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Guide des valeurs pour la vie en démocratie - Council of Europe

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PROJET DE<br />

PETIT GUIDE DES VALEURS POUR LA VIE EN DEMOCRATIE<br />

Dirigé par<br />

Robert Stradling & Christopher Rowe<br />

Les vues exprimées dans cette publication sont celles <strong>des</strong> auteurset ne reflèt<strong>en</strong>t pas<br />

forcém<strong>en</strong>t <strong>la</strong> ligne <strong>of</strong>ficielle du Conseil de l’<strong>Europe</strong>


TABLE DES MATIERES<br />

Page<br />

PREFACE v<br />

LES AUTEURS vi<br />

PROPOS ET STRUCTURE DU PRESENT OUVRAGE 1<br />

INTRODUCTION : Id<strong>en</strong>tités culturelles, <strong>valeurs</strong> communes et citoy<strong>en</strong>neté<br />

europé<strong>en</strong>ne<br />

QUESTION CLE 1 : Comm<strong>en</strong>t protéger l’individu du pouvoir arbitraire de<br />

l’Etat ?<br />

ETUDE DE CAS N° 1 : L’affaire <strong>des</strong> transferts de personnes soupçonnées<br />

de terrorisme dans <strong>la</strong> « War on Terror » (« guerre contre <strong>la</strong> terreur »)<br />

ETUDE DE CAS N° 2 : Après <strong>la</strong> chute d’un régime totalitaire, faut-il<br />

détruire les fichiers de <strong>la</strong> police secrète ou ouvrir les archives <strong>pour</strong> que <strong>la</strong><br />

société puisse faire face à son passé ?<br />

QUESTION CLE 2 : L’Etat doit-il protéger l’individu contre lui-même ? 32<br />

ETUDE DE CAS N° 3 : L’interdiction de fumer dans les lieux publics 38<br />

ETUDE DE CAS N° 4 : Le droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> et le droit de mourir 43<br />

QUESTION CLE 3: Avons-nous le droit de nous exprimer librem<strong>en</strong>t et<br />

comme bon nous semble<br />

ETUDE DE CAS N° 5 : Liberté d’expression ou <strong>of</strong>f<strong>en</strong>se à <strong>la</strong> religion:<br />

l’affaire <strong>des</strong> caricatures danoises se moquant du Prophète Mahomet<br />

ETUDE DE CAS N° 6 : Le droit de défiler <strong>pour</strong> commémorer son histoire<br />

culturelle : le cas de l’Ir<strong>la</strong>nde du Nord<br />

QUESTION CLE 4 : Chacun a-t-il le droit de vivre où il veut ? 67<br />

ETUDE DE CAS N ° 7: Réfugiés politiques ou migrants économiques ?<br />

L’attitude changeante de l’<strong>Europe</strong> face à l’immigration<br />

ETUDE DE CAS N° 8 : Le processus de formation d’une minorité 79<br />

QUESTION CLE 5 :Peut-il y avoir une guerre juste ? 90<br />

ETUDE DE CAS N° 9 : La « Guerre contre le terrorisme » 94<br />

ETUDE DE CAS N° 10: Monum<strong>en</strong>ts culturels ou <strong>vie</strong>s humaines ? <strong>la</strong> cause<br />

de <strong>la</strong> protection du patrimoine culturel<br />

iii<br />

4<br />

13<br />

17<br />

23<br />

51<br />

55<br />

61<br />

71<br />

104


QUESTION CLE 6 : Qu’est-ce qui est le plus important : préserver <strong>la</strong> bonne<br />

santé de l’économie nationale ou faire <strong>en</strong> sorte que tous ai<strong>en</strong>t droit au<br />

minimum vital ?<br />

ETUDE DE CAS N° 11 : La fin du communisme a-t-elle aggravé <strong>la</strong><br />

situation <strong>des</strong> personnes âgées et vulnérables?<br />

ETUDE DE CAS N° 12 : L’interv<strong>en</strong>tion de l’Etat a-t-elle permis de<br />

promouvoir efficacem<strong>en</strong>t le principe de l’égalité de rémunération <strong>pour</strong> un<br />

même travail ?<br />

ETUDE DE CAS N° 13: Les femmes et les filles devrai<strong>en</strong>t-elles avoir le<br />

même droit à l’éducation que les hommes et les garçons ?<br />

QUESTION CLE 7 : Pourquoi est-il si difficile <strong>pour</strong> les humains de pr<strong>en</strong>dre<br />

soin de leur <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t ?<br />

ETUDE DE CAS N° 14: Le Protocole de Kyoto et le débat sur <strong>la</strong> rapidité<br />

et l’impact du changem<strong>en</strong>t climatique<br />

ETUDE DE CAS N° 15 : Pourrons-nous satisfaire nos besoins énergétiques<br />

croissants au 21 e siècle?<br />

QUESTION CLE 8 : <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> suffit-elle? 158<br />

ETUDE DE CAS N ° 16 : Une <strong>démocratie</strong> transp<strong>la</strong>ntée peut-elle pr<strong>en</strong>dre<br />

racine ? L’exemple de l’Iraq<br />

ETUDE DE CAS N° 17:Les nouvelles technologies peuv<strong>en</strong>t-elles aider à<br />

r<strong>en</strong>dre les gouvernem<strong>en</strong>ts plus responsables de leurs actes devant <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion?<br />

CONCLUSION 180<br />

iv<br />

110<br />

116<br />

124<br />

130<br />

135<br />

140<br />

148<br />

163<br />

171


PREFACE<br />

v


LES AUTEURS<br />

Robert STRADLING, chercheur, College <strong>of</strong> Humanities &<br />

Social Sci<strong>en</strong>ce, Université d’Edinbourg, Ecosse, Royaume-Uni<br />

Christopher ROWE, histori<strong>en</strong>, anci<strong>en</strong> pr<strong>of</strong>esseur d’histoire, présid<strong>en</strong>t <strong>des</strong> jurys<br />

d’histoire de l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t secondaire <strong>en</strong> Angleterre, Royaume-Uni<br />

Z<strong>of</strong>ia Halina ARCHIBALD , chercheuse, School <strong>of</strong> Archaelogy, C<strong>la</strong>ssics and<br />

Egyptology, Université de Liverpool, Royaume-Uni<br />

Damir AGIČIĆ, Université de Zagreb, Croatie<br />

Magdal<strong>en</strong>a NAJBAR-AGIČIĆ, Srednja Europa, Zagreb, Croatie<br />

Mihai MANEA, inspecteur académique (histoire), ministère de l’Education,<br />

Roumanie<br />

Jean PETAUX, Institut d’étu<strong>des</strong> politiques, Bordeaux, France<br />

Jacek WÒDZ, Ecole Internationale <strong>des</strong> Sci<strong>en</strong>ces Politiques de Katowice, Pologne<br />

vi


PROPOS ET STRUCTURE DU PRESENT OUVRAGE<br />

Si l’ars<strong>en</strong>al de normes internationales <strong>en</strong> matière de droits de l’homme é<strong>la</strong>boré depuis 1945<br />

est conçu comme un moy<strong>en</strong> decontrôler l’action <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts et peut être utilisé<br />

uniquem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cas de recours contre une décision d’instances publiques, les Etats sont<br />

égalem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>us de promouvoir les droits de l’homme et de s’abst<strong>en</strong>ir de toute atteinte aux<br />

droits de leurs citoy<strong>en</strong>s. Il ressort c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t aussi du préambule de ces manuscrits qu’on ne<br />

vise pas seulem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> façon dont chaque être humain devrait être traité par l’Etat et d’autres<br />

institutions de <strong>la</strong> société, mais aussi <strong>la</strong> manière dont chacun devrait se comporter <strong>en</strong>vers les<br />

autres 1 .<br />

Pour ce faire, <strong>des</strong> mesures doiv<strong>en</strong>t être prises afin que ces droits, et les <strong>valeurs</strong> qui les soust<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t,<br />

s’impos<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong> société ; chacun d’<strong>en</strong>tre nous doit pouvoir se les approprier et voir<br />

<strong>en</strong> eux l’expression de principes plus <strong>la</strong>rges qui serai<strong>en</strong>t les fondations de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée, et pas<br />

seulem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> publique.<br />

Depuis quelques années, gouvernem<strong>en</strong>ts, organisations intergouvernem<strong>en</strong>tales et ONG ont<br />

produit <strong>des</strong> docum<strong>en</strong>ts divers et variés qui vis<strong>en</strong>t à s<strong>en</strong>sibiliser l’opinion publique aux droits<br />

de <strong>la</strong> personne humaine. La plupart de ces docum<strong>en</strong>ts veut informer les jeunes sur leurs droits,<br />

sur les principales déc<strong>la</strong>rations et conv<strong>en</strong>tions internationales, sur les ag<strong>en</strong>ces<br />

intergouvernem<strong>en</strong>tales qui ont été mises <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>pour</strong> surveiller et protéger les droits <strong>des</strong><br />

personnes et sur <strong>des</strong> ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch qui elles<br />

aussi <strong>en</strong>quêt<strong>en</strong>t sur les vio<strong>la</strong>tions <strong>des</strong> droits humains. Mais les droits de <strong>la</strong> personne humaine<br />

s’inscriv<strong>en</strong>t dans un <strong>la</strong>ngage abstrait et légaliste qui semble bi<strong>en</strong> loin de <strong>la</strong> réalité quotidi<strong>en</strong>ne.<br />

Du point de vue <strong>des</strong> auteurs du prés<strong>en</strong>t ouvrage, nous serons tous plus <strong>en</strong>clins à faire le li<strong>en</strong><br />

<strong>en</strong>tre, d’une part, les déc<strong>la</strong>rations, conv<strong>en</strong>tions et constitutions é<strong>la</strong>borées par <strong>des</strong> juristes et<br />

ratifiées par les dirigeants politiques et, d’autre part, notre vécu et nos re<strong>la</strong>tions aux autres si<br />

nous avons une vision c<strong>la</strong>ire :<br />

de ce que peut être <strong>la</strong> <strong>vie</strong> lorsqu’une partie de <strong>la</strong> société ou <strong>la</strong> société tout <strong>en</strong>tière est<br />

privée de certains droits ; et<br />

de ce qui pousse <strong>des</strong> hommes et <strong>des</strong> femmes à se battre <strong>pour</strong> obt<strong>en</strong>ir certains droits ou<br />

à faire valoir ces droits une fois établis.<br />

Ce<strong>la</strong> suppose un rec<strong>en</strong>trage <strong>des</strong> «droits » de l’homme vers leur dim<strong>en</strong>sion « humaine ». Dans<br />

un discours de 1958 devant l’Onu, Eleanor Roosevelt, alors présid<strong>en</strong>te de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong><br />

Droits de l’Homme <strong>des</strong> Nations unies, déc<strong>la</strong>rait ainsi :<br />

«Où comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t les droits universels, après tout ? Près de chez soi […].<br />

Ils constitu<strong>en</strong>t l’univers personnel de chacun : le quartier où l’on vit ;<br />

l’école ou l’université que l’on fréqu<strong>en</strong>te ; l’usine, <strong>la</strong> ferme ou le bureau où<br />

1 La nécessité d’agir <strong>pour</strong> établir une culture <strong>des</strong> droits de l’homme dans chaque société s’est imposée<br />

après 1945, l’histoire réc<strong>en</strong>te ayant montré combi<strong>en</strong> les organes de répression avai<strong>en</strong>t infiltré <strong>la</strong> société<br />

civile dans les pays totalitaires. Par exemple dans l’Allemagne nazie : <strong>en</strong>tre 1933 et 1945, <strong>des</strong> c<strong>en</strong>taines<br />

de milliers de citoy<strong>en</strong>s ont travaillé dans <strong>des</strong> administrations au service de <strong>la</strong> répression, tandis que<br />

d’autres ont espionné de leur gré leurs voisins et les ont dénoncés aux autorités ; <strong>des</strong> hommes d’affaires<br />

ordinaires ont livré <strong>des</strong> instal<strong>la</strong>tions aux camps d’extermination, <strong>des</strong> ag<strong>en</strong>ces de voyages ont organisé le<br />

transport <strong>des</strong> prisonniers vers ces camps, <strong>des</strong> médecins et <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>tifiques sourds à l’éthique ont<br />

participé aux programmes d’extermination massive, etc. Dans les pays occupés p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> Seconde<br />

guerre mondiale, puis dans les régimes communistes, <strong>la</strong> société civile a continué de col<strong>la</strong>borer avec les<br />

services de répression.<br />

1


l’on travaille. C’est là que chaque homme, chaque femme et chaque <strong>en</strong>fant<br />

aspire à l’équité, à l’égalité et à <strong>la</strong> dignité sans discrimination. Si <strong>en</strong> ces<br />

lieux les droits sont dénués de s<strong>en</strong>s, ils n’<strong>en</strong> auront guère plus ailleurs.»<br />

Notre propos est d’inciter l’utilisateur du prés<strong>en</strong>t docum<strong>en</strong>t :<br />

− à se faire sapropre idée <strong>en</strong> se confrontant à d’autres opinions et points de<br />

vue;<br />

− à réfléchir aux <strong>valeurs</strong> et droits humains inconciliables et aux moy<strong>en</strong>s de<br />

résoudre ces contradictions honnêtem<strong>en</strong>t, de façon adaptée et proportionnée ;<br />

− à compr<strong>en</strong>dre les points de vue <strong>des</strong> autres (même si l’on est <strong>en</strong> désaccord) ;<br />

− à discuter sur <strong>des</strong> sujets qui fâch<strong>en</strong>t plutôt que de s’<strong>en</strong>ferrer dans <strong>des</strong><br />

monologues axés exclusivem<strong>en</strong>t sur sa propre opinion ou vision culturelle ;<br />

− à resituer les problèmes et débats dans un cadre historique, culturel et général<br />

plus <strong>la</strong>rge.<br />

Cet ouvrage s’adresse trois groupes distincts :<br />

les 16-25 ans dans le cadre de l’éducation formelle ou participant à <strong>des</strong> groupes<br />

informels (travail auprès <strong>des</strong> jeunes, secteur associatif) ;<br />

les pr<strong>of</strong>essionnels qui travaill<strong>en</strong>t auprès <strong>des</strong> 16-25 ans ;<br />

les formateurs de ces pr<strong>of</strong>essionnels.<br />

Il est constitué de trois parties qui form<strong>en</strong>t un tout : le livre proprem<strong>en</strong>t dit, un tableau<br />

chronologique et <strong>des</strong>fiches de discussion.<br />

Le livre<br />

Il est construit autour de questions clés et d’étu<strong>des</strong> de cas. Les questions clés port<strong>en</strong>t sur <strong>des</strong><br />

<strong>en</strong>jeux ess<strong>en</strong>tiels associés aux <strong>valeurs</strong> europé<strong>en</strong>nes fondam<strong>en</strong>tales et aux droits de l’homme<br />

universels, <strong>en</strong> particulier lorsqu’il y a incompatibilité. La discussion sur chaque question clé<br />

t<strong>en</strong>te d’analyser les différ<strong>en</strong>tes positions et opinions plutôt que de promouvoir un point de vue<br />

donné. Plusieurs étu<strong>des</strong> de cas sont proposées <strong>en</strong> re<strong>la</strong>tion avec les questions clés, chacune de<br />

ces étu<strong>des</strong> de cas s’intéressant à un fait, un phénomène ou une situation où les uns et les<br />

autres font valoir tel droit ou telle valeur. La discussion propose un tableau chronologique <strong>des</strong><br />

faits, un résumé de <strong>la</strong> polémique et une sélection de points de vue diverg<strong>en</strong>ts. L’objectif ici est<br />

de favoriser <strong>la</strong> discussion et d’étudier les solutions possibles.<br />

Concernant <strong>la</strong> forme et le fond de l’ouvrage, deux autres points mérit<strong>en</strong>t d’être soulignés :<br />

d’abord, il n’est pas obligatoire de le lire dans l’ordre et de bout <strong>en</strong> bout. On peut choisir<br />

n’importe quelle question clé ou étude de cas, même si nous recommandons aux animateurs<br />

de groupes de jeunes de comm<strong>en</strong>cer par lire l’introduction avant de choisir une étude de cas<br />

ou d’utiliser les fiches de discussion. Ensuite, ce livre ne prét<strong>en</strong>d nullem<strong>en</strong>t être complet et<br />

faire le tour <strong>des</strong> thèmes et <strong>des</strong> régions d’<strong>Europe</strong> qui ont fourni matière à ces étu<strong>des</strong> de cas. Ce<br />

que nous proposons ici, c’est une matrice dont les pr<strong>of</strong>essionnels qui font un travail formel ou<br />

informel auprès <strong>des</strong> jeunes dans <strong>des</strong> domaines aussi divers que <strong>la</strong> citoy<strong>en</strong>neté, l’éducation aux<br />

droits de l’homme, l’éducation <strong>pour</strong> tous, l’éducation sociale, les <strong>la</strong>ngues modernes, les<br />

2


étu<strong>des</strong> europé<strong>en</strong>nes, le savoir-faire de base, peuv<strong>en</strong>t se servir <strong>pour</strong> développer <strong>des</strong> matériels<br />

simi<strong>la</strong>ires sur d’autres questions clés, problèmes et étu<strong>des</strong> de cas.<br />

Le tableau chronologique<br />

Il s’agit d’un poster qui, une fois déplié et affiché, prés<strong>en</strong>te une chronologie <strong>des</strong> faits. Trois<br />

axes ont été ret<strong>en</strong>us :<br />

Les grands faits historiques qui ont forgé notre conception <strong>des</strong> re<strong>la</strong>tions d’un<br />

gouvernem<strong>en</strong>t avec ses citoy<strong>en</strong>s, <strong>des</strong> droits et responsabilités <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s et de ce<br />

que devrait être notre re<strong>la</strong>tion aux autres dans <strong>la</strong> <strong>vie</strong> de tous les jours. Parmi ces<br />

événem<strong>en</strong>ts historiques, on peut citer <strong>la</strong> chute de tyrans et <strong>des</strong>ouverains absolus<br />

r<strong>en</strong>versés par <strong>la</strong> révolution et <strong>la</strong> guerre civile, le droit de vote rev<strong>en</strong>diqué par le<br />

peuple, l’affranchissem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> serfs et <strong>des</strong> esc<strong>la</strong>ves, <strong>la</strong> volonté de réglem<strong>en</strong>ter les<br />

pratiques et les comportem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> temps de guerre et celle de protéger les victimes de<br />

<strong>la</strong> guerre <strong>des</strong> mauvais traitem<strong>en</strong>ts infligés par les vainqueurs, et même <strong>la</strong> volonté de<br />

protéger les êtres humains, les animaux et <strong>la</strong> nature <strong>des</strong> pires excès de l’urbanisation<br />

et de l’industrialisation.<br />

Les principaux développem<strong>en</strong>ts de notre conception <strong>des</strong> droits de l’homme et de<br />

<strong>valeurs</strong> fondam<strong>en</strong>tales telles que <strong>la</strong> justice et <strong>la</strong> liberté.<br />

Les principales mesures internationales (déc<strong>la</strong>rations, conv<strong>en</strong>tions, traités et chartes)<br />

qui ont été mises <strong>en</strong> œuvre <strong>pour</strong> protéger les droits de <strong>la</strong> personne humaine et faire <strong>en</strong><br />

sorte que les pires exactions <strong>en</strong> <strong>la</strong> matière ne se reproduis<strong>en</strong>t plus jamais.<br />

Les fiches de discussion<br />

Il s’agit d’une série de fiches qui propos<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes questions re<strong>la</strong>tives aux droits civils,<br />

aux droits sociaux et économiques, aux droits culturels et aux droits de l’<strong>en</strong>fant. Ces fiches<br />

sont conçues <strong>pour</strong> fournir matière à discussion sur chaque sujet, elles conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

informations utiles et prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes perspectives et opinions. Le but est de permettre<br />

au groupe d’aller plus loin dans sa réflexion et dans <strong>la</strong> discussion.<br />

Robert Stradling & Christopher Rowe<br />

Strasbourg, 2007<br />

3


INTRODUCTION : Id<strong>en</strong>tités culturelles, <strong>valeurs</strong> communes et<br />

citoy<strong>en</strong>neté<br />

Robert Stradling<br />

L’idée de <strong>la</strong> citoy<strong>en</strong>neté<br />

En règle générale, quand onparle de citoy<strong>en</strong> à propos d’un individu, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par là qu’il<br />

«apparti<strong>en</strong>t »à un pays, qu’il <strong>en</strong> est « membre »: un citoy<strong>en</strong> français, un citoy<strong>en</strong> roumain, un<br />

citoy<strong>en</strong> tchèque, etc. En tant que citoy<strong>en</strong>, il jouit de droits et de privilèges associés à cette<br />

qualité, qui s’accompagne aussi de responsabilités et d’obligations.<br />

La citoy<strong>en</strong>neté apparaît donc comme un statut juridique. Or les choses ne sont pas aussi<br />

simples. En tant que touriste dans un pays étranger, vous avez les mêmes responsabilités et<br />

obligations qu’un citoy<strong>en</strong> de ce pays dans de nombreux domaines. Vous êtes c<strong>en</strong>sé respecter<br />

les lois nationales, accepter l’autorité de <strong>la</strong> police et <strong>des</strong> tribunaux, témoigner devant <strong>la</strong> cour si<br />

vous êtes témoin d’une infraction, vous abst<strong>en</strong>ir de toute activité d’espionnage ou de toute<br />

autre activité contre le pouvoir, ne pas insulter les couleurs nationales ou tout autre symbole<br />

national et <strong>en</strong>fin respecter <strong>la</strong> culture et les pratiques religieuses <strong>des</strong> habitants. Parallèlem<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong> tant que visiteur dans ce pays, vous êtes c<strong>en</strong>sé pouvoir exercer nombre <strong>des</strong> libertés<br />

accordées aux citoy<strong>en</strong>s locaux ; vous avez le même droit de représ<strong>en</strong>tation légale si vous êtes<br />

inculpé d’une infraction, le même droit à un procès équitable, <strong>la</strong> même protection <strong>en</strong> tant que<br />

consommateur et les mêmes droits aux soins médicaux.<br />

Il va de soi que l’autorité judiciaire de l’Etat s’applique à toute personne qui franchit ses<br />

frontières territoriales, qu’elle y soit née ou pas, qu’elle soit ou non ressortissante de cet Etat.<br />

Bi<strong>en</strong> sûr, un touriste n’aura pas exactem<strong>en</strong>t les mêmes droits ni les mêmes responsabilités<br />

qu’un résid<strong>en</strong>t perman<strong>en</strong>t ou de longue durée, ce dernier étant davantage susceptible d’y avoir<br />

un emploi, d’y posséder <strong>des</strong> bi<strong>en</strong>s et d’y sco<strong>la</strong>riser ses <strong>en</strong>fants ; <strong>en</strong> retour, il s’acquitte de ses<br />

impôts etpaie <strong>des</strong> cotisations sociales ou sa sécurité sociale. Il a probablem<strong>en</strong>t le droit<br />

d’adhérer à un syndicat ou à d’autres associations ou groupes de pression qui protèg<strong>en</strong>t ses<br />

intérêts. Cep<strong>en</strong>dant, à moins d’être naturalisé, ce résid<strong>en</strong>t de longue durée n’aura pas le droit<br />

de voter aux élections locales et nationales, et il ne sera pas appelé sous les drapeaux. De cette<br />

distinction se dégag<strong>en</strong>t deux autres critères qui ne manqu<strong>en</strong>t pas de surgir dans les discussions<br />

sur <strong>la</strong> notion de citoy<strong>en</strong>neté: <strong>la</strong> participation à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> publique et l’allégeance à l’Etat. Le<br />

citoy<strong>en</strong> est plus qu’un simple sujet, par définition soumis à une autorité souveraine : un sujet a<br />

un statut légal, avec <strong>des</strong> droits, <strong>des</strong> privilèges et <strong>des</strong> responsabilités qui lui sont conférés par le<br />

monarque, le dictateur ou les autocrates qui gouvern<strong>en</strong>t. Par ailleurs le sujet est passif. A<br />

l’opposé, le citoy<strong>en</strong> a le droit de participer aux processus décisionnels, soit directem<strong>en</strong>t<br />

comme dans les villes-Etats de <strong>la</strong> Grèce antique, soit indirectem<strong>en</strong>t par l’intermédiaire de<br />

représ<strong>en</strong>tants élus comme dans les <strong>démocratie</strong>s de masse modernes.<br />

De tous temps, <strong>la</strong> notion de citoy<strong>en</strong>neté participative active a signifié bi<strong>en</strong> plus que le simple<br />

dépôt d’un bulletin de vote. C’est probablem<strong>en</strong>t l’Athéni<strong>en</strong> Périclès qui a le mieux décrit<br />

l’idée de citoy<strong>en</strong>neté active dans un discours <strong>vie</strong>ux de plus de deux mille ans :<br />

«Parce que notre régime sert les intérêts de <strong>la</strong> masse <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s et pas seulem<strong>en</strong>t<br />

d’une minorité, on lui donne le nom de <strong>démocratie</strong>. Mais si, <strong>en</strong> ce qui concerne le<br />

règlem<strong>en</strong>t de nos différ<strong>en</strong>ds particuliers, nous sommes tous égaux devant <strong>la</strong> loi, c’est<br />

5


<strong>en</strong> fonction du rang que chacun occupe dans l’estime publique que nous choisissons<br />

les magistrats de <strong>la</strong> cité, les citoy<strong>en</strong>s étant désignés selon leur mérite plutôt qu’à tour<br />

de rôle. D’un autre côté, quand un homme sans fortune peut r<strong>en</strong>dre quelque service à<br />

l’Etat, l’obscurité de sa condition ne constitue pas <strong>pour</strong> lui un obstacle. [...] Ceux qui<br />

particip<strong>en</strong>t au gouvernem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> cité peuv<strong>en</strong>t s’occuper aussi de leurs affaires<br />

privées et ceux que leurs occupations pr<strong>of</strong>essionnelles absorb<strong>en</strong>t, peuv<strong>en</strong>t se t<strong>en</strong>ir fort<br />

bi<strong>en</strong> aucourant <strong>des</strong> affaires publiques. […] Nous interv<strong>en</strong>ons tous personnellem<strong>en</strong>t<br />

dans le gouvernem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> cité au moins par notre vote ou même <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>tant à<br />

propos nos suggestions. Car nous ne sommes pas de ceux qui p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t que les paroles<br />

nuis<strong>en</strong>t à l’action. Nous estimons plutôt qu’il est dangereux de passer aux actes,<br />

avant que <strong>la</strong> discussion nous ait éc<strong>la</strong>irés sur ce qu’il y a à faire. »<br />

(Thucydide, Guerre du Péloponnèse, II 37-40)<br />

Bi<strong>en</strong> sûr, les femmes et les esc<strong>la</strong>ves n’avai<strong>en</strong>t pas rang de citoy<strong>en</strong>s dans l’Athènes antique,<br />

mais ceci mis à part, les principes fondam<strong>en</strong>taux sont déjà posés : participation active aux<br />

affaires publiques, débats et discussions publics précédant toute décision, vote de chacun pris<br />

<strong>en</strong> compte indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t de son statut ou de sa richesse. Incontestablem<strong>en</strong>t, <strong>la</strong><br />

participation directe aux affaires publiques est plus limitée dans les <strong>démocratie</strong>s de masse<br />

modernes, qui t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à se doter de lour<strong>des</strong> bureaucraties et où les décisions à pr<strong>en</strong>dre sont de<br />

plus <strong>en</strong> plus techniques ; parallèlem<strong>en</strong>t toutefois, l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> partis politiques popu<strong>la</strong>ires,<br />

<strong>des</strong> groupes d’intérêts, <strong>des</strong> médias et d’internet permett<strong>en</strong>t aux citoy<strong>en</strong>s de participer,<br />

d’exercer une influ<strong>en</strong>ce et de pr<strong>en</strong>dre part autrem<strong>en</strong>t aux débats sur les questions et politiques<br />

publiques.<br />

Ceci nous amène au troisième critère pot<strong>en</strong>tiel de <strong>la</strong> citoy<strong>en</strong>neté : l’allégeance. Il est ainsi<br />

souv<strong>en</strong>t demandé aux candidats à <strong>la</strong> naturalisation – c’est-à-dire aux personnes nées dans un<br />

pays étranger qui obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>la</strong> citoy<strong>en</strong>neté du pays dans lequel elles ont choisi de résider – de<br />

signer un serm<strong>en</strong>t d’allégeance à leur nouveau pays. La naturalisation confère à l’immigrant<br />

les mêmes droits politiques et civils qu’à un citoy<strong>en</strong> de naissance. Certains pays permett<strong>en</strong>t<br />

même à leurs ressortissants naturalisés d’avoir <strong>la</strong> double nationalité :celle de leur pays de<br />

naissance (ou de naissance de leurs par<strong>en</strong>ts) et celle du pays où ils résid<strong>en</strong>t désormais.<br />

Ce<strong>la</strong> n’implique pas <strong>pour</strong> autant qu’ils ont exactem<strong>en</strong>t le même statut qu’un citoy<strong>en</strong> de<br />

naissance. En cas de guerre <strong>en</strong>tre leur pays d’origine et le pays dont ils ont acquis <strong>la</strong><br />

nationalité par exemple, ils peuv<strong>en</strong>t être privés de certains de leurs droits et libertés si le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t n’est pas sûr de leur loyauté. C’est ainsi qu’ils peuv<strong>en</strong>t être arrêtés et internés<br />

<strong>pour</strong> raisons de sécurité, et peu importe qu’ils soi<strong>en</strong>t naturalisés ou non. Dans beaucoup de<br />

pays, ils peuv<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t être déchus de <strong>la</strong> naturalisation s’ils commett<strong>en</strong>t une infraction<br />

grave ou sont impliqués dans un complot contre le régime. A l’opposé, à l’époque moderne<br />

<strong>pour</strong> le moins, un citoy<strong>en</strong> de naissance ne risque pas d’être déchu de sa citoy<strong>en</strong>neté, quel que<br />

soit le délit commis, et même s’il se r<strong>en</strong>d coupable de trahison <strong>en</strong>vers l’Etat.<br />

Pourquoi l’Etat fait-il cette distinction <strong>en</strong>tre les droits qu’il accorde à ses citoy<strong>en</strong>s de<br />

naissance (ou par <strong>des</strong>c<strong>en</strong>dance : par<strong>en</strong>ts et grands-par<strong>en</strong>ts) et ceux qu’il octroie aux citoy<strong>en</strong>s<br />

naturalisés et ayant <strong>la</strong> double nationalité ? A tort ou à raison, <strong>en</strong> agissant ainsi, l’Etat part du<br />

principe que le statut juridique est insuffisant <strong>pour</strong> garantir <strong>la</strong> bonne conduite d’un citoy<strong>en</strong><br />

naturalisé ou sa loyauté <strong>en</strong>vers l’Etat. Dans certaines situations, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cas de guerre<br />

ouverte ou de guerre froide, de terrorisme international ou de conflits opposant <strong>des</strong> pays<br />

voisins, l’Etat – et <strong>la</strong> plupart de ses ressortissants –est <strong>en</strong> droit de s’interroger sur <strong>la</strong> loyauté<br />

de certains de ses citoy<strong>en</strong>s dont il estime qu’ils peuv<strong>en</strong>t être tiraillés par <strong>des</strong> « conflits de<br />

loyauté ».<br />

6


Sur quoi se base cette allégeance ? Jusqu’à une époque réc<strong>en</strong>te, les citoy<strong>en</strong>s d’un même Etat<br />

étai<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t unis par leur nationalité, une histoire et <strong>des</strong> traditions culturelles<br />

communes. Ce n’est par hasard que le développem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> conception moderne de <strong>la</strong><br />

citoy<strong>en</strong>neté –qui privilégie les droits et les obligations – a parallèlem<strong>en</strong>t vu émerger le<br />

nationalisme et lecontrôle démocratique popu<strong>la</strong>ire (l’idée selon <strong>la</strong>quelle c’est <strong>la</strong> volonté du<br />

peuple qui confère sa légitimité au gouvernem<strong>en</strong>t, plutôt que Dieu, ou <strong>la</strong> force coercitive du<br />

régime). A l’époque moderne, «le peuple » est souv<strong>en</strong>t synonyme de nation , même si parfois,<br />

il a été employé <strong>pour</strong> décrire <strong>des</strong> personnes dont <strong>la</strong> religion ou l’ethnicité a transc<strong>en</strong>dé les<br />

frontières nationales. Le mot «panarabisme », par exemple, a été créé <strong>en</strong> réaction contre<br />

l’imposition de frontières nationales par les forces coloniales au XIX e siècle et au début du<br />

XX e .<br />

Il est évid<strong>en</strong>t que si <strong>la</strong> citoy<strong>en</strong>neté est liée à l’id<strong>en</strong>tité et à l’héritage culturel de cette manière,<br />

certains individus seront inclus et d’autres <strong>en</strong> seront exclus. Est-ce inévitable ou est-il possible<br />

d’<strong>en</strong>visager une citoy<strong>en</strong>neté plus inclusive, plus universaliste ?<br />

C’est ce que propose l’idée de citoy<strong>en</strong>neté europé<strong>en</strong>ne. La première question qui se pose est :<br />

le peuple peut-il avoir un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’appart<strong>en</strong>ance et d’id<strong>en</strong>tification à quelque chose de plus<br />

<strong>la</strong>rge que l’Etat-nation ? L’idée d’une sorte d’<strong>Europe</strong> unie a plus de quatre-vingts ans. En<br />

1923, le comte de Coud<strong>en</strong>hove-Kalergi a le premier exposé un projet de fédération<br />

paneuropé<strong>en</strong>ne dans un essai, Pan-<strong>Europe</strong> . Six ans plus tard <strong>en</strong> France, le socialiste Aristide<br />

Briand <strong>la</strong>nçait l’idée d’une union fédérale europé<strong>en</strong>ne. Bi<strong>en</strong> que les idées <strong>des</strong> deux hommes<br />

ai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>contré un certain succès <strong>en</strong> leur temps, le krach de Wall Street <strong>en</strong> 1929, <strong>la</strong> crise<br />

économique et les événem<strong>en</strong>ts politiques et internationaux qui s’<strong>en</strong>suivir<strong>en</strong>t dans les années<br />

1930 (et qui ont conduit à <strong>la</strong> guerre), ont rapidem<strong>en</strong>t coupé court à toute réflexion poussée sur<br />

le sujet.<br />

Juste après <strong>la</strong> Seconde Guerre mondiale, dans un discours prononcé à Zurich, Winston<br />

Churchill appe<strong>la</strong>it à constituer les «États-Unis d’<strong>Europe</strong> », exprimant là une idée qui avait<br />

grandi dans l’<strong>Europe</strong> dévastée par <strong>la</strong> guerre; <strong>en</strong> 1949, le Conseil de l’<strong>Europe</strong>, composé de<br />

onze Etats membres, voyait le jour à Strasbourg. Un an plus tard, <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne<br />

<strong>des</strong> Droits de l’homme était adoptée et le Conseil de l’<strong>Europe</strong> mettait <strong>en</strong> œuvre les moy<strong>en</strong>s de<br />

protéger ces droits, comme <strong>la</strong> Commission europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l’homme (1954) et <strong>la</strong><br />

Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l’homme (1959). Si ces avancées n’ont pas créé un niveau de<br />

citoy<strong>en</strong>neté fédéral, ni une sorte d’allégeance transnationale, elles ont créé <strong>la</strong> possibilité de<br />

saisir <strong>la</strong> Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>pour</strong> les Europé<strong>en</strong>s qui jugeai<strong>en</strong>t que leurs droits universels étai<strong>en</strong>t<br />

bafoués par leur gouvernem<strong>en</strong>t ou <strong>la</strong> justice de leur pays.<br />

Le Conseil de l’<strong>Europe</strong> a égalem<strong>en</strong>t joué un rôle important dans <strong>la</strong> promotion <strong>des</strong> droits<br />

culturels, notamm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> reconnaissance <strong>des</strong> droits <strong>des</strong> minorités, <strong>la</strong> protection <strong>des</strong> patrimoines,<br />

l’expression <strong>des</strong> id<strong>en</strong>tités culturelles et l’accès à d’autres ressources culturelles et<br />

technologiques. Ce<strong>la</strong> a à son tour é<strong>la</strong>rgi le cadre d’une réflexion sur <strong>la</strong> citoy<strong>en</strong>neté<br />

europé<strong>en</strong>ne, de sorte que, outre les droits et privilèges traditionnels de tout citoy<strong>en</strong> dans un<br />

Etat démocratique, celle-ci inclut aujourd’hui une troisième dim<strong>en</strong>sion : le droit général à <strong>la</strong><br />

reconnaissance de sa culture et de son héritage. Pour <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> Europé<strong>en</strong>s vivant<br />

désormais dans <strong>des</strong> sociétés extrêmem<strong>en</strong>t diverses, <strong>la</strong> notion de citoy<strong>en</strong>neté culturelle est<br />

appelée à gagner <strong>en</strong> importance si l’on veut générer un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’appart<strong>en</strong>ance, notamm<strong>en</strong>t<br />

dans les groupes qui souv<strong>en</strong>t se s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t rejetés par les groupes culturels dominants.<br />

La croissance de <strong>la</strong> coopération économique <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> occid<strong>en</strong>tale a été un autre élém<strong>en</strong>t clé<br />

du r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t de l’intégration europé<strong>en</strong>ne juste après <strong>la</strong> seconde guerre mondiale et a peu à<br />

7


peu conduit à l’établissem<strong>en</strong>t de l’Union europé<strong>en</strong>ne. En 1951, six pays cré<strong>en</strong>t <strong>la</strong><br />

Communauté europé<strong>en</strong>ne du charbon et de l’acier, <strong>la</strong> CECA, afin de coordonner <strong>la</strong> production<br />

et les investissem<strong>en</strong>ts industriels. Six ans plus tard, <strong>la</strong> CECA de<strong>vie</strong>nt <strong>la</strong> Communauté<br />

Economique Europé<strong>en</strong>ne, <strong>la</strong> CEE ; le nombre de ses membres passera de six à douze <strong>en</strong> tr<strong>en</strong>te<br />

ans. En 1987, les douze membres de <strong>la</strong> CEE sign<strong>en</strong>t l’Acte unique europé<strong>en</strong> (AUE) et l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne (UE) remp<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> CEE. Ensuite, le traité de Maastricht signé <strong>en</strong> 1991 ouvre <strong>la</strong><br />

voie au processus d’é<strong>la</strong>rgissem<strong>en</strong>t qui permettra aux anci<strong>en</strong>s pays communistes d’<strong>Europe</strong><br />

c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale de rejoindre l’Union 2 .<br />

Etant donné que le Parlem<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong> est l’une <strong>des</strong> quatre principales institutions de l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne, et que ce Parlem<strong>en</strong>t est élu tous les cinq ans au suffrage direct par les citoy<strong>en</strong>s de<br />

chaque pays membre qui peuv<strong>en</strong>t voter et élire directem<strong>en</strong>t leurs députés, il existe un vrai<br />

pot<strong>en</strong>tiel <strong>pour</strong> développer une citoy<strong>en</strong>neté europé<strong>en</strong>ne qui transc<strong>en</strong>de <strong>la</strong> nationalité. Pour<br />

l’heure, ri<strong>en</strong> n’indique cep<strong>en</strong>dant que ce sera le cas à grande échelle. Le taux de participation<br />

aux élections europé<strong>en</strong>nes est traditionnellem<strong>en</strong>t faible et le vote reflète souv<strong>en</strong>t les<br />

préoccupations nationales, et non europé<strong>en</strong>nes, <strong>des</strong> électeurs, ainsi que leur position à l’égard<br />

de leur gouvernem<strong>en</strong>t national.<br />

Bi<strong>en</strong> que certains pays membres soi<strong>en</strong>t favorables à une plus grande intégration politique – <strong>en</strong><br />

mai 2000, Joschka Fischer, ministre allemand <strong>des</strong> Affaires étrangères, se prononçait <strong>en</strong> faveur<br />

d’une Fédération europé<strong>en</strong>ne qui serait dotée d’un gouvernem<strong>en</strong>t et d’un parlem<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong>s<br />

–le fait que les gouvernem<strong>en</strong>ts puiss<strong>en</strong>t céder davantage de souveraineté nationale aux<br />

institutions de l’Union se heurte à une forte opposition.<br />

A ce stade, il semble que <strong>des</strong> progrès ont été faits dans l’é<strong>la</strong>boration juridique de <strong>la</strong><br />

citoy<strong>en</strong>neté europé<strong>en</strong>ne mais les élém<strong>en</strong>ts d’une participation active à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> publique au<br />

niveau europé<strong>en</strong> sont <strong>en</strong>core limités et peu de signes indiqu<strong>en</strong>t qu’il existe un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />

d’allégeance suffisamm<strong>en</strong>t fort au niveau europé<strong>en</strong> <strong>pour</strong> transc<strong>en</strong>der d’autres loyautés, <strong>en</strong><br />

particulier l’allégeance à l’Etat-nation.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, le concept juridique d’une citoy<strong>en</strong>neté europé<strong>en</strong>ne, qui a émergé depuis <strong>la</strong><br />

Seconde Guerre mondiale et a été é<strong>la</strong>rgi <strong>pour</strong> intégrer <strong>des</strong> droits sociaux, économiques et<br />

culturels <strong>en</strong> plus <strong>des</strong> droits civils et politiques, est intéressant à deux titres. Premièrem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong><br />

focalisant non plus sur les droits nationaux mais sur les droits de l’homme universels, on<br />

p<strong>la</strong>ce au c<strong>en</strong>tre non plus les citoy<strong>en</strong>s au s<strong>en</strong>s du «peuple » – ou de <strong>la</strong> nation –mais les<br />

citoy<strong>en</strong>s <strong>en</strong> tant que « personnes ». Deuxièmem<strong>en</strong>t, ce concept a ouvert <strong>la</strong> possibilité que <strong>des</strong><br />

citoy<strong>en</strong>s dans toute l’<strong>Europe</strong> puiss<strong>en</strong>t partager une allégeance aux droits de l’homme<br />

susceptible de transc<strong>en</strong>der les frontières nationales.<br />

De plus, le concept d’une « citoy<strong>en</strong>neté europé<strong>en</strong>ne » fondée sur les droits ne s’est pas réduit<br />

à un simple exercice théorique. L’une <strong>des</strong> principales tâches du Conseil de l’<strong>Europe</strong>, depuis<br />

une cinquantaine d’années, a consisté à le préciser <strong>en</strong> développant un vaste réseau de<br />

«standards europé<strong>en</strong>s» au moy<strong>en</strong> de près de deux c<strong>en</strong>ts conv<strong>en</strong>tions et accords, et de<br />

2 L’article 17 du traité instituant <strong>la</strong> Communauté europé<strong>en</strong>ne donne une définition juridique de <strong>la</strong><br />

citoy<strong>en</strong>neté europé<strong>en</strong>ne. Il dispose que toute personne ayant <strong>la</strong> nationalité d’un Etat membre de l’Union<br />

est citoy<strong>en</strong> de l’Union europé<strong>en</strong>ne. A ce titre, il a le droit de circuler librem<strong>en</strong>t sur le territoire <strong>des</strong> Etats<br />

membres, a le droit de vote et d’éligibilité au Parlem<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong>, a le droit de pétition devant le<br />

Parlem<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong> et de bénéficier de <strong>la</strong> protection de <strong>la</strong> part <strong>des</strong> autorités diplomatiques et<br />

consu<strong>la</strong>ires de tout État membre.<br />

8


c<strong>en</strong>taines de recommandations 3 . Depuis 1949, ces standards communs, qui recouvr<strong>en</strong>t presque<br />

tous les domaines de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> publique et privée, ainsi que les re<strong>la</strong>tions <strong>en</strong>tre les personnes et<br />

l’Etat (à l’exception <strong>des</strong> domaines militaires et économiques) ont <strong>la</strong>rgem<strong>en</strong>t été transposés<br />

dans les légis<strong>la</strong>tions et les pratiques nationales <strong>des</strong> quarante-sept Etats membres du Conseil de<br />

l’<strong>Europe</strong> et, plus récemm<strong>en</strong>t, <strong>des</strong> pays d’<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale (depuis 1989-1990).<br />

Même <strong>en</strong> supposant que les Europé<strong>en</strong>s soi<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sibles à ces droits et y soi<strong>en</strong>t attachés, ce<strong>la</strong><br />

suffit-il <strong>pour</strong> générer un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’appart<strong>en</strong>ance à une communauté europé<strong>en</strong>ne plus <strong>la</strong>rge,<br />

de <strong>la</strong> même façon que les citoy<strong>en</strong>s d’un Etat-nation ont le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’appart<strong>en</strong>ir à une<br />

communauté politique et culturelle donnée? Ou bi<strong>en</strong> sont-ils culturellem<strong>en</strong>t trop différ<strong>en</strong>ts<br />

<strong>pour</strong> que ce<strong>la</strong> soit possible ?<br />

«Citoy<strong>en</strong>neté europé<strong>en</strong>ne » et id<strong>en</strong>tités culturelles<br />

P<strong>en</strong>dant une grande partie du XX e siècle, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> clivages et conflits sociaux, ethniques,<br />

religieux et culturels qui ont modelé l’histoire de l’<strong>Europe</strong> étai<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>ts à l’état <strong>la</strong>rvé – leur<br />

exist<strong>en</strong>ce était masquée par les idéologies totalitaires de <strong>la</strong> Guerre froide qui dominai<strong>en</strong>t les<br />

re<strong>la</strong>tions internationales et même <strong>la</strong> <strong>vie</strong> de tous les jours. Toutefois, certains <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s<br />

clivages sociaux et culturels ont ressurgi après <strong>la</strong> chute du bloc communiste dans les années<br />

1990.<br />

Parallèlem<strong>en</strong>t, le reste de l’<strong>Europe</strong> a gagné <strong>en</strong> diversité ethnique et culturelle, <strong>en</strong> raison de<br />

l’augm<strong>en</strong>tation <strong>des</strong> mouvem<strong>en</strong>ts de popu<strong>la</strong>tion <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>, notamm<strong>en</strong>t de l’Est vers l’Ouest, et<br />

de l’immigration non-europé<strong>en</strong>ne, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>nes colonies depuis<br />

leur indép<strong>en</strong>dance au milieu du XX e siècle.<br />

En soi, <strong>la</strong> diversité culturelle n’est pas problématique. Les problèmes surgiss<strong>en</strong>t là où :<br />

− <strong>la</strong> majorité se s<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>acée par les croyances, les <strong>valeurs</strong> et le mode de <strong>vie</strong> d’une<br />

minorité <strong>en</strong> particulier ;<br />

− une minorité se s<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>acée par les croyances, les <strong>valeurs</strong> et le mode de <strong>vie</strong> de <strong>la</strong><br />

majorité ;<br />

− une minorité se s<strong>en</strong>t marginalisée et discriminée, ou a le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que ses traditions<br />

culturelles ne sont pas respectées par le gouvernem<strong>en</strong>t ou par <strong>la</strong> communauté<br />

majoritaire ;<br />

− une minorité s’exclut elle-même et choisit de ne pas participer dans <strong>la</strong> communauté.<br />

Dès lors, les gouvernem<strong>en</strong>ts s’inquièt<strong>en</strong>t d’une aggravation possible <strong>des</strong> t<strong>en</strong>sions sociales,<br />

voire <strong>des</strong> conflits, <strong>en</strong> particulier dans les métropoles europé<strong>en</strong>nes où <strong>la</strong> mixité sociale et<br />

culturelle semble souv<strong>en</strong>t extrêmem<strong>en</strong>t instable. Le problème alors est de trouver le meilleur<br />

moy<strong>en</strong> de créer les conditions qui garantiront <strong>la</strong> coexist<strong>en</strong>ce pacifique et constructive <strong>en</strong>tre les<br />

différ<strong>en</strong>tes communautés d’une société donnée.<br />

Les gouvernem<strong>en</strong>ts ont trouvé <strong>la</strong> parade : ils ont, <strong>en</strong>tre autres choses, multiplié les mesures<br />

visant à améliorer <strong>la</strong> situation <strong>des</strong> groupes minoritaires les plus défavorisés, socialem<strong>en</strong>t et<br />

économiquem<strong>en</strong>t. Cep<strong>en</strong>dant, il con<strong>vie</strong>nt peut-être aussi d’examiner <strong>pour</strong>quoi ces groupes<br />

sont mal disposés <strong>en</strong>vers les politiques démocratiques pluralistes et s’<strong>en</strong> s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t exclus. Après<br />

3 Ces recommandations ne sont pas <strong>des</strong> instrum<strong>en</strong>ts contraignants <strong>pour</strong> les gouvernem<strong>en</strong>ts, mais elles<br />

exprim<strong>en</strong>t une ‘politique commune’ et le Comité <strong>des</strong> Ministres demande au gouvernem<strong>en</strong>t de chaque<br />

Etat membre de ‘l’informer <strong>des</strong> mesures prises’ <strong>en</strong> re<strong>la</strong>tion avec ces recommandations.<br />

9


tout, le principe de base d’une <strong>démocratie</strong> pluraliste veut que cette dernière permette <strong>la</strong><br />

coexist<strong>en</strong>ce pacifique d’intérêts différ<strong>en</strong>ts et de convictions différ<strong>en</strong>tes à l’intérieur d’une<br />

même communauté politique. De nouvelles réformes politiques sont sans aucun doute<br />

possibles <strong>pour</strong> r<strong>en</strong>dre le pluralisme plus inclusif. Les critiques port<strong>en</strong>t sur le fait que certains<br />

groupes ont plus de difficultés à obt<strong>en</strong>ir <strong>des</strong> temps d’ant<strong>en</strong>ne dans les médias <strong>pour</strong> y exposer<br />

leur situation ou <strong>en</strong>core que les porte-parole que l’on voit à <strong>la</strong> télévision ne sont pas<br />

représ<strong>en</strong>tatifs de leur communauté. Ils souti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t que, <strong>pour</strong> exercer une<br />

quelconque influ<strong>en</strong>ce sur le processus politique dans les <strong>démocratie</strong>s pluralistes modernes, un<br />

groupe doit disposer de gros moy<strong>en</strong>s et de gran<strong>des</strong> capacités d’organisation, et avoir <strong>des</strong><br />

re<strong>la</strong>tions à l’intérieur du système politique.<br />

Enfin, les critiques avanc<strong>en</strong>t que <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> pluraliste est née à une époque où sphère<br />

publique et privée étai<strong>en</strong>t c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t distinctes. Les questions de loyauté et d’id<strong>en</strong>tité<br />

demeurai<strong>en</strong>t hors de l’arène politique, tandis que les intérêts <strong>en</strong> conflit <strong>pour</strong> le pouvoir étai<strong>en</strong>t<br />

sociaux et économiques. Dans une société dev<strong>en</strong>ue multiculturelle et multiethnique, il est plus<br />

difficile de maint<strong>en</strong>ir cette séparation stricte <strong>en</strong>tre sphère publique et sphère privée, et <strong>la</strong><br />

question se pose alors de comm<strong>en</strong>t le système politique peut combattre les politiques<br />

id<strong>en</strong>titaires avec efficacité.<br />

On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d aussi qu’il ne suffit pas d’<strong>en</strong>gager <strong>des</strong> mesures et <strong>des</strong> réformes plus inclusives <strong>pour</strong><br />

que tous les individus éprouv<strong>en</strong>t un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’appart<strong>en</strong>ance et d’allégeance à <strong>la</strong><br />

communauté dans <strong>la</strong>quelle ils viv<strong>en</strong>t. Ceci étant, l’att<strong>en</strong>tion accordée à l’éducation à <strong>la</strong><br />

citoy<strong>en</strong>neté est plus grande que ce n’était le cas voici vingt-cinq ans. Dès lors, <strong>la</strong> question se<br />

pose de ce que peut être <strong>la</strong> base de cette allégeance ; de ce qui, l’intérêt personnel mis à part,<br />

peut lier les g<strong>en</strong>s à une communauté s’ils ne partag<strong>en</strong>t pas <strong>la</strong> même histoire, le même héritage<br />

et <strong>la</strong> même culture que <strong>la</strong> majorité de leurs concitoy<strong>en</strong>s ?<br />

Pour certains, l’éducation à <strong>la</strong> citoy<strong>en</strong>neté et <strong>la</strong> procédure de naturalisation devrai<strong>en</strong>t fournir<br />

aux nouveaux arrivants <strong>des</strong> informations sur <strong>la</strong> communauté à <strong>la</strong>quelle ils veul<strong>en</strong>t appart<strong>en</strong>ir<br />

afin de faciliter leur intégration. D’autres avanc<strong>en</strong>t que tous – et pas seulem<strong>en</strong>t les immigrants<br />

– nous devrions avoir davantage consci<strong>en</strong>ce de ce que signifie coexister pacifiquem<strong>en</strong>t avec<br />

<strong>des</strong> personnes d’autres origines, cultures et traditions.<br />

Tout ceci nous ramène à <strong>la</strong> question terminant <strong>la</strong> section précéd<strong>en</strong>te. Est-il possible de p<strong>la</strong>cer<br />

<strong>la</strong> « personne » au c<strong>en</strong>tre <strong>des</strong> préoccupations – et non plus le « peuple» – et de générer un<br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’appart<strong>en</strong>ance ou d’allégeance à une culture politique fondée sur les droits de<br />

l’homme universels?<br />

Droits de l’homme et <strong>valeurs</strong> fondam<strong>en</strong>tales<br />

Eng<strong>en</strong>drer un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’allégeance aux droits de l’homme est possible, à un seul détail<br />

près :rares sont les droits dont on peut dire qu’ils sont absolus. Il y a bi<strong>en</strong> sûr <strong>des</strong> exceptions,<br />

comme l’interdiction de <strong>la</strong> torture et de l’esc<strong>la</strong>vage, mais d’une manière générale, les<br />

conv<strong>en</strong>tions (et <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> chartes) internationales admett<strong>en</strong>t, sous certaines conditions,<br />

qu’une personne soit privée d’un droit. Pr<strong>en</strong>ons l’exemple du droit de circuler librem<strong>en</strong>t,<br />

accordé à toute personne résidant dans les pays signataires de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong><br />

droits de l’homme.<br />

En cas de séisme ou d’ouragan, <strong>la</strong> police peut raisonnablem<strong>en</strong>t décider de susp<strong>en</strong>dre<br />

temporairem<strong>en</strong>t le droit de circuler librem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> éviter les pil<strong>la</strong>ges, faire <strong>en</strong> sorte qu’il n’y<br />

10


ait pas d’autres blessés et permettre aux véhicules de secours d’aller chercher les blessés. Un<br />

autre exemple est <strong>la</strong> liberté d’association. Le droit de former un parti politique peut par<br />

exemple être restreint si le parti <strong>en</strong> question a <strong>pour</strong> but ou politique de supprimer tous les<br />

autres partis ou associations politiques et de fonder un Etat à parti unique. Dans une majorité<br />

de pays, certains <strong>des</strong> droits civils et politiques fondam<strong>en</strong>taux risqu<strong>en</strong>t fort d’être<br />

temporairem<strong>en</strong>t susp<strong>en</strong>dus <strong>en</strong> temps de guerre ou <strong>en</strong> cas de m<strong>en</strong>ace nationale.<br />

Il existe aussi bi<strong>en</strong> <strong>des</strong> situations où deux droits ou plus peuv<strong>en</strong>t se retrouver <strong>en</strong> conflit. Les<br />

droits d’une culture minoritaire de préserver ses traditions, ses coutumes et ses pratiques<br />

religieuses peuv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> conflit avec ceux d’un membre du groupe qui opte <strong>pour</strong> un autre<br />

mode de <strong>vie</strong> ou une autre religion. La liberté d’expression connaît elle aussi <strong>des</strong> restrictions si<br />

un discours public incite à s’<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre à d’autres personnes <strong>en</strong> raison de leurs convictions ou<br />

de leur appart<strong>en</strong>ance à un autre groupe ethnique. De <strong>la</strong> même manière, il nous est interdit de<br />

t<strong>en</strong>ir <strong>des</strong> propos injurieux <strong>en</strong>vers certaines personnes <strong>en</strong> public.<br />

Dans notre <strong>vie</strong> de tous les jours, nous sommes souv<strong>en</strong>t appelés à considérer les conséqu<strong>en</strong>ces<br />

de nos actes avant d’exercer nos droits ; si nous décidons de passer outre, nous <strong>en</strong>courons <strong>la</strong><br />

désapprobation générale de <strong>la</strong> société ou une assignation <strong>en</strong> justice.<br />

Les droits sont extrêmem<strong>en</strong>t précis concernant certaines situations et certains problèmes. La<br />

plupart, <strong>pour</strong> <strong>des</strong> raisons historiques, dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t aussi de l’attitude de l’Etat et de ses<br />

institutions <strong>en</strong>vers ses citoy<strong>en</strong>s et les citoy<strong>en</strong>s d’autres pays. Arrêtons-nous un mom<strong>en</strong>t <strong>pour</strong><br />

examiner les <strong>valeurs</strong> qui sous-t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t ces droits, c’est-à-dire les <strong>valeurs</strong> qui concern<strong>en</strong>t :<br />

- notre manière d’agir les uns <strong>en</strong>vers les autres, y compris lorsque <strong>des</strong> différ<strong>en</strong>ces<br />

fondam<strong>en</strong>tales nous sépar<strong>en</strong>t et que nous sommes <strong>en</strong> désaccord sur beaucoup de<br />

choses que nous jugeons importantes ;<br />

- notre manière de résoudre les conflits et les désaccords qui surgiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre nous.<br />

Les auteurs du prés<strong>en</strong>t ouvrage ont id<strong>en</strong>tifié plusieurs <strong>valeurs</strong> fondam<strong>en</strong>tales dont ils p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t<br />

qu’elles rempliss<strong>en</strong>t cette double fonction, aussi bi<strong>en</strong> dans <strong>la</strong> <strong>vie</strong> quotidi<strong>en</strong>ne que dans <strong>la</strong><br />

manière dont les institutions d’une <strong>démocratie</strong> sont supposées agir <strong>en</strong>vers ses citoy<strong>en</strong>s. Nous<br />

les avons regroupées comme «<strong>valeurs</strong> re<strong>la</strong>tionnelles ». Par ce terme, nous désignons les<br />

<strong>valeurs</strong> qui devrai<strong>en</strong>t guider <strong>la</strong> manière de gérer les rapports à autrui, que ce soit au niveau de<br />

l’individu, du groupe, de <strong>la</strong> communauté ou de <strong>la</strong> nation.<br />

Ces <strong>valeurs</strong> re<strong>la</strong>tionnelles sont d’ordre éthique et sont aussi au cœur <strong>des</strong> politiques<br />

démocratiques. Ce sont celles qui nous permett<strong>en</strong>t de parler <strong>en</strong>semble, de coexister et<br />

d’essayer de trouver <strong>des</strong> compromis et <strong>des</strong> solutions aux problèmes qui nous sont communs,<br />

sans recourir à <strong>la</strong> viol<strong>en</strong>ce ni refuser le dialogue. Ce sont aussi ces <strong>valeurs</strong> qui nous<br />

permett<strong>en</strong>t de vivre <strong>en</strong>semble, même lorsque nous sommes fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> désaccord<br />

<strong>pour</strong> <strong>des</strong> raisons religieuses, politiques et idéologiques.<br />

Aux définitions plus pointues de <strong>la</strong> philosophie politique, nous avons préféré <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue de tous<br />

les jours, car nous sommes convaincus que ces <strong>valeurs</strong> n’apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas à <strong>la</strong> seule arène<br />

politique et qu’elles peuv<strong>en</strong>t guider <strong>la</strong> manière dont nous agissons les uns <strong>en</strong>vers les autres à<br />

tous les niveaux de l’interaction sociale et de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> collective. Pour nous, certaines <strong>valeurs</strong><br />

re<strong>la</strong>tionnelles sont toutefois plus fondam<strong>en</strong>tales que d’autres:<br />

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Dignité : Tout le monde a un droit égal au respect de par sa nature humaine plutôt qu’<strong>en</strong><br />

raison de son importance, de son statut ou de sa richesse.<br />

Réciprocité : Se conduire <strong>en</strong>vers les autres comme on aimerait qu’ils nous trait<strong>en</strong>t.<br />

Equité : Manière de décider ou de juger de façon impartiale, sans faire de discrimination<br />

<strong>en</strong>tre <strong>des</strong> personnes égalem<strong>en</strong>t méritantes ou dans le besoin, et sans savoir si <strong>la</strong> décision<br />

servira <strong>des</strong> intérêts personnels.<br />

Tolérance : Le degré d’acceptation du droit d’autrui à exprimer <strong>des</strong> idées et <strong>des</strong> opinions que<br />

nous désapprouvons, sans essayer de le forcer à changer son point de vue. 4<br />

Liberté : Etre capable d’agir <strong>pour</strong> soi et les autres et de choisir <strong>en</strong>tre plusieurs solutions<br />

réelles et réalistes sans y être contraint.<br />

Respect <strong>pour</strong> le raisonnem<strong>en</strong>t :Etre prêt à donner les raisons qui motiv<strong>en</strong>t son point de vue<br />

et à donner <strong>des</strong> explications rationnelles <strong>pour</strong> ses agissem<strong>en</strong>ts, tout <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant <strong>des</strong> autres<br />

qu’ils fass<strong>en</strong>t de même.<br />

Respect <strong>pour</strong> <strong>la</strong> vérité : Faire preuve defranchise et d’honnêteté dans nos re<strong>la</strong>tions aux<br />

autres et att<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> même franchise et honnêteté de leur part, à moins qu’ils ne nous donn<strong>en</strong>t<br />

une bonne raison de douter d’eux. 5<br />

Rappelons que ce livre n’est pas un docum<strong>en</strong>t sur les <strong>valeurs</strong> re<strong>la</strong>tionnelles. Les étu<strong>des</strong> de cas<br />

(et les fiches de discussion qui les accompagn<strong>en</strong>t) sont proposées <strong>pour</strong> <strong>en</strong>courager l’utilisateur<br />

à appliquer ces <strong>valeurs</strong> à diverses situations de conflits <strong>en</strong>tre les droits humains. Tout comme<br />

nous acquérons <strong>des</strong> compét<strong>en</strong>ces par <strong>la</strong> pratique, nous acquérons ces <strong>valeurs</strong> procédurales <strong>en</strong><br />

les appliquant.<br />

C’est <strong>pour</strong>quoi le prés<strong>en</strong>t livre et les fiches de discussion mett<strong>en</strong>t autant <strong>en</strong> lumière l’exam<strong>en</strong><br />

d’autres points de vue sur un <strong>en</strong>semble de questions et de problèmes majeurs de notre époque.<br />

Peut-être avez-vous déjà un avis sur certains sujets, peut-être même sur tous. Notre propos<br />

n’est pas de vous convaincre que telle opinion est juste ou préférable à d’autres. Ce que l’on<br />

espère, c’est que le lecteur sera prêt à tester ses opinions face à <strong>des</strong> interlocuteurs qui ne sont<br />

peut-être pas d’accord avec lui et qu’il acceptera que les autres déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t sincèrem<strong>en</strong>t leur<br />

opinion et qu’ils ai<strong>en</strong>t de bonnes raisons de voir les choses autrem<strong>en</strong>t. De <strong>la</strong> sorte, nous<br />

espérons que vous compr<strong>en</strong>drez d’autres conceptions <strong>des</strong> choses, <strong>en</strong> même temps que les<br />

vôtres.<br />

4 La tolérance ne doit pas nous empêcher d’exprimer notre désapprobation face à certaines opinions ni<br />

de t<strong>en</strong>ter de rallier les autres à notre avis.<br />

5 Il n’y a pas de re<strong>la</strong>tions sociales p<strong>la</strong>cées sous le signe de <strong>la</strong> loyauté, de <strong>la</strong> liberté, de <strong>la</strong> tolérance et de<br />

<strong>la</strong> réciprocité sans bonne foi ; cette bonne foi dép<strong>en</strong>d de notre désir d’être franc et honnête <strong>en</strong>vers les<br />

autres et de <strong>la</strong> volonté <strong>des</strong> autres d’être francs et honnêtes à notre égard. Bi<strong>en</strong> sûr, dans <strong>la</strong> <strong>vie</strong> publique,<br />

il est <strong>des</strong> situations où <strong>la</strong> vérité n’est pas forcém<strong>en</strong>t bonne à dire (<strong>pour</strong> respecter <strong>la</strong> confid<strong>en</strong>tialité, <strong>pour</strong><br />

éviter de faire sérieusem<strong>en</strong>t du mal à quelqu’un, etc.) ; dans ce cas, les raisons qui empêch<strong>en</strong>t de dire <strong>la</strong><br />

vérité devrai<strong>en</strong>t pouvoir être justifiées et creusées.<br />

12


QUESTION CLE 1 : Comm<strong>en</strong>t protéger l’individu du pouvoir<br />

arbitraire de l’Etat ?<br />

Mihai Manea et Christopher Rowe<br />

La <strong>démocratie</strong> est fondée sur le principe que le peuple a un pouvoir sur le corps légis<strong>la</strong>tif et le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t. Le pouvoir et les responsabilités civiques sont exercés par <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tants<br />

librem<strong>en</strong>t élus agissant au nom de tous les citoy<strong>en</strong>s. La <strong>démocratie</strong> est l’institutionnalisation<br />

<strong>des</strong> libertés individuelles. Dans tout Etat démocratique, il est vital donc de protéger les droits<br />

<strong>des</strong> individus et <strong>des</strong> groupes minoritaires tout <strong>en</strong> respectant <strong>la</strong> volonté de <strong>la</strong> majorité. Une<br />

vraie <strong>démocratie</strong> ne peut pas être fondée sur <strong>la</strong> «tyrannie de <strong>la</strong> majorité ».<br />

Les citoy<strong>en</strong>s n’ont pas seulem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> droits – ils doiv<strong>en</strong>t aussi participer au système politique<br />

et accepter <strong>la</strong> primauté du droit. En contrepartie, il est du devoir de l’Etat defaire respecter<br />

cet état de droit conformém<strong>en</strong>t à <strong>des</strong> procédures établies et transpar<strong>en</strong>tes et de s’abst<strong>en</strong>ir<br />

d’user arbitrairem<strong>en</strong>t de son autorité. L’histoire <strong>des</strong> cinquante dernières années fourmille<br />

d’exemples d’abus de pouvoir et de vio<strong>la</strong>tions <strong>des</strong> droits de l’homme par les Etats, les raisons<br />

habituellem<strong>en</strong>t invoquées <strong>pour</strong> justifier ces actions étant <strong>la</strong> volonté de <strong>la</strong> majorité de l’opinion<br />

ou de sérieuses inquiétu<strong>des</strong> au sujet de <strong>la</strong> sécurité nationale.<br />

Il <strong>en</strong> résulte une t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre les ag<strong>en</strong>ts de l’Etat, qui rev<strong>en</strong>diqu<strong>en</strong>t le droit de susp<strong>en</strong>dre les<br />

libertés civiles devant une situation d’urg<strong>en</strong>ce, et les organisations (nationales ou<br />

supranationales, comme <strong>la</strong> Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme) créées <strong>pour</strong> déf<strong>en</strong>dre les<br />

droits <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s et exiger <strong>des</strong> services de l’Etat qu’ils r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>des</strong> comptes. Cette t<strong>en</strong>sion<br />

<strong>en</strong>tre l’Etat et les citoy<strong>en</strong>s peut être illustrée par quelques exemples significatifs : le droit <strong>des</strong><br />

personnes de déroger aux lois nationales <strong>pour</strong> protéger leurs droits humains ; le traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

prisonniers et <strong>des</strong> terroristes présumés ; et les droits <strong>des</strong> personnes internées <strong>en</strong> hôpital<br />

psychiatrique.<br />

Le rôle de <strong>la</strong> Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l’Homme (CEDH) est égalem<strong>en</strong>t à l’image <strong>des</strong><br />

t<strong>en</strong>sions qui peuv<strong>en</strong>t exister <strong>en</strong>tre les gouvernem<strong>en</strong>ts nationaux et les organisations<br />

supranationales. Créée <strong>pour</strong> mettre <strong>en</strong> œuvre les principes de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion du Conseil de<br />

l’<strong>Europe</strong> de sauvegarde <strong>des</strong> droits de l’homme et <strong>des</strong> libertés fondam<strong>en</strong>tales (1950), <strong>la</strong> CEDH<br />

se prononce sur <strong>des</strong> p<strong>la</strong>intes <strong>en</strong> vio<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> droits de l’homme déposées par <strong>des</strong> pays, <strong>des</strong><br />

groupes de personnes ou <strong>des</strong> particuliers. Les arrêts de <strong>la</strong> Cour, qui doit souv<strong>en</strong>t statuer sur<br />

<strong>des</strong> questions re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> foi religieuse, à <strong>la</strong> liberté intellectuelle et à <strong>la</strong> philosophie morale,<br />

ont beaucoup influ<strong>en</strong>cé l’évolution <strong>des</strong> re<strong>la</strong>tions citoy<strong>en</strong>s-Etat.<br />

L’exemple le plus criant <strong>des</strong> re<strong>la</strong>tions <strong>en</strong>tre l’Etat et ses citoy<strong>en</strong>s est <strong>la</strong> question <strong>des</strong> droits et<br />

du traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> prisonniers. On peut se dire que les prisonniers sont coupables d’infractions<br />

par définition, et que c’est à juste titre qu’on les prive de leur liberté <strong>en</strong> les mettant sous les<br />

verrous – mais ces prisonniers, totalem<strong>en</strong>t sous l’empire de l’Etat, ont le droit d’être<br />

protégés : contre les abus physiques et les mauvais traitem<strong>en</strong>ts, mais aussi contre les<br />

néglig<strong>en</strong>ces, l’isolem<strong>en</strong>t et <strong>la</strong> perte de leur dignité.<br />

Nombre d’organisations internationales veill<strong>en</strong>t à faire respecter les droits <strong>des</strong> prisonniers –<br />

Amnesty International, <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion internationale <strong>des</strong> droits civiques et politiques<br />

(International Cov<strong>en</strong>ant on Civil and Political Rights, ICCPR), l’<strong>en</strong>semble <strong>des</strong> Règles minima<br />

<strong>pour</strong> le traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us, etc. D’après les Principes fondam<strong>en</strong>taux re<strong>la</strong>tifs au traitem<strong>en</strong>t<br />

<strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us, «tous les dét<strong>en</strong>us doiv<strong>en</strong>t continuer à jouir <strong>des</strong> droits de l’homme et <strong>des</strong> libertés<br />

fondam<strong>en</strong>tales énoncés dans <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration universelle <strong>des</strong> droits de l’homme ». En d’autres<br />

termes, un dét<strong>en</strong>u reste un citoy<strong>en</strong>.<br />

13


La réalité est souv<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>te. Les conditions de dét<strong>en</strong>tion vari<strong>en</strong>t d’un pays et d’un<br />

établissem<strong>en</strong>t pénit<strong>en</strong>tiaire à l’autre, mais <strong>la</strong> norme <strong>la</strong>isse à désirer. Surpopu<strong>la</strong>tion,<br />

dé<strong>la</strong>brem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> infrastructures, faible niveau d’éducation et <strong>des</strong> soins médicaux, mauvais<br />

traitem<strong>en</strong>ts infligés par les gardi<strong>en</strong>s et viol<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre prisonniers sont le lot de beaucoup de<br />

prisons. Dans certains pays cultivant le secret, il est même impossible de connaître le nombre<br />

exact <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us. Les <strong>en</strong>quêtes publiques pass<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t sous sil<strong>en</strong>ce les conditions<br />

carcérales déplorables. Les éruptions de viol<strong>en</strong>ce sont monnaie courante, comme cette émeute<br />

qui a fait 25 morts au moins dans <strong>la</strong> prison Modelo à Bogota. Dans certains pays, les morts <strong>en</strong><br />

dét<strong>en</strong>tion n’attir<strong>en</strong>t guère l’att<strong>en</strong>tion de l’opinion et font pratiquem<strong>en</strong>t partie de <strong>la</strong> routine.<br />

Le traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> prisonniers est un de ces domaines où <strong>la</strong> «tyrannie de <strong>la</strong> majorité » risque<br />

de l’emporter sur les droits <strong>des</strong> individus ou <strong>des</strong> minorités. L’attitude de l’opinion <strong>en</strong>vers les<br />

dét<strong>en</strong>us suggère souv<strong>en</strong>t qu’ils « mérit<strong>en</strong>t d’être punis» ou que «l’arg<strong>en</strong>t devrait être dép<strong>en</strong>sé<br />

<strong>pour</strong> <strong>des</strong> choses plus importantes ». De telles attitu<strong>des</strong> se reflèt<strong>en</strong>t dans le traitem<strong>en</strong>t réservé<br />

aux prisonniers de guerre ou aux terroristes présumés dét<strong>en</strong>us sans procès. Certains<br />

prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t que ce sont <strong>des</strong> <strong>en</strong>nemis, qu’ils représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t une m<strong>en</strong>ace et que l’Etat «ne peut pas<br />

se permettre » de p<strong>la</strong>cer le respect de leurs libertés civiles au-<strong>des</strong>sus de <strong>la</strong> sécurité de <strong>la</strong><br />

majorité. Les mauvais traitem<strong>en</strong>ts ont lieu dans l’indiffér<strong>en</strong>ce générale. Pour Amnesty<br />

International, <strong>la</strong> manière dont les Etats-Unis ont traité les prisonniers de Guantanamo Bay ou<br />

d’Abu Ghraib après <strong>la</strong> guerre <strong>en</strong> Irak et <strong>en</strong> Afghanistan a <strong>en</strong>hardi les régimes viol<strong>en</strong>ts et<br />

affaibli les droits humains dans le monde.<br />

Il existe <strong>des</strong> moy<strong>en</strong>s moins spectacu<strong>la</strong>ires de porter atteinte aux droits et à <strong>la</strong> protection <strong>des</strong><br />

dét<strong>en</strong>us. Dans beaucoup de pays, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion carcérale souffre davantage que <strong>la</strong> moy<strong>en</strong>ne<br />

nationale de <strong>la</strong> tuberculose, du sida, de problèmes m<strong>en</strong>taux et de toxicomanie, et a un niveau<br />

d’éducation plus faible. Or il est de <strong>la</strong> responsabilité de l’Etat de protéger les criminels aussi<br />

longtemps qu’ils sont à sa charge.<br />

Un autre volet ess<strong>en</strong>tiel de cette responsabilité concerne les personnes internées <strong>en</strong> hôpital<br />

psychiatrique. Même défici<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>tal, un citoy<strong>en</strong> reste un citoy<strong>en</strong>. Les pati<strong>en</strong>ts peuv<strong>en</strong>t avoir<br />

été p<strong>la</strong>cés <strong>en</strong> hôpital psychiatrique (ou dans une institution simi<strong>la</strong>ire) <strong>pour</strong> leur propre<br />

protection, soit durablem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cas de ma<strong>la</strong>die incurable, soit temporairem<strong>en</strong>t dans l’att<strong>en</strong>te<br />

d’une guérison. Ils peuv<strong>en</strong>t aussi être internés <strong>pour</strong> protéger <strong>la</strong> collectivité. Ces dernières<br />

années, on a rec<strong>en</strong>sé plusieurs cas d’innoc<strong>en</strong>ts morts <strong>des</strong> suites d’un acte viol<strong>en</strong>t commis par<br />

un aliéné. Trouver un juste équilibre <strong>en</strong>tre le respect <strong>des</strong> droits de l’individu et <strong>la</strong> sécurité de<br />

<strong>la</strong> société n’est pas toujours chose aisée.<br />

Les hôpitaux psychiatriques exist<strong>en</strong>t depuis plusieurs siècles. Le premier asile connu est le<br />

Bethlem Royal Hospital («Bed<strong>la</strong>m »), fondé à Londres <strong>en</strong> 1247. Dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> hospices<br />

europé<strong>en</strong>s, les conditions étai<strong>en</strong>t cruelles, inhumaines. Les fous étai<strong>en</strong>t regardés avec crainte<br />

et incompréh<strong>en</strong>sion par les citoy<strong>en</strong>s « normaux ». Sauf exception – on p<strong>en</strong>se à Philippe Pinel,<br />

directeur de l’asile de Bicêtre à Paris dans les années 1790, et à son assistant Jean-Baptiste<br />

Pusin –, les asiles étai<strong>en</strong>t surtout <strong>des</strong> mouroirs où l’on pouvait <strong>en</strong>fermer les ma<strong>la</strong><strong>des</strong> m<strong>en</strong>taux<br />

loin de <strong>la</strong> société conv<strong>en</strong>tionnelle.<br />

L’autre raison du désintérêt <strong>pour</strong> <strong>la</strong> santé m<strong>en</strong>tale était que les pati<strong>en</strong>ts p<strong>la</strong>cés dans les asiles<br />

étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> général issus de c<strong>la</strong>sses sociales défavorisées. La plupart étai<strong>en</strong>t internés d’<strong>of</strong>fice,<br />

sur décision judiciaire, et non pas admis volontairem<strong>en</strong>t. Les pati<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> hospices publics<br />

n’avai<strong>en</strong>t ni statut social ni arg<strong>en</strong>t –<strong>la</strong> bourgeoisie avait les moy<strong>en</strong>s d’<strong>of</strong>frir <strong>des</strong> soins privés à<br />

ses aliénés, leur évitant ainsi d’être stigmatisés comme une «m<strong>en</strong>ace publique » par <strong>la</strong><br />

société. Ce n’est qu’à <strong>la</strong> fin du XX e siècle, <strong>en</strong> partie grâce à <strong>la</strong> diffusion <strong>des</strong> travaux de<br />

théorici<strong>en</strong>s comme Sigmund Freud et ses successeurs, que les attitu<strong>des</strong> ont changé – même si<br />

ce changem<strong>en</strong>t reste inégal et loin d’être achevé.<br />

14


Vers 1945, on a inv<strong>en</strong>té de nouvelles métho<strong>des</strong> <strong>pour</strong> soigner les ma<strong>la</strong><strong>des</strong> m<strong>en</strong>taux. Même si<br />

ces métho<strong>des</strong> (électrochocs, choc à l’insuline, lobotomie frontale) nous sembl<strong>en</strong>t primitives et<br />

barbares aujourd’hui, elles représ<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t un progrès à l’époque, car on espérait alors soigner<br />

les défici<strong>en</strong>ces m<strong>en</strong>tales et permettre aux ma<strong>la</strong><strong>des</strong> de retrouver leur p<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong> collectivité<br />

<strong>pour</strong> y m<strong>en</strong>er une <strong>vie</strong> normale. Les nouveaux médicam<strong>en</strong>ts psychiatriques comme <strong>la</strong><br />

thorazine ont révolutionné les traitem<strong>en</strong>ts et permis de faire baisser le nombre <strong>des</strong> pati<strong>en</strong>ts<br />

internés. En même temps que <strong>la</strong> médecine progressait, l’attitude de <strong>la</strong> société et <strong>des</strong> politiques<br />

a évolué et permis notamm<strong>en</strong>t de <strong>la</strong>ncer le programme baptisé «Care in the Community » <strong>en</strong><br />

Grande-Bretagne.<br />

Les connaissances <strong>en</strong> matière de psychiatrie ont beau avoir évolué, <strong>la</strong> question <strong>des</strong> droits <strong>des</strong><br />

ma<strong>la</strong><strong>des</strong> m<strong>en</strong>taux reste complexe et sujette à controverse. Peut-on administrer un traitem<strong>en</strong>t<br />

aux ma<strong>la</strong><strong>des</strong> m<strong>en</strong>taux ou les priver de leur liberté sans leur cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t ? Sont-ils capables<br />

de donner leur autorisationde manière s<strong>en</strong>sée ? Est-ce à l’<strong>en</strong>fant ou aux par<strong>en</strong>ts de décider<br />

d’un traitem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> apaiser un «comportem<strong>en</strong>t antisocial »? La décision doit-elle v<strong>en</strong>ir de<br />

l’Etat ?<br />

Des précéd<strong>en</strong>ts inquiétants <strong>la</strong>iss<strong>en</strong>t à p<strong>en</strong>ser que <strong>la</strong> prise de telles décisions ne peut pas, et<br />

peut-être même ne doit pas être confiée à l’Etat. Des régimes totalitaires se sont servis de <strong>la</strong><br />

psychiatrie <strong>pour</strong> <strong>des</strong> <strong>des</strong>seins funestes. Dans l’Allemagne nazie, les institutions psychiatriques<br />

étai<strong>en</strong>t au service de <strong>la</strong> répression <strong>des</strong> dissid<strong>en</strong>ts politiques et <strong>des</strong> « asociaux ». Des hommes<br />

et <strong>des</strong> femmes étai<strong>en</strong>t déc<strong>la</strong>rés fous <strong>en</strong> raison de leurs opinions subversives ou dangereux car<br />

susceptibles de contaminer les autres. A compter de 1939, le régime nazi a <strong>la</strong>ncé une vaste<br />

opération secrète <strong>pour</strong> éliminer les ma<strong>la</strong><strong>des</strong> m<strong>en</strong>taux, au motif qu’ils m<strong>en</strong>açai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> « pureté<br />

biologique de <strong>la</strong> race ». Quant aux régimes communistes, eux aussi se sont servis <strong>des</strong><br />

hôpitaux psychiatriques <strong>pour</strong> réprimer les dissid<strong>en</strong>ts politiques.<br />

Dans un Etat qui veut réprimer l’opposition, les hôpitaux psychiatriques sont très commo<strong>des</strong>.<br />

On peut administrer <strong>des</strong> cocktails de drogues <strong>pour</strong> faire parler un dét<strong>en</strong>u lors d’un<br />

interrogatoire, ou <strong>pour</strong> le déstabiliser. Déc<strong>la</strong>rer un suspect ma<strong>la</strong>de m<strong>en</strong>tal évite d’avoir à<br />

prouver sa culpabilité lors d’un procès public. C’est aussi un moy<strong>en</strong> efficace de stigmatiser et<br />

de subordonner <strong>des</strong> opposants, ou <strong>pour</strong> <strong>en</strong>fermer une personne à <strong>vie</strong>. Pour toutes ces raisons,<br />

et parce qu’il existe <strong>des</strong> exemples avérés d’abus de pouvoir par l’Etat, même les agissem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts démocratiques peuv<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dre suspicieux.<br />

Récemm<strong>en</strong>t, <strong>des</strong> militants ont appelé à supprimer les internem<strong>en</strong>ts de durée indéterminée <strong>pour</strong><br />

les délinquants psychopathes. Selon eux, <strong>la</strong> déf<strong>en</strong>se ne devrait plus pouvoir invoquer <strong>la</strong><br />

dém<strong>en</strong>ce et les délinquants dém<strong>en</strong>ts devrai<strong>en</strong>t être incarcérés <strong>en</strong> maison d’arrêt normale s’ils<br />

sont jugés coupables d’une infraction, ou p<strong>la</strong>cés <strong>en</strong> hôpital normal s’ils sont les victimes<br />

innoc<strong>en</strong>tes de leur ma<strong>la</strong>die.<br />

Le rôle de l’Etat dans le traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> aliénés est controversé et délicat. Michael Perlin, un<br />

expert international de <strong>la</strong> loi sur le handicap m<strong>en</strong>tal, a dit que : «Ces problèmes [de vio<strong>la</strong>tion<br />

<strong>des</strong> droits humains <strong>des</strong> handicapés m<strong>en</strong>taux] devrai<strong>en</strong>t intéresser tous les citoy<strong>en</strong>s qui<br />

pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les droits humains au sérieux, et tous ceux qui s’occup<strong>en</strong>t de ceux qui sont <strong>en</strong>core<br />

<strong>en</strong>fermés dans <strong>des</strong> conditions humainem<strong>en</strong>t indéc<strong>en</strong>tes. Ce que j’ai pu voir à travers le monde<br />

va au-delà du choc de consci<strong>en</strong>ce […] et ce<strong>la</strong> peut sembler curieux, car un traitem<strong>en</strong>t<br />

psychiatrique est un traitem<strong>en</strong>t médical et est supposé être proposé à <strong>des</strong> fins bi<strong>en</strong>veil<strong>la</strong>ntes.»<br />

La manière de traiter les défici<strong>en</strong>ts m<strong>en</strong>taux n’est qu’un exemple de <strong>la</strong> difficulté à trouver un<br />

équilibre <strong>en</strong>tre les droits de l’Etat et les droits individuels du citoy<strong>en</strong>. Les conséqu<strong>en</strong>ces <strong>des</strong><br />

abus de pouvoir peuv<strong>en</strong>t être terribles. Des individus ou <strong>des</strong> groupes minoritaires innoc<strong>en</strong>ts<br />

peuv<strong>en</strong>t y perdre leur liberté, être séparés de leurs familles et de leurs amis, ou être privés de<br />

droits fondam<strong>en</strong>taux dont on est <strong>en</strong> droit de considérer qu’ils sont garantis dans une<br />

15


<strong>démocratie</strong>. Et <strong>pour</strong>tant, l’Etat a effectivem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> responsabilité de protéger tous ses citoy<strong>en</strong>s,<br />

collectivem<strong>en</strong>t et individuellem<strong>en</strong>t. Si un ma<strong>la</strong>de m<strong>en</strong>tal est remis dans <strong>la</strong> collectivité et<br />

assassine un innoc<strong>en</strong>t, l’Etat sera t<strong>en</strong>u <strong>pour</strong> responsable. Si un terroriste présumé est libéré<br />

faute de preuves suffisantes et fait sauter un train causant <strong>la</strong> mort de deux c<strong>en</strong>ts passagers,<br />

l’Etat sera là <strong>en</strong>core responsable.<br />

Enoncer les principes du droit est une chose, les appliquer à <strong>la</strong> perfection dans une société<br />

démocratique <strong>en</strong> est une autre – <strong>en</strong> particulier quand les gouvernem<strong>en</strong>ts doiv<strong>en</strong>t vivre sous <strong>la</strong><br />

surveil<strong>la</strong>nce perman<strong>en</strong>te de <strong>la</strong> presse et <strong>des</strong> médias TV, toujours doués d’une grande sagacité<br />

à posteriori. Il n’existe pas de réponses toutes faites, sauf une, fondam<strong>en</strong>tale : chaque citoy<strong>en</strong><br />

et chaque gouvernem<strong>en</strong>t devrai<strong>en</strong>t rechercher le meilleur équilibre possible <strong>en</strong>tre droits et<br />

responsabilités.<br />

16


ETUDE DE CAS N° 1 : L’affaire <strong>des</strong> transferts de personnes<br />

soupçonnées de terrorisme dans <strong>la</strong> « War on Terror » (« guerre<br />

contre <strong>la</strong> terreur »)<br />

Christopher Rowe<br />

Chronologie<br />

1993 : Premier att<strong>en</strong>tat contre le World Trade C<strong>en</strong>ter à New York. Attribué à <strong>des</strong> extrémistes<br />

is<strong>la</strong>mistes, il r<strong>en</strong>force <strong>en</strong>core les craintes <strong>des</strong> Américains face à <strong>la</strong> m<strong>en</strong>ace du djihad antioccid<strong>en</strong>tal.<br />

Septembre 1995 : Premier cas connu de transfert d’un terroriste présumé. Ta<strong>la</strong>t Fouad<br />

Qassem, un Egypti<strong>en</strong> arrêté par <strong>la</strong> police croate grâce aux r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts de <strong>la</strong> CIA, est<br />

interrogé par <strong>des</strong> ag<strong>en</strong>ts américains sur un bateau ancré dans l’Adriatique avant d’être remis<br />

<strong>pour</strong> interrogatoire au Service <strong>des</strong> r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts généraux égypti<strong>en</strong> ( Mukhabarat). Nul ne<br />

sait ce qu’il est dev<strong>en</strong>u.<br />

11 septembre 2001 :Près de trois mille civils sont tués dans les att<strong>en</strong>tats coordonnés contre<br />

les tours jumelles du World Trade C<strong>en</strong>ter à New York et d’autres cibles à Washington.<br />

L’administration Bush p<strong>la</strong>nifie <strong>des</strong> mesures drastiques <strong>pour</strong> lutter contre le terrorisme, dont<br />

l’invasion de l’Afghanistan.<br />

Octobre 2001 : Mamdouh Habib, un suspect ayant <strong>la</strong> double nationalité égypti<strong>en</strong>ne et<br />

australi<strong>en</strong>ne, est dét<strong>en</strong>u au Pakistan puis transféré <strong>en</strong> Egypte <strong>pour</strong> interrogatoire. Plus tard, un<br />

avion privé le conduit vers une base américaine <strong>en</strong> Afghanistan; de là, il est transféré à<br />

Guantanamo Bay.<br />

2002 : Ibn al-Shaykh al-Libi, un leader d’al-Qaeda, est transféré <strong>en</strong> Egypte, où il affirmera<br />

avoir été torturé. Les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts qu’il donne lors <strong>des</strong> interrogatoires serviront d’élém<strong>en</strong>ts<br />

d’appréciation à l’administration Bush <strong>pour</strong> justifier l’invasion de l’Irak.<br />

Septembre 2002 : Un terroriste présumé d’origine syri<strong>en</strong>ne, Maher Arar, est arrêté à New<br />

York et transféré <strong>en</strong> Syrie, où il est interrogé. Après sa libération, Arar affirmera avoir été<br />

torturé. En février 2005, le Washington Post lui consacre un article qui suscite un vif débat<br />

aux États-Unis.<br />

Février 2003 : Sout<strong>en</strong>us par <strong>la</strong> CIA, <strong>des</strong> ag<strong>en</strong>ts itali<strong>en</strong>s arrêt<strong>en</strong>t un terroriste présumé, Hassan<br />

Mustafa Osama Nasr, dit Abu Omar, et le transfère par avion <strong>en</strong> Egypte.<br />

Décembre 2003 : Khalid-el-Masri, un ressortissant allemand né au Liban, est arrêté par <strong>des</strong><br />

ag<strong>en</strong>ts américains alors qu’il voyage <strong>en</strong> bus <strong>en</strong> ex-République yougos<strong>la</strong>ve de Macédoine.<br />

L’homme est <strong>en</strong>voyé par avion <strong>en</strong> Afghanistan, où il affirme avoir été drogué et torturé. Le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t allemand proteste. Il est relâché sans mise <strong>en</strong> exam<strong>en</strong>.<br />

7 juillet 2005 : 56 civils meur<strong>en</strong>t dans une série att<strong>en</strong>tats suici<strong>des</strong> orchestrés dans le c<strong>en</strong>tre de<br />

Londres. Par <strong>la</strong> suite, les services de sécurité britannique font l’objet de vives critiques; on<br />

leur reproche notamm<strong>en</strong>t de ne pas avoir réuni suffisamm<strong>en</strong>t d’informations sur les<br />

p<strong>la</strong>stiqueurs <strong>pour</strong> éviter les att<strong>en</strong>tats.<br />

17


Novembre 2005 : Le quotidi<strong>en</strong> allemand Handelsb<strong>la</strong>tt rapporte que <strong>la</strong> CIA s’est ser<strong>vie</strong> d’une<br />

base militaire américaine <strong>en</strong> Allemagne <strong>pour</strong> organiser <strong>des</strong> transferts sans <strong>en</strong> informer le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t.<br />

7 juillet 2006 : La Commission <strong>des</strong> affaires juridiques et <strong>des</strong> Droits de l’Homme de<br />

l’Assemblée parlem<strong>en</strong>taire du Conseil de l’<strong>Europe</strong> publie un rapport et <strong>des</strong> recommandations<br />

sur les « Allégations de dét<strong>en</strong>tions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de dét<strong>en</strong>us<br />

concernant <strong>des</strong> Etats membres du Conseil de l’<strong>Europe</strong> ».<br />

10 jan<strong>vie</strong>r 2007 : Spiegel Online titre : « Un magistrat mi<strong>la</strong>nais r<strong>en</strong>d <strong>la</strong> CIA nerveuse. Faisant<br />

fi de l’opposition de son gouvernem<strong>en</strong>t, il a décidé de <strong>pour</strong>suivre 26 ag<strong>en</strong>ts US et cinq ag<strong>en</strong>ts<br />

secrets itali<strong>en</strong>s <strong>pour</strong> <strong>en</strong>lèvem<strong>en</strong>t d’un terroriste présumé, Nasr Oussama Mustafa Hassan, alias<br />

Abu Omar. Rome et Washington préfèr<strong>en</strong>t se défausser de ce procès gênant. »<br />

Juin 2007 : Dick Marty, rapporteur suisse de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> affaires juridiques et <strong>des</strong><br />

Droits de l’Homme du Conseil de l’<strong>Europe</strong>, remet son rapport final sur les <strong>en</strong>quêtes<br />

concernant l’implication <strong>des</strong> pays europé<strong>en</strong>s dans les restitutions extraordinaires.<br />

Quel est l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Dans l’affaire <strong>des</strong> transferts extraordinaires, <strong>la</strong> polémique porte sur <strong>la</strong> conciliation <strong>des</strong> droits<br />

de l’homme et du devoir de l’Etat de protéger ses citoy<strong>en</strong>s et r<strong>en</strong>voie à <strong>des</strong> questions d’ordre<br />

juridique, moral et pratique. Quel est le statut juridique <strong>des</strong> « restitutions extraordinaires »?<br />

Sont-elles légales au regard du droit américain ou international ? Peuv<strong>en</strong>t-elles être<br />

moralem<strong>en</strong>t acceptables ? Sont-elles un recours nécessaire et efficace <strong>pour</strong> protéger <strong>la</strong> masse<br />

<strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s innoc<strong>en</strong>ts contre le terrorisme ?<br />

Il est difficile de démêler <strong>la</strong> définition juridique exacte d’une « restitution » d’avec d’autres<br />

questions telles que les expulsions ou <strong>la</strong> torture. Les «restitutions » ne sont pas nouvelles.<br />

Elles désign<strong>en</strong>t l’acte de remettre ou de «livrer » une personne d’une juridiction à une autre –<br />

comme dans une extradition, qui est une procédure transpar<strong>en</strong>te consistant à <strong>en</strong>voyer un<br />

suspect dans le pays où il est accusé d’une infraction grave. Une « restitution extraordinaire »<br />

est une opération secrète qui n’a toujours pas de définition bi<strong>en</strong> établie <strong>en</strong> droit international.<br />

Les personnes «restituées » sont souv<strong>en</strong>t livrées à <strong>des</strong> pays où les extraditions n’ont pas de<br />

fondem<strong>en</strong>t juridique. Contrairem<strong>en</strong>t à l’extradition, <strong>la</strong> nature secrète <strong>des</strong> restitutions signifie<br />

que les suspects n’ont aucune possibilité de faire légalem<strong>en</strong>t appel de <strong>la</strong> décision.<br />

Une «restitution extraordinaire » diffère égalem<strong>en</strong>t d’une expulsion. Des personnes peuv<strong>en</strong>t<br />

légalem<strong>en</strong>t être r<strong>en</strong>voyées dans leur pays d’origine <strong>pour</strong> diverses raisons – tandis que <strong>la</strong><br />

plupart <strong>des</strong> restitutions concern<strong>en</strong>t <strong>des</strong> suspects qui ont été arrêtés par <strong>des</strong> ag<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> poste<br />

dans un pays étranger ou qui ont été <strong>en</strong>voyés non pas dans leur pays, mais dans un pays<br />

complètem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> y être interrogés dans le secret. De son côté, <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion de<br />

l’ONU contre <strong>la</strong> torture recommande de ne pas r<strong>en</strong>voyer <strong>des</strong> suspects s’il y a risque de torture<br />

ou d’exécution. La polémique sur les restitutions extraordinaires est doublem<strong>en</strong>t compliquée<br />

par le fait qu’elles sont invariablem<strong>en</strong>t associées à <strong>la</strong> torture.<br />

Au début de <strong>la</strong> « guerre contre <strong>la</strong> terreur », avec l’invasion de l’Afghanistan, les déf<strong>en</strong>seurs<br />

<strong>des</strong> droits de l’homme se sont surtout inquiétés du traitem<strong>en</strong>t réservé aux «combattants<br />

<strong>en</strong>nemis illégaux » dét<strong>en</strong>us au c<strong>en</strong>tre de Guantanamo Bay. Puis, <strong>en</strong> 2004 et 2005, plusieurs<br />

rapports ont attiré l’att<strong>en</strong>tion sur <strong>des</strong> vols secrets de restitution, <strong>en</strong> particulier sur <strong>la</strong><br />

col<strong>la</strong>boration de gouvernem<strong>en</strong>ts europé<strong>en</strong>s avec <strong>la</strong> CIA <strong>pour</strong> permettre à ces «vols<br />

18


fantômes »d’utiliser <strong>des</strong> aérodromes europé<strong>en</strong>s et d’autres infrastructures <strong>pour</strong> organiser le<br />

transport de suspects vers <strong>des</strong> pays tiers où ils devai<strong>en</strong>t être soumis à <strong>des</strong> interrogatoires<br />

spéciaux. Les protestations <strong>des</strong> Droits de l’homme visai<strong>en</strong>t deux cibles majeures : d’abord les<br />

actions US moralem<strong>en</strong>t injustifiées et illégales du point de vue du droit international, et<br />

<strong>en</strong>suite <strong>la</strong> coopération active <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts europé<strong>en</strong>s avec les États-Unis.<br />

En 2004, l’ambassadeur britannique <strong>en</strong> Ouzbékistan, Craig Murray, s’inquiétait <strong>des</strong> vols de<br />

restitution qui avai<strong>en</strong>t permis de transporter <strong>des</strong> suspects <strong>en</strong> Ouzbékistan <strong>pour</strong> interrogatoire.<br />

Rappelé à l’ordre <strong>pour</strong> s’être exprimé <strong>en</strong> public sans autorisation, il a été relevé de son poste<br />

<strong>en</strong> octobre 2004. En juillet 2006, <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> affaires juridiques et <strong>des</strong> Droits de<br />

l’Homme du Conseil de l’<strong>Europe</strong> a publié un rapport dans lequel elle dénonce les « dét<strong>en</strong>tions<br />

secrètes et transferts interétatiques illégaux <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>». En jan<strong>vie</strong>r 2007 à Mi<strong>la</strong>n, <strong>des</strong><br />

magistrats itali<strong>en</strong>s ont <strong>en</strong>gagé <strong>des</strong> <strong>pour</strong>suites contre <strong>des</strong> ag<strong>en</strong>ts itali<strong>en</strong>s et américains <strong>pour</strong> leur<br />

rôle dans <strong>des</strong> <strong>en</strong>lèvem<strong>en</strong>ts et <strong>des</strong> vols de restitution. En juin 2007, Dick Marty, rapporteur<br />

suisse de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> affaires juridiques et <strong>des</strong> Droits de l’Homme du Conseil de<br />

l’<strong>Europe</strong>, a remis son rapport final sur les <strong>en</strong>quêtes de <strong>la</strong> Commission, et affirmé avoir réuni<br />

suffisamm<strong>en</strong>t de preuves <strong>pour</strong> r<strong>en</strong>dre crédibles les allégations concernant l’implication <strong>des</strong><br />

pays europé<strong>en</strong>s dans les restitutions extraordinaires.<br />

Les déf<strong>en</strong>seurs <strong>des</strong> droits de l’homme voi<strong>en</strong>t dans les procédures <strong>en</strong>gagées (comme à Mi<strong>la</strong>n)<br />

<strong>des</strong> « mesurettes» tardives <strong>pour</strong> réparer une grave injustice. Ils réc<strong>la</strong>m<strong>en</strong>t plus<br />

d’investigations appr<strong>of</strong>ondies et veul<strong>en</strong>t que les conclusions de ces <strong>en</strong>quêtes soi<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dues<br />

massivem<strong>en</strong>t publiques. Dans l’autre camp, emm<strong>en</strong>é par Silvio Berlusconi, Tony B<strong>la</strong>ir et <strong>des</strong><br />

gouvernem<strong>en</strong>ts d’<strong>Europe</strong> ori<strong>en</strong>tale, onestime que seule une action décisive et conjuguée de<br />

l’<strong>Europe</strong> et <strong>des</strong> États-Unis permettra de gagner <strong>la</strong> « guerre contre <strong>la</strong> terreur ». A leurs yeux,<br />

<strong>des</strong> <strong>en</strong>quêtes dans les zones d’ombre <strong>des</strong> vols de restitution ne feront que détourner l’att<strong>en</strong>tion<br />

de missionscapitales: <strong>la</strong> déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> innoc<strong>en</strong>ts.<br />

Au cœur de <strong>la</strong> polémique sur les restitutions, il y a les questions éthiques <strong>en</strong> re<strong>la</strong>tion avec le<br />

secret, <strong>la</strong> dét<strong>en</strong>tion sans jugem<strong>en</strong>t et <strong>la</strong> torture. Pour les militants <strong>des</strong> droits de l’homme, si les<br />

États-Unis livr<strong>en</strong>t les suspects à <strong>des</strong> pays « tiers », c’est avant tout parce que les services de<br />

r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de ces pays us<strong>en</strong>t de métho<strong>des</strong> d’interrogatoire extrêmes qui serai<strong>en</strong>t illégales,<br />

ou hautem<strong>en</strong>t embarrassantes si elles étai<strong>en</strong>t appliquées aux États-Unis, et parce qu’ils<br />

tortur<strong>en</strong>t les suspects, une pratique interdite aux États-Unis. Les partisans <strong>des</strong> restitutions<br />

prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t au contraire que les restitutions n’ont ri<strong>en</strong> à voir avec <strong>la</strong> torture et qu’elles sont<br />

efficaces car les interrogatoires sont m<strong>en</strong>és par <strong>des</strong> experts dotés de compét<strong>en</strong>ces linguistiques<br />

et d’un savoir culturel que l’on ne trouve pas aux États-Unis.<br />

La dét<strong>en</strong>tion et le transport <strong>en</strong> secret de suspects dét<strong>en</strong>us sans jugem<strong>en</strong>t sont un autre<br />

problème. Selon un principe juridique fondam<strong>en</strong>tal <strong>en</strong> vigueur depuis longtemps, une<br />

personne accusée ou suspectée d’avoir <strong>des</strong> int<strong>en</strong>tions malveil<strong>la</strong>ntes a le droit d’être inculpée<br />

<strong>pour</strong> une infraction précise ou libérée au terme d’une dét<strong>en</strong>tion limitée dans le temps ; tout<br />

accusé a le droit d’avoir un représ<strong>en</strong>tant légal et ses amis et sa famille celui de savoir où il est<br />

dét<strong>en</strong>u. Ce principe ne s’applique pas aux suspects transférés secrètem<strong>en</strong>t dans le cadre <strong>des</strong><br />

vols de restitution.<br />

Les argum<strong>en</strong>ts contre les restitutions s’appui<strong>en</strong>t sur <strong>des</strong> considérations morales et pratiques.<br />

Dans le passé, beaucoup de suspects ont été «internés » sans procès – <strong>des</strong> Allemands <strong>en</strong><br />

Grande-Bretagne ou <strong>des</strong> Japonais aux États-Unis p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> Seconde Guerre mondiale ou,<br />

plus près de nous, <strong>des</strong> membres présumés de l’IRA <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du nord dans les années 1970.<br />

Tout porte à croire que <strong>la</strong> méthode est totalem<strong>en</strong>t inefficace, et l’histoire fourmille d’exemples<br />

19


de g<strong>en</strong>s dét<strong>en</strong>us sur <strong>la</strong> base de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts douteux. En Ir<strong>la</strong>nde du nord, par exemple,<br />

l’internem<strong>en</strong>t était un moy<strong>en</strong> de gagner de nouvelles recrues à <strong>la</strong> cause républicaine. Pour<br />

leurs opposants, les restitutions extraordinaires sont tout simplem<strong>en</strong>t inefficaces.<br />

Ils souti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t que beaucoup de «terroristes présumés » sont les victimes innoc<strong>en</strong>tes<br />

d’erreurs d’id<strong>en</strong>tité ou de fausses accusations et qu’<strong>en</strong> outre, les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts obt<strong>en</strong>us par<br />

<strong>des</strong> techniques d’interrogatoires extrêmes sont sans valeur car les suspects confess<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

crimes qu’ils n’ont pas commis ou livr<strong>en</strong>t <strong>des</strong> informations qu’ils sav<strong>en</strong>t fausses. La capture<br />

d’un chef d’al-Qaeda, Ibn al-Shaykh al-Libi, <strong>en</strong> 2002, est un exemple. Il a été livré à l’Egypte,<br />

où il aurait été torturé. L’administration Bush s’est ser<strong>vie</strong> <strong>des</strong> informations obt<strong>en</strong>ues lors de<br />

son interrogatoire <strong>pour</strong> justifier l’invasion de l’Irak. Par <strong>la</strong> suite, Al-Libi devait avouer avoir<br />

donné <strong>des</strong> «informations » sur les li<strong>en</strong>s <strong>en</strong>tre al-Qaeda et le régime de Saddam Hussein<br />

uniquem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> faire cesser les interrogatoires.<br />

Il n’est pas rare d’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> dirigeants mondiaux sout<strong>en</strong>ir que les mesures spéciales sont<br />

efficaces dans <strong>la</strong> « lutte contre <strong>la</strong> terreur » et se justifi<strong>en</strong>t par un besoin désespéré de protéger<br />

les popu<strong>la</strong>tions contre les dangers sans précéd<strong>en</strong>ts que constitue le terrorisme international – il<br />

faut mettre <strong>en</strong> ba<strong>la</strong>nce les droits humains <strong>des</strong> terroristes présumés avec les droits de<br />

l’écrasante majorité de citoy<strong>en</strong>s respectueux de <strong>la</strong> loi qui veul<strong>en</strong>t vivre sans être les cibles de<br />

tueurs-kamikazes. Tout comme il est souv<strong>en</strong>t nécessaire de limiter les droits légaux et les<br />

libertés civiles <strong>en</strong> temps de guerre, argum<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t-ils, il est nécessaire de déf<strong>en</strong>dre les civils<br />

contre les actes terroristes. Or l’argum<strong>en</strong>t ne ti<strong>en</strong>t que si l’on part du principe que les mesures<br />

d’urg<strong>en</strong>ce comme les restitutions sont réellem<strong>en</strong>t efficaces <strong>pour</strong> neutraliser <strong>la</strong> m<strong>en</strong>ace<br />

terroriste.<br />

L’argum<strong>en</strong>t selon lequel les restitutions et les dét<strong>en</strong>tions secrètes sont contreproductives, y<br />

compris <strong>pour</strong> <strong>des</strong> raisons pratiques, va plus loin. Beaucoup d’observateurs considèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

effet que le recours à <strong>des</strong> mesures spéciales secrètes hors du système judiciaire conv<strong>en</strong>tionnel<br />

ne fait qu’ébranler l’adhésion et <strong>la</strong> soumission de l’opinion publique au droit. Elles<br />

affaibliss<strong>en</strong>t <strong>la</strong> confiance dans <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>, dans le monde arabe comme <strong>en</strong> occid<strong>en</strong>t. Ce<br />

type d’action peut de fait susciter beaucoup plus de nouvelles vocations terroristes que les<br />

restitutions ne peuv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> neutraliser. Et <strong>pour</strong>tant… là <strong>en</strong>core, il con<strong>vie</strong>nt de mettre ce g<strong>en</strong>re<br />

d’argum<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ba<strong>la</strong>nce avec <strong>la</strong> thèse de ceux qui affirm<strong>en</strong>t que le monde a changé et que<br />

l’écrasante majorité <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s approuverait frénétiquem<strong>en</strong>t les mesures spéciales s’il s’avérait<br />

qu’elles ont permis de déjouer une opération comme celle du 11 septembre 2001. Mais le<br />

permettrai<strong>en</strong>t-elles seulem<strong>en</strong>t ?<br />

Une autre position est-elle possible, qui ne se réduirait pas à un choix cruel <strong>en</strong>tre <strong>la</strong> lutte<br />

contre le terrorisme et <strong>la</strong> protection <strong>des</strong> droits humains <strong>des</strong> terroristes?Il ne fait aucun doute<br />

qu’un travail considérable a déjà été réalisé <strong>pour</strong> é<strong>la</strong>borer une troisième voie. La Conv<strong>en</strong>tion<br />

du Conseil de l’<strong>Europe</strong> sur <strong>la</strong> prév<strong>en</strong>tion du terrorisme, par exemple, est fondée sur le<br />

principe qu’il est possible et nécessaire de lutter contre le terrorisme tout <strong>en</strong> respectant les<br />

droits humains, les libertés fondam<strong>en</strong>tales et <strong>la</strong> préémin<strong>en</strong>ce du droit. Des comm<strong>en</strong>tateurs ont<br />

<strong>pour</strong> leur part avancé que, si l’on veut mettre un terme au terrorisme, on ne <strong>pour</strong>ra pas éviter<br />

de traiter les questions et les problèmes qui ont conduit <strong>des</strong> individus à se tourner vers le<br />

terrorisme. Pour d’autres, le terrorisme est un crime et à ce titre, il doit être traité comme<br />

n’importe quel autre crime. Ce<strong>la</strong> signifie qu’il faut pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> mesures effectives plutôt que<br />

d’avoir recours à une riposte militaire d’<strong>en</strong>vergure. Dans <strong>la</strong> section suivante, vous trouverez<br />

une diversité de points de vue sur ces questions. Certains sont sujets à controverse, d’autres<br />

reflèt<strong>en</strong>t <strong>la</strong> position <strong>des</strong> dirigeants de pays qui ont fait de <strong>la</strong> «guerre contre <strong>la</strong> terreur » leur fer<br />

20


de <strong>la</strong>nce, d’autres <strong>en</strong>fin critiqu<strong>en</strong>t <strong>la</strong> position adoptée par ces gouvernem<strong>en</strong>ts. Et vous, que<br />

p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Une diversité de points de vue<br />

Conseil du vice-présid<strong>en</strong>t Al Gore au présid<strong>en</strong>t Clinton, lors d’un <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> privé à <strong>la</strong><br />

Maison b<strong>la</strong>nche à propos du projet d’<strong>en</strong>lèvem<strong>en</strong>t d’un terroriste présumé et de <strong>la</strong><br />

position du droit international :<br />

«Ça tombe sous le s<strong>en</strong>s. Bi<strong>en</strong> sûr que c’est une vio<strong>la</strong>tion du droit international. C’est bi<strong>en</strong><br />

<strong>pour</strong> ça que l’opération doit rester secrète. Mais ce type est un terroriste. Mettez-lui <strong>la</strong> main<br />

<strong>des</strong>sus. »<br />

Comm<strong>en</strong>taire attribué à un anci<strong>en</strong> ag<strong>en</strong>t traitant de <strong>la</strong> CIA, Bob Baer, <strong>en</strong> 2006:<br />

«Si vous voulez un interrogatoire sérieux, <strong>en</strong>voyez le prisonnier <strong>en</strong> Jordanie. Si vous voulez<br />

qu’il soit torturé, <strong>en</strong>voyez-le <strong>en</strong> Syrie. Et si vous voulez le faire disparaître, <strong>en</strong>voyez-le <strong>en</strong><br />

Egypte.»<br />

Comm<strong>en</strong>taire de juillet 2005 de Craig Murray, ambassadeur britannique <strong>en</strong><br />

Ouzbékistan depuis août 2002 et démis de ses fonctions <strong>en</strong> octobre 2004 :<br />

«J’ai vu les matériels de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t remis à <strong>la</strong> CIA et au MI3 par les services de <strong>la</strong><br />

sécurité ouzbek. La plupart étai<strong>en</strong>t faux. L’int<strong>en</strong>tion était invariablem<strong>en</strong>t d’exagérer <strong>la</strong><br />

m<strong>en</strong>ace is<strong>la</strong>miste <strong>en</strong> Ouzbékistan et d’associer l’opposition ouzbek à al-Qaeda. Le chef de <strong>la</strong><br />

section de <strong>la</strong> CIA disait que les données avai<strong>en</strong>t probablem<strong>en</strong>t été obt<strong>en</strong>ues sous <strong>la</strong> torture,<br />

mais <strong>pour</strong> <strong>la</strong> CIA, ce n’était pas un problème. »<br />

