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Familistère de Guise - Aisne

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I MODERNITE<br />

><br />

1<br />

'<br />

Au <strong>Familistère</strong> <strong>de</strong> <strong>Guise</strong>, un service <strong>de</strong> prise en<br />

charge <strong>de</strong> la petite enfance avec une crèche<br />

et une école maternelle est institué dès l’achèvement<br />

du premier pavillon d’habitation, en<br />

1861. Les enfants y sont reçus et encadrés<br />

par <strong>de</strong>s nourrices et <strong>de</strong>s éducatrices dès 15<br />

jours et jusqu’à l’âge <strong>de</strong> 4 ans. En 1866, un<br />

bâtiment complet, construit à l’arrière du Palais<br />

social est dédié à la petite enfance, ses<br />

dispositions architecturales, aménagements<br />

intérieurs et mobilier sont réfléchis pour le<br />

confort <strong>de</strong>s enfants. L’éducation publique <strong>de</strong><br />

la première enfance est pour Godin un enjeu<br />

social <strong>de</strong> premier plan ; elle est au centre <strong>de</strong><br />

la réforme familistérienne.<br />

“Tout est fictif”<br />

Il est tentant <strong>de</strong> multiplier ainsi les rapprochements<br />

entre le siècle <strong>de</strong> Godin et notre<br />

époque. Il n’est pas jusqu’aux représentations<br />

contemporaines du capitalisme et <strong>de</strong> ses<br />

soubresauts qui ne trouvent un écho au XIX e<br />

siècle. Si l’on s’intéresse par exemple à la<br />

cyclicité <strong>de</strong>s crises financières que nous traversons,<br />

il faut relire L’Argent <strong>de</strong> Zola qui, en<br />

1891, pointe le caractère inéluctablement<br />

répétitif <strong>de</strong>s krachs : déjà régnait “l’épidémie<br />

fatale, périodique, dont les ravages balaient le<br />

marché tous les dix à quinze ans, […] il faut<br />

<strong>de</strong>s années […] pour que les gran<strong>de</strong>s maisons<br />

<strong>de</strong> banques se reconstruisent, jusqu’au jour<br />

où, la passion du jeu […], flambant et recommençant<br />

l’aventure, amène une nouvelle crise,<br />

effondre tout, dans un nouveau désastre” (8) .<br />

Nos tra<strong>de</strong>rs et autres spécialistes <strong>de</strong>s salles<br />

<strong>de</strong> marché apparaissent comme les <strong>de</strong>scendants<br />

– en plus sophistiqués - <strong>de</strong> ceux que<br />

l’on appelait jadis agioteurs, et auxquels on<br />

reprochait <strong>de</strong> vendre du vent. Après le krach<br />

<strong>de</strong> 1882, provoqué par l’effondrement <strong>de</strong> la<br />

banque Union Générale, Maupassant commente<br />

: “Les opérations sont fictives, les bénéfices<br />

sont fictifs, la valeur est fictive, c’est<br />

une simple convention ; tout est fictif […] (9) ”<br />

Les mêmes mots pourraient s’appliquer au<br />

temps présent.<br />

Nourricerie du <strong>Familistère</strong>, 1899.<br />

Photographie De Jongh frères. Coll. <strong>Familistère</strong> <strong>de</strong> <strong>Guise</strong><br />

Le <strong>Familistère</strong> au goût du jour<br />

Appartement <strong>de</strong> Godin au <strong>Familistère</strong> <strong>de</strong> <strong>Guise</strong>. Photographie Hugues Fontaine, 2009. © <strong>Familistère</strong> <strong>de</strong> <strong>Guise</strong><br />

“Etre utile à la vie humaine”<br />

Au cours <strong>de</strong> la révolution industrielle du XIXe ,<br />

dans les classes dirigeantes domine l’idée, formulée<br />

au siècle précé<strong>de</strong>nt, qu’il convient <strong>de</strong><br />

laisser faire le marché au nom d’un intérêt<br />

général résultant <strong>de</strong> la rencontre <strong>de</strong>s choix<br />

rationnels opérés par les individus. Notre<br />

époque vit elle aussi <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong>s années<br />

