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Familistère de Guise - Aisne

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II PORTRAIT(S)<br />

par Damien BECQUART<br />

1929 :<br />

la grève <strong>de</strong>s “cent sous”<br />

En 1929, une grève secoue l’usine Godin <strong>de</strong> <strong>Guise</strong> alors florissante.<br />

Le conflit creuse le fossé qui existe entre les non associés, parmi<br />

lesquels se recrutent les grévistes, et les associés,<br />

majoritairement non grévistes. Et se sol<strong>de</strong> par un échec.<br />

“Il y eut bataille entre grévistes et gendarmes<br />

; les femmes surtout, firent preuve<br />

d’un cran merveilleux. Les gendarmes eurent<br />

recours aux pompes à incendie ; cinq lances<br />

furent mises en batterie, noyant tout ce qui<br />

se passait <strong>de</strong>vant la porte <strong>de</strong> l’usine. Le maire<br />

ceint <strong>de</strong> son écharpe, pour enjoindre aux pandores<br />

<strong>de</strong> “cesser l’eau”, ne fut pas épargné. Il<br />

y en eut <strong>de</strong>s grévistes arrosés, mais plus d’un<br />

jaune en pris aussi sa part” (1) .<br />

Emaillé d’inci<strong>de</strong>nts, le conflit qui affecte la fon<strong>de</strong>rie<br />

Godin au cours <strong>de</strong> l’automne 1929 est<br />

le premier <strong>de</strong> cette ampleur au sein <strong>de</strong> l’entreprise<br />

créée par le fondateur du <strong>Familistère</strong>.<br />

La grève dont les premiers signes se manifestent<br />

le 18 novembre se prolonge jusqu’au 20<br />

décembre. Au nombre <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts figurent<br />

quatre condamnations judiciaires pour “entrave<br />

à la liberté du travail”, le retrait <strong>de</strong>s pouvoirs<br />

<strong>de</strong> police du maire <strong>de</strong> <strong>Guise</strong> par le préfet,<br />

la dispersion au canon à eau <strong>de</strong>s piquets<br />

<strong>de</strong> grève et une forme “d’état <strong>de</strong> siège” aux<br />

abords <strong>de</strong>s ateliers et autour du Marché couvert,<br />

où les grévistes tiennent leurs réunions.<br />

A la fin <strong>de</strong>s années 1920, ce type d’événe-<br />

Grévistes <strong>de</strong>vant l’usine Godin, 25 novembre 1929. Coll. Pierre Nicolas<br />

ment n’a rien d’exceptionnel. Les grèves dures<br />

ne sont pas rares ; non plus que les interventions<br />

<strong>de</strong> préfet pour mettre un terme “aux<br />

désordres” <strong>de</strong> la rue ou les condamnations<br />

<strong>de</strong> militants syndicaux, politiques et dispersions<br />

musclées <strong>de</strong> cortèges par les forces <strong>de</strong><br />

l’ordre. Sur le plan politique, c’est l’époque où<br />

l’Internationale communiste, au nom <strong>de</strong> la tactique<br />

<strong>de</strong> “classe contre classe”, exhorte ses<br />

sections à agir dans la rue et appelle<br />

à une démonstration <strong>de</strong> force sous<br />

la forme d’une “journée rouge”, le 1 er<br />

août 1929 (2) .<br />

A <strong>Guise</strong>, les élections viennent <strong>de</strong> porter à la<br />

