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T<br />

G13G0<br />

16 B<br />

PUBLICATION DE LA FACILTÉ DES LETTRES D'ALGER<br />

IIe <strong>Série</strong> —<br />

Tome<br />

XVI Ha<br />

Magali ZURCHER<br />

LICENCIEE ES LETTRES<br />

LA PAGIFIGATION ET L ORGANISATION<br />

•*-><br />

DE LA KABYLIE ORIENTALE<br />

de 1838 à 1870<br />

Préface de Marcel EMERIT<br />

PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES D'ALGER<br />

PARIS<br />

Société d'Editions "LES BELLES LETTRES'<br />

95. Boulevard Raspail, 95<br />

1»48


PUBLICATION DE LA FACULTÉ DES LETTRES D'ALGER<br />

LA<br />

Ile <strong>Série</strong> —<br />

Tome<br />

XVI<br />

Magali ZURGHER<br />

LICENCIÉE ES LETTRES<br />

360<br />

ACIFICA1I0N ET L'ORGANISATION<br />

DE LA KABKLIE ORIENTALE<br />

de 1838 à 1870<br />

Préface (le Marcel EMERIT<br />

PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES D'ALGER<br />

PARIS<br />

Société d'Editions "<br />

LES BELLES LETTRES '<br />

95, Boulevard Raspail, 95<br />

1 9*8<br />

'<br />

RIS<br />

16- B'5<br />

61360


PRÉFACE<br />

De nos jours la science historique, tout comme les vieux atlas, a<br />

ses taches blanches, où Von est fâché d'inscrire : « Terra incognita ».<br />

En Algérie elles sont encore de dimensions<br />

impressionnantes. Des<br />

récits militaires, comme en géographie les notes des voyageurs pres<br />

sés, nous aident mal à dissimuler notre ignorance. Dans ces zones vier<br />

ges, j'ai lancé, ces dernières années,<br />

une équipe de jeunes et hardis<br />

chercheurs. Mademoiselle Zurcher a le mérite d'être la première à<br />

pouvoir nous livrer le résultat de ses travaux.<br />

L'objet de ses investigations est un grand pâté montagneux, re<br />

douté par tous les maîtres du Maghreb, y compris les Turcs, et où, mê<br />

me de nos jours, les couteaux sortent faoilemeiit de leurs gaines et les<br />

balles des fusils. Grand problème que celui de la nécessité de la péné<br />

tration dans ce pittoresque et inquiétant domaine et des méthodes<br />

employées pour y affermir notre prestige et organiser la mise en va<br />

leur.<br />

Lorsqu'il étudie une conquête coloniale, l'historien est aussitôt<br />

disposé à lui attribuer une cause économique. La Kabylie orientale<br />

avait-elle des richesses assez importantes pour tenter la cupidité des<br />

nouveaux venus ?<br />

Ses ressources n'étaient pas inexistantes. L'un des meilleurs ob<br />

servateurs de l'Algérie, l'officier du génie Richard, les avait étudiées<br />

dès 18k2 (1), et son rapport, fondé sur l'interrogatoire des indigènes<br />

plutôt que sur une enquête directe (car il est peu probable qu'il ait pu<br />

quitter Bougie)<br />

pouvait provoquer des appétits. Il montrait que la<br />

partie occidentale de la Kabylie était la seule région industrielle de<br />

l'Algérie. Les Béni Soliman "possédaient deux mines de fer en pleine<br />

exploitation,<br />

dont ils livraient le produit en barres ou en lames aux<br />

Béni Ougrelis et aux Béni Mohali, tribus de forgerons. La montagne<br />

de Toudja, au-delà de laquelle l'oued Grir arrosait de beaux jardins,<br />

contenait du cuivre encore non exploité. Le plomb se trouvait chez les<br />

Béni Chebana. Surtout il présentait la tribu des Béni Abbès, sur le<br />

contrefort du Djurdjura comme « l'immense atelier de l'industrie ka<br />

byle », avec un grand centre, Kolla, où l'on fabriquait des fusils, des<br />

pistolets et aussi une grande quantité de fausses monnaies, imitant<br />

très bien les pièces de Tunis et d'Alger. Il attribuait le développement<br />

de cette vie industrielle à la présence, dans ces montagnes, de fer, de<br />

(1) Archives Nationales, F. 80, 16«4.


— — G<br />

plomb et d'argent. Les Oulad Amerioud avaient des pierres à meule, et<br />

c'est de leur tribu que sortaient tous les moulins à bras dont les Arabes<br />

de la province de Constantine se servaient pour moudre leur blé. Les<br />

Messisenas et les Béni Mohali possédaient des sources salines et ex<br />

portaient leur sel. Les Reboula produisaient de la poudre dans 57<br />

fabriques. Enfin les ressources forestières étaient considérables, un<br />

trésor pour l'Algérie : le Djebel Aquedafou était recouvert d'une im<br />

mense forêt de bois de construction, où la hache et la scie n'avaient<br />

pas encore pénétré. Outre leurs fameuses ruches à mielt<br />

les Béni Aïdel<br />

exploitaient leurs oliviers séculaires. Richard ne connaissait que la<br />

région Bougie-Sétif, mais on pouvait croire que les parties orientales<br />

du massif avaient des richesses analogues.<br />

Occuper la Kabylie lui semblait donc d'une grande utilité, car de<br />

cette manière on pouvait contrôler les lieux de production d'où les<br />

Arabes tiraient les objets nécessaires à leur vie courante et leur maté<br />

riel de guerre. Et ce lieutenant du génie, qui était un\ fouriériste ardent,<br />

justifiait la colonisation par les nécessités de la vie civilisée : « Il faut<br />

avoir de bien mauvais yeux, écrivait-il pour ne pas voir que l'humanité<br />

subit à travers les siècles des phases diverses qui suivent une progres<br />

sion croissante ver le bien... La puissance civilisatrice a trois compo<br />

santes, qui sont l'Angleterre, les Etats-Unis et la France. L'Angleterre<br />

prend l'Asie ; les Etats-Unis prennent l'Amérique ; que la France pren<br />

ne au moins l'Afrique, si elle ne veut pas manquer à sa mission ».<br />

Mais, on le voit, même sous la plume de cet économiste, c'est l'in<br />

térêt militaire de la France qui justifie surtout l'occupation de la Ka<br />

bylie. A vrai dire, les ressources de la région n'étaient pas suffisantes<br />

pour justifier la dépense d'une expédition.. Cependant la France, de<br />

puis l'occupation du beylicat de Constantine, possédait un vaste pays,<br />

disposé d'Est en Ouest, comme un long couloir, ouvert seulement aux<br />

deux bouts. Même au temps des beys, le problème des commutations<br />

était mal résolu, car toutes les ressources de leur province s'écoulaient<br />

par une seule voie, conduisant au port de Bône. Après l'occupation<br />

de la région, les Français s'empressèrent d'en créer une autre, plus<br />

courte, et voulurent concentrer tout le commerce dans le port nouveau<br />

de Philippeville. La conquête de Sétif nécessita l'ouverture d'une nou<br />

velle voie, vers Bougie. On avait construit la maison, il fallait percer<br />

des portes et en protéger les accès.<br />

Entreprise difficile, car la barrière qui séparait les plaines de Cons-<br />

tantine-Sétif<br />

de la mer formait un enchevêtrement d'âpres montagnes,<br />

toujours inviolées. Territoire de refuge pour les Berbères victimes des<br />

invasions, elles étaient peuplées de sédentaires très attachés à leur pe<br />

tite patrie, fantassins tenaces, qui avaient toujours repoussé victorieuse<br />

ment la cavalerie arabe quand celle-ci avait osé s'aventurer sur ce dan<br />

gereux terrain. Leur organisation « démocratique », ou pour mieux<br />

dire nullement seigneurale, leur division en douars dirigés par des<br />

conseils (djemaâ) empêchaient (comme de nos jours au Maroc central)<br />

les manœuvres de dissociation que les conquérants peuvent pratiquer


_7 —<br />

lorsqu'ils ont affaire à de grands chefs jaloux et corruptibles. Les Ka<br />

byles n'attaquaient pas les peuples voisins, mais tenaient farouchement<br />

à leur indépendance.<br />

On a essayé d'employer contre eux des colonnes mobiles, suivant<br />

le système de Bugeaud, sans aboutir à d'autres résultats qu'à des sou<br />

missions très provisoires et à d'horribles dévastations. Les rapports<br />

officiels, que Mlle Zurcher a consultés, ne donnent pas toujours une<br />

idée<br />

très'<br />

juste des procédés employés par les conquérants, dont le plus<br />

fameux fut Saint-Arnaud, sinistre aventurier, ambitieux, cynique, tou<br />

jours en quête d'un succès qu'exploitera son sens de la publicité, ou<br />

d'un avancement conquis à la pointe du sabre : « un bon grade à travers<br />

une bonne blessure ». Un homme comme lui se préoccupe médiocre<br />

ment des misères et des hétacombes qui accompagnent sa méthodique<br />

ascension. Cela n'implique pas l'absence de talent, car le personnage<br />

écrivait fort bien et son administration n'était pas dépourvue de plans<br />

d'avenir.<br />

Mais il iririt un temps où les chefs de l'armée s'aperçurent que la<br />

méthode de Saint-Arnaud n'assure pas la tranquille possession d'un<br />

pays. H ne suffit pas de recueillir des soumissions, il faut embrigader<br />

les indigènes et aussi coloniser, n'envisagerait-on que les intérêts de<br />

l'armée, qui a besoin dé bons jardins et de bêtes bien nourries. Randon<br />

à été le plus méthodique de ces officiers colonisateurs. D'autres eurent<br />

des vues encore plus larges : tel Desvaux, officier d'occasion, qui a<br />

gagné ses épaulettes sur les barricades durant les Trois Glorieuses,<br />

général qui ne sait pas trop bien faire la guerre, mais qui recherche<br />

la compagnie des brasseurs d'affaires, gouverneur de province qui<br />

n'a pas peur des idées, fréquente les Saint-Simoniens,<br />

même s'ils sont<br />

républicains, cherche à se procurer des rails pour un réseau ferré, des<br />

sondes pour faire jaillir l'eau dans les sables, des charrues perfection<br />

nées pour ses plaines fertiles, des moutons mérinos pour ses plateaux,<br />

des grues pour ses ports.<br />

Et tous ces hommes, instruits par l'expérience, créent au pays kaby<br />

le une méthode de pénétration, puis de domination, prélude d'une sou<br />

ple doctrine coloniale. Ils ont su entamer le bloc berbère par chemine<br />

ment d'influence, utilisant d'abord les puissants seigneurs de la bor<br />

dure. Ils ont fait disparaître peu à peu les djemaâs sous le manteau de<br />

grands caïds ; puis, lorsque ceux-ci se sont révélés trop peu dociles,<br />

ils ont su profiter des occasions favorables pour les remplacer pro<br />

gressivement par de petits caïds, contrôlés de plus près.<br />

L'intérêt du travail de Mademoiselle Zurcher est surtout d'avoir<br />

bien saisi ce problème du gouvernement des montagnards. Elle a mon<br />

tré comment notre politique coloniale est issue peu à peu de l'expé<br />

rience, a su s'adapter aux conditions locales, variant souvent selon les<br />

besoins du moment. Dure au début, elle a abouti à une réconciliation<br />

entre Français et Indigènes, réconciliation peut-être plus facile avec ces<br />

hommes qui avaient le plus longuement résisté, ceci pour plusieurs


aisons : parce qu'ils sont moins fanatiques que les Arabes, parce qu'ils<br />

ont toujours eu trop peu de ressources pour pouvoir se passer de, celles<br />

que procure l'émigration temporaire, et aussi parce qu'ils sont écono<br />

mes, prévoyants, souples, très aptes à acquérir des vertus, je dirai<br />

presque « bourgeoises ». lorsqu'ils ont la possibilité de bien connaître<br />

les Français.<br />

Si la Faculté des Lettres d'Alger a tenu à publier le mémoire pour<br />

le Diplôme d'Etudes supérieures présenté par Mademoiselle Zurcher,<br />

c'est parce qu'il constitue une contribution importante à Vhistoire de<br />

la politique indigène et des méthodes administratives de ta France en<br />

Algérie.<br />

Marcel EMERtT.


LA PACIFICATION ET L'ORGANISATION<br />

DE LA KABYLIE ORIENTALE DE 1838 A 1870<br />

INTRODUCTION<br />

La plupart des historiens qui se son t# consacrés à l'étude du pays<br />

kabyle, ont restreint leur sujet à la Kabylie du Djurdjura, négligeant de<br />

porter leurs regards sur la région montagneuse qui, s'étendant de la<br />

Summam jusqu'à l'oued Safsaf, est appelée généralement Kabylie<br />

Orientale. Les études historiques sur cette région n'ont jamais été que<br />

fragmentaires : monographies de villes établies par Ch. Feraud ; récits<br />

isolés de campagnes racontés par nos généraux dans leurs mémoires ;<br />

mais jamais l'étude historique de la Kabylie Orientale n'a été envisagée<br />

dans son ensemble.<br />

Il y<br />

avait donc un certain intérêt à relater l'histoire de la pacifica<br />

tion et de l'organisation de cette région, depuis notre arrivée dans la<br />

province de Constantine jusqu'en 1870. Et celte étude pouvait être con<br />

sidérée, sans aucun doute, indépendamment de la Grande Kabylie, car<br />

les différentes phases de sa conquête furent toujours très distinctes de<br />

celles du Djurdjura. Les principales campagnes militaires se firent<br />

toujours séparément dans les deux Kabylies, et nos généraux ne réalisè<br />

rent jamais de grande expédition embrassant ces deux théâtres à la fois.<br />

Au point de vue sociologique, les auteurs se sont généralement atta<br />

chés à observer et à décrire les coutumes kabyles là où elles s'étaient<br />

le mieux conservées, dans cette Kabylie du Djurdjura où les habitants<br />

ont gardé leur parler berbère. Ils ont peu cherché à discerner dans<br />

quelle mesure l'état politique et administratif de la Kabylie Orientale,<br />

ce pays de transition, avait pu être influencé par l'Islam, puis par<br />

l'autorité des Turcs.<br />

Il était donc utile de retracer l'histoire de cette région. Pays diffi<br />

cile, sa conquête fut entreprise tardivement comme en Grande Kabylie ;<br />

l'ère des grandes expéditions ne s'ouvre qu'en. 1850. La pacification fut<br />

longue et difficile : il fallut revenir souvent dans le pays pour maîtriser<br />

le feu incessant de la révolte,<br />

qui donna sa dernière flambée en 1864-


—<br />

— 10<br />

65. A partir de cette époque, le pays peut être considéré comme défini<br />

tivement soumis, car l'insurrection de 1871 est née de circonstances<br />

particulières sans rapport avec l'état d'esprit des Kabyles qui se révé<br />

lait excellent en 1870. C'est pourquoi j'ai arrêté à cette dernière date<br />

le récit des événements.<br />

Il est nécessaire aussi de justifier les limites géographiques données<br />

au terme de Kabylie Orientale. En désignant par ce seul mot tout le<br />

pays compris entre la Sùmmam à l'Ouest, et l'oued Safsaf à l'Est, j'ai<br />

négligé l'importance de la limite linguistique. qui, de Ziama-Mahsouria<br />

au djebel Babor, sépare un pays uniquement arabophone à l'Est, des<br />

régions à la fois berbérophones et arabophones de l'Ouest. Mais cette<br />

distinction n'a jamais eu de conséquence dans l'histoire de la conquête,<br />

dont le cadre déborde cette limite. L'étude historique de la région mon<br />

tagneuse, située entre la Summam et la vallée de l'oued Safsaf, pré<br />

sentait au contraire une telle unité, qu'il était impossible de ne pas en<br />

tenir compte.


