Guide des valeurs pour la vie en démocratie - Council of Europe

Vers 1945, on a inventé de nouvelles méthodes pour soigner les malades mentaux. Même si
ces méthodes (électrochocs, choc à l’insuline, lobotomie frontale) nous semblent primitives et
barbares aujourd’hui, elles représentaient un progrès à l’époque, car on espérait alors soigner
les déficiences mentales et permettre aux malades de retrouver leur place dans la collectivité
pour y mener une vie normale. Les nouveaux médicaments psychiatriques comme la
thorazine ont révolutionné les traitements et permis de faire baisser le nombre des patients
internés. En même temps que la médecine progressait, l’attitude de la société et des politiques
a évolué et permis notamment de lancer le programme baptisé «Care in the Community » en
Grande-Bretagne.
Les connaissances en matière de psychiatrie ont beau avoir évolué, la question des droits des
malades mentaux reste complexe et sujette à controverse. Peut-on administrer un traitement
aux malades mentaux ou les priver de leur liberté sans leur consentement ? Sont-ils capables
de donner leur autorisationde manière sensée ? Est-ce à l’enfant ou aux parents de décider
d’un traitement pour apaiser un «comportement antisocial »? La décision doit-elle venir de
l’Etat ?
Des précédents inquiétants laissent à penser que la prise de telles décisions ne peut pas, et
peut-être même ne doit pas être confiée à l’Etat. Des régimes totalitaires se sont servis de la
psychiatrie pour des desseins funestes. Dans l’Allemagne nazie, les institutions psychiatriques
étaient au service de la répression des dissidents politiques et des « asociaux ». Des hommes
et des femmes étaient déclarés fous en raison de leurs opinions subversives ou dangereux car
susceptibles de contaminer les autres. A compter de 1939, le régime nazi a lancé une vaste
opération secrète pour éliminer les malades mentaux, au motif qu’ils menaçaient la « pureté
biologique de la race ». Quant aux régimes communistes, eux aussi se sont servis des
hôpitaux psychiatriques pour réprimer les dissidents politiques.
Dans un Etat qui veut réprimer l’opposition, les hôpitaux psychiatriques sont très commodes.
On peut administrer des cocktails de drogues pour faire parler un détenu lors d’un
interrogatoire, ou pour le déstabiliser. Déclarer un suspect malade mental évite d’avoir à
prouver sa culpabilité lors d’un procès public. C’est aussi un moyen efficace de stigmatiser et
de subordonner des opposants, ou pour enfermer une personne à vie. Pour toutes ces raisons,
et parce qu’il existe des exemples avérés d’abus de pouvoir par l’Etat, même les agissements
des gouvernements démocratiques peuvent rendre suspicieux.
Récemment, des militants ont appelé à supprimer les internements de durée indéterminée pour
les délinquants psychopathes. Selon eux, la défense ne devrait plus pouvoir invoquer la
démence et les délinquants déments devraient être incarcérés en maison d’arrêt normale s’ils
sont jugés coupables d’une infraction, ou placés en hôpital normal s’ils sont les victimes
innocentes de leur maladie.
Le rôle de l’Etat dans le traitement des aliénés est controversé et délicat. Michael Perlin, un
expert international de la loi sur le handicap mental, a dit que : «Ces problèmes [de violation
des droits humains des handicapés mentaux] devraient intéresser tous les citoyens qui
prennent les droits humains au sérieux, et tous ceux qui s’occupent de ceux qui sont encore
enfermés dans des conditions humainement indécentes. Ce que j’ai pu voir à travers le monde
va au-delà du choc de conscience […] et cela peut sembler curieux, car un traitement
psychiatrique est un traitement médical et est supposé être proposé à des fins bienveillantes.»
La manière de traiter les déficients mentaux n’est qu’un exemple de la difficulté à trouver un
équilibre entre les droits de l’Etat et les droits individuels du citoyen. Les conséquences des
abus de pouvoir peuvent être terribles. Des individus ou des groupes minoritaires innocents
peuvent y perdre leur liberté, être séparés de leurs familles et de leurs amis, ou être privés de
droits fondamentaux dont on est en droit de considérer qu’ils sont garantis dans une
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