Le coin des poètes : Arthur Rimbaud a aussi des détracteurs Dans le n° 641 de l'hebdomadaire Marianne, du 1 er au 7 août <strong>2009</strong>, l'écrivain Laurent Nunez (Auteur des Récidivistes, Champ Vallon) donnait son avis sur Rimbaud "Rimbaud, simple VRP et poète bling-bling" Notre plus grand poète, vraiment ? Un potache tourné au petit aventurier et au marchand d’armes ? Bref, un destructeur d’utopie ? L‘an prochain, Rimbaud est au programme de l’agrégation de lettres. C’était à parier : il est notre plus grand poète. Notre époque, parce qu’elle vénère la jeunesse et le tourisme, reste bouche bée devant ce jeune homme ambitieux qui, à seulement 21 ans (!), osa s’enfuir loin de l’Europe - pour moisir à l’autre bout du monde dans une succursale commerciale d’Ethiopie... S’il nous a laissé peu de poèmes, ce sont tous des chefs-d'œuvre ; et il n’y a que les sots pour demander malicieusement : "Ses pochades d’enfant doué, écrites par un autre qui serait resté, seraient-elles restées ?" Pour un peu, ils ajouteraient que, de la même manière qu’on lit Amélie Nothomb parce qu’elle mange des fruits pourris
- et parce qu’elle a vraiment un grand chapeau -, on lit Rimbaud parce qu’il a les yeux clairs, qu’il fait mauvais garçon sur ses photos, les cheveux en bataille ; et parce qu’il a très tôt arrêté d’écrire. Mais c’est justement oublier les vers raciniens qu’il écrivit ! Ses ricanements de potache, "Belle hideusement d’un ulcère à l’anus ", Tels les excréments chauds d’un vieux colombier" ; son refus définitif de la mièvrerie : "Votre cœur l’a compris : - ces enfants sont sans mère. Plus de mère au logis ! - Et le père est bien loin !..." Et puis: qui n’a pas écarquillé les yeux devant ses innombrables néologismes ? Certes, ils sont affreux ("bleuïtés ", "pioupiouesques ", "hargniosité"), ils n’ont même pas la noirceur des mots-valises de son contemporain Laforgue ("sangsuelles", "éternullité", "sexciproque") - mais s’il fallait les rapprocher de quelque chose, vous voyez bien (hargniosité !) que ce serait de la "bravitude" qu’affectionne l’une de nos plus grandes poétesses - après Anna de Noailles et Minou Drouet. Mieux : qui n’a pas médité sur Voyelles, le poème le plus commenté de la langue française ? Mais si : celui qui commence par "A noir, E blanc, I rouge, U vert, 0 bleu […]". Cette géniale audition colorée a donné lieu à mille interprétations : biographique, alchimique, phénoménologique... (Pornographique également.) En fait, visiblement, c’était n’importe quoi. Admirez ces deux vers : "I, pourpres, sang craché, rires des lèvres belles U, cycles, vibrements divins des mers virides". De telles images vous paraissent sans doute étranges, car si Rimbaud joue sur la forme des voyelles, la raideur de l’i n’a rien à voir avec le "sang craché", et encore moins avec les "rires des lèvres belles". Pour tout dire, c’est plutôt l’u qui aurait la forme joviale d’un gentil smiley... Mais cette voyelle u est elle-même expliquée, allez savoir pourquoi, par de longues assonances en i. C’est assurément un blasphème de le penser mais : il faut craindre que Rimbaud ait interverti ces deux définitions. Pourquoi ? Peut-être à cause du premier vers, "A noir, E blanc, I rouge, U vert, 0 bleu [...]" : l’i vert aurait provoqué un jeu de mots gênant. Rimbaud n’est pas Bobby Lapointe, et on est très sérieux quand on a 17 ans. Alors, ni vu ni connu, l'i devint rouge, l’u devint vert... Ne riez pas: c’est beaucoup de bruit pour rien - et on se sent gêné pour les agrégatifs qui devront tout de même justifier ces rapprochements incongrus. Pour m’excuser d’avoir joué un rôle dans leur brutale désillusion, je peux leur fournir la conclusion de leurs commentaires. Elle provient du Procès-verbal ; Le Clézio s’attaquait alors à la gratuité de certaines images surréalistes : "Vous savez, moi je fais tout comme ça. La Terre est bleue comme une orange, mais le ciel est nu comme une pendule, l’eau rouge comme un grêlon." Vous voyez, ça fonctionne aussi pour Voyelles. Mais qu’importent ses petites approximations : Rimbaud reste notre plus grand poète quoi qu’en disent ces deux écrivaillons que sont Quignard et Blanchot. Commençons par Quignard ; c’est de notoriété publique que cet homme n’a rien lu, et cela peut expliquer qu’il ait osé dans Petits <strong>Trait</strong>és : "Je me méfie des êtres qui, prétendant avoir mis la main sur le temps, déclarent rompre avec le passé, et ambitionnent d’assurer un contrôle sur l’avenir. [..] Les injonctions selon lesquelles il faut être absolument moderne", dérégler ses sens, devenir entre tous “le grand malade, le grand criminel, le grand maudit", se taire, gérer un comptoir au Harrar, aimer l’argent, aimer la mort, - c’est une vieille étoffe délicieuse et mitée." Cela ne veut rien dire ; on ne comprend même pas d’où vient cette étoffe de la fin ! Et Blanchot ! Dans la Part du Feu, il niait la valeur poétique de la fuite rimbaldienne : "Ce n’est pas un ange, malgré d’assez tristes relents d’innocence. Ce n’est qu’un faible amateur d’aventure et un voyou de quelques jours. Et, hormis ses tours de force littéraires, il ne nous laisse que le témoignage d’une existence vide, mécontente, médiocre, qui n’atteint rien et ne vise rien." Vraiment, ces ceux-là ne savaient pas ce qu’ils disaient. On voit bien que ce sont des jaloux. De tels mensonges n’empêcheront jamais les plus rebelles d’entre nous de s’agenouiller devant ce poète qui délaissa la poésie, qui eut l’audace d’admettre que seul l’argent comptait désormais, et non l’art ! Cet homme qui le premier cracha sur le rêve et sur l’utopie ; qui voulut être superficiel, pragmatique, et qui, la tête bien sur les épaules, devint un marchand d’armes respecté par tous. 0ui, respecté par tous, et c’est qu’il y avait en lui du Dassault, du Lagardère. Ce fut d’ailleurs le poète du bon sens : à Charleville où il est né - cette ville "supérieurement idiote entre les petites villes de province" -, on peut encore admirer une belle statue de lui ; elle trône à côté d’une grande banque, où s’étale dès l’entrée, en lettres d’or (je parle du métal et presque pas de la couleur), l'injonction faussement révolutionnaire et réellement capitaliste :"Il faut être absolument moderne". Bien sûr, on n’est pas loin de la langue de bois, mais tout le monde (sauf Quignard) voit que c’est d’abord une langue poétique.
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