PREMIERE PARTIE<br />

LES ORIGINES DE LA CONQUETE


LES ORIGINES DE LA CONQUETE<br />

CHAPITRE I<br />

ETAT DE LA KABYLIE ORIENTALE LORS DE NOTRE ARRIVEE<br />

A CONSTANTINE<br />

Le vaste ensemble montagneux que constitue la Kabylie Orientale,<br />

s'étend en bordure de la mer, de Bougie à Philippeville. Limité au Sud-<br />

Ouest par la chaîne des Biban, au Sud par les hautes plaines de Sétif<br />

et de Constantine, il est formé de plusieurs régions géographiques qui<br />

portent des noms différents.<br />

Tout à fait au Sud-Ouest, l'oued Bou-Sellam, affluent de l'oued<br />

Sahel, traverse le pays montagneux du Guergour, auquel fait suite, au<br />

Nord de Sétif, la Kabylie des Babors, appelée aussi Petite Kabylie.<br />

Région très pittoresque, ses plus hauts sommets sont constitués par des<br />

rochers calcaires que les Kabyles appellent azerou. Les chaînes forment<br />

une série de rides parallèles, grossièrement alignées d'Ouest en Est, et<br />

dont les points culminants sont le djebel Babor (2.004 m.) et le Taba-<br />

bor (1.965 m.).<br />

Le caractère le plus frappant de la topographie réside dans son<br />

aspect contrasté ; partout les crêtes aiguës côtoient de profondes val<br />

lées ; ces dénivellations considérables tériioignent d'une érosion intense.<br />

Parmi les torrents qui ravinent le versant septentrional de cette région,<br />

l'oued Agrioun est le plus remarquable. Il traverse les chaînes calcaires<br />

du djebel Takoucht à l'Ouest et de l'Adrar Amellal à l'Est, par le défilé<br />

étroit et profond du Chabet-el-Akhra, véritable « défilé de la mort »,<br />

impressionnante gorge longue de sept kilomètres, dominée par des mu<br />

railles qui s'élèvent à pic jusqu'à plusieurs centaines de mètres.<br />

Les montagnes s'étendent jusqu'au littoral, et donnent à la courbe<br />

majestueuse du golfe de Bougie, avec les caps Aokas, de Ziama et du<br />

djebel Breck à l'embouchure de l'oued Taza,<br />

beauté.<br />

un cachet d'une grandiose<br />

Du djebel Babor se détachent, vers l'Est, une série de contreforts<br />

élevés formant la ligne bien nette de la chaîne Numidique qui passe par<br />

le pic de Tamesguida, le djebel Affroun et le djebel Zarza, la chaîne du<br />

Zouagha, cœur du pays du même nom dont le rôle historique au cours<br />

de la conquête fut considérable. Cette série de chaînons constitue la<br />

ligne de partage des eaux de deux régions différentes : au Nord s'étend


_ 14<br />

—<br />

le pays qui forma, dès les premières années de notre conquête, le cercle<br />

de Djidjelli ; il est drainé par quelques rivières côtières dont les prin<br />

cipales sont l'oued Missa, qui se jette à la mer sous le nom d'oued Djin-<br />

djen, et l'oued Nil. Au Sud, au contraire, la plupart des rivières, comme<br />

l'oued Itéra et l'oued Endja, sont tributaires de l'oued El-Kébir. Là<br />

s'étendait, lors de notre arrivée, le pays du Ferdjioua, dont l'importance<br />

fut semblable, sinon supérieure, à celle du Zouagha.<br />

Entre l'oued El-Kébir et la vallée du Safsaf, s'élèvent les monts de<br />

la Kabylie de Collo, traversés dans leur partie médiane par la pittores<br />

que vallée du Guebli, qui sépare l'importante tribu des Béni Mehenna<br />

à l'Est de celle des Béni Toufout à l'Ouest. Au Sud de cette tribu, la<br />

chaîne Numidique se continue avec le djebel Aïcha et le kef Sidi-Dris.<br />

Au Nord, s'avance vers la mer, pour former le promontoire du cap<br />

Bougaroun, découpé et rocheux, le pâté de Collo dont le point culminant<br />

est le djebel Goufi.<br />

Toutes les montagnes de Kabylie Orientale, dressées en bordure<br />

de la mer, face aux vents pluvieux du Nord-Ouest, sont fortement arro<br />

sées ; les massifs les mieux exposés reçoivent plus d'un mètre d'eau<br />

par an, et en hiver la neige reste plusieurs semaines sur leurs sommets.<br />

Une telle humidité a permis le développement de vastes massifs fores<br />

tiers qui sont parmi les plus beaux de l'Algérie : « Les forêts de chênes-<br />

lièges se sont bien conservées sur les grès infertiles et sur les massifs<br />

schisteux très arrosés ; des chênes à feuilles caduques (zéen et affarès)<br />

egayent les versants creux les plus humides,<br />

et des bouquets de pins<br />

maritimes se dressent près du littoral ». Entre Djidjelli et Collo, les<br />

forêts sont très denses et le coefficient de boisement atteint 60 % ; les<br />

sous-bois sont touffus et presque impénétrables (1).<br />

A l'époque de leurs premiers contacts avec les Français, les Kabyles<br />

qui habitent ces régions sont encore très sauvages. Sédentaires, ils ont<br />

leurs habitations fixées au sol, mais les vastes forêts ont été un obstacle<br />

à la formation de gros villages ; et si dans le Guergour,<br />

et certaines<br />

parties du Babor, quelques villages aux maisons de pierre solidement<br />

construites rappellent encore ceux de Grande Kabylie, à partir du ver<br />

sant oriental du Babor jusqu'à la vallée du Safsaf, les indigènes habi<br />

tent presque toujours des gourbis faits de branchages enduits d'argile<br />

ou de bouse de vache,<br />

de diss.<br />

ou bien des huttes de pierre sèche recouvertes<br />

Leur genre de vie révèle une pauvreté extrême : ils ne peuvent<br />

trouver, dans un pays aussi accidenté, de grandes étendues de terre<br />

labourable, et l'acidité du sol qui manque de chaux ne permet guère<br />

de riches cultures. Aussi les récoltes de céréales sont-elles peu abon<br />

dantes, sauf peut-être celle du sorgho ; leurs méthodes de travail sont<br />

d'ailleurs rudimentaires : elles se bornent à un défonçage superficiel<br />

du sol avec la vieille araire, tirée par des bêtes de somme, mulets ou<br />

bovins, parfois par les hommes eux-mêmes.<br />

(1) Voir carte VIII.


— 15-<br />

Leur économie repose avant tout sur l'arboriculture, parce que dans<br />

ce pays humide et tempéré, les arbres fruitiers trouvent des conditions<br />

favorables. Les produits des oliviers et des figuiers forment le fond<br />

de l'alimentation des Kabyles, et leur servent de produits d'échange<br />

contré le grain qui vient des hautes plaines constantinoises. Ces indi<br />

gènes complètent leur nourriture par des produits de cueillette : les<br />

glands doux des chênes de la forêt, et certaines tubercules sauvages<br />

aguerni, qu'ils mangent crues ou bien bouillies, ou encore réduites en<br />

farine. Ils pratiquent l'élevage des chèvres et de quelques vaches ;<br />

l'apiculture est aussi en honneur.<br />

Toute cette Kabylie orientale, essentiellement montagneuse et dif<br />

ficile d'accès, présentait, lors de notre arrivée à Constantine, un régime<br />

politique profondément original.<br />

Tandis qu'en Grande Kabylie les institutions étaient essentielle<br />

ment démocratiques, il y avait en Kabylie Orientale coexistence de<br />

deux sortes de gouvernements suivant les régions, l'une de tendance<br />

démocratique, comme en Grande Kabylie, l'autre monarchique.<br />

Pierre Castellane, qui a nettement vu cette distinction, écrit : « Ce<br />

pays offre le singulier contraste de grands feudataires rappelant les<br />

ducs de Bourgogne et de Bretagne de notre ancienne France, et entou<br />

rant une contrée dont toutes les institutions sont essentiellement répu<br />

blicaines, dans la plus large acception du mot » (1).<br />

Carette avait aussi, d'une façon plus générale, distingué, dans la<br />

province de Constantine, deux sortes de groupes (2) : des groupes dy<br />

nastiques,<br />

« groupes de tribus relevant d'une seule famille suzeraine<br />

qui les gouverné héréditairement », et des groupes fédératifs,<br />

des premiers en ce que le pacte d'union,<br />

à une seule famille,<br />

ble en une seule tribu ;<br />

« différant<br />

au lieu d'attacher les tribus<br />

attache toutes les familles entre elles et les rassem<br />

commune, celui de la solidarité mutuelle ».<br />

en ce qu'il substitue, au lien d'une dépendance<br />

Les groupes fédératifs, fort nombreux, comprenaient toutes les tri<br />

bus dii Guergour, celles des deux rives de l'oued Agrioun et de la région<br />

de Djidjelli. Ce même mode de groupement se retrouvait dans la vallée<br />

inférieure de l'oued El-Kébir, et dans toute la région comprise entre<br />

cette rivière et l'oued Safsaf. Bref, toute la Kabylie Orientale, hormis<br />

les deux territoires du Ferdjioua et du Zouagha, connaissait un gou<br />

vernement à tendance démocratique, où s'étaient conservées, presque<br />

dans toute leur pureté, les vieilles coutumes berbères. Là, comme en<br />

Grande Kabylie, la véritable cellule politique est le village, groupement<br />

dé plusieurs familles. Chaque village se dirige lui-même par une petite<br />

assemblée, la djemaâ, composée en principe de tous les hommes adultes.<br />

Cette djemaâ n'a pas de chef ; elle n'est présidée par personne. Cepen<br />

dant, peu à peu, une voix prévaut, un homme s'impose par son autorité :<br />

. (1) Comte Louis-Charles-Pierre de Casteliane : La dernière expédition de<br />

Kabylie (Revue des Deux Mondes, juillet 1851).<br />

(2) Carptte : Notice sur la division territoriale de l'Algérie. (Tableau de la<br />

situation des Etablissements Français en Algérie, année 1844-45). .


— - 16<br />

il n'est pas un chef mais simplement un primus inter pares, c'est Vamin<br />

appelé cheikh dans toutes les tribus arabophones de Kabylie Orien<br />

tale (1).<br />

La réunion de ce cheikh avec les personnages les plus importants<br />

de la djemaâ constitue une sorte de conseil restreint, de comité exécutif<br />

qui est la voix de la djemaâ.<br />

Car si, dans cette assemblée, l'égalité des droits règne en principe<br />

(ce qui a permis à beaucoup de sociologues de vanter la forme républi<br />

caine des institutions berbères), en fait, tout repose sur les inégalités<br />

sociales. Tous les membres de la djemaâ n'ont pas les mêmes droits à<br />

la parole. Une telle importance est attribuée à l'influence de l'âge ou<br />

de la fortune, de la naissance ou de la profession, que le village est en<br />

réalité gouverné, non par tous les hommes adultes, mais par une petite<br />

poignée de notables. C'est ainsi que les personnes âgées, riches d'expé<br />

rience, sont plus écoutées que les jeunes gens ; un homme jouissant<br />

d'une aisance relative, sera réputé supérieur à un homme sans fortune ;<br />

l'avis du guerrier brave prévaudra sur celui du simple fellah, ou sur les<br />

paroles d'un boucher, d'un forgeron, d'un danseur, dont les professions<br />

sont considérées comme méprisables. Les marabouts, grâce à leur nais<br />

sance privilégiée, ont droit à une grande déférence.<br />

Cette assemblée fonctionne régulièrement : elle se réunit une fois<br />

par semaine, généralement le jour du marché ou le lendemain, pour<br />

avoir la possibilité de délibérer sur les nouvelles apprises. Son lieu de<br />

réunion varie, soit en plein air près du marché, soit dans une maison<br />

commune,<br />

très'<br />

souvent aussi dans la mosquée.<br />

C'est la djemaâ qui détient tous les pouvoirs, législatif, exécutif et<br />

judiciaire. Sa compétence est illimitée. Elle a le droit d'édicter, c'est-à-<br />

dire de faire des règlements nouveaux, ou bien d'abroger ou de modifier<br />

les anciens. Elle décide de la paix ou de la guerre ; vote les impôts, en<br />

fixe la quotité, le mode de répartition et l'emploi. Les agents se char<br />

gent de l'exécution des décisions de l'assemblée. Elle a aussi l'exercice<br />

du pouvoir judiciaire. " Tribunal criminel, correctionnel et de simple<br />

police, elle connaît des crimes, délits et contraventions, prononce la<br />

peine de mort, et punit d'amende les moindres infractions aux règle<br />

ments de voirie municipale.<br />

« Appelée à s'occuper, comme juge, des affaires civiles, elle statue<br />

elle-même ou délègue ses pouvoirs à des juges-arbitres ; dans tous les<br />

cas elle se réserve l'exécution et joue un rôle prépondérant...<br />

» (2).<br />

Ces actions se font suivant une règle résultant de Yâda ou coutume.<br />

Celle-ci s'est constituée, progressivement, de tous les faits particuliers<br />

observés, et s'enrichit constamment. En accord avec elle, la djemaâ<br />

formule certaines prescriptions qui sont bien plus souvent des interdits<br />

(1) Souvent, les djemaâ des villages d'une même tribu éprouvent le besoin<br />

de se réunir en une seule assemblée, la djemaâ de la tribu, où s'impose le cheikh<br />

du village le plus important.<br />

(2) Ha.noteau et<br />

1893, tome II, p. 25.<br />

Letourneux : La Kabylie et les coutumes kabyles, Paris


- 17<br />

-<br />

que des règles positives. Le recueil de ces prescriptions particulières à<br />

chaque village constitue un kanoun. Ce code a un caractère de mobilité<br />

permanente, car il s'enrichit constamment de prescriptions ayant leur<br />

origine dans des faits particuliers observés, généralisés,<br />

sous forme d'interdits.<br />

par la suite,<br />

Chaque kanoun a d'ailleurs, le pins souvent, une forme orale ; il<br />

est conservé par les anciens qui savent le retenir et le réciter. Parfois,<br />

cependant, il est écrit par les tolba (1) ou savants, non en langue ber<br />

bère qui ne s'écrit pas, mais en caractères arabes. On a retrouvé en<br />

effet plusieurs de ces textes, dans divers endroits de la Kabylie Orientale.<br />