Article de David Ignatius dans le Washington Post du 9 mars 2005 :<br />

«En tr<strong>en</strong>te ans de journalisme dans le r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t, je n’ai pas r<strong>en</strong>contré un seul barbouze<br />

qui ignorait que <strong>la</strong> torture est généralem<strong>en</strong>t contreproductive. Les experts <strong>en</strong> interrogatoires<br />

sav<strong>en</strong>t qu’on avoue n’importe quoi sous <strong>la</strong> douleur. Les informations obt<strong>en</strong>ues sous <strong>la</strong> torture<br />

ne sont généralem<strong>en</strong>t pas fiables – <strong>en</strong> plus d’être immorales. »<br />

A <strong>la</strong> fin du même article, Ignatius écrit :<br />

«Avant de porter un jugem<strong>en</strong>t commode sur les restitutions, répondez donc à <strong>la</strong> question<br />

embarrassante que m’a posée un anci<strong>en</strong> ag<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> CIA : ‘Supposons que Mohammed Atta<br />

ait été capturé par le FBI avant le 11 septembre 2001. D’après les lois américaines de<br />

l’époque, celui qui a organisé les att<strong>en</strong>tats suici<strong>des</strong> n’aurait probablem<strong>en</strong>t pas pu être dét<strong>en</strong>u<br />

ni interrogé aux États-Unis. Aurait-il été logique de le transférer dans un autre pays où il<br />

aurait pu être interrogé de manière à éviter le 11 septembre?’ Je n’ai pas de réponse simple à<br />

cette question, même si je reste convaincu que <strong>la</strong> torture n’est jamais <strong>la</strong> bonne solution. »<br />

Rapport 2006 sur «l’externalisation de <strong>la</strong> torture » du Human Rights Watch :<br />

«Même si un individu est soupçonné de terrorisme, il est illégal de l’<strong>en</strong>voyer là où il risque<br />

d’être torturé. Les gouvernem<strong>en</strong>ts ont consci<strong>en</strong>ce de l’interdiction juridique qui pèse sur<br />

l’<strong>en</strong>voi de suspects dans ces pays et ils veul<strong>en</strong>t <strong>des</strong> garanties écrites –ils veul<strong>en</strong>t avoir<br />

‘l’assurance diplomatique’ que le suspect ne sera pas torturé s’il est transféré. Mais ces<br />

garanties sont insuffisantes. »<br />

Réponse de <strong>la</strong> secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice aux critiques visant <strong>la</strong><br />

politique de Bush, décembre 2005 :<br />

«Les restitutions mett<strong>en</strong>t les terroristes hors de combat. Elles sauv<strong>en</strong>t <strong>des</strong> <strong>vie</strong>s. »<br />

21


Jamie Gorelick, anci<strong>en</strong> attorney général adjoint américain et membre de <strong>la</strong> Commission<br />

du 11 Septembre, t<strong>en</strong>te d’expliquer les difficultés de trouver un moy<strong>en</strong> juste et efficace<br />

de traiter les terroristes présumés :<br />

«C’est un gros problème. Au pénal, soit on <strong>pour</strong>suit les suspects, soit on les relâche. Ce que<br />

nous ne pouvons pas toujours faire avec <strong>des</strong> individus pot<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t dangereux. Mais si on<br />

applique <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> qui ne permett<strong>en</strong>t pas une mise <strong>en</strong> exam<strong>en</strong>, on échoue dans un no<br />

man’s <strong>la</strong>nd juridique. Que voulez-vous qu’on fasse de ces individus ?»<br />

Comm<strong>en</strong>taire d’Eberhard Bayer, un magistrat allemand, <strong>en</strong> jan<strong>vie</strong>r 2007 :<br />

«Bi<strong>en</strong> sûr que les <strong>en</strong>jeux politiques sont énormes dans cette affaire. Mais un crime, même<br />

politique, reste un crime. »<br />

Point de vue d’un anci<strong>en</strong> juriste de <strong>la</strong> CIA, John Radsan <strong>en</strong> 2006 :<br />

En tant que société, nous n’avons pas <strong>en</strong>core réussi à définir un cadre juridique général. Il<br />

n’existe pas vraim<strong>en</strong>t de règles sur <strong>la</strong> manière de traiter avec les combattants <strong>en</strong>nemis<br />

illégaux. C’est <strong>la</strong> loi de <strong>la</strong> jungle. Et <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t, les Etats-Unis sont les rois de cette<br />

jungle. »<br />

Rapport de juillet 2006 de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> affaires juridiques et <strong>des</strong> Droits de<br />

l’Homme de l’Assemblée parlem<strong>en</strong>taire du Conseil de l’<strong>Europe</strong> sur les « Allégations de<br />

dét<strong>en</strong>tions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de dét<strong>en</strong>us concernant <strong>des</strong><br />

Etats membres du Conseil de l’<strong>Europe</strong> » :<br />

«La Commission s’inquiète de <strong>la</strong> conduite <strong>des</strong> États-Unis et <strong>des</strong> Etats membres de l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne. Elle recommande l’établissem<strong>en</strong>t de: mesures communes de protection accrue<br />

<strong>des</strong> droits de l’homme <strong>des</strong> personnes soupçonnées d’actes terroristes qui sont capturées,<br />

dét<strong>en</strong>ues ou transportées sur le territoire d’Etats membres du Conseil de l’<strong>Europe</strong> ; et un<br />

<strong>en</strong>semble d’obligations minimales propres à <strong>des</strong> c<strong>la</strong>uses de protection <strong>des</strong> droits de l’homme<br />

qui serai<strong>en</strong>t incluses dans les accords bi<strong>la</strong>téraux et multi<strong>la</strong>téraux conclus avec <strong>des</strong> tierces<br />

parties, notamm<strong>en</strong>t ceux concernant l’utilisation d’instal<strong>la</strong>tions militaires sur le territoire <strong>des</strong><br />

Etats membres du Conseil de l’<strong>Europe</strong>. »<br />

Que p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Si vous étiez responsable du service de conseil juridique du gouvernem<strong>en</strong>t et que<br />

vous ayez été informé de l’immin<strong>en</strong>ce d’un acte terroriste, auriez-vous autorisé les<br />

«interrogatoires spéciaux» de suspects dont les services de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts<br />

considèr<strong>en</strong>t qu’ils déti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>des</strong> informations capitales ?<br />

Si vous étiez un musulman modéré, comm<strong>en</strong>t auriez-vous réagi <strong>en</strong> appr<strong>en</strong>ant qu’un<br />

de vos voisins a disparu et a été transféré à l’étranger par un vol de restitution ?<br />

Peut-on justifier de maint<strong>en</strong>ir <strong>des</strong> prisonniers <strong>en</strong> dét<strong>en</strong>tion <strong>pour</strong> une durée illimitée<br />

sans les <strong>pour</strong>suivre devant les tribunaux ?<br />

22


ETUDE DE CAS N° 2 : Après <strong>la</strong> chute d’un régime totalitaire,<br />

faut-il détruire les fichiers de <strong>la</strong> police secrète ou ouvrir les<br />

archives <strong>pour</strong> que <strong>la</strong> société puisse faire face à son passé ?<br />

Mihai Manea et Robert Stradling<br />

Contexte<br />

Par définition, un régime totalitaire veut contrôler tous les aspects de <strong>la</strong> <strong>vie</strong>. Comme l’a<br />

observé le militant <strong>des</strong> droits humains Rainer Hildebrandt <strong>en</strong> 1948, tout régime communiste a<br />

besoin d’une police secrète <strong>pour</strong> surveiller <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. La plupart <strong>des</strong> régimes, y compris<br />

les <strong>démocratie</strong>s libérales, dispos<strong>en</strong>t de services de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts qui gard<strong>en</strong>t un œil sur les<br />

activités d’individus et de groupes considérés comme subversifs ou comme une m<strong>en</strong>ace <strong>pour</strong><br />

<strong>la</strong> sécurité nationale. Les principales différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre ces services et <strong>la</strong> police secrète dans les<br />

régimes totalitaires résid<strong>en</strong>t dans :<br />

l’échelle de leurs opérations,<br />

le cadre légal fixant les limites de leur liberté d’action,<br />

<strong>la</strong> mesure où le processus démocratique et une justice indép<strong>en</strong>dante les ti<strong>en</strong>t<br />

responsables de leurs agissem<strong>en</strong>ts<br />

les limites posées à leurs agissem<strong>en</strong>ts par l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t du régime à respecter les<br />

droits humains de l’individu.<br />

La question de l’échelle <strong>des</strong> opérations est ess<strong>en</strong>tielle ici. Dans les régimes totalitaires, <strong>la</strong><br />

police secrète doit, <strong>pour</strong> être efficace, s’appuyer sur <strong>des</strong> c<strong>en</strong>taines de milliers de citoy<strong>en</strong>s qui,<br />

de gré ou de force, seront «ses yeux et ses oreilles» – <strong>des</strong> informateurs prêts à les r<strong>en</strong>seigner<br />

sur les activités et les opinions de leurs voisins, collègues de travail, <strong>en</strong>seignants, et même sur<br />

les membres de leurs familles. La pratique n’était pas courante seulem<strong>en</strong>t dans les pays<br />

communistes. Dans <strong>la</strong> Russie tsariste d’avant <strong>la</strong> révolution, <strong>la</strong> police avait <strong>des</strong> espions dans<br />

chaque îlot d’habitation de Saint-Pétersbourg et de Moscou. La gestapo a adopté <strong>des</strong> tactiques<br />

simi<strong>la</strong>ires p<strong>en</strong>dant tout le III e Reich, puis dans les pays occupés p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> Seconde Guerre<br />

mondiale.<br />

P<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> Guerre froide, deux <strong>des</strong> polices secrètes les plus redoutées au monde avec le<br />

Comité à <strong>la</strong> sécurité de l’Etat <strong>en</strong> Union soviétique (KGB), étai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> Stasi est-allemande et <strong>la</strong><br />

Securitate roumaine. Le Ministerium für Staatssicherheit (MfS), connu sous le nom de Stasi<br />

(du mot allemand Staatssicherheit, ‘sécurité de l’Etat’) était <strong>la</strong> police secrète et le service de<br />

r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> République démocratique allemande (RDA). Créée <strong>en</strong> 1950, elle pr<strong>en</strong>ait<br />

modèle sur le ministère soviétique de <strong>la</strong> Sécurité de l’Etat (MGB), auquel succèdera le KGB.<br />

La Stasi était le Schild und Schwert der Partei – le bouclier et l’épée du Parti :<strong>en</strong> l’occurr<strong>en</strong>ce<br />

le Parti socialiste unifié d’Allemagne (Sozialistische Einheitspartei Deutsch<strong>la</strong>nds, SED), nom<br />

adopté par les communistes allemands après <strong>la</strong> fusion <strong>en</strong> 1946 du Parti communiste et du<br />

Parti social-démocrate dans <strong>la</strong> zone soviétique de l’Allemagne occupée.<br />

La Securitate, de son nom <strong>of</strong>ficiel Departam<strong>en</strong>tul Securităii Statului (Départem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong><br />

sécurité de l’Etat), était <strong>la</strong> police secrète de <strong>la</strong> Roumanie communiste. Fondée le 30 août 1948<br />

sur les conseils avisés d’ag<strong>en</strong>ts soviétiques du KGB, elle avait <strong>pour</strong> mission <strong>of</strong>ficielle de<br />

«déf<strong>en</strong>dre les conquêtes de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> et d’assurer <strong>la</strong> sécurité de <strong>la</strong> République popu<strong>la</strong>ire<br />

roumaine contre les <strong>en</strong>nemis intérieurs et extérieurs » .Par rapport au nombre d’habitants, <strong>la</strong><br />

Securitate avait les plus gros effectifs de toutes les polices secrètes du bloc communiste.<br />

23


En RDA, <strong>la</strong> Stasi s’était infiltrée presque partout. En 1989, on estimait ses effectifs à 91 000<br />

sa<strong>la</strong>riés à plein temps et 300 000 informateurs. De plus, <strong>la</strong> Stasi s’est ser<strong>vie</strong> de ses ag<strong>en</strong>ts <strong>pour</strong><br />

infiltrer et saper le gouvernem<strong>en</strong>t et les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts ouest-allemands. En Roumanie, <strong>la</strong><br />

Securitate aurait eu <strong>en</strong>viron 14000 ag<strong>en</strong>ts à plein temps, et 400 000 à 700 000 informateurs à<br />

temps partiel. Même si le nombre exact <strong>des</strong> col<strong>la</strong>borateurs a varié dans les années 1970-1980,<br />

ces chiffres rest<strong>en</strong>t élevés <strong>pour</strong> un pays qui ne compte que 22 millions d’habitants. 6<br />

Chronologie<br />

La Stasi <strong>en</strong> RDA La Securitate <strong>en</strong> Roumanie<br />

1945 : Division de l’Allemagne vaincue <strong>en</strong><br />

quatre zones d’occupation. La zone<br />

soviétique occupe <strong>la</strong> majeure partie de l’est<br />

de l’Allemagne.<br />

1946 : Après <strong>la</strong> défaite du Parti communiste<br />

aux premières élections alleman<strong>des</strong> depuis <strong>la</strong><br />

fin de <strong>la</strong> guerre, l’Urss demande au premier<br />

secrétaire du PC allemand, Walter Ulbricht,<br />

de fusionner avec le Parti social démocrate<br />

dans <strong>la</strong> zone soviétique. Création du Parti<br />

socialiste unifié (SED).<br />

1948 : Début du blocus de Berlin. L’Urss<br />

ayant bloqué les voies d’accès terrestre à<br />

Berlin-Ouest, les Alliés mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce un<br />

pont aéri<strong>en</strong> <strong>pour</strong> approvisionner <strong>la</strong> ville.<br />

1949 : Fondation de <strong>la</strong> République fédérale<br />

allemande (RFA) à partir <strong>des</strong> trois zones<br />

d’occupation américaine, française et<br />

britannique. Les Soviétiques ripost<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

créant <strong>la</strong> RDA dans le secteur est.<br />

1950 : Création de <strong>la</strong> Stasi, dirigée par<br />

Wilhelm Zaisser et Erich Mielke (directeur<br />

adjoint).<br />

1953 : Ernst Wollweber succède à W.<br />

Zaisser, congédié, à <strong>la</strong> direction de <strong>la</strong> Stasi.<br />

1957 : Erich Mielke, directeur de <strong>la</strong> Stasi,<br />

<strong>pour</strong>suit une politique plus active<br />

d’infiltration <strong>des</strong> milieux politiques et<br />

économiques ouest-allemands par ses<br />

services. Dirigée par Markus Wolf, <strong>la</strong> HVA<br />

(section d’espionnage et de contreespionnage)<br />

prospère rapidem<strong>en</strong>t.<br />

24<br />

1945 : Etablissem<strong>en</strong>t d’un gouvernem<strong>en</strong>t<br />

prosoviétique à Bucarest.<br />

1947 : Abdication du roi Michel et<br />

proc<strong>la</strong>mation de <strong>la</strong> République popu<strong>la</strong>ire de<br />

Roumanie.<br />

1948 : Création de <strong>la</strong> Securitate, <strong>en</strong> étroite<br />

col<strong>la</strong>boration avec <strong>des</strong> <strong>of</strong>ficiers du KGB. Le<br />

poste de directeur est confié au général<br />

Gheorghe Pintilie (dit Pantiusa), sout<strong>en</strong>u par<br />

deux <strong>of</strong>ficiers soviétiques nommés directeurs<br />

adjoints.<br />

1951 :La Securitate, dont les effectifs ont été<br />

augm<strong>en</strong>tés, <strong>pour</strong>chasse les opposants au<br />

régime – les «<strong>en</strong>nemis de c<strong>la</strong>sse » sont<br />

<strong>en</strong>voyés dans <strong>des</strong> prisons spéciales,<br />

généralem<strong>en</strong>t sans mandat ni procès ni<br />

<strong>en</strong>quête.<br />

1964 :Le gouvernem<strong>en</strong>t proc<strong>la</strong>me l’amnistie<br />

générale et libère 10 014 personnes. Mais les<br />

arrestations <strong>pour</strong> « conspiration contre l’ordre<br />

social » continu<strong>en</strong>t. La Securitate augm<strong>en</strong>te<br />

massivem<strong>en</strong>t le nombre de ses informateurs.<br />

1965 : Nico<strong>la</strong>e Ceausescu premier secrétaire<br />

du parti et chef de l’Etat.<br />

Années 1980 : Le mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t se répand<br />

parmi les Roumains au fur et à mesure que <strong>la</strong><br />

situation économique se dégrade et que le<br />

peuple découvre les restrictions alim<strong>en</strong>taires<br />

et énergétiques. La Securitate procède à <strong>des</strong><br />

arrestations massives de dissid<strong>en</strong>ts.<br />

6 Source : The Cold War International History Project, Woodrow Wilson C<strong>en</strong>ter, Washington DC,<br />

USA


1969 : Le Parti social démocrate de RFA<br />

(SPD) conduit par l’ex-maire de Berlin Willy<br />

Brandt accède au pouvoir grâce à une<br />

coalition avec les libéraux démocrates. Il se<br />

fait remarquer par sa Ostpolitik, qui vise à<br />

améliorer les re<strong>la</strong>tions avec le bloc<br />

soviétique, <strong>en</strong> particulier <strong>la</strong> RDA.<br />

1974 : Le chancelier Willy Brandt<br />

démissionne suite à un scandale : un de ses<br />

assistants personnels, Günter Guil<strong>la</strong>ume, était<br />

<strong>en</strong> fait un espion à <strong>la</strong> solde de <strong>la</strong> Stasi.<br />

Années 1970 : La Stasi souti<strong>en</strong>t activem<strong>en</strong>t<br />

<strong>des</strong> groupes terroristes de gauche, dont <strong>la</strong><br />

Fraction Armée Rouge (bande à Baader). Elle<br />

organise aussi le sauvetage de politici<strong>en</strong>s<br />

chili<strong>en</strong>s après le coup d’état militaire qui<br />

porte le général Pinochet au pouvoir.<br />

1986 : Werner Grossman succède à Markus<br />

Wolf.<br />

1989 : La Stasi est rebaptisée Amt für<br />

Nationale Sicherheit (Office <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sûreté<br />

nationale)<br />

Sept. 1989 : A Leipzig, <strong>la</strong> police réprime les<br />

manifestations contre le régime de <strong>la</strong> RDA.<br />

10 nov. 1989 : Chute du Mur de Berlin ;<br />

200000 Allemands de l’Est pass<strong>en</strong>t à Berlin<br />

Ouest.<br />

3 oct. 1990 : L’Est et l’Ouest de l’Allemagne<br />

sont réunis <strong>pour</strong> <strong>la</strong> première fois depuis 1945.<br />

Quel est l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

25<br />

1987 : L’armée et <strong>la</strong> Securitate réprim<strong>en</strong>t<br />

dans <strong>la</strong> viol<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> manifestations<br />

d’ouvriers à Brasov.<br />

1989 : La Securitate <strong>en</strong>voie <strong>des</strong> unités briser<br />

les manifestations contre le gouvernem<strong>en</strong>t à<br />

Timisoara (Transylvanie). Elles tir<strong>en</strong>t sur <strong>la</strong><br />

foule et tu<strong>en</strong>t 17 manifestants.<br />

Déc. 1989 : Suite aux événem<strong>en</strong>ts de<br />

Timisoara, <strong>des</strong> manifestations ont lieu dans<br />

tout le pays ; elles se sold<strong>en</strong>t par <strong>des</strong> batailles<br />

rangées <strong>en</strong>tre les manifestants (parmi eux <strong>des</strong><br />

soldats) et <strong>la</strong> Securitate à Bucarest. La<br />

dictature communiste de Ceausescu est<br />

r<strong>en</strong>versée. Le présid<strong>en</strong>t et sa femme sont<br />

arrêtés, jugés et fusillés le 25 décembre.<br />

1990 :Ion Iliescu et le Front de salut national<br />

(FSN) remport<strong>en</strong>t les élections<br />

présid<strong>en</strong>tielles. La Securitate est démantelée,<br />

elle est remp<strong>la</strong>cée par les Services de<br />

r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts roumains.<br />

2003 : Les Roumains vot<strong>en</strong>t <strong>la</strong> nouvelle<br />

constitution par refer<strong>en</strong>dum <strong>en</strong> vue de<br />

l’adhésion à l’Union europé<strong>en</strong>ne.<br />

Avril 2005 : La Roumanie signe le Traité<br />

d’adhésion à l’Union europé<strong>en</strong>ne.<br />

2006 :Un rapport <strong>of</strong>ficiel fait état de deux<br />

millions de Roumains persécutés ou exécutés<br />

par le régime communiste.<br />

Jan<strong>vie</strong>r 2007 : La Roumanie adhère à<br />

l’Union europé<strong>en</strong>ne.<br />

Personne ne conteste sérieusem<strong>en</strong>t que <strong>la</strong> police secrète a joué un rôle significatif dans les<br />

régimes totalitaires <strong>en</strong> vio<strong>la</strong>nt les droits civils et politiques <strong>des</strong> popu<strong>la</strong>tions et <strong>en</strong> instaurant un<br />

climat de peur et de méfiance dans <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> pays anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t<br />

communistes, <strong>la</strong> nécessité de démanteler les services de sécurité de l’anci<strong>en</strong> régime ne fait<br />

guère polémique, même si de nouveaux services de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts les ont remp<strong>la</strong>cés.<br />

Les questions qui divisai<strong>en</strong>t l’opinion à l’époque comme aujourd’hui, concern<strong>en</strong>t :<br />

les actions à <strong>en</strong>gager contre les <strong>of</strong>ficiers <strong>des</strong> services de sécurité ;<br />

<strong>la</strong> <strong>des</strong>truction <strong>des</strong> dossiers de c<strong>en</strong>taines de milliers de citoy<strong>en</strong>s ou l’ouverture <strong>des</strong><br />

archives <strong>pour</strong> id<strong>en</strong>tifier les informateurs et leurs victimes ;<br />

les <strong>pour</strong>suites év<strong>en</strong>tuelles à <strong>en</strong>gager contre les personnes occupant <strong>des</strong> postes de<br />

pouvoir qui ont col<strong>la</strong>boré avec l’anci<strong>en</strong> régime, <strong>en</strong> particulier avec les forces de<br />

sécurité ;


les <strong>pour</strong>suites év<strong>en</strong>tuelles à <strong>en</strong>gager contre les informateurs de l’époque.<br />

Ce g<strong>en</strong>re de questions se pose après <strong>la</strong> chute de tout régime qui n’a eu de cesse de violer les<br />

droits de ses citoy<strong>en</strong>s. Après 1945, <strong>la</strong> question de savoir ce qu’il fal<strong>la</strong>it faire <strong>en</strong> Allemagne et<br />

<strong>en</strong> Italie n’a pas vraim<strong>en</strong>t suscité de polémique. Les décisions ont été prises par les puissances<br />

d’occupation, même si les limogeages <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s nazis et fascistes <strong>en</strong>core <strong>en</strong> poste ont varié<br />

<strong>en</strong> fonction de l’occupant. Les procédures appliquées aux col<strong>la</strong>borateurs <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s régimes<br />

étai<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t les mêmes dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> pays qui avai<strong>en</strong>t été occupés par les<br />

puissances de l’Axe. Ironie de l’histoire : dans certains pays ex-communistes, <strong>la</strong> décision de<br />

remettre les listes <strong>des</strong> col<strong>la</strong>borateurs de <strong>la</strong> gestapo à <strong>la</strong> nouvelle police secrète a conféré à<br />

cette dernière un pouvoir considérable dans les années 1940-1950.<br />

Le même problème s’est posé au Portugal et <strong>en</strong> Espagne après <strong>la</strong> chute de Sa<strong>la</strong>zar et de<br />

Franco. Puis une nouvelle fois après <strong>la</strong> légalisation <strong>des</strong> formations d’opposition jusque-là<br />

interdites <strong>en</strong> Afrique du Sud, lorsque <strong>la</strong> coalition ANC/IFP (Congrès national africain/Inkatha<br />

Freedom Party) s’est alliée au gouvernem<strong>en</strong>t b<strong>la</strong>nc, dominé par les Afrikaners, <strong>pour</strong> instaurer<br />

une nouvelle constitution démocratique multiraciale.<br />

Dans l’histoire contemporaine de l’<strong>Europe</strong>, on rec<strong>en</strong>se six moy<strong>en</strong>s différ<strong>en</strong>ts de résoudre le<br />

problème, et dans certains cas, les premiers gouvernem<strong>en</strong>ts, après une transition<br />

démocratique, <strong>en</strong> ont combiné deux ou plus, selon l’ampleur du problème. Le premier est <strong>la</strong><br />

«terreur », caractérisée par <strong>des</strong> vagues d’arrestations, d’exécutions et d’emprisonnem<strong>en</strong>ts<br />

sans jugem<strong>en</strong>t, ou l’exil. La Terreur évoque généralem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> Révolution française, mais elle a<br />

été appliquée de façon tout aussi impitoyable par les bolcheviks, à <strong>la</strong> fois contre les<br />

antirévolutionnaires après <strong>la</strong> guerre civile russe et plus tard contre ceux qu’ils soupçonnai<strong>en</strong>t<br />

d’être opposés à <strong>la</strong> modernisation, même s’ils étai<strong>en</strong>t au Parti communiste.<br />

Les <strong>pour</strong>suites pénales sont une autre option. Les condamnations al<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t de l’exécution pure<br />

et simple ou de longues peines d’emprisonnem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> les délits les plus graves, à <strong>la</strong> privation<br />

<strong>des</strong> bi<strong>en</strong>s <strong>pour</strong> les pr<strong>of</strong>iteurs ou le limogeage <strong>pour</strong> les petits fonctionnaires.<br />

La troisième option – amnistie inconditionnelle de tous ceux qui occupai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> postes de<br />

pouvoir sous Franco, qui avai<strong>en</strong>t col<strong>la</strong>boré <strong>pour</strong> leur propre pr<strong>of</strong>it ou qui avai<strong>en</strong>t été <strong>des</strong><br />

informateurs – a rarem<strong>en</strong>t été appliquée mais ce fut celle choisie par l’Espagne d’après<br />

Franco. A l’époque, elle fut <strong>la</strong>rgem<strong>en</strong>t décrite comme l’option «de l’amnistie et de<br />

l’amnésie ». Si elle a été possible, c’est uniquem<strong>en</strong>t parce que le dernier gouvernem<strong>en</strong>t<br />

franquiste a joué un rôle actif dans les négociations <strong>pour</strong> une transition démocratique.<br />

La quatrième option – <strong>la</strong> création d’une Commission de <strong>la</strong> vérité et de <strong>la</strong> réconciliation – est<br />

celle ret<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> Afrique du Sud par l’ANC, qui est arrivé au pouvoir à l’issue d’élections<br />

démocratiques. L’archevêque Desmond Tutu et le présid<strong>en</strong>t Mande<strong>la</strong> ont tout fait <strong>pour</strong><br />

convaincre l’opinion publique de choisir cette option plutôt que les représailles à l’<strong>en</strong>contre<br />

<strong>des</strong> oppresseurs et de leurs col<strong>la</strong>borateurs d’hier. Le but était de faire v<strong>en</strong>ir les victimes et<br />

leurs bourreaux devant <strong>la</strong> Commission <strong>pour</strong> les am<strong>en</strong>er à parler de ce qui s’était passé et à se<br />

réconcilier.<br />

La cinquième solution est celle choisie par <strong>la</strong> Grèce lors de <strong>la</strong> proc<strong>la</strong>mation de <strong>la</strong> république.<br />

Les dossiers ont été sortis <strong>des</strong> archives et brûlés sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce publique, de sorte que personne<br />

ne puisse s’<strong>en</strong> servir (m<strong>en</strong>aces, pressions, chantage) contre quiconque.<br />

La dernière option est celle qui a été <strong>la</strong>rgem<strong>en</strong>t utilisée <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale<br />

(PECO) depuis l’effondrem<strong>en</strong>t du communisme : il s’agit <strong>des</strong> lois dites de «lustration», qui<br />

consiste à vérifier les antécéd<strong>en</strong>ts d’une personne. Le mot est dérivé du <strong>la</strong>tin lustratio, qui<br />

26


signifie purification rituelle, lui-même dérivé du mot <strong>la</strong>tin lustro, examiner. Au milieu <strong>des</strong><br />

années 1990, <strong>des</strong> lois de lustration (ou vérification) ont ainsi été adoptées dans les PECO :<br />

Pays Baltes, République tchèque, République slovaque, Hongrie, Pologne, Allemagne,<br />

Roumanie, Bulgarie, Albanie, Russie et Ukraine.<br />

Dans <strong>la</strong> plupart de ces pays, ces lois ont permis à un ministère, ou à une commission<br />

parlem<strong>en</strong>taire ou indép<strong>en</strong>dante, d’examiner les dossiers conservés dans les archives de <strong>la</strong><br />

police secrète ; elles ont aussi, parfois, permis au Parti Communiste de vérifier si un<br />

fonctionnaire <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce ou un candidat à <strong>la</strong> fonction publique avait travaillé <strong>pour</strong> <strong>la</strong> police<br />

secrète ou col<strong>la</strong>boré avec elle (ou <strong>des</strong> ag<strong>en</strong>ts de l’Urss) <strong>en</strong> tant qu’informateurs. Certaines<br />

vérifications ont abouti à <strong>des</strong> <strong>pour</strong>suites judiciaires, d’autres ont <strong>en</strong>traîné une interdiction de<br />

travailler dans <strong>la</strong> fonction publique p<strong>en</strong>dant une période donnée. Plus généralem<strong>en</strong>t, les<br />

anci<strong>en</strong>s col<strong>la</strong>borateurs ont été contraints de faire leur «coming out » <strong>en</strong> public et couverts<br />

d’opprobre, mais n’ont pas été <strong>pour</strong>suivis. En fait, <strong>la</strong> méthode est progressivem<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ue<br />

une arme politique pot<strong>en</strong>tielle <strong>pour</strong> les gouvernem<strong>en</strong>ts comme <strong>pour</strong> les partis d’opposition.<br />

Chose intéressante, dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> pays d’<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale, le fait d’avoir été<br />

<strong>en</strong>carté au Parti Communiste ou d’avoir travaillé <strong>pour</strong> le régime communiste n’empêche<br />

personne d’occuper <strong>des</strong> fonctions publiques aujourd’hui.<br />

Quels sont les principaux argum<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> faveur <strong>des</strong> lois de lustration et <strong>des</strong> <strong>pour</strong>suites<br />

<strong>en</strong>gagées contre les informateurs et col<strong>la</strong>borateurs <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s régimes communistes ?<br />

1. Bi<strong>en</strong> que <strong>des</strong> institutions démocratiques ai<strong>en</strong>t été mises <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce et que le nouveau<br />

gouvernem<strong>en</strong>t ait été librem<strong>en</strong>t et régulièrem<strong>en</strong>t élu, l’appareil d’Etat, les<br />

administrations locales et les syndicats sont virtuellem<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>tiques à <strong>la</strong> bureaucratie<br />

qui a prévalu sous l’anci<strong>en</strong> régime. On part du principe que ces g<strong>en</strong>s risqu<strong>en</strong>t de<br />

ral<strong>en</strong>tir le processus de réforme oude le faire capoter.<br />

2. Le processus de vérification garantit que <strong>la</strong> nouvelle élite politique n’est pas<br />

corrompue par le passé.<br />

3. Il importe que chacun puisse connaître <strong>la</strong> vérité sur le passé. Deux mobiles sont <strong>en</strong><br />

œuvre ici : les citoy<strong>en</strong>s ont vécu sous un régime totalitaire qui rev<strong>en</strong>diquait le<br />

monopole de <strong>la</strong> vérité, qui usait de <strong>la</strong> c<strong>en</strong>sure et de <strong>la</strong> désinformation, et qui se servait<br />

de <strong>la</strong> police de <strong>la</strong> sûreté <strong>pour</strong> asseoir son pouvoir monopolistique. Dès lors, il est<br />

compréh<strong>en</strong>sible que les g<strong>en</strong>s souhait<strong>en</strong>t l’ouverture <strong>des</strong> archives <strong>pour</strong> savoir qui les a<br />

dénoncés aux autorités. Parallèlem<strong>en</strong>t, les partisans de <strong>la</strong> lustration font valoir le droit<br />

à l’information: le droit d’avoir connaissance <strong>des</strong> informations cont<strong>en</strong>ues dans leur<br />

dossier et le droit de connaître le passé <strong>des</strong> candidats aux élections avant de voter ou<br />

non <strong>pour</strong> eux.<br />

4. La lustration est un processus nécessaire <strong>pour</strong> bâtir <strong>la</strong> confiance dans le nouveau<br />

régime et dans les hauts fonctionnaires.<br />

5. On a beaucoup dit que si les archives secrètes ne sont pas ouvertes et les<br />

conclusions de leur exam<strong>en</strong> r<strong>en</strong>dues publiques, il existe un vrai risque que <strong>des</strong><br />

candidats à <strong>la</strong> fonction publique fass<strong>en</strong>t l’objet de chantage et soi<strong>en</strong>t vulnérables aux<br />

pressions une fois qu’ils accèderont à <strong>des</strong> postes de pouvoir.<br />

6. Dans certains pays, <strong>en</strong> particulier ceux annexés par l’Union soviétique (les Pays<br />

Baltes par exemple), ces vérifications ont égalem<strong>en</strong>t été considérées comme un<br />

27


moy<strong>en</strong> de contrôler le degré de loyauté <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s à l’Etat d’après 1989, <strong>en</strong> particulier<br />

s’ils sont susceptibles d’avoir travaillé <strong>pour</strong> le KGB ou d’autres services soviétiques<br />

sous le régime précéd<strong>en</strong>t et sont suspectés d’activités antigouvernem<strong>en</strong>tales depuis<br />

1989-1990.<br />

7. Dans les premières années après <strong>la</strong> période de transition démocratique, ces<br />

vérifications, si elles sont légales et adaptées, empêcheront les dénonciations<br />

mutuelles <strong>en</strong>tre candidats politiques dans <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> pays d’<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et<br />

ori<strong>en</strong>tale.<br />

Quels sont les argum<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> opposants aux lois dites delustration ?<br />

1. Un certain nombre de pays ex-communistes ont fait le ménage dans leur police<br />

secrète et leurs autres services de <strong>la</strong> sécurité interne dans les mois qui ont suivi <strong>la</strong><br />

transition, et avant l’adoption <strong>des</strong> lois de lustration. On ne saura jamais avec certitude<br />

si ceux qui sont restés <strong>en</strong> poste aurai<strong>en</strong>t sapé le processus démocratique, puisque les<br />

révocations résultant directem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> loi lustration ont été peu nombreuses<br />

comparées à celles dues aux purges antérieures.<br />

2. Le parti communiste n’est pas interdit dans certains pays, il continue de participer<br />

aux élections, et parfois, il a rejoint d’autres partis politiques dans <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts<br />

de coalition. On ignore donc jusqu’à quel point <strong>la</strong> loi de lustration garantit que les<br />

nouvelles élites politiques ne sont pas corrompues par le passé. Dans <strong>la</strong> pratique, <strong>la</strong><br />

lustration ne sert jamais son objectif, dis<strong>en</strong>t certains.<br />

3. Pour certains critiques, les lois de lustration viol<strong>en</strong>t les droits de l’homme. La<br />

Commission d’Helsinki <strong>pour</strong> les droits de l’homme, créée <strong>pour</strong> surveiller les atteintes<br />

à ces droits dans les pays communistes, estime que nul ne devrait être criminalisé ou<br />

puni <strong>pour</strong> une infraction commise sous un régime antérieur, à une époque où cette<br />

infraction n’était pas punie par <strong>la</strong> loi. Pour <strong>la</strong> Commission, ce<strong>la</strong> re<strong>vie</strong>ndrait à r<strong>en</strong>dre<br />

un acte rétrospectivem<strong>en</strong>t illégal, ce que condamn<strong>en</strong>t les conv<strong>en</strong>tions internationales<br />

sur les droits de l’homme. Elle observe égalem<strong>en</strong>t que <strong>la</strong> loi de vérification impute à<br />

<strong>la</strong> personne mise <strong>en</strong> exam<strong>en</strong> d’apporter <strong>la</strong> preuve de son innoc<strong>en</strong>ce au lieu de<br />

demander à <strong>la</strong> commission qui l’a citée de prouver sa culpabilité. De son point de<br />

vue, il est extrêmem<strong>en</strong>t difficile, lors de l’exam<strong>en</strong> de dossiers constitués par un<br />

régime totalitaire, de distinguer c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre innoc<strong>en</strong>t et coupable dans une<br />

situation où une même personne pouvait être les deux à <strong>la</strong> fois.<br />

4. Certains considèr<strong>en</strong>t qu’il ne serait peut-être pas judicieux de se fier à <strong>des</strong> dossiers<br />

produits par <strong>la</strong> police de sécurité quand on ignore les motivations de ceux qui les ont<br />

constitués. Ils font référ<strong>en</strong>ce à une pratique courante dans <strong>la</strong> police, qui consiste à<br />

inv<strong>en</strong>ter <strong>des</strong> informations défavorables à certaines personnes qui se montr<strong>en</strong>t critiques<br />

<strong>en</strong>vers le régime ou même une mesure, <strong>pour</strong> pouvoir les faire chanter.<br />

5. Enfin, certains affirm<strong>en</strong>t que les lois de lustration <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t saper <strong>la</strong> confiance de<br />

l’opinion dans le nouveau régime démocratique si elle a le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que les<br />

politiques se sont servis <strong>des</strong> archives <strong>pour</strong> dénicher <strong>des</strong> informations visant à<br />

discréditer leurs opposants et détracteurs.<br />

28


Une diversité de points de vue<br />

Vac<strong>la</strong>v Havel, auteur et premier Présid<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> République tchèque, était favorable au<br />

processus de lustration :<br />

«… notre société a grand besoin d’affronter son passé, de se défaire de ceux qui ont terrorisé<br />

<strong>la</strong> nation et ont manifestem<strong>en</strong>t violé les droits de l’homme, et de les révoquer <strong>des</strong> postes qu’ils<br />

occup<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core. »<br />

Mais on rapporte qu’il aurait dit plus tard :<br />

«Je crois qu’il serait dangereux de révéler les noms de tous ceux qui ont eu un li<strong>en</strong><br />

quelconque avec <strong>la</strong> police – peu importe quand et <strong>pour</strong>quoi. C’est une bombe qui peut nous<br />

exploser à <strong>la</strong> figure à tout mom<strong>en</strong>t et contaminer une nouvelle fois le climat social, inciter au<br />

fanatisme, à <strong>des</strong> actes malveil<strong>la</strong>nts, à l’illégalité et à l’injustice… Nous devons être capables<br />

d’affronter notre passé, de le nommer, d’<strong>en</strong> tirer <strong>des</strong> conclusions et de r<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> justice ; mais<br />

nous devons le faire avec honnêteté, considération, tact, générosité et imagination. Ceux qui<br />

reconnaiss<strong>en</strong>t leur culpabilité et se rep<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t devrai<strong>en</strong>t être pardonnés.»<br />

L’écrivain espagnol Jorge Semprun a écrit <strong>pour</strong>quoi les Espagnols ont été si nombreux à<br />

préférer oublier le passé dans <strong>la</strong> périoded’après Franco :<br />

«Si l’on veut vivre normalem<strong>en</strong>t, il faut oublier. Sinon les fantômes du passé risqu<strong>en</strong>t<br />

d’empoisonner <strong>la</strong> <strong>vie</strong> publique p<strong>en</strong>dant <strong>des</strong> années. »<br />

Cité dans Adam Michnik & V<strong>la</strong>c<strong>la</strong>v Havel, Confronting the Past, 1993<br />

Un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur tchèque a expliqué ce que son service<br />

p<strong>en</strong>sait <strong>des</strong> vérifications :<br />

«Je crois que ceux qui ont sciemm<strong>en</strong>t col<strong>la</strong>boré, même s’ils n’ont ri<strong>en</strong> fait de mal, même s’ils<br />

n’étai<strong>en</strong>t que <strong>des</strong> pions, devrai<strong>en</strong>t être révoqués... Nous procédons à une sorte de nettoyage<br />

moral, <strong>pour</strong> débarrasser <strong>la</strong> société de ceux qui se sont eux-mêmes compromis. Et l’un de nos<br />

critères est que les g<strong>en</strong>s n’aurai<strong>en</strong>t pas dû col<strong>la</strong>borer avec <strong>la</strong> StB, <strong>la</strong> Sécurité d’Etat, <strong>en</strong><br />

connaissance de cause – c’est aussi simple que ce<strong>la</strong>. » (Lawr<strong>en</strong>ce Weschler, The Velvet Purge<br />

(1992))<br />

Position prés<strong>en</strong>tée au Sénat polonais:<br />

«La révocation <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s ag<strong>en</strong>ts et col<strong>la</strong>borateurs <strong>des</strong> services de sécurité nommés à de<br />

hautes fonctions d’Etat, associée à <strong>la</strong> promulgation de mesures légales <strong>pour</strong> les empêcher<br />

d’assumer de telles fonctions à l’av<strong>en</strong>ir, répond à un besoin fondam<strong>en</strong>tal de justice et est une<br />

condition ess<strong>en</strong>tielle <strong>pour</strong> que <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> se développe sans risque <strong>en</strong> Pologne.»(Charles<br />

Bertshci, East <strong>Europe</strong>an Quarterly, XXVIII (1995).<br />

L’histori<strong>en</strong> britannique Timothy Garton Ash, spécialiste de l’histoire moderne <strong>des</strong> pays<br />

d’<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale, a comm<strong>en</strong>té <strong>en</strong> ces termes les lois de lustration :<br />

«Après 1989, les leaders de l’après Solidarnosc, issus (grosso modo) de <strong>la</strong> gauche libérale,<br />

ont émis plusieurs argum<strong>en</strong>ts contre une reconnaissance publique du passé communiste et les<br />

lois de lustration. Au départ, ils ont formé un gouvernem<strong>en</strong>t de coalition avec <strong>des</strong><br />

communistes qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de céder pacifiquem<strong>en</strong>t le pouvoir, et l’Armée rouge était <strong>en</strong>core<br />

là. Il y avait <strong>des</strong> choses plus urg<strong>en</strong>tes à faire : bâtir l’économie de marché, <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong><br />

libérale et l’Etat de droit. Au-delà de ce<strong>la</strong>, certains d’<strong>en</strong>tre eux, dont Adam Michnik, militant<br />

29


influ<strong>en</strong>t de Solidarnosc et auteur politique, prônai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> ‘méthode espagnole’. Comme<br />

l’Espagne après Franco, <strong>la</strong> Pologne d’après Jaruzelski devait oublier le passé. Avec le recul,<br />

on peut dire que ce fut un échec. En fait, le seul <strong>en</strong>droit où, à ma connaissance, elle a<br />

fonctionné, c’est <strong>en</strong> Espagne, et même là-bas, il y a eu un prix à payer. Dans tous les pays qui<br />

n’ont pas su affronter unpassé épineux, les politiques actuelles sont empoisonnées par ce<br />

passé. »<br />

Article paru dans le quotidi<strong>en</strong> britannique The Guardian, 24 mai 2007.<br />

Ralf Dahr<strong>en</strong>dorf, universitaire et anci<strong>en</strong> commissaire europé<strong>en</strong> :<br />

«Un pays qui sort d’un régime totalitaire ou d’une dictature devrait comm<strong>en</strong>cer par poser les<br />

fondations de l’av<strong>en</strong>ir, puis s’attaquer à son passé. D’abord mettre <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong><br />

libérale, l’économie de marché et l’Etat de droit, comme l’Allemagne de l’Ouest dans les<br />

années 1950 et <strong>la</strong> Pologne dans les années 1990, et <strong>en</strong>suite résoudre les problèmes de son<br />

passé réc<strong>en</strong>t. »<br />

Le Bureau International du Travail a critiqué certaines lois de lustration au motif<br />

qu’elles:<br />

«peuv<strong>en</strong>t violer <strong>des</strong> lois sur l’emploi, <strong>en</strong> particulier si l’on ne dispose pas du droit de faire<br />

appel de <strong>la</strong> décision avant d’être démis de son poste. »<br />

Pour Adam Michnik, un <strong>des</strong> leaders de l’opposition au régime communiste <strong>en</strong> Pologne:<br />

«Il est absurde que le critère absolu et ultime qui permette de juger qu’une personne a les<br />

qualités requises <strong>pour</strong> occuper certains fonctions dans une <strong>démocratie</strong> dép<strong>en</strong>de <strong>des</strong> dossiers<br />

internes de <strong>la</strong> police secrète. »<br />

Joanna Rohozinska, C<strong>en</strong>tre de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> est-europé<strong>en</strong>ne, Varso<strong>vie</strong>, Pologne, écrit à<br />

propos du problème soulevé par Michnik :<br />

«La t<strong>en</strong>dance à pr<strong>en</strong>dre <strong>pour</strong> arg<strong>en</strong>t comptant les dossiers compilés par l’anci<strong>en</strong> régime<br />

<strong>la</strong>isse perplexe. Lorsque ce système était au pouvoir, il a certainem<strong>en</strong>t alim<strong>en</strong>té <strong>la</strong> suspicion et<br />

<strong>la</strong> méfiance à son égard, y compris de ceux qui travail<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t à l’intérieur du système. Pourquoi<br />

faire cas d’un régime discrédité aujourd’hui ?»<br />

Elle fait égalem<strong>en</strong>t référ<strong>en</strong>ce à l’audition de Lech Walesa et aux docum<strong>en</strong>ts selon<br />

lesquels le leader de Solidarnosc aurait pactisé avec <strong>la</strong> police secrète :<br />

«Concernant Walesa, il a été interrogé sur l’id<strong>en</strong>tité d’un informateur répondant au nom de<br />

‘Bolek’, qui avait travaillé <strong>pour</strong> les services secrets de 1970 à 1976. […] Au cours du procès,<br />

[l’Office de <strong>la</strong> Protection de l’Etat (UOP)] a produit un rapport de 1985 de <strong>la</strong> SB [<strong>la</strong> police<br />

politique] sur les docum<strong>en</strong>ts fabriqués de toutes pièces <strong>pour</strong> compromettre Walesa, et qui<br />

insinuai<strong>en</strong>t qu’il avait pactisé avec <strong>la</strong> police politique communiste. D’après ce rapport, <strong>la</strong> SB a<br />

fabriqué de faux docum<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> années durant, y compris de fausses informations anonymes,<br />

dont Walesa aurait été l’auteur sous le pseudonyme de ‘Bolek’, et <strong>des</strong> reçus <strong>en</strong> paiem<strong>en</strong>t de<br />

ses services. Il a été démontré que ces matériels avai<strong>en</strong>t été utilisés <strong>en</strong> Pologne et à l’étranger,<br />

et qu’ils avai<strong>en</strong>t même été <strong>en</strong>voyés au comité du prix Nobel de <strong>la</strong> paix <strong>en</strong> 1982 <strong>pour</strong><br />

discréditer <strong>la</strong> candidature de Walesa (avec un certain succès puisque sa candidature a été<br />

reportée d’un an). […] La cour a disculpé Walesa. »<br />

30


Discours de Milos Zeman devant l’Assemblée fédérale tchèque <strong>en</strong> 1991, à propos du<br />

processus de «vérification »:<br />

«[Si] un candidat se prés<strong>en</strong>te à une charge publique, son électorat év<strong>en</strong>tuel a pleinem<strong>en</strong>t le<br />

droit de connaître tous les élém<strong>en</strong>ts pertin<strong>en</strong>ts qui le concern<strong>en</strong>t, et je considère comme un<br />

élém<strong>en</strong>t pertin<strong>en</strong>t le fait de savoir s’il a ou n’a pas col<strong>la</strong>boré avec le StB, s’il a un casier<br />

judiciaire, ou s’il souffre d’un mal incurable. En revanche, les électeurs sont libres de voter<br />

<strong>pour</strong> lui. »<br />

Réponse de Vojtech Cepl, juge de <strong>la</strong> Cour constitutionnelle aux critiques selon lesquelles<br />

un esprit de v<strong>en</strong>geance se cacherait derrière le processus de lustration <strong>en</strong> République<br />

tchèque :<br />

«Si notre motivation avait été <strong>la</strong> v<strong>en</strong>geance, nous aurions eu recours à <strong>des</strong> moy<strong>en</strong>s bi<strong>en</strong> plus<br />

efficaces <strong>pour</strong> infliger <strong>des</strong> sanctions plus lour<strong>des</strong> que <strong>des</strong> condamnations, <strong>des</strong> révocations et<br />

<strong>des</strong> réparations symboliques. »<br />

Que p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Dans toute l’<strong>Europe</strong>, de l’Ir<strong>la</strong>nde du nord au Kosovo, <strong>des</strong> hommes et <strong>des</strong> femmes essai<strong>en</strong>t de<br />

composer avec leur passé réc<strong>en</strong>t et le mal terrible que <strong>des</strong> concitoy<strong>en</strong>s se sont fait<br />

mutuellem<strong>en</strong>t, que ce soit <strong>en</strong>tre voisins, <strong>en</strong>tre collègues ou qu’ils ai<strong>en</strong>t occupé <strong>des</strong> postes de<br />

pouvoir et de confiance. Que devrai<strong>en</strong>t-ils faire :<br />

Devrai<strong>en</strong>t-ils, au nom de <strong>la</strong> justice et <strong>des</strong> droits de l’homme, ouvrir les archives et<br />

affronter publiquem<strong>en</strong>t le mal qu’ils se sont fait mutuellem<strong>en</strong>t ? ou<br />

Devrai<strong>en</strong>t-ils brûler les archives, t<strong>en</strong>ter d’oublier ce qui s’est passé et faire <strong>en</strong><br />

sorte que de tels événem<strong>en</strong>ts ne se reproduis<strong>en</strong>t plus jamais ?<br />

31


QUESTION CLE 2 : L’Etat doit-il protéger l’individu contre luimême<br />

?<br />

Robert Stradling<br />

L’Etat est l’organisation politique qui déti<strong>en</strong>t le monopole de <strong>la</strong> force légitime sur un territoire<br />

donné. Aujourd’hui, ce territoire coïncide généralem<strong>en</strong>t avec une zone géographique qui<br />

abrite une nation, de sorte que nous employons couramm<strong>en</strong>t le terme «Etat-nation ». Or ce<strong>la</strong><br />

n’a pas toujours été le cas. Il y a eu dans l’Histoire <strong>des</strong> villes-Etats, comme Athènes p<strong>en</strong>dant<br />

l’Antiquité ou Flor<strong>en</strong>ce au Moy<strong>en</strong> Age. Nous avons aussi eu <strong>des</strong> petits états gouvernés par <strong>des</strong><br />

princes ou <strong>des</strong> ducs, et non <strong>des</strong> monarques. Des territoires ont été conquis et dirigés par une<br />

puissance étrangère, et certains États ont établi de vastes empires qu’il leur fal<strong>la</strong>it gouverner.<br />

Même aujourd’hui, nous pouvons citer <strong>des</strong> pays, généralem<strong>en</strong>t d’anci<strong>en</strong>nes colonies, où<br />

coexist<strong>en</strong>t plusieurs gran<strong>des</strong> nationalités et où, si l’anarchie ou <strong>la</strong> guerre civile sont cont<strong>en</strong>ues,<br />

c’est uniquem<strong>en</strong>t parce que ceux qui sont au pouvoir dispos<strong>en</strong>t de plus d’armes et de forces de<br />

sécurité que les autres ou parce que les popu<strong>la</strong>tions accept<strong>en</strong>t un système de gouvernem<strong>en</strong>t<br />

qui ne discrimine pas certains groupes nationaux <strong>pour</strong> <strong>en</strong> favoriser d’autres.<br />

Dans <strong>la</strong> question clé précéd<strong>en</strong>te, nous avons vu qu’au fil <strong>des</strong> siècles, <strong>la</strong> bataille a été<br />

perman<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre les dét<strong>en</strong>teurs du pouvoir et les autres. Par bi<strong>en</strong> <strong>des</strong> côtés, l’histoire<br />

politique du monde a de tous temps tourné autour de <strong>la</strong> lutte <strong>pour</strong> le pouvoir et <strong>des</strong> t<strong>en</strong>tatives<br />

heureuses ou malheureuses <strong>des</strong> dominés de se protéger contre l’exercice du pouvoir arbitraire<br />

<strong>des</strong> dominants, que le régime ou l’Etat soit une monarchie ou une dictature établie par un<br />

<strong>des</strong>pote, une autocratie gouvernée par une élite ou une puissance d’occupation, une théocratie<br />

où les ecclésiastiques décid<strong>en</strong>t, ou une <strong>démocratie</strong> fondée sur une vision de <strong>la</strong> souveraineté<br />

popu<strong>la</strong>ire où d’une certaine manière les gouvernem<strong>en</strong>ts représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t «<strong>la</strong> volonté du peuple ».<br />

Cette notion de souveraineté popu<strong>la</strong>ire – du gouvernem<strong>en</strong>t par et <strong>pour</strong> le peuple –est née au<br />

Siècle <strong>des</strong> Lumières et a trouvé sa première expression dans les années qui ont suivi <strong>la</strong><br />

Révolution française. Au milieu du XIX e siècle, <strong>la</strong> volonté de vivre dans un Etat-nation<br />

gouverné par <strong>des</strong> chefs élus qui serai<strong>en</strong>t les représ<strong>en</strong>tants d’un peuple à son image – même<br />

nationalité, milieu social simi<strong>la</strong>ire – s’est répandue.<br />

A l’époque bi<strong>en</strong> sûr, «le peuple» ne vou<strong>la</strong>it pas dire tout le monde. Il désignait ceux qui<br />

avai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> intérêts dans le système politique – contribuables, propriétaires de bi<strong>en</strong>s<br />

immobiliers et propriétaires terri<strong>en</strong>s, hommes d’affaires, patrons d’usines et employeurs. Ce<br />

qu’ils vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t, c’était un Etat qui protègerait les frontières nationales contre toute m<strong>en</strong>ace<br />

étrangère, protègerait leurs bi<strong>en</strong>s, mainti<strong>en</strong>drait l’ordre, empêcherait les taxes et impôts<br />

d’augm<strong>en</strong>ter et leur permettrait de continuer à vivre leur <strong>vie</strong> et à m<strong>en</strong>er leurs affaires sans que<br />

l’Etat s’<strong>en</strong> mêle. En d’autres termes, ils vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t que le rôle de l’Etat soit réduit au strict<br />

minimum.<br />

Surtout : ils vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t une stricte séparation <strong>en</strong>tre sphère publique et sphère privée – les<br />

questions d’ordre religieux, moral et économique étant considérées par eux comme privées et<br />

ne regardant pas l’Etat. Même alors cep<strong>en</strong>dant, leur vision de cette séparation était<br />

ambival<strong>en</strong>te, et beaucoup sout<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t les lois qui imposai<strong>en</strong>t leur conception de <strong>la</strong> moralité au<br />

reste de <strong>la</strong> société <strong>en</strong> interdisant, par exemple, <strong>la</strong> prostitution, l’homosexualité, les jeux<br />

d’arg<strong>en</strong>t, le b<strong>la</strong>sphème, etc.<br />

Après <strong>la</strong> Grande Guerre (1914-1918) et <strong>la</strong> Révolution russe de 1917, <strong>la</strong> conception du rôle de<br />

l’Etat devait une nouvelle fois changer. Le régime tsariste ayant été r<strong>en</strong>versé <strong>en</strong> 1917, <strong>la</strong><br />

32


ourgeoisie russe espérait qu’il serait remp<strong>la</strong>cé par une forme d’Etat constitutionnel libéral,<br />

comme il <strong>en</strong> existait ailleurs <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> depuis <strong>la</strong> fin du XIX e siècle. Mais le chaos de <strong>la</strong><br />

guerre, les restrictions alim<strong>en</strong>taires et d’autres produits de base, l’augm<strong>en</strong>tation du coût de <strong>la</strong><br />

<strong>vie</strong> et les fermetures d’usines faute de matières premières eur<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> effet que l’opinion se<br />

radicalisa et devint hostile à une solution démocratique libérale <strong>pour</strong> résoudre ses problèmes.<br />

Le Parti bolchevik fut le premier à bénéficier de ce nouvel état d’esprit avec ses propositions :<br />

arrêt de <strong>la</strong> guerre, introduction de gran<strong>des</strong> réformes, remise <strong>des</strong> terres aux paysans et <strong>des</strong><br />

usines aux prolétaires, et transfert du pouvoir politique de <strong>la</strong> bourgeoisie aux so<strong>vie</strong>ts.<br />

L’esprit révolutionnaire gagna d’autres régions d’<strong>Europe</strong>, et <strong>en</strong> particulier l’Allemagne et <strong>la</strong><br />

Hongrie vaincues. Dans les pays vainqueurs aussi, le ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t était pr<strong>of</strong>ond, comme<br />

d’ailleurs le désir de changem<strong>en</strong>t social et politique. Les hommes qui rev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t d’une guerre<br />

que beaucoup jugeai<strong>en</strong>t inutile et les femmes qui avai<strong>en</strong>t fait tourner les industries locales <strong>en</strong><br />

l’abs<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> hommes, n’étai<strong>en</strong>t pas prêts à accepter <strong>la</strong> restauration de l’ordre qui préva<strong>la</strong>it<br />

avant-guerre. Ils rev<strong>en</strong>diquai<strong>en</strong>t le droit de vote et d’autres droits civils et politiques. Ce n’est<br />

pas un hasard si, dans nombre de pays, le droit de vote a été ét<strong>en</strong>du à presque tous les adultes<br />

dans les dix ans qui ont suivi <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> guerre de 14.<br />

La diffusion <strong>des</strong> idéologies socialistes et communistes et les conséqu<strong>en</strong>ces du krach de 1929<br />

eur<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> résultat que <strong>des</strong> popu<strong>la</strong>tions qui n’avai<strong>en</strong>t obt<strong>en</strong>u que le seul droit de vote<br />

att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t de l’Etat qu’il agisse davantage <strong>pour</strong> protéger le peuple <strong>des</strong> effets de <strong>la</strong> pauvreté,<br />

du chômage et de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die. La plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s libérales étai<strong>en</strong>t mal préparées à <strong>la</strong><br />

crise économique qui avait d’abord frappé les États-Unis avant de s’ét<strong>en</strong>dre au monde <strong>en</strong>tier<br />

<strong>en</strong>tre 1929 et 1933. Partant du principe que l’Etat était impuissant face à une telle situation, on<br />

estimait qu’il fal<strong>la</strong>it att<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> re<strong>la</strong>nce de l’économie et que les forces économiques<br />

résoudrai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> crise.<br />

En 1932, Franklin D. Roosevelt, élu à <strong>la</strong> présid<strong>en</strong>ce américaine, <strong>en</strong>tama une série de réformes<br />

sociales et économiques, connues sous le nom de New Deal, dans le cadre d’une politique<br />

interv<strong>en</strong>tionniste <strong>pour</strong> protéger les plus faibles, donner du travail et un sa<strong>la</strong>ire minimum aux<br />

Américains et stimuler l’économie. Vers 1935, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts occid<strong>en</strong>taux<br />

interv<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t activem<strong>en</strong>t dans leurs économies nationales.<br />

Tous ne vir<strong>en</strong>t pas l’interv<strong>en</strong>tion de l’Etat d’un bon œil. Les hommes d’affaires <strong>en</strong> particulier<br />

réagir<strong>en</strong>t très négativem<strong>en</strong>t à ce rôle accru de l’Etat. Certains transférèr<strong>en</strong>t leur arg<strong>en</strong>t à<br />

l’étranger, dans <strong>des</strong> pays où ils p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t qu’il serait plus à l’abri ; aux États-Unis, les milieux<br />

d’affaires combattir<strong>en</strong>t pied à pied chaque mesure du programme de réforme du Présid<strong>en</strong>t<br />

Roosevelt, et accusai<strong>en</strong>t publiquem<strong>en</strong>t les fonctionnaires d’être <strong>des</strong> ‘cryptocommunistes’<br />

(partisans occultes du communisme).<br />

En 1945, <strong>la</strong> majeure partie de l’<strong>Europe</strong> était exsangue : <strong>la</strong> guerre a fait plus de tr<strong>en</strong>te millions<br />

de morts etplusieurs millions de personnes dép<strong>la</strong>cées et de réfugiés, on vit au rythme <strong>des</strong><br />

cartes de rationnem<strong>en</strong>t et <strong>la</strong> production industrielle est réduite au tiers de son r<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>t<br />

annuel avant <strong>la</strong> guerre. L’<strong>Europe</strong> a un besoin vital de l’aide financière <strong>des</strong> États-Unis, mais<br />

les gouvernem<strong>en</strong>ts doiv<strong>en</strong>t aussi investir dans les économies nationales et les moderniser,<br />

payer <strong>des</strong> p<strong>en</strong>sions aux personnes âgées et aux invali<strong>des</strong> de guerres, et mettre <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce une<br />

sorte de système de sécurité sociale <strong>pour</strong> garantir un niveau minimum de santé et de<br />

protection sociale. Ils s’attelèr<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> tâche chacun à sa façon, mais tous – conservateurs,<br />

libéraux, sociaux-démocrates et communistes – sont interv<strong>en</strong>us dans <strong>la</strong> <strong>vie</strong> sociale et<br />

économique.<br />

33


Depuis cette époque, le débat sur le rôle de l’Etat et <strong>la</strong> frontière <strong>en</strong>tre <strong>vie</strong> publique et <strong>vie</strong><br />

privée – où l’Etat n’a pas sa p<strong>la</strong>ce – continue de faire rage. La réponse <strong>la</strong> plus extrême fut<br />

peut-être l’émerg<strong>en</strong>ce du totalitarisme au XX e siècle . Un système de gouvernem<strong>en</strong>t qui a <strong>des</strong><br />

élém<strong>en</strong>ts communs avec les dictatures et les autocraties – idéologie <strong>of</strong>ficielle, gouvernem<strong>en</strong>t<br />

dominé par un parti unique et une idéologie unique, police secrète et contrôle total de l’armée<br />

– mais qui possède <strong>en</strong> plus une caractéristique qui justifie le qualificatif de « totalitaire ».<br />

Traditionnellem<strong>en</strong>t, un Etat totalitaire cherche aussi à infiltrer et à contrôler quasim<strong>en</strong>t tous<br />

les aspects de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s: au travail, chez eux, à l’école, leurs pratiques<br />

religieuses et les clubs et associations dont ils sont membres. Dans un autre chapitre, nous<br />

avons vu que <strong>la</strong> mainmise sur les médias et <strong>la</strong> police secrète avec son armée d’informateurs<br />

sont <strong>la</strong> clé de voûte d’un Etat totalitaire.<br />

Or depuis cinquante ans, nous avons aussi pu voir que les <strong>démocratie</strong>s libérales t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t elles<br />

aussi, comme les régimes totalitaires, à s’immiscer dans nos <strong>vie</strong>s privées. Il est probable que<br />

<strong>la</strong> majorité de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion accepte que l’Etat ne se cont<strong>en</strong>te pas de veiller à <strong>la</strong> sécurité<br />

nationale, de faire régner l’ordre, de protéger les bi<strong>en</strong>s <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s et de veiller à ce que leurs<br />

libertés civiles et politiques soi<strong>en</strong>t respectées. On accepte couramm<strong>en</strong>t que l’Etat doit aussi<br />

jouer un rôle dans <strong>la</strong> satisfaction <strong>des</strong> besoins <strong>des</strong> personnes, dans <strong>la</strong> réduction de <strong>la</strong> pauvreté<br />

et <strong>la</strong> prév<strong>en</strong>tion de <strong>la</strong> discrimination <strong>pour</strong> <strong>des</strong> questions de race, d’appart<strong>en</strong>ance ethnique, de<br />

religion, de handicap physique et m<strong>en</strong>tal, de sexe ou de préfér<strong>en</strong>ces sexuelles.<br />

La plupart n’aurait ri<strong>en</strong> contre le fait que l’Etat réglem<strong>en</strong>te les activités de l’industrie et du<br />

commerce, afin d’éviter que les consommateurs qui pai<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> <strong>des</strong> bi<strong>en</strong>s et <strong>des</strong> services<br />

soi<strong>en</strong>t victimes d’escroqueries, et qu’il veille à ce que <strong>la</strong> production d’équipem<strong>en</strong>ts et<br />

d’alim<strong>en</strong>ts ne nuise pas à notre santé ou à l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Et de fait, les déc<strong>la</strong>rations et<br />

conv<strong>en</strong>tions internationales sur les Droits de l’homme demand<strong>en</strong>t désormais à tous les Etats<br />

signataires de garantir toute une série de droits sociaux et économiques <strong>des</strong> individus (comme<br />

nous l’avons vu dans un autre chapitre).<br />

Faisons une pause et essayons de dresser <strong>la</strong> liste <strong>des</strong> lois qui limit<strong>en</strong>t notre liberté de choisir.<br />

On p<strong>en</strong>sera sûrem<strong>en</strong>t aux lois qui, par exemple, interdis<strong>en</strong>t de circuler à moto sans casque, de<br />

circuler <strong>en</strong> voiture sans ceinture de sécurité, de consommer ou de v<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> drogues comme<br />

le cannabis, de l’ecstasy, <strong>la</strong> marijuana et l’héroïne, de fumer dans les lieux publics, de<br />

s’<strong>en</strong>ivrer, de se garer sur un emp<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t non autorisé, de monter dans les transports publics<br />

sans billet, d’être polygame (ou polyandre), de sécher les cours, de faire du nudisme sur une<br />

p<strong>la</strong>ge publique, de brûler le drapeau national, de se prostituer ou d’exercer certaines<br />

pr<strong>of</strong>essions sans diplômes (juridiques, médicales ou éducatives par ex.)<br />

Pourquoi l’introduction de ces lois a-t-elle été sujette à controverse et sur quelles bases ontelles<br />

été farouchem<strong>en</strong>t contestées ?<br />

Traditionnellem<strong>en</strong>t, un esprit libéral estime que l’Etat a le droit d’interv<strong>en</strong>ir dans <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée<br />

et d’interdire certains types de comportem<strong>en</strong>t si ce<strong>la</strong> permet d’éviter que A fasse du tort à B,<br />

mais il n’a pas le droit d’interv<strong>en</strong>ir si <strong>la</strong> seule personne à qui A est susceptible de faire du tort,<br />

c’est lui-même. Cep<strong>en</strong>dant, le même esprit libéral admet généralem<strong>en</strong>t qu’il y a <strong>des</strong><br />

exceptions. Par exemple, l’interv<strong>en</strong>tion de l’Etat peut être légitime <strong>pour</strong> empêcher A de faire<br />

quelque chose si A ne mesure pas totalem<strong>en</strong>t les risques év<strong>en</strong>tuels ou a de tels problèmes<br />

d’appr<strong>en</strong>tissage qu’il n’est pas capable de compr<strong>en</strong>dre les risques qu’il <strong>en</strong>court. Pour <strong>des</strong><br />

raisons simi<strong>la</strong>ires, les libéraux admett<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t que dans certains cas, il con<strong>vie</strong>nt<br />

d’empêcher les jeunes <strong>en</strong>fants de se faire du mal à eux-mêmes.<br />

34


Ce qui est <strong>en</strong> jeu ici, c’est <strong>la</strong> conviction que l’Etat devrait si possible éviter d’interv<strong>en</strong>ir dans<br />

<strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s, lesquels devrai<strong>en</strong>t être libres d’exercer leur autonomie ou <strong>en</strong> droit de décider<br />

par eux-mêmes sur <strong>des</strong> questions qui ne concern<strong>en</strong>t qu’eux (personnellem<strong>en</strong>t ou leur famille)<br />

et ne port<strong>en</strong>t préjudice à personne d’autre.<br />

Or, tout dép<strong>en</strong>d de ce que l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par «faire du tort ». Ici, « faire du tort », ne s’est jamais<br />

rapporté aux blessures physiques. Les libéraux du XIX e siècle att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t de l’Etat qu’il<br />

agisse <strong>pour</strong> que personne ne se fasse voler ses bi<strong>en</strong>s et <strong>en</strong> souffre. Ils admettai<strong>en</strong>t aussi que <strong>la</strong><br />

calomnie pouvait faire du tort à <strong>la</strong> réputation d’un tiers – et que <strong>la</strong> loi devrait protéger <strong>la</strong><br />

réputation d’une personne de fausses accusations et fausses déc<strong>la</strong>rations.<br />

La calomnie peut faire du tort, sur un p<strong>la</strong>n émotionnel ou psychologique, et le XX e siècle a vu<br />

émerger un nouvel argum<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveur de l’interv<strong>en</strong>tion de l’Etat. En l’occurr<strong>en</strong>ce, il<br />

s’agissait d’empêcher les propos ou les actes <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sants contre un groupe social donné. Les<br />

<strong>démocratie</strong>s libérales les plus modernes se sont dotées de lois qui les interdis<strong>en</strong>t. Sont<br />

généralem<strong>en</strong>t inclus les actes et les propos à caractère raciste ou sexiste, ou susceptibles d’être<br />

injurieux <strong>pour</strong> un groupe ethnique ou religieux.<br />

Certains ont aussi fait valoir qu’il y a <strong>des</strong> circonstances où l’Etat doit interv<strong>en</strong>ir <strong>pour</strong> interdire<br />

à une chose d’arriver, même si personne ne subit de tort physique, psychologique ou<br />

économique et que son autonomie personnelle n’est pas restreinte, par exemple <strong>en</strong> cas de<br />

comportem<strong>en</strong>t jugé moralem<strong>en</strong>t honteux car portant atteinte à <strong>la</strong> dignité <strong>des</strong> personnes.<br />

Pr<strong>en</strong>ons le cas de l’esc<strong>la</strong>vage. Pour les libéraux anti-esc<strong>la</strong>vagistes, l’esc<strong>la</strong>ve n’a pas ou peu<br />

d’autonomie personnelle et on peut lui faire du tort. Maint<strong>en</strong>ant, <strong>pour</strong> aller dans le s<strong>en</strong>s de cet<br />

argum<strong>en</strong>t, imaginez une société qui pratique <strong>en</strong>core l’esc<strong>la</strong>vage, puis imaginez qu’un homme<br />

pauvre, qui vit dans une société gouvernée par <strong>des</strong> dirigeants qui pratiqu<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core<br />

l’esc<strong>la</strong>vage, se propose comme esc<strong>la</strong>ve contre de l’arg<strong>en</strong>t qu’il <strong>pour</strong>ra donner à sa famille.<br />

Ayant gagné <strong>la</strong> confiance de son maître, il finit par être traité comme un membre de <strong>la</strong><br />

famille. Il mange à sa table, il est rémunéré <strong>pour</strong> son travail et peut <strong>en</strong>voyer de l’arg<strong>en</strong>t à sa<br />

propre famille. Il n’est pas maltraité et il est aussi libre de décider de sa <strong>vie</strong> que ceux qui<br />

travaill<strong>en</strong>t <strong>en</strong> hommes et <strong>en</strong> femmes libres <strong>pour</strong> son patron.<br />

Dans ce cas précis, l’esc<strong>la</strong>ve ne subit aucun tort physique ni psychologique du fait de son<br />

statut et son autonomie est plus grande que lorsqu’il était libre, certes, mais pauvre. Si on lui<br />

pose <strong>la</strong> question, cet esc<strong>la</strong>ve répondra probablem<strong>en</strong>t qu’il vit mieux maint<strong>en</strong>ant, que sa<br />

famille vit mieux, qu’il a choisi d’être esc<strong>la</strong>ve et qu’il a plus d’autonomie qu’à l’époque où il<br />

était pauvre. Ce<strong>la</strong> r<strong>en</strong>d-il l’esc<strong>la</strong>vage plus acceptable <strong>pour</strong> autant ? A cette question, <strong>la</strong> plupart<br />

d’<strong>en</strong>tre nous répondront que l’esc<strong>la</strong>vage est moralem<strong>en</strong>t honteux car il viole <strong>la</strong> dignité de <strong>la</strong><br />

personne, même si l’esc<strong>la</strong>ve ne subit aucun tort et ne perd pas grand-chose de son autonomie<br />

personnelle.<br />

Existe-t-il d’autres situations susceptibles d’être considérées comme moralem<strong>en</strong>t dégradantes<br />

ou honteuses même si <strong>la</strong> personne concernée n’est pas forcée d’agir comme elle le fait, s’<strong>en</strong><br />

porte mieux économiquem<strong>en</strong>t et n’est pas <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sée par ce qu’elle fait ? Certains diront que <strong>la</strong><br />

prostitution <strong>en</strong>tre elle aussi dans cette catégorie, mais il ne semble pas que le même niveau de<br />

cons<strong>en</strong>sus règne dans <strong>la</strong> société concernant son interdiction au même titre que l’esc<strong>la</strong>vage.<br />

Récemm<strong>en</strong>t, le débat a porté sur <strong>la</strong> notion de ce que l’on appelle parfois les «crimes sans<br />

victime », qui permet à l’Etat de réprimer pénalem<strong>en</strong>t certains agissem<strong>en</strong>ts et de <strong>pour</strong>suivre<br />

35


leurs auteurs, même s’ils ne caus<strong>en</strong>t de tort à personne. Un exemple type souv<strong>en</strong>t avancé par<br />

ceux qui redout<strong>en</strong>t une érosion <strong>des</strong> libertés individuelles est <strong>la</strong> loi qui autorise les autorités<br />

locales à rechercher les conducteurs qui ont garé leur véhicule sur <strong>des</strong> emp<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>ts non<br />

autorisés. Un autre exemple souv<strong>en</strong>t cité est le port obligatoire du casque <strong>pour</strong> les motards et<br />

autres conducteurs de deux roues à moteur.<br />

Les opposants à ce g<strong>en</strong>re de légis<strong>la</strong>tion n’ont pas hésité à parler de «paternalisme ». En<br />

d’autres termes, ils reproch<strong>en</strong>t à l’Etat de nous traiter comme <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants incapables de<br />

pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> décisions s<strong>en</strong>sées <strong>pour</strong> nous-mêmes. Ils font valoir que si un motard qui circule<br />

sans casque a un accid<strong>en</strong>t grave, <strong>la</strong> seule personne à subir <strong>des</strong> dommages est le motard ; par<br />

conséqu<strong>en</strong>t, les motards devrai<strong>en</strong>t pouvoir décider eux-mêmes de circuler avec ou sans<br />

casque.<br />

A l’inverse, les partisans de ce type de loi argu<strong>en</strong>t que dans ce cas précis, <strong>la</strong> situation est<br />

presque toujours plus compliquée que les opposants à <strong>la</strong> loi sur le port du casque obligatoire<br />

ne veul<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> l’admettre. Un accid<strong>en</strong>t aura presque toujours <strong>des</strong> conséqu<strong>en</strong>ces <strong>pour</strong> d’autres<br />

personnes que le motard. Celles qui se retrouv<strong>en</strong>t impliquées dans l’accid<strong>en</strong>t souffriront peutêtre<br />

de traumatismes. Il y aura <strong>des</strong> conséqu<strong>en</strong>ces <strong>pour</strong> <strong>la</strong> famille du motard. Il faudra appeler<br />

<strong>la</strong> police sur les lieux de l’accid<strong>en</strong>t. Si le motard est blessé, il faudra aussi appeler une<br />

ambu<strong>la</strong>nce. Et puis il y aura les frais médicaux si le blessé doit être hospitalisé et opéré. Tout<br />

ce<strong>la</strong> aura un coût <strong>pour</strong> le contribuable aussi. C’est ce que l’on <strong>pour</strong>rait appeler l’argum<strong>en</strong>t du<br />

fardeau <strong>pour</strong> <strong>la</strong> collectivité, invoqué par les partisans <strong>des</strong> restrictions de l’autonomie et de <strong>la</strong><br />

liberté individuelle.<br />

Il est intéressant de constater que les gouvernem<strong>en</strong>ts sont rarem<strong>en</strong>t cohér<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> ce qui<br />

concerne leur interv<strong>en</strong>tion <strong>pour</strong> protéger les g<strong>en</strong>s d’eux-mêmes. L’argum<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveur du port<br />

du casque obligatoire <strong>pour</strong>rait par exemple s’appliquer aux fumeurs. S’il est c<strong>la</strong>ir qu’il existe<br />

un risque élevé de cancer <strong>des</strong> poumons dû à <strong>la</strong> consommation de tabac, alors les cigarettes<br />

devrai<strong>en</strong>t être interdites au motif que les nombreux fumeurs qui ont besoin de soins coût<strong>en</strong>t<br />

cher à <strong>la</strong> sécurité sociale et donc aux contribuables. Mais dans <strong>la</strong> pratique, les gouvernem<strong>en</strong>ts<br />

ne cherch<strong>en</strong>t plus à interdire <strong>la</strong> cigarette. Au lieu de quoi ils t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de décourager les<br />

consommateurs <strong>en</strong> imprimant <strong>des</strong> messages sanitaires sur les paquets de cigarettes et <strong>en</strong><br />

augm<strong>en</strong>tant les taxes <strong>pour</strong> les r<strong>en</strong>dre très chères.<br />

De plus <strong>en</strong> plus de pays t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à interdire de fumer dans les lieux publics, à empêcher les<br />

fumeurs de polluer l’air et d’augm<strong>en</strong>ter les risques associés au « tabagisme passif » <strong>pour</strong> ceux<br />

qui sont obligés d’inhaler <strong>la</strong> fumée <strong>des</strong> fumeurs. De <strong>la</strong> même manière, alors qu’on sait que <strong>la</strong><br />

consommation <strong>en</strong> gran<strong>des</strong> quantités d’alim<strong>en</strong>ts très riches <strong>en</strong> matières grasses augm<strong>en</strong>te<br />

considérablem<strong>en</strong>t le risque de ma<strong>la</strong>dies cardiaques, les gouvernem<strong>en</strong>ts n’ont pas <strong>en</strong>visagé<br />

d’interdire ces alim<strong>en</strong>ts, préférant informer le public <strong>des</strong> risques; à lui <strong>en</strong>suite de décider ce<br />

qu’il veut faire.<br />

L’une <strong>des</strong> raisons de l’incohér<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> <strong>la</strong> matière est qu’ils évalu<strong>en</strong>t au cas<br />

par cas ce que sera <strong>la</strong> réaction de l’opinion. On sait qu’une interdiction peut avoir l’effet<br />

inverse à celui recherché. Un exemple f<strong>la</strong>grant est l’interdiction de l’alcool dans les années<br />

1920 aux États-Unis : elle a favorisé <strong>la</strong> fabricationet <strong>la</strong> consommation c<strong>la</strong>n<strong>des</strong>tines et favorisé<br />

le crime organisé qui a eu <strong>la</strong> possibilité de satisfaire une demande énorme et croissante.<br />

En conclusion, si nous regardons ce qui s’est passé ces c<strong>en</strong>t cinquante dernières années, nous<br />

constatons que, dans tous les pays, le gouvernem<strong>en</strong>t ti<strong>en</strong>t un rôle qui s’est considérablem<strong>en</strong>t<br />

accru. La majorité <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t beaucoup plus du gouvernem<strong>en</strong>t aujourd’hui et sont<br />

36


prêts à payer plus d’impôts sur leurs rev<strong>en</strong>us <strong>pour</strong> payer ces services supplém<strong>en</strong>taires. Ce qui<br />

se passe <strong>en</strong> fait, c’est que le principe de <strong>la</strong> «protection » a tout simplem<strong>en</strong>t évolué.<br />

Aujourd’hui, nous n’att<strong>en</strong>dons pas seulem<strong>en</strong>t du gouvernem<strong>en</strong>t qu’il nous protège de <strong>la</strong> peur,<br />

de <strong>la</strong> m<strong>en</strong>ace, du désordre et <strong>des</strong> actes criminels, nous voulons aussi qu’il nous protège contre<br />

<strong>la</strong> pauvreté, <strong>la</strong> perte de notre toit, <strong>la</strong> pollution, les ma<strong>la</strong>dies et les maux qui peuv<strong>en</strong>t être<br />

évités, les conséqu<strong>en</strong>ces de l’inf<strong>la</strong>tion économique et le chômage. On peut discuter du degré<br />

d’interv<strong>en</strong>tion de l’Etat souhaité par les g<strong>en</strong>s dans leur <strong>vie</strong>, mais il ne fait aucun doute que le<br />

principe d’un certain interv<strong>en</strong>tionnisme de l’Etat est aujourd’hui accepté. Le débat s’est peu à<br />

peu dép<strong>la</strong>cé et porte de plus <strong>en</strong> plus sur :<br />

Les limites de l’interv<strong>en</strong>tion de l’Etat. Quels sont les aspects de notre <strong>vie</strong> qui ne<br />

regard<strong>en</strong>t pas l’Etat ? Le fait de criminaliser certaines activités est-il efficace ou<br />

contreproductif <strong>pour</strong> changer nos comportem<strong>en</strong>ts? Dans quelle mesure a-t-on le droit<br />

d’être différ<strong>en</strong>t ou même de se faire du tort à soi-même ? Dans quelle mesure faut-il<br />

<strong>la</strong>isser les g<strong>en</strong>s libres de faire ce qu’ils veul<strong>en</strong>t s’ils ne font de tort à personne ?<br />

Le degré d’acceptation de l’individu confronté à <strong>la</strong> restriction de ses libertés. La<br />

notion de cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t est ici très importante, dans <strong>la</strong> mesure où dans une<br />

<strong>démocratie</strong>, <strong>la</strong> légitimité de l’Etat est fondée sur le cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s. Si,<br />

avant d’être élu, le parti au pouvoir n’a pas communiqué son int<strong>en</strong>tion de légiférer sur<br />

un point donné et qu’il ne sollicite pas l’avis <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s sur cette loi par référ<strong>en</strong>dum,<br />

peut-on considérer que les électeurs lui ont donné leur cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t ? On peut<br />

argum<strong>en</strong>ter que <strong>des</strong> élections libres et régulières confèr<strong>en</strong>t au gouvernem<strong>en</strong>t le droit<br />

d’agir <strong>en</strong> notre nom sans nous demander <strong>la</strong> permission de légiférer à <strong>la</strong> moindre<br />

occasion. D’autres rétorqueront que, lorsqu’une loi fait polémique, le gouvernem<strong>en</strong>t<br />

doit consulter l’opinion avant d’agir.<br />

37


ETUDE DE CAS N°3 : L’interdiction de fumer dans les lieux<br />

publics<br />

Mihai Manea et Robert Stradling<br />

Contexte<br />

La plupart <strong>des</strong> sociétés modernes ont pris <strong>des</strong> mesures <strong>pour</strong> limiter <strong>la</strong> consommation<br />

tabagique. En règle générale, ces mesures prévoi<strong>en</strong>t :<br />

Une taxe sur les produits du tabac <strong>pour</strong> <strong>en</strong> augm<strong>en</strong>ter le prix de v<strong>en</strong>te et par ce moy<strong>en</strong><br />

réduire <strong>la</strong> demande et <strong>la</strong> consommation ;<br />

Une mise <strong>en</strong> garde apposée sur les paquets de cigarettes afin d’informer les fumeurs<br />

<strong>des</strong> risques sanitaires ;<br />

Une information dans les écoles sur les risques sanitaires à long terme ;<br />

Des campagnes antitabac dans les médias;<br />

L’interdiction de <strong>la</strong> publicité <strong>pour</strong> les produits du tabac à <strong>la</strong> télévision et sur les<br />

panneaux d’affichage ;<br />

L’interdiction faite à l’industrie du tabac de faire <strong>la</strong> publicité de leurs produits <strong>en</strong><br />

parrainant <strong>des</strong> manifestations sportives.<br />

Dans le secteur du spectacle et <strong>des</strong> transports publics, employeurs et propriétaires ont de plus<br />

<strong>en</strong> plus souv<strong>en</strong>t et de leur plein gré aménagé <strong>des</strong> espaces non fumeurs ou interdit de fumer<br />

dans leurs locaux ou véhicules. Ces derniers temps toutefois, un certain nombre de pays<br />

europé<strong>en</strong>s ont <strong>of</strong>ficiellem<strong>en</strong>t interdit de fumer sur les lieux de travail, dans les bureaux, les<br />

bâtim<strong>en</strong>ts publics, les cafés, les restaurants, les théâtres, les cinémas et d’autres lieux<br />

accueil<strong>la</strong>nt du public, ou <strong>en</strong>visag<strong>en</strong>t de le faire.<br />

Le pape Urbain VIII aurait été le premier au monde à avoir interdit de fumer. Dans une bulle<br />

de 1642, il m<strong>en</strong>ace d’excommunier quiconque «pr<strong>en</strong>d du tabac sous un porche ou à<br />

l’intérieur d’une église, qu’il le mâche, le fume à l’aide d’une pipe ou qu’il prise du tabac <strong>en</strong><br />

poudre par le nez ». Mais comme le montre <strong>la</strong> chronologie ci-<strong>des</strong>sous, ce n’est que très<br />

récemm<strong>en</strong>t que les gouvernem<strong>en</strong>ts ont <strong>en</strong>visagé l’interdiction générale de fumer dans <strong>des</strong><br />

espaces publics.<br />

Chronologie<br />

1 er jan<strong>vie</strong>r 2004: Aux Pays-Bas, <strong>la</strong> loi sur le tabac ét<strong>en</strong>d l’interdiction de fumer aux lieux<br />

publics comme les gares et à tous les lieux de travail ; les pr<strong>of</strong>essionnels s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t à<br />

introduire volontairem<strong>en</strong>t une limitation progressive de <strong>la</strong> consommation de tabac dans les<br />

hôtels, les restaurants et les cafés.<br />

Mars 2004 :L’Ir<strong>la</strong>nde interdit de fumer dans les lieux de travail fermés, les restaurants et les<br />

bars. Les consommateurs contrev<strong>en</strong>ants s’expos<strong>en</strong>t à une am<strong>en</strong>de al<strong>la</strong>nt jusqu’à 300 €.<br />

5 avril 2004 : Malte interdit de fumer dans les lieux publics.<br />

1 juin 2004:La Norvège interdit de fumer dans <strong>la</strong> rue, les bars et les cafés.<br />

38


Août 2004 : Le Monténégro impose <strong>des</strong> restrictions sur <strong>la</strong> publicité sur le tabac et<br />

l’interdiction de fumer dans les lieux publics.<br />

10 jan<strong>vie</strong>r 2005 : Le gouvernem<strong>en</strong>t itali<strong>en</strong> interdit de fumer dans tous les lieux publics<br />

fermés, les contrev<strong>en</strong>ants <strong>en</strong>cour<strong>en</strong>t une peine d’am<strong>en</strong>de de 275 €.<br />

1 er jan<strong>vie</strong>r 2006 : L’Espagne interdit <strong>la</strong> consommation de tabac dans les bureaux, les<br />

magasins, les écoles, les hôpitaux, les c<strong>en</strong>tres culturels et les transports publics. La Belgique<br />

interdit de fumer sur les lieux de travail fermés; les restaurants peuv<strong>en</strong>t prévoir <strong>des</strong> zones<br />

fumeurs séparées.<br />

Mars 2006 : L’Ecosse interdit de fumer dans les lieux publics.<br />

Eté 2006 :Le gouvernem<strong>en</strong>t croate annonce qu’il va adopter une nouvelle loi interdisant de<br />

fumer dans les lieux publics, puis se rétracte, arguant qu’il suffit d’appliquer plus<br />

efficacem<strong>en</strong>t les restrictions applicables sur le tabac dans les lieux de travail.<br />

5 septembre 2006 : Le Luxembourg applique <strong>des</strong> restrictions, mais autorise les zones<br />

fumeurs.<br />

Décembre 2006 : La coalition au pouvoir <strong>en</strong> Allemagne révise son projet de loi sur<br />

l’interdiction de fumer dans les lieux publics, jugé anticonstitutionnel. Elle décide que<br />

l’interdiction relève de l’appréciation <strong>des</strong> seize länder.<br />

Jan<strong>vie</strong>r 2007 : Une loi interdit de fumer dans les lieux publics <strong>en</strong> Lituanie.<br />

22 mars 2007 : Les 16 länder allemands s’accord<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> interdire de fumer dans les<br />

restaurants et les bars, mais autoris<strong>en</strong>t <strong>la</strong> création de zones fumeurs.<br />

Avril 2007 : Le pays de Galle et l’Ir<strong>la</strong>nde du nord impos<strong>en</strong>t <strong>des</strong> restrictions dans les lieux<br />

publics. La République tchèque fait de même.<br />

22 avril 2007 : Le ministère allemand de <strong>la</strong> Santé instaure l’interdiction de fumer dans les<br />

transports publics et dans les bâtim<strong>en</strong>ts fédéraux.<br />

1 er juin 2007 : La Fin<strong>la</strong>nde et l’Is<strong>la</strong>nde impos<strong>en</strong>t <strong>des</strong> restrictions dans les lieux publics.<br />

5 juin 2007 : L’Estonie interdit de fumer dans les cafés, les restaurants, les bars, les nightclubs<br />

et les transports publics. Une am<strong>en</strong>de de 80 € est prévue <strong>pour</strong> les contrev<strong>en</strong>ants.<br />

16 juin 2007 : Le Premier Ministre français annonce l’interdiction totale de fumer dans les<br />

bureaux, les établissem<strong>en</strong>ts sco<strong>la</strong>ires et les bâtim<strong>en</strong>ts publics à compter de février 2008.<br />

Juillet 2007 : L’Angleterre impose <strong>des</strong> restrictions dans les lieux publics.<br />

Quel est l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Il y a trois argum<strong>en</strong>ts majeurs contre le tabac. Le premier est que l’interdiction <strong>en</strong>traîne une<br />

baisse du nombre d’adultes souffrant de troubles cardiaques, de bronchite, d’emphysème,<br />

d’impuissance, de cancer <strong>des</strong> poumons, d’artériosclérose et d’autres affections dues au tabac.<br />

39


Cet argum<strong>en</strong>t cache souv<strong>en</strong>t un impératif : réduire les coûts de <strong>la</strong> santé, <strong>en</strong> particulier les<br />

coûts associés à <strong>des</strong> ma<strong>la</strong>dies et problèmes sanitaires qui peuv<strong>en</strong>t être évités. Le deuxième<br />

argum<strong>en</strong>t le plus courant <strong>pour</strong> interdire le tabac dans les lieux publics fermés vise à éviter le<br />

tabagisme passif. Des recherches médicales réc<strong>en</strong>tes ont <strong>en</strong> effet montré qu’un non-fumeur<br />

qui inhale <strong>la</strong> fumée après qu’elle a été exhalée par un fumeur actif <strong>en</strong>cour<strong>en</strong>t les même risques<br />

sanitaires qu’un fumeur actif – cancer du poumon, ma<strong>la</strong>dies cardiovascu<strong>la</strong>ires et affections<br />

pulmonaires, bronchites et asthme. En 2002, une étude du C<strong>en</strong>tre international de recherche<br />

sur le cancer de l’Organisation mondiale de <strong>la</strong> santé a conclu que les fumeurs passifs sont<br />

exposés aux mêmes carcinogènes que les fumeurs actifs.<br />

Selon le troisième argum<strong>en</strong>t, l’interdiction de fumer dans les cafés, les bars, les restaurants et<br />

d’autres lieux fermés accueil<strong>la</strong>nt du public permet d’améliorer s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> qualité de l’air.<br />

Des recherches ont montré qu’une meilleure qualité de l’air réduit l’exposition aux toxines<br />

<strong>des</strong> employés de bureau.<br />

Les lois antitabac ont été critiquées <strong>pour</strong> diverses raisons, <strong>la</strong> première étant une phobie<br />

générale <strong>pour</strong> les réglem<strong>en</strong>tations gouvernem<strong>en</strong>tales qui touch<strong>en</strong>t au comportem<strong>en</strong>t<br />

individuel. L’une <strong>des</strong> variantes de cet argum<strong>en</strong>t que l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d souv<strong>en</strong>t aux États-Unis et<br />

dans d’autres pays traditionnellem<strong>en</strong>t libertaires, comme le Royaume-Uni, est que les fumeurs<br />

qui choisiss<strong>en</strong>t librem<strong>en</strong>t de fumer et de se faire du mal à eux-mêmes ont le droit de le faire,<br />

de <strong>la</strong> même manière qu’ils sont libres de se donner <strong>la</strong> mort. Pour les déf<strong>en</strong>seurs de cet<br />

argum<strong>en</strong>t, l’interdiction de fumer instaure un «crime sans victime ». Ce faisant, ils contest<strong>en</strong>t<br />

généralem<strong>en</strong>t les recherches sur les risques du tabagisme passif.<br />

L’autre variante « fondée sur le droit » de l’argum<strong>en</strong>t contre l’interdiction de fumer dans les<br />

bars et d’autres lieux publics simi<strong>la</strong>ires, est qu’elle viole les droits de leur propriétaire. Selon<br />

cet argum<strong>en</strong>t, les sa<strong>la</strong>riés et les cli<strong>en</strong>ts qui franchiss<strong>en</strong>t le seuil d’un établissem<strong>en</strong>t privé ou<br />

d’une <strong>en</strong>treprise privée où il est permis de fumer cons<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t implicitem<strong>en</strong>t aux règles fixées<br />

par le propriétaire. Les opposants à l’interdiction y voi<strong>en</strong>t un problème qui relève <strong>des</strong> droits<br />

individuels et de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>en</strong>tre le citoy<strong>en</strong> et l’Etat, tout comme le lobby antitabac tourne<br />

autour <strong>des</strong> droits du non-fumeur à un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t non pollué et sain.<br />

Les représ<strong>en</strong>tants de <strong>la</strong> filière tabac et <strong>des</strong> débitants de tabac, comme ceux de l’industrie de <strong>la</strong><br />

restauration et <strong>des</strong> loisirs, dénonc<strong>en</strong>t volontiers les lourds préjudices économiques que leur<br />

caus<strong>en</strong>t les lois antitabac et l’hypocrisie de gouvernem<strong>en</strong>ts qui ont vu leurs recettes <strong>la</strong>rgem<strong>en</strong>t<br />

augm<strong>en</strong>ter grâce aux taxes sur les produits du tabac. D’ailleurs, dans certains pays, il apparaît<br />

que les autorités ne font pas grand-chose <strong>pour</strong> r<strong>en</strong>forcer efficacem<strong>en</strong>t les interdictions et<br />

continu<strong>en</strong>t d’<strong>en</strong>granger les taxes sur ces produits.<br />

Enfin, il y a les opposants aux interdictions et mesures antitabac qui estim<strong>en</strong>t qu’elles sont<br />

inefficaces <strong>pour</strong> faire baisser le nombre de fumeurs. Ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> exemple les pays où le<br />

<strong>pour</strong>c<strong>en</strong>tage de fumeurs est resté stable ou n’a que légèrem<strong>en</strong>t baissé depuis l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong><br />

vigueur <strong>des</strong> lois antitabac, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde, où le nombre de fumeurs réguliers est<br />

grosso modo resté stable malgré l’interdiction. De <strong>la</strong> même manière, ils font remarquer que le<br />

prix élevé du paquet de cigarettes <strong>en</strong> Norvège et l’augm<strong>en</strong>tation de 20 % décidée <strong>en</strong> France <strong>en</strong><br />

2003 ne se sont pas traduits par une baisse notable <strong>des</strong> fumeurs dans ces deux pays.<br />

Les partisans de l’interdiction et d’autres mesures antitabac soulign<strong>en</strong>t quant à eux qu’<strong>en</strong><br />

Italie, les rev<strong>en</strong>deurs ont accusé une baisse <strong>des</strong> v<strong>en</strong>tes de cigarettes de 20 %. Des sci<strong>en</strong>tifiques<br />

ont égalem<strong>en</strong>t indiqué que dans <strong>des</strong> pays comme le Royaume-Uni, où il est interdit de fumer<br />

40


dans les lieux publics, les fumeurs t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à fumer davantage à <strong>la</strong> maison, dans <strong>la</strong> rue, sur les<br />

parkings, devant les cafés, les bars, les restaurants et les lieux de travail.<br />

Une diversité de points de vue<br />

En 2004, le Premier Ministre ir<strong>la</strong>ndais Bertie Ahern a déc<strong>la</strong>ré à propos de <strong>la</strong> décision de<br />

son gouvernem<strong>en</strong>t d’interdire de fumer dans les lieux publics:<br />

«Pour les g<strong>en</strong>s, <strong>la</strong> santé et <strong>la</strong> qualité de <strong>vie</strong> sur leur lieu de travail sont importantes… Etre<br />

dans une pièce avec <strong>des</strong> fumeurs signifie être exposé à plus de cinquante ag<strong>en</strong>ts cancérigènes<br />

connus et à <strong>des</strong> substances chimiques responsables de l’augm<strong>en</strong>tation de <strong>la</strong> t<strong>en</strong>sion artérielle,<br />

d’affections pulmonaires et de problèmes rénaux. »<br />

Le D r Peter Maguire, un Ir<strong>la</strong>ndais du Nord membre du Comité sci<strong>en</strong>tifique de<br />

l’Association médicale britannique, à propos de <strong>la</strong> loi antitabac <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde :<br />

«En tant qu’Ir<strong>la</strong>ndais, qui <strong>pour</strong> l’amour du ciel aurait p<strong>en</strong>sé que les Ir<strong>la</strong>ndais serai<strong>en</strong>t les<br />

premiers <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> à interdire de fumer dans les lieux publics ? C’est un passe-temps national<br />

<strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde.»<br />

Pour le ministre norvégi<strong>en</strong> de <strong>la</strong> Santé, Dagfinn Hoybrat<strong>en</strong>, une interdiction de fumer<br />

s’impose :<br />

«Pour protéger les sa<strong>la</strong>riés de <strong>la</strong> restauration <strong>des</strong> effets du tabagisme passif… [Ce]<br />

changem<strong>en</strong>t ne vise pas à réduire le tabagisme, mais [j’espère qu’il] aura un effet secondaire<br />

positif.»<br />

Un porte-parole de Freedom2Choose, association britannique qui milite <strong>pour</strong> le droit de<br />

fumer, estime qu’il faudrait pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> mesures <strong>pour</strong> <strong>en</strong>courager les fumeurs à<br />

r<strong>en</strong>oncer au tabac sans passer par une loi :<br />

«Nous sommes opposés à l’interdiction absolue de fumer dans les lieux publics, mais pas<br />

<strong>pour</strong> <strong>des</strong> raisons sanitaires. Personne n’est assez stupide <strong>pour</strong> croire que le tabac est bon <strong>pour</strong><br />

<strong>la</strong> santé, mais nous considérons qu’une interdiction est excessive. »<br />

Un porte-parole de ASH, qui a fait campagne <strong>pour</strong> l’interdiction <strong>en</strong> Ecosse, y voit un<br />

moy<strong>en</strong> d’améliorer <strong>la</strong> qualité de <strong>vie</strong> de tous :<br />

«Le tabac a fait de tels ravages dans <strong>la</strong> société écossaise – ces nouvelles lois nous aideront à<br />

améliorer <strong>la</strong> qualité de <strong>vie</strong> de tous. ASH Scot<strong>la</strong>nd souti<strong>en</strong>t fermem<strong>en</strong>t cette décision de<br />

l’exécutif écossais. C’est une proposition audacieuse et radicale <strong>pour</strong> apporter une solution<br />

écossaise à un problème écossais. »<br />

Le directeur de Forest, un lobby britannique qui milite <strong>pour</strong> <strong>la</strong> liberté de fumer, a<br />

déc<strong>la</strong>ré que son organisation continuerait de se battre, même après l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> vigueur<br />

de <strong>la</strong> loi antitabac <strong>en</strong> Ecosse :<br />

«L’exécutif a décidé de snober <strong>la</strong> majorité sil<strong>en</strong>cieuse au pr<strong>of</strong>it d’une minorité antitabac<br />

vociférante… Le débat n’est pas clôt. Il ne fait que comm<strong>en</strong>cer.»<br />

41


Le gérant d’un night-club d’Oslo à propos <strong>des</strong> retombées de l’interdiction de fumer <strong>en</strong><br />

Norvège:<br />

«Nous espérons que nos affaires n’<strong>en</strong> souffriront pas… Il faudra quelque mois <strong>pour</strong> le savoir,<br />

mais le plus grand flou règne sur les modalités d’application de <strong>la</strong> loi. Est-ce que nous<br />

perdrons notre lic<strong>en</strong>ce si nous n’arrivons pas à persuader un cli<strong>en</strong>t d’éteindre sa cigarette ?»<br />

Un représ<strong>en</strong>tant de <strong>la</strong> Scottish Lic<strong>en</strong>sed Trade Association, syndicat pr<strong>of</strong>essionnel qui<br />

représ<strong>en</strong>te notamm<strong>en</strong>t les rev<strong>en</strong>deurs agréés d’alcools et de produits alim<strong>en</strong>taires,<br />

exprime son inquiétude :<br />

«Nous sommes très déçus, mais pas surpris. Apparemm<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> priorité de l’exécutif est de<br />

criminaliser les consommateurs dans les pubs et non de <strong>pour</strong>suivre les vrais criminels dans<br />

nos villes. Nous continuerons de nous battre contre cette décision. Nous le devons aux<br />

dét<strong>en</strong>teurs de lic<strong>en</strong>ces qui dès demain [après l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> vigueur de l’interdiction] risqu<strong>en</strong>t<br />

d’être décimés. »<br />

Un porte-parole de <strong>la</strong> British Heart Foundation <strong>en</strong> Ecosse a dit :<br />

«Nous espérons que l’interdiction incitera les fumeurs à arrêter et réduira les risques<br />

d’affections coronari<strong>en</strong>nes. »<br />

Les données re<strong>la</strong>tives à l’impact <strong>des</strong> lois antitabac sur l’industrie de <strong>la</strong> restauration et<br />

<strong>des</strong> loisirs sont contradictoires :<br />

L’Irish Lic<strong>en</strong>sed Vintners Association, qui représ<strong>en</strong>te <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>teurs d’une<br />

lic<strong>en</strong>ce les autorisant à v<strong>en</strong>dre de l’alcool dans leur établissem<strong>en</strong>t, a commandé une<br />

étude sur l’impact économique de l’interdiction de fumer dans leur secteur :<br />

«Les étu<strong>des</strong> m<strong>en</strong>ées par <strong>la</strong> société de marketing Behaviour and Attitu<strong>des</strong> , confirme le lourd<br />

préjudice économique causé par <strong>la</strong> loi antitabac aux débits de boissons à Dublin, avec une<br />

baisse de 16 % du chiffre d’affaires et de 14 % de l’emploi depuis l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> vigueur de <strong>la</strong><br />

loi. »<br />

A l’opposé, <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> m<strong>en</strong>ées par <strong>des</strong> chercheurs de l’université de Harvard sur les<br />

retombées de <strong>la</strong> loi dans le Massachusetts, USA [<strong>en</strong> vigueur depuis juillet 2004] ont<br />

révélé que :<br />

«Les analyses <strong>des</strong> données économiques collectées avant et après l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> vigueur de <strong>la</strong> loi<br />

ont démontré que <strong>la</strong> loi adoptée par l’Etat du Massachusetts n’a pas eu d’impact négatif sur<br />

les prélèvem<strong>en</strong>ts de taxes sur les alim<strong>en</strong>ts et les boissons alcoolisées. » (<strong>en</strong> c<strong>la</strong>ir : les recettes<br />

fiscales ont augm<strong>en</strong>té au même rythme que les v<strong>en</strong>tes).<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Certains considèr<strong>en</strong>t que le rôle de l’Etat est de protéger les citoy<strong>en</strong>s <strong>des</strong> actes commis par<br />

autrui plutôt que de les protéger d’eux-mêmes. Pour d’autres, les mesures gouvernem<strong>en</strong>tales –<br />

comme les lois – qui vis<strong>en</strong>t à persuader les g<strong>en</strong>s de vivre plus sainem<strong>en</strong>t et de faire le bon<br />

choix vont dans l’intérêt de tous. Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

42


ETUDE DE CAS n° 4 : Le droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> et le droit de mourir<br />

Mihai Manea et Robert Stradling<br />

Contexte<br />

La Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l’Homme (CEDH), dont le siège est à Strasbourg, a été<br />

créée <strong>pour</strong> connaître <strong>des</strong> allégations de vio<strong>la</strong>tions <strong>des</strong> droits proc<strong>la</strong>més par <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion de<br />

sauvegarde <strong>des</strong> droits de l’homme et <strong>des</strong> Libertés fondam<strong>en</strong>tales de 1950 et les am<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>ts<br />

et protocoles qui ont été ajoutés depuis. Chaque Etat membre du Conseil de l’<strong>Europe</strong> est <strong>en</strong><br />

droit de proposer un magistrat à <strong>la</strong> présid<strong>en</strong>ce de <strong>la</strong> Cour ;les juges sièg<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> Cour à titre<br />

individuel et ne représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t aucun Etat, ils sont impartiaux et indép<strong>en</strong>dants.<br />

Depuis quelques années, les Europé<strong>en</strong>s sont de plus <strong>en</strong> plus nombreux à porter p<strong>la</strong>inte devant<br />

<strong>la</strong> Cour <strong>pour</strong> vio<strong>la</strong>tion de leurs droits. En quatre mois <strong>en</strong> 2003-2004, <strong>la</strong> Cour a ainsi traité plus<br />

de sept mille trois c<strong>en</strong>ts affaires.<br />

La Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l’Homme a été saisie dans de nombreuses affaires<br />

importantes. En 1999, <strong>pour</strong> <strong>la</strong> première fois depuis l’invasion de <strong>la</strong> Tchétchénie par l’armée<br />

russe, <strong>la</strong> Cour de Strasbourg a jugé recevables <strong>des</strong> p<strong>la</strong>intes <strong>en</strong> vio<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> droits humains<br />

déposées par <strong>des</strong> civils tchétchènes contre <strong>la</strong> Fédération de Russie. Dans <strong>des</strong> arrêts de 2003 et<br />

2004, <strong>la</strong> Cour a estimé que « <strong>la</strong> charia est incompatible avec les principes fondam<strong>en</strong>taux de <strong>la</strong><br />

<strong>démocratie</strong> », notamm<strong>en</strong>t au motif que les règles de <strong>la</strong> charia sur les droits de <strong>la</strong> femme et les<br />

libertés religieuses sont contraires aux droits de <strong>la</strong> personne humaine tels qu’établis dans <strong>la</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme. En 2004, elle s’est prononcée sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte<br />

contre l’Etat français d’une femme dont <strong>la</strong> grossesse avait été interrompue par erreur dans un<br />

hôpital français. La justice française avait jugé que le médecin ne pouvait pas être <strong>pour</strong>suivi<br />

<strong>pour</strong> homicide, au motif que le droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> du fœtus est intimem<strong>en</strong>t lié à celui de <strong>la</strong> femme<br />

<strong>en</strong>ceinte et ne peut être considéré isolém<strong>en</strong>t. En confirmant <strong>la</strong> décision de <strong>la</strong> France, La Cour<br />

europé<strong>en</strong>ne créait un précéd<strong>en</strong>t sur le statut juridique du fœtus <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>. Elle a jugé que<br />

l’interruption accid<strong>en</strong>telle de <strong>la</strong> grossesse au cours d’une opération réalisée sur <strong>la</strong> mère ne<br />

constituait pas un homicide involontaire.<br />

Cette affaire nous conduit à ce qui est peut-être le domaine le plus controversé <strong>des</strong> droits de<br />

l’homme : le droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong>. L’article 2 de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme<br />

établit que:<br />

«Le droit de toute personne à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> est protégé par <strong>la</strong> loi. La mort ne peut être<br />

infligée à quiconque int<strong>en</strong>tionnellem<strong>en</strong>t, sauf <strong>en</strong> exécution d’une s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce capitale<br />

prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par <strong>la</strong> loi. »<br />

Il ressort de ce qui précède que ceux qui ont é<strong>la</strong>boré <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion <strong>en</strong> 1950 ont pris <strong>en</strong><br />

compte le fait qu’un grand nombre de pays membres condamnai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core à <strong>la</strong> peine capitale<br />

les personnes jugées coupables de meurtre et de trahison et que leurs polices et forces de<br />

l’ordre portai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> armes qu’ils pouvai<strong>en</strong>t utiliser <strong>en</strong> temps de guerre ou <strong>en</strong> cas de légitime<br />

déf<strong>en</strong>se, lorsqu’ils t<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t d’arrêter un criminel viol<strong>en</strong>t ou de réprimer une émeute ou une<br />

insurrection. Depuis 1950, l’opinion publique sur <strong>la</strong> peine capitale, les policiers et les forces<br />

de sécurité a évolué. Le protocole n° 6 à l’article 2 de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de<br />

l’homme demande aux Etats membres de n’appliquer <strong>la</strong> peine de mort que <strong>pour</strong> <strong>des</strong> actes<br />

commis <strong>en</strong> temps de guerre ou de danger immin<strong>en</strong>t de guerre, et plus récemm<strong>en</strong>t, le protocole<br />

43


n° 13 abolit <strong>la</strong> peine capitale, même <strong>en</strong> temps de guerre. La plupart <strong>des</strong> pays europé<strong>en</strong>s ont<br />

donné leur accord, mais trois <strong>des</strong> plus gran<strong>des</strong> puissances mondiales continu<strong>en</strong>t d’appliquer <strong>la</strong><br />

peine capitale : les États-Unis, <strong>la</strong> Chine et <strong>la</strong> Fédération de Russie (<strong>la</strong> Russie a toutefois voté<br />

un moratoire – susp<strong>en</strong>sion de <strong>la</strong> peine capitale <strong>pour</strong> une période donnée – qui a été reconduit<br />

jusqu’<strong>en</strong> 2010).<br />

Le droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> touche à d’autres sujets que <strong>la</strong> peine capitale, qui tous sont sujets à<br />

controverse: l’avortem<strong>en</strong>t, le suicide médicalem<strong>en</strong>t assisté, l’euthanasie 7 et <strong>la</strong> recherche sur<br />

les cellules souches embryonnaires 8 .<br />

Dans le cas prés<strong>en</strong>t, nous nous intéressons au débat éthique autour de l’euthanasie volontaire.<br />

Nous étudierons les argum<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> déf<strong>en</strong>seurs de l’euthanasie et de ses opposants, tels qu’ils<br />

sont apparus dans le cas d’une ressortissante britannique <strong>en</strong> phase terminale, Diane Pretty,<br />

atteinte d’une ma<strong>la</strong>die neuromotrice à un stade avancé. Elle avait essayé d’obt<strong>en</strong>ir l’immunité<br />

<strong>pour</strong> son mari s’il l’aidait à <strong>en</strong> finir avec <strong>la</strong> <strong>vie</strong>. L’immunité lui ayant été refusée, elle avait<br />

fait appel devant <strong>la</strong> Haute Cour britannique, avant de se tourner vers les magistrats<br />

strasbourgeois qui, à l’unanimité, ont conclu que le refus de <strong>la</strong> justice britannique d’autoriser<br />

Brian Pretty, le mari de Diane, à l’aider à mourir n’était pas contraire aux droits de l’homme.<br />

Chronologie de l’affaire D. Pretty<br />

Novembre 1999 :Les médecins diagnostiqu<strong>en</strong>t une ma<strong>la</strong>die neuromotrice dégénérative. Il<br />

s’agit d’une ma<strong>la</strong>die amyotrophique (fonte <strong>des</strong> muscles) <strong>en</strong>traînant une paralysie évolutive<br />

avec perte de <strong>la</strong> mobilité <strong>des</strong> membres, troubles de l’élocution, de <strong>la</strong> respiration et de <strong>la</strong><br />

déglutition. Ses facultés m<strong>en</strong>tales sont intactes. Il n’existe aucun traitem<strong>en</strong>t.<br />

