalimentaire, industrie de<br />
la guerre, de la sécurité et de l’armement, effrayante et immorale industrie boursière,<br />
etc.<br />
398
C’est à l’État et aux États de légiférer pour que soient empêchées les richesses<br />
extrêmes et leur hyperconcentration et pour que soient redistribuées, en toute justice,<br />
les justes redevances!<br />
Seconde allergie de contact<br />
Dans l’organisation sociale actuelle et sous sa gouvernance, face au Conseil du<br />
trésor, le système des services de santé et des services sociaux est particulièrement<br />
vorace et tentaculaire.<br />
Il convient, à cet égard, de savoir que la portion des coûts attribuables aux<br />
médicaments et aux équipements est la plus ambitieuse, les gouvernements ayant omis<br />
et omettant encore de brider l’industrie pharmacologique et de la haute technologie<br />
médicale. Il adviendra la même chose quant aux appétits grandissants de la partie<br />
mercantile des médecins et spécialistes (ils ne le sont pas tous), si elle n’est pas non<br />
plus encadrée. L’industrie de l’appareillage médical, plus discrète, souffre aussi de<br />
gloutonnerie…<br />
Comme les attaques à notre état global de santé (physique, intellectuel, affectif et<br />
mental) se sont amplement diversifiées dans l’espace que nous avons concédé à<br />
l’exploitation de l’homme par l’homme, nous nous sommes fragilisés et sommes donc<br />
plus dépendants des soins dits de santé (nous devrions utiliser «soins médicaux») et<br />
des services sociaux.<br />
Aussi, logiquement, soutenons-nous fortement les prétentions budgétaires du<br />
MSSSS. 95% de la population appuient les revendications de ce ministère auprès du<br />
gouvernement et démontrent ostensiblement cet appui lorsque l’appareil de l’État veut y<br />
faire des coupes.<br />
399
Comme les redevances du capital ne pleuvent pas, les ministères sont en<br />
concurrence au moment de négocier leurs crédits auprès du Conseil du Trésor.<br />
C’est le cas du MELS, second trou noir de la galaxie budgétaire. À la différence près<br />
que seulement 25% de la population appuient ses demandes. Les adultes devenus<br />
scolarisés ont le service reçu et n’ont plus besoin de le réclamer ni crainte de le<br />
recevoir. Quant à la jeunesse qui en bénéficie, elle n’a guère voix au chapitre. Après<br />
tout, n’a-t-elle pas tout le temps en avant d’elle?<br />
Le MSSSS est en pénurie de ressources. Le MELS l’est aussi. Assis à une même<br />
table, ils se disputent les allocations, le premier soutenu par le peuple malade, l’autre<br />
délaissé par le peuple incrédule. Au terme de leur négociation, ils demeureront en<br />
pénurie. Concurrence et complémentarité dans une situation de contrainte?<br />
Bien sûr que c’est possible, mais tout aussi probant que faire une omelette sans<br />
casser les œufs! Je devrais plutôt écrire casser des structures, comme nous l’avons fait<br />
en intime partenariat pour l’avènement inspirant de la communauté scolaire Sante-<br />
Famille-Laporte. Je crains fort que la nouvelle génération de gestionnaires n’ait, à cet<br />
égard, la queue entre les pattes!<br />
Troisième allergie<br />
Dans la structure fonctionnelle historiquement adoptée, les CS, comme le MELS,<br />
ont l’habitude de la gestion par discours. Elles formulent donc de vertueux objectifs<br />
dans des plans stratégiques de toute beauté, plans qui se traduisent dans les écoles<br />
par d’autres plans (de réussite).<br />
400
Hélas, l’allergie de contact aux opérations préalables essentielles est tellement<br />
ancrée et insidieuse qu’elle invalide la plupart des efforts honnêtement consentis par les<br />
exécutants, les gens de la base.<br />
C’est le cas de la conjonction des approches promotionnelles, préventives et<br />
curatives, le plus souvent mises en opposition, le cas de la gestion éthique<br />
systématique des P.I., de celle des évaluations expertes pour les éclairer et de celle<br />
des services spécialisés qui devraient en découler.<br />
D’en haut, le système scolaire dit vrai, mais fait faux.<br />
Dès lors, lorsqu’il s’associe, à ce palier, à la communauté ambiante, elle peut être<br />
assurée qu’une bonne partie de ses investissements sera invalidée par l’écart entre<br />
l’agir et le discours.<br />
Toutefois, le système scolaire n’est pas l’initiateur de cette apologie de la fausseté. Il<br />
est un élément corrompu d’un système social victime d’un cancer généralisé qui se<br />
répand planétairement. Ce n’est certes pas une consolation de savoir qu’il en est ainsi<br />
puisque tous les remparts de la sociale démocratie sont rompus pour et par le culte du<br />
Veau d’or.<br />
Je me dis, en guise de consolation, que je finirais bien par faire de la blanquette<br />
avec le Veau maudit, tout en sachant que c’est un symptôme de la maladie qui m’habite<br />
et qu’il y a risque d’attraper la vache folle…<br />
Ceux qui, comme moi, rêvent encore à une société juste et équitable, dédiée à<br />
chacun de ses membres, vouée au bien commun, une société de paix et de partage et<br />
dont les buts ultimes soient le bonheur collectif et le meilleur devenir de son enfance<br />
souffrent d’«espérite aigüe», maladie orpheline et dégénérative où l’espoir, le grain de<br />
401
saine folie et la ténacité croissent proportionnellement aux défaites. On rapporte que<br />
Don Quichotte souffrait de l’espérite aigüe…Cyrano aussi. Guevara également :<br />
«Soyons réalistes, visons l’impossible!»<br />
Une Ruffo, un Gélinas, un Lacroix, un Desruisseaux, une Pannetier, un Julien, un<br />
Binet et maints autres…<br />
Inlassables guerriers pacifiques démontrant dans l’action la possible émergence<br />
d’un monde meilleur, tandis que les beaux mots répétés se trahissent :<br />
Un Québec fou de ses enfants(1991)<br />
Des cibles :<br />
1. réduire la pauvreté<br />
2. concerter les efforts des adultes qui entourent les enfants et les jeunes en appuyant<br />
au 1 er chef les parents<br />
3. soutenir les enfants et les jeunes dans la tâche fascinante de grandir et de se<br />
développer<br />
1998 : 7 ans plus tard (source : lepetitmonde.com)<br />
« Le rapport Un Québec fou de ses enfants reconnaissait clairement qu'après l'enfant<br />
lui-même, ce sont les parents qui sont les maîtres d'œuvre de son développement. Or il<br />
appert que plusieurs parents sont centrés sur la performance de leurs enfants et<br />
valorisent l'acquisition d'habiletés précises, parfois même élitistes, même chez les toutpetits.<br />
Exemples: apprendre à lire ou apprendre l'informatique aux enfants de deux-trois<br />
ans.<br />
Il existe un problème réel de disponibilité des parents, des adultes en général. Par<br />
contre, ceux-ci sont plus exigeants de la performance de l'enfant. Or plusieurs<br />
intervenants notamment auprès des tout-petits dénoncent cette approche de formation<br />
de jeunes prodiges. Comment concilier les deux approches dans la mesure où les<br />
402
parents sont les premiers responsables du développement de leur enfant? Comment<br />
recentrer ces activités vers le plaisir?<br />
Il ressort également que la négligence des enfants n'est pas le propre des familles<br />
pauvres. En effet, de nombreux enfants de familles aisées souffrent de solitude et de<br />
manque de support familial. Sans juger les parents, il faudrait peut-être créer un<br />
programme d'éducation des parents pour qu'ils apprennent à éduquer les enfants. Il<br />
faudrait aussi se mobiliser afin de permettre une meilleure conciliation travail-famille. À<br />
l'évidence, la revalorisation du rôle de parent dans la société s'impose.»<br />
2004 : 13 ans plus tard…<br />
Un Québec digne de ses enfants (2004) Ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille<br />
De nouvelles cibles<br />
«Depuis des années, le Québec considère les enfants comme une priorité. Cela se<br />
manifeste concrètement dans les choix réalisés en faveur du développement de la<br />
petite enfance et de l’égalité des chances, des investissements majeurs en éducation,<br />
du soutien particulier à l’égard de la jeunesse en difficulté, de l’amélioration des<br />
processus de surveillance et de l’approche préventive en matière de santé. Le<br />
gouvernement a pris, dans les vingt dernières années, des mesures « structurantes »<br />
qui ont propulsé le Québec à l’avant-garde. Il entend continuer avec détermination à<br />
consolider son action à l’égard des enfants et son soutien aux familles. Le présent plan<br />
d’action trace les lignes directrices et les priorités pour les dix prochaines années et met<br />
en relief les défis à relever.»<br />
2007 : 16 ans plus tard…<br />
Riche de tous nos enfants (2007) ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec<br />
«Ce troisième rapport national sur l’état de santé de la population est divisé en quatre<br />
parties.<br />
• La première permet de comprendre comment se produisent les écarts de santé<br />
dans les milieux les moins favorisés. En observant les effets cumulatifs des<br />
différents facteurs qui interagissent en milieu de pauvreté, on comprend mieux les<br />
conséquences de la pauvreté dans sa dimension matérielle (du faible revenu) et dans<br />
403
sa dimension sociale (de l’isolement et de l’exclusion sociale) sur la santé et le<br />
développement des jeunes.<br />
• La deuxième partie brosse un portrait de la pauvreté des enfants québécois de 0<br />
à 17 ans. Elle évalue la situation qui prévaut ici au regard de celle du reste du Canada<br />
et des pays développés en général. Et, parce que cela a aussi un effet sur eux, elle<br />
s’intéresse à l’évolution récente des familles et aux nouvelles caractéristiques de<br />
l’économie.<br />
• La troisième partie présente les écarts de santé observés chez les jeunes<br />
Québécois, selon la condition socioéconomique de leur famille. De nombreuses<br />
données, dont une grande partie a été produite pour les besoins de ce rapport, viennent<br />
illustrer l’ampleur des différences qui existent entre les enfants des milieux défavorisés<br />
et ceux des milieux qui le sont moins au regard de leur santé physique, de leur santé<br />
mentale, de leur développement, de leur adaptation, et d’autres facteurs reconnus<br />
comme des déterminants de l’état de santé et de bien-être.»<br />
Des faits saillants extraits de ce rapport de 2007 (16 ans plus tard) :<br />
Pauvreté Santé EHDAA<br />
En 2004, au Canada : 34 % des<br />
enfants pauvres vivaient dans des<br />
familles où au moins un parent<br />
travaillait à temps plein toute l'année.<br />
En 1993, ce pourcentage était de<br />
27%<br />
La participation des mères au<br />
marché du travail n’a pas entraîné<br />
l’augmentation des revenus des<br />
ménages attendue.<br />
Les jeunes issus de l’immigration et<br />
ceux des communautés autochtones<br />
sont particulièrement touchés par la<br />
pauvreté.<br />
Les familles monoparentales sont les<br />
plus exposées à la pauvreté qui<br />
augmente selon le nombre d’enfants<br />
Le Québec doit faire des progrès<br />
pour égaler la performance de<br />
certains pays<br />
européens sur le plan de la pauvreté<br />
des enfants.<br />
Les taux de mortalité sont près de<br />
trois fois plus élevés chez les<br />
garçons et près de deux fois plus<br />
élevés chez les filles du groupe le<br />
plus défavorisé que ceux observés<br />
dans le groupe le plus favorisé.<br />
Naître pauvre, c’est risquer d’avoir<br />
un moins bon état de santé dès le<br />
départ : poids insuffisant à la<br />
naissance, plus de problèmes<br />
d’asthme ou d’otites, risque plus<br />
élevé d’embonpoint dès l’âge de 6<br />
ans, mauvaise santé dentaire, etc.<br />
La détresse psychologique, la<br />
perception de leur santé mentale<br />
comme passable ou mauvaise, la<br />
présence d’idées suicidaires des<br />
jeunes augmentent lorsque le<br />
revenu des parents diminue<br />
Les troubles mentaux hospitalisent<br />
significativement plus de jeunes plus<br />
défavorisés que de jeunes plus<br />
favorisés, en particulier<br />
chez les garçons<br />
404<br />
Plus de trois fois plus enfants des<br />
milieux défavorisés que d’enfants<br />
favorisés ont des retards scolaires<br />
au primaire et au secondaire. Ils sont<br />
deux fois plus nombreux à éprouver<br />
des problèmes d’apprentissage et<br />
trois fois plus nombreux à présenter<br />
des troubles graves de<br />
comportement au secondaire.<br />
Les enfants des milieux défavorisés<br />
sont également moins nombreux à<br />
obtenir leur diplôme d’études<br />
secondaires : chez les garçons<br />
(54 % vs 77 %) et chez les filles (71 %<br />
vs 88 %)<br />
Deux fois plus d’enfants des familles<br />
à faible revenu subissent de la<br />
violence sévère que dans les<br />
familles à revenu moyen ou élevé.<br />
Les enfants défavorisés sont plus<br />
nombreux à ne pas déjeuner, à être<br />
sédentaires, à fumer, à consommer<br />
de l’alcool et de la drogue et à avoir<br />
une faible estime d’eux-mêmes.
Ce que la société fait, l’école le fait. La première à ses enfants, la seconde à<br />
ses élèves.<br />
Le modus operandi institué est celui de l’immobilisme : c’est comme si l’agent de<br />
changement était constamment placé sur une mine antipersonnelle.<br />
Comme diraient nos jeunes cousins français des zones : «Si tu bouges, je<br />
t’explose!»<br />
d’agir.<br />
La règle : tu as le droit de crier à l’injustice (et encore, pas trop fort), mais pas celui<br />
30. Absence de vraie opérationnalisation de l’entente de complémentarité des<br />
réseaux<br />
Plus que tous, les écoliers multihandicapés révèlent, par le sort qu’on leur réserve,<br />
les cancers qui rongent notre système social tout entier.<br />
«Après deux ans de travaux, le ministère de l’Éducation et celui de la Santé et des Services<br />
sociaux ont conclu, en avril 2003, une nouvelle entente sur la complémentarité des services.<br />
Cette entente est accompagnée d’une stratégie de mise en œuvre, qui devrait se faire d’ici<br />
2006. Cependant, des objectifs sont abstraits, par exemple « élaborer et réaliser une stratégie<br />
conjointe d’appropriation des orientations » ou « proposer des pistes de solution aux obstacles<br />
rencontrés ». D’ici là, aucune action précise n’est prévue pour les commissions scolaires ainsi<br />
que les écoles. On ne peut donc pas s’attendre à ce qu’il y ait une meilleure collaboration entre<br />
les deux réseaux à brève échéance.» 65<br />
Pensez-vous, dans ce contexte, que les quatre dernières années aient substantiellement<br />
amélioré l’indispensable arrimage des réseaux et peut-on croire le MELS à ce sujet?<br />
65 Article 2.78 du rapport 2003-2004 à l’Assemblée nationale de la vérificatrice générale intérimaire du Québec.<br />
405
Faisons une première petite incursion relative à l’entente de complémentarité, dans le<br />
Rapport 2003-2004 du ministère de l’Éducation :<br />
Ce tableau est alors accompagné de ce texte :<br />
«Les travaux réalisés en 2002-2003 avaient permis l’élaboration, la validation et la production<br />
de l’entente de complémentarité. S’inscrivant dans la continuité de ceux-ci, les travaux menés<br />
en 2003-2004 ont permis d’atteindre 100 p. 100 des objectifs visant à diffuser l’entente et<br />
à la mettre en oeuvre sur le plan national et dans la moitié des régions administratives du<br />
Québec. L’année 2004-2005 visera à compléter la mise sur pied des comités régionaux, ainsi<br />
que la création de comités locaux de concertation sur l’ensemble du territoire québécois.»<br />
Faisons une seconde petite incursion relative à l’entente de complémentarité, mais,<br />
cette fois-ci, dans le Rapport 2004-2005 du ministère de l’Éducation :<br />
Objectif 2004-2005<br />
Poursuivre la diffusion et le soutien à la mise en oeuvre de l’entente de<br />
complémentarité des services conclue en mars 2003 entre le réseau de l’éducation et le<br />
réseau de la santé et des services sociaux.<br />
406
«Au 31 mars 2005, 88 p. 100 des régions ont créé un mécanisme régional de concertation et 50<br />
p. 100 des commissions scolaires, en partenariat avec les agences de développement de<br />
réseaux locaux de services de santé et de services sociaux, ont mis en place un mécanisme<br />
local de concertation. Ces résultats dépendent en grande partie du dynamisme et des actions<br />
des différents partenaires aux niveaux régional et local.<br />
En créant des mécanismes régionaux et locaux de concertation, le gouvernement souhaite<br />
améliorer l’organisation de la gamme des services intégrés offerts aux jeunes, simplifier et<br />
accélérer les modalités d’accès aux services de même qu’enrichir les plans de services<br />
individualisés et intersectoriels.»<br />
Premier constat : le MELS n’a pas été immobile à la suite du rapport 2003-2004 de<br />
la Vérificatrice : c’est bien! Il a placoté en masse et animé les séances d’information sur<br />
l’entente…<br />
Second constat : au palier régional, lequel, entre vous et moi, n’a qu’une idée<br />
sommaire de ce qui se passe sur le plancher, 88% des régions ont mis sur pied un<br />
mécanisme régional de concertation. Deux ans pour mettre sur pied un mécanisme de<br />
concertation et encore, pas partout. On ne décernera pas une médaille d’or aux<br />
régions!<br />
407
Troisième constat : au palier des commissions scolaires, entre avril 2003 et juin<br />
2005, 50% des C.S. ont mis sur pied un mécanisme local de concertation. Ce résultat,<br />
atteint en plus de deux ans, ne conclut pas à une prouesse. Il ne faudrait d’ailleurs pas<br />
établir la note de passage à 60%, car ce serait l’échec, d’autant plus qu’aucun résultat<br />
n’émerge quant aux résultats probants de la concertation!<br />
Évidemment, 2003-2004 et l’année suivante représentent la saine réaction du<br />
gouvernement et, en particulier, du MELS et du MSSSS, à la révélation de la<br />
vérificatrice générale à l’Assemblée nationale. Avouons que ce n’est pas bon signe.<br />
Poursuivons avec le Rapport 2005-2006 du ministère de l’Éducation :<br />
Il faut noter un changement non anodin dans les indicateurs :<br />
o Il y avait, jusqu’en 2004-2005, vérification de la mise en place des mécanismes<br />
régionaux (88% atteints en région) et locaux (50 % des CS localement) de<br />
concertation devant vivifier l’entente de complémentarité;<br />
o il y a désormais un seul indicateur qui concerne la mise en place de l’approche<br />
École en santé (58 % des CS)<br />
On ne saura donc pas et plus ce qui est advenu de celles des CS (50%) qui, en<br />
2004-2005, n’avaient pas encore mis en place de mécanisme local de concertation<br />
avec le réseau des SSSS.<br />
Est-ce que l’approche École en santé remplace les mécanismes de concertation ?<br />
Laissons répondre le ministère (le soulignage est mon œuvre…) :<br />
408
«En mars 2003, le ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi que le ministère de<br />
l’Éducation ont signé une entente de complémentarité des services entre leurs réseaux autour<br />
d’un objectif commun : le développement et la réussite des jeunes. L’un des volets de cette<br />
entente consiste à mettre en place des interventions globales et concertées à partir de l’école,<br />
mieux connue sous le vocable « approche École en santé ». Cette approche contribue à la<br />
mission éducative de l’école en inscrivant la promotion de la santé et du bien-être et la<br />
prévention au coeur de son projet éducatif et de son plan de réussite. Elle commande d’agir<br />
simultanément sur l’ensemble des facteurs clés du développement des jeunes, par exemple<br />
l’estime de soi, la compétence sociale, les habitudes de vie de même que les comportements<br />
sains et sécuritaires.»<br />
L’approche École en santé constitue donc un seul des volets de cette entente. Quels<br />
sont les autres? Les mécanismes de concertation régionaux et locaux en étaient-ils ? Si<br />
oui, pourquoi cesse-t-on d’en traiter? Sinon, quels volets couvraient-ils qui leur<br />
méritaient de figurer en statistiques dans les rapports antérieurs du ministère?<br />
Pour École en santé, comment se sont traduits ces 58% de mise en œuvre?<br />
Redonnons la parole au ministère :<br />
«Des documents de soutien ont été diffusés dans les commissions scolaires pour les outiller au<br />
regard de la mise en oeuvre de cette approche dans leurs écoles. Des ateliers régionaux<br />
d’appropriation de l’approche et des ateliers pour les accompagnateurs locaux ont également<br />
été offerts dans plusieurs commissions scolaires.»<br />
Ouf, tout un menu! Et à quel coût, ça, Madame, Monsieur?<br />
«Une somme totale de 228 000 dollars a été consacrée à la mise en oeuvre de<br />
l’approche École en santé en 2005-2006.»<br />
409
Quels résultats tangibles, cela a-t-il produit?<br />
«Une comparaison préliminaire des données, qui demeurerait à interpréter, fait ressortir<br />
que 58 p. 100 des commissions scolaires se sont donné un plan de mise en oeuvre de<br />
l’approche. La cible prévue pour 2008 se trouve ainsi dépassée.<br />
Selon l’information disponible, l’état d’avancement de ces plans varierait<br />
considérablement d’un milieu à l’autre.»<br />
Reprenez-vous votre souffle, époustouflés que vous êtes, vous aussi?<br />
Ce qui est sûr, c’est qu’il est vrai que 58% de 2005-2006, c’est plus que 50% de<br />
2008, même si l’on ne sait pas trop ce que 50% signifie relativement à la globalité de<br />
l’entente et de ses retombées réelles. Le sécateur est passé dans les indicateurs!<br />
Encore une fois, de bonnes idées…<br />
Représentant le lieu désigné de concertation des partenaires et d'intégration des<br />
moyens d'action puisqu’elle est, après la famille, le deuxième milieu de vie pour le<br />
jeune, l'école est le pivot de l’approche École en santé et détient le rôle central, dans la<br />
mise en œuvre de son projet éducatif et de son plan de réussite, d’actualiser l’aspect<br />
promotionnel et préventif de la santé et la mobilisation des ressources de la<br />