1980 - au moins jusqu’à la crise financière<br />

<strong>de</strong> 2008 - sous l’influence dominante<br />

d’un “fondamentalisme <strong>de</strong> marché” qui postule<br />

que celui-ci est capable <strong>de</strong> s’autoréguler, voire<br />

qu’il est infaillible dans un contexte <strong>de</strong> “concurrence<br />

pure et parfaite”.<br />

Depuis la chute du mur <strong>de</strong> Berlin et l’effondrement<br />

du bloc soviétique, “le marché est<br />

seul face à lui-même”, selon Michaël Fœssel<br />

et Olivier Mongin (10) , et le périmètre du secteur<br />

marchand ne cesse <strong>de</strong> s’étendre. Même<br />

les « biens » comme la santé et l’éducation,<br />

tangentent ce champ. Leur inscription dans le<br />

domaine <strong>de</strong>s biens publics collectifs a résulté<br />

d’un lent processus dans lequel les questionnements<br />

philosophiques et politiques du XIXe siècle ont pris une part déterminante.<br />

Dans la réforme familistérienne, la valeur<br />

d’une chose ou d’une action est déterminée<br />

par son utilité à la vie humaine.<br />

Le but supérieur que doit poursuivre<br />

l’homme consiste à “être utile à la vie humaine<br />

[…] travailler, par les moyens que<br />

la nature [lui] offre, à répandre les choses<br />

nécessaires au bien-être <strong>de</strong> l’individu et<br />

<strong>de</strong> l’espèce et à faciliter l’essor <strong>de</strong>s facultés<br />

et la satisfaction <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong><br />

tous” (11) . Selon ce principe, Godin affecte<br />

le produit du travail <strong>de</strong> son industrie à<br />

l’édification du Palais Social. Sont utiles à la<br />

vie humaine <strong>de</strong>s biens tels que le logement<br />

confortable, le système éducatif gratuit pour<br />

tous, les secours mutuels, les équipements<br />

pour la culture, les loisirs… en vertu <strong>de</strong> quoi la<br />

réforme familistérienne consiste à les mettre<br />

en œuvre, à les construire plutôt qu’à les prescrire.<br />

En arpentant le Palais social et ses annexes<br />

aujourd’hui, le visiteur du <strong>Familistère</strong> fait cette<br />

expérience singulière <strong>de</strong> la traduction d’un<br />

idéal du XIXe siècle - toujours vivace au XXIe siècle - en une réalité physique ; l’ensemble<br />

<strong>de</strong>s dispositions architecturales qui sont offertes<br />

à son regard compose une sorte <strong>de</strong><br />

tableau <strong>de</strong> la réforme.<br />

L’auteur - Ancien journaliste, Damien<br />

BECQUART anime aujourd’hui la mission<br />

Chemin <strong>de</strong>s Dames/<strong>Familistère</strong> <strong>de</strong> <strong>Guise</strong><br />

au Conseil général <strong>de</strong> l'<strong>Aisne</strong>. <br />

(8) Emile Zola, L’Argent, cité par Christophe Reffait<br />

dans “La crise financière actuelle, selon les écrivains<br />

du XIX e siècle”, revue Esprit, “Les impensés <strong>de</strong> l’économie”,<br />

janvier 2010, p. 57-72.<br />

(9) Guy <strong>de</strong> Maupassant, “A qui la faute ?”, Le Gaulois,<br />

25 janvier 1882, cité par Christophe Reffait, cf note<br />

n° 8.<br />

(10) Michaël Fœssel et Olivier Mongin, “Nos aveuglements<br />

face au réel”, revue Esprit, “Les impensés <strong>de</strong><br />

l’économie”, janvier 2010, p. 35-44.<br />

(11) Dans Jean-Baptiste André Godin, Mutualité Sociale,<br />

cité par Guy Delabre et Jean-Marie Gautier, Godin<br />

et le <strong>Familistère</strong> <strong>de</strong> <strong>Guise</strong>, Laon, 1983, p. 126.

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