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Trait d'Union octobre 2009 - Secours populaire 66

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- et parce qu’elle a vraiment un grand chapeau -, on lit Rimbaud parce qu’il a les yeux clairs, qu’il fait<br />

mauvais garçon sur ses photos, les cheveux en bataille ; et parce qu’il a très tôt arrêté d’écrire. Mais<br />

c’est justement oublier les vers raciniens qu’il écrivit ! Ses ricanements de potache, "Belle hideusement<br />

d’un ulcère à l’anus ", Tels les excréments chauds d’un vieux colombier" ; son refus définitif de la<br />

mièvrerie : "Votre cœur l’a compris : - ces enfants sont sans mère. Plus de mère au logis ! - Et le père<br />

est bien loin !..." Et puis: qui n’a pas écarquillé les yeux devant ses innombrables néologismes ?<br />

Certes, ils sont affreux ("bleuïtés ", "pioupiouesques ", "hargniosité"), ils n’ont même pas la noirceur<br />

des mots-valises de son contemporain Laforgue ("sangsuelles", "éternullité", "sexciproque") - mais s’il<br />

fallait les rapprocher de quelque chose, vous voyez bien (hargniosité !) que ce serait de la "bravitude"<br />

qu’affectionne l’une de nos plus grandes poétesses - après Anna de Noailles et Minou Drouet.<br />

Mieux : qui n’a pas médité sur Voyelles, le poème le plus commenté de la langue française ? Mais si :<br />

celui qui commence par "A noir, E blanc, I rouge, U vert, 0 bleu […]". Cette géniale audition colorée a<br />

donné lieu à mille interprétations : biographique, alchimique, phénoménologique... (Pornographique<br />

également.) En fait, visiblement, c’était n’importe quoi. Admirez ces deux vers : "I, pourpres, sang<br />

craché, rires des lèvres belles U, cycles, vibrements divins des mers virides". De telles images vous<br />

paraissent sans doute étranges, car si Rimbaud joue sur la forme des voyelles, la raideur de l’i n’a rien<br />

à voir avec le "sang craché", et encore moins avec les "rires des lèvres belles". Pour tout dire, c’est<br />

plutôt l’u qui aurait la forme joviale d’un gentil smiley... Mais cette voyelle u est elle-même expliquée,<br />

allez savoir pourquoi, par de longues assonances en i. C’est assurément un blasphème de le penser<br />

mais : il faut craindre que Rimbaud ait interverti ces deux définitions. Pourquoi ? Peut-être à cause du<br />

premier vers, "A noir, E blanc, I rouge, U vert, 0 bleu [...]" : l’i vert aurait provoqué un jeu de mots<br />

gênant. Rimbaud n’est pas Bobby Lapointe, et on est très sérieux quand on a 17 ans. Alors, ni vu ni<br />

connu, l'i devint rouge, l’u devint vert... Ne riez pas: c’est beaucoup de bruit pour rien - et on se sent<br />

gêné pour les agrégatifs qui devront tout de même justifier ces rapprochements incongrus. Pour<br />

m’excuser d’avoir joué un rôle dans leur brutale désillusion, je peux leur fournir la conclusion de leurs<br />

commentaires. Elle provient du Procès-verbal ; Le Clézio s’attaquait alors à la gratuité de certaines<br />

images surréalistes : "Vous savez, moi je fais tout comme ça. La Terre est bleue comme une orange,<br />

mais le ciel est nu comme une pendule, l’eau rouge comme un grêlon." Vous voyez, ça fonctionne<br />

aussi pour Voyelles.<br />

Mais qu’importent ses petites approximations : Rimbaud reste notre plus grand poète quoi qu’en disent<br />

ces deux écrivaillons que sont Quignard et Blanchot. Commençons par Quignard ; c’est de notoriété<br />

publique que cet homme n’a rien lu, et cela peut expliquer qu’il ait osé dans Petits <strong>Trait</strong>és : "Je me<br />

méfie des êtres qui, prétendant avoir mis la main sur le temps, déclarent rompre avec le passé, et<br />

ambitionnent d’assurer un contrôle sur l’avenir. [..] Les injonctions selon lesquelles il faut être<br />

absolument moderne", dérégler ses sens, devenir entre tous “le grand malade, le grand criminel, le<br />

grand maudit", se taire, gérer un comptoir au Harrar, aimer l’argent, aimer la mort, - c’est une vieille<br />

étoffe délicieuse et mitée." Cela ne veut rien dire ; on ne comprend même pas d’où vient cette étoffe de<br />

la fin ! Et Blanchot ! Dans la Part du Feu, il niait la valeur poétique de la fuite rimbaldienne :<br />

"Ce n’est pas un ange, malgré d’assez tristes relents d’innocence. Ce n’est qu’un faible amateur<br />

d’aventure et un voyou de quelques jours. Et, hormis ses tours de force littéraires, il ne nous laisse que<br />

le témoignage d’une existence vide, mécontente, médiocre, qui n’atteint rien et ne vise rien." Vraiment,<br />

ces ceux-là ne savaient pas ce qu’ils disaient. On voit bien que ce sont des jaloux. De tels mensonges<br />

n’empêcheront jamais les plus rebelles d’entre nous de s’agenouiller devant ce poète qui délaissa la<br />

poésie, qui eut l’audace d’admettre que seul l’argent comptait désormais, et non l’art ! Cet homme qui<br />

le premier cracha sur le rêve et sur l’utopie ; qui voulut être superficiel, pragmatique, et qui, la tête bien<br />

sur les épaules, devint un marchand d’armes respecté par tous. 0ui, respecté par tous, et c’est qu’il y<br />

avait en lui du Dassault, du Lagardère. Ce fut d’ailleurs le poète du bon sens : à Charleville où il est né<br />

- cette ville "supérieurement idiote entre les petites villes de province" -, on peut encore admirer une<br />

belle statue de lui ; elle trône à côté d’une grande banque, où s’étale dès l’entrée, en lettres d’or (je<br />

parle du métal et presque pas de la couleur), l'injonction faussement révolutionnaire et réellement<br />

capitaliste :"Il faut être absolument moderne". Bien sûr, on n’est pas loin de la langue de bois, mais tout<br />

le monde (sauf Quignard) voit que c’est d’abord une langue poétique.

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