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eur aujourd’hui au regard<br />
entation familistérienne<br />
même les formes du commerce équitable qui relient<br />
<strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> consommateurs et <strong>de</strong>s groupements<br />
<strong>de</strong> producteurs.<br />
Dans ces exemples, on ne trouve pas - ou rarement<br />
- l’unité <strong>de</strong> lieu si prégnante au <strong>Familistère</strong>. Mais l’essentiel<br />
est ailleurs. J.-B. A. Godin est celui qui a réussi<br />
à penser et à résoudre concrètement le problème <strong>de</strong><br />
l’exploitation du travail et celui <strong>de</strong> la consommation<br />
<strong>de</strong> masse, qui restent les <strong>de</strong>ux problèmes essentiels<br />
posés par l’économie capitaliste. Or, les idéologies du<br />
changement social, y compris les idéologies coopératives,<br />
se sont centrées soit sur la question <strong>de</strong> l’exploitation<br />
du travail, souvent en s’ancrant dans une critique<br />
se situant dans l’héritage <strong>de</strong> Marx, soit sur la question<br />
<strong>de</strong> la consommation, qui débouche aujourd’hui sur la<br />
critique écologique.<br />
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le <strong>Familistère</strong><br />
apportait à sa façon <strong>de</strong>s réponses à ces <strong>de</strong>ux ensembles<br />
d’enjeux : sur le plan <strong>de</strong> l’exploitation du travail,<br />
en proposant l’association qui donnait aux travailleurs<br />
actifs le pouvoir sur l’entreprise ; sur le plan <strong>de</strong> la<br />
consommation responsable, en organisant un système<br />
très intégré d’accès aux biens fondamentaux : l’eau,<br />
l’air, la lumière, l’habitat, la santé, l’alimentation, le lien<br />
social, la culture. Si c’est sans aucun doute dans ce<br />
second domaine qu’il est le plus innovant, Godin a le<br />
mérite particulier d’avoir pensé simultanément l’organisation<br />
<strong>de</strong> la production, les activités sociales et culturelles<br />
et un système <strong>de</strong> distribution/consommation. On<br />
a pu lui reprocher ce caractère trop englobant. Mais,<br />
s’il n’est pas question <strong>de</strong> reproduire aujourd’hui l’unité<br />
spatiale et architecturale du <strong>Familistère</strong>, la considération<br />
qu’il avait pour la personne, saisie <strong>de</strong> façon globale,<br />
est indispensable pour lutter contre les risques <strong>de</strong> banalisations<br />
auxquels sont confrontées les organisations<br />
coopératives contemporaines. Une économie coopérative<br />
n’a d’avenir que si elle comprend l’homme dans<br />
sa globalité et non en tant que simple producteur ou<br />
simple consommateur.<br />
Il est une autre leçon que le <strong>Familistère</strong> donne aux coopérateurs<br />
d’aujourd’hui, peut-être plus fondamentale<br />
encore : il ne faut pas avoir peur <strong>de</strong> nourrir une ambition<br />
<strong>de</strong> changement social d’envergure. Le mouvement<br />
coopératif est, par le nombre <strong>de</strong>s ses membres, le<br />
premier mouvement social mondial. Mais il ignore qu’il<br />
l’est. Plus encore, l’évolution contemporaine du capitalisme<br />
rend indispensable l’essor <strong>de</strong> nouvelles formes<br />
économiques plus justes, agissant au service <strong>de</strong> la société<br />
dans son ensemble et respectueuses <strong>de</strong> l’espace.<br />
C’est exactement ce pour quoi luttait Godin. A travers le<br />
<strong>Familistère</strong>, Godin se voulait exemplaire. Certes et c’est<br />
sans doute sa plus gran<strong>de</strong> faiblesse, il est resté splendi<strong>de</strong>ment<br />
seul. Mais, disait le fondateur du <strong>Familistère</strong><br />
“quand les murs <strong>de</strong> briques qui nous abritent seront<br />
tombés en poussière, les générations se transmettront<br />
le souvenir <strong>de</strong>s enseignements qui auront été incarnés<br />
ici…” Finalement, la principale leçon du <strong>Familistère</strong> est<br />
peut-être d’affirmer que la finalité <strong>de</strong>s coopérateurs<br />
n’est pas <strong>de</strong> faire une entreprise coopérative, il est <strong>de</strong><br />
rendre la vie plus vivable.<br />
Le jardin <strong>de</strong> la presqu’île <strong>de</strong>rrière le Palais social.<br />
Photographie Georges Fessy, 2010. © Département <strong>de</strong> l’<strong>Aisne</strong><br />
L’auteur - Docteur en géographie, Jean-François Draperi est Maître <strong>de</strong> Conférences<br />
au Conservatoire national <strong>de</strong>s Arts et Métiers et rédacteur en chef<br />
<strong>de</strong> la Revue internationale <strong>de</strong> l’économie sociale (RECMA) qui se consacre à<br />
l’édition et à la promotion <strong>de</strong> la recherche et <strong>de</strong>s organisations et secteurs<br />
<strong>de</strong> l’économie sociale. En 2009, il a dirigé la publication <strong>de</strong> L’année <strong>de</strong> l’économie<br />
sociale et solidaire. Une alternative à redécouvrir en temps <strong>de</strong> crise. Il<br />
est l’auteur <strong>de</strong> : Godin inventeur <strong>de</strong> l’économie sociale : mutualiser, coopérer,<br />
s’associer, éditions Repas 2008. <br />
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