Morsi veut impliquer l'armée P.9 - Liberté
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LIBERTE Mardi 11 décembre 2012<br />
Il a, en effet, usé d’un ton virulent<br />
en abordant à cette occasion<br />
une multitude de questions<br />
de l’heure. Évoquant la<br />
prochaine révision de la<br />
Constitution, qui devrait logiquement<br />
intervenir en 2013, M e Ksentini<br />
a indiqué qu’en plus du président<br />
de la République, l’Armée doit être garante<br />
de la Constitution. “Dans d’autres<br />
pays, je pense à la Turquie, l’Armée a<br />
joué un rôle essentiel dans la sauvegarde<br />
de la démocratie et la stabilité du pays<br />
et je n’ai aucun complexe à le dire à haute<br />
voix.”<br />
“L’ANP doit protéger la Constitution”<br />
Selon lui, “l’ANP doit protéger la Constitution<br />
de toute possibilité d’être modifiée<br />
et/ou d’être malmenée”. “Et pourquoi<br />
l’Algérie ne serait-elle pas un pays laïc<br />
?”, s’est interrogé Me Ksentini, précisant<br />
que “le modèle turc ne s’applique pas nécessairement<br />
aux pays laïques”. “Il n’y<br />
a aucun rapport direct entre la laïcité et<br />
le rôle attribué à l’armée constitutionnellement”,<br />
selon lui.<br />
Questionné à propos du phénomène<br />
du marchandage des sièges des assemblées<br />
populaires communales et de<br />
wilaya (APC et APW) au lendemain<br />
des élections locales du 29 novembre<br />
dernier, Ksentini a estimé que “si les<br />
tractations sont monnayées alors que les<br />
élus ne doivent être guidés que par<br />
l’intérêt du citoyen, et je vois que les<br />
choses ont été totalement dévoyées et<br />
monnayées, ceci est totalement scandaleux<br />
et c’est une trahison à l’égard des<br />
électeurs qui ont voté pour tel ou tel parti<br />
et pour telle ou telle personne car c’est<br />
prohibé et la loi est claire à ce propos”.<br />
Et de poursuivre : “Ceci nous a tous pris<br />
de court car c’est un phénomène nouveau<br />
et c’est fait avec une telle intensité<br />
que ça nous a atterrés.” À ses yeux,<br />
“il faut que ces pratiques soient stoppées<br />
et des poursuites pénales soient introduites<br />
contre les fraudeurs car les élections<br />
doivent être honnêtes et ne doivent<br />
pas être empoisonnées par des tracta-<br />
L’actualité en question<br />
RÉVISION DE LA CONSTITUTION, RÔLE DE L’ARMÉE, CORRUPTION ET MARCHANDAGE POLITIQUE<br />
Ksentini hausse le ton<br />
Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme<br />
(CNCPPDH), M e Farouk Ksentini, a fait hier un passage très remarqué sur les ondes de la radio Chaîne III où il a<br />
haussé le ton en abordant sans tabou certaines questions d’actualité.<br />
Célébrant, hier à Alger, le 60e anniversaire de la proclamation<br />
de la déclaration universelle<br />
des droits de l’Homme, la Ligue algérienne<br />
de défense des droits de l’Homme<br />
(Laddh) a présenté un tableau peu<br />
reluisant de la situation de ces droits en<br />
Algérie.<br />
Les invités de la ligue, qui ont, tour à<br />
tour, traité du respect de cette déclaration<br />
et des différentes conventions y<br />
afférentes ratifiées pourtant par l’Algérie,<br />
ont tous abondé dans le même<br />
sens, à savoir la situation est plus<br />
qu’alarmante et nécessite un engagement<br />
de tout un chacun pour imposer<br />
un vrai respect de cette déclaration sous<br />
toutes ses formes.<br />
Me Benissad, président de la Laddh, a<br />
estimé dans son intervention que la situation<br />
prête “à l’optimisme”. Cet optimisme<br />
se situe, selon lui, dans les acquis<br />
arrachés, mais cela reste, a-t-il regretté,<br />
insuffisant, car le pessimisme<br />
qui règne chez les militants est d’autant<br />
plus accentué par l’atteinte massive aux<br />
droits fondamentaux de l’homme et<br />
pour ainsi dire à la dignité humaine.<br />
Il cite comme exemple la difficulté d’accès<br />
au travail, au logement, à l’enseignement<br />
des langues maternelles, le gel<br />
des libertés publiques et individuelles,<br />
celles liées au droit à la manifestation,<br />
au rassemblement… L’ex-député, Ali<br />
Brahimi, qui a traité du droit de vote<br />
M e Ksentini a préconisé la surveillance des agents des forces de sécurité<br />
pour prévenir les dépassements.<br />
SITUATION DES DROITS DE L’HOMME<br />