communauté.<br />
De son côté, le Centre (régional) de santé et de services sociaux (CSSS), qui<br />
détient, entre autres mandats, l’offre de services sociaux et de services de santé auprès<br />
des enfants d'âge scolaire, doit actualiser un projet clinique articulant un plan local<br />
d'action promotionnelle et préventive de santé publique pour les jeunes d'âge scolaire.<br />
Problèmes d’arrimage à l’horizon…<br />
410
On pourrait croire que cette approche donne toute latitude à l’école pour négocier<br />
directement la concertation adaptée au milieu communautaire où elle opère avec le<br />
CSSS qui la dessert. Or, cette latitude est tributaire de la qualité de la délégation en<br />
cette matière octroyée par la CS (selon les visions de sa direction générale et de son<br />
conseil des commissaires), puisque, d’une part, la planification et le déploiement des<br />
actions concertées doivent, bien sûr, se concrétiser par une entente entre le CSSS et<br />
chacune des écoles, mais que, d’autre part, les commissions scolaires vont (ou non)<br />
approuver les ententes en question et l’arrimage qui en découle.<br />
Ainsi en est-il régulièrement lorsqu’un palier régional est impliqué dans une<br />
concertation avec le palier «subalterne» d’un établissement scolaire : soit, ce palier<br />
régional va de lui-même, pour éviter la dispersion ou s’éviter la multiplication des<br />
pressions, trouver une voie de filtrage dans la concertation avec son vis-à-vis<br />
hiérarchique, soit la CS va prendre la même initiative pour préencadrer (et assez<br />
souvent stériliser) toutes les ententes de SES établissements ou exercer son droit<br />
ultime de les refuser, en remplaçant la stérilisation par la castration. La seconde option<br />
étant accompagnée d’un mal-paraître politique, la plupart des CS vont y préférer le<br />
préencadrement et ses purgatifs.<br />
Il serait néanmoins malhonnête de ne pas mentionner que l’Entente de<br />
complémentarité est soutenue par de nombreux documents produits par le MSSSS,<br />
dont les Orientations relatives aux standards d’accès, de continuité, de qualité,<br />
d’efficacité et d’efficience du Programme-services pour Jeunes en difficulté (2007) de<br />
la Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux du<br />
Québec.<br />
411
On retrouvera certains ces précieux documents à l’adresse Internet suivante :<br />
http://www.msss.gouv.qc.ca/sujets/prob_sociaux/jeunesdifficulte.php<br />
Cependant, au risque de jeter un pavé dans la mare (sans liaison) de la santé et des<br />
services sociaux, je défends le point de vue que, comme la majorité des nombreux<br />
documents émanant du MELS, la plupart de ceux produits par son secteur de<br />
complémentarité relèvent de son mandat et que, bonification de l’entente ou pas, ils<br />
seraient produits. Ils ne témoignent donc pas de l’actualisation d’un arrimage qui ferait<br />
de la complémentarité une interpénétration structurale avec les bouleversements que<br />
cela suppose, mais découlent d’un effort de communication.<br />
Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas significatif d’une remise en cause réciproque<br />
des cultures, des droits, politiques et normes, des mandats institutionnels, des rôles et<br />
des fonctions. Il s’agit, selon les indices (plutôt qu’indicateurs) disponibles d’un simple<br />
changement d’équilibre sans commune mesure avec les impératifs sociaux qui l’ont<br />
apporté.<br />
En administration, on décrirait ce pseudoarrimage comme «une complémentarité<br />
organisée en silos». J’aime bien l’image bucolique, car elle illustre tout ce qu’il peut y<br />
avoir d’échanges entre deux grandes tours, jumelées pour le plus grand confort de<br />
notre équilibre écodéontologique.<br />
Je ne crois pas que le Rapport 2006-2007 me contredise :<br />
412
Même dissolution de l’entente, mêmes puissantes et transparentes indications de<br />
l’indicateur, même drôlerie de maintenir pour 2008 une cible dépassée dès 2005-2006 (il ne<br />
doit pas y avoir de presse…), même contentement béat de ce dépassement par «copier-<br />
coller» :<br />
«D’après les résultats du bilan mentionné ci-dessus, la cible fixée pour 2008 a déjà été<br />
atteinte et même dépassée au 31 mars 2006. Cette situation peut s’expliquer par la<br />
motivation de plus en plus grande des milieux au regard de l’approche et par le soutien<br />
apporté sur le plan national et régional. Il s’agit notamment d’ateliers généraux<br />
d’appropriation, d’ateliers à l’intention des accompagnateurs locaux et d’ateliers<br />
thématiques d’instrumentation offerts aux répondants régionaux du ministère de l’Éducation,<br />
du Loisir et du Sport et du ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi qu’aux<br />
accompagnateurs locaux.»<br />
À part le constat de la sempiternelle dispensation d’ateliers aux répondants<br />
régionaux du MELS (de quoi diable répondent-ils en cette matière?) et aux<br />
accompagnateurs locaux(?), même lacunaire remarque dont on ne sait trop quoi<br />
penser, faute d’indicateurs sur les facteurs de variabilité :<br />
«Il est certain que la mise en oeuvre de l’approche progresse, mais de manière<br />
variable d’un milieu à l’autre.»<br />
Je pense qu’à partir de ces simples incursions, on s’est fait une première idée de la<br />
dilution que subit une entente gérée du haut vers le bas de la pyramide. Cela témoigne<br />
aussi du fait que, malgré la décentralisation si chaudement claironnée, les paramètres<br />
413
des réalisations locales sont toujours prédéterminés du sommet. Ce serait tant mieux<br />
s’il était vrai, mais c’est tant pis, car il est faux.<br />
Il est donc possible de se forger une idée définitive en posant un pronostic de<br />
l’avenir de cette entente à partir de deux variables :<br />
3) la première est celle de la tendance à la nullité. Elle se mesure à partir de la<br />
duplication de programmes déjà échoués antérieurement. Exemple : il y a nette<br />
tendance à la nullité en matière de programmes de protection de l’enfance, parce<br />
que le discours politique et administratif tenant historiquement lieu d’action, la<br />
construction de ces programmes ressemble de très près à ce petit schéma qui<br />
illustre la défragmentation du disque dur de votre ordinateur : les petits cubes<br />
semblent s’unir pour former une cohésion, mais, au stade où cette cohésion devient<br />
possible, ils s’éparpillent en unités improductives. L’entente de complémentarité<br />
MELS-MSSSS répond-elle à ce modèle? Oui! Il a été conclu une entente similaire,<br />
appelée entente MEQ-MSSS, au début des années 1970. Quand on constate que<br />
l’on est obligé de récidiver 30 ans plus tard, on ne part certes pas avec une<br />
tendance favorable…<br />
4) la seconde variable concerne la budgétisation zéro. La bonne question à se poser<br />
est : a-t-on envisagé que des allocations dédiées et récurrentes soient attribuées<br />
aux programmes à développer? Exemple : quand, en 1988, dans sa LIP, le<br />
gouvernement enchâsse l’obligation de réaliser un plan d’intervention pour l’écolier<br />
en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation (et à risque ou en voie de le devenir) et<br />
pour l’écolier handicapé, a-t-il prévu et réservé le financement des ressources<br />
humaines et matérielles et du temps requis pour ce faire? Non! Pas de coûts<br />
414
supplémentaires récurrents en Éducation. Alors, la même question se pose pour la<br />
présente entente de complémentarité : budget dédié et récurrent ou budget zéro?<br />
ZÉRO 66 !<br />
Que faire dès lors pour masquer élégamment la retraite stratégique? Faites aller<br />
votre imagination : comment remplacer des services préventifs et curatifs coûteux<br />
(service social, soins infirmiers, expertises médicales, réadaptation orthophonique,<br />
ergothérapie, pédopsychiatrie, neurologie, etc.) nécessairement sollicités par une<br />
complémentarité effective pour donner l’apparence de la préservation et même de<br />
l’illustration d’une entente? Comment faire pour que la majorité morde à l’hameçon?<br />
Il suffit d’enlever le mot «curatif» et de créer un programme réellement préventif,<br />
mais qui sera opéré sans coûts supplémentaires par les ressources déjà en place ou<br />
des ressources recyclées : une École en santé!<br />
Il suffit d’exacerber une opposition déjà fréquente entre les deux approches curative<br />
et préventive et de lapider celle qui commanderait de l’argent frais. Il se trouvera<br />
toujours des promoteurs du curatif au détriment du préventif et, parfois, vice versa,<br />
comme il s’en trouve toujours pour opposer la catégorisation et l’intervention. Les motifs<br />
qui précèdent ces dualismes sont, socialement, perpétuellement les mêmes : le risque<br />
d’affaiblir le capital ou celui d’affaiblir le pouvoir. Si, par ailleurs, le capital détient le<br />
pouvoir, il ne voudra ni se perdre, ni en perdre.<br />
Quand des actions réalisent des valeurs, la cohésion sociale va se forger autour de<br />
cette cohérence nouvelle entre la conscience et l’action, parce que, faisant ce qui est<br />
66 Je stipule que l’on peut considérer qu’il y a budgétisation zéro lorsqu’aucun nouvel argent n’est investi et que les fonds alloués<br />
proviennent de coupures antérieures ou d’opérations systématiques de recyclage. + 1 – 1 = ZÉRO!<br />
415
dit, elle réintroduit la véracité et la vérité, forces attractives supérieures sur le plan de la<br />
hiérarchie cybernétique du contrôle de l’action sociale (cf. Parsons)<br />
Manipuler le sentiment de véracité devient donc le défi.<br />
Loin de moi l’idée de dénigrer le volet École en santé de l’entente : il s’avère<br />
pertinent et essentiel.<br />
Qu’en est-il, néanmoins, des autres volets? Sont-ce ceux des mécanismes de<br />
concertation, c’est-à-dire, grosso modo, des tables ou comités de concertation<br />
régionaux ou locaux? Quel en est alors le budget? Quels en sont les résultats?<br />
Si j’examine ce qu’il reste de l’entente dans le rapport 2006-2007, force m’est de<br />
constater que c’est le vide cosmogonique à part cette maigre référence au volet<br />
«santé».<br />
De plus, si dans un élan sans retenue d’excessive sévérité, je m’attarde aux<br />
éléments que j’ai soulignés ou identifiés en caractères gras, j’évalue qu’il y a une<br />
tentative de métonymie où, subtilement, le (rare) lecteur du rapport est invité à<br />
confondre l’approche École en santé avec l’entièreté de l’entente.<br />
J’évalue aussi que l’école et ses ressources sont mandatées pour agir : «Cette<br />
approche contribue à la mission éducative de l’école en inscrivant la promotion de la santé et du<br />
bien-être et la prévention au coeur de son projet éducatif et de son plan de réussite.»<br />
J’attribue la cote D+ aux commissions scolaires pour les «65 p. 100 des<br />
commissions scolaires se sont donné un plan de mise en oeuvre de l’approche.» Ce<br />
serait leur cote universitaire pour un bulletin chiffré de cette nature.<br />
J’attribue la cote E au MELS qui ose naïvement avouer que le résultat précédent<br />
(65% de CS, 4 ans après l’entente!) lui fait atteindre et plus son objectif : «La cible<br />
prévue pour 2008 se trouve ainsi dépassée.»<br />
416
En l’occurrence, je lui attribue la note de ses prétentions : il cible 50% pour 2008, il<br />
cible E!<br />
Par contre, je lève mon chapeau au MELS et lui attribue la cote A+, pour sa<br />
performance budgétaire relative à ce dossier : «Une somme totale de 228 000 dollars a<br />
été consacrée à la mise en oeuvre de l’approche École en santé en 2005-2006.» pour<br />
les quelque 964 081écoliers des commissions scolaires, cela représente un par<br />
personne de 0,27 $!<br />
Chapeau bas!<br />
Quelle manne!<br />
Que d’ambitions possibles!<br />
Je ne daigne pas explorer les autres chiffres avancés où il est tantôt question de<br />
près de 13 millions consacrés (annuellement?) à l’entente dans sa globalité : c’est à<br />
peine 1% de l’investissement requis pour assurer (pléonasme : pour vrai) la<br />
réussite du plus grand nombre.<br />
Je sais bien que des milieux et des intervenants actifs tentent de vivifier dans son<br />
ensemble l’entente de complémentarité et qu’il y a des projets qui sont nés ou qui<br />
naissent qui en respectent l’esprit comme la lettre. Tout comme je l’ai œuvré 13 ans,<br />
de 1985-86 à 1997-98, dans, avec, pour la communauté scolaire Sainte-Famille et<br />
Sainte-Famille-Laporte de Sherbrooke. Je m’y suis battu, aux côtés d’une équipe-école<br />
du tonnerre et de gens vrais de l’autre réseau pour une alliance véridique, souvent pour<br />
briser les frontières, surmonter les obstacles et créer les règles nouvelles d’un<br />
(dés)ordre nouveau, toujours pour un financement perpétuellement menacé et<br />
(presque) jamais octroyé par les instances internes du réseau éducatif. Je souhaite de<br />
417
tout cœur aux vrais promoteurs de ce fabuleux arrimage de ne pas vivre la<br />
désintégration de leurs alliances par les décideurs de leur propre réseau, ceux-là<br />
mêmes qui sont mandatés pour «agir» l’entente.<br />
Je suis un dur de dur à cuire et je n’ai pas suffi : il fallait les forces de ce milieu et sa<br />
foi en ce possible arrimage pour que dure 13 ans cet extraordinaire projet. Il a fallu ma<br />
réaffectation dans un autre milieu (où j’ai osé croire encore en l’alliance) et deux ans<br />
pour que la CS démantèle la communauté dans sa fibre et dans son entièreté : honte à<br />
elle!<br />
31. Absence de gouvernance éthique<br />
Il faut savoir :<br />
Nous saurons qui nous sommes quand nous verrons ce que nous avons fait.<br />
Pierre Drieu La Rochelle<br />
La Déclaration sur le Droit au Développement (1986), déclaration des Nations-<br />
Unies, stipule que le but de l’activité économique doit être le bien-être social,<br />
économique, politique et culturel, et non pas la croissance et le profit.<br />
Il faut pouvoir croire :<br />
"Comment entraîner au dialogue des individus portés à se faire violence ? La tentation,<br />
c’est d’utiliser, pour cela, la tyrannie. Ou bien, il faut supposer une disposition préalable<br />
à la société et à la paix. Il faut un discours d’avant les discours, une raison avant la<br />
raison, une entente préalable au dialogue où chaque interlocuteur accepte de ne pas<br />
fondre sur l’autre, mais, au contraire, à l’accepter dans sa radicale altérité et à accepter<br />
son interlocution".<br />
418<br />
Emmanuel Levinas
Où chaque interlocuteur accepte de ne pas fondre sur l’autre…<br />
Partons de quelques données sociales :<br />
1-Augmentation de la richesse entre 1999 et 2005<br />
«Le bulletin (Données sociodémographiques en bref-2008-10-01) nous apprend que le<br />
patrimoine médian a connu une augmentation de 21 % entre 1999 et 2005, en dollars<br />
constants de 2005, mais que cette amélioration n’a pas profité à toutes les unités<br />
familiales de la même façon.<br />
Si l’on divise les unités en cinq groupes classés selon la valeur de leur patrimoine, de la<br />
plus faible à la plus élevée, on obtient des quintiles représentant chacun 20 % de toutes<br />
les unités. Ainsi, plus on se situe haut dans l’échelle, plus le patrimoine augmente entre<br />
1999 et 2005. Les premier et deuxième quintiles subissent même une diminution de<br />
leur patrimoine médian, alors que le patrimoine du quintile supérieur augmente de<br />
30 %.»<br />
Mon analyse<br />
PLUS PAUVRES PLUS RICHES<br />
GAIN GLOBAL DE 21 % ENTRE 1999 ET 2005 (en dollars constants)<br />
Quintiles<br />
1 2 3 4 5<br />
-16,7% -15,2% +20,6% +26,2% +29,9 %<br />
Les 40 % les plus pauvres<br />
s’appauvrissent<br />
Les 60% les plus riches s’enrichissent<br />
La détérioration des conditions de vie se Les 60% constituent la tranche de population que la société,<br />
traduira nécessairement, les liens dans son modèle actuel, assure de gains pour la faire<br />
factoriels étant connus, par une demeurer dans le giron de l’idéologie dominante.<br />
dégradation des conditions<br />
Si l’on considère l’amplitude des gains de richesse financière,<br />
développementales des jeunes des en particulier au niveau des quintiles 4 et 5, il faut comprendre<br />
familles touchées.<br />
qu’il y a, associée à ces gains, une détérioration des<br />
Les 40% sacrifiés constituent la masse conditions de vie liée à la plus grande emprise des lieux de<br />
populaire que notre société dans son gains financiers ( le travail) sur les conditions saines<br />
modèle actuel s’autorise à placer en d’existence (famille et loisirs)<br />
situation de déséquilibre structural Selon les principes de l’homéostasie, le changement vécu par<br />
majeur.<br />
ces 60% de la population en est un d’équilibre, cet équilibre<br />
Selon les principes de l’homéostasie, le étant artificiellement assuré par les gains financiers<br />
changement requis «pour s’en sortir», compensatoires, tandis que se détériorent les conditions de<br />
exigera des bouleversements familiaux saine existence.<br />
majeurs dont la plus forte probabilité On comprend aisément que ce phénomène s’ajoute, non<br />
sera qu’ils seront hors de portée pour la seulement sans compensation, mais avec détérioration<br />
population sacrifiée.<br />
financière, aux conditions de vie des 40 % les plus pauvres…<br />
Lorsque l’on connaît l’impact de la pauvreté sur la scolarisation, lorsque l’on<br />
réécoute le discours électoraliste d’un Québec digne de ses enfants ou les intentions<br />
419
politiques de la lutte à la pauvreté des enfants, on ne peut qu’être outré des prétendues<br />
réflexions orientantes sur la gouvernance.<br />
Combien nous faudra-t-il d’Yves Michaud pour dénoncer l’avidité des riches, pour<br />
pourfendre (les) «rapaces, les escrocs cravatés, les corsaires et les flibustiers qui<br />
pullulent dans l'univers des sociétés cotées en Bourse et des courtiers véreux qui<br />
spéculent sur l'ignorance des honnêtes gens»?<br />
Combien nous faudra-t-il de «chiens de garde vigilants et à l'affût de la meute de<br />
combinards qui cherchent à nous détrousser»? Combien de «prisons (…) assez<br />
grandes pour nous débarrasser des prédateurs du monde financier» et des lipidiques<br />
politiciens qui contribuent, avec tant de dévouement, à les engraisser ?<br />
2-Inflation scolaire<br />
En 2007, 27,2 % des travailleurs québécois sont surqualifiés. En 1997, ils étaient<br />
22,2 %. Ces chiffres proviennent de l’enquête menée par Sandra Gagnon, analyste<br />
statistique à l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), Direction du travail et de la<br />
rémunération.<br />
L’analyste explique qu’en période récession, les gens ont tendance à poursuivre des<br />
études pour, se distinguant du lot, bonifier leurs chances au moment de postuler un<br />
emploi.<br />
Elle mentionne que le marché de l’emploi ne suit pas nécessairement le rythme et le<br />
niveau de formation et que l’offre ne correspond pas toujours, en effet, à la demande,<br />
concourant à la surqualification.<br />
Elle ajoute que les causes en sont<br />
• la valorisation d’une scolarité avancée (appelons-la, comme il se doit, l’inflation<br />
scolaire) ;<br />
• l’accroissement des exigences des employeurs ;<br />
• le maintien des baby-boomers dans les postes commandant plus de scolarité.<br />
420
Largement sous-estimée, l’inflation scolaire est un phénomène qui résulte des<br />
stratégies gouvernementales relatives à la pseudothéorie de l’économie des cerveaux,<br />
laquelle a avancé que les pays industrialisés ne demeureraient dans la compétition<br />
qu’avec un fort tôt de scolarisation postsecondaire et, préférablement, universitaire de<br />
premier, mais également, voire surtout, de second et troisième cycles.<br />
Or pour scolariser aux second et troisième cycles, il faut décontingenter le premier,<br />
en ouvrir plus large les portes d’accès. L’entonnoir fait le reste et non pas l’amélioration<br />
de la formation : il se retrouve en quantité croissante des docteurs universitaires dont la<br />
pensée réflexive est quelque peu déficiente. Pourquoi un système qui vit et jouit de son<br />
autosatisfaction et de son autocongratulation le révèlerait-il ?<br />
De l’extérieur, promouvoir une scolarisation de haut niveau est politiquement<br />
vendeur.<br />
Dans les faits, dans une économie en récession, forcée par la mondialisation du<br />
commerce et la compétition d’une main-d'œuvre sous-payée renouvelable à retarder<br />
l’entrée sur le marché du travail de milliers de jeunes bénéficie de deux avantages en<br />
appliquant l’inflation scolaire :<br />
1. elle diffère effectivement l’entrée dans la vie active et masque ses carences en<br />
matière de création d’emplois;<br />
2. elle sous-paye la surqualification tout en profitant d’employés aux acquis supérieurs.<br />
Malheureusement, la gouvernance actuelle, valet servile du capital, ne possède<br />
aucunement les rênes du pouvoir et les cerveaux sous-payés poussent aussi audessus<br />
des mains exploitées. Les besoins émergents sont donc non du domaine de la<br />
pensée doctorale, mais du domaine de la production industrielle et manufacturière : la<br />
formation requise est de calibre professionnel, de niveaux secondaire et collégial.<br />
Il faut, de force, constater que la gouvernance de notre Québec a négligé de prévoir<br />
ces besoins et que, selon ses propres données, plusieurs milliers d’emplois non<br />
pourvus commandent une formation professionnelle. Ce manque de prévision est<br />
tellement grotesque et laxiste qu’il vaut mieux, pour ces auteurs, le considérer comme<br />
volontaire et machiavélique. Nous serions, sinon, obligés de considérer leur<br />
incompétence, voire leur débilité.<br />
421
Puisque, de plus, selon l’ISQ, un universitaire employé comme technicien gagne 2 $<br />
de l’heure de plus que son collègue de moindre formation, mais 7$ de l’heure de moins<br />
que s’il était employé comme professionnel, j’émets l’hypothèse que le gain<br />