Mars 2000 : Diane est condamnée au fauteuil rou<strong>la</strong>nt.<br />

Juin 2000 : Son mari, Brian, écrit au Premier Ministre britannique ; il demande que <strong>la</strong> loi soit<br />

changée de sorte qu’il puisse aider sa femme à mourir lorsque son état sera trop détérioré et<br />

que ses muscles seront paralysés au point qu’elle ne <strong>pour</strong>ra pas commettre cet acte sans aide.<br />

La loi britannique sur le suicide est c<strong>la</strong>ire à ce sujet : elle érige <strong>en</strong> infraction passible<br />

d’emprisonnem<strong>en</strong>t le fait d’aider autrui à se suicider.<br />

7 Euthanasie, égalem<strong>en</strong>t appelée mort douce. Elle décrit l’acte de tuer ou de permettre à une personne<br />

atteinte d’une ma<strong>la</strong>die incurable et dégénérative de mourir sans souffrances.<br />

8 Recherche sur les cellules souches embryonnaires. Des cellules souches humaines ont été utilisées<br />

p<strong>en</strong>dant toute une période <strong>en</strong> médecine <strong>pour</strong> tester de nouveaux médicam<strong>en</strong>ts et transp<strong>la</strong>nter <strong>des</strong> tissus<br />

et <strong>des</strong> organes sur <strong>des</strong> ma<strong>la</strong><strong>des</strong> dont les tissus cutanés ou <strong>des</strong> organes vitaux étai<strong>en</strong>t irrévocablem<strong>en</strong>t<br />

détruits. Mais <strong>pour</strong> avoir <strong>des</strong> cellules humaines, il faut <strong>des</strong> donneurs, et leur nombre t<strong>en</strong>d à baisser. Les<br />

cellules souches embryonnaires, comme leur nom l’indique, sont prélevées sur <strong>des</strong> embryons fécondés<br />

in vitro <strong>en</strong> clinique quelques jours plus tôt seulem<strong>en</strong>t. Pot<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t, il n’existe aucune limite au<br />

nombre de cellules souches pouvant être reproduites de <strong>la</strong> sorte. Chaque cellule est capable de se<br />

régénérer à long terme. Une fois mises <strong>en</strong> culture, elles continu<strong>en</strong>t de se développer et de se diviser. Au<br />

bout d’un certain temps, il est possible de les regrouper <strong>pour</strong> former différ<strong>en</strong>tes familles de cellules<br />

(muscu<strong>la</strong>ires, sanguines, nerveuses, etc.) qui <strong>pour</strong>ront <strong>en</strong>suite être utilisées <strong>pour</strong> traiter différ<strong>en</strong>tes<br />

ma<strong>la</strong>dies. La question éthique porte sur <strong>la</strong> question de savoir si un embryon de cinq jours est ou non un<br />

être vivant (qui aurait pu dev<strong>en</strong>ir un fœtus s’il avait été transp<strong>la</strong>nté dans un utérus humain) et est au<br />

cœur d’un débat politique, moral et sci<strong>en</strong>tifique de portée majeure.<br />

44


Août 2001 :Mme Pretty saisit le Crown Prosecution Service (littéralem<strong>en</strong>t Service <strong>des</strong><br />

Poursuites de <strong>la</strong> Couronne, équival<strong>en</strong>t du ministère public) qui, <strong>en</strong> Angleterre et dans le pays<br />

de Galles, a <strong>pour</strong> mission de confirmer ou de réviser les décisions de <strong>la</strong> police dans les<br />

affaires les plus complexes et s<strong>en</strong>sibles. Elle demande que lui soit garantie l’immunité de son<br />

mari s’il l’aide à mettre fin à ses jours. Sa demande reçoit le souti<strong>en</strong> <strong>of</strong>ficiel de plusieurs<br />

organisations <strong>des</strong> droits de l’homme au Royaume-Uni, dont <strong>la</strong> Liberty and the Voluntary<br />

Euthanasia Society (VES). Tout <strong>en</strong> admettant que Mme Pretty et sa famille doiv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>durer<br />

de « terribles souffrances», le Director <strong>of</strong> Public Prosecutions (DPP) répond qu’il ne peut pas<br />

garantir l’immunité de son mari dans ces circonstances.<br />

31 août 2001 : Un juge de <strong>la</strong> Haute Cour accorde à Mme Pretty le droit de faire appel de <strong>la</strong><br />

décision du DPP devant les tribunaux.<br />

18 octobre 2001 : Trois juges de <strong>la</strong> Haute Cour rejett<strong>en</strong>t le recours de Mme Pretty qui<br />

invoque que <strong>la</strong> décision du DPP viole ses droits humains, <strong>en</strong> particulier son droit à<br />

l’autodétermination et son droit à être protégée contre les traitem<strong>en</strong>ts inhumains ou<br />

dégradants. Les juges conclu<strong>en</strong>t que le Royaume-Uni n’est pas <strong>en</strong>core prêt à accepter l’idée<br />

du suicide assisté.<br />

Novembre 2001 : Diane Pretty saisit les plus hautes instances du Royaume-Uni, mais les cinq<br />

hauts magistrats qui examin<strong>en</strong>t sa requête confirm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> décision de <strong>la</strong> Haute Cour. Elle<br />

déc<strong>la</strong>re qu’elle va faire appel, cette fois devant <strong>la</strong> Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l’Homme de<br />

Strasbourg.<br />

19 mars 2002 : Mme Pretty se r<strong>en</strong>d à Strasbourg <strong>en</strong> ambu<strong>la</strong>nce <strong>en</strong> raison de son état de santé.<br />

Sept juges <strong>des</strong> Droits de l’Homme l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant 90 minutes.<br />

29 avril 2002 : La Cour unanime rejette l’appel de Mme Pretty. Dans leur verdict, les juges<br />

reconnaiss<strong>en</strong>t que «<strong>la</strong> Cour ne peut qu’éprouver de <strong>la</strong> sympathie <strong>pour</strong> <strong>la</strong> crainte de <strong>la</strong><br />

requérante de devoir affronter une mort pénible si on ne lui donne pas <strong>la</strong> possibilité de mettre<br />

fin à ses jours » mais conclu<strong>en</strong>t que «t<strong>en</strong>ter d’inscrire dans <strong>la</strong> loi une exception <strong>pour</strong> les<br />

personnes jugées ne pas être à même de se suicider [sans assistance] ébranlerait sérieusem<strong>en</strong>t<br />

<strong>la</strong> protection de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> … et augm<strong>en</strong>terait de manière significative le risque d’abus. »<br />

3 mai 2002 : Diane Pretty est hospitalisée <strong>en</strong> raison de graves troubles respiratoires.<br />

11 mai 2002 : Mme Pretty, <strong>en</strong> coma dépassé, meurt à l’hôpital, son mari est à ses côtés. Il<br />

déc<strong>la</strong>rera plus tard que «Diane a dû <strong>en</strong>durer ce qu’elle avait prévu et qu’elle redoutait – et je<br />

ne pouvais ri<strong>en</strong> faire <strong>pour</strong> l’aider… Et puis, Diane est partie, elle était <strong>en</strong>fin libre. ».<br />

Quel est l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Ce qui nous intéresse ici, c’est ce que l’on désigne sous le nom d’« euthanasie volontaire » ou<br />

de « suicide assisté », mais uniquem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> re<strong>la</strong>tion avec les ma<strong>la</strong><strong>des</strong> <strong>en</strong> phase terminale qui ne<br />

sont plus physiquem<strong>en</strong>t capables de se suicider <strong>en</strong> raison du handicap et qui ont <strong>la</strong> faculté<br />

m<strong>en</strong>tale d’exprimer leur désir de mourir (ou qui ont c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t fait part <strong>en</strong> amont de leur désir<br />

de mourir le jour où ils n’auront plus les capacités physiques et m<strong>en</strong>tales de se donner euxmêmes<br />

<strong>la</strong> mort).<br />

Dans les années 1970-1980 aux Pays-Bas, plusieurs affaires ont conduit à l’é<strong>la</strong>boration, <strong>en</strong><br />

1984, de textes de référ<strong>en</strong>ce qui supprim<strong>en</strong>t <strong>la</strong> possibilité de <strong>pour</strong>suivre les médecins<br />

45


néer<strong>la</strong>ndais <strong>pour</strong> euthanasie si le pati<strong>en</strong>t est capable d’exprimer sa décision de mourir<br />

volontairem<strong>en</strong>t et <strong>en</strong> connaissance de cause, si ses souffrances sont insupportables et si le<br />

pronostic 9 du médecinest confirmé par un confrère.<br />

Les Pays-Bas ont légalisé le suicide médicalem<strong>en</strong>t assisté <strong>en</strong> 2001, et chaque année depuis,<br />

près de quatre mille ma<strong>la</strong><strong>des</strong> demand<strong>en</strong>t à leur médecin de les aider à mourir <strong>en</strong> leur<br />

prescrivant une injection létale qui provoque <strong>la</strong> morte <strong>en</strong> quelques minutes. La Belgique a<br />

adopté une loi simi<strong>la</strong>ire <strong>la</strong> même année. En Suisse, si aucune loi n’autorise le suicide assisté<br />

par un médecin ou un membre de <strong>la</strong> famille <strong>pour</strong> les ma<strong>la</strong><strong>des</strong> condamnés, les autorités<br />

l’assimil<strong>en</strong>t <strong>en</strong> général à une action humaine ; les <strong>pour</strong>suites sont rares et uniquem<strong>en</strong>t s’ils ont<br />

<strong>la</strong> preuve que <strong>la</strong> personne qui a aidé une autre à mourir l’a fait à <strong>des</strong> fins personnelles. Dans<br />

ce pays, quelques associations comme Dignitas veill<strong>en</strong>t à ce que le pati<strong>en</strong>t soit examiné par un<br />

médecin qui évalue son état de santé avant de lui prescrire un cocktail mortel par absorption<br />

ou par intraveineuse. Deux témoins assist<strong>en</strong>t au décès et inform<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite les autorités.<br />

Dans l’affaire portée par Diane Pretty devant <strong>la</strong> Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l’Homme, les<br />

conseils de <strong>la</strong> requérante ont fait valoir qu’<strong>en</strong> refusant l’immunité <strong>des</strong> <strong>pour</strong>suites à son mari<br />

s’il l’aidait à se suicider, le gouvernem<strong>en</strong>t britannique avait violé cinq <strong>des</strong> droits humains de<br />

leur pati<strong>en</strong>te.<br />

Premièrem<strong>en</strong>t, ils ont rappelé que <strong>la</strong> valeur de l’autonomie personnelle ou de<br />

l’autodétermination (<strong>la</strong> faculté dedécider librem<strong>en</strong>t de ce que l’on veut faire de sa <strong>vie</strong>) est<br />

fondam<strong>en</strong>tale aux termes de l’article 2 de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme,<br />

qui protège le droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong>. Si c’est bi<strong>en</strong> le cas, tel était l’argum<strong>en</strong>t, alors il doit aussi inclure<br />

le droit de choisir <strong>la</strong> mort plutôt que <strong>la</strong> <strong>vie</strong>.<br />

Deuxièmem<strong>en</strong>t, le gouvernem<strong>en</strong>t britannique a violé l’article 3 – qui interdit les peines ou<br />

traitem<strong>en</strong>ts inhumains ou dégradants – au motif qu’il l’a condamnée à une <strong>vie</strong> prolongée de<br />

douleurs extrêmes et de souffrances intolérables.<br />

Troisièmem<strong>en</strong>t, le suicide n’étant plus illégal au Royaume-Uni depuis <strong>la</strong> Loi sur le suicide de<br />

1961, son droit au respect de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée (article 8) a été violé puisqu’elle était trop ma<strong>la</strong>de<br />

<strong>pour</strong> mettre fin à ses jours sans l’aide de son mari.<br />

Quatrièmem<strong>en</strong>t, il y a eu vio<strong>la</strong>tion du droit à <strong>la</strong> liberté de consci<strong>en</strong>ce (article 9), puisqu’on a<br />

empêché Mme Pretty de recourir à l’euthanasie volontaire conformém<strong>en</strong>t à ses convictions.<br />

Enfin, elle estimait avoir été victime de discrimination (article 14), <strong>la</strong> Loi britannique sur le<br />

suicide de 1961 disposant qu’une personne physiquem<strong>en</strong>t ma<strong>la</strong>de peut légalem<strong>en</strong>t se suicider,<br />

alors qu’elle n’a pas été autorisée à mettre fin à ses jours <strong>en</strong> raison de son incapacité physique<br />

de commettre cet acte sans assistance.<br />

Selon l’argum<strong>en</strong>t de ses conseils juridiques, il y a souv<strong>en</strong>t un déca<strong>la</strong>ge <strong>en</strong>tre ce que dit <strong>la</strong> loi<br />

de 1961 et <strong>la</strong> réalité. Tout <strong>en</strong> légalisant le suicide, <strong>la</strong> loi érige <strong>en</strong> infraction passible de<br />

quatorze ans de prison le fait d’aider autrui à se suicider. A cette époque, il arrivait<br />

couramm<strong>en</strong>t que <strong>des</strong> médecins hospitaliers inscriv<strong>en</strong>t <strong>la</strong> m<strong>en</strong>tion « ne pas réanimer » dans les<br />

dossiers de leurs pati<strong>en</strong>ts âgés et fragiles. D’autres administrai<strong>en</strong>t à leurs pati<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> phase<br />

terminale une surdose d’analgésiques <strong>en</strong> sachant que ce<strong>la</strong> les tuerait.<br />

9 Pronostic : Jugem<strong>en</strong>t porté sur l’issue d’une ma<strong>la</strong>die.<br />

46


Ils ont égalem<strong>en</strong>t fait m<strong>en</strong>tion <strong>des</strong> nombreux cas de médecins qui débranch<strong>en</strong>t les respirateurs<br />

artificiels à <strong>la</strong> demande de leurs pati<strong>en</strong>ts. En 2000 <strong>pour</strong>tant, un seul médecin, alors chef d’un<br />

service de rhumatologie, a <strong>pour</strong>tant été reconnu coupable d’euthanasie. Il avait injecté à une<br />

pati<strong>en</strong>te de 70 ans <strong>en</strong> phase terminale une dose de chlorite de potassium, qui a provoqué un<br />

arrêt cardiaque. Ses souffrances étai<strong>en</strong>t insupportables et perman<strong>en</strong>tes et elle suppliait<br />

régulièrem<strong>en</strong>t son médecin de mettre fin à ses jours. Il a été reconnu coupable mais condamné<br />

à une peine avec sursis ; le conseil de l’ordre <strong>des</strong> médecins lui a simplem<strong>en</strong>t adressé un<br />

blâme, sans lui interdire d’exercer. Ils ont égalem<strong>en</strong>t cité les cas de personnes n’appart<strong>en</strong>ant<br />

pas au milieu médical qui avai<strong>en</strong>t mis un terme aux souffrances de membres de leur famille<br />

proches; elles ont été accusées de meurtre, mais le jury a refusé de les déc<strong>la</strong>rer coupables.<br />

Dans l’affaire Pretty, les sept juges de <strong>la</strong> Cour europé<strong>en</strong>ne ont statué qu’il n’y avait pas eu<br />

vio<strong>la</strong>tion de l’article 2 de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme. Arguer que le<br />

droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> puisse inclure le droit «de choisir <strong>la</strong> mort plutôt que <strong>la</strong> <strong>vie</strong> » est une distorsion<br />

de <strong>la</strong>ngage. Tout <strong>en</strong> reconnaissant qu’elle «éprouve de <strong>la</strong> sympathie <strong>pour</strong> <strong>la</strong> crainte de <strong>la</strong><br />

requérante de devoir affronter une mort pénible si on ne lui donne pas <strong>la</strong> possibilité de mettre<br />

fin à ses jours», <strong>la</strong> Cour ne p<strong>en</strong>se pas que ce<strong>la</strong> signifie que l’Etat lui fasse <strong>en</strong>durer <strong>des</strong><br />

«traitem<strong>en</strong>t inhumains ou dégradants ».<br />

Par ailleurs, les juges ne considèr<strong>en</strong>t pas qu’une loi «conçue <strong>pour</strong> préserver <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>en</strong><br />

protégeant les personnes faibles et vulnérables » et qui « reflète l’importance du droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />

<strong>en</strong> interdisant le suicide assisté » puisse représ<strong>en</strong>ter une atteinte au droit de l’intéressée au<br />

respect de sa <strong>vie</strong> privée, au s<strong>en</strong>s de l’article 8.Ils ont égalem<strong>en</strong>t conclu que <strong>la</strong> liberté de<br />

consci<strong>en</strong>ce de Mme Pretty n’a pas été violée, l’article 9 ne visant pas à recouvrer tout acte<br />

motivé ou influ<strong>en</strong>cé par une conviction. Enfin, les juges ont conclu que <strong>la</strong> loi de 1961 sur le<br />

suicide ne viole pas l’article 14 de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion qui interdit <strong>la</strong> discrimination dans <strong>la</strong> mesure<br />

où il était raisonnable de concevoir une loi qui inclut <strong>des</strong> exceptions <strong>en</strong> raison <strong>des</strong> risques<br />

d’abus de <strong>la</strong> part de ceux qui propos<strong>en</strong>t leur aide. En résumé, <strong>la</strong> Cour a plus ou moins conclu<br />

que, dans certaines situations, le droit à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> prime sur les autres droits.<br />

Le débat continue toutefois d’opposer deux camps aux antipo<strong>des</strong> l’un de l’autre et qui n’ont<br />

guère de chance de trouver un terrain d’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te. D’un côté, on trouve le mouvem<strong>en</strong>t «pro<br />

life», représ<strong>en</strong>té notamm<strong>en</strong>t par l’Eglise catholique, <strong>pour</strong> qui le suicide est un pêché au même<br />

titre qu’aider autrui à mettre fin à ses jours. De l’autre, le mouvem<strong>en</strong>t «pro choice», <strong>pour</strong> qui<br />

un ma<strong>la</strong>de <strong>en</strong> phase terminale qui compr<strong>en</strong>d l’issue de sa ma<strong>la</strong>die et qui a les facultés<br />

m<strong>en</strong>tales <strong>pour</strong> pr<strong>en</strong>dre une décision devrait avoir le droit de mourir dignem<strong>en</strong>t au mom<strong>en</strong>t de<br />

son choix et de <strong>la</strong> façon choisie par lui. Dans ces conditions, et dans un pays où le suicide est<br />

légal, il est immoral selon eux de recourir à <strong>la</strong> loi <strong>pour</strong> les empêcher d’aider à exercer ce libre<br />

choix.<br />

Dans le corps médical, le débat met face à face ceux qui déc<strong>la</strong>r<strong>en</strong>t qu’<strong>en</strong> leur qualité de<br />

médecins ils se sont <strong>en</strong>gagés à faire tout ce qui est possible <strong>pour</strong> maint<strong>en</strong>ir <strong>la</strong> <strong>vie</strong> et ceux qui<br />

estim<strong>en</strong>t qu’il y a <strong>des</strong> cas où il est immoral de prolonger les souffrances d’un pati<strong>en</strong>t <strong>en</strong> phase<br />

terminale.<br />

Au milieu, il existe toute une série de « zones grises » qui font toujours débat. Par exemple,<br />

les opposants à l’euthanasie volontaire déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t volontiers <strong>la</strong> thèse que <strong>la</strong> médecine moderne<br />

a fait de tels progrès que plus personne n’est obligé de mourir dans une souffrance et une<br />

détresse insupportables. Pour les partisans de l’euthanasie, les effets secondaires <strong>des</strong><br />

traitem<strong>en</strong>ts anti-douleurs – nausées, incontin<strong>en</strong>ce, somnol<strong>en</strong>ce constante et peut-être, vers <strong>la</strong><br />

fin, dép<strong>en</strong>dance totale <strong>des</strong> respirateurs artificiels – réduis<strong>en</strong>t <strong>la</strong> qualité de <strong>vie</strong> du pati<strong>en</strong>t au<br />

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point que <strong>la</strong> <strong>vie</strong> ne vaut vraim<strong>en</strong>t plus <strong>la</strong> peine d’être vécue, surtout s’il n’y a aucun espoir<br />

d’amélioration.<br />

Parmi les «pro life »,certains argum<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t aussi qu’on ne peut pas toujours avoir l’assurance<br />

que <strong>la</strong> demande d’un pati<strong>en</strong>t qui veut mourir est véritablem<strong>en</strong>t volontaire et formulée par une<br />

personne m<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t apte, <strong>en</strong> particulier si elle souffre <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce et pr<strong>en</strong>d <strong>des</strong><br />

médicam<strong>en</strong>ts qui peuv<strong>en</strong>t <strong>la</strong> plonger dans une confusion m<strong>en</strong>tale. En réponse à ce<strong>la</strong>, les « pro<br />

choice » p<strong>la</strong>id<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> un «dé<strong>la</strong>i de réflexion » avant d’autoriser <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> <strong>vie</strong>, au cas où le<br />

pati<strong>en</strong>t changerait d’avis. Leur argum<strong>en</strong>t est que les ma<strong>la</strong><strong>des</strong> devrai<strong>en</strong>t avoir le droit de<br />

rédiger <strong>des</strong> «déc<strong>la</strong>rations par avance » <strong>pour</strong> le cas où ils serai<strong>en</strong>t condamnés par <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die et<br />

n’aurai<strong>en</strong>t plus <strong>la</strong> capacité de décider <strong>en</strong> connaissance de cause.<br />

Certains, notamm<strong>en</strong>t dans le corps médical, ont introduit une distinction <strong>en</strong>tre «euthanasie<br />

active » et «euthanasie passive », c’est-à-dire le fait d’interrompre les traitem<strong>en</strong>ts de<br />

réanimation ou <strong>la</strong> respiration artificielle, l’int<strong>en</strong>tion étant ici « de <strong>la</strong>isser partir le pati<strong>en</strong>t» <strong>en</strong><br />

interrompant un traitem<strong>en</strong>t plutôt qu’<strong>en</strong> le tuant activem<strong>en</strong>t. Cep<strong>en</strong>dant, certains contest<strong>en</strong>t<br />

cette distinction qu’ils jug<strong>en</strong>t ambiguë car, active ou passive, l’int<strong>en</strong>tion est de mettre fin aux<br />

jours d’un ma<strong>la</strong>de.<br />

Enfin, certains argum<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t qu’une société qui accepte l’euthanasie, malgré tous les gardefous<br />

possibles, s’<strong>en</strong>gage sur une «p<strong>en</strong>te savonneuse » qui conduira fatalem<strong>en</strong>t à <strong>des</strong><br />

euthanasies non volontaires; on aidera <strong>des</strong> pati<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> phase terminale à mourir, s’ils ne sont<br />

pas m<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t ou physiquem<strong>en</strong>t capables de donner leur accord. Dès lors, dis<strong>en</strong>t-ils,<br />

l’euthanasie sera pot<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t ét<strong>en</strong>due aux pati<strong>en</strong>ts plongés dans le coma et même aux<br />

personnes lourdem<strong>en</strong>t handicapées. En général, les partisans de l’euthanasie volontaire leur<br />

r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t <strong>la</strong> balle : <strong>pour</strong>quoi les « pro choice », favorables à l’euthanasie au nom de <strong>la</strong> liberté<br />

de choisir sa mort, voudrai<strong>en</strong>t-ils que <strong>des</strong> personnes soi<strong>en</strong>t euthanasiées alors qu’elles n’ont<br />

pas fait le choix de mourir ?<br />

Une diversité de points de vue<br />

Un membre de UK Voluntary Euthanasia Society (VES) – organisation créée <strong>en</strong> 1935<br />

par <strong>des</strong> médecins, <strong>des</strong> juristes et <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tants religieux – donne sa vision<br />

personnelle de l’euthanasie volontaire :<br />

«VES milite <strong>pour</strong> le respect de <strong>la</strong> volonté <strong>des</strong> pati<strong>en</strong>ts condamnés. Une ‘belle mort’ est une<br />

mort qui est <strong>en</strong> accord avec notre vision de nous-mêmes, pas <strong>en</strong> contradiction. Chaque être<br />

humain doit pouvoir faire le choix dece qui, <strong>pour</strong> lui, est une belle mort. Ce<strong>la</strong> implique <strong>des</strong><br />

échanges avec nos médecins, <strong>des</strong> échanges qui respect<strong>en</strong>t nos désirs à propos de notre <strong>vie</strong>.<br />

Les médecins doiv<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>dre qu’à partir du mom<strong>en</strong>t où ils sont incapables de guérir, ils<br />

doiv<strong>en</strong>t <strong>of</strong>frir <strong>des</strong> alternatives acceptables – acceptables <strong>pour</strong> nous. Le désir d’avoir le<br />

contrôle sur nos <strong>vie</strong>s est un élém<strong>en</strong>t fondam<strong>en</strong>tal de notre humanité.»<br />

Tamora Langley, site de BBC News, 19 mars 2002.<br />

Le porte-parole de Pro-Life Alliance [PLA] –qui milite contre <strong>la</strong> légalisation de tout<br />

acte médical visant à mettre un terme à <strong>la</strong> <strong>vie</strong>, comme l’avortem<strong>en</strong>t et l’euthanasie – a<br />

une toute autre position. Il avait fait campagne sur ce thème à l’occasion d’élections :<br />

«La campagne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> légalisation de l’euthanasie rappelle <strong>la</strong> légalisation de l’avortem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

1967 [au Royaume-Uni). Les promoteurs de ces pratiques privilégi<strong>en</strong>t une vision utilitariste<br />

de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> humaine, plutôt que de considérer que chaque <strong>vie</strong> humaine est unique et digne d’un<br />

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espect absolu. Nous savons que <strong>pour</strong> obt<strong>en</strong>ir <strong>la</strong> légalisation de l’avortem<strong>en</strong>t, certains ont<br />

comm<strong>en</strong>cé par <strong>en</strong>freindre <strong>la</strong> loi dans le but de faire changer les choses… Nous sommes<br />

‘affaiblis’ par ces affaires déchirantes [comme celle de Diane Pretty] qui cherch<strong>en</strong>t à faire<br />

changer <strong>la</strong> loi… PLA est favorable à ce que les hôpitaux qui accompagn<strong>en</strong>t les adultes, les<br />

<strong>en</strong>fants et les nourrissons <strong>en</strong> fin de <strong>vie</strong> reçoiv<strong>en</strong>t <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> financières importantes. Les<br />

connaissances <strong>en</strong> matière de traitem<strong>en</strong>ts antidouleur dans les établissem<strong>en</strong>ts de soins palliatifs<br />

permett<strong>en</strong>t d’<strong>of</strong>frir une mort digne, contrairem<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> soi-disant euthanasie passive, qui<br />

consiste à <strong>la</strong>isser les pati<strong>en</strong>ts mourir de faim et de déshydratation. »<br />

Mike Willis, présid<strong>en</strong>t de Pro-Life Alliance, site de BBC News, 28 mars 2000.<br />

Rachel Hurst, directeur de Disability Awar<strong>en</strong>ess in Action, a salué l’arrêt de <strong>la</strong> Cour<br />

europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l’Homme dans l’affaire Diane Pretty :<br />

[Ce serait] « une grave erreur que <strong>la</strong> justice dise qu’on peut mourir dans certaines conditions.<br />

C’est un terrain glissant et beaucoup de g<strong>en</strong>s qui ne veul<strong>en</strong>t pas mourir <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> pâtir. »<br />

En 2005, une commission parlem<strong>en</strong>taire de <strong>la</strong> Chambre <strong>des</strong> Lords (chambre haute du<br />

Parlem<strong>en</strong>t du Royaume-Uni) qui examinait une loi sur <strong>la</strong> mort assistée <strong>pour</strong> les pati<strong>en</strong>ts<br />

<strong>en</strong> fin de <strong>vie</strong>, estimait que les soins palliatifs devrai<strong>en</strong>t être systématiques, mais que<br />

certains pati<strong>en</strong>ts ne désir<strong>en</strong>t pas plus de soins, mais une mort assistée :<br />

«La demande de suicide assistée ou d’euthanasie volontaire est particulièrem<strong>en</strong>t forte parmi<br />

les personnes résolues, dont les souffrances résult<strong>en</strong>t davantage du stade terminal de <strong>la</strong><br />

ma<strong>la</strong>die que de ses symptômes et que le r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t ou l’amélioration <strong>des</strong> soins palliatifs 10<br />

ne fera pas r<strong>en</strong>oncer à leur désir d’<strong>en</strong> finir avec <strong>la</strong> <strong>vie</strong>. »<br />

Depuis dix ans, les sondages montr<strong>en</strong>t que l’opinion publique est de plus <strong>en</strong> plus<br />

favorable à l’euthanasie volontaire. Exemples:<br />

Un sondage réalisé <strong>en</strong> 1996 a révélé que :<br />

«82% <strong>des</strong> sondés p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t que les personnes atteintes de ma<strong>la</strong>dies douloureuses et<br />

incurables devrai<strong>en</strong>t avoir le droit de demander à leur médecin de les aider à mourir.»<br />

Roger Jowell et al, British Social Attitu<strong>des</strong>: the 13 th report (1996).<br />

Une <strong>en</strong>quête nationale m<strong>en</strong>ée au Royaume-Uni <strong>en</strong> septembre 2004 a montré que :<br />

«82% <strong>des</strong> Britanniques sont favorables à un changem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> loi sur <strong>la</strong> mort assistée<br />

et 47 % serai<strong>en</strong>t prêts à aider un être cher <strong>en</strong> fin de <strong>vie</strong> s’il le leur demandait. »<br />

En septembre 2004, le secrétaire général du Royal College <strong>of</strong> Nursing [RCN], Beverly<br />

Malone, a expliqué l’opposition du RCN à toute loi autorisant <strong>la</strong> mort assistée <strong>pour</strong> les<br />

ma<strong>la</strong><strong>des</strong> <strong>en</strong> phase terminale :<br />

«L’opposition du RCN à <strong>la</strong> mort assistée est vitale <strong>pour</strong> protéger <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion infirmièrepati<strong>en</strong>t.<br />

Nous savons que les infirmières s’occup<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> grande majorité <strong>des</strong> soins et qu’elles<br />

sont <strong>des</strong> référ<strong>en</strong>ts de confiance <strong>pour</strong> leurs pati<strong>en</strong>ts. Tout ce qui est susceptible de<br />

compromettre cette confiance saperait les bases de notre re<strong>la</strong>tion avec les pati<strong>en</strong>ts et <strong>pour</strong>rait<br />

avoir <strong>des</strong> conséqu<strong>en</strong>ces désastreuses <strong>pour</strong> les infirmières, nos pati<strong>en</strong>ts et leurs familles. »<br />

En 1997, Annie Lindsell, décédée depuis d’une ma<strong>la</strong>die neuromotrice, est allée devant <strong>la</strong><br />

Haute Cour du Royaume-Uni <strong>pour</strong> établir le principe que ses médecins <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t<br />

10 Soins palliatifs : Traitem<strong>en</strong>ts qui atténu<strong>en</strong>t <strong>la</strong> douleur mais qui ne soign<strong>en</strong>t pas.<br />

49


légalem<strong>en</strong>t lui administrer un cocktail létal afin de sou<strong>la</strong>ger sa détresse m<strong>en</strong>tale et<br />

physique. Elle disait alors :<br />

«L’issue a été une victoire importante <strong>pour</strong> l’autonomie du pati<strong>en</strong>t et <strong>pour</strong> les droits de<br />

l’homme et j’espérais que les courageux docteurs n’aurai<strong>en</strong>t plus peur d’être <strong>pour</strong>suivis par <strong>la</strong><br />

police. »<br />

Cep<strong>en</strong>dant, Michele Wates, atteinte de scléroses multiples depuis vingt ans, s’inquiétait<br />

quant à elle <strong>des</strong> implications possibles d’une légalisation de <strong>la</strong> mort assistée <strong>pour</strong> les<br />

ma<strong>la</strong><strong>des</strong> <strong>en</strong> phase terminale :<br />

«En tant que personne souffrant d’une ma<strong>la</strong>die dégénérative à long terme et <strong>en</strong> tant que<br />

militante <strong>des</strong> droits <strong>des</strong> personnes handicapées, je p<strong>en</strong>se que nous devrions considérer avec<br />

une extrême précaution les mots – non-discrimination, choix, droits de l’homme –<br />

fréquemm<strong>en</strong>t utilisés par les partisans de <strong>la</strong> mort assistée … Si un ami valide qui, <strong>pour</strong> autant<br />

que nous le sachions tous les deux, ne souffre pas d’une ma<strong>la</strong>die grave, doit un jour être<br />

dépressif ou suicidaire, les médecins chercheront à le soigner <strong>pour</strong> dépression. Si moi, qui<br />

suis atteinte d’une ma<strong>la</strong>die dégénérative grave, je de<strong>vie</strong>ns suicidaire, il y aura débat... on se<br />

demandera s’il faut soigner ma dépression ou m’aider à mourir à ma demande. La différ<strong>en</strong>ce,<br />

c’est que moi, contrairem<strong>en</strong>t à mon ami, je <strong>pour</strong>rai dire que j’<strong>en</strong>dure <strong>des</strong> souffrances<br />

insupportables à cause de ma ma<strong>la</strong>die et que je suis condamnée. L’argum<strong>en</strong>t se résumera à<br />

savoir siles médecins sont d’accord avec moi sur le fait que ma ma<strong>la</strong>die est ‘au stade<br />

terminal’, que mes ‘souffrances sont dues à <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, et qu’elles sont effectivem<strong>en</strong>t<br />

‘insupportables’. Dans le cas de mon ami, il n’y aura pas autant de discussion… Je veux être<br />

sûre qu’à l’av<strong>en</strong>ir, j’aurai <strong>la</strong> même assurance que mon ami que les médecins me soigneront<br />

<strong>pour</strong> dépression si j’ai <strong>des</strong> p<strong>en</strong>sées suicidaires et ne considéreront pas de leur devoir, ou de<br />

leur obligation légale, de m’aider à accomplir ma volonté de mourir. »<br />

Discours <strong>pour</strong> <strong>la</strong> confér<strong>en</strong>ce de juillet 2005 à Oxford, Angleterre, sur le thème «Donner<br />

un s<strong>en</strong>s à <strong>la</strong> santé et à <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die »<br />

Que p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Supposez que vous être député à l’Assemblée ou membre du Parlem<strong>en</strong>t. Une organisation<br />

non-gouvernem<strong>en</strong>tale vous contacte <strong>pour</strong> vous demander de sout<strong>en</strong>ir l’adoption d’une loi<br />

autorisant le personnel médical et les par<strong>en</strong>ts proches à aider un ma<strong>la</strong>de <strong>en</strong> phase terminale à<br />

mourir sans craindre d’être <strong>pour</strong>suivis <strong>pour</strong> meurtre ou <strong>pour</strong> homicide involontaire. Que<br />

répondriez-vous ? Quels serai<strong>en</strong>t vos principaux argum<strong>en</strong>ts <strong>pour</strong> étayer votre position?<br />

Si vous vivez dans un pays comme les Pays-Bas, où <strong>la</strong> loi autorise déjà l’euthanasie<br />

volontaire, que répondriez-vous, <strong>en</strong> tant que député ou parlem<strong>en</strong>taire, à une ONG qui sollicite<br />

votre souti<strong>en</strong> <strong>pour</strong> exiger l’abolition de cette loi de manière à r<strong>en</strong>dre l’euthanasie volontaire<br />

de nouveau illégale?<br />

50


TROISIEME QUESTION-CLE : Avons-nous le droit de nous<br />

exprimer librem<strong>en</strong>t et comme bon nous semble ?<br />

Robert Stradling<br />

La réponse à cette question est tout simplem<strong>en</strong>t «oui ». A moins que quelqu’un ne soit<br />

physiquem<strong>en</strong>t incapable de parler ou de recourir à d’autres formes de communication, ri<strong>en</strong> ne<br />

peut l’empêcher de dire ce qu’il p<strong>en</strong>se et, même s’il est physiquem<strong>en</strong>t incapable d’exprimer<br />

ses opinions, ri<strong>en</strong> ne peut l’empêcher de p<strong>en</strong>ser. Cep<strong>en</strong>dant, les gouvernem<strong>en</strong>ts, et autres<br />

personnes ayant pouvoir ou autorité sur nous, peuv<strong>en</strong>t punir les g<strong>en</strong>s <strong>pour</strong> leurs opinions,<br />

leurs croyances, ou leurs idées, après qu’ils les ai<strong>en</strong>t exprimées, et ce<strong>la</strong> peut dissuader nombre<br />

d’<strong>en</strong>tre nous de dire ce qu’ils p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t.<br />

Ainsi, l’histoire <strong>des</strong> 500 dernières années a été marquée par <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> au cours <strong>des</strong>quelles<br />

les personnes qui ne vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t pas se conformer aux croyances, <strong>valeurs</strong> et façons de faire<br />

établies dans leur société ont combattu <strong>pour</strong> obt<strong>en</strong>ir une plus grande liberté d’expression.<br />

Parfois, il s’agissait de non conformistes religieux qui se déf<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t contre <strong>des</strong> accusations<br />

d’hérésie de l’église établie. Parfois, il s’agissait de savants comme Galilée, qui a dû<br />

comparaître devant l’inquisition <strong>pour</strong> avoir affirmé que le soleil ne tournait pas autour de <strong>la</strong><br />

terre. Parfois, il s’agissait d’artistes, d’écrivains et d’acteurs confrontés à <strong>la</strong> c<strong>en</strong>sure de leur<br />

oeuvre par l’Etat ou l’Eglise. Souv<strong>en</strong>t, il s’agissait de réformateurs politiques et de rebelles<br />

qui cherchai<strong>en</strong>t à limiter les pouvoirs de monarques et de gouvernem<strong>en</strong>ts autoritaires.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, il y a eu dans l’histoire moderne <strong>des</strong> mom<strong>en</strong>ts importants où le droit de libre<br />

expression a fasciné aussi bi<strong>en</strong> les g<strong>en</strong>s ordinaires que les activistes politiques. Ce<strong>la</strong> s’est<br />

produit tout d’abord à <strong>la</strong> fin du 18 e siècle, qui a connu <strong>des</strong> soulèvem<strong>en</strong>ts contre le <strong>des</strong>potisme<br />

et le règne de l’arbitraire. En 1776, après avoir fait <strong>la</strong> guerre <strong>pour</strong> obt<strong>en</strong>ir leur indép<strong>en</strong>dance,<br />

les 13 colonies américaines ont signé <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration d’indép<strong>en</strong>dance qui rompait leurs li<strong>en</strong>s<br />

avec <strong>la</strong> Couronne britannique.<br />

P<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> déc<strong>en</strong>nie qui a suivi, un débat s’est <strong>en</strong>gagé <strong>en</strong>tre ceux qui vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t une sorte de<br />

gouvernem<strong>en</strong>t c<strong>en</strong>tral, permettant aux 13 nouveaux Etats d’agir <strong>en</strong>semble <strong>pour</strong> se protéger<br />

contre les puissances étrangères, et ceux qui craignai<strong>en</strong>t qu’un tel gouvernem<strong>en</strong>t ne limite les<br />

droits et libertés de l’individu. Finalem<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> Constitution <strong>des</strong> Etats-Unis, approuvée <strong>en</strong> 1787,<br />

et ses 10 am<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>ts, approuvés <strong>en</strong> 1791, garantissai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> liberté de parole, de religion, de<br />

rassemblem<strong>en</strong>t, de <strong>la</strong> presse, de dét<strong>en</strong>ir et de porter <strong>des</strong> armes, le droit à être jugé par un jury<br />

impartial, <strong>la</strong> protection contre les châtim<strong>en</strong>ts cruels et inhabituels, etc.<br />

En 1789, les révolutionnaires français, qui cherchai<strong>en</strong>t à se protéger contre <strong>des</strong> souverains<br />

<strong>des</strong>potiques, ont rédigé <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration <strong>des</strong> droits de l’homme et du citoy<strong>en</strong> proc<strong>la</strong>mant que<br />

«La libre communication <strong>des</strong> p<strong>en</strong>sées et <strong>des</strong> opinions est un <strong>des</strong> droits les plus précieux de<br />

l'Homme » . La Terreur qui suivit <strong>la</strong> Révolution française a limité nombre de ces droits dans<br />

<strong>la</strong> pratique, notamm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> liberté d’expression. Néanmoins, ce principe était désormais établi<br />

et devint l’une <strong>des</strong> pierres angu<strong>la</strong>ires <strong>des</strong> constitutions, introduites dans de très nombreux pays<br />

par <strong>des</strong> réformes ou <strong>des</strong> révolutions, au cours <strong>des</strong> 150 ans qui suivir<strong>en</strong>t. Cep<strong>en</strong>dant, dans<br />

presque tous les pays, <strong>des</strong> t<strong>en</strong>sions persistèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre le désir de l’Etat d’exercer pleinem<strong>en</strong>t<br />

son pouvoir et son autorité et le désir <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s ordinaires d’exercer leur droit de libre<br />

expression.<br />

A aucun mom<strong>en</strong>t cette t<strong>en</strong>sion n’a été aussi manifeste que dans <strong>la</strong> première moitié du 20 e<br />

siècle, quand de nombreuses <strong>démocratie</strong>s libérales et leurs gouvernem<strong>en</strong>ts élus selon les<br />

51


procédures constitutionnelles, ont été remp<strong>la</strong>cés par <strong>des</strong> dictatures et <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts<br />

totalitaires. En 1945, les atrocités commises p<strong>en</strong>dant les deux guerres mondiales et<br />

l’Holocauste, génocide de millions de personne à cause de leur race, ainsi que <strong>la</strong> mort et les<br />

traitem<strong>en</strong>ts inhumains infligés à <strong>des</strong> millions d’autres dans les camps de conc<strong>en</strong>tration et de<br />

travail <strong>en</strong> raison de leur nationalité, de leur appart<strong>en</strong>ance ethnique ou de leur <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t<br />

politique, ont conduit les gouvernem<strong>en</strong>ts à chercher un moy<strong>en</strong> d’empêcher que de telles<br />

atrocités puiss<strong>en</strong>t un jour se reproduire. La Déc<strong>la</strong>ration universelle <strong>des</strong> droits de l’homme a<br />

été adoptée <strong>en</strong> 1948 par l’Assemblée générale <strong>des</strong> Nations unies et <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne<br />

<strong>des</strong> droits de l’homme deux ans plus tard, le 4 novembre 1950. L’article 10 de cette<br />

Conv<strong>en</strong>tion affirme :<br />

«Toute personne a droit à <strong>la</strong> liberté d'expression. Ce droit compr<strong>en</strong>d <strong>la</strong> liberté<br />

d'opinion et <strong>la</strong> liberté de recevoir ou de communiquer <strong>des</strong> informations ou <strong>des</strong> idées<br />

sans qu'il puisse y avoir ingér<strong>en</strong>ce d'autorités publiques et sans considération de<br />

frontière ».<br />

On ne peut faire valoir directem<strong>en</strong>t les conv<strong>en</strong>tions internationales et les traités sur les droits<br />

de l’homme apparus après <strong>la</strong> Deuxième guerre mondiale que contre <strong>des</strong> Etats, pas contre <strong>des</strong><br />

individus. Comme on l’a déjà indiqué, il s’agissait avant tout de protéger les citoy<strong>en</strong>s contre<br />

un gouvernem<strong>en</strong>t corrompu, tyrannique et <strong>des</strong>potique. Cep<strong>en</strong>dant, au cours du siècle dernier,<br />

le débat sur <strong>la</strong> liberté d’expression a égalem<strong>en</strong>t porté de plus <strong>en</strong> plus sur <strong>la</strong> protection du droit<br />

d’exprimer <strong>des</strong> opinions impopu<strong>la</strong>ires et contraires à l’avis dominant. Comme le disait le<br />

philosophe du 19 e siècle, John Stuart Mill :<br />

« Si toute l'humanité moins un était de <strong>la</strong> même opinion, l'humanité ne serait pas plus<br />

justifiée à imposer sil<strong>en</strong>ce à cette personne qu'elle même ne serait justifiée à réduire<br />

au sil<strong>en</strong>ce l'humanité si elle <strong>en</strong> avait le pouvoir. »<br />

Ceci nous amène à un aspect très important du débat tournant autour de <strong>la</strong> liberté<br />

d’expression. Il est peu probable que quiconque veuille empêcher quelqu’un d’exprimer<br />

l’opinion que «les fleurs sont belles» ou que «une prom<strong>en</strong>ade dans un parc par une belle<br />

journée d’été est agréable » , même s’il n’est pas d’accord. Il ne ress<strong>en</strong>tirait tout simplem<strong>en</strong>t<br />

pas une opposition suffisante <strong>en</strong>vers de telles opinions <strong>pour</strong> vouloir empêcher de les exprimer.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, si quelqu’un a dit quelque chose avec l’int<strong>en</strong>tion délibérée de choquer ou<br />

d’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>ser un groupe de personne ou <strong>en</strong>core s’est moqué <strong>des</strong> croyances religieuses ou du<br />

mode de <strong>vie</strong> d’autres personnes, alors, il est beaucoup plus probable que les personnes<br />

choquées ou <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sées veuill<strong>en</strong>t l’empêcher (lui ou quiconque ayant <strong>des</strong> opinions simi<strong>la</strong>ires)<br />

d’exprimer ces vues <strong>en</strong> public. Aurai<strong>en</strong>t-elles raison d’agir ainsi ?<br />

Selon <strong>la</strong> position libérale traditionnelle, déf<strong>en</strong>due par <strong>des</strong> philosophes comme J.S. Mill, il ne<br />

peut être légitime de limiter <strong>la</strong> liberté d’expression que dans le cas où l’expression de<br />

certaines opinions conduirait à porter atteinte à certaines personnes et violer leurs autres<br />

droits. On peut illustrer ce point de vue par un exemple typique, souv<strong>en</strong>t cité : <strong>en</strong>trer dans un<br />

théâtre <strong>en</strong> criant «au feu », même s'il n'y a pas le feu, et provoquer ainsi une panique de<br />

masse au cours de <strong>la</strong>quelle <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s sont gravem<strong>en</strong>t blessés, constituerait un abus de <strong>la</strong> liberté<br />

d'expression. Cep<strong>en</strong>dant, nous avons maint<strong>en</strong>ant l'habitude d'un certain nombre d'autres<br />

circonstances dans lesquelles <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s p<strong>en</strong>serai<strong>en</strong>t qu'il était normal de limiter <strong>la</strong><br />

liberté d'expression. Nous avons par exemple <strong>des</strong> lois empêchant <strong>la</strong> diffamation, <strong>des</strong> lois<br />

faisant du chantage un crime, <strong>des</strong> lois interdisant aux <strong>en</strong>treprises de m<strong>en</strong>tir sur leurs produits<br />

et <strong>des</strong> lois leur interdisant de faire <strong>la</strong> publicité de produits dangereux <strong>pour</strong> les <strong>en</strong>fants.<br />

De nos jours, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s accept<strong>en</strong>t que, dans certaines circonstances, il soit légitime<br />

de pouvoir limiter <strong>la</strong> liberté d'expression <strong>pour</strong> empêcher de porter atteinte à autrui. Cep<strong>en</strong>dant,<br />

les avis sont <strong>en</strong>core partagés sur certaines questions. Ainsi, certains affirm<strong>en</strong>t qu'il faudrait<br />

52


interdire <strong>la</strong> pornographie estimant qu’elle corrompt ceux qui <strong>la</strong> regard<strong>en</strong>t. Certains<br />

interdirai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t les programmes de télévision et les films montrant <strong>des</strong> actes de<br />

viol<strong>en</strong>ce p<strong>en</strong>sant que certains spectateurs, <strong>en</strong> particulier les jeunes, ont t<strong>en</strong>dance à s’inspirer<br />

de ce comportem<strong>en</strong>t viol<strong>en</strong>t. Enfin, il y a un troisième cas, souv<strong>en</strong>t appelé « l'incitation à <strong>la</strong><br />

haine », dans lequel une personne ou un groupe produit un discours public <strong>des</strong>tiné à attiser <strong>la</strong><br />

haine contre une autre personne ou un autre groupe, ce qui peut <strong>en</strong>suite <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drer l’attaque ou<br />

le mauvais traitem<strong>en</strong>t de cette personne ou de ce groupe ou <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion d'une façon ou d'une<br />

autre de leurs droits<br />

Néanmoins, ceux qui sont favorables à <strong>des</strong> limitations de <strong>la</strong> liberté d’expression dans ces trois<br />

cas ont du mal à établir le li<strong>en</strong> de causalité c<strong>la</strong>ir <strong>en</strong>tre les paroles ou leur forme d’expression et<br />

l’atteinte portée à autrui. La preuve que <strong>la</strong> pornographie corromprait les personnes ou leur<br />

porterait atteinte est faible et contestée par les experts. La plupart <strong>des</strong> sociétés ont déjà <strong>des</strong><br />

légis<strong>la</strong>tions couvrant les cas où il est possible d’établir un li<strong>en</strong> direct <strong>en</strong>tre les paroles de<br />

quelqu’un et une atteinte contre un groupe de personnes. C’est ce qu’on appelle <strong>en</strong> général<br />

l’incitation à <strong>la</strong> viol<strong>en</strong>ce ou à l’émeute. Les problèmes apparaiss<strong>en</strong>t quand <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s souhait<strong>en</strong>t<br />

interdire toutes les «incitations à <strong>la</strong> haine », aux motifs qu’elles <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t conduire à <strong>des</strong><br />

attaques contre d’autres personnes alors qu’il n’existe aucune preuve que de telles attaques<br />

ont eu lieu ou bi<strong>en</strong> que leur auteur a écouté le discours d’ «incitation à <strong>la</strong> haine».<br />

Plus récemm<strong>en</strong>t, certains ont affirmé qu’il y avait <strong>des</strong> situations dans lesquelles il faudrait<br />

limiter <strong>la</strong> liberté d’expression, non pas parce que celle-ci conduit à porter atteinte à une<br />

personne ou un groupe, mais parce que le discours ou son expression constitue une <strong>of</strong>f<strong>en</strong>se.<br />

Ceux qui déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t ce point de vue reconnaiss<strong>en</strong>t qu’une <strong>of</strong>f<strong>en</strong>se est moins grave qu’une<br />

atteinte physique, cep<strong>en</strong>dant, ils affirm<strong>en</strong>t que l’«<strong>of</strong>f<strong>en</strong>se» <strong>pour</strong>rait constituer un motif<br />

suffisant <strong>pour</strong> limiter <strong>la</strong> liberté d’expression. Mais qu’<strong>en</strong> est-il si ceux qui prét<strong>en</strong>dant avoir été<br />

<strong>of</strong>f<strong>en</strong>sés sont simplem<strong>en</strong>t trop susceptibles ? Imaginons qu’ils invoqu<strong>en</strong>t le droit d’exprimer<br />

<strong>des</strong> points de vues <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sant <strong>en</strong>vers d’autres mais qu’ils demand<strong>en</strong>t simultaném<strong>en</strong>t <strong>la</strong> c<strong>en</strong>sure<br />

de ce qui les <strong>of</strong>f<strong>en</strong>se eux-mêmes ? Imaginons que les points de vue prét<strong>en</strong>dum<strong>en</strong>t <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sants<br />

soi<strong>en</strong>t considérés comme une critique justifiée par beaucoup d’autres personnes ?<br />

Toutes les sociétés ont <strong>des</strong> lois qui limit<strong>en</strong>t <strong>la</strong> liberté d’expression dans <strong>des</strong> circonstances où il<br />

est communém<strong>en</strong>t admis qu’elle <strong>pour</strong>rait constituer une <strong>of</strong>f<strong>en</strong>se. Ainsi, de nombreuses<br />

sociétés ont <strong>des</strong> lois interdisant les actes de b<strong>la</strong>sphème et de sacrilège, c’est-à-dire les formes<br />

d’expression qui insult<strong>en</strong>t ou <strong>of</strong>f<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t <strong>la</strong> religion ou les croyances religieuses de quelqu’un.<br />

La plupart <strong>des</strong> pays empêch<strong>en</strong>t de faire <strong>des</strong> choses qui <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t être <strong>of</strong>f<strong>en</strong>santes <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />

majorité <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s, par exemple être nu dans un lieu public.<br />

En général, ce «principe d’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>se » n’est appliqué que dans <strong>des</strong> circonstances où l’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>se<br />

ne peut être évitée. Par exemple, un livre ou un film peut être <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sant <strong>pour</strong> certaines<br />

personnes, mais elles ne sont pas obligées de le lire ou de le regarder. Ce<strong>la</strong> peut être plus<br />

problématique si le film passe à <strong>la</strong> télévision à une heure où <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s sont<br />

susceptibles de regarder. Par conséqu<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> décision de limiter <strong>la</strong> liberté d’expression <strong>en</strong><br />

raison de l’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>se qu’elle cause dép<strong>en</strong>d plutôt du contexte : Combi<strong>en</strong> de personnes sont-elles<br />

susceptibles d’être <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sées, aurai<strong>en</strong>t-elles pu éviter le support médiatique <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sant, quelles<br />

étai<strong>en</strong>t les motivations de celui qui l’a produit, etc. ? En d’autres termes, il n’existe pas de<br />

règles universelles et immuables concernant le caractère <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sant, tout dép<strong>en</strong>d <strong>des</strong><br />

circonstances.<br />

Néanmoins, de nos jours, dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s libérales, certaines formes<br />

d’expression sont interdites, non pas parce qu’elles port<strong>en</strong>t atteinte à certaines personnes ou<br />

les <strong>of</strong>f<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t, mais parce qu’elles sont incompatibles avec d’autres <strong>valeurs</strong> fondam<strong>en</strong>tales <strong>des</strong><br />

<strong>démocratie</strong>s libérales. Ainsi, il <strong>pour</strong>rait y avoir <strong>des</strong> raisons d’empêcher quelqu’un de faire un<br />

discours public incitant d’autres personnes à se montrer intolérantes <strong>en</strong>vers les <strong>valeurs</strong> et le<br />

53


mode de <strong>vie</strong> d’une minorité ou à violer les droits de ses membres <strong>en</strong> tant que citoy<strong>en</strong>s de<br />

quelque façon que ce soit.<br />

De nombreux Etats europé<strong>en</strong>s ont adopté <strong>des</strong> lois de ce type. Par exemple, <strong>la</strong> France possède<br />

<strong>des</strong> lois qui interdis<strong>en</strong>t les discours publics ou les écrits niant l’Holocauste, incitant à <strong>la</strong> haine<br />

raciale ou religieuse ou bi<strong>en</strong> à <strong>la</strong> viol<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>vers <strong>des</strong> personnes, <strong>en</strong> raison de leur ori<strong>en</strong>tation<br />

sexuelle. La négation de l’Holocauste est égalem<strong>en</strong>t interdite <strong>en</strong> Autriche. L’Allemagne<br />

prévoit <strong>des</strong> limitations, concernant l’incitation à <strong>la</strong> haine, qui vis<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t les idées néonazies.<br />

Le Parlem<strong>en</strong>t du Royaume-uni a égalem<strong>en</strong>t adopté <strong>des</strong> lois interdisant l’incitation à <strong>la</strong><br />

haine raciale et religieuse.<br />

La portée de ces lois est double. Premièrem<strong>en</strong>t, dans une <strong>démocratie</strong> libérale, <strong>la</strong> liberté<br />

d’expression ne dispose pas d’un privilège particulier <strong>la</strong> p<strong>la</strong>çant au <strong>des</strong>sus d’autres droits et<br />

<strong>valeurs</strong>. Cep<strong>en</strong>dant, il s’agit d’un droit important qu’il faut protéger contre ceux qui t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de<br />

le dénier à certains ou à tous. Deuxièmem<strong>en</strong>t, ceux qui veul<strong>en</strong>t, soit dénier leur liberté<br />

d’expression à certaines personnes sur un sujet particulier, soit continuer à exprimer leurs<br />

points de vue, même si ceux-ci <strong>of</strong>f<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t ou humili<strong>en</strong>t d’autres personnes, doiv<strong>en</strong>t avoir de<br />

soli<strong>des</strong> argum<strong>en</strong>ts. Ils ne peuv<strong>en</strong>t pas se cont<strong>en</strong>ter d’affirmer qu’ils ont un droit universel à<br />

agir (qu’il s’agisse de dire ce qu’ils p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t ou de protéger de <strong>la</strong> critique leurs conceptions<br />

religieuses). Ils doiv<strong>en</strong>t convaincre les autres que leurs prét<strong>en</strong>tions sont plus fondées que<br />

celles de leurs opposants.<br />

Le philosophe américain, Stanley Fish, a observé que, dans une <strong>démocratie</strong> pluraliste<br />

caractérisée par l’exist<strong>en</strong>ce de groupes, d’intérêts, de <strong>valeurs</strong> et de mo<strong>des</strong> de <strong>vie</strong> différ<strong>en</strong>ts, <strong>la</strong><br />

liberté d’expression ne constitue pas toujours <strong>la</strong> référ<strong>en</strong>ce adaptée dans les contextes de<br />

production de parole. Chaque fois que le droit de dire ce que l’on p<strong>en</strong>se est contesté, il faut<br />

examiner les conséqu<strong>en</strong>ces que <strong>pour</strong>rait avoir le fait d’exprimer, ou de ne pas exprimer, son<br />

point de vue et savoir si l’on a, ou non, plus à gagner ou à perdre <strong>en</strong> empêchant que ce point<br />

de vue ne soit exprimé.<br />

Référ<strong>en</strong>ces<br />

John Stuart Mill, On Liberty (De <strong>la</strong> liberté) , C<strong>la</strong>r<strong>en</strong>don Press, 1980.<br />

Stanley Fish, There’s No Such Thing as Free Speech…and it’s a good thing too (La liberté<br />

d'expression n'existe pas ... et c'est une bonne chose), Oxford University Press, 1994.<br />

54


ETUDE DE CAS 5 : Liberté d’expression ou <strong>of</strong>f<strong>en</strong>se à <strong>la</strong><br />

religion : l’affaire <strong>des</strong> caricatures danoises se moquant du<br />

Prophète Mahomet<br />

Robert Stradling<br />

Chronologie Chronologie de de l’affaire<br />

l’affaire<br />

Juillet 2005 : Au Danemark, <strong>des</strong> responsables musulmans r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t le Premier ministre<br />

<strong>pour</strong> se p<strong>la</strong>indre de <strong>la</strong> façon dont <strong>la</strong> presse traite de l’Is<strong>la</strong>m. Le Premier ministre, Anders Fogh<br />

Rasmuss<strong>en</strong>, répond que le gouvernem<strong>en</strong>t danois ne peut pas dicter aux journaux ce qu’ils<br />

doiv<strong>en</strong>t ou non imprimer.<br />

30 septembre 2005 : Après qu’un auteur danois, Kare Bluitg<strong>en</strong>, se soit p<strong>la</strong>int de ne pouvoir<br />

trouver un illustrateur <strong>pour</strong> son livre sur le Prophète, <strong>en</strong> raison de <strong>la</strong> tradition is<strong>la</strong>mique<br />

interdisant d’<strong>en</strong> faire le portrait, le journal danois, Jyl<strong>la</strong>nds-Post<strong>en</strong>, publie un éditorial<br />

critiquant l’autoc<strong>en</strong>sure dans les médias danois. Cet article est accompagné de 12 caricatures<br />

d’artistes anonymes. Certaines d’<strong>en</strong>tre elles ne sont pas particulièrem<strong>en</strong>t critiques <strong>en</strong>vers<br />

l’is<strong>la</strong>m, d’autres ont un caractère nettem<strong>en</strong>t provocateur, notamm<strong>en</strong>t une image du Prophète<br />

avec un turban s’avérant être une bombe. D’autres caricatures associ<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t l’Is<strong>la</strong>m au<br />

terrorisme.<br />

17 octobre 2005 : Le journal égypti<strong>en</strong> al Fagr reproduit certaines caricatures <strong>en</strong> les qualifiant<br />

d’insultantes et de «bombes racistes ». Ce quotidi<strong>en</strong> prédit un tollé, cep<strong>en</strong>dant, à ce mom<strong>en</strong>t<br />

là il y a peu de protestations.<br />

20 octobre 2005 : Les ambassadeurs au Danemark de 10 pays musulmans demand<strong>en</strong>t un<br />

<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> au Premier ministre <strong>pour</strong> se p<strong>la</strong>indre <strong>des</strong> caricatures.<br />

Décembre 2005 : Une délégation de responsables musulmans danois se r<strong>en</strong>d au Moy<strong>en</strong>-<br />

Ori<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> discuter du problème avec <strong>des</strong> responsables politiques et <strong>des</strong> érudits musulmans.<br />

Lors d’une réunion à La Mecque, l’Organisation de <strong>la</strong> Confér<strong>en</strong>ce is<strong>la</strong>mique (OCI) exprime<br />

sa préoccupation concernant «<strong>la</strong> haine croissante <strong>en</strong>vers l’Is<strong>la</strong>m et les Musulmans ». Les<br />

caricatures sont qualifiées de «pr<strong>of</strong>anation de l’image du Saint prophète Mahomet ».<br />

10 jan<strong>vie</strong>r 2006 : Le journal norvégi<strong>en</strong>, Magazinet , publie les caricatures danoises.<br />

26 jan<strong>vie</strong>r 2006 : L’Arabie saoudite rappelle son ambassadeur au Danemark. La Libye ferme<br />

son ambassade dans ce pays. Le boycott <strong>des</strong> produits danois se répand de l’Arabie saoudite et<br />

du Koweït à d’autres pays arabes.<br />

30 jan<strong>vie</strong>r 2006 : Le Jyl<strong>la</strong>nds-Post<strong>en</strong> prés<strong>en</strong>te ses excuses <strong>pour</strong> les <strong>of</strong>f<strong>en</strong>ses qu’ont pu causer<br />

les caricatures, ce qu’il avait refusé de faire auparavant. Il déc<strong>la</strong>re : « selon nous, les 12<br />

caricatures étai<strong>en</strong>t neutres. Elles n’avai<strong>en</strong>t pas <strong>pour</strong> but d’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>ser et n’<strong>en</strong>freignai<strong>en</strong>t pas le<br />

droit danois. Cep<strong>en</strong>dant, elles ont manifestem<strong>en</strong>t <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sé de nombreux musulmans, ce <strong>pour</strong><br />

quoi nous prés<strong>en</strong>tons nos excuses. » Le Premier ministre danois se félicite de ces excuses<br />

mais déf<strong>en</strong>d <strong>la</strong> liberté de <strong>la</strong> presse.<br />

55


1 er et 2 février 2006 : Certains journaux <strong>en</strong> Autriche, <strong>en</strong> France, <strong>en</strong> Allemagne, <strong>en</strong> Italie et <strong>en</strong><br />

Espagne publi<strong>en</strong>t les caricatures.<br />

4 au 14 février 2006 : Protestations dans les pays musulmans et attaques contre les<br />

ambassa<strong>des</strong> du Danemark <strong>en</strong> Afghanistan, <strong>en</strong> Indonésie, <strong>en</strong> Iran, <strong>en</strong> Iraq, au Pakistan, au<br />

Liban et <strong>en</strong> Syrie.<br />

17 au 19 février 2006 : Au Nigeria, 16 manifestants sont tués par <strong>la</strong> police lors d’une attaque<br />

contre <strong>des</strong> communautés chréti<strong>en</strong>nes dans <strong>la</strong> ville de Maiduguri. Au Pakistan, <strong>la</strong> police ouvre<br />

le feu contre <strong>des</strong> manifestants et utilise <strong>des</strong> gr<strong>en</strong>a<strong>des</strong> <strong>la</strong>crymogènes <strong>pour</strong> les disperser. En six<br />

mois, 139 manifestants sont tués dans <strong>des</strong> accrochages avec <strong>la</strong> police et les forces de sécurité,<br />

surtout <strong>en</strong> Afghanistan, <strong>en</strong> Libye, au Nigeria et au Pakistan.<br />

Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

La controverse a été décl<strong>en</strong>chée par l’expéri<strong>en</strong>ce d’un journal danois qui vou<strong>la</strong>it voir si <strong>des</strong><br />

caricaturistes danois s’autoc<strong>en</strong>surerai<strong>en</strong>t, par peur <strong>des</strong> représailles de Musulmans radicaux.<br />

Cette expéri<strong>en</strong>ce était t<strong>en</strong>tée <strong>en</strong> raison <strong>des</strong> craintes exprimées par certaines personnes<br />

travail<strong>la</strong>nt dans les medias danois, à <strong>la</strong> suite de l’assassinat du réalisateur néer<strong>la</strong>ndais, Theo<br />

van Gogh, et d’une attaque contre un chargé de cours de l’Université de Cop<strong>en</strong>hague, qui<br />

avait lu <strong>des</strong> extraits du Coran à <strong>des</strong> étudiants non musulmans. Au début, les caricatures ont<br />

suscité très peu d’intérêt hors du Danemark. L’affaire n’a pris une dim<strong>en</strong>sion internationale<br />

qu’après qu’un groupe de responsables musulmans danois se soit r<strong>en</strong>du au Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t<br />

<strong>pour</strong> discuter <strong>des</strong> caricatures avec <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tants <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts de <strong>la</strong> région.<br />

La condamnation <strong>des</strong> caricatures à <strong>la</strong> réunion de l’OCI à La Mecque, puis les attaques contre<br />

les ambassa<strong>des</strong> du Danemark et le boycott <strong>des</strong> produits danois, <strong>en</strong> ont fait une affaire<br />

internationale, c’est alors que les caricatures ont fait leur apparition sur Internet et ont été<br />

publiées par <strong>des</strong> journaux de certains pays europé<strong>en</strong>s. Ceci a conduit à une nouvelle esca<strong>la</strong>de<br />

dans les réactions de certains musulmans radicaux, qui voyai<strong>en</strong>t dans les caricatures un<br />

exemple supplém<strong>en</strong>taire de <strong>la</strong> t<strong>en</strong>dance croissante de l’Occid<strong>en</strong>t à diaboliser l’Is<strong>la</strong>m et à<br />

considérer les musulmans comme <strong>des</strong> terroristes, depuis l’att<strong>en</strong>tat du 11 septembre 2001<br />

contre le World Trade C<strong>en</strong>ter et <strong>la</strong> «Guerre contre le terrorisme » qui s’<strong>en</strong> est sui<strong>vie</strong>.<br />

A ce mom<strong>en</strong>t là, les rédacteurs <strong>en</strong> chef <strong>des</strong> journaux europé<strong>en</strong>s qui publiai<strong>en</strong>t les caricatures<br />

affirmai<strong>en</strong>t, soit qu’il s’agissait d’un problème important touchant à <strong>la</strong> liberté d’expression et<br />

à <strong>la</strong> liberté de <strong>la</strong> presse, soit que, bi<strong>en</strong> qu’ils trouv<strong>en</strong>t les caricatures <strong>of</strong>f<strong>en</strong>santes ou de<br />

mauvais goût (et qu’ils n’aurai<strong>en</strong>t pas agi comme le Jyl<strong>la</strong>nds-Post<strong>en</strong>), ils avai<strong>en</strong>t décidé de les<br />

publier car il s’agissait désormais d’une affaire d’importance internationale qui intéressait<br />

grandem<strong>en</strong>t le public. Certaines critiques <strong>des</strong> Musulmans, surtout de confession Sunnite,<br />

<strong>en</strong>vers leJyl<strong>la</strong>nds-Post<strong>en</strong>, insistai<strong>en</strong>t sur le fait qu’il était sacrilège de produire une image<br />

prét<strong>en</strong>dant représ<strong>en</strong>ter le Prophète Mahomet. Cep<strong>en</strong>dant, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> critiques <strong>des</strong><br />

Musulmans se conc<strong>en</strong>trai<strong>en</strong>t sur le « message » <strong>des</strong> caricatures, perçu comme extrêmem<strong>en</strong>t<br />

insultant <strong>pour</strong> l’Is<strong>la</strong>m et le Prophète. Alors que certains extrémistes pr<strong>of</strong>érai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> m<strong>en</strong>aces<br />

de mort contre le rédacteur <strong>en</strong> chef du Jyl<strong>la</strong>nds-Post<strong>en</strong> et les caricaturistes, ou attaquai<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

ambassa<strong>des</strong> du Danemark et y mettai<strong>en</strong>t le feu, d’autres demandai<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t au<br />

gouvernem<strong>en</strong>t danois de se désolidariser <strong>des</strong> caricatures et du journal qui les avait publiées.<br />

Comme l’esca<strong>la</strong>de continuait, d’autres gouvernem<strong>en</strong>ts occid<strong>en</strong>taux comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t à faire <strong>des</strong><br />

déc<strong>la</strong>rations. L’un <strong>des</strong> premiers fût le Départem<strong>en</strong>t d’Etat du Gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis<br />

56


qui considérait les caricatures comme une incitation inacceptable à <strong>la</strong> haine raciale. D’autres<br />

ne critiquai<strong>en</strong>t pas aussi ouvertem<strong>en</strong>t le Jyl<strong>la</strong>nds-Post<strong>en</strong> et considérai<strong>en</strong>t plutôt que <strong>la</strong> liberté<br />

de <strong>la</strong> presse était un droit important mais qu’il devait être exercée de façon responsable et ils<br />

p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t que, <strong>en</strong> l’occurr<strong>en</strong>ce, les journaux qui avai<strong>en</strong>t publié les caricatures <strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t fait<br />

un usage irresponsable. Ces déc<strong>la</strong>rations suscitèr<strong>en</strong>t, à leur tour, les critiques de certains<br />

observateurs, selon lesquels les gouvernem<strong>en</strong>ts occid<strong>en</strong>taux ne faisai<strong>en</strong>t pas assez <strong>pour</strong><br />

déf<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> liberté d’expression et <strong>la</strong> liberté de <strong>la</strong> presse. Il est intéressant de remarquer que<br />

certains groupes chréti<strong>en</strong>s, de plus <strong>en</strong> plus préoccupés par le déclin <strong>des</strong> <strong>valeurs</strong> chréti<strong>en</strong>nes <strong>en</strong><br />

Occid<strong>en</strong>t et par <strong>des</strong> pièces de théâtre, films et publications qu’ils considèr<strong>en</strong>t comme<br />

b<strong>la</strong>sphématoires, se montrèr<strong>en</strong>t réceptifs <strong>en</strong>vers les p<strong>la</strong>intes <strong>des</strong> groupes musulmans.<br />

Au même mom<strong>en</strong>t, <strong>des</strong> diss<strong>en</strong>sions apparaissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les musulmans libéraux, dont<br />

beaucoup viv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>, et ceux qui avai<strong>en</strong>t adopté une position plus traditionnelle et<br />

fondam<strong>en</strong>taliste. A Londres, par exemple, <strong>en</strong> mars 2006, il y eut une marche, organisée par<br />

<strong>des</strong> Musulmans qui protestai<strong>en</strong>t contre les caricatures, et une autre marche, organisée par <strong>des</strong><br />

Musulmans qui sout<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> liberté d’expression.<br />

Divers points de vues concernant l’affaire <strong>des</strong> caricatures<br />

Extrait de l’éditorial du Jyl<strong>la</strong>nds-Post<strong>en</strong> accompagnant les caricatures :<br />

«Certains musulmans rejett<strong>en</strong>t <strong>la</strong> société <strong>la</strong>ïque moderne. Ils réc<strong>la</strong>m<strong>en</strong>t un statut particulier <strong>en</strong><br />

insistant <strong>pour</strong> que l’on pr<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> compte leurs s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts religieux de façon spécifique. Ce<strong>la</strong><br />

est incompatible avec <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> contemporaine, et <strong>la</strong> liberté d’expression, qui implique<br />

que l’on soit prêt à <strong>en</strong>caisser insultes, moquerie et dérision. Il n’est certainem<strong>en</strong>t pas toujours<br />

agréable d’y être confronté et ce<strong>la</strong> ne signifie pas qu’il faut à tout prix se moquer <strong>des</strong><br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts religieux, mais ce<strong>la</strong> est de peu d’importance dans le contexte actuel. [...] Nous<br />

nous trouvons sur une p<strong>en</strong>te dangereuse et personne ne peut dire où s’arrêtera l’autoc<strong>en</strong>sure.<br />

C’est <strong>pour</strong>quoi le Jyl<strong>la</strong>nds-Post<strong>en</strong> a invité <strong>des</strong> membres du Syndicat <strong>des</strong> caricaturistes de<br />

presse danois à <strong>des</strong>siner Mahomet comme ils le voi<strong>en</strong>t. »<br />

10 ambassadeurs de pays arabes <strong>en</strong> poste à Cop<strong>en</strong>hague ont fait une déc<strong>la</strong>ration écrite le<br />

20 octobre 2005 :<br />

«Nous déplorons ces déc<strong>la</strong>rations et publications et demandons au Gouvernem<strong>en</strong>t de Votre<br />

Excell<strong>en</strong>ce de <strong>pour</strong>suivre les personnes responsables <strong>en</strong> vertu du droit du pays, dans l’intérêt<br />

de <strong>la</strong> cohabitation harmonieuse <strong>en</strong>tre les religions, d’une meilleure intégration et <strong>des</strong> re<strong>la</strong>tions<br />

du Danemark avec le monde musulman. »<br />

Le Gouvernem<strong>en</strong>t danois a répondu aux ambassadeurs par une lettre disant :<br />

«La liberté d’expression est très <strong>la</strong>rge et le Gouvernem<strong>en</strong>t danois ne dispose d’aucun moy<strong>en</strong><br />

<strong>pour</strong> influ<strong>en</strong>cer <strong>la</strong> presse. Cep<strong>en</strong>dant, <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion danoise interdit les actes ou expressions à<br />

caractère b<strong>la</strong>sphématoire ou discriminatoire. La partie <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sée peut int<strong>en</strong>ter une action <strong>en</strong><br />

justice contre les auteurs de tels actes ou expressions, il apparti<strong>en</strong>t alors aux tribunaux de<br />

décider au cas par cas. »<br />

57


Un écrivain musulman basé à Londres, Ziauddin Sadar, a établi un parallèle <strong>en</strong>tre les<br />

caricatures danoises et les images antisémites apparues <strong>en</strong> Allemagne dans les années 30<br />

et affirmé que :<br />

«La liberté d’expression ne consiste pas à dire tout ce que nous voulons uniquem<strong>en</strong>t parce<br />

que nous le voulons. Il s’agit de créer un forum ouvert <strong>pour</strong> les idées et les discussions où<br />

tous peuv<strong>en</strong>t participer sur un pied d’égalité, même ceux qui sont marginalisés. »<br />

Le Secrétaire général de <strong>la</strong> Ligue arabe, Amr Moussa, a lui aussi établi un parallèle avec<br />

l’antisémitisme et accusé l’Occid<strong>en</strong>t de faire deux poids deux mesures <strong>en</strong> matière de<br />

liberté d’expression :<br />

«Qu’<strong>en</strong> est-il de <strong>la</strong> liberté d’expression <strong>pour</strong> ce qui touche à l’antisémitisme ? Dans ce cas il<br />

ne s’agit plus de libre expression, mais d’un crime. Mais quand l’Is<strong>la</strong>m est insulté, certains<br />

pouvoirs… …soulèv<strong>en</strong>t le problème de <strong>la</strong> liberté d’expression. La liberté d’expression ne<br />

devrait se mesurer qu’à une seule aune, pas à deux ou trois. »<br />

Le ministre <strong>des</strong> affaires étrangères égypti<strong>en</strong>, Aboul Ghait, a écrit au Premier ministre<br />

danois et au Secrétaire général <strong>des</strong> Nations Unies <strong>pour</strong> expliquer qu’il fal<strong>la</strong>it :<br />

«Une déc<strong>la</strong>ration <strong>of</strong>ficielle du Gouvernem<strong>en</strong>t danois soulignant <strong>la</strong> nécessité et l’obligation de<br />

respecter toutes les religions et de s’abst<strong>en</strong>ir d’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>ser leurs adeptes, afin d’éviter une<br />

esca<strong>la</strong>de qui aurait <strong>des</strong> conséqu<strong>en</strong>ces sérieuses et durables. »<br />

Thomas Kleine-Brockh<strong>of</strong>f, directeur du bureau à Washington de l’hebdomadaire<br />

d’information allemand, Die Zeit, a expliqué ainsi <strong>la</strong> décision de son journal de publier<br />

les caricatures danoises :<br />

«Quand les caricatures ont été publiées <strong>pour</strong> <strong>la</strong> première fois au Danemark <strong>en</strong> septembre,<br />

personne n’y a prêté att<strong>en</strong>tion <strong>en</strong> Allemagne. Si, à cette époque là on avait proposé à notre<br />

journal de les publier, nous aurions très probablem<strong>en</strong>t refusé… par souci de modération et de<br />

respect <strong>en</strong>vers <strong>la</strong> minorité musulmane de notre pays. Les g<strong>en</strong>s de presse pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t tout le<br />

temps <strong>des</strong> décisions basées sur le goût. Nous ne montrons pas d’images à caractère sexuel<br />

explicite ou montrant <strong>des</strong> corps dénudés après une attaque terroriste. Nous nous efforçons<br />

d’exclure le racisme et l’antisémitisme de notre journal. La liberté de <strong>la</strong> presse va de pair avec<br />

<strong>la</strong> responsabilité. C’est <strong>pour</strong>quoi nous avons vu <strong>des</strong> corps tombant du World Trade C<strong>en</strong>ter le<br />

11 septembre 2001, c’est <strong>pour</strong>quoi nous avons vu <strong>des</strong> images d’Abou Ghraib. Sur de tels<br />

sujets, nous publions <strong>des</strong> choses que nous ne publierions pas <strong>en</strong> temps normal… Publier ne<br />

signifie pas adhérer. C’est le contexte qui importe. »<br />

Un porte-parole du Départem<strong>en</strong>t d’Etat, Sean McCormack, a prés<strong>en</strong>té <strong>la</strong> position<br />

<strong>of</strong>ficielle du Gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis dans <strong>la</strong> controverse suscitée par les<br />

caricatures :<br />

« Des images anti-musulmanes sont tout aussi inacceptables que <strong>des</strong> images antisémites, antichréti<strong>en</strong>nes<br />

ou tournées contre toute autre croyance religieuse. Mais il est égalem<strong>en</strong>t<br />

important que nous sout<strong>en</strong>ions les droits <strong>des</strong> individus à exprimer librem<strong>en</strong>t leurs opinions. »<br />

58


Un journaliste basé aux Etats-Unis, Christopher Hitch<strong>en</strong>s, de t<strong>en</strong>dance plutôt libertaire<br />

de droite, a réagi de <strong>la</strong> façon suivante à <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration du Départem<strong>en</strong>t d’Etat :<br />

« Quel malheur <strong>pour</strong> le pays du Premier am<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>t [qui protège <strong>la</strong> liberté d’expression et<br />

<strong>la</strong> liberté de <strong>la</strong> presse] d’être représ<strong>en</strong>té par cette administration. »<br />

Le Ministre <strong>des</strong> affaires étrangères français, Philippe Douste-B<strong>la</strong>zy, a exprimé le point<br />

de vue selon lequel :<br />

C’est vrai, <strong>la</strong> liberté d’expression confère <strong>des</strong> droits, mais elle impose aussi un devoir de<br />

responsabilité à ceux qui s’exprim<strong>en</strong>t.<br />

Lors d’un rassemblem<strong>en</strong>t à Londres le 25 mars 2006, Mariam Namazie, une militante<br />

<strong>des</strong> droits de l’homme irani<strong>en</strong>ne qui vit maint<strong>en</strong>ant <strong>en</strong> Grande Bretagne, a expliqué<br />

<strong>pour</strong>quoi elle s’opposait aux appels à pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> mesures contre ceux qui avai<strong>en</strong>t<br />

publié les caricatures :<br />

«Qualifier de sacrées certaines expressions et paroles ne constitue qu’un outil de suppression<br />

de <strong>la</strong> société. Dire que <strong>la</strong> parole et l’expression <strong>of</strong>f<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t constitue une t<strong>en</strong>tative de les limiter.<br />

Evidemm<strong>en</strong>t, ce qui est t<strong>en</strong>u <strong>pour</strong> le plus sacré et considéré comme le plus <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sant, surtout<br />

dans le nouvel ordre mondial, c’est <strong>la</strong> critique et <strong>la</strong> dérision de <strong>la</strong> religion, ainsi que de ses<br />

représ<strong>en</strong>tants sur terre. Pourquoi le faire si ce<strong>la</strong> <strong>of</strong>f<strong>en</strong>se ? Parce qu’il le faut. Parce que <strong>la</strong><br />

dérision est une forme de critique, une forme de résistance, une forme sérieuse d’opposition à<br />

<strong>la</strong> réaction… …Il faut les critiquer et les ridiculiser car c’est ainsi que, tout au long de<br />

l’histoire, <strong>la</strong> société a réussi à avancer et à progresser. »<br />

Cep<strong>en</strong>dant, l’auteur d’une biographie du Prophète Mahomet, Kar<strong>en</strong> Armstrong, a<br />

prés<strong>en</strong>té une vision différ<strong>en</strong>te du processus de modernisation :<br />

«Chacune <strong>des</strong> parties doit respecter le point de vue de l’autre. Je p<strong>en</strong>se qu’il était criminel et<br />

irresponsable de publier ces caricatures. Ce<strong>la</strong> a été une aubaine <strong>pour</strong> les extrémistes, <strong>en</strong><br />

montrant l’is<strong>la</strong>mophobie incurable de l’Occid<strong>en</strong>t… …d’un autre côté, dans une <strong>Europe</strong><br />

<strong>la</strong>ïque, <strong>la</strong> liberté d’expression est dev<strong>en</strong>ue une valeur sacrée. Nous avons combattu durem<strong>en</strong>t<br />

<strong>pour</strong> l’obt<strong>en</strong>ir, mais nous ne devons pas oublier qu’elle implique <strong>des</strong> responsabilités. Ainsi,<br />

avons-nous le droit de dire tout de que nous voulons, même si c’est faux et dangereux ? Nous<br />

assistons à une confrontation <strong>en</strong>tre deux notions différ<strong>en</strong>tes du sacré qui fait partie intégrante<br />

du processus de modernisation. »<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez vous ?<br />

Si vous a<strong>vie</strong>z été rédacteur <strong>en</strong> chef d’un journal europé<strong>en</strong>, auriez-vous publié les<br />

caricatures de Mahomet ou auriez-vous considéré que ce<strong>la</strong> était irresponsable ?<br />

Avons-nous une obligation de réfléchir à <strong>la</strong> façon dont nos opinions <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t<br />

<strong>of</strong>f<strong>en</strong>ser quelqu’un d’autre avant de les exprimer <strong>en</strong> public ou est-il plus important<br />

que les g<strong>en</strong>s puiss<strong>en</strong>t dire ce qu’ils p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t, quelle que soit l’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>se que ce<strong>la</strong> cause et<br />

les conséqu<strong>en</strong>ces possibles ?<br />

59


La réaction aux caricatures dans certaines parties du monde musulman était-elle<br />

compréh<strong>en</strong>sible et raisonnable, étant donné le caractère <strong>of</strong>f<strong>en</strong>sant et insultant du<br />

cont<strong>en</strong>u, ou était-elle disproportionnée par rapport à l’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>se ?<br />

60


ETUDE DE CAS 6: Le droit de défiler <strong>pour</strong> commémorer son<br />

histoire culturelle : le cas de l’Ir<strong>la</strong>nde du Nord<br />

Robert Stradling<br />

Chronologie :<br />

Il est impossible de compr<strong>en</strong>dre les évènem<strong>en</strong>ts d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord p<strong>en</strong>dant les 40 ans <strong>des</strong><br />

«Troubles » (qui ont comm<strong>en</strong>cé à <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années 60) sans recul historique.<br />

Du 15 e au 17 e siècle : En 1534, après l’occupation militaire de l’île, H<strong>en</strong>ri VIII, Roi<br />

d’Angleterre, se nomme lui-même Roi d’Ir<strong>la</strong>nde. Ses successeurs accroiss<strong>en</strong>t leur emprise sur<br />

l’île, surtout <strong>en</strong> donnant <strong>des</strong> terres à <strong>des</strong> colons protestants ang<strong>la</strong>is. Les t<strong>en</strong>tatives<br />

d’établissem<strong>en</strong>t du protestantisme <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde conduis<strong>en</strong>t à de fréqu<strong>en</strong>tes révoltes de <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion catholique.<br />

1685-1690 : Après que Jacques II soit dev<strong>en</strong>u roi d’Angleterre et d’Ecosse <strong>en</strong> 1685,<br />

l’insatisfaction croissante, à son <strong>en</strong>contre et celle de ses sympathisants catholiques, conduit<br />

les Protestants ang<strong>la</strong>is à inviter le Prince Guil<strong>la</strong>ume d’Orange à pr<strong>en</strong>dre le trône. Jacques II<br />

fuit <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde et constitue une armée catholique <strong>pour</strong> sout<strong>en</strong>ir ses prét<strong>en</strong>tions sur le trône. De<br />

nombreux protestants, surtout dans le Nord de l’Ir<strong>la</strong>nde, souti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t Guil<strong>la</strong>ume d’Orange. En<br />

juillet 1690, l’armée de Guil<strong>la</strong>ume défait celle de Jacques lors de <strong>la</strong> Bataille de Boyne, au<br />

Nord de Dublin. Cette bataille est commémorée tous les ans, le 12 juillet, par <strong>des</strong> défilés <strong>des</strong><br />

Orangistes (nom que s’étai<strong>en</strong>t donné les Protestants d’Ulster qui sout<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t Guil<strong>la</strong>ume) dans<br />

toute <strong>la</strong> province, <strong>pour</strong> célébrer <strong>la</strong> défaite décisive de Jacques II.<br />

18 e siècle : Nombre de lois désavantageant les Catholiques d’Ir<strong>la</strong>nde sont adoptées p<strong>en</strong>dant<br />

cette période : Ceux-ci ne pouvai<strong>en</strong>t pas occuper de fonctions <strong>of</strong>ficielles, voter ou être<br />

membre du Parlem<strong>en</strong>t, exercer une pr<strong>of</strong>ession juridique, porter <strong>des</strong> armes, etc.<br />

1801 : Une Loi d’union abolit le Parlem<strong>en</strong>t ir<strong>la</strong>ndais et unit formellem<strong>en</strong>t l’Ir<strong>la</strong>nde à <strong>la</strong><br />

Grande-Bretagne <strong>pour</strong> créer le Royaume-uni.<br />

19e siècle : En Ir<strong>la</strong>nde, tout le 19 e siècle est marqué par <strong>des</strong> protestations et <strong>des</strong> révoltes, <strong>en</strong><br />

raison d’une série de famines et parce que de nombreux locataires ir<strong>la</strong>ndais sont expulsés de<br />

leurs maisons par leurs propriétaires ang<strong>la</strong>is et forcés d’émigrer aux Etats-Unis, au Canada et<br />

<strong>en</strong> Australie.<br />

1888 – 1914 : Au cours de <strong>la</strong> deuxième moitié du 19 e siècle, le mouvem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveur de<br />

l’autonomie de l’Ir<strong>la</strong>nde («Home Rule ») se développe. Après l’échec de deux t<strong>en</strong>tatives <strong>pour</strong><br />

adopter une légis<strong>la</strong>tion accordant l’autonomie à l’Ir<strong>la</strong>nde, une troisième Loi sur le Home Rule<br />

est adoptée par le Parlem<strong>en</strong>t britannique <strong>en</strong> 1912. En 1913, les Protestants constitu<strong>en</strong>t <strong>la</strong> Force<br />

<strong>des</strong> volontaires d’Ulster (Ulster Volunteer Force, UVF) <strong>pour</strong> s’opposer aux changem<strong>en</strong>ts<br />

introduits par cette légis<strong>la</strong>tion.<br />

1914 – 1920 : En 1913, de nombreux Catholiques ir<strong>la</strong>ndais constitu<strong>en</strong>t les Volontaires<br />

ir<strong>la</strong>ndais (Irish Volunteers, IV) <strong>pour</strong> répliquer à tout usage de <strong>la</strong> force par l’UVF. En 1916,<br />

un certain nombre de membres <strong>des</strong> IV proc<strong>la</strong>m<strong>en</strong>t <strong>la</strong> République d’Ir<strong>la</strong>nde et s’empar<strong>en</strong>t du<br />

Bureau général <strong>des</strong> postes de Dublin. Les combats <strong>en</strong>tre les IV et les forces britanniques<br />

dur<strong>en</strong>t cinq jours. Les rebelles se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t, mais ceux qui ont participé à l’Insurrection de<br />

Pâques seront connus parmi leurs sympathisants catholiques sous le nom d’Armée<br />

61


épublicaine ir<strong>la</strong>ndaise (IRA). En mai 1916, 15 <strong>des</strong> rebelles qui avai<strong>en</strong>t été capturés sont<br />

exécutés, les autres emprisonnés.<br />

1920 – 1922 : Le Gouvernem<strong>en</strong>t britannique partage l’Ir<strong>la</strong>nde <strong>en</strong> deux zones (partition) et<br />

crée un parlem<strong>en</strong>t distinct <strong>pour</strong> chaque zone. Le Parlem<strong>en</strong>t de Dublin légifère <strong>pour</strong> les 26<br />

comtés, situés surtout dans le Sud et à majorité catholique, qui form<strong>en</strong>t l’Etat libre d’Ir<strong>la</strong>nde.<br />

Les six autres comtés rest<strong>en</strong>t dans le Royaume-uni. Au Nord les Catholiques montr<strong>en</strong>t leur<br />

opposition à <strong>la</strong> partition par <strong>des</strong> actes de viol<strong>en</strong>ce. Quand les forces britanniques quitt<strong>en</strong>t<br />

l’Ir<strong>la</strong>nde, une longue guerre civile éc<strong>la</strong>te dans l’Etat libre d’Ir<strong>la</strong>nde <strong>en</strong>tre ceux qui souti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

<strong>la</strong> partition et ceux qui veul<strong>en</strong>t une Ir<strong>la</strong>nde unifiée.<br />

1968 - 69: Une Association de déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> droits civiques, inspirée <strong>des</strong> activistes noirs<br />

américains, est constituée <strong>en</strong> réaction aux discriminations dont sont victimes les catholiques<br />

d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord. Plusieurs marches <strong>pour</strong> les droits civiques sont organisées, <strong>la</strong> police les<br />

disperse <strong>en</strong> faisant un usage excessif de <strong>la</strong> force. En 1969, les défilés organisés par l’Ordre,<br />

protestant, d’Orange, utilisés par certains <strong>pour</strong> manifester leur opposition au Mouvem<strong>en</strong>t de<br />

déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> droits civiques, provoqu<strong>en</strong>t <strong>des</strong> émeutes et contre-manifestations. Le<br />

Gouvernem<strong>en</strong>t d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord demande l’<strong>en</strong>voi de troupes britanniques <strong>pour</strong> réprimer les<br />

émeutes. Des barrica<strong>des</strong> sont dressées dans <strong>la</strong> zone catholique de Derry et, afin d’éviter un<br />

bain de sang, les troupes britanniques ne font ri<strong>en</strong> <strong>pour</strong> les <strong>en</strong>lever. Les zones barricadées sont<br />

connues sous le nom de « no go areas (zones interdites) ». Au même mom<strong>en</strong>t, l’IRA se scinde<br />

<strong>en</strong> deux factions : l’IRA <strong>of</strong>ficielle et l’IRA provisoire, qui adopte une ligne dure.<br />

Jan<strong>vie</strong>r 1972 : L’Association de déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> droits civiques mainti<strong>en</strong>t, malgré son<br />

interdiction, une marche organisée à Derry <strong>pour</strong> protester contre l’introduction par le<br />

Gouvernem<strong>en</strong>t britannique de <strong>la</strong> dét<strong>en</strong>tion sans jugem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> les paramilitaires. Les troupes<br />

britanniques mont<strong>en</strong>t <strong>des</strong> barrica<strong>des</strong> <strong>pour</strong> empêcher <strong>la</strong> marche d’accéder au c<strong>en</strong>tre ville. Lors<br />

d’une confrontation avec les manifestants, les troupes ouvr<strong>en</strong>t le feu et tu<strong>en</strong>t 14 personnes.<br />

C’est ce qu’on appellera le «Dimanche sang<strong>la</strong>nt (Bloody Sunday) ». A <strong>la</strong> suite de ces<br />

évènem<strong>en</strong>ts, le nombre <strong>des</strong> sympathisants de l’IRA provisoire augm<strong>en</strong>te considérablem<strong>en</strong>t, le<br />

Gouvernem<strong>en</strong>t d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord est susp<strong>en</strong>du et <strong>la</strong> province est gouvernée directem<strong>en</strong>t<br />

depuis Londres.<br />

Novembre 1974 : l’IRA provisoire <strong>la</strong>nce une campagne d’att<strong>en</strong>tats à <strong>la</strong> bombe <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du<br />

Nord et <strong>en</strong> grande Bretagne, le gouvernem<strong>en</strong>t britannique réagit par une Loi sur <strong>la</strong> prév<strong>en</strong>tion<br />

du terrorisme qui permet de maint<strong>en</strong>ir les suspects <strong>en</strong> dét<strong>en</strong>tion provisoire p<strong>en</strong>dant sept jours.<br />

Ce<strong>la</strong> provoque <strong>des</strong> protestations et grèves de <strong>la</strong> faim <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us membres de l’IRA tout au<br />

long <strong>des</strong> années 80. Il y a de plus <strong>en</strong> plus de viol<strong>en</strong>ces dans <strong>la</strong> province, tant de <strong>la</strong> part de<br />

l’IRA que de groupes loyalistes comme l’UVF.<br />

1996 – 1998 : Le sénateur américain , George Mitchell, dirige <strong>des</strong> négociations de paix et<br />

l’IRA finit par annoncer un cesser le feu. Après de longues discussions, on arrive à un accord<br />

de paix à Pâques 1998, il est approuvé par une <strong>la</strong>rge majorité lors d’un refer<strong>en</strong>dum.<br />

1997 : Comme les défilés et para<strong>des</strong> à travers les zones habitées par l’autre communauté<br />

constitu<strong>en</strong>t l’une <strong>des</strong> principales sources de t<strong>en</strong>sions <strong>en</strong>tre Républicains et Loyalistes, le<br />

Gouvernem<strong>en</strong>t britannique met <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce une Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong>, organisation quasijudiciaire<br />

qui décide s’il con<strong>vie</strong>nt ou non d’imposer <strong>des</strong> restrictions aux défilés et para<strong>des</strong>.<br />

62


Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Les terribles problèmes qui ont troublé <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du Nord p<strong>en</strong>dant les 40<br />

dernières années ont leur origine dans le passé : <strong>la</strong> confiscation de terres par <strong>la</strong> noblesse<br />

anglo-normande aux 12 e et 13 e siècles, les divisions apparues après que les Tudor se soi<strong>en</strong>t<br />

proc<strong>la</strong>més Rois d’Ir<strong>la</strong>nde puis ai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>couragé <strong>des</strong> colons protestants ang<strong>la</strong>is à s’y installer,<br />

dans le but de mieux contrôler <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion catholique locale, les vagues ultérieures de<br />

colons protestants écossais <strong>en</strong> Ulster, dans le Nord de l’Ir<strong>la</strong>nde, <strong>la</strong> défaite du Roi catholique<br />

Jacques II <strong>en</strong> 1690 à <strong>la</strong> Bataille de Boyne, à 20 miles au Nord de Dublin, contre les forces du<br />

prince protestant Guil<strong>la</strong>ume d’Orange qui avait pris <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de Jacques sur le trône de<br />

Grande-Bretagne, les siècles de discrimination <strong>en</strong>vers les Catholiques qui ont suivi, <strong>en</strong>fin, <strong>la</strong><br />

division de l’Ir<strong>la</strong>nde <strong>en</strong> deux parties <strong>en</strong> 1922, avec le mainti<strong>en</strong> de six comtés dans le<br />

Royaume-uni et <strong>la</strong> constitution de l’Etat libre d’Ir<strong>la</strong>nde, dev<strong>en</strong>u par <strong>la</strong> suite République<br />

d’Ir<strong>la</strong>nde, avec les autres.<br />

Tous ces évènem<strong>en</strong>ts et évolutions ont contribué à l’apparition <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du Nord de deux<br />

communautés ayant <strong>des</strong> conceptions très différ<strong>en</strong>tes : <strong>la</strong> majorité (mais seulem<strong>en</strong>t dans le<br />

Nord) protestante et unioniste (favorable à l’union avec le reste du Royaume-uni) et loyale à<br />

<strong>la</strong> Couronne britannique, et <strong>la</strong> minorité (mais majorité dans le reste de l’Ir<strong>la</strong>nde) catholique,<br />

républicaine et nationaliste, croyant <strong>en</strong> une Ir<strong>la</strong>nde unie.<br />

P<strong>en</strong>dant plus de 300 ans, ces deux conceptions ont déterminé là où les g<strong>en</strong>s habitai<strong>en</strong>t, al<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t<br />

à l’église, à l’école et à l’université, travail<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t et se r<strong>en</strong>contrai<strong>en</strong>t, dans les 100 dernières<br />

années, elles ont eu une forte influ<strong>en</strong>ce sur leur vote. Comme l’a dit une fois le correspondant<br />

de <strong>la</strong> BBC <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde, D<strong>en</strong>nis Murray :<br />

[La victoire de Guil<strong>la</strong>ume d’Orange <strong>en</strong> 1690] « C’était il y a plus de 300 ans, mais<br />

<strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde, ça <strong>pour</strong>rait aussi bi<strong>en</strong> avoir été avant-hier. »<br />

Depuis longtemps, <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du Nord, les défilés et para<strong>des</strong> ont été une façon de<br />

commémorer, notamm<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> les Protestants loyalistes (les Catholiques nationalistes ont<br />

égalem<strong>en</strong>t utilisé les marches comme forme de protestation). Ainsi, tous les ans, l’Ordre<br />

d’Orange, qui compte plus de 75 000 membres protestants, organise <strong>des</strong> défilés <strong>pour</strong> « The<br />

Twelfth», afin de commémorer <strong>la</strong> victoire de Guil<strong>la</strong>ume d’Orange, le 12 juillet 1690, et<br />

d’autres évènem<strong>en</strong>ts importants de l’histoire <strong>des</strong> Protestants, comme <strong>la</strong> fermeture <strong>des</strong> portes<br />

de <strong>la</strong> ville de Derry par les garçons appr<strong>en</strong>tis <strong>pour</strong> bloquer <strong>la</strong> route à l’armée de Jacques II.<br />

P<strong>en</strong>dant tout l’hiver, les Loges de l’Ordre d’Orange s’<strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t et répèt<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> <strong>la</strong> saison <strong>des</strong><br />

défilés du mois de juillet, p<strong>en</strong>dant lesquels <strong>des</strong> milliers d’hommes habillés de leurs meilleurs<br />

costumes sombres, portant chapeaux melons, parapluies roulés et écharpes oranges, défil<strong>en</strong>t<br />

derrière un orchestre de sifflets et de tambours, <strong>en</strong> <strong>en</strong>tonnant <strong>des</strong> chants protestants ir<strong>la</strong>ndais<br />

traditionnels comme «The Sash My Father Wore » et «The Billy Boys» <strong>en</strong> suivant un<br />

itinéraire fixé depuis le 18 e siècle.<br />

En 1996, l’une <strong>des</strong> para<strong>des</strong> les plus anci<strong>en</strong>nes, existant depuis 1807, est dev<strong>en</strong>u un point de<br />

fixation décl<strong>en</strong>chant <strong>des</strong> troubles dans toute <strong>la</strong> province. Depuis très longtemps, l’Ordre<br />

d’Orange de Portadown défi<strong>la</strong>it depuis sa loge, situé dans le c<strong>en</strong>tre ville, <strong>des</strong>c<strong>en</strong>dait Obins<br />

Road <strong>pour</strong> rejoindre l’église paroissiale du vil<strong>la</strong>ge de Drumcree, puis retournait au c<strong>en</strong>tre ville<br />

<strong>en</strong> empruntant Garvaghy Road. Les Protestants voyai<strong>en</strong>t dans le défilé une expression<br />

traditionnelle de leur culture, alors que <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> Catholiques ignorai<strong>en</strong>t cette parade où<br />

partai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> vacances ce week-<strong>en</strong>d là. Mais les positions se sont radicalisées dans les années<br />

60. Jusqu’alors, Garvaghy Road avait été un chemin de campagne, mais, à <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années<br />

60, un lotissem<strong>en</strong>t de 6 000 habitants, <strong>pour</strong> <strong>la</strong> plupart catholiques, a été construit au bord de<br />

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cette route. Obins Road était égalem<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>u une zone habitée <strong>en</strong> majorité par <strong>des</strong><br />

Catholiques.<br />

Parallèlem<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> frustration <strong>des</strong> Catholiques, victimes de discriminations, conduisait à <strong>des</strong><br />

protestations et à <strong>des</strong> débordem<strong>en</strong>ts de viol<strong>en</strong>ce, ainsi qu’à une int<strong>en</strong>sification <strong>des</strong> activités<br />

paramilitaires dans les deux camps. Au plus fort <strong>des</strong> troubles, les défilés fur<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>us,<br />

mais ils nécessitai<strong>en</strong>t une interv<strong>en</strong>tion massive de <strong>la</strong> police et de l’armée et provoquai<strong>en</strong>t une<br />

forte opposition chez les Nationalistes. En 1996, les habitants catholiques de Garvaghy Road<br />

et Obins Road demandèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core une fois que l’itinéraire du défilé <strong>des</strong> Orangistes soit<br />

modifié, de façon à éviter leurs lotissem<strong>en</strong>ts, et, cette fois-ci, <strong>la</strong> police accepta et fixa un autre<br />

itinéraire <strong>pour</strong> l’aller et le retour <strong>en</strong>tre le c<strong>en</strong>tre de Portadown et l’église paroissiale de<br />

Drumcree. Un cordon de sécurité fut p<strong>la</strong>cé sur Garvaghy Road, afin d’empêcher le défilé de<br />

passer, mais <strong>des</strong> groupes loyalistes attaquèr<strong>en</strong>t <strong>la</strong> police et cette mesure provoqua <strong>des</strong> troubles<br />

dans d’autres localités d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord.<br />

En 1997, <strong>en</strong> raison <strong>des</strong> viol<strong>en</strong>ces et <strong>des</strong> t<strong>en</strong>sions persistantes, le Gouvernem<strong>en</strong>t britannique<br />

mit <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce une organisation indép<strong>en</strong>dante, non gouvernem<strong>en</strong>tale, à caractère quasijudiciaire,<br />

<strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du Nord, <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong> (Para<strong>des</strong> Commission) . Elle<br />

avait le pouvoir d’imposer <strong>des</strong> conditions à toute parade ou défilé susceptible de conduire à<br />

<strong>des</strong> désordres, conflits ou t<strong>en</strong>sions dans <strong>la</strong> zone où il devait avoir lieu. Toute décision prise<br />

par <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong>, vaut droit et s’impose aux personnes qui défil<strong>en</strong>t, aux<br />

organisateurs, ainsi qu’aux résid<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> zones concernées.<br />

La Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong> maintint <strong>la</strong> décision d’interdire le défilé <strong>des</strong> Orangistes le long de<br />

Garvaghy Road. Depuis, les organisateurs de <strong>la</strong> parade demand<strong>en</strong>t chaque année<br />

l’autorisation d’emprunter leur itinéraire traditionnel et, à chaque fois, elle leur est refusée.<br />

Chaque année, le défilé quitte l’Eglise de Dumcree et <strong>des</strong>c<strong>en</strong>d <strong>la</strong> colline jusqu’à un pont<br />

permettant d’accéder à Garvaghy Road et là, il est arrêté par les forces de sécurité.<br />

Depuis 1997, <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong> a égalem<strong>en</strong>t modifié l’itinéraire d’autres défilés <strong>en</strong><br />

Ir<strong>la</strong>nde du Nord et imposé d’autres restrictions. Ces décisions ont souv<strong>en</strong>t été contestées par<br />

l’une ou l’autre partie. La décision qui a peut-être été <strong>la</strong> plus controversée concernait une<br />

parade dans le quartier de Whiterock area, à l’Ouest de Belfast, il s’agissait d’un défilé<br />

traditionnel <strong>des</strong> Orangistes, de Shankill Road, habité par <strong>des</strong> Loyalistes, jusqu’à une barrière<br />

sur Workman Av<strong>en</strong>ue, qui séparait <strong>la</strong> communauté loyaliste de <strong>la</strong> communauté nationaliste,<br />

puis le long de Springfield Road, dont les habitants étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> majorité nationalistes.<br />

En 2005, à <strong>la</strong> suite d’une décision de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong> d’empêcher l’Ordre<br />

d’Orange d’accéder à Springfield Road, <strong>la</strong> police essuya <strong>des</strong> tirs et <strong>des</strong> attaques avec <strong>des</strong><br />

bombes à pétrole et <strong>des</strong> explosifs. Cette décision provoqua égalem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> émeutes et <strong>des</strong><br />

viol<strong>en</strong>ces dans plusieurs zones, tant loyalistes que nationalistes, de Belfast. Le coût total <strong>des</strong><br />

troubles fut estimé à 4,5 millions d’€. En 2006, <strong>la</strong> Commission décida de limiter à 50 le<br />

nombre de membres de l’Ordre d’Orange autorisés à défiler le long de Springfield Road et de<br />

faire passer le reste du défilé par l’itinéraire de remp<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t emprunté <strong>en</strong> 2005. Bi<strong>en</strong> que<br />

cette décision ait été critiquée par certains Loyalistes et certains Nationalistes, le défilé se<br />

dérou<strong>la</strong> pacifiquem<strong>en</strong>t.<br />

Quand <strong>des</strong> défilés ou para<strong>des</strong> sont contestés, les deux parties affirm<strong>en</strong>t que leurs droits sont<br />

violés. Ceux qui veul<strong>en</strong>t défiler invoqu<strong>en</strong>t leur droit de rassemblem<strong>en</strong>t, leur droit de libre<br />

expression, ainsi que leur liberté d’opinion et de religion. Par contre, ceux qui ne veul<strong>en</strong>t pas<br />

que les défilés ou para<strong>des</strong> travers<strong>en</strong>t le territoire de leur communauté invoqu<strong>en</strong>t le droit à <strong>la</strong><br />

protection contre l’intimidation et le harcèlem<strong>en</strong>t, ainsi que le droit au respect de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée.<br />

Dans ce g<strong>en</strong>re de situation, les traités <strong>des</strong> droits de l’homme, comme <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion<br />

europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme et <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion internationale <strong>des</strong> droits civils et<br />

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politiques <strong>des</strong> Nations Unies, peuv<strong>en</strong>t servir de cadre de règlem<strong>en</strong>t mais n’apport<strong>en</strong>t pas de<br />

solution.<br />

La Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong> d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord propose un moy<strong>en</strong>, parmi d’autres, de<br />

résoudre ce type de conflits, mais son efficacité dép<strong>en</strong>d de <strong>la</strong> volonté de l’<strong>en</strong>semble de <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion d’accepter un compromis et suppose qu’elle soit perçue par les deux parties<br />

comme impartiale et indép<strong>en</strong>dante vis à vis du Gouvernem<strong>en</strong>t et <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tants <strong>des</strong> deux<br />

camps.<br />

Divers points de vue sur ces questions<br />

Le chef du Parti travailliste, social-démocrate, d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord (dont <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong><br />

électeurs sont issus de <strong>la</strong> communauté catholique nationaliste) exprimait son point de<br />

vue <strong>en</strong> 1994 :<br />

«Pour les g<strong>en</strong>s [<strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du Nord], défiler ne remp<strong>la</strong>ce pas le jogging. Il s’agit d’affirmer<br />

leur suprématie. C’est du tribalisme à l’état pur, cause de troubles dans le monde <strong>en</strong>tier. »<br />

Drew Nelson, Grand Secrétaire de l’Ordre d’Orange et membre de l’Assemblée<br />

d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord donnait un éc<strong>la</strong>irage différ<strong>en</strong>t :<br />

«Les défilés constitu<strong>en</strong>t une célébration de notre sur<strong>vie</strong> sur cette île <strong>en</strong> tant que communauté<br />

et de notre liberté d’exprimer notre culture de cette façon. »<br />

Le Présid<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong> d’Ir<strong>la</strong>nde du Nord, Roger Poole, expliquait<br />

ainsi ses raisons <strong>pour</strong> maint<strong>en</strong>ir les restrictions imposées à <strong>la</strong> parade orangiste de<br />

Portadown :<br />

«Nous espérons qu’un arrangem<strong>en</strong>t apportant une stabilité durable <strong>pour</strong>ra être trouvé à<br />

Portadown…….Pour le mom<strong>en</strong>t, nous considérons qu’une parade le long de Garvaghy Road<br />

<strong>pour</strong>rait contribuer à déstabiliser <strong>la</strong> situation dans cette zone. Nous nous <strong>en</strong>gageons à sout<strong>en</strong>ir<br />

un processus de médiation et de dialogue qui, je le crois sincèrem<strong>en</strong>t, peut contribuer à<br />

résoudre de <strong>vie</strong>ux problème.»<br />

En 2006, un porte-parole de l’Association, nationaliste, <strong>des</strong> habitants de Garvaghy<br />

Road, continuait à mettre <strong>en</strong> doute <strong>la</strong> neutralité de <strong>la</strong> Commission, tout <strong>en</strong> se félicitant<br />

de sa décision d’imposer <strong>des</strong> restrictions à l’itinéraire du défilé <strong>des</strong> Orangistes :<br />

«Personne ou presque ne s’att<strong>en</strong>dait à ce que <strong>la</strong> Commission ne r<strong>en</strong>verse huit décisions<br />

consécutives d’interdire le défilé sur Garvaghy Road…..Cep<strong>en</strong>dant, cette décision ne change<br />

ri<strong>en</strong> au fait, et c’est un point de vue <strong>la</strong>rgem<strong>en</strong>t partagé dans <strong>la</strong> communauté nationaliste, que<br />

<strong>la</strong> Commission est nettem<strong>en</strong>t déséquilibrée <strong>en</strong> termes de composition et de représ<strong>en</strong>tativité. »<br />

En 2005, le Vice-présid<strong>en</strong>t du Parti démocratique unioniste (Democratic Unionist<br />

Party), Peter Robinson, a déc<strong>la</strong>ré publiquem<strong>en</strong>t que les Unionistes ne devrai<strong>en</strong>t pas<br />

sout<strong>en</strong>ir <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong> :<br />

«Cette organisation non gouvernem<strong>en</strong>tale quasi autonome (« Quango » 11 ) a pris <strong>des</strong> décisions<br />

incohér<strong>en</strong>tes, puni ceux qui respect<strong>en</strong>t <strong>la</strong> loi <strong>en</strong> interdisant leurs para<strong>des</strong> et a ainsi récomp<strong>en</strong>sé<br />

ceux qui se livrai<strong>en</strong>t à <strong>des</strong> actes de viol<strong>en</strong>ce, a <strong>en</strong>couragé le dialogue puis l’a rejeté au visage<br />

<strong>des</strong> g<strong>en</strong>s. »<br />

11 Terme souv<strong>en</strong>t utilisé par <strong>des</strong> critiques considérant qu’une ONG n’est pas impartiale et a été<br />

constituée <strong>pour</strong> obéir au gouvernem<strong>en</strong>t.<br />

65


Un porte-parole de l’Ordre d’Orange interrogé sur <strong>la</strong> réaction viol<strong>en</strong>te <strong>des</strong> Loyalistes à<br />

<strong>la</strong> décision de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> Para<strong>des</strong> d’empêcher les défilés d’emprunter<br />

Springfield Road, à l’Ouest de Belfast, <strong>en</strong> 2005 :<br />

«C’est <strong>la</strong> frustration <strong>des</strong> Protestants de ne pouvoir faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre leur voix. Nous ress<strong>en</strong>tons<br />

une telle frustration que <strong>la</strong> communauté nationaliste républicaine dispose d’un droit de veto<br />

par le biais de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong>. »<br />