tête <strong>de</strong> la municipalité une majorité communiste.<br />

La ville, 7000 habitants, compterait<br />

“1 000 rouges”. Les délégués ouvriers non<br />

familistériens, qui siègent au Syndicat du travail,<br />

une instance <strong>de</strong> concertation existant<br />

au sein <strong>de</strong> l’entreprise Godin, sont affiliés au<br />

Parti communiste et à la CGT-U. Au cours <strong>de</strong><br />

la grève, largement relayée par L’Humanité,<br />

plusieurs délégués du parti viennent soutenir<br />

l’action <strong>de</strong>s ouvriers, le député-maire communiste<br />

<strong>de</strong> Bobigny s’adresse à eux au cours<br />

d’un meeting au Marché couvert, <strong>de</strong>s responsables<br />

municipaux, dont le maire, s’affichent<br />

à leurs côtés dans les manifestations. D’évi<strong>de</strong>nce,<br />

la grève chez Godin se développe dans<br />

le contexte d’une mobilisation <strong>de</strong>s militants et<br />

sympathisants communistes au sein <strong>de</strong> l’usine<br />

et dans la ville.<br />

En 1925, la fon<strong>de</strong>rie a connu <strong>de</strong>ux jours <strong>de</strong><br />

grève perlée dont l’origine était une <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

d’augmentation. En novembre 1929, le conflit<br />

nait également d’une revendication salariale.<br />

Mais ce qui a changé, outre le climat politique,<br />

c’est le contexte économique : les carnets <strong>de</strong><br />

comman<strong>de</strong> sont pleins, l’entreprise atteint l’effectif<br />

record <strong>de</strong> 2188 employés. Les grévistes<br />

se retrouvent sur un mot d’ordre : les “cent<br />

sous”, une augmentation égale pour tous (3) .<br />

Très vite, cependant, les salariés associés<br />

s’en désolidarisent, manifestement<br />

“1 000<br />

rouges”<br />

sensibles aux arguments <strong>de</strong> l’administrateur<br />

gérant Colin qui leur démontre<br />

qu’une augmentation générale<br />

<strong>de</strong>s salaires égale pour tous, en<br />

impactant fortement les divi<strong>de</strong>n<strong>de</strong>s, jouerait<br />

contre leurs intérêts d’actionnaires.<br />

Ils apparaissent dès lors plus que jamais<br />

comme <strong>de</strong>s “privilégiés”. Le problème <strong>de</strong>s inégalités<br />

résultant <strong>de</strong>s différences statutaires<br />

au sein <strong>de</strong> l’entreprise coopérative <strong>de</strong>vient<br />

central. Le nombre <strong>de</strong> ceux qui accè<strong>de</strong>nt au<br />

rang d’associé n’a pas progressé. A l’inverse,<br />

les participants, qui n’habitent pas le <strong>Familistère</strong><br />

et reçoivent moins dans la répartition <strong>de</strong>s<br />

divi<strong>de</strong>n<strong>de</strong>s sont <strong>de</strong>venus très nombreux : plus<br />

<strong>de</strong> 1 000. Il en va <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s auxiliaires :<br />

cette main d’œuvre non intéressée aux bénéfices,<br />

800 personnes, croît fortement en pério<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> prospérité.<br />

La grève sépare les ouvriers et cadres familistériens<br />

<strong>de</strong>s ouvriers non familistériens. Godin<br />

n’a jamais été égalitariste, ce que les communistes<br />

reprochent à sa doctrine. Mais il<br />

imaginait qu’à raison <strong>de</strong> leur talent, auxiliaires<br />

et participants pourraient accé<strong>de</strong>r aux statuts<br />

supérieurs <strong>de</strong> sociétaire puis d’associé. Dans<br />

les faits, avec le temps, peu montent dans<br />

l’ascenseur.<br />

(1) EMILE Max, La grève au <strong>Familistère</strong> <strong>de</strong> <strong>Guise</strong>, La Révolution<br />

prolétarienne, n° 98, février 1930, Paris.<br />

(2) Danielle TARTAKOWSKY, “Manifestations ouvrières et<br />

théories <strong>de</strong> la violence : 1919-1934”, Cultures & Conflits La<br />

revue, www.conflits.revues.org<br />

(3) A l’issue du conflit, une in<strong>de</strong>mnité <strong>de</strong> vie chère <strong>de</strong> 1,50 F<br />

par jour est allouée aux salariés. En outre, la direction met<br />

en application la révision <strong>de</strong>s salaires qu’elle avait proposée<br />

dès le début du mouvement mais n’accè<strong>de</strong> pas aux revendication<br />

<strong>de</strong>s grévistes.

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