Guide des valeurs pour la vie en démocratie - Council of Europe
Guide des valeurs pour la vie en démocratie - Council of Europe
Guide des valeurs pour la vie en démocratie - Council of Europe
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
La réalité est souv<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>te. Les conditions de dét<strong>en</strong>tion vari<strong>en</strong>t d’un pays et d’un<br />
établissem<strong>en</strong>t pénit<strong>en</strong>tiaire à l’autre, mais <strong>la</strong> norme <strong>la</strong>isse à désirer. Surpopu<strong>la</strong>tion,<br />
dé<strong>la</strong>brem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> infrastructures, faible niveau d’éducation et <strong>des</strong> soins médicaux, mauvais<br />
traitem<strong>en</strong>ts infligés par les gardi<strong>en</strong>s et viol<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre prisonniers sont le lot de beaucoup de<br />
prisons. Dans certains pays cultivant le secret, il est même impossible de connaître le nombre<br />
exact <strong>des</strong> dét<strong>en</strong>us. Les <strong>en</strong>quêtes publiques pass<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t sous sil<strong>en</strong>ce les conditions<br />
carcérales déplorables. Les éruptions de viol<strong>en</strong>ce sont monnaie courante, comme cette émeute<br />
qui a fait 25 morts au moins dans <strong>la</strong> prison Modelo à Bogota. Dans certains pays, les morts <strong>en</strong><br />
dét<strong>en</strong>tion n’attir<strong>en</strong>t guère l’att<strong>en</strong>tion de l’opinion et font pratiquem<strong>en</strong>t partie de <strong>la</strong> routine.<br />
Le traitem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> prisonniers est un de ces domaines où <strong>la</strong> «tyrannie de <strong>la</strong> majorité » risque<br />
de l’emporter sur les droits <strong>des</strong> individus ou <strong>des</strong> minorités. L’attitude de l’opinion <strong>en</strong>vers les<br />
dét<strong>en</strong>us suggère souv<strong>en</strong>t qu’ils « mérit<strong>en</strong>t d’être punis» ou que «l’arg<strong>en</strong>t devrait être dép<strong>en</strong>sé<br />
<strong>pour</strong> <strong>des</strong> choses plus importantes ». De telles attitu<strong>des</strong> se reflèt<strong>en</strong>t dans le traitem<strong>en</strong>t réservé<br />
aux prisonniers de guerre ou aux terroristes présumés dét<strong>en</strong>us sans procès. Certains<br />
prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t que ce sont <strong>des</strong> <strong>en</strong>nemis, qu’ils représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t une m<strong>en</strong>ace et que l’Etat «ne peut pas<br />
se permettre » de p<strong>la</strong>cer le respect de leurs libertés civiles au-<strong>des</strong>sus de <strong>la</strong> sécurité de <strong>la</strong><br />
majorité. Les mauvais traitem<strong>en</strong>ts ont lieu dans l’indiffér<strong>en</strong>ce générale. Pour Amnesty<br />
International, <strong>la</strong> manière dont les Etats-Unis ont traité les prisonniers de Guantanamo Bay ou<br />
d’Abu Ghraib après <strong>la</strong> guerre <strong>en</strong> Irak et <strong>en</strong> Afghanistan a <strong>en</strong>hardi les régimes viol<strong>en</strong>ts et<br />
affaibli les droits humains dans le monde.<br />
Il existe <strong>des</strong> moy<strong>en</strong>s moins spectacu<strong>la</strong>ires de porter atteinte aux droits et à <strong>la</strong> protection <strong>des</strong><br />
dét<strong>en</strong>us. Dans beaucoup de pays, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion carcérale souffre davantage que <strong>la</strong> moy<strong>en</strong>ne<br />
nationale de <strong>la</strong> tuberculose, du sida, de problèmes m<strong>en</strong>taux et de toxicomanie, et a un niveau<br />
d’éducation plus faible. Or il est de <strong>la</strong> responsabilité de l’Etat de protéger les criminels aussi<br />
longtemps qu’ils sont à sa charge.<br />
Un autre volet ess<strong>en</strong>tiel de cette responsabilité concerne les personnes internées <strong>en</strong> hôpital<br />
psychiatrique. Même défici<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>tal, un citoy<strong>en</strong> reste un citoy<strong>en</strong>. Les pati<strong>en</strong>ts peuv<strong>en</strong>t avoir<br />
été p<strong>la</strong>cés <strong>en</strong> hôpital psychiatrique (ou dans une institution simi<strong>la</strong>ire) <strong>pour</strong> leur propre<br />
protection, soit durablem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cas de ma<strong>la</strong>die incurable, soit temporairem<strong>en</strong>t dans l’att<strong>en</strong>te<br />
d’une guérison. Ils peuv<strong>en</strong>t aussi être internés <strong>pour</strong> protéger <strong>la</strong> collectivité. Ces dernières<br />
années, on a rec<strong>en</strong>sé plusieurs cas d’innoc<strong>en</strong>ts morts <strong>des</strong> suites d’un acte viol<strong>en</strong>t commis par<br />
un aliéné. Trouver un juste équilibre <strong>en</strong>tre le respect <strong>des</strong> droits de l’individu et <strong>la</strong> sécurité de<br />
<strong>la</strong> société n’est pas toujours chose aisée.<br />
Les hôpitaux psychiatriques exist<strong>en</strong>t depuis plusieurs siècles. Le premier asile connu est le<br />
Bethlem Royal Hospital («Bed<strong>la</strong>m »), fondé à Londres <strong>en</strong> 1247. Dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> hospices<br />
europé<strong>en</strong>s, les conditions étai<strong>en</strong>t cruelles, inhumaines. Les fous étai<strong>en</strong>t regardés avec crainte<br />
et incompréh<strong>en</strong>sion par les citoy<strong>en</strong>s « normaux ». Sauf exception – on p<strong>en</strong>se à Philippe Pinel,<br />
directeur de l’asile de Bicêtre à Paris dans les années 1790, et à son assistant Jean-Baptiste<br />
Pusin –, les asiles étai<strong>en</strong>t surtout <strong>des</strong> mouroirs où l’on pouvait <strong>en</strong>fermer les ma<strong>la</strong><strong>des</strong> m<strong>en</strong>taux<br />
loin de <strong>la</strong> société conv<strong>en</strong>tionnelle.<br />
L’autre raison du désintérêt <strong>pour</strong> <strong>la</strong> santé m<strong>en</strong>tale était que les pati<strong>en</strong>ts p<strong>la</strong>cés dans les asiles<br />
étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> général issus de c<strong>la</strong>sses sociales défavorisées. La plupart étai<strong>en</strong>t internés d’<strong>of</strong>fice,<br />
sur décision judiciaire, et non pas admis volontairem<strong>en</strong>t. Les pati<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> hospices publics<br />
n’avai<strong>en</strong>t ni statut social ni arg<strong>en</strong>t –<strong>la</strong> bourgeoisie avait les moy<strong>en</strong>s d’<strong>of</strong>frir <strong>des</strong> soins privés à<br />
ses aliénés, leur évitant ainsi d’être stigmatisés comme une «m<strong>en</strong>ace publique » par <strong>la</strong><br />
société. Ce n’est qu’à <strong>la</strong> fin du XX e siècle, <strong>en</strong> partie grâce à <strong>la</strong> diffusion <strong>des</strong> travaux de<br />
théorici<strong>en</strong>s comme Sigmund Freud et ses successeurs, que les attitu<strong>des</strong> ont changé – même si<br />
ce changem<strong>en</strong>t reste inégal et loin d’être achevé.<br />
14