Entre Siliana et El-Milia, Ch. Féraud a recueilli, dans le canton de<br />

Sidi-Mârouf, lors de la campagne de 1860 dans celte région, un fragment<br />

de kanoun écrit en arabe, et appartenant à une fraction de la tribu des<br />

Beni-Aïcha (2). Luciani a découvert aussi, chez les Ouled Athia de l'oued<br />

Zhour, un certain nombre d'articles analogues, appartenant à cette tri<br />

bu (3). Dans la région du cap Aokas, Rahmani Slimane a recueilli les<br />

kanoun des Beni-Ahmed et Beni-Amrous. Enfin, M. Ph. Marçais a re<br />

trouvé, dans la région de Djidjelli, des articles de ce genre, portant sur<br />

les usages collectifs.<br />

Tous ces textes écrits permettent d'affirmer dans ce pays pourtant<br />

arabophone dans la majeure partie de son étendue, la survivance, dans<br />

toute leur pureté, des coutumes berbères. L'Islam a pu donner à ce<br />

peuple la religion du Coran, il n'a pu détruire le naturel même de cette<br />

race, incarné dans un esprit d'indépendance si vivace, qu'il ne peut<br />

supporter aucune tutelle. La djemaâ elle-même,<br />

souveraine en principe,<br />

est en fait soumise aux influences politiques des différents çofs ou<br />

partis qui se forment dans le pays. L'importance de ces çofs est consi<br />

dérable : ils déchaînent, dans leurs querelles permanentes, des guerres<br />

continuelles entre les tribus voisines. Aucun lien de solidarité n'existe<br />

entre elles, et l'on ne retrouve pas, en Kabylie Orientale, de vastes con<br />

fédérations analogues à celle des Zouaoua,<br />

en Grande Kabylie.<br />

L'humeur indépendante et belliqueuse de ces tribus se manifeste<br />

aussi dans leur haine d'une domination étrangère. Au cours du xvnr<br />

siècle, les Turcs essayèrent en vain de leur imposer leur domination.<br />

L'autorité du caïd de Bougie et celle du bey de Constantine, entre les<br />

quelles le pays était partagé, ne furent jamais qu'illusoires,<br />

et la plu<br />

part des tribus ne payèrent jamais d'impôt au gouvernement turc. En<br />

1804, la tentative d'Osman Bey, dans la valiée de l'oued El-Kébir, se<br />

termina par une catastrophe. Son armée fut massacrée et lui-même y<br />

perdit la vie. Mila était la seule ville de Kabylie Orientale aux mains<br />

des Turcs. A Djidjelli, ils avaient établi également une faible garnison ;<br />

mais, privée de rapports avec les tribus des environs, elle devait se<br />

faire ravitailler par la mer ; elle fut d'ailleurs évacuée en 1830.<br />

(1)<br />

Tolba : pluriel de Taleb (savant).<br />

(2) Ch. Féraud : Jl'Iœurs et coutumes kabi/les (P.evue Africaine) 1802.<br />

(3)<br />

Luciani : Les Ouled-Athia de l'Oued Zhour (Revue Africaine) 1889.


- 18-<br />

Ainsi, à notre, arrivée dans la province de Constantine,<br />

nous trou<br />

vions devant nous un pays d'accès difficile, habité par des populations<br />

belliqueuses et jalouses d'une indépendance qu'elles<br />

garder pendant des siècles. Ces motifs ne nous<br />

avaient su sauve<br />

encourageaient guère à<br />

une conquête immédiate du pays. Il était plus sage d'attendre et de<br />

.soumettre auparavant des région h plus abordables.<br />

A côté de ces groupes fédératifs existaient deux Etats jouissant<br />

d'un régime politique profondément différent. Le Ferdjioua et le-Zoua-<br />

gha sont les « groupes dynastiques » indiqués par Carette, gouvernés<br />

héréditairement chacun par une famille jouissant d'un pouvoir absolu.<br />

El Iladj Ahmed Bon Akkas, de la famille des Ouled Achour, était seul<br />

maître du Ferdjioua, comme l'étaient dans le Zouagha, Mahammed et<br />

Bon Renan, de la famille des Ouled Azzedin. Ces chefs indigènes étaient<br />

« la loi vivante » dans leur pays. Ils légiféraient à leur gré, faisaient<br />

administrer la justice en leur nom, s'arrogeaient même le droit de vie<br />

et de mort sur leurs suje.'s. La répartition des terres de labour et les<br />

questions d'impôts se réglaient selon leur bon plaisir. Les tribus qu'ils<br />

gouvernaient gardaient leurs djemaâ, mais le pouvoir de ces assem<br />

blées était anéanti par celui du seigneur du pays, qui faisait des cheikhs<br />

ses propres créatures.<br />

L'origine de ces commandements résidait dans le mode de gouver<br />

nement des Turcs. Disposant de forces trop restreintes pour se hasarder<br />

à conquérir la Kabylie Orientale, le bey de Constantine chercha à y<br />

exercer indirectement son autorité, en favorisant certaines familles in<br />

digènes dans leur volonté d'accroître leur puissance aux dépens de<br />

leurs voisins. Ainsi les Ouled Achour et les Oùled Azzedin purent se<br />

constituer de vastes commandements,<br />

avantage au bey<br />

n accordant en retour d'autre<br />

que la soumission des tribus qu'ils gouvernaient.<br />

La formation de ces grands commandements était un fait relative<br />

ment récent. En 1790, le Ferdjioua n'était encore qu'un simple cheikhat<br />

sans grande importance. Les premiers membres de la famille des Ouled<br />

Achour contribuèrent assez peu à l'agrandissement de leur commande<br />

ment. Mais en 1834, le nouveau cheikh El Hadj Ahmed Bou Akkas ma<br />

nifesta immédiatement sa forte personnalité et son tempérament vi<br />

goureux, en se débarrassant, par l'assassinat de son cousin, compéti<br />

teur à la succession du cheikhat. Doué d'une intelligence peu ordinaire,<br />

il sut organiser son pays, s'entoura d'une nombreuse cavalerie, équipée<br />

et montée à ses frais, et avec ces moyens, travailla à l'accroissement<br />

de son territoire ; l'occupation par nos armes de Constantine et de<br />

Sétif ne l'arrêta pas dans son œuvre. Il soumit ainsi toutes les tribus<br />

autour du Ferdjioua proprement dit : Zarza à l'Est ; Beni-Medjaled,<br />

Iîicbia et leurs voisines ; Beni-Merouan, Talha et Maouïa au Sud. Son<br />

territoire s'étendit bientôt à l'Est jusqu'au col de Fedoulès et à la lisière<br />

du Zouagha ; au Nord, jusqu'au cours supérieur de l'oued Missa ; vers<br />

l'Ouest, la limite de son territoire, évitant la crête de Tababor, envelop<br />

pait le djebel Babor pour arriver jusqu'à la boucle de l'oued Berd. Au


Sud et au Sud-Est,<br />

— — 19<br />

i<br />

son autorité débordait hors des montagnes kabyles,<br />

dans les hautes plaines constantinoises.<br />

Cette puissance considérable, Bou Akkas l'avait acquise avec l'ap<br />

pui du bey, qui avait fait de ce chef indigène une sorte de khalifa,<br />

chargé d'assurer la soumission d'une partie du pays rebelle. En revan<br />

che, Bou Akkas se montra dévoué au bey, et lui prêta son concours en<br />

1836 et 1837, lorsque notre armée se présenta devant Constantine.<br />

Ainsi, en peu de temps, ce chef remarquable avait plus que doublé<br />

l'étendue de son commandement et, par ce vaste territoire placé entre<br />

Djidjelli et Sétif, il se trouvait maître des relations entre ces deux<br />

villes. Il était donc un sérieux obstacle à une conquête éventuelle de<br />

la Kabylie Orientale.<br />

A l'Est du Ferdjioua, Tes Turcs avaient favorisé dans le Zouagha<br />

l'avènement d'une deuxième puissance, celle des Ouled Azzedin. Cette<br />

famille commence à jouer un rôle historique vers 1800. Nacer,<br />

chef de<br />

bande et pillard redouté de ses voisins, avait choisi comme lieu de re<br />

fuge les pentes abruptes de la rive gauche de l'oued Endja (1). Forte<br />

ment établi sur le versant Sud du Zouagha, il commandait les passages<br />

de la rivière, se faisant ainsi le maître des communications entre Cons<br />

tantine et Djidjelli. Il pouvait en outre inquiéter facilement les deux<br />

centres de Mila et Constantine, situés à proximité de s'on territoire, com<br />

me aussi les relations des Turcs entre Constantine et la mer, par la<br />

vallée de l'oued Safsaf. Le bey<br />

ce chef de bande, préféra obtenir sa soumission en consacrant officiel<br />

lement son pouvoir qu'il rendit héréditaire.<br />

se reconnaissant impuissant à soumettre<br />

A sa mort, le gouvernement turc, qui s'était réservé le droit de no<br />

mination des descendants, fractionna le commandement de Nacer en<br />

tre deux branches de. la même famille. Des rivalités,<br />

de la politique turque,<br />

qui firent le jeu<br />

s'en suivirent jusqu'en 1826. A cette date,, le<br />

nouveau bey El Hadj Ahmed, très lié d'amitié avec Azzedin, un des<br />

membres de la famille, rompit avec la politique traditionnelle, fit d'Az-<br />

zedin le seul chef du Zouagha en destituant son rival, et lui procura<br />

même les moyens matériels de fortifier son pouvoir, A la mort d'<br />

Azze<br />

din, Mahamriied, son frère, reçut la succession du Zouagha, mais le<br />

bey, pour satisfaire l'ambition du plus jeune des trois frères, Bou-Benan,<br />

donna à ce dernier le commandement des tribus de la vallée de l'oued<br />

El-Kébir, et le nomma caïd de Mila, petite ville pourtant peuplée d'in<br />

valides turcs. Par cette mesure, la puissance des deux frères Ben Azzedin<br />

se trouva désormais solidement établie.<br />

Ainsi, à notre arrivée à Constantine,<br />

nous trouvâmes en face de<br />

nous deux vastes fiefs héréditaires, nous rappelant, comme le fait re<br />

marquer Castellane,<br />

ceux des ducs de Bourgogne et de Bretagne de<br />

notre ancienne France. Ils étaient régis suivant le vieux droit féodal :<br />

le bey était le suzerain ; Bou Akkas, Mahammed et Bou Benan ben<br />

Azzedin, ses grands vassaux.<br />

(1) Oue'd Endja, affluent de rive gauche de l'Oued-el-Kébir,


-<br />

—<br />

— 20<br />

La situation politique de là Kabylie Orientale se révélait donc très<br />

originale par la coexistence d'une région ayant gardé intacts ses vieux<br />

principes démocratiques, et d'une autre qui, par sa proximité de Cons<br />

tantine, avait été directement influencée par la politique turque, au<br />

point de subir une domination seigneuriale absolue.<br />

L'étal moral et intellectuel de la région n'avait au contraire pas<br />

lieu de nous surprendre. Les Kabyles, au cours des invasions arabes<br />

du Moyen- Age, embrassèrent la religion de l'Islam et,<br />

par suite, leur<br />

mode de vie intellectuelle et religieuse présentait de grandes affinités<br />

avec celle des Arabes. La religion musulmane n a certes pas eu autant<br />

de prise sur les Kabyles que sur les Arabes. Les Berbères n'en ont<br />

adopté que les formes extérieures ; ils sont moins croyants et ne pra<br />

tiquent pas scrupuleusement toutes les règles imposées par le Coran.<br />

Cependant, chez eux aussi les marabouts, prêtres de leur religion, jouis<br />

sent d'une grande vénération.<br />

Ces marabouts locaux, indépendants les uns des autres, doivent<br />

leur situation à leur naissance ; ils sont les héritiers d'un ancêtre, chérif<br />

ou ouali, saint vénéré dans le pays, et vivent généralement près du<br />

tombeau de leur ancêtre, devenu un lieu de culte très fréquenté. Cette<br />

qualité héréditaire ne peut jamais s'acquérir pendant la vie, quelque<br />

vertueux qu'on puisse être ; aussi les marabouts diffèrent-ils souvent<br />

les uns des autres par leur valeur personnelle. Certains n'ont qu'une in<br />

fluence très limitée ; d'autres, au contraire,<br />

exercent une autorité mo<br />

rale et religieuse considérable et dans un périmètre très étendu. Bien<br />

souvent même ils sont amenés à jouer un rôle politique. Ils sont en<br />

effet très écoutés à la djemaâ, et sont fréquemment pris comme arbitres<br />

dans les querelles permanentes entre les tribus ou les particuliers, car<br />

leur neutralité habituelle dans les passions politiques leur permet, le mo<br />

ment venu, de s'interposer et de faire respecter leur décision. D'ailleurs,<br />

avant de rendre leur sentence, ils essayent tous; les moyens de concilia<br />

tion entre les deux partis. En Kabylie Orientale, le marabout le plus<br />

renommé était, au Sud-Est de Djidjelli, Mouley-Chekfa, de la tribu des<br />

Beni-Ider. Très vénéré dans le pays, il cherchait à jouer un rôle politi<br />

que important, sems toujours y réussir,<br />

car s'il était le maître incontesté<br />

de sa tribu, tous les voisins des Beni-Ider étaient au contraire constam<br />

ment en guerre contre le marabout,<br />

pendance.<br />

De même qu'en pays arabe, certains marabouts,<br />

pour sauvegarder leur indé<br />

en Kabylie Orien<br />

tale, étaient réputés pour leur savoir. Le seul enseignement donné à<br />

cette époque résidait entre leurs mains, et les zaouïa,<br />

qui leur apparte<br />

naient, n'étaient pas que de simples monastères, mais aussi des écoles.<br />

Toutes les zaouïa n'avaient certes pas une égale importance. Quelques-<br />

unes seulement « tenaient à la fois des monastères et des universités du<br />

Moyen-Age » (1). Des professeurs y enseignaient, sous la direction des<br />

(1) Louis Rinn : Marabouts et Khouan (Etudes sur l'Islam en Algérie), Alger<br />