économique potentiel optimal pour le capital est de 827 400 travailleurs surqualifiés fois<br />
42 semaines travaillées fois 35 heures par semaine fois 7 dollars de l’heure épargnés,<br />
soit : 8 513 946 000 $, 8,5 milliards! Même si le patronat n’encaisse pas l’entièreté cette<br />
manne faramineuse, il doit se bidonner à l’idée qu’il sous-paie des cerveaux préparés<br />
par les gouvernements qu’il soudoie ou contrôle.<br />
3-Spéculation<br />
En ce mois de novembre 2008, la Caisse de dépôt du Québec manque-t-elle ou non<br />
de liquidités? Combien a-t-elle perdu de ses avoirs financiers dans le scandale qui<br />
entoure les papiers commerciaux, puis dans la récession mondiale attribuable à la<br />
légitimation de la spéculation et de son économie virtuelle?<br />
La mondialisation, concoctée par les puissants de ce monde, bouffeurs de galaxies<br />
ouvrières et malades d’hyperconcentration de la richesse et de ses pouvoirs, révèle<br />
l’incapacité de nos élus d’appliquer les moindres paramètres véridiques de<br />
gouvernance éthique.<br />
Je ne me questionnerai pas sur l’évidence que la crise financière actuelle n’est pas<br />
l’effet du hasard et qu’elle est, au contraire, dans l’apparente dentelle de l’économie,<br />
l’équivalent politicostratégique du 11 septembre 2001 : la manipulation planétaire des<br />
populations aspirées dans la crainte endémique de leur ruine comme elles le furent<br />
alors et le demeurent encore dans la crainte savamment entretenue d’un terrorisme<br />
«holocaustique».<br />
Je m’attarderai cependant au mensonge «Charrié» que constitue la réponse<br />
électorale libérale à la question relative au rendement de la Caisse de dépôt.<br />
J’ai, en effet, pour y répondre, questionné ma calculatrice et voici ce qu’elle m’a dit :<br />
422
En dix ans de rendement prudent, sur l’indice 100 initial, le profit est de 15 points<br />
supérieurs à une gestion spéculative hors de contrôle à rendements (très) supérieurs<br />
les quatre premières années, suivies par une perte de 25 % des avoirs (2008, perte<br />
présumée, le marché mondial s’étant écroulé de 45%!)<br />
Il eût fallu de la prudence et des rendements puisés dans nos obligations…<br />
Février 2009 me donnera-t-il malencontreusement raison, lors du dévoilement des<br />
rendements réels (qui, somme toute) devraient être accessibles en tout temps.<br />
Hélas, la gouvernance est un concept noble inapplicable lorsque les élus sont des<br />
pions ou des marionnettes entre les mains du capitalisme orgiaque…ou ses complices.<br />
Je reviens à l’école.<br />
J’ai rédigé l’écrit suivant en 2002. Il porte, au-delà de son titre, sur la souffrance de<br />
notre jeunesse et sur les traitements que nos gouvernements lui infligent.<br />
Nous ne devons pas oublier que ces gouvernements sont ceux que nous élisons et<br />
que, si nous sommes en mesure de prendre le recul essentiel au jugement sévère de<br />
leurs «performances» et à leurs correctifs indispensables, nous devons également faire<br />
porter notre critique et notre construction sur ce que nous avons accepté de devenir,<br />
sur la compromission dont nous nous rendons complices.<br />
Je soumets le tout à votre jugement.<br />
La désorganisation sociale de l’école<br />
Préambule :<br />
1. Au regard des jeunes écoliers dits en trouble du comportement (TC) du préscolaire<br />
et des premières années du primaire, le milieu scolaire connaît, de nos jours, des<br />
problématiques de plus en plus majeures. Les facteurs de risque sont tellement<br />
présents qu’ils déterminent une situation en gestation qui évoluera vers le pire si l’on<br />
n’intervient pas de façon préventive.<br />
423
Ces facteurs de risque n’appartiennent néanmoins pas initialement aux enfants et<br />
l’attribution du risque à la désorganisation sociale est a priori un diagnostic<br />
effectivement exact.<br />
2. Il eût été vain et illusoire de formuler des pistes d’intervention qui se seraient<br />
limitées aux symptômes présents chez les enfants. Ils ne sont pas la cause<br />
première de leur mésadaptation et l’école en est le théâtre, non l’auteur.<br />
3. Les cellules familiales ne sont pas non plus à l’origine de la désorganisation, mais<br />
plutôt le berceau où elle germe : les parents en sont donc des victimes avant<br />
que d’être, toutefois, largement impliqués dans son amplification auprès des<br />
jeunes.<br />
4. Les causes sont gouvernementales (au sens de tenir le gouvernail) : le palier<br />
économique qui, dans toute société saine et viable, est soumis aux paliers<br />
supérieurs de la culture, de la législation et de la socialisation est universellement<br />
devenu le palier de commande.<br />
5. Ce sont sa culture (compétition, qualité totale, efficacité, efficience…), ses<br />
règles (élitisme, élimination des produits impropres à la consommation,<br />
contrôle et évaluation permanents), ses objectifs (sélection, production,<br />
utilitarisme mercantile au profit de la «machine»), ses effets (course infernale<br />
pour se qualifier, pour produire le rendement attendu, compensation par la<br />
promotion, le plaisir et le loisir pour acheter, anesthésier ou taire la<br />
conscience, spéculation éhontée) qui expliquent et détaillent la désorganisation<br />
sociale.<br />
424
C’est pourquoi dans les pistes de solution que j’ai élaborées, je me permets de<br />
suggérer des interventions sur les causes et les origines : nous savons tous<br />
que nous allons continuer à cautériser les plaies et à le faire du mieux possible avec<br />
les instruments anciens et «nouveaux»(au sens de redécouverts) que nous<br />
possédons : parmi les «nouvellement acceptés», l’approche communautaire<br />
concertée, multi et transdisciplinaire, avec le réseau public et bénévole de la santé,<br />
de la réadaptation et des services sociaux et le milieu universitaire est de prime<br />
importance et l’école devra lui tailler une place prépondérante dans l’élaboration de<br />
ses plans d’action.<br />
Il m’apparaît primordial, pour que nos actions soient articulées, que nous<br />
reconnaissions les mêmes causes aux mêmes problèmes : si tel n’est pas le<br />
cas, le système s’alimentera de nos dissensions et nous élaborerons des<br />
solutions d’autruches.<br />
♦ Les principaux facteurs de risque<br />
1. La pauvreté noyée<br />
L’étalement urbain des villes centres vers les banlieues s’accompagne, ces dernières<br />
années, d’un phénomène de camouflage qui tend à diversifier les situations de<br />
concentration 67 de la défavorisation : il existe donc dans ces banlieues ou villes<br />
périphériques, une couche défavorisée de population noyée dans une majorité<br />
moyennement aisée, alimentée par le choix de certaines cellules familiales de se<br />
réfugier parmi les mieux nantis pour, à la fois, s’y cacher et tenter de conjurer le sort…<br />
2. La méconnaissance ou le culte du«faire-semblant*»<br />
*«Si ça se trouve, si je ferme les yeux, ça va disparaître…»<br />
67 La concentration subsiste néanmoins et le phénomène que je décris vient s’y ajouter.<br />
425
Le phénomène précédent provoque deux conséquences semblables chez deux<br />
catégories sociales différentes.<br />
Les victimes de la pauvreté s’évertuent dans un milieu mieux nanti à cacher leurs<br />
difficultés en souhaitant ainsi passer inaperçues : l’impact se fait aussi sentir avec plus<br />
de force dans un contexte de compression où, refusant déjà les ressources requises<br />
aux milieux identifiés officiellement en détresse, les gouvernants de tous paliers sont<br />
peu enclins à reconnaître ailleurs l’émergence de besoins semblables et la nécessité de<br />
ressources analogues.<br />
Dans la seconde catégorie sociale, celle des bien-aisés, la réaction spontanée à la<br />
coexistence avec le malheur social, va de l’ignorance inconsciente à l’ignorance<br />
intentionnelle pour des motifs fort diversifiés parmi lesquels la tentative de conjurer le<br />
sort, celle d’éviter la contagion sous toutes ses formes et celle d’isoler le virus…<br />
3. La poudre aux yeux, la compétition, la sélection «naturelle»<br />
La réussite sociale est donc la garantie d’un ordre sommairement établi où la<br />
démonstration que l’on maîtrise la situation est primordiale à la sauvegarde du statut :<br />
elle impose ses critères et opère donc sur la sélection et la compétition.<br />
Malheureusement, les apparences sont trompeuses et les canards qui voguent<br />
paisiblement sur les eaux calmes de leur bonne vie pataugent sans répit sous la<br />
surface du labeur quotidien : une majorité de jeunes couples court après un temps dont<br />
elle ne dispose pas et délaisse de force une partie du rôle parental et ses attributs de<br />
médiation et d’encadrement.<br />
Certes, les enfants «bien nantis» ont un toit et de quoi manger à satiété, certes ils ont<br />
une panoplie, d’ailleurs impressionnante, de cours et d’activités extrascolaires, certes ils<br />
426
ont leurs parents au temps du plaisir et du loisir…mais là s’arrête souvent la présence<br />
parentale : point de temps pour régir la frustration, car c’est à l’école qu’elle sera vécue<br />
et réglementée, avec, si les intervenants sont chanceux, l’accord à défaut de l’appui<br />
parental.<br />
Il est tellement primordial de paraître en pleine possession de ses moyens : réputations<br />
surfaites, rumeurs contre les non-alignés, surprotection parentale endémique, critiques<br />
des conséquences et de leurs auteurs présumés pour éviter de s’attaquer aux causes<br />
dont on est responsable…<br />
4. La contestation des expertises<br />
Ce dernier facteur est naturellement la retombée des facteurs précédents : les<br />
intervenants scolaires sont contestés dans leurs expertises, dans leurs décisions, dans<br />
leur intégrité. Il devient aussi normal qu’ils cessent d’identifier les vraies<br />
problématiques, faute de ressources adéquates ou de conviction d’impact sur ce<br />
phénomène. Les intervenants de la base savent que cela est non seulement connu<br />
partout, mais que c’est entretenu pour demeurer parce que l’humain est une denrée<br />
de consommation renouvelable 68 …Dès lors, ils renoncent et se contentent de faire<br />
de leur mieux dans leur coin…ou d’exploiter la situation à leur profit.<br />
Si je pouvais changer quelque chose, comment je procèderais ?<br />
(Vœu d’impuissance que l’emploi du conditionnel !!!)<br />
Il m’apparaît évident que les vœux, puisqu’il est si peu dispendieux d’en formuler,<br />
doivent l’être d’abord dans le cadre d’une philosophie éducative commune que la<br />
68 Il est aussi une denrée de consommation périssable et il y a fort à parier que d’aucuns n’ont aucun scrupule à envisager la<br />
disparition, fortuite ou provoquée, d’une partie de l’humanité.<br />
427
éforme scolaire en cours est loin d’avoir induite : favorise-t-on la réussite de tous ? Est-<br />
elle sélective ? Est-elle compétitive ? Est-elle stéréotypée ?<br />
Met-on, dans le système éducatif, les ressources requises et, en particulier, abolit-on le<br />
système budgétaire qui interdit la reconnaissance des vrais besoins de toute la clientèle<br />
EHDAA ? Cette clientèle doit-elle réussir ? Que doit-elle réussir ?<br />
Si le système et ses décideurs refusent de s’ajuster aux vrais besoins, fait-on une<br />
coalition pour le leur imposer ? Se dote-t-on de la force et de la puissance d’impact du<br />
réseau de la santé ?<br />
Supprime-t-on les projets à caractère sélectif ? Les facture-t-on sinon ?<br />
Adapte-t-on, pour les EHDAA, les programmes à la vraie nature de processus mentaux<br />
différents et de compétences transversales que l’on ne pourra plus faire semblant de<br />
confondre avec la normalité ?<br />
Adapte-t-on la diplomation ?<br />
Adapte-t-on la qualification ?<br />
Adapte-t-on les emplois ?<br />
OU NOIE-T-ON TOUT CELA COMME…<br />
1. la pauvreté noyée<br />
Je peux la faire apparaître, lui donner droit de cité en lui donnant droit de parole. Je<br />
peux inciter à la regarder sans la craindre, à aider à la combattre et à combattre ses<br />
effets. Je peux convaincre de s’associer, de faire front commun, de recenser les<br />
ressources, de repérer celles qui manquent, de repérer celles qui stagnent et de les<br />
activer. Je peux suggérer un réseau où les acteurs se reconnaissent plus de ressources<br />
428
personnelles qu’ils ne s’en étaient consenti…Je peux aussi empêcher que les besoins<br />
soient tus ou ignorés. Je peux dénoncer les incongruités.<br />
2. Combattre la méconnaissance ou le culte du«faire-semblant*»<br />
Je souhaite que les paliers subalternes assujettissent les paliers supérieurs du<br />
système.<br />
Si le MEQ écrit qu’il veut la réussite de tous, mais que, non seulement il ne prend pas<br />
les moyens pour l’assurer, mais qu’en plus, il choisit les voies pour conforter le<br />
contraire, s’il contingente les vrais besoins, s’il les efface, s’il les nie, alors que feront les<br />
CS déjà si peu critiques…<br />
Et si les CS sont figées par l’impuissance ou l’habitude ou le confort des voies<br />
sélectives, alors que feront les écoles même avec des pouvoirs décentralisés si elles ne<br />
sont pas soutenues des moyens de base minimaux…<br />
Et si l’école ne fait rien pour l’exclu, pour le fragile, pour le différent, que fera celui qui<br />
œuvre réellement et directement auprès de l’enfant à «élever» en sachant que l’on<br />
n’attend de lui que le stéréotype, que le vainqueur, que le choisi, que l’élu?<br />
Si le MEQ écrit encore au lieu de faire, alors combien de cercles vicieux<br />
supplémentaires durera la lutte impuissante pour l’instruction, la qualification, la<br />
socialisation et…l’éducation de tous ?<br />
3. Combattre la poudre aux yeux, la compétition, la sélection «naturelle»<br />
Je souhaite participer à l’avènement d’une communauté scolaire dédiée au bonheur<br />
des jeunes et s’attaquant aux problèmes, avec une maturité qui permette d’envisager<br />
les irritants sans leur attribuer un responsable ou un coupable, avec la force de puiser<br />
429
dans ses faiblesses aussi bien que dans ses forces les solutions aux vraies causes<br />
plutôt que les cautères aux symptômes.<br />
4. Combattre la contestation des expertises<br />
Il est impératif que nous fassions alliance pour imposer la vraie lecture des vrais<br />
besoins. Notre cible commune est le MEQ lui-même parce que lorsqu’il cessera de rire<br />
devant la population de nos analyses et de nos demandes, la population nous croira<br />
comme elle croit les gens du système de santé.<br />
Si nous ne présentons pas un front commun, alors le MEQ perpétuera les apparences<br />
et il y aura entre la philosophie qu’il prétendra promouvoir et les gestes qu’il posera la<br />
même distance qu’entre nous…<br />
Je ne suis ensuite pas bien sûr de l’habileté de nos grosses institutions aveugles à<br />
conclure «aux sommets apparents» des ententes de services propices à la<br />
diversification des ressources dans un contexte de complémentarité, d’approche<br />
communautaire, multi et transdisciplinaire et dans une vision systémique : par<br />
expérience, je suggère qu’il vaudrait mieux créer des pactes imposant aux institutions<br />
de faciliter les projets de concertation émanant de la base, parce qu’il se trouve en haut<br />
des petits pouvoirs que la concertation dérange...<br />
Retour à la gouvernance…<br />
430<br />
Patrick JJ Daganaud 2002-09-14<br />
Je lisais ce matin-là (2008-08-21) les propos (d’hier…et non pas passéistes) de<br />
notre ex-ministre de l‘Éducation, François Legault relativement à la nécessité de taire,
au moins temporairement, l’objectif indépendantiste (fondateur!) de son parti, sous<br />
prétexte du cynisme de la population à l’égard des politiciens et de la politique.<br />
Si je tente de suivre son raisonnement la population n’est, à cette (autre) heure,<br />
pas réceptive au discours nationaliste parce qu’elle est en perte de confiance envers les<br />
politiciens et LEUR politique. Il lui faut donc entendre, selon la logique legaultiste, un<br />
discours sur les vraies affaires, c’est-à-dire sur l’économie, laquelle bat de l’aile…<br />
Je propose plutôt une autre voie éducative d’analyse à notre ex-ministre de<br />
l‘Éducation : la population a UNIVERSELLEMENT 69 perdu confiance envers les<br />
politiciens et LEUR politique parce qu’elle les sait assujettis aux règles du capitalisme<br />
débridé qui commandent et pilotent l’économie et qu’elle la sait totalement corrompue.<br />
La population survit tant bien que mal dans ce marasme dont elle sait qu’il sert<br />
financièrement à «embonpointer» les gros et les très gros des riches et richissimes. Le<br />
soi-disant cynisme de la population est, tout bonnement, lié à sa conscience sociale de<br />
la pandémie de l’hyperconcentration des richesses et aux effets pervers qu’elle en<br />
ressent, désespérée d’en être protégée par la classe (sans classe) politique.<br />
Alors, non, la population ne veut pas plus entendre de faux discours sur l’économie<br />
que de pâles intentions sur l’indépendance : elle veut du VRAI!<br />
Elle veut des politiciens puisés ailleurs que chez les stylommatophores 70 , dotés<br />
d’une colonne vertébrale et aussi capables d’harnacher l’économie pour qu’elle serve le<br />
peuple que de tenir, avec conviction, le fort et le discours de la Liberté et de l’Intégrité.<br />
69 Cela signifie que le phénomène n’est nullement propre au Québec.<br />
70 Lisez « limaces » !<br />
431
La population veut une gouvernance éthique et pas de cette éthique à<br />
circonvolutions et géométrie variables qui fait que, comme nous l’avons, avec maints<br />
autres, dénoncé, la protection de l’enfance vulnérable ne signifie (presque 71 ) plus rien,<br />
tant en Services sociaux qu’en Éducation, tout comme l’économie ou l’indépendance<br />
ont perdu tout sens commun 72 .<br />
On lira à bon escient cet extrait d’un article du Dr Gilles Julien, pédiatre social,<br />
publié dans l’édition du 9 octobre du journal Le Devoir :<br />
«Au Canada, des milliers d'enfants naissent dans de mauvaises conditions. On a<br />
certes fait des progrès, car il y en a moins qui meurent, grâce à des mesures qui<br />
augmentent les taux de survie. Mais combien d'enfants souffrent, combien vivent dans<br />
des conditions de vie inacceptables, dans de mauvais logements qui les rendent<br />
malades, avec une alimentation déficiente et un manque flagrant d'outils de<br />
développement de base?<br />
Le résultat, dans les milieux défavorisés, ce sont des développements compromis<br />
chez un très grand nombre de jeunes, car leur cerveau ne fonctionne pas à leur pleine<br />
mesure; c'est aussi un manque de préparation à l'entrée à l'école chez un enfant de<br />
cinq ans sur trois; c'est pratiquement un enfant sur deux qui passe à l'école secondaire<br />
à 12 ou 13 ans sans avoir terminé son primaire. Les conséquences riment aussi avec<br />
des taux de décrochage énorme et l'apparition d'une grande vulnérabilité et des risques<br />
qui y sont associés, soit la délinquance, les toxicomanies, la violence et ses suites.<br />
Ignorance crasse<br />
Sommes-nous ignorants au point de ne pas savoir que le Canada, comme la<br />
plupart des pays du monde, a signé une Convention des droits des enfants qui garantit<br />
à chacun tout ce qu'il faut pour se développer pleinement, allant de la culture à la<br />
protection, de l'identité aux soins de santé, d'une éducation réussie à la liberté de<br />
parole, tout ce qu'il faut donc pour être en paix, pour développer son potentiel et pour<br />
71 Il faut qu’elle conserve, pour préserver un semblant d’homéostasie, des apparences de signifiance…<br />
72 Précisément, celui qui serait éthiquement dédié à la communauté !<br />
432
éaliser ses rêves? Combien d'enfants au Canada ont accès à ces droits fondamentaux<br />
dans leur milieu? Je vous laisse deviner.<br />
Sommes-nous ignorants à ce point que l'on ne sait pas que le cerveau des enfants,<br />
comme leur coeur, est un organe si sensible que sans stimulation pour l'un et sans<br />
amour pour l'autre, aucun enfant ne veut ni ne peut se développer pleinement? Un<br />
cerveau non stimulé pleinement dans les premières années de vie ne pourra<br />
développer les mécanismes raffinés que sont la pensée créative, la fierté de la réussite<br />
et la capacité d'inhibition, qui nous permettent de vivre sainement en société.<br />
L'impulsivité extrême, divers troubles de développement et des comportements<br />
mésadaptés sont souvent le produit de ces carences. Un coeur brisé dès le jeune âge,<br />
surtout par les carences d'attachement aux adultes, par des deuils fréquents ou des<br />
exclusions sociales, mènera immanquablement à détresse et à une amertume qui ne<br />
feront qu'aggraver les difficultés de développement et les comportements. Quand le<br />
coeur et l'esprit sont traumatisés, c'est, vous comprenez, la catastrophe.<br />
Passer à l'action<br />
Or ces catastrophes sont évitables! Il s'agit simplement d'investir dans la jeunesse<br />
en rapport avec ses besoins globaux et de se faire un devoir d'appliquer la Convention<br />
des droits de l'enfant du Canada et des Nations Unies, et ce, de la conception à la vie<br />
adulte. Quand on dit à tout vent que «ça prend un village pour s'occuper d'un enfant»,<br />
ça veut dire que nous devons tous agir et que nous sommes tous solidaires et<br />
responsables du résultat. Si un enfant ne reçoit pas ce qu'il faut pour bien se<br />
développer, c'est notre faute à tous. Dans ce contexte, il n'est pas question de punir la<br />
victime, mais de se questionner et de passer à l'action le plus vite possible.<br />
Quoi faire? Bâtir ensemble des communautés où les enfants sont soutenus et aimés,<br />
mettre sur pied dans chaque communauté des services intégrés pour les enfants,<br />
apporter un soutien inconditionnel aux familles moins favorisées, veiller à ce qu'aucun<br />
