Guide des valeurs pour la vie en démocratie - Council of Europe

QUESTION CLE N°8 : la démocratie suffit-elle ?
Robert Stradling
Sur le plan théorique, la démocratie est souvent définie en fonction de ses institutions et des
processus politiques qui la caractérisent : un cadre constitutionnel, des élections libres, justes
et régulières, un système multipartite, des assemblées ou des parlements représentatifs, une
séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire, etc. Mais, même si l’Etat
s’est doté de toutes ces institutions, le parti politique au pouvoir peut néanmoins se comporter
de manière autoritaire et non démocratique.
Il ne faut pas oublier, par exemple, qu’en Allemagne, le Parti national-socialiste est arrivé au
pouvoir par la voie démocratique. Lors des élections du Reichstag de mars 1933, en effet, le
Parti national-socialiste des travailleurs allemands a remporté la majorité des sièges (288),
avec 43,9 % des voix. Le deuxième parti était le Parti social-démocrate, avec 120 sièges, suivi
du Parti communiste, avec 81 sièges. Le nombre total de sièges au Reichstag étant de 647, il
manquait au Parti national-socialiste 36 sièges pour obtenir la majorité nécessaire à la
formation d’un gouvernement. Toutefois, il a réussi à former une coalition avec le DNVP
(Parti national du peuple allemand), qui avait remporté 52 sièges. L’une des toutes premières
lois du nouveau gouvernement de coalition fut d’interdire le Parti communiste allemand.
Cette décision conféra la majorité au Parti national-socialiste sans qu’il ait eu besoin de l’aide
du DNVP.
Le Parti national-socialiste a alors entrepris d’utiliser le processus constitutionnel pour
instaurer un régime totalitaire à parti unique. Cette manœuvre a été possible notamment parce
que la République allemande, fondée en 1918 après l’abdication du Kaiser, avait vu le jour
pendant une période de fortes perturbations sociales et de bouleversements touchant le pays
tout entier. Les rédacteurs de la nouvelle Constitution – la Constitution de Weimar –
jugèrent utile d’y faire figurer une clause d’urgence permettant au Président de demander au
gouvernement de promulguer toute loi jugée nécessaire au maintien de l’ordre public sans en
référer au Reichstag.
En 1933, le Parti national-socialiste utilise effectivement cette clause pour prendre le contrôle
total du pays. Il lui faut toutefois l’approbation des deux tiers des députés du Reichstag pour
que soit voté le décret d’application. Il obtient cette majorité grâce à l’appui du DNVP et du
Parti catholique du Centre ; mentionnons en outre que les Communistes ne sont pas autorisés
à voter et que les députés sont intimidés par les Chemises brunes présentes en force à
l’intérieur et autour de l’Assemblée. La loi est adoptée le 23 mars 1933 (tout juste 18 jours
après les élections), par 441 voix contre 94, la seule opposition étant celle du SPD (Parti
social-démocrate d’Allemagne). En mai, le DNVP était dissous et le SPD interdit, de même
que les syndicats. En juillet, les partis catholiques sont déclarés illégaux et, le 14 juillet, le
Parti national-socialiste se proclame seul parti politique légal en Allemagne.
Il s’agit-là du cas extrême d’un parti politique utilisant la Constitution, les institutions et les
processus politiques démocratiques pour arriver au pouvoir afin d’abolir la démocratie et
d’instaurer une dictature. Toutefois, J.L. Talmon a qualifié de «démocratie totalitaire» le
système de gouvernement dans lequel les citoyens ont le droit de vote et les représentants
politiques sont légalement élus, mais où, entre les élections, les citoyens n’ont que peu ou pas
d’influence sur le processus de décision et où les principaux organes des médias sont
contrôlés ou fortement influencés par le gouvernement. De nos jours, on peut déceler
certaines tendances anti-démocratiques dans la plupart des démocraties politiques. Il n’est pas
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