Guide des valeurs pour la vie en démocratie - Council of Europe

Ce qui est en jeu ici, c’est la conviction que l’Etat devrait si possible éviter d’intervenir dans
la vie des gens, lesquels devraient être libres d’exercer leur autonomie ou en droit de décider
par eux-mêmes sur des questions qui ne concernent qu’eux (personnellement ou leur famille)
et ne portent préjudice à personne d’autre.
Or, tout dépend de ce que l’on entend par «faire du tort ». Ici, « faire du tort », ne s’est jamais
rapporté aux blessures physiques. Les libéraux du XIX e siècle attendaient de l’Etat qu’il
agisse pour que personne ne se fasse voler ses biens et en souffre. Ils admettaient aussi que la
calomnie pouvait faire du tort à la réputation d’un tiers – et que la loi devrait protéger la
réputation d’une personne de fausses accusations et fausses déclarations.
La calomnie peut faire du tort, sur un plan émotionnel ou psychologique, et le XX e siècle a vu
émerger un nouvel argument en faveur de l’intervention de l’Etat. En l’occurrence, il
s’agissait d’empêcher les propos ou les actes offensants contre un groupe social donné. Les
démocraties libérales les plus modernes se sont dotées de lois qui les interdisent. Sont
généralement inclus les actes et les propos à caractère raciste ou sexiste, ou susceptibles d’être
injurieux pour un groupe ethnique ou religieux.
Certains ont aussi fait valoir qu’il y a des circonstances où l’Etat doit intervenir pour interdire
à une chose d’arriver, même si personne ne subit de tort physique, psychologique ou
économique et que son autonomie personnelle n’est pas restreinte, par exemple en cas de
comportement jugé moralement honteux car portant atteinte à la dignité des personnes.
Prenons le cas de l’esclavage. Pour les libéraux anti-esclavagistes, l’esclave n’a pas ou peu
d’autonomie personnelle et on peut lui faire du tort. Maintenant, pour aller dans le sens de cet
argument, imaginez une société qui pratique encore l’esclavage, puis imaginez qu’un homme
pauvre, qui vit dans une société gouvernée par des dirigeants qui pratiquent encore
l’esclavage, se propose comme esclave contre de l’argent qu’il pourra donner à sa famille.
Ayant gagné la confiance de son maître, il finit par être traité comme un membre de la
famille. Il mange à sa table, il est rémunéré pour son travail et peut envoyer de l’argent à sa
propre famille. Il n’est pas maltraité et il est aussi libre de décider de sa vie que ceux qui
travaillent en hommes et en femmes libres pour son patron.
Dans ce cas précis, l’esclave ne subit aucun tort physique ni psychologique du fait de son
statut et son autonomie est plus grande que lorsqu’il était libre, certes, mais pauvre. Si on lui
pose la question, cet esclave répondra probablement qu’il vit mieux maintenant, que sa
famille vit mieux, qu’il a choisi d’être esclave et qu’il a plus d’autonomie qu’à l’époque où il
était pauvre. Cela rend-il l’esclavage plus acceptable pour autant ? A cette question, la plupart
d’entre nous répondront que l’esclavage est moralement honteux car il viole la dignité de la
personne, même si l’esclave ne subit aucun tort et ne perd pas grand-chose de son autonomie
personnelle.
Existe-t-il d’autres situations susceptibles d’être considérées comme moralement dégradantes
ou honteuses même si la personne concernée n’est pas forcée d’agir comme elle le fait, s’en
porte mieux économiquement et n’est pas offensée par ce qu’elle fait ? Certains diront que la
prostitution entre elle aussi dans cette catégorie, mais il ne semble pas que le même niveau de
consensus règne dans la société concernant son interdiction au même titre que l’esclavage.
Récemment, le débat a porté sur la notion de ce que l’on appelle parfois les «crimes sans
victime », qui permet à l’Etat de réprimer pénalement certains agissements et de poursuivre
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