1884, p. 18.-


_ — 21<br />

marabouts, le Coran, le droit musulman et la grammaire, et des étu<br />

diants ou tolba venaient s'instruire aux zaouïa. En Kabylie Orientale,<br />

on comptait plusieurs de ces centres intellectuels: dans la région de Col<br />

lo, la zaouïa de Sidi-el-Goufi comprenait un certain nombre de person<br />

nages spécialisés dans le droit musulman; près de Mila,<br />

se trouvait le<br />

centre important de Sidi-Khelifa, dont le rayonnement survivra à la con<br />

quête; il en est de même dans la vallée de la Summam, des zaouïa de Sidi-Moussa<br />

et de Sidi-Ahmed-Zerrouq. Enfin, chez les Beni-Ider, près de<br />

l'actuel village de Chekfa, la zaouïa de Mouley-Chefka possédait de<br />

pieux lettrés, dont il est difficile de déterminer la véritable importance.<br />

Si elle était brillante avant la conquête, elle ne survécut pas à la desti<br />

tution de Mouley-Chekfa par notre autorité, et disparut peu après. Il<br />

faut signaler aussi d'autres centres beaucoup plus rudimentaires, près du<br />

village actuel de Lafayette et de Djemaâ-Mansouria. Au total, ces zaouïa<br />

étaient peu nombreuses et leur action limitée à une élite restreinte de la<br />

société kabyle. La masse de la population restait ignorante et grossière.<br />

Au début de la conquête, aucun autre élément ne contrebalançait<br />

l'autorité toute puissante des marabouts en matière religieuse, morale<br />

et intellectuelle. Les Khouan (1) étaient peu nombreux, car l'ordre deli-<br />

gieux des Bahmanya, fondé par Si-Abd-er-Bahman, en Grande Kabylie,<br />

n'avait encore qu'une faible extension. La conquête française, nous le<br />

verrons, se chargera de renverser les rôles.<br />

Tel était, en 1837, ce pays de Kabylie Orientale que nos armées,<br />

après leur arrivée à Constantine, trouvaient en face d'elles et qu'elles<br />

auraient à soumettre un jour ou l'autre.<br />

(1)<br />

Khouan : Frères, c'est-à-dire adeptes d'un ordre religieux.


CHAPITBE II<br />

PREMIERS CONTACTS AVEC LA KABYLIE ORIENTALE<br />

Conscients des difficultés qui les attendaient, nos généraux s'aven<br />

turèrent peu en Kabylie Orientale pendant les premières années. Dans<br />

l'intérieur comme sur le littoral, la plupart de nos postes permanents<br />

furent établis hors du massif montagneux, tout au plus à la lisière du<br />

pays kabyle.<br />

L'occupation de Constantine par le maréchal Valée, le 13 octobre<br />

1837, ne nous entraîna guère dans une politique aventureuse à l'égard<br />

de la Kabylie. La petite armée qui occupait la ville, bien vite décimée<br />

par le choléra, nous contraignit à une occupation restreinte à Constan<br />

tine et à ses environs immédiats. Un an après seulement, le général<br />

Galbois, commandant supérieur des troupes de la province, se hasarda<br />

à occuper Mila, à l'entrée des montagnes kabyles. Les janissaires que<br />

le gouvernement turc avait établis dans cette petite ville, s'étaient ma<br />

riés avec les femmes du pays, et y avaient souche. En 1838, Mila était<br />

donc peuplée de Koulouglis qui, loin d'avoir l'humeur guerrière des ha<br />

bitants de la montagne, n'aspiraient qu'à une vie tranquille. Aussi se<br />

soumirent-ils sans difficulté, et vinrent-ils même aux devants de la<br />

petite colonne, le 22 octobre.<br />

Mais on ne pouvait espérer pareille facilité de conquête dans le<br />

reste du pays. Une deuxième tentative de pénétration nous le prouva<br />

d'ailleurs amplement .En décembre<br />

1838, lors d'une première reconnais<br />

sance sur Sétif, la colonne emprunta le chemin de la montagne, par<br />

Mila. Arrivé à Djémila, le général y laissa une petite garnison, avec<br />

l'arrière-pensée d'y<br />

établir un poste permanent destiné à faciliter les<br />

relations entre Constantine et Sétif. Mais les soldats eurent à peine le<br />

temps d'élever un mur autour du camp, qu'ils furent attaqués par les<br />

Kabyles de la région. Le commandant Chadeysson et ses hommes résis<br />

tèrent avec un magnifique courage, du 18 au 22 décembre, aux assauts<br />

répétés des ennemis qui cernaient le poste de toutes parts, et empê<br />

chaient nos soldats d'aller se ravitailler en eau à la source qui coulait<br />

hors des lignes de défense. Aussi étaient-ils condamnés à mourir de<br />

soif, avant même d'être exterminés par les Kabyles, lorsqu'ils furent<br />

délivrés d'une façon bien inattendue, avant l'arrivée des renforts en<br />

voyés par le général Galbois, inquiet du sort de la garnison. Bou Akkas,<br />

Cheikh du Ferdjioua, dont le territoire s'étendait jusqu'à Djémila, avait<br />

ordonné brusquement aux Kabyles de cesser le feu. Par un tel acte, ce<br />

chef inaugurait la politique de double jeu qu'il allait tenir désormais<br />

à notre égard. Il avait voulu, par cette intervention, nous témoigner ses


— — 23<br />

bonnes intentions, mais sa décision était trop<br />

tardive pour être spon<br />

tanée. Pendant cinq jours, il avait toléré l'attaque de notre camp pour<br />

décourager nos tentatives dans cette région. Sa tactique réussit, le<br />

poste fut évacué. Il ne fut réoccupé définitivement que l'année suivante.<br />

Cette première expérience nous donna, dès le début, la perspective<br />

des difficultés à vaincre et dès efforts à fournir, dans une conquête<br />

éventuelle de. la Kabylie Orientale. Après notre installation définitive<br />

à Sétif, on chercha à proléger ce centre vers l'Ouest, en établissant un<br />

camp à Aïn-Turc, sur l'oued Bou-Sellam, à l'entrée des montagnes du<br />

Guergour. Ce nouvel essai, réalisé en mai 1840, provoqua, comme à<br />

Djémila, une grande effervescence parmi les montagnards qui se li<br />

vrèrent à des attaques répétées sur le camp. Cette résistance soudaine<br />

nous détermina à évacuer le poste. La position,<br />

d'ailleurs mal choisie,<br />

d'<br />

ne nous engagea pas à renouveler la tentative, et le camp Aïn-Turc<br />

ne fut jamais réoccupé.<br />

Ainsi, du côté de l'intérieur, les deux petits postes de Mila et Djémila<br />

restèrent nos seuls établissements permanents de Kabylie Orientale,<br />

jusqu'en 1850.<br />

Avions-nous élé plus heureux dans nos tentatives d'établissement<br />

sur le littoral ? De ce côté, nos essais furent tardifs : avant de jeter<br />

les yeux sur Djidjelli ou Collo, nous avions dirigé nos efforts aux portes<br />

de la Kabylie Orientale, sur Bougie d'abord, puis sur la baie de Stora.<br />

Le port de Bougie offrait plus d'avantages que celui de Djidjelli.<br />

Situé au fond d'un golfe large et profond, il était bien protégé des vents<br />

de Nord-Ouest par le djebel Gouraya, dont les arêtes montagneuses,<br />

s'avançant dans la mer, forment les caps Carbon et Bouak. C'était un<br />

abri sûr et plus spacieux que le port de Djidjelli disposant, pour toute<br />

protection, de l'étroite presqu'île servant de site à la petite ville. C'est<br />

pourquoi, dès le 30 septembre 1833, un corps expéditionnaire, débarqué<br />

à Bougie, avait pris possession de la ville, où une garnison était main<br />

tenue depuis en permanence.<br />

En 1838, le maréchal Valée, voulant donner à Constantine un dé<br />

bouché maritime, fixa son choix sur la baie de Stora. Celle de Collo,<br />

sur le littoral kabyle,<br />

baie profonde,<br />

offrait pourtant plus d'avantages. Au fond d'une<br />

ce petit port possédait une rade très sûre et bien abritée<br />

des vents du Nord-Ouest, par les hauteurs du djebel Si-Achour. C'était,<br />

en somme, la répétition, en plus petit, du site de Bougie. Nous aurions<br />

pu bénéficier, en outre, du trafic existant déjà dans la petite ville in<br />

digène, alors que la population de Stora se réduisait à quelques habi<br />

tations insignifiantes. Mais le maréchal Valée sut discerner, dans une<br />

occupation éventuelle de Collo, des obstacles impossibles à vaincre avec<br />

les moyens dont il disposait. Ce port, situé au cœur des montagnes ka<br />

byles, ne pouvait avoir que de difficiles relations avec Consfantine, par<br />

la vallée de l'oued Guebli très resserrée et habitée sur ses deux rives<br />

par des populations belliqueuses. Du côté de Stora, les obstacles étaient<br />

moins grands. Dans la vallée supérieure de l'oued Safsaf, située hors<br />

des montagnes kabyles, le gouvernement turc avait pu étendre son au-


— — 24<br />

torité jusqu'à El-Arrouch, et constituer la terre en azels, domaines<br />

d'Etat,<br />

qu'il donnait à cultiver à ses sujets, moyennant un loyer. Sur<br />

ces terres vivait une population assez hétérogène, mélange de cultiva<br />

teurs arabes et kabyles,<br />

sans lien entre eux et d'humeur pacifique. Le<br />

cours inférieur du Safsaf, d'El-Arrouch à la mer, était à peu près vide<br />

d'hommes à cause des vastes marécages qui s'y étendaient et déga<br />

geaient des miasmes pestilentiels. Mais cet obstacle était, à tout prendre,<br />

plus facile à vaincre que celui des tribus guerrières de l'oued Guebli.<br />

Aussi le maréchal Valée fixa-l-il son choix sur la baie de Stora, remet<br />

tant à plus tard l'occupation de Collo.<br />

Après une première reconnaissance effectuée sur Stora en avril<br />

1838 par le général Négrier, et des travaux de route poussés de<br />

Constantine jusqu'à El-Kantour, le maréchal Valée, venu lui-même<br />

prendre le commandement des troupes, se dirigea vers le golfe,<br />

où il<br />

arriva le 7 octobre. Il reconnut bientôt que, du côté de Stora, la côte<br />

était trop abrupte pour y fonder une ville destinée à prendre de l'im<br />

portance. Il fixa son choix sur l'emplacement de l'ancienne ville romai<br />

ne de Busicada, sur lequel il avait établi son camp. Ainsi fut fondé Phi-<br />

lippeville, dont le développement va nuire à celui de Collo, condamné<br />

par un sort étrange à échapper à notre domination pendant vingt-et-un<br />

ans encore.<br />

Le littoral de Kabylie Orientale, abrupt et peu hospitalier, était donc<br />

peu fait pour nous engager à y débarquer. En 1839 cependant,<br />

on se<br />

décida à occuper le port de Djidjelli. La cause immédiate de cette ex<br />

pédition fut le naufrage d'un brick français, l'« Indépendant », le 1er<br />

janvier 1839, au large de cette ville. Le navire avait été pillé par les<br />

Kabyles qui s'étaient emparés des naufragés et n'acceptaient de les<br />

relâcher que moyennant rançon. Ces motifs nous décidèrent à venger<br />

l'injure en prenant Djidjelli dès le début de la belle saison. D'autres<br />

raisons d'ailleurs nous y poussaient : dès 1839, année concluante dans<br />

l'histoire de la conquête de l'Algérie, nous décidions de continuer l'en<br />

treprise commencée, et de la mener à bien en écartant toute idée d'éva<br />

cuation. Nous étions ainsi amenés à étendre insensiblement notre con<br />

quête, en occupant les principales villes du littoral ; la prise de Djidjelli<br />

entrait dans notre programme. Nous pensions aussi, dans notre médio<br />

cre connaissance de la race kabyle, que le châtiment des tribus de cette<br />

région servirait d'exemple aux autres montagnards kabyles qui cher<br />

chaient à inquiéter nos établissements de l'intérieur. En même temps,<br />

Sétif et Constantine bénéficieraient d'un débouché important,<br />

si les<br />

relations pouvaient s'établir entre Djidjelli et ces deux villes. Alors<br />

naît pour la première fois dans l'esprit du maréchal Valée l'idée de<br />

tenter la traversée du territoire kabyle, de Constantine à Djidjelli. Pen<br />

dant qu'un contingent, venu par mer de Philippeville, débarquerait à<br />

Djidjelli, sous la direction du chef d'Elat-Major de Salles, une colonne<br />

aux ordres du généra'l Galbois, opérant par terre, traverserait les mon<br />

tagnes de Mila à Djidjelli.