enfant ne «tombe entre deux chaises» ou ne se retrouve dans des conditions de risque<br />
inacceptables. Assez de passivité ou de je-m'en-foutisme; ces enfants sont les nôtres,<br />
agissons tout de suite (…)»<br />
Parmi les actions suggérées par le Dr Julien, il en est une aisée :<br />
433
«La société, pour bien réussir cet «investissement enfant», doit se donner un<br />
gouvernement responsable engagé pour la jeunesse. Ce gouvernement, loin de<br />
penser à des mesures coercitives, doit plutôt soutenir les efforts de prévention qui<br />
sont proposés par toutes les recherches du monde. Il doit aider à créer un système<br />
basé sur l'entraide, où chaque citoyen a un rôle pour les enfants au cours de sa<br />
trajectoire de développement.<br />
Il a le devoir de soutenir dans les communautés les grandes bases du<br />
développement des enfants que sont la connaissance, la sécurité, l'attachement,<br />
la culture et l'identité, par tous les moyens possibles.<br />
Il se doit d'assurer, quel qu'en soit le prix (et il est moindre que le coût des<br />
catastrophes sociales), des conditions de vie décentes pour les familles, pour<br />
qu'elles puissent jouer leur rôle pleinement, de même que des environnements<br />
sociaux et culturels stimulants pour les enfants.<br />
Il a enfin l'obligation de s'assurer que les droits des enfants sont pleinement<br />
respectés sur le plan de leurs communautés. (…)»<br />
Cela ne requiert ni colloque sur la gouvernance ni colloque sur la gouvernance<br />
scolaire. Comme l’écrit Gilles Julien, il faut faire ce qui est dit : «soutenir les efforts de<br />
prévention qui sont proposés par toutes les recherches du monde.<br />
Et, pour ce, la population veut du VRAI respect.<br />
«Il n'est pas de progrès qui ne passe par le respect de la personne, de son intégrité<br />
physique et psychologique. Il n'est pas de libération qui ne soit fondée sur la certitude<br />
434
qu'avant les concepts et les idéologies, il y a des hommes et des femmes en fonction<br />
desquels doit être orienté le développement économique et social.»<br />
435<br />
Déclaration de principes de la CSN<br />
La déclaration des Nations-Unies sur le Droit au développement (1986) stipule que le<br />
but de l’activité économique doit être le bien-être social, politique et culturel, et non pas<br />
la croissance et le profit.<br />
La gouvernance éthique, ce n’est pas sorcier!<br />
32. Absence de vision<br />
Comme l’illustre, dans son domaine d’argent, l’incapacité gouvernementale de<br />
quantifier à long terme les impacts de l’écrasement 2008 du rendement de la Caisse de<br />
dépôt, le rendement toléré du système scolaire québécois l’illustre dans le sien : le<br />
domaine humain.<br />
Ce rendement du système scolaire québécois, de 0,80, où l’on perd, année après<br />
année, 20% de nos jeunes, où on les déchoit, est la conséquence de l’incapacité de lire<br />
les impacts décisionnels à autre chose qu’un fort petit et méprisable horizon électoral.<br />
Chaque nouvelle tête dirigeante s’épivarde dans son lot de réformettes dans<br />
l’unique but de se faire du capital politique : au diable les dommages collatéraux!<br />
Ils meurent si lentement…<br />
Les complicités béates et dociles dont j’ai déjà parlé font le reste.<br />
Ainsi, peut-on lire ces jours-ci (janvier 2009) que le décrochage a augmenté de 3%<br />
entre 2000 et 2008 au Québec, passant de 26 à 29%, alors que le gouvernement<br />
Charest a tambouriné dès qu’il a été porté au pouvoir la lutte sans merci qu’il allait lui
livrer : ouf, quel combat! On est presque tenté de dire «À ce prix-là, laissez-vous rosser,<br />
ce ne peut être pire!»<br />
Soutenant ce que j’ai déjà mentionné à propos des coûts canadiens de<br />
l’analphabétisme, le Conseil canadien sur l’apprentissage vient de publier (décembre<br />
2008) sous la plume de Madame Olina Hankivsky de l’Université Simon Fraser un<br />
rapport sur les coûts du décrochage scolaire au Canada. Je reproduis ici le tableau 1 du<br />
rapport sommaire publié en français :<br />
436
L’addition des coûts canadiens du décrochage sur une base annuelle, sans<br />
chiffrer les coûts relatifs à la diminution qualitative et quantitative des apports à la<br />
richesse et la santé collectives du travail et de l’emploi, conclut à une facture sociale de<br />
37,098 milliards de dollars!<br />
La portion québécoise, d’environ25%, est de 9,274 milliards de dollars.<br />
Notre slogan : «Plus il y a de croches, plus je décroche!»<br />
Impact longitudinal des dérapages criminels<br />
La vérité est qu’une erreur stratégique majeure (comme celle d’une réforme<br />
éloignée de la pratique ou celle d’une refonte fortement embuée d’un programme)<br />
provoque sur le terrain une onde de choc dont la totale révélation cataclysmique va<br />
requérir 11 ans : le temps de la complète implantation des changements de la première<br />
année du primaire à la dernière du secondaire.<br />
Entretemps, les indices de dérapage, toujours captés comme des symptômes de<br />
résistance au changement, vont être «effacés» par des ajustements de complaisance.<br />
Si bien que, même s’il intervient de façon majeure et adéquate après le défilé des<br />
cobayes de la première cohorte, il va falloir au MEQ ou MELS (ou MLS dans le futur?)<br />
une autre décennie pour rectifier complètement le tir.<br />
La durée de contamination des changements pédagogiques et didactiques<br />
improductifs, fussent-ils intellectuellement défendables, est de vingt-deux ans et<br />
437
pour peu que la négation de leurs impacts nocifs soit élevée au rang des<br />
stratégies d’implantation, le cycle est alors trentenaire.<br />
Je rentre dans ma coutumière démesure ?<br />
N’en croyez rien : la vague bleue de 1980 du programme de français au primaire<br />
déferle encore, renommée, revampée, 29 ans plus tard!<br />
Ce n’est que l’an passé (août 2008) que le MELS convient que s’impose, au<br />
primaire (!), la Progression des apprentissages en français dont la version actuelle ne<br />
contient encore que deux sections : l’orthographe d’usage et la conjugaison (!). «Pour<br />
couvrir l’ensemble des contenus à préciser, d’autres sections s’ajouteront; elles<br />
concerneront notamment la ponctuation et la structure de la phrase, les classes de<br />
mots, les fonctions et les accords»…<br />
Pourquoi corriger l’ineptie d’un seul coup quand on peut le faire à petits pas feutrés?<br />
Sans doute faudrait-il, aimables chercheurs, y décoder quelque explication de notre<br />
stagnation en matière de littératie, puisque, comme les spécialistes dont vous êtes le<br />
prédisent, en 2031 le pourcentage des personnes ne maîtrisant pas suffisamment<br />
(niveau 3 et plus de maîtrise) leur langue officielle (on espère, au Québec, le français…)<br />
sera, comme en 2008, de 40%!<br />
J’insiste auprès des adeptes de la courte vue, les hypermyopes du MELS, pour que<br />
s’incruste dans leur fovéa la notion de cycle trentenaire, de telle sorte que les<br />
corrections optométriques qu’ils doivent subir les contraignent à envisager la longévité<br />
de leurs dégâts.<br />
L’incrustation peut être facilitée par l’exposition régulière à des indices visuellement<br />
disponibles, tels ceux qui émanent régulièrement de la Presse canadienne :<br />
438
«Les résultats en français des élèves du primaire continuent de se détériorer,<br />
confirmant la tendance observée depuis la mise en place de la réforme en 2000. Le<br />
taux de réussite des élèves de sixième année à l'épreuve d'écriture a encore chuté<br />
entre 2005 et 2006, passant de 83 % à 81 %. En 2000, ils étaient pourtant 90 % à<br />
réussir cet examen. Les chiffres de 2006 sont les résultats les plus récents compilés par<br />
le ministère de l'Éducation. Le document de travail remis au quotidien Le Soleil fait<br />
aussi état d'un écart grandissant entre filles et garçons: 89 % des écolières ont réussi<br />
l'épreuve de français, contre 74 % de leurs camarades de classe. En 2005, 78 % des<br />
garçons obtenaient la note de passage, contre 89 % en 2000.»<br />
Bien entendu, la perte de 2 sur 83 ou 2,4 % d’une acuité visuelle n’est pas<br />
dramatique sur un espace de 6 ans. On court même le risque, passé 45 ans (1964-<br />
2009), de se créer l’illusion optique que seul le dernier score prévaut.<br />
Mais, projetée sur trente ans, la même perte correspond, selon moi à au moins<br />
19% : au moins, parce que les dernières pertes enregistrées concernent les plus<br />
résistants à la contamination et qu’il faut impérativement songer que, comme sur un<br />
champ de bataille, les plus faibles, plus nombreux, sont tombés en plus grand nombre<br />
antérieurement !<br />
Je crois que le schéma suivant traduit assez bien la réalité, mais je laisse aux (vrais)<br />
chercheurs le soin de le tester et de le raffiner.<br />
Périodes 2000-2006 1994-2000 1986-1992 1980-1986 1976<br />
Critères Stats du MELS Vague verte Vague bleue Année de<br />
Constats (dont de S. Chartrand) au secondaire au primaire référence<br />
Factorisation 1 1,48 2,19 3,24 1<br />
Pertes 2,4% 3,55% 5,26% 7,78% 100 réussissant<br />
Notion «d’élèves<br />
constants aptes à<br />
maîtriser le<br />
français»<br />
81 83,4 87 92,2 100<br />
Dégâts sur 30 ans Moins 19 Moins 16,6 Moins 13 Moins 7,8<br />
Hypothèse de départ: pratiquement 100% des étudiants admis en formation universitaire en éducation<br />
en 1976 maîtrisaient leur français. En 2006, ils ne sont plus que 81 sur 100 admis.<br />
L’hécatombe n’est pas de 2,4 %, mais de 19% : c’est la compréhension du MELS<br />
de la «réussite du plus grand nombre» !<br />
439
Un autre exemple d’improvisation : le bulletin différencié<br />
Pour appareiller le bulletin scolaire et la pédagogie différenciée, dans un même<br />
effort nourricier de leur pensée magique, le MELS et sa ministre Courchesne, toutes<br />
mèches frontales dehors, ont créé, en août 2008 (mois prolifique) le bulletin dédié aux<br />
élèves en «grande difficulté 73 » du primaire ou du secondaire, des classes régulières ou<br />
spécialisées.<br />
Je dois reconnaître qu’il y a une logique indéniable entre l’émission de cet<br />
encadrement et la forme actuelle d’inclusion : le P.I. dont l’existence factuelle sera la<br />
condition nécessaire et suffisante déterminera et autorisera les ajustements requis, puis<br />
programmera la différenciation dont le bulletin adapté deviendra ainsi le reflet objectif.<br />
Cependant, je ne peux non plus ignorer certaines des questions qui commencent à<br />
poindre : comme la note en pourcentage dans le bulletin témoignera du niveau de<br />
compétence atteint dans le programme adapté spécialement pour l’écolier dans son<br />
plan d'intervention et non en fonction du PFÉQ (pourtant prescrit), c’est un renvoi en<br />
bas de page ( !) qui indiquera, pour les compétences avec un astérisque (*), que la note<br />
obtenue, par exemple 81 %, constitue en fait un résultat «en dessous des exigences<br />
fixées pour son âge».<br />
Première question :<br />
Quand l’écolier visé et ses parents sauront-ils à quoi correspond le résultat<br />
adapté par rapport au cheminement régulier ?<br />
RéponseS<br />
1-Comme l’indiquent les instructions ministérielles, ce sont les bilans de fin de cycle,<br />
en deuxième, quatrième et sixième années du primaire ou en deuxième et quatrième<br />
73 Cette notion même est loin d’être limpide si l’on se fie à ses modulations des décennies passées.<br />
440
secondaires qui établiront la correspondance entre la note adaptée et l’avancée de<br />
l’élève dans le programme officiel, par exemple 30%.<br />
Dans les pires cas, deux ans s’écouleront avant que l’écolier et ses parents ne<br />
sachent sur quelle planète ils vivent…<br />
2-Je ne crains pas pour les élèves déjà classés dans les classes spécialisées ou les<br />
classes-ressources et pour lesquels, de façon générale, le processus de référence et<br />
d’admission en cheminement particulier devrait alors avoir informé l’écolier et ses<br />
parents de la nature et de l’amplitude de ses retards, de ses difficultés ou de ses<br />
«troubles». En principe, ces élèves et leurs parents sont déjà situés et reçoivent, depuis<br />
belle lurette dans les écoles qui ont fait leur ouvrage, des bulletins adaptés, notifiés en<br />
entête,<br />
3-Je crains pour les élèves qui, ayant eu un bulletin adapté et des notes de 60 (seuil<br />
de réussite) et plus, seront référés vers une classe de cheminement particulier sans<br />
avoir jamais capté «la nature différenciée» de leurs évaluations. Les cas de promotion<br />
automatique en situation d’échec, à la suite de la suppression du redoublement,<br />
devraient pourtant nous avoir un peu renseignés : il est arrivé au secondaire des élèves<br />
du primaire avec 4 ans de retard scolaire, mais, ô merveille entre les merveilles, sans<br />
décalage chronologique avec leur groupe régulier fréquenté!<br />
4-Je crains pour les élèves «en très grande difficulté» et en cheminement régulier et<br />
dont le MELS ignore le nombre (!), puisqu’il avoue candidement qu’il ne peut pas<br />
préciser combien d'enfants seront concernés, les écoles déterminant elles-mêmes<br />
quels élèves seront éligibles ou soumis à ce traitement. On sait cependant qu’il y a, au<br />
Québec, approximativement 150 000 élèves en difficulté (je précise, quant à moi,<br />
441
«difficulté d’apprentissage», les écoliers en TC ou «handicapés n’étant pas réellement<br />
décomptés dans ce nombre.<br />
On peut raisonnablement envisager que seule une petite minorité d’entre eux sont<br />
tenus au courant de leur programme adapté, puisque, comme le révèle le rapport 2003-<br />
2004 de la vérificatrice générale du Québec, 27% seulement assistent à leur P.I. !<br />
Je ne puis passer sous silence le fait que le MELS, capable dans son système<br />
informatisé de gestion budgétaire de retracer les achats de timbres-poste, ne sache ni<br />
combien de jeunes humains sont exposés à ce régime, ni qui ils sont, ni ce que<br />
cela donne !<br />
Seconde question :<br />
Pourquoi tant de craintes?<br />
RéponseS<br />
1-Le bulletin adapté est, depuis longtemps, en vigueur dans les classes d’adaptation<br />
où le retard d’apprentissage moyen connu est de deux à trois ans, cet écart à la norme<br />
servant souvent de critère d’admission. Ce n’est donc pas son existence même que<br />
craignent les intervenants : ce sont les nouveaux usages qui vont en être faits.<br />
La directive ministérielle précise en effet que ces élèves en grande difficulté qui<br />
suivront un programme individualisé avec bulletin adapté ne seront pas inclus dans les<br />
moyennes de groupe.<br />
2-Cela permettra, naturellement, de hausser ces moyennes et autorisera le MELS à<br />
soustraire à ses statistiques le lot (au nombre ignoré !) des élèves en perdition.<br />
Cela permettra d’accroître le taux de réussite, sans aucune mesure correctrice<br />
effective : une espèce d’économie virtuelle comme celle qui ruine la vraie…<br />
442
3-Face à ces expansions camouflées de pratiques qui, éthiquement gérées,<br />
peuvent s’avérer saines, ce n’est pas à tort que Pierre Saint-Germain, président de la<br />
Fédération autonome de l'enseignement (FAE) affirme : «C'est trompeur pour les<br />
parents et c'est un vrai tue-monde pour les enseignants !», ciblant précisément la<br />
fausse impression d’une moyenne de groupe expurgée des résultats scolaires des<br />
élèves en grande difficulté et ajoutant «Cela envoie l'image que tout va bien dans ma<br />
classe !»<br />
4-Il faut savoir que cette pratique fut et est d’usage courant, mais jusqu’à ce jour<br />
DÉNONCÉ, dans la compétition que se livrent les écoles secondaires au moment de<br />
décompter leurs taux de réussite et de diplomation. Les pirouettes auxquelles se sont<br />
livrées de nombreuses directions du secondaire pour mousser leur performance étaient<br />
alors considérées comme scabreuses…<br />
5-Le privé, quant à lui, n’a pas et n’aura pas l’odieux de masquer la réalité des<br />
élèves en grande difficulté : il ne les accueille pas et ne gère pas de P.I. ! Sensas, mon<br />
Mario tout de go !<br />
6-La nouveauté est donc l’incorporation institutionnalisée détournée de pratiques<br />
licencieuses.<br />
7-C’est essentiellement cette nouveauté qui est à l’origine légitime de craintes, par<br />
ailleurs, parfois justifiées, parfois injustifiées. Dans ce dernier cas, ce sont celles qui<br />
découlent d’un rejet d’une adaptation nécessaire de l’évaluation et du bulletin qui en<br />
témoigne, mais, contrairement à la traditionnelle stratégie du camouflage, une<br />
adaptation annoncée, diffusée, outillée, supportée, incluse, quantifiée, transparente et<br />
éthique.<br />
443
J’ai en tête le cas précis de certains élèves classés en CS au secondaire avec des<br />
diagnostics «composites» (troubles de communication, troubles dyspraxiques, trouble<br />
envahissant du développement, déficience intellectuelle légère à moyenne).<br />
Niveau moyen des acquis situés à la deuxième année du primaire, avec barrière<br />
dans l’apprentissage la lecture, particulièrement au plan de la compréhension. Âge<br />
chronologique 13 ans.<br />
L’actuel bulletin produit réfère au PFÉQ et, les écoliers concernés ayant 13 ans, ils<br />
sont «confrontés» au programme de la première année du premier cycle du secondaire<br />
et notés en conséquence.<br />
Moyenne de la classe en français et mathématiques : environ 20%...<br />
Questions spécifiques à Madame Courchesne :<br />
1. Que représentent ces 20% ?<br />
2. Représentent-t-ils 20% des acquis de la première année du premier cycle du<br />
secondaire ?<br />
3. Représentent-t-ils plutôt 50% des acquis de la deuxième année du premier<br />
cycle du primaire (là où ils sont effectivement rendus) ?<br />
4. 20% des acquis de la première année du premier cycle du secondaire<br />
correspondent-ils à 50% des acquis de la deuxième année du premier cycle du<br />
primaire ?<br />
5. Où, comment et par qui ces correspondances sont-elles établies ?<br />
6. Quels sont les critères pour mesurer l’insondable crétinerie de cette gymnastique<br />
hallucinante ?<br />
7. Sont-ils appliqués au MELS ?<br />
444
Dans son souci de plaire, l’honorable ministre Courchesne se réserve un repli<br />
stratégique : si la demande parentale le justifie, des modifications seront apportées à<br />
l'application de ce plan d'action pour les élèves en difficulté…<br />
Troisième question générale :<br />
Cette troisième question est spéciale : elle nous vient tout droit (ou toute gauche…)<br />
de la fiche informative du MELS en matière de différenciation de l’évaluation. Elle est<br />
donc posée par le MELS qui est également celui qui y apporte réponses. La voici :<br />
La différenciation de l’évaluation s’exerce-t-elle de la même façon dans le<br />
contexte d’aide à l’apprentissage que dans celui de la reconnaissance des<br />
compétences?<br />
RéponseS du MELS<br />
1– Non<br />
2– Dans un contexte d’aide à l’apprentissage, toutes les formes de<br />
différenciation de l’évaluation décrites précédemment sont possibles.<br />
Toutefois, si l’enseignant met en place des modifications, il doit en garder une trace et<br />
les considérer dans les jugements qu’il portera sur les compétences au moment du<br />
bulletin.<br />
3– Dans un contexte de reconnaissance des compétences, aux fins du bilan des<br />
apprentissages, là encore, toutes les formes de différenciation de l’évaluation<br />
décrites précédemment sont possibles. Encore une fois, si l’enseignant met en place<br />
des modifications, il doit les consigner pour en garder une trace et les considérer dans<br />
les jugements portés sur les compétences des élèves à la fin du cycle.<br />
445
5– Dans un contexte de reconnaissance des compétences, aux fins de la sanction<br />
des études, aucune modification n’est possible.<br />
L’école doit donc s’assurer que les parents et l’élève comprennent les effets du recours<br />
à la modification sur les possibilités d’obtention du diplôme d’études secondaires.<br />
6– Le recours aux adaptations dans le cadre de la sanction des études est<br />
balisé pour des raisons de justice et d’équité.<br />
L’info/Sanction numéro 480 fournit des précisions sur la mise en place de mesures<br />
d’adaptation des conditions de passation des épreuves ministérielles.<br />
Il est aisé de comprendre le principe de justice et d’équité qu’impose au MELS la<br />
gestion de la sanction des études et, pour citer l’humoriste Laurent Paquin, je préfère<br />
également «être soigné par le médecin le plus compétent (incluant son essentiel<br />
humanisme) que par celui qui s’est le plus amélioré.»<br />
La sanction est la reconnaissance officielle d’un niveau préétabli et standardisé<br />
d’acquis comme condition d’accès à un grade ou diplôme.<br />
Lorsque le MELS répond «NON» à la question « la différenciation de l’évaluation<br />
s’exerce-t-elle de la même façon dans le contexte d’aide à l’apprentissage que dans<br />
celui de la reconnaissance des compétences?», il ne vient pas de décréter que les<br />
grades ou diplômes réguliers seront inaccessibles à la plupart des élèves en difficulté<br />
d’apprentissage, non, il vient de semer la confusion.<br />
La question n’est effectivement pas de savoir si la différenciation de l’évaluation<br />
s’exerce de la même façon dans le contexte d’aide à l’apprentissage que dans celui de<br />
la reconnaissance des compétences. La réponse à cette question est évidemment OUI!<br />
446
La question est de savoir si la différenciation de l’évaluation s’exerce de la même<br />
façon dans le contexte d’aide à l’apprentissage que dans celui de la sanction des<br />
études (où sont décrétés les niveaux attendus de compétences). Et là, le MELS a le<br />
droit et le devoir de répondre «NON»<br />
Ainsi clarifiée, la question pose aussitôt la problématique de l’inaccessibilité aux<br />
élèves en grande difficulté des niveaux attendus et sanctionnés de compétences.<br />