Après que <strong>la</strong> parade de 2006 dans le quartier de Whiterock, à l’Ouest de Belfast, se soit<br />

déroulée pacifiquem<strong>en</strong>t, certains représ<strong>en</strong>tants <strong>des</strong> deux communautés se félicitèr<strong>en</strong>t de ce<br />

nouvel esprit de compromis et de conciliation, mais d’autres, bi<strong>en</strong> que sou<strong>la</strong>gés que les<br />

viol<strong>en</strong>ces <strong>des</strong> années précéd<strong>en</strong>tes ne se soi<strong>en</strong>t pas répétées, considérai<strong>en</strong>t que leur camp avait<br />

dû faire plus de concessions que l’autre :<br />

Tommy Cheevers, un membre du Forum <strong>des</strong> para<strong>des</strong> du Nord et de l’Ouest de Belfast<br />

déc<strong>la</strong>ra :<br />

«Si on arrive à avoir un été pacifique, nous y aurons contribué…Il n’est pas possible que<br />

l’une <strong>des</strong> parties dispose d’un droit de veto et il faut que ce<strong>la</strong> se fasse dans un esprit de<br />

conciliation et d’accommodem<strong>en</strong>t, on ne peut pas écouter un seul camp. »<br />

Le chef du Parti unioniste d’Ulster (Ulster Unionist Party), Sir Reg Empey, répondit :<br />

«Il con<strong>vie</strong>nt de féliciter un certain nombre de g<strong>en</strong>s qui ont contribué à ce que <strong>la</strong> parade de<br />

Whiterock se déroule pacifiquem<strong>en</strong>t ce qui….<strong>pour</strong>rait permettre d’avoir un été 2006<br />

pacifique. »<br />

Drew Nelson, porte parole de l’Ordre d’Orange, s’exprimait ainsi à propos <strong>des</strong><br />

concessions <strong>des</strong> Protestants :<br />

«Ce<strong>la</strong> a été une décision difficile … de limiter le nombre [de participants] passant par<br />

Workman Av<strong>en</strong>ue gates <strong>pour</strong> rejoindre Springfield Road, néanmoins [l’Ordre d’Orange était]<br />

prêt à faire <strong>des</strong> sacrifices. »<br />

Tom Hartley, conseiller municipal de Belfast, membre du Sinn Fein (c’est-à-dire le parti<br />

bénéficiant du souti<strong>en</strong> le plus important de <strong>la</strong> part <strong>des</strong> Nationalistes) considérait que <strong>la</strong><br />

décision de <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong> était partiale:<br />

«Il n’aura pas échappé à l’<strong>en</strong>semble de <strong>la</strong> communauté nationaliste que, à l’occasion du<br />

premier test auquel elle était soumis, <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> para<strong>des</strong>, qui comporte bi<strong>en</strong> sûr <strong>des</strong><br />

membres et <strong>des</strong> sympathisants de l’Ordre d’Orange, a décidé de récomp<strong>en</strong>ser directem<strong>en</strong>t les<br />

viol<strong>en</strong>ces et intimidations de l’an dernier par une parade empruntant Springfield Road. »<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Y a t’il <strong>des</strong> circonstances dans lesquelles une communauté, qu’elle constitue <strong>la</strong> majorité ou <strong>la</strong><br />

minorité, ne doit PAS être autorisée à exercer ses droits culturels <strong>en</strong> célébrant publiquem<strong>en</strong>t<br />

son histoire et ses traditions culturelles ?<br />

Votre avis sur le sujet serait-il le même qu’il s’agisse de <strong>la</strong> communauté majoritaire ou de <strong>la</strong><br />

communauté minoritaire ?<br />

Si <strong>la</strong> minorité <strong>en</strong> question était constituée de personnes nées hors du pays (ou dont les<br />

ancêtres étai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>us d’un autre pays) et souhaitant célébrer leurs traditions culturelles avec<br />

<strong>des</strong> défilés et <strong>des</strong> manifestations publiques ET si certains représ<strong>en</strong>tants de <strong>la</strong> communauté<br />

majoritaire n’approuvai<strong>en</strong>t pas, faudrait-il quand même autoriser l’organisation de ces<br />

défilés?<br />

66


QUATRIEME QUESTION CLE : Chacun a-t-il le droit de vivre où<br />

il veut ?<br />

Christopher Rowe<br />

Il semblerait que <strong>la</strong> réponse à cette question soit, tout simplem<strong>en</strong>t, « Oui ». On peut invoquer<br />

l’argum<strong>en</strong>t selon lequel il existe un droit fondam<strong>en</strong>tal à pouvoir vivre <strong>en</strong> paix à l’<strong>en</strong>droit où<br />

l’on se considère comme chez soi. Il est parfaitem<strong>en</strong>t anormal d’obliger <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s à quitter<br />

leurs foyers et de leur refuser le droit d’y retourner. Les sociétés démocratiques ont toujours <strong>la</strong><br />

responsabilité d’assurer <strong>la</strong> liberté de circu<strong>la</strong>tion et <strong>la</strong> sécurité <strong>des</strong> personnes. Pourtant, ce<br />

problème n’est pas aussi simple qu’il y parait. La plupart <strong>des</strong> légis<strong>la</strong>tions prévoi<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

dérogations, dans certaines circonstances particulières 12 . Il existe aussi de nombreux facteurs<br />

pratiques et moraux limitant <strong>la</strong> possibilité de choisir où l’on vit. Il y a, tout d’abord, <strong>des</strong><br />

conflits <strong>en</strong>tre libertés concurr<strong>en</strong>tes, si le choix d’une personne de vivre à un <strong>en</strong>droit implique<br />

que ce droit soit refusé à d’autres.<br />

L’histoire <strong>des</strong> 500 dernières années a été marquée par de nombreux cas de personnes<br />

déracinées <strong>en</strong> raison de viol<strong>en</strong>ces, que ces dernières ai<strong>en</strong>t été ordonnées par l’Etat ou qu’elles<br />

se soi<strong>en</strong>t produites parce qu’il avait manqué à son devoir de protection <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s. Les Juifs<br />

ont été expulsés d’Espagne par décret <strong>en</strong> 1492. Nombre de leurs <strong>des</strong>c<strong>en</strong>dants ont été expulsés<br />

à leur tour quand les Nazis se sont emparés de Salonique, leur nouvelle patrie, <strong>en</strong> 1941. De<br />

nombreux Hugu<strong>en</strong>ots ont été obligés de quitter <strong>la</strong> France au 17 e siècle. Au 18 e siècle, les petits<br />

délinquants étai<strong>en</strong>t transférés de Grande-Bretagne <strong>en</strong> Australie. La Russie tsariste a condamné<br />

<strong>des</strong> milliers de prisonniers à être <strong>en</strong>voyés <strong>en</strong> Sibérie. Plus tard, Staline a <strong>en</strong>voyé <strong>des</strong> millions<br />

de personnes au Gou<strong>la</strong>g. Dans les années 40, Staline a fait déporter <strong>des</strong> communautés<br />

<strong>en</strong>tières, comme les Tatares de Crimée.<br />

Plus de cinq millions de Juifs d’<strong>Europe</strong> ont péri lors de l’Holocauste. Des millions d’autres<br />

personnes ont été expulsées et ont dû fuir ailleurs. 700000 Palestini<strong>en</strong>s ont été forcés à l’exil<br />

après <strong>la</strong> création de l’Etat d’Israël <strong>en</strong> 1948. 50 ans après, il y avait près de quatre millions de<br />

réfugiés palestini<strong>en</strong>s réc<strong>la</strong>mant le droit au retour. Durant les guerres <strong>des</strong> Balkans p<strong>en</strong>dant les<br />

années 90, un grand nombre de personnes ont été victimes d’«épuration ethnique». Les<br />

«Arabes <strong>des</strong> marais » du Sud de l’Iraq ont été dép<strong>la</strong>cés par Saddam Hussein, <strong>pour</strong> pouvoir<br />

assécher les marécages qui constituai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> base de leur exist<strong>en</strong>ce.<br />

Les <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts moraux qu’il con<strong>vie</strong>nt de tirer de ces exemples paraiss<strong>en</strong>t évid<strong>en</strong>ts. Les<br />

personnes dép<strong>la</strong>cées se sont vues dénier leur liberté de vivre où elles le vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t, ainsi que<br />

d’autres libertés fondam<strong>en</strong>tales, comme celles de croyance religieuse et d’id<strong>en</strong>tité culturelle.<br />

Dans tous ces cas, il paraît facile d’id<strong>en</strong>tifier les victimes innoc<strong>en</strong>tes et les coupables.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, il y a eu au cours de l’histoire <strong>des</strong> exemples importants de dép<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>ts<br />

accid<strong>en</strong>tels, sur lesquels il est moins facile de porter un jugem<strong>en</strong>t moral.<br />

Par exemple, à <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> Deuxième guerre mondiale, <strong>des</strong> millions de réfugiés se sont<br />

dép<strong>la</strong>cés vers l’Ouest quand l’Armée rouge a <strong>en</strong>vahi l’Allemagne. Les frontières politiques de<br />

l’Union soviétique et de <strong>la</strong> Pologne ont été dép<strong>la</strong>cées loin vers l’Ouest et beaucoup<br />

12 On emploie le terme « dérogation » quand une loi, un règlem<strong>en</strong>t ou une décision ayant force de loi<br />

n’est pas appliqué dans certaines circonstances. Par exemple, un gouvernem<strong>en</strong>t peut signer une<br />

conv<strong>en</strong>tion ou un accord international prévoyant qu’une personne ne peut être dét<strong>en</strong>ue indéfinim<strong>en</strong>t<br />

sans jugem<strong>en</strong>t, mais il peut y avoir <strong>des</strong> exceptions comme l’internem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> étrangers dont le pays est<br />

<strong>en</strong> guerre avec le pays hôte.<br />

67


d’Allemands ont été chassés de leurs foyers. Après les changem<strong>en</strong>ts qu’a connu l’<strong>Europe</strong><br />

c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale <strong>en</strong> 1989, il était difficile de prét<strong>en</strong>dre que le droit de ces Allemands à<br />

retourner dans leurs maisons devait prévaloir sur le droit <strong>des</strong> Polonais qui y vivai<strong>en</strong>t depuis<br />

deux générations. De <strong>la</strong> même façon, il existe un conflit direct <strong>en</strong>tre, les argum<strong>en</strong>ts, forts, <strong>en</strong><br />

faveur de l’exist<strong>en</strong>ce d’un Etat où les Juifs puiss<strong>en</strong>t vivre <strong>en</strong> sécurité, d’une part, et les droits<br />

<strong>des</strong> Palestini<strong>en</strong>s dép<strong>la</strong>cés, d’autre part.<br />

Il est égalem<strong>en</strong>t vrai que les Etats peuv<strong>en</strong>t parfois avoir de bonnes raisons de dép<strong>la</strong>cer <strong>des</strong><br />

personnes contre leur volonté, <strong>pour</strong> faire p<strong>la</strong>ce à quelque chose qui pr<strong>of</strong>itera à l’<strong>en</strong>semble de<br />

<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, comme <strong>la</strong> construction d’un barrage noyant une vallée, ou <strong>la</strong> démolition de<br />

maisons <strong>pour</strong> faire p<strong>la</strong>ce à une nouvelle route, nécessaire <strong>pour</strong> <strong>la</strong> construction de nouveaux<br />

lotissem<strong>en</strong>ts. Dans de tels cas, il est très important de trouver un équilibre <strong>en</strong>tre les droits <strong>des</strong><br />

individus ou petits groupes et les intérêts économiques de <strong>la</strong> majorité.<br />

De <strong>la</strong> même façon, il n’est pas possible d’invoquer un droit absolu de choisir d’aller s’installer<br />

ailleurs. Le conflit <strong>en</strong>tre les droits <strong>des</strong> arrivants et les droits de ceux qui viv<strong>en</strong>t déjà sur p<strong>la</strong>ce<br />

constitue le coeur du problème. Parfois, quand <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s se considérant comme « civilisés »<br />

colonis<strong>en</strong>t <strong>des</strong> terres occupées par <strong>des</strong> peuples qu’ils considèr<strong>en</strong>t comme « primitifs», il y a<br />

un conflit évid<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre personnes qui font valoir <strong>des</strong> droits sur les mêmes terres. On peut citer<br />

l’exemple de <strong>la</strong> colonisation de l’Ouest américain par les pionniers au 19 e siècle (nombre<br />

d’<strong>en</strong>tre eux fuyai<strong>en</strong>t les persécutions) aux dép<strong>en</strong>s <strong>des</strong> indigènes, les Indi<strong>en</strong>s d’Amérique. Le<br />

dép<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Aborigènes d’Australie <strong>pour</strong> faire p<strong>la</strong>ce aux colons britanniques constitue un<br />

autre exemple du même type.<br />

Ces deux exemples montr<strong>en</strong>t <strong>la</strong> façon dont les perceptions morales ont changé. Quand les<br />

vagues d’immigration sont arrivées <strong>en</strong> Australie et dans l’Ouest américain, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong><br />

Europé<strong>en</strong>s p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t que les colons apportai<strong>en</strong>t le progrès dans <strong>des</strong> territoires «vi<strong>des</strong> » et<br />

«attardés ». Depuis peu, on a comm<strong>en</strong>cé à beaucoup mieux apprécier les droits et les <strong>valeurs</strong><br />

<strong>des</strong> peuples indigènes et à se montrer bi<strong>en</strong> plus critique <strong>en</strong>vers les conséqu<strong>en</strong>ces nuisibles de<br />

leur expulsion.<br />

D’autres problèmes sont moins évid<strong>en</strong>ts, mais néanmoins difficiles à résoudre. Certains<br />

<strong>en</strong>droits doiv<strong>en</strong>t être protégés <strong>des</strong> effets indésirables du développem<strong>en</strong>t et de <strong>la</strong> croissance de<br />

<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Il peut s’agir de cités historiques, de paysages d’une beauté exceptionnelle ou<br />

de réserves naturelles. Parfois, les Etats limit<strong>en</strong>t les flux d’arrivants car ils craign<strong>en</strong>t que <strong>des</strong><br />

changem<strong>en</strong>ts trop rapi<strong>des</strong> dans <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion ne conduis<strong>en</strong>t à <strong>des</strong> t<strong>en</strong>sions sociales.<br />

C’est <strong>pour</strong>quoi, de nos jours, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> personnes admett<strong>en</strong>t que, dans certaines<br />

circonstances, il est légitime de limiter <strong>la</strong> liberté de circu<strong>la</strong>tion, <strong>pour</strong> éviter de porter atteinte<br />

aux droits d’autrui. Mais les avis sont <strong>en</strong>core partagés sur certains problèmes. Ainsi, le droit<br />

international impose d’accueillir et d’intégrer les demandeurs d’asile dans les sociétés<br />

démocratiques et beaucoup de g<strong>en</strong>s considèr<strong>en</strong>t que protéger les victimes innoc<strong>en</strong>tes de <strong>la</strong><br />

persécution est une obligation morale. Cep<strong>en</strong>dant, d’autres voix se font <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, dont celles<br />

de certains gouvernem<strong>en</strong>ts europé<strong>en</strong>s, affirmant qu’il peut être parfois difficile de distinguer<br />

les véritables demandeurs d’asile <strong>des</strong> migrants économiques qui prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t fuir les<br />

persécutions. Elles <strong>pour</strong>suiv<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t leur argum<strong>en</strong>tation <strong>en</strong> affirmant qu’il faut<br />

contrôler strictem<strong>en</strong>t l’immigration, afin d’éviter que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion d’accueil ne soit soumise à<br />

une pression économique et sociale excessive qui risquerait de mettre <strong>en</strong> danger <strong>la</strong> cohésion<br />

sociale. Les problèmes liés aux différ<strong>en</strong>ces ethniques et culturelles compliqu<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core ces<br />

questions.<br />

Beaucoup affirm<strong>en</strong>t que l’approche traditionnelle du droit d’asile était basée sur le nombre<br />

re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t faible et donc facile à gérer <strong>des</strong> demandeurs, quand il était beaucoup plus<br />

difficile de parcourir de longues distances. Ils considèr<strong>en</strong>t que, de nos jours, les mouvem<strong>en</strong>ts<br />

68


massifs de réfugiés causés par les conflits régionaux, ainsi que <strong>la</strong> facilité <strong>des</strong> voyages<br />

internationaux, r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t tout simplem<strong>en</strong>t impossible d’ét<strong>en</strong>dre cette protection à tous ceux qui<br />

sont m<strong>en</strong>acés. Ce problème a <strong>en</strong>core été aggravé par l’apparition du trafic illégal de migrants,<br />

pratiqué par <strong>des</strong> organisations sans scrupules.<br />

Comme on <strong>vie</strong>nt de le voir, le débat sur le droit d’asile est aussi lié à celui sur les migrations<br />

économiques. L’écart énorme <strong>en</strong>tre sociétés riches et pauvres incite un nombre très important<br />

et croissant de migrants économiques à pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> risques énormes <strong>pour</strong> essayer d’obt<strong>en</strong>ir<br />

<strong>des</strong> emplois et <strong>des</strong> logem<strong>en</strong>ts dans les économies d’abondance <strong>des</strong> pays développés. De<br />

nombreuses personnes affirmant être <strong>des</strong> demandeurs d’asile sont <strong>en</strong> réalité à <strong>la</strong> recherche de<br />

meilleures conditions économiques, elles travers<strong>en</strong>t de nombreux pays, dans lesquels elles<br />

<strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t être <strong>en</strong> sécurité, <strong>pour</strong> atteindre <strong>la</strong> <strong>des</strong>tination qu’elles croi<strong>en</strong>t leur <strong>of</strong>frir les<br />

meilleures opportunités.<br />

La migration économique illustre bi<strong>en</strong> le problème de l’équilibre <strong>en</strong>tre les droits de l’individu<br />

et ceux de <strong>la</strong> société. De nombreux économistes affirm<strong>en</strong>t que les migrants économiques<br />

pr<strong>of</strong>it<strong>en</strong>t systématiquem<strong>en</strong>t aux sociétés qui les accept<strong>en</strong>t. La croissance économique<br />

vigoureuse <strong>des</strong> Etats-Unis dans <strong>la</strong> deuxième moitié du 19 e siècle et <strong>la</strong> première moitié du 20 e<br />

siècle constitue un exemple à cet égard. La croissance et le succès économique de l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne doiv<strong>en</strong>t beaucoup à <strong>la</strong> liberté de circu<strong>la</strong>tion.<br />

Pourtant, ces argum<strong>en</strong>ts ne permett<strong>en</strong>t pas de conclure que les g<strong>en</strong>s ont un droit absolu de<br />

vivre où ils le veul<strong>en</strong>t. Ils indiqu<strong>en</strong>t plutôt qu’il doit y avoir un équilibre <strong>en</strong>tre le souhait de<br />

ceux qui veul<strong>en</strong>t bouger et celui de ceux qui <strong>en</strong>visag<strong>en</strong>t de les accepter ou non. Presque tous<br />

les Etats ont mis <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>des</strong> systèmes de gestion du processus de migration économique. Ces<br />

systèmes comport<strong>en</strong>t <strong>des</strong> quotas, <strong>pour</strong> limiter le nombre total de migrants, et une sélection <strong>des</strong><br />

migrants pot<strong>en</strong>tiels, <strong>en</strong> fonction <strong>des</strong> compét<strong>en</strong>ces les plus recherchées.<br />

Il y a aussi <strong>des</strong> problèmes délicats au p<strong>la</strong>n politique. On constate souv<strong>en</strong>t une certaine<br />

confusion <strong>en</strong>tre les questions d’immigration et les questions de différ<strong>en</strong>ces ethniques ou<br />

culturelles. Ceux qui s’oppos<strong>en</strong>t à l’immigration sont souv<strong>en</strong>t accusés (parfois à juste titre,<br />

mais pas toujours) d’avoir <strong>des</strong> motivations basées sur les préjugés et <strong>la</strong> discrimination. Le<br />

risque d’être accusé de xénophobie r<strong>en</strong>d le sujet <strong>des</strong> politiques d’immigration très difficile à<br />

traiter <strong>pour</strong> les journalistes.<br />

Le droit du pays hôte de r<strong>en</strong>voyer les immigrants illégaux et les demandeurs d’asile refusés<br />

pose un problème particulier, ces personnes int<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t un recours et invoqu<strong>en</strong>t <strong>la</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme. Ces recours sont souv<strong>en</strong>t longs, coûteux et ils<br />

suscit<strong>en</strong>t <strong>des</strong> contestations au p<strong>la</strong>n politique. En Grande-Bretagne, par exemple, <strong>des</strong> groupes<br />

de pressions sont apparus ces dernières années. D’une part, <strong>des</strong> groupes de déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> droits<br />

de l’homme s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveur de ceux qui sont m<strong>en</strong>acés de r<strong>en</strong>voi, d’autre part,<br />

Migrationwatch UK fait campagne <strong>pour</strong> <strong>des</strong> contrôles plus stricts et <strong>pour</strong> que <strong>la</strong> Grande-<br />

Bretagne se retire de <strong>la</strong> CEDH. Des craintes que les immigrants puiss<strong>en</strong>t porter atteinte à <strong>la</strong><br />

cohésion sociale ont égalem<strong>en</strong>t été exprimées <strong>en</strong> France, <strong>en</strong> Espagne et <strong>en</strong> Italie.<br />

Ceci nous amène à un aspect très important du débat sur <strong>la</strong> liberté de circu<strong>la</strong>tion et le droit de<br />

vivre où l’on veut. Dans un monde idéal, il serait assez facile de se mettre d’accord sur le<br />

principe général selon lequel les g<strong>en</strong>s devrai<strong>en</strong>t pouvoir vivre <strong>en</strong> toute quiétude et être libre de<br />

voyager où bon leur semble. On peut affirmer que :<br />

«Tout le monde a le droit de circuler librem<strong>en</strong>t, sans ingér<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> autorités et sans<br />

t<strong>en</strong>ir compte <strong>des</strong> frontières ».<br />

69


Cep<strong>en</strong>dant, <strong>des</strong> considérations pratiques évid<strong>en</strong>tes r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t impossible le mainti<strong>en</strong> de ce<br />

principe. Les droits d’un individu ou d’un groupe ne peuv<strong>en</strong>t être maint<strong>en</strong>us tout le temps,<br />

partout et <strong>en</strong> toutes circonstances. On peut affirmer que :<br />

«Si toute l’humanité vou<strong>la</strong>it vivre dans le plus bel <strong>en</strong>droit du monde, cet <strong>en</strong>droit<br />

perdrait sa beauté et serait gâché par <strong>la</strong> surpopu<strong>la</strong>tion, <strong>la</strong> pollution et les conflits ».<br />

Il apparaît que, comme tellem<strong>en</strong>t d’autres droits, le droit de vivre ou l’on veut ne peut être<br />

déterminé qu’<strong>en</strong> se basant sur un équilibre <strong>en</strong>tre droits et réalité. La plupart con<strong>vie</strong>ndrai<strong>en</strong>t<br />

que les individus devrai<strong>en</strong>t pouvoir vivre comme bon leur semble et où ils le veul<strong>en</strong>t. Mais <strong>la</strong><br />

plupart <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s con<strong>vie</strong>ndrai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t qu’il incombe aux Etats d’assurer <strong>la</strong> prospérité<br />

économique et <strong>la</strong> cohésion sociale. Il s’avère extrêmem<strong>en</strong>t complexe et difficile de trouver le<br />

bon équilibre <strong>en</strong>tre les droits de l’individu ou de groupes minoritaires, d’une part, et ce qui<br />

serait peut-être <strong>la</strong> « tyrannie de <strong>la</strong> majorité », d’autre part.<br />

On peut tirer deux conclusions principales de ce qui <strong>vie</strong>nt d’être dit. Premièrem<strong>en</strong>t, dans une<br />

<strong>démocratie</strong> libérale, <strong>la</strong> liberté de circu<strong>la</strong>tion et de résid<strong>en</strong>ce ne jouit pas d’un privilège<br />

particulier <strong>la</strong> p<strong>la</strong>çant au <strong>des</strong>sus <strong>des</strong> autres droits et <strong>valeurs</strong>. Cep<strong>en</strong>dant, c’est un droit<br />

important qui doit être protégé contre ceux qui cherch<strong>en</strong>t à le dénier à certains ou à tous.<br />

Deuxièmem<strong>en</strong>t, ceux qui veul<strong>en</strong>t dénier <strong>la</strong> liberté de circu<strong>la</strong>tion doiv<strong>en</strong>t se justifier. Les<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts et les groupes de pression ne peuv<strong>en</strong>t pas se cont<strong>en</strong>ter d’affirmer qu’ils ont un<br />

droit universel de dép<strong>la</strong>cer les g<strong>en</strong>s ou de les empêcher de bouger, parce qu’ils <strong>en</strong> ont <strong>en</strong><strong>vie</strong><br />

ou parce que leur pays est « plein». Ils doiv<strong>en</strong>t avancer <strong>des</strong> raisons convaincantes et va<strong>la</strong>bles<br />

<strong>pour</strong> dénier ce droit à autrui.<br />

Référ<strong>en</strong>ces<br />

Conseil de l’<strong>Europe</strong>, Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme Rome 1950.<br />

Norman Naimark, Fires <strong>of</strong> Hatred: Ethnic Cleansing in Tw<strong>en</strong>tieth C<strong>en</strong>tury <strong>Europe</strong> (Les feux<br />

de <strong>la</strong> haine : Epuration ethnique au vingtième siècle <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>), Harvard University Press,<br />

2001<br />

Migration Citiz<strong>en</strong>ship Education, Forced Migrations: From Lausanne to Yugos<strong>la</strong>via<br />

(Migrations forcées : de Lausanne à <strong>la</strong> Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong>), www.migrationeducation.org<br />

70


ETUDE DE CAS 7 : Réfugiés politiques ou migrants<br />

économiques ? L’attitude changeante de l’<strong>Europe</strong> face à<br />

l’immigration<br />

Robert Stradling<br />

Chronologie :<br />

1 er siècle av. JC : L’échec <strong>des</strong> rebellions contre l’Empire romain conduit de nombreux juifs à<br />

fuir leur pays et à s’installer autour de <strong>la</strong> Méditerranée, ainsi qu’<strong>en</strong> <strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et<br />

ori<strong>en</strong>tale.<br />

1492 : Les Juifs sont expulsés d’Espagne après <strong>la</strong> Reconquista espagnole .<br />

1618-1648 : La guerre de tr<strong>en</strong>te ans décime <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion du Nord de l’<strong>Europe</strong> et <strong>des</strong> millions<br />

de personnes cherch<strong>en</strong>t à fuir les dévastations.<br />

1845-1847 : En Ir<strong>la</strong>nde, <strong>la</strong> famine provoque une émigration massive. Dans les cinquante<br />

années qui suiv<strong>en</strong>t, <strong>des</strong> millions de migrants économiques quitt<strong>en</strong>t l’<strong>Europe</strong> <strong>pour</strong> l’Amérique<br />

du Nord et l’Outre-mer.<br />

1890-1914 : Les persécutions religieuses et politiques <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale<br />

provoqu<strong>en</strong>t une émigration massive de Juifs, ainsi que d’autres groupes de réfugiés politiques<br />

et religieux.<br />

1914–1920 : La Première guerre mondiale provoque <strong>des</strong> migrations massives. De nombreux<br />

soldats cherch<strong>en</strong>t à r<strong>en</strong>trer et de nombreux civils sont chassés de chez eux par les combats et<br />

de<strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t <strong>des</strong> réfugiés. La Révolution russe de 1917 et l’effondrem<strong>en</strong>t de l’Empire ottoman<br />

amplifi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core ce mouvem<strong>en</strong>t.<br />

1921-1923 : La Société <strong>des</strong> nations, créée par <strong>la</strong> Confér<strong>en</strong>ce de <strong>la</strong> paix après <strong>la</strong> guerre, met <strong>en</strong><br />

p<strong>la</strong>ce le Haut Commissariat aux réfugiés, dirigé par l’explorateur po<strong>la</strong>ire norvégi<strong>en</strong>, Fridtj<strong>of</strong><br />

Nans<strong>en</strong>, <strong>pour</strong> aider les nombreux réfugiés russes, arméni<strong>en</strong>s, assyri<strong>en</strong>s, turcs et grecs dép<strong>la</strong>cés<br />

à cause de <strong>la</strong> guerre, de <strong>la</strong> révolution et <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts politiques qui s’<strong>en</strong> suiv<strong>en</strong>t.<br />

1930 : Le Haut Commissariat aux réfugiés est remp<strong>la</strong>cé le Bureau international Nans<strong>en</strong> <strong>pour</strong><br />

les réfugiés. Celui-ci introduit le Passeport Nans<strong>en</strong> <strong>pour</strong> les réfugiés et apatri<strong>des</strong>. En 1933, il<br />

convainc 14 membres de <strong>la</strong> Société <strong>des</strong> nations de signer <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion sur les réfugiés,<br />

première t<strong>en</strong>tative d’établir <strong>des</strong> normes internationales re<strong>la</strong>tives au traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> réfugiés.<br />

1933-1939 : L’arrivée au pouvoir <strong>des</strong> Nationaux-socialistes <strong>en</strong> Allemagne provoque une<br />

augm<strong>en</strong>tation rapide du nombre de réfugiés et conduit <strong>la</strong> Société <strong>des</strong> nations à mettre <strong>en</strong><br />

p<strong>la</strong>ce, <strong>en</strong> 1933, un Haut Commissariat spécialem<strong>en</strong>t chargé <strong>des</strong> réfugiés v<strong>en</strong>ant de ce pays. A<br />

<strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années 30, sa compét<strong>en</strong>ce est ét<strong>en</strong>due à l’Autriche et aux Sudètes.<br />

1938–1939 : Des c<strong>en</strong>taines de milliers de Républicains espagnols fui<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France après leur<br />

défaite contre les forces nationalistes de Franco.<br />

71


31 décembre 1938 : Le Bureau Nans<strong>en</strong> et le Haut commissariat sont remp<strong>la</strong>cés par le Bureau<br />

du Haut commissaire aux réfugiés.<br />

1939-1945 : A <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> guerre, l’<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et occid<strong>en</strong>tale est pleine de réfugiés.<br />

Beaucoup de soldats et de prisonniers de guerre cherch<strong>en</strong>t à r<strong>en</strong>trer chez eux. Mais il y a<br />

<strong>en</strong>core plus de civils fuyant devant les armées qui <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t leurs pays ou de minorités<br />

quittant le pays où elles étai<strong>en</strong>t installées par peur de représailles. Au total, 50 millions de<br />

personnes sont sans abri à cause de <strong>la</strong> guerre, dont 25 millions <strong>en</strong> URSS et 20 millions <strong>en</strong><br />

Allemagne.<br />

1943 : Les forces alliées cré<strong>en</strong>t l’Administration <strong>des</strong> Nations unies <strong>pour</strong> le secours et <strong>la</strong><br />

réhabilitation (UNRRA), afin d’aider les réfugiés et personnes dép<strong>la</strong>cées dans les zones<br />

libérées du contrôle <strong>des</strong> forces de l’Axe.<br />

1945-1947 : Création <strong>des</strong> Nations unies. En 1946, l’ONU met <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong><br />

droits de l’homme qui rédige, un an plus tard, <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration <strong>des</strong> droits de l’homme de<br />

l’ONU. L’Organisation internationale <strong>des</strong> réfugiés (OIR) est mise <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce par l’ONU <strong>pour</strong><br />

terminer le travail de réinstal<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> réfugiés europé<strong>en</strong>s accompli par l’UNRRA.<br />

1947 : La partition du Sous-contin<strong>en</strong>t indi<strong>en</strong> <strong>en</strong> deux pays, l’Inde et le Pakistan, fait 18<br />

millions de réfugiés : <strong>des</strong> Musulmans vivant <strong>en</strong> Inde sont échangés contre <strong>des</strong> Hindous et <strong>des</strong><br />

Sikhs vivant au Pakistan. Vingt-cinq ans après, de nombreux B<strong>en</strong>galis se rebell<strong>en</strong>t contre <strong>la</strong><br />

domination pakistanaise et plus de 10 millions d’<strong>en</strong>tre eux se réfugi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Inde <strong>pour</strong> fuir les<br />

combats.<br />

1948-1949 : La proc<strong>la</strong>mation de l’Etat d’Israël provoque <strong>la</strong> première guerre israélo-arabe et<br />

conduit <strong>des</strong> c<strong>en</strong>taines de milliers de Palestini<strong>en</strong>s à chercher refuge dans les pays arabes<br />

voisins. Nombre de leurs <strong>des</strong>c<strong>en</strong>dants viv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core dans les camps de réfugiés créés <strong>en</strong> 1948.<br />

Avant 1948, plus de 750 000 Juifs vivai<strong>en</strong>t dans les pays arabes, ils <strong>des</strong>c<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t de Juifs<br />

installés dans <strong>la</strong> région depuis plus de 2 500 ans. Après <strong>la</strong> guerre israélo-arabe, beaucoup sont<br />

égalem<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>us <strong>des</strong> réfugiés.<br />

14 décembre 1950 : L’ONU crée le Haut commissariat aux réfugiés (UNHCR) <strong>pour</strong><br />

remp<strong>la</strong>cer l’UNRRA et l’OIR, pas seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>, mais dans le monde <strong>en</strong>tier. Il<br />

<strong>pour</strong>suit son travail aujourd’hui <strong>en</strong>core.<br />

1950-1953 : La guerre de Corée fait plus d’un million de réfugiés.<br />

1951 : Conv<strong>en</strong>tion <strong>des</strong> Nations unies re<strong>la</strong>tive au statut <strong>des</strong> réfugiés (Conv<strong>en</strong>tion de G<strong>en</strong>ève)<br />

qui détermine les conditions dans lesquelles une personne est qualifiée de réfugié et bénéficie<br />

<strong>des</strong> droits liés à ce statut.<br />

Années 60 : Des milliers de Chinois non communistes émigr<strong>en</strong>t à Hong-Kong.<br />

1975-1980 : Quand le Sud Vietnam tombe aux mains <strong>des</strong> forces communistes du Nord, de<br />

nombreux réfugiés essay<strong>en</strong>t de fuir <strong>en</strong> bateau, d’où l’expression «boat people », utilisée à<br />

l’époque. Finalem<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> survivants émigr<strong>en</strong>t aux Etats-Unis, <strong>en</strong> France et au<br />

Canada.<br />

1960–1990 : La colonisation de l’Afrique au cours de deuxième moitié du 19 e siècle crée <strong>des</strong><br />

frontières administratives qui regroup<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t <strong>des</strong> popu<strong>la</strong>tions de tribus, <strong>la</strong>ngues et<br />

72


coutumes différ<strong>en</strong>tes. Après l’indép<strong>en</strong>dance dans les années 50 et 60, <strong>la</strong> plupart de ces<br />

nouveaux pays sont dirigés par <strong>des</strong> élites, formées <strong>en</strong> Occid<strong>en</strong>t et séduites par les idées<br />

nationalistes, qui veul<strong>en</strong>t créer <strong>des</strong> Etats-nations sur le modèle occid<strong>en</strong>tal. Ce<strong>la</strong> conduit<br />

souv<strong>en</strong>t à <strong>des</strong> conflits internes et <strong>des</strong> guerres civiles, jusqu’au milieu <strong>des</strong> années 80, il y a 12<br />

guerres et 13 assassinats de chefs d’Etat <strong>en</strong> Afrique. De 1968 à 1992, le nombre de réfugiés<br />

africains passe de 860 000 à 6775 000. Beaucoup cherch<strong>en</strong>t refuge dans les pays voisins.<br />

Années 1990 : Les conflits dans le monde <strong>en</strong>tier font <strong>des</strong> millions de réfugiés. En <strong>Europe</strong>, il y<br />

les conflits dans l’anci<strong>en</strong>ne Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong>. Au Moy<strong>en</strong>-ori<strong>en</strong>t, il y a <strong>la</strong> guerre Iran-Iraq, puis <strong>la</strong><br />

Première guerre du Golf à <strong>la</strong> suite de l’invasion du Koweït par l’Iraq et, <strong>en</strong>fin, le conflit<br />

Afghan.<br />

2000-2005 : Depuis le début du nouveau millénaire, le Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t et l’Afrique rest<strong>en</strong>t les<br />

principales régions d’origine <strong>des</strong> réfugiés qui demand<strong>en</strong>t l’asile <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>, ils <strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t<br />

notamm<strong>en</strong>t d’Iraq et d’Afghanistan, ainsi que du Soudan, du Liban, d’Ango<strong>la</strong>, de Somalie et<br />

du Rwanda.<br />

Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

En 2005, 8661 994 personnes dans le monde étai<strong>en</strong>t considérées <strong>of</strong>ficiellem<strong>en</strong>t comme <strong>des</strong><br />

réfugiés, au s<strong>en</strong>s de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion de l’ONU de 1951, re<strong>la</strong>tive au statut <strong>des</strong> réfugiés. Un<br />

réfugié est une personne « qui se trouve hors de son pays d'origine et craint avec raison d'être<br />

persécutée du fait de sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques, ou son<br />

appart<strong>en</strong>ance à un groupe social et ne peut pas ou, <strong>en</strong> raison de cette crainte, ne veut pas se<br />

prévaloir de <strong>la</strong> protection de ce pays ».<br />

Depuis 1951, les catégories de personnes qui ont droit à <strong>la</strong> protection du Haut commissariat<br />

aux réfugiés <strong>des</strong> Nations unies ont été ét<strong>en</strong>dues aux apatri<strong>des</strong> (qui n’ont pas de nationalité<br />

reconnue) et aux personnes dép<strong>la</strong>cées, qui cherch<strong>en</strong>t à retourner dans leur pays d’origine, ou<br />

dép<strong>la</strong>cées à l’intérieur de leur pays d’origine, <strong>en</strong> raison d’une guerre ou d’une guerre civile. Si<br />

on inclut toutes ces catégories et les g<strong>en</strong>s qui demand<strong>en</strong>t l’asile dans un autre pays, alors, le<br />

nombre total de personnes dont l’UNHCR devait s’occuper <strong>en</strong> 2005 dépassait les 21 millions.<br />

A cette date 772 000 personnes étai<strong>en</strong>t demandeuses d’asile, dont <strong>en</strong>viron un tiers dans<br />

l’Union europé<strong>en</strong>ne.<br />

D’où <strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t tous ces réfugiés ? Dans les années 90 et dans les cinq premières années du 21 e<br />

siècle, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> réfugiés fuyai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> conflits <strong>en</strong>:<br />

Afrique : notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Ango<strong>la</strong>, <strong>en</strong> Erythrée, au Libéria, au Rwanda, <strong>en</strong> Sierra<br />

Leone, <strong>en</strong> Somalie et au Soudan.<br />

Moy<strong>en</strong>-ori<strong>en</strong>t : notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Afghanistan, <strong>en</strong> Iraq et au Liban<br />

<strong>Europe</strong> : notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Bosnie-Herzégovine, <strong>en</strong> Croatie, <strong>en</strong> Serbie et au<br />

Monténégro.<br />

En outre, de nombreux autres réfugiés fuyai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> pays stables où ils étai<strong>en</strong>t persécutés et<br />

subissai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> vio<strong>la</strong>tions perman<strong>en</strong>tes <strong>des</strong> droits de l’homme.<br />

La plupart <strong>des</strong> réfugiés cherch<strong>en</strong>t à se mettre <strong>en</strong> sûreté dans les pays voisins où ils trouv<strong>en</strong>t un<br />

mode de <strong>vie</strong> simi<strong>la</strong>ire et <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s qui parl<strong>en</strong>t leur <strong>la</strong>ngue ou pratiqu<strong>en</strong>t <strong>la</strong> même religion. Ce<strong>la</strong><br />

est mis <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce par le Tableau 1 qui montre les 12 pays accueil<strong>la</strong>nt le plus grand nombre<br />

73


de réfugiés <strong>en</strong> 2005. Des pays comme le Pakistan, l’Iran et l’Arabie Saoudite reçoiv<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

réfugiés prov<strong>en</strong>ant <strong>en</strong> majorité d’Afghanistan, d’Iraq et <strong>des</strong> territoires palestini<strong>en</strong>s occupés.<br />

En Albanie, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> réfugiés v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t du Kosovo. Au Tchad, au K<strong>en</strong>ya, <strong>en</strong> Tanzanie et<br />

<strong>en</strong> Ouganda, les réfugiés v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t surtout <strong>des</strong> pays africains voisins. Aux Etats-Unis, de<br />

nombreux réfugiés prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t d’Amérique <strong>la</strong>tine. Par contre, au cours de <strong>la</strong> dernière<br />

déc<strong>en</strong>nie, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont accueilli <strong>des</strong> réfugiés de prov<strong>en</strong>ances diverses :<br />

l’ex-Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong>, le Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t, l’Afrique, l’Asie et l’Union soviétique.<br />

Tableau 1 : Pays ayant accueilli le plus grand nombre de réfugiés à <strong>la</strong> fin 2005<br />

Rang Pays d’accueil <strong>des</strong> Nombre de réfugiés<br />

réfugiés<br />

à <strong>la</strong> fin 2005<br />

1 Pakistan 1084 694<br />

2 Iran 974 302<br />

3 Allemagne 700 016<br />

4 Tanzanie 548 824<br />

5 Etats-unis 379 340<br />

6 Royaume-Uni 303 181<br />

7 Chine 301 041<br />

8 Tchad 275 412<br />

9 Ouganda 257 256<br />

10 K<strong>en</strong>ya 251 271<br />

11 Arabie Saoudite 240 701<br />

12 Arménie 219 271<br />

Bi<strong>en</strong> que <strong>la</strong> définition du réfugié soit très c<strong>la</strong>ire dans <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion de G<strong>en</strong>ève de 1951 et ses<br />

protocoles, ainsi que dans les conv<strong>en</strong>tions re<strong>la</strong>tives au statut <strong>des</strong> réfugiés, on observe dans<br />

l’Union europé<strong>en</strong>ne une t<strong>en</strong>dance croissante à brouiller <strong>la</strong> distinction <strong>en</strong>tre «demandeurs<br />

d’asile » et « migrants économiques», notamm<strong>en</strong>t dans les pays d’<strong>Europe</strong> de l’Ouest qui ont<br />

une longue tradition d’accueil <strong>des</strong> réfugiés politiques. Cette t<strong>en</strong>dance à utiliser ces deux<br />

expressions comme si elles étai<strong>en</strong>t interchangeables est très nette dans les médias et apparaît<br />

aussi de plus <strong>en</strong> plus dans les déc<strong>la</strong>rations de nombreux responsables politiques (voir par<br />

exemple les citations ci-après de <strong>la</strong> presse britannique et de Nevzat Soguk).<br />

Il n’est pas difficile de compr<strong>en</strong>dre <strong>pour</strong>quoi cette distinction a été brouillée. Il n’est pas<br />

étonnant, par exemple, que les responsables <strong>des</strong> contrôles aux frontières se demand<strong>en</strong>t<br />

<strong>pour</strong>quoi quelqu’un fait <strong>des</strong> milliers de kilomètres <strong>pour</strong> demander asile <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> de l’Ouest,<br />

alors que <strong>la</strong> plupart de ses compatriotes cherch<strong>en</strong>t refuge dans un pays voisin. De <strong>la</strong> même<br />

façon, les statistiques sur les deman<strong>des</strong> d’asile <strong>des</strong> 30 à 40 dernières années t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à montrer<br />

que leur nombre diminue <strong>en</strong> période de récession et augm<strong>en</strong>te <strong>en</strong> période de croissance, ce qui<br />

permet de p<strong>en</strong>ser que si de nombreux réfugiés fui<strong>en</strong>t <strong>la</strong> guerre ou <strong>des</strong> persécutions politiques,<br />

le choix du pays d’accueil est guidé par <strong>des</strong> motivations économiques. Au Royaume-Uni, par<br />

exemple, le nombre de deman<strong>des</strong> était faible dans les années 70 et 80 puis il a fortem<strong>en</strong>t<br />

augm<strong>en</strong>té, <strong>pour</strong> passer de 3 998 <strong>en</strong> 1988 à 44 840 <strong>en</strong> 1991, 98900 <strong>en</strong> 2000 et atteindre son<br />

maximum <strong>en</strong> 2002, avec 103 080. Cep<strong>en</strong>dant, s’il est certain que cette augm<strong>en</strong>tation rapide du<br />

nombre <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> d’asile a coïncidé avec une période de croissance économique, il est<br />

égalem<strong>en</strong>t indéniable qu’elle a coïncidé avec les conflits dans l’ex-Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong>, au Moy<strong>en</strong>-<br />

Ori<strong>en</strong>t et dans plusieurs pays africains.<br />

74


Le Royaume-Uni constitue un exemple de brouil<strong>la</strong>ge de <strong>la</strong> distinction <strong>en</strong>tre réfugiés politiques<br />

et migrants économiques <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>. Cette t<strong>en</strong>dance croissante à <strong>la</strong> confusion a coïncidé avec<br />

un resserrem<strong>en</strong>t général de <strong>la</strong> politique d’immigration. Après <strong>la</strong> seconde guerre mondiale,<br />

face à <strong>la</strong> pénurie de main d’œuvre non qualifiée, <strong>la</strong> Grande-Bretagne a <strong>la</strong>issé v<strong>en</strong>ir librem<strong>en</strong>t<br />

<strong>des</strong> individus <strong>des</strong> ses anci<strong>en</strong>nes colonies (aujourd’hui le Commonwealth) et leur a <strong>of</strong>fert <strong>la</strong><br />

nationalité britannique. Différ<strong>en</strong>tes modifications de <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion, <strong>en</strong>tre 1962 et 1993, ont<br />

mis fin à ces privilèges.<br />

Dans les années 60, au Royaume-Uni, le débat politique <strong>en</strong> <strong>la</strong> matière portait sur <strong>la</strong> m<strong>en</strong>ace<br />

que, <strong>pour</strong> certains, l’immigration <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance du Sous-contin<strong>en</strong>t indi<strong>en</strong>, <strong>des</strong> Caraïbes et<br />

d’Afrique faisait peser sur l’harmonie raciale. Pour sout<strong>en</strong>ir ce point de vue, certains<br />

responsables politiques invoquai<strong>en</strong>t les «émeutes raciales » dans certaines villes du<br />

Royaume-Uni et <strong>la</strong> percée <strong>des</strong> partis et mouvem<strong>en</strong>ts politiques d’extrême droite qui<br />

s’opposai<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> <strong>pour</strong>suite de l’immigration non europé<strong>en</strong>ne. En 1972, <strong>la</strong> Commission<br />

europé<strong>en</strong>ne critiqua publiquem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion britannique <strong>en</strong> matière d’immigration et <strong>la</strong><br />

qualifia de «discrimination raciale ».<br />

A partir du milieu <strong>des</strong> années 70, les gouvernem<strong>en</strong>ts britanniques, ainsi que ceux d’autres<br />

anci<strong>en</strong>nes puissances coloniales europé<strong>en</strong>nes, comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t à utiliser un double argum<strong>en</strong>t<br />

<strong>pour</strong> refuser l’<strong>en</strong>trée de nouveaux immigrants, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance d’Asie et d’Afrique.<br />

Premièrem<strong>en</strong>t, il s’agissait du risque de conflit racial. Deuxièmem<strong>en</strong>t, ils affirmai<strong>en</strong>t que si<br />

les réfugiés politiques choisissai<strong>en</strong>t de demander l’asile <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>, souv<strong>en</strong>t après avoir<br />

traversé d’autres pays qui aurai<strong>en</strong>t pu le leur <strong>of</strong>frir, c’était <strong>pour</strong> <strong>des</strong> raisons économiques.<br />

A ce mom<strong>en</strong>t là, le débat sur l’asile politique, qui portait jusqu’alors sur les raisons <strong>pour</strong><br />

lesquelles ces personnes devai<strong>en</strong>t quitter leur pays, bascu<strong>la</strong> et se conc<strong>en</strong>tra sur les raisons<br />

<strong>pour</strong> lesquelles elles vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir dans un autre pays. La presse popu<strong>la</strong>ire britannique<br />

(comme le montre les citations ci-après) comm<strong>en</strong>ça à mettre sur le même p<strong>la</strong>n les expressions<br />

«demandeur d’asile » et « migrants économiques» et comm<strong>en</strong>ça à utiliser l’adjectif « bogus<br />

(faux) ». Comme le nombre de deman<strong>des</strong> d’asile continua à augm<strong>en</strong>ter tout au long <strong>des</strong><br />

années 90, <strong>la</strong> presse popu<strong>la</strong>ire de droite fit une campagne autour de l’idée de «s<strong>of</strong>t touch»<br />

(expression désignant le confort dont jouissai<strong>en</strong>t les réfugiés <strong>en</strong> Grande-Bretagne), affirmant<br />

que le pays imposait peu d’obstacles <strong>pour</strong> décourager les demandeurs d’asile pot<strong>en</strong>tiels.<br />

Dans <strong>la</strong> pratique, s’il est vrai qu’au sein de l’Union europé<strong>en</strong>ne, le Royaume-Uni était le pays<br />

qui recevait le plus grand nombre de deman<strong>des</strong> d’asile, <strong>en</strong> 2000, plus de 64% d’<strong>en</strong>tre elles<br />

fur<strong>en</strong>t rejetées. En 2005, le taux de refus avait atteint 85%, alors que le nombre de deman<strong>des</strong><br />

était tombé à 23 750. C’est <strong>pour</strong>quoi, il n’est sans doute pas surpr<strong>en</strong>ant qu’un observateur<br />

britannique ait fait remarquer que, si on pouvait par<strong>la</strong>it de « s<strong>of</strong>t touch », alors il devait s’agir<br />

d’ «une main de fer dans un gant de velours».<br />

En 2001-2002, le Bureau d’information du public de l’UNHCR basé à Londres éprouva le<br />

besoin de réagir face au mythe du «demandeur d’asile typique » qui circu<strong>la</strong>it. Pour s’opposer<br />

aux idées reçues, selon lesquelles <strong>la</strong> Grande-Bretagne était «submergée » par de faux<br />

demandeurs d’asile et «championne de l’accueil <strong>des</strong> demandeurs d’asile », l’UNHCR fit<br />

remarquer que les demandeurs d’asile acceptés représ<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t seulem<strong>en</strong>t 0,5% de <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion du Royaume-uni et qu’à l’époque le pays se situait au neuvième rang dans l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne <strong>pour</strong> le nombre de deman<strong>des</strong> par habitant.<br />

Depuis l’é<strong>la</strong>rgissem<strong>en</strong>t de l’Union europé<strong>en</strong>ne, le débat s’est dép<strong>la</strong>cé une fois de plus. La<br />

presse de droite s’intéresse moins aux demandeurs d’asile (faux ou véritables) et plus aux<br />

75


travailleurs immigrés d’<strong>Europe</strong> de l’Est qui cherch<strong>en</strong>t un emploi <strong>en</strong> Grande-Bretagne, ainsi<br />

qu’à <strong>la</strong> question de savoir s’ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les emplois <strong>des</strong> travailleurs britanniques <strong>en</strong> acceptant<br />

<strong>des</strong> sa<strong>la</strong>ires plus bas.<br />

Différ<strong>en</strong>ts points de vue sur cette question<br />

L’article 33 de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion de G<strong>en</strong>ève de 1951 sur les réfugiés prévoit que : «Aucun<br />

<strong>des</strong> États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié<br />

sur les frontières <strong>des</strong> territoires où sa <strong>vie</strong> ou sa liberté serait m<strong>en</strong>acée <strong>en</strong> raison de sa race, de<br />

sa religion, de sa nationalité, de son appart<strong>en</strong>ance à un certain groupe social ou de ses<br />

opinions politiques»<br />

.<br />

Une étude réalisée par le Gouvernem<strong>en</strong>t britannique <strong>en</strong> 2002 a montré qu’<strong>en</strong>viron 53%<br />

<strong>des</strong> personnes réfugiées <strong>en</strong> Grande Bretagne avai<strong>en</strong>t une formation universitaire, que plus de<br />

65% d’<strong>en</strong>tre elles par<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t deux <strong>la</strong>ngues <strong>en</strong> plus de leur <strong>la</strong>ngue maternelle. La même étude a<br />

montré que les contributions <strong>des</strong> personnes nées hors du Royaume-Uni, y compris les<br />

réfugiés, aux impôts et cotisations sociales étai<strong>en</strong>t supérieures aux prestations qu’ils<br />

recevai<strong>en</strong>t. Selon certains économistes, les immigrants <strong>en</strong> âge de travailler représ<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t un<br />

gain d’<strong>en</strong>viron 4 milliards d’€ <strong>pour</strong> l’économie britannique <strong>en</strong> 1998-99. ( Glover et al,<br />

Migration: an economic and social analysis, Research (Migrations : analyse économique<br />

et sociale, Etude), Developm<strong>en</strong>t and Statistics Directorate (Direction du développem<strong>en</strong>t<br />

et <strong>des</strong> statistiques), Home Office (Ministère de l’intérieur), Royaume-uni 2001)<br />

Liza Schuster, C<strong>en</strong>tre on Migration, Policy and Society, Oxford University, écrivait :<br />

«En cherchant à instaurer un contrôle de leurs frontières, les Etats europé<strong>en</strong>s ont mis <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

<strong>des</strong> régimes et <strong>des</strong> pratiques qui, autrefois, n’aurai<strong>en</strong>t été imaginables qu’<strong>en</strong> temps de guerre<br />

mais qui, de nos jours, sont considérés comme une composante «normale» de <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />

quotidi<strong>en</strong>ne de c<strong>en</strong>taines de milliers de personnes <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>. Les pratiques <strong>en</strong> question sont<br />

notamm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> dispersion forcée, <strong>la</strong> dét<strong>en</strong>tion et <strong>la</strong> déportation. …Pour les Etats qui les ont<br />

introduites. … [Il s’agit] d’instrum<strong>en</strong>ts nécessaires <strong>pour</strong> assurer leur mission de mainti<strong>en</strong> de<br />

l’intégrité <strong>des</strong> frontières. Cep<strong>en</strong>dant, ces mesures ne leur paraîtrai<strong>en</strong>t plus raisonnables s’ils<br />

essayai<strong>en</strong>t de s’imaginer qu’ils les utilis<strong>en</strong>t contre leur propre popu<strong>la</strong>tion. »<br />

Sarah Sp<strong>en</strong>cer, Directrice de Citiz<strong>en</strong>ship and Governance à l’Institute <strong>of</strong> Public Policy<br />

Research au Royaume-uni :<br />

«L’histoire a montré que les immigrants et les réfugiés peuv<strong>en</strong>t constituer un apport<br />

économique et culturel important. Alors que le débat sur le sujet est une fois de plus dominé<br />

par <strong>des</strong> projets de lois imposant <strong>des</strong> restrictions <strong>en</strong>core plus strictes, il semblerait que cet<br />

<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de l’histoire ait été oublié. »<br />

En jan<strong>vie</strong>r 2003, le Premier ministre du Royaume-uni, Tony B<strong>la</strong>ir, suggérait que son<br />

pays <strong>pour</strong>rait se retirer de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme :<br />

Si <strong>la</strong> «dernière vague de réformes du droit d’asile ne parv<strong>en</strong>ait pas à <strong>en</strong>diguer le flot <strong>des</strong><br />

demandeurs d’asile infondés».<br />

76


Margaret Thatcher, Premier ministre du Royaume-uni dans les années 70 et 80<br />

exprimait sa préoccupation concernant les immigrants et les réfugiés :<br />

«Les g<strong>en</strong>s ont un peu peur que ce pays puisse être submergé par <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s de culture<br />

différ<strong>en</strong>te. »<br />

Le Haut commissariat aux réfugiés <strong>des</strong> Nations unies (UNHCR), comm<strong>en</strong>tait ainsi <strong>des</strong><br />

propositions de l’UE <strong>pour</strong> contrôler l’immigration plus efficacem<strong>en</strong>t :<br />

«En raison <strong>des</strong> politiques d’immigration de plus <strong>en</strong> plus restrictives <strong>des</strong> [Etats membres de<br />

l’UE], le recours aux services de passeurs et souv<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>u <strong>la</strong> seule option praticable <strong>pour</strong> de<br />

nombreux vrais demandeurs d’asile qui cherch<strong>en</strong>t refuge dans l’Union europé<strong>en</strong>ne. »<br />

Ruud Lubbers, anci<strong>en</strong> Haut commissaire aux réfugiés, avait l’impression que les<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts cherch<strong>en</strong>t plus à gérer les symptômes qu’à soigner les causes du<br />

problème <strong>des</strong> réfugiés :<br />

«Je me demande vraim<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>t les gouvernem<strong>en</strong>ts peuv<strong>en</strong>t justifier de dép<strong>en</strong>ser <strong>des</strong><br />

millions <strong>pour</strong> r<strong>en</strong>forcer leurs frontières à l’aide de toutes sortes de mesures de dissuasion,<br />

<strong>pour</strong> <strong>des</strong> c<strong>en</strong>tres d’emprisonnem<strong>en</strong>t et de dét<strong>en</strong>tion, <strong>pour</strong> <strong>des</strong> mesures intérieures extrêmem<strong>en</strong>t<br />

coûteuses, s’ils refus<strong>en</strong>t de traiter le problème à sa source, alors que c’est par là qu’il faudrait<br />

comm<strong>en</strong>cer.<br />

Au Royaume-Uni, <strong>la</strong> presse popu<strong>la</strong>ire de droite n’a cessé de demander une politique<br />

d’immigration plus restrictive, y compris <strong>en</strong>vers les réfugiés demandant l’asile au<br />

Royaume-Uni, <strong>en</strong> utilisant un <strong>la</strong>ngage insinuant que les réfugiés demand<strong>en</strong>t l’asile <strong>pour</strong><br />

<strong>des</strong> motifs tronqués :<br />

«Au moins, quelqu’un avait une idée précise de ce qu’il fal<strong>la</strong>it faire avec les<br />

immigrants illégaux. Les reconduire là d’où ils <strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t avec <strong>des</strong> avions de transport<br />

de <strong>la</strong> RAF. » Editorial du quotidi<strong>en</strong> The Sun du 24 mai 2000<br />

«Les réfugiés vont rejoindre le nombre croissant de délinquants et de drogués qui<br />

viv<strong>en</strong>t dans le pays. » Daily Mail, 15 juillet 2000<br />

La Grande-Bretagne <strong>en</strong> tête du championnat <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> d’asile. Daily Express, 1 er<br />

mars 2002<br />

«Le Royaume-Uni confirmé <strong>en</strong> tant que haut lieu de l’asile.»Daily Mail, 28 février<br />

2002.<br />

W<strong>en</strong>di Adelson, de <strong>la</strong> Faculté de droit de l’Université de Miami, comm<strong>en</strong>tait ainsi<br />

l’attitude de <strong>la</strong> presse britannique <strong>en</strong>vers les demandeurs d’asile au début <strong>des</strong> années<br />

2000 :<br />

«La presse britannique dépeint <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> personnes cherchant à immigrer au Royaume-<br />

Uni comme pauvres, v<strong>en</strong>ant souv<strong>en</strong>t <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>nes possessions coloniales britanniques et<br />

cherchant à améliorer leur situation économique… … En réalité, <strong>en</strong> 2003, <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong><br />

demandeurs d’asile prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t d’Iraq, du Zimbabwe et d’Afghanistan, s’il s’agit de trois<br />

pays <strong>en</strong> développem<strong>en</strong>t, il est plus probable que cette migration soit causée par <strong>la</strong> guerre et <strong>la</strong><br />

situation politique que par <strong>la</strong> quête du bi<strong>en</strong>-être matériel. »<br />

77


Un autre pr<strong>of</strong>esseur d’université, Nevzat Soguk de l’Université d’Hawaï, spécialiste <strong>des</strong><br />

migrations, qui écrivait <strong>en</strong> 1999, comm<strong>en</strong>tait égalem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> façon dont l’immigration était<br />

perçue par le public, ainsi que les migrations et les deman<strong>des</strong> d’asile prés<strong>en</strong>tées par les<br />

médias contestant <strong>la</strong> légitimité du traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> réfugiés <strong>des</strong> pays du Sud comme<br />

réfugiés politiques:<br />

«Des mots et expressions comme pauvreté, le Sud, raz-de-marée, submerger, forteresse,<br />

p<strong>la</strong>ie, invasion et bi<strong>en</strong> d’autres contribu<strong>en</strong>t à créer l’image de deux mon<strong>des</strong> incompatibles,<br />

aux aspirations inconciliables. D’un côté, le monde prospère, sûr et démocratique de l’<strong>Europe</strong><br />

de l’Ouest, de l’autre, une vague assiégeant l’<strong>Europe</strong> de tous côtés et l’obligeant à se<br />

transformer <strong>en</strong> forteresse <strong>pour</strong> se déf<strong>en</strong>dre. »<br />

En examinant les statistiques sur les deman<strong>des</strong> d’asile <strong>pour</strong> 2005, le Haut commissaire<br />

aux réfugiés <strong>des</strong> Nations unies, Antonio Guterres, déc<strong>la</strong>rait :<br />

«Ces chiffres montr<strong>en</strong>t que le débat sur l’aggravation du problème <strong>des</strong> réfugiés dans les pays<br />

industrialisés ne correspond pas à <strong>la</strong> réalité…En effet, les pays industrialisés devrai<strong>en</strong>t<br />

sérieusem<strong>en</strong>t se poser <strong>la</strong> question de savoir si <strong>en</strong> imposant <strong>des</strong> restrictions plus strictes aux<br />

demandeurs d’asile, ils ne ferm<strong>en</strong>t pas leurs portes à <strong>des</strong> hommes, <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants<br />

qui fui<strong>en</strong>t les persécutions… …Contrairem<strong>en</strong>t à ce que l’on croit, dans le monde, <strong>la</strong> majorité<br />

<strong>des</strong> réfugiés sont <strong>en</strong>core accueillis par <strong>des</strong> pays <strong>en</strong> développem<strong>en</strong>t comme <strong>la</strong> Tanzanie, l’Iran<br />

ou le Pakistan.»<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Certains p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t que les gouvernem<strong>en</strong>ts europé<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t faire plus <strong>pour</strong> réduire le nombre<br />

<strong>des</strong> personnes <strong>en</strong>trant illégalem<strong>en</strong>t dans leurs pays <strong>pour</strong> <strong>en</strong>suite demander l’asile politique,<br />

alors que d’autres considèr<strong>en</strong>t que ces gouvernem<strong>en</strong>ts dép<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t trop <strong>pour</strong> réduire le nombre<br />

d’immigrants et ne font pas assez <strong>pour</strong> protéger les réfugiés qui fui<strong>en</strong>t <strong>des</strong> persécutions<br />

politiques ou religieuses et <strong>la</strong> torture. Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Est-il possible, utile ou pertin<strong>en</strong>t d’essayer de distinguer les demandeurs d’asile <strong>des</strong> migrants<br />

économiques ?<br />

78


ETUDE DE CAS 8 : Le processus de formation d’une minorité<br />

Introduction<br />

Presque tous les Etats europé<strong>en</strong>s ont une ou plusieurs minorités culturelles. Certaines sont<br />

originaires d’une région particulière, comme les Saami dans le nord de <strong>la</strong> Scandina<strong>vie</strong>.<br />

Certaines sont qualifiées de minorités indigènes, c’est-à-dire qu’elles habit<strong>en</strong>t une partie du<br />

pays depuis <strong>des</strong> milliers d’années et ont choisi de conserver un certain caractère distinctif,<br />

généralem<strong>en</strong>t sur le p<strong>la</strong>n de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, de <strong>la</strong> culture ou du patrimoine.<br />

De nombreuses minorités sont constituées de migrants, migrants économiques cherchant une<br />

<strong>vie</strong> plus facile <strong>pour</strong> certains, réfugiés fuyant <strong>la</strong> persécution et l’oppression <strong>pour</strong> d’autres.<br />

Certains sont v<strong>en</strong>us quand le pays était occupé ou annexé par leur pays d’origine. Certains<br />

sont rev<strong>en</strong>us après avoir été expulsés du pays où ils avai<strong>en</strong>t vécu p<strong>en</strong>dant longtemps car ils<br />

étai<strong>en</strong>t assimilés à «l’<strong>en</strong>nemi » ou aux oppresseurs. Certains, comme les « Pieds noirs» <strong>en</strong><br />

France et d’autres anci<strong>en</strong>s colons ailleurs <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> de l’Ouest, sont rev<strong>en</strong>us dans leurs pays<br />

d’origine <strong>pour</strong> y être traités comme s’ils étai<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>ts, comme une relique du temps passé.<br />

D’autres considèr<strong>en</strong>t que le statut de minorité est un fardeau qui leur a été imposé. A l’époque<br />

moderne, ce<strong>la</strong> s’est généralem<strong>en</strong>t produit dans les circonstances suivantes: dans certains cas,<br />

parce que les vainqueurs d’une guerre ont modifié les frontières d’un pays et que les habitants<br />

d’une zone ou d’une région se retrouv<strong>en</strong>t citoy<strong>en</strong>s d’un autre ou d’un nouvel Etat-nation.<br />

Dans d’autres cas, parce qu’un empire, une puissance coloniale ou une fédération s’est<br />

disloqué et que les militaires, les fonctionnaires et leurs familles, qui sont restés, constitu<strong>en</strong>t<br />

désormais une minorité nationale et culturelle.<br />

Parfois, <strong>la</strong> « minorité » constitue <strong>en</strong> fait <strong>la</strong> majorité numérique, comme les Noirs <strong>en</strong> Afrique<br />

du Sud p<strong>en</strong>dant l’Apartheid. Ceci met <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce une caractéristique intéressante de<br />

l’expression « groupe minoritaire »: On a t<strong>en</strong>dance à l’employer <strong>pour</strong> tout groupe défavorisé<br />

<strong>en</strong> termes de pouvoir politique, de richesse, d’emploi, de formation et de statut social, même<br />

s’il constitue une majorité numérique au sein de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion et s’il est indigène. Cette<br />

expression a une autre caractéristique importante : on ne l’attribue pas <strong>en</strong> se fondant<br />

seulem<strong>en</strong>t sur certains traits (appart<strong>en</strong>ance ethnique, religion, <strong>la</strong>ngue, culture ou mode de<br />

<strong>vie</strong>) ; les membres de <strong>la</strong> dite minorité l’utilis<strong>en</strong>t aussi souv<strong>en</strong>t eux-mêmes <strong>pour</strong> r<strong>en</strong>forcer leur<br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’id<strong>en</strong>tité et d’appart<strong>en</strong>ance commune.<br />

Dans les 50 dernières années, <strong>la</strong> reconnaissance du fait que <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> minorités sont<br />

défavorisées et marginalisées par <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion majoritaire a conduit à réc<strong>la</strong>mer plus de<br />

protection. Ceci a conduit à <strong>la</strong> signature de conv<strong>en</strong>tions internationales <strong>pour</strong> affirmer les<br />

droits civils, politiques, culturels, économiques et sociaux <strong>des</strong> groupes minoritaires. Dans<br />

certains cas, les Etats ont réagi par ce qu’on appelle l’«affirmative action» (<strong>des</strong> politiques<br />

<strong>des</strong>tinées à corriger les désavantages, généralem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> introduisant <strong>des</strong> quotas dans les<br />

universités et dans <strong>la</strong> fonction publique).<br />

Cep<strong>en</strong>dant, bi<strong>en</strong> que l’on fasse plus <strong>pour</strong> protéger les droits <strong>des</strong> minorités, dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong><br />

sociétés, leur statut semble faire l’objet d’une att<strong>en</strong>tion perman<strong>en</strong>te. Dans certaines<br />

<strong>démocratie</strong>s libérales stables, les préoccupations <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts quant au degré<br />

d’intégration <strong>des</strong> minorités dans le reste de <strong>la</strong> société, ressurgiss<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> période<br />

de récession, d’augm<strong>en</strong>tation du chômage ou bi<strong>en</strong> de troubles et de conflits <strong>en</strong>tre différ<strong>en</strong>ts<br />

groupes sociaux.<br />

Dans les pays qui <strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t de connaître <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts politiques majeurs, comme <strong>en</strong><br />

<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale après <strong>la</strong> chute du communisme, les nouveaux gouvernem<strong>en</strong>ts sont<br />

79


souv<strong>en</strong>t préoccupés par l’allégeance et <strong>la</strong> loyauté de certaines minorités, surtout si elles<br />

apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à une nationalité qui constitue <strong>la</strong> majorité dans un Etat voisin. Cette<br />

préoccupation a souv<strong>en</strong>t nourri <strong>des</strong> attitu<strong>des</strong> nationalistes et xénophobes <strong>en</strong> pério<strong>des</strong> de crise<br />

économique ou politique et de t<strong>en</strong>sions avec les Etats voisins.<br />

Trois mini-étu<strong>des</strong> de cas, prés<strong>en</strong>tées ci-après, illustr<strong>en</strong>t un certains nombres de problèmes liés<br />

aux minorités. Ils montr<strong>en</strong>t notamm<strong>en</strong>t le processus de «formation d’une minorité». La<br />

première prés<strong>en</strong>te l’exemple <strong>des</strong> «Pieds noirs » <strong>en</strong> France (les colons b<strong>la</strong>ncs d’origine<br />

française rapatriés après l’indép<strong>en</strong>dance de l’Algérie). La deuxième montre le cas <strong>des</strong><br />

Allemands restés <strong>en</strong> Silésie occid<strong>en</strong>tale, dev<strong>en</strong>ue polonaise après <strong>la</strong> Deuxième guerre<br />

mondiale, alors que <strong>des</strong> millions d’Allemands d’<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale étai<strong>en</strong>t rapatriés<br />

de force <strong>en</strong> Allemagne ou fuyai<strong>en</strong>t devant l’Armée rouge. Aujourd’hui, <strong>pour</strong> l’auteur, ces<br />

Allemands restés <strong>en</strong> Silésie apparaiss<strong>en</strong>t comme «une composante naturelle de <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion ».<br />

La dernière étude de cas concerne <strong>la</strong> Bosnie-Herzégovine (BiH), dont <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion est<br />

composée de trois grands groupes nationaux, dont aucun n’est majoritaire, et d’autres petites<br />

minorités, comme les Roms et les Juifs. Dans les années 90, <strong>la</strong> dislocation de l’ex-<br />

Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong> et l’interv<strong>en</strong>tion <strong>des</strong> Etats voisins ont provoqué un conflit, puis une guerre civile.<br />

Après l’interv<strong>en</strong>tion de <strong>la</strong> communauté internationale, les hostilités finir<strong>en</strong>t par cesser,<br />

l’Accord de paix de Dayton, signé à Paris <strong>en</strong> 1995, am<strong>en</strong>a une force internationale de<br />

mainti<strong>en</strong> de <strong>la</strong> paix et établit le Bureau du Haut représ<strong>en</strong>tant, chargé de surveiller <strong>la</strong> mise <strong>en</strong><br />

œuvre <strong>des</strong> aspect civils de l’accord de Dayton.<br />

Après ces minis étu<strong>des</strong> de cas, nous avons prévu une activité assez différ<strong>en</strong>te, <strong>pour</strong> nourrir le<br />

débat sur les problèmes qui surgiss<strong>en</strong>t dans les pays où <strong>des</strong> t<strong>en</strong>sions apparaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les<br />

différ<strong>en</strong>ts groupes ethniques ou nationalités. Bi<strong>en</strong> que le pays imaginaire pris <strong>en</strong> exemple,<br />

appelé « Ubie », ait une popu<strong>la</strong>tion composée de trois gran<strong>des</strong> minorités et pas de majorité, il<br />

ne s’agit pas de <strong>la</strong> Bosnie-Herzégovine. D’une part, les popu<strong>la</strong>tions minoritaires de BiH sont<br />

beaucoup plus dispersées géographiquem<strong>en</strong>t que celles d’Ubie. D’autre part, l’Ubie a aussi<br />

<strong>des</strong> caractéristiques communes avec de nombreux autres <strong>en</strong>droits dans le monde : La BiH,<br />

Chypre, le Liban, le Kosovo, le Haut-Karabakh, l’Ir<strong>la</strong>nde du Nord, le Rwanda, etc. Cette<br />

démarche est conçue <strong>pour</strong> inciter à réfléchir aux problèmes r<strong>en</strong>contrés quand on essaye de<br />

créer les conditions d’une coexist<strong>en</strong>ce harmonieuse et d’une coopération dans ce g<strong>en</strong>re de<br />

situation.<br />

Les « Pieds noirs » <strong>en</strong> France<br />

Jean Petaux<br />

L’expression « Pieds-noirs » désigne de façon très générale <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion française établie <strong>en</strong><br />

Algérie et rapatriée <strong>en</strong> France juste après <strong>la</strong> proc<strong>la</strong>mation de l’indép<strong>en</strong>dance, le 3 juillet 1962.<br />

Au début, il s’agissait d’un terme péjoratif, mais il a vite été adopté par les Français<br />

d’Algérie, car il leur permettait de rétablir une id<strong>en</strong>tité spécifique, distincte de celles <strong>des</strong><br />

Algéri<strong>en</strong>s établis <strong>en</strong> France comme travailleurs immigrés ou comme « Harkis » (Algéri<strong>en</strong>s<br />

qui avai<strong>en</strong>t combattu aux côtés de l’armée française contre les indép<strong>en</strong>dantistes du FLN), et<br />

<strong>des</strong> Français métropolitains.<br />

Une société de castes jusqu’<strong>en</strong> 1962<br />

Les chiffres dont dispos<strong>en</strong>t les histori<strong>en</strong>s sur cette popu<strong>la</strong>tion française d’Algérie avant<br />

l’indép<strong>en</strong>dance <strong>en</strong> 1962 (qui mit fin à <strong>la</strong> seule véritable colonie de peuplem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> France<br />

80


<strong>en</strong>tre 1830 et cette date) sont assez variables. Les spécialistes cit<strong>en</strong>t les statistiques de 1960,<br />

qui comptai<strong>en</strong>t 1 021 047 personnes (dont <strong>en</strong>viron 130 000 Juifs) sur l’<strong>en</strong>semble du territoire<br />

algéri<strong>en</strong>, y compris le Sahara, outre les 9487 000 Algéri<strong>en</strong>s musulmans. Dans une étude<br />

réalisée <strong>en</strong> 1962, le jeune sociologue Pierre Bourdieu, qualifiait <strong>la</strong> société algéri<strong>en</strong>ne de<br />

société de castes dans <strong>la</strong>quelle les Français constituai<strong>en</strong>t naturellem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> caste supérieure.<br />

Mais ce groupe était lui-même très divisé, <strong>en</strong> fonction <strong>des</strong> origines, <strong>en</strong> effet, de nombreux<br />

étrangers (Espagnols, Itali<strong>en</strong>s, Maltais, et même Allemands), avai<strong>en</strong>t émigré <strong>en</strong> Algérie au 19 e<br />

siècle. En vertu d’une loi de 1889 introduisant le principe du droit du sol (jus solis) , leurs<br />

<strong>en</strong>fants avai<strong>en</strong>t acquis automatiquem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> nationalité française.<br />

Ces nouveaux Français <strong>en</strong>trèr<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong> catégorie <strong>des</strong> « Français d’origine » <strong>en</strong> se fondant à<br />

ces derniers par les voies républicaines traditionnelles de l’école et du service militaire, sans<br />

m<strong>en</strong>tionner l’expéri<strong>en</strong>ce commune <strong>des</strong> deux guerres mondiales. En même temps, ces<br />

différ<strong>en</strong>ts groupes conservèr<strong>en</strong>t certaines traditions culturelles et cultivèr<strong>en</strong>t <strong>des</strong> traits<br />

fortem<strong>en</strong>t distinctifs. Ce phénomène était r<strong>en</strong>forcé par le fait que chacune <strong>des</strong> communautés<br />

s’était installée de façon plus ou moins séparée dans les principales villes et localités, comme<br />

Alger, Oran et Constantine.<br />

Les Français d’Algérie – un groupe socialem<strong>en</strong>t hétérogène<br />

On avait t<strong>en</strong>dance à se représ<strong>en</strong>ter les Français d’Algérie comme faisant tous partie du groupe<br />

<strong>des</strong> colons, surtout de l’élite coloniale, et de les considérer comme homogènes<br />

économiquem<strong>en</strong>t et solidaires. Ces images sont <strong>en</strong> partie fausses. En 1954, sur une<br />

popu<strong>la</strong>tion active de 354 500, 75% <strong>des</strong> Français d’Algérie étai<strong>en</strong>t sa<strong>la</strong>riés (contre 64% <strong>en</strong><br />

France métropolitaine). Parmi ces sa<strong>la</strong>riés, 70% occupai<strong>en</strong>t un emploi re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t mo<strong>des</strong>te,<br />

<strong>en</strong> tant qu’ouvriers ou employés de bureau. 32 500 d’<strong>en</strong>tre eux seulem<strong>en</strong>t étai<strong>en</strong>t employés<br />

dans l’agriculture, dont 18 400 dans leur propre ferme ou sur leurs terres (9,1% de <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion active contre 26,2% <strong>en</strong> France métropolitaine <strong>en</strong> cette même année 1954). Par<br />

ailleurs, 28% <strong>des</strong> actifs étai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> fonctionnaires, contre 12% <strong>en</strong> France métropolitaine. Ce<br />

<strong>pour</strong>c<strong>en</strong>tage important de Pieds-noirs travail<strong>la</strong>nt dans <strong>la</strong> fonction publique ou dans <strong>des</strong><br />

<strong>en</strong>treprises publiques devait faciliter leur intégration quand ils allèr<strong>en</strong>t s’installer <strong>en</strong> France.<br />

Un retour massif sur une très courte période<br />

Au début <strong>des</strong> années 60, les autorités de France métropolitaine comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t à constater un<br />

flux régulier de Français d’Algérie v<strong>en</strong>ant s’installer au Nord de <strong>la</strong> Méditerranée. A partir de<br />

mai 1962, le flux se transforma <strong>en</strong> raz de marée, à <strong>la</strong> suite <strong>des</strong> Accords d’Evian signés par les<br />

belligérants <strong>en</strong> mars 1962, mais aussi <strong>en</strong> raison du climat de viol<strong>en</strong>ce acc<strong>en</strong>tué par <strong>la</strong><br />

«politique de <strong>la</strong> terre brûlée » <strong>des</strong> opposants à l’indép<strong>en</strong>dance. Entre le 1 er avril et le 31<br />

décembre 1962, 936 231 personnes quittèr<strong>en</strong>t l’Algérie <strong>pour</strong> <strong>la</strong> France où ils devinr<strong>en</strong>t les<br />

rapatriés d’Algérie, bi<strong>en</strong>tôt appelés « Pieds-noirs ».<br />

Une intégration sociale rapide <strong>en</strong> France, tout <strong>en</strong> conservant une id<strong>en</strong>tité et une<br />

culture fortes<br />

Les premières années <strong>en</strong> France fur<strong>en</strong>t une expéri<strong>en</strong>ce douloureuse <strong>pour</strong> ce groupe de<br />

personnes traumatisées par cette issue tragique, qui voyai<strong>en</strong>t leur retour <strong>en</strong> France comme une<br />

punition de l’histoire et se considérai<strong>en</strong>t comme <strong>des</strong> victimes de calculs politiques,<br />

notamm<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> politique d’abandon de l’Algérie du Général de Gaulle. Mais grâce à <strong>la</strong> forte<br />

croissance de l’économie française dans les années 60, cet afflux de main d’œuvre fut<br />

rapidem<strong>en</strong>t absorbé. Cep<strong>en</strong>dant, leur intégration matérielle ne put jamais guérir les Piedsnoirs<br />

de leur nostalgie et de leur frustration, aggravées par le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’être mal jugés par<br />

leurs compatriotes de France métropolitaine. Ces derniers les traitai<strong>en</strong>t soit comme un groupe<br />

81


de privilégiés qui avai<strong>en</strong>t exploité indûm<strong>en</strong>t les Musulmans d’Algérie, jusqu’à ce que ceux-ci<br />

soi<strong>en</strong>t obligés de les chasser, soit comme <strong>des</strong> Français de deuxième catégorie qui, à peine<br />

arrivés dans le pays, réc<strong>la</strong>mai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> postes et positions sociales comparables, si ce n’est<br />

supérieurs, à ceux de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion française.<br />

Il n’est donc pas surpr<strong>en</strong>ant que les Français d’Algérie se soi<strong>en</strong>t efforcés, grâce à leur <strong>vie</strong><br />

culturelle, de préserver leur mémoire individuelle et collective. Dans le Sud de <strong>la</strong> France et<br />

dans <strong>la</strong> région parisi<strong>en</strong>ne, où <strong>la</strong> plupart d’<strong>en</strong>tre eux s’étai<strong>en</strong>t installés, ils organisèr<strong>en</strong>t de<br />

nombreux festivals et autres manifestations du même type. On peut citer, par exemple, <strong>la</strong><br />

r<strong>en</strong>contre annuelle de Nîmes, où <strong>la</strong> Vierge de Santa Cruz, ram<strong>en</strong>ée d’Oran <strong>en</strong> 1962, attire de<br />

nombreux rapatriés, regroupés par villes, quartiers et vil<strong>la</strong>ges d’Algérie. Ce groupe s’id<strong>en</strong>tifie<br />

égalem<strong>en</strong>t à certaines figures emblématiques de <strong>la</strong> culture popu<strong>la</strong>ire: le chanteur Enrico<br />

Macias, les acteurs Roger Hanin, Robert Castel, Guy Bedos et Marthe Vil<strong>la</strong>longa, le<br />

réalisateur Alexandre Arcady, etc..<br />

Un certain nombre d’écrivains perpétu<strong>en</strong>t <strong>la</strong> mémoire d’une minorité qui cherche <strong>en</strong><br />

perman<strong>en</strong>ce à redécouvrir son id<strong>en</strong>tité et son li<strong>en</strong> avec un pays perdu. Albert Camus, mort <strong>en</strong><br />

1960, est une figure, certes lointaine, mais symbolique de cette période. Marie Cardinal a<br />

contribué a garder vivante <strong>la</strong> mémoire, commune et int<strong>en</strong>se, <strong>des</strong> jours heureux <strong>des</strong> Pieds-noirs<br />

<strong>en</strong>tre 1914 et 1962, alors qu’André Chouraqui a beaucoup fait <strong>pour</strong> préserver <strong>la</strong> mémoire <strong>des</strong><br />

Juifs d’Algérie, un groupe bi<strong>en</strong> distinct au sein de <strong>la</strong> communauté pied-noir .<br />

La l<strong>en</strong>te reconstruction d’une histoire susp<strong>en</strong>due dans le temps et <strong>la</strong> mémoire<br />

réconciliée<br />

De plus <strong>en</strong> plus de familles pied-noir se sont r<strong>en</strong>dues <strong>en</strong> Algérie, accompagnées de <strong>la</strong><br />

deuxième et de <strong>la</strong> troisième génération, <strong>pour</strong> lesquelles l’Algérie est un pays complètem<strong>en</strong>t<br />

étranger mais dont <strong>la</strong> mémoire est évoquée constamm<strong>en</strong>t. Ri<strong>en</strong> ne distingue plus ces familles<br />

du reste de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion de France métropolitaine, cep<strong>en</strong>dant, les réunions de famille et une<br />

mémoire collective, passée de génération <strong>en</strong> génération, ont maint<strong>en</strong>u intact le désir du retour<br />

chez les plus âgés et un désir partagé de réaliser leur histoire familiale chez les jeunes qui<br />

n’ont jamais connu le pays de leurs ancêtres. Maint<strong>en</strong>ant que les re<strong>la</strong>tions <strong>en</strong>tre <strong>la</strong> France et<br />

l’Algérie se sont un peu normalisées, même si elles rest<strong>en</strong>t troublées, ces voyages dans le<br />

passé se multipli<strong>en</strong>t. Ils permett<strong>en</strong>t à un groupe de Français qui ne s’est jamais remis de son<br />

histoire de sceller une forme de réconciliation avec sa mémoire collective.<br />

Ces réunions constitu<strong>en</strong>t <strong>des</strong> occasions de fraternisation véritable <strong>en</strong>tre les deux bords de <strong>la</strong><br />

Méditerranée. Elles permett<strong>en</strong>t aux Pieds-noirs de tourner <strong>en</strong>fin <strong>la</strong> page et de se réconcilier<br />

avec ce passé révolu et à jamais perdu. Elles donn<strong>en</strong>t aux Algéri<strong>en</strong>s <strong>la</strong> possibilité de faire<br />

revivre une mémoire individuelle et collective que l’histoire <strong>of</strong>ficielle, trop longtemps<br />

imprégnée d’idéologie et guidée par <strong>des</strong> motivations particulière, à cherché a ignorer ou à<br />

déformer, <strong>en</strong> traitant tous les Français d’Algérie de tyrans absolus et tous les Pieds-noirs<br />

d’exploiteurs colonialistes, doublés de racistes avoués.<br />

Les Allemands de Pologne – l’exemple de <strong>la</strong> Silésie<br />

Jacek Wòdz<br />

La Silésie est une région très particulière. D’un côté, elle est tout à fait «caractéristique et<br />

représ<strong>en</strong>tative » de l’<strong>Europe</strong>, de l’autre, elle constitue un patchwork de nationalités et<br />

d’ethnies, résultat de son histoire, surtout aux 19 e et 20 e siècles. A cette époque, une partie<br />

importante de l’<strong>Europe</strong> était partagée <strong>en</strong>tre trois empires : allemand, russe et austro-hongrois.<br />

82


Dans <strong>la</strong> partie ori<strong>en</strong>tale de <strong>la</strong> Silésie se trouve le triangle <strong>des</strong> trois empereurs<br />

(«Dreikaiserecke »), où p<strong>en</strong>dant plus de 100 ans, ces empires se rejoignai<strong>en</strong>t. En plus,<br />

comme si l’histoire de <strong>la</strong> région n’était pas déjà assez compliquée comme ça, le<br />

développem<strong>en</strong>t du Sud a été fortem<strong>en</strong>t influ<strong>en</strong>cé par <strong>la</strong> culture tchèque à cette époque.<br />

Il con<strong>vie</strong>nt égalem<strong>en</strong>t de noter, que le dép<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t vers l’ouest de <strong>la</strong> frontière germanopolonaise<br />

à <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> seconde guerre mondiale a <strong>la</strong>issé une empreinte pr<strong>of</strong>onde sur <strong>la</strong><br />

composition de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Les Allemands, majoritaires dans les parties c<strong>en</strong>trales et<br />

occid<strong>en</strong>tales, ont fui devant l’Armée rouge. Ceux qui étai<strong>en</strong>t restés ont été obligés à partir, au<br />

début sur ordre de l’armée soviétique et après sur décision <strong>des</strong> autorités polonaises. Ceci s’est<br />

produit <strong>en</strong> 1945 et dans les années qui ont suivi, notamm<strong>en</strong>t dans les zones c<strong>en</strong>trales et<br />

occid<strong>en</strong>tales de <strong>la</strong> région (Silésie d’Opole et Basse Silésie), les partants étai<strong>en</strong>t remp<strong>la</strong>cés par<br />

<strong>des</strong> Polonais, forcés de quitter les territoires de l’Est de <strong>la</strong> Pologne pris par l’Union<br />

soviétique.<br />

Le régime communiste, mis <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce après 1945, ge<strong>la</strong> tout débat sur le statut de <strong>la</strong> minorité<br />

allemande de Pologne. Le problème n’a refait surface qu’après 1989-90, quand les id<strong>en</strong>tités<br />

nationales et ethniques ont été définies et redéfinies. En Haute Silésie et <strong>en</strong> Silésie d’Opole,<br />

on trouve différ<strong>en</strong>tes id<strong>en</strong>tités, et le processus d’autodéfinition nationale et ethnique n’est pas<br />

<strong>en</strong>core terminé. La majorité est polonaise, mais certains groupes se définiss<strong>en</strong>t eux-mêmes<br />

comme Siléso-polonais, Siléso-silési<strong>en</strong>s (ou tout simplem<strong>en</strong>t silési<strong>en</strong>s sans indication de<br />

préfér<strong>en</strong>ce culturelle allemande ou polonaise), Germano-silési<strong>en</strong>ne et, bi<strong>en</strong> sûr, Allemands.<br />

Ceux qui se définiss<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t comme Allemands, bi<strong>en</strong> que citoy<strong>en</strong>s polonais, habit<strong>en</strong>t<br />

surtout dans <strong>la</strong> partie occid<strong>en</strong>tale de <strong>la</strong> Haute Silésie (correspondant plus ou moins à <strong>la</strong><br />

Voïvodie de Katowice) et de <strong>la</strong> Silésie d’Opole, il y <strong>en</strong> a très peu <strong>en</strong> Basse Silésie (Voïvodie<br />

de Wrocław).<br />

Après <strong>la</strong> démocratisation de <strong>la</strong> Pologne (1989-90), les associations de citoy<strong>en</strong>s polonais de<br />

nationalité allemande ont réussi à se faire reconnaître, mais non sans difficultés. Cette<br />

reconnaissance a été particulièrem<strong>en</strong>t remarquée <strong>en</strong> Silésie d’Opole, où cette minorité<br />

constitue maint<strong>en</strong>ant un groupe important. Avec deux députés au Parlem<strong>en</strong>t polonais ( Sejm)<br />

et plusieurs représ<strong>en</strong>tants au conseil régional (sejmik), ce groupe a une influ<strong>en</strong>ce importante<br />

au niveau <strong>des</strong> différ<strong>en</strong>tes communes de <strong>la</strong> Voïvodie. La minorité allemande constitue un<br />

acteur visible de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> politique de <strong>la</strong> Voïvodie d’Opole et il ne fait aucun doute que les droits<br />

civils de ses membres sont reconnus. En Haute Silésie cette minorité est nettem<strong>en</strong>t visible,<br />

notamm<strong>en</strong>t au niveau local et dans <strong>des</strong> villes comme Katowice.<br />

En matière d’activités publiques, les associations sociales, charitables et culturelles de <strong>la</strong><br />

minorité allemande sont très bi<strong>en</strong> vues, surtout dans <strong>la</strong> Voïvodie d’Opole et <strong>en</strong> Haute Silésie<br />

dans <strong>des</strong> villes comme Gliwice et Katowice. Elles œuvr<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> réconciliation<br />

germano-polonaise. Elles invoqu<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t les <strong>valeurs</strong> europé<strong>en</strong>nes et font appel à <strong>des</strong><br />

financem<strong>en</strong>ts de différ<strong>en</strong>ts fonds europé<strong>en</strong>s.<br />

Pour résumer, quelle est <strong>la</strong> <strong>vie</strong> d’un membre de <strong>la</strong> minorité allemande <strong>en</strong> Silésie ? La réponse<br />

est «plutôt bonne » car, dans <strong>la</strong> région, cette minorité est considérée comme une composante<br />

«naturelle » de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Mais il con<strong>vie</strong>nt d’ajouter qu’au niveau national, certaines<br />

idées nationalistes (qui n’exist<strong>en</strong>t pas dans <strong>la</strong> région) sont inquiétantes <strong>pour</strong> cette minorité.<br />

Quand il y a <strong>des</strong> conflits sociaux <strong>en</strong> Silésie, un esprit de réconciliation et de dialogue se<br />

manifeste naturellem<strong>en</strong>t et permet de les résoudre au niveau local.<br />

83


La Bosnie-Herzégovine<br />

Damir Agicic<br />

La Bosnie-Herzégovine avait une longue tradition de société multinationale et multiethnique.<br />

P<strong>en</strong>dant <strong>des</strong> siècles, le territoire de <strong>la</strong> Bosnie-Herzégovine (BiH) a été à <strong>la</strong> frontière <strong>des</strong> zones<br />

d’influ<strong>en</strong>ce byzantine et occid<strong>en</strong>tale, l’introduction de l’Is<strong>la</strong>m y est liée à <strong>la</strong> domination<br />

ottomane. Cette dernière a duré de 1463 à 1878, date à <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> province a été occupée par<br />

l’empire austro-hongrois, après le Congrès de Berlin. Les autorités autrichi<strong>en</strong>nes<br />

<strong>en</strong>couragèr<strong>en</strong>t <strong>la</strong> création d’une nation bosniaque commune, incluant toutes les popu<strong>la</strong>tions de<br />

<strong>la</strong> province, mais cette t<strong>en</strong>tative échoua. A <strong>la</strong> fin du 19 e siècle, une consci<strong>en</strong>ce nationale serbe<br />

s’était développée chez les habitants orthodoxes de Bosnie-Herzégovine et une consci<strong>en</strong>ce<br />

nationale croate chez les habitants catholiques. Au début, les Musulmans étai<strong>en</strong>t du côté de<br />

l’une ou de l’autre de ces nationalités. C’est seulem<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong> deuxième moitié du 20 e siècle<br />

qu’est apparue une nation musulmane distincte.<br />

Dans les consci<strong>en</strong>ces nationales serbes et, dans une moindre mesure, croate, <strong>la</strong> rivalité <strong>en</strong>tre<br />

Chréti<strong>en</strong>s et Musulmans a une p<strong>la</strong>ce importante, ainsi que <strong>la</strong> tradition de lutte contre les<br />

<strong>en</strong>vahisseurs ottomans. Bi<strong>en</strong> que <strong>la</strong> grande majorité de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion musulmane de Bosnie-<br />

Herzégovine soit d’origine locale et s<strong>la</strong>ve, qu’il s’agisse d’habitants de <strong>la</strong> Bosnie-Herzégovine<br />

is<strong>la</strong>misés et non de colons ottomans, <strong>pour</strong> leurs voisins chréti<strong>en</strong>s, les Musulmans sont souv<strong>en</strong>t<br />

perçus comme les héritiers <strong>des</strong> Turcs.<br />

Par ailleurs, le début du conflit <strong>en</strong>tre Serbes et Croates concernant l’appart<strong>en</strong>ance de <strong>la</strong><br />

Bosnie-Herzégovine remonte à <strong>la</strong> fin du 19 e siècle. Chacune <strong>des</strong> deux nations voisines p<strong>en</strong>sait<br />

que le territoire de <strong>la</strong> BiH devrait lui appart<strong>en</strong>ir : <strong>en</strong> raison de droits historiques, ainsi que de<br />

<strong>la</strong> prés<strong>en</strong>ce d’une popu<strong>la</strong>tion serbe, ou croate, sur son territoire. Ce conflit prit une tournure<br />

sang<strong>la</strong>nte p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> seconde guerre mondiale, quand les Oustachis attaquèr<strong>en</strong>t les Serbes et<br />

que <strong>la</strong> guéril<strong>la</strong> serbe <strong>des</strong> T c hetniks exerça <strong>des</strong> représailles sur les popu<strong>la</strong>tions civiles croate et<br />

musulmane.<br />

Dans <strong>la</strong> Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong> socialiste, ce même conflit, que l’on ne retrouvait pas seulem<strong>en</strong>t sur le<br />

territoire de <strong>la</strong> BiH, couvait sous le couvert <strong>of</strong>ficiel de <strong>la</strong> fraternité et de l’unité <strong>des</strong> peuples de<br />

Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong>. Parmi les républiques de FSRY, <strong>la</strong> Bosnie-Herzégovine représ<strong>en</strong>tait une<br />

Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong> <strong>en</strong> miniature, avec une popu<strong>la</strong>tion très mé<strong>la</strong>ngée <strong>en</strong> termes de nationalités et de<br />

religions.<br />

Composition ethnique de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> BiH <strong>en</strong> 1991:<br />

Musulmans 39,5%<br />

Serbes 32,0<br />

Croates 18,0<br />

Yougos<strong>la</strong>ves 7,9<br />

La Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong> socialiste était un Etat totalitaire gouverné par le Parti communiste. Jusqu’à<br />

sa mort <strong>en</strong> 1980, le leader communiste, Josip Broz Tito, <strong>en</strong> était le personnage principal, il<br />

faisait l’objet d’un véritable culte de <strong>la</strong> personnalité. Après <strong>la</strong> mort de Tito, l’Etat yougos<strong>la</strong>ve<br />

connut une crise économique et politique. D’une part, les faiblesses de l’économie socialiste<br />

84


devinr<strong>en</strong>t visibles, d’autre part, <strong>la</strong> fraternité et l’unité s’affaiblir<strong>en</strong>t et un certain nationalisme<br />

refit surface. Comme ailleurs <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>, à <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années 80, le régime communiste<br />

yougos<strong>la</strong>ve était prêt à s’effondrer.<br />

Plusieurs <strong>des</strong> nations composant <strong>la</strong> Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong> n’étai<strong>en</strong>t pas satisfaites de l’Etat yougos<strong>la</strong>ve,<br />

même si chacune avait ses propres raisons. Différ<strong>en</strong>tes forces politiques cherchai<strong>en</strong>t à<br />

réformer <strong>la</strong> fédération, soit <strong>en</strong> <strong>la</strong> déc<strong>en</strong>tralisant, soit <strong>en</strong> obt<strong>en</strong>ant <strong>la</strong> sécession <strong>des</strong> républiques.<br />

La Serbie, dirigée par Slobodan Milosevic, et l’Armée popu<strong>la</strong>ire yougos<strong>la</strong>ve, s’opposai<strong>en</strong>t à<br />

<strong>la</strong> sécession <strong>des</strong> autres républiques, <strong>en</strong> particulier de celles qui avai<strong>en</strong>t une popu<strong>la</strong>tion serbe.<br />

La guerre, qui prit le monde par surprise, comm<strong>en</strong>ça <strong>en</strong> Croatie <strong>en</strong> 1991 et <strong>en</strong> Bosnie-<br />

Herzégovine <strong>en</strong> 1992. La communauté internationale réagit un peu malgré elle et tardivem<strong>en</strong>t<br />

aux atrocités qui se produisir<strong>en</strong>t durant ces guerres.<br />

La guerre dura quatre ans <strong>en</strong> Bosnie-Herzégovine, les Bosniaques et les Croates, favorables à<br />

l’indép<strong>en</strong>dance de <strong>la</strong> république, se battir<strong>en</strong>t contre les Serbes, qui vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t l’empêcher. Plus<br />

tard, il y eut égalem<strong>en</strong>t un conflit <strong>en</strong>tre Bosniaques et Croates. Ainsi, les trois principales<br />

nationalités de Bosnie-Herzégovine se battir<strong>en</strong>t les unes contre les autres. De nombreux<br />

crimes de guerre fur<strong>en</strong>t commis durant ce conflit, les conv<strong>en</strong>tions internationales fur<strong>en</strong>t<br />

violées, il y eut une épuration ethnique et un génocide.<br />

Le «territoire ethniquem<strong>en</strong>t pur » était dev<strong>en</strong>u l’idéal <strong>des</strong> nationalistes de tous bords. On<br />

essaya d’effacer <strong>la</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> «autres », non seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> expulsant les g<strong>en</strong>s, mais aussi <strong>en</strong><br />

supprimant les traces de leur prés<strong>en</strong>ce, notamm<strong>en</strong>t de leurs lieux de culte. Certaines villes,<br />

habitées par une popu<strong>la</strong>tion mixte, fur<strong>en</strong>t divisées <strong>en</strong> deux parties (Sarajevo et Mostar).<br />

Le cas de Sarajevo devint particulièrem<strong>en</strong>t intéressant. Située dans une vallée longue et<br />

étroite, <strong>la</strong> ville était assiégée par les forces serbes. Les Serbes s’étai<strong>en</strong>t déployés sur les<br />

collines <strong>en</strong>vironnantes, ce qui leur permettait de bombarder <strong>la</strong> ville facilem<strong>en</strong>t avec <strong>des</strong> obus.<br />

Certaines banlieues de Sarajevo étai<strong>en</strong>t contrôlées par les Serbes et <strong>des</strong> tireurs serbes étai<strong>en</strong>t<br />

postés dans les étages supérieurs de tours d’habitation. La ville fut bi<strong>en</strong>tôt confrontée à une<br />

pénurie d’eau, de nourriture et de bois de chauffage. La cité n’était pas habitée seulem<strong>en</strong>t par<br />

<strong>des</strong> Bosniaques, mais aussi par <strong>des</strong> Croates et <strong>des</strong> Serbes. Une partie de ces derniers restèr<strong>en</strong>t<br />

à Sarajevo p<strong>en</strong>dant le siège.<br />

Il est intéressant de remarquer qu’<strong>en</strong> Bosnie-Herzégovine, toutes les parties invoquai<strong>en</strong>t le<br />

droit d’une nation à l’autodétermination. La principale différ<strong>en</strong>ce résidait dans <strong>la</strong> façon dont<br />

ce droit était interprété. Les Bosniaques (tout comme les Croates au début), considérai<strong>en</strong>t<br />

qu’il s’agissait du droit de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion de BiH, dans son <strong>en</strong>semble, qui s’était prononcée par<br />

référ<strong>en</strong>dum <strong>pour</strong> l’indép<strong>en</strong>dance et l’intangibilité <strong>des</strong> frontières <strong>des</strong> ex-républiques<br />

yougos<strong>la</strong>ves. Il s’agit là de l’un <strong>des</strong> principes fondam<strong>en</strong>taux <strong>des</strong> re<strong>la</strong>tions internationales dans<br />

le monde contemporain.<br />

Les Serbes considérai<strong>en</strong>t que les Serbes de BiH avai<strong>en</strong>t le droit de décider s’ils vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t<br />

continuer à faire partie de <strong>la</strong> Bosnie. Ils boycottèr<strong>en</strong>t le référ<strong>en</strong>dum d’indép<strong>en</strong>dance et<br />

essayèr<strong>en</strong>t de pr<strong>en</strong>dre le contrôle militaire d’un territoire le plus ét<strong>en</strong>du possible, dans le but<br />

de l’annexer à <strong>la</strong> Serbie. Ils persécutèr<strong>en</strong>t les non serbes et se livrèr<strong>en</strong>t à une épuration<br />

ethnique. En fait, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion de Bosnie-Herzégovine était très mé<strong>la</strong>ngée avant <strong>la</strong> guerre et il<br />

n’existait pas de territoire <strong>en</strong> un seul morceau, à majorité serbe et jouxtant <strong>la</strong> Serbie, qui soit<br />

facile à annexer.<br />

85


En simplifiant beaucoup, on <strong>pour</strong>rait dire que <strong>la</strong> Bosnie-Herzégovine a fait l’expéri<strong>en</strong>ce d’un<br />

choc <strong>en</strong>tre deux idéaux et idées ess<strong>en</strong>tiels du 20e siècle: d’une part l’idée de <strong>la</strong> société<br />

multiculturelle, basée sur <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> et <strong>la</strong> tolérance. D’autre part, l’idéal de<br />

l’autodétermination, conduisant à un Etat-nation <strong>pour</strong> chaque ethnie. Cette opposition reste à<br />

<strong>la</strong> base du conflit qui divise <strong>la</strong> société bosniaque depuis <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> guerre, après 10 ans<br />

d’administration internationale.<br />

Extraits de lettres de particuliers 13 :<br />

Sarajevo, 3 avril 1994<br />

«Sarajevo a subi <strong>des</strong> <strong>des</strong>tructions importantes … c’est impossible à décrire. Les<br />

tramways march<strong>en</strong>t, mais ils pass<strong>en</strong>t sous les tours <strong>des</strong> Tchetniks où, il y a deux mois,<br />

les tireurs faisai<strong>en</strong>t un très bon travail, c’est-à-dire que personne ne pouvait passer<br />

vivant, seul ou dans un tram (bondé). Pourtant les trams et les voitures continu<strong>en</strong>t à<br />

passer. Ce<strong>la</strong> ne va pas forcém<strong>en</strong>t durer longtemps. Peu avant notre arrivée, on a tiré<br />

sur un tram et deux femmes ont été tuées, mais les g<strong>en</strong>s sont dev<strong>en</strong>us ins<strong>en</strong>sibles car,<br />

ici, <strong>la</strong> <strong>vie</strong> ne vaut pas cher. »<br />

Sarajevo, 28 juillet 1994<br />

«A Sarajevo c’est <strong>la</strong> panique parce que <strong>la</strong> route (celle par <strong>la</strong>quelle nous sommes<br />

arrivés) est fermée, tout comme l’aéroport. Les prix comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t déjà à monter et on<br />

peut s<strong>en</strong>tir que ça va éc<strong>la</strong>ter une fois de plus. Dans ma dernière lettre, j’ai écrit que je<br />

m’att<strong>en</strong>dais à ce que les tirs recomm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t. Les tireurs s’y prépar<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. Ils<br />

n’ont pas <strong>en</strong>core reçu de feu vert, mais il est certain qu’ils ont déjà le feu orange…<br />

Bi<strong>en</strong> sûr, c’est déjà suffisant <strong>pour</strong> qu’il y ait quelques blessés ou tués. »<br />

Sarajevo, 2 mars 1993<br />

«Etre à Sarajevo aujourd’hui signifie défier le fascisme, travailler veut dire construire<br />

un Etat libre et tirer, c’est détruire <strong>des</strong> Tchetniks qui ne mérit<strong>en</strong>t pas d’être traités<br />

comme <strong>des</strong> êtres humains. Ce que je peux vous raconter c’est une histoire du front,<br />

car tout Sarajevo est sur <strong>la</strong> ligne de front. »<br />

Z<strong>en</strong>ica, 7 jan<strong>vie</strong>r 1994<br />

«N’écoutez pas toutes les rumeurs qui circul<strong>en</strong>t à notre sujet à Z<strong>en</strong>ica, bi<strong>en</strong> sûr, il y a<br />

<strong>des</strong> problèmes, vous les avez connus quand vous étiez ici, mais on peut <strong>en</strong>core se<br />

dép<strong>la</strong>cer, aller <strong>en</strong> ville ou à l’église n’est pas <strong>en</strong>core interdit, je travaille <strong>en</strong>core, je n’ai<br />

pas perdu mon emploi, je suis seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> congé sans solde, j’ai demandé à mon<br />

patron de me l’accorder <strong>pour</strong> l’hiver, il a accepté. Je dois retourner au travail le 15<br />

février, si nous ne quittons pas Z<strong>en</strong>ica d’ici là, je me suis inscrite <strong>pour</strong> un convoi vers<br />

Zagreb. Les <strong>en</strong>fants et moi nous sommes inscrits, Zdravko ne peut pas partir car ils ne<br />

<strong>la</strong>iss<strong>en</strong>t pas partir ceux qui sont aptes <strong>pour</strong> le service militaire. Il nous suivra quand il<br />

<strong>pour</strong>ra. »<br />

13 Extrait de « Rat 1991-1995 u privatnim pismima », Gordogan, n°4/5, été-automne 2004, pages 52<br />

à 141.<br />

86


Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez vous ?<br />

Activité <strong>des</strong>tinée à alim<strong>en</strong>ter les discussions <strong>en</strong> groupes.<br />

Résumé de l’histoire de l’Ubie.<br />

L’Ubie est un pays imaginaire mais qui partage un certains nombre de caractéristiques avec<br />

plusieurs pays dans le monde. Comme vous pouvez le voir sur <strong>la</strong> carte, il a <strong>des</strong> frontières avec<br />

deux pays beaucoup plus grands, l’Ossie et <strong>la</strong> République d’Oksidie. Il a égalem<strong>en</strong>t une<br />

façade maritime <strong>en</strong>tre celles de ces deux pays.<br />

L’Est du pays est surtout agricole, le Nord-Ouest montagneux et le Sud-Ouest plus industriel.<br />

Il y a cinq gran<strong>des</strong> villes <strong>en</strong> Ubie et plusieurs agglomérations importantes. Les deux plus<br />

gran<strong>des</strong> villes sont Colonis, <strong>la</strong> capitale, et Portomaz, un port international très actif. Il s’agit<br />

de villes multiculturelles avec <strong>des</strong> popu<strong>la</strong>tions appart<strong>en</strong>ant aux trois minorités principales,<br />

ainsi qu’à d’autres minorités et religions.<br />

L’Ubie compte <strong>en</strong>viron 3,2 millions d’habitants, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion est composée de trois gran<strong>des</strong><br />

minorités ethniques, dont chacune est majoritaire dans l’une <strong>des</strong> trois principales régions du<br />

pays. Les Théos ne sont arrivés <strong>en</strong> Ubie qu’il y a <strong>en</strong>viron 300 ans, <strong>pour</strong> fuir les persécutions<br />

religieuses dans leur propres pays. Ils ont comm<strong>en</strong>cé par s’installer à Portomaz et dans les<br />

al<strong>en</strong>tours et se sont peu à peu dép<strong>la</strong>cés vers <strong>la</strong> zone montagneuse du Nord-Ouest, qui<br />

ressemble beaucoup à leur région d’origine. Bi<strong>en</strong> que beaucoup de Théos soi<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

<strong>des</strong>c<strong>en</strong>dants directs de ces immigrants, d’autres sont <strong>des</strong> habitants de l’Ubie convertis à <strong>la</strong><br />

religion Théos .<br />

La plus grande partie du Sud-Ouest du pays est peuplée de personnes d’origine o ksidi<strong>en</strong>ne .<br />

Dans un passé lointain, <strong>la</strong> frontière <strong>en</strong>tre l’Ubie et l’Oksidie n’était pas tracée aussi nettem<strong>en</strong>t<br />

qu’aujourd’hui. En 1919, les traités de paix conclus après <strong>la</strong> Première guerre mondiale,<br />

tracèr<strong>en</strong>t une frontière nette <strong>en</strong>tre les deux pays, si bi<strong>en</strong> que <strong>des</strong> personnes de même ethnie, de<br />

même <strong>la</strong>ngue et de même religion viv<strong>en</strong>t <strong>des</strong> deux côtés de <strong>la</strong> frontière. Un phénomène<br />

comparable s’est produit à l’Est du pays: <strong>des</strong> Ossi<strong>en</strong>s viv<strong>en</strong>t <strong>des</strong> deux côtés de <strong>la</strong> frontière<br />

tracée <strong>en</strong> 1919.<br />

Tout au long de son histoire, l’Ubie a connu <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> de paix et <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> de t<strong>en</strong>sions<br />

<strong>en</strong>tre l’Oksidie et l’Ossie, avec <strong>des</strong> conflits débordant sur l’Ubie. Au 17 e siècle, le Royaume<br />

d’Ossie essaya d’établir un empire sur toute <strong>la</strong> région. L’Ubie fut <strong>en</strong>vahie et devint une partie<br />

de <strong>la</strong> Grande Ossie. Après une guerre prolongée <strong>en</strong>tre l’Ossie et l’Oksidie, l’indép<strong>en</strong>dance de<br />

l’Ubie a été restaurée par les gran<strong>des</strong> puissances, bi<strong>en</strong> que le mouvem<strong>en</strong>t nationaliste ossi<strong>en</strong>,<br />

apparu au 19 e siècle, ait fait ressurgir le rêve d’une Grande Ossie, incluant l’Ubie.<br />

L’Oksidie et l’Ossie ont combattu dans <strong>des</strong> camps opposés p<strong>en</strong>dant les deux guerres<br />

mondiales et les combats se sont à chaque fois ét<strong>en</strong>dus à l’Ubie, <strong>en</strong> partie <strong>en</strong> raison de <strong>la</strong><br />

guerre civile qui a éc<strong>la</strong>té <strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>tes minorités, mais aussi parce les deux parties<br />

vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre le contrôle sur les réserves de charbon, de fer et de pétrole du Sud-Ouest de<br />

l’Ubie.<br />

Il y a dix ans, le Parti nationaliste est arrivé au pouvoir <strong>en</strong> Ossie et il a re<strong>la</strong>ncé l’idée de <strong>la</strong><br />

Grande Ossie. Les nationalistes o ssi<strong>en</strong>s d’Ubie se sont p<strong>la</strong>ints d’être persécutés par <strong>la</strong><br />

coalition <strong>des</strong> Oksidi<strong>en</strong>s et <strong>des</strong> Théos qui dirigeait le pays et ont demandé au pays voisin<br />

d’<strong>en</strong>vahir le leur, <strong>pour</strong> les aider à <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre le contrôle. Une guerre civile éc<strong>la</strong>ta <strong>en</strong>tre les<br />

