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Trait d'Union octobre 2009 - Secours populaire 66

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Tout ce qu’il écrivit était génial. Dans l’édition Pléiade (dir. Adam), plus de 500 pages sont pour ses<br />

lettres africaines. Pourquoi pas ? Les bettres d’un marchand qui fut poète ne sont elles pas de la<br />

poésie ? Jugez : "Je vous envoie en effet quatre balles Djano rouge n° 40, très fin, de 5 livres le<br />

paquet, sur deux chameaux déjà chargés de chacun 2000 thalaris pour M. Savouré. Chaque balle est<br />

de 20 paquets très bien emballés. Total 80 paquets. La qualité est surfine et supporte n’importe quel<br />

lavage. Je vous facture le paquet Th. 3 ½ à cause des frais très forts." Je fus un instant insensible au<br />

lyrisme de ces missives ; mais quel souffle tout de même, quelle audace dans la syntaxe ! Oh,<br />

pourquoi faut-il toujours compter avec ceux qui ne verront pas la moindre trace de littérature dans ces<br />

factures ? Pour ma part, la dernière fois que j’ai vu une si belle farandole de chiffres, une telle prose<br />

publicitaire, c’était dans Quitter la Ville (ce titre rimbaldien !) de Christine Angot. Et j’avais vraiment<br />

beaucoup aimé. Bien sûr, avec ce genre de lettres, seul l’anachronisme sépare le dernier Rimbaud<br />

d’un simple VRP. Mais il faut reconnaître que ce VRP avait plutôt réussi, façon bling-bling, avec sa<br />

monstrueuse ceinture qu’il trimbalait partout quoiqu’elle pesât "huit kilos d’or". Et de nos jours,<br />

franchement, n’est-ce pas tout ce qui compte ? Non, je le redis, on fait bien de mettre Rimbaud à<br />

l’agrégation de lettres l’an prochain.<br />

Laurent Nunez de s'interroger : "Peut-on, et victorieusement, écrire pour ne plus écrire ?" ; Cela ne<br />

relève-t-il pas de l'imposture ? Tout tourne alors autour de la figure mythique de celui qui renonça au<br />

feu qu'il avait pourtant volé, de celui qui "s'opéra vivant de la poésie" ; (Mallarmé), Arthur Rimbaud, le "<br />

le seul écrivain dissolu à s'être dissous dans la vie". Convoquant tous ceux qui directement ou<br />

indirectement ont écrit sur lui – Claudel, Le Clézio, Char, Aragon, Thomas, Kundera, Michon, Leiris,<br />

Millet – Laurent Nunez analyse ce que ces textes révèlent du rapport qu'ils induisent à l'écriture, et<br />

montre combien l'essentiel de la littérature du XXe siècle tourne autour de la possibilité de l'imiter – et<br />

donc de se taire. Peut-on partir comme Rimbaud pour retrouver la "réalité rugueuse" ? Peut-on le<br />

ressusciter ? Non, bien sûr. Impossible de cesser d'écrire en imitant Rimbaud, et impossible d'écrire<br />

pour ne plus écrire, ne serait-ce que parce que cette forme contradictoire d'écriture participe de la<br />

littérature, et qu' "écrire par fascination pour la non-écriture, c'est aller à l'encontre de cette fascination".<br />

Rien de plus littéraire que de vouloir détruire la littérature.<br />

Dans son ouvrage publié en 2000 aux éditons Corti, Les écrivains contre l’écriture, Laurent Nunez<br />

propose une réflexion autour de la notion "d’œuvre prétérition". Par cette expression il désigne les<br />

ouvrages qui s’attaquent à la Littérature tout en y participant, et dont la référence inévitable est l’œuvre<br />

de rimbaud. Le critique établit la catégorie de "textes présentatifs" (récits où Rimbaud apparaît comme<br />

personnage) qu’il subdivise en trois types selon l’attitude qu’ils manifestent vis-à-vis du poète : "<br />

acceptation", "interrogation", "contradiction". D’après lui, ces trois attitudes sont respectivement<br />

exemplifiées par La quarantaine de Le Clézio, Rimbaud le fils de Michon, et Anicet ou Le Panorama,<br />

roman d’Aragon.<br />

En effet, le personnage de Rimbaud est présent dans les trois premiers chapitres de ce dernier livre,<br />

ainsi que dans le chapitre final sous le nom d’Arthur Dorange. Certes, son patronyme n’est jamais<br />

prononcé, mais il est bien évident que cet "Arthur" qui donne son nom au sous-titre du chapitre 1 et qui<br />

est né "dans les Ardennes" n’est autre que l’auteur d’Une Saison en Enfer. L’autobiographie qu’il narre<br />

au jeune Anicet ne coïncide pas exactement avec l’histoire du véritable Rimbaud : des variations, des<br />

ellipses, et des détails établissent un écart sensible entre "Arthur" et Arthur Rimbaud. Cependant, la<br />

rédaction par Aragon après 1920 (date de l’écriture d’Anicet) de "clefs" dans lesquelles il rend compte<br />

de la genèse de l'ouvrage ainsi que de l'identité des personnalités cachées derrière ses personnages,<br />

ne permet pas d’en douter : "Arthur" n’est pas Rimbaud, mais c’est lui qu’il désigne au moins<br />

symboliquement.<br />

Une fois acceptée cette identification du personnage de fiction et du poète bien réel, relative, certes,<br />

mais néanmoins valable en raison de sa puissance euristique, nous pouvons nous demander quel<br />

rapport le texte d’Aragon entretient avec le mythe Rimbaud. Certes, Rimbaud est une figure marquante<br />

pour les Surréalistes, qui en ont fait l'un de leurs prédécesseurs dès le premier Manifeste du<br />

Surréalisme, en 1924 : "Rimbaud est Surréaliste dans la pratique de la vie et ailleurs". Cependant, la<br />

figuration même "d’Arthur" est surprenante dans Anicet. Elle rompt délibérément avec une<br />

représentation topique du poète, celle qui le montre jeune et révolté.

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