La diversification des diplômes fait partie de la panoplie des processus<br />
d’ajustements homéostatiques du MELS à la réalité de nombreux EHDAA.<br />
La vision du MELS n’est conséquemment pas exempte de l’indispensable rationnel<br />
qui doit la guider.<br />
Elle s’invalide toutefois au moment où elle cesse de tisser les liens avec le réel<br />
ambiant et conforte l’autarcie du système scolaire. Elle se vide de sa substance et perd<br />
toute pertinence quand elle fait abstraction des pressions d’une organisation sociale<br />
scandaleusement déviée de ses fonctions d’égalisation par le laxisme et la complicité<br />
gouvernementale, en s’interdisant un regard critique expert indépendant et<br />
systémique.<br />
Il fut certes un temps où l’on a pu croire que l’ÉCOLE serait le moteur du<br />
développement social. Mais, réduite à sa fonction utilitaire, mise à la remorque de<br />
l’idéologie dominante, soudoyée par le capitalisme sauvage, dévoyée avec la<br />
complicité des gouvernements assujettis à la haute finance, l’école «minusculisée» est<br />
réduite au canal de programmation du citoyen consommable qu’elle constitue.<br />
Je veux, à ce stade, faire appel au regard critique expert indépendant et<br />
systémique percutant de René Binet, avocat spécialisé en droit des jeunes et ancien<br />
447
président de l'Association des avocats en droit de la jeunesse. Il est intervenu dans une<br />
lettre d’opinion, dans l’Édition du Devoir du 28 décembre 2007. Son sujet initial était le<br />
mode coercitif et extrêmement répressif envisagé par les conservateurs au pouvoir à<br />
l’encontre des jeunes contrevenants. Monsieur Binet, acteur du terrain, ne pouvait<br />
évidemment aborder ce thème sans l’élargir à la situation générale de notre jeunesse et<br />
sans identifier les causes politiques de notre incurie à leur égard.<br />
Je me contente, hélas, de ne citer que certains extraits parmi les plus significatifs de<br />
son intervention pour élargir la contemplation des ravages et susciter la saine et active<br />
fronde : David doit à nouveau terrasser Goliath !<br />
Protection de l’enfance<br />
René Binet dénonce l’inaction gouvernementale et l’exercice de tyrannies : celle de<br />
l’ignorance, celle de la peur, celle de la communication, celle de la manipulation<br />
électoraliste, celle de la gestion. Il va aux causes et révèle les défis qui nous attendent.<br />
L’inaction<br />
La démocratie ne doit-elle pas combattre l'anarchie et le totalitarisme?<br />
René Binet<br />
A- En 2007, l’'UNICEF s'interroge sur la capacité du Canada d'assurer la sécurité et le<br />
développement des enfants (droits sociaux, économiques et culturels). Cet organisme suggère<br />
la nomination d'un ombudsman pour veiller sur nos enfants.<br />
Pourquoi?<br />
Tout porte à croire que ce problème est trop complexe pour le gouvernement canadien.<br />
Comment expliquer ce laxisme? Par l'évident manque de leadership.<br />
Dans le paysage de l'enfance, il y a trop de discours, peu d'action, un manque de volonté<br />
politique et juridique et une incompétence flagrante.<br />
L’ignorance<br />
B- À peine cinq ans après l'adoption de la controversée Loi sur le système pénal pour<br />
adolescents, Ottawa veut créer un régime distinct et plus répressif que celui des adultes afin<br />
d'accroître la détention des mineurs.<br />
448
Or, le taux d'incarcération des jeunes est plus élevé au Canada que dans les autres pays<br />
occidentaux, y compris les États-Unis; le taux d'incarcération des jeunes Canadiens est plus<br />
élevé que chez les adultes; les adolescents reçoivent une peine plus longue que les adultes<br />
condamnés pour la même infraction. Près de 80 % des peines de détention sont infligées pour<br />
des infractions sans violence; le taux de criminalité juvénile n'est pas en hausse.<br />
La peur<br />
C- Le sociologue Loïc Wacuant affirme que la panique psychologique obsessionnelle fabriquée<br />
autour des violences urbaines et de la délinquance des jeunes qui menacerait nos sociétés sert<br />
à imposer une mise en scène orchestrée autour de la sécurité pour permettre aux politiciens de<br />
réaffirmer la capacité d'action du gouvernement au moment où celui-ci prêche unanimement<br />
son impuissance en matière économique et sociale.<br />
L’inaction, encore<br />
D- La criminalité juvénile diminue. La pauvreté des jeunes augmente (788 000 enfants<br />
pauvres). Le suicide et la détresse psychologique détruisent des milliers de jeunes. Le<br />
décrochage scolaire et le manque de ressources pour les jeunes en difficulté sont criants.<br />
La désinformation<br />
E- Il faut éviter de confondre quelques dossiers qui, trop souvent, s'entrecroisent: loi et lutte<br />
contre la criminalité, droit des victimes et droit des accusés, sentence et vengeance, justice et<br />
ressentiment, dissuasion et prévention, ordonnance judiciaire et libération conditionnelle, paix<br />
sociale et répression, criminalité juvénile et gangs de rues.<br />
La manipulation électoraliste<br />
F- Le projet de loi conservateur repose sur une perception hystérique de la criminalité juvénile<br />
et exploite à des fins électoralistes la fragilité d'un certain groupe de citoyens angoissés.<br />
La culture et l'éducation aident parfois à diluer la bêtise humaine; pour l'anxiété et la phobie<br />
sociale, il y a des médicaments et des thérapies.<br />
Les causes<br />
G- Sans en faire une excuse, il est pertinent de souligner qu'il existe une relation entre la<br />
criminalité juvénile et l'exclusion sociale.<br />
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, sommité en matière de résilience des jeunes, affirme à<br />
propos de l'agir délinquant que les premiers pas de l'estime de soi se font sous le regard de<br />
l'autre; quand une société est folle, l'enfant ne développe une estime de soi qu'en réussissant<br />
de beaux coups et en rigolant des agressions qu'il inflige aux adultes empotés. C'est sa<br />
manière de s'adapter à une société folle.<br />
449
La gestion<br />
H- Le vrai défi consiste à revoir de fond en comble la structure technobureaucratique qui<br />
entrave sérieusement l'acheminement de l'aide humanitaire destinée aux jeunes. D'abord, nos<br />
politiciens font de beaux discours et des lois au sujet des enfants. Puis, ils délèguent leurs<br />
responsabilités à des bureaucrates. Ces derniers, en vertu d'une «logique de gestion», sont<br />
réduits à faire, dans l'ombre, la sale besogne, une «job de bras», sur le dos des enfants. Le tout<br />
se transforme en compressions de services, en d'interminables listes d'attente et en pénurie de<br />
ressources.<br />
En attendant une justice équitable, les enfants sont victimes d'une stratégie politique<br />
machiavélique, d'une stratégie médiatique en mal de sensationnalisme et, surtout, de la<br />
servitude volontaire des adultes tolérant bêtement la misère de milliers de jeunes.<br />
L'enfance en difficulté ne peut pas attendre.<br />
Redonner un sens à une vie<br />
Pour combattre la criminalité juvénile et les injustices faites aux enfants, il s'agit de bien définir<br />
nos valeurs, de ne rien céder des grands principes éthiques, de sanctionner intelligemment les<br />
écarts de conduite de nos jeunes, d'éduquer et d'acheminer l'aide humanitaire nécessaire pour<br />
assurer la sécurité et le développement de chaque enfant.<br />
Heureusement, il y a un peu d'espoir. Celui-ci réside dans le fait de prendre le temps d'aider un<br />
enfant à la fois, de le mettre à l'abri des adultes trop pressés, désabusés, endoctrinés, et,<br />
surtout, de le protéger contre les valets et les matamores du système bureaucratique.<br />
Le droit des jeunes est ce qu'il est parce que nous sommes ce que nous sommes. La justice<br />
servie aux enfants témoigne de l'envergure, de l'éthique et de la détermination des adultes.<br />
Nous avons un devoir moral, une responsabilité politique et un mandat juridique de faire<br />
respecter et appliquer cette justice. Il faut construire l'opinion publique au lieu de s'en servir,<br />
l'élever au lieu de la manipuler et nous donner les moyens de sauver le monde, un enfant à la<br />
fois.<br />
Je n’ai rien à ajouter.<br />
450
33. Isolement autarcique volontaire du système scolaire<br />
On est souvent ce que l’on est, parce que les autres ne sont pas ce qu’ils devraient être.<br />
Patrick JJ Daganaud<br />
Rompre le protectionnisme politique et gouvernemental du domaine scolaire<br />
québécois : tel est l’impératif.<br />
Le modèle à mettre en place inclut un premier changement structural majeur qui<br />
débarrasse le ministère de l’Éducation de l’emprise gouvernementale (électoraliste, qui<br />
a toujours prévalu) : les politiciens ont eu leur chance, bien plus que leurs jeunes<br />
victimes, pour faire la preuve de leur volonté probante de promouvoir le meilleur devenir<br />
de la jeunesse. Ils ont fait, parti après parti, la démonstration de leur totale impéritie. Ils<br />
ont accepté le sacrifice de milliers de nos enfants et l’acceptent encore.<br />
Je vais à présent avancer des recommandations, ponctuées de chiffres. Les chiffres<br />
amuseront mes détracteurs : grand bien leur fasse. Le fondement de mes<br />
recommandations n’est pas un «crois ou meure» : il trace une avenue possible et est<br />
principalement prétexte à l’émergence de solutions novatrices<br />
Les destinées de l’Éducation doivent être conduites par un Conseil multipartite de 22<br />
sages, élus par leurs pairs : 6 sages de l’enseignement élus par voies syndicales, 4<br />
sages parentaux élus par délégation des conseils d’établissement, 4 sages apprenants<br />
élus au sein des fédérations étudiantes universitaires par les étudiants du secondaire,<br />
du collégial et de l’université, 4 sages universitaires élus au sein des chercheurs-<br />
praticiens de la recherche appliquée, 4 sages de la société civile élus par les instances<br />
précédentes.<br />
Un vérificateur général indépendant, sans droit de gestion, mais avec plein pouvoir<br />
de vérification, doit s’ajouter à ce conseil.<br />
451
Un défenseur des écoliers, sans droit de gestion, mais avec plein pouvoir de<br />
représentation et d’information, doit également s’ajouter à ce conseil.<br />
Le mandat de chaque membre est d’un maximum de sept ans. La huitième année, la<br />
transition additionne les nouveaux élus et les sortants, ces derniers sans mandat, sans<br />
siège au Conseil, ni pouvoir de gestion.<br />
Ce conseil décapiterait à la fois le ministère de l’Éducation et le Conseil supérieur de<br />
l’Éducation, plus perspicace, mais structurellement improductif.<br />
Le modèle à mettre en place inclut aussi l’abolition des commissions scolaires, non<br />
pas pour les motifs cachés de l’ADQ qui vise, entre autres, à briser les reins des<br />
syndicats provinciaux, casser le processus des conventions collectives nationales,<br />
suractiver la mainmise de l’économique sur le politique au seul profit du capital et de<br />
l’élite de la droite conservatrice, mais pour les motifs avoués (parce que politiquement<br />
rentables) et un autre.<br />
Les motifs avoués? L’extrême lourdeur de la structure en place et ses coûts directs<br />
et indirects, sa déconnexion du terrain, le bienfondé de la décentralisation des<br />
ressources pédagogiques, l’écrasement requis de la pyramide hiérarchique pour<br />
favoriser une gestion de nature collégiale.<br />
L’autre motif? L’impératif d’actualiser le concept d’école communautaire, impliquant<br />
la réalisation, au palier même des établissements scolaires, d’ententes de<br />
complémentarité. Pour ce faire, l’égal impératif d’extraire du système scolaire tous les<br />
pouvoirs improductifs 74 .<br />
74 Les pouvoirs improductifs sont ceux qui travaillent pour eux-mêmes ou pour de glauques raisons d’État<br />
452
Voici de qu’en dit 75 Rollande Deslandes (2007) sur le site de l’OIRS. 76<br />
«L’école ne peut, à elle seule, répondre à tous les besoins des élèves et aux exigences de<br />
leur réussite. Elle a donc tout avantage à s’ouvrir sur la communauté.<br />
Qu’est-ce que l’école communautaire ?<br />
L’école communautaire est définie comme étant « à la fois un lieu et un ensemble de<br />
partenariats entre l’école et les autres ressources communautaires, et ce, en vue<br />
d’améliorer les apprentissages des élèves, de rendre les familles plus fortes et de vitaliser<br />
les communautés ». Elle est donc un lieu ouvert non seulement aux élèves, mais<br />
également à leurs parents et aux autres membres de la communauté sur une base continue<br />
(avant, pendant et après l’école, 7 jours par semaines et tout au long de l’année).<br />
Pour ce faire, l’école peut s’associer avec les agences de santé et de services sociaux, les<br />
groupes de soutien aux familles, les services de loisirs, les entreprises, les associations<br />
municipales, etc. Les écoles communautaires peuvent offrir, par exemple, des activités<br />
parascolaires et extrascolaires, des programmes d’éveil à la lecture et à l’écriture, des<br />
services de soutien aux familles, des services de garde, des services d'aide à l’emploi, etc.<br />
Ces services peuvent aussi être offerts dans d’autres types d’école. Toutefois, lorsqu’ils<br />
sont offerts au sein de l’école communautaire, ils font partie d’un tout destiné à combler un<br />
ensemble de besoins, tant des élèves que de la communauté.<br />
Bénéfices associés à l’école communautaire<br />
Des évaluations ont démontré que les écoles communautaires diminuent les risques<br />
d’absentéisme et améliorent les apprentissages des élèves, en plus de favoriser<br />
l’engagement des familles à l’école. Elles sont également bénéfiques pour les écoles (ex. :<br />
meilleur fonctionnement) ainsi que pour les communautés (ex. : plus grande vitalité). Les<br />
résultats varient en fonction du nombre et du type de services offerts, de la durée depuis<br />
leur mise en place et du niveau de participation des élèves.<br />
Les écoles communautaires peuvent être particulièrement bénéfiques pour les élèves en<br />
difficulté et pour les élèves issus de milieux défavorisés, surtout à l’heure où les écoles ont<br />
tendance, dans ces milieux, à s’éloigner des familles et de la communauté, notamment à<br />
cause de la diversité ethnique de plus en plus grande.<br />
75<br />
Deslandes, R. (2007). L’école communautaire et la place des parents. Diversité Ville-École-Intégration,<br />
150, 153-158.<br />
76<br />
L’Observatoire international de la réussite scolaire (OIRS).<br />
453
Les motifs premiers de l’autarcie du système scolaire sont la conservation de sa<br />
structure pyramidale et sa protection sous le couvert mensonger de la décentralisation.<br />
Pour avoir, au sein de l’équipe-école Sainte-Famille-Laporte, généré et vécu une<br />
véritable communauté scolaire, je sais quel niveau de pouvoir doit être exercé au<br />
moment de créer et gérer les ententes de service interinstitutionnelles.<br />
Je sais qu’il est indispensable que la structure scolaire immédiatement ambiante,<br />
mais «pyramidalement supérieure» (CS) reconnaisse, accepte et tolère à long terme la<br />
délégation des pouvoirs qui lui sont légalement conférés. Je sais qu’il est essentiel de<br />
ce pouvoir opérationnel qu’il soit pris au sérieux par les partenaires de l’autre réseau et<br />
que les conditions pour qu’il soit pris au sérieux sont tout aussi dépendantes de la<br />
qualité effective de la délégation octroyée que de la qualité de l’appréhension collégiale<br />
de la relation de complémentarité.<br />
Cependant, quand j’écris que j’ai vécu cette situation, je précise que j’en ai<br />
rencontré successivement les deux versants :<br />
◘ une véritable relation de confiance, mais, comme dans un couple, non pas sans<br />
bousculades des usages et sans questionnements, donc, une relation de<br />
concertation évolutive qui a assuré la convergence nécessaire entre le discours<br />
décentralisateur et le pouvoir délégué;<br />
◘ une remise en question des niveaux et des prérogatives de la délégation, parfois par<br />
crainte des excès ou des dérapages, souvent par conjugaison obscure des vents<br />
politiques, de l’exécrable politicaillerie, de l’exercice obtus du pouvoir, des<br />
tractations de coulisses pour des raisons d’État.<br />
454
Ce ne furent donc pas treize ans stables 77 :<br />
• il y eut d’abord six années de parfaite cohérence, 1985-1991, avec les marges de<br />
manœuvre pour arrimer, entre l’école et son environnement, une véritable et efficace<br />
entente de complémentarité.<br />
Ces années sont entièrement attribuables à un DG humain et clairvoyant, Monsieur<br />
Bernard Desruisseaux, auquel je rends ici un vibrant hommage : un très haut-<br />
gestionnaire respectueux des clientèles, de toutes les clientèles, et qui, quand les<br />
rapaces de la politicaillerie locale se sont abattus, a payé cher son engagement<br />
envers une gestion collégiale, seule garante de la réalisation éthique de la mission<br />
éducative;<br />
• puis cinq années de mouvance, 1991-1996, sous la conduite brillante, mais ambiguë<br />
et parfois machiavélique (au sens, naturellement, noble du terme), d’un DG de grande<br />
capacité analytique et de puissant esprit de synthèse, désireux, je ne le conteste<br />
nullement là-dessus, de l’amélioration probante des résultats des jeunes desservis,<br />
mais finalement peu clair sur ses véritables orientations quant à la protection et la<br />
promotion de l’intégrité développementale des EHDAA.<br />
Tant que le vent politique fut favorable à son implication dans le dossier de<br />
l’intégration, notre communauté scolaire a eu droit à un appui de taille…Quand le vent<br />
a tourné, le désistement a égalé l’appui…<br />
Il est malaisé de décoder les buts réels d’un gestionnaire doué, mais épris d’un<br />
contrôle extrême, quelquefois fondé sur la peur, toujours sur la pression, sous le<br />
77 Tous les sigles sont ici purement fictifs et toute ressemblance avec la réalité ne peut être, évidemment, que pure<br />
coïncidence…<br />
455
vocabulaire antinomique de la décentralisation, de la responsabilisation et de<br />
l’imputabilité.<br />
Après un séjour éclair à la direction générale de la CS (S pour stellaire), ses objectifs<br />
de carrière, en particulier ses intentions politiques d’éminence grise, l’ont conduit à<br />
des postes-clés, d’abord à la FCSQ, ensuite au CPQ.<br />
Rattaché (peut-être pas attaché) à l’ADQ et visible jusqu’à récemment, il y a<br />
recommandé, au grand dam de la fédération des commissions scolaires, son ancien<br />
employeur, leur abolition (pour des raisons que je crains puisées au sein du CPQ,<br />
ainsi que j’ai déjà pu l’exposer);<br />
• enfin, deux années de combat qui coïncident avec l’arrivée, à la tête de cette CS, de<br />
sa première femme à la direction générale : une autre gestionnaire de fort potentiel et<br />
probablement de grand humanisme -le temps n’en aura pas permis la totale<br />
révélation - mais initialement téléportée du domaine de l’image et, antérieurement, de<br />
celui de l’administration générale d’un vert - dans l’univers, quelque peu différent je<br />
crois, de l’Éducation.<br />
Le sens politique a alors pris des galons dans les critères de la rectitude de gestion<br />
des établissements scolaires.<br />
Comme, selon la rumeur de l’époque, méchante et mensongère comme seules le<br />
sont les rumeurs, la téléportation de la DG pouvait avoir eu pour origine ses<br />
accointances politiques locales, la pertinence du maintien de la communauté scolaire<br />
dérangeante que je pilotais a été mesurée à sa supposée délinquance et à celle,<br />
largement colportée par les gens de petits pouvoirs, de son directeur.<br />
456
Dès lors que certains partenaires externes ont perçu tout arrêt de la délégation et de<br />
l’autonomie dont le milieu avait bénéficié, les moins brillants, fussent-ils prétendants à<br />
«la lumière», ont remplacé l’alliance collégiale par un discours hiérarchique d’une<br />
vacuité abyssale : « Savez-vous bien qui je suis, Monsieur Daganaud? Je suis le DG<br />
du CLSC et mon vis-à-vis est le DG de la commission scolaire : je ne vais certes pas<br />
commencer à négocier avec chacun des directeurs d’école!»<br />
Que voulez-vous répliquer à cette fine psychologie?<br />
Moi, j’avais de mauvaises habitudes, prises au contact du DG précédent, Jacques<br />
Lacroix, dont je salue au passage la philosophie sociale et la congruence, avec qui je<br />
partageais une même définition de la santé communautaire et grâce auquel il fut<br />
également possible de l’actualiser…<br />
Au terme de la treizième année, désavoué, j’ai été réaffecté (en zone<br />
socioéconomique favorisée «afin de bien faire profiter l’organisation de mon<br />
expérience»…) et la communauté scolaire exceptionnelle Saint-Famille-Laporte a été<br />
démembrée en l’espace de deux autres années, sous la direction fantoche d’un<br />
faucon pèlerin.<br />
Je suis demeuré «au vert» de 97 à 2002, dans un milieu alvéolaire d’abeilles<br />
talentueuses, mais attaquées par la loque américaine. Cette dernière année marque<br />
aussi le départ volontaire précipité de cette directrice générale pour une autre tribune.<br />
C’est à regret que je l’ai vu partir. Il lui avait, en effet, fallu peu de temps, malgré sa<br />
trop forte attraction à la politique, pour distinguer les jeux de coulisses des véritables<br />
enjeux scolaires et pour choisir, la plupart du temps, le camp des jeunes plutôt que<br />
celui de ses anciens et puissants partisans. Mal lui en prit!<br />
457
Il eût été possiblement aidant pour la jeunesse desservie de voir, sous des auspices<br />
apolitiques, se prolonger son mandat…<br />
J’espère pour elle qu’elle aura préservé ce délestage!<br />
• Je passerai rapidement les années 2003 à 2006 : j’ignore même de quelle<br />
organisation métaphorique je vous entretiens…Le dégonflement honteux d’un DGA<br />