— — 2S<br />

Ce plan ne réussit qu'en partie. Le corps expéditionnaire, venu par<br />

mer, débarqua sans grandes difficultés le 13 mai 1839, pendant que,<br />

de leur côté, les commandants supérieurs de Bougie et de Philippeville<br />

manœuvraient pour détourner l'attention des Kabyles du point menacé.<br />

A Djidjelli, nos troupes prirent rapidement possession des collines au<br />

Sud de la ville, et commencèrent aussitôt les travaux de défense. Mais<br />

la colonne du général Galbois ne put arriver à destination par voie de<br />

terre, comme il avait été décidé. Les lieutenants de l'Emir Abd-el-Kader<br />

s'étaient montrés, dit-on, entre Djémila et Sétif : il avait fallu abandon<br />

ner le projet pour aller les chasser. En fait, il semble bien que la crainte<br />

ou la prudence retint le général Galbois, plus que tout autre chose. Ne<br />

trouvant aucun chemin capable de faciliter son parcours dans des mon<br />

tagnes très accidentées, il abandonna sa mission.<br />

Pour la première fois, cependant, l'occupation de Djidjelli nous<br />

faisait pénétrer au cœur même du pays kabyle, et pouvait servir de<br />

base à une conquête éventuelle de la région. Malheureusement, cette<br />

place subit un sort analogue à celui de Bougie où, depuis 1833, la gar<br />

nison n'avait pu réaliser aucun progrès en dehors de la ville elle-<br />

même. A Djidjelli, le petit corps expéditionnaire s'était employé d'abord<br />

activement, de mai à juillet, à organiser les travaux de défense de la<br />

ville, malgré des attaques fréquentes de la part des Kabyles,<br />

de géants pendant cinq et six heures de suite ■,, où les Kabyles<br />

« combats<br />

« tou<br />

jours battus et perdant des combattants... se recrutaient sans cesse », dit<br />

Saint-Arnaud dans sa correspondance (1). En juin,<br />

les travaux étaient<br />

déjà fort avancés. Ils n'avaient pas été élevés près de la ville, dont<br />

l'emplacement se bornait à l'étendue très restreinte de la presqu'île,<br />

mais ils enveloppaient les premières collines environnantes (2) ;<br />

là, nous avions bâti une série de forts reliés entre eux par un mur<br />

de défense (3). Sur le Djebel-el-Korn, nous avions construit le Fort<br />

Saint-Ferdinand ; les hauteurs du djebel Aïouf étaient couronnées par<br />

les forts Horain, Galbois, Sainte-Eugénie et Valée. Sur le littoral, à<br />

l'avancée d'une pointe rocheuse, le Fort Duquesne complétait ce sys<br />

tème de défense.<br />

Ces travaux ne freinèrent nullement les Kabyles dans leur ardeur<br />

à nous combattre, et leurs attaques incessantes allaient durer pendant<br />

douze ans, sans possibilité d'y mettre fin. Dès l'été de 1839, les chaleurs<br />

et les miasmes des marais voisins avaient répandu la maladie parmi<br />

la garnison qui se trouvait ainsi fort affaiblie. Elle fut, par la suite,<br />

réduite à cinq cents hommes qui, à eux seuls, étaient incapables de<br />

tenter auCun coup de main au dehors, et devaient se résigner à une<br />

stérile défensive à l'intérieur de la ligne de blockaus.<br />

Les négociations entamées avec les tribus voisines donnèrent peu<br />

de résultats, car elles n'étaient pas appuyées par la force. Seuls les<br />

(1) Saint-Arnaud avait fait partie de l'expédition de Djidjelli. Voir Quatrelles<br />

l'Epine : Le Maréchal de Saint-Arnaud, p. 160 et 163 (Topie I).<br />

(2) Voir carte II.<br />

(3) Le mur ne fut construit qu'en 1845.


— — 26<br />

Beni-Kaïd du Sud-Ouest vinrent commercer à notre marché. L'occupa<br />

tion de Djidjelli n'avait abouti à acquérir qu'un nouveau point mort<br />

analogue à celui de Bougie.<br />

Djidjelli, après Mila et Djémila, fut la dernière tentative de ce genre<br />

entreprise par nos armes. On renonça désormais à l'établissement d'au<br />

tres postes permanents en Kabylie Orientale,<br />

pour restreindre notre<br />

action militaire à de simples courses rapides dans le pays, sans cher<br />

cher à y laisser de garnison. La première prise de contact avec la race<br />

belliqueuse des Kabyles n'avait pu que décourager nos velléités de<br />

conquête.<br />

Nos premiers rapports avec les grands chefs indigènes du Ferdjioua<br />

et du Zouagha n'eurent pas davantage de succès. Devant la puissance<br />

incontestable de ces commandements,<br />

tinue et infranchissable entre Constantine et la mer,<br />

qui formaient une barrière con<br />

et la faiblesse de<br />

nos moyens, nous fûmes contraints d'accepter l'état de choses établi,<br />

sans rien y modifier. Notre arrivée causa donc peu de changements à<br />

cet égard. Il n'y eut de renversée que la puissance d'Ahmed Bey ; toutes<br />

les formes établies par l'usage furent maintenues provisoirement. A<br />

Constantine, on conserva la fonction de hakem ou gouverneur de la<br />

ville et des environs, dont le titulaire servait d'intermédiaire entre l'au<br />

torité française et les grands chefs indigènes. Ce hakem, soudoyé par<br />

de riches cadeaux envoyés par le cheikh du Ferdjioua, s'entremit pour<br />

faire attribuer à Bou Akkas l'investiture du territoire qu'il comman<br />

dait. Celui-ci fut assez habile pour obtenir même mesure en faveur de<br />

son allié Mahammed Ben Azzedin,<br />

qui reçut le commandement du<br />

Zouagha. Ainsi, sans même s'être présentés à Constantine, et sans avoir<br />

fait aucun acte de soumission,<br />

ces deux grands chefs indigènes se<br />

voyaient maintenus officiellement dans leur tommandement. En échan<br />

ge de leur soumission apparente,<br />

on leur demanda seulement le verse<br />

ment d'un faible impôt, la lezma, signe de leur vasselage.<br />

Comme le fait remarquer Féraud, « il n'y â jamais eu aucun traité<br />

entre le gouvernement français et Bou Akkas, le reconnaissant comme<br />

souverain indépendant du Ferdjioua<br />

„ (1). Le maréchal Valée lui re<br />

mit un diplôme d'investiture qui disait : « Nojjs déclarons renouveler<br />

à son profit, ses dignités et privilèges, voulant epic le pays où il com<br />

mande soit sous son administration et obéissance et qu'il l'administre<br />

.suivant le mode reçu et les usages accoittumés. Nous lui recommandons<br />

la rentrée des impôts et le soin que réclament les affaires de l'Adminis<br />

tration française... » Ainsi les biens féodaux qui unissaient'le cheikh<br />

à son suzerain étaient maintenus intacts. Seul le suzerain avait changé :<br />

Bou Akkas désormais devait hommage à la France, et non plus au bey<br />

El Hadj Ahmed. Son litre de cheikh de Ferdjioua fut de nouveau con<br />

firmé dans un arrêté du 30 seplemhre 183S, lors d'un deuxième voyage<br />

du maréchal Valée à Constantine. Mais cette fois le maréchal lui donna<br />

(1) Ch. Féii.uU) ; Ferdjioua cl Zouagha (Revue Africaine), t. 22, année 1878,<br />

p. 90.


— — 27<br />

un supérieur, en nommant « Khalifa du Ferdjioua.» un ancien agha<br />

du bey, Si Ahmed ben Hamelaoui, qui avait sur Bou Akkas l'avantage<br />

d'avoir fait soumission au gouvernement français. En réalité, ce khalifa<br />

n'eut qu'une autorité nominale et éphémère sur le commandement que<br />

nous lui avions attribué : Bou Akkas resta le véritable chef du Ferd<br />

jioua,<br />

et nous apprîmes à le considérer comme tel.<br />

De 1837 à 1840, le premier contact avec la Kabylie Orientale n'avait<br />

guère été fructueux ; à l'égard des grands chefs indigènes, notre poli<br />

tique avait été toute négative ; les difficultés rencontrées dans nos ten<br />

tatives pour établir des garnisons permanentes dans le pays nous firent<br />

renoncer à toute hardiesse dans la politique militaire.


CHAPITBE III<br />

NOTRE ACTION MILITAIRE EN KABYLIE ORIENTAL! AVANT 18S0<br />

Pendant une dizaine d'années, nos généraux, aux prises sur d'autres<br />

théâtres de l'Algérie, avec de grandes difficultés dont l'une des plus<br />

considérables fut la lutte contre Abd-el-Kadcr, n'eurent point le loisir<br />

de penser à une conquête sérieuse de la Kabylie Orientale. Jusqu'en<br />

1850 ils se bornèrent à une série d'actions restreintes,<br />

simples coups de<br />

main effectués autour de nos principaux établissements, Philippeville,<br />

Constantine ou Mila, Sétif et Bougie (1).<br />

Pour donner plus de sécurité à la roule qui reliait Constantine à<br />

Philippeville, nous fûmes amenés à effectuer plusieurs reconnaissances<br />

dans le massif bordant, à l'Ouest, la vallée du Safsaf. En septembre<br />

1841, le général Négrier,<br />

successeur du général Galbois au commande<br />

ment supérieur de la province de Constantine, visite les Beni-Ishak de<br />

l'oued Guebli, une partie des Beni-Toufout, et rencontre une résistance<br />

sérieuse chez ces tribus montagnardes de l'Ouest d'El-Arrouch. Le gé<br />

néral Levasseur, commandant supérieur de Philippeville, refait l'année<br />

suivante à peu près le même itinéraire, en passant par les Beni-Salah<br />

de la rive gauche de l'oued Guebli. En 1843, les Beni-Toufout reçoi<br />

vent, à leur tour, la visite d'une colonne commandée par le général<br />

Baraguey d'Hilliers, qui opérait de concert avec un contingent sorti de<br />

Philippeville pour effectuer la soumission des Kabyles de la rive droite<br />

de l'oued Guebli, les plus rapprochés de Philippeville. Ces opérations<br />

combinées furent couronnées de succès et, pour la première fois, les<br />

tribus de cette région, Beni-Mehenna, Beni-Ishak de l'oued Guebli, et<br />

une fraction des Beni-Salah demandèrent l'aman (2). La plupart de ces<br />

soumissions n'étaient que nominales ; elles réalisaient cependant un<br />

certain progrès pour nos armes. Seuls les Beni-Toufout, les plus éloignés<br />

parmi ces tribus, étaient restés invaincus.<br />

A partir de 1847, les reconnaissances deviennent plus sérieuses. On<br />

pénètre plus avant dans la région comprise entre les deux vallées de<br />

l'oued Guebli et de l'oued El-Kébir. Le général Bedeau, commandant<br />

supérieur de la division de Constantine depuis 1814, décida,<br />

1847, d'y<br />

en juin<br />

faire une randonnée d'une quinzaine de jours. Parti de<br />

Mila, il réalise pour la première fois, en passant par les Beni-Kaïd,<br />

Beni-Khetlab et Ouled-Aïdoun de la vallée de l'oued El-Kébir, la tra<br />

versée des montagnes kabyles jusqu'à Collo. L'importance de cette ex-<br />

(1) Pour suivre les opérations de 1840 à 1850, voir carte I.<br />

(2) Aman : grâce.


PENETRATION B& U KABYLIE ORIENTALE<br />

AVANT 1851<br />

f'»* «I Relions vis iié.&s par nos<br />

troupes avant 18 Si<br />

R\M Kçotons encore, impenetréç<br />

Ee.he.llc. -i : ±000.000<br />

"Taîite 1


— — 29<br />

petuuon mente a être soulignée : jamais encore, en parlant d'un éta<br />

blissement de l'intérieur,<br />

nous n'avions pu atteindre le littoral en pas<br />

sant directement par les montagnes. Le général Galbois, en 1839, n'avait<br />

pas voulu prendre ce risque. Le général Bedeau put d'ailleurs constater<br />

la sagesse du maréchal Valée, dans sa préférence accordée à l'emplace<br />

ment de Philippeville sur celui de Collo. La résistance vigoureuse qu'il<br />

rencontra particulièrement chez les Ouled-Aidoun, renforcés de tous<br />

les contingents des environs, lui donna une idée des difficultés éprou<br />

vées si nous avions voulu relier Constantine à Collo. Aussi renonça-t-il<br />

lui-même à l'occupation inutile de ce port.<br />

En 1848, on se harsada à explorer le Zouagha, domaine héréditaire<br />

des Ben Azzedin, dont les rochers inaccessibles avaient servi de refuge<br />

à leur ancêtre Nacer. Le général Herbiilon venait de succéder au gé<br />

néral Bedeau. Il s'était déjà signalé par de brillants exploits et avait<br />

su remarquablement organiser le cercle de Guelma, puis le centre et<br />

les environs de Batna. Arrivé à Constantine, il comprit que les désordres<br />

commis sur la route de Constantine à Philippeville, comme au Nord<br />

de Mila,<br />

avaient pour instigateurs les Ben Azzedin. Il décida de leur<br />

donner une leçon, envoya un contingent sous la direction du colonel<br />

Jamin, dans le pays, puis s'y porta lui-même. Deux petits combats suf<br />

firent pour rétablir un calme momentané. Mais l'année suivante<br />

l'expédition fut plus sérieuse. Une colonne traversa l'oued Endja, par<br />

vint jusqu'à Fedj-Baïnem, nœud vital du Zouagha,<br />

où nous devions<br />

revenir souvent au cours des campagnes suivantes. Puis, franchissant<br />

plus au Nord l'oued Itéra, le Général explora le pays des Beni-Mimoun,<br />

qu'il dut combattre pendant plusieurs jours. Les Beni-Toufout reçu<br />

rent, à leur tour, la visite de nos soldats.<br />

En fait, jusqu'en 1849, notre action dans la montagne bordant les<br />

régions de Constantine et de Philippeville, fut très limitée. Nous<br />

n'avions pénétré que la bordure du massif. La vallée du Guebli avait<br />

été parcourue plusieurs fois; le Zouagha lui-même et le cours supérieur<br />

de l'oued El-Kébir avaient été effleurés. Mais la plus grande partie des<br />

montagnes comprises entre Djidjelli, Mila et Collo restait inconnue :<br />

les tribus de l'Est de Djidjelli, celles du cours inférieur de l'oued El-<br />

Kébir et du pâté de Collo n'avaient jamais vu nos armes ; et la traver<br />

sée de Mila à Djidjelli, projetée en 1839 par le général Galbois, n'avait<br />

pas encore été réalisée. Les expéditions elles-mêmes, effectuées jus<br />

qu'à ce jour, n'avaient pas eu beaucoup<br />

d'effet. Il ne fallait pas se faire<br />

d'illusions sur la soumission purement nominale des quelques tribus<br />

visitées. Elles s'insurgeaient aussitôt après le départ de nos colonnes,<br />

méconnaissant totalement notre domination. D'ailleurs, pendant ces pre<br />

mières années,<br />

nos généraux ne semblent pas avoir eu de projets con<br />

quérants à l'égard de la Kabylie Orientale, et les différents coups de<br />

main furent réalisés simplement dans l'intention de protéger les rela<br />

tions entre les deux villes de Constantine et Philippeville, sans cesse<br />

inquiétées par des individus descendus des montagnes de l'Ouest.