Ossi<strong>en</strong>s d’Ubie d’un côté et les Théos et Oksidi<strong>en</strong>s d’Ubie de l’autre. Le gouvernem<strong>en</strong>t ossi<strong>en</strong><br />

87


a fourni <strong>des</strong> armes et apporté une aide militaire et <strong>la</strong> République d’Oksidie a mobilisé ses<br />

troupes le long de <strong>la</strong> frontière avec l’Ubie.<br />

Après deux ans de combats, une commission de l’ONU, réussit à convaincre les chefs <strong>des</strong><br />

différ<strong>en</strong>tes factions ubi<strong>en</strong>nes, ainsi que <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tants <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts d’Ossie et<br />

d’Oksidie de s’asseoir à <strong>la</strong> table de négociations et de discuter d’un accord de paix.<br />

Finalem<strong>en</strong>t, les parties convinr<strong>en</strong>t de tracer une ligne de cessez-le-feu du Nord au Sud, partant<br />

de Portomaz <strong>pour</strong> rejoindre <strong>la</strong> frontière Sud, <strong>en</strong> passant par Colonis et surveillée par <strong>des</strong><br />

forces de mainti<strong>en</strong> de <strong>la</strong> paix <strong>des</strong> Nations unies. Parallèlem<strong>en</strong>t, un Commissaire de l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne fut nommé <strong>pour</strong> mettre <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce une équipe internationale chargée d’aider à<br />

gouverner l’Ubie jusqu’à ce qu’il soit possible de rétablir <strong>la</strong> coexist<strong>en</strong>ce pacifique et <strong>la</strong><br />

coopération <strong>en</strong>tre les communautés.<br />

Votre mission<br />

Imaginez que vous faites partie de l’équipe invitée à conseiller le Commissaire de l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne sur <strong>la</strong> façon de créer les conditions permettant d’arriver à une coexist<strong>en</strong>ce<br />

pacifique et une coopération <strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>tes minorités ethniques d’Ubie, afin de pouvoir<br />

finalem<strong>en</strong>t organiser <strong>des</strong> élections et élire une gouvernem<strong>en</strong>t dont <strong>la</strong> légitimité serait reconnue<br />

par toutes les parties, y compris <strong>la</strong> communauté internationale. Quel serait votre conseil ?<br />

REMARQUES : Il vous faudra pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte de nombreux problèmes et questions :<br />

Par exemple, comm<strong>en</strong>cez-vous par <strong>la</strong> restauration du droit et de l’ordre, <strong>la</strong> remise <strong>en</strong> état de<br />

fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> services ess<strong>en</strong>tiels et <strong>la</strong> reconstruction de l’économie, avant de<br />

comm<strong>en</strong>cer à réfléchir à <strong>la</strong> restauration de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>, ou comm<strong>en</strong>cez-vous par réunir un<br />

groupe de représ<strong>en</strong>tants de toutes les parties, <strong>pour</strong> rédiger une nouvelle constitution, afin de<br />

pouvoir organiser <strong>des</strong> élections le plus vite possible ?<br />

Constituez-vous un gouvernem<strong>en</strong>t de transition, composé de personnalités non élues<br />

acceptables <strong>pour</strong> les différ<strong>en</strong>tes minorités et prêtes à travailler <strong>en</strong>semble ? Si oui, fixez-vous<br />

un cal<strong>en</strong>drier et une date limite <strong>pour</strong> restaurer <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> ?<br />

Travaillez-vous <strong>en</strong> coopération étroite avec les chefs de guerre locaux et les chefs <strong>des</strong> milices<br />

de chaque région, afin de mettre <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts locaux, avant d’essayer de<br />

constituer un gouvernem<strong>en</strong>t national ?<br />

Choisissez-vous un modèle de constitution fédérale, comme celui de <strong>la</strong> Suisse ou du Canada,<br />

où les différ<strong>en</strong>ts groupes ethniques jouiss<strong>en</strong>t d’une autonomie très <strong>la</strong>rge dans leurs propres<br />

régions? Si oui, comm<strong>en</strong>t traitez-vous les compét<strong>en</strong>ces c<strong>en</strong>trales comme les transports, les<br />

communications, les impôts, les affaires étrangères? Comm<strong>en</strong>t protégez-vous les droits <strong>des</strong><br />

minorités dans chaque région? Qu’<strong>en</strong> est-il si le parti élu dans une région veut faire sécession<br />

de l’Etat d’Ubie et s’unir à l’Ossie ou à <strong>la</strong> République d’Oksidie ?<br />

Optez-vous <strong>pour</strong> un système de partage <strong>des</strong> pouvoirs, comme <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du Nord, où les<br />

différ<strong>en</strong>tes minorités ont une p<strong>la</strong>ce au gouvernem<strong>en</strong>t, quel que soit le nombre de voix obt<strong>en</strong>u<br />

aux élections nationales ? Si oui, comm<strong>en</strong>t allez-vous persuader les <strong>en</strong>nemis d’hier de<br />

s’asseoir à <strong>la</strong> même table et de travailler <strong>en</strong>semble ? Que pouvez-vous faire <strong>pour</strong> <strong>en</strong>courager<br />

<strong>la</strong> coopération <strong>en</strong>tre personnes qui ne se font pas confiance?<br />

88


Ubie<br />

République d’Oksidie<br />

Clé : Majorités ethniques <strong>en</strong> Ubie<br />

Colonis<br />

Portomaz<br />

89<br />

Ossie<br />

Ossi<strong>en</strong>s 38% Autres 9%<br />

Oksidi<strong>en</strong>s 31% C<strong>en</strong>tres multiculturels<br />

Théos 22%


CINQUIEME QUESTION CLE : Peut-il y avoir une guerre juste ?<br />

Jean Petaux<br />

Les origines chréti<strong>en</strong>nes de <strong>la</strong> « guerre juste »<br />

Au cours <strong>des</strong> trois premiers siècles du Christianisme, l’Eglise avait t<strong>en</strong>dance à suivre les<br />

<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts pacifistes de Jésus Christ. Mais Saint Augustin n’était pas seulem<strong>en</strong>t un<br />

chréti<strong>en</strong>, il était aussi un citoy<strong>en</strong> romain et il chercha à réconcilier le pacifisme <strong>des</strong> débuts du<br />

Christianisme avec l’obligation faite à un Romain de se battre <strong>pour</strong> son pays si on le lui<br />

demandait. Il s’efforça d’y arriver grâce à l’idée de «guerre juste». Il décrivait <strong>la</strong> paix<br />

comme l’objectif de <strong>la</strong> cité de Dieu :<br />

«Nous ne cherchons pas <strong>la</strong> paix <strong>pour</strong> être <strong>en</strong> guerre, mais nous partons <strong>en</strong> guerre<br />

<strong>pour</strong> avoir <strong>la</strong> paix. »”<br />

Il p<strong>en</strong>sait que <strong>la</strong> guerre était toujours un péché mais que ce péché était parfois nécessaire <strong>pour</strong><br />

remédier à <strong>des</strong> péchés plus graves. Si <strong>la</strong> guerre atteignait ces objectifs et apportait <strong>la</strong> paix,<br />

l’ordre et <strong>la</strong> stabilité, alors elle pouvait être justifiée. Il <strong>pour</strong>suivait égalem<strong>en</strong>t son<br />

raisonnem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> disant que :<br />

«La vraie religion considère pacifiques les guerres dont les motifs ne sont ni<br />

expansionnistes ni cruels, c’est-à-dire celles dont les objectifs sont de maint<strong>en</strong>ir <strong>la</strong><br />

paix, de punir les méchants ou de promouvoir ce qui est bon. »<br />

Huit siècles plus tard, un autre théologi<strong>en</strong> chréti<strong>en</strong>, Saint Thomas d’Aquin, développa les<br />

réflexions de Saint Augustin sur <strong>la</strong> nature de <strong>la</strong> «guerre juste ». Il affirma que <strong>la</strong> paix ne<br />

pouvait pas être imposée ou obt<strong>en</strong>ue par <strong>la</strong> peur: il fal<strong>la</strong>it un accord ou un agrém<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre<br />

ceux qui étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> conflit. La paix, disait-il, exige que nous soyons «<strong>en</strong> paix avec nousmêmes<br />

» et que toutes nos différ<strong>en</strong>tes aspirations soi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> harmonie. C’est ainsi qu’on arrive<br />

à <strong>la</strong> paix véritable. Bi<strong>en</strong> sûr, <strong>la</strong> guerre est toujours <strong>en</strong>gagée par ceux qui veul<strong>en</strong>t <strong>la</strong> paix <strong>pour</strong><br />

eux-mêmes, mais il est possible de m<strong>en</strong>er une guerre juste <strong>pour</strong> déf<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> paix <strong>en</strong> général.<br />

Saint Thomas d’Aquin p<strong>en</strong>sait que <strong>la</strong> guerre peut être acceptable moralem<strong>en</strong>t, mais <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong>,<br />

il posait trois conditions :<br />

1. Autorité. La guerre n’est pas l’affaire de personnes privées. Elle est <strong>en</strong>gagée dans l’intérêt<br />

général (une cause juste) et doit être décidée par ceux qui <strong>en</strong> sont responsables. C’est<br />

<strong>pour</strong>quoi, déc<strong>la</strong>rer <strong>la</strong> guerre est une prérogative du souverain ou du gouvernem<strong>en</strong>t,<br />

responsable du bi<strong>en</strong> commun.<br />

2. Juste cause. Selon Saint Augustin, une guerre juste est <strong>des</strong>tinée à «v<strong>en</strong>ger le mal, quand<br />

une nation ou un Etat doit être puni ». Il p<strong>en</strong>sait qu’il y avait trois justes causes <strong>pour</strong> une<br />

guerre: l’autodéf<strong>en</strong>se, <strong>la</strong> punition ceux qui ont fait le mal, <strong>la</strong> récupération <strong>des</strong> personnes, <strong>des</strong><br />

terres ou <strong>des</strong> bi<strong>en</strong>s pris par d’autres. Saint Thomas d’Aquin écrivait dans le même registre <strong>en</strong><br />

affirmant qu’il était juste d’attaquer ceux qui le méritai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> raison de leurs fautes. C’est<br />

seulem<strong>en</strong>t plus tard que fur<strong>en</strong>t ajoutées les fameuses quatre conditions d’une juste cause,<br />

reprises régulièrem<strong>en</strong>t par <strong>la</strong> doctrine catholique, y compris les textes papaux les plus<br />

réc<strong>en</strong>ts:<br />

Le tort infligé par l’agresseur à <strong>la</strong> nation ou <strong>la</strong> communauté de nations, doit être<br />

durable, grave et certain.<br />

90


Tous les autres moy<strong>en</strong>s de mettre fin à l’agression doiv<strong>en</strong>t s’être avérés impraticables<br />

ou inefficaces.<br />

Il doit y avoir de bonnes chances de succès.<br />

L’usage <strong>des</strong> armes ne doit pas causer <strong>des</strong> maux plus grands que les maux ou<br />

désordres qui doiv<strong>en</strong>t être éliminés.<br />

De ce point de vue, <strong>la</strong> guerre ne peut être considérée comme un acte de justice que si (a) le<br />

peuple ou <strong>la</strong> nation contre lesquels <strong>la</strong> guerre est <strong>en</strong>gagée ont causé <strong>des</strong> torts sérieux à d’autres<br />

(b) tous les autres moy<strong>en</strong>s de leur faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre raison on été essayés et ont échoué (c)<br />

l’usage de <strong>la</strong> force est proportionné aux torts causés.<br />

3. Juste int<strong>en</strong>tion. Même dans ce cas, avoir une juste cause ou <strong>des</strong> raisons <strong>pour</strong> faire <strong>la</strong><br />

guerre n’est pas suffisant. Comme le disait Saint Thomas d’Aquin, l’int<strong>en</strong>tion doit être de<br />

promouvoir le bi<strong>en</strong> ou d’éviter le mal.<br />

L’approche contemporaine<br />

Deux principes généraux, acceptés par <strong>la</strong> communauté internationale, constitu<strong>en</strong>t le<br />

fondem<strong>en</strong>t de certains <strong>des</strong> traités et conv<strong>en</strong>tions <strong>des</strong>tinés à réduire <strong>la</strong> probabilité que <strong>des</strong><br />

guerres n’éc<strong>la</strong>t<strong>en</strong>t et à réglem<strong>en</strong>ter <strong>la</strong> façon dont elles sont m<strong>en</strong>ées : distinction et<br />

proportionnalité .<br />

Le principe de distinction impose aux belligérants de distinguer <strong>en</strong>tre civils et militaires et de<br />

n’attaquer que ces derniers. Une attaque touchant un tiers innoc<strong>en</strong>t est assimilée à une attaque<br />

contre cette personne et constitue une atteinte au droit de <strong>la</strong> guerre.<br />

Le principe de proportionnalité n’est pas tout à fait <strong>la</strong> même chose. Il impose seulem<strong>en</strong>t que<br />

<strong>la</strong> réaction soit proportionnelle à l’agression. Il ne doit pas y avoir de représailles massives<br />

<strong>pour</strong> une agression mineure : Un accrochage à <strong>la</strong> frontière ne doit pas conduire à l’usage<br />

d’armes de <strong>des</strong>truction massive, etc.<br />

Quand ces deux principes sont ignorés par l’une ou plus <strong>des</strong> parties à un conflit, on a une<br />

situation de guerre totale, de combat contre une nation <strong>en</strong>tière, sans aucune distinction et avec<br />

tous les moy<strong>en</strong>s disponibles.<br />

Michael Walzer, l’un <strong>des</strong> principaux théorici<strong>en</strong>s contemporains de <strong>la</strong> guerre juste, est rev<strong>en</strong>u<br />

sur les trois principaux fondem<strong>en</strong>ts de <strong>la</strong> théorie de <strong>la</strong> « guerre juste »:<br />

Existe-t-il <strong>des</strong> «causes justes » <strong>pour</strong> faire <strong>la</strong> guerre?<br />

La guerre est-elle m<strong>en</strong>ée de façon juste ?<br />

L’accord de paix sera-t-il équitable <strong>pour</strong> toutes les parties ?<br />

Il a déduit un certain nombre d’affirmations de ces trois questions :<br />

1. Pour être juste, <strong>la</strong> guerre doit être le dernier recours, ce qui signifie qu’il faut<br />

d’abord avoir <strong>en</strong>visagé toutes les solutions non viol<strong>en</strong>tes.<br />

2. En principe, seule <strong>la</strong> communauté internationale, représ<strong>en</strong>tée par les Nations<br />

unies et son Conseil de sécurité, est habilitée à autoriser une guerre. Dans <strong>la</strong><br />

pratique, il se peut qu’un grand nombre de pays considèr<strong>en</strong>t que toutes les autres<br />

t<strong>en</strong>tatives <strong>pour</strong> arrêter les actes d’agression d’un pays ou d’une alliance ont<br />

91


échoué mais que le recours légitime à <strong>la</strong> force contre l’agresseur est bloqué parce<br />

que l’un <strong>des</strong> Etats membres fait usage de son droit de veto. Ou bi<strong>en</strong>, une grande<br />

puissance déc<strong>la</strong>re <strong>la</strong> guerre, malgré l’opposition de <strong>la</strong> communauté internationale,<br />

sachant qu’elle est trop forte <strong>pour</strong> être arrêtée. Dans les deux cas, se pose <strong>la</strong><br />

question de <strong>la</strong> légitimité de <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration de guerre.<br />

3. La probabilité de réussite de <strong>la</strong> guerre doit être plus grande que le dommage<br />

qu’elle cause. Le recours à <strong>la</strong> viol<strong>en</strong>ce p<strong>en</strong>dant le conflit doit être proportionnel<br />

au dommage subi et il faut, dans toute <strong>la</strong> mesure du possible, faire une distinction<br />

<strong>en</strong>tre les popu<strong>la</strong>tions civiles et les agresseurs militaires. Un véritable problème se<br />

pose dans les actions de type guéril<strong>la</strong> car il est alors difficile de distinguer <strong>en</strong>tre<br />

civils et militaires.<br />

4. Le but ultime d’une telle interv<strong>en</strong>tion armée doit être de rétablir <strong>la</strong> paix.<br />

Les Les activités activités antiterroristes antiterroristes et et <strong>la</strong> <strong>la</strong> notion notion de de « «<br />

guerre guerre juste juste »<br />

Dans une recommandation émise <strong>en</strong> 1999, l’Assemblée parlem<strong>en</strong>taire du Conseil de l’<strong>Europe</strong><br />

décrivait un acte de terrorisme comme « tout délit commis par <strong>des</strong> individus ou <strong>des</strong> groupes<br />

recourant à <strong>la</strong> viol<strong>en</strong>ce ou m<strong>en</strong>açant de l’utiliser contre un pays, ses institutions, sa<br />

popu<strong>la</strong>tion <strong>en</strong> général ou <strong>des</strong> individus concrets, qui, motivé par <strong>des</strong> aspirations séparatistes,<br />

par <strong>des</strong> conceptions idéologiques extrémistes ou par le fanatisme, ou inspiré par <strong>des</strong> mobiles<br />

irrationnels et subjectifs, vise à soumettre les pouvoirs publics, certains individus ou groupes<br />

de <strong>la</strong> société, ou, d’une façon générale, l’opinion publique à un climat de terreur ».<br />

Michael Walzer fait remarquer qu’une action contre le terrorisme ne constitue pas à<br />

proprem<strong>en</strong>t parler un acte de guerre mais une activité de police et qu’une campagne de police<br />

contre le terrorisme sera probablem<strong>en</strong>t, de par sa nature même, plus limitée qu’une guerre<br />

contre <strong>des</strong> terroristes m<strong>en</strong>ées par les militaires.<br />

En se référant aux catégories id<strong>en</strong>tifiées <strong>en</strong> matières d’actes de guerre, il déc<strong>la</strong>re qu’une<br />

guerre juste contre le terrorisme doit être proportionnelle aux actes commis. Il préconise de<br />

faire une distinction <strong>en</strong>tre les victimes civiles et militaires du terrorisme, ou <strong>en</strong>tre combattants<br />

et non combattants.<br />

Il n’<strong>en</strong> reste pas moins que les moy<strong>en</strong>s employés par les Etats démocratiques dans leur lutte<br />

contre le terrorisme ne doiv<strong>en</strong>t pas être incompatibles avec les <strong>valeurs</strong> qu’ils déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t,<br />

autrem<strong>en</strong>t, ils de<strong>vie</strong>ndrai<strong>en</strong>t eux-mêmes <strong>des</strong> Etats terroristes. Ce<strong>la</strong> signifie que, quelles que<br />

soi<strong>en</strong>t les métho<strong>des</strong> <strong>des</strong> terroristes, l’usage de moy<strong>en</strong>s qui violerai<strong>en</strong>t les droits civils et<br />

politiques fondam<strong>en</strong>taux <strong>des</strong> terroristes par <strong>la</strong> police ou les forces de sécurité d’un Etat<br />

démocratique ne saurai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> aucun cas être justifié. Ce<strong>la</strong> veut dire égalem<strong>en</strong>t que l’usage de<br />

<strong>la</strong> torture, de <strong>la</strong> dét<strong>en</strong>tion arbitraire, les exécutions arbitraires sans procès, le recours excessif<br />

à <strong>la</strong> force et à <strong>la</strong> viol<strong>en</strong>ce contre <strong>la</strong> famille ou les re<strong>la</strong>tions <strong>des</strong> terroristes ne saurai<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

aucun cas être justifiés dans un Etat démocratique signataire <strong>des</strong> conv<strong>en</strong>tions <strong>des</strong> droits de<br />

l’homme <strong>des</strong> Nations unies et du Conseil de l’<strong>Europe</strong>.<br />

92


Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Pouvez-vous citer <strong>des</strong> guerres internationales ou civiles réc<strong>en</strong>tes qui remplirai<strong>en</strong>t les critères<br />

d’une « guerre juste » tels que prés<strong>en</strong>tés ci-avant ?<br />

Pourriez-vous citer <strong>des</strong> circonstances dans lesquelles les actions de terroristes contre leur<br />

propre Etat ou contre un Etat étranger <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t être qualifiées de «guerre juste »?<br />

Pourriez-vous citer <strong>des</strong> circonstances dans lesquelles <strong>des</strong> mesures prises par un Etat<br />

démocratique contre <strong>la</strong> m<strong>en</strong>ace terroriste <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t être qualifiées de «guerre juste »?<br />

93


ETUDE DE CAS 9 : La « Guerre contre le terrorisme »<br />

Robert Stradling<br />

Origine<br />

L’expression «guerre contre le terrorisme » été inv<strong>en</strong>tée par le Présid<strong>en</strong>t George W. Bush<br />

<strong>pour</strong> décrire l’<strong>en</strong>semble <strong>des</strong> mesures prises par l’administration américaine et ses part<strong>en</strong>aires<br />

de <strong>la</strong> coalition, à <strong>la</strong> suite <strong>des</strong> attaques coordonnées contre le World Trade C<strong>en</strong>ter, à New<br />

York, et le P<strong>en</strong>tagone, à Washington, le 11 septembre 2001. Ces mesures al<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t du<br />

r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> sécurité dans les aéroports aux actions militaires contre <strong>des</strong> Etats comme<br />

l’Iraq, dont l’administration américaine croyait qu’ils sout<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t le terrorisme dans le monde.<br />

Peu après les attaques contre le World Trade C<strong>en</strong>ter, le Présid<strong>en</strong>t Bush décrivait <strong>la</strong> guerre<br />

contre le terrorisme comme une lutte idéologique qui « ne sera pas terminée avant que tous<br />

les groupes terroristes agissant au p<strong>la</strong>n mondial ai<strong>en</strong>t été trouvés, arrêtés et défaits. » Il<br />

expliqua par <strong>la</strong> suite que :<br />

«La guerre contre le terrorisme est comme <strong>la</strong> Guerre froide. Il s’agit d’une lutte<br />

idéologique contre un <strong>en</strong>nemi qui méprise <strong>la</strong> liberté et <strong>pour</strong>suit <strong>des</strong> objectifs<br />

totalitaires… J’ai juré d’employer tous les moy<strong>en</strong>s <strong>en</strong> notre pouvoir <strong>pour</strong> gagner <strong>la</strong><br />

guerre contre le terrorisme. Et ainsi j’ai dit que nous resterions sur l’<strong>of</strong>f<strong>en</strong>sive de<br />

deux façons : premièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>pour</strong>chassant l’<strong>en</strong>nemi, <strong>en</strong> le livrant à <strong>la</strong> justice et <strong>en</strong><br />

pr<strong>en</strong>ant les m<strong>en</strong>aces au sérieux, deuxièmem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> répandant <strong>la</strong> liberté.»<br />

Bi<strong>en</strong> que les évènem<strong>en</strong>ts du 11 septembre 2001 ai<strong>en</strong>t suscité un grand mouvem<strong>en</strong>t de<br />

sympathie <strong>pour</strong> les Etats-unis dans le monde <strong>en</strong>tier et que de nombreux Etats ai<strong>en</strong>t rapidem<strong>en</strong>t<br />

pris <strong>des</strong> mesures <strong>pour</strong> s’opposer à <strong>des</strong> actes simi<strong>la</strong>ires év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t dirigés contre eux,<br />

certaines <strong>des</strong> mesures prises par l’Administration Bush ont vite suscité <strong>la</strong> controverse. Le<br />

débat portait sur <strong>la</strong> question de savoir si <strong>la</strong> guerre prév<strong>en</strong>tive contre l’Afghanistan et l’Iraq, le<br />

c<strong>en</strong>tre de dét<strong>en</strong>tion de Guantanamo et <strong>la</strong> «reddition extraordinaire <strong>des</strong> terroristes » (voir<br />

Etude de cas 1) étai<strong>en</strong>t justifiés ou constituai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> vio<strong>la</strong>tions du droit international et <strong>des</strong><br />

conv<strong>en</strong>tions <strong>des</strong> droits de l’homme.<br />

Chronologie<br />

11 septembre 2001 : Des terroristes d’Al-Qaida attaqu<strong>en</strong>t le World Trade C<strong>en</strong>ter et le<br />

P<strong>en</strong>tagone avec <strong>des</strong> avions détournés.<br />

20 septembre 2001 : Le Présid<strong>en</strong>t Bush adresse un ultimatum au régime <strong>des</strong> Talibans <strong>en</strong><br />

Afghanistan <strong>pour</strong> livrer Osama b<strong>en</strong> Lad<strong>en</strong> et les autres dirigeants d’Al-Qaida suspectés<br />

d’avoir organisé les attaques du 11 septembre.<br />

Octobre 2001 : Invasion de l’Afghanistan par les forces de l’OTAN, dirigées par les Etatsunis.<br />

13 décembre 2001 : Attaque terroriste contre le Parlem<strong>en</strong>t indi<strong>en</strong> à <strong>la</strong> suite d’appels répétés<br />

au djihad contre l’Inde, d’Osama b<strong>en</strong> Lad<strong>en</strong> et de certains groupes is<strong>la</strong>mistes<br />

fondam<strong>en</strong>talistes basés au Pakistan, dans les années 90.<br />

94


14 décembre 2001 : Diffusion de <strong>la</strong> première vidéo d’Osama b<strong>en</strong> Lad<strong>en</strong>. Il y parle <strong>des</strong><br />

attaques du 11 septembre et m<strong>en</strong>ace d’un Djihad perman<strong>en</strong>t contre l’Amérique et ses alliés.<br />

Octobre 2002 : Le Gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-unis affirme que l’Iraq constitue une m<strong>en</strong>ace<br />

<strong>pour</strong> le monde car il <strong>pour</strong>rait utiliser <strong>des</strong> armes de <strong>des</strong>truction massive <strong>pour</strong> sout<strong>en</strong>ir le<br />

terrorisme. La résolution 1441 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité, appelle l’Iraq à<br />

« respecter ses obligations de désarmem<strong>en</strong>t ou à faire face à <strong>des</strong> conséqu<strong>en</strong>ces graves ».<br />

Saddam Hussein autorise alors les inspecteurs de l’ONU à se r<strong>en</strong>dre sur les sites iraqi<strong>en</strong>s. Le<br />

Congrès <strong>des</strong> Etats-Unis autorise le Présid<strong>en</strong>t à recourir à <strong>la</strong> force si ce<strong>la</strong> est nécessaire <strong>pour</strong><br />

«<strong>pour</strong>suivre <strong>la</strong> guerre contre le terrorisme ».<br />

22 octobre 2002 : Mounir el-Motassadeq est jugé <strong>en</strong> Allemagne, il est accusé d’appart<strong>en</strong>ir à<br />

une cellule terroriste. Il est jugé coupable <strong>en</strong> 2003 et condamné à 12 ans de prison. Un autre<br />

tribunal ordonnera <strong>en</strong>suite qu’il soit rejugé, il sera finalem<strong>en</strong>t condamné à 15 ans de prison <strong>en</strong><br />

août 2005.<br />

29 octobre 2002 : Un att<strong>en</strong>tat à <strong>la</strong> bombe fait 202 morts dans un night-club de Bali. Le même<br />

jour, <strong>des</strong> séparatistes tchétchènes s’empar<strong>en</strong>t d’un théâtre à Moscou, ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le personnel<br />

et le public <strong>en</strong> otages <strong>pour</strong> demander le retrait <strong>des</strong> troupes russes de Tchétchénie. Le troisième<br />

jour du siège, <strong>des</strong> forces spéciales inject<strong>en</strong>t du gaz dans le système de conditionnem<strong>en</strong>t de<br />

l’air puis <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans le bâtim<strong>en</strong>t. D’après les chiffres <strong>of</strong>ficiels, 39 terroristes et 129 otages<br />

sont tués.<br />

20 novembre 2002 : L’administration américaine annonce qu’elle a constitué une « Coalition<br />

de bonnes volontés», c’est-à-dire d’Etats prêts à sout<strong>en</strong>ir une guerre contre l’Iraq si ce pays<br />

n’accepte pas <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction de toutes ses armes de <strong>des</strong>truction massive.<br />

1 er mars 2003 : Khalid Cheikh Mohammed, que l’on p<strong>en</strong>se être l’un <strong>des</strong> organisateurs <strong>des</strong><br />

att<strong>en</strong>tats du 11 septembre, est capturé à Is<strong>la</strong>mabad au Pakistan.<br />

20 mars 2003 : Début de l’invasion de l’Iraq par les forces de <strong>la</strong> Coalition.<br />

1 er mai 2003 : Le Présid<strong>en</strong>t Bush proc<strong>la</strong>me <strong>la</strong> victoire <strong>des</strong> forces de <strong>la</strong> Coalition dirigée par<br />

les Etats-unis <strong>en</strong> Iraq.<br />

12 mai 2003 : Att<strong>en</strong>tats à <strong>la</strong> bombe <strong>en</strong> Arabie saoudite.<br />

27 juin 2003 : Ali Abdoul Rahman est arrêté <strong>en</strong> Arabie saoudite, il est accusé d’avoir<br />

organisé les att<strong>en</strong>tats du 12 mai.<br />

13 décembre 2003 : Saddam Hussein est capturé par les forces américaines.<br />

15 décembre 2003 : Att<strong>en</strong>tats suici<strong>des</strong> contre deux synagogues <strong>en</strong> Turquie.<br />

16 jan<strong>vie</strong>r 2004 : Le Commandem<strong>en</strong>t c<strong>en</strong>tral de l’armée américaine annonce une <strong>en</strong>quête sur<br />

les mauvais traitem<strong>en</strong>ts infligés à <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us iraqi<strong>en</strong>s de <strong>la</strong> prison d’Abou Ghraib, après<br />

qu’un ag<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> police militaire ait publié <strong>des</strong> photos montrant les abus.<br />

11 mars 2004 : Dix bombes explos<strong>en</strong>t sur quatre trains emm<strong>en</strong>ant les g<strong>en</strong>s au travail à<br />

Madrid. Il y a 191 tués et 1800 blessés.<br />

95


22 avril 2004 : Deux suspects arrêtés <strong>en</strong> Espagne sont accusés d’avoir aidé à organiser les<br />

att<strong>en</strong>tats du 11 septembre. Le 26 septembre ils sont jugés coupables par un tribunal espagnol<br />

et condamnés à <strong>la</strong> prison.<br />

30 avril 2004 : L’armée américaine juge six soldats coupables de tortures sur <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us à<br />

Abou Ghraib.<br />

1 mai 2004 : Un quotidi<strong>en</strong> ang<strong>la</strong>is publie <strong>des</strong> photos d’un prisonnier iraqi<strong>en</strong> supposé avoir été<br />

battu par <strong>des</strong> soldats britanniques.<br />

25 août 2004 : Une <strong>en</strong>quête du P<strong>en</strong>tagone arrive à <strong>la</strong> conclusion que les abus commis sur <strong>des</strong><br />

dét<strong>en</strong>us d’Abou Ghraib sont dus à <strong>la</strong> mauvaise conduite de certains individus, au manque de<br />

discipline et à <strong>la</strong> faiblesse du commandem<strong>en</strong>t.<br />

1 er septembre 2004 : Des rebelles sout<strong>en</strong>ant les indép<strong>en</strong>dantistes tchétchènes pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t 1 200<br />

otages à l’Ecole n° 1 de Bes<strong>la</strong>n, Ossétie du Nord, région du Caucase <strong>en</strong> Fédération de Russie.<br />

Au bout de trois jours, <strong>des</strong> échanges de tirs comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les forces de sécurité russes et<br />

les pr<strong>en</strong>eurs d’otages, 344 civils sont tués, dont 186 <strong>en</strong>fants.<br />

15 jan<strong>vie</strong>r 2005 : Le soldat américain, Charles Graner, est condamné à 10 ans de prison <strong>pour</strong><br />

avoir maltraité <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us iraqi<strong>en</strong>s.<br />

7 juillet 2005 : A Londres, quatre att<strong>en</strong>tats suici<strong>des</strong> dans trois rames de métro et un bus tu<strong>en</strong>t<br />

52 personnes et <strong>en</strong> bless<strong>en</strong>t 700.<br />

Jan<strong>vie</strong>r 2006 : Diffusion d’une vidéo dans <strong>la</strong>quelle Osama B<strong>en</strong> Lad<strong>en</strong> propose une trêve aux<br />

Etats-unis s’ils chang<strong>en</strong>t leur politique au Moy<strong>en</strong>-ori<strong>en</strong>t. Cette <strong>of</strong>fre est rejetée par<br />

l’Administration américaine.<br />

4 mai 2006 : Zacarias Moussaoui est condamné à <strong>la</strong> prison à <strong>vie</strong> aux Etats-unis <strong>pour</strong> son rôle<br />

dans les att<strong>en</strong>tats du 11 septembre.<br />

8 juin 2006 : Abou Moussab el-Zarqaoui, chef autoproc<strong>la</strong>mé d’Al-Qaida <strong>en</strong> Iraq, est tué lors<br />

d’une attaque aéri<strong>en</strong>ne américaine.<br />

29 juin 2006 : La Cour suprême <strong>des</strong> Etats-unis décide que les personnes soupçonnées de<br />

terrorisme dét<strong>en</strong>ues à Guantanamo ne peuv<strong>en</strong>t pas être jugées par <strong>des</strong> tribunaux militaires.<br />

Juillet 2006 : Après l’assassinat de trois soldats israéli<strong>en</strong>s par le Hezbol<strong>la</strong>h, Israël <strong>en</strong>vahit le<br />

Sud Liban où celui-ci a plusieurs bases.<br />

30 décembre 2006 : Saddam Hussein est exécuté <strong>pour</strong> crimes contre le peuple iraqi<strong>en</strong>.<br />

9 jan<strong>vie</strong>r 2007 : Bombardem<strong>en</strong>ts américains contre <strong>des</strong> terroristes supposés <strong>en</strong> Somalie.<br />

Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Le terrorisme international ne date pas d’hier. Les Etats ont t<strong>en</strong>dance à qualifier de<br />

«terroristes » tous les groupes prêts à recourir à <strong>la</strong> viol<strong>en</strong>ce (assassinats, <strong>en</strong>lèvem<strong>en</strong>ts, prises<br />

96


d’otages et att<strong>en</strong>tats à <strong>la</strong> bombe) <strong>pour</strong> atteindre leurs objectifs politiques quand ils ont<br />

l’impression que <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts pacifiques sont impossibles à obt<strong>en</strong>ir dans le cadre du<br />

processus politique normal. A cet égard, il con<strong>vie</strong>nt de rappeler que certaines personnes,<br />

dev<strong>en</strong>ues par <strong>la</strong> suite <strong>des</strong> hommes d’Etat très respectés, comme Nelson Mande<strong>la</strong> <strong>en</strong> Afrique<br />

du Sud, M<strong>en</strong>ahem Beghin <strong>en</strong> Israël, Jomo K<strong>en</strong>yatta au K<strong>en</strong>ya, ont été soit dét<strong>en</strong>us soit<br />

recherchés <strong>en</strong> tant que terroristes quand ils étai<strong>en</strong>t plus jeunes. De nos jours, il n’est pas<br />

inhabituel que <strong>des</strong> « terroristes» d’hier de<strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t les gouvernants de demain.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, l’idée de faire pression sur le gouvernem<strong>en</strong>t, une puissance occupante ou <strong>la</strong><br />

communauté internationale <strong>en</strong> répandant <strong>la</strong> peur et <strong>la</strong> panique dans <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion,<br />

généralem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> recourant à <strong>des</strong> actes de viol<strong>en</strong>ce aveugles et imprévisibles, ne s’est<br />

véritablem<strong>en</strong>t développée que dans <strong>la</strong> seconde moitié du 20 e siècle. Après <strong>la</strong> Deuxième guerre<br />

mondiale, le Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t est dev<strong>en</strong>u un foyer du terrorisme. Des groupes juifs comme<br />

Irgoun Zvai Leumi et le Gang Stern recourur<strong>en</strong>t à <strong>des</strong> actes terroristes contre <strong>des</strong> cibles<br />

britanniques et arabes <strong>pour</strong> faire pression sur les Britanniques, afin qu’ils retir<strong>en</strong>t leurs troupes<br />

de Palestine, avant <strong>la</strong> création de l’Etat d’Israël.<br />

La guerre israélo-arabe qui suivit, et le dép<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t de nombreux palestini<strong>en</strong>s, contribuèr<strong>en</strong>t à<br />

créer les conditions de l’apparition de groupes terroristes bénéficiant d’un souti<strong>en</strong> popu<strong>la</strong>ire.<br />

Tout au long <strong>des</strong> années 70 et 80, <strong>des</strong> sympathisants de l’Organisation de libération de <strong>la</strong><br />

Palestine (OLP) détournèr<strong>en</strong>t <strong>des</strong> avions <strong>pour</strong> faire parler de <strong>la</strong> cause palestini<strong>en</strong>ne et faire<br />

pression sur <strong>la</strong> communauté internationale, afin qu’elle agiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> sa faveur.<br />

En <strong>Europe</strong>, un certain nombre de groupes terroristes de gauche, remettant <strong>en</strong> cause l’ordre<br />

social et politique établi, apparur<strong>en</strong>t dans les années 70. Il s’agissait notamm<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Briga<strong>des</strong><br />

rouges <strong>en</strong> Italie, d’Action directe <strong>en</strong> France et de <strong>la</strong> Fraction Armée rouge <strong>en</strong> Allemagne de<br />

l’Ouest. Cep<strong>en</strong>dant, depuis le début <strong>des</strong> années 80, le terrorisme est généralem<strong>en</strong>t lié à:<br />

une opposition à <strong>la</strong> puissance économique et politique <strong>des</strong> Etats-Unis,<br />

une opposition à l’occupation de <strong>la</strong> Cisjordanie par Israël (et à l’exist<strong>en</strong>ce de l’Etat<br />

d’Israël), avec l’apparition de groupes comme le Hamas et le Hezbol<strong>la</strong>h;<br />

<strong>des</strong> aspirations nationalistes, avec l’IRA provisoire <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du Nord, l’ETA <strong>en</strong><br />

Espagne et les séparatistes thétchènes <strong>en</strong> Fédération de Russie.<br />

Alors que les gouvernem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce ne font généralem<strong>en</strong>t aucune distinction <strong>en</strong>tre actes<br />

terroristes ou actes criminels et cherch<strong>en</strong>t à refuser toute publicité favorable aux terroristes, il<br />

ne fait aucun doute que <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> groupes terroristes contemporains sont apparus dans <strong>des</strong><br />

groupes ou popu<strong>la</strong>tions qui se s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t impuissants et sans déf<strong>en</strong>se, qui ont l’impression que<br />

personne ne les écoute et que leurs précéd<strong>en</strong>ts efforts <strong>pour</strong> recourir à <strong>des</strong> moy<strong>en</strong>s de<br />

négociation et d’action politique légitimes n’ont pas été pris au sérieux par les pouvoirs <strong>en</strong><br />

p<strong>la</strong>ce.<br />

Parallèlem<strong>en</strong>t, trois facteurs ont eu une influ<strong>en</strong>ce importante sur le terrorisme ces dernières<br />

années. Le premier est <strong>la</strong> technologie. Même de petites cellules terroristes disposant de très<br />

peu de ressources peuv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> possession d’armes, ou fabriquer <strong>des</strong> explosifs<br />

susceptibles de causer <strong>des</strong> dommages importants quand ils sont utilisés dans <strong>des</strong> lieux publics.<br />

Les technologies de communication modernes les ont égalem<strong>en</strong>t aidées à p<strong>la</strong>nifier leurs<br />

activités sans être détectées.<br />

Le deuxième facteur est <strong>la</strong> publicité que leur font maint<strong>en</strong>ant les médias de masse. Une<br />

explosion, un <strong>en</strong>lèvem<strong>en</strong>t ou un assassinat bénéficie d’une telle couverture médiatique que<br />

son impact est international. Les avions dirigés contre le World Trade C<strong>en</strong>ter à New York ont<br />

97


changé <strong>pour</strong> tout le monde l’expéri<strong>en</strong>ce d’un dép<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> avion ou <strong>en</strong> train. Ces att<strong>en</strong>tats<br />

ont eu un impact mondial.<br />

Le troisième facteur correspond à l’apparition d’un phénomène nouveau ces dernières<br />

années : le terrorisme sout<strong>en</strong>u par <strong>des</strong> Etats. P<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> Guerre froide, les superpuissances<br />

étai<strong>en</strong>t prêtes à apporter un souti<strong>en</strong> financier et matériel à certains groupes terroristes, si ce<strong>la</strong><br />

correspondait à leurs objectifs stratégiques globaux. Ainsi, l’Administration américaine<br />

actuelle, reproche à d’autres pays d’apporter ce type de souti<strong>en</strong> à Osama b<strong>en</strong> Lad<strong>en</strong> et Al-<br />

Qaida, alors que les Etats-unis aidai<strong>en</strong>t cette organisation quand elle m<strong>en</strong>ait une action<br />

terroriste contre les troupes soviétiques occupant l’Afghanistan. Aujourd’hui, ce sont plutôt<br />

<strong>des</strong> Etats du Moy<strong>en</strong>-ori<strong>en</strong>t qui souti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t et abrit<strong>en</strong>t <strong>des</strong> groupes is<strong>la</strong>mistes fondam<strong>en</strong>talistes<br />

prêts à <strong>la</strong>ncer <strong>des</strong> actions terroristes dans <strong>la</strong> région et ailleurs dans le monde.<br />

Il semble que <strong>la</strong> nature du terrorisme ait changé au cours de <strong>la</strong> dernière déc<strong>en</strong>nie. Personne<br />

n’était préparé à <strong>des</strong> attaques à l’échelle de celle contre le World Trade C<strong>en</strong>ter, ni au nombre<br />

de morts et aux dégâts qu’elle a causés. Il est égalem<strong>en</strong>t c<strong>la</strong>ir que certains groupes terroristes<br />

peuv<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ant <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> possession d’armes hautem<strong>en</strong>t sophistiquées. L’attaque au gaz<br />

sarin, perpétrée par cinq membres d’une secte japonaise le métro de Tokyo <strong>en</strong> 1995, tuant 12<br />

personnes et <strong>en</strong> blessant d’autres, a fait apparaître le risque que <strong>des</strong> groupes terroristes<br />

utilis<strong>en</strong>t à l’av<strong>en</strong>ir <strong>des</strong> armes de <strong>des</strong>truction massive.<br />

Les att<strong>en</strong>tats suici<strong>des</strong> dans les territoires palestini<strong>en</strong>s, puis <strong>en</strong> Iraq après <strong>la</strong> guerre, constitu<strong>en</strong>t<br />

un nouveau phénomène, celui du terrorisme amateur. Auparavant, les services de<br />

r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t avai<strong>en</strong>t investi <strong>des</strong> ressources importantes dans <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce, l’infiltration<br />

<strong>des</strong> cellules terroristes et <strong>la</strong> collecte d’informations à leur sujet. Désormais, n’importe qui,<br />

dans <strong>la</strong> rue, le bus ou le train, pouvait être un terroriste. Comme l’a fait remarquer Michael<br />

J<strong>en</strong>kins de <strong>la</strong> RAND Corporation, une organisation américaine chargée de recherches sur le<br />

terrorisme et de contre-espionnage : « Les <strong>en</strong>quêtes sur les activités terroristes, autrefois<br />

prév<strong>en</strong>tives, sont dev<strong>en</strong>ues réactives. »<br />

Certains observateurs ont suggéré que, à cause de ce phénomène nouveau, il est dev<strong>en</strong>u plus<br />

difficile <strong>pour</strong> les services de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de conc<strong>en</strong>trer leurs ressources sur <strong>des</strong> individus et<br />

<strong>des</strong> cellules terroristes et que le grand public a t<strong>en</strong>dance à considérer <strong>des</strong> popu<strong>la</strong>tions <strong>en</strong>tières<br />

comme <strong>des</strong> terroristes pot<strong>en</strong>tiels, ce qui attise l’intolérance et conduit à l’exclusion <strong>des</strong> jeunes<br />

issus de ces popu<strong>la</strong>tions. Zbigniew Brzezinski, anci<strong>en</strong> conseiller <strong>en</strong> matière de sécurité, faisait<br />

remarquer il y a peu : [La «guerre contre le terrorisme »] «a nourri l’intolérance, <strong>la</strong><br />

suspicion <strong>en</strong>vers les étrangers et favorisé l’adoption de procédures juridiques remettant <strong>en</strong><br />

cause <strong>des</strong> principes fondam<strong>en</strong>taux de <strong>la</strong> justice. Le principe <strong>en</strong> vertu duquel tout suspect est<br />

présumé innoc<strong>en</strong>t tant que sa culpabilité n’a pas été prouvée a été affaibli, si ce n’est ignoré,<br />

parfois même avec <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s américains, maint<strong>en</strong>us <strong>en</strong> dét<strong>en</strong>tion de longue durée sans<br />

possibilité d’être jugés de façon effective et rapide. Il n’y aucune preuve tangible et connue<br />

que ces excès ai<strong>en</strong>t permis d’empêcher <strong>des</strong> actes terroristes importants, très peu de soi-disant<br />

terroristes ont été reconnus coupables. »<br />

Ceci illustre le débat décl<strong>en</strong>ché par <strong>la</strong> réponse <strong>des</strong> Etats-unis et de <strong>la</strong> communauté<br />

internationale aux évènem<strong>en</strong>ts du 11 septembre, notamm<strong>en</strong>t le r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> sécurité<br />

intérieure, l’occupation militaire de l’Afghanistan et de l’Iraq, Guantanamo et <strong>la</strong> coopération<br />

de certains pays europé<strong>en</strong>s avec <strong>la</strong> politique américaine de reddition spéciale <strong>des</strong> personnes<br />

suspectées de terrorisme, consistant à les <strong>en</strong>voyer dans un autre pays <strong>pour</strong> pouvoir les<br />

interroger <strong>en</strong> recourant à <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> illégales aux Etats-Unis.<br />

98


D’un côté, certains invoqu<strong>en</strong>t les risques importants que <strong>des</strong> terroristes ne recour<strong>en</strong>t à <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> simi<strong>la</strong>ires ou, même, ne fass<strong>en</strong>t indistinctem<strong>en</strong>t usage d’armes de <strong>des</strong>truction<br />

massive contre <strong>des</strong> popu<strong>la</strong>tions civiles, <strong>pour</strong> demander <strong>des</strong> mesures d’exception. Selon eux, l’<br />

év<strong>en</strong>tualité qu’un groupe terroriste utilise <strong>des</strong> armes de <strong>des</strong>truction massive contre une<br />

popu<strong>la</strong>tion innoc<strong>en</strong>te impose de susp<strong>en</strong>dre les droits civils <strong>des</strong> personnes suspectées de<br />

terrorisme, et <strong>pour</strong>rait impliquer d’autres restrictions <strong>des</strong> libertés de l’<strong>en</strong>semble de <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion, <strong>pour</strong> limiter ce risque.<br />

C’est <strong>en</strong> se basant sur ces argum<strong>en</strong>ts que le Premier ministre britannique, Tony B<strong>la</strong>ir,<br />

déc<strong>la</strong>rait <strong>en</strong> 2006 : « On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d beaucoup parler de leurs droits et libertés [c’est-à-dire ceux<br />

<strong>des</strong> terroristes]. Mais il y a aussi le droit <strong>des</strong> autres, notre droit à tous de vivre <strong>en</strong> sécurité. »<br />

Le Présid<strong>en</strong>t Bush a adopté une ligne simi<strong>la</strong>ire dans de nombreux discours, <strong>en</strong> affirmant que<br />

<strong>la</strong> politique consistant à dét<strong>en</strong>ir et à interroger <strong>des</strong> personnes suspectées de terrorisme <strong>en</strong><br />

dehors <strong>des</strong> Etats-unis, critiquée par <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> droits de l’homme <strong>des</strong> Nations unies,<br />

était justifiée parce que: « Ce sont <strong>des</strong> hommes dangereux qui ont une connaissance inégalée<br />

<strong>des</strong> réseaux terroristes et de leurs nouveaux projets d’att<strong>en</strong>tats et parce que <strong>la</strong> sécurité de<br />

notre pays et <strong>la</strong> <strong>vie</strong> de nos concitoy<strong>en</strong>s dép<strong>en</strong>d de notre capacité à appr<strong>en</strong>dre ce que sav<strong>en</strong>t<br />

ces terroristes… Nous obt<strong>en</strong>ons <strong>des</strong> informations d’une importance cruciale <strong>pour</strong> notre<br />

travail de protection et du peuple américain et de nos alliés. »<br />

D’un autre côté, certains affirm<strong>en</strong>t que <strong>la</strong> dét<strong>en</strong>tion à Guantanamo, et dans d’autres c<strong>en</strong>tres de<br />

dét<strong>en</strong>tion <strong>en</strong> Iraq et <strong>en</strong> Afghanistan, de personnes qui se sont battus au côté <strong>des</strong> Talibans ou de<br />

l’armée iraqi<strong>en</strong>ne, ou bi<strong>en</strong> suspectées d’appart<strong>en</strong>ir à Al-Qaida ou à d’autres groupes<br />

terroristes, viol<strong>en</strong>t leurs droits civils et politiques, y compris leur droit à un procès équitable<br />

devant un tribunal indép<strong>en</strong>dant et leur droit à ne pas être dét<strong>en</strong>ues indéfinim<strong>en</strong>t. Ceux qui<br />

critiqu<strong>en</strong>t l’Administration américaine, notamm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong> droits de l’homme <strong>des</strong><br />

Nations unies et Amnesty International, affirm<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t que les techniques utilisées <strong>pour</strong><br />

les interrogatoires et <strong>la</strong> pratique de <strong>la</strong> reddition extraordinaire constitu<strong>en</strong>t <strong>des</strong> vio<strong>la</strong>tions de <strong>la</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tion contre <strong>la</strong> torture et <strong>des</strong> Conv<strong>en</strong>tions de G<strong>en</strong>ève re<strong>la</strong>tives au traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

prisonniers de guerre.<br />

L’Administration américaine, le P<strong>en</strong>tagone et un certain nombre d’observateurs indép<strong>en</strong>dants<br />

américains ont rétorqué que ces prisonniers étai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> «combattants illégaux », pas <strong>des</strong><br />

prisonniers de guerre et n’étai<strong>en</strong>t donc pas protégés par les Conv<strong>en</strong>tions de G<strong>en</strong>ève ou,<br />

<strong>en</strong>core, que les articles pertin<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> ces Conv<strong>en</strong>tions étai<strong>en</strong>t « vagues et incertains, sujets à<br />

<strong>des</strong> interprétations diverses par <strong>des</strong> juges américains ou étrangers » (Présid<strong>en</strong>t Bush, 6<br />

septembre 2006).<br />

La question du traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> personnes suspectées d’organiser ou de m<strong>en</strong>er <strong>des</strong> actions<br />

terroristes dans leur pays (par opposition aux actions m<strong>en</strong>ées dans un pays ou une zone de<br />

guerre étrangers) a égalem<strong>en</strong>t suscité un débat. Exactem<strong>en</strong>t 45 jours après l’att<strong>en</strong>tat contre le<br />

World Trade C<strong>en</strong>ter, l’adoption du Patriot Act a donné aux services de répression américains<br />

de nouveaux pouvoirs <strong>pour</strong> lutter contre le terrorisme, aux Etats-unis et à l’étranger. Il s’agit<br />

notamm<strong>en</strong>t de pouvoirs supplém<strong>en</strong>taires <strong>en</strong> matière de dét<strong>en</strong>tion <strong>des</strong> personnes suspectées,<br />

d’accès à leurs communications téléphoniques et à leurs courriers électroniques, ainsi qu’à<br />

leurs dossiers, médicaux, financiers et autres.<br />

Un an plus tard, le Home<strong>la</strong>nd Security Act a créé le Departm<strong>en</strong>t <strong>of</strong> Home<strong>la</strong>nd Security<br />

(Départem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> sécurité intérieure), doté de nouveaux pouvoirs <strong>pour</strong> surveiller les<br />

activités de citoy<strong>en</strong>s américains et d’étrangers séjournant aux Etats-unis. Ces deux lois ont été<br />

critiquées par ceux qui craignai<strong>en</strong>t qu’elles port<strong>en</strong>t atteinte à <strong>des</strong> droits constitutionnels<br />

99


comme <strong>la</strong> liberté d’expression, de religion et de rassemblem<strong>en</strong>t, le droit au respect de <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />

privée, le droit de se faire représ<strong>en</strong>ter par un avocat et le droit à un procès équitable.<br />

Au Royaume-uni, le gouvernem<strong>en</strong>t a réagi aux évènem<strong>en</strong>ts du 11 septembre par <strong>des</strong> lois<br />

d’urg<strong>en</strong>ce permettant de dét<strong>en</strong>ir sans jugem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> personnes suspectées de terrorisme. Cette<br />

procédure, connue au Royaume-uni sous le nom d’internem<strong>en</strong>t, avait déjà été utilisée p<strong>en</strong>dant<br />

<strong>la</strong> Deuxième guerre mondiale <strong>pour</strong> <strong>la</strong> dét<strong>en</strong>tion de fascistes et autres personnes suspectées<br />

d’être <strong>des</strong> <strong>en</strong>nemis de l’Etat, elle avait été réintroduite dans les années 70 <strong>pour</strong> <strong>la</strong> dét<strong>en</strong>tion de<br />

membres de l’IRA provisoire et de l’Ulster Volunteer Force, <strong>en</strong> Ir<strong>la</strong>nde du Nord.<br />

A l’époque, ce<strong>la</strong> n’avait pas posé de problèmes, mais <strong>en</strong> octobre 2000, le Royaume-uni a<br />

adopté le Human Rights Act, incorporant <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme<br />

dans le droit britannique. C’est <strong>pour</strong>quoi, l’internem<strong>en</strong>t ne peut être réintroduit que si le<br />

Parlem<strong>en</strong>t vote le retrait de l’article 5 de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme qui<br />

prévoit que : « Toute personne arrêtée ou dét<strong>en</strong>ue… doit être aussitôt traduite devant un juge<br />

ou un autre magistrat habilité par <strong>la</strong> loi à exercer <strong>des</strong> fonctions judiciaires et a le droit d'être<br />

jugée dans un dé<strong>la</strong>i raisonnable, ou libérée p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> procédure. » L’article 15 de <strong>la</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tion permet à un Etat membre de se retirer de l’article 5 ou d’autres articles « <strong>en</strong> cas<br />

de guerre ou <strong>en</strong> cas d'autre danger public m<strong>en</strong>açant <strong>la</strong> <strong>vie</strong> de <strong>la</strong> nation ». Cette int<strong>en</strong>tion<br />

affichée par le gouvernem<strong>en</strong>t britannique a suscité une controverse tant <strong>en</strong> Grande-Bretagne<br />

qu’ailleurs <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>.<br />

En 2001, le gouvernem<strong>en</strong>t britannique a fait adopter le Anti-Terrorism, Crime and Security<br />

Act (Loi sur <strong>la</strong> lutte contre le terrorisme, le crime et <strong>la</strong> sécurité) permettant de dét<strong>en</strong>ir<br />

indéfinim<strong>en</strong>t <strong>des</strong> personnes suspectées de terrorisme qui n’ont pas <strong>la</strong> nationalité britannique,<br />

ainsi que de geler <strong>des</strong> comptes bancaires et de saisir d’autres avoirs financiers susceptibles<br />

d’être utilisés par <strong>des</strong> personnes suspectées de terrorisme. Cette loi a été remp<strong>la</strong>cée <strong>en</strong> 2005<br />

par le Prev<strong>en</strong>tion <strong>of</strong> Terrorism Act in 2005 qui permettait au gouvernem<strong>en</strong>t de r<strong>en</strong>dre <strong>des</strong><br />

«control orders (ordonnances de contrôle) » limitant <strong>la</strong> liberté d’un individu dans <strong>la</strong><br />

perspective de protéger le public contre les risques terroristes.<br />

Ceux qui critiquai<strong>en</strong>t ces mesures, tout <strong>en</strong> reconnaissant qu’il existait une véritable m<strong>en</strong>ace<br />

terroriste, affirmai<strong>en</strong>t que les nouveaux pouvoirs du gouvernem<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>terai<strong>en</strong>t les risques<br />

d’internem<strong>en</strong>ts inutiles et que, <strong>pour</strong> les tribunaux, <strong>la</strong> meilleure façon de traiter les personnes<br />

suspectées de terrorisme consistait à utiliser les procédures judiciaires normales. L’argum<strong>en</strong>t<br />

le plus fréquemm<strong>en</strong>t avancé <strong>pour</strong> déf<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> nouvelle légis<strong>la</strong>tion portait sur <strong>la</strong> nécessité de<br />

protéger <strong>la</strong> liberté <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s britanniques de m<strong>en</strong>er leur <strong>vie</strong> sans crainte du terrorisme ou de<br />

<strong>la</strong> m<strong>en</strong>ace d’actes terroristes, considérée comme plus importante que les droits civils d’un<br />

petit nombre de personnes suspectées de terrorisme.<br />

Divers points de vue sur <strong>la</strong> question<br />

Il peut s’avérer difficile de définir ce qu’est un terroriste.<br />

Le Pr<strong>of</strong>esseur George Lak<strong>of</strong>f de Berkeley, Université de Californie, a affirmé que :<br />

«Les guerres sont m<strong>en</strong>ées contre les armées d’autres pays. Elles se termin<strong>en</strong>t avec <strong>la</strong> défaite<br />

militaire <strong>des</strong> armées et <strong>la</strong> signature d’un traité de paix. La terreur est un état émotionnel, elle<br />

est <strong>en</strong> nous. Ce n’est pas une armée. On ne peut pas lui imposer une défaite militaire et on ne<br />

peut pas signer un accord de paix avec elle.»<br />

100


Zbigniew Brzezinski, anci<strong>en</strong> conseiller <strong>en</strong> matière de sécurité, avait un avis proche :<br />

«La référ<strong>en</strong>ce perman<strong>en</strong>te à <strong>la</strong> "guerre contre le terrorisme" a atteint un objectif important :<br />

elle a favorisé l’apparition d’une culture de <strong>la</strong> peur. La peur obscurcit <strong>la</strong> raison, int<strong>en</strong>sifie les<br />

émotions et permet aux démagogues de mobiliser plus facilem<strong>en</strong>t l’opinion publique <strong>en</strong><br />

faveur <strong>des</strong> politiques qu’ils veul<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>er. Le choix de <strong>la</strong> guerre <strong>en</strong> Iraq n’aurait jamais pu<br />

obt<strong>en</strong>ir le souti<strong>en</strong> du Congrès sans l’établissem<strong>en</strong>t d’un li<strong>en</strong> psychologique <strong>en</strong>tre le choc du<br />

11 septembre et l’exist<strong>en</strong>ce supposée d’armes de <strong>des</strong>truction massive <strong>en</strong> Iraq. »<br />

K<strong>en</strong> McDonald, Chef du Crown Prosecution Service (Service de répression du<br />

Royaume-uni), est convaincu que les terroristes sont <strong>des</strong> criminels, pas <strong>des</strong> soldats, et<br />

que <strong>la</strong> réponse du Royaume-uni devrait être:<br />

«proportionnée et fondée sur les procédures normales et l’état de droit… …Dans les rues de<br />

Londres il n’y a pas de guerre contre le terrorisme. En Grande-Bretagne, <strong>la</strong> lutte contre le<br />

terrorisme dans <strong>la</strong> rue n’est pas une guerre. Il s’agit de prév<strong>en</strong>tion du crime, d’application <strong>des</strong><br />

lois, de justice <strong>pour</strong> ceux qui ont lésés par leur vio<strong>la</strong>tion. »<br />

D’un autre côté, Brian Michael J<strong>en</strong>kins, de <strong>la</strong> RAND Corporation, explique les<br />

problèmes que peut poser le fait de définir les terroristes, soit comme <strong>des</strong> criminels, soit<br />

comme <strong>des</strong> prisonniers de guerre :<br />

«Si le terrorisme est considéré comme un crime, il s’agit de rassembler <strong>des</strong> preuves, de<br />

déterminer correctem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> culpabilité <strong>des</strong> individus responsables d’un acte particulier,<br />

d’arrêter ses auteurs et de les juger. Cep<strong>en</strong>dant, traiter le terrorisme comme un crime pose un<br />

certain nombre de problèmes. Il est extrêmem<strong>en</strong>t difficile de trouver <strong>des</strong> preuves dans une<br />

<strong>en</strong>quête internationale où certains pays peuv<strong>en</strong>t ne pas coopérer avec les <strong>en</strong>quêteurs. Il est<br />

égalem<strong>en</strong>t difficile d’arrêter <strong>des</strong> terroristes à l’étranger. En outre, l’approche criminelle<br />

n’apporte pas une réponse totalem<strong>en</strong>t satisfaisante à une campagne de terrorisme de longue<br />

durée, m<strong>en</strong>ée par un groupe lointain, et elle <strong>pour</strong>rait s’avérer inefficace contre un Etat<br />

sout<strong>en</strong>ant le terrorisme. Par contre, si on considère le terrorisme comme une guerre, on se<br />

préoccupe moins de culpabilité individuelle. Une responsabilité proche, par exemple<br />

l’id<strong>en</strong>tification correcte du groupe terroriste, sera suffisante…. On ne se conc<strong>en</strong>tre plus sur<br />

l’accusation d’un individu mais sur l’id<strong>en</strong>tification correcte de l’<strong>en</strong>nemi. »<br />

Le processus de <strong>la</strong> «guerre contre le terrorisme » depuis les évènem<strong>en</strong>ts du 11<br />

septembre 2001 a suscité <strong>la</strong> controverse. L’Administration américaine et de nombreux<br />

conseillers ont déf<strong>en</strong>du <strong>la</strong> dét<strong>en</strong>tion, <strong>pour</strong> une durée indéterminée, <strong>des</strong> personnes<br />

suspectées de terrorisme et <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> d’interrogation, <strong>pour</strong>tant critiquées par<br />

certains, qui considèr<strong>en</strong>t qu’elles viol<strong>en</strong>t les droits civils de ces personnes.<br />

Un anci<strong>en</strong> conseiller du Gouvernem<strong>en</strong>t américain, Jay Farrar du C<strong>en</strong>ter for Strategic &<br />

International Studies, Washington D.C., a établi un parallèle <strong>en</strong>tre les dét<strong>en</strong>us de<br />

Guantanamo et les personnes « apatri<strong>des</strong> » :<br />

«Ces "dét<strong>en</strong>us" [de Guantanamo] ont rejeté les normes internationales et abandonnés leurs<br />

droits de citoy<strong>en</strong>s quand ils ont choisi de s’impliquer dans le terrorisme, lui-même apatride.<br />

[Ils se sont] dép<strong>la</strong>cés d’un Etat reconnu à l’autre <strong>pour</strong> essayer de s’opposer et d’échapper au<br />

droit international, susceptible d’être invoqué contre eux <strong>pour</strong> qu’ils r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t compte de leurs<br />

actes….A <strong>la</strong> suite <strong>des</strong> att<strong>en</strong>tats du 11 septembre, les Etats-unis ont choisi de redéfinir le statut<br />

conféré aux terroristes internationaux et aux Etats qui les souti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t….Ils sont maint<strong>en</strong>ant<br />

101


traités <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce et devront r<strong>en</strong>dre compte de leurs actes dans le cadre qu’ils ont créé et<br />

choisi.» Inter<strong>vie</strong>wé par <strong>la</strong> BBC le 16 jan<strong>vie</strong>r 2002<br />

Par contre, l’ONG de déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> droits de l’homme, Amnesty International, déc<strong>la</strong>rait<br />

que :<br />

«Amnesty International considère que les personnes dét<strong>en</strong>ues à Guantanamo sont c<strong>en</strong>sées<br />

être <strong>des</strong> prisonniers de guerre. S’il y a le moindre doute quant à leur statut, il n’apparti<strong>en</strong>t pas<br />

au Secrétaire d’Etat à <strong>la</strong> déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> Etats-Unis ou à un autre fonctionnaire de<br />

l’Administration américaine de le déterminer. Selon l’article 5 de <strong>la</strong> Troisième conv<strong>en</strong>tion de<br />

G<strong>en</strong>ève, les Etats-Unis doiv<strong>en</strong>t permettre à un «tribunal compét<strong>en</strong>t », impartial et<br />

indép<strong>en</strong>dant, de décider de leur statut. C’est égalem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> position déf<strong>en</strong>due par le Comité<br />

international de <strong>la</strong> Croix rouge (ICRC), dont l’interprétation <strong>des</strong> Conv<strong>en</strong>tions de G<strong>en</strong>ève fait<br />

autorité. »Inter<strong>vie</strong>wé par <strong>la</strong> BBC le 16 jan<strong>vie</strong>r 2002<br />

Adam Roberts de l’Université d’Oxford invoque l’exist<strong>en</strong>ce d’un précéd<strong>en</strong>t et fait<br />

remarquer que le gouvernem<strong>en</strong>t du Royaume-Uni n’avait pas considéré les membres de<br />

l’IRA provisoire comme <strong>des</strong> prisonniers de guerre mais :<br />

«qu’il avait reconnu que les normes internationales <strong>en</strong> matière de traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> prisonniers,<br />

<strong>en</strong> particulier l’interdiction de <strong>la</strong> torture, s’appliquai<strong>en</strong>t à ces dét<strong>en</strong>us.»<br />

Cep<strong>en</strong>dant, le rapport de Manfred Nowak, Rapporteur spécial <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Commission <strong>des</strong><br />

droits de l’homme de l’ONU, évoque le traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us au C<strong>en</strong>tre de<br />

Guantanamo:<br />

«L’exécutif <strong>des</strong> Etats-Unis agit comme juge, procureur et déf<strong>en</strong>seur <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us de<br />

Guantanamo : ce<strong>la</strong> constitue une vio<strong>la</strong>tion sérieuse du droit à un procès équitable devant un<br />

tribunal indép<strong>en</strong>dant, garanti par l’article 14 [de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion internationale <strong>des</strong> droits civils<br />

et politiques]…..Les t<strong>en</strong>tatives de L’Administration <strong>des</strong> Etats-unis <strong>pour</strong> redéfinir le terme<br />

"torture", dans le cadre de <strong>la</strong> lutte contre le terrorisme, sont extrêmem<strong>en</strong>t<br />

préoccupantes….L’abs<strong>en</strong>ce de toute <strong>en</strong>quête impartiale sur les accusations de torture et de<br />

mauvais traitem<strong>en</strong>ts, ainsi que l’impunité de ceux qui s’<strong>en</strong> sont r<strong>en</strong>dus coupables, re<strong>vie</strong>nt à<br />

une vio<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> articles 12 et 13 de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion contre <strong>la</strong> torture. »<br />

Un porte-parole <strong>of</strong>ficiel du Premier ministre du Royaume-uni, qui déf<strong>en</strong>dait l’int<strong>en</strong>tion<br />

du gouvernem<strong>en</strong>t de faire voter une légis<strong>la</strong>tion permettant de dét<strong>en</strong>ir indéfinim<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

personnes suspectées de terrorisme, déc<strong>la</strong>ra :<br />

«La Grande-Bretagne est fermée au terrorisme et nous pr<strong>en</strong>drons toutes les mesures <strong>en</strong> notre<br />

pouvoir….Il y aura <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s qui ne seront pas d’accord mais nous sommes absolum<strong>en</strong>t<br />

déterminés à trouver un juste équilibre <strong>en</strong>tre les droits de l’homme, qui sont importants, et le<br />

droit de <strong>la</strong> société à vivre libre de terreur. »<br />

Liberty, une organisation de déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> droits de l’homme basée au Royaume-uni, a<br />

exprimé sa crainte que <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion antiterroriste du Royaume-uni de 2005 ne donne au<br />

pouvoir exécutif :<br />

«le pouvoir d’imposer <strong>des</strong> restrictions strictes aux libertés individuelles [qui serai<strong>en</strong>t alors]<br />

appliquées de façon arbitraire, inéquitable et disproportionnée… sans véritable contrôle<br />

judiciaire. »<br />

102


Le Ministre d’Etat chargé de <strong>la</strong> sécurité de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, de <strong>la</strong> baisse de <strong>la</strong> criminalité,<br />

de <strong>la</strong> police et de <strong>la</strong> lutte contre le terrorisme déc<strong>la</strong>rait <strong>en</strong> 2005 devant une commission<br />

parlem<strong>en</strong>taire que :<br />

«La lutte contre <strong>la</strong> m<strong>en</strong>ace terroriste et le fait que, à l’heure actuelle, elle ait de gran<strong>des</strong><br />

chances d’émaner <strong>des</strong> personnes liées à une forme extrémiste de l’Is<strong>la</strong>m, ou, si vous préférez,<br />

se réc<strong>la</strong>mant de l’Is<strong>la</strong>m <strong>pour</strong> justifier leurs activités implique que, inévitablem<strong>en</strong>t, <strong>des</strong><br />

personnes issues de le communauté musulmane feront l’expéri<strong>en</strong>ce de nos pouvoirs spéciaux<br />

de façon disproportionnée. »<br />

Yaahya Birt, convertie à l’Is<strong>la</strong>m et chercheuse à l’Is<strong>la</strong>mic Foundation au Royaume-uni,<br />

exprimait sa crainte qu’<strong>en</strong> Grande-Bretagne, le débat sur <strong>la</strong> diversité culturelle ne soit<br />

redéfini par <strong>la</strong> référ<strong>en</strong>ce au terrorisme :<br />

«L’un <strong>des</strong> meilleurs argum<strong>en</strong>ts que peuv<strong>en</strong>t déf<strong>en</strong>dre les Musulmans britanniques consiste à<br />

affirmer que [<strong>des</strong> problèmes comme celui du multiculturalisme] ne peuv<strong>en</strong>t être <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t<br />

redéfinis par référ<strong>en</strong>ce au terrorisme, <strong>pour</strong> <strong>la</strong> simple raison que, quelles soi<strong>en</strong>t les causes de<br />

désaffection ou les problèmes de <strong>la</strong> communauté musulmane, il n’existe pas de li<strong>en</strong> de<br />

causalité conduisant inévitablem<strong>en</strong>t aux att<strong>en</strong>tats de Londres. »<br />

Tarik Ramadan, Présid<strong>en</strong>t du Réseau musulman europé<strong>en</strong>, exprimait égalem<strong>en</strong>t sa<br />

crainte qu’une analyse simpliste de <strong>la</strong> nature et <strong>des</strong> causes du terrorisme dans les<br />

sociétés multiculturelles ne conduise à <strong>des</strong> affirmations simplistes sur <strong>des</strong> communautés<br />

<strong>en</strong>tières :<br />

«Le 8 décembre de l’année dernière, Tony B<strong>la</strong>ir a appelé les minorités à respecter "nos<br />

<strong>valeurs</strong> ess<strong>en</strong>tielles" affirmant qu’elles avai<strong>en</strong>t "le devoir de s’intégrer". La communauté<br />

musulmane, perçue comme "mal intégrée", est dev<strong>en</strong>ue suspecte. Ce<strong>la</strong> ne peut justifier que<br />

<strong>des</strong> mesures soi<strong>en</strong>t appliquées à un segm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tier de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion sur <strong>la</strong> base d’un mauvais<br />

diagnostic. La grande majorité <strong>des</strong> Musulmans britanniques n’a absolum<strong>en</strong>t aucun problème<br />

avec les <strong>valeurs</strong> britanniques citées ci-avant. Leur intégration culturelle et religieuse est déjà<br />

réelle, comme le prouv<strong>en</strong>t les millions de citoy<strong>en</strong>s qui viv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> paix dans ce pays. Le<br />

problème n’est pas celui <strong>des</strong> "<strong>valeurs</strong> ess<strong>en</strong>tielles", mais celui du fossé <strong>en</strong>tre ces <strong>valeurs</strong> et <strong>la</strong><br />

<strong>vie</strong> sociale ou <strong>la</strong> pratique politique quotidi<strong>en</strong>nes. Plutôt que d’insister sur le "devoir de<br />

s’intégrer" <strong>des</strong> Musulmans, <strong>la</strong> société devrait respecter son "devoir de cohér<strong>en</strong>ce". Il incombe<br />

à <strong>la</strong> société britannique de se réconcilier avec ces <strong>valeurs</strong> autoproc<strong>la</strong>mées, il re<strong>vie</strong>nt aux<br />

responsables politiques de mettre <strong>en</strong> pratique ce qu’ils prêch<strong>en</strong>t. »<br />

Q’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

P<strong>en</strong>sez-vous, comme certains, que <strong>la</strong> nécessité de protéger les g<strong>en</strong>s ordinaires contre <strong>la</strong><br />

m<strong>en</strong>ace terroriste est plus importante que les droits civils d’un petit nombre de personnes<br />

suspectées de terrorisme ou p<strong>en</strong>sez-vous, comme d’autres, que susp<strong>en</strong>dre les droits d’un petit<br />

nombre de personnes susceptibles d’être <strong>des</strong> terroristes c’est mettre le doigt dans un<br />

<strong>en</strong>gr<strong>en</strong>age qui <strong>pour</strong>rait conduire à remettre <strong>en</strong> cause les droits civils de tout le monde ?<br />

103


ETUDE DE CAS 10 : Monum<strong>en</strong>ts culturels ou <strong>vie</strong>s humaines ? <strong>la</strong><br />

cause de <strong>la</strong> protection du patrimoine culturel<br />

Christopher Rowe<br />

Chronologie<br />

Février 1944 : L’avance <strong>des</strong> forces alliées dans le Nord de l’Italie est arrêtée par les déf<strong>en</strong>ses<br />

alleman<strong>des</strong> de <strong>la</strong> Ligne Gustave sur <strong>la</strong> crête de Monte Cassino. Le commandem<strong>en</strong>t allié<br />

p<strong>en</strong>sait, à tort, que le monastère bénédictin de Monte Cassino faisait partie intégrante <strong>des</strong><br />

déf<strong>en</strong>ses militaires. Le monastère fait l’objet de bombardem<strong>en</strong>ts massifs, il est presque<br />

totalem<strong>en</strong>t détruit.<br />

Août 1944 : Hitler ordonne à l’<strong>of</strong>ficier allemand qui commande Paris, le Général von<br />

Choltitz, de détruire <strong>la</strong> ville avant le retrait <strong>des</strong> forces alleman<strong>des</strong>. Choltitz désobéit.<br />

Février 1945 : Des bombardem<strong>en</strong>ts alliés massifs <strong>en</strong>dommag<strong>en</strong>t sérieusem<strong>en</strong>t le c<strong>en</strong>tre<br />

historique de Dresde <strong>en</strong> Saxe. Près de 30 000 civils sont tués et de nombreux monum<strong>en</strong>ts<br />

historiques sont détruits. Par <strong>la</strong> suite, <strong>en</strong>tre 1996 et 2006, <strong>la</strong> Frau<strong>en</strong>kirche, dont il ne restait<br />

que <strong>des</strong> ruines, est reconstruite par une équipe d’architectes internationale, dans un acte<br />

symbolique de réconciliation et de paix.<br />

Août 1945 : Le port de Nagasaki, site historique du Sud du Japon, est rayé de <strong>la</strong> carte par une<br />

bombe atomique, peu après que <strong>la</strong> première bombe atomique ait été <strong>la</strong>rguée sur Hiroshima.<br />

Hiver 1991-1992 : La ville portuaire de Dubrovnik, site historique de Croatie, est bombardée<br />

par les forces serbes p<strong>en</strong>dant plusieurs semaines. De nombreux bâtim<strong>en</strong>ts sont <strong>en</strong>dommagés<br />

et cette <strong>des</strong>truction du patrimoine culturel suscite de vives protestations internationales.<br />

Août 1992 : La Bibliothèque nationale de Sarajevo est bombardée par l’artillerie serbe<br />

p<strong>en</strong>dant le siège de <strong>la</strong> ville et presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t détruite par le feu. 1,5 million de livres sont<br />

brûlés.<br />

Novembre 1993 : Le fameux pont de Mostar, le Stari Most, sur <strong>la</strong> Neretva, est détruit par les<br />

forces croates. Ce pont était un symbole culturel depuis sa construction <strong>en</strong> 1566. Les travaux<br />

de reconstruction comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 2004.<br />

Septembre 2000 : Le responsable politique israéli<strong>en</strong>, Ariel Sharon, suscite <strong>la</strong> polémique <strong>en</strong> se<br />

r<strong>en</strong>dant sur le site de <strong>la</strong> Mosquée El Aqsa à Jérusalem. Cette mosquée fait partie du<br />

Sanctuaire noble qui revêt une importance particulière <strong>pour</strong> les Musulmans ; elle est située<br />

sur le Mont du Temple qui revêt aussi une importance particulière <strong>pour</strong> les Juifs. Les<br />

musulmans craign<strong>en</strong>t que les travaux de construction israéli<strong>en</strong>s sur le site n’affaibliss<strong>en</strong>t les<br />

fondations de <strong>la</strong> Mosquée El Aqsa. La visite de Sharon ravive les t<strong>en</strong>sions religieuses et<br />

provoque <strong>la</strong> deuxième I ntifada.<br />

Mars 2001 : Les Statues de Bouddha <strong>en</strong> Afghanistan, monum<strong>en</strong>ts gigantesques sculptés à<br />

même <strong>la</strong> fa<strong>la</strong>ise dans les montagnes de l’Hindou Koush, sont détruites sur ordre du régime <strong>des</strong><br />

104


Talibans parce qu’elles représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t une religion «infidèle ». Cet acte de <strong>des</strong>truction délibéré<br />

provoque une tempête de protestation et de condamnation internationales.<br />

Novembre 2002 : La <strong>des</strong>truction de l’église orthodoxe serbe Saint Basile d’Ostrog, autorisée<br />

par les forces de mainti<strong>en</strong> de <strong>la</strong> paix de l’ONU, suscite de vives protestations de <strong>la</strong> Serbie.<br />

.<br />

Avril 2003 : A <strong>la</strong> suite de l’invasion de l’Iraq sous l’égide <strong>des</strong> Etats-unis et du r<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>t<br />

de Saddam Hussein, le pays connaît une période d’anarchie p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong>quelle le Musée<br />

national de Bagdad fait l’objet de pil<strong>la</strong>ges importants, de nombreuses oeuvres d’art<br />

inestimables sont volées ou détruites. Les autorités américaines sont très critiquées <strong>pour</strong> leur<br />

inaction.<br />

Février 2006 : La fameuse Mosquée d’or de Samarra <strong>en</strong> Iraq, lieu saint <strong>pour</strong> les musulmans<br />

chiites, est gravem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>dommagée lors d’une attaque imputée aux extrémistes Sunnites<br />

cherchant à provoquer une guerre civile. Dans les jours qui suiv<strong>en</strong>t, il y a de nombreux actes<br />

de représailles contre <strong>des</strong> mosquées sunnites.<br />

Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Le débat sur le patrimoine culturel tourne autour de <strong>la</strong> comparaison <strong>en</strong>tre <strong>la</strong> valeur d’objets<br />

précieux face à celle de <strong>vie</strong>s humaines. P<strong>en</strong>dant une guerre, le commandem<strong>en</strong>t doit-il risquer<br />

de subir <strong>des</strong> pertes <strong>en</strong> <strong>vie</strong>s humaines plus importantes, <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant <strong>des</strong> mesures <strong>pour</strong> protéger<br />

<strong>des</strong> monum<strong>en</strong>ts culturels ? Au p<strong>la</strong>n religieux, faut-il toujours traiter avec le même respect le<br />

patrimoine culturel de religions rivales ?<br />

Il est important de distinguer <strong>en</strong>tre actes de <strong>des</strong>truction délibérés, d’une part, et dommages<br />

accid<strong>en</strong>tels, de l’autre. Dans certains cas, <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction de monum<strong>en</strong>ts culturels constitue un<br />

acte de guerre prémédité, <strong>des</strong>tiné à attiser un conflit national ou religieux. Dans d’autres, <strong>la</strong><br />

<strong>des</strong>truction tragique du patrimoine culturel constitue ce que l’on appelle un «dommage<br />

col<strong>la</strong>téral », <strong>en</strong> temps de guerre ou <strong>en</strong> raison de <strong>la</strong> course à <strong>la</strong> modernisation et au progrès,<br />

quand <strong>des</strong> bâtim<strong>en</strong>ts anci<strong>en</strong>s sont abattus et remp<strong>la</strong>cés par <strong>des</strong> constructions modernes.<br />

Il faut égalem<strong>en</strong>t définir avec précision ce que l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d vraim<strong>en</strong>t par «patrimoine<br />

culturel ». En dehors <strong>des</strong> églises, pa<strong>la</strong>is et musées, il s’agit souv<strong>en</strong>t de bâtim<strong>en</strong>ts moins<br />

importants et plus communs, comme de <strong>vie</strong>illes maisons de vil<strong>la</strong>ge, qui peuv<strong>en</strong>t avoir une<br />

grande importance culturelle et historique. Il y a beaucoup d’exemples historiques, comme<br />

Paris et Vi<strong>en</strong>ne, où au 19 e siècle, <strong>des</strong> monum<strong>en</strong>ts culturels magnifiques fur<strong>en</strong>t construits sur<br />

les ruines de structures plus anci<strong>en</strong>nes qui, aujourd’hui, serai<strong>en</strong>t considérées comme un<br />

patrimoine culturel inestimable, si elles n’avai<strong>en</strong>t pas été détruites au nom du progrès.<br />

Parfois, le patrimoine culturel n’est pas constitué de bâtim<strong>en</strong>ts ou d’oeuvres d’art, mais de<br />

paysages. Dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> pays, <strong>des</strong> parcs nationaux ont été créés <strong>pour</strong> empêcher le<br />

massacre de paysages d’une beauté exceptionnelle ou d’importance historique, par <strong>des</strong><br />

constructions ou <strong>des</strong> lotissem<strong>en</strong>ts. Il ne s’agit pas toujours de quelque chose d’aussi ét<strong>en</strong>du<br />

qu’un parc national, mais parfois d’un seul arbre. Au pire mom<strong>en</strong>t du siège de Sarajevo, <strong>des</strong><br />

personnes à <strong>la</strong> recherche de combustible vinr<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> couper un arbre. Une femme, qui<br />

habitait dans un immeuble proche essaya à tout prix de les <strong>en</strong> empêcher, <strong>pour</strong> elle, l’arbre<br />

était précieux et avait un caractère intemporel, le seul élém<strong>en</strong>t de spiritualité dans une zone de<br />

guerre.<br />

105


La notion de « patrimoine » culturel soulève <strong>la</strong> question de sa propriété effective. On affirme<br />

souv<strong>en</strong>t que les grands monum<strong>en</strong>ts culturels n’apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas seulem<strong>en</strong>t au pays où ils se<br />

trouv<strong>en</strong>t ou à <strong>la</strong> civilisation qu’ils représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t, mais à tout le monde. Ces dernières années, de<br />

nombreux sites ont été c<strong>la</strong>ssés Patrimoine mondial. De nombreuses villes ont une histoire et<br />

une id<strong>en</strong>tité mê<strong>la</strong>nt différ<strong>en</strong>tes religions et cultures. L’un <strong>des</strong> grands dangers, <strong>en</strong>core aggravé<br />

par les guerres, surtout les guerres civiles et ethniques, réside dans «l’ethnicisation » du<br />

patrimoine culturel, considéré comme représ<strong>en</strong>tatif d’une ethnie à l’exclusion <strong>des</strong> autres.<br />

Un aspect du débat concerne le juste équilibre <strong>en</strong>tre <strong>la</strong> nécessité de préserver le passé et le<br />

besoin de modernité, ainsi que de progrès économique. Liverpool, désignée Capitale<br />

europé<strong>en</strong>ne de <strong>la</strong> culture 2008, a connu une vive polémique sur le thème de <strong>la</strong> protection du<br />

passé, jugé excessif par certains et considéré comme un frein au r<strong>en</strong>ouveau de <strong>la</strong> ville au<br />

détrim<strong>en</strong>t de son av<strong>en</strong>ir. Dans toute l’<strong>Europe</strong>, il y a <strong>des</strong> débats de ce type à chaque fois que <strong>la</strong><br />

protection de bâtim<strong>en</strong>ts historiques <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> conflit avec les besoins de construction de<br />

nouvelles routes, de supermarchés ou de tours.<br />

Un autre aspect concerne le devoir de respect <strong>des</strong> autres cultures. La plupart <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s sont<br />

d’accord <strong>pour</strong> reconnaître que les monum<strong>en</strong>ts d’autres cultures et religions doiv<strong>en</strong>t être traités<br />

avec soin et respect, même quand ceux qui les ont créés et leurs croyances ont disparu. Il n’y<br />

a plus de Romains dans <strong>la</strong> ville grecque de Thessalonique, mais les nombreux sites<br />

archéologiques romains sont <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us avec soin et fierté. Il est possible qu’un jour, le<br />

patrimoine architectural de l’époque de <strong>la</strong> domination ottomane soit traité de <strong>la</strong> même façon.<br />

Dans les Balkans, après les guerres <strong>des</strong> années 90, il y a un risque de nouvelle «épuration<br />

ethnique », cette fois-ci du patrimoine culturel.<br />

Enfin, au p<strong>la</strong>n philosophique, le débat concerne <strong>la</strong> valeur qu’il con<strong>vie</strong>nt d’attribuer aux<br />

monum<strong>en</strong>ts culturels, par comparaison à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> humaine. On peut dire par exemple que les<br />

terribles <strong>des</strong>tructions d’Hiroshima et de Nagasaki ont forcé le Japon impérial à une reddition<br />

qui, autrem<strong>en</strong>t, aurait été retardée de nombreux mois, durant lesquels <strong>des</strong> millions de<br />

personnes serai<strong>en</strong>t mortes. On dit souv<strong>en</strong>t que les bâtim<strong>en</strong>ts peuv<strong>en</strong>t être réparés et<br />

reconstruits mais pas les <strong>vie</strong>s humaines. Pourtant, <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction de monum<strong>en</strong>ts culturels<br />

provoque un pr<strong>of</strong>ond s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de deuil et d’indignation.<br />

Après <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction du Pont de Mostar <strong>en</strong> 1993, un journaliste croate essaya d’expliquer ce<br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de deuil. Il écrivit :<br />

«Pourquoi ress<strong>en</strong>tons nous une plus grande peine à <strong>la</strong> vue <strong>des</strong> images du Pont détruit qu’à <strong>la</strong><br />

vue de personnes ? C’est peut-être parce que les colonnes du Pont nous r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t plus à notre<br />

propre mortalité que <strong>la</strong> mort <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s. Nous nous att<strong>en</strong>dons à ce que les g<strong>en</strong>s meur<strong>en</strong>t. Nous<br />

nous att<strong>en</strong>dons nous mêmes à mourir. Mais <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction de monum<strong>en</strong>ts, c’est autre chose.<br />

Dans sa beauté, le <strong>vie</strong>ux Pont de Mostar était fait <strong>pour</strong> nous survivre. Il transc<strong>en</strong>dait nos<br />

<strong>des</strong>tinées individuelles. La mort d’un homme, c’est <strong>la</strong> disparition de l’un d’<strong>en</strong>tre nous, <strong>la</strong> mort<br />

du Pont c’est notre disparition à tous, <strong>pour</strong> toujours. »<br />

106


Différ<strong>en</strong>ts points de vue sur <strong>la</strong> question<br />

Comm<strong>en</strong>taires du commandant d’une division blindée allemande dirigeant l’attaque<br />

contre Ypres <strong>en</strong> 1940. Il avait combattu dans les longues bataille d’Ypres durant <strong>la</strong><br />

Première guerre mondiale. Ses hommes lui demandai<strong>en</strong>t d’ordonner le bombardem<strong>en</strong>t<br />

<strong>des</strong> Halles d’Ypres qui semb<strong>la</strong>it servir aux forces déf<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> cité, <strong>pour</strong> guider leur<br />

artillerie :<br />

«Non. Pas de Stukas. Pour cette ville, une guerre ça suffit. »<br />

Reportage sur <strong>la</strong> Bataille de Monte Cassino <strong>en</strong> 1944 :<br />

«P<strong>en</strong>dant les premier jours de <strong>la</strong> bataille, les alliés ont épargné le monastère de Monte<br />

Cassino <strong>des</strong> attaques aéri<strong>en</strong>nes, terrestres et d’artillerie, bi<strong>en</strong> qu’il constitue un élém<strong>en</strong>t crucial<br />

de <strong>la</strong> ligne de déf<strong>en</strong>se. Mais <strong>la</strong> vue de soldats allemands dans le monastère incita le Général<br />

Freyberg à demander sa <strong>des</strong>truction par <strong>des</strong> bombardem<strong>en</strong>ts aéri<strong>en</strong>s et l’artillerie. Le 15<br />

février 1944, 230 bombardiers alliés pilonnèr<strong>en</strong>t ce site historique. Bi<strong>en</strong> que <strong>la</strong> plus grande<br />

partie du monastère et de ses murs extérieurs ait été détruite, les soldats allemands réussir<strong>en</strong>t à<br />

se réfugier dans les pièces souterraines. Même <strong>en</strong> ruines, le monastère restait une position<br />

déf<strong>en</strong>sive forte.»<br />

Comm<strong>en</strong>taires de Sir Arthur Harris, Chef du commandem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> bombardiers de <strong>la</strong><br />

RAF, début 1945 :<br />

«N’importe quel psychanalyste <strong>pour</strong>rait expliquer facilem<strong>en</strong>t ce que l’on ress<strong>en</strong>t à cause de <strong>la</strong><br />

<strong>des</strong>truction de Dresde. Ce s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t est lié aux orchestres allemands et aux bergères de<br />

Dresde. En réalité, Dresde était une énorme réserve de munitions, un c<strong>en</strong>tre de pouvoir intact,<br />

un nœud stratégique <strong>pour</strong> les transports. La ville n’est plus ri<strong>en</strong> de tout ce<strong>la</strong>. »<br />

Inter<strong>vie</strong>w de Martin Mutschmann, anci<strong>en</strong> Gauleiter de Dresde, après <strong>la</strong> guerre :<br />

« Interrogateur : Qu’avez-vous à dire à propos <strong>des</strong> raids aéri<strong>en</strong>s sur Dresde ?<br />

Mutschmann : C’est terrible, <strong>la</strong> quantité de bi<strong>en</strong>s culturels détruits <strong>en</strong> une nuit. Dresde était<br />

une ville infinim<strong>en</strong>t riche <strong>en</strong> trésors artistiques. Maint<strong>en</strong>ant il n’y a plus ri<strong>en</strong> de tout ce<strong>la</strong>.<br />

Interrogateur : Ainsi, les victimes humaines ne vous préoccup<strong>en</strong>t absolum<strong>en</strong>t pas ?<br />

Mutschmann : C’est vrai un grand nombre de g<strong>en</strong>s sont morts. Je veux seulem<strong>en</strong>t dire que les<br />

trésors artistiques ne peuv<strong>en</strong>t pas être remp<strong>la</strong>cés. »<br />

Colin Kaiser, anci<strong>en</strong> directeur du Bureau de l’UNESCO rapportai <strong>en</strong> septembre 2000 :<br />

«Avant <strong>la</strong> guerre, de nombreux Serbes, Musulmans et Croates partageai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> même fierté de<br />

leurs bâtim<strong>en</strong>ts c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aires, comme <strong>la</strong> Bibliothèque nationale de Sarajevo. La guerre a changé<br />

tout ce<strong>la</strong>. Bi<strong>en</strong> que nous percevions <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction comme barbare, les <strong>des</strong>tructeurs <strong>la</strong><br />

considèr<strong>en</strong>t comme un acte de création, comme <strong>la</strong> création ou libération d’une société rurale<br />

mythique, dans <strong>la</strong>quelle les symboles de l’"autre", rejeté, ont été éliminés. Dans les villes,<br />

une id<strong>en</strong>tité citadine commune a été détruite. Des bâtim<strong>en</strong>ts anci<strong>en</strong>s et sacrés ont été<br />

"ethnicisés". Avant <strong>la</strong> guerre, personne à Mostar n’aurait songé à dire que le Pont était un<br />

monum<strong>en</strong>t "musulman", mais il <strong>en</strong> est dev<strong>en</strong>u un de par sa <strong>des</strong>truction par les tanks croates. »<br />

107


Comm<strong>en</strong>taires de l’écrivain américain, Susan Sontag, dans une inter<strong>vie</strong>w à <strong>la</strong> radio<br />

croate, <strong>en</strong> décembre 1991 :<br />

«Je ti<strong>en</strong>s à exprimer l’horreur que je ress<strong>en</strong>s face à <strong>la</strong> brutalité de <strong>la</strong> guerre. Je suis horrifiée<br />

plus que tout par Dubrovnik. Quoi qu’il arrive, cette guerre se terminera un jour. Toutes les<br />

guerres ont une fin. Et que se passera-t-il alors? Dubrovnik n’existe plus, tout comme<br />

beaucoup d’autres villes et beaucoup de <strong>vie</strong>s perdues. Mais Dubrovnik a un statut très<br />

particulier, elle apparti<strong>en</strong>t à tout le monde. Les g<strong>en</strong>s compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t qu’on ne bombarde pas<br />

V<strong>en</strong>ise ou le c<strong>en</strong>tre historique de Rome. On ne s’attaque pas à Dubrovnik et on ne <strong>la</strong> détruit<br />

pas. C’est tout simplem<strong>en</strong>t quelque chose qu’on n’a pas le droit de faire, quelle que soit <strong>la</strong><br />

façon dont <strong>la</strong> guerre se déroule. »<br />

Comm<strong>en</strong>taires de Leszek Ko<strong>la</strong>kowski, inter<strong>vie</strong>wé à <strong>la</strong> radio croate, <strong>en</strong> jan<strong>vie</strong>r 1992 :<br />

«Les Serbes dis<strong>en</strong>t qu’ils doiv<strong>en</strong>t déf<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> minorité serbe. D’accord, mais je ne vois pas<br />

comm<strong>en</strong>t ce<strong>la</strong> peut justifier le siège de Dubrovnik, ce joyau de <strong>la</strong> Méditerranée. Il n’y avait<br />

aucune minorité serbe à déf<strong>en</strong>dre là bas. »<br />

Lettre du Pr<strong>of</strong>esseur J.P. Maher au quotidi<strong>en</strong> the Guardian <strong>en</strong> octobre 2000 :<br />

«Vous évoquiez récemm<strong>en</strong>t dans l’un de vos reportages le "saccage de <strong>la</strong> belle ville croate de<br />

Dubrovnik <strong>en</strong> 1991". Il s’agit d’une mystification. Depuis 1991, <strong>la</strong> presse a déjà publié<br />

plusieurs dizaines de fois ce canu<strong>la</strong>r, selon lequel <strong>la</strong> Perle de l’Adriatique était réduite à l’état<br />

de décombres. Toutes ces histoires sont inv<strong>en</strong>tées. J’ai visité Dubrovnik <strong>en</strong> mars 1992 <strong>pour</strong><br />

me r<strong>en</strong>dre compte par moi même de <strong>la</strong> vérité. La ville a été tout juste égratignée. La<br />

<strong>des</strong>truction de Dubrovnik est une inv<strong>en</strong>tion de sociétés de re<strong>la</strong>tions publiques <strong>en</strong>gagées par les<br />

criminels de guerre qui ont fait éc<strong>la</strong>ter <strong>la</strong> Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong> sans négociations. »<br />

Le bibliothécaire de <strong>la</strong> Bibliothèque nationale de Sarajevo, Kemal Bakarsic, a décrit<br />

l’inc<strong>en</strong>die d’août 1992 :<br />

«Des feuilles de papier brûlé, <strong>des</strong> pages fragiles de c<strong>en</strong>dres grises tombai<strong>en</strong>t sur toute <strong>la</strong> ville<br />

comme une neige sale et noire. Si on attrapait une page, on pouvait s<strong>en</strong>tir <strong>la</strong> chaleur qu’elle<br />

dégageait, et l’espace d’un instant, on pouvait lire un fragm<strong>en</strong>t de texte sur ce drôle de négatif<br />

<strong>en</strong> noir et gris, jusqu’à ce que <strong>la</strong> page tombe <strong>en</strong> <strong>en</strong> c<strong>en</strong>dre dans <strong>la</strong> main.»<br />

L’American School <strong>of</strong> Ori<strong>en</strong>tal Research rapporta <strong>en</strong> avril 2003 :<br />

«Le pil<strong>la</strong>ge du Musée de Bagdad constitue <strong>la</strong> plus grave atteinte au patrimoine culturel de<br />

l’histoire moderne, comparable au 1 er sac de Constantinople I, à l’inc<strong>en</strong>die de <strong>la</strong> Bibliothèque<br />

d’Alexandrie, aux invasions vandales et mongoles, aux invasions et aux ravages <strong>des</strong><br />

conquistadores espagnols.»<br />

Extrait d’un article d’Alexander J<strong>of</strong>fe dans le Middle Eastern Quarterly, intitulé<br />

«Museum Madness in Baghdad (Folie au Musée de Bagdad) », au printemps 2004 :<br />

«En avril 2003, p<strong>en</strong>dant les <strong>des</strong>tructions qui ont suivi <strong>la</strong> chute du régime de Saddam Hussein,<br />

<strong>des</strong> pilleurs ont pénétré dans le Musée national d’Iraq à Bagdad. Ils ont volé et détruit <strong>des</strong><br />

œuvres d’art et ont <strong>en</strong>dommagé le Musée. Les archéologues occid<strong>en</strong>taux ont é<strong>la</strong>boré leur<br />

propre version <strong>des</strong> évènem<strong>en</strong>ts et l’ont diffusée dans les médias du monde. Ils ont affirmé que<br />

les autorités américaines avai<strong>en</strong>t volontairem<strong>en</strong>t omis d’arrêter le pil<strong>la</strong>ge et <strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t même<br />

108


peut être été les complices. Cette version n’a ri<strong>en</strong> à voir avec <strong>la</strong> réalité. Le pil<strong>la</strong>ge du Musée a<br />

causé beaucoup moins de dommages qu’on ne l’avait prét<strong>en</strong>du au début. »<br />

Abde<strong>la</strong>ziz Sachedina, pr<strong>of</strong>esseur d’étu<strong>des</strong> religieuses et expert de l’Is<strong>la</strong>m chiite, fit les<br />

comm<strong>en</strong>taires suivants sur l’att<strong>en</strong>tat contre <strong>la</strong> Mosquée d’or de Samarra :<br />

«C’était un lieu de culte dans lequel j’avais l’habitude d’aller m’asseoir avec mes maîtres<br />

<strong>pour</strong> étudier le droit et <strong>la</strong> théologie. Même quand <strong>la</strong> Mosquée d’or, avec son dôme bleu, était<br />

une mosquée sunnite, les Sunnites et les Chiites s’y rassemb<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> prier et <strong>pour</strong> montrer<br />

leur respect au Prophète Mohammed. Ce<strong>la</strong> f<strong>en</strong>d le cœur et il est pr<strong>of</strong>ondém<strong>en</strong>t dérangeant de<br />

voir <strong>des</strong> Musulmans détruire ce monum<strong>en</strong>t qui célèbre l’héritage culturel de l’Is<strong>la</strong>m. »<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Si vous étiez le haut fonctionnaire responsable de <strong>la</strong> déf<strong>en</strong>se d’une ville ou d’une cité<br />

m<strong>en</strong>acée d’être attaquée, accorderiez-vous une priorité absolue à <strong>la</strong> protection <strong>des</strong><br />

monum<strong>en</strong>ts culturels et trésors artistiques ?<br />

Si vous étiez commandant militaire <strong>en</strong> temps de guerre, changeriez-vous vos p<strong>la</strong>ns et<br />

risqueriez-vous <strong>des</strong> pertes plus importantes parmi vos troupes, <strong>pour</strong> éviter<br />

d’<strong>en</strong>dommager <strong>des</strong> bâtim<strong>en</strong>ts historiques?<br />

Existe-t-il <strong>des</strong> cas dans lesquels il peut être justifié d’ordonner <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction (ou de<br />

permettre le saccage par néglig<strong>en</strong>ce) de monum<strong>en</strong>ts culturels d’une autre culture ou<br />

religion ?<br />

109


SIXIEME QUESTION CLE : Qu’est-ce qui est le plus important :<br />

Préserver <strong>la</strong> bonne santé de l’économie nationale ou faire <strong>en</strong><br />

sorte que tous ai<strong>en</strong>t droit au minimum vital ?<br />

Robert Stradling<br />

Les droits de l’homme sont <strong>des</strong> normes internationales qui serv<strong>en</strong>t, partout dans le monde, à<br />

protéger les g<strong>en</strong>s contre <strong>des</strong> abus ou <strong>des</strong> mauvais traitem<strong>en</strong>ts politiques, juridiques, sociaux et<br />

économiques et <strong>des</strong> discriminations <strong>en</strong> raison de leur sexe, âge, appart<strong>en</strong>ance ethnique,<br />

nationalité, religion ou culture.<br />

Ces droits, dits civils et politiques, nous sont probablem<strong>en</strong>t très familiers : le droit à un procès<br />

équitable quand on est accusé d’un crime, <strong>la</strong> liberté d’expression, le droit de pratiquer sa<br />

religion ou d’être athée, le droit de pas être réduit <strong>en</strong> esc<strong>la</strong>vage ou torturé, ainsi que le droit de<br />

vote et de participation à <strong>des</strong> activités politiques.<br />

Les gouvernem<strong>en</strong>ts sont c<strong>en</strong>sés respecter les droits civils de tous ceux qui résid<strong>en</strong>t dans leur<br />

pays, qu’ils y soi<strong>en</strong>t nés ou qu’ils soi<strong>en</strong>t citoy<strong>en</strong>s, migrants ou bi<strong>en</strong> réfugiés v<strong>en</strong>us d’autres<br />

pays, ou même touristes. Généralem<strong>en</strong>t, les gouvernem<strong>en</strong>ts risqu<strong>en</strong>t une condamnation<br />

internationale et <strong>en</strong>cour<strong>en</strong>t même <strong>des</strong> sanctions économiques et politiques (comme le refus<br />

d’acheter <strong>des</strong> produits <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance d’un pays ou de lui prêter de l’arg<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> son<br />

développem<strong>en</strong>t économique) quand ils viol<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t et systématiquem<strong>en</strong>t les droits<br />

civils et politiques <strong>des</strong> individus. Leurs actions risqu<strong>en</strong>t d’être critiquées par <strong>la</strong> Commission<br />

<strong>des</strong> droits de l’homme <strong>des</strong> Nations unies ou il peut même arriver qu’ils soi<strong>en</strong>t traduits devant<br />

le Tribunal pénal international ou <strong>la</strong> Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> droits de l’homme. Dans les cas<br />

extrêmes de vio<strong>la</strong>tions <strong>des</strong> droits de l’homme, le Conseil de sécurité <strong>des</strong> Nations unies peut<br />

égalem<strong>en</strong>t autoriser une interv<strong>en</strong>tion militaire, <strong>pour</strong> protéger <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s <strong>des</strong> actes d’un<br />

gouvernem<strong>en</strong>t.<br />

Mais qu’arrive-t-il quand un gouvernem<strong>en</strong>t ne par<strong>vie</strong>nt pas à assurer un logem<strong>en</strong>t déc<strong>en</strong>t et<br />

<strong>des</strong> soins médicaux à tous les habitants du pays? La Déc<strong>la</strong>ration universelle <strong>des</strong> droits de<br />

l’homme a été adoptée par l’Assemblée générale <strong>des</strong> Nations unies <strong>en</strong> 1948. Cette déc<strong>la</strong>ration<br />

affirme c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t que tout le monde a les mêmes droits et que les individus, tout comme les<br />

Etats, doiv<strong>en</strong>t assumer <strong>la</strong> responsabilité du respect <strong>des</strong> droits <strong>des</strong> autres. La liste <strong>des</strong> droits<br />

proc<strong>la</strong>més par <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration universelle <strong>des</strong> droits de l’homme compr<strong>en</strong>d les droits sociaux,<br />

économiques et culturels. Il s’agit notamm<strong>en</strong>t de l’égalité <strong>des</strong> droits <strong>en</strong>tre les hommes et les<br />

femmes, <strong>des</strong> possibilités d’accès à l’emploi, du droit à une rémunération équitable, à <strong>des</strong><br />

conditions de travail sûres et saines, du droit au repos et aux loisirs, du droit de constituer <strong>des</strong><br />

syndicats et d’y adhérer, du droit de grève, du droit à un niveau de <strong>vie</strong> déc<strong>en</strong>t, du droit à un<br />

logem<strong>en</strong>t déc<strong>en</strong>t, du droit à <strong>des</strong> soins de santé et à l’éducation.<br />

Ces déc<strong>la</strong>rations n’ont pas de force contraignante. C’est <strong>pour</strong>quoi, l’étape suivante a consisté<br />

à rédiger une conv<strong>en</strong>tion ou un traité international, le Pacte international re<strong>la</strong>tif aux droits<br />

économiques, sociaux et culturels. Il a fallu presque 20 ans (1966) <strong>pour</strong> qu’il soit ratifié (ou<br />

signée) par 133 Etats membres. Il a fallu <strong>en</strong>core 10 ans (1976) <strong>pour</strong> que cette conv<strong>en</strong>tion<br />

acquiert un caractère contraignant <strong>pour</strong> les Etats qui l’avai<strong>en</strong>t signée.<br />

Dans quelle mesure ces droits économiques, sociaux et culturels sont-ils universellem<strong>en</strong>t<br />

reconnus 60 ans après l’adoption de <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration <strong>des</strong> droits de l’homme par les Nations<br />

unies ? P<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> deuxième moitié du 20 e siècle, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s libérales ont<br />

développé un système de protection sociale qui permet à tout le monde de bénéficier de droits<br />

et prestations <strong>des</strong>tinés à assurer un niveau de <strong>vie</strong> déc<strong>en</strong>t et garantissant un minimum vital <strong>en</strong><br />

110


matière de sécurité social et de soins de santé. Dans certains cas, ces systèmes étai<strong>en</strong>t financés<br />

par les impôts, dans d’autres par <strong>des</strong> cotisations à <strong>des</strong> systèmes d’assurance. La plupart <strong>des</strong><br />

Etats communistes avai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> systèmes assurant à tous l’accès aux soins<br />

médicaux, aux retraites <strong>pour</strong> les personnes âgées, au logem<strong>en</strong>t et à l’emploi, même si certains<br />

droits économiques et sociaux, comme le droit de grève, n’étai<strong>en</strong>t pas nécessairem<strong>en</strong>t<br />

garantis.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, si nous voyons le monde d’aujourd’hui, il reste beaucoup à faire avant de pouvoir<br />

affirmer que tous dispos<strong>en</strong>t du minimum vital : suffisamm<strong>en</strong>t de nourriture, une bonne santé,<br />

un logem<strong>en</strong>t déc<strong>en</strong>t et un travail assurant un rev<strong>en</strong>u suffisant <strong>pour</strong> vivre et faire vivre sa<br />

famille. Un milliard d’adultes ne sav<strong>en</strong>t ni lire ni écrire. Plus de 500 millions d’<strong>en</strong>fants ne<br />

suiv<strong>en</strong>t pas d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t primaire. Plus d’1,5 milliards de personnes n’ont pas accès à <strong>des</strong><br />

instal<strong>la</strong>tions sanitaires déc<strong>en</strong>tes ou à une eau véritablem<strong>en</strong>t potable. 35 000 <strong>en</strong>fants meur<strong>en</strong>t<br />

tous les jours, de faim ou de ma<strong>la</strong>dies qui <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t être évitées grâce à <strong>la</strong> vaccination, ainsi<br />

qu’à une eau et à <strong>des</strong> instal<strong>la</strong>tions sanitaires plus propres. Pour ces adultes et ces <strong>en</strong>fants, les<br />

droits de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion de l’ONU doiv<strong>en</strong>t plutôt apparaître comme <strong>des</strong> objectifs inaccessibles<br />

que comme <strong>des</strong> garanties universelles.<br />

Dans ces conditions, il n’est pas surpr<strong>en</strong>ant que l’idée même de droits économiques et sociaux<br />

ait été contestée depuis <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> Deuxième guerre mondiale. L’écrivain canadi<strong>en</strong>, Michael<br />

Ignatieff, considérait que, alors que <strong>la</strong> défiance <strong>en</strong>tre l’Union soviétique et ses anci<strong>en</strong>s alliés<br />

occid<strong>en</strong>taux se transformait <strong>en</strong> Guerre froide, deux conceptions distinctes <strong>des</strong> droits de<br />

l’homme étai<strong>en</strong>t apparues, l’une socialiste et l’autre capitaliste. La première mettait l’acc<strong>en</strong>t<br />

sur les droits économiques et sociaux, <strong>la</strong> seconde, surtout les Etats-Unis, insistait plutôt sur les<br />

droits civils et politiques.<br />

En effet, <strong>la</strong> principale raison de <strong>la</strong> rédaction de deux conv<strong>en</strong>tions internationales séparées,<br />

l’une sur les droits civils et politiques, l’autre sur les droits économiques, sociaux et culturels,<br />

était de permettre aux gouvernem<strong>en</strong>t, notamm<strong>en</strong>t aux alliés <strong>des</strong> Etats-unis dans <strong>la</strong> guerre<br />

froide, de ratifier <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion sur les droits civils et politiques sans devoir accepter <strong>la</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tion sur les droits économiques, sociaux et culturels. C’est <strong>pour</strong> une raison simi<strong>la</strong>ire<br />

que les droits économiques et sociaux n’ont pas été inclus dans <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong><br />

droits de l’homme (1950) mais font l’objet d’un docum<strong>en</strong>t distinct, <strong>la</strong> Charte sociale<br />

europé<strong>en</strong>ne.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, à cette époque, <strong>la</strong> situation était beaucoup plus complexe que ne le suggère cette<br />

division idéologique. Dans les premières élections qui ont suivi <strong>la</strong> guerre, les électeurs de<br />

plusieurs pays d’<strong>Europe</strong> de l’Ouest choisir<strong>en</strong>t <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts acquis à l’idée d’une<br />

protection sociale assurée par l’Etat. On considérait qu’il fal<strong>la</strong>it pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> mesures <strong>pour</strong><br />

éviter que les troubles sociaux et politiques résultant de <strong>la</strong> Grande dépression <strong>des</strong> années 20 et<br />

30, qui avai<strong>en</strong>t conduit à <strong>la</strong> montée du fascisme <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>, ne puiss<strong>en</strong>t se reproduire.<br />

Il est égalem<strong>en</strong>t vrai que l’Union soviétique et les gouvernem<strong>en</strong>ts du reste du Bloc<br />

communiste accordèr<strong>en</strong>t <strong>la</strong> priorité aux droits économiques et sociaux, plutôt qu’à <strong>la</strong> liberté<br />

d’expression et aux autres droits civils. Cep<strong>en</strong>dant, l’Union soviétique était l’un <strong>des</strong> huit Etats<br />

membres qui s’étai<strong>en</strong>t abst<strong>en</strong>us lors du vote sur <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration universelle <strong>des</strong> droits de<br />

l’homme et c’étai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> pays <strong>en</strong> voie de développem<strong>en</strong>t, comme le Chili, Cuba, Panama et<br />

les Philippines qui prir<strong>en</strong>t l’initiative de <strong>la</strong> rédaction <strong>des</strong> principaux docum<strong>en</strong>ts sur lesquels se<br />

base le Pacte international re<strong>la</strong>tif aux droits économiques, sociaux et culturels.<br />

Depuis <strong>la</strong> première publication de <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration universelle et de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne<br />

<strong>des</strong> droits de l’homme, il y a eu un vif débat sur le statut <strong>des</strong> droits économiques et sociaux<br />

par rapport à celui <strong>des</strong> droits civils et politiques. Ce débat porte, depuis lors, sur un certain<br />

nombre de questions et de problèmes :<br />

111


Les droits civils et politiques sont-ils plus importants que les droits économiques et<br />

sociaux ?<br />

Les droits économiques et sociaux constitu<strong>en</strong>t-ils vraim<strong>en</strong>t <strong>des</strong> déc<strong>la</strong>rations sur les<br />

besoins <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s dans un monde idéal plutôt que <strong>des</strong> normes et droits qui doiv<strong>en</strong>t être<br />

garantis <strong>pour</strong> tous, qu’un gouvernem<strong>en</strong>t dispose ou non <strong>des</strong> ressources nécessaires ?<br />