aux finances, Jici Rond-de-jambe, l’arrivée du tsar Alpabuddhi Bibendum 1 er , chassé<br />
de sa steppe montérégienne à la suite de ses coupes maladives, la montée<br />
pathologique de son pouvoir, l’engagement d’un bernard-l’hermite aux affaires<br />
éducatives, la prudente mise de sa «queue-entre-ses jambes» de l’ADEECP (les trois<br />
dernières lettres pour «en crise de panique»), laissant tout espace au plus inefficace<br />
triumvirat de l’histoire de l’Empire et à la dégringolade multipliée de jeunes moujiks.<br />
«Es-tu en train de me dire que t’es pas capable de vivre avec ça ?»…<br />
Alpabuddhi Bibendum 1 er , j’en fus particulièrement désespéré en ce novembre 2008,<br />
invalide tout effort communautaire pour contrer le décrochage et réduire ou résorber<br />
l’échec. Il faudra aux partenaires prestigieux et sensés comprendre que, d’un côté de<br />
la bouche, ce même Narcisse ordonne à ses lieutenants de bâcler les plans<br />
d’intervention ou de service des futurs décrocheurs pendant que, de l’autre, il<br />
contracte ses lèvres en un rictus d’autosatisfaction pour la manne chagnonienne qui<br />
dégringole. Déjà que la recherche glorieuse n’ait pas encore choisi de prévenir et<br />
qu’elle épuise grande partie de ses fonds en une curation bien trop tardive m’apitoie,<br />
mais je pleure plus encore sur l’association infructueuse de gens de qualité et de<br />
bonne volonté à ce Pillsbury sans levure.<br />
458
Nous avons fait vrai et réussi!<br />
Qu’il me soit donc simplement permis d’écrire que nous nous sommes, à maints<br />
égards, contentés de faire ce que le MEQ lui-même avait verbalement et par écrit<br />
recommandé.<br />
C’est précisément ce pourquoi j’ai tracé le cheminement qui fut mien et la détresse<br />
qui l’accompagna. Pour illustrer d’autre façon le paradigme le plus pervers de<br />
l’homéostasie du système scolaire, force est de constater que le faire ne doit pas<br />
accompagner le dire ou l’écrit qui correspondent.<br />
La conservation dans son cercle restreint d’influence, dans son giron, de toute<br />
perspective développementale, par peur qu’une trop grande autonomie, qu’une<br />
ouverture à des espaces non régis par sa structure, qu’une dérogation, même justifiée,<br />
à ses sacrosaintes procédures administratives ne menacent sa structure, est<br />
prédéterminée par sa conscience de ne pas réaliser ce qu’il préconise et par sa<br />
volonté de ne le pas le réaliser.<br />
La créativité est certes permise, mais dans le champ défini strictement par le droit<br />
de gérance exercé. Elle génère donc des projets qui, s’ils peuvent l’enjoliver,<br />
n’altèreront pas la structure. Ce sont, entre autres, la plupart de ceux qui émanent du<br />
partenariat universitaire.<br />
Cette structure se protège par son autarcie, ses connivences improductives de<br />
partenariat, ses associations universitaires cosmétiques.<br />
Pourquoi ?<br />
459
Parce qu’elle est dédiée à produire du faux ou, plus exactement, juste ce qu’il faut<br />
de vrai pour anesthésier la population : ce «juste-ce-qu’il-faut-de-vrai», c’est celui de la<br />
réussite de 80% de la clientèle.<br />
Tant pis pour les autres.<br />
Le faire vrai est trop coûteux et menace le capital, l’économie, le politique et leur<br />
gouvernement.<br />
460
Conclusion<br />
La parole n’est peut-être que d'argent, mais le silence endort!<br />
Patrick JJ Daganaud<br />
Parlons couture pour ne tomber point dans la vulgarité : il faut donc s’attaquer<br />
de façon prioritaire au paradigme des faux-culs!<br />
L’attaque du paradigme du faire-semblant passe par le changement structural du<br />
MELS et par l’abolition des commissions scolaires, n’en déplaise à Monsieur Gérin-<br />
Lajoie. J’ai très grand respect pour ses réalisations et pour son rêve d’émergence d’une<br />
communauté apprenante, mais il ne s’est pas traduit, dans cette structure, par le<br />
concret d’une participation populaire significative et a dévié dans un égout politique qui<br />
n’a de commun avec l’Éducation que le discours.<br />
L’attaque du paradigme du faire-semblant passe par l’élimination des paliers<br />
supérieurs de gestion qui sont totalement inutiles et ont largement dévié de leur valeur<br />
première : la loyauté envers la clientèle desservie.<br />
Elle passe par l’aplatissement de la pyramide qui corrompt, de petits pouvoirs en<br />
gros et gras pouvoirs superposés, de la politicaillerie et de la «diplomaticaillerie»<br />
hypocrites, l’essence de la mission éducative.<br />
Elle passe par l’absorption au palier municipal de ceux des services centraux des<br />
CS qui n’ont pas une spécialité exclusivement scolaire.<br />
Elle passe par la redistribution sur le terrain des effectifs professionnels de toute<br />
sphère, conseillers pédagogiques y compris, avec obligation d’interventions continues<br />
en contexte réel.<br />
Elle passe par la recentralisation de la gestion administrative des écoles, laquelle<br />
est, de toute façon, largement réalisée par du personnel de secrétariat, de techniques<br />
461
administratives et en organisation scolaire et laquelle encombre de nuisances sans<br />
bornes la mission pédagogique essentielle.<br />
Elle passe, dans les écoles, par une gestion collégiale de la pédagogie, supportée<br />
par des coordonnateurs en lieu et place (pédagogiquement très insuffisamment<br />
inoccupés de leur propre aveu) des actuelles directions d’établissements scolaires.<br />
Elle passe par l’obligation faite aux facultés d’éducation des universités et à leur<br />
corps professoral d’œuvrer à mi-temps sur le terrain, en recherche-action, dans des<br />
conditions réelles et exportables. Elle passe par l’obtention de la maîtrise et du doctorat<br />
en concomitance avec sept années pleines sur le terrain et à leur réorientation inclusive<br />
d’une approche systémique favorisant la pensée réflexive (qui fuit les jeunes recrues et<br />
fractionne leur appréhension des problématiques complexes.)<br />
Elle passe par une totale remise en question de la formation des futurs maîtres, des<br />
critères de leur admission, y compris un examen postcollégial d’entrée.<br />
Elle passe par l’introduction d’une année préuniversitaire de mise à niveau créditée<br />
en maîtrise du français, avec reconnaissance immédiate pour les admis qui ont réussi<br />
l’examen d’entrée selon des standards adéquatement établis et professionnellement<br />
nécessaires et utiles.<br />
Elle passe par une première année d’immersion totale en milieu scolaire, avec<br />
pleine responsabilité de clientèles attitrées, mais sous supervision mixte d’enseignants<br />
séniors et de professeurs universitaires déplacés sur le terrain. Elle passe par des<br />
stages rémunérés qui permettent l’ajout de sessions de cours estivaux, tandis que les<br />
sessions d’automne et d’hiver seraient conjuguées à un horaire à mi-temps<br />
d’intervention.<br />
462
Elle passe par des programmes universitaires en EPP et ES bonifiant<br />
considérablement, quantitativement et qualitativement, la formation initiale en<br />
adaptation scolaire, les interventions causales auprès des EHDAA tant au plan<br />
comportemental qu’orthodidactique.<br />
Elle passe par tout ce qu’il nous plaira de créer de bon pour le meilleur devenir de<br />
nos enfants.<br />
Sans doute, l’attaque du paradigme du faire-semblant ne devrait-elle pas passer par<br />
l’irrévérence, mais nul doute qu’elle passe par l’indignation et certainement par une<br />
indignation autrement plus audible que le timide murmure de Galilée qui fait que, même<br />
crasseuse, même infecte, même injuste, même pourrie jusqu’au trognon, nous<br />
chuchotons tous : «Pourtant, elle tourne!»<br />
Vous comprenez bien qu’en ces temps troubles où nous pouvons avec justesse<br />
mesurer et craindre l’exploitation criminelle de l’homme muet par l’homme cupide et son<br />
instrumentation génocidaire et ethnocide, sauf la docilité suicidaire du kamikaze, le<br />
minimum est la criante indignation : votre beuglante de Galilée !<br />
C’est à nos enfants que nous devons ce cri loyal retentissant, pour eux que nous<br />
devons voir et y voir : dire, écrire, crier, exiger, faire!<br />
J’en appelle à une alliance planétaire pour une révolution pacifiste, mais irréversible,<br />
où notre loyauté sans réserve est dédiée aux jeunes générations et aux générations à<br />
venir, au meilleur devenir collectif, à l’égalité, à la fraternité : c’est pour elles et pour cela<br />
qu’il faut nous affranchir.<br />
463
464
En guise de postface…<br />
ANNEXE ANNONCÉE<br />
Sommaire des modèles théoriques employés<br />
«Qu’y a-t-il, je vous prie, de commun entre ma philosophie, dépourvue de ces données<br />
fondamentales, qui ne connaît aucun égard, qui ne fait pas vivre, qui se perd dans la<br />
spéculation, n’ayant pour étoile que la vérité toute nue, sans rémunération, sans<br />
amitiés, le plus souvent en lutte à la persécution, et poursuivant néanmoins sa marche,<br />
sans regarder à droite ou à gauche, qu’y a-t-il de commun, je le répète, entre elle et<br />
cette bonne alma mater, cette philosophie universitaire d’excellent rapport, qui, chargée<br />
de cent intérêts et de mille ménagements divers, s’avance avec circonspection et en<br />
louvoyant, sans jamais perdre de vue la crainte du Seigneur, les volontés du ministère,<br />
les dogmes de la religion d’État, les exigences de l’éditeur, la faveur des étudiants, la<br />
bonne amitié des collègues, la marche de la politique quotidienne, l’opinion du jour et<br />
mille autres inspirations du même genre ? En quoi ma recherche calme et sévère du<br />
vrai ressemble-t-elle aux discussions dont retentissent les chaires et les bancs des<br />
écoles, et dont le secret mobile est toujours quelque ambition personnelle ?»<br />
465<br />
Arthur Schopenhauer (1844)<br />
Le monde comme volonté et représentation, en préface de la 2 ème édition
De la nécessaire lecture systémique<br />
Le (vieux) modèle de Parsons est un modèle sociologique dont l’un des mérites est<br />
d’explorer, en liens constants avec le système social, le système général de l’action,<br />
les motivations de l’action et ses moyens. Dans la mesure où toute action n’est pas<br />
volontaire et individuelle, mais qu’elle peut être involontaire et collective, mon regard<br />
porte sur la dimension béhaviorale que permet d’incorporer le modèle parsonien en<br />
définissant «la hiérarchie cybernétique du pouvoir.» Cette dimension permet la saisie<br />
de ce qu’il est convenable, dans l’état actuel des déviances, de nommer la manipulation<br />
des comportements.<br />
Ainsi, à titre d’exemple et pour justifier la théorie qui va suivre, vais-je reprendre<br />
l’affirmation qu’à compter de 1991, la planification financière du MEQ a non seulement<br />
contingenté les ressources scolaires déjà insuffisantes en deçà du seuil décent, mais<br />
qu’elle a également restructuré le fonctionnement du MEQ, modifié ses actions, modifié<br />
son discours, modifié ses principes, modifié ses valeurs et modifié sa mission.<br />
Beaucoup d’éléments se décodent à partir des mots utilisés (ou de ceux qui ont<br />
cessé de l’être) : le MEQ, ministère de l’Éducation, est devenu le MELS, ministère de<br />
l’Éducation, des Loisirs et du Sport, dissolvant par le fait même son rôle éducatif et<br />
traduisant cet état de (nouveau) fait par une mission triaxée d’instruction, de<br />
socialisation et de qualification d’où a résolument disparu l’axiome même<br />
d’éducation…Totalement décodé le message devient «j’entre l’écolier dans la structure,<br />
j’en fais un citoyen et je le rends productif.»<br />
Adieu développement individuel global et optimal du livre orange de 1979, «L’école<br />
québécoise»…Bonjour citoyen propre ou impropre à la production et à la<br />
consommation !<br />
466
Le modèle de Parsons<br />
A. Une dimension cinétique<br />
Il faut d'abord comprendre que l’étude sociologique telle que l'a conçue Parsons ne<br />
se satisfait pas d’une dimension structurale statique qui ne témoignerait que de<br />
l’existence des interrelations entre les structures sans pouvoir vraiment les explorer.<br />
Or, comme l’ont mentionné Pierre Bélanger et Guy Rocher (1970), en éducation, trois<br />
axes caractérisent l’étude sociologique :<br />
l'analyse du système scolaire comme système social,<br />
l’exploration de l’école et même de la classe comme système d’interactions à<br />
l’intérieur d’un groupe restreint<br />
et, d’un point de vue environnemental, l’analyse des interactions entre l’école et la<br />
société.<br />
Si le premier et le troisième de leurs axes référent aux structures sociales, le second<br />
reprend la perspective microsociologique de Gurwitch et symbolise les mouvements<br />
sociaux qui animent les structures. Cette préoccupation cinétique cherche à renseigner<br />
sur les interactions entre les groupes et sous-groupes sociaux. En outre, elle fonde le<br />
concept même d’action sociale.<br />
D’ailleurs pour compléter ma réflexion, je me réfère aux explications de Guy Rocher<br />
(1968):<br />
L’action sociale présente tous les traits d’un véritable système<br />
et (il) est possible de l’analyser comme tel. On y trouve en<br />
effet les principaux éléments constitutifs d’un système:<br />
a) des unités ou parties (...) c’est-à-dire des actes sociaux posés<br />
par (les) personnes, c’est-à-dire des actes qui sont<br />
normativement orientés (...).<br />
b) des facteurs d’organisation ou de structuration (...); ce sont<br />
les modèles, les rôles et les sanctions (...);<br />
c) la structuration des unités s 1 affirme en particulier par leur<br />
interdépendance (...)<br />
d) une sorte d’échange, de complémentarité, d’interaction, mais<br />
un équilibre sans cesse mouvant. 78<br />
78 ROCHER, G. (1968) Introduction à la sociologie générale: Éditions Hurtubise H.M.H. tome 1 page 52<br />
467
La sociologie s’avère donc utile lors de l’analyse des structures et des interrelations<br />
du domaine scolaire. Elle appuie ses appréhensions sur une double vision de la réalité<br />
sociale, selon, d’une part, un axe vertical statique, celui des structures et, d’autre part,<br />
un axe horizontal dynamique, celui des interactions.<br />
Le lecteur aura, sans doute, remarqué que j'ai fait disparaître l’un des trois axes<br />
mentionnés par Bélanger et Rocher ainsi que par Gurwitch. Il convient donc que j’y<br />
revienne : il s’agit, en effet, d’une confusion volontaire qui rassemble deux axes dont la<br />
dimension est indubitablement structurale (c’est-à-dire l’école, sous-ensemble de la<br />
société et l’école comme système social) en un seul axe qui englobe toutes les<br />
structures sociales possibles, y compris celles que les sociologues cités ont omises,<br />
tels les sous-systèmes sociaux stables formés par les cycles, les degrés et même les<br />
équipes de travail au sein du système social qu’est l’école.<br />
Ainsi tout en reconnaissant des plans macro et microsociologique d’analyse, je<br />
simplifie une appréhension de l’éducation tout en la complétant selon les besoins<br />
situationnels. Parce que ma démonstration se déroule dans un système social, parce<br />
qu'elle comprend un ensemble complexe d’actions sociales interreliées, parce qu’enfin<br />
nous savons l’utilité de la sociologie dans ces circonstances, je crois justifié de procéder<br />
à ce type d’analyse. Cependant, avant de poursuivre mon exposé sur le choix de ce<br />
modèle théorique, je demande au lecteur de prendre connaissance du tableau 1<br />
suivant, représentatif de la double dimension de l'approche sociologique.<br />
468
B.<br />
469
Présentation du modèle théorique<br />
Pour procéder à une analyse complète et efficace, c’est-à-dire respectueuse des<br />
deux axes qui articulent l’appréhension sociologique, il me faut recourir à un modèle<br />
théorique fondé sur cette articulation bidimensionnelle. Je dois également trouver dans<br />
ce modèle l’occasion de greffer les éléments qui caractérisent une philosophie sociale,<br />
donc trouver une entrée apte à recueillir les données propres à cette philosophie.<br />
Enfin, le modèle choisi doit fournir une assise conceptuelle logique pour me permettre<br />
d’y appuyer mon analyse.<br />
Afin que le lecteur s’imprègne de ma préoccupation majeure, je lui propose, à titre<br />
d’autre réflexion et avant d’introduire mon modèle, cette autre justification de ma<br />
démarche; elle illustre parfaitement mon optique et nous la devons à Malcom<br />
Adiseshiah :<br />
La théorie et la pratique du développement, malgré une<br />
certaine technicité, ne constituent pas à proprement parler<br />
une matière technique. Au sens le plus profond, elles<br />
relèvent de la philosophie, puisqu'elles supposent un<br />
jugement de valeur sur la société, sur le “ bien-vivre ” des<br />
hommes et des nations.<br />
Au sens le plus large, elles s’assortissent à la politique,<br />
puisqu’elles appellent des décisions et des choix quant aux<br />
fins et aux moyens de l’action économique et sociale. Ce ne<br />
sont pas les connaissances techniques qui donnent autorité<br />
pour traiter un tel sujet. 79<br />
B.1. Description du modèle théorique<br />
C’est donc du sociologue Talcott Parsons que nous provient le modèle qui m’a<br />
semblé remplir le plus adéquatement les critères fixés pour la qualité de mon analyse.<br />
Je reviendrai d’ailleurs à ce sujet dans la partie B.2. suivante, lors d’une critique du<br />
modèle proposé.<br />
Guy Rocher (1968) a exposé clairement les structures d’un des modèles<br />
parsoniens, qui regroupe le système général de l'action et le sous-système social.<br />
79 ADISESHIAH Malcom. S (1970) Pour que mon pays s'éveille Paris: Les Presses de L’UNESCO. p.14<br />
470
Il faut noter, en premier lieu, qu’il existe des entités, complètes en elles-mêmes,<br />
formées d’un ou plusieurs individus dont l’existence est liée à deux ressources vitales,<br />
la connaissance et l’action.<br />
Ces deux ressources sont interdépendantes et l’une résulte de l’autre, faisant<br />
intervenir l'expérience, synonyme de l’action, comme effet et comme cause de la<br />
connaissance. Ce débat est toutefois d’ordre philosophique et, pour l'heure et ce qui<br />
nous intéresse, il nous suffit de savoir que<br />
le système général de l’action comporte quatre sous-systèmes :<br />
celui de la culture ;<br />
celui du système social ;<br />
celui des personnalités et enfin,<br />
celui des organismes biologiques.<br />
D’autre part, pour assurer la vie, la survie ou le progrès des entités mentionnées,<br />
l’action remplit, selon ses quatre sous-systèmes,<br />
des fonctions équilibrantes qui sont :<br />
pour la culture, la stabilité normative;<br />
pour le système social, l’intégration;<br />
pour les personnalités, la poursuite des buts ;<br />
et, pour les organismes biologiques, l’adaptation.<br />
De chacune de ces quatre fonctions se dégage plus ou moins d’information ou plus<br />
ou moins d’énergie :<br />
ainsi comprendra-t-on que l’adaptation, au niveau des organismes biologiques,<br />
nécessite plus d’énergie et moins d’information,<br />
et que, au contraire, la stabilité normative, au niveau culturel, exige plus<br />
d’information et moins d’énergie.<br />
Ce phénomène est appelé ordre hiérarchique du contrôle cybernétique de l’action et<br />
j’aurai l’occasion d’y revenir vu son importance phénoménale.<br />
471
Puisque le sous-système social de l’action peut être une entité complète,<br />
son fonctionnement procède du système général de l’action : on y retrouve les mêmes<br />
fonctions, selon le même ordre hiérarchique de contrôle cybernétique. Toutefois, des<br />
composantes et des ensembles structuraux qui explicitent la notion de système social<br />
viennent s’ajouter à sa description. Le tableau 2 schématise ces données que je vais à<br />
présent approfondir.<br />
Tableau 2<br />
Système général de l’action<br />
et<br />
sous-système social<br />
parsoniens<br />
D’abord, je précise que la notion de système social qui « porte sur les conditions<br />
impliquées dans l’interaction d’individus humains réels qui forment des collectivités<br />
472
concrètes, composées de membres déterminés » 80 rejoint, par son intégration du<br />
phénomène de l’interaction, la notion d’action.<br />
Par ailleurs, ma citation me permet de dire qu’une organisation, un de ses soussystèmes,<br />
un groupe de travail de ce sous-système constituent autant de systèmes<br />
sociaux. Tout système social possède une structure interne composée de divers<br />
éléments qui le définissent comme une entité dynamique. Ces éléments constituent les<br />
composantes structurales du système social visé. Elles forment des canaux par<br />
lesquels passe la culture pour se transcrire et se réaliser dans la vie concrète d’une<br />
société et de ses membres.<br />
On reconnaît donc :<br />
les rôles, résultantes de l’appartenance des individus aux différentes collectivités du<br />
système ;<br />
les collectivités, regroupements autour des valeurs, des idéologies, dotées de règles<br />
d’application destinées aux membres ;<br />
les normes, lois ou règles sur lesquelles l’individu calque ses comportements pour<br />
garantir son appartenance à une collectivité ;<br />
les valeurs, qui définissent les orientations culturelles et philosophiques du système<br />
tout entier.<br />
A ces composantes structurales du système social (dont il ne faut pas oublier qu’il<br />
est un sous-système du système général de l’action) correspondent des impératifs<br />
fonctionnels qui répondent aux “problèmes d’ajustement” auxquels est confronté tout<br />
système social.<br />
C’est sur l'observation systématique de l’état de ces impératifs que peut se fonder une<br />
évaluation de la santé et de la viabilité organisationnelles.<br />
J’ai figuré l’interrelation aux composantes structurales :<br />