—<br />

— 30<br />

Nos armes avaient-elles été plus heureuses ou plus hardies dans<br />

la région de Sétif et cfe Bougie ? De ce côté on effectua une série d'opéra<br />

tions pour essayer d'établir des communications entre Sétif et Bougie.<br />

Sétif était en effet très difficile à approvisionner : les marchandises<br />

venant d'Alger ou de Bougie devaient passer par Philippeville et Cons<br />

tantine avant d'arriver à Sétif. L'établissement d'une route directe de<br />

Sétif à Bougie devait nécessairement diminuer les frais de transports<br />

et en augmenter la rapidité.<br />

C'est pourquoi, dès août 1812, le général Sillègue, sorti de Sétif, fit<br />

une tournée de 17 jours chez les populations au Nord de la ville et<br />

poussa une reconnaissance du côté'de Bougie, dans le but d'établir des<br />

communications directes et régulières entre les deux villes, au moyen<br />

d'intelligences qu'il croyait s'être ménagées dans les montagnes. Mais,<br />

vigoureusement attaqué, il dut bien vite renoncer à cette chimère.<br />

Un peu plus tard, en 1846, le colonel Eynard, commandant la sub<br />

division, sentit la nécessité de se porter dans la montagne au Nord de<br />

Sétif pour y calmer l'effervescence produite par un chérif, Moulay Mo<br />

hammed, apparu récemment. Plusieurs démonstrations avaient été déjà<br />

faites depuis trois mois dans la région, mais sans aucun résultat. Les<br />

tribus voisines de la plaine, nos alliées, étaient même sérieusement in<br />

quiétées ; il devenait urgent de détruire le foyer de l'insurrection. Le<br />

colonel Eynard se porta chez les Amoucha, y mit en fuite le chérif. Mais<br />

les Amoucha firent appel à leurs voisins,<br />

et toutes les tribus apparte<br />

nant au versant Sud de la chaîne des Babor envoyèrent des contingents<br />

pour une nouvelle attaque. Le colonel les dispersa dans une série<br />

de combats, resta plusieurs mois en campagne,<br />

et ne rentra à Sétif<br />

qu'après avoir obtenu la soumission des Amoucha, des tribus du djebel<br />

Magris et du djebel Anini. C'était un important résultat.<br />

L'année suivante, le général Bedeau, de retour de Collo,<br />

reçut du<br />

général Bugeaud, qui s'apprêtait à opérer dans la vallée de l'oued Sahel,<br />

l'ordre de partir de Sétif avec une colonne expéditionnaire pour le re<br />

joindre devant Bougie qu'il fallait débloquer. Bedeau passa chez les<br />

tribus de la rive gauche de l'oued Bou-Sellam, les Gheboula, où il livra<br />

combat, puis les Beni-Ourtilan pour déboucher enfin dans la vallée de<br />

l'oued Sahel, où son armée fit jonction avec celle de Bugeaud.. Lui, qui<br />

avait inauguré quelques mois auparavant la liaison Mila-Collo, fut aussi<br />

le premier à réaliser la traversée des montagnes séparant Bougie de<br />

Sétif. Son passage entraîna la soumission momentanée de plusieurs tri<br />

bus dont les cheikhs suivirent le Général jusqu'à. Bougie où ils reçu<br />

rent l'investiture française. L'effet immédiat de cette campagne parut<br />

considérable, il ne fut en réalité qu'éphémère. Le sillon tracé dans ces<br />

montagnes par le général Bedeau, se referma aussitôt après son pas<br />

sage sans laisser de marque durable. D'ailleurs le but même de l'expé<br />

dition n'avait pas été la soumission des tribus du Guergour et des en<br />

virons, mais uniquement la ville de Bougie qu'il fallait débloquer. Aussi<br />

la traversée avait-elle été plutôt une promenade pacifique au cours de<br />

laquelle on n'avait pas cherché à attaquer, mais simplement à se tenir


— — 31<br />

sur la défensive. Il aurait fallu, pour réaliser une œuvre durable, établir<br />

une route stratégique donnant aux colonnes expéditionnaires la pos<br />

sibilité de revenir rapidement sur les lieux en cas de révolte de la pari<br />

des tribus.<br />

Du côté de Bougie, la ville elle-même servit peu souvent de base<br />

à des opérations militaires. Occupée pourtant de bonne heure, cette<br />

place avait été constamment bloquée par les tribus des environs, qui<br />

faisaient, contre ses murs, de fréquentes attaques. La petite garnison<br />

qui pouvait avec peine se défendre, ne songeait guère à prendre l'offen<br />

sive. En 1836, Amezian,'chef de la tribu de Oulad-abd-el-Djebar, au Sud<br />

de Bougie, avait poussé l'audace jusqu'à assassiner le commandant su<br />

périeur de la place, Salomon de Musis. L'état de choses ne s'améliora<br />

qu'à partir de 1846, date où le chef d'escadron d'Etat-Major de Wengy<br />

reçut le commandement de la ville. Par quelques sorties successives,<br />

il réussit à soumettre une partie de la tribu des Mezzaïa en Grande<br />

Kabylie, et celle des Beni-Bou-Messaoud sur la rive droite de la Sum-<br />

mam. Amézian lui-même consentit à entrer en relations avec la ville.<br />

En 1847, l'expédition conjuguée des généraux Bugeaud et Bedeau sur<br />

Bougie améliora encore la situation. Une nouvelle opération fut tentée<br />

en 1849, en prenant cette ville pour base. Saint-Arnaud, arrivé par mer<br />

à Bougie,<br />

en sortit avec une faible colonne, pénétra dans les montagnes<br />

du Sud-Est, où il attaqua la tribu des Beni-Sliman, la plus puissante de<br />

cette région et la plus hostile aux Français. Le général de Salles, opérant<br />

de concert avec lui, arriva de Sétif avec des forces plus imposantes,<br />

pour prendre à revers la tribu par le Sud. Les Kabyles ne firent sou<br />

mission qu'après 14 jours de combats acharnés.<br />

Du côté de Sétif et Bougie, nos actes militaires se bornèrent à<br />

ces opérations restreintes et de peu de portée. A la fin de 1849, la situa<br />

tion n'était donc pas plus avancée dans cette région que vers Constan<br />

tine et Philippeville. En allant de Sétif à Bougie, nous n'avions pénétré<br />

que la bordure du massif kabyle. Le cœur même de la région nous<br />

restait inconnu, et la liaison Sétif-Djidjelli n'avait pas encore été réa<br />

lisée. La soumission des tribus visitées restait, là aussi, toute théorique,<br />

les opérations ayant toujours eu le caractère de reconnaissances paci<br />

fiques ou de coups de force trop rapides pour être efficaces. Pour abou<br />

tir à un résultat positif, il aurait fallu, en premier lieu, des effectifs<br />

plus importants ; nous n'avions guère employé jusqu'alors plus de cinq<br />

mille hommes pour ces campagnes : c'est le nombre que possédait Be<br />

deau en 1847, en allant de Sétif à Bougie ; Saint-Arnaud, en 1849, sortit<br />

de Bougie avec 1.800 hommes seulement, bien faibles moyens pour les<br />

difficultés à vaincre. Il aurait fallu surtout laisser, dans la région, des<br />

traces durables de notre passage par la construction de routes straté<br />

giques et de postes militaires. Or, à la fin de 1850, l'idée de faire œuvre<br />

durable en Kabylie Orientale va, pour la première fois, être mise en<br />

pratique,<br />

par l'ordre que reçut le général de Barrai de construire une<br />

route entre Sétif et Bougie. Il y avait plusieurs causes à cette attitude<br />

nouvelle, qui ne cessera de s'affirmer au cours des années suivantes.


CHAPITRE IV<br />

LES NECESSITES DUNE CONQUETE DEFINITIVE<br />

DE LA KABYLIE ORIENTALE<br />

Dès la fin de 1849, différents motifs nous poussèrent à faire, de la<br />

conquête de la Kabylie Orientale, une nécessité urgente, qu'on ne pou<br />

vait plus retarder.<br />

Les raisons de sécurité étaient les plus impérieuses : la seule roule<br />

qui reliait Constantine à la mer par la vallée du Safsaf, n'avait jamais<br />

été sûre ; elle était constamment inquiétée par des bandes de pillards<br />

kabyles qui descendaient des montagnes voisines, puis regagnaient<br />

leur refuge une fois leur coup de main accompli. On avait créé pour<br />

tant, le long de la route, dès 1838,<br />

pour assurer les communications,<br />

quatre camps retranchés : à Smendou, Toumiet, El Arrouch et Eddis.<br />

Mais ces postes étaient trop faibles pour empêcher les Kabyles de venir<br />

piller les convois qui circulaient sur la route ; ils étaient souvent atta<br />

qués eux-mêmes par des bandes qui venaient se ruer contre leurs<br />

murs.<br />

Ainsi, dès 1838, des pillards kabyles enlevèrent un convoi sur la<br />

roule, puis vinrent attaquer, mais sans succès, le camp d'El-Arrouch,<br />

défendu seulement par une faible garnison de tirailleurs indigènes.<br />

Malgré le châtiment infligé aux tribus coupables par le Général Négrier<br />

en 1841 (1), l'agitation recommença dès l'année suivante, fomentée celte<br />

fois par un fanatique nommé Si Zerdoude. Après avoir soulevé le cercle<br />

de Bône, il était venu tenter sa chance dans la vallée de l'Oued Guebli.<br />

En exploitant la haine des montagnards contre les chrétiens, il réussit<br />

à soulever toutes les tribus des deux rives de l'Oued Guebli (2). Avec<br />

les contingents ainsi recrutés, il s'installa au Souk-el-Tleta, marché des<br />

Beni-Ishak, et de là ne cessa, pendant tout l'hiver 1842, d'inquiéter la<br />

route,<br />

poussant même l'audace jusqu'à faire assassiner des Européens<br />

sous les murs de Philippeville, et même dans l'intérieur de l'enceinte.<br />

Le colonel Brice sortit de cette ville avec un petit contingent pour aller<br />

le déloger, mais Si Zerdoude lui causa des dégâts. Enhardi par ce suc<br />

cès, il entraîna, dans la révolte, les Béni Mehenna, les mieux soumis<br />

pourtant de ces Kabyles, et au Sud, les Eulma. Ainsi renforcé, il donna<br />

ordre le 20 mai, d'attaquer simultanément les deux camps d'El Arrouch<br />

et d'Eddis. Le colonel Brice ayant pris soin de renforcer les garnisons<br />

de ces deux camps, les ennemis furent repoussés. Dès lors Si Zerdoude<br />

(1) Voir chapitre III.<br />

(2) Les Béni Toufout, Béni Ishak, Béni Salah, Ouled-el-Hadj et Béni Ouelban.


-33-<br />

« ne tenta plus d'attaques directes, il se borna à inquiéter nos routes,<br />

à enlever nos correspondances,<br />

et à tendre des embuscades aux envi<br />

rons » (1) jusqu'à la fin de 1842, et pendant tout le début de janvier<br />

1843.<br />

On essaya de remédier à cet état de choses en rendant responsa<br />

bles, les tribus sur le territoire desquelles les attaques étaient com<br />

mises. Cette mesure eut quelque effet et l'année 1844 se passa sans<br />

troubles. Mais en 1845 -un nouveau chérif, Si Mohammed Bou Dali,<br />

émule de Si Zerdoude essaya de soulever les tribus entre Philippeville<br />

et Collo. Son agitation ne fut cependant qu'éphémère, et le chérif dis<br />

parut. Dès mars 1846, les vols et attentats contre les voyageurs allant<br />

de Philippeville à Constantine se firent de nouveau plus fréquents. Les<br />

villages de colonisation, eux-mêmes, récemment fondés dans la vallée,<br />

ne jouissaient pas d'une entière sécurité. Saint-Antoine, Damrémont,<br />

Valée et Saint-Charles, subissaient les incursions fréquentes des Kaby<br />

les, et c'est pour mettre fin à celte situation que le Général Bedeau<br />

visita, en 1847, toute la région de l'Oued Guebli jusqu'à Collo.<br />

Celte expédition n'empêcha pas, l'année suivante, l'apparition suc<br />

cessive de plusieurs cherifs. qui jetèrent le trouble dans la région. En<br />

1849, Ben Yamina, plus entreprenant que les précédents, se montra<br />

dans les montagnes de Collo. Aidé par un fort contingent des tribus<br />

de la rive droite de l'Oued el Kébir, il tenta sa chance dans une attaque<br />

sur El Arrouch. Comme Si Zerdoude six ans auparavant, il fut repoussé<br />

avec pertes. Loin de se décourager, il recruta de nouveaux partisans<br />

et s'avança jusqu'à Sidi-Dris, prêt à attaquer le camp<br />

de Smendou.<br />

Mais il fut battu auparavant, et tué par nos contingents indigènes.<br />

En 1849 la situation de la route de Constantine à Philippeville<br />

n'était donc pas améliorée, d'autant plus que depuis 1843, le Général<br />

Baraguey<br />

d'Hilliers avait cru la situation suffisamment raffermie pour<br />

réduire la série des postes militaires que nous avions établis au début<br />

de la conquête. L'insécurité n'avait cessé de croître et les Beni-Mehenna<br />

eux-mêmes, tribu la plus soumise de la région, commençaient à s'agi<br />

ter. II était urgent d'entreprendre Une action sérieuse en Kabylie pour<br />

détruire le foyer de brigands et de coupeurs de routes qu'elle abritait.<br />

La situation du côté de Sétif, Bougie et Djidjelli, n'était guère<br />

plus brillante. Dans ces deux dernières villes surtout, la sécurité des<br />

personnes et des convois était très précaire. Il fallait donc, de toute<br />

nécessité, rendre la tranquillité à tous ces établissements, comme à la<br />

vallée du Safsaf. Ce résultat n'était possible qu'en soumettant complè<br />

tement la Kabylie Orientale.<br />

Cette insécurité de nos personnes, de nos convois, et de nos éta<br />

blissements, se doublait d'un autre danger qui menaçait l'honneur<br />

même de nos armes en Algérie. Tant que nous n'avions guère approché<br />

de leur territoire, les Kabyles s'étaient montrés assez indifférents aux<br />

(1) Féiuud : Documents pour servir à l'histoire de Philippeville, Revue Afri<br />

caine, 1875, p. 236.