Si un gouvernem<strong>en</strong>t a été élu démocratiquem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> réduire les dép<strong>en</strong>ses publiques<br />

d’éducation, de logem<strong>en</strong>t social et de soins de santé, ne serait-il pas antidémocratique<br />

que les tribunaux int<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t une action contre lui <strong>pour</strong> vio<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> droits<br />

économiques et sociaux <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s ?<br />

Nous n’avons pas <strong>la</strong> possibilité ici d’examiner toutes ces questions dans le détail. Nous nous<br />

cont<strong>en</strong>terons d’esquisser ici différ<strong>en</strong>ts points de vue et de <strong>la</strong>isser le soin au lecteur de choisir<br />

celui avec lequel il se s<strong>en</strong>t <strong>en</strong> accord.<br />

Les droits civils et politiques sont-ils plus importants que les droits économiques<br />

et sociaux ?<br />

On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d souv<strong>en</strong>t que les droits re<strong>la</strong>tifs à <strong>la</strong> liberté <strong>des</strong> personnes sont les plus importants et<br />

que les principaux sont l’interdiction de <strong>la</strong> torture et de l’esc<strong>la</strong>vage, ainsi que le droit à un<br />

procès équitable. Il s’agit certes <strong>des</strong> droits civils qui ne sont assortis d’aucune condition, alors<br />

même que les Conv<strong>en</strong>tions re<strong>la</strong>tives aux Droits de l’homme peuv<strong>en</strong>t exprimer certaines<br />

conditions à l’exercice par les individus de certains droits civils ou politiques particuliers. Par<br />

exemple, dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> pays, les <strong>en</strong>fants et les jeunes de moins de 18 ans n’ont pas le<br />

droit de vote. La liberté d’expression ne signifie pas que nous pouvons injurier ou calomnier<br />

quelqu’un sans conséqu<strong>en</strong>ces juridiques ou que nous pouvons transmettre <strong>des</strong> informations<br />

susceptibles de porter atteinte à <strong>la</strong> sécurité nationale. Cep<strong>en</strong>dant, il est communém<strong>en</strong>t admis<br />

qu’il est impossible de vivre dignem<strong>en</strong>t, comme une personne libre et autonome, <strong>en</strong> étant<br />

torturé et traité comme un esc<strong>la</strong>ve, ou même sous <strong>la</strong> simple m<strong>en</strong>ace de <strong>la</strong> torture ou de<br />

l’esc<strong>la</strong>vage.<br />

Certains de ceux qui affirm<strong>en</strong>t que les droits civils et politiques sont les plus importants<br />

considèr<strong>en</strong>t plutôt les droits économiques et sociaux comme <strong>des</strong> «droits de seconde c<strong>la</strong>sse ».<br />

Ils <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t par là les droits que les gouvernem<strong>en</strong>ts ne peuv<strong>en</strong>t garantir que s’ils dispos<strong>en</strong>t de<br />

ressources suffisantes. Ils considèr<strong>en</strong>t aussi que les gouvernem<strong>en</strong>ts devrai<strong>en</strong>t accorder à ces<br />

droits une priorité moindre qu’aux droits civils et politiques.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, d’autres affirm<strong>en</strong>t que les droits économiques et sociaux sont aussi importants que<br />

les droits civils et politiques. Selon eux, on ne peut vivre une <strong>vie</strong> digne d’être vécue, on ne<br />

peut s’épanouir ni être libre et indép<strong>en</strong>dant si on n’a pas assez à manger, pas de logem<strong>en</strong>t, si<br />

on vit dans <strong>des</strong> conditions d’extrême pauvreté et si on ne sait ni lire ni écrire. En outre,<br />

affirm<strong>en</strong>t-ils, si on vit dans ces conditions <strong>la</strong>m<strong>en</strong>tables et si on ne dispose pas du minimum<br />

vital, on n’est probablem<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong> mesure d’exercer ses droits civils et politiques.<br />

Les droits économiques et sociaux sont-ils vraim<strong>en</strong>t <strong>des</strong> déc<strong>la</strong>rations sur les<br />

besoins <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s dans un monde idéal, plutôt que <strong>des</strong> droits universels ?<br />

A l’évid<strong>en</strong>ce, d’une certaine façon, <strong>la</strong> réponse à cette question est re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t c<strong>la</strong>ire. La<br />

plupart <strong>des</strong> pays du monde ont signé <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration <strong>des</strong> droits de l’homme <strong>des</strong> Nations unies<br />

et ratifié <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels et cette<br />

dernière fait partie du droit international depuis 1976. Donc, il s’agit de droits tout<br />

simplem<strong>en</strong>t parce que le droit international <strong>en</strong> dispose ainsi.<br />

112


Mais certains continu<strong>en</strong>t à objecter que les droits économiques et sociaux ne constitu<strong>en</strong>t pas<br />

<strong>des</strong> droits au même titre que les droits civils et politiques et, de fait, même dans <strong>des</strong> pays<br />

parmi les plus développés du monde, certains droits économiques et sociaux ne sont pas<br />

appliqués ou garantis aussi strictem<strong>en</strong>t que les droits civils et politiques. Ces critiques t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<br />

à se partager <strong>en</strong> deux camps. La position <strong>la</strong> plus extrême consiste à dire que ces droits sont<br />

<strong>des</strong> normes universelles applicables à tous <strong>en</strong> toutes circonstances. Mais alors, affirm<strong>en</strong>t-ils,<br />

de ce point de vue, les droits économiques et sociaux ne sont pas universels. Le droit de<br />

constituer un syndicat ou d’y adhérer ne s’applique qu’aux sa<strong>la</strong>riés d’industries dans<br />

lesquelles il est possible que <strong>la</strong> main d’œuvre s’organise <strong>en</strong> syndicat. Le droit aux soins de<br />

santé ne s’applique qu’aux personnes qui sont ma<strong>la</strong><strong>des</strong>. Le droit au logem<strong>en</strong>t social ne<br />

s’applique qu’à ceux qui sont incapables de se procurer un logem<strong>en</strong>t, <strong>pour</strong> eux mêmes et <strong>pour</strong><br />

leurs familles, etc.<br />

Ceux qui déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t ce point de vue <strong>pour</strong>suiv<strong>en</strong>t leur argum<strong>en</strong>tation <strong>en</strong> affirmant qu’il est<br />

injuste d’exiger <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s qui assur<strong>en</strong>t leur subsistance et celle de leur famille une contribution<br />

financière <strong>pour</strong> subv<strong>en</strong>ir aux besoins <strong>des</strong> autres. Un exemple caractéristique de ce point de<br />

vue consiste à contester le fait que les personnes n’ayant pas d’<strong>en</strong>fants doiv<strong>en</strong>t contribuer à<br />

l’éducation <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants <strong>des</strong> autres avec leurs impôts.<br />

Une réponse courante, faite à ceux à ceux affirmant que les droits économiques et sociaux ne<br />

sont pas <strong>des</strong> droits au s<strong>en</strong>s habituel, est que l’usage du mot « universel » prête à confusion.<br />

Selon cette conception, un droit est universel, non parce que tout le monde l’exerce, mais<br />

parce que tout le monde <strong>pour</strong>rait l’exercer s’il <strong>en</strong> avait besoin. Nombre de g<strong>en</strong>s ne seront<br />

jamais arrêtés par <strong>la</strong> police ou accusés d’un crime, ils n’auront donc pas besoin d’invoquer le<br />

droit à un procès équitable. De <strong>la</strong> même façon, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s ne seront jamais confrontés<br />

à <strong>la</strong> torture ou à l’esc<strong>la</strong>vage. Ce qui r<strong>en</strong>d ces droits universels, c’est le fait que tout le monde<br />

puisse les invoquer si il <strong>en</strong> a besoin. Ce qui est important ici c’est le mot « si ».<br />

Ceux qui affirm<strong>en</strong>t que les droits économiques et sociaux ont <strong>la</strong> même valeur que les droits<br />

civils et politiques font remarquer que les droits sont une protection contre les décisions<br />

arbitraires de ceux qui sont au pouvoir ou ont autorité sur nous. Au cours <strong>des</strong> deux siècles<br />

derniers, on s’est battu <strong>pour</strong> <strong>la</strong> reconnaissance <strong>des</strong> droits civils et politiques, justem<strong>en</strong>t parce<br />

que ceux qui gouvernai<strong>en</strong>t exerçai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t leurs pouvoirs de façon arbitraire. Des<br />

individus étai<strong>en</strong>t punis <strong>pour</strong> avoir dit <strong>des</strong> choses qui dép<strong>la</strong>isai<strong>en</strong>t aux gouvernants ou<br />

simplem<strong>en</strong>t jetés et <strong>la</strong>issés <strong>en</strong> prison sans procès équitable ni digne de ce nom.<br />

Ils <strong>pour</strong>suiv<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t leur argum<strong>en</strong>tation <strong>en</strong> affirmant qu’il <strong>en</strong> va de même <strong>pour</strong> les<br />

droits économiques et sociaux. Ces droits universels exist<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> que les autorités ne<br />

puiss<strong>en</strong>t décider arbitrairem<strong>en</strong>t qui peut bénéficier ou non d’un traitem<strong>en</strong>t médical, d’une<br />

éducation et d’un logem<strong>en</strong>t social. C’est <strong>pour</strong>quoi le droit international et les droits nationaux<br />

<strong>en</strong> matière économique et sociale comport<strong>en</strong>t habituellem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> mesures <strong>des</strong>tinées à éviter<br />

les discriminations contre les minorités et d’autres groupes de <strong>la</strong> société dans l’accès aux<br />

services publics.<br />

Une critique plus modérée de <strong>la</strong> nature <strong>des</strong> droits économiques et sociaux consiste à dire qu’il<br />

y a <strong>des</strong> objectifs ou idéaux que tout gouvernem<strong>en</strong>t devrait chercher à atteindre mais qu’il ne<br />

peut y arriver que progressivem<strong>en</strong>t, au fur et à mesure que le pays s’industrialise, s’<strong>en</strong>richit et<br />

comm<strong>en</strong>ce à disposer <strong>des</strong> ressources financières et économiques nécessaires. Les déf<strong>en</strong>seurs<br />

de ce point de vue font généralem<strong>en</strong>t remarquer que le Pacte international re<strong>la</strong>tif aux droits<br />

économiques, sociaux et culturels impose aux gouvernem<strong>en</strong>ts d’ « agir… …au maximum de<br />

ses ressources disponibles, <strong>en</strong> vue d'assurer progressivem<strong>en</strong>t le plein exercice <strong>des</strong> droits. »<br />

Ils affirm<strong>en</strong>t que cette déc<strong>la</strong>ration montre qu’il y une différ<strong>en</strong>ce de statut très c<strong>la</strong>ire <strong>en</strong>tre les<br />

droits économiques et sociaux, d’une part, et les droits civils et politiques, de l’autre. On<br />

113


att<strong>en</strong>d de tous les pays le respect de ces derniers, mais seulem<strong>en</strong>t une introduction progressive<br />

<strong>des</strong> droits économiques et sociaux, quand ils ont atteint un niveau de développem<strong>en</strong>t suffisant<br />

<strong>pour</strong> pouvoir se le permettre. On considère donc que le gouvernem<strong>en</strong>t d’un pays <strong>en</strong> voie de<br />

développem<strong>en</strong>t n’est pas <strong>en</strong> mesure de faire <strong>en</strong> sorte que tous ces droits soi<strong>en</strong>t garantis et qu’il<br />

se peut même que le gouvernem<strong>en</strong>t d’un pays développé ait les mêmes problèmes p<strong>en</strong>dant<br />

une crise économique. En effet, p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> récession <strong>des</strong> années 80, certains pays d’<strong>Europe</strong> de<br />

l’Ouest ont apporté certaines restrictions aux droits <strong>des</strong> syndicats.<br />

Ceux qui ne sont pas d’accord avec ce point de vue répond<strong>en</strong>t que <strong>la</strong> phrase «d'assurer<br />

progressivem<strong>en</strong>t le plein exercice <strong>des</strong> droits » ne concerne que certains, et non pas tous les<br />

droits économiques et sociaux, et que tous les gouvernem<strong>en</strong>ts, quel que soit le niveau de<br />

développem<strong>en</strong>t économique de leurs pays, doiv<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> mesures <strong>des</strong>tinées à mettre fin<br />

à <strong>la</strong> discrimination et à l’arbitraire de <strong>la</strong> part <strong>des</strong> autorités <strong>en</strong> matière d’accès aux services<br />

publics.<br />

Ceux-là affirm<strong>en</strong>t aussi que l’expression «au maximum de ses ressources disponibles » ne<br />

signifie pas que les gouvernem<strong>en</strong>ts peuv<strong>en</strong>t s’<strong>en</strong> servir comme excuse <strong>pour</strong> ne pas agir avant<br />

d’avoir une économie développée ou <strong>des</strong> conditions économiques plus favorables. Ce<strong>la</strong><br />

signifie que les gouvernem<strong>en</strong>ts doiv<strong>en</strong>t assurer au moins un niveau minimum de protection<br />

sociale et économique <strong>pour</strong> ceux qui meur<strong>en</strong>t de faim, les sans abris et ceux qui souffr<strong>en</strong>t de<br />

ma<strong>la</strong>dies graves qui <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t être soignées. En outre, le même point de vue souti<strong>en</strong>t que<br />

quand un gouvernem<strong>en</strong>t n’est pas <strong>en</strong> mesure de réagir efficacem<strong>en</strong>t face à une catastrophe,<br />

comme une famine, alors <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion internationale impose aux autres pays de lui apporter<br />

aide et assistance technique.<br />

Les droits économiques et sociaux sont-ils antidémocratiques ?<br />

Si l’Etat viole les droits civils et politiques d’une personne, cette dernière peut saisir <strong>la</strong> justice.<br />

Si les juges décid<strong>en</strong>t que les droits de cette personne ont été violés, ils peuv<strong>en</strong>t demander au<br />

gouvernem<strong>en</strong>t de pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> mesures <strong>pour</strong> corriger cette situation. Mais, comme l’affirm<strong>en</strong>t<br />

certains, les partis politiques ne sont <strong>en</strong> général pas d’accord sur <strong>la</strong> part du budget national<br />

qu’il faut consacrer à l’éducation, <strong>la</strong> santé, <strong>la</strong> sécurité sociale, le logem<strong>en</strong>t social etc.. Si <strong>des</strong><br />

juges v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à décider que les dép<strong>en</strong>ses d’éducation ou de logem<strong>en</strong>t social n’étai<strong>en</strong>t pas<br />

suffisantes et obligeai<strong>en</strong>t un gouvernem<strong>en</strong>t élu démocratiquem<strong>en</strong>t à dép<strong>en</strong>ser plus <strong>pour</strong> un<br />

service public donné, ce serait antidémocratique. Ainsi, ceux qui critiqu<strong>en</strong>t les droits<br />

économiques et sociaux y voi<strong>en</strong>t une raison de plus de les considérer comme <strong>des</strong> « droits de<br />

seconde c<strong>la</strong>sse » par rapport aux droits civils et politiques.<br />

A l’inverse, une autre approche ferait remarquer que, dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s<br />

libérales, <strong>des</strong> personnes peuv<strong>en</strong>t dès à prés<strong>en</strong>t int<strong>en</strong>ter un recours <strong>en</strong> justice si elles p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t<br />

qu’une décision de l’administration, discriminatoire <strong>en</strong>vers un groupe ethnique ou religieux,<br />

les empêche d’accéder à <strong>des</strong> soins de santé suffisants ou à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> leurs <strong>en</strong>fants.<br />

D’autres affirm<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t qu’il y a d’autres situations dans lesquelles les juges ont le droit<br />

d’interv<strong>en</strong>ir et de demander au gouvernem<strong>en</strong>t de pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> mesures. Il s’agit <strong>des</strong> cas où un<br />

individu ou un groupe ne dispose pas du minimum nécessaire <strong>pour</strong> vivre, comme un abri, de<br />

<strong>la</strong> nourriture et <strong>des</strong> soins médicaux. Alors, dis<strong>en</strong>t-ils, ces personnes devrai<strong>en</strong>t pouvoir saisir <strong>la</strong><br />

justice et celle-ci décider que le gouvernem<strong>en</strong>t a une obligation d’aider ces personnes, <strong>en</strong><br />

vertu du droit national et du droit international.<br />

Cette question reste controversée. A titre d’exemple, imaginons qu’un ouragan ait détruit les<br />

logem<strong>en</strong>ts d’un groupe de popu<strong>la</strong>tion. Des personnes vont alors s’installer sur <strong>des</strong> terrains<br />

disponibles et y mettre <strong>des</strong> t<strong>en</strong>tes <strong>pour</strong> s’abriter. Le propriétaire <strong>des</strong> terrains demande alors à<br />

<strong>la</strong> police d’évacuer ces individus parce qu’il veut construire sur ces lieux. Supposons alors<br />

que les interessés demand<strong>en</strong>t au gouvernem<strong>en</strong>t de les aider et que celui-ci refuse au motif<br />

114


qu’il ne dispose pas <strong>des</strong> ressources nécessaires (il craint que ce<strong>la</strong> ne crée un précéd<strong>en</strong>t dans un<br />

pays où il y a régulièrem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> ouragans). Les personnes <strong>en</strong> cause <strong>en</strong> sont réduites à essayer<br />

d’obt<strong>en</strong>ir de l’aide d’organisations de bi<strong>en</strong>faisance ou d’ag<strong>en</strong>ces internationales. Un avocat<br />

<strong>of</strong>fre son aide à ce groupe de personnes et saisit <strong>la</strong> Cour suprême de l’affaire. Les juges<br />

estim<strong>en</strong>t qu’<strong>en</strong> vertu de <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion internationale, le gouvernem<strong>en</strong>t a le devoir de fournir<br />

<strong>des</strong> abris d’urg<strong>en</strong>ce <strong>pour</strong> l’<strong>en</strong>semble du groupe, jusqu’à ce que ces personnes soi<strong>en</strong>t à<br />

nouveau <strong>en</strong> mesure de subv<strong>en</strong>ir à leurs besoins et de retourner dans leurs logem<strong>en</strong>ts<br />

reconstruits. Est-ce que ce<strong>la</strong> serait antidémocratique ? Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>se le lecteur?<br />

115


ETUDE DE CAS 11 : La fin du communisme a-t-elle aggravé <strong>la</strong><br />

situation <strong>des</strong> personnes âgées et vulnérables ?<br />

Robert Stradling<br />

Chronologie<br />

19-22 août 1991 : T<strong>en</strong>tative de coup d’état <strong>en</strong> Union soviétique p<strong>en</strong>dant que M. Gorbatchev,<br />

Présid<strong>en</strong>t de l’Union soviétique, est <strong>en</strong> vacances <strong>en</strong> Crimée. Les putschistes <strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

tanks dans le c<strong>en</strong>tre de Moscou <strong>pour</strong> m<strong>en</strong>acer le bâtim<strong>en</strong>t du Parlem<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> Maison b<strong>la</strong>nche.<br />

Des milliers de Russes s’y r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> le déf<strong>en</strong>dre. Boris Yeltsin, Présid<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> République<br />

socialiste, fédérative, soviétique de Russie, déc<strong>la</strong>re que ce coup d’état est un acte criminel. Par<br />

<strong>la</strong> suite, ses auteurs seront arrêtés.<br />

24 août 1991 : M. Gorbatchev retourne à Moscou et démissionne de son poste de Secrétaire<br />

général du Parti communiste mais conserve son poste de Présid<strong>en</strong>t de l’Union soviétique.<br />

Août 1991 : La Banque mondiale approuve un fonds fiduciaire spécial de 50 millions de $<br />

<strong>pour</strong> apporter une assistance technique à l’Union soviétique et sout<strong>en</strong>ir ses réformes<br />

économiques.<br />

25 décembre 1991 : M. Gorbatchev démissionne de son poste de présid<strong>en</strong>t. L’Union<br />

soviétique cesse d’exister.<br />

Juillet 1992 : La Fédération de Russie adhère à <strong>la</strong> Banque mondiale et au Fonds monétaire<br />

international (FMI) <strong>pour</strong> obt<strong>en</strong>ir davantage d’assistance financière et technique.<br />

1991-1995 : La Fédération de Russie, dirigée par M. Yeltsin, obti<strong>en</strong>t d’importants prêts<br />

internationaux et attire <strong>des</strong> investissem<strong>en</strong>ts étrangers. Un petit nombre d’«oligarques »<br />

rachèt<strong>en</strong>t <strong>des</strong> <strong>en</strong>treprises d’Etat à très bas prix et de<strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t milliardaires. Les conditions de<br />

<strong>vie</strong> <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s ordinaires empir<strong>en</strong>t plutôt qu’elles ne s’amélior<strong>en</strong>t. Sur <strong>la</strong> période, le produit<br />

intérieur brut chute de 40%, le chômage et l’inf<strong>la</strong>tion augm<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t. Nombre de g<strong>en</strong>s voi<strong>en</strong>t<br />

leurs économies disparaître, les personnes à bas sa<strong>la</strong>ire ou à rev<strong>en</strong>u fixe, comme les retraités,<br />

sont particulièrem<strong>en</strong>t touchées.<br />

1997 –1998 : Une crise financière <strong>en</strong> Asie conduit à une baisse sévère <strong>des</strong> prix du pétrole et<br />

d’autres matières premières. La Russie <strong>en</strong> est gravem<strong>en</strong>t affectée puisque le pétrole, le gaz<br />

naturel et les minerais représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t 80% de ses exportations. La baisse soudaine <strong>des</strong> rev<strong>en</strong>us<br />

d’exportation provoque une crise financière. L’inf<strong>la</strong>tion grimpe à 84%, <strong>des</strong> banques fermes,<br />

les charges du système de protection sociale s’accroiss<strong>en</strong>t.<br />

13 juillet 1998 : Le FMI et <strong>la</strong> Banque mondiale approuv<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>semble de mesures de<br />

souti<strong>en</strong> aux réformes économiques <strong>en</strong> Russie <strong>pour</strong> un total de 22,6 milliards de $. L’une <strong>des</strong><br />

réformes exigées <strong>en</strong> contrepartie consiste à modifier l’anci<strong>en</strong> système de protection sociale<br />

soviétique afin de le rediriger vers les plus nécessiteux.<br />

1999-2000 : L’économie russe comm<strong>en</strong>ce à se redresser, <strong>en</strong> partie grâce à l’aide financière<br />

internationale, mais aussi grâce à l’augm<strong>en</strong>tation <strong>des</strong> prix du pétrole.<br />

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2001-2004 : Premières réformes <strong>des</strong> prestations sociales <strong>en</strong> 2004 et préparation d’un<br />

programme de réformes plus ambitieux. Cep<strong>en</strong>dant le gouvernem<strong>en</strong>t craint que ces réformes<br />

ne provoqu<strong>en</strong>t <strong>la</strong> colère de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, après ce qu’il est adv<strong>en</strong>u de l’épargne, <strong>des</strong> retraites<br />

et de <strong>la</strong> sécurité de l’emploi dans les années 1990.<br />

29 juillet 2004 : Plusieurs milliers de retraités, d’anci<strong>en</strong>s combattants, de handicapés et de<br />

victimes de Tchernobyl se rassembl<strong>en</strong>t à Moscou <strong>pour</strong> manifester contre les projets du<br />

Kremlin de remp<strong>la</strong>cer les prestations et avantages sociaux par <strong>des</strong> versem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> espèces.<br />

3-5 août 2004 : La Douma de <strong>la</strong> Fédération de Russie approuve <strong>la</strong> Loi fédérale 122 par 304<br />

voix contre 120. Le Parti communiste, Rodina (Parti de <strong>la</strong> patrie) et <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> députés<br />

indép<strong>en</strong>dants ont voté contre. Cette nouvelle loi remp<strong>la</strong>ce beaucoup de prestations et<br />

avantages sociaux hérités de l’ère soviétique par <strong>des</strong> versem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> espèce. Les groupes<br />

sociaux les plus dép<strong>en</strong>dants de ces prestations et avantages étai<strong>en</strong>t les retraités, les<br />

handicapés, les anci<strong>en</strong>s combattants, les victimes de Tchernobyl et de nombreux<br />

fonctionnaires, notamm<strong>en</strong>t de l’armée, de <strong>la</strong> police et <strong>des</strong> douanes.<br />

22 août 2004 : Le Présid<strong>en</strong>t Poutine signe <strong>la</strong> Loi fédérale numéro 122-FZ, connue sous le<br />

nom de Loi de monétarisation.<br />

1 er jan<strong>vie</strong>r 2005 : La Loi fédérale 122 <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> application. Des augm<strong>en</strong>tations importantes<br />

<strong>des</strong> prix <strong>des</strong> transports et <strong>des</strong> charges de logem<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t effet le même jour. La plupart <strong>des</strong><br />

g<strong>en</strong>s ne ress<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t pas immédiatem<strong>en</strong>t les effets de ces changem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> raison <strong>des</strong> longues<br />

vacances de début d’année <strong>en</strong> Russie.<br />

9 jan<strong>vie</strong>r : A Saint-Pétersbourg, <strong>des</strong> milliers de retraités défil<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> protester contre les<br />

réformes. Leur manifestation est organisée de façon à coïncider avec l’anniversaire du<br />

massacre <strong>des</strong> ouvriers de Saint-Pétersbourg qui a fait éc<strong>la</strong>ter <strong>la</strong> révolution de 1905.<br />

10 jan<strong>vie</strong>r : Les manifestations comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à faire tache d’huile quand les russes repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

le travail après les vacances du Nouvel An. Plusieurs c<strong>en</strong>taines de manifestants arrêt<strong>en</strong>t <strong>la</strong><br />

circu<strong>la</strong>tion sur l’autoroute reliant Moscou à son aéroport international. A Kaliningrad, <strong>des</strong><br />

ag<strong>en</strong>ts de police refus<strong>en</strong>t de payer <strong>pour</strong> pr<strong>en</strong>dre le bus. Le l<strong>en</strong>demain, à Toliatti, où sont<br />

imp<strong>la</strong>ntées les usines Lada, <strong>des</strong> retraités t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de pénétrer dans le bureau du maire <strong>pour</strong><br />

protester contre <strong>la</strong> perte de leurs prestations sociales. D’autres manifestations de retraités ont<br />

lieu dans toute <strong>la</strong> Russie, certaines consistant à bloquer <strong>des</strong> autoroutes.<br />

18-19 jan<strong>vie</strong>r : Le gouvernem<strong>en</strong>t russe alloue 105 milliards de roubles à l’augm<strong>en</strong>tation <strong>des</strong><br />

retraites et <strong>des</strong> subv<strong>en</strong>tions <strong>des</strong> prix <strong>des</strong> transports <strong>pour</strong> les retraités, ainsi que <strong>pour</strong> les<br />

fonctionnaires de <strong>la</strong> police et de l’armée (qui voyageai<strong>en</strong>t tous gratuitem<strong>en</strong>t dans les<br />

transports publics avant <strong>la</strong> réforme). Ces dép<strong>en</strong>ses sont financées par l’augm<strong>en</strong>tation <strong>des</strong> prix<br />

du pétrole. A Moscou, le ministre fédéral <strong>des</strong> finances, Alexeï Koudrine, affirme que les<br />

manifestations ont été organisées par le Parti communiste et le Parti national bolchevique. Le<br />

chef du Parti national bolchevique, Edouard Limonov, déc<strong>la</strong>re à Ekho Moskvy, une station de<br />

radio indép<strong>en</strong>dante, qu’il n’est pas au courant mais qu’il serait ravi que ce soit vrai.<br />

20-21 jan<strong>vie</strong>r : La couverture <strong>des</strong> manifestations par <strong>la</strong> télévision conduit à l’organisation<br />

d’autres manifestations dans de nombreuses villes de Russie, ainsi qu’à <strong>des</strong> barrages de routes<br />

importantes et d’artères dans les c<strong>en</strong>tres-villes. Les employés <strong>des</strong> transports publics se<br />

p<strong>la</strong>ign<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> façon dont ils sont traités par les fonctionnaires de <strong>la</strong> police et de l’armée. A<br />

Tou<strong>la</strong>, on compte 40 attaques de conducteurs de bus et de tramways <strong>en</strong> seulem<strong>en</strong>t trois jours.<br />

117


Février 2005 : Certaines régions annonc<strong>en</strong>t qu’elles vont maint<strong>en</strong>ir provisoirem<strong>en</strong>t certaines<br />

prestations et certains avantages sociaux, afin de réduire les t<strong>en</strong>sions. Le 1 er février, <strong>la</strong> plupart<br />

<strong>des</strong> consommateurs s’aperçoiv<strong>en</strong>t que leurs factures d’électricité, de chauffage et d’eau ont<br />

considérablem<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>té.<br />

Mars – juin 2005 : Les manifestations se <strong>pour</strong>suiv<strong>en</strong>t, souv<strong>en</strong>t sout<strong>en</strong>ues par <strong>des</strong> partis<br />

politiques d’opposition, elles sont particulièrem<strong>en</strong>t importantes à Moscou et dans sa région,<br />

dans les régions de Volgograd et de Nijny Novgorod, ainsi qu’<strong>en</strong> Bachkirie.<br />

2005 – 2006 : Dans <strong>la</strong> pratique, les autorités régionales agiss<strong>en</strong>t avec une grande prud<strong>en</strong>ce.<br />

Fin 2006, un système mixte, avec <strong>des</strong> versem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> espèces et certains avantages <strong>en</strong> nature<br />

existe <strong>en</strong>core dans certaines régions de <strong>la</strong> Fédération de Russie.<br />

Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Au cours de <strong>la</strong> deuxième moitié du 20 e siècle, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s libérales ont instauré<br />

un système de protection sociale garantissant au moins un minimum de prestations de base et<br />

de soins de santé. Les pays socialistes avai<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t instauré un système garantissant à<br />

tous l’accès aux soins de santé, un logem<strong>en</strong>t et un emploi, mais d’autres droits sociaux,<br />

comme le droit de grève, n’étai<strong>en</strong>t pas toujours garantis. Dans le système soviétique, tout le<br />

monde bénéficiait de prix bas et subv<strong>en</strong>tionnés <strong>pour</strong> le logem<strong>en</strong>t, l’eau, l’électricité et le gaz.<br />

Certaines catégories de citoy<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t droit à un <strong>en</strong>semble de prestations et avantages<br />

sociaux (lgoty). Ces prestations étai<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t fournies <strong>en</strong> nature plutôt que sous forme<br />

de versem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> espèces (transports publics gratuits ou subv<strong>en</strong>tionnés, soins de santé et soins<br />

d<strong>en</strong>taires, cures, combustibles soli<strong>des</strong>, téléphone etc.).<br />

P<strong>en</strong>dant l’ère soviétique, il y avait trois catégories principales de bénéficiaires de ces<br />

prestations :<br />

• Les «défavorisés méritants », ceux qui avai<strong>en</strong>t besoin d’assistance sans que ce soit de<br />

leur faute (c’est-à-dire les handicapés, les retraités, les personnes disposant de<br />

rev<strong>en</strong>us très bas);<br />

• ceux qui avai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>du <strong>des</strong> services particuliers à leur pays (c’est-à-dire les anci<strong>en</strong>s<br />

combattants, ceux qui s’étai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dus sur le site de <strong>la</strong> c<strong>en</strong>trale nucléaire de<br />

Tchernobyl <strong>pour</strong> nettoyer après <strong>la</strong> catastrophe) ;<br />

• ceux qui travail<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> l’Etat et <strong>pour</strong> qui ces prestations constituai<strong>en</strong>t un<br />

supplém<strong>en</strong>t de sa<strong>la</strong>ire masqué (par exemple, les fonctionnaires de <strong>la</strong> police, de<br />

l’armée et <strong>des</strong> administrations, etc.).<br />

Le passage de l’Etat socialiste à <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> libérale et d’une économie c<strong>en</strong>tralisée à une<br />

économie de marché a été long et douloureux. Les «oligarques » <strong>en</strong> ont pr<strong>of</strong>ité <strong>en</strong> achetant<br />

<strong>des</strong> <strong>en</strong>treprises d’Etat, notamm<strong>en</strong>t d’électricité, d’eau et de gaz, à <strong>des</strong> prix très bas. Beaucoup<br />

de g<strong>en</strong>s ont terriblem<strong>en</strong>t souffert p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> période de transition. L’inf<strong>la</strong>tion a réduit leurs<br />

économies à néant, <strong>la</strong> sécurité de l’emploi a disparu et il a fallu recomm<strong>en</strong>cer à faire <strong>la</strong> queue<br />

devant les magasins de produits alim<strong>en</strong>taires. Le pouvoir d’achat <strong>des</strong> retraités était inférieur à<br />

celui du temps du régime soviétique et de nombreuses usines payai<strong>en</strong>t leurs employés avec<br />

<strong>des</strong> marchandises au lieu d’arg<strong>en</strong>t. Les certitu<strong>des</strong> de l’époque communiste avai<strong>en</strong>t été<br />

remp<strong>la</strong>cées par une incertitude extrême.<br />

118


Dans certains groupes de <strong>la</strong> société, ce<strong>la</strong> conduisit à une nostalgie de quleques aspects, mais<br />

pas tous, du système soviétique. L’histori<strong>en</strong> Tony Judt citait un couple russe d’un certain âge<br />

disant lors d’une inter<strong>vie</strong>w :<br />

«Ce que nous voulons, c’est que notre <strong>vie</strong> soit aussi facile que du temps de l’Union<br />

soviétique, avec <strong>la</strong> garantie d’un av<strong>en</strong>ir bon et stable, ainsi que de prix bas, et <strong>en</strong><br />

même temps, cette liberté qui n’existait pas auparavant ».<br />

P<strong>en</strong>dant les années 1990, l’économie russe a souffert. La production a chuté, il a fallu<br />

importer de plus <strong>en</strong> plus et payer <strong>en</strong> devises, à <strong>des</strong> prix plus élevés <strong>en</strong> raison de l’inf<strong>la</strong>tion.<br />

Pour obt<strong>en</strong>ir <strong>des</strong> devises, les Russes devai<strong>en</strong>t exporter du pétrole, du gaz naturel et d’autres<br />

matières premières. A l’étranger, il y avait peu de débouchés <strong>pour</strong> les produits manufacturés<br />

russes comme les voitures Lada. La crise financière de <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années 1990 a <strong>en</strong>core<br />

aggravé <strong>la</strong> situation. La Banque mondiale et le FMI ont adopté un <strong>en</strong>semble de mesures<br />

d’aide financière <strong>en</strong> échange de réformes économiques. L’une <strong>des</strong> réformes demandées était<br />

<strong>la</strong> suppression <strong>des</strong> prestations et avantages sociaux et leur remp<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t par <strong>des</strong> versem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>en</strong> espèces.<br />

Ceux qui sout<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t les réformes, au sein du Gouvernem<strong>en</strong>t russe, à <strong>la</strong> Banque mondiale et<br />

au FMI p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t qu’elles permettrai<strong>en</strong>t de mieux cibler <strong>la</strong> protection sociale sur ceux qui <strong>en</strong><br />

avai<strong>en</strong>t besoin, que cette assistance ciblée serait moins chère que le système actuel, que le<br />

système dans son <strong>en</strong>semble serait plus transpar<strong>en</strong>t et vérifiable.<br />

Ils faisai<strong>en</strong>t les reproches suivants à l’anci<strong>en</strong> système :<br />

• Les prestations étai<strong>en</strong>t accordées sans pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> considération les besoins. Par exemple,<br />

plus un ménage était aisé plus l’allocation logem<strong>en</strong>t qu’il percevait était élevée. L’Institut<br />

indép<strong>en</strong>dant de politique sociale de Moscou estimait que les 10% les plus aisés de <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion recevai<strong>en</strong>t 20% du total <strong>des</strong> prestations alors que les 10% les plus pauvres<br />

n’<strong>en</strong> recevai<strong>en</strong>t que 4%.<br />

• On ne savait combi<strong>en</strong> de personnes faisai<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t usage de leurs prestations et<br />

avantages. Ainsi, il n’existait aucun moy<strong>en</strong> de vérifier combi<strong>en</strong> de retraités utilisai<strong>en</strong>t<br />

effectivem<strong>en</strong>t les transports publics et combi<strong>en</strong> de voyages ils effectuai<strong>en</strong>t<br />

quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t. Les services et sociétés de transports faisai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> estimations du coût<br />

financier de <strong>la</strong> gratuité <strong>pour</strong> les bénéficiaires, sans connaître véritablem<strong>en</strong>t ce coût,<br />

<strong>en</strong>suite les autorités régionales devai<strong>en</strong>t décider si ces estimations paraissai<strong>en</strong>t<br />

raisonnables et réalistes.<br />

• Etant donné l’état dans lequel se trouvait l’économie russe après <strong>la</strong> transition, <strong>la</strong> Banque<br />

mondiale et le FMI p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t que le gouvernem<strong>en</strong>t russe ne pouvait pas se permettre de<br />

maint<strong>en</strong>ir les prestations sociales au niveau fixé au début <strong>des</strong> années 1990, tout <strong>en</strong><br />

apportant les changem<strong>en</strong>ts nécessaires <strong>pour</strong> stimuler <strong>la</strong> croissance économique.<br />

Néanmoins, certains s’opposai<strong>en</strong>t aux réformes. Même au sein du Gouvernem<strong>en</strong>t, certains<br />

craignai<strong>en</strong>t que les réformes ne conduis<strong>en</strong>t au même type de mouvem<strong>en</strong>t popu<strong>la</strong>ire que celui<br />

qui avait conduit à <strong>la</strong> Révolution orange <strong>en</strong> Ukraine. D’autres p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t que le coût du<br />

remp<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> avantages <strong>en</strong> nature par <strong>des</strong> versem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> espèces serait trop élevé. Ils<br />

avai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> doutes quant à l’aptitude <strong>des</strong> administrations fédérales, régionales et<br />

locales, à distribuer efficacem<strong>en</strong>t ces nouvelles prestations. Ces opposants croyai<strong>en</strong>t qu’avec<br />

119


une inf<strong>la</strong>tion de 20% les versem<strong>en</strong>ts diminuerai<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> valeur réelle. Certains<br />

fir<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t remarquer que <strong>des</strong> hauts fonctionnaires du gouvernem<strong>en</strong>t conserverai<strong>en</strong>t<br />

leurs logem<strong>en</strong>ts subv<strong>en</strong>tionnés, datchas payées par l’Etat, voyages gratuits, soins de santé<br />

gratuits et p<strong>la</strong>ns de retraite.<br />

Dans <strong>la</strong> pratique, les changem<strong>en</strong>ts n’ont pas été aussi radicaux que prévu. Les manifestations<br />

am<strong>en</strong>èr<strong>en</strong>t certaines autorités locales et régionales à restaurer, au moins provisoirem<strong>en</strong>t, les<br />

prestations et avantages sociaux. Même les autorités régionales et locales qui appliquai<strong>en</strong>t les<br />

réformes optèr<strong>en</strong>t <strong>la</strong> plupart du temps <strong>pour</strong> un système mixte, avec <strong>des</strong> versem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> espèces<br />

et le mainti<strong>en</strong> de certains <strong>des</strong> avantages et prestations. Les porte-parole du gouvernem<strong>en</strong>t<br />

affirmai<strong>en</strong>t par ailleurs que le nouveau système avait amélioré <strong>la</strong> situation de <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong><br />

retraités et autres bénéficiaires <strong>des</strong> avantages. Selon eux, les manifestants étai<strong>en</strong>t induits <strong>en</strong><br />

erreur par <strong>des</strong> agitateurs et les partis d’opposition, surtout les communistes et le parti<br />

nationaliste de gauche, Rodina.<br />

Un sondage réalisé <strong>en</strong> 2006 indiquait qu’<strong>en</strong>viron 60% <strong>des</strong> retraités estimai<strong>en</strong>t que le rôle de<br />

l’Etat russe était de s’occuper <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s, près d’un tiers <strong>des</strong> personnes interrogées vou<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t<br />

un retour à l’économie p<strong>la</strong>nifiée et seulem<strong>en</strong>t 10% considérai<strong>en</strong>t que l’introduction de <strong>la</strong> libre<br />

<strong>en</strong>treprise devrait constituer une priorité <strong>pour</strong> le Gouvernem<strong>en</strong>t.<br />

Divers points de vue sur <strong>la</strong> question<br />

P<strong>en</strong>dant les premiers mois de l’année 2005, les médias d’information russes, surtout les<br />

médias indép<strong>en</strong>dants, étai<strong>en</strong>t remplis d’inter<strong>vie</strong>ws de personnes qui bénéficiai<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

prestations sociales et croyai<strong>en</strong>t que leur niveau de <strong>vie</strong> baisserait à cause de <strong>la</strong> Loi fédérale<br />

122-FZ (2004) :<br />

Nina Simyonova, une retraitée s’adressa ainsi à un groupe de manifestants, à l’extérieur<br />

de Moscou, le 15 jan<strong>vie</strong>r 2005 :<br />

«Beaucoup d’<strong>en</strong>tre nous ont <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants et <strong>des</strong> petits <strong>en</strong>fants <strong>en</strong> ville, mais maint<strong>en</strong>ant nous<br />

n’avons pas les moy<strong>en</strong>s d’aller les voir. Que sommes-nous c<strong>en</strong>sés faire, rester à <strong>la</strong> maison ? A<br />

qui <strong>la</strong> faute ? Aux responsables de ce pays, à comm<strong>en</strong>cer par Poutine. »<br />

Un retraité expliqua lors d’une autre manifestation :<br />

«Actuellem<strong>en</strong>t, avec mes avantages, je peux pr<strong>en</strong>dre le trolleybus <strong>pour</strong> aller faire mes<br />

courses. Je peux me r<strong>en</strong>dre sur un marché, puis sur un autre et même sur un troisième <strong>en</strong><br />

quête <strong>des</strong> produits alim<strong>en</strong>taires les moins chers. Si nos avantages disparaissai<strong>en</strong>t, je devrais<br />

payer mes tickets. Ce<strong>la</strong> me coûterait 40 roubles par jour. »<br />

Rafail Is<strong>la</strong>mgazin, un colonel de l’armée <strong>en</strong> retraite, déc<strong>la</strong>ra à <strong>la</strong> Komsomolskaïa<br />

Pravda :<br />

«Je touchais [l’équival<strong>en</strong>t d’] <strong>en</strong>viron 7 500 roubles sous forme d’avantages, mais je touche<br />

930 roubles <strong>en</strong> liquide alors que mes factures de gaz, d’électricité et d’eau ont augm<strong>en</strong>té de<br />

150%. Il faut vraim<strong>en</strong>t que l’Etat déteste ses déf<strong>en</strong>seurs <strong>pour</strong> les accabler de cette façon. »<br />

120


Un capitaine de police du Kraï de Krasnodar déc<strong>la</strong>ra au journal Novye Izvestiya :<br />

«La gratuité <strong>des</strong> transports n’était pas seulem<strong>en</strong>t le dernier avantage restant, mais une<br />

nécessité <strong>pour</strong> mon travail. Les ag<strong>en</strong>ts de police ordinaires n’ont pas de voiture à leur<br />

disposition et il faut att<strong>en</strong>dre longtemps <strong>pour</strong> obt<strong>en</strong>ir un véhicule de fonction. Ce<strong>la</strong> veut dire<br />

qu’on doit emprunter les transports plusieurs fois par jour à nos propres frais. Notre dernière<br />

augm<strong>en</strong>tation de sa<strong>la</strong>ire remonte à deux ans. »<br />

Les réactions <strong>of</strong>ficielles cherchèr<strong>en</strong>t à imputer les manifestations à une minorité d’agitateurs.<br />

Le Présid<strong>en</strong>t Poutine p<strong>en</strong>sa qu’on n’<strong>en</strong> avait pas fait suffisamm<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> préparer tout le<br />

monde aux réformes. Les députés de l’opposition voyai<strong>en</strong>t plutôt dans les manifestations le<br />

début d’un mouvem<strong>en</strong>t plus important.<br />

Le Ministre <strong>des</strong> finances Alexeï Koudrine, cité par Reuter, décrit les manifestants<br />

comme :<br />

[représ<strong>en</strong>tant seulem<strong>en</strong>t] « 1% de ceux qui bénéfici<strong>en</strong>t de prestations… Nous sommes sur une<br />

p<strong>en</strong>te très dangereuse. Pour se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, ils perturb<strong>en</strong>t les transports, bloqu<strong>en</strong>t <strong>des</strong> routes,<br />

gên<strong>en</strong>t l’économie de région et font du mal à ceux que les ambu<strong>la</strong>nces ne peuv<strong>en</strong>t aller<br />

chercher ».<br />

V<strong>la</strong>dimir Ryjkov, membre indép<strong>en</strong>dant de <strong>la</strong> Douma, dit :<br />

«Les premières manifestations étai<strong>en</strong>t spontanées. Mais maint<strong>en</strong>ant, on devrait voir plus de<br />

manifestations de masse organisées dans tout le pays. Les g<strong>en</strong>s, les personnes âgées, ont été<br />

poussés au désespoir par cette réforme. »<br />

Le journal Kommersant rapporte que le Présid<strong>en</strong>t Poutine avait dit :<br />

«Le gouvernem<strong>en</strong>t et les régions n’ont pas complètem<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>é à bi<strong>en</strong> <strong>la</strong> mission dont nous<br />

parlions, qui était de n’aggraver <strong>en</strong> aucune façon <strong>la</strong> situation de ceux qui sont dép<strong>en</strong>dants de<br />

l’assistance de l’Etat. »<br />

Le gouverneur <strong>en</strong> exercice de l’ob<strong>la</strong>st de Moscou, Alexeï Panteleïev, suggéra que les<br />

manifestations étai<strong>en</strong>t organisées par <strong>des</strong> provocateurs qui n’étai<strong>en</strong>t pas <strong>des</strong> retraités :<br />

«Nos services de répression ont <strong>des</strong> <strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>ts vidéo de tous ces g<strong>en</strong>s, <strong>en</strong> <strong>des</strong>sous de<br />

l’âge de <strong>la</strong> retraite, qui voyag<strong>en</strong>t d’une ville à l’autre <strong>pour</strong> inciter <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion à barrer <strong>des</strong><br />

rues et à commettre d’autres vio<strong>la</strong>tions de <strong>la</strong> loi. Ils sont dét<strong>en</strong>us légalem<strong>en</strong>t ».<br />

Igor Gaïdar, anci<strong>en</strong> Premier ministre russe, a été cité par le Financial Times du 17<br />

jan<strong>vie</strong>r 2005 :<br />

«La réforme n’a pas été étudiée dans le détail…le Gouvernem<strong>en</strong>t n’avait pas de position<br />

cohér<strong>en</strong>te, les calculs manquai<strong>en</strong>t de rigueur et le Conseil <strong>des</strong> ministres s’est <strong>la</strong>issé <strong>en</strong>traîner<br />

dans un débat public interminable qui a montré sa faiblesse.»<br />

121


Sergeï G<strong>la</strong>ziev, homme politique nationaliste, annonça ainsi son int<strong>en</strong>tion de proposer<br />

un refer<strong>en</strong>dum sur cette question :<br />

«Je p<strong>en</strong>se que ce<strong>la</strong> fera perdre à Poutine au moins <strong>la</strong> moitié de son électorat. Les g<strong>en</strong>s sont<br />

surpris. J’ai reçu <strong>des</strong> milliers de lettres. Nous constatons une grande frustration.»<br />

Cep<strong>en</strong>dant, les analystes économiques et sociaux exprimai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t leurs points de vue :<br />

Sergeï Smirnov de l’Institut de politique sociale à l’Ecole <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong> économiques<br />

dit :<br />

«Les autorités fédérales n’ont pas débattu du projet de réforme avec les régions, elles n’ont<br />

pas déterminé <strong>la</strong> répartition <strong>des</strong> responsabilités de façon précise et n’ont pas expliqué dans le<br />

détail le projet de versem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> prestations. »<br />

L’analyste économique, Stanis<strong>la</strong>v Belkovski, estimait que l’opposition aux réformes<br />

relevait au moins autant de l’émotivité que du raisonnem<strong>en</strong>t économique :<br />

«Le rôle de l’Etat, à <strong>la</strong> fois père et mère, a une importance capitale <strong>pour</strong> ce peuple…C’est<br />

beaucoup plus important que l’arg<strong>en</strong>t. »<br />

Li<strong>la</strong> Ovtcharova, analyste de <strong>la</strong> politique de santé à l’Institut de politique sociale de<br />

Moscou, déc<strong>la</strong>ra :<br />

«Le système russe <strong>des</strong> avantages n’a jamais été conçu <strong>pour</strong> aider les pauvres…les 10% les<br />

plus pauvres de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion ne reçoiv<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t que 4% <strong>des</strong> prestations alors que les<br />

10% les plus riches <strong>en</strong> reçoiv<strong>en</strong>t 20%. »<br />

En 2007, Anastassia Alexandrova, de l’Institut d’économie urbaine de Moscou, et<br />

Raymond Struyk, de Chemonics International à Washington, fir<strong>en</strong>t remarquer que :<br />

«On peut considérer que <strong>la</strong> réforme <strong>des</strong> avantages <strong>en</strong> nature <strong>en</strong> Russie constitue un progrès<br />

très limité par rapport à ce qui aurait pu être réalisé….une amélioration du mode de calcul,<br />

<strong>des</strong> progrès mo<strong>des</strong>tes vers un système de versem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> espèces et aucun progrès <strong>pour</strong> ce qui<br />

est du cib<strong>la</strong>ge les prestations [<strong>pour</strong>tant ce dont on avait le plus besoin], tout ce<strong>la</strong> ne va<strong>la</strong>it pas<br />

<strong>la</strong> peine au regard <strong>des</strong> difficultés de mise <strong>en</strong> œuvre et du coût politique.»<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Certaines personnes p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t que les droits civils et politiques sont universels et doiv<strong>en</strong>t être<br />

garantis <strong>pour</strong> tout le monde, mais que les droits économiques et sociaux (comme le droit<br />

d’adhérer à un syndicat ou le droit de faire grève ou <strong>en</strong>core l’égalité <strong>en</strong>tre homes et femmes<br />

<strong>en</strong> matière d’emploi) sont moins importants et qu’il n’y a pas de raison de les garantir par <strong>la</strong><br />

loi avant que l’économie du pays ne soit suffisamm<strong>en</strong>t développée <strong>pour</strong> fournir les ressources<br />

nécessaires. Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Voici un point de vue exprimé par certains observateurs et conseillers économiques, à<br />

l’époque de <strong>la</strong> transition politique et économique, après <strong>la</strong> fin du communisme, dans les<br />

années 1990 :<br />

122


«Quand <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts politiques et économiques majeurs s’impos<strong>en</strong>t, il y a<br />

toujours "<strong>des</strong> gagnants et <strong>des</strong> perdants". L’important est de réaliser ces changem<strong>en</strong>ts<br />

le plus vite et le plus efficacem<strong>en</strong>t possible, de façon à ce que l’économie du pays<br />

puisse se développer rapidem<strong>en</strong>t et que le gouvernem<strong>en</strong>t dispose bi<strong>en</strong>tôt <strong>des</strong><br />

ressources nécessaires <strong>pour</strong> aider ceux qui sont le plus affectés par les<br />

changem<strong>en</strong>ts ».<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

123


ETUDE DE CAS 12 : L’interv<strong>en</strong>tion de l’Etat a-t-elle permis de<br />

promouvoir efficacem<strong>en</strong>t le principe de l’égalité de<br />

rémunération <strong>pour</strong> un même travail ?<br />

Christopher Rowe<br />

Chronologie<br />

27 mars 1957 : L’article 141 du traité de Rome (Traité CE) consacre le principe de l’égalité<br />

de rémunération <strong>des</strong> hommes et <strong>des</strong> femmes <strong>pour</strong> un même travail.<br />

Avril 1970 : En Grande-Bretagne, le gouvernem<strong>en</strong>t travailliste fait adopter l’Equal Pay Act.<br />

(Loi sur l’égalité de rémunération). Elle <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> vigueur <strong>en</strong> 1975.<br />

10 février 1975 : La Directive 75/117/CE harmonise le droit <strong>des</strong> Etats membres <strong>en</strong> matière<br />

d’application du principe d’égalité de rémunération <strong>des</strong> hommes et <strong>des</strong> femmes.<br />

9 février 1976 : La Directive 76/207/CE met <strong>en</strong> oeuvre le principe d’égalité de traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

hommes et <strong>des</strong> femmes <strong>en</strong> matière d’accès à l’emploi, de formation pr<strong>of</strong>essionnelle, de<br />

promotion et de conditions de travail.<br />

20 décembre 1996 : La Directive 96/97/CE prévoit l’égalité de traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> travailleurs<br />

indép<strong>en</strong>dants hommes et femmes, elle protège les droits <strong>des</strong> femmes travailleuses<br />

indép<strong>en</strong>dantes p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> grossesse et le congé de maternité.<br />

2 octobre 1997 : Le Traité d’Amsterdam, qui modifie et met à jour le Traité CE de 1957, se<br />

fixe comme objectif d’intégrer l’égalité <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong> hommes dans toutes les activités<br />

de <strong>la</strong> Communauté europé<strong>en</strong>ne. Cette intégration (appelée « g<strong>en</strong>der mainstreaming»), est un<br />

«principe fondam<strong>en</strong>tal » de <strong>la</strong> Communauté. L’article 141 autorise <strong>la</strong> discrimination positive<br />

<strong>en</strong> faveur <strong>des</strong> femmes.<br />

Décembre 2000 : Le Programme d’action conjoint europé<strong>en</strong> sur l’égalité <strong>des</strong> chances (2001-<br />

2005) est conçu <strong>pour</strong> mettre <strong>en</strong> œuvre <strong>la</strong> Stratégie-cadre de <strong>la</strong> Communauté <strong>en</strong> matière<br />

d’égalité <strong>des</strong> sexes. Le thème de l’année 2001 est l’égalité de rémunération <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong><br />

hommes. Les priorités ultérieures sont notamm<strong>en</strong>t : l’équilibre <strong>en</strong>tre le travail et <strong>la</strong> <strong>vie</strong> de<br />

famille, les femmes <strong>en</strong> position de décideurs, <strong>en</strong>courager le changem<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong> répartition<br />

<strong>des</strong> rôles et surmonter les stéréotypes sexistes.<br />

Octobre 2004 : Dans un communiqué de presse conjoint à G<strong>en</strong>ève, <strong>la</strong> Confér<strong>en</strong>ce <strong>des</strong><br />

services publics europé<strong>en</strong>s et les Syndicats de l’éducation déc<strong>la</strong>r<strong>en</strong>t : «Malgré toute <strong>la</strong><br />

légis<strong>la</strong>tion <strong>en</strong> <strong>la</strong> matière, l’égalité de rémunération <strong>en</strong>tre femmes et hommes n’est pas <strong>en</strong>core<br />

une réalité <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>. Les femmes sont <strong>en</strong>core conc<strong>en</strong>trées dans les services publics, souv<strong>en</strong>t<br />

coincées dans <strong>des</strong> emplois sous-payés et dévalués. En tant que responsables <strong>des</strong> services<br />

publics europé<strong>en</strong>s, nous demandons d’investir dans ce qui est vraim<strong>en</strong>t important. Ce qu’il<br />

nous faut, ce n’est pas un souti<strong>en</strong> aveugle aux privatisations, mais une juste rémunération<br />

<strong>pour</strong> les emplois dévalués dans les services publics ».<br />

124


Février 2006 : Le Parlem<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong> approuve le principe de <strong>la</strong> création d’un Institut<br />

europé<strong>en</strong> de l’égalité <strong>des</strong> sexes.<br />

Décembre 2006 : Un rapport intérimaire de <strong>la</strong> British Equal Opportunities Commission<br />

déc<strong>la</strong>re : «La prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong>quête concerne les femmes pakistanaises, b<strong>en</strong>gali et noires<br />

antil<strong>la</strong>ises <strong>en</strong> Grande-Bretagne. Notre étude montre à quel point il est important de<br />

promouvoir l’égalité <strong>des</strong> chances dans le travail <strong>pour</strong> les femmes issues <strong>des</strong> minorités<br />

ethniques. Elle fait apparaître un déca<strong>la</strong>ge <strong>en</strong>tre les aspirations <strong>des</strong> jeunes femmes et leur<br />

capacité à trouver un travail correspondant à leurs compét<strong>en</strong>ces et aptitu<strong>des</strong>. »<br />

Jan<strong>vie</strong>r 2007 : Le journal The Guardian écrit ce qui suit à propos d’un procès qui a lieu <strong>en</strong><br />

2006 : «Jessica Starmer a gagné son procès <strong>en</strong> discrimination contre British Airways l’année<br />

dernière, après qu’on lui ait refusé de réduire son temps de travail <strong>pour</strong> qu’elle puisse<br />

s’occuper de sa fille de deux ans. Elle était l’une <strong>des</strong> 152 femmes pilotes, sur un total de 2 932<br />

pilotes employés par BA.»<br />

Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

La question de l’égalité de rémunération <strong>pour</strong> un même travail est un aspect du débat, plus<br />

<strong>la</strong>rge, sur l’égalité <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong> filles. Au cours du 20 e siècle, les attitu<strong>des</strong> ont évolué,<br />

non seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce qui concerne l’égalité <strong>des</strong> sexes, mais aussi l’égalité dans d’autres<br />

domaines (égalité raciale, droits <strong>des</strong> handicapés, fixation d’un minimum <strong>pour</strong> les bas sa<strong>la</strong>ires).<br />

Surtout depuis les années 1970, les interv<strong>en</strong>tions de l’Etat <strong>pour</strong> promouvoir l’égalité ont<br />

bénéficié d’un souti<strong>en</strong> général.<br />

Il y a eu un travail légis<strong>la</strong>tif important, <strong>des</strong>tiné à créer les conditions de l’égalité dans le<br />

travail, tant de <strong>la</strong> part de <strong>la</strong> Communauté europé<strong>en</strong>ne que <strong>des</strong> différ<strong>en</strong>ts Etats. Cep<strong>en</strong>dant, le<br />

principe de l’égalité de rémunération <strong>pour</strong> un même travail s’est avéré très difficile à mettre<br />

<strong>en</strong> oeuvre dans <strong>la</strong> pratique. En 1957, le Traité CE a consacré le principe de l’égalité de<br />

rémunération <strong>pour</strong> un même travail, p<strong>en</strong>dant les 50 ans qui ont suivi, de nombreuses<br />

modifications et directives ont été adoptées <strong>pour</strong> <strong>en</strong> faire une réalité. De nombreux<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts ont fait adopter <strong>des</strong> lois sur l’égalité de rémunération. Pourtant, malgré cette<br />

légis<strong>la</strong>tion, dans toute l’<strong>Europe</strong>, les rev<strong>en</strong>us moy<strong>en</strong>s <strong>des</strong> femmes rest<strong>en</strong>t inférieurs à ceux <strong>des</strong><br />

hommes.<br />

Les explications de ce phénomène se partag<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre deux théories : <strong>la</strong> «Théorie du choix » et<br />

<strong>la</strong> « Théorie de <strong>la</strong> discrimination ». D’après <strong>la</strong> Théorie du choix, on est arrivé à l’égalité de<br />

rémunération dans tous les domaines où les hommes et les femmes ont <strong>des</strong> niveaux de<br />

disponibilité, d’expéri<strong>en</strong>ce et de formation comparables. Il <strong>en</strong> résulterait que les disparités de<br />

rémunération <strong>en</strong>tre hommes et femmes résult<strong>en</strong>t de choix de <strong>vie</strong> différ<strong>en</strong>ts. Les hommes<br />

choisiss<strong>en</strong>t <strong>des</strong> carrières plus av<strong>en</strong>tureuses (et mieux récomp<strong>en</strong>sées), les femmes choisiss<strong>en</strong>t<br />

<strong>des</strong> carrières dans les pr<strong>of</strong>essions de soins ou bi<strong>en</strong> compatibles avec <strong>la</strong> maternité ou <strong>la</strong><br />

nécessité de s’occuper de par<strong>en</strong>ts âgés. C’est <strong>pour</strong>quoi beaucoup de femmes choisiss<strong>en</strong>t le<br />

travail à temps partiel ou bi<strong>en</strong> interromp<strong>en</strong>t leurs emplois à plein temps, <strong>pour</strong> s’occuper de<br />

leurs <strong>en</strong>fants d’âge présco<strong>la</strong>ire.<br />

La Théorie de <strong>la</strong> discrimination affirme que les femmes n’ont absolum<strong>en</strong>t pas le choix, car<br />

<strong>des</strong> barrières artificielles empêch<strong>en</strong>t une véritable égalité <strong>des</strong> chances. Il existe une<br />

ségrégation <strong>des</strong> sexes au travail : à l’hôpital, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> médecins (aux sa<strong>la</strong>ires élevés) sont<br />

<strong>des</strong> hommes, le personnel soignant et de nettoyage (à bas sa<strong>la</strong>ires) est surtout féminin. Les<br />

emplois occupés majoritairem<strong>en</strong>t par <strong>des</strong> femmes sont dévalués. Peu d’<strong>en</strong>treprises accord<strong>en</strong>t<br />

125


les mêmes niveaux de sa<strong>la</strong>ire, ou les mêmes droits <strong>en</strong> matière de retraite, aux sa<strong>la</strong>riés à temps<br />

partiel. Ceci touche surtout les femmes. En raison de facteurs structurels et <strong>des</strong><br />

comportem<strong>en</strong>ts sociaux, il est beaucoup plus difficile d’obt<strong>en</strong>ir une promotion <strong>pour</strong> les<br />

femmes que <strong>pour</strong> leurs collègues masculins.<br />

C’est <strong>pour</strong>quoi, p<strong>en</strong>dant les 50 dernières années, on s’est aperçu que <strong>la</strong> question de l’égalité<br />

de rémunération était beaucoup plus simple que celle de l’égalité d’emploi. Si <strong>la</strong> Théorie du<br />

choix est exacte, comm<strong>en</strong>t peut-on changer les attitu<strong>des</strong> sociales et culturelles de façon à ce<br />

que les femmes fass<strong>en</strong>t (et soi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> mesure de faire) <strong>des</strong> choix différ<strong>en</strong>ts ? Si c’est <strong>la</strong> Théorie<br />

de <strong>la</strong> discrimination qui est exacte, comm<strong>en</strong>t les sociétés modernes peuv<strong>en</strong>t-elles supprimer<br />

les différ<strong>en</strong>ts obstacles à une véritable égalité <strong>des</strong> chances ?<br />

De nombreux facteurs sont <strong>en</strong> cause, par exemple le cont<strong>en</strong>u de l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t à l’école, les<br />

influ<strong>en</strong>ces sociales et religieuses au sein <strong>des</strong> familles, les images et stéréotypes projetés par<br />

l’industrie <strong>des</strong> loisirs et <strong>la</strong> publicité de masse. Il est évid<strong>en</strong>t qu’il y a eu un changem<strong>en</strong>t<br />

d’attitude important au cours <strong>des</strong> dernières déc<strong>en</strong>nies. Des étu<strong>des</strong> statistiques montr<strong>en</strong>t que le<br />

principal facteur déterminant le niveau de rémunération <strong>des</strong> femmes est l’époque de leur<br />

naissance. Le sa<strong>la</strong>ire <strong>des</strong> femmes nées avant <strong>la</strong> deuxième guerre mondiale représ<strong>en</strong>te <strong>en</strong><br />

moy<strong>en</strong>ne 60% de celui <strong>des</strong> hommes, il <strong>en</strong> représ<strong>en</strong>te 70-75% <strong>pour</strong> celles nées après 1945, 80-<br />

85% <strong>pour</strong> celles nées au milieu <strong>des</strong> années 1960, 90-95% <strong>pour</strong> celles nées au milieu <strong>des</strong><br />

années 1980. On peut affirmer que cette t<strong>en</strong>dance à <strong>la</strong> hausse est due aux changem<strong>en</strong>ts dans<br />

les choix <strong>des</strong> femmes de générations différ<strong>en</strong>tes, qui reflèt<strong>en</strong>t les nouveaux comportem<strong>en</strong>ts<br />

culturels.<br />

Les déf<strong>en</strong>seurs de <strong>la</strong> Théorie de <strong>la</strong> discrimination sont moins optimistes. Ils voi<strong>en</strong>t une lutte<br />

sans fin contre les facteurs structurels qui empêch<strong>en</strong>t les femmes de choisir librem<strong>en</strong>t leur<br />

carrière. L’état de l’économie est l’un de ces facteurs. En période de plein emploi et de<br />

manque de main d’œuvre dans certains domaines de compét<strong>en</strong>ces, de nombreuses possibilités<br />

d’emplois, fermées auparavant, s’ouvr<strong>en</strong>t aux femmes, ainsi, <strong>en</strong> temps de guerre, il est<br />

courant de recourir aux femmes <strong>pour</strong> <strong>des</strong> emplois considérés traditionnellem<strong>en</strong>t comme <strong>des</strong><br />

«travaux d’hommes ». A l’inverse, <strong>en</strong> période de dépression économique, les possibilités<br />

d’emploi <strong>des</strong> femmes diminu<strong>en</strong>t plus que proportionnellem<strong>en</strong>t. Ce<strong>la</strong> t<strong>en</strong>drait à prouver que le<br />

choix n’a pas une grande importance, ce sont plutôt les circonstances qui serai<strong>en</strong>t<br />

déterminantes. C’est <strong>pour</strong>quoi, <strong>pour</strong> supprimer les obstacles à l’égalité de rémunération <strong>des</strong><br />

femmes il faut une interv<strong>en</strong>tion, tant au niveau de <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion que de l’éducation.<br />

On a affirmé que cette interv<strong>en</strong>tion doit comporter à <strong>la</strong> fois une action contre <strong>la</strong> discrimination<br />

négative et une discrimination positive <strong>en</strong> faveur <strong>des</strong> femmes. La maternité et l’éducation <strong>des</strong><br />

<strong>en</strong>fants constitu<strong>en</strong>t un facteur ess<strong>en</strong>tiel. Pour les femmes, il ne s’agit pas vraim<strong>en</strong>t d’un choix,<br />

elles sont les seules à pouvoir avoir <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants. Pour arriver à une égalité effective, il faut<br />

protéger les femmes contre les ruptures dans leur carrière, liées à <strong>la</strong> grossesse et au fait de<br />

rester à <strong>la</strong> maison quand les <strong>en</strong>fants sont petits. Cette protection comporte le congé de<br />

maternité payé et <strong>des</strong> mesures permettant aux femmes de ne pas perdre de droits à <strong>la</strong> retraite<br />

ou de possibilités de promotion, comme l’égalité <strong>des</strong> droits <strong>en</strong>tre les sa<strong>la</strong>riés à temps partiel et<br />

à temps plein, ou <strong>la</strong> possibilité de l’emploi partagé.<br />

La légis<strong>la</strong>tion interdisant <strong>la</strong> discrimination s’est attaquée à de nombreux problèmes<br />

interdép<strong>en</strong>dants. L’un d’<strong>en</strong>tre eux concerne le «closed shop », pratique restrictive d’un<br />

syndicat ou d’une association pr<strong>of</strong>essionnelle consistant à contrôler l’accès à certains emplois<br />

et à les réserver aux hommes. Un autre concerne le mode de diffusion <strong>des</strong> annonces de<br />

vacances de postes et les <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s de recrutem<strong>en</strong>t. Des dispositions légales ont t<strong>en</strong>té<br />

126


d’empêcher que l’exclusion <strong>des</strong> femmes par <strong>la</strong> formu<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> pr<strong>of</strong>ils de recrutem<strong>en</strong>t. Lors<br />

<strong>des</strong> <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s d’embauche, on n’a plus le droit de poser <strong>des</strong> questions du type «êtes-vous<br />

mariée ?» ou « avez l’int<strong>en</strong>tion d’avoir prochainem<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>fant ?».<br />

La notion de discrimination positive est peut-être l’élém<strong>en</strong>t-clé du débat sur l’égalité. De<br />

nombreux militants <strong>des</strong> droits <strong>des</strong> femmes affirm<strong>en</strong>t qu’il n’est pas suffisant d’éliminer <strong>la</strong><br />

discrimination évid<strong>en</strong>te. Ils considèr<strong>en</strong>t que les attitu<strong>des</strong> négatives, fortem<strong>en</strong>t ancrées dans<br />

<strong>des</strong> secteurs ess<strong>en</strong>tiels de l’économie et dans certaines pr<strong>of</strong>essions, ne peuv<strong>en</strong>t pas être<br />

surmontées par <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion et <strong>la</strong> réglem<strong>en</strong>tation et que l’«égalité <strong>des</strong> chances n’est pas<br />

suffisante ». Par contre, certaines femmes dis<strong>en</strong>t que <strong>la</strong> discrimination positive les empêche<br />

d’atteindre l’égalité grâce à leurs propres mérites et les libéraux affirm<strong>en</strong>t que l’Etat ne doit<br />

pas se mêler d’affaires privées, comme <strong>la</strong> conception de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> de famille. D’autres déc<strong>la</strong>r<strong>en</strong>t<br />

que <strong>la</strong> discrimination positive est chère et inefficace et qu’il faut <strong>la</strong>isser les forces du marché<br />

régler le problème.<br />

Ce<strong>la</strong> conduit au débat sur le problème, controversé, de l’ «interfér<strong>en</strong>ce » de l’Etat. Est-il<br />

indisp<strong>en</strong>sable de légiférer <strong>pour</strong> obliger les employeurs récalcitrants à accepter le principe<br />

d’égalité véritable ? Faudrait-il autoriser les employeurs à payer leurs sa<strong>la</strong>riés au prix du<br />

marché, quel qu’il soit ? De nombreux employeurs object<strong>en</strong>t que les réglem<strong>en</strong>tations<br />

<strong>des</strong>tinées à promouvoir l’égalité sont pesantes et chères, impos<strong>en</strong>t <strong>des</strong> coûts supplém<strong>en</strong>taires<br />

injustes et gên<strong>en</strong>t <strong>la</strong> compétitivité de leurs <strong>en</strong>treprises. Selon eux, ce<strong>la</strong> limite les possibilités<br />

d’emploi <strong>pour</strong> tout le monde, aussi bi<strong>en</strong> <strong>pour</strong> les femmes que <strong>pour</strong> les hommes.<br />

Effectivem<strong>en</strong>t les interv<strong>en</strong>tions de l’Etat on été de plus <strong>en</strong> plus loin. A l’origine, l’affirmation<br />

du principe dans le Traité CE de 1957 était re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t simple et limitée : «égalité de<br />

rémunération <strong>pour</strong> un même travail ». Cet objectif est dev<strong>en</strong>u beaucoup plus ambitieux au<br />

cours <strong>des</strong> 50 ans qui ont suivi, « égalité de traitem<strong>en</strong>t », plutôt que de rémunération, « g<strong>en</strong>der<br />

mainstreaming», abandon <strong>des</strong> stéréotypes sexistes etc. La situation <strong>des</strong> femmes au regard de<br />

l’emploi a considérablem<strong>en</strong>t changé depuis les années 1950. Il n’est pas exagéré de parler de<br />

«révolution <strong>des</strong> sexes». Mais le débat sur les effets de <strong>la</strong> discrimination positive et de <strong>la</strong><br />

réglem<strong>en</strong>tation étatique n’est pas clos.<br />

Est-il vrai que l’interv<strong>en</strong>tion de l’Etat a réussi à accélérer les changem<strong>en</strong>ts et permis<br />

d’améliorer considérablem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> situation <strong>des</strong> femmes au travail ? Ou bi<strong>en</strong> cette interv<strong>en</strong>tion<br />

a-t-elle constitué un gaspil<strong>la</strong>ge <strong>des</strong> ressources coûteux, tant parce qu’il a gêné <strong>la</strong> compétitivité<br />

<strong>des</strong> <strong>en</strong>treprises que parce qu’il a eu moins d’effets sur les pratiques <strong>en</strong> <strong>la</strong> matière que n’<strong>en</strong><br />

aurai<strong>en</strong>t eu les forces du marché, si on les avait <strong>la</strong>issées agir librem<strong>en</strong>t ?<br />

Divers points de vue sur les problèmes liés à l’égalité de rémunération<br />

Comm<strong>en</strong>taires d’un pr<strong>of</strong>esseur de l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t secondaire expérim<strong>en</strong>té, du Nord de<br />

l’Angleterre, à propos de l’une de ses collègues, après l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> vigueur de <strong>la</strong> Loi sur<br />

l’égalité de rémunération <strong>en</strong> 1975 :<br />

«Elle pr<strong>en</strong>d toujours un jour de congé quand l’un <strong>des</strong> ses <strong>en</strong>fants est ma<strong>la</strong>de. Moi<br />

non. Je reste souv<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> aider après les activités sco<strong>la</strong>ires et je <strong>vie</strong>ns m’occuper <strong>des</strong><br />

jeux <strong>en</strong> équipe le samedi matin. Elle non. Pourquoi devrait-elle avoir <strong>la</strong> même<br />

rémunération que moi ?»<br />

127


Réponse de cette collègue après qu’on lui ait rapporté ce qu’il avait dit :<br />

«C’est parce qu’il a une épouse à <strong>la</strong> maison qui s’occupe de ses <strong>en</strong>fants p<strong>en</strong>dant qu’il<br />

court sur le terrain de football. »<br />

«La France essaye une fois de plus d’accorder une rémunération égale aux femmes »,<br />

reportage spécial du journaliste britannique Jon H<strong>en</strong>ley <strong>pour</strong> The Guardian <strong>en</strong> mai<br />

2005 :<br />

«Hier, l’Assemblée nationale française a <strong>la</strong>ncé une campagne <strong>pour</strong> augm<strong>en</strong>ter les<br />

sa<strong>la</strong>ires <strong>des</strong> femmes, qui, malgré <strong>des</strong> lois remontant aux années 70, gagn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core<br />

25% de moins que les hommes. "Cet écart est inacceptable moralem<strong>en</strong>t et<br />

économiquem<strong>en</strong>t" a déc<strong>la</strong>ré Nicole Ameline, Secrétaire d’Etat à l’égalité <strong>des</strong> chances.<br />

Elle a affirmé que son projet de loi <strong>pour</strong> arriver à l’égalité dans cinq ans était<br />

«moderne » car il reposait sur <strong>la</strong> coopération avec les employeurs, et pas sur <strong>la</strong><br />

contrainte. Ses détracteurs ont déc<strong>la</strong>ré qu’il était inefficace et ne traitait pas les vraies<br />

questions comme celle du travail à temps partiel. La p<strong>la</strong>ce inférieure <strong>des</strong> femmes <strong>en</strong><br />

France est due <strong>pour</strong> partie à l’héritage du Code Napoléon qui disait : "Les femmes<br />

apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aux hommes exactem<strong>en</strong>t comme les arbres aux jardiniers"».<br />

Article de <strong>la</strong> journaliste américaine, Rana Foroohar, dans le magazine d’information<br />

Newsweek International du 27 février 2006 :<br />

«Devinette sur l’égalité <strong>des</strong> sexes. Où les femmes ont-elles le plus de chances<br />

d’atteindre les plus hauts postes de responsabilité dans l’<strong>en</strong>treprise ? Choix A<br />

n’accorde que 12 semaines de congé de maternité, peu de crèches et garderies<br />

subv<strong>en</strong>tionnées, aucun congé de paternité, et a une culture d’<strong>en</strong>treprise connue <strong>pour</strong><br />

sa dureté. Choix B accorde aux mères jusqu’à trois ans de congés rémunérés après <strong>la</strong><br />

naissance d’un <strong>en</strong>fant. Les administrations publiques protèg<strong>en</strong>t les sa<strong>la</strong>riés aux<br />

dép<strong>en</strong>s <strong>des</strong> <strong>en</strong>treprises et préfèr<strong>en</strong>t une culture d’<strong>en</strong>treprise plus douce. Alors, quel est<br />

le meilleur <strong>en</strong>droit <strong>pour</strong> les femmes qui veul<strong>en</strong>t arriver au sommet ? Si vous<br />

choisissez A, les Etats-unis, vous avez raison. Si vous choisissez B, l’<strong>Europe</strong>,<br />

réfléchissez-y à deux fois. Aux Etats-Unis, les femmes représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t 45% <strong>des</strong><br />

décideurs de haut niveau. Au Royaume-uni 33%. En Suède, c<strong>en</strong>sée être le modèle <strong>en</strong><br />

matière d’égalité <strong>des</strong> sexes, 29%. En Allemagne 27%, <strong>en</strong> Italie un taux ridicule de<br />

18%. L’<strong>Europe</strong> tue ses femmes <strong>en</strong> douceur. »<br />

Comm<strong>en</strong>taires de Le<strong>en</strong>a Linnainmaa, Présid<strong>en</strong>te de l’Association europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong><br />

femmes <strong>en</strong> octobre 2006 :<br />

«La situation ne de<strong>vie</strong>ndra plus juste <strong>pour</strong> les femmes occupant <strong>des</strong> postes de<br />

direction que quand plus d’hommes pr<strong>en</strong>dront <strong>des</strong> congés de paternité. Le fait que les<br />

femmes pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>des</strong> congés de maternité pèse lourdem<strong>en</strong>t sur leurs carrières. Nous<br />

incitons vivem<strong>en</strong>t les hommes à pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> congés de paternité et nous incitons les<br />

pays qui n’ont pas <strong>en</strong>core de légis<strong>la</strong>tion <strong>en</strong> <strong>la</strong> matière à <strong>en</strong> adopter une. »<br />

Lettre écrite <strong>en</strong> jan<strong>vie</strong>r 2007 à l’éditeur du journal évangélique américain Today’s<br />

Christian Woman :<br />

128


«Les <strong>vie</strong>ux bonshommes hargneux qui dirig<strong>en</strong>t le tournoi de t<strong>en</strong>nis de Wimbledon<br />

ont été critiqués parce qu’ils ne pay<strong>en</strong>t pas les joueuses autant que les joueurs. C’est<br />

révoltant. Et je p<strong>en</strong>se qu’ils ont tout à fait raison. Ne me compr<strong>en</strong>ez pas mal. Je suis<br />

tout à fait favorable à l’égalité de rémunération <strong>en</strong>tre les deux sexes, quand il s’agit<br />

du même travail. Les hommes jou<strong>en</strong>t <strong>en</strong> trois sets gagnants sur cinq et leurs matchs<br />

dur<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t quatre heures. Les femmes jou<strong>en</strong>t <strong>en</strong> deux sets gagnants sur trois et<br />

leurs matchs dur<strong>en</strong>t rarem<strong>en</strong>t deux heures. Alors, c’est simple, Moins longtemps au<br />

travail, moins d’arg<strong>en</strong>t. »<br />

Comm<strong>en</strong>taires d’une journaliste féministe britannique <strong>en</strong> 2006 :<br />

«Laisser agir les forces du marché? La chose <strong>la</strong> plus efficace jamais produite par les<br />

forces du marché était <strong>la</strong> traite <strong>des</strong> esc<strong>la</strong>ves. Si on les avait <strong>la</strong>issé continuer à agir, les<br />

bateaux transportant les esc<strong>la</strong>ves sillonnerai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core les mers. »<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Existe-t-il <strong>des</strong> emplois qui, selon vous, devrai<strong>en</strong>t être considérés comme<br />

«réservés aux hommes » ou «réservés aux femmes »?<br />

Est-ce que les femmes sont généralem<strong>en</strong>t moins bi<strong>en</strong> payées que les hommes<br />

parce qu’elles ont choisi <strong>des</strong> emplois selon d’autres critères que <strong>la</strong> rémunération ?<br />

Quelle serait votre réaction si vous vous portiez candidat <strong>pour</strong> un emploi et<br />

découvriez que le processus de recrutem<strong>en</strong>t est influ<strong>en</strong>cé par <strong>la</strong> discrimination<br />

positive <strong>en</strong> faveur <strong>des</strong> femmes ?<br />

P<strong>en</strong>sez-vous qu’il incombe à l’Etat ou aux <strong>en</strong>treprises de décider <strong>des</strong> questions<br />

d’égalité de rémunération ?<br />

129


ETUDE DE CAS 13 : Les femmes et les filles devrai<strong>en</strong>t-elles<br />

avoir le même droit à l’éducation que les hommes et les<br />

garçons ?<br />

Chronologie<br />

1787 : L’écrivaine féministe Mary Wollstonecraft publie Thoughts on the Education <strong>of</strong><br />

Daughters (Réflexions sur l’éducation <strong>des</strong> filles). Le sous-titre du livre était «Unfortunate<br />

Situation <strong>of</strong> Females, Fashionably Educated and Left Without a Fortune (La situation<br />

malheureuse <strong>des</strong> femmes, éduquées selon <strong>la</strong> mode et sans fortune)».<br />

1865 : La féministe ang<strong>la</strong>ise Emily Da<strong>vie</strong>s, Elizabeth Garrett Anderson et Millic<strong>en</strong>t Fawcett<br />

cré<strong>en</strong>t <strong>la</strong> K<strong>en</strong>sington Society, qui milite <strong>en</strong> faveur <strong>des</strong> droits <strong>des</strong> femmes. Emilie Da<strong>vie</strong>s est à<br />

l’origine de <strong>la</strong> création du premier établissem<strong>en</strong>t d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t supérieur <strong>pour</strong> femmes,<br />

Girton, <strong>en</strong> 1869.<br />

Mars 1870 : Marianne Hainisch, fondatrice du Mouvem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> femmes autrichi<strong>en</strong>, écrit un<br />

article sur le droit <strong>des</strong> femmes à l’éducation mais ne trouve aucun journal <strong>pour</strong> le publier. Par<br />

<strong>la</strong> suite, elle organise un rassemblem<strong>en</strong>t à Vi<strong>en</strong>ne, <strong>pour</strong> demander l’ouverture de c<strong>la</strong>sses<br />

parallèles <strong>pour</strong> les filles. La Première Caisse d’épargne autrichi<strong>en</strong>ne réagit <strong>en</strong> donnant 40 000<br />

guld<strong>en</strong> <strong>pour</strong> <strong>la</strong> création d’une école de filles.<br />

1872 : Création du Newnham College à l’Université de Cambridge, le premier établissem<strong>en</strong>t<br />

<strong>pour</strong> les femmes depuis les débuts de l’université au 14e siècle. Cep<strong>en</strong>dant l’université<br />

n’accorde pas de diplômes complets aux femmes avant 1947.<br />

1888 : Marianne Hainisch crée une ligue <strong>pour</strong> l’accès <strong>des</strong> femmes à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t supérieur<br />

qui milite <strong>en</strong> faveur du droit <strong>des</strong> femmes à être admises dans les universités.<br />

1952 : La Confér<strong>en</strong>ce internationale sur l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t public à G<strong>en</strong>ève recommande aux<br />

Ministres de l’éducation de promouvoir l’accès <strong>des</strong> femmes à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t, à tous les<br />

niveaux.<br />

1960 : La Confér<strong>en</strong>ce générale de l’UNESCO, à Paris, adopte <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion contre <strong>la</strong><br />

discrimination dans l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t.<br />

3 septembre 1981 : La CEDEF (Conv<strong>en</strong>tion sur l’élimination de toutes formes de<br />

discrimination à l’égard <strong>des</strong> femmes) <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> vigueur, <strong>en</strong> vertu d’une décision prise <strong>en</strong> 1979<br />

par l’Assemblée générale <strong>des</strong> Nations unies.<br />

Septembre 1989 : En France, premiers cas d’exclusion de jeunes filles refusant d’<strong>en</strong>lever le<br />

hidjab à l’école. Ils marqu<strong>en</strong>t le début d’une longue controverse sur le droit de porter <strong>des</strong><br />

symboles religieux dans les écoles françaises qui atteint son paroxysme <strong>en</strong> 2004. Des conflits<br />

simi<strong>la</strong>ires sur le port du fou<strong>la</strong>rd à l’école apparaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Italie <strong>en</strong> novembre 2006, à Smolyan,<br />

<strong>en</strong> Bulgarie <strong>en</strong> décembre 2006 et <strong>en</strong> Allemagne <strong>en</strong> jan<strong>vie</strong>r 2007.<br />

1995 : La quatrième Confér<strong>en</strong>ce mondiale sur les femmes, organisée à Pékin, affirme que<br />

l’éducation <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong> filles est un facteur ess<strong>en</strong>tiel de l’élimination de <strong>la</strong> pauvreté.<br />

130


Février 2004 : En France, une loi, interdisant le port de « symboles religieux ost<strong>en</strong>sibles» à<br />

l’école, est adoptée par 494 voix contre 36.<br />

Juin 2006 : La Confér<strong>en</strong>ce ministérielle europé<strong>en</strong>ne sur l’égalité <strong>en</strong>tre les femmes et les<br />

hommes se ti<strong>en</strong>t à Stockholm. Le principal thème est « Droits de <strong>la</strong> personne humaine et<br />

défis économiques <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> – l'égalité <strong>en</strong>tre les femmes et les hommes ». La<br />

confér<strong>en</strong>ce met l’acc<strong>en</strong>t sur l’égalité <strong>des</strong> chances <strong>en</strong> matière d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t.<br />

Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Le débat sur le droit <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong> filles à l’égalité dans l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t comporte deux<br />

volets principaux. Le premier concerne <strong>la</strong> question de savoir si les femmes doiv<strong>en</strong>t avoir<br />

accès à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t, le deuxième de savoir si cet <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t doit être id<strong>en</strong>tique à celui<br />

disp<strong>en</strong>sé aux hommes et aux garçons ou bi<strong>en</strong> permettre <strong>des</strong> approches différ<strong>en</strong>tes, basées sur<br />

les différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre les sexes. Par ailleurs, il y a <strong>la</strong> question <strong>des</strong> traditions culturelles et<br />

religieuses : L’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t public doit-il être le même <strong>pour</strong> tous, ou bi<strong>en</strong> refléter les<br />

préfér<strong>en</strong>ces religieuses et culturelles? De plus, <strong>la</strong> sco<strong>la</strong>risation doit-elle relever du choix <strong>des</strong><br />

<strong>en</strong>fants et <strong>des</strong> par<strong>en</strong>ts ou bi<strong>en</strong> être imposée par <strong>la</strong> loi ?<br />

Dans les sociétés occid<strong>en</strong>tales, <strong>la</strong> première bataille importante, <strong>pour</strong> le principe d’égalité <strong>des</strong><br />

droits à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> les femmes et les filles, a déjà été gagnée. Presque plus personne<br />

ne s’oppose à cette idée. La plupart <strong>des</strong> écoles sont mixtes, les écoles de garçons ou de filles<br />

sont dev<strong>en</strong>ues <strong>des</strong> exceptions. Ces dernières années, on s’est surtout intéressé aux droits à<br />

l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong> filles dans les pays <strong>en</strong> développem<strong>en</strong>t.<br />

La question de savoir ce qu’il faudrait <strong>en</strong>seigner aux femmes et aux filles s’est avérée plus<br />

difficile à résoudre que celle du principe même de leur disp<strong>en</strong>ser un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t.<br />

Traditionnellem<strong>en</strong>t, certaines parties du cursus sco<strong>la</strong>ire étai<strong>en</strong>t considérées comme très<br />

spécifiques à un sexe ou à l’autre (<strong>la</strong> cuisine et les travaux domestiques <strong>pour</strong> les filles,<br />

l’ingénierie et les travaux manuels <strong>pour</strong> les garçons, etc.). Ces attitu<strong>des</strong> influ<strong>en</strong>çai<strong>en</strong>t<br />

égalem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> formation pr<strong>of</strong>essionnelle (le métier d’infirmière et les autres pr<strong>of</strong>essions de<br />

soins <strong>pour</strong> les filles, l’appr<strong>en</strong>tissage industriel <strong>pour</strong> les garçons). Ces dernières années, de<br />

nombreuses initiatives ont été <strong>la</strong>ncées, <strong>pour</strong> changer cette façon de voir et surmonter les<br />

stéréotypes « sexistes ».<br />

La question de l’obligation de sco<strong>la</strong>risation prête à controverse. Certains par<strong>en</strong>ts réc<strong>la</strong>m<strong>en</strong>t le<br />

droit d’éduquer leurs <strong>en</strong>fants à <strong>la</strong> maison. Certains <strong>en</strong>fants souhait<strong>en</strong>t que leurs <strong>en</strong>fants ne<br />

suiv<strong>en</strong>t pas certains cours à l’école (par exemple l’éducation sexuelle, ou <strong>en</strong>core l’éducation<br />

physique et les jeux <strong>en</strong> équipe, ou les cours touchant à <strong>des</strong> questions comme le<br />

«créationnisme » et <strong>la</strong> sci<strong>en</strong>ce). La question de savoir «qui décide » si l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t est un<br />

droit ou bi<strong>en</strong> une obligation, imposée par <strong>la</strong> loi, n’a pas <strong>en</strong>core été tranchée.<br />

Les efforts <strong>pour</strong> promouvoir le multiculturalisme constitu<strong>en</strong>t peut-être le plus grand défi au<br />

principe d’égalité <strong>pour</strong> tous dans l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t. En France, par exemple, tous les élèves<br />

suivai<strong>en</strong>t le même <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>la</strong>ïc, quelle que soit leur origine culturelle, religieuse ou<br />

ethnique. Cette idée a été remise <strong>en</strong> cause <strong>en</strong> raison, notamm<strong>en</strong>t, d’appels à <strong>la</strong> tolérance<br />

religieuse. On a objecté que «l’égalité et l’uniformité » conduisai<strong>en</strong>t à défavoriser les<br />

minorités. L’exemple le plus controversé était <strong>la</strong> question du port de symboles religieux à<br />

l’école (croix catholiques, turbans sikhs et formes <strong>des</strong> robes portées à l’école par les femmes<br />

et filles musulmanes).<br />

A partir de 1989, <strong>la</strong> question de savoir si les filles musulmanes avai<strong>en</strong>t le droit de porter un<br />

fou<strong>la</strong>rd ( hidjab) à l’école a suscité une vive controverse. De nombreuses filles ont été exclues<br />

131


de leurs écoles. Les <strong>en</strong>seignants et directeurs d’écoles étai<strong>en</strong>t divisés. Le débat a été<br />

particulièrem<strong>en</strong>t vif <strong>en</strong> 2004. Des problèmes simi<strong>la</strong>ires sont apparus dans d’autres pays <strong>en</strong><br />

2006 et 2007. En Italie, le gouvernem<strong>en</strong>t a proposé d’interdire le voile, non seulem<strong>en</strong>t à<br />

l’école, mais aussi dans tous les lieux publics. En Grande-Bretagne, une assistante de c<strong>la</strong>sse<br />

musulmane a perdu son emploi parce qu’elle refusait d’<strong>en</strong>lever son voile après qu’un élève se<br />

soit p<strong>la</strong>int d’avoir du mal à compr<strong>en</strong>dre ce qu’elle disait <strong>en</strong> c<strong>la</strong>sse. Deux filles musulmanes<br />

ont été exclues de leur école dans <strong>la</strong> ville de Smolyan, <strong>en</strong> Bulgarie. En Allemagne, un<br />

Tribunal de Munich a confirmé une interdiction du port du fou<strong>la</strong>rd par les <strong>en</strong>seignantes<br />

musulmanes, ce qui a conduit à <strong>des</strong> protestations contre le port du voile par les nones dans les<br />

écoles catholiques.<br />

Le débat sur le port du fou<strong>la</strong>rd constitue un aspect du débat, plus <strong>la</strong>rge, sur l’égalité <strong>des</strong> droits<br />

à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t. D’un côté, l’égalité d’accès à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t est indisp<strong>en</strong>sable <strong>pour</strong><br />

surmonter <strong>la</strong> discrimination et le stéréotype de <strong>la</strong> femme «confinée à <strong>la</strong> cuisine et à<br />

l’éducation <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants ». D’un autre côté, l’uniformisation forcée de l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t disp<strong>en</strong>sé<br />

<strong>pour</strong>rait être perçue comme incompatible avec d’autres libertés fondam<strong>en</strong>tales.<br />

Différ<strong>en</strong>ts points de vue<br />

La pionnière du féminisme ang<strong>la</strong>is Emily Da<strong>vie</strong>s, écrivait <strong>en</strong> 1896 :<br />

«Il faut bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre que le choix <strong>des</strong> femmes qui font <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> n’est pas <strong>en</strong>tre une <strong>vie</strong><br />

<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t consacrée, soit aux étu<strong>des</strong>, soit aux tâches domestiques. Le but de ces nouveaux<br />

établissem<strong>en</strong>ts d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t supérieur <strong>pour</strong> femmes ne sera pas de changer l’activité <strong>des</strong><br />

femmes, mais de faire <strong>en</strong> sorte que ce qu’elles accompliss<strong>en</strong>t soit bi<strong>en</strong> fait et fasse usage de<br />

leurs tal<strong>en</strong>ts. Que ce soit <strong>en</strong> tant que maîtresses de maisons, mères, <strong>en</strong>seignantes, ou dans le<br />

domaine de l’art, <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces et de <strong>la</strong> littérature, leur travail est <strong>en</strong>travé par le manque de<br />

formation. »<br />

Wom<strong>en</strong>’s Liberty and Man’s Fear (Liberté de <strong>la</strong> femme et peur de l’homme), article écrit<br />

par Teresa Billington Greig <strong>en</strong> 1907 :<br />

«L’homme a peur de <strong>la</strong> femme. Il le montre tous les jours. L’histoire le lui montre. Les<br />

hommes on peur que leur domination ne pr<strong>en</strong>ne fin et que <strong>la</strong> rébellion <strong>des</strong> femmes n’implique<br />

pas seulem<strong>en</strong>t qu’elles se débarrass<strong>en</strong>t de leur joug mais aussi qu’elles se v<strong>en</strong>g<strong>en</strong>t de <strong>la</strong><br />

tyrannie <strong>des</strong> hommes. »<br />

En 1934, Adolf Hitler s’adressait ainsi au Mouvem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> femmes national-socialistes:<br />

«Nous ne considérons pas qu’il soit normal qu’une femme se mêle du monde <strong>des</strong> hommes.<br />

Nous considérons qu’il est naturel que ces deux mon<strong>des</strong>, celui <strong>des</strong> femmes et celui <strong>des</strong><br />

hommes, rest<strong>en</strong>t séparés. A l’un <strong>la</strong> force <strong>des</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts et de l’âme, à l’autre l’<strong>en</strong>durance,<br />

l’esprit de décision et <strong>la</strong> volonté d’agir. L’éducation doit préparer les filles et les garçons à<br />

leurs rôles différ<strong>en</strong>ts, dans l’appréciation et le respect mutuels. »<br />

132


Comm<strong>en</strong>taires de Jaime Torres Bode, Directeur général de l’UNESCO, à <strong>la</strong> Confér<strong>en</strong>ce<br />

sur les obstacles à l’égalité <strong>des</strong> chances <strong>pour</strong> les femmes <strong>en</strong> matière d’éducation, <strong>en</strong><br />

1949 :<br />

«Je ne saurais trop insister sur l’importance, véritablem<strong>en</strong>t fondam<strong>en</strong>tale, de l’éducation <strong>des</strong><br />

femmes. L’homme qui a dit que l’éducation d’un <strong>en</strong>fant comm<strong>en</strong>çait par celle de sa mère ne<br />

p<strong>la</strong>isantait pas. Les femmes représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t plus de <strong>la</strong> moitié de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion mondiale.<br />

L’association perman<strong>en</strong>te <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants avec leur mère p<strong>en</strong>dant les premières années de <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />

confère un rôle ess<strong>en</strong>tiel aux femmes dans l’éducation de l’espèce humaine. La campagne<br />

<strong>des</strong>tinée à assurer aux femmes <strong>la</strong> possibilité de suivre un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t constitue un préa<strong>la</strong>ble<br />

à tous les efforts <strong>pour</strong> atteindre une paix juste et durable dans le monde. »<br />

La « Déc<strong>la</strong>ration d’Amman » au Sommet Moy<strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t et Afrique du Nord, <strong>en</strong> 1995 :<br />

«L’éducation c’est l’appropriation de soi-même. C’est <strong>la</strong> clé de l’établissem<strong>en</strong>t et du<br />

r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>. Dans un mode où <strong>la</strong> créativité et <strong>la</strong> connaissance ont de plus<br />

<strong>en</strong> plus d’importance, le droit à l’éducation, c’est le droit de participer au monde moderne.<br />

L’éducation <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong> filles doit constituer <strong>la</strong> priorité <strong>des</strong> priorités. Il ne peut y avoir<br />

de réussite durable dans l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de base avant que l’écart <strong>en</strong>tre les sexes ne soit<br />

comblé. »<br />

Wom<strong>en</strong> Watch, Information and Resources on G<strong>en</strong>der Equality and the Empowerm<strong>en</strong>t<br />

<strong>of</strong> Wom<strong>en</strong> (Informations et ressources sur l’égalité <strong>des</strong> sexes et <strong>la</strong> prise de possession <strong>des</strong><br />

femmes par elles-mêmes), 2005:<br />

«L’éducation et <strong>la</strong> formation <strong>des</strong> femmes et <strong>des</strong> filles constitu<strong>en</strong>t un droit humain et sont<br />

ess<strong>en</strong>tielles <strong>pour</strong> pouvoir jouir pleinem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> autres droits sociaux, économiques, culturels<br />

et politiques. Il n’est pas suffisant de se cont<strong>en</strong>ter de sco<strong>la</strong>riser les femmes et les filles, ainsi<br />

que de leur faire suivre <strong>des</strong> formations. L’éducation doit remettre <strong>en</strong> cause les rapports de<br />

pouvoir existants et servir de fondem<strong>en</strong>t à <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts d’attitude et de comportem<strong>en</strong>t<br />

chez les filles et les garçons, les femmes et les hommes. »<br />

the Hijab and the Republic: Headscarves in France (Le Hidjab et <strong>la</strong> République : Le<br />

fou<strong>la</strong>rd <strong>en</strong> France) de David Macey, juin 2004 :<br />

«C’est sans doute <strong>la</strong> première fois qu’une <strong>démocratie</strong> moderne décide par une loi ce que<br />

certaines filles peuv<strong>en</strong>t porter à l’école. Très peu de spécialistes de <strong>la</strong> France ont le moindre<br />

doute quant à <strong>la</strong> véritable cible. »<br />

Un rapport sur Liberté religieuse et symboles religieux dans <strong>la</strong> sphère publique, préparé<br />

<strong>pour</strong> <strong>la</strong> Bibliothèque du Parlem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France, mars 2006 :<br />

Les différ<strong>en</strong>ts pays interprèt<strong>en</strong>t de façons diverses l’équilibre <strong>en</strong>tre <strong>la</strong> liberté religieuse et les<br />

autres libertés. Alors que certains Etats essay<strong>en</strong>t de concilier toutes les formes d’expression<br />

religieuse de façon neutre, d’autres appliqu<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t une approche plus restrictive et<br />

formellem<strong>en</strong>t <strong>la</strong>ïque. La France, notamm<strong>en</strong>t, applique sa politique historique de «<strong>la</strong>ïcité » de<br />

façon stricte dans <strong>la</strong> sphère publique et relègue les formes ost<strong>en</strong>sibles d’expression religieuse<br />

à <strong>la</strong> sphère privée. Ceci a <strong>des</strong> conséqu<strong>en</strong>ces importantes <strong>pour</strong> l’égalité dans l’éducation.<br />

133


Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Y a-t-il, selon vous, <strong>des</strong> matières qui, à l’école, devrai<strong>en</strong>t être réservées aux filles ou aux<br />

garçons ?<br />

La sco<strong>la</strong>risation est-elle un droit, un privilège ou une obligation ? La loi devrait-elle obliger<br />

les jeunes à aller à l’école ?<br />

Quelle serait votre réaction si vous faisiez une demande d’admission à l’université et que vous<br />

vous aperce<strong>vie</strong>z que les p<strong>la</strong>ces sont attribuées selon un système de quotas <strong>pour</strong> assurer<br />

l’égalité <strong>en</strong>tre les sexes ?<br />

134


SEPTIEME QUESTION-CLE : Pourquoi est-il si difficile <strong>pour</strong> les<br />

humains de pr<strong>en</strong>dre soin de leur <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t ?<br />

Zosia Archibald et Robert Stradling<br />

Qu’est-ce que l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t ?<br />

Quand nous p<strong>en</strong>sons à «l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t », il se peut que nous p<strong>en</strong>sions à certain nombre de<br />

sujets différ<strong>en</strong>ts, même s’ils sont interdép<strong>en</strong>dants. A l’origine, le mot ang<strong>la</strong>is « <strong>en</strong>vironm<strong>en</strong>t »<br />

<strong>vie</strong>nt d’un mot français signifiant «les choses et les <strong>en</strong>droits qui nous <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t ». Au 19 e<br />

siècle, avec l’étude systématique <strong>des</strong> p<strong>la</strong>ntes et animaux dans leur cadre naturel, ce terme a<br />

acquis une signification beaucoup plus particulière et technique, <strong>pour</strong> désigner un milieu<br />

naturel ou un écosystème, pas seulem<strong>en</strong>t peuplé d’organismes vivants, mais leur permettant<br />

aussi de vivre. Dans l’étude sci<strong>en</strong>tifique de l’écologie, l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>d l’<strong>en</strong>semble<br />

<strong>des</strong> facteurs biologiques, chimiques et physiques qui permett<strong>en</strong>t à certains organismes d’y<br />

vivre. Dans <strong>la</strong> pratique, bi<strong>en</strong> sûr, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>ts, même ceux qui sont<br />

microscopiques, permett<strong>en</strong>t <strong>la</strong> <strong>vie</strong> de différ<strong>en</strong>ts types d’organismes, et <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> êtres<br />

vivants constitu<strong>en</strong>t eux-mêmes un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> d’autres organismes, comme les<br />

parasites qui viv<strong>en</strong>t d’autres insectes et animaux. Comme le poète, Jonathan Swift, le<br />

formu<strong>la</strong>it de façon plus imagée au 18 e siècle :<br />

So, naturalists observe, a flea Les naturalistes observ<strong>en</strong>t une puce<br />

Hath smaller fleas that on him prey, Elle a <strong>des</strong> puces plus petites qui <strong>la</strong> min<strong>en</strong>t<br />

And these have smaller fleas to bite ‘em, Celles-ci ont elles-mêmes <strong>des</strong> puces plus<br />

petites qui les mord<strong>en</strong>t<br />

And so proceed ad infinitum. Et ainsi de suite à l’infini.<br />

Au 20 e siècle le s<strong>en</strong>s du terme s’est ét<strong>en</strong>du <strong>pour</strong> inclure l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t construit, <strong>en</strong> plus de<br />

l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t naturel, notamm<strong>en</strong>t parce qu’on s’est de plus <strong>en</strong> plus préoccupé de l’impact<br />

de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t urbain sur <strong>la</strong> santé et <strong>la</strong> qualité de <strong>vie</strong> <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s qui y habit<strong>en</strong>t.<br />

Le souci de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t est-il un phénomène nouveau ?<br />

Certains <strong>des</strong> plus anci<strong>en</strong>s textes à avoir survécu au temps, <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance d’Eurasie,<br />

permett<strong>en</strong>t de p<strong>en</strong>ser qu’il y a <strong>des</strong> milliers d’années les g<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t déjà une consci<strong>en</strong>ce<br />

aiguë de leur <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Les mythologies <strong>des</strong> sociétés antiques montr<strong>en</strong>t que, dans une<br />

certaine mesure, les g<strong>en</strong>s ont toujours réfléchi à leurs rapports avec le reste du monde, ainsi<br />

qu’à leur dép<strong>en</strong>dance vis-à-vis de ce dernier. On s’aperçoit que, dès le mom<strong>en</strong>t où les<br />

hommes ont comm<strong>en</strong>cé à consigner leurs réflexions et leurs souv<strong>en</strong>irs, ils ont exprimé leur<br />

souci de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Par exemple, <strong>la</strong> plus <strong>vie</strong>ille histoire écrite du monde, l’Epopée de<br />

Gilgamesh , le héros suméri<strong>en</strong>, a été écrite il y plus de 4 000 ans. Elle raconte un déluge qui<br />

anéantit l’humanité, sauf une famille qui survit <strong>en</strong> construisant une arche et donne naissance à<br />

une nouvelle race, repeup<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> terre une fois que les eaux se sont retirées. Par <strong>la</strong> suite, ce<br />

mythe s’est répandu dans tout le Croissant fertile, autour <strong>des</strong> grands fleuves, le Nil, le Tigre et<br />

l’Euphrate, <strong>pour</strong> réapparaître, bi<strong>en</strong> sûr, dans <strong>la</strong> bible <strong>des</strong> Hébreux avec l’histoire de Noé et de<br />

sa famille. Les histoires de ces civilisations antiques abond<strong>en</strong>t de désastres résultant<br />

d’inondations, de sécheresses, d’ouragans, d’invasions de sauterelles et de changem<strong>en</strong>ts<br />

climatiques durables.<br />

Au même mom<strong>en</strong>t, l’évolution progressive de l’état de tribus noma<strong>des</strong>, vivant de <strong>la</strong> cueillette<br />

et de <strong>la</strong> chasse, vers celui de communautés séd<strong>en</strong>taires, vivant de <strong>la</strong> culture et de l’élevage,<br />

135


montr<strong>en</strong>t que, même aux temps préhistoriques, les hommes n’étai<strong>en</strong>t pas seulem<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> merci<br />

du climat et d’autres phénomènes naturels, ils exploitai<strong>en</strong>t et cultivai<strong>en</strong>t aussi les ressources<br />

naturelles <strong>en</strong> adaptant sciemm<strong>en</strong>t leur <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> satisfaire leurs besoins.<br />

Alors qu’il est probable que, jusqu’à l’époque moderne, <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> crises de<br />

l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t ai<strong>en</strong>t eu <strong>des</strong> causes naturelles, il est vrai que les hommes ont puisé sur les<br />

ressources naturelles depuis qu’ils ont comm<strong>en</strong>cé à se séd<strong>en</strong>tariser. Cep<strong>en</strong>dant, jusqu’à une<br />

époque réc<strong>en</strong>te, <strong>la</strong> terre n’était pas très peuplée, si bi<strong>en</strong> que les g<strong>en</strong>s pouvai<strong>en</strong>t toujours aller<br />

s’installer dans <strong>des</strong> <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>ts non cultivés et intacts quand ils avai<strong>en</strong>t épuisé les<br />

ressources locales et r<strong>en</strong>du le sol infertile. Ce<strong>la</strong> n’est plus possible aujourd’hui.<br />

De nos jours, beaucoup de crises <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tales sont le résultat <strong>des</strong> actions de l’homme.<br />

L’utilisation <strong>des</strong> terres et <strong>la</strong> surexploitation de ressources naturelles non r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles, les<br />

déchets que nous produisons et ce que nous <strong>en</strong> faisons, notre mode de <strong>vie</strong> matérialiste et<br />

gaspilleur, l’impact <strong>des</strong> substances toxiques sur les écosystèmes locaux et mondiaux, ainsi<br />

que l’impact <strong>des</strong> émissions de gaz dits « à effet de serre» sur le climat, ont tous eu <strong>des</strong> effets<br />

néfastes sur notre <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Les conséqu<strong>en</strong>ces sont bi<strong>en</strong> connues:<br />

Fonte <strong>des</strong> calottes po<strong>la</strong>ires et élévation du niveau de <strong>la</strong> mer<br />

Inondations, sécheresses, ouragans et autres phénomènes climatiques<br />

extrêmes<br />

Disparition <strong>des</strong> forêts<br />

Désertification<br />

Pollution de l’air et de l’eau<br />

Epuisem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> stocks de poissons<br />

Contamination radioactive dans les zones où il y a eu <strong>des</strong> essais nucléaires, où<br />

sont stockés <strong>des</strong> déchets nucléaires, où il y a eu <strong>des</strong> explosions et fuites de<br />

c<strong>en</strong>trales nucléaires.<br />

Les publications sci<strong>en</strong>tifiques évoqu<strong>en</strong>t ces catastrophes <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tales depuis <strong>la</strong><br />

deuxième guerre mondiale. Cep<strong>en</strong>dant, au cours <strong>des</strong> dernières déc<strong>en</strong>nies, le ton a changé. En<br />

1972, le sci<strong>en</strong>tifique britannique, James Lovelock, a développé <strong>la</strong> Théorie de Gaïa, selon<br />

<strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète Terre est un système vivant qui s’autorégule. En 2006, il a publié un<br />

nouveau chapitre de cette théorie dans un livre intitulé The Rev<strong>en</strong>ge <strong>of</strong> Gaia (La revanche de<br />

Gaïa) . Dans ce dernier livre, Lovelock avance que :<br />

«L’humanité, qui n’y a absolum<strong>en</strong>t pas été préparée par ses traditions humanistes,<br />

est confrontée à son plus grand défi. L’accélération du changem<strong>en</strong>t climatique, déjà<br />

<strong>en</strong> cours, va nous <strong>en</strong>lever l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t confortable auquel nous sommes adaptés.<br />

Le changem<strong>en</strong>t est inhér<strong>en</strong>t à l’histoire géologique, le dernier a été le passage de<br />

l’époque g<strong>la</strong>ciaire à l’époque interg<strong>la</strong>ciaire plus chaude que nous connaissons. Ce<br />

que <strong>la</strong> crise à v<strong>en</strong>ir a d’inhabituel, c’est que nous <strong>en</strong> sommes <strong>la</strong> cause, et ri<strong>en</strong> d’aussi<br />

viol<strong>en</strong>t ne s’était produit depuis <strong>la</strong> longue période chaude du début de l’Ecocène, il y<br />

a 55 millions d’années, quand le changem<strong>en</strong>t, plus important qu’<strong>en</strong>tre <strong>la</strong> période<br />

g<strong>la</strong>ciaire et le 19 e siècle, a duré 200 000 ans. »<br />

James Lovelock, The Rev<strong>en</strong>ge <strong>of</strong> Gaia – Why the Earth is Fighting Back and How We<br />

Can Still Save Humanity (La revanche de Gaïa : Pourquoi <strong>la</strong> Terre riposte-t-elle et<br />

comm<strong>en</strong>t pouvons-nous <strong>en</strong>core sauver l'humanité ?) (Londres, All<strong>en</strong> Lane, 2006).<br />

136


Les preuves de plus <strong>en</strong> plus nombreuses <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>taux<br />

Au cours du dernier demi-siècle, les sci<strong>en</strong>tifiques <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>taux ont mis au point <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> plus précises d’analyses <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>taux. Sil<strong>en</strong>t Spring, de<br />

Rachel Carson, <strong>en</strong> 1962, a été <strong>la</strong> première étude poussée sur les effets à long terme de <strong>la</strong><br />

pollution chimique. Les « évaluations d’impact <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tal » sont dev<strong>en</strong>ues un élém<strong>en</strong>t<br />

normal de tout processus de développem<strong>en</strong>t, non seulem<strong>en</strong>t dans les pays qui ont <strong>des</strong><br />

stratégies industrielles très développées, mais aussi dans ceux où l’industrialisation a été<br />

moins int<strong>en</strong>sive. Il est dev<strong>en</strong>u de plus <strong>en</strong> plus évid<strong>en</strong>t que ces changem<strong>en</strong>ts ne se limit<strong>en</strong>t pas<br />

à <strong>des</strong> problèmes locaux, comme <strong>la</strong> pollution de rivières et de <strong>la</strong>cs par <strong>des</strong> mines ou <strong>des</strong> usines.<br />

Il y <strong>des</strong> traces de produits chimiques toxiques dans tous les organismes vivants, mais avec <strong>des</strong><br />

conc<strong>en</strong>trations re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t faibles, qui n’affect<strong>en</strong>t pas notre <strong>vie</strong> quotidi<strong>en</strong>ne.<br />