1. l’impératif fonctionnel d’adaptation qui réclame du système et de ses membres un<br />
appel et un recours à des moyens pratiques pour réaliser les objectifs du système ;<br />
80 ROCHER, Guy. (1968) Introduction à la sociologie générale. Montréal: H.M.I. p. 311<br />
473
2. l’impératif fonctionnel de poursuite des buts qui exige du système ou d’une de ses<br />
parties constituantes une définition des objectifs du système et leur atteinte ;<br />
3. celui d’intégration qui oblige à la coordination des unités ou parties du système ;<br />
4. enfin celui de la stabilité normative qui commande que les valeurs du système soient<br />
connues de ses membres, qu’ils les acceptent et s’y plient.<br />
Liés également aux composantes structurales et correspondant aux moyens dont se<br />
dote le système social pour observer les impératifs fonctionnels, nous trouvons des<br />
ensembles structuraux qui sont, en fait, les grands domaines de l’organisation de<br />
l'action sociale. Selon le même ordre d’interrelation aux composantes et aux impératifs,<br />
nous sommes en présence de :<br />
1. l’économique, liée aux rôles et à l’adaptation ;<br />
2. la politique, liée aux collectivités et à la poursuite des buts ;<br />
3. le droit, lié aux normes et à l’intégration ;<br />
4. la socialisation, liée aux valeurs et à la stabilité normative.<br />
Ces domaines sont ceux que nous connaissons avec les structures internes qui les<br />
régissent.<br />
B.1.1. Ordre hiérarchique de contrôle cybernétique<br />
Le modèle parsonien témoigne aussi du contrôle de l'action. À ce sujet, je reviens à<br />
la notion d’ordre hiérarchique de contrôle cybernétique que j’ai introduite<br />
antérieurement. La cybernétique nous renseigne sur deux éléments qui sont la<br />
communication de l’information et la mécanique de commande ou de guidage de<br />
l’action. Or, dans une hiérarchie cybernétique, un système se place en haut de l’échelle<br />
s’il est riche en communication et en bas s’il est riche en mécanique de guidage, c’està-dire<br />
en énergie.<br />
À partir de ces données, Parsons a classifié les composantes structurales, les<br />
impératifs fonctionnels et les ensembles structuraux selon l’ordre hiérarchique de<br />
contrôle cybernétique de l’action. Il y a une juste correspondance entre ces divers<br />
éléments du système social selon qu’il s’en dégage, plus ou moins d’information ou<br />
d’énergie.<br />
474
Dans les faits, lorsque le système social est une organisation, le gestionnaire,<br />
responsable du contrôle des quatre impératifs fonctionnels vitaux, doit tenir compte<br />
de la hiérarchie qui s’établit selon cette cybernétique. En particulier, il doit faire en<br />
sorte que sa gestion, son mode d’exercice du pouvoir, respecte la charge<br />
cybernétique propre à chaque domaine où s’exerce sa gestion.<br />
Ainsi lorsqu’il agira au niveau des rôles, les facteurs qu'il utilisera seront fortement<br />
énergétiques et faiblement chargés en information, mais lorsqu’il agira au niveau<br />
des valeurs, son contrôle tendra à des influences sur l'information plutôt que sur<br />
l’énergie.<br />
Là encore, il convient de rappeler que cette conception repose sur la structure<br />
même du système général de l’action que je vais d’ailleurs explorer à présent.<br />
B.1.2. L'action<br />
C’est en effet l’action, corollaire nécessaire de la connaissance humaine, qui fonde<br />
le sous-système social, en réponse à l’un des quatre impératifs fonctionnels qu’elle doit<br />
suivre pour sa propre efficacité, en l'occurrence celui de l’intégration.<br />
Mais le système général de l’action regroupe aussi d’autres sous-systèmes:<br />
1. associés à la fonction d’adaptation, les organismes biologiques ;<br />
2. associés à la poursuite des buts, les personnalités ;<br />
3. associé à l’intégration, tel que nous l’avons mentionné, le système social ;<br />
4. et enfin, associée à la stabilité normative, la culture.<br />
En cela, rien de plus que ce que j’avais déjà introduit. Toutefois, il faut<br />
comprendre que la structure de l’action fonde celles de ses sous-systèmes selon le<br />
même ordre hiérarchique de contrôle cybernétique et que ce phénomène provient, au<br />
point de départ, des quatre contextes dans lesquels se situe toute action.<br />
Pour éclairer le lecteur, je spécifie que l’action réfère à toute conduite humaine,<br />
individuelle ou collective, consciente ou inconsciente. Les termes d’action et de<br />
conduite sont pris au sens large, incluant non seulement les comportements<br />
observables, mais aussi les pensées, les goûts, les sentiments et les désirs.<br />
Toute action concrète est globale, c'est-à-dire qu’elle s'inscrit dans les quatre<br />
contextes à la fois et elle résulte d’une interrelation de forces ou d’influences<br />
475
provenant de chacun d’eux. Ces contextes qui sont les sous-systèmes biologique,<br />
psychique, social et culturel que j’ai présentés sont indissociables, sauf au plan<br />
analytique ou théorique.<br />
L’individu, quant à lui, est conditionné par les quatre contextes en même temps et il<br />
agit et réagit selon eux.<br />
C’est à ce stade qu’il est possible de comprendre dans son ensemble le concept de<br />
hiérarchie du contrôle cybernétique.<br />
L’étagement des sous-systèmes comme des impératifs fonctionnels qui leur sont<br />
adjoints, explique le degré de contrôle que peut exercer une variation voulue d’un soussystème.<br />
Il est d’ailleurs démontré que plus les variations s’exercent sur les soussystèmes<br />
riches en information, plus leur ascendant est grand.<br />
Si, d’autre part, j’ajoute à cette décomposition du système, ses unités structurales, je<br />
peux traduire ma pensée en ces mots :<br />
⇒ une variation voulue qui s’opère sur les valeurs possède un ascendant sur les autres<br />
composantes structurales, à savoir les normes, les collectivités et les rôles. En<br />
d’autres termes, je note que la valeur «capitalisme» influe sur la coordination du<br />
Gouvernement québécois, sur les objectifs qu’il se fixe et les moyens qu’il utilise<br />
pour les atteindre.<br />
J’en arrive naturellement au changement social, qu'il soit accidentel ou provoqué.<br />
J’ai parlé en effet de variation voulue opérée sur un sous-système:<br />
Il apparaît possible qu’un ou des individus, particulièrement s’ils sont placés on ligne<br />
d’autorité, exercent et obtiennent des modifications du système, modifications qui, selon<br />
la pression exercée, sont mineures ou majeures.<br />
C’est Parsons (1966) qui fournit une réponse certaine à cette préoccupation. En<br />
effet, le sociologue explique qu’il n’y a pas de différence théorique entre la sauvegarde<br />
du système et son changement. Selon lui, les processus sont les mêmes et ne font<br />
intervenir que les degrés différents de contrôle cybernétique. Cela explique sa<br />
classification des changements 81 en deux types :<br />
les changements d’équilibre<br />
81 Nous faisons temporairement abstraction du concept d’évolution à long terme que véhicule aussi la sociologie parsonienne.<br />
476
et les changements de structure.<br />
Guy Rocher (1968), exposant les travaux de Parsons (1951, 1956, 1961, 1966),<br />
expliquait que l’on entend par changement d’équilibre toute modification du système qui<br />
n’atteint pas les structures. Le concept d’équilibre est en effet la signification pratique<br />
des ajustements du système aux transformations des sous-systèmes.<br />
D’un autre côté, le changement de structure qui résulte d’une accumulation de<br />
tensions croissantes entre des unités du système provoque une désintégration du<br />
système tout entier.<br />
Alors que le changement d’équilibre dissout les tensions qui n’affectent que des<br />
unités du système, par le biais de la fonction de stabilité normative, le changement<br />
de structure dissout le système, dont la nature entière est corrompue, à cause d’une<br />
« inappropriation» des valeurs significatives du système culturel aux autres soussystèmes.<br />
Parsons (1966) a complété cette définition par l'établissement d’un axiome qui<br />
donne préséance au culturel et aux valeurs sur la réalisation des objectifs collectifs.<br />
Par cette révélation, on comprend davantage la perspective de l’auteur vis-à-vis<br />
l’applicabilité de son modèle à des situations tant statiques que dynamiques:<br />
Basé sur une différenciation entre les unités existantes et celles qui les remplacent pour<br />
assurer une plus grande efficacité et la viabilité du système, ce modèle privilégie<br />
toutefois le changement du système par le système et fait a priori abstraction d’une<br />
dynamique externe qui ne serait pas, loin de là, synonyme de continuité. Puisque<br />
d’ailleurs j’en suis à ce stade, je me donne, sans plus tarder, l’occasion d’explorer plus<br />
à fond cette limite (et d’autres) du modèle.<br />
B.2. Critique du modèle parsonien<br />
Je passe outre la critique qui s’alimenterait du vieillissement du modèle (encore)<br />
choisi : ce critère n’est pas pertinent, pas plus que l’attitude de certaines jeunes recrues<br />
de l’Éducation envers leurs aînés d’engagement et d’expérience dans le système.<br />
L’âge n’est pas garant de sagesse, mais il ne nuit pas…<br />
Je veux donc examiner la critique fondamentalement ancrée.<br />
477
La plus courante que j’ai rencontrée concerne l’aspect généralisateur de la<br />
sociologie de Parsons. À ce propos, Guy Rocher, qui s’en est inspiré beaucoup, notait<br />
le caractère abstrait de l’approche parsonienne. Il faut croire que l’œuvre de Parsons a<br />
le défaut inhérent à sa qualité la plus universellement reconnue qui en fait encore l’une<br />
des élaborations les plus complètes en matière de théorie générale de la sociologie.<br />
Ce reproche est provenu des études de Walter Buckley (1967) qui, tout en<br />
reconnaissant l’utilité d’un modè1e systémique, avait dénoncé la trop grande influence<br />
des modèles d’équilibre mécanique et d’homéostasie biologique 82 sur la théorie<br />
parsonienne: cela, pour les restrictions imposées par ces modèles à la compréhension<br />
de l'évolution à long terme de systèmes complexes.<br />
Toutefois, comme l’a souligné Rocher (1968), Buckley s’était référé à des<br />
formulations de Parsons datant de 1951 (The social system) et, ce faisant, avait négligé<br />
l’introduction de la cybernétique dans la théorie du sociologue, introduction qui a<br />
considérablement enrichi l’appréhension du changement social.<br />
En outre, et c’est là que réside pour nous le plus grand intérêt, je ne crois pas que,<br />
confrontés à un système extrêmement complexe dont nous allons examiner l'évolution<br />
à long terme, au sens sociologique de cette expression, notre examen va souffrir des<br />
critiques fonctionnelles du système parsonien telles que les présente Buckley. Dans<br />
des périodes de changements même prolongés, les changements d’équilibre et de<br />
structure successifs sont tout à fait décodables. À ce titre, le modèle parsonien<br />
demeure fort révélateur.<br />
Découlant de la première critique, une seconde, moins courante il est vrai, prétend<br />
que Parsons ne permet que difficilement de réaliser une analyse sociale, sans recours<br />
une théorie intermédiaire. Au risque de contredire les auteurs de cette critique, je<br />
déclarerai, au contraire, que je ne vois guère mieux qu’un sociologue et son modèle<br />
sociologique pour opérer une telle analyse.<br />
Je pense plutôt qu’il y a, dans ce cas, une confusion quant à l'utilisation ultérieure de<br />
l’analyse sociale. Si, en effet, cette analyse doit servir de tremplin à une étude d'un<br />
82 Équilibre mécanique: équilibre des forces physiques en présence (par extension, de toutes les forces)<br />
Homéostasie biologique: Stabilisation des constantes physiologiques.<br />
478
autre ordre quel qu'il soit, il faut admettre que les liens entre l’approche parsonienne et<br />
les théories des autres domaines culturels ou organisationnels sont difficiles à faire et<br />
qu’alors, un modèle intermédiaire peut s’avérer nécessaire. Le modèle du processus de<br />
production du handicap de Fougeyrollas sera ce précieux complément.<br />
Cependant, s’il subsiste un doute à propos d’une éventuelle défaillance analytique,<br />
que l’on veuille bien considérer les éléments suivants:<br />
1. le modèle parsonien respecte les deux axes, statique et dynamique, que j’ai cités,<br />
celui des structures sociales (notion de système social) et celui des actions sociales<br />
(système général de l’action);<br />
2. ce faisant, il respecte la dimension structurale et la dimension cinétique de toute<br />
problématique;<br />
3. le modèle, par le concept d’ordre hiérarchique de contrôle cybernétique, intègre la<br />
notion du pouvoir telle que je désire la saisir;<br />
4. par la reconnaissance des valeurs comme éléments structuraux qui précisent les<br />
cibles du système, c’est-à-dire ses orientations philosophiques présentes et à venir,<br />
dans le cadre de l’impératif fonctionnel de la stabilité normative, le modèle parsonien<br />
permet l'analyse de la philosophie sociale des individus en charge du système;<br />
5. enfin, par son appréhension logique du changement social qui explicite la<br />
dynamique interne du modèle et autorise une analyse dans le cadre de<br />
développements organisationnels complexes, ce modèle théorique complète son<br />
adéquation aux circonstances.<br />
Est-ce à dire qu’il n’y a rien à reprocher à l’approche parsonienne? Je suis prêt à le<br />
garantir bien qu'il me reste effectivement une préoccupation, celle-là même que j’ai<br />
introduite au terme de la présentation du modèle :<br />
Parsons fait, a priori, abstraction d’une dynamique externe au système analysé dont<br />
les influences se feraient sentir jusqu’à l'obligation d’un changement structural du dit<br />
système.<br />
Ce que je veux signifier rejoint partiellement les deux premières critiques que j’ai<br />
exposées. Cependant, cet avis est spécifique au cas où l'on aurait à expliquer, à l’aide<br />
du modèle parsonien, l’échec durant x années d’un programme ou d'une activité et, à<br />
479
l’aide du même modèle, de démontrer le succès potentiel à long terme de ce même<br />
programme ou de cette même activité. La difficulté apparente réside dans la<br />
conceptualisation des passages de changements d’équilibre à des changements de<br />
structure.<br />
Le découpage séquentiel des périodes de changements m'apparaît comme une<br />
réponse valable à cet argument. Pour avoir, dans ce livre, étudié, à l'aide du modèle<br />
parsonien et sur une base longitudinale de données (35 ans), l'évolution du système<br />
scolaire québécois, je puis en toute certitude garantir la fiabilité et la souplesse d'un<br />
modèle qui fait figure d'exception dans le domaine des analyses multidimensionnelles<br />
complexes.<br />
480
Le processus de production des handicaps<br />
Le modèle de processus de production des handicaps (P.P.H) s’accorde bien à mon<br />
étude : il est dans la lignée même de la mission triaxée du MELS qui vise littéralement<br />
«la production» d’un citoyen instruit et qualifié en vue d’une insertion sociale réussie.<br />
Ce que ce modèle apporte, c’est la lecture systémique de l’action contraire,<br />
volontaire ou involontaire, appelons-la «production des handicaps scolaires», sur la<br />
base du constat factuel que le système scolaire produit aussi des «non-citoyens peu<br />
ou mal ou non instruits et peu ou mal ou non qualifiés au risque d’une insertion sociale<br />
peu ou mal réussie ou carrément échouée». C’est que j’appelle «les crimes scolaires»<br />
à chaque fois que cela aurait pu et pourrait être évité.<br />
Le P.P.H. étudie la mécanique selon laquelle l’environnement et ses composantes<br />
vont parfois produire des dysfonctions, parfois accroître des déficiences existantes,<br />
parfois provoquer et cristalliser des handicaps. Il a été conçu dans le secteur de la<br />
santé et des services sociaux pour revisiter la nomenclature qui classifie (et a coutume<br />
de normaliser) les handicaps physiques, psychologiques ou intellectuels. L’équipe du<br />
professeur Patrick Fougeyrollas, chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche en<br />
réadaptation et intégration sociale (CIRRIS; Québec) est celle qui a mis au point ce<br />
modèle qui permet donc de scruter le processus de mise en situation de handicap.<br />
Originalité du modèle et liens au modèle parsonien<br />
Usuellement, les classifications des maladies, des traumatismes et autres troubles<br />
se fondent sur une vision sectorielle de problèmes de santé et omettent l’inclusion<br />
générique et anthropologique du développement de tout être humain avec ou sans<br />
problème de cette nature. Cette inclusion contraint à observer le processus interactif<br />
entre les facteurs personnels (intrinsèques) et les facteurs environnementaux<br />
(extrinsèques) déterminant le résultat situationnel de la personne dans sa relative<br />
performance de réalisation des habitudes de vie correspondant à son âge, à son sexe<br />
et à son identité socioculturelle. Elle oblige à considérer que le handicap n'est pas une<br />
réalité autonome séparée du modèle générique du développement humain; il constitue<br />
la résultante incapacitante d'une combinaison de possibilités déterminées et<br />
contingentées, parfois heureusement, parfois malheureusement, par les normes<br />
biologiques, fonctionnelles et sociales pratiquées, acceptées ou tolérées.<br />
481
Schématiquement, le modèle de P.P.H. repose donc sur le concept suivant du<br />
développement humain : tableau 3 suivant.<br />
Tableau 3 : modèle combiné du développement humain et du processus de production du handicap<br />
482
Le tableau 3 n’est pas difficile à décoder. En voici toutefois une lecture rapide.<br />
Tout individu hérite ou dispose de facteurs développementaux personnels : les<br />
systèmes organiques et les aptitudes.<br />
Tout individu hérite ou dispose de systèmes organiques qui sont initialement plus ou<br />
moins fonctionnels, c'est-à-dire qui dispensent, par leur organisation combinatoire,<br />
les services pour lesquels ils existent. Ces systèmes sont dénombrés à quatorze par<br />
Fougeyrollas :<br />
1. Nerveux,<br />
2. auriculaire,<br />
3. oculaire,<br />
4. digestif<br />
5. respiratoire<br />
6. cardiovasculaire<br />
7. hématopoïétique<br />
et immunitaire<br />
8. urinaire<br />
9. endocrinien<br />
483<br />
10. reproducteur<br />
11. cutané<br />
12. musculaire<br />
13. squelettique<br />
14. morphologique<br />
Aucun individu ne bénéficie de systèmes totalement intègres, mais aux fins de<br />
mesure, les systèmes sont évalués selon leur oscillation entre l’intégrité fonctionnelle<br />
et la déficience fonctionnelle. S’ils sont peu ou pas altérés, ils sont évalués vers le<br />
pôle «intégrité» et s’ils sont altérés vers le pôle «déficience».<br />
Tout individu hérite, dispose ou est privé d’aptitudes qui, présentes, lui permettent<br />
d’être capable (critère de capacité) de s’acquitter d’activités physiques ou mentales<br />
et, absentes, le limitent dans ses capacités ou l’empêchent d’accomplir ces activités<br />
(critère d’incapacité).<br />
Ces aptitudes figurent dans le tableau 3.<br />
Tout individu baigne dans un environnement.<br />
Cet environnement est organisé selon deux dimensions : 1-la dimension sociale qui<br />
inclut les facteurs politico-économiques et les facteurs socioculturels; 2-la dimension<br />
physique qui inclut les facteurs de l’environnement naturel et les facteurs de<br />
l’aménagement physique humain.<br />
Les facteurs personnels et les facteurs environnementaux sont en interactions<br />
constantes.<br />
Dans leurs rôles conjoints<br />
i. de promotion et de développement optimal de<br />
ii. de prévention des risques à
iii. de correction ou de guérison des dysfonctions affectant<br />
la santé, comprise dans le sens holistique de la santé globale sous toutes ses<br />
formes, les «humains développeurs» et les «humains développés» vont devenir les<br />
catalyseurs du meilleur (rôle de facilitateurs) ou du pire (rôle d’obstacles) devenir de<br />
chaque individu.<br />
Chaque individu est à la fois développeur et développé et tient le rôle de facilitateur<br />
ou le rôle d’obstacle dans des degrés qui varient de la conscience à l’inconscience et<br />
du pouvoir à l’impotence ( : cf. modèle de Parsons)<br />
Le cheminement favorable (qualifiant) de la santé est tributaire du respect de l’ordre<br />
cybernétique du contrôle de l’action.<br />
Le cheminement social favorable de la santé est tributaire du pouvoir décisionnel et<br />
exécutif que doivent avoir les valeurs sur le droit, le droit sur la politique et la politique<br />
sur l’économie.<br />
La maladie sociale (ou handicap de société) est engendrée par l’inversion de l’ordre<br />
hiérarchique du pouvoir : c’est le cas actuellement lorsque l’économie assujettit la<br />
politique, lorsque la politique assujettit le droit et lorsque le droit assujettit les valeurs<br />
83<br />
( : cf. modèle de Parsons).<br />
Les deux rôles opposés de facilitateur ou d’obstacle vont être dépendants des<br />
facteurs de risque auxquels le «développeur» et/ou le «développé» vont être<br />
conjointement ou séparément confrontés ou des facteurs de risques qu’ils vont<br />
accidentellement engendrer ou délibérément provoquer.<br />
Ces facteurs de risque sont :<br />
• biologiques;<br />
• liés à l’environnement physique;<br />
• liés à l’organisation sociale;<br />
• ou liés aux comportements individuels et sociaux.<br />
Les risques découlent de causes liées à la dimension volontaire ou involontaire de<br />
l’action (oscillation entre pouvoir et impotence) et à sa dimension consciente ou<br />
inconsciente.<br />
83 Lorsque, par exemple, l’économie recherchée des ressources pilote les décisions politiques d’attribution des fonds, que les<br />