EN ALGÉRIE<br />
Le constat alarmant<br />
de la Laddh<br />
et du respect du choix politique du citoyen,<br />
a indiqué que le régime électoral<br />
algérien est un appui à la fraude.<br />
Il cite comme exemple le mode de<br />
scrutin de 1991, qui a permis une<br />
victoire à une minorité. Ce mode de<br />
scrutin proportionnel à deux tours, at-il<br />
expliqué, a aidé les islamistes à s’emparer<br />
de la majorité malgré le score réalisé,<br />
avec moins de 35% du suffrage. “Le<br />
mode de scrutin algérien est une approche<br />
formelle aux standards universels”,<br />
a-t-il ajouté.<br />
De son côté, M e Abderahmane Arar,<br />
avocat au barreau d’Alger et militant,<br />
a traité du projet de loi portant profession<br />
d’avocat.<br />
Pour lui, le projet de loi vise à attenter<br />
au droit de la défense. “Le droit de la défense<br />
n’est pas celui des avocats, mais celui<br />
des citoyens”, a-t-il précisé. Cette loi<br />
fera de l’avocat, a indiqué M e Arar, “un<br />
simple commis de la justice”.<br />
Par ailleurs, il a évoqué le droit de perquisition<br />
du bureau et du domicile de<br />
l’avocat. Ce qui, a-t-il souligné, est<br />
contraire aux lois universelles.<br />
De son côté, Krimou Madi a traité des<br />
droits des handicapés et a appelé à œuvrer<br />
dans le sens de la facilitation de<br />
l’intégration de cette catégorie selon, at-il<br />
indiqué, les compétences, en dehors<br />
de tout autre cadre social et de solidarité.<br />
M. MOULOUDJ<br />
Zehani/<strong>Liberté</strong><br />
L’ÉDITO<br />
tions de ce genre qui ont un caractère<br />
mafieux”.<br />
“Tout se monnaie actuellement”<br />
Si M e Ksentini concède dans ce cadre<br />
que la loi électorale peut “ne pas être<br />
parfaite”, il estime que “cela ne doit pas<br />
justifier ce genre de marchandages électoraux<br />
qui sont illégaux et immoraux”.<br />
Abordant la dépénalisation de l’acte de<br />
gestion, il expliquera qu’“il ne faut plus<br />
que nos gestionnaires soient rendus frileux<br />
et craintifs comme ils le sont : ils<br />
sont paralysés”. Selon lui, “il faut absolument<br />
que les choses soient revues le<br />
plus vite possible”. À plus forte raison<br />
que l’Algérie est, selon lui, connue à l’extérieur<br />
pour sa corruption et sa bureaucratie.<br />
“Il faut nous débarrasser de<br />
cette image, nous ne connaissions pas ce<br />
phénomène de corruption dans les années<br />
1960, tout se monnaie actuellement”,<br />
argue-t-il tout en évoquant la<br />
note attribuée à l’Algérie dans le dernier<br />
classement élaboré par l’ONG<br />
Transparency International.<br />
Interrogé sur la situation des droits de<br />
l’Homme en Algérie, l’invité de la radio<br />
soulignera que “l’État de droit<br />
commence par une indépendance de la<br />
justice”. Or, à ses yeux, “il y a un immobilisme<br />
sur la question de l’abus<br />
dans la détention provisoire”.<br />
Justice : de mal en pis<br />
“Cela relève d’une culture qui est difficile<br />
à combattre et les choses ne s’améliorent<br />
pas. Bien au contraire, souvent,<br />
elles sont en train d’empirer et nous nous<br />
heurtons à un mur en béton.” Dans ce<br />
cadre, M e Ksentini a déploré la nonapplication<br />
des propositions contenues<br />
dans le rapport de Mohand Issad<br />
sur la réforme de la justice. “Il faut réformer<br />
ce qui a été fait et ce qui a été mal<br />
fait ; la justice doit renforcer son indépendance<br />
et le code de procédure civile<br />
et administrative est un texte inadmissible<br />
qui, à l’épreuve du temps, s’est<br />
avéré catastrophique.” M e Ksentini préconisera<br />
son retrait pour “revenir à l’an-<br />
Quand Ksentini voit noir…<br />
“<br />
Sciemment<br />
ou pas, c’est<br />
le bilan de<br />
tous ces<br />
chantiers, lancés il y<br />
a 13 ans, que Farouk<br />
Ksentini a décliné<br />
hier, dans la couleur<br />
noire qui est la leur,<br />
sans tenter de<br />
l’enjoliver.”<br />
L’<br />
3<br />
cien texte en y ajoutant des modifications”.<br />
“Ce texte ne contient que des incohérences<br />
alors qu’il nous a été présenté<br />
comme un texte novateur”, insiste-t-il.<br />
Abordant la nouvelle loi portant profession<br />
d’avocat, Ksentini n’a pas manqué<br />
de critiquer certaines de ses dispositions.<br />