-34,-<br />

progrès de notre conquête. Plus attachés à leurs biens matériels qu'aux<br />

questions de guerre sainte contre le chrétien, ils n'avaient point émigré<br />

en masse hors de leurs montagnes, pour s'opposer à nos armes. -Mais,<br />

en 1850, la situation était changée ; nous avions conquis presque tout le<br />

reste de l'Algérie ; les Kabyles se sentaient maintenant menacés chez<br />

eux, dans ce qu'ils avaient de plus cher, leurs terres et leurs maisons.<br />

Cette crainte était excitée par des agitateurs venus d'un peu partout,<br />

et qui, ne pouvant soulever le pays arabe soumis, où nous avions orga<br />

nisé une surveillance vigilante,<br />

encore indépendant,<br />

venaient se réfugier en Kabylie, pays<br />

où ils pouvaient agir en liberté. C'est pourquoi<br />

nous avons vu, pendant ces premières années, de nombreux cherifs<br />

apparaître dans les montagnes de Kabylie Orientale,<br />

indigènes contre les Français,<br />

pour exciter les<br />

en faisant appel moins au sentiment<br />

religieux qu'à leur besoin d'indépendance, puis les lancer à l'attaque<br />

conlre nous, sauf à disparaître subitement en cas d'échec de leur part.<br />

Ainsi firent Si Zerdoude en 1842 et Ben Yamina en 1849, dans la région<br />

de l'Oued Guebli ; ainsi fit Mouley Mohammed en 1846 dans la région<br />

pour ne citer que les principaux. Ils eurent bientôt un émule<br />

de Sétif,<br />

redoutable, Bou Baghla (1) qui agira surtout en Grande Kabylie, mais<br />

fera des incursions dans les Babors pour y jeter le trouble.<br />

Ce danger permanent d'une Kabylie indépendante aux portes de<br />

notre zone d'occupation devait être réduit. Si les perturbations provo<br />

quées par les fanatiques n'avaient jamais eu assez de gravité pour<br />

menacer sérieusement notre domination, elles étaient du moins gênan<br />

tes, et leur impunité risquait de porter un rude coup à notre prestige<br />

auprès de ces populations. Pendant dix ans, elles n'avaient subi, de<br />

notre part, que de faibles châtiments, des razzias de peu de consé<br />

quence. Si cette situation se prolongeait outre mesure, elle risquait de<br />

perdre toute crainte à notre égard, et de constituer pour nous un véri<br />

table danger en devenant le cœur de la résistance contre notre domi<br />

nation. Il était temps de mettre un terme à cet état de choses.<br />

D'importants motifs économiques nous poussaient aussi à une ac<br />

tion décisive en Kabylie Orientale. Avant notre arrivée dans la pro<br />

vince de Constantine, il se faisait un commerce actif entre les Kabyles<br />

de la montagne et les Arabes de la plaine. A Sétif et Constantine étaient<br />

concentrés tous les produits des Hautes Plaines constantinoises ; le<br />

blé et le grain y affluaient. Les Kabyles venaient y acheter ces denrées<br />

précieuses qui manquaient à leur pays montagneux, vendaient en échan<br />

ge aux Arabes leurs fruits et l'huile qu'ils produisaient en abondance.<br />

Sur la côte, Bougie et Djidjelli possédaient d'importants marchés,<br />

alimentés par des produits kabyles, et les céréales des plaines intérieures.<br />

Mais lorsque les garnisons françaises se furent installées dans ces<br />

établissements, elles firent cesser complètement toute activité commer<br />

ciale. Les Kabyles, nous considérant comme des ennemis, cessèrent<br />

tout trafic avec ces villes. A Djidjelli, dès notre arrivée, le commandant<br />

(1) BoiuBaghln, surnom signifiant « l'homme à la mule ».


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— 35-<br />

supeneur ne aattes essaya de rétablir les liens commerciaux avec les<br />

tribus des environs, pour se procurer au moins les subsistances de né<br />

cessité journalière. Les Béni Hassen au Sud-Est de la ville furent les<br />

premiers à venir porter leurs marchandises. Les Béni Kaïd furent plus<br />

difficiles à convaincre. Ils voulaient bien commercer mais à leur guise,<br />

et demandaient qu'on laissât les habitants sortir de la ville. Le refus<br />

du commandant supérieur d'accéder à ces conditions retarda l'établis<br />

sement des relations commerciales. Elles se firent cependant quelque<br />

temps après, mais avec assez d'irrégularité, car un rapport du Général<br />

Herbillon (1) en 1848, signale que lgs trois-cinquièmes des Béni Kaïd<br />

ne viennent pas encore au marché, restant ainsi dans un étal complet<br />

d'insoumission. En 1841, nous avions pu aussi amener quelques frac<br />

tions des Beni-Ahmed à commercer avec nous. Cette faible activité<br />

permettait au marché de Djidjelli de fournir à la garnison les subsis<br />

tances de nécessité journalière, mais non de retrouver son ancienne<br />

prospérité. Les tribus toutes proches de la ville qui avaient grand inté<br />

rêt à commercer avec nous, trouvaient par ailleurs un grand avantage<br />

à empêcher les tribus les plus éloignées de faire comme elles, car elles<br />

leur revendaient très cher les marchandises européennes qu'elles trou<br />

vaient sur notre marché. L'autorité française profita de cette situation<br />

pour exiger, des petites fractions alliées, un impôt qui fut payé régu<br />

lièrement à partir de 1844 (2).<br />

A Sétif comme à Djidjelli, le commerce se trouvait bien réduit par<br />

suite de l'interruption des relations commerciales avec les Kabyles<br />

des montagnes environnantes. Entre Djidjelli et Sétif, toute circulation<br />

de convoi était impossible. Une ou deux fois cependant, le cheikh de<br />

Ferdjioua, Bou Akkas, avait assuré le passage, par son territoire, de<br />

convois destinés à ravitailler Djidjelli. Mais ces événements furent<br />

exceptionnels. Sétif ne pouvait pas même être ravitaillé par Bougie<br />

car, nous, l'avons vu, aucune route encore ne reliait directement ces<br />

deux villes ; les marchandises devaient emprunter le long et coûteux<br />

trajet par Philippeville et Constantine.<br />

11 résultait de cet état de choses que nos établissements de l'inté<br />

rieur, comme ceux de la côte, s'asphyxiaient matériellement dans leurs<br />

étroites limites. Pour leur assurer désormais un ravitaillement régu<br />

lier, et ranimer le commerce, il fallait relier ces villes entre elles par<br />

des routes capables d'établir des communications permanentes. Un<br />

tel résultat n'était possible qu'après la soumission complète du pays<br />

kabyle. La conquête de la Kabylie Orientale devenait une nécessité<br />

économique,<br />

autant et plus peut-être qu'une nécessité politique.<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> Affaires musulmanes 2H-3, dos<br />

sier 6. Rapport du Général Herbillon de 1848, intitulé : « Xole sur les tribus<br />

kabyles des environs de Djidjelli ».<br />

(2) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> Affaires musulmanes 8H-21, dos<br />

sier du cercle de Djidjelli. Rapport sur l'extérieur du cercle de Djidjelli, 1"<br />

avril 1848.


-36-<br />

Or en 1850, le moment apparaît très favorable à une semblable<br />

entreprise. Depuis deux ans, le nouveau gouvernement de la Seconde<br />

République, converti à l'idée d'expansion coloniale, est partisan d'une<br />

politique plus vigoureuse en Algérie. Le Général Randon, chargé au<br />

Ministère, de la direction des Affaires militaires de l'Algérie, désire<br />

par dessus tout l'affermissement de noire domination dans ce pays, où<br />

il a fait une grande partie de sa carrière militaire. Au Gouvernement<br />

Général arrive d'autre part, le 22 octobre 1850, le Général Hautpoul,<br />

partisan décidé d'une conquête de la Kabylie. S'il porte son intérêt<br />

sur la Kabylie du Djurdjura, plu» que sur la région de Bougie à Dji<br />

djelli, il attire cependant l'attention du Gouvernement français, sur<br />

le danger que constitue, pour notre domination, la présence au cœur<br />

de l'Algérie, d'un foyer d'intrigues et de rébellion tel que la Kabylie.<br />

Et il demande avec insistance l'autorisation d'organiser une expédi<br />

tion importante dans la région. Le Général Randon, son successeur en<br />

décembre 1851, continuera la même politique, avec plus d'ampleur en<br />

core, jusqu'en 1858.<br />

Enfin, au commandement supérieur de la province de Constantine,<br />

on nomme en 1850 le Général de Saint-Arnaud. Ce chef, déjà riche<br />

d'un important passé militaire,<br />

avait une grande expérience de la<br />

guerre d'Afrique, et la Kabylie elle-même ne lui était pas inconnue.<br />

Arrivé en Algérie dès 1837, il avait participé en 1839, à l'expédition de<br />

Djidjelli, et aux luttes qui suivirent notre installation pendant les pre<br />

miers mois. Il put ainsi se faire un premier jugement sur la race des<br />

Kabyles et sur leur manière particulière de combattre (1). En 1844, il<br />

aborde cette fois la Grande Kabylie : à Dellys, il coopère avec Bugeaud<br />

pour soumettre les tribus de la région, soulevées par deux lieutenants<br />

d'Abd-el-Kader. Puis, en 1849, nommé commandant supérieur de la<br />

subdivision, de Sétif, il pénètre de nouveau en Kabylie Orientale pour<br />

combattre la tribu des Beni-Sliman au Sud-Est de Bougie. De ces di<br />

verses expéditions, il put tirer de précieux jugements : « les popula<br />

tions soulevées n'étaient que nominalement et pour un temps sou<br />

mises... Il ne fallait pas se payer de mots ni d'apparences... » (2). Une<br />

soumission définitive du pays nécessiterait donc une expédition de<br />

grande envergure et des effectifs supérieurs à ceux employés jusqu'à<br />

ce jour. Il désirait vivement une campagne en Kabylie Orientale, non<br />

seulement dans le but désintéressé de pacifier complètement sa pro<br />

vince, mais surtout comme moyen d'obtenir le grade de divisionnaire<br />

qui lui ouvrirait l'accès au poste de Gouverneur Général de l'Algérie.<br />

Il rêvait d'obtenir cette dignité suprême comme couronnement de sa<br />

belle carrière militaire.<br />

Si le Gouvernement et les Généraux français paraissaient enfin<br />

décidés à une conquête définitive de la Kabylie, les grands chefs indi-<br />

(1) Voir chapitre II.<br />

(2) QiATnr.u.is i,*Ei*;ne : T.e Maréchal de Saint-Arnaud, tome II,<br />

suiv,<br />

p. 159 el


_37-<br />

gènes- du Ferdjioua et du Zouagha, montraient à notre égard de meil<br />

leures dispositions, dont il fallait profiter,<br />

cours pour soumettre le pays.<br />

en nous assurant leur con<br />

Jusqu'en 1849, les Ben Azzedin nous avaient causé de multiples en<br />

nuis. N'ayant fait aucun acte de soumission, ils ne reconnaissaient pas<br />

notre autorité, et dès le début, se firent les complices, les instigateurs<br />

parfois, des bandits qui venaient inquiéter les environs de Constantine<br />

et la vallée du Safsaf. En 1839, ils firent attaquer par leurs sujets un<br />

convoi de malades qui circulait sur la route de Constantine à Mila.<br />

Ils encourageaient aussi activement les entreprises des différents ché<br />

rifs qui apparurent dans le pays de 1842 à 1849. En 1845, ils quittèrent<br />

même cette attitude de sournoise hostilité pour attaquer ouvertement,<br />

au Nord de Constantine, la tribu des Mouïa qui nous était soumise.<br />

Notre indolence à réagir, notre politique d'abstention qui se contenta<br />

d'exiger une restitution des prises faites aux Mouïa, contribua à forti<br />

fier leur insolence à notre égard. En juin 1847, le Général Bedeau, dans<br />

sa campagne au Nord de Constantine, obtint des Ben Azzedin la pro<br />

messe qu'ils laisseraient le commandement de leur territoire à leurs<br />

neveux Bou Lakheras et Ferhat ben Azzedin, venus se soumettre à notre<br />

autorité. Mais ce changement d'organisation ne fut que nominal, Bou<br />

Lakheras et Ferhat n'avaient aucune autorité sur le pays et leurs on<br />

cles possédaient, au contraire, de puissants partis. Aussi Mahammed et<br />

Bou Renan continuèrent- ils à gouverner le pays comme par le passé,<br />

en gardant la même attitude à notre égard. Ils profitèrent en 1848, de<br />

la nouvelle de la révolution en France pour propager, sur notre compte,<br />

les bruits les plus alarmants, se livrer à de nombreux actes de brigan<br />

dage et à des attaques incessantes sur les terres azels voisines de Mila,<br />

dont ils se prétendaient les possesseurs. Pour remédier à ces désordres,<br />

on envoya en mai 1848, une petite colonne à Sidi-Merouan, position<br />

militaire excellente au confluent de l'Oued Endja et du Rummel, dont<br />

l'occupation permanente aurait permis une protection efficace de Mila<br />

et des terres environnantes. Mais nous n'avions pas les moyens de<br />

prendre une telle mesure tant nos effectifs étaient faibles ; il fallut<br />

se borner à exiger des Ben Azzedin une amende de 15.000 francs. Mais,<br />

ces mesures, qui n'avaient pas été suffisammentappuyées<br />

par la force<br />

armée, restèrent toutes théoriques et ne changèrent rien à la situation.<br />

Bou Benan envahit de nouveau les azels avec l'intention de s'y établir<br />

définitivement. On répondit à cette agression, en envoyant encore un<br />

contingent s'établir à Sidi-Merouan. Cette fois Bou Renan poussa l'au<br />

dace jusqu'à exécuter sur notre camp une attaque de nuit, qu'il réïtera<br />

deux jours après. En même temps, les deux Ben Azzedin tentaient de<br />

soulever toute la région contre nous. Pour décider de cette question,<br />

les djemaâ des tribus s'étaient réunies chez les Ouled-Aïdoun où un<br />

vieux marabout prêchait la guerre sainte. Un contingent de 2.000 fan<br />

tassins avait été déjà réuni et envoyé dans le Zouagha au service des<br />

Ben Azzedin.