contingences de cette attribution assujettissent le droit aux services à l’organisation (politique) des services, que la privation de<br />
l’exercice du droit s’érige en norme ou en normalité et que cette normalité nouvelle commande un comportement éthique qui<br />
s’éloigne éthiquement et factuellement de l’intégrité et de l’indivisibilité du meilleur devenir.<br />
484
Les causes déqualifiantes du meilleur devenir sont<br />
prédisposantes;<br />
déclenchantes;<br />
persistantes ;<br />
ou aggravantes.<br />
La qualification ou la déqualification vont se faire sentir sur l’amplitude de la<br />
réalisation de soi dans chacun des treize domaines de vie…<br />
Et autoriser la participation et l’inclusion sociales…<br />
Ou les limiter ou les interdire, provoquant du fait même une situation de handicap et<br />
l’exclusion partielle ou totale qui en découle.<br />
Le processus par lequel se réalise une restriction de l’amplitude de réalisation<br />
de soi est le processus de production du handicap.<br />
Le modèle de processus de production du handicap est ainsi en total accord avec<br />
l’Organisation mondiale de la santé (O.M.S.) qui explique :<br />
Une personne victime d'une maladie, d'un accident, psychique inclus, d'atteinte<br />
congénitale et de vieillesse peut présenter des déficiences. Celles-ci provoquent ou pas<br />
des incapacités. Les commissions spécialisées évaluent les seuils de déficiences.<br />
Lorsque l'incapacité va rencontrer le milieu social - et seulement à ce moment-là - on<br />
parlera de désavantage ou de handicap.<br />
Je tiens à donner l’exemple criant qui fut révélé à notre conscience collective lors de<br />
la pseudodécouverte en 1989 (comme si cela était totalement ignoré antérieurement)<br />
des orphelinats roumains du règne de Ceausescu.<br />
Cet exemple illustre dans toute son horreur ce qu’il advient d’un enfant né avec, en tout<br />
ou en partie, l’intégrité de ses systèmes organiques lorsqu’on le prive délibérément des<br />
facilitateurs de son meilleur devenir, lorsque l’on dresse tous les obstacles à son<br />
développement, lorsque l’on crée les causes déclenchantes de sa déficience<br />
intellectuelle, de ses troubles psychopathologiques et de ses multihandicaps.<br />
Nul doute qu’aux yeux vertueux de la société mondiale, cela peut être traduit au rang<br />
des crimes contre l’humanité. Il s’agit de la parfaire illustration du processus criminel<br />
de production du handicap : il fut alors étatique, économique, politique, légal (quoi que<br />
prétendent ceux qui, muets sous le règne du dictateur, sont demeurés les membres du<br />
485
Collège roumain de la magistrature) et significatif d’une crise de valeurs dont seule<br />
l’extrême pourriture sociale a crevé l’abcès. Non par conscience, non par compassion,<br />
mais par excès : le pus excessif finit toujours par sortir…<br />
Un «nouveau» petit rappel ?<br />
«Comme me disait, il ya quelque temps, un haut-gestionnaire au moment où je<br />
dénonçais la situation scolaire de jeunes handicapés laissés quelques heures de plus<br />
dans leur couche souillée, à la suite des coupures des ressources suffisantes : «Es-tu<br />
en train de dire que tu n’es pas capable de vivre avec cela?»<br />
Il peut paraitre très nettement exagéré de dépeindre la situation québécoise (et, par<br />
complémentarité, celle des provinces, états ou pays également «civilisés» ou<br />
développés) de façon aussi noire, toutefois je ne suis pas bien sûr que le remplacement<br />
des moyens coercitifs d’un tyran tel Ceausescu par des investissements de nature<br />
homéostatique soit d’essence plus humaine : les ressources financières, humaines et<br />
matérielles décrétées non par la volonté d’éradiquer le handicap, mais par seul souci<br />
politique d’éteindre toute conscience éthique ont l’exacte mesure du niveau à atteindre,<br />
dans une société donnée, pour s’anesthésier soi-même et anesthésier la population et<br />
s’offrir et lui offrir l’équilibrante tranquillité d’esprit que procure l’illusion du devoir<br />
accompli.<br />
Sans doute, dans toute société fondée sur la manipulation des consciences, la règle<br />
qui prévaut établit-elle que la civilisation s’accompagne par une baisse de la violence<br />
physique et une augmentation proportionnelle de la violence psychologique.<br />
Nombreuses sont, à l’orée du troisième millénaire, les sociétés fondées sur la<br />
manipulation et qui transforment nos déficiences collectives en handicap social.<br />
486
La manipulation du comportement<br />
Apports théoriques d’Edgar Schein et de Chris Argyris<br />
Cette troisième et dernière démonstration viendra clore la présentation de mes<br />
référentiels théoriques. Je m’excuse encore une fois de la longueur de cette apparente<br />
digression, mais je la crois à nouveau essentielle.<br />
Comme l’a souligné Argyris (1964) et comme il le souligne encore, c’est<br />
volontairement que les administrateurs maintiennent leurs subordonnés en état de<br />
dépendance, d’infériorité, de passivité, de simplicité, d’ignorance et de préoccupation à<br />
court terme. Comme il l’ajoute (1967), il nous faut développer des administrateurs<br />
compétents dans la «manipulation de l’environnement» plutôt que dans «la<br />
manipulation des individus».<br />
Voilà donc reconnue, par quelqu’un d’autre que moi, la plaie qui caractérise la<br />
philosophie d’intervention de bien des approches administratives, dont celle du MELS et<br />
d’une majorité de ses commissions scolaires, et l’auteur a d’ailleurs étudié à fond les<br />
processus qui sont un empêchement à l’autonomie individuelle. Nous présentons les<br />
grandes lignes de sa recherche sur les théories de l’action qui inhibent l’apprentissage<br />
individuel. (1976)<br />
Il existe deux stades d’apprentissage, le premier est l’automatisme qui consiste à<br />
enregistrer des données à l’état brut et à agir selon ces données, le second qui est le<br />
traitement des données qui permet de composer avec les données à l’état brut pour en<br />
examiner les causes et les effets et procéder, le cas échéant, à des modifications sur<br />
elles. Ce dernier modèle a inspiré le courant psychocognitiviste.<br />
L’étude d’Argyris présente quelques découvertes récentes qui suggèrent que<br />
1. L’être humain peut ne pas être capable du traitement des données, mais aussi que<br />
2. Il tend à être incapable de supporter cette inaptitude et que, en conséquence,<br />
3. C’est un point crucial en rééducation de le rendre capable de la supporter, mais que,<br />
4. par ailleurs, le succès de la rééducation peut être menaçant et que<br />
5. cette menace peut agir pour inhiber l’apprentissage que l’on tente de produire.<br />
Cela se vérifie effectivement en rééducation, en psychologie sociale, en psychologie<br />
organisationnelle et industrielle, etc.<br />
487
Argyris, quant à lui, s’interroge sur les implications de ce type de rééducation vis-àvis<br />
le concept de leadership : voici les fondements de sa lecture du fonctionnement<br />
social organisé.<br />
Les gens, peut-on dire, sont guidés par des «microthéories» de l’action, qu’ils<br />
conservent en tête. Ces théories devraient les motiver à agir dans le sens qu’ils veulent<br />
pour tel résultat désiré. Toutefois, parmi eux, peu nombreux sont ceux qui savent qu’ils<br />
se guident selon des théories différentes de celles qu’ils ont épousées parce qu’on les a<br />
rendus inaptes à réfléchir sur leur comportement et ses effets et que ceux qui en ont<br />
toutefois conscience sont programmés pour ne pas dénoncer cette antinomie.<br />
Ces théories de l’action qui sont celles sur lesquelles se modèlent réellement les<br />
comportements sont les théories en usage.<br />
Elles ont deux composantes de base:<br />
1) les valeurs que l’usager s’attend à satisfaire, appelées variables gouvernantes,<br />
2) Les stratégies comportementales utilisées.<br />
Il y a quatre variables gouvernantes majeures :<br />
1) la définition unilatérale du pourquoi d’une situation,<br />
2) la victoire ou la «non-défaite»,<br />
3) la suppression des sentiments d’autrui,<br />
4) l’emphase de l’aspect intellectuel de la vie de tous les jours.<br />
Pour accéder à ces variables, l’usager utilisera des stratégies telles que:<br />
1) s’adjuger une position et contrôler les autres unilatéralement de telle sorte qu’on lui<br />
concède cette position,<br />
2) décider unilatéralement qui on informera et qui sera tenu dans l’ignorance,<br />
3) contrôler seul les rôles qui seront alloués,<br />
4) décider qui sera déçu et qui ne le sera pas de la distorsion de l’information.<br />
Les deux composantes des théories en usage ont trois conséquences:<br />
1) le monde dans lequel évoluent les usagers tend à devenir plus défensif et moins<br />
ouvert,<br />
2) le seul apprentissage possible dans ces conditions est l’automatisme, il est rarement<br />
possible de tester publiquement ses idées et, par là même, d’acquérir autre chose<br />
que ce qui est prévu par la théorie utilisée,<br />
488
3) La résolution de problème tend à devenir inefficace pour traiter des conséquences<br />
menaçantes ou difficiles d’un tel usage, traitement qui revient à violer les variables<br />
gouvernantes.<br />
Ce modèle inspire majoritairement la gestion du domaine scolaire.<br />
Les personnes ainsi programmées éviteront systématiquement le traitement des<br />
données et les situations où il est nécessaire.<br />
Argyris a vérifié l'applicabilité de ce modèle et a trouvé que 95% des 1,000 cas<br />
étudiés s’y conformaient.<br />
Bien sûr, il a déterminé à qui sont dues les théories en usage: c’est naturellement à<br />
ceux à qui elles profitent. Ainsi le leader s’en sert-il auprès de ses subordonnés mais,<br />
s’il est, lui-même le subordonné de quelqu’un d’autre, alors il est sous le contrôle d’une<br />
théorie en usage qui le conduit à agir par automatismes, même à l’encontre de ses<br />
théories épousées dont Il peut avoir conscience, mais qui, conséquemment, ne le<br />
mènent pas à l’action.<br />
A date, l’apprentissage du leadership, lié aux théories en psychologie appliquée et<br />
en administration, est situé au niveau des théories épousées:<br />
Consequently, there is the risk that leaders are being educated in settings<br />
that help them to miss<br />
(a) The incongruities between espoused theory and theories in use,<br />
(b) The blindness of these incongruities, and<br />
The unawareness of the unawareness that people have about their<br />
capacity to discover, invent, produce, generalize to theories of action that<br />
challenge the unchallengable, that questionne the unquestionable.<br />
(Argyris(1976) p. 654).<br />
Bandura (1976) nous permet lui aussi de saisir davantage les déterminismes qui<br />
existent entre la philosophie sociale d’un individu et son approche administrative, c’està-dire<br />
la théorie de l’action qui guide cet individu et transforme ses conceptions<br />
philosophiques en conceptions de contrôle d’autrui.<br />
Ce théoricien de l’apprentissage social a précisément établi qu’il y a trois fonctions<br />
à l’apprentissage par effet des réponses («learning by response consequences »),<br />
c’est-à-dire à l’apprentissage lié aux conséquences fastes et néfastes des actions<br />
posées :<br />
489
1. une fonction d’information qui permet aux individus non seulement de poser des<br />
actes, mais d’en enregistrer les effets, cet enregistrement servant ensuite de guide<br />
pour une action future qui motivera l’individu dans un sens sécurisant et l’empêchera<br />
d’accéder à un acte anxiogène.<br />
2. une fonction de motivation qui permet à l’individu d’être mis en mouvement par la<br />
prospective, c’est-à-dire de poser des gestes en fonction des conséquences fastes<br />
qu’il leur associe par avance.<br />
3. une fonction de renforcement qui permet à l’individu d’opter pour les comportements<br />
qu’il a déjà eus et dont il a pris conscience qu’ils étaient ceux qu’on attendait de lui,<br />
c’est-à-dire ceux dont les conséquences fastes sont renforçantes.<br />
Retour au modèle parsonien<br />
Bandura confirme, avec la notion des fonctions symboliques des conséquences<br />
comportementales, la valeur du modèle parsonien. La capacité d’anticipation, qui est<br />
une cible du développement organisationnel, la capacité de motivation et celle de<br />
renforcement des individus sont facilement mises au service d’actions auxquelles on a<br />
greffé artificieusement des conséquences fastes. Cette greffe a précisément lieu lors de<br />
la transmission de l’information, au niveau de l’impératif fonctionnel de stabilité<br />
normative, quand celui qui établit les objectifs à viser les associe à des valeurs<br />
indubitablement attirantes, dans le but de faire poser les actions qui conduiront à ces<br />
objectifs. Comme le dénonce Bandura, il n’y a souvent aucun rapport entre la<br />
conséquence associée artificiellement à un comportement et le contenu de ce<br />
comportement. Souvent même il y a opposition, entre une conséquence<br />
comportementale sécurisante et le comportement qui est censé la générer, qui, lui, est<br />
traumatisant.<br />
Lors de ces implantations de programmes (1980, 2000), le M.E.Q, devenu<br />
MELS., a toujours systématiquement employé cette même stratégie de déstabilisation<br />
de ses enseignants, leur envoyant le message manipulatoire percutant, généralement<br />
appuyé et documenté par la recherche universitaire, que tout ce que l’expérience leur<br />
avait dicté ou leur dictait de faire ou de corriger était inadéquat, néfaste et révolu. Que<br />
la réforme (des programmes) leur proposait ( : lire «leur imposait») désormais la<br />
490
meilleure voie pour assurer leur et la meilleure performance. Les directions<br />
d’établissement scolaire ont été «cérébrolésées» pour orchestrer cette déstabilisation<br />
qui a aussi largement contribué à l’installation d’une dichotomie de générations entre<br />
les anciens et les nouveaux enseignants. Il est malheureux que l’on ne puisse compter<br />
que des effets pervers à cette stratégie malsaine d’implantation de programmes<br />
pourtant fondés sur des théories éducatives expérimentales qui ont pris en otages et<br />
cobayes les jeunes desservis. (C’est aussi dire qu’est fondamentalement faux l’actuel<br />
débat sur la (dernière) réforme : le mal vient de plus loin, de beaucoup plus tôt.)<br />
Staats (1975), par son approche tridimensionnelle des répertoires<br />
comportementaux fondamentaux, nous permet une association très évidente entre les<br />
trois systèmes qu’il a établis et les impératifs fonctionnels du système d’action et du<br />
sous-système social parsonien. Il est en effet parvenu à classifier les conséquences<br />
comportementales, c’est-à-dire les attitudes générées par l’action, selon qu’elles<br />
suscitent plus ou moins d’énergie ou plus ou moins d’information.<br />
Ainsi à l’impératif fonctionnel de stabilité normative, le modèle de Staats associerait<br />
le système émotif motivationnel qui engendre des conséquences renforçantes<br />
abstraites, tels l’amour-propre, l’estime de soi, la reconnaissance, etc.<br />
À l’impératif fonctionnel d’intégration et à celui de poursuite des buts, il lierait le<br />
système cognitif linguistique qui produit des conséquences renforçantes semiconcrètes,<br />
comme la participation, la codécision, l’autonomie, etc.<br />
Enfin, à l’impératif fonctionnel d’adaptation, ce théoricien ferait correspondre le<br />
système instrumental où les conséquences deviendraient concrètes, comme les<br />
augmentations salariales, les congés supplémentaires, la paye au mérite ou au<br />
rendement, etc.<br />
Les deux modèles s’enrichissent mutuellement pour donner, d’une part, la notion de<br />
hiérarchie du contrôle cybernétique au modèle de Staats et, d’autre part, donner au<br />
modèle de Parsons, la dimension de stratégie comportementale qui lui fait défaut.<br />
Je reviens à la notion de leadership qui constitue, on le comprend, l’une des clés<br />
pour la compréhension du pouvoir. C’est à Parsons (1965) que nous empruntons, une<br />
fois encore, l’aspect conceptuel:<br />
491
Subject to overall control of an institutionalized value system in the<br />
society and its subsystems, the central phenomenon of organization is the<br />
mobilization of power for the attainment of the goals of the organization.<br />
The value system legitimizes the organizational goal, but it is only through<br />
power that its achievement can be made effective. P. 41<br />
Sous cet angle, le leadership devient la capacité de mobiliser les ressources<br />
impliquées dans l’attente des objectifs, dans l’intérêt même du sous-système de la<br />
poursuite des buts. Ensemble complexe de mécanismes spécialisés, cette habileté est<br />
rattachée au système global dans la mesure où il y a conformité entre les valeurs du<br />
sous-système culturel et les résultats à viser.<br />
Dans le cas précis où cette conformité existe, le leadership est<br />
l’équivalent d’autorité compétente institutionnalisée. Parsons parle, à ce titre, de deux<br />
conditions essentielles à l’efficacité du leadership:<br />
Son intégration, que nous avons déjà mentionnée, et<br />
sa coordination au double niveau du processus de prise de décision et de structure<br />
du système.<br />
Dans un autre ouvrage, Parsons (1967) précise les concepts de force et de contrôle.<br />
«The essential point is that force is only one among a number of means<br />
of controlling the action of alters...» p. 269<br />
Délimitant ensuite des canaux d’utilisation de ce que nous appellerions le pouvoir,<br />
l’auteur ajoute à cette définition en comparant la persuasion et l’insertion sociale. De<br />
cette mise en parallèle, il ressort l’idée que la persuasion s’appuie sur une classification<br />
sommaire entre les personnes impliquées et celles qui ne le sont pas. La technique la<br />
plus prisée consiste en l’appel à la conscience («appeal to conscience») des acteurs du<br />
système et par conscience, il faut entendre la conscience professionnelle qui engendre<br />
le contrat psychologique à pros duquel Schein a longuement élaboré.<br />
Manipuler le comportement ?<br />
Pour soutenir cette optique, j’ai, à ce stade, exposé très succinctement les vues<br />
d’Argyris, de Bandura et de Staats. Il ressort de ces exposés:<br />
492
1. Un maintien volontaire dans l’inconscience de ses capacités de celui qui subit<br />
l’influence par celui qui exerce son pouvoir,<br />
2. L'existence de «théories en usage» qui sont des modèles comportementaux<br />
imposés par le ou les détenteurs du pouvoir afin de limiter aux automatismes prévus<br />
les apprentissages possibles de celui ou ceux qui subissent ce pouvoir,<br />
3. La possibilité pour l’individu détenteur du pouvoir d’établir unilatéralement les<br />
objectifs à poursuivre,<br />
4. La victoire permanente du détenteur du pouvoir dans une situation donnée ou, du<br />
moins, sa «non-défaite»<br />
5. La possibilité par le pouvoir de supprimer les sentiments d’autrui et de mettre<br />
l’emphase sur l’apport intellectuel d’une situation où règnent des inconvénients<br />
pratiques,<br />
6. L’existence de stratégies du pouvoir comme le contrôle systématique des rôles<br />
d’autrui, celui de l’information, celui des valeurs et celui des réactions aux divers<br />
modes de contrôle,<br />
7. Les conséquences nocives de l’application des «théories en usage» qui provoquent<br />
une attitude défensive et moins ouverte de ceux qui subissent le pouvoir, une<br />
limitation de leurs apprentissages à des automatismes et l’inefficacité progressive du<br />
processus de résolution de problème pour résoudre leur maintien dans<br />
l’inconscience,<br />
8. L’existence, au niveau organisationnel de leaders,<br />
9. La formation de ces leaders selon des «théories épousées», modèles<br />
comportementaux (qui peuvent être également imposés) qui permettent le<br />
traitement des données, de leurs causes et de leurs effets,<br />
10. Le risque pour les leaders de ne pas saisir les incompatibilités entre leurs<br />
comportements et ceux des personnes gouvernées par automatismes, leur<br />
aveuglement face à ces incompatibilités et leur ignorance de l’inconscience de leurs<br />
subordonnés vis-à-vis leurs capacités (des subordonnés),<br />
11. L’existence de trois fonctions à l’apprentissage par effet des réponses: une fonction<br />
d’information, une autre de motivation et une troisième de renforcement. Ces<br />
493
fonctions peuvent être facilement tributaires de l’ajout d’une conséquence artificielle<br />
faste à un acte que le détenteur du pouvoir veut voir poser,<br />
12. L’existence d’une approche cybernétique de l’administration des récompenses<br />
illustrée par le système émotivomotivationnel en position de stabilité normative, par<br />
le système cognitivolinguistique en position d’intégration et de poursuite des buts et<br />
par le système instrumental en position d’adaptation.<br />
De la pratique du doute<br />
Je suis un praticien de l’approche systémique depuis une vingtaine d’années et<br />
aussi un héritier de la tradition cartésienne : j’ai coutume de douter.<br />
Cependant, je l’avoue, ainsi on me pardonnera à moitié, j’ai fait ici un effort spécial<br />
pour limiter mes pérégrinations dubitatives, tant j’ai l’intime conviction qu’est totalement<br />
et volontairement parcellaire l’appréhension des problèmes que génère notre actuel<br />
système éducatif. Tant est totalement aveugle la course qu’il poursuit dans ses<br />
errances, cécité institutionnelle qu’ont cependant successivement nourrie nos ministres<br />
de l’Éducation, même face aux dramatiques constats des impacts défavorables<br />
incessants des refontes et réformes sur la clientèle scolaire la plus vulnérable :<br />
Tout va mal, poursuivons dans le même sens !<br />
La traduction est mienne.<br />
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