“Il y a deux dispositions<br />
complètement débiles dont il faut se débarrasser<br />
et contre lesquelles les avocats,<br />
à juste titre, se sont insurgés.”<br />
Des “dispositions débiles” à revoir<br />
“Les articles contestés sont ceux qui fragilisent<br />
l’avocat à l’audience et qui le mettent<br />
sous la coupe du procureur de la République”,<br />
dit-il, en soulignant que “le<br />
procureur de la République n’est qu’une<br />
partie au procès” et qu’il soutient ceux<br />
qui militent “pour que la qualité de magistrat<br />
soit retirée au procureur de la République”.<br />
À ses yeux, “le magistrat est<br />
le juge, le procureur celui qui poursuit.<br />
Il faut absolument lui trouver une autre<br />
appellation, lui enlever le pouvoir d’attaquer<br />
à l’audience ou de prendre des<br />
mesures en matière de poursuite à l’encontre<br />
d’un avocat”, explique-t-il avant<br />
de noter que “lorsqu’un avocat plaide,<br />
il est sous le contrôle du magistrat qui<br />
préside l’audience. Il ne peut pas être livré<br />
à la bonne ou à la mauvaise humeur<br />
du procureur de la République”. “Le ministre<br />
de la Justice et le Premier ministre<br />
ont convenu de la nécessité de retirer ces<br />
dispositions”, a-t-il indiqué.<br />
S’agissant des dépassements liés à la<br />
garde à vue, M e Ksentini a préconisé la<br />
surveillance des agents des forces de sécurité<br />
pour prévenir les dépassements.<br />
“Il faut déléguer des magistrats pour surveiller<br />
la régularité des opérations d’interpellation<br />
au niveau des commissariats<br />
de police et des brigades de gendarmerie”,<br />
estime-t-il. Plus fondamentalement<br />
à propos des réformes engagées<br />
récemment et qui recèlent des carences,<br />
M e Ksentini a évoqué la loi sur<br />
l’information. “Cette loi doit être élaborée<br />
par les professionnels eux-mêmes.”<br />
NADIA MELLAL<br />
PAR SAÏD CHEKRI<br />
Algérie est un pays “où tout se monnaie”, un pays connu à l’extérieur “par sa<br />
corruption et sa bureaucratie”, un pays où la situation de la justice va de mal<br />
en pis, un pays où des “dispositions débiles” sont maintenues dans le code de<br />
procédure pénale, un pays où les marchandages électoraux revêtent désormais un<br />
“caractère maffieux”, un pays où l’Armée “doit protéger la Constitution” pour empêcher<br />
que celle-ci soit “malmenée” et, surtout, un pays où “les choses ne s’améliorent pas”.<br />
Ces propos ne sont pas ceux d’un opposant radical, ni ceux d’un chef de parti politique<br />
victime de la dernière fraude électorale, mais bel et bien ceux de Me Farouk Ksentini,<br />
que l’on peut considérer comme le conseiller aux droits de l’Homme du président<br />
Bouteflika, qui s’exprimait hier, en direct, sur les ondes de la Chaîne III.<br />
Qu’il s’agisse de corruption ou de justice, de marchandages politiques maffieux ou<br />
d’image de l’Algérie à l’étranger, ou encore des coups de force anticonstitutionnels<br />
passés ou à venir, et donc à prévenir, il est vrai que Me Ksentini ne nous en apprend<br />
pas davantage que ce que les Algériens savaient déjà. L’intérêt de cette sortie est, dès<br />
lors, non pas dans le contenu des déclarations, mais surtout dans l’identité de l’intervenant.<br />
Sursaut de conscience ? Ou alors le président de la Commission de protection<br />
et de promotion des droits de l’Homme, réputé proche de Bouteflika, a-t-il<br />
été gagné par le dépit et la lassitude parce que “les choses ne s’améliorent pas” malgré<br />
les rapports que ladite commission a adressés annuellement au chef de l’État ?<br />
Peut-être. Mais cela seul n’expliquerait pas un tel haussement de ton, une telle volée<br />
de bois vert contre celui qui promettait de réformer l’État et la justice et, surtout,<br />
de “restaurer l’image de l’Algérie” à l’extérieur. Car, sciemment ou pas, c’est le bilan<br />
de tous ces chantiers, lancés il y a 13 ans, que Farouk Ksentini a décliné, hier, dans<br />
la couleur noire qui est la leur, sans tenter de l’enjoliver. On le savait, l’année 2013<br />
sera celle des manœuvres en tous genres et, forcément, la saison des repositionnements<br />
spectaculaires, contexte et proximité de la prochaine présidentielle obligent. La mise<br />
en place du décor a peut-être déjà commencé. ■