Ce qui est beaucoup plus grave, ce sont les conc<strong>en</strong>trations dans l’atmosphère de certains gaz<br />

affectant les températures dans le monde et donc les conditions de <strong>vie</strong> <strong>en</strong> général. P<strong>en</strong>dant<br />

longtemps, les sci<strong>en</strong>tifiques du monde <strong>en</strong>tier ont été divisés sur <strong>la</strong> réalité du changem<strong>en</strong>t<br />

climatique et, tout autant, sur les remè<strong>des</strong> à y apporter. Le débat s’est conc<strong>en</strong>tré sur les «gaz à<br />

effet de serre », notamm<strong>en</strong>t les composés du carbone, comme le méthane et le dioxyde de<br />

carbone. Ces gaz transmett<strong>en</strong>t <strong>la</strong> lumière de façon semb<strong>la</strong>ble aux panneaux de verre d’une<br />

serre. La lumière dirige de <strong>la</strong> chaleur vers <strong>la</strong> surface de <strong>la</strong> terre, alors que les radiations<br />

infrarouges ne sont pas r<strong>en</strong>voyées dans l’atmosphère. L’augm<strong>en</strong>tation considérable <strong>des</strong> taux<br />

de dioxyde de carbone, de 280 ppm (parties par million) <strong>en</strong> 1750 à 375 ppm aujourd’hui, <strong>la</strong><br />

plus forte depuis 420000 ans, peut être attribuée <strong>en</strong> grande partie à <strong>la</strong> combustion d’énergie<br />

fossile depuis le début de <strong>la</strong> Révolution industrielle.<br />

L’augm<strong>en</strong>tation <strong>des</strong> températures a certains effets secondaires particulièrem<strong>en</strong>t gênants, qui<br />

<strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t eux-mêmes r<strong>en</strong>forcer le phénomène. Tant que les surfaces couvertes par <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce<br />

rest<strong>en</strong>t importantes, celles-ci réfléchiss<strong>en</strong>t <strong>la</strong> lumière qu’elle reçoiv<strong>en</strong>t et <strong>la</strong> r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t dans<br />

l’espace, maint<strong>en</strong>ant ainsi <strong>des</strong> températures basses. Mais les calottes po<strong>la</strong>ires fond<strong>en</strong>t à un<br />

rythme accéléré, ce qui réduit cet effet. Ce processus de fonte a égalem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> effet de<br />

libérer le méthane emprisonné dans les cristaux de g<strong>la</strong>ce. L’accroissem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> températures<br />

dans les océans réduit <strong>la</strong> quantité d’algues poussant dans leurs eaux, ce qui diminue<br />

égalem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> capacité de ces micro-organismes à absorber du dioxyde de carbone et à<br />

l’<strong>en</strong>traîner vers les fonds. L’augm<strong>en</strong>tation <strong>des</strong> températures ral<strong>en</strong>tit égalem<strong>en</strong>t le rythme de<br />

r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> forêts. Les arbres absorb<strong>en</strong>t du dioxyde de carbone et du méthane mais<br />

les libèr<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> nuit et quand ils comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à se décomposer.<br />

Il de<strong>vie</strong>nt difficile de nier les effets du changem<strong>en</strong>t climatique. Aujourd’hui, les sceptiques<br />

contest<strong>en</strong>t plutôt <strong>la</strong> vitesse de ces changem<strong>en</strong>ts que leur réalité. La seule façon de réduire les<br />

conc<strong>en</strong>trations, croissantes, de gaz à effet de serre est de réduire <strong>la</strong> contribution <strong>des</strong> hommes<br />

et <strong>des</strong> animaux à ce processus, ainsi que de réduire ces gaz par <strong>des</strong> moy<strong>en</strong>s physiques ou<br />

chimiques.<br />

Que peut-on faire ?<br />

A partir <strong>des</strong> années 1960, de nombreux gouvernem<strong>en</strong>ts ont comm<strong>en</strong>cé à mettre <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>des</strong><br />

politiques de protection de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et fait adopter <strong>des</strong> lois <strong>des</strong>tinées à réduire <strong>la</strong><br />

pollution. Les ag<strong>en</strong>ces internationales, ont <strong>la</strong>ncé <strong>des</strong> programmes d’aide aux victimes <strong>des</strong><br />

catastrophes <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tales, notamm<strong>en</strong>t dans les pays <strong>en</strong> développem<strong>en</strong>t d’Afrique et<br />

137


d’Asie. A cette époque, on a égalem<strong>en</strong>t vu apparaître <strong>des</strong> organisations internationales non<br />

gouvernem<strong>en</strong>tales faisant campagne auprès du public et sout<strong>en</strong>ant <strong>des</strong> programmes <strong>des</strong>tinés à<br />

protéger les espèces <strong>en</strong> danger. Ensuite, à partir <strong>des</strong> années 1970, un certain nombre<br />

d’organisations internationales, comme les Nations unies, le Conseil de l’<strong>Europe</strong> et l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne ont essayé, avec <strong>des</strong> déc<strong>la</strong>rations et conv<strong>en</strong>tions internationales, de persuader les<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts d’adopter <strong>des</strong> politiques <strong>des</strong>tinées à promouvoir un développem<strong>en</strong>t<br />

économique respectueux de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, à contrôler <strong>la</strong> pollution et à faire <strong>en</strong> sorte que<br />

les générations à v<strong>en</strong>ir viv<strong>en</strong>t dans un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t qui ne m<strong>en</strong>ace pas leur santé, leur bi<strong>en</strong>être<br />

et leurs droits humains.<br />

En 1972, par exemple, les Nations unies ont organisé une confér<strong>en</strong>ce à Stockholm qui a<br />

conduit à <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration sur l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t humain. Sept ans plus tard, le Conseil de<br />

l’<strong>Europe</strong> a adopté <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion re<strong>la</strong>tive à <strong>la</strong> conservation de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> sauvage et du milieu<br />

naturel de l'<strong>Europe</strong> (1979). Dans les années 1990, le Conseil de l’<strong>Europe</strong> a ratifié <strong>des</strong><br />

conv<strong>en</strong>tions supplém<strong>en</strong>taires <strong>des</strong>tinées à employer le droit civil et pénal <strong>pour</strong> empêcher toutes<br />

activités d’<strong>en</strong>treprises, industrielles ou autres, susceptibles de m<strong>en</strong>acer l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />

naturel. D’autres déc<strong>la</strong>rations, conv<strong>en</strong>tions et recommandations ont été adoptées au cours <strong>des</strong><br />

dix dernières années, tant par l’ONU que par le Conseil de l’<strong>Europe</strong>, qui ont appelé les<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts à agir <strong>pour</strong> protéger le droit de chaque individu à un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, naturel<br />

ou façonné par l’homme, propre et sain. 14<br />

Droits et responsabilités de l’homme<br />

Les déf<strong>en</strong>seurs de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t demand<strong>en</strong>t déjà depuis <strong>des</strong> années <strong>la</strong> création d’une<br />

catégorie particulière, appelée droits <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>taux, cep<strong>en</strong>dant ce<strong>la</strong> est généralem<strong>en</strong>t<br />

considéré comme problématique. La difficulté réside surtout dans le fait que, par définition,<br />

les droits de l’homme concern<strong>en</strong>t les droits et <strong>la</strong> protection que les g<strong>en</strong>s peuv<strong>en</strong>t att<strong>en</strong>dre de<br />

leurs gouvernem<strong>en</strong>ts. Pour ce qui est de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et de sa protection, p<strong>en</strong>dant les 60<br />

dernières années, les activités se sont conc<strong>en</strong>trées sur deux grands thèmes.<br />

Le premier thème est celui de <strong>la</strong> protection de l’individu contre les conséqu<strong>en</strong>ces <strong>des</strong> actions<br />

et politiques <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts et <strong>des</strong> sociétés multinationales. Concrètem<strong>en</strong>t, il s’agit du<br />

droit à une santé, une nourriture, une eau, un air et un abri corrects, du droit à un<br />

<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t sain qui fonctionne, du droit d’accès à l’information sur l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, du<br />

droit d’être consulté à propos <strong>des</strong> décisions et projets concernant l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, etc..<br />

Le deuxième thème est celui de ce que l’on <strong>pour</strong>rait appeler <strong>la</strong> justice <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tale. Il<br />

trouve son origine dans <strong>la</strong> prise de consci<strong>en</strong>ce de ce que les faibles, les pauvres, les<br />

communautés indigènes et certaines minorités culturelles ou ethniques ont souv<strong>en</strong>t le plus<br />

souffert <strong>des</strong> catastrophes <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tales. Ce sont ces personnes, <strong>en</strong> effet, qui ont le plus<br />

de chances de vivre dans <strong>des</strong> <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>ts urbains malsains, ou ruraux contaminés par <strong>des</strong><br />

produits toxiques et autres polluants. Il s’agit surtout de <strong>la</strong> question de l’égalité de traitem<strong>en</strong>t.<br />

14 Voir, par exemple, <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration de Stockholm de <strong>la</strong> Confér<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> Nations unies sur<br />

l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t humain (1972), <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion re<strong>la</strong>tive à <strong>la</strong> conservation de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> sauvage et du milieu<br />

naturel de l'<strong>Europe</strong> (Berne, 1979), <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion sur <strong>la</strong> responsabilité civile <strong>des</strong> dommages résultant<br />

d'activités dangereuses <strong>pour</strong> l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t (Lugano 1993), <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion sur <strong>la</strong> protection de<br />

l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t par le droit pénal, (Strasbourg 1998), <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion sur l'accès à l'information, <strong>la</strong><br />

participation du public au processus décisionnel et l'accès à <strong>la</strong> justice <strong>en</strong> matière d'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />

(Aarhus 1998) et les travaux <strong>en</strong> cours au Conseil de l’<strong>Europe</strong> <strong>pour</strong> rédiger une Charte europé<strong>en</strong>ne sur<br />

les Principes généraux <strong>pour</strong> <strong>la</strong> protection de l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et du développem<strong>en</strong>t durable.<br />

138


Elles ont parfois souffert aussi <strong>des</strong> politiques <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tales <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts et<br />

ag<strong>en</strong>ces internationales. En Afrique, par exemple, les gouvernem<strong>en</strong>ts ont créé plus de 10000<br />

réserves, avec le souti<strong>en</strong> de <strong>la</strong> Banque mondiale et d’organisations de protection de<br />

l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. D’après une estimation, plus de 14 millions de personnes ont été dép<strong>la</strong>cées<br />

de ces zones, <strong>la</strong> plupart du temps sans aucune forme de comp<strong>en</strong>sation. Ceux qui ont été<br />

autorisés à rester n’ont plus le droit d’utiliser leurs terrains de chasse traditionnels. Leurs<br />

droits culturels ont souv<strong>en</strong>t été ignorés, ils ont rarem<strong>en</strong>t été consultés et les gouvernem<strong>en</strong>ts,<br />

ainsi que les ag<strong>en</strong>ces internationales de protection de <strong>la</strong> nature, ont souv<strong>en</strong>t refusé de négocier<br />

<strong>des</strong> compromis ou, même, d’<strong>en</strong>visager <strong>la</strong> possibilité que ces popu<strong>la</strong>tions indigènes puiss<strong>en</strong>t<br />

admettre qu’il n’est pas dans leur intérêt de permettre l’extinction d’espèces <strong>en</strong> danger, dont<br />

celles qu’ils chass<strong>en</strong>t.<br />

Ces exemples montr<strong>en</strong>t que les problèmes <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>taux majeurs, comme <strong>la</strong> pollution, le<br />

réchauffem<strong>en</strong>t climatique, l’épuisem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> ressources naturelles et les espèces <strong>en</strong> danger,<br />

sont extrêmem<strong>en</strong>t complexes et ne sont pas nécessairem<strong>en</strong>t résolus par <strong>des</strong> mesures<br />

contraignantes <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts et <strong>des</strong> ag<strong>en</strong>ces internationales. Nous avons tous une part de<br />

responsabilité dans ces crises et nous devons tous contribuer à trouver <strong>des</strong> remè<strong>des</strong> efficaces à<br />

ces problèmes.<br />

En tant qu’individus et citoy<strong>en</strong>s ordinaires, nous ne sommes pas seulem<strong>en</strong>t victimes <strong>des</strong><br />

dommages <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>taux causés par les gouvernem<strong>en</strong>ts, les <strong>en</strong>treprises industrielles, les<br />

propriétaires terri<strong>en</strong>s peu scrupuleux et les gran<strong>des</strong> sociétés multinationales. Nos choix, notre<br />

mode de <strong>vie</strong> ou celui auquel nous aspirons, nos att<strong>en</strong>tes et exig<strong>en</strong>ces politiques et, surtout, nos<br />

attitu<strong>des</strong> <strong>en</strong>vers le monde naturel, ont contribué à provoquer les crises <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tales<br />

auxquelles le monde est confronté. P<strong>en</strong>dant une grande partie de leur histoire, les hommes se<br />

sont considérés comme différ<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> autres animaux et supérieurs à eux, fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t,<br />

ils se sont dissociés du monde naturel (c’est-à-dire qu’ils se sont considérés comme séparés de<br />

celui-ci). Ce<strong>la</strong> signifie que nous avons considéré le monde naturel comme quelque chose que<br />

nous pouvons exploiter à notre pr<strong>of</strong>it, plutôt que quelque chose dont nous sommes<br />

responsables. A moins que ces attitu<strong>des</strong> ne chang<strong>en</strong>t, il paraît peu probable que les problèmes<br />

décrits ici et dans les étu<strong>des</strong> de cas ci-après puiss<strong>en</strong>t être résolus efficacem<strong>en</strong>t un jour.<br />

139


ETUDE DE CAS 14 : Le Protocole de Kyoto et le débat sur <strong>la</strong><br />

rapidité et l’impact du changem<strong>en</strong>t climatique<br />

Zosia Archibald et Robert Stradling<br />

Contexte<br />

Au p<strong>la</strong>n international, on a assisté à <strong>des</strong> t<strong>en</strong>tatives sérieuses de contrôle <strong>des</strong> émissions de gaz<br />

à effet de serre depuis le « Sommet de <strong>la</strong> terre» à Rio de Janeiro, <strong>en</strong> 1992, où a été adoptée <strong>la</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tion-cadre <strong>des</strong> Nations unies sur le changem<strong>en</strong>t climatique. Si <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion a défini<br />

les principes généraux de l’action contre le changem<strong>en</strong>t climatique, elle n’a pas fixé<br />

d’objectifs concrets de réduction <strong>des</strong> émissions de gaz à effet de serre, considérées comme<br />

partiellem<strong>en</strong>t responsables du réchauffem<strong>en</strong>t climatique. Après cinq années supplém<strong>en</strong>taires<br />

de négociations de plus <strong>en</strong> plus int<strong>en</strong>ses, les représ<strong>en</strong>tants de 189 pays se sont r<strong>en</strong>contrés dans<br />

<strong>la</strong> <strong>vie</strong>ille cité japonaise de Kyoto, <strong>pour</strong> discuter <strong>des</strong> modifications à apporter à <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion,<br />

connue sous le nom de Protocole de Kyoto.<br />

Les pays développés qui ont accepté de ratifier le Protocole se sont <strong>en</strong>gagés à réduire leurs<br />

émissions de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre 15 dans <strong>des</strong> proportions<br />

données sur une période donnée. En se basant sur les émissions de 1990, les pays qui ont<br />

ratifié devai<strong>en</strong>t réduire leurs émissions de 5,2% d’ici à 2008-2012. L’objectif diffère d’un<br />

pays à l’autre. Les Etats membres de l’Union europé<strong>en</strong>ne devai<strong>en</strong>t réduire leurs émissions de<br />

8% et le Japon de 5%. Mais aucun objectif n’a été fixé à ce stade <strong>pour</strong> les grands pays <strong>en</strong><br />

développem<strong>en</strong>t comme l’Inde, <strong>la</strong> Chine et le Brésil.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, le Protocole de Kyoto ne pouvait <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> vigueur avant que deux conditions ne<br />

soi<strong>en</strong>t remplies :<br />

Il devait être ratifié par au moins 55 pays,<br />

Il devait être ratifié par <strong>des</strong> pays représ<strong>en</strong>tant au moins 55% du total <strong>des</strong> émissions de<br />

gaz à effet de serre.<br />

La première condition a été remplie <strong>en</strong> 2002, mais après l’élection du Présid<strong>en</strong>t Bush <strong>en</strong> 2001,<br />

les Etats-unis se sont retirés du Protocole de Kyoto et l’Australie a décidé, elle aussi, de ne<br />

pas le ratifier. Le retrait <strong>des</strong> Etats-Unis a constitué un échec majeur <strong>pour</strong> les Nations unies, <strong>en</strong><br />

effet, ce pays produit un tiers <strong>des</strong> émissions mondiales de gaz à effet de serre. La décision de<br />

<strong>la</strong> Russie dev<strong>en</strong>ait alors cruciale <strong>pour</strong> remplir <strong>la</strong> deuxième condition. Ce pays a finalem<strong>en</strong>t<br />

ratifié le Protocole le 18 novembre 2004 et il est <strong>en</strong>tré <strong>en</strong> vigueur 90 jours plus tard. Il lie les<br />

pays qui l’ont signé et se sont vu imposer <strong>des</strong> objectifs de réduction de leurs émissions.<br />

15 Bi<strong>en</strong> que 99% de l’atmosphère terrestre soit composée d’azote (78%) et d’oxygène (21%) et que<br />

ceux-ci soi<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong>sables à <strong>la</strong> <strong>vie</strong>, ils ne régul<strong>en</strong>t pas le climat. Ce sont d’autres gaz, constituant le<br />

1% restant qui se charg<strong>en</strong>t de cette régu<strong>la</strong>tion : les gaz à effet de serre. Il s’agit : du dioxyde de<br />

carbone, du méthane, <strong>des</strong> hydr<strong>of</strong>luorocarbones (HFC), <strong>des</strong> chlor<strong>of</strong>luorocarbones (CFC), de<br />

l’hexafluorure de soufre, de l’oxyde d’azote, de l’ozone et de <strong>la</strong> vapeur d’eau. Tous ces gaz absorb<strong>en</strong>t<br />

<strong>la</strong> chaleur. Sans eux, <strong>la</strong> température de <strong>la</strong> Terre serait inférieure de 30° à ce qu’elle est. Cep<strong>en</strong>dant, si<br />

on <strong>en</strong> produit trop, ce<strong>la</strong> conduit à un réchauffem<strong>en</strong>t.<br />

140


A l’heure qu’il est, 141 pays et Etats ont ratifié le Traité. Beaucoup sont <strong>des</strong> pays <strong>en</strong><br />

développem<strong>en</strong>t, qui risqu<strong>en</strong>t de souffrir le plus du réchauffem<strong>en</strong>t climatique. Ils ne doiv<strong>en</strong>t<br />

pas <strong>en</strong>core s’<strong>en</strong>gager sur <strong>des</strong> objectifs précis mais ils doiv<strong>en</strong>t faire part de leurs niveaux<br />

d’émissions et mettre <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>des</strong> programmes <strong>pour</strong> faire face au changem<strong>en</strong>t climatique.<br />

Certains pays, comme <strong>la</strong> France, <strong>la</strong> Suède et le Royaume-uni, ont déjà rempli leurs objectifs<br />

mais on s’att<strong>en</strong>d à ce que beaucoup d’autres n’y arriv<strong>en</strong>t pas d’ici à 2012, étant donné leurs<br />

rythmes de progression actuels.<br />

Comme les émissions de gaz à effet de serre vari<strong>en</strong>t considérablem<strong>en</strong>t d’un pays à l’autre, on<br />

a introduit un système permettant aux pays qui pollu<strong>en</strong>t beaucoup d’acheter <strong>des</strong> «crédits »<br />

inutilisés à <strong>des</strong> pays dont les émissions sont inférieures au niveau autorisé. Les pays peuv<strong>en</strong>t<br />

égalem<strong>en</strong>t acquérir <strong>des</strong> crédits, <strong>en</strong> procédant à <strong>des</strong> p<strong>la</strong>ntations d’arbres à grande échelle et <strong>en</strong><br />

pr<strong>en</strong>ant <strong>des</strong> mesures de protection <strong>des</strong> sols, <strong>pour</strong> absorber du carbone, et <strong>en</strong> sout<strong>en</strong>ant <strong>des</strong><br />

projets de ce type dans les pays <strong>en</strong> développem<strong>en</strong>t. On appelle généralem<strong>en</strong>t ce processus<br />

«commerce <strong>des</strong> émissions » ou « comp<strong>en</strong>sation du carbone».<br />

Quand les dirigeants <strong>des</strong> principaux pays industrialisés se sont r<strong>en</strong>contrés lors du sommet du<br />

G8 16 à Gl<strong>en</strong>eagles <strong>en</strong> Ecosse, <strong>en</strong> juillet 2005, ils ont reconnu leur responsabilité <strong>pour</strong> une<br />

partie <strong>des</strong> émissions passées et se sont mis d’accord <strong>pour</strong> col<strong>la</strong>borer avec les pays <strong>en</strong><br />

développem<strong>en</strong>t, afin de les aider à développer <strong>des</strong> capacités suffisantes <strong>pour</strong> contrecarrer les<br />

effets négatifs qu’ils risqu<strong>en</strong>t de ress<strong>en</strong>tir dans un av<strong>en</strong>ir proche.<br />

Quand ils se sont r<strong>en</strong>contrés à Heilig<strong>en</strong>damm <strong>en</strong> Allemagne, <strong>en</strong> juin 2007, ils ont reconnu<br />

qu’il fal<strong>la</strong>it faire beaucoup plus <strong>pour</strong> réduire les émissions de gaz à effet de serre et une<br />

proposition de réduction de moitié d’ici à 2050 a été mise sur <strong>la</strong> table. Cep<strong>en</strong>dant, les<br />

Américains sont v<strong>en</strong>us avec leur propre proposition qui ne comporte, ni objectifs, ni<br />

cal<strong>en</strong>drier précis. Finalem<strong>en</strong>t, on a trouvé un compromis qui ne repr<strong>en</strong>d pas l’objectif de<br />

réduction de 50% mais a permis aux pays du G8 membres de l’Union europé<strong>en</strong>ne d’affirmer<br />

que <strong>la</strong> position <strong>des</strong> Etats-unis avait évolué de façon significative.<br />

Dans les prochaines déc<strong>en</strong>nies, les émissions de gaz à effet de serre <strong>des</strong> pays d’Asie du Su<strong>des</strong>t<br />

risqu<strong>en</strong>t d’augm<strong>en</strong>ter considérablem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> raison de leur expansion économique. On peut<br />

espérer que <strong>la</strong> Chine, l’Inde et le Brésil accepteront de se joindre à une prochaine étape de <strong>la</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tion, après 2012, et de nombreux Etats <strong>des</strong> Etats-Unis ont exprimé leur int<strong>en</strong>tion de se<br />

conformer à <strong>des</strong> réglem<strong>en</strong>tations du même type.<br />

Chronologie<br />

1957 L’océanographe, David Keeling, réalise le premier suivi régulier du taux de dioxyde de<br />

carbone dans l’atmosphère et constate que celui-ci augm<strong>en</strong>te tous les ans.<br />

1979 Organisation de <strong>la</strong> première Confér<strong>en</strong>ce mondiale sur le climat, Elle appelle les<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts à traiter le problème de <strong>la</strong> prévision et de <strong>la</strong> prév<strong>en</strong>tion <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts<br />

climatiques provoqués par l’homme.<br />

16 Les pays du G8 sont le Canada, <strong>la</strong> France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, <strong>la</strong> Russie, le Royaume-Uni<br />

et les Etats-unis.<br />

141


1985 Première grande confér<strong>en</strong>ce internationale sur l’effet de serre. Des sci<strong>en</strong>tifiques<br />

expliqu<strong>en</strong>t que d’autres gaz que le dioxyde de carbone contribu<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t au<br />

réchauffem<strong>en</strong>t climatique.<br />

1987 Année <strong>la</strong> plus chaude depuis qu’on mesure les températures.<br />

1988 à l’occasion d’une réunion internationale au Canada, les sci<strong>en</strong>tifiques spécialistes du<br />

changem<strong>en</strong>t climatique appell<strong>en</strong>t à une réduction <strong>des</strong> émissions mondiales de dioxyde de<br />

carbone de 20% d’ici à 2005. Les Nations unies cré<strong>en</strong>t <strong>la</strong> Commission intergouvernem<strong>en</strong>tale<br />

sur les changem<strong>en</strong>ts climatiques (IPCC) <strong>pour</strong> analyser les preuves sci<strong>en</strong>tifiques et faire un<br />

rapport.<br />

1990 L’IPCC rapporte que <strong>la</strong> terre s’est réchauffée de 0,5° au cours du 20 e siècle et avertit de<br />

<strong>la</strong> nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’ONU comm<strong>en</strong>ce <strong>des</strong><br />

négociations <strong>en</strong> vue d’une Conv<strong>en</strong>tion sur le changem<strong>en</strong>t climatique.<br />

1992 Le «Sommet de <strong>la</strong> Terre» se ti<strong>en</strong>t à Rio de Janeiro où <strong>la</strong> Conv<strong>en</strong>tion-cadre sur le<br />

changem<strong>en</strong>t climatique est adoptée par 154 pays.<br />

1995 Année <strong>la</strong> plus chaude jamais <strong>en</strong>registrée. L’IPCC indique que les températures<br />

augm<strong>en</strong>teront de 1° à 3,5° d’ici 2100. Le rapport affirme égalem<strong>en</strong>t que l’homme est <strong>en</strong> partie<br />

responsable du réchauffem<strong>en</strong>t.<br />

1997 Une confér<strong>en</strong>ce internationale organisée à Kyoto, au Japon, adopte le Protocole de<br />

Kyoto qui impose aux pays industrialisés signataires de réduire leurs émissions de gaz à effet<br />

de serre de 5,2% <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne d’ici à 2012.<br />

1998 Année <strong>la</strong> plus chaude jamais <strong>en</strong>registrée.<br />

2000 L’IPCC revoit ses prévisions d’émissions de gaz à effet de serre et avertit que <strong>la</strong> Terre<br />

<strong>pour</strong>rait se réchauffer de 6° au cours du 21 e siècle.<br />

2001 Le Présid<strong>en</strong>t Bush est élu et il r<strong>en</strong>once au Protocole, au prétexte qu’il causerait trop de<br />

tort à l’économie <strong>des</strong> Etats-Unis. La plupart <strong>des</strong> autres pays industrialisés décid<strong>en</strong>t de<br />

<strong>pour</strong>suivre et de ratifier le Protocole sans les Etats-Unis.<br />

2002 L’Australie décide de ne pas ratifier le Protocole, au contraire <strong>des</strong> pays de l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne. La Russie repousse sa ratification.<br />

2003 L’<strong>Europe</strong> connaît son été le plus chaud depuis plus de 500 ans. Les sci<strong>en</strong>tifiques<br />

rapport<strong>en</strong>t une accélération de l’augm<strong>en</strong>tation annuelle du taux de gaz à effet de serre dans<br />

l’atmosphère.<br />

2004 La Russie ratifie le Protocole de Kyoto, ce dernier peut donc <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> vigueur <strong>en</strong> 2005.<br />

2005 Lors du Sommet du G8 <strong>en</strong> Ecosse, les principaux pays industrialisés se mett<strong>en</strong>t d’accord<br />

<strong>pour</strong> faire plus afin de contrecarrer les effets du réchauffem<strong>en</strong>t climatique, notamm<strong>en</strong>t dans<br />

les pays <strong>en</strong> développem<strong>en</strong>t. Ils con<strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong>ncer le processus de discussion<br />

<strong>des</strong> objectifs de réduction <strong>des</strong> émissions <strong>pour</strong> <strong>la</strong> période ultérieure à 2012.<br />

142


2007 Au Sommet du G8 <strong>en</strong> Allemagne, ils discut<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> possibilité de réduire les émissions<br />

de gaz à effet de serre de 50% d’ici à 2050. Les Etats-Unis accepter de travailler dans le cadre<br />

de l’ONU, plutôt que de <strong>la</strong>ncer un programme parallèle avec d’autres pays comme <strong>la</strong> Chine,<br />

l’Inde et le Brésil.<br />

Quel est ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Comme le montre <strong>la</strong> chronologie, le débat sur <strong>la</strong> nature et l’impact du changem<strong>en</strong>t climatique,<br />

ainsi que sur les mesures les plus à même de traiter le problème, se <strong>pour</strong>suit depuis le début<br />

<strong>des</strong> années 1980. Il est, <strong>pour</strong> partie, très technique, mais c’est aussi un problème qui a<br />

mobilisé les g<strong>en</strong>s ordinaires et les a incitéq à rejoindre <strong>des</strong> groupes de déf<strong>en</strong>se de<br />

l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et, même, à <strong>des</strong>c<strong>en</strong>dre dans <strong>la</strong> rue, <strong>pour</strong> protester contre les actions de leurs<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts et de <strong>la</strong> communauté internationale. Les milliers de personnes qui ont<br />

manifesté à l’occasion du dernier Sommet du G8 montr<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> l’anxiété pr<strong>of</strong>onde à propos<br />

de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, et le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que les problèmes ne sont pas traités comme il se doit au<br />

niveau international.<br />

Fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t, il ne s’agit pas d’un problème unique ni simple, bi<strong>en</strong> que ceux qui ont fait<br />

campagne <strong>pour</strong> ou contre <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts l’ai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>té ainsi. En fait il s’agit de<br />

plusieurs questions différ<strong>en</strong>tes, mêmes s’il y a <strong>des</strong> li<strong>en</strong>s <strong>en</strong>tre elles.<br />

Premièrem<strong>en</strong>t, il y a le débat intergouvernem<strong>en</strong>tal. Aux Etats-Unis, l’Administration Clinton<br />

a participé activem<strong>en</strong>t dans les discussions de Kyoto et a pris l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t de réduire les<br />

émissions du pays de 7%. L’équipe américaine était dirigée par le Vice-présid<strong>en</strong>t Al Gore, qui<br />

a, par <strong>la</strong> suite, été un ard<strong>en</strong>t détracteur de <strong>la</strong> politique de l’Administration Bush <strong>en</strong> matière de<br />

changem<strong>en</strong>t climatique et a gagné un Oscar <strong>pour</strong> son film docum<strong>en</strong>taire An Inconv<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t<br />

Truth (Une vérité qui dérange) , qui traite <strong>des</strong> problèmes auxquels le monde est confronté.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, même du temps de Clinton, les Etats-Unis semb<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t «être à <strong>la</strong> traîne » <strong>pour</strong><br />

ratifier le Protocole de Kyoto. Quand le Républicain, George W. Bush, est dev<strong>en</strong>u Présid<strong>en</strong>t<br />

<strong>des</strong> Etats-Unis, il fit compr<strong>en</strong>dre que les Etats-Unis ne ratifierai<strong>en</strong>t pas le Protocole de Kyoto,<br />

bi<strong>en</strong> qu’ils soi<strong>en</strong>t le principal émetteur de gaz à effet de serre. Il p<strong>en</strong>sait que les changem<strong>en</strong>ts<br />

nécessaires <strong>pour</strong> atteindre les objectifs de Kyoto nuirai<strong>en</strong>t à l’économie américaine et lui<br />

coûterai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> millions d’emplois.<br />

Comme l’Australie, autre grand pays industriel qui n’a pas ratifié le Protocole de Kyoto,<br />

l’Administration Bush ne vou<strong>la</strong>it pas signer un traité sur le changem<strong>en</strong>t climatique qui<br />

exemptait deux autres grands pollueurs, <strong>la</strong> Chine et l’Inde, de réduction de leurs émissions. Il<br />

considérait que cette exemption était une erreur fatale et une injustice. Les autres pays<br />

industrialisés, qui avai<strong>en</strong>t ratifié le Protocole et s’étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>gagés à réduire leurs émissions<br />

d’ici 2012, se sont alors <strong>la</strong>ncés dans un long dialogue (cinq ans) avec les Etats-Unis et<br />

l’Australie, <strong>pour</strong> essayer de les persuader de monter dans ce qu’un conseiller de l’UE a appelé<br />

«le wagon de tête du changem<strong>en</strong>t climatique ». Pour les ONG, les observateurs indép<strong>en</strong>dants<br />

et les journalistes, le dialogue concernait plus l’économie et les avantages concurr<strong>en</strong>tiels <strong>des</strong><br />

Etats-Unis, du Japon et l’UE sur les marchés mondiaux, que <strong>la</strong> sci<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tale.<br />

Le débat sur le changem<strong>en</strong>t climatique a égalem<strong>en</strong>t une dim<strong>en</strong>sion Nord-Sud. Comme on l’a<br />

déjà dit, bi<strong>en</strong> que de nombreux pays développés et <strong>en</strong> voie de développem<strong>en</strong>t ai<strong>en</strong>t ratifié le<br />

Protocole de Kyoto, seuls les pays industrialisés se sont vu fixer <strong>des</strong> objectifs de réduction <strong>des</strong><br />

émissions à atteindre d’ici 2012. Des pays connaissant un développem<strong>en</strong>t industriel rapide,<br />

comme <strong>la</strong> Chine et l’Inde, <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t exemptées, tout comme les pays moins industrialisés<br />

143


d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Certains de leurs dirigeants, surtout ceux <strong>des</strong> pays<br />

connaissant un certain développem<strong>en</strong>t industriel, faisai<strong>en</strong>t remarquer que le Nord vou<strong>la</strong>it que<br />

les pays du Sud, qui comm<strong>en</strong>çai<strong>en</strong>t juste à s’industrialiser fass<strong>en</strong>t preuve d’une consci<strong>en</strong>ce et<br />

d’un s<strong>en</strong>s de <strong>la</strong> responsabilités qu’ils n’avai<strong>en</strong>t eux-mêmes pas montré p<strong>en</strong>dant leur phase<br />

d’industrialisation rapide.<br />

Les pays <strong>en</strong> développem<strong>en</strong>t les plus vulnérables aux catastrophes provoquées par le<br />

changem<strong>en</strong>t climatique (les pays d’Asie du Sud-est, dont les Philippines, de nombreuses îles<br />

du Pacifique, le B<strong>en</strong>g<strong>la</strong><strong>des</strong>h, ainsi que certaines régions tropicales semi-ari<strong>des</strong> d’Afrique du<br />

Sud-est) risquai<strong>en</strong>t d’être les moins préparés à ces év<strong>en</strong>tualités. L’Alliance <strong>des</strong> petits Etats<br />

insu<strong>la</strong>ires (dont beaucoup craign<strong>en</strong>t de disparaître sous les flots avec <strong>la</strong> montée du niveau de<br />

<strong>la</strong> mer causée par le réchauffem<strong>en</strong>t climatique) se sont organisés au milieu <strong>des</strong> années 1990,<br />

<strong>pour</strong> prés<strong>en</strong>ter une position commune à Kyoto et aux confér<strong>en</strong>ces ultérieures sur le contrôle<br />

du climat. Ils ont appelé à une réduction de 20% <strong>des</strong> émissions mondiales d’ici 2005, <strong>pour</strong><br />

eux, le Protocole de Kyoto (réduction de 5,2% d’ici 2012), était insuffisant et arrivait trop<br />

tard. Par contre, il ne semb<strong>la</strong>it pas y avoir de coopération <strong>en</strong>tre les autres pays <strong>en</strong><br />

développem<strong>en</strong>t et, après Kyoto et <strong>la</strong> Confér<strong>en</strong>ce internationale de contrôle du climat de<br />

Montréal qui a suivi, il n’était pas rare que les déf<strong>en</strong>seurs de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et les médias<br />

<strong>des</strong> pays asiatiques et africains se p<strong>la</strong>ign<strong>en</strong>t de l’abs<strong>en</strong>ce d’un p<strong>la</strong>n asiatique ou africain de<br />

contrôle du climat.<br />

Depuis le début <strong>des</strong> années 1980, il y a plusieurs débats au sein de <strong>la</strong> communauté<br />

sci<strong>en</strong>tifique. Les sci<strong>en</strong>tifiques n’étai<strong>en</strong>t pas d’accord sur le rythme <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts<br />

climatiques, sur <strong>la</strong> meilleure façon de les contrecarrer et sur leurs causes exactes (notamm<strong>en</strong>t<br />

sur <strong>la</strong> part imputable à l’homme). Par ailleurs, le débat sci<strong>en</strong>tifique à souv<strong>en</strong>t été politisé par<br />

les responsables politiques, les médias de masse et, même, par certains sci<strong>en</strong>tifiques. Les<br />

médias de <strong>la</strong>ngue ang<strong>la</strong>ise, par exemple, surtout aux Etats-Unis, ont assuré une grande<br />

couverture à tous les sci<strong>en</strong>tifiques, économistes et spécialistes <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces sociales qui se<br />

montrai<strong>en</strong>t sceptiques sur le changem<strong>en</strong>t climatique et son impact probable sur <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>des</strong><br />

g<strong>en</strong>s.<br />

Néanmoins, quand le Présid<strong>en</strong>t Bush a annoncé <strong>en</strong> 2001 que les Etats-Unis ne ratifierai<strong>en</strong>t pas<br />

le Protocole de Kyoto car «tous les sci<strong>en</strong>tifiques n’étai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core d’accord sur cette<br />

question », les académies nationales <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces de 17 pays, qui représ<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t les élites de<br />

leurs communautés sci<strong>en</strong>tifiques respectives, ont publié une déc<strong>la</strong>ration commune dans <strong>la</strong><br />

revue américaine, Sci<strong>en</strong>ce, qui concluait ainsi :«Des doutes ont été exprimés récemm<strong>en</strong>t<br />

quant à <strong>la</strong> nécessité d’atténuer les risques causés par le changem<strong>en</strong>t climatique. Nous ne<br />

considérons pas que ses doutes soi<strong>en</strong>t justifiés… Le degré de certitude que les températures<br />

vont augm<strong>en</strong>ter de 5,8% au 21 e siècle est d’au moins 90%. »<br />

Maint<strong>en</strong>ant que <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>tifiques <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>taux dans le monde sont d’accord<br />

<strong>pour</strong> dire que le réchauffem<strong>en</strong>t climatique est un problème, que les températures augm<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

et que ce<strong>la</strong> est dû, <strong>pour</strong> partie, aux activités humaines, le débat porte sur une nouvelle<br />

question: le «point de non-retour », c’est-à-dire le niveau d’émissions qui provoquerait <strong>des</strong><br />

changem<strong>en</strong>ts irréversibles. Ce<strong>la</strong> concerne surtout <strong>la</strong> fonte <strong>des</strong> calottes g<strong>la</strong>ciaires, <strong>la</strong><br />

désertification et <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> marine <strong>en</strong> raison d’une augm<strong>en</strong>tation de <strong>la</strong><br />

température dans les océans et les mers, surtout autour <strong>des</strong> barrières de corail. Pour le<br />

mom<strong>en</strong>t, l’incertitude quant au « point de non retour » reste grande, mais ce débat a influ<strong>en</strong>cé<br />

<strong>la</strong> décision de l’Union europé<strong>en</strong>ne de demander une réduction de 50% <strong>des</strong> émissions d’ici à<br />

2050. Certains sci<strong>en</strong>tifiques affirm<strong>en</strong>t que le point de non-retour est déjà dépassé <strong>pour</strong><br />

certains petits Etats du Pacifique, comme le Kiribati.<br />

144


Enfin, il y a égalem<strong>en</strong>t un débat sur ce qu’il con<strong>vie</strong>ndrait de faire. D’un côté, il y a les plus<br />

radicaux, qui préconis<strong>en</strong>t <strong>des</strong> taxes sur les transports, <strong>des</strong> restrictions sur les voyages (dans <strong>la</strong><br />

mesure où le trafic aéri<strong>en</strong> a une part importante dans les émissions de gaz à effet de serre), de<br />

mettre l’acc<strong>en</strong>t sur le recyc<strong>la</strong>ge <strong>des</strong> déchets et sur l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t de chacun à réduire son<br />

«bi<strong>la</strong>n carbone ». De l’autre, il y a certains conseillers <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts, qui ont introduit le<br />

commerce <strong>des</strong> émissions et affirm<strong>en</strong>t que les nouvelles technologies, comme les c<strong>en</strong>trales<br />

électriques zéro émission et le passage aux véhicules fonctionnant à l’hydrogène,<br />

constitueront un moy<strong>en</strong> efficace de lutte contre le changem<strong>en</strong>t climatique, sans avoir<br />

forcém<strong>en</strong>t à changer pr<strong>of</strong>ondém<strong>en</strong>t notre mode de <strong>vie</strong>.<br />

Divers points de vue<br />

Selon les Nations-Unies, le Protocole de Kyoto est :<br />

«Un accord <strong>en</strong> vertu duquel les pays industrialisés réduiront leurs émissions globales de gaz à<br />

effet de serre de 5,2% par rapport à 1990 (mais il con<strong>vie</strong>nt de remarquer que, par rapport aux<br />

émissions prévues <strong>pour</strong> 2010 dans le Protocole, cette limitation représ<strong>en</strong>te une réduction de<br />

29%). Le but est de diminuer les émissions globales moy<strong>en</strong>nes de six gaz à effet de serre<br />

(dioxyde de carbone, méthane, oxyde d’azote, hexafluorure de soufre, HFC et PFC), sur <strong>la</strong><br />

période 2008-2012. Les diminutions imposées aux différ<strong>en</strong>ts pays sont de 8% <strong>pour</strong> l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne et quelques autres, 7% <strong>pour</strong> les Etats-Unis, 6% <strong>pour</strong> le Japon, 0% <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Russie<br />

et les augm<strong>en</strong>tations permises de 8% <strong>pour</strong> l’Australie et de 10% <strong>pour</strong> l’Is<strong>la</strong>nde. »<br />

Communiqué de presse du 10 juillet 2006.<br />

Le Présid<strong>en</strong>t Bush déc<strong>la</strong>rait dans un communiqué de presse du 13 mars 2001 :<br />

«Je suis opposé au Protocole de Kyoto parce qu’il disp<strong>en</strong>se 80% de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète de s’y<br />

conformer, y compris les pays les plus peuplés, comme <strong>la</strong> Chine et l’Inde, et parce qu’il<br />

nuirait sérieusem<strong>en</strong>t à l’économie <strong>des</strong> Etats-Unis… …Je souti<strong>en</strong>s une politique de l’énergie<br />

globale et équilibrée qui pr<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> compte l’importance de l’amélioration de <strong>la</strong> qualité de<br />

l’air… …Toute stratégie de ce type devrait prévoir une réduction progressive, dans un dé<strong>la</strong>i<br />

raisonnable, assurer un certitude réglem<strong>en</strong>taire et proposer <strong>des</strong> incitations basées sur les lois<br />

du marché, afin d’aider l’industrie à atteindre les objectifs. Cep<strong>en</strong>dant, je ne crois pas que le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t doive imposer <strong>des</strong> réductions d’émissions de dioxyde de carbone aux c<strong>en</strong>trales<br />

électriques, <strong>en</strong> effet ce gaz n’est pas « polluant » au s<strong>en</strong>s du Clean Air Act (Loi sur <strong>la</strong> pureté<br />

de l’air). Le charbon fournit plus de <strong>la</strong> moitié de <strong>la</strong> production d’électricité <strong>des</strong> Etats-Unis.<br />

Alors que <strong>la</strong> Californie a déjà connu une pénurie d’énergie et que d’autres Etats de l’Ouest<br />

sont préoccupés du prix et de l’approvisionnem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> énergie <strong>pour</strong> cet été, nous devons faire<br />

très att<strong>en</strong>tion à ne pas pr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> mesures qui <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t nuire aux consommateurs. C’est<br />

d’autant plus vrai au regard de l’état <strong>des</strong> connaissances sci<strong>en</strong>tifiques quant aux causes du<br />

changem<strong>en</strong>t climatique et aux solutions à y apporter, ainsi qu’à l’abs<strong>en</strong>ce de technologies de<br />

suppression et de stockage du dioxyde de carbone commercialem<strong>en</strong>t exploitables. »<br />

Le déf<strong>en</strong>seur de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t indi<strong>en</strong>, Nee<strong>la</strong>m Singh, répliqua ainsi à <strong>la</strong> critique de<br />

l’Administration américaine selon <strong>la</strong>quelle le Protocole de Kyoto exemptait l’Inde et <strong>la</strong><br />

Chine :<br />

145


«Bush peut attaquer l’Inde et <strong>la</strong> Chine autant qu’il le veut. Il n’<strong>en</strong> reste pas moins que les<br />

Etats-Unis, pays fortem<strong>en</strong>t industrialisé, sont aussi le principal émetteur de dioxyde de<br />

carbone. »<br />

Le principal conseiller sci<strong>en</strong>tifique du Présid<strong>en</strong>t Bush, John H. Marburger, déc<strong>la</strong>ra:<br />

«Personne n’est d’accord sur ce qui constitue un changem<strong>en</strong>t de climat dangereux… Nous<br />

savons que ce g<strong>en</strong>re de chose est possible, mais nous de disposons pas de suffisamm<strong>en</strong>t<br />

d’informations <strong>pour</strong> évaluer le niveau de risque. »<br />

Un lobby américain de protection de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t critiqua ainsi les argum<strong>en</strong>ts de<br />

l’Administration Bush contre le Protocole de Kyoto (National Resources Def<strong>en</strong>ce<br />

<strong>Council</strong> NRDC)<br />

«L’Administration Bush n’a fait absolum<strong>en</strong>t aucune analyse <strong>pour</strong> étayer son affirmation,<br />

selon <strong>la</strong>quelle le Protocole de Kyoto ou <strong>des</strong> politiques nationales de réduction de <strong>la</strong> pollution<br />

au dioxyde de carbone par les c<strong>en</strong>trales électriques nuirai<strong>en</strong>t sérieusem<strong>en</strong>t à l’économie<br />

américaine. Si les associations d’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs ont publié de nombreuses déc<strong>la</strong>rations<br />

trompeuses re<strong>la</strong>tives aux dommages économiques supposés de telles mesures, deux analyses<br />

appr<strong>of</strong>ondies du Gouvernem<strong>en</strong>t ont montré qu’il était possible de réduire les émissions de gaz<br />

à effet de serre au niveau demandé par l’accord de Kyoto sans nuire à l’économie américaine.<br />

En 1998, les Conseil <strong>des</strong> conseillers économiques de <strong>la</strong> Maison b<strong>la</strong>nche est arrivé à <strong>la</strong><br />

conclusion que le coût de <strong>la</strong> mise <strong>en</strong> œuvre de l’accord de Kyoto serait « mo<strong>des</strong>te » (pas plus<br />

de quelques dixièmes de point de croissance du produit intérieur brut <strong>en</strong> 2010, l’équival<strong>en</strong>t<br />

d’un ou deux mois supplém<strong>en</strong>taires, maximum, <strong>pour</strong> réaliser un augm<strong>en</strong>tation importante de<br />

<strong>la</strong> richesse du pays sur une période de 10 ans). Une étude ultérieure <strong>en</strong>core plus détaillée,<br />

réalisée par cinq <strong>la</strong>boratoires nationaux du Departm<strong>en</strong>t <strong>of</strong> Energy, a conclu que <strong>des</strong> politiques<br />

<strong>des</strong>tinées à accroître l’efficacité énergétique permettrai<strong>en</strong>t aux Etats-Unis de réaliser <strong>la</strong> plus<br />

grande partie <strong>des</strong> réductions d’émissions nécessaires <strong>pour</strong> se conformer aux Protocole de<br />

Kyoto, grâce à <strong>des</strong> mesures internes susceptibles d’améliorer les performances économiques à<br />

long terme.»<br />

Al Gore, à propos de son docum<strong>en</strong>taire, Une vérité qui dérange :<br />

«Une bombe à retardem<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>ace l’humanité. Si <strong>la</strong> grande majorité <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>tifiques de<br />

monde ont raison, nous n’avons que 10 ans <strong>pour</strong> éviter une catastrophe majeure qui <strong>pour</strong>rait<br />

décl<strong>en</strong>cher sur toute <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète une spirale de <strong>des</strong>tructions : conditions climatiques extrêmes,<br />

inondations, sécheresses, épidémies et vagues de chaleur meurtrières al<strong>la</strong>nt bi<strong>en</strong> au-delà de<br />

tout ce que nous n’avons jamais connu. »<br />

Sir Robert May, principal conseiller sci<strong>en</strong>tifique du gouvernem<strong>en</strong>t du Royaume-uni<br />

dans les années 1990, déc<strong>la</strong>ra :<br />

«Le changem<strong>en</strong>t climatique est une réalité inquiétante et personne ne peut se permettre de<br />

repousser les mesures <strong>pour</strong> saisir ce problème à bras-le-corps. Il y a <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s qui ont t<strong>en</strong>té<br />

sans justification de remettre <strong>en</strong> cause les travaux de l’IPCC, mais il n’y a aucun doute qu’il<br />

<strong>of</strong>fre aux gouvernem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> meilleure expertise <strong>en</strong> matière de changem<strong>en</strong>t climatique. Il<br />

rassemble <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>tifiques du monde <strong>en</strong>tier et leurs délibérations transc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les frontières<br />

nationales et les intérêts particuliers <strong>des</strong> différ<strong>en</strong>ts pays. »The Guardian, 18 mai 2001.<br />

146


Bi<strong>en</strong> que le Canada ait été l’un <strong>des</strong> premiers pays développés à ratifier le Protocole de<br />

Kyoto, tous les Canadi<strong>en</strong>s n’ont pas apprécié ce traité :<br />

«La mise <strong>en</strong> œuvre du Protocole de Kyoto nous forcerait à payer un prix plus élevé que celui<br />

que nous aurions à payer <strong>pour</strong> réparer les dommages susceptibles d’être causés par un<br />

réchauffem<strong>en</strong>t climatique. Kyoto est prés<strong>en</strong>té comme un accord sur l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Mais si<br />

on y regarde de plus près, <strong>en</strong> fait il s’agit d’économie et d’une politique qui avantagerait<br />

certains pays (surtout europé<strong>en</strong>s) par rapport à d’autres (<strong>en</strong> premier lieu les Etats-Unis). »<br />

The Toronto Star, 4 décembre 2005.<br />

Le Natural Environm<strong>en</strong>t Research <strong>Council</strong> du Royaume-Uni insiste sur le cons<strong>en</strong>sus sur<br />

le réchauffem<strong>en</strong>t climatique parmi les sci<strong>en</strong>tifiques de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t :<br />

«Parmi les sci<strong>en</strong>tifiques spécialistes du changem<strong>en</strong>t climatique, il y un cons<strong>en</strong>sus massif<br />

<strong>pour</strong> affirmer que les activités humaines, et <strong>en</strong> particulier celles qui produis<strong>en</strong>t <strong>des</strong> gaz à effet<br />

de serre, sont <strong>en</strong> grande partie responsables du changem<strong>en</strong>t climatique que nous constatons.<br />

Le climat connaît égalem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> fluctuations naturelles au cours du temps. Il se peut qu’une<br />

telle fluctuation explique partiellem<strong>en</strong>t le réchauffem<strong>en</strong>t, mais pas totalem<strong>en</strong>t. Ce cons<strong>en</strong>sus<br />

ressort <strong>des</strong> travaux remis à <strong>la</strong> Commission intergouvernem<strong>en</strong>tale <strong>des</strong> Nations unies sur le<br />

changem<strong>en</strong>t climatique par les chercheurs sur le climat (dont beaucoup de sci<strong>en</strong>tifiques du<br />

NERC). L’IPCC est reconnue dans le monde <strong>en</strong>tier comme <strong>la</strong> source d’information faisant<br />

autorité <strong>en</strong> matière de changem<strong>en</strong>t climatique. Dans un autre rapport de 2001, l’IPCC arrivait<br />

à <strong>la</strong> conclusion que <strong>la</strong> plus grande partie du réchauffem<strong>en</strong>t constaté ces 50 dernières années<br />

est probablem<strong>en</strong>t due aux activités humaines. Les modèles informatiques de calcul du climat<br />

et les données recueillies p<strong>en</strong>dant les 140 dernières années aboutiss<strong>en</strong>t aux résultats les plus<br />

proches quand on pr<strong>en</strong>d <strong>en</strong> compte les émissions prov<strong>en</strong>ant <strong>des</strong> activités humaines. »<br />

Cep<strong>en</strong>dant, Philip Stott, Pr<strong>of</strong>esseur de biogéographie à l’Université de Londres,<br />

considère qu’il faut utiliser avec prud<strong>en</strong>ce les modèles de calcul informatiques :<br />

«Le climat est l’un <strong>des</strong> systèmes les plus complexes que nous connaissions, <strong>pour</strong>tant nous<br />

affirmons pouvoir le maîtriser <strong>en</strong> essayant de contrôler un petit nombre de facteurs, à savoir<br />

les émissions de gaz à effet de serre. »<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Etes-vous d’accord avec les personnes qui, comme l’anci<strong>en</strong> vice-présid<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis, Al<br />

Gore, croi<strong>en</strong>t que le réchauffem<strong>en</strong>t climatique constitue une « bombe à retardem<strong>en</strong>t » et que<br />

nous devons tous modifier dès maint<strong>en</strong>ant nos mo<strong>des</strong> de <strong>vie</strong>, ou, êtes-vous d’accord avec ceux<br />

qui croi<strong>en</strong>t que le problème peut être résolu <strong>en</strong> développant de nouvelles technologies?<br />

147


ETUDE DE CAS N° 15 : Pourrons-nous satisfaire nos besoins<br />

énergétiques croissants au 21 e siècle?<br />

Zosia Archibald et Robert Stradling<br />

Chronologie<br />

1763 James Watt inv<strong>en</strong>te <strong>la</strong> machine à vapeur.<br />

1760 –<br />

1850<br />

1800 -<br />

1821<br />

La Grande-Bretagne, puis <strong>la</strong> Belgique et les États du Nord <strong>des</strong> États-Unis.<br />

connaiss<strong>en</strong>t <strong>la</strong> première vague de <strong>la</strong> révolution industrielle, grâce au charbon.<br />

Inv<strong>en</strong>tion de <strong>la</strong> première pile électrique par Alessandro Volta, <strong>en</strong> 1800. En 1820,<br />

André-Marie Ampère découvre que deux conducteurs parallèles parcourus par<br />

<strong>des</strong> courants électriques exerc<strong>en</strong>t l'un sur l'autre une force d’attraction. Une<br />

année plus tard, Faraday met au point le premier moteur électrique.<br />

1837 Fabrication <strong>des</strong> premiers moteurs électriques industriels.<br />

1850 –<br />

1900<br />

Deuxième vague de <strong>la</strong> révolution industrielle <strong>en</strong> Allemagne, dans le Nord de<br />

l’Italie, <strong>en</strong> Scandina<strong>vie</strong>, <strong>en</strong> France et aux Pays-Bas et dans certaines parties<br />

d’<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale. Une fois <strong>en</strong>core, c’est le charbon qui constitue <strong>la</strong> principale<br />

source d’énergie de <strong>la</strong> jeune industrie lourde.<br />

1859 Forage du premier puits de pétrole par Edwin Drake <strong>en</strong> P<strong>en</strong>nsylvanie, aux États-<br />

Unis.<br />

Années<br />

1860<br />

Années<br />

1870<br />

Le développem<strong>en</strong>t rapide de <strong>la</strong> sidérurgie dans le monde industrialisé <strong>en</strong>traîne une<br />

explosion de <strong>la</strong> demande de charbon.<br />

Aux États-Unis, les puits de pétrole produis<strong>en</strong>t désormais 11 millions de barils de<br />

pétrole par an, lequel est principalem<strong>en</strong>t utilisé sous forme de kérosène <strong>pour</strong> les<br />

<strong>la</strong>mpes àpétrole. John D. Rockefeller exerce désormais une mainmise <strong>pour</strong> ainsi<br />

dire totale sur l’industrie par le biais de sa société, <strong>la</strong> Standard Oil Company.<br />

1878 Thomas Edison inv<strong>en</strong>te l’ampoule électrique et fonde <strong>la</strong> Edison Electric Light<br />

Company.<br />

1879 Entrée <strong>en</strong> service de <strong>la</strong> première c<strong>en</strong>trale hydro-électrique commerciale à San<br />

Francisco.<br />

1892 Fondation de <strong>la</strong> G<strong>en</strong>eral Electric Company aux États-Unis.<br />

1895 –<br />

1914<br />

Une série de découvertes fondam<strong>en</strong>tales dans le domaine de <strong>la</strong> physique (Einstein,<br />

Röntg<strong>en</strong>, Becquerel, Thomson, Curie et Rutherford) modifie <strong>la</strong> vision du monde<br />

physique, <strong>en</strong>visagé désormais sous <strong>la</strong> forme, non plus de masses de matière, mais<br />

d’agrégats d’atomes susceptibles de division du fait de leur structure de systèmes de<br />

particules. Cette découverte ouvre égalem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> voie à <strong>la</strong> fission nucléaire.<br />

148


1909 Construction <strong>en</strong> Suisse de <strong>la</strong> première instal<strong>la</strong>tion de stockage d’électricité.<br />

1903-<br />

1919<br />

1914-<br />

1920<br />

Les premières automobiles sont apparues vers <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années 1880, mais il faut<br />

att<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> mise <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce par H<strong>en</strong>ry Ford <strong>des</strong> premières courroies transporteuses<br />

dans son usine de Détroit <strong>pour</strong> que <strong>la</strong> production <strong>en</strong> série de<strong>vie</strong>nne réellem<strong>en</strong>t<br />

possible. En 1918, Ford fabrique 500 000 voitures par année.<br />

Au cours de <strong>la</strong> période ayant m<strong>en</strong>é à <strong>la</strong> Grande Guerre (1914-1918), on avait<br />

comm<strong>en</strong>cé à construire <strong>des</strong> navires de guerre alim<strong>en</strong>tés au pétrole plutôt qu’au<br />

charbon. Cette décision a eu <strong>des</strong> répercussions à long terme sur les re<strong>la</strong>tions<br />

internationales au XX e siècle. C’est ainsi que le Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t est dev<strong>en</strong>u une<br />

région déterminante sur <strong>la</strong> scène internationale dès lors que les gran<strong>des</strong> puissances<br />

ont cherché à sécuriser leurs approvisionnem<strong>en</strong>ts pétroliers.<br />

1927 Avec <strong>la</strong> production automobile <strong>en</strong> série, <strong>la</strong> demande de pétrole se met à augm<strong>en</strong>ter<br />

rapidem<strong>en</strong>t. A elle seule, <strong>la</strong> Ford Motor Company fabrique plus de 15 millions de<br />

véhicules par année.<br />

1942 Les sci<strong>en</strong>tifiques par<strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t à produire de l’énergie nucléaire dans un réacteur<br />

nucléaire.<br />

Août<br />

1945<br />

L’aviation américaine (US Air Force) lâche <strong>des</strong> bombes atomiques sur Hiroshima<br />

et Nagasaki <strong>pour</strong> mettre un terme à <strong>la</strong> guerre avec le Japon. L’attaque fait plus de<br />

100000 victimes; de nombreuses autres personnes décèd<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moins d’un an <strong>des</strong><br />

suites de blessures et d’irradiations.<br />

1952 Mise <strong>en</strong> service aux États-Unis du premier réacteur nucléaire <strong>des</strong>tiné à <strong>la</strong><br />

production énergétique commerciale.<br />

1954 Mise au point <strong>des</strong> premiers capteurs de rayonnem<strong>en</strong>t so<strong>la</strong>ire <strong>en</strong> silicone.<br />

1956 Le Royaume-Uni adopte sa première loi sur <strong>la</strong> propreté de l’air ( Clean Air Act ), qui<br />

exige de l’industrie et <strong>des</strong> ménages qu’ils brûl<strong>en</strong>t <strong>des</strong> carburants sans fumée. Cette<br />

décision fait suite au décès de 4000 personnes victimes du smog londoni<strong>en</strong> –<br />

mé<strong>la</strong>nge de fumée, de brouil<strong>la</strong>rd et de vapeurs chimiques. Le pétrole comm<strong>en</strong>ce<br />

alors à remp<strong>la</strong>cer le charbon <strong>en</strong> tant que principale source d’énergie dans les pays<br />

industrialisés.<br />

1961 Congrès international sur <strong>la</strong> protection de l’atmosphère à Londres.<br />

1973 Au début <strong>des</strong> années 1970, les principales économies industrielles sont fortem<strong>en</strong>t<br />

dép<strong>en</strong>dantes du pétrole bon marché v<strong>en</strong>du par les États du Golfe et l’Arabie<br />

saoudite. En octobre 1973, l’Égypte et <strong>la</strong> Syrie déc<strong>la</strong>r<strong>en</strong>t <strong>la</strong> guerre à Israël. Le<br />

souti<strong>en</strong> diplomatique dont ce dernier bénéficie de <strong>la</strong> part <strong>des</strong> États-Unis, du Japon<br />

et de <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> pays d’<strong>Europe</strong> de l’Ouest conduit les États arabes producteurs à<br />

limiter leur <strong>of</strong>fre de pétrole. Le prix de l’or noir explose, <strong>en</strong>traînant une récession<br />

économique.<br />

1979 Un accid<strong>en</strong>t se produit à <strong>la</strong> c<strong>en</strong>trale nucléaire de Three Mile Is<strong>la</strong>nd aux États-Unis<br />

lorsque le réacteur n°2 a fondu <strong>en</strong> partie. L’accid<strong>en</strong>t ne fait aucune victime.<br />

149


Années<br />

1980<br />

Aménagem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> premiers parcs éoli<strong>en</strong>s aux États-Unis et <strong>en</strong> <strong>Europe</strong>.<br />

1986 Une explosion à <strong>la</strong> c<strong>en</strong>trale nucléaire de Tchernobyl, <strong>en</strong> Ukraine, <strong>en</strong>traîne <strong>la</strong><br />

libération dans l’atmosphère de gran<strong>des</strong> quantités de radio-isotopes <strong>en</strong> Ukraine, au<br />

Be<strong>la</strong>rus et <strong>en</strong> Russie et <strong>en</strong>suite, par les courants dus aux v<strong>en</strong>ts, dans une grande<br />

partie de l’<strong>Europe</strong>. Trois c<strong>en</strong>t mille personnes doiv<strong>en</strong>t être dép<strong>la</strong>cées. Les<br />

statistiques vari<strong>en</strong>t quant au nombre de personnes décédées au mom<strong>en</strong>t même de<br />

l’accid<strong>en</strong>t ou ayant succombé ultérieurem<strong>en</strong>t suite à l’exposition aux radiations.<br />

1980-<br />

2007<br />

La guerre Iran-Iraq <strong>en</strong>tre 1980-1988, les deux guerres du Golfe Persique <strong>en</strong>tre<br />

l’Iraq de Saddam Hussein et <strong>la</strong> coalition <strong>des</strong> États-Unis, l’occupation après <strong>la</strong><br />

guerre, l’insurrection <strong>en</strong> Iraq et les troubles surv<strong>en</strong>us dans <strong>la</strong> région ont mis <strong>en</strong><br />

évid<strong>en</strong>ce <strong>la</strong> vulnérabilité d’une grande partie <strong>des</strong> approvisionnem<strong>en</strong>ts pétroliers du<br />

monde. La sécurité <strong>des</strong> approvisionnem<strong>en</strong>ts europé<strong>en</strong>s <strong>en</strong> gaz naturel est égalem<strong>en</strong>t<br />

remise <strong>en</strong> cause lorsque les livraisons de <strong>la</strong> Russie au reste de l’<strong>Europe</strong> s’arrêt<strong>en</strong>t<br />

du fait d’une guerre <strong>des</strong> prix <strong>en</strong>tre <strong>la</strong> Russie et l’Ukraine <strong>en</strong> 2005-2006.<br />

Quel est l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Les grands pays industrialisés d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec les économies<br />

du début du XX e siècle. Un grand nombre de mines de charbon ont été fermées. En 1900, le<br />

charbon était <strong>la</strong> principale source d’énergie. S’il joue <strong>en</strong>core un rôle important de nos jours, il<br />

est de plus <strong>en</strong> plus complété par un <strong>la</strong>rge év<strong>en</strong>tail d’autres sources, dont le pétrole, le gaz<br />

naturel, l’énergie nucléaire et l’hydroélectricité. On a fermé de nombreuses usines<br />

sidérurgiques et aciéries parce qu’il est moins coûteux d’importer de l’acier de l’étranger que<br />

de le fabriquer sur p<strong>la</strong>ce. Les grands fabricants automobiles sont nombreux à avoir dép<strong>la</strong>cé<br />

leurs usines dans <strong>des</strong> pays où les coûts de <strong>la</strong> main-d’œuvre sont plus bas et où les ouvriers ne<br />

sont pas syndiqués. Plus généralem<strong>en</strong>t, on est progressivem<strong>en</strong>t passé de l’industrie lourde à<br />

l’électronique et au p<strong>la</strong>stique, et de <strong>la</strong> fabrication de produits manufacturés à <strong>la</strong> prestation de<br />

services financiers et de services de distribution.<br />

Un certain nombre d’élém<strong>en</strong>ts n’ont cep<strong>en</strong>dant pas beaucoup évolué au cours du XX e siècle.<br />

Les pays les plus riches <strong>en</strong> 1900 et <strong>en</strong> 1960 le sont <strong>en</strong>core plus ou moins, même si leur cercle<br />

s’est é<strong>la</strong>rgi désormais avec l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> «tigres » économiques d’Asie du Sud-Est. Le<br />

fossé <strong>en</strong>tre pays riches du Nord et pays pauvres du Sud continue de se creuser, ainsi que le<br />

clivage <strong>en</strong>tre riches et pauvres au sein même de l’hémisphère Nord.<br />

Bi<strong>en</strong> que les métho<strong>des</strong> de production industrielle ai<strong>en</strong>t probablem<strong>en</strong>t évolué au cours du<br />

siècle dernier, l’on continue de mal utiliser et de gaspiller <strong>des</strong> ressources limitées, et l’opinion<br />

se préoccupe de plus <strong>en</strong> plus <strong>des</strong> effets à long terme de <strong>la</strong> pollution de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t,<br />

notamm<strong>en</strong>t du réchauffem<strong>en</strong>t climatique, <strong>des</strong> pluies aci<strong>des</strong>, de l’amincissem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> couche<br />

d’ozone et de <strong>la</strong> déforestation.<br />

Les inquiétu<strong>des</strong> re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> pollution de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t par certains carburants, <strong>la</strong> sécurité<br />

<strong>des</strong> approvisionnem<strong>en</strong>ts de pétrole et de gaz naturel, le risque de voir s’épuiser <strong>des</strong><br />

combustibles fossiles comme le pétrole et le gaz naturel et le tollé provoqué par <strong>la</strong><br />

construction de nouveaux réacteurs nucléaires ont incité les gouvernem<strong>en</strong>ts de <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong><br />

150


nations industrialisées à réfléchir à <strong>la</strong> meilleure manière d’investir dans <strong>des</strong> sources d’énergie<br />

alternatives.<br />

Ces nouvelles sources concern<strong>en</strong>t notamm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> production d’électricité grâce à l’énergie<br />

so<strong>la</strong>ire, éoli<strong>en</strong>ne ou marémotrice, une utilisation accrue <strong>des</strong> c<strong>en</strong>trales hydro-électriques et<br />

géothermiques si l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t local le permet, <strong>la</strong> production de gaz à partir de <strong>la</strong><br />

combustion de déchets domestiques et agricoles à grande échelle (on parle ainsi de biogaz) et<br />

<strong>la</strong> culture de certaines p<strong>la</strong>ntes <strong>des</strong>tinées à permettre <strong>la</strong> production d’huiles et de gaz<br />

(biomasse).<br />

Très récemm<strong>en</strong>t, certains grands pays industrialisés ont investi dans le domaine de <strong>la</strong> fusion<br />

nucléaire. On estime qu’un grand nombre <strong>des</strong> inconvéni<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> c<strong>en</strong>trales nucléaires actuelles<br />

<strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t être évités s’il était possible de créer de l’énergie par <strong>la</strong> fusion d’atomes<br />

d’hydrogènes <strong>en</strong> vue de fabriquer de l’hélium, et non par <strong>la</strong> fission (dissociation) de particules<br />

radioactives. Les isotopes de plutonium 239 et d’uranium 235 sont particulièrem<strong>en</strong>t adaptés<br />

aux réacteurs nucléaires, dans <strong>la</strong> mesure où leurs propriétés fissiles peuv<strong>en</strong>t être contrôlées<br />

<strong>pour</strong> libérer de l’énergie à <strong>des</strong> fins industrielles et commerciales. Mais ces matériaux<br />

radioactifs rest<strong>en</strong>t pot<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t dangereux et sont susceptibles d’être détournés. Jusqu’à<br />

prés<strong>en</strong>t, les expéri<strong>en</strong>ces sci<strong>en</strong>tifiques sur <strong>la</strong> fusion n’ont guère été couronnées de succès.<br />

Le projet ITER (Réacteur expérim<strong>en</strong>tal international à fusion thermonucléaire), d’une valeur<br />

de 12 milliards de USD et parrainé par l’UE, les États-Unis, <strong>la</strong> Russie, le Japon, <strong>la</strong> Corée du<br />

Sud et <strong>la</strong> Chine, a été <strong>la</strong>ncé <strong>en</strong> juin 2005. Conçu à l’origine <strong>en</strong> 1985, ce projet devrait se<br />

traduire par l’ouverture d’un c<strong>en</strong>tre de recherche à Cadarache, dans le Sud de <strong>la</strong> France, où<br />

<strong>des</strong> expéri<strong>en</strong>ces seront m<strong>en</strong>ées <strong>en</strong> <strong>la</strong>boratoire <strong>en</strong> vue de <strong>la</strong> production d’énergie par fusion<br />

dans le but de construire une usine de démonstration d’ici les années 2030. Cette nouvelle<br />

c<strong>en</strong>trale <strong>pour</strong>rait, si elle réussit, se traduire par <strong>la</strong> production d’énergie à l’échelle<br />

commerciale d’ici les années 2050.<br />

Chaque méthode de production d’énergie à grande échelle comporte <strong>des</strong> déf<strong>en</strong>seurs aussi bi<strong>en</strong><br />

que <strong>des</strong> détracteurs. Les partisans exagèr<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t les avantages pot<strong>en</strong>tiels de <strong>la</strong> source<br />

énergétique qu’ils préconis<strong>en</strong>t, tandis que les opposants <strong>en</strong> surestim<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t les problèmes<br />

et les inconvéni<strong>en</strong>ts. Nous avons t<strong>en</strong>té, dans <strong>la</strong> grille ci-<strong>des</strong>sous, de rec<strong>en</strong>ser certains <strong>des</strong><br />

principaux avantages et inconvéni<strong>en</strong>ts de chacune d’<strong>en</strong>tre elles, tels que nous avons pu les<br />

retrouver dans <strong>la</strong> littérature disponible sur les sources d’énergie. Nous <strong>la</strong>issons le lecteur se<br />

déterminer sur cette importante question.<br />

Avantages et inconvéni<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> différ<strong>en</strong>tes sources d’énergie<br />

COMBUSTIBLES FOSSILES : Il s’agit d’hydrocarbures comme le charbon, le pétrole et le<br />

gaz naturel, qui se sont formés à partir <strong>des</strong> restes fossilisés de p<strong>la</strong>ntes et d’animaux morts. Au<br />

total, les combustibles fossiles représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>en</strong>viron 70 % de l’énergie mondiale.<br />

Avantages Inconvéni<strong>en</strong>ts<br />

L’extraction et le traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> combustibles<br />

fossiles à grande échelle rest<strong>en</strong>t moins<br />

coûteux que toute autre source d’énergie<br />

alternative.<br />

Dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> pays industrialisés, les<br />

réseaux <strong>des</strong> c<strong>en</strong>trales fonctionnant aux<br />

combustibles fossiles sont liés à <strong>des</strong> réseaux<br />

151<br />

Aucun <strong>des</strong> combustibles fossiles<br />

actuellem<strong>en</strong>t disponibles n’est durable. En<br />

d’autres termes, nous les consommons<br />

beaucoup plus vite que <strong>la</strong> nature ne peut<br />

reconstituer de nouveaux stocks susceptibles<br />

de donner lieu à une extraction.<br />

D’après de réc<strong>en</strong>tes estimations sci<strong>en</strong>tifiques,


de distribution d’électricité. Une transition<br />

massive à d’autres sources de carburants<br />

serait très onéreuse.<br />

Les réserves mondiales de charbon rest<strong>en</strong>t<br />

abondantes et, même si les experts ne sont<br />

pas d’accord sur <strong>la</strong> question de savoir si<br />

l’extraction et <strong>la</strong> production de pétrole et de<br />

gaz ont atteint un point culminant, l’<strong>of</strong>fre<br />

n’est pas <strong>en</strong>core sérieusem<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>acée.<br />

Les générateurs d’électricité aux<br />

combustibles fossiles sont re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t<br />

compacts.<br />

Le pétrole et le gaz naturel ne dégag<strong>en</strong>t pas<br />

autant de dioxyde de carbone que le charbon.<br />

152<br />

il resterait <strong>des</strong> réserves de charbon <strong>pour</strong> 250<br />

ans, de gaz <strong>pour</strong> 70 ans et de pétrole <strong>pour</strong> 45<br />

ans – aux rythmes d’extraction actuels. Au<br />

fur et à mesure que les pays <strong>en</strong><br />

développem<strong>en</strong>t s’industrialiseront, <strong>la</strong><br />

demande de pétrole et de gaz augm<strong>en</strong>tera, les<br />

réserves diminueront plus vite et le prix de<br />

ces combustibles augm<strong>en</strong>tera.<br />

Le charbon produit davantage d’émissions de<br />

CO² que tout autre carburant. Le pétrole et le<br />

gaz naturel dégag<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> niveaux<br />

de CO² plus importants que les carburants<br />

nucléaires et r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles.<br />

Certains dépôts de charbon ont égalem<strong>en</strong>t<br />

une forte t<strong>en</strong>eur <strong>en</strong> soufre, qui, après<br />

combustion, provoque <strong>des</strong> pluies aci<strong>des</strong>.<br />

Les gouvernem<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> pays qui dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<br />

de leurs importations de pétrole et de gaz<br />

naturel s’inquièt<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus de<br />

constater que les pays producteurs font de<br />

l’<strong>of</strong>fre un outil de négociation politique ou<br />

économique.<br />

ÉNERGIE NUCLÉAIRE : Il existe principalem<strong>en</strong>t deux moy<strong>en</strong>s d’<strong>en</strong> fabriquer. La fission<br />

nucléaire permet d’obt<strong>en</strong>ir de l’énergie par <strong>la</strong> division de très grands noyaux atomiques. Cette<br />

énergie permet de créer une chaleur utilisée <strong>pour</strong> faire bouillir de l’eau, qui produit alors de <strong>la</strong><br />

vapeur servant à alim<strong>en</strong>ter une turbine à vapeur fabriquant de l’électricité. La fusion nucléaire<br />

permet <strong>la</strong> production d’énergie grâce à l’assemb<strong>la</strong>ge de très petits noyaux <strong>en</strong>tre eux. La<br />

réaction de fusion produit une grande quantité de neutrons «rapi<strong>des</strong> » qui chauff<strong>en</strong>t le<br />

réacteur, ce qui produit de <strong>la</strong> vapeur qui fait alors tourner les turbines d’électricité. Pour<br />

l’instant, il n’existe aucune c<strong>en</strong>trale électrique fonctionnant sur le principe de <strong>la</strong> fusion<br />

nucléaire. L’électricité fabriquée par l’énergie nucléaire est produite par <strong>des</strong> réacteurs<br />

conv<strong>en</strong>tionnels ou par ceux qui sont connus sous le nom de réacteurs surrégénérateurs «à<br />

neutrons rapi<strong>des</strong> ».<br />

Avantages Inconvéni<strong>en</strong>ts<br />

Les réacteurs nucléaires conv<strong>en</strong>tionnels : ces réacteurs fonctionn<strong>en</strong>t avec de l’uranium<br />

235, extrait d’uranium naturel. On rec<strong>en</strong>se actuellem<strong>en</strong>t près de 450 réacteurs nucléaires dans<br />

le monde, produisant quelque 16 % de l’électricité totale.<br />

De gran<strong>des</strong> quantités d’électricité peuv<strong>en</strong>t<br />

être produites par <strong>des</strong> c<strong>en</strong>trales nucléaires de<br />

taille moy<strong>en</strong>ne.<br />

Les coûts <strong>en</strong> carburant sont re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t<br />

faibles.<br />

Les c<strong>en</strong>trales nucléaires conv<strong>en</strong>tionnelles<br />

n’<strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t que très peu de<br />

pollution atmosphérique (sauf <strong>en</strong> cas<br />

d’accid<strong>en</strong>t).<br />

La construction d’une c<strong>en</strong>trale nucléaire<br />

coûte très cher.<br />

Il peut s’écouler plus de 10 ans <strong>en</strong>tre <strong>la</strong><br />

décision de construire une c<strong>en</strong>trale nucléaire<br />

et son <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> service.<br />

Les frais d’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> sont élevés par rapport à<br />

d’autres formes de production d’énergie.<br />

Les sci<strong>en</strong>tifiques ne sont pas d’accord sur le


Très peu d’accid<strong>en</strong>ts se sont produits depuis<br />

<strong>la</strong> construction de <strong>la</strong> première c<strong>en</strong>trale<br />

nucléaire.<br />

Les déchets produits par les c<strong>en</strong>trales<br />

nucléaires sont bi<strong>en</strong> moins importants que<br />

ceux <strong>des</strong> c<strong>en</strong>trales à combustibles fossiles.<br />

153<br />

volume <strong>des</strong> réserves d’uranium disponibles,<br />

mais reconnaiss<strong>en</strong>t qu’une nette<br />

augm<strong>en</strong>tation du nombre de réacteurs dans le<br />

monde se traduirait par un épuisem<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

stocks <strong>en</strong> 50 à 75 ans s’il s’agissait de<br />

réacteurs conv<strong>en</strong>tionnels et s’il fal<strong>la</strong>it <strong>en</strong>core<br />

extraire de l’uranium 235.<br />

Les déchets nucléaires produits par les<br />

réacteurs conv<strong>en</strong>tionnels doiv<strong>en</strong>t être stockés<br />

sans contact avec <strong>la</strong> biosphère p<strong>en</strong>dant <strong>des</strong><br />

milliers d’années, ce qui est difficile et<br />

coûteux.<br />

Le démantèlem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> réacteurs nucléaires<br />

<strong>vie</strong>illissants est égalem<strong>en</strong>t un processus<br />

délicat et coûteux.<br />

Il n’y a eu que peu d’accid<strong>en</strong>ts jusqu’à<br />

prés<strong>en</strong>t, mais l’on craint que les<br />

conséqu<strong>en</strong>ces d’un év<strong>en</strong>tuel accid<strong>en</strong>t futur ne<br />

soi<strong>en</strong>t catastrophiques <strong>pour</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète.<br />

Nombreux sont par ailleurs ceux qui<br />

redout<strong>en</strong>t que les réacteurs nucléaires ne<br />

soi<strong>en</strong>t <strong>la</strong> cible de terroristes ou de<br />

bombardem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> temps de guerre ; ici<br />

aussi, <strong>la</strong> contamination radioactive <strong>pour</strong>rait<br />

être catastrophique.<br />

Les réacteurs surrégénérateurs à «neutrons rapi<strong>des</strong> »<br />

Avantages Inconvéni<strong>en</strong>ts<br />

Utilisation plus effici<strong>en</strong>te et plus économique<br />

du carburant. Les réacteurs à neutrons rapi<strong>des</strong><br />

consomm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> quasi-totalité du combustible<br />

d’uranium, et pas uniquem<strong>en</strong>t le 1 %<br />

constitué d’uranium 235.<br />

En consommant <strong>la</strong> plus grande partie de<br />

l’énergie <strong>en</strong> uranium, les réacteurs à neutrons<br />

rapi<strong>des</strong> devrai<strong>en</strong>t produire de l’électricité<br />

p<strong>en</strong>dant beaucoup plus longtemps que les<br />

réacteurs conv<strong>en</strong>tionnels.<br />

Le processus de réaction à «neutrons<br />

rapi<strong>des</strong> » produit une quantité de déchets<br />

nucléaires inférieure à celle <strong>des</strong> réacteurs<br />

conv<strong>en</strong>tionnels.<br />

Les déchets nucléaires doiv<strong>en</strong>t aussi être<br />

stockés sans contact avec <strong>la</strong> biosphère, mais<br />

uniquem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant quelques c<strong>en</strong>taines, et<br />

Les inconvéni<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> réacteurs à neutrons<br />

rapi<strong>des</strong> sont analogues à ceux <strong>des</strong> réacteurs<br />

conv<strong>en</strong>tionnels, ainsi :<br />

Coûts élevés de construction, d’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong><br />

et de démantèlem<strong>en</strong>t ;<br />

Réserves d’uranium limitées ;<br />

Craintes générales d’accid<strong>en</strong>ts ;<br />

Cible pot<strong>en</strong>tielle du terrorisme et de<br />

bombardem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> temps de guerre.<br />

En outre, les réacteurs à neutrons rapi<strong>des</strong><br />

n’ont pas <strong>en</strong>core fait <strong>la</strong> preuve de leur<br />

viabilité commerciale. La plupart de ceux qui<br />

sont <strong>en</strong>trés <strong>en</strong> service aux États-Unis, au<br />

Royaume-Uni, au Japon, <strong>en</strong> France, <strong>en</strong><br />

Allemagne, <strong>en</strong> Russie et aux États-Unis ont<br />

été arrêtés, soit du fait de l’opposition<br />

popu<strong>la</strong>ire soit <strong>en</strong> raison de l’exist<strong>en</strong>ce de<br />

formes d’énergie moins chères.


non quelques milliers d’années.<br />

Normalem<strong>en</strong>t, il n’y a presque pas de<br />

pollution atmosphérique.<br />

Contrairem<strong>en</strong>t aux combustibles fossiles, <strong>la</strong><br />

pollution serait négligeable, de même que <strong>la</strong><br />

production de gaz à effet de serre.<br />

Les réacteurs à fusion <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t non<br />

seulem<strong>en</strong>t produire de gran<strong>des</strong> quantités<br />

d’électricité mais égalem<strong>en</strong>t de l’hydrogène<br />

susceptible de servir de combustible alternatif<br />

<strong>pour</strong> les véhicules.<br />

Un petit réacteur à fusion expérim<strong>en</strong>tal<br />

(JET) a été construit au Royaume-Uni <strong>en</strong><br />

1983. L’ITER est <strong>la</strong> prochaine étape <strong>pour</strong><br />

tester <strong>la</strong> mesure dans <strong>la</strong>quelle un réacteur à<br />

fusion peut produire de l’électricité à grande<br />

échelle.<br />

154<br />

On craint égalem<strong>en</strong>t que le processus de<br />

réaction à neutrons rapi<strong>des</strong> permette de<br />

produire du plutonium à usage militaire.<br />

Dans ces conditions et dans l’hypothèse<br />

d’une production à l’échelle mondiale, on<br />

risque de voir se r<strong>en</strong>forcer considérablem<strong>en</strong>t<br />

le risque de prolifération <strong>des</strong> armes<br />

nucléaires.<br />

Fusion nucléaire<br />

Avantages Inconvéni<strong>en</strong>ts<br />

Les réacteurs à fusion ne pouvant pas fondre, La fusion nucléaire n’est pas <strong>en</strong>core une<br />

les risques d’accid<strong>en</strong>ts s’<strong>en</strong> trouv<strong>en</strong>t option commerciale ayant fait ses preuves.<br />

considérablem<strong>en</strong>t réduits.<br />

Les réacteurs à fusion commerciaux<br />

A ce stade, les réacteurs à fusion mis au point<br />

n’ont pas permis de fabriquer une quantité<br />

utiliserai<strong>en</strong>t probablem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> atomes de d’énergie nettem<strong>en</strong>t supérieure à celle qu’ils<br />

lithium et de deutérium plutôt que d’uranium, consomm<strong>en</strong>t. C’est <strong>la</strong> raison <strong>pour</strong> <strong>la</strong>quelle le<br />

deux isotopes qui exist<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quantités<br />

considérables.<br />

projet ITER a été mis au point.<br />

Il faudra att<strong>en</strong>dre <strong>en</strong>core 25 ans <strong>pour</strong> savoir<br />

s’il sera viable, et nous n’<strong>en</strong> tirerons aucun<br />

avantage avant 2050.<br />

L’ÉNERGIE ISSUE DES CARBURANTS RENOUVELABLES : sources d’énergie qui<br />

ne s’épuis<strong>en</strong>t pas ou qui s’auto-r<strong>en</strong>ouvell<strong>en</strong>t. Il s’agit de l’énergie hydro-électrique produite<br />

par les barrages sur les fleuves, de l’énergie marémotrice, de l’énergie éoli<strong>en</strong>ne, de<br />

l’énergie géothermique issue de <strong>la</strong> vapeur volcanique, de l’énergie so<strong>la</strong>ire, du biogaz<br />

produit par <strong>la</strong> combustion de déchets organiques, et de <strong>la</strong> biomasse, qui consiste à extraire de<br />

l’énergie de p<strong>la</strong>ntes telles que le maïs ou <strong>la</strong> canne à sucre, sous forme d’huile ou par<br />

combustion. Les carburants r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t quelque 14 % <strong>des</strong><br />

réserves énergétiques du monde.<br />

Avantages Inconvéni<strong>en</strong>ts<br />

Il s’agit de sources d’énergie durables et<br />

r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles.<br />

Les niveaux de pollution atmosphérique sont<br />

Les formes les plus avancées de production<br />

d’électricité à partir de sources r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles<br />

– hydro-électricité, v<strong>en</strong>t, énergie marémotrice<br />

et énergie géothermique - ne sont possibles


minimes.<br />

Pas de gaz à effet de serre.<br />

Dans <strong>la</strong> mesure où il existe une grande<br />

diversité de moy<strong>en</strong>s d’extraire de l’énergie à<br />

partir de sources naturelles, chaque pays peut<br />

choisir les formes les plus abondantes<br />

localem<strong>en</strong>t.<br />

Pour de nombreux pays, le recours aux<br />

carburants r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles réduirait leur<br />

dép<strong>en</strong>dance à l’égard de carburants importés<br />

d’autres pays.<br />

Les technologies se développ<strong>en</strong>t rapidem<strong>en</strong>t,<br />

pas seulem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> ce qui est de l’extraction<br />

à grande échelle, mais aussi <strong>pour</strong> le stockage<br />

et <strong>la</strong> distribution à grande échelle.<br />

Certains carburants r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles, <strong>en</strong><br />

particulier l’énergie hydro-électrique,<br />

l’énergie éoli<strong>en</strong>ne et, à un moindre degré,<br />

l’énergie marémotrice ou géothermique,<br />

produis<strong>en</strong>t déjà de gran<strong>des</strong> quantités<br />

d’électricité distribuée dans certains pays (par<br />

ex., l’hydro-électricité <strong>en</strong> Autriche, <strong>en</strong><br />

Norvège et <strong>en</strong> Écosse).<br />

La technologie existe déjà qui permet à<br />

certains ménages de fabriquer une partie de<br />

leur électricité à partir de panneaux so<strong>la</strong>ires<br />

ou de petites turbines à v<strong>en</strong>t.<br />

155<br />

que dans certaines conditions climatiques et<br />

<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tales, c’est-à-dire là où se<br />

trouv<strong>en</strong>t <strong>des</strong> fleuves à débit rapide, <strong>des</strong> v<strong>en</strong>ts<br />

importants, un littoral, <strong>des</strong> geysers<br />

volcaniques, etc.<br />

Certaines de ces sources d’énergie sont<br />

intermitt<strong>en</strong>tes, dans <strong>la</strong> mesure, par exemple,<br />

où elles ne peuv<strong>en</strong>t produire d’électricité <strong>en</strong><br />

l’abs<strong>en</strong>ce de v<strong>en</strong>t ou de soleil.<br />

D’autres sources d’énergie, notamm<strong>en</strong>t le<br />

biogaz et <strong>la</strong> biomasse, nécessit<strong>en</strong>t de gran<strong>des</strong><br />

quantités de carburant <strong>pour</strong> produire <strong>des</strong><br />

quantités re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t réduites d’énergie.<br />

Certains détracteurs font valoir qu’il ne serait<br />

pas éthique de consacrer de gran<strong>des</strong> surfaces<br />

arables à <strong>la</strong> culture de p<strong>la</strong>ntes susceptibles de<br />

produire de <strong>la</strong> biomasse <strong>pour</strong> favoriser le<br />

mode de <strong>vie</strong> <strong>des</strong> pays industrialisés, alors que<br />

de nombreux habitants de pays <strong>en</strong><br />

développem<strong>en</strong>t d’Afrique et d’Asie meur<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>core de faim.<br />

Certaines de ces c<strong>en</strong>trales électriques, par ex.,<br />

les barrages servant à produire de l’énergie<br />

hydro-électrique, peuv<strong>en</strong>t détruire les<br />

écosystèmes et les milieux locaux, y compris<br />

les habitats et les mo<strong>des</strong> de <strong>vie</strong> de <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion.<br />

Certaines sources d’énergie sont<br />

controversées dans <strong>la</strong> mesure où les riverains<br />

protest<strong>en</strong>t contre <strong>la</strong> «pollution visuelle »,<br />

ainsi <strong>la</strong> prés<strong>en</strong>ce d’un grand nombre<br />

d’éoli<strong>en</strong>nes dans <strong>la</strong> campagne, les hautes<br />

«cheminées » so<strong>la</strong>ires qui serai<strong>en</strong>t<br />

nécessaires <strong>pour</strong> convertir de gran<strong>des</strong><br />

quantités de rayonnem<strong>en</strong>ts so<strong>la</strong>ires <strong>en</strong><br />

électricité.<br />

Les détracteurs font égalem<strong>en</strong>t valoir que,<br />

dans beaucoup de pays, les carburants<br />

r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles n’apporterai<strong>en</strong>t que peu<br />

d’énergie aux réseaux de distribution et que,<br />

dans un av<strong>en</strong>ir prévisible, il faudrait<br />

continuer de compter sur les combustibles<br />

fossiles et l’énergie nucléaire <strong>pour</strong> une<br />

grande partie de l’énergie.


Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous?<br />

Imaginons que le gouvernem<strong>en</strong>t au pouvoir décide de consulter le public sur sa future<br />

politique énergétique. Vous avez été convié à pr<strong>en</strong>dre part à un groupe de discussion avec un<br />

échantillon d’autres jeunes de votre localité. On vous a égalem<strong>en</strong>t adressé un bref<br />

questionnaire que vous avez ram<strong>en</strong>é rempli lors de <strong>la</strong> réunion du groupe de discussion.<br />

Vous pouvez vous servir <strong>des</strong> informations cont<strong>en</strong>ues dans le tableau ci-<strong>des</strong>sus. S’il vous faut<br />

plus de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts <strong>pour</strong> vous déterminer, vous <strong>en</strong> trouverez beaucoup sur Internet – mais<br />

n’oubliez pas qu’une grande partie de ces données sont fournies par <strong>des</strong> particuliers et <strong>des</strong><br />

organisations qui cherch<strong>en</strong>t à vous persuader d’opter <strong>pour</strong> une source d’énergie donnée, qu’il<br />

s’agisse de l’énergie nucléaire, <strong>des</strong> cultures de biomasse, de l’énergie so<strong>la</strong>ire, du pétrole, du<br />

gaz naturel ou du charbon. Veuillez am<strong>en</strong>er votre questionnaire rempli au groupe de<br />

discussion.<br />

Laquelle <strong>des</strong> options énergétiques suivantes souhaiteriez-vous que le gouvernem<strong>en</strong>t<br />

déf<strong>en</strong>de et finance [ Vous pouvez cocher plus d’une option ].<br />

Rouvrir les mines de charbon qui compt<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>des</strong> veines de charbon exploitables et<br />

investir dans une technologie d’extraction et d’élimination sûre <strong>des</strong> polluants, dont le dioxyde<br />

de carbone et autres gaz à effet de serre.<br />

Offrir <strong>des</strong> incitations fiscales aux fabricants automobiles <strong>pour</strong> les am<strong>en</strong>er à construire <strong>des</strong><br />

véhicules ne rou<strong>la</strong>nt ni à l’ess<strong>en</strong>ce ni au diesel (par ex., qui utilis<strong>en</strong>t de l’hydrogène ou <strong>des</strong><br />

biogaz comme l’éthanol)<br />

Construire une nouvelle génération de réacteurs nucléaires à neutrons rapi<strong>des</strong>, sûrs et plus<br />

effici<strong>en</strong>ts, qui <strong>en</strong>trerai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> service d’ici 2020.<br />

Investir dans <strong>la</strong> construction de c<strong>en</strong>trales capables de produire de l’électricité à partir de<br />

carburants r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles disponibles localem<strong>en</strong>t. Auxquels donneriez-vous <strong>la</strong> priorité ?<br />

Plus de c<strong>en</strong>trales so<strong>la</strong>ires<br />

Plus de c<strong>en</strong>trales hydroélectriques<br />

Plus d’éoli<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> région rurale<br />

Plus de c<strong>en</strong>trales éoli<strong>en</strong>nes le long du littoral<br />

Encourager les agriculteurs à passer <strong>des</strong> cultures vivrières aux biocombustibles<br />

Convertir tous les réseaux d’égouts et décharges de déchets <strong>pour</strong> favoriser <strong>la</strong> production de<br />

biogaz<br />

Construire <strong>des</strong> c<strong>en</strong>trales géothermiques là où il existe <strong>des</strong> sources chau<strong>des</strong><br />

Fournir <strong>des</strong> subv<strong>en</strong>tions aux particuliers souhaitant installer chez eux <strong>des</strong> panneaux so<strong>la</strong>ires<br />

ou de petites éoli<strong>en</strong>nes <strong>pour</strong> produire une partie de leur électricité.<br />

Lancer une campagne nationale <strong>pour</strong> <strong>en</strong>courager une utilisation plus effici<strong>en</strong>te de l’énergie,<br />

notamm<strong>en</strong>t les transports publics, les ampoules à faible consommation, les vacances au pays,<br />

etc.<br />

À l’heure actuelle, l’ess<strong>en</strong>tiel de notre énergie pro<strong>vie</strong>nt de combustibles fossiles, alors que <strong>la</strong><br />

quantité d’énergie produite par le nucléaire est inférieure à 10 % et que <strong>la</strong> quantité d’énergie<br />

issue de carburants r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles est d’<strong>en</strong>viron 15 à 20 %. Dans le tableau ci-<strong>des</strong>sous, indiquez<br />

les <strong>pour</strong>c<strong>en</strong>tages que vous souhaiteriez que le gouvernem<strong>en</strong>t vise d’ici 2030.<br />

156


Combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel)<br />

Énergie nucléaire<br />

Carburants r<strong>en</strong>ouve<strong>la</strong>bles<br />

157<br />

Pourc<strong>en</strong>tage d’énergie d’ici 2030


QUESTION CLE N°8 : <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> suffit-elle ?<br />

Robert Stradling<br />

Sur le p<strong>la</strong>n théorique, <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> est souv<strong>en</strong>t définie <strong>en</strong> fonction de ses institutions et <strong>des</strong><br />

processus politiques qui <strong>la</strong> caractéris<strong>en</strong>t : un cadre constitutionnel, <strong>des</strong> élections libres, justes<br />

et régulières, un système multipartite, <strong>des</strong> assemblées ou <strong>des</strong> parlem<strong>en</strong>ts représ<strong>en</strong>tatifs, une<br />

séparation <strong>des</strong> pouvoirs <strong>en</strong>tre le légis<strong>la</strong>tif, l’exécutif et le judiciaire, etc. Mais, même si l’Etat<br />

s’est doté de toutes ces institutions, le parti politique au pouvoir peut néanmoins se comporter<br />

de manière autoritaire et non démocratique.<br />

Il ne faut pas oublier, par exemple, qu’<strong>en</strong> Allemagne, le Parti national-socialiste est arrivé au<br />

pouvoir par <strong>la</strong> voie démocratique. Lors <strong>des</strong> élections du Reichstag de mars 1933, <strong>en</strong> effet, le<br />

Parti national-socialiste <strong>des</strong> travailleurs allemands a remporté <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> sièges (288),<br />

avec 43,9 % <strong>des</strong> voix. Le deuxième parti était le Parti social-démocrate, avec 120 sièges, suivi<br />

du Parti communiste, avec 81 sièges. Le nombre total de sièges au Reichstag étant de 647, il<br />

manquait au Parti national-socialiste 36 sièges <strong>pour</strong> obt<strong>en</strong>ir <strong>la</strong> majorité nécessaire à <strong>la</strong><br />

formation d’un gouvernem<strong>en</strong>t. Toutefois, il a réussi à former une coalition avec le DNVP<br />

(Parti national du peuple allemand), qui avait remporté 52 sièges. L’une <strong>des</strong> toutes premières<br />

lois du nouveau gouvernem<strong>en</strong>t de coalition fut d’interdire le Parti communiste allemand.<br />

Cette décision conféra <strong>la</strong> majorité au Parti national-socialiste sans qu’il ait eu besoin de l’aide<br />

du DNVP.<br />

Le Parti national-socialiste a alors <strong>en</strong>trepris d’utiliser le processus constitutionnel <strong>pour</strong><br />

instaurer un régime totalitaire à parti unique. Cette manœuvre a été possible notamm<strong>en</strong>t parce<br />

que <strong>la</strong> République allemande, fondée <strong>en</strong> 1918 après l’abdication du Kaiser, avait vu le jour<br />

p<strong>en</strong>dant une période de fortes perturbations sociales et de bouleversem<strong>en</strong>ts touchant le pays<br />

tout <strong>en</strong>tier. Les rédacteurs de <strong>la</strong> nouvelle Constitution – <strong>la</strong> Constitution de Weimar –<br />

jugèr<strong>en</strong>t utile d’y faire figurer une c<strong>la</strong>use d’urg<strong>en</strong>ce permettant au Présid<strong>en</strong>t de demander au<br />

gouvernem<strong>en</strong>t de promulguer toute loi jugée nécessaire au mainti<strong>en</strong> de l’ordre public sans <strong>en</strong><br />

référer au Reichstag.<br />

En 1933, le Parti national-socialiste utilise effectivem<strong>en</strong>t cette c<strong>la</strong>use <strong>pour</strong> pr<strong>en</strong>dre le contrôle<br />

total du pays. Il lui faut toutefois l’approbation <strong>des</strong> deux tiers <strong>des</strong> députés du Reichstag <strong>pour</strong><br />

que soit voté le décret d’application. Il obti<strong>en</strong>t cette majorité grâce à l’appui du DNVP et du<br />

Parti catholique du C<strong>en</strong>tre ; m<strong>en</strong>tionnons <strong>en</strong> outre que les Communistes ne sont pas autorisés<br />

à voter et que les députés sont intimidés par les Chemises brunes prés<strong>en</strong>tes <strong>en</strong> force à<br />

l’intérieur et autour de l’Assemblée. La loi est adoptée le 23 mars 1933 (tout juste 18 jours<br />

après les élections), par 441 voix contre 94, <strong>la</strong> seule opposition étant celle du SPD (Parti<br />

social-démocrate d’Allemagne). En mai, le DNVP était dissous et le SPD interdit, de même<br />

que les syndicats. En juillet, les partis catholiques sont déc<strong>la</strong>rés illégaux et, le 14 juillet, le<br />

Parti national-socialiste se proc<strong>la</strong>me seul parti politique légal <strong>en</strong> Allemagne.<br />

Il s’agit-là du cas extrême d’un parti politique utilisant <strong>la</strong> Constitution, les institutions et les<br />

processus politiques démocratiques <strong>pour</strong> arriver au pouvoir afin d’abolir <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> et<br />

d’instaurer une dictature. Toutefois, J.L. Talmon a qualifié de «<strong>démocratie</strong> totalitaire» le<br />

système de gouvernem<strong>en</strong>t dans lequel les citoy<strong>en</strong>s ont le droit de vote et les représ<strong>en</strong>tants<br />

politiques sont légalem<strong>en</strong>t élus, mais où, <strong>en</strong>tre les élections, les citoy<strong>en</strong>s n’ont que peu ou pas<br />

d’influ<strong>en</strong>ce sur le processus de décision et où les principaux organes <strong>des</strong> médias sont<br />

contrôlés ou fortem<strong>en</strong>t influ<strong>en</strong>cés par le gouvernem<strong>en</strong>t. De nos jours, on peut déceler<br />

certaines t<strong>en</strong>dances anti-démocratiques dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s politiques. Il n’est pas<br />

158


possible de distinguer c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre une <strong>démocratie</strong> libérale, une <strong>démocratie</strong> totalitaire et<br />

un dictateur autoritaire. Il est probablem<strong>en</strong>t plus judicieux de p<strong>la</strong>cer ces différ<strong>en</strong>ts<br />

«concepts» sur un seul et même spectre, d’examiner <strong>en</strong>suite chaque État individuellem<strong>en</strong>t et<br />

de repérer, au sein de chacun d’<strong>en</strong>tre eux, les t<strong>en</strong>dances aux pratiques libérales, totalitaires ou<br />

autoritaires.<br />

Lorsqu’un système politique passe de <strong>la</strong> dictature ou de l’autocratie à <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>, <strong>la</strong><br />

première décision du gouvernem<strong>en</strong>t provisoire ou transitoire consiste généralem<strong>en</strong>t à rédiger<br />

une Constitution, à constituer une assemblée et à organiser <strong>des</strong> élections. P<strong>en</strong>dant ce temps,<br />

<strong>des</strong> personnes d’opinions politiques différ<strong>en</strong>tes form<strong>en</strong>t <strong>des</strong> partis politiques et comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à<br />

faire campagne <strong>pour</strong> obt<strong>en</strong>ir le souti<strong>en</strong> de l’électorat. Après <strong>la</strong> chute du communisme <strong>en</strong><br />

<strong>Europe</strong> c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale, <strong>en</strong>tre 1989 et 1990, et l’éc<strong>la</strong>tem<strong>en</strong>t de l’Union soviétique et de <strong>la</strong><br />

Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong> dans les années 1990, de nombreux pays sont passés, nous l’avons vu, par cette<br />

phase de transition.<br />

Toutefois, les observateurs politiques avertis font valoir que les <strong>démocratie</strong>s <strong>en</strong> transition<br />

n’ont pas pleinem<strong>en</strong>t fait <strong>la</strong> preuve de leur attachem<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> tant qu’ils n’ont pas<br />

réussi le « double test électoral ». Autrem<strong>en</strong>t dit, il ne suffit pas qu’elles ai<strong>en</strong>t eu l’expéri<strong>en</strong>ce<br />

de deux élections, elles doiv<strong>en</strong>t avoir vécu au moins deux élections où le parti (ou <strong>la</strong><br />

coalition) au pouvoir a été battu et remp<strong>la</strong>cé par un autre parti (ou coalition) sans viol<strong>en</strong>ce ou<br />

résistance au changem<strong>en</strong>t de gouvernem<strong>en</strong>t. La mise <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce de bonnes institutions et<br />

procédures n’est qu’une première étape, un moy<strong>en</strong> <strong>en</strong> vue d’une fin. Il faut <strong>en</strong>core que<br />

l’électorat démontre un attachem<strong>en</strong>t pr<strong>of</strong>ond à l’idée de <strong>démocratie</strong>.<br />

En quoi consiste donc cette idée démocratique? Elle s’appuie <strong>en</strong> fait sur un certain nombre de<br />

principes fondam<strong>en</strong>taux. Le premier de ces principes est <strong>la</strong> souveraineté du peuple ou le<br />

contrôle popu<strong>la</strong>ire. En d’autres termes, le peuple a le droit de peser sur le processus<br />

décisionnel public et d’influ<strong>en</strong>cer les personnes qui pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les décisions. En outre, il a<br />

égalem<strong>en</strong>t le droit de t<strong>en</strong>ir ces décisionnaires comptables de leurs actes et de leurs décisions.<br />

Le deuxième principe de base est celui de l’égalité politique – tous les citoy<strong>en</strong>s ont <strong>la</strong> même<br />

valeur. Leurs votes compt<strong>en</strong>t autant, quel que soit leur statut social, leur position, leur fortune,<br />

leur âge, leur sexe, leur religion, etc...<br />

Le troisième grand principe <strong>pour</strong>rait ici être qualifié de principe de <strong>la</strong> « réciprocité » .<br />

Autrem<strong>en</strong>t dit, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion acceptera <strong>des</strong> décisions avec lesquelles elle n’est pas<br />

nécessairem<strong>en</strong>t d’accord et qui ne sont pas nécessairem<strong>en</strong>t dans son intérêt dans <strong>la</strong> mesure où<br />

le processus de décision aura été juste et non int<strong>en</strong>tionnellem<strong>en</strong>t biaisé <strong>en</strong> sa défaveur. Elle<br />

estimera que, dans certains autres domaines, il est possible que <strong>des</strong> décisions lui soi<strong>en</strong>t<br />

favorables et que ceux qui sont opposés à ces décisions décideront aussi de les accepter dans<br />

<strong>la</strong> mesure où ils jugeront qu’il n’y a pas eu de préjugé <strong>en</strong> leur défaveur. De même, <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion acceptera qu’un gouvernem<strong>en</strong>t soit élu <strong>pour</strong> quatre ou cinq ans, même si elle n’est<br />

pas fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t d’accord avec sa politique, aussi longtemps que l’élection aura été<br />

juste et qu’elle aura <strong>la</strong> possibilité d’élire un autre gouvernem<strong>en</strong>t lors du prochain scrutin.<br />

En d’autres termes, l’ess<strong>en</strong>ce de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> ne ti<strong>en</strong>t pas uniquem<strong>en</strong>t à ses institutions et à<br />

ses procédés, mais aussi à ses citoy<strong>en</strong>s. Ceux-ci autoris<strong>en</strong>t les gouvernem<strong>en</strong>ts démocratiques à<br />

agir <strong>en</strong> leur nom, et ces gouvernem<strong>en</strong>ts doiv<strong>en</strong>t, à leur tour, demeurer comptables de leurs<br />

actes devant les citoy<strong>en</strong>s et réagir à leurs opinions, à leurs désirs et à leurs besoins. Les<br />

citoy<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t par conséqu<strong>en</strong>t être prêts, disposés et aptes à pr<strong>en</strong>dre une part active au<br />

processus politique, à respecter les droits civiques et politiques de leurs concitoy<strong>en</strong>s et à les<br />

traiter <strong>en</strong> égaux politiques.<br />

159


Il ne s’agit pas de dire que les institutions politiques que l’on trouve généralem<strong>en</strong>t dans une<br />

<strong>démocratie</strong> politique moderne ne sont pas importantes. Ce sont les mécanismes par lesquels<br />

ces principes peuv<strong>en</strong>t être mis <strong>en</strong> pratique qui import<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant. Des élections libres et<br />

équitables, un système multipartite, <strong>des</strong> parlem<strong>en</strong>ts, une séparation <strong>des</strong> pouvoirs, ainsi que <strong>des</strong><br />

médias indép<strong>en</strong>dants, sont autant d’élém<strong>en</strong>ts qui ont fait <strong>la</strong> preuve de leur capacité à assurer<br />

un certain degré de contrôle popu<strong>la</strong>ire et <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts capables de réagir à l’opinion<br />

publique. Mais notons égalem<strong>en</strong>t que, dans les plus <strong>vie</strong>illes <strong>démocratie</strong>s libérales<br />

occid<strong>en</strong>tales, certaines de ces institutions sont antérieures à <strong>la</strong> naissance de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong><br />

politique telle que nous <strong>la</strong> connaissons aujourd’hui. Dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> pays, les partis<br />

politiques de masse ne sont apparus qu’à <strong>la</strong> fin du XIX e ou au début du XX e siècle. Les<br />

élections étai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t marquées par <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> de viol<strong>en</strong>ce, l’intimidation, <strong>la</strong> corruption<br />

et l’achat de votes étant <strong>des</strong> pratiques assez répandues. Il a fallu att<strong>en</strong>dre le XX e siècle <strong>pour</strong><br />

que <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s occid<strong>en</strong>tales adopt<strong>en</strong>t le suffrage universel <strong>des</strong> adultes.<br />

A ce stade, on peut se demander <strong>pour</strong>quoi <strong>la</strong> notion de « règle de <strong>la</strong> majorité » ne figure pas<br />

dans notre liste <strong>des</strong> principes démocratiques. N’est-ce pas l’ess<strong>en</strong>ce même du processus<br />

démocratique ? Pas nécessairem<strong>en</strong>t. Le processus politique consiste précisém<strong>en</strong>t à trouver le<br />

moy<strong>en</strong> de parv<strong>en</strong>ir à <strong>des</strong> décisions contraignantes <strong>pour</strong> tous, qu’elles soi<strong>en</strong>t ou non dans<br />

l’intérêt de tous ou qu’elles reflèt<strong>en</strong>t ou non les souhaits et exig<strong>en</strong>ces de chacun. S’il est<br />

possible de trouver un accord par <strong>la</strong> discussion, <strong>la</strong> persuasion, <strong>la</strong> négociation et le compromis,<br />

alors tant mieux.<br />

La décision de respecter <strong>la</strong> volonté de <strong>la</strong> majorité constitue, à bi<strong>en</strong> <strong>des</strong> égards, le dernier<br />

recours dès lors que tous les autres moy<strong>en</strong>s de parv<strong>en</strong>ir à un accord ont échoué. S’il existe un<br />

ou plusieurs groupes dans une <strong>démocratie</strong> qui sembl<strong>en</strong>t être systématiquem<strong>en</strong>t dans une<br />

minorité, alors se pose le risque que certains observateurs ont appelé «<strong>la</strong> tyrannie de <strong>la</strong><br />

majorité ». C’est <strong>la</strong> raison <strong>pour</strong> <strong>la</strong>quelle le principe de « réciprocité » est aussi important. Il<br />

est beaucoup plus probable que les personnes semb<strong>la</strong>nt appart<strong>en</strong>ir à <strong>la</strong> minorité soi<strong>en</strong>t<br />

disposées à accepter les décisions de <strong>la</strong> majorité si elles estim<strong>en</strong>t, d’abord qu’elles ont une<br />

chance d’être un jour dans <strong>la</strong> majorité et qu’<strong>en</strong>suite, si elles étai<strong>en</strong>t majoritaires, les autres<br />

serai<strong>en</strong>t alors égalem<strong>en</strong>t disposés à se plier à leurs décisions.<br />

De nos jours, une telle réciprocité est possible dans <strong>la</strong> politique courante de <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong><br />

<strong>démocratie</strong>s libérales. En période électorale, les partisans <strong>des</strong> principaux partis politiques<br />

espèr<strong>en</strong>t obt<strong>en</strong>ir suffisamm<strong>en</strong>t de voix <strong>pour</strong> former un gouvernem<strong>en</strong>t, tandis que les<br />

déf<strong>en</strong>seurs <strong>des</strong> plus petits partis espèr<strong>en</strong>t remporter assez de voix <strong>pour</strong> peser sur le processus<br />

décisionnel, voire être conviés à rejoindre un gouvernem<strong>en</strong>t de coalition avec d’autres partis.<br />

Par conséqu<strong>en</strong>t, p<strong>en</strong>dant <strong>la</strong> durée de <strong>vie</strong> d’un gouvernem<strong>en</strong>t démocratiquem<strong>en</strong>t élu, <strong>la</strong> plupart<br />

<strong>des</strong> personnes prévoiront qu’elles seront d’accord avec certaines <strong>des</strong> décisions prises et pas<br />

d’accord avec d’autres et estimeront que certaines décisions seront dans leur intérêt, tandis<br />

que d’autres ne le seront pas. Tel est le principe c<strong>en</strong>tral de <strong>la</strong> politique démocratique.<br />

