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Familistère de Guise - Aisne

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II PORTRAIT(S)<br />

par Damien BECQUART<br />

Au seuil <strong>de</strong>s années 1880, l’affaire<br />

<strong>de</strong> Jean-Baptiste André Godin est flo-<br />

rissante. Deux manufactures, l’une à <strong>Guise</strong><br />

dans l’<strong>Aisne</strong>, l’autre à Laeken-Bruxelles en<br />

Belgique. 1 200 ouvriers. 2 000 appareils<br />

<strong>de</strong> chauffage et <strong>de</strong> cuisine produits à la semaine.<br />

Quatre millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> chiffre<br />

d’affaires annuel. En quarante ans, ce fils<br />

d’un mo<strong>de</strong>ste artisan serrurier <strong>de</strong> village a<br />

construit un établissement industriel qui domine<br />

le marché <strong>de</strong>s produits domestiques<br />

en fonte : chauffage, cuisson, hygiène et<br />

autres objets mobiliers. Une réussite économique<br />

qui pourrait servir d’emblème à la<br />

révolution industrielle que connaît la France<br />

du XIX e siècle.<br />

Né sous la Restauration,<br />

Godin a déjà plus<br />

<strong>de</strong> 60 ans, une barbe<br />

blanche, les photos le<br />

montrent vêtu bourgeoisement<br />

mais sans<br />

ostentation, l’air éter-<br />

Godin exhibe<br />

une autre<br />

réussite :<br />

un château<br />

nellement sévère, ou plutôt pénétré. Père<br />

d’un fils, Emile, avec lequel il s’est brouillé,<br />

il est séparé <strong>de</strong> sa première femme Esther<br />

Lemaire, au terme d’une harassante procédure<br />

qui faillit lui coûter son affaire. Il déplaît<br />

aux notables et à l’Eglise. Non content<br />

d’avoir été un soutien très actif <strong>de</strong> la cause<br />

sociétaire dans les années 1840-1850,<br />

il prétend pouvoir révéler au mon<strong>de</strong> dans<br />

l’œuvre <strong>de</strong> sa vie la preuve concrète du bien<br />

qui doit surgir <strong>de</strong> l’application <strong>de</strong>s théories<br />

phalanstériennes.<br />

En conséquence <strong>de</strong> quoi, ce patron-là, qui a<br />

siégé le temps d’un mandat à la Représentation<br />

nationale sur les bancs républicains,<br />

ne peut en définitive être une figure <strong>de</strong> la<br />

Le conseil <strong>de</strong> gérance <strong>de</strong> l’Association du <strong>Familistère</strong> en 1885. Coll. <strong>Familistère</strong> <strong>de</strong> <strong>Guise</strong><br />

Patron et entrepreneur<br />

La réussite industrielle<br />

est la clé <strong>de</strong> voûte <strong>de</strong><br />

l’expérience sociale par<br />

laquelle Jean-Baptiste<br />

André Godin entend<br />

faire la démonstration<br />

que la richesse produite<br />

dans l’entreprise doit<br />

bénéficier au travail sans<br />

qu’il soit nécessaire<br />

pour cela d’organiser<br />

la révolution. Pour<br />

édifier le <strong>Familistère</strong> et<br />

permettre aux ouvriers<br />

d’accé<strong>de</strong>r aux “équiva-<br />

lents <strong>de</strong> la richesse”,<br />

Godin développe sa fon-<br />

<strong>de</strong>rie en patron avisé.<br />

nouvelle aristocratie industrielle.<br />

C’est qu’à-côté <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> usine<br />

où la fonte coule à flot, qui s’enorgueillit<br />

d’une installation <strong>de</strong> moulage mécanique<br />

préfigurant l’organisation scientifique du<br />

travail à la chaîne, dont les catalogues<br />

Le monument élevé par l’Association coopérative au fo<br />

produits colportent le savoir-faire du manufacturier<br />

dans toute la France, Godin exhibe une autre réussite :<br />

un château.<br />

La voilà l’œuvre <strong>de</strong> sa vie, c’est un château pour les<br />

ouvriers. Un Palais en brique. Edifié dans une boucle<br />

<strong>de</strong> l’Oise, il articule trois pavillons, dotés chacun d’une<br />

cour couverte. Cet édifice imposant est la <strong>de</strong>meure<br />

collective d’une partie <strong>de</strong>s ouvriers et cadres <strong>de</strong> son<br />

industrie. 500 familles y habitent. Godin l’appelle le<br />

Palais social parce qu’il met le confort bourgeois à disposition<br />

<strong>de</strong> la classe laborieuse. Il y adjoint un théâtre,<br />

<strong>de</strong>s écoles, <strong>de</strong>s magasins coopératifs, une buan<strong>de</strong>riepiscine,<br />

un pouponnat, un kiosque à musique, <strong>de</strong>s jardins.<br />

Y organise une fête <strong>de</strong> l’enfance et une fête du<br />

travail. Y donne <strong>de</strong>s conférences au cours <strong>de</strong>squelles il<br />

appelle à “salarier le capital en lui attribuant un intérêt<br />

obligataire” et à “capitaliser le travail en lui attribuant<br />

un divi<strong>de</strong>n<strong>de</strong>”. Et pour couronner le tout, Godin y rési<strong>de</strong><br />

personnellement, en compagnie <strong>de</strong> Marie Moret sa<br />

collaboratrice <strong>de</strong>venue son épouse en 1886, occupant<br />

un confortable appartement <strong>de</strong> sept pièces où il tient<br />

ses bureaux.<br />

Singulier patron que ce Godin ! On ne lui connaît pas<br />

<strong>de</strong> distraction, sinon quelques promena<strong>de</strong>s, pas <strong>de</strong><br />

danseuse, il en aurait les moyens. Il fuit les mondanités<br />

dont il n’a ni le goût ni le temps, c’est un homme<br />

plutôt austère, réclamant <strong>de</strong> lui-même plus encore qu’il<br />

n’exige <strong>de</strong> ses collaborateurs. Il dissimule son orgueil<br />

<strong>de</strong>rrière le masque <strong>de</strong> la volonté. Souffrant <strong>de</strong> rhumatismes<br />

chroniques, il ne s’épanche guère sur lui-même.<br />

Mais c’est un patron ! et on le respecte comme tel<br />

“Monsieur Godin”. Attentif aux problèmes généraux et

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