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Zone Est

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décennies. L’image de ma mère, penchée sur moi, repasse<br />

brièvement devant mes yeux. La douceur de ses mains sur ma<br />

joue, la pureté de son regard, les mots incroyablement doux<br />

mais inaudibles qui sortent de sa bouche.<br />

Hors du temps.<br />

Ma vision se brouille, le chant finit par se perdre dans le<br />

brouhaha général.<br />

Un éclat de rire, le cri d’une femme, les murmures de quatre<br />

hommes aux épaules larges et aux torses bombés penchés sur<br />

une caisse de munitions, le salmigondis d’un groupe<br />

d’adolescents bruyants, affalés sur les marches. Je les enjambe<br />

en m’excusant, l’un d’eux cligne de l’œil et lève une main pour<br />

me saluer. Dix mètres plus bas, une femme d’une soixantaine<br />

d’années me regarde passer comme si elle auscultait chacun des<br />

détails de mon accoutrement. Le noir de ses prunelles est aussi<br />

perçant qu’une lame d’acier. Je me détourne et passe devant elle<br />

en feignant de l’ignorer, mais je sens ses yeux fixés sur moi<br />

pendant encore plusieurs mètres.<br />

Un homme jeune aux cheveux longs et bruns m’interpelle et<br />

me harponne le bras.<br />

— Tu sais où est Simon ?<br />

Je me retourne pour lui dire qu’il doit y avoir erreur sur la<br />

personne, mais en apercevant mon visage de face, il prend<br />

conscience de sa méprise, balbutie des excuses et riant, et fait<br />

demi-tour pour aller interroger un autre type qui porte les<br />

mêmes vêtements que moi. Je le suis des yeux un instant puis<br />

reprends ma descente. Quelques secondes plus tard, mes pieds<br />

glissent sur une surface lisse et plane. L’ensemble des<br />

murmures converge sur moi.<br />

Je suis dans l’arène.<br />

Comme un bateau ivre, je pivote sur moi-même. Une fois,<br />

deux fois. Trois, dix, vingt fois. Les bruits et la rumeur<br />

m’enivrent plus violemment que la bière frelatée que je m’enfile<br />

chaque soir depuis des années. Ma tête tourne en même temps<br />

que mon corps. Je ferme les yeux et me laisse porter par le bienêtre<br />

qui m’envahit.<br />

Une main se pose sur mon épaule, brisant le charme.<br />

J’ouvre les yeux.<br />

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