Guide des valeurs pour la vie en démocratie - Council of Europe

QUATRIEME QUESTION CLE : Chacun a-t-il le droit de vivre où
il veut ?
Christopher Rowe
Il semblerait que la réponse à cette question soit, tout simplement, « Oui ». On peut invoquer
l’argument selon lequel il existe un droit fondamental à pouvoir vivre en paix à l’endroit où
l’on se considère comme chez soi. Il est parfaitement anormal d’obliger des gens à quitter
leurs foyers et de leur refuser le droit d’y retourner. Les sociétés démocratiques ont toujours la
responsabilité d’assurer la liberté de circulation et la sécurité des personnes. Pourtant, ce
problème n’est pas aussi simple qu’il y parait. La plupart des législations prévoient des
dérogations, dans certaines circonstances particulières 12 . Il existe aussi de nombreux facteurs
pratiques et moraux limitant la possibilité de choisir où l’on vit. Il y a, tout d’abord, des
conflits entre libertés concurrentes, si le choix d’une personne de vivre à un endroit implique
que ce droit soit refusé à d’autres.
L’histoire des 500 dernières années a été marquée par de nombreux cas de personnes
déracinées en raison de violences, que ces dernières aient été ordonnées par l’Etat ou qu’elles
se soient produites parce qu’il avait manqué à son devoir de protection des citoyens. Les Juifs
ont été expulsés d’Espagne par décret en 1492. Nombre de leurs descendants ont été expulsés
à leur tour quand les Nazis se sont emparés de Salonique, leur nouvelle patrie, en 1941. De
nombreux Huguenots ont été obligés de quitter la France au 17 e siècle. Au 18 e siècle, les petits
délinquants étaient transférés de Grande-Bretagne en Australie. La Russie tsariste a condamné
des milliers de prisonniers à être envoyés en Sibérie. Plus tard, Staline a envoyé des millions
de personnes au Goulag. Dans les années 40, Staline a fait déporter des communautés
entières, comme les Tatares de Crimée.
Plus de cinq millions de Juifs d’Europe ont péri lors de l’Holocauste. Des millions d’autres
personnes ont été expulsées et ont dû fuir ailleurs. 700000 Palestiniens ont été forcés à l’exil
après la création de l’Etat d’Israël en 1948. 50 ans après, il y avait près de quatre millions de
réfugiés palestiniens réclamant le droit au retour. Durant les guerres des Balkans pendant les
années 90, un grand nombre de personnes ont été victimes d’«épuration ethnique». Les
«Arabes des marais » du Sud de l’Iraq ont été déplacés par Saddam Hussein, pour pouvoir
assécher les marécages qui constituaient la base de leur existence.
Les enseignements moraux qu’il convient de tirer de ces exemples paraissent évidents. Les
personnes déplacées se sont vues dénier leur liberté de vivre où elles le voulaient, ainsi que
d’autres libertés fondamentales, comme celles de croyance religieuse et d’identité culturelle.
Dans tous ces cas, il paraît facile d’identifier les victimes innocentes et les coupables.
Cependant, il y a eu au cours de l’histoire des exemples importants de déplacements
accidentels, sur lesquels il est moins facile de porter un jugement moral.
Par exemple, à la fin de la Deuxième guerre mondiale, des millions de réfugiés se sont
déplacés vers l’Ouest quand l’Armée rouge a envahi l’Allemagne. Les frontières politiques de
l’Union soviétique et de la Pologne ont été déplacées loin vers l’Ouest et beaucoup
12 On emploie le terme « dérogation » quand une loi, un règlement ou une décision ayant force de loi
n’est pas appliqué dans certaines circonstances. Par exemple, un gouvernement peut signer une
convention ou un accord international prévoyant qu’une personne ne peut être détenue indéfiniment
sans jugement, mais il peut y avoir des exceptions comme l’internement des étrangers dont le pays est
en guerre avec le pays hôte.
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