Toutefois, <strong>pour</strong> que ce processus fonctionne correctem<strong>en</strong>t sans conduire à une «tyrannie de <strong>la</strong><br />

majorité », il est ess<strong>en</strong>tiel que les majorités favorables à une opinion, à une politique ou à une<br />

action données ne soi<strong>en</strong>t pas toujours les mêmes.<br />

Le problème de <strong>la</strong> règle de <strong>la</strong> majorité se pose dès lors que <strong>la</strong> politique tourne autour <strong>des</strong><br />

questions d’id<strong>en</strong>tité, race, nationalité, <strong>la</strong>ngue ou religion. L’id<strong>en</strong>tité est beaucoup moins facile<br />

à modifier (et moins s<strong>en</strong>sible à l’argum<strong>en</strong>t et à <strong>la</strong> persuasion), que les opinions que l’on peut<br />

avoir quant au meilleur moy<strong>en</strong> de financer et d’organiser <strong>la</strong> santé, l’éducation ou l’aide aux<br />

personnes âgées. On risque alors qu’une partie de <strong>la</strong> société, représ<strong>en</strong>tant un groupe<br />

id<strong>en</strong>titaire minoritaire, ne soit exclue <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce d’une partie ou d’une autre du processus<br />

160


gouvernem<strong>en</strong>tal. Dans ces conditions, le principe de <strong>la</strong> réciprocité est compromis et, <strong>pour</strong><br />

cette minorité, <strong>la</strong> règle de <strong>la</strong> majorité perd toute légitimité. La minorité peut finir par être<br />

déçue de <strong>la</strong> politique démocratique, et aller jusqu’à se tourner vers <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> viol<strong>en</strong>tes.<br />

Étant donné que les sociétés modernes sont de plus <strong>en</strong> plus caractérisées par <strong>la</strong> diversité non<br />

seulem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> <strong>la</strong>ngues, <strong>des</strong> religions, <strong>des</strong> cultures et de l’appart<strong>en</strong>ance ethnique, mais aussi<br />

<strong>des</strong> croyances, <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de <strong>vie</strong> et <strong>des</strong> id<strong>en</strong>tités, le risque de conflit pot<strong>en</strong>tiel <strong>en</strong>tre les<br />

différ<strong>en</strong>ts groupes et intérêts de <strong>la</strong> société r<strong>en</strong>d <strong>la</strong> politique d’autant plus nécessaire. Comme<br />

le philosophe politique Hannah Pitkin l’a souligné :<br />

« Ce qui caractérise <strong>la</strong> <strong>vie</strong> politique, c’est précisém<strong>en</strong>t le problème de créer <strong>en</strong><br />

perman<strong>en</strong>ce de l’unité, un public, dans un contexte de diversité, de rev<strong>en</strong>dications<br />

concurr<strong>en</strong>tes et d’intérêts contradictoires. S’il ne fait l’objet ni de rev<strong>en</strong>dications<br />

concurr<strong>en</strong>tes ni d’intérêts contradictoires, une question n’<strong>en</strong>tre jamais dans <strong>la</strong> sphère<br />

politique; il n’est pas besoin de pr<strong>en</strong>dre de décision politique. Mais <strong>pour</strong> que <strong>la</strong><br />

collectivité politique, le «nous », puisse agir, ces rev<strong>en</strong>dications et intérêts perman<strong>en</strong>ts<br />

doiv<strong>en</strong>t être résolus de manière à continuer de préserver <strong>la</strong> collectivité ».<br />

Comm<strong>en</strong>t les sociétés modernes peuv<strong>en</strong>t-elles préserver un certain s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’unité <strong>en</strong><br />

prés<strong>en</strong>ce de conflits qui s’avèr<strong>en</strong>t difficiles à régler par <strong>la</strong> voie démocratique? Si les<br />

<strong>démocratie</strong>s pluralistes ont survécu, c’est <strong>en</strong> grande partie parce que les différ<strong>en</strong>ces morales et<br />

religieuses ont rarem<strong>en</strong>t été politisées. Une frontière assez nette a été tracée <strong>en</strong>tre sphère<br />

publique et sphère privée. Non pas que cette ligne n’ait jamais été franchie, mais le véritable<br />

problème se pose dès lors qu’un gouvernem<strong>en</strong>t totalitaire arrive au pouvoir et cherche à<br />

ét<strong>en</strong>dre son emprise sur <strong>la</strong> quasi-totalité <strong>des</strong> aspects de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s. Cette situation peut<br />

égalem<strong>en</strong>t surv<strong>en</strong>ir si l’élite au pouvoir ne fait aucune distinction <strong>en</strong>tre sphère politique et<br />

religieuse, ou si elle n’autorise les individus à être <strong>des</strong> citoy<strong>en</strong>s – politiquem<strong>en</strong>t égaux – que<br />

s’ils répond<strong>en</strong>t à certains critères de nationalité, d’appart<strong>en</strong>ance ethnique, de religion ou de<br />

culture. Ceux qui ne répond<strong>en</strong>t pas à ces critères sont exclus <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce du processus<br />

politique et peuv<strong>en</strong>t se voir ranger, comme sous le Troisième Reich, dans <strong>la</strong> catégorie <strong>des</strong><br />

«non-personnes ».<br />

Dans ces conditions, qu’est-ce qui réunit <strong>des</strong> personnes d’origines et de milieux différ<strong>en</strong>ts ne<br />

partageant pas nécessairem<strong>en</strong>t les mêmes opinions et allégeances politiques? Nous avons<br />

déjà évoqué les principes de base qui fond<strong>en</strong>t le processus démocratique, et qui repos<strong>en</strong>t sur<br />

<strong>des</strong> <strong>valeurs</strong> qui touch<strong>en</strong>t au respect de <strong>la</strong> dignité de l’individu : traiter chaque personne avec le<br />

même respect et croire que chacun a <strong>la</strong> même valeur. Toutefois, il existe égalem<strong>en</strong>t un<br />

deuxième <strong>en</strong>semble de <strong>valeurs</strong> éthiques autour <strong>des</strong>quelles une <strong>démocratie</strong> pluraliste peut<br />

s’unir : les droits de l’homme universels. D’une part, il est c<strong>la</strong>ir que le processus<br />

démocratique ne peut fonctionner correctem<strong>en</strong>t si les citoy<strong>en</strong>s n’ont pas tous <strong>la</strong> liberté<br />

d’expression, <strong>la</strong> liberté d’association, <strong>la</strong> liberté de réunion, <strong>la</strong> liberté de mouvem<strong>en</strong>t et<br />

l’assurance qu’ils ne seront pas emprisonnés injustem<strong>en</strong>t ni torturés. Sans ces libertés, il est<br />

impossible d’avoir un système multipartite, <strong>des</strong> médias indép<strong>en</strong>dants, <strong>des</strong> élections libres et<br />

équitables, un gouvernem<strong>en</strong>t contrôlé par <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion et comptable de ses actes devant elle<br />

ni une participation politique active.<br />

Jusqu’au XX e siècle, de nombreux démocrates p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t que les droits civiques et politiques,<br />

comme ceux que nous avons décrits précédemm<strong>en</strong>t, suffirai<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> que les citoy<strong>en</strong>s puiss<strong>en</strong>t<br />

participer librem<strong>en</strong>t et activem<strong>en</strong>t au processus politique démocratique. Toutefois, on admet<br />

désormais plus généralem<strong>en</strong>t que si <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion n’a pas d’instruction, une bonne santé et un<br />

niveau de <strong>vie</strong> correct, elle n’aura vraisemb<strong>la</strong>blem<strong>en</strong>t pas <strong>la</strong> possibilité d’exercer ces droits<br />

161


civils et politiques. C’est <strong>la</strong> raison <strong>pour</strong> <strong>la</strong>quelle de nombreux États ont égalem<strong>en</strong>t signé <strong>des</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tions <strong>en</strong> vertu <strong>des</strong>quelles ils s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t à protéger égalem<strong>en</strong>t les droits économiques,<br />

sociaux et culturels de leurs citoy<strong>en</strong>s.<br />

Rev<strong>en</strong>ons donc à notre question clé. La <strong>démocratie</strong> ne suffit pas, si l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par là<br />

l’exist<strong>en</strong>ce d’un État doté d’institutions et de procédures démocratiques. L’une <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de<br />

cas jointes à cette partie de notre brochure passe <strong>en</strong> revue les problèmes qui se sont posés dès<br />

lors que l’on a voulu transp<strong>la</strong>nter <strong>des</strong> institutions démocratiques <strong>en</strong> Iraq, un pays sans aucune<br />

tradition et culture politique démocratiques. Même lorsque <strong>des</strong> mesures sont prises <strong>pour</strong><br />

garantir un plus grand contrôle popu<strong>la</strong>ire du processus démocratique – par exemple, <strong>en</strong><br />

augm<strong>en</strong>tant les possibilités de recourir à l’Internet <strong>pour</strong> associer davantage de personnes<br />

directem<strong>en</strong>t au processus politique (deuxième étude de cas) – on court tout de même le risque<br />

de glisser vers une tyrannie de <strong>la</strong> majorité, sauf s’il existe <strong>des</strong> sauvegar<strong>des</strong> permettant à tous<br />

d’avoir <strong>la</strong> même chance de peser sur le processus de décision.<br />

La <strong>démocratie</strong> est un projet impossible à réaliser totalem<strong>en</strong>t un jour. On peut espérer aller<br />

toujours dans <strong>la</strong> bonne direction mais, dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s, il existe <strong>des</strong> t<strong>en</strong>dances<br />

anti-démocratiques; les citoy<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t donc toujours être vigi<strong>la</strong>nts <strong>pour</strong> veiller à ce que les<br />

institutions de l’Etat ne bafou<strong>en</strong>t pas les droits démocratiques, même lorsque celui-ci semble<br />

le faire <strong>pour</strong> les meilleures raisons du monde.<br />

162


ETUDE DE CAS N°16 : Une <strong>démocratie</strong> transp<strong>la</strong>ntée peut-elle<br />

pr<strong>en</strong>dre racine ? L’exemple de l’Iraq<br />

Robert Stradling<br />

Historique<br />

XVI e siècle – 1918 : Le territoire aujourd’hui appelé « Iraq » fait partie de l’Empire ottoman ;<br />

il ne compr<strong>en</strong>d pas une seule province mais trois : Bagdad, où <strong>la</strong> majorité est constituée de<br />

Musulmans sunnites, <strong>la</strong> zone kurde de Mossoul, dans le Nord et Bassorah, au Sud, où <strong>la</strong><br />

majorité est constituée (et l’est <strong>en</strong>core) de Musulmans chiites.<br />

25 avril 1920 : Après <strong>la</strong> défaite de <strong>la</strong> Turquie et <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> Première guerre mondiale, les<br />

vainqueurs se réuniss<strong>en</strong>t à San Remo et décid<strong>en</strong>t de faire administrer l’Iraq par <strong>la</strong> Grande-<br />

Bretagne <strong>pour</strong> le compte de <strong>la</strong> Société <strong>des</strong> Nations.<br />

23 août 1921 : Faysal, membre de <strong>la</strong> famille royale hachémite de Syrie, est <strong>en</strong>voyé par les<br />

Britanniques <strong>pour</strong> être couronné premier roi d’Iraq, Faysal 1 er .<br />

3 octobre 1932 : L’Iraq de<strong>vie</strong>nt un Etat indép<strong>en</strong>dant.<br />

14 juillet 1958 : Le roi Faysal II est r<strong>en</strong>versé et tué lors d’un coup d’Etat militaire.<br />

Février 1963 – juillet 1963 : Après une série de coups d’Etat, fom<strong>en</strong>tés parfois par le Parti<br />

Baath arabe socialiste, parfois par les militaires, le pays <strong>en</strong>tre dans l’instabilité politique. Un<br />

dernier coup d’Etat, interv<strong>en</strong>u le 18 novembre 1963, permet aux Baathistes de s’emparer du<br />

pouvoir.<br />

16 juillet 1979 : Le présid<strong>en</strong>t Hassan Ahmed al-Bakr , au pouvoir depuis 11 ans,<br />

démissionne et est remp<strong>la</strong>cé par son vice-présid<strong>en</strong>t, Saddam Hussein.<br />

4 septembre 1980 : Une guerre éc<strong>la</strong>te <strong>en</strong>tre l’Iraq et l’Iran, qui va durer 8 ans et faire près<br />

d’un millier de victimes avant le cessez-le-feu du 20 août 1988.<br />

Août 1990 : L’Iraq <strong>en</strong>vahit le Koweït. La Résolution 660 du Conseil de sécurité de l’ONU<br />

appelle l’Iraq à se retirer. L’Iraq refuse de retirer ses forces, et <strong>la</strong> Résolution 661 de l’ONU<br />

impose <strong>des</strong> sanctions économiques au pays.<br />

Novembre 1990 – mars 1991 : <strong>la</strong> Résolution 678 de l’ONU autorise une coalition d’Etats<br />

membres conduite par les États-Unis à «user de tous les moy<strong>en</strong>s nécessaires » <strong>pour</strong> faire<br />

appliquer <strong>la</strong> Résolution 660 de l’ONU. Le 16 jan<strong>vie</strong>r 1991, les forces de <strong>la</strong> Coalition <strong>la</strong>nc<strong>en</strong>t<br />

une opération de bombardem<strong>en</strong>t aéri<strong>en</strong> et, le 24 février, elles pénètr<strong>en</strong>t au Koweït. Le 3 mars,<br />

l’Iraq accepte les conditions d’un cessez-le-feu et retire ses derniers soldats.<br />

Mars-avril 1991 : Des actes de rébellion contre le régime de Saddam Hussein ont lieu dans le<br />

Nord et le Sud de l’Iraq. Ces manifestations sont réprimées. Les Etats-Unis appell<strong>en</strong>t l’Iraq à<br />

mettre un terme à toute activité militaire dans le Nord du pays <strong>pour</strong> protéger <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

kurde. Un an plus tard, les États-Unis et <strong>la</strong> Grande-Bretagne instaur<strong>en</strong>t une zone de non-<br />

163


survol au Sud de l’Iraq <strong>pour</strong> protéger les Arabes <strong>des</strong> marais contre les bombardem<strong>en</strong>ts de<br />

l’aviation iraqi<strong>en</strong>ne.<br />

16-19 décembre 1998 : Après que l’Iraq ait refusé de coopérer avec <strong>la</strong> Commission spéciale<br />

<strong>des</strong> Nations Unies chargée de contrôler <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction <strong>des</strong> armes de <strong>des</strong>truction massive de<br />

l’Iraq, les États-Unis et le Royaume-Uni <strong>la</strong>nc<strong>en</strong>t une campagne de bombardem<strong>en</strong>ts aéri<strong>en</strong>s<br />

<strong>pour</strong> détruire les programmes iraqi<strong>en</strong>s d’armes nucléaires, chimiques et biologiques.<br />

Février 2001 : Après plus de deux ans durant lesquels l’Iraq refuse de coopérer avec l’ONU<br />

dans le cadre <strong>des</strong> inspections sur les armes de <strong>des</strong>truction massive, les Etats-Unis et <strong>la</strong><br />

Grande-Bretagne procèd<strong>en</strong>t à <strong>des</strong> bombardem<strong>en</strong>ts aéri<strong>en</strong>s <strong>pour</strong> neutraliser les déf<strong>en</strong>ses<br />

aéri<strong>en</strong>nes de l’Iraq. Cette action ne bénéficie que d’un faible souti<strong>en</strong> de <strong>la</strong> part de <strong>la</strong><br />

communauté internationale.<br />

11 septembre 2001 : Attaque aéri<strong>en</strong>ne d’Al-Qaïda contre les tours jumelles du World Trade<br />

C<strong>en</strong>ter à New York.<br />

Septembre 2002 : Le présid<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis, George W. Bush, invite l’Assemblée générale<br />

de l’ONU à affronter le « danger grave et grandissant de l’Iraq » ou à se retirer <strong>en</strong> <strong>la</strong>issant les<br />

États-Unis agir seuls. Le gouvernem<strong>en</strong>t britannique publie un dossier dont il prét<strong>en</strong>d qu’il<br />

repose sur les preuves disponibles sur les capacités militaires de l’Iraq. En novembre, les<br />

inspecteurs de l’ONU se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t de nouveau <strong>en</strong> Iraq <strong>pour</strong> contrôler les armes du pays.<br />

Février 2003 : Donald Rumsfeld, Secrétaire d’Etat à <strong>la</strong> déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> États-Unis, prét<strong>en</strong>d que<br />

les Américains dispos<strong>en</strong>t de preuves indiscutables de l’exist<strong>en</strong>ce de li<strong>en</strong>s <strong>en</strong>tre les dirigeants<br />

iraqi<strong>en</strong>s et Al-Qaïda. Le présid<strong>en</strong>t Bush déc<strong>la</strong>re que l’Iraq est <strong>la</strong> nouvelle ligne de front dans<br />

<strong>la</strong> «guerre contre le terrorisme » et <strong>pour</strong>suit <strong>en</strong> disant : «En Iraq, un dictateur fabrique et<br />

dissimule <strong>des</strong> armes qui <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t lui permettre de dominer le Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t et d’intimider le<br />

monde civilisé – et nous ne le <strong>la</strong>isserons pas faire ».<br />

20 mars- 9 avril 2003 : La guerre débute avec le <strong>la</strong>rgage de missiles américains sur <strong>des</strong> cibles<br />

à Bagdad. Les forces américaines pénètr<strong>en</strong>t au c<strong>en</strong>tre de Bagdad, et les forces de <strong>la</strong> Coalition<br />

pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le contrôle du Nord et du Sud du pays. La plupart <strong>des</strong> forces de <strong>la</strong> Coalition<br />

pro<strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t <strong>des</strong> États-Unis, du Royaume-Uni et de Pologne, mais 29 pays au total <strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t<br />

<strong>des</strong> soldats.<br />

1 er mai 2003 : Le présid<strong>en</strong>t Bush déc<strong>la</strong>re <strong>of</strong>ficiellem<strong>en</strong>t <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> principales opérations<br />

militaires, mais les forces de <strong>la</strong> Coalition sont désormais confrontées à une int<strong>en</strong>sification de<br />

<strong>la</strong> guéril<strong>la</strong>. L’Autorité provisoire de <strong>la</strong> Coalition (CPA) est <strong>en</strong>voyée <strong>en</strong> Iraq <strong>pour</strong> administrer<br />

le pays.<br />

14 décembre 2003 : Saddam Hussein est capturé à Tikrit.<br />

Juin 2004 : Les États-Unis transfèr<strong>en</strong>t <strong>la</strong> souveraineté du pays à un gouvernem<strong>en</strong>t iraqi<strong>en</strong><br />

intérimaire, conduit par le premier ministre, Iyad Al<strong>la</strong>wi.<br />

13 jan<strong>vie</strong>r 2005 : Près de huit millions d’Iraqi<strong>en</strong>s particip<strong>en</strong>t aux élections de l’Assemblée<br />

nationale de transition. Peu de Sunnites pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t part au vote. L’Alliance iraqi<strong>en</strong>ne unifiée<br />

(chiite) remporte <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> sièges à l’Assemblée. Des négociations s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t au sein de<br />

l’Assemblée nationale iraqi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> vue de <strong>la</strong> formation d’un gouvernem<strong>en</strong>t. Ibrahim al-<br />

164


Jaafari, dirigeant du premier parti, l’Alliance iraqi<strong>en</strong>ne unifiée, est nommé premier ministre,<br />

et Ja<strong>la</strong>l Ta<strong>la</strong>bani, de l’Union patriotique du Kurdistan, présid<strong>en</strong>t.<br />

Août 2005 : Un projet de Constitution est approuvé par les négociateurs chiites et kur<strong>des</strong>,<br />

mais rejeté par les représ<strong>en</strong>tants sunnites.<br />

Octobre 2005 : Lors d’un référ<strong>en</strong>dum, 79 % <strong>des</strong> électeurs approuv<strong>en</strong>t <strong>la</strong> nouvelle<br />

Constitution <strong>en</strong> vue de <strong>la</strong> création d’une <strong>démocratie</strong> fédérale is<strong>la</strong>mique, bi<strong>en</strong> que nombre de<br />

Sunnites se soi<strong>en</strong>t abst<strong>en</strong>us ou ai<strong>en</strong>t voté contre.<br />

15 décembre 2005 : Les Iraqi<strong>en</strong>s vot<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> leur premier gouvernem<strong>en</strong>t et parlem<strong>en</strong>t depuis<br />

l’invasion de leur pays par les forces de <strong>la</strong> Coalition. L’Alliance iraqi<strong>en</strong>ne unifiée, conduite<br />

par <strong>des</strong> Chiites, apparaît comme étant le plus grand parti au sein de <strong>la</strong> nouvelle Assemblée,<br />

mais il ne déti<strong>en</strong>t pas de majorité. Un gouvernem<strong>en</strong>t de coalition est constitué.<br />

30 décembre 2006 : Au terme d’un procès de douze mois, Saddam Hussein est reconnu<br />

coupable de crimes contre l’humanité et exécuté.<br />

Jan<strong>vie</strong>r 2007 : Le présid<strong>en</strong>t Bush annonce une nouvelle stratégie <strong>pour</strong> l’Iraq et <strong>en</strong>voie <strong>des</strong><br />

soldats <strong>en</strong> r<strong>en</strong>fort <strong>pour</strong> améliorer <strong>la</strong> sécurité. Un rapport de l’ONU indique que plus de 34 000<br />

civils iraqi<strong>en</strong>s ont été tués au cours de viol<strong>en</strong>ces <strong>en</strong> 2006.<br />

Quel était ici l’<strong>en</strong>jeu ?<br />

Un certain nombre de points <strong>des</strong> plus polémiques <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t les événem<strong>en</strong>ts surv<strong>en</strong>us <strong>en</strong> Iraq,<br />

et notamm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> décision prise par <strong>la</strong> Coalition conduite par les États-Unis d’<strong>en</strong>vahir l’Iraq <strong>en</strong><br />

2003. Toutefois, <strong>la</strong> question qui nous occupe ici concerne l’int<strong>en</strong>tion affichée par le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis d’introduire <strong>en</strong> Iraq une Constitution, <strong>des</strong> institutions et <strong>des</strong><br />

processus démocratiques, et ce dans les meilleurs dé<strong>la</strong>is. Le 27 février 2003, le présid<strong>en</strong>t<br />

George W. Bush déc<strong>la</strong>re : «Tous les Iraqi<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t avoir voix au chapitre dans <strong>la</strong><br />

nomination du nouveau gouvernem<strong>en</strong>t, et les droits de tous les citoy<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t être<br />

protégés ».<br />

Mais, est-il réaliste de croire ou de supposer que l’on peut, <strong>en</strong> partant de zéro, introduire une<br />

<strong>démocratie</strong> libérale dotée d’institutions parlem<strong>en</strong>taires véritablem<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>tatives et de<br />

réels mécanismes de protection <strong>des</strong> droits de l’homme dans un pays pr<strong>of</strong>ondém<strong>en</strong>t divisé sur<br />

le p<strong>la</strong>n ethnique et religieux, où <strong>la</strong> loi et l’ordre n’ont pas <strong>en</strong>core été rétablis dans toutes les<br />

régions après un conflit dévastateur, et où les insurgés continu<strong>en</strong>t de massacrer forces de<br />

sécurité et simples civils ?<br />

Les détracteurs font valoir que <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> libérale ne peut naître dans un pays que lorsque<br />

les conditions propices sont réunies. Deux universitaires spécialistes de l’histoire et de <strong>la</strong><br />

politique de l’Iraq cit<strong>en</strong>t à ce sujet Thomas Jefferson, auteur de <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration d’indép<strong>en</strong>dance<br />

<strong>des</strong> Etats-Unis d’Amérique et troisième présid<strong>en</strong>t du pays, qui déc<strong>la</strong>ra un jour : «La<br />

<strong>démocratie</strong> doit pouvoir s’<strong>en</strong>raciner si l’on veut qu’elle pousse ». Ces mêmes spécialistes<br />

<strong>pour</strong>suiv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> constatant que «rares sont les p<strong>la</strong>ntes, et <strong>en</strong>core moins <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>, qui<br />

pouss<strong>en</strong>t de haut <strong>en</strong> bas». [W. Polk & J. Lund, Understanding Iraq, 2006, p.197].<br />

D’autres ont repris ce même thème et fait valoir que les traditions anglo-saxonnes et<br />

europé<strong>en</strong>nes de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> sont apparues dans <strong>des</strong> pays où le peuple avait t<strong>en</strong>té d’abolir ou<br />

de limiter les pouvoirs de dirigeants exerçant sur lui un pouvoir absolu, au lieu de chercher le<br />

165


moy<strong>en</strong> de faire naître l’ordre du chaos et de l’anarchie, même si <strong>la</strong> période révolutionnaire au<br />

cours de <strong>la</strong>quelle les pouvoirs de monarques ou de dictateurs sont passés au peuple semble<br />

souv<strong>en</strong>t chaotique et anarchique. En vertu de cet argum<strong>en</strong>t, si Saddam Hussein avait été<br />

r<strong>en</strong>versé par le peuple iraqi<strong>en</strong>, et non par les forces de <strong>la</strong> Coalition, peut-être celui-ci aurait-il<br />

choisi de se doter d’une Constitution et d’institutions démocratiques et de t<strong>en</strong>ir <strong>des</strong> élections<br />

libres et justes.<br />

Même dans ces conditions, d’après certains observateurs, une période de démocratisation trop<br />

courte risque de se transformer <strong>en</strong> chaos, <strong>en</strong> désordre et <strong>en</strong> conflit, dès lors que les allégeances<br />

politiques du peuple suiv<strong>en</strong>t <strong>des</strong> clivages ethniques et religieux, plutôt que d’être fondées sur<br />

<strong>des</strong> choix politiques et <strong>des</strong> politiques économiques alternatifs.<br />

Pour étayer leur argum<strong>en</strong>tation, les t<strong>en</strong>ants de cette ligne de p<strong>en</strong>sée cit<strong>en</strong>t l’exemple du<br />

Rwanda et du Soudan. Le Rwanda est une colonie belge de <strong>la</strong> Corne de l’Afrique jusqu’à son<br />

indép<strong>en</strong>dance <strong>en</strong> 1962. Durant <strong>la</strong> période coloniale, ce sont <strong>des</strong> membres de <strong>la</strong> minorité tutsie<br />

qui occup<strong>en</strong>t <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> hauts postes de l’administration et de l’armée. Après les premières<br />

élections démocratiques, <strong>la</strong> majorité hutue forme le premier gouvernem<strong>en</strong>t. De nombreux<br />

Tutsis quitt<strong>en</strong>t le pays, mais les exilés constitu<strong>en</strong>t le Front patriotique rwandais et l’Armée<br />

patriotique rwandaise (RPA), <strong>en</strong>vahit alors le Rwanda <strong>en</strong> 1990, <strong>en</strong>traînant une longue guerre<br />

civile. Au cours de cette période, plus de 800 000 Tutsis vivant au Rwanda sont massacrés.<br />

Toutefois, <strong>la</strong> RPA réussit à s’emparer de <strong>la</strong> capitale <strong>en</strong> 1994, opération sui<strong>vie</strong> d’un massacre<br />

de Hutus. Au total, plus d’un million de personnes ont perdu <strong>la</strong> <strong>vie</strong> depuis l’indép<strong>en</strong>dance, et<br />

deux autres millions ont fui le pays – sur une popu<strong>la</strong>tion totale d’<strong>en</strong>viron six millions<br />

d’habitants.<br />

Le Soudan est dev<strong>en</strong>u indép<strong>en</strong>dant de <strong>la</strong> Grande-Bretagne <strong>en</strong> 1956, mais les germes du conflit<br />

ethnique et religieux étai<strong>en</strong>t déjà prés<strong>en</strong>ts à cette époque. Le pays était peuplé <strong>en</strong> majorité<br />

d’Arabes et de musulmans au Nord et d’Africains et de chréti<strong>en</strong>s au Sud. En 1958 les forces<br />

musulmanes du Nord font un coup d’Etat militaire. Cinq ans plus tard, c’est le début d’une<br />

guerre civile de neuf ans <strong>en</strong>tre le Nord et le Sud. Le conflit repr<strong>en</strong>d lorsque le gouvernem<strong>en</strong>t<br />

t<strong>en</strong>te d’imposer <strong>la</strong> loi de <strong>la</strong> Charia à l’<strong>en</strong>semble du pays. En 1989, un autre coup d’Etat porte<br />

le Front national is<strong>la</strong>mique au pouvoir. Le conflit n’a jamais cessé depuis, et <strong>des</strong> combats ont<br />

même éc<strong>la</strong>té <strong>en</strong>tre les forces anti-gouvernem<strong>en</strong>tales dans le Sud. P<strong>en</strong>dant ce temps, de<br />

nombreux civils continu<strong>en</strong>t de souffrir de <strong>la</strong> famine, de <strong>la</strong> pauvreté et de <strong>la</strong> brutalité de <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />

durant une guerre civile.<br />

Certains observateurs font ressortir les analogies <strong>en</strong>tre <strong>la</strong> situation de l’Iraq, du Rwanda et du<br />

Soudan. Ils indiqu<strong>en</strong>t qu’après l’indép<strong>en</strong>dance et <strong>la</strong> démocratisation, les partis et les<br />

mouvem<strong>en</strong>ts politiques se sont formés, au Rwanda et au Soudan, <strong>en</strong> fonction de clivages<br />

ethniques et religieux. Ils n’étai<strong>en</strong>t pas disposés à négocier, à transiger ou à accepter <strong>des</strong><br />

décisions avec lesquelles ils n’étai<strong>en</strong>t pas d’accord, autant d’élém<strong>en</strong>ts <strong>pour</strong>tant ess<strong>en</strong>tiels si<br />

l’on veut que <strong>la</strong> politique pluraliste et démocratique puisse fonctionner. D’aucuns font état <strong>des</strong><br />

divisions géographiques <strong>en</strong> Iraq, les Sunnites vivant principalem<strong>en</strong>t dans le c<strong>en</strong>tre et dans<br />

l’Ouest du pays, les Kur<strong>des</strong> dans le Nord, et les Chiites - principal groupe ethnique du pays –<br />

conc<strong>en</strong>trés dans le Sud.<br />

Si les comm<strong>en</strong>tateurs admett<strong>en</strong>t le fait que <strong>des</strong> clivages géographiques analogues ont certes<br />

existé ailleurs dans le monde sans nécessairem<strong>en</strong>t conduire aux conflits qu’ont connus le<br />

Rwanda et le Soudan, souv<strong>en</strong>t grâce à l’introduction d’une forme ou d’une autre de système<br />

fédéral donnant une <strong>la</strong>rge autonomie à chaque région, ils dout<strong>en</strong>t que ce système puisse<br />

fonctionner <strong>en</strong> Iraq. Premièrem<strong>en</strong>t, ils font valoir que les trois groupes ethniques ne sont pas<br />

166


<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t séparés géographiquem<strong>en</strong>t. La popu<strong>la</strong>tion de Bagdad, <strong>la</strong> capitale, est <strong>en</strong> fait<br />

mixte. Deuxièmem<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> richesse pot<strong>en</strong>tielle de l’Iraq est son pétrole, mais les puits de<br />

pétrole ne sont pas égalem<strong>en</strong>t répartis dans le pays, et les Sunnites, <strong>en</strong> particulier, craign<strong>en</strong>t<br />

d’être perdants si le pétrole devait tomber aux mains <strong>des</strong> seuls Chiites et Kur<strong>des</strong>.<br />

Certaines critiques ont fait valoir que <strong>la</strong> stratégie <strong>des</strong> Etats-Unis <strong>en</strong> Afghanistan aurait été plus<br />

indiquée <strong>pour</strong> l’Iraq. En l’occurr<strong>en</strong>ce, on a ici affaire à un autre pays caractérisé par <strong>des</strong><br />

clivages ethniques et religieux. On y trouve plusieurs grands groupes ethniques comme les<br />

Pachtouns, les Tadjiks et les Ouzbeks, eux-mêmes composés de plusieurs tribus différ<strong>en</strong>tes,<br />

parfois <strong>en</strong> guerre les unes contre les autres. Le gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis a voulu ici<br />

mettre sur pied un gouvernem<strong>en</strong>t d’unité nationale, compr<strong>en</strong>ant <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tants de <strong>la</strong><br />

plupart <strong>des</strong> factions et <strong>des</strong> chefs militaires s’étant opposé aux Talibans et rallier <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

autour d’un homme fort, Hamid Karzaï, chef de guerre pachtoune, disposant d’une base dans<br />

le Sud, égalem<strong>en</strong>t acceptable aux yeux de certains autres dirigeants régionaux.<br />

Enfin, les critiques font aussi habituellem<strong>en</strong>t remarquer que l’unique moy<strong>en</strong> d’instaurer <strong>la</strong><br />

<strong>démocratie</strong> <strong>en</strong> Iraq serait que le gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis et/ou les Nations Unies y<br />

rest<strong>en</strong>t très longtemps, <strong>pour</strong> ram<strong>en</strong>er ordre et stabilité, assurer le développem<strong>en</strong>t économique<br />

et contribuer à <strong>la</strong> création d’une culture politique démocratique. Toutefois, comme ils le font<br />

observer, de nombreux électeurs aux Etats-Unis et dans les autres pays de <strong>la</strong> Coalition veul<strong>en</strong>t<br />

retirer leurs troupes d’Iraq aussi rapidem<strong>en</strong>t que possible ; dans ces conditions, il est peu<br />

probable qu’un futur gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis soit disposé à adopter une telle stratégie au<br />

long cours.<br />

Comm<strong>en</strong>t ceux et celles qui préconis<strong>en</strong>t que l’on t<strong>en</strong>te au plus vite d’introduire <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong><br />

<strong>en</strong> Iraq ont-ils répondu aux questions et préoccupations soulevées par leurs opposants ? En<br />

réponse à l’argum<strong>en</strong>t selon lequel <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> ne peut prospérer dans un pays sans tradition<br />

ni culture politique libérale et démocratique, ils évoqu<strong>en</strong>t les événem<strong>en</strong>ts surv<strong>en</strong>us ces 20<br />

dernières années <strong>en</strong> <strong>Europe</strong> de l’Est après <strong>la</strong> chute du communisme.<br />

A ceux qui cit<strong>en</strong>t le cas du Rwanda et du Soudan et prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t qu’un pays marqué par <strong>des</strong><br />

clivages ethniques, religieux et géographiques est par nature instable et, par conséqu<strong>en</strong>t, peu<br />

propice au développem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> «p<strong>la</strong>nte démocratique », ils m<strong>en</strong>tionn<strong>en</strong>t les événem<strong>en</strong>ts<br />

surv<strong>en</strong>us <strong>en</strong> Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et au Timor ori<strong>en</strong>tal. Sans aller jusqu’à dire que<br />

ces pays ont d’ores et déjà achevé leur transition vers une <strong>démocratie</strong> pluraliste stable, ils font<br />

plutôt valoir que les Nations Unies ont mis <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce, dans ces pays, <strong>des</strong> programmes de<br />

développem<strong>en</strong>t à long terme qui cré<strong>en</strong>t les conditions nécessaires à l’émerg<strong>en</strong>ce d’institutions<br />

et de processus démocratiques.<br />

Les déf<strong>en</strong>seurs de <strong>la</strong> position du gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Etats-Unis <strong>en</strong> Iraq font égalem<strong>en</strong>t valoir<br />

que l’Iraq a peut-être <strong>en</strong> commun avec l’Afghanistan, le Rwanda et le Soudan <strong>des</strong> clivages<br />

ethniques et religieux, mais que certaines autres différ<strong>en</strong>ces importantes <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t y faciliter<br />

<strong>la</strong> transition démocratique. Ils font observer que 75 % de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion iraqi<strong>en</strong>ne est urbaine et<br />

n’a aucun li<strong>en</strong> avec les chefs tribaux et chefs militaires <strong>des</strong> régions rurales. Par ailleurs, de<br />

nombreux Iraqi<strong>en</strong>s sont <strong>la</strong>ïques et ne veul<strong>en</strong>t pas être gouvernés par <strong>des</strong> religieux. Les recettes<br />

pétrolières, une fois <strong>la</strong> production rev<strong>en</strong>ue à <strong>la</strong> normale, financeront un développem<strong>en</strong>t<br />

économique rapide. De plus, l’alphabétisation et les niveaux d’instruction sont beaucoup plus<br />

élevés <strong>en</strong> Iraq que dans les autres pays cités <strong>en</strong> exemple par les détracteurs.<br />

A ceux qui sembl<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>ser que le modèle de l’Afghanistan <strong>pour</strong>rait être plus approprié à<br />

l’Iraq qu’une démocratisation immédiate, ils répond<strong>en</strong>t que <strong>la</strong> stratégie d’un gouvernem<strong>en</strong>t<br />

167


d’unité nationale a fonctionné <strong>en</strong> Afghanistan précisém<strong>en</strong>t parce que plusieurs dirigeants<br />

bénéficiai<strong>en</strong>t d’une légitimité suffisante <strong>pour</strong> représ<strong>en</strong>ter leurs tribus et communautés et parler<br />

<strong>en</strong> leur nom. Saddam Hussein, par contre, durant sa dictature, avait éliminé tout dirigeant<br />

local ou régional susceptible de le m<strong>en</strong>acer, alors que d’autres avai<strong>en</strong>t déjà fui le pays et n’y<br />

possédait plus aucune base de pouvoir.<br />

A ceux qui font valoir que l’électorat américain et les électeurs <strong>des</strong> autres pays de <strong>la</strong> Coalition<br />

souhait<strong>en</strong>t un retrait militaire rapide d’Iraq, les t<strong>en</strong>ants de <strong>la</strong> démocratisation remarqu<strong>en</strong>t que<br />

leurs opposants disai<strong>en</strong>t <strong>la</strong> même chose au l<strong>en</strong>demain de <strong>la</strong> deuxième guerre mondiale, mais<br />

que les Etats-Unis ont maint<strong>en</strong>u une prés<strong>en</strong>ce au Japon et <strong>en</strong> Allemagne, puis <strong>en</strong> Corée du<br />

Sud, p<strong>en</strong>dant de nombreuses années et particip<strong>en</strong>t activem<strong>en</strong>t au développem<strong>en</strong>t économique<br />

et politique de <strong>la</strong> Bosnie depuis 10 ans.<br />

Enfin, certains déf<strong>en</strong>seurs du gouvernem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> États-Unis ont argué du fait que le présid<strong>en</strong>t<br />

Bush et ses conseillers n’avai<strong>en</strong>t d’autre choix que de promouvoir <strong>la</strong> démocratisation aussi<br />

rapidem<strong>en</strong>t que possible. Ayant opté <strong>pour</strong> <strong>la</strong> guerre, puis <strong>des</strong>titué Saddam et fait <strong>en</strong>suite le<br />

choix d’un changem<strong>en</strong>t de régime, les États-Unis se serai<strong>en</strong>t attirés les reproches de tous s’ils<br />

avai<strong>en</strong>t alors remp<strong>la</strong>cé un dictateur par un autre qui leur aurait été plus favorable.<br />

Une diversité de points de vue<br />

James Woolsey, anci<strong>en</strong> directeur de <strong>la</strong> CIA et ferv<strong>en</strong>t partisan de <strong>la</strong> décision d’<strong>en</strong>vahir<br />

l’Iraq :<br />

«Tout le monde peut dire : «Ah oui, bi<strong>en</strong> sûr, vous allez démocratiser le Moy<strong>en</strong>-<br />

Ori<strong>en</strong>t…Mais si vous regardez ce que nous et nos alliés ont fait durant les trois dernières<br />

guerres mondiales – deux «chau<strong>des</strong> », une « froide » - …..nous avons déjà atteint cet objectif<br />

dans les deux tiers de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète. Il y a de ce<strong>la</strong> 85 ans, lorsque <strong>la</strong> première guerre mondiale a<br />

éc<strong>la</strong>té, le monde comptait huit ou dix <strong>démocratie</strong>s. Aujourd’hui, on <strong>en</strong> rec<strong>en</strong>se <strong>en</strong>viron 120 –<br />

certaines libres, certaines partiellem<strong>en</strong>t libres. Ce<strong>la</strong> vous donne un ordre de grandeur. Quant<br />

aux compromis que nous avons faits depuis, que ce soit <strong>en</strong> nous alliant avec Staline, Franco<br />

ou Pinochet, nous avons réussi à les surmonter, et les régimes qui les ont remp<strong>la</strong>cés sont <strong>des</strong><br />

<strong>démocratie</strong>s. Environ <strong>la</strong> moitié <strong>des</strong> Etats d’Afrique sub-sahari<strong>en</strong>ne sont démocratiques, de<br />

même que <strong>la</strong> moitié <strong>des</strong> quelque 20 Etats musulmans non arabes. Il y a ainsi toute l’<strong>Europe</strong> à<br />

l’exception du Be<strong>la</strong>rus, de même que certaines régions <strong>des</strong> Balkans. Quand on y réfléchit,<br />

tout ceci s’est produit <strong>en</strong> moins d’un siècle. Alors, faire <strong>en</strong> sorte que le monde arabe, plus<br />

l’Iran, s’ori<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong> même direction semble constituer une tâche moins gigantesque. Il<br />

ne s’agit pas d’américaniser le monde, mais de «l’athéniser ». Or, ce<strong>la</strong> est tout à fait<br />

réalisable ».<br />

Cité par James Fallows, The Fifty-First State? The At<strong>la</strong>ntic Monthly, novembre 2002<br />

Un rapport du Départem<strong>en</strong>t d’Etat <strong>des</strong> Etats-Unis sur les droits de l’homme, publié <strong>en</strong><br />

mars 2006, invoquant à titre de preuve les élections organisées au mois de jan<strong>vie</strong>r de<br />

cette année-là et le développem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> organisations non gouvernem<strong>en</strong>tales, affirme :<br />

«L’an dernier [2005] a été marqué par <strong>des</strong> progrès importants <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>, les droits<br />

démocratiques et <strong>la</strong> liberté <strong>en</strong> Iraq.»<br />

Daniel L. Byman et K<strong>en</strong>neth Pol<strong>la</strong>ck,du C<strong>en</strong>tre Saban <strong>pour</strong> <strong>la</strong> politique au Moy<strong>en</strong>-<br />

Ori<strong>en</strong>t, de <strong>la</strong> Brookings Institution, Washington DC, Etats-Unis, indiqu<strong>en</strong>t :<br />

168


« Le fait de ne pas instaurer <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> <strong>en</strong> Iraq…serait désastreux. La guerre civile,<br />

d’importants afflux de réfugiés, voire une reprise <strong>des</strong> combats inter-étatiques risquerai<strong>en</strong>t de<br />

resurgir dans cette région depuis longtemps maudite. De plus, si <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> ne devait pas<br />

s’imp<strong>la</strong>nter, cette évolution donnerait raison aux accusations selon lesquelles les États-Unis se<br />

souci<strong>en</strong>t peu <strong>des</strong> peuples musulmans et arabes…..Le fait de ne pas réussir à transformer le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t iraqi<strong>en</strong> a terni <strong>la</strong> victoire militaire remportée sur ce pays <strong>en</strong> 1991 ; plus de 10<br />

ans plus tard, les États-Unis ne doiv<strong>en</strong>t pas répéter <strong>la</strong> même erreur ».<br />

D’un autre côté, le général <strong>des</strong> Marines <strong>des</strong> États-Unis, Anthony Zinni, parti <strong>en</strong> retraite<br />

avant le début de <strong>la</strong> guerre <strong>en</strong> Iraq, doutait qu’il y ait un moy<strong>en</strong> à court terme<br />

d’introduire <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> <strong>en</strong> Iraq :<br />

«Si l’on p<strong>en</strong>se qu’il existe une solution rapide <strong>pour</strong> changer <strong>la</strong> gouvernance <strong>en</strong> Iraq, alors<br />

l’on ne compr<strong>en</strong>d ri<strong>en</strong> à l’histoire, à <strong>la</strong> nature du pays, aux divisions ou aux passions sousjac<strong>en</strong>tes<br />

réprimées qui <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t refaire surface. Je nous souhaite bi<strong>en</strong> de <strong>la</strong> chance si nous<br />

p<strong>en</strong>sons que cette transition se fera facilem<strong>en</strong>t. Les t<strong>en</strong>tatives auxquelles j’ai pu assister <strong>pour</strong><br />

instaurer <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> <strong>en</strong> peu de temps dans un pays sans histoire ni racines démocratiques<br />

ont toutes échoué [par ex.]……<strong>en</strong> Somalie ».<br />

Le journaliste Robert Kap<strong>la</strong>n déc<strong>la</strong>rait dans le Washington Post le 2 mars 2006 que :<br />

«La mondialisation et d’autres forces dynamiques vont continuer de débarrasser le monde<br />

<strong>des</strong> dictatures. Le changem<strong>en</strong>t politique n’a pas à être imposé aux peuples; il sur<strong>vie</strong>ndra de<br />

toute façon. Ce vers quoi il nous faut t<strong>en</strong>dre – car ces peuples dont les expéri<strong>en</strong>ces historiques<br />

sont différ<strong>en</strong>tes <strong>des</strong> nôtres nous <strong>en</strong> seront reconnaissants –ce n’est pas <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>, mais <strong>la</strong><br />

normalité. L’objectif doit consister à stabiliser <strong>des</strong> régimes nouvellem<strong>en</strong>t démocratiques et à<br />

faciliter l’accès au développem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> pays non démocratiques…..Plus nous serons prud<strong>en</strong>ts<br />

dans un monde déjà aux prises avec de tumultueux bouleversem<strong>en</strong>ts, plus nous réussirons ».<br />

L’instabilité concerne égalem<strong>en</strong>t les voisins de l’Iraq. Shibley Telhami, pr<strong>of</strong>esseur,<br />

Chaire Anwar Sadat de paix et de développem<strong>en</strong>t, Université du Mary<strong>la</strong>nd, États-Unis,<br />

déc<strong>la</strong>re :<br />

«Dans <strong>des</strong> Etats comme les Emirats Arabes Unis et le Qatar, même l’Arabie saoudite, on<br />

craint que l’effondrem<strong>en</strong>t total de l’Iraq ne favorise à long terme les intérêts de l’Iran, ce qui<br />

serait un danger <strong>en</strong>core plus grave…Ils estim<strong>en</strong>t que l’instabilité va durer p<strong>en</strong>dant longtemps<br />

et, dans le pire <strong>des</strong> cas, on <strong>en</strong>visage <strong>la</strong> désintégration de l’Etat iraqi<strong>en</strong> ».<br />

Dr Hamid al-Bayati, conseiller politique de l’Alliance iraki<strong>en</strong>ne unifiée (chiite) souligne :<br />

«Nous devons pr<strong>en</strong>dre <strong>la</strong> réalité iraqi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> ligne de compte – nous ne pouvons pas copier<br />

n’importe quel système démocratique dans le monde et l’appliquer ici ».<br />

Expert du Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t, N.N. Ayubi, affirme dans son ouvrage Overstating The Arab<br />

State : Politics and Society in the Middle East (2001) p.424 :<br />

«Parler de démocratisation à propos de l’Iraq, même si l’on donne une interprétation très<br />

<strong>la</strong>rge de cette notion, semble presque friser le ridicule ».<br />

A droite de l’échiquier politique américain, le point de vue du gouvernem<strong>en</strong>t sur l’Iraq<br />

n’est pas déf<strong>en</strong>du par tous. Patrick Basham, de l’Institut Cato, un organisme<br />

conservateur basé à Washington, doute que les conditions préa<strong>la</strong>bles nécessaires au<br />

169


fonctionnem<strong>en</strong>t d’une <strong>démocratie</strong> soi<strong>en</strong>t réunies <strong>en</strong> Iraq, même s’il est égalem<strong>en</strong>t<br />

évid<strong>en</strong>t qu’il p<strong>en</strong>se plutôt à une <strong>démocratie</strong> libérale à l’occid<strong>en</strong>tale, avec une économie<br />

de marché:<br />

«Dans un tel <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s adopt<strong>en</strong>t une passivité politique qui freine<br />

l’apparition de principes – comme <strong>la</strong> responsabilité personnelle et le fait de s’aider soi-même<br />

– ess<strong>en</strong>tiels au développem<strong>en</strong>t du libéralisme économique et politique. Partant, <strong>la</strong> liberté<br />

politique est un concept étranger à <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> Iraqi<strong>en</strong>s……… [En outre, il note qu’une<br />

grande partie de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse moy<strong>en</strong>ne instruite, qui aurait pu « faire le lit » de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> a fui<br />

le pays à l’époque du régime de Saddam ; «ceux qui sont restés peuv<strong>en</strong>t certes contribuer à <strong>la</strong><br />

démocratisation de leur pays, mais <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse moy<strong>en</strong>ne actuelle ne constitue pas une masse<br />

critique capable de modérer et de canaliser le débat politique de manière <strong>la</strong>ïque et<br />

libérale»]». Cité dans T. Dodge, (2003) Inv<strong>en</strong>ting Iraq : The Failure <strong>of</strong> Nation Building<br />

and a History D<strong>en</strong>ied , p.157.<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous?<br />

A votre avis, est-il réaliste de p<strong>en</strong>ser que l’Iraq sera dev<strong>en</strong>u une <strong>démocratie</strong> libérale à<br />

l’occid<strong>en</strong>tale d’ici 2020?<br />

Quelles conditions devront être réunies <strong>pour</strong> que ce<strong>la</strong> se produise?<br />

Que p<strong>en</strong>sez-vous du point de vue de Robert Kap<strong>la</strong>n selon lequel il est plus important de<br />

ram<strong>en</strong>er <strong>la</strong> stabilité <strong>en</strong> Iraq que <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>? Le même argum<strong>en</strong>t <strong>pour</strong>rait-il (ou devrait-il)<br />

être appliqué à certains pays restés communistes jusqu’<strong>en</strong> 1989 ou les circonstances étai<strong>en</strong>telles<br />

très différ<strong>en</strong>tes de celles de l’Iraq?<br />

170


ÉTUDE ÉTUDE DE DE CAS CAS N°17 N°17<br />

: Les nouvelles technologies peuv<strong>en</strong>telles<br />

aider à r<strong>en</strong>dre les gouvernem<strong>en</strong>ts plus responsables de<br />

leurs actes devant <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion ?<br />

Robert Stradling<br />

Chronologie : Les « cyber-rebelles » <strong>en</strong> Chine<br />

Shi Tao a 39 ans. Il est journaliste <strong>en</strong> Chine. Jusqu’<strong>en</strong> mai 2004, il travail<strong>la</strong>it <strong>pour</strong> le Dangdai<br />

Shang Boa [ Contemporary Business News], date à <strong>la</strong>quelle il est dev<strong>en</strong>u journaliste pigiste et<br />

écrivain.<br />

15 mai 1989 : Des milliers de manifestants occup<strong>en</strong>t <strong>la</strong> P<strong>la</strong>ce Ti<strong>en</strong>anm<strong>en</strong> à Pékin <strong>pour</strong> inciter<br />

le gouvernem<strong>en</strong>t à introduire <strong>des</strong> réformes démocratiques.<br />

20 mai 1989 : Le gouvernem<strong>en</strong>t chinois impose <strong>la</strong> loi martiale et <strong>en</strong>voie troupes et chars sur<br />

<strong>la</strong> P<strong>la</strong>ce Ti<strong>en</strong>anm<strong>en</strong>.<br />

4 juin 1989 : Les militaires tir<strong>en</strong>t sur les manifestants.<br />

Septembre 2000 : Qui Yanch<strong>en</strong> est condamné à quatre ans d’emprisonnem<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> avoir<br />

affiché <strong>des</strong> informations subversives sur l’Internet.<br />

14 jan<strong>vie</strong>r 2002 : Le ministère chinois de l’Information et de <strong>la</strong> Technologie introduit de<br />

nouvelles règles sur l’usage de l’Internet. Les fournisseurs d’accès à Internet sont t<strong>en</strong>us<br />

d’installer un logiciel de surveil<strong>la</strong>nce et de copie du cont<strong>en</strong>u <strong>des</strong> courriels «s<strong>en</strong>sibles» et de<br />

signaler leurs auteurs aux autorités chinoises. Ils sont égalem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>us de c<strong>en</strong>surer leurs sites<br />

<strong>pour</strong> empêcher l’accès à tout site jugé subversif par les autorités chinoises.<br />

2002 : Le moteur de recherche sur Internet Yahoo signe <strong>la</strong> «Déc<strong>la</strong>ration publique sur l’autoréglem<strong>en</strong>tation<br />

de l’industrie chinoise de l’Internet ». Dans cet <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t, Yahoo accepte<br />

de respecter les règles du gouvernem<strong>en</strong>t chinois <strong>en</strong> matière de c<strong>en</strong>sure. En d’autres termes,<br />

toute recherche sur Internet sur un sujet que les autorités chinoises estim<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sible comme<br />

«l’indép<strong>en</strong>dance de Taiwan » ne donnera à l’écran que les résultats approuvés par le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t.<br />

Septembre 2002 : Les autorités chinoises bloqu<strong>en</strong>t l’accès, <strong>en</strong> Chine, au moteur de recherche<br />

de Google <strong>pour</strong> une durée de 12 jours.<br />

15 novembre 2002 : Le gouvernem<strong>en</strong>t chinois adopte une loi obligeant les propriétaires de<br />

cybercafés à assumer <strong>la</strong> responsabilité <strong>des</strong> sites Internet consultés par leurs cli<strong>en</strong>ts au risque<br />

de payer une am<strong>en</strong>de ou de devoir fermer leur établissem<strong>en</strong>t.<br />

Juillet 2002 : Un groupe de 18 intellectuels chinois rédige une « Déc<strong>la</strong>ration <strong>des</strong> droits <strong>des</strong><br />

internautes chinois », qui appelle à <strong>la</strong> liberté d’expression par <strong>la</strong> création de blogs et de sites<br />

Internet, <strong>la</strong> liberté d’accès à l’information <strong>en</strong> ligne et <strong>la</strong> liberté d’association par le biais de<br />

réseaux, de forums et de cybercafés. Ce docum<strong>en</strong>t a par <strong>la</strong> suite été signé par <strong>des</strong> milliers<br />

d’internautes chinois.<br />

171


2003 : Début 2003, on comptait 26 «cyber-rebelles » emprisonnés <strong>en</strong> Chine <strong>pour</strong> avoir p<strong>la</strong>cé<br />

sur Internet <strong>des</strong> données jugées subversives par les autorités.<br />

Printemps 2004 : Le gouvernem<strong>en</strong>t chinois s’adresse à tous les médias chinois (télévision,<br />

journaux, magazines et ag<strong>en</strong>ces d’information sur Internet) <strong>pour</strong> les mettre au courant <strong>des</strong><br />

restrictions qui leur seront imposées à <strong>la</strong> veille du 15 e anniversaire <strong>des</strong> manifestations et <strong>des</strong><br />

victimes de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce Ti<strong>en</strong>anm<strong>en</strong>. Shi Tao <strong>en</strong>voie un courriel résumant ces restrictions à un<br />

journal <strong>en</strong> ligne dissid<strong>en</strong>t, le Min Zhu Ton Xun.<br />

24 novembre 2004 : Les responsables du Bureau de sécurité de Changsa arrêt<strong>en</strong>t Shi près de<br />

chez lui à Taiyuan, dans <strong>la</strong> province de Shanxi, au Nord-Est du pays. Ils inspect<strong>en</strong>t alors son<br />

domicile et confisqu<strong>en</strong>t son ordinateur.<br />

14 décembre 2004 : Shi est accusé d’avoir été informé de secrets d’Etat.<br />

4 mars 2005 : L’avocat de Shi, Guo Guoting, appr<strong>en</strong>d qu’il lui est désormais interdit<br />

d’exercer p<strong>en</strong>dant un an. Cette décision inter<strong>vie</strong>nt tout juste 20 jours avant le début du procès<br />

de Shi.<br />

27 avril 2005: Le tribunal popu<strong>la</strong>ire intermédiaire de Changsa reconnaît Shi coupable d’avoir<br />

divulgué <strong>des</strong> r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts confid<strong>en</strong>tiels concernant l’Etat .<br />

30 avril 2005 : Shi est condamné à 10 ans d’emprisonnem<strong>en</strong>t.<br />

2 juin 2005 : L’appel de Shi est rejeté par <strong>la</strong> Haute Cour popu<strong>la</strong>ire de <strong>la</strong> province de Hunan<br />

sans audition. Shi Tao est <strong>en</strong>voyé à <strong>la</strong> prison du Bureau national de sécurité de <strong>la</strong> province de<br />

Hunan, à Changsa.<br />

14 septembre 2005 : La Fondation Dui Hua publie une traduction ang<strong>la</strong>ise du verdict de <strong>la</strong><br />

Cour concernant Shi, qui révèle que le bureau du serveur Internet Yahoo situé à HongKong a<br />

fourni à <strong>la</strong> police chinoise <strong>des</strong> informations détaillées qui lui ont permis de relier le courriel<br />

cont<strong>en</strong>ant le présumé secret d’Etat avec l’adresse IP de son ordinateur, même si un<br />

pseudonyme avait été utilisé.<br />

19 mars 2007 : Jian Ling est condamné à six ans d’emprisonnem<strong>en</strong>t par un tribunal de<br />

Ningbo, dans <strong>la</strong> province de Zhejiang. Jian, dissid<strong>en</strong>t pro-démocratique, avait été <strong>en</strong>voyé<br />

dans un camp de rééducation p<strong>en</strong>dant 18 mois <strong>pour</strong> contre-propagande après le massacre de <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>ce Ti<strong>en</strong>anm<strong>en</strong> <strong>en</strong> 1989. En août 2005, il <strong>la</strong>nce son propre site Internet qui est fermé par le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t chinois <strong>en</strong> mars 2006. Jiang rejoint 61 autres personnes <strong>en</strong> dét<strong>en</strong>tion ou<br />

att<strong>en</strong>dant d’être jugées <strong>pour</strong> avoir affiché <strong>des</strong> messages ou consulté <strong>des</strong> sites Internet réputés<br />

subversifs par les autorités.<br />

Quel était ici l’<strong>en</strong>jeu?<br />

Les élections, même lorsqu’elles sont libres et justes et que <strong>la</strong> quasi-totalité de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

adulte a le droit d’y participer, ne garantiss<strong>en</strong>t pas <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> dans un régime où elles ne<br />

sont que <strong>des</strong> mécanismes légitimant <strong>des</strong> gouvernem<strong>en</strong>ts qui, une fois élus, ne sont pas<br />

particulièrem<strong>en</strong>t à l’écoute <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> ou <strong>des</strong> besoins de leurs citoy<strong>en</strong>s. Mais comm<strong>en</strong>t<br />

faire <strong>pour</strong> que les autorités répond<strong>en</strong>t aux exig<strong>en</strong>ces de tous leurs électeurs lorsque certains,<br />

voire nombre d’<strong>en</strong>tre eux, se s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t exclus du processus politique <strong>la</strong> plupart du temps et<br />

estim<strong>en</strong>t que le pouvoir réside <strong>en</strong>tre les mains d’une élite politique constituée d’un petit<br />

172


nombre de grands partis politiques, d’une bureaucratie qui ne cesse d’<strong>en</strong>fler et d’exercer de<br />

plus <strong>en</strong> plus d’influ<strong>en</strong>ce sur <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s, de groupes d’intérêts économiques et politiques<br />

puissants et de médias ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t dét<strong>en</strong>us par un petit nombre de magnats et d’oligarques<br />

fortunés et influ<strong>en</strong>ts?<br />

Il n’est peut-être pas surpr<strong>en</strong>ant que de nombreuses personnes se soi<strong>en</strong>t tournées vers les<br />

nouvelles technologies, notamm<strong>en</strong>t le courrier électronique et l’Internet, <strong>pour</strong> t<strong>en</strong>ter de<br />

rétablir un équilibre <strong>des</strong> pouvoirs <strong>en</strong>tre l’appareil de l’Etat et le citoy<strong>en</strong>. Certains ont vu dans<br />

l’Internet un moy<strong>en</strong> de rechercher les informations que les autorités ne veul<strong>en</strong>t pas diffuser,<br />

ou de répandre <strong>des</strong> informations contestant <strong>la</strong> position <strong>of</strong>ficielle prés<strong>en</strong>tée par le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t ou autres instances <strong>en</strong> position de pouvoir et d’autorité.<br />

Ceux que l’on qualifie parfois d’«informateurs » ou de « dénonciateurs d’abus» constitu<strong>en</strong>t<br />

ici un groupe particulièrem<strong>en</strong>t intéressant : les personnes qui dispos<strong>en</strong>t d’informations<br />

privilégiées concernant les activités ou les motivations <strong>des</strong> autorités et qui souhait<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faire<br />

pr<strong>of</strong>iter tout un chacun. Ces personnes ont toujours existé mais, de nos jours, leurs<br />

révé<strong>la</strong>tions peuv<strong>en</strong>t toucher une proportion de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion beaucoup plus importante<br />

qu’avant. D’autres font un parallèle <strong>en</strong>tre consommateurs économiques et consommateurs<br />

politiques. Sur le marché économique, prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t-ils, le consommateur peut utiliser Internet<br />

<strong>pour</strong> comparer les prix <strong>des</strong> produits, le rapport qualité-prix, <strong>la</strong> performance, etc. Il peut<br />

«comparer » avant de trouver le produit qui correspond le mieux à ses besoins. Il peut<br />

confronter les promesses publicitaires aux informations fournies par les consommateurs d’un<br />

produit.<br />

De même, certains font valoir que le «consommateur politique » peut <strong>en</strong> faire tout autant face<br />

aux promesses et affirmations de ceux qui veul<strong>en</strong>t ses votes <strong>pour</strong> être élus et arriver au<br />

pouvoir. Paraphrasant le philosophe du XVI e siècle, Francis Bacon, ils prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t que le<br />

«savoir [ou l’information] est le pouvoir ».<br />

D’un autre côté, d’autres se pos<strong>en</strong>t <strong>la</strong> question de savoir si l’Internet remplit réellem<strong>en</strong>t ce<br />

rôle critique dans une société technocratique moderne. Jonathan Zittrain et B<strong>en</strong>jamin<br />

Edelman, du C<strong>en</strong>tre Berkman <strong>pour</strong> l’Internet et <strong>la</strong> société, de <strong>la</strong> Harvard Law School, aux<br />

Etats-Unis, examin<strong>en</strong>t depuis cinq ans déjà <strong>la</strong> manière dont les différ<strong>en</strong>ts gouvernem<strong>en</strong>ts<br />

bloqu<strong>en</strong>t l’accès à l’Internet. Leurs travaux ont montré qu’un certain nombre d’autocraties et<br />

de dictatures comme <strong>la</strong> Chine, Cuba, <strong>la</strong> Birmanie, <strong>la</strong> Corée du Nord, l’Arabie saoudite, <strong>la</strong><br />

Syrie et les Émirats Arabes Unis compt<strong>en</strong>t désormais parmi les principaux pays à bloquer<br />

l’accès du public aux sites Internet qu’ils considèr<strong>en</strong>t comme s<strong>en</strong>sibles ou subversifs, ainsi<br />

qu’à <strong>pour</strong>suivre les dissid<strong>en</strong>ts et militants pro-démocratiques qui utilis<strong>en</strong>t Internet <strong>pour</strong><br />

diffuser leurs opinions par leurs propres blogs et sites et former <strong>des</strong> réseaux avec d’autres<br />

opposants au régime.<br />

Ainsi que le montre notre étude de cas, <strong>des</strong> pays comme <strong>la</strong> Chine ont investi énormém<strong>en</strong>t de<br />

moy<strong>en</strong>s financiers et humains <strong>pour</strong> se doter d’un logiciel qui leur permette de restreindre les<br />

recherches sur <strong>des</strong> sujets comme Taiwan, le Tibet ou le mouvem<strong>en</strong>t pro-démocratique, autant<br />

de thèmes s<strong>en</strong>sibles <strong>pour</strong> le régime, de c<strong>en</strong>surer les informations auxquelles les internautes<br />

peuv<strong>en</strong>t accéder, ainsi que de lire les courriels <strong>des</strong> individus et <strong>pour</strong>suivre les personnes<br />

réputées dissid<strong>en</strong>tes ou contre-révolutionnaires qui critiqu<strong>en</strong>t ou cherch<strong>en</strong>t même à porter<br />

atteinte à <strong>la</strong> sécurité de l’Etat. Ce faisant, il semblerait que certains fournisseurs d’accès à<br />

Internet (FAI) ont accepté <strong>la</strong> c<strong>en</strong>sure <strong>pour</strong> pr<strong>en</strong>dre pied sur le marché chinois de l’Internet et,<br />

dans certains cas, de jouer le rôle d’informateurs de <strong>la</strong> police.<br />

173


Pourtant, il ne faut pas supposer que les dictatures et les autocraties sont les seules à vouloir<br />

contrôler et c<strong>en</strong>surer <strong>la</strong> manière dont les g<strong>en</strong>s consult<strong>en</strong>t et utilis<strong>en</strong>t l’Internet. Depuis un<br />

certain temps déjà, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s libérales font pression sur les FAI <strong>pour</strong> qu’ils<br />

barr<strong>en</strong>t l’accès aux sites Internet de pornographie <strong>en</strong>fantine ; parfois, les internautes ayant<br />

téléchargé <strong>des</strong> fichiers de pornographie <strong>en</strong>fantine ont été <strong>pour</strong>suivis. Dans ces mêmes<br />

<strong>démocratie</strong>s libérables, les médias, et <strong>en</strong> particulier les industries culturelles comme le<br />

cinéma, <strong>la</strong> télévision et l’édition musicale, ont égalem<strong>en</strong>t pris une part active à <strong>la</strong> lutte contre<br />

ceux qui pirat<strong>en</strong>t et diffus<strong>en</strong>t leurs œuvres sur Internet.<br />

Mais le changem<strong>en</strong>t peut-être le plus notable de ces dernières années résulte directem<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

attaques terroristes du 11 septembre 2001. Un mois après ces att<strong>en</strong>tats, le Congrès <strong>des</strong> Etats-<br />

Unis a adopté <strong>la</strong> «Loi patriote »; d’autres États occid<strong>en</strong>taux leur ont emboîté le pas <strong>en</strong><br />

adoptant une légis<strong>la</strong>tion qui vise à conférer à <strong>la</strong> police et à d’autres forces de sécurité de<br />

nouveaux pouvoirs de surveil<strong>la</strong>nce et le droit d’obt<strong>en</strong>ir <strong>des</strong> données personnelles sur les<br />

internautes. Nombreux sont certes ceux qui serai<strong>en</strong>t vraisemb<strong>la</strong>blem<strong>en</strong>t favorables à ce type<br />

de mesures <strong>pour</strong> protéger le public <strong>en</strong> général, mais on a de plus <strong>en</strong> plus le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que ces<br />

nouvelles attributions donn<strong>en</strong>t aux autorités dans les <strong>démocratie</strong>s libérales le moy<strong>en</strong> d’ét<strong>en</strong>dre<br />

leur surveil<strong>la</strong>nce au-delà <strong>des</strong> seuls terroristes, pédophiles et pirates, à quiconque ne fait ri<strong>en</strong><br />

d’illégal mais consulte <strong>des</strong> sites Internet controversés et radicaux ou utilise l’Internet <strong>pour</strong><br />

diffuser <strong>des</strong> informations susceptibles d’embarrasser et de compromettre politiquem<strong>en</strong>t le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t au pouvoir.<br />

Par conséqu<strong>en</strong>t, l’on assiste depuis une dizaine d’années à un débat qui concerne<br />

principalem<strong>en</strong>t les répercussions d’une ext<strong>en</strong>sion <strong>des</strong> droits civils et politiques au domaine de<br />

l’Internet visant à garantir aux internautes <strong>la</strong> liberté d’expression et <strong>la</strong> liberté d’association, à<br />

faire <strong>en</strong> sorte qu’ils ne soi<strong>en</strong>t pas c<strong>en</strong>surés et qu’ils ne fass<strong>en</strong>t pas l’objet de sanctions s’ils<br />

font valoir ces droits par le biais de l’Internet. Toutefois, au cours <strong>des</strong> 10 dernières années<br />

<strong>en</strong>viron, un autre débat est égalem<strong>en</strong>t apparu, qui porte sur <strong>la</strong> capacité de l’Internet à<br />

contribuer à une <strong>démocratie</strong> plus directe. En 1994, on a inv<strong>en</strong>té le terme de <strong>démocratie</strong><br />

électronique, même si certains préfèr<strong>en</strong>t parler de cyber<strong>démocratie</strong> ou de <strong>démocratie</strong><br />

numérique. Quel que soit le terme utilisé, l’objectif est plus ou moins le même : améliorer le<br />

processus démocratique <strong>en</strong> réduisant le fossé <strong>en</strong>tre les administrés et le gouvernem<strong>en</strong>t,<br />

l’électorat et les élus.<br />

À un certain niveau, cette évolution technologique ouvre <strong>la</strong> voie aux campagnes<br />

électroniques, aux campagnes émanant de <strong>la</strong> base qui contourn<strong>en</strong>t les voies politiques<br />

habituelles, aux dialogues politiques interactifs <strong>en</strong>tre électeurs et candidats, voire aux<br />

associations, aux partis et aux groupes d’intérêts politiques virtuels.<br />

À un autre niveau, cette utilisation de l’Internet <strong>pour</strong>rait permettre aux g<strong>en</strong>s d’être directem<strong>en</strong>t<br />

associés aux processus décisionnels par le biais du vote électronique lors <strong>des</strong> élections et <strong>des</strong><br />

référ<strong>en</strong>dums électroniques. En 2002, un certain nombre d’expéri<strong>en</strong>ces ont été m<strong>en</strong>ées <strong>en</strong><br />

Suisse, où l’on avait déjà introduit le vote par correspondance <strong>en</strong> complém<strong>en</strong>t <strong>des</strong> urnes<br />

traditionnelles. Cette expéri<strong>en</strong>ce a nécessité <strong>la</strong> mise <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce de procédures visant à garantir<br />

que le vote électronique soit aussi privé, sûr et exempt de t<strong>en</strong>tatives de fraude que le système<br />

traditionnel ou le vote par correspondance. La carte autorisant l’électeur à voter par voie<br />

électronique comporte une bande autocol<strong>la</strong>nte sous <strong>la</strong>quelle se cache un mot de passe unique<br />

<strong>pour</strong> cette personne. Il est impossible d’accéder au système de vote électronique sans avoir à<br />

<strong>la</strong> fois le mot de passe et certaines autres données nominatives.<br />

174


Les avantages du vote électronique lors d’élections et de référ<strong>en</strong>dums sont évid<strong>en</strong>ts <strong>pour</strong> toute<br />

popu<strong>la</strong>tion qui, comme <strong>en</strong> Suisse, est très mobile. Les électeurs n’ont pas à se trouver<br />

physiquem<strong>en</strong>t dans leur localité au mom<strong>en</strong>t où ils vot<strong>en</strong>t. Cette méthode multiplie égalem<strong>en</strong>t<br />

les occasions données aux personnes handicapées physiques d’exercer leur droit de vote dans<br />

le secret. Mais le principal intérêt <strong>pour</strong> les déf<strong>en</strong>seurs de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> directe réside peut-être<br />

dans le fait que le vote électronique r<strong>en</strong>force <strong>la</strong> possibilité <strong>pour</strong> l’électorat d’exercer son droit<br />

de vote régulièrem<strong>en</strong>t à l’occasion de toute une série de référ<strong>en</strong>dums et de sondages d’opinion<br />

<strong>en</strong>tre les élections ordinaires. Les partisans font égalem<strong>en</strong>t valoir que cette méthode<br />

<strong>en</strong>couragerait les g<strong>en</strong>s à voter plus souv<strong>en</strong>t, à dev<strong>en</strong>ir plus actifs politiquem<strong>en</strong>t et à s’investir<br />

davantage dans les décisions importantes qui touch<strong>en</strong>t leur quotidi<strong>en</strong>.<br />

Toutefois, <strong>pour</strong> l’instant il semblerait qu‘<strong>en</strong> Suisse les experts ne sach<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core très bi<strong>en</strong><br />

si les choses vont ou non évoluer dans ce s<strong>en</strong>s. D’autres pays ont égalem<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>cé à<br />

s’ori<strong>en</strong>ter vers <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> électronique, <strong>en</strong> particulier les Etats-Unis et certains Etats<br />

membres de l’UE. L’argum<strong>en</strong>t le plus fort invoqué par les t<strong>en</strong>ants de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong><br />

électronique est que <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> <strong>démocratie</strong>s sont désormais confrontées à <strong>des</strong> électorats<br />

manifestant un cynisme croissant à l’égard de <strong>la</strong> politique et de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse politique, ainsi<br />

qu’une apathie politique générale et un refus de s’<strong>en</strong>gager dans le processus politique.<br />

L’occasion donnée au votant de s’exprimer, de participer à <strong>des</strong> campagnes électroniques et<br />

d’organiser <strong>des</strong> pétitions électroniques <strong>pour</strong>rait contribuer à inverser cette t<strong>en</strong>dance du reste<br />

dangereuse <strong>pour</strong> toute <strong>démocratie</strong>.<br />

Cette évolution vers <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> électronique ne fait <strong>pour</strong>tant pas l’unanimité. Elle suscite<br />

principalem<strong>en</strong>t trois préoccupations ou objections. La première est d’ordre pratique et<br />

éthique. L’égalité politique est un principe fondam<strong>en</strong>tal de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>. Si l’individu a le<br />

droit d’être citoy<strong>en</strong>, alors il a aussi le droit fondam<strong>en</strong>tal de pr<strong>en</strong>dre part au processus politique<br />

dont il ne saurait être exclu au simple motif qu’il ne possède pas les outils informatiques<br />

nécessaires ou qu’il n’y a pas accès. Il s’agit là d’une considération importante, mais il n’y a<br />

pas de raison que les g<strong>en</strong>s ne continu<strong>en</strong>t pas de voter par correspondance ou dans les bureaux<br />

de vote quand ils n’ont pas accès à l’ordinateur. Toutefois, il se <strong>pour</strong>rait aussi qu’ils soi<strong>en</strong>t<br />

moins <strong>en</strong>clins à exercer leur droit de vote aussi souv<strong>en</strong>t que ceux à qui il suffit de se connecter<br />

sur Internet <strong>pour</strong> voter.<br />

Un deuxième argum<strong>en</strong>t parfois mis de l’avant lorsque les partisans de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong><br />

électronique m<strong>en</strong>tionn<strong>en</strong>t l’exemple suisse consiste à dire qu’il existe <strong>en</strong> Suisse une culture<br />

politique et une tradition de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> directe abs<strong>en</strong>te dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> autres<br />

<strong>démocratie</strong>s libérales. En moy<strong>en</strong>ne, le citoy<strong>en</strong> suisse se r<strong>en</strong>d aux urnes au moins quatre fois<br />

par an et, lorsqu’il le fait, il vote souv<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> plusieurs propositions et référ<strong>en</strong>dums <strong>en</strong> même<br />

temps. Il va égalem<strong>en</strong>t voter sur <strong>des</strong> questions locales, cantonales et fédérales par <strong>la</strong> même<br />

occasion. Cep<strong>en</strong>dant, on fait aussi observer que le taux de participation à ces scrutins n’est le<br />

plus souv<strong>en</strong>t que d’<strong>en</strong>viron 40 % de l’électorat, tout <strong>en</strong> estimant que ce taux augm<strong>en</strong>terait<br />

probablem<strong>en</strong>t si les g<strong>en</strong>s pouvai<strong>en</strong>t voter par voie électronique.<br />

Un troisième argum<strong>en</strong>t invoqué par certains sceptiques de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> électronique est que<br />

celle-ci r<strong>en</strong>force le risque de populisme politique - parfois décrit par les détracteurs comme <strong>la</strong><br />

t<strong>en</strong>dance de certains militants politiques à «faire appel aux instincts humains les plus vils »<br />

comme le racisme, l’antisémitisme, le fascisme, <strong>la</strong> v<strong>en</strong>geance <strong>pour</strong> un tort réel ou imaginaire,<br />

etc. Certains craign<strong>en</strong>t à cet égard « une tyrannie de <strong>la</strong> majorité », situation dans <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong><br />

<strong>démocratie</strong> directe permet aux principaux groupes ethniques, religieux, nationaux ou autres de<br />

gagner toutes les élections, <strong>en</strong> <strong>la</strong>issant les minorités dans un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’impuissance et<br />

d’oppression. Cette considération est directem<strong>en</strong>t liée à tout débat sur <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong>. On<br />

175


prét<strong>en</strong>d parfois que <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> est le règne de <strong>la</strong> majorité. Or, cette définition pose<br />

problème dans <strong>la</strong> mesure où le processus démocratique lui-même t<strong>en</strong>d à s’effondrer si <strong>la</strong><br />

majorité est toujours composée ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> mêmes groupes. Dans ces conditions, on<br />

peut p<strong>en</strong>ser que <strong>la</strong> ou les minorités ne seront jamais <strong>en</strong> mesure de peser sur quelque décision<br />

politique que ce soit. Leur participation au processus démocratique serait alors une<br />

mystification.<br />

La règle de <strong>la</strong> majorité dép<strong>en</strong>d de deux élém<strong>en</strong>ts. Premièrem<strong>en</strong>t, il faut que tous les citoy<strong>en</strong>s<br />

accept<strong>en</strong>t d’être liés par <strong>la</strong> volonté de <strong>la</strong> majorité sur toute décision. Il faut <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong> que<br />

s’applique le principe de <strong>la</strong> réciprocité. J’accepte de respecter vos décisions tant que vous<br />

accepterez les mi<strong>en</strong>nes quand je serai dans <strong>la</strong> majorité. Mais, <strong>pour</strong> que ce principe fonctionne,<br />

chacun doit avoir <strong>des</strong> chances égales de faire un jour partie de <strong>la</strong> majorité sur certaines<br />

questions et p<strong>en</strong>dant un certain temps. Un problème fondam<strong>en</strong>tal se pose lorsqu’un régime est<br />

divisé <strong>en</strong>tre une majorité perman<strong>en</strong>te et <strong>des</strong> minorités perman<strong>en</strong>tes fondées sur <strong>des</strong> critères de<br />

race, d’appart<strong>en</strong>ance ethnique, de religion, de <strong>la</strong>ngue ou certaines autres caractéristiques qui<br />

font partie de l’id<strong>en</strong>tité fondam<strong>en</strong>tale du peuple. Si leurs opinions et leurs choix sont toujours<br />

le reflet de leur id<strong>en</strong>tité, alors il n’y a aucun espoir que les individus puiss<strong>en</strong>t se déterminer<br />

sur <strong>la</strong> base de circonstances, d’informations ou de faits spécifiques. Ce problème peut<br />

égalem<strong>en</strong>t se poser dans les <strong>démocratie</strong>s représ<strong>en</strong>tatives ou parlem<strong>en</strong>taires mais,<br />

habituellem<strong>en</strong>t, les institutions et les contre-pouvoirs constitutionnels (différ<strong>en</strong>tes chambres<br />

parlem<strong>en</strong>taires, pouvoir judiciaire indép<strong>en</strong>dant, etc.) sont là <strong>pour</strong> limiter le risque de tyrannie<br />

de <strong>la</strong> majorité.<br />

La question clé qui se pose <strong>pour</strong> les t<strong>en</strong>ants de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> directe ou de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> <strong>en</strong><br />

ligne est donc de savoir comm<strong>en</strong>t introduire dans ce système <strong>des</strong> garanties constitutionnelles<br />

qui vont empêcher <strong>la</strong> domination totale exercée par une même majorité sur les différ<strong>en</strong>tes<br />

minorités de <strong>la</strong> société.<br />

Le quatrième et dernier argum<strong>en</strong>t <strong>des</strong> détracteurs de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> électronique est <strong>en</strong> partie<br />

technologique, mais il découle égalem<strong>en</strong>t d’un autre principe fondam<strong>en</strong>tal de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong><br />

libérale. Le développem<strong>en</strong>t du commerce électronique a suscité l’apparition d’inquiétu<strong>des</strong><br />

assez répandues sur <strong>la</strong> protection de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée <strong>en</strong> ligne. En fait, nombreux sont ceux qui<br />

hésit<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core à acheter produits et services sur Internet par crainte que les informations<br />

(financières et personnelles) fournies n’<strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t une intrusion à leur <strong>vie</strong> privée : les<br />

informations concernant leur carte bancaire, leurs comptes bancaires, leur courrier<br />

électronique, leur adresse et ainsi de suite. Ils redout<strong>en</strong>t aussi, après une transaction effectuée<br />

sur un site Internet d’avoir <strong>la</strong>issé <strong>des</strong> «cookies » et autres dossiers sur leur ordinateur<br />

personnel permettant à certains groupes d’intérêts commerciaux de se r<strong>en</strong>seigner sur eux et<br />

leurs habitu<strong>des</strong> <strong>en</strong> matière d’achats <strong>en</strong> ligne. Le site Internet peut même décider de mettre ces<br />

informations à <strong>la</strong> disposition d’autres <strong>en</strong>treprises commerciales sans l’autorisation <strong>des</strong><br />

personnes concernées.<br />

Transposons alors, dis<strong>en</strong>t les détracteurs, cette inquiétude générale <strong>des</strong> consommateurs dans<br />

le domaine politique. Pour eux, les citoy<strong>en</strong>s serai<strong>en</strong>t vulnérables dès lors qu’ils s’<strong>en</strong>gagerai<strong>en</strong>t<br />

dans une activité politique par le biais de l’Internet. S’ils particip<strong>en</strong>t à une discussion ou à un<br />

débat <strong>en</strong> ligne, s’ils veul<strong>en</strong>t se r<strong>en</strong>seigner sur une campagne particulière ou un texte légis<strong>la</strong>tif,<br />

etc., les serveurs Internet qu’ils utiliserai<strong>en</strong>t <strong>pour</strong>rai<strong>en</strong>t créer <strong>des</strong> «cookies » susceptibles de<br />

cont<strong>en</strong>ir un chiffre d’id<strong>en</strong>tification unique, permettant aux administrateurs du site Internet <strong>en</strong><br />

question de récupérer, au sujet de cet individu, <strong>des</strong> informations personnelles recueillies lors<br />

de ses précéd<strong>en</strong>tes visites.<br />

176


De plus, tout site Internet qui connaît l’id<strong>en</strong>tité d’un individu et qui a créé un «cookie » le<br />

concernant <strong>pour</strong>rait alors échanger ces données avec d’autres organismes propriétaires de<br />

sites Internet et synchroniser ses cookies avec les leurs. Ce g<strong>en</strong>re de situation peut sembler<br />

relever de <strong>la</strong> paranoïa, mais ces techniques sont d’ores et déjà utilisées dans une certaine<br />

mesure aux États-Unis, dans le cadre <strong>des</strong> élections à <strong>la</strong> présid<strong>en</strong>ce, au Sénat et au Congrès, où<br />

les consultants <strong>des</strong> campagnes politiques établiss<strong>en</strong>t ainsi le pr<strong>of</strong>il <strong>des</strong> électeurs afin que les<br />

candidats puiss<strong>en</strong>t cibler leur campagne sur les personnes susceptibles de les approuver et ne<br />

pas gaspiller <strong>des</strong> ressources limitées à t<strong>en</strong>ter de convaincre celles dont il n’est guère probable<br />

qu’elle voterai<strong>en</strong>t <strong>pour</strong> eux.<br />

Par ailleurs, les partisans de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> <strong>en</strong> ligne font ressortir que, dans une <strong>démocratie</strong><br />

politique ouverte, <strong>des</strong> pratiques de cette nature ne saurai<strong>en</strong>t demeurer secrètes bi<strong>en</strong> longtemps.<br />

Pour étayer leur point de vue, ils soulign<strong>en</strong>t le tollé général soulevé aux Etats-Unis <strong>en</strong> 1999<br />

lorsque le réseau publicitaire Internet, DoubleClick, a proposé de fusionner avec Abacus<br />

Direct, une <strong>en</strong>treprise de marketing direct hors-ligne, qui disposait d’une vaste base de<br />

données cont<strong>en</strong>ant <strong>des</strong> numéros de cartes de crédit, <strong>des</strong> déc<strong>la</strong>rations de rev<strong>en</strong>us, <strong>des</strong> dossiers<br />

re<strong>la</strong>tifs à <strong>des</strong> emprunts immobiliers, etc. En fin de compte, les objections publiques ont été si<br />

véhém<strong>en</strong>tes et générales que DoubleClick a r<strong>en</strong>oncé à cette transaction.<br />

Il est bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du possible d’introduire <strong>des</strong> sauvegar<strong>des</strong> juridiques et électroniques <strong>en</strong> vue de<br />

protéger <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée de tout citoy<strong>en</strong> qui décide de s’<strong>en</strong>gager activem<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong> <strong>vie</strong> politique<br />

sur Internet. Toutefois, il n’est pas inutile de rappeler l’importance de <strong>la</strong> protection de <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />

privée individuelle dans le processus politique démocratique moderne. Cette question de <strong>la</strong><br />

<strong>vie</strong> privée ne s’est jamais posée dans <strong>la</strong> Grèce Antique ou à Rome. Les intérêts privés<br />

n’étai<strong>en</strong>t pas c<strong>en</strong>sés avoir quelque p<strong>la</strong>ce que ce soit dans <strong>la</strong> sphère politique publique. Les<br />

origines <strong>la</strong>tines de l’adjectif «privé » sont c<strong>la</strong>ires : qui dit «privé » dit «retiré de <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />

publique ».<br />

Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, dans <strong>la</strong> pratique, comme quiconque ayant lu une histoire de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> quotidi<strong>en</strong>ne<br />

dans l’Athènes c<strong>la</strong>ssique ou à Rome le saura, <strong>la</strong> distinction <strong>en</strong>tre intérêt privé et <strong>vie</strong> publique<br />

n’a jamais été aussi c<strong>la</strong>ire. Cep<strong>en</strong>dant, lorsqu’on <strong>en</strong> arrive aux temps modernes, avec <strong>la</strong><br />

connaissance de ce que peut être <strong>la</strong> <strong>vie</strong> dans un régime totalitaire, on reconnaît que <strong>la</strong><br />

protection de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée garantit <strong>la</strong> liberté de s’<strong>en</strong>gager <strong>en</strong> politique sans craindre d’être<br />

contraint par <strong>la</strong> m<strong>en</strong>ace d’appuyer telle ou telle position. Dans ces conditions, <strong>la</strong> question<br />

importante à <strong>la</strong>quelle tout partisan de <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> directe, électronique ou autre, doit<br />

toujours répondre est celle <strong>des</strong> garanties qu’il faut mettre <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>pour</strong> protéger <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée<br />

de chacun.<br />

Une diversité de points de vue<br />

Déc<strong>la</strong>ration publiée par Google <strong>en</strong> jan<strong>vie</strong>r 2006 :<br />

«Si le fait de c<strong>en</strong>surer les résultats <strong>des</strong> recherches est contraire à <strong>la</strong> mission de Google, le fait<br />

de ne fournir aucune information (ou <strong>des</strong> conditions de consultation fortem<strong>en</strong>t dégradées qui<br />

re<strong>vie</strong>nn<strong>en</strong>t à une abs<strong>en</strong>ce d’information) est <strong>en</strong>core plus contraire à notre mission ».<br />

Sergey Brin, fondateur de Google, interrogé sur <strong>la</strong> question de savoir si Google a accepté<br />

les règles de c<strong>en</strong>sure édictées par les autorités chinoises, a répondu :<br />

«Non, et <strong>la</strong> Chine n’a jamais ri<strong>en</strong> exigé de <strong>la</strong> sorte. Toutefois, d’autres moteurs de recherche<br />

ont ouvert <strong>des</strong> bureaux là-bas et, <strong>en</strong> contrepartie, n’<strong>of</strong>fr<strong>en</strong>t que <strong>des</strong> informations très limitées.<br />

177


Nous n’avons aucune équipe de v<strong>en</strong>te <strong>en</strong> Chine. Néanmoins, de nombreux internautes chinois<br />

utilis<strong>en</strong>t Google. Par souci de justice <strong>en</strong>vers <strong>la</strong> Chine, il faut reconnaître que ce pays n’a<br />

jamais explicitem<strong>en</strong>t exigé de c<strong>en</strong>sure. Ce qui ne veut pas dire que je me félicite <strong>des</strong><br />

politiques adoptées par les autres portails qui se sont installés là-bas ».<br />

Entreti<strong>en</strong> paru dans P<strong>la</strong>yboy , septembre 2004.<br />

Les ag<strong>en</strong>ces de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t aux Etats-Unis ont récemm<strong>en</strong>t montré un grand intérêt<br />

<strong>pour</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce de l’Internet. Dans ce contexte, on constate notamm<strong>en</strong>t une t<strong>en</strong>dance à<br />

pratiquer <strong>la</strong> géolocalisation <strong>en</strong> utilisant les numéros IP. A l’heure actuelle, cette technique est<br />

efficace à 80 % <strong>en</strong>viron <strong>pour</strong> ce qui est <strong>des</strong> numéros IP dans les gran<strong>des</strong> villes et à plus de<br />

90 % dans les pays. On estime que, lorsque <strong>la</strong> géolocalisation est associée à une analyse <strong>des</strong><br />

catégories de recherches que les internautes de cette localité ont effectuées le plus souv<strong>en</strong>t on<br />

obti<strong>en</strong>t <strong>des</strong> indications sur <strong>la</strong> société et ses sous-cultures.<br />

Guo Guoting, avocat de Shi Tao, explique :<br />

«La loi sur les secrets d’Etat n’est pas très c<strong>la</strong>ire. De ce fait, l’interprétation de <strong>la</strong> notion<br />

même de «secrets » est vague. Il est donc extrêmem<strong>en</strong>t aisé <strong>pour</strong> les autorités d’utiliser cette<br />

loi contre les journalistes qui dis<strong>en</strong>t ce qu’ils p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t ». (25 jan<strong>vie</strong>r 2005).<br />

Porte-parole de Yahoo :<br />

«Au même titre que n’importe quelle autre <strong>en</strong>treprise mondiale, Yahoo doit veiller à ce que<br />

les sites qu’il héberge dans différ<strong>en</strong>ts pays respect<strong>en</strong>t les lois, règlem<strong>en</strong>ts et coutumes <strong>des</strong><br />

pays dans lesquels ils se sont établis ».<br />

Le Comité <strong>des</strong> écrivains <strong>en</strong> prison de International PEN a exhorté Yahoo «à revoir ses<br />

politiques <strong>pour</strong> veiller à ce qu’elles n’ai<strong>en</strong>t pas d’impact négatif sur l’exercice légitime du<br />

droit à <strong>la</strong> liberté d’expression et d’information, tel que garanti par les normes internationales<br />

<strong>en</strong> matière de droits de l’homme, notamm<strong>en</strong>t l’article 19 de <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration universelle <strong>des</strong><br />

droits de l’homme ».<br />

Reporters sans Frontières, 6 septembre 2005 :<br />

« Nous savons déjà que Yahoo col<strong>la</strong>bore avec <strong>en</strong>thousiasme avec le régime chinois sur les<br />

questions de c<strong>en</strong>sure et, à prés<strong>en</strong>t, nous savons qu’il joue aussi le rôle d’informateur de <strong>la</strong><br />

police chinoise et <strong>pour</strong>tant, l’<strong>en</strong>treprise se cont<strong>en</strong>te de répéter qu’elle ne fait que se conformer<br />

aux lois du pays où elle est établie. Mais est-ce que le fait que cette coopération soit régie par<br />

le droit chinois <strong>la</strong> libère de toute considération éthique ? Jusqu’où ira Yahoo <strong>pour</strong> p<strong>la</strong>ire à<br />

Pékin? »<br />

Le 25 février 2007, le journaliste britannique Nick Coh<strong>en</strong> rec<strong>en</strong>se dans The Observer les<br />

mesures adoptées dans un certain nombre de pays, mais plus particulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Chine,<br />

et indique :<br />

«L’Internet ti<strong>en</strong>t <strong>la</strong> dragée haute aux gran<strong>des</strong> <strong>en</strong>treprises, dit-on, puisque les consommateurs<br />

compar<strong>en</strong>t le prix de tout ce qu’ils achèt<strong>en</strong>t, depuis le gaz jusqu’aux taux d’intérêt bancaires<br />

et se tourn<strong>en</strong>t vers les <strong>en</strong>treprises <strong>of</strong>frant le meilleur rapport qualité-prix. Les médecins ont<br />

affaire à <strong>des</strong> pati<strong>en</strong>ts qui sav<strong>en</strong>t par Internet où trouver les traitem<strong>en</strong>ts ayant le meilleur<br />

rapport qualité-prix. Les politici<strong>en</strong>s font face à un électorat désormais capable de se<br />

r<strong>en</strong>seigner sur leurs petites phrases et leurs moindres proc<strong>la</strong>mations par un simple clic de<br />

souris. …La mondialisation du Net devait remettre <strong>en</strong> question <strong>la</strong> c<strong>en</strong>sure et <strong>la</strong> tyrannie, mais<br />

178


les dictatures sont t<strong>en</strong>aces, et nous n’<strong>en</strong> sommes <strong>en</strong>core pas là,…l’Internet est étonnamm<strong>en</strong>t<br />

facile à contrôler <strong>pour</strong> les dictatures ».<br />

E.J. Bloustein décrit <strong>la</strong> <strong>vie</strong> dans un régime totalitaire, mais <strong>en</strong> extrapo<strong>la</strong>nt, <strong>pour</strong>rait-on<br />

se retrouver dans une situation de ce g<strong>en</strong>re si les moy<strong>en</strong>s électroniques permettant aux<br />

individus de se procurer davantage d’informations et de participer plus <strong>la</strong>rgem<strong>en</strong>t à<br />

l’activité politique pouvai<strong>en</strong>t aussi permettre de mieux surveiller leurs faits et gestes,<br />

ainsi que leurs opinions?<br />

«L’homme contraint de vivre chaque minute de sa <strong>vie</strong> avec les autres et dont chaque besoin,<br />

p<strong>en</strong>sée, <strong>en</strong><strong>vie</strong> ou gratification est soumis à l’exam<strong>en</strong> public est privé de son individualité et de<br />

sa dignité humaine. Cet individu se fond dans <strong>la</strong> masse. Ses opinions, dev<strong>en</strong>ues publiques,<br />

t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t toujours à être <strong>des</strong> opinions conv<strong>en</strong>tionnelles ; ses s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, ouvertem<strong>en</strong>t exhibés,<br />

t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à perdre leur chaleur personnelle et à dev<strong>en</strong>ir les s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts de tout le monde ».<br />

« Privacy as an aspect <strong>of</strong> human dignity » dans F.D. Schoeman (éd.) Philosophical<br />

Dim<strong>en</strong>sions <strong>of</strong> Privacy, New York (1984).<br />

C.D. Hunter, analyste politique aux Etats-Unis, indique qu’il existe un certain nombre<br />

de mesures que toute <strong>démocratie</strong> libérale peut pr<strong>en</strong>dre <strong>pour</strong> veiller à ce que tous les sites<br />

Internet de campagne politique se conform<strong>en</strong>t aux mêmes règles <strong>en</strong> matière de<br />

protection de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée :<br />

«Étant donné le caractère s<strong>en</strong>sible <strong>des</strong> convictions politiques pr<strong>of</strong>on<strong>des</strong> de l’individu,<br />

l’information [personnelle] doit bénéficier d’un degré élevé de protection au titre de <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />

privée. Tous les sites Internet de campagne recueil<strong>la</strong>nt <strong>des</strong> informations personnelles<br />

devrai<strong>en</strong>t afficher leur politique de protection de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> privée qui dispose:<br />

1. Quelles sont les informations personnelles recueillies ?<br />

2. Comm<strong>en</strong>t et où sont-elles recueillies ?<br />

3. Les informations personnelles seront-elles v<strong>en</strong>dues à <strong>des</strong> tiers ou communiquées à<br />

d’autres campagnes? Si oui, il existe un droit de retrait ;<br />

4. La capacité d’accéder aux informations dét<strong>en</strong>ues dans le cadre de <strong>la</strong> campagne et de<br />

les corriger;<br />

5. Une garantie que les informations personnelles seront conservées de manière sûre ; et<br />

6. La capacité de se retirer <strong>des</strong> listes électroniques de campagne ».<br />

C.D. Hunter, Political Privacy and Online Politics: How E-Campaigning Threat<strong>en</strong>s Voter<br />

Privacy, First Monday, N°7 (2002)<br />

Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous?<br />

Serait-il anti-démocratique d’empêcher un parti politique de contester les élections et<br />

d’arriver au pouvoir s’il m<strong>en</strong>açait, dans ses déc<strong>la</strong>rations publiques, de mettre à mal <strong>la</strong><br />

<strong>démocratie</strong> <strong>en</strong> interdisant les partis d’opposition, les syndicats, les médias d’opposition, etc.?<br />

A votre avis, les nouvelles technologies peuv<strong>en</strong>t-elles aider les citoy<strong>en</strong>s à participer plus<br />

directem<strong>en</strong>t au processus politique ? Si oui, quelles mesures faudrait-il pr<strong>en</strong>dre <strong>pour</strong> veiller à<br />

ce qu’il <strong>en</strong> soit ainsi ?<br />

L’accès à <strong>la</strong> <strong>démocratie</strong> électronique <strong>en</strong>couragerait-il davantage de personnes à s’intéresser<br />

aux affaires europé<strong>en</strong>nes et aux élections du Parlem<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong>?<br />

179


CONCLUSION<br />

La plupart d’<strong>en</strong>tre nous viv<strong>en</strong>t aujourd’hui dans <strong>des</strong> sociétés qui se caractéris<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong><br />

plus par leur diversité culturelle et ethnique. Ce<strong>la</strong> est <strong>en</strong> partie dû à l’é<strong>la</strong>rgissem<strong>en</strong>t de l’Union<br />

europé<strong>en</strong>ne depuis 1989 permettant aux popu<strong>la</strong>tions de s’établir dans n’importe quel pays<br />

europé<strong>en</strong> <strong>pour</strong> y travailler ou s’y se former. Cette diversité a cep<strong>en</strong>dant égalem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> raisons<br />

historiques: les li<strong>en</strong>s perman<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>tre certains pays d’<strong>Europe</strong> occid<strong>en</strong>tale et leurs anci<strong>en</strong>nes<br />

colonies, le désir de certaines minorités autochtones linguistiques et culturelles de préserver<br />

leurs <strong>la</strong>ngues et leurs traditions et l’apparition de minorités ethniques et nationales dans<br />

certains pays à <strong>la</strong> suite de l’éc<strong>la</strong>tem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s empires europé<strong>en</strong>s après <strong>la</strong> première<br />

guerre mondiale, du nouveau tracé de certaines frontières nationales après <strong>la</strong> deuxième guerre<br />

mondiale et <strong>des</strong> changem<strong>en</strong>ts qui se sont produits après l’éc<strong>la</strong>tem<strong>en</strong>t de l’Union soviétique et<br />

de l’ex-République fédérale de Yougos<strong>la</strong><strong>vie</strong> dans les années 1990.<br />

Ces changem<strong>en</strong>ts sont re<strong>la</strong>tivem<strong>en</strong>t réc<strong>en</strong>ts mais ils s’inscriv<strong>en</strong>t dans un processus historique<br />

d’emprunt et d’assimi<strong>la</strong>tion culturels beaucoup plus anci<strong>en</strong>, amplifié par les échanges<br />

commerciaux, les guerres, les invasions et <strong>la</strong> colonisation. Ce processus a contribué à <strong>la</strong><br />

richesse de <strong>la</strong> diversité culturelle qui caractérise l’<strong>Europe</strong> d’aujourd’hui.<br />

Depuis quelques années, le risque de voir cette diversité culturelle et ethnique accrue<br />

fragiliser <strong>la</strong> cohésion <strong>des</strong> sociétés dans lesquelles nous vivons suscite de plus <strong>en</strong> plus<br />

d’inquiétu<strong>des</strong>. En d’autres termes, certaines minorités ne semblerai<strong>en</strong>t pas avoir le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />

d’appart<strong>en</strong>ir à <strong>la</strong> société dans son <strong>en</strong>semble, ne serai<strong>en</strong>t pas appréciées ou estimées et serai<strong>en</strong>t<br />

consciemm<strong>en</strong>t exclues de <strong>la</strong> société ordinaire ou s’<strong>en</strong> exclurai<strong>en</strong>t. Cette instabilité culturelle<br />

créerait, au sein <strong>des</strong> communautés multiculturelles, <strong>des</strong> t<strong>en</strong>sions sociales pouvant être sources<br />

de viol<strong>en</strong>ce et troubler l’ordre public.<br />

Pour les rédacteurs du prés<strong>en</strong>t ouvrage, <strong>la</strong> diversité proprem<strong>en</strong>t dite ne m<strong>en</strong>ace pas <strong>la</strong><br />

cohésion sociale. La m<strong>en</strong>ace ti<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> manière dont nous réagissons à <strong>la</strong> diversité, dont nous<br />

traitons les personnes qui ne nous ressembl<strong>en</strong>t pas, que «nous » représ<strong>en</strong>tions <strong>la</strong> majorité ou<br />

une minorité. Comme le précise F. Peter WAGNER, les problèmes ont t<strong>en</strong>dance à surv<strong>en</strong>ir<br />

dans deux gran<strong>des</strong> catégories de situations 17 . La première est celle dans <strong>la</strong>quelle un groupe se<br />

réc<strong>la</strong>me de certaines pratiques, convictions ou <strong>valeurs</strong> inacceptables <strong>pour</strong> d’autres groupes de<br />

<strong>la</strong> communauté. Les questions re<strong>la</strong>tives à ce conflit de <strong>valeurs</strong> sont imprévisibles et sources de<br />

divisions si l’on t<strong>en</strong>te de limiter soit le droit d’un groupe de propager et de déf<strong>en</strong>dre ses<br />

convictions et ses <strong>valeurs</strong>, soit le droit d’autres groupes de s’opposer publiquem<strong>en</strong>t aux<br />

mêmes convictions et aux mêmes <strong>valeurs</strong>.<br />

Dans l’autre hypothèse, les pratiques, convictions ou <strong>valeurs</strong> culturelles d’un groupe<br />

déterminé (souv<strong>en</strong>t une minorité), sembl<strong>en</strong>t aller à l’<strong>en</strong>contre de celles d’autres groupes<br />

(souv<strong>en</strong>t <strong>la</strong> majorité), à un point tel que ce<strong>la</strong> met <strong>en</strong> cause l’intégration et <strong>la</strong> participation du<br />

groupe dans <strong>la</strong> société et que <strong>la</strong> minorité s’exclut <strong>pour</strong> ainsi dire et choisit de ne pas participer<br />

à <strong>la</strong> société.<br />

Lorsque le Pacte international re<strong>la</strong>tif aux droits civils et politiques a été ratifié, un certain<br />

nombre d’Etats membres de l’ONU se sont déc<strong>la</strong>rés préoccupés par l’article 27 qui énonce le<br />

droit <strong>des</strong> minorités «d’avoir <strong>en</strong> commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre<br />

17 F. Peter WAGNER, «Définir les termes citoy<strong>en</strong>neté, <strong>valeurs</strong> communes et fondem<strong>en</strong>ts culturels de <strong>la</strong><br />

citoy<strong>en</strong>neté, DGIV/CULT/ID(2005)10 Annexe 2. »<br />

180


<strong>vie</strong> culturelle, de pr<strong>of</strong>esser et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre<br />

<strong>la</strong>ngue ». Plusieurs Etats membres ont proposé de modifier l’article 27 <strong>pour</strong> que les immigrés<br />

réc<strong>en</strong>ts ne soi<strong>en</strong>t pas considérés comme <strong>des</strong> minorités, au motif qu’ils n’étai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core<br />

assimilés et représ<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t une m<strong>en</strong>ace pot<strong>en</strong>tielle <strong>pour</strong> l’unité de <strong>la</strong> nation 18 . En ce s<strong>en</strong>s,<br />

l’«intégration » et <strong>la</strong> « participation » semb<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t présupposer <strong>la</strong> « loyauté ». L’am<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>t a<br />

finalem<strong>en</strong>t été rejeté et <strong>la</strong> t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre les «droits» et <strong>la</strong> « loyauté » (ou <strong>en</strong>tre les « droits » et<br />

les «responsabilités » dans le débat actuel) continue d’ori<strong>en</strong>ter les débats sur <strong>la</strong> citoy<strong>en</strong>neté<br />

au 21 e siècle.<br />

Ce débat a <strong>pour</strong> l’ess<strong>en</strong>tiel débouché sur deux interprétations très différ<strong>en</strong>tes de <strong>la</strong><br />

citoy<strong>en</strong>neté. L’une privilégie l’assimi<strong>la</strong>tion dans une histoire nationale et <strong>des</strong> traditions<br />

culturelles communes ; l’autre vise à ce que les communautés souscriv<strong>en</strong>t à certains processus<br />

fondam<strong>en</strong>taux permettant aux sociétés multiculturelles d’assurer leur pér<strong>en</strong>nité, que leurs<br />

membres partag<strong>en</strong>t ou non une histoire, <strong>des</strong> traditions culturelles et <strong>des</strong> pratiques. Le prés<strong>en</strong>t<br />

ouvrage s’inscrit plutôt dans cette dernière optique.<br />

A travers un échantillon d’étu<strong>des</strong> de cas axées sur quelques unes <strong>des</strong> questions principales<br />

concernant notre mode de <strong>vie</strong> et notre système re<strong>la</strong>tionnel, nous avons essayé de favoriser<br />

l’adoption d’une approche intellectuelle et d’un argum<strong>en</strong>taire:<br />

remettant <strong>en</strong> question les principes et les idées reçues de tous ceux qui <strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t le<br />

débat sur un terrain donné, qu’ils représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>la</strong> majorité ou une minorité;<br />

reconnaissant que les représ<strong>en</strong>tants d’un «point de vue minoritaire » peuv<strong>en</strong>t ne pas<br />

avoir accès aux moy<strong>en</strong>s de communication de masse leur permettant de promouvoir<br />

leurs idées aussi efficacem<strong>en</strong>t que ceux qui représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t le «point de vue le <strong>la</strong><br />

majorité »;<br />

respectant toutes les cultures mais examinant d’un point de vue critique les opinions<br />

ou les actions représ<strong>en</strong>tatives de cultures différ<strong>en</strong>tes, <strong>en</strong> particulier si elles risqu<strong>en</strong>t de<br />

porter atteinte aux droits d’autrui;<br />

t<strong>en</strong>tant de compr<strong>en</strong>dre les différ<strong>en</strong>tes perspectives et les différ<strong>en</strong>ts points de vue et les<br />

raisons <strong>pour</strong> lesquelles certains les déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t, sans nécessairem<strong>en</strong>t les approuver ;<br />

acceptant une remis <strong>en</strong> cause <strong>des</strong> points de vue ici même développés.<br />

Nous avons suggéré dans le prés<strong>en</strong>t ouvrage que le traitem<strong>en</strong>t proposé <strong>des</strong> personnes soit<br />

fondé dans <strong>des</strong> docum<strong>en</strong>ts comme <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration <strong>des</strong> Droits de l'Homme de l’ONU et <strong>la</strong><br />

Conv<strong>en</strong>tion europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l'Homme. Si ces textes port<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t sur le<br />

rapport <strong>en</strong>tre l’Etat et l’individu, ils ont aussi <strong>des</strong> incid<strong>en</strong>ces pr<strong>of</strong>on<strong>des</strong> sur notre<br />

comportem<strong>en</strong>t quotidi<strong>en</strong>. On att<strong>en</strong>d de nous que nous respections et protégions les droits<br />

d’autrui et nous nous att<strong>en</strong>dons <strong>en</strong> retour à ce que les autres respect<strong>en</strong>t et protèg<strong>en</strong>t les nôtres.<br />

Ce<strong>la</strong> dit, comme on l’observe dans chacune <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de cas, il y a souv<strong>en</strong>t conflit dans <strong>la</strong><br />

pratique quotidi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>ts droits de l'homme. Nous faisons alors valoir que le<br />

traitem<strong>en</strong>t réservé à autrui repose sur une deuxième base <strong>en</strong>core plus fondam<strong>en</strong>tale : les<br />

<strong>valeurs</strong> re<strong>la</strong>tionnelles ess<strong>en</strong>tielles qui sous-t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les droits de l'homme. En d’autres termes,<br />

les autres, indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> question de savoir si nous partageons ou non une culture,<br />

<strong>des</strong> traditions, une religion, un mode de <strong>vie</strong> ou <strong>des</strong> convictions et <strong>des</strong> idéaux politiques<br />

communs, ont le droit d’être traités avec respect, de bénéficier du même traitem<strong>en</strong>t équitable<br />

que celui que nous escomptons <strong>pour</strong> nous-même et d’avoir, comme nous, <strong>la</strong> possibilité<br />

d’exprimer leurs points de vue, de pratiquer leur foi et de vivre selon leurs traditions. En<br />

18 Voir par exemple Francesco CAPOTORTI, Study on the Rights <strong>of</strong> Persons Belonging to Ethnic, Religious and<br />

Linguistic Minorities , Nations Unies, New York, 1991.<br />

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etour, nous nous att<strong>en</strong>dons au même respect et à <strong>la</strong> même équité et égalité de traitem<strong>en</strong>t de<br />

leur part, de manière que l’<strong>en</strong>semble de nos re<strong>la</strong>tions puisse reposer sur <strong>la</strong> bonne foi.<br />

Depuis <strong>des</strong> siècles maint<strong>en</strong>ant, comme on a essayé de le rappeler dans <strong>la</strong> chronologie<br />

accompagnant cet ouvrage, les peuples du monde <strong>en</strong>tier ont livré une bataille constante,<br />

difficile et souv<strong>en</strong>t viol<strong>en</strong>te <strong>pour</strong> promouvoir les <strong>valeurs</strong> ess<strong>en</strong>tielles et les droits<br />

fondam<strong>en</strong>taux de l’homme qui se retrouv<strong>en</strong>t dans tous les aspects de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> quotidi<strong>en</strong>ne. Il<br />

n’<strong>en</strong> demeure pas moins, comme le montre c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t le nombre très important d’affaires<br />

dont <strong>la</strong> Cour europé<strong>en</strong>ne <strong>des</strong> Droits de l'Homme est saisie et dont les plus hautes juridictions<br />

<strong>des</strong> pays europé<strong>en</strong>s le sont égalem<strong>en</strong>t, qu’il faut constamm<strong>en</strong>t rappeler aux Etats, aux<br />

<strong>en</strong>treprises multinationales et aux particuliers que leurs actes peuv<strong>en</strong>t porter atteinte aux droits<br />

fondam<strong>en</strong>taux <strong>des</strong> autres, et risqu<strong>en</strong>t de faire abstraction <strong>des</strong> principes de <strong>la</strong> justice naturelle.<br />

Ces <strong>valeurs</strong> ess<strong>en</strong>tielles doiv<strong>en</strong>t être pratiquées et déf<strong>en</strong>dues non seulem<strong>en</strong>t par les<br />

juridictions mais aussi dans nos re<strong>la</strong>tions quotidi<strong>en</strong>nes avec les autres ; faute de quoi elles<br />

cess<strong>en</strong>t d’avoir un s<strong>en</strong>s véritable et nous cesserons de vouloir les déf<strong>en</strong>dre. Pour repr<strong>en</strong>dre les<br />

mots d’Eleanor Roosevelt que nous avons cités dans <strong>la</strong> préface du prés<strong>en</strong>t ouvrage, les droits<br />

de l'homme comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t près de chez soi, là où tout un chacun recherche <strong>la</strong> justice, l’égalité<br />

<strong>des</strong> chances et <strong>la</strong> dignité sans discrimination. «Si ces droits n’ont pas de s<strong>en</strong>s <strong>en</strong> ces lieux, ils<br />

<strong>en</strong> ont vraisemb<strong>la</strong>blem<strong>en</strong>t fort peu ailleurs ».<br />

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