-38-<br />

Comprenant la gravité de la situation, le Général Herbillon décida<br />

une expédition dans le Zouagha. Dès le 8 septembre 1848, il partit de<br />

Constantine, chassa l'ennemi du village de Djelama (1) et le repoussa<br />

jusqu'au-delà de l'Oued Endja. Le lendemain, il fit une brève incur<br />

sion, au Nord de cet oued, dans le territoire même du Zouagha. Après<br />

ce coup de main vigoureux, il chercha à contrebalancer la puissance<br />

de Mahammed et Bou Renan en fortifiant le pouvoir de Bou Lakheras.<br />

Celui-ci, déjà nommé caïd des Mouïa et des Béni Telilen, reçut, en<br />

plus, le commandement de la rive droite du Bas-Rummel. Les deux<br />

oncles ne gardaient plus que le commandement du Zouagha et de<br />

l'Oued-el-Kébir, avec l'obligation de percevoir en notre nom un impôt<br />

plus considérable que par le passé.<br />

Ces dispositions eurent des résultats à peu près nuls, et les Ben<br />

Azzedin reprirent leur altitude précédente. Le Général Herbillon com<br />

prit la nécessité d'une expédition plus importante, qu'il décida en mai<br />

1849. Cette fois, nos troupes pénétrèrent au cœur même du Zouagha<br />

dont l'aspect redoutable nous avait donné, jusque là, Pimpressioni d'une<br />

forteresse naturelle inaccessible. Le camp fût installé à Fedj-Baïnem,<br />

col qui sépare la chaîne du Zouagha de celle des Arrhes. Le Général<br />

chassa les Ben Azzedin de leur pays. Bou Renan dut se réfugier chez<br />

les Béni Mimoun puis chez les Béni Ider (2), et Mahammed alla deman<br />

der asile à Bou Akkas, cheikh du Ferdjioua. Cette fois, on destitua<br />

solennellement les deux oncles, et Bou Lakheras fut investi de leur<br />

commandement. Traversant alors l'Oued Itéra, le Général se porta<br />

chez les Béni Mimoun dont il incendia les villages. Il dut ensuite se<br />

diriger dans la vallée de l'Oued Guebli où le chérif Ben Yamina, sous<br />

les instigations des Béni Azzedin, avait soulevé toute la région de<br />

Collo à Smendou.<br />

Cette fois la leçon avait été plus sévère : nous avions pénétré au<br />

centre même du territoire des Ben Azzedin, et nous les avions complè<br />

tement destitués de leur pouvoir. Ces deux chefs indigènes sentirent<br />

enfin la force de l'autorité française. Après avoir essayé en vain de<br />

rentrer par la force, dans leur territoire défendu par Bou Lakheras, ils<br />

comprirent que leur intérêt était d'abandonner l'attitude adoptée jus<br />

qu'à ce jour à notre égard. Ils sollicitèrent bientôt l'aman ; à la fin<br />

d'octobre 1849, Mahammed se présenta à Constantine, pour y faire sa<br />

soumission ; et en novembre Bou Renan suivit son exemple. Ils deman<br />

daient seulement, en échange de leur soumission, à garder une part<br />

de leur commandement. Allait-on accepter cette proposition ? A tout<br />

prendre, on y avait intérêt, malgré les ennuis qu'ils nous avaient causés<br />

jusqu'alors. Bou Lakheras en effet se révélait incapable de commander<br />

et n'avait aucune popularité auprès des tribus qu'il gouvernait. Au con<br />

traire, Mahammed et Bou Renan avaient su se créer de nombreux par<br />

tisans ; ils pouvaient par suite, s'ils le voulaient, nous apporter une<br />

(1) Djelama : village situé au sud-ouest de Sidi-Merouan.<br />

(2) Les Beni-Ider : tribu du Sud-Esl du cercle de Djidjelli.


— — 39<br />

aide précieuse et efficace. On retira alors à Bou Lakheras l'autorité<br />

accordée précédemment, pour lui donner,<br />

comme seule compensation,<br />

la jouissance d'azels dans la région de l'Oued Zenati. Mahammed fut<br />

nommé caïd du Zouagha, qui comprit, outre la tribu des Zouagha,<br />

celle des Arrhes, Ouled Aïa et Ouled Aouat ; Bou Renan reçut le com<br />

mandement de tout le bassin de l'Oued-el-Kébir. Le caïdat des Mouïa<br />

échut à son jeune parent Bou*<br />

Lakheras ben Mahammed (1).<br />

En devenant ainsi nos agents, les deux frères Ben Azzedin nous<br />

ouvraient l'accès du Zouagha et de la vallée de l'Oued-el-Kébir. Avec<br />

leur concours nous allions pouvoir entreprendre la soumission des tri<br />

bus de leur commandement ; il fallait profiter des bonnes dispositions<br />

de ces deux chefs, et appuyer au besoin leur nouvelle autorité par la<br />

force armée.<br />

Pour comble de bonne fortune, l'année 1850 vit la soumission du<br />

dernier grand chef indigène encore insoumis eu Kabylie Orientale :<br />

Bou Akkas,<br />

cheikh du Ferdjioua. Au contraire des Ben Azzedin nous<br />

n'avions pas eu à nous plaindre de lui pendant les premières années<br />

de la conquête. Sa conduite officielle envers nous avait toujours été<br />

correcte, et nous avions même à le louer de certains services. Lors de<br />

notre première installation à Djémila, il avait donné ordre aux Kabyles<br />

de cesser le feu contre le camp. Pendant le blocus de Sétif par le parti<br />

d'Abd-el-Kader en 1840, il nous aida à approvisionner tantôt Sétif, tan<br />

tôt Djdjclli ; et les convois qui allaient de Constantine à Sétif, par Mila<br />

et Djémila n'étaient jamais inquiétés. Féraud raconte que « dans l'hiver<br />

rigoureux de 1840, des mulets, chargés par l'administration, furent dis<br />

persés par une violente tempête de neige. Grâce aux soins empressés<br />

de Bou Akkas, les hommes et le convoi étaient sauvés et pouvaient<br />

continuer leur transport " (2). Il était surtout d'une aide précieuse pour<br />

nous par le fait qu'il maintenait ses tribus dans une obéissance très<br />

stricte. La paix de son territoire était si absolue qu'une femme, disait-<br />

on,<br />

la tête,<br />

aurait pu traverser tout son territoire avec une couronne d'or sur<br />

sans être nullement inquiétée.<br />

Malgré le prix de ses services, la conduite de Bou Akkas ne cessait<br />

d'être ambiguë du fait qu'il avait toujours refusé de venir faire sa<br />

soumission à Constantine. Il avait chaque fois décliné,<br />

en termes cour<br />

tois, les invitations qui lui étaient faites d'assister aux cérémonies aux<br />

quelles étaient conviés les hauts fonctionnaires français, en même temps<br />

que les grands chefs indigènes. En 1844, le Duc d'Aumale lui-même,<br />

alors commandant supérieur de la province de Constantine, malgré les<br />

termes pressants de la lettre qu'il lui adressa, n'avait pu le décider.<br />

Après avoir combattu victorieusement dans le Sud de la province, le<br />

duc se rendit à Sétif et, de là, le retour à Constantine s'effectua volon-<br />

(1) Bou Lakheras, dont nous avions parlé pi-écédemment était le fils d'Azzedin,<br />

frère aîné de Mahammed et Bou Renan. Celui-ci est un autre personnage, des<br />

cendant de Guidoun, un des fils de Naeer, ancêtre de la famille.<br />

(2) Ch. Féraud ; Ferdjioua et Zouagha, Revue Africaine, Année 1878, p. 96.


-40-<br />

tairement par le chemin de la montagne pour forcer Bou Akkas à se<br />

prononcer franchement à potre égard. Féraud a reproduit, dans un<br />

de ses articles (1), le texte exact du récit que fit le Duc au Maréchal<br />

Bugeaud, après l'événement. Certains passages, que nous reproduisons,<br />

mettent très nettement en valeur la conduite douteuse de Bou Akkas.<br />

« La nouvelle de ma venue, (dit le Duc) le mit dans une grande<br />

perplexité et,<br />

comme d'habitude, il jeta en avant, pour assurer le ter<br />

rain, quelques lettres protestant de sa soumission,<br />

mais ne l'engageant<br />

en rien.. Puis, à mesure que je m'approchais, il trahit, par mille dé<br />

marches incohérentes, le combat qui se livrait entre son orgueil, la<br />

crainte de compromettre une situation ménagée à tant de frais, et la<br />

méfiance qui est le fond dominant de son caractère. Tantôt il deman<br />

dait une entrevue seul à seul, d'égal à égal ;<br />

puis il voulait me faire<br />

détourner de mon chemin, pour recevoir la difa préparée sur une autre<br />

route ; un nouveau message demandait un officier en otage pendant<br />

qu'il se présenterait ; un autre invoquait une lettre d'aman. A toutes<br />

ces démarches mes réponses étaient brèves : « Dites à votre cheikh<br />

que je le sais fort occupé et que je n'ai pas besoin de le voir ; s'il<br />

désire me parler, il connaît mon chemin et sait ce que le serviteur doit<br />

au maître... Il me rejoignit deux lieues plus loin, à la tête de 500 cava<br />

liers presque réguliers, parfaitement montés et armés, mit pied à terre<br />

et me baisa la main à plusieurs reprises ; puis il m'escorta jusqu'aux<br />

limites de son territoire, et renouvela, en se séparant, les actes de la<br />

plus complète soumission ».<br />

Ce récit montre très bien la personnalité de Bou Akkas et tout<br />

ce qu'il y avait d'hypocrite dans sa conduite. Sa politique à notre égard<br />

était l'expression parfaite du double jeu. Loyal en apparence, il ne<br />

cessait en réalité d'entretenir de secrètes relations avec les plus grands<br />

ennemis de la cause française : l'ancien bey de Constantine, El-Hadj-<br />

Ahmed, et l'émir Abd-el-Kader. Or en décembre 1847, celui-ci vaincu,<br />

se soumettait à la France ; l'année suivante le bey, réfugié depuis sa<br />

chute dans les montagnes de l'Aurès, se rendait à son tour. Cette double<br />

victoire pour nos armées détruisit les espérances de Bou Akkas. D'une<br />

intelligence très lucide, il comprit que la victoire de la France en<br />

Algérie était désormais définitive, et qu'une résistance poussée plus<br />

longtemps s'avérait inutile. Il finit par se décider à la soumission, sur<br />

les instances du Capitaine de Neveu, Directeur divisionnaire des Affai<br />

res indigènes qui, pour lui ôter toute crainte d'arrestation et lui donner<br />

confiance, lui offrit son propre fils en otage. Alors Bou Akkas, accom<br />

pagné du Capitaine de Neveu, fit son entrée à Constantine le 12 octo<br />

bre 1850. Le 13 au matin, il faisait sa visite au Général de Saint-Arnaud<br />

et dans l'après-midi, il assistait, en grand équipage, aux courses de<br />

Constantine. Et le 14 il déjeunait chez le Généralavec toutes les nota<br />

bilités de la province. C'était un grand événement. Le Général de<br />

Samt-Arnaud ne manqua pas de le souligner largement dans sa cor-<br />

(1) Ch. Féiuud : idem, p. 101.


__41 —<br />

respondanee. S'il exagérait en affirmant que cette reddition signifiait<br />

« l'inviolabilité du Ferdjioua, disparue au souffle de la puissance<br />

française » (1), il avait raison cependant d'en souligner l'importance.<br />

Bou Akkas était désormais notre agent et devait remplir des obliga<br />

tions à notre égard ; il allait d'autre part nous apporter son précieux<br />

concours, dans les expéditions à venir.<br />

Ainsi, avec l'appui des deux grandes familles indigènes de la ré<br />

gion, riches nous-mêmes d'expérience personnelle fournie par douze<br />

années de contact permanent avec la race et le territoire kabyles, nous<br />

étions en mesure d'entreprendre la conquête définitive de la Kabylie<br />

Orientale, et de la mener à bien.<br />

L'autorité eut la clairvoyance de juger comme telle l'opportunité<br />

du moment, et de ne pas laisser passer l'occasion. L'expédition ordon<br />

née en 1850 inaugure une ère nouvelle pour la Kabylie Orientale et<br />

prélude aux grandes expéditions suivantes. Pour la première fois en<br />

effet, nous allions rompre avec les habitudes passées, et chercher à<br />

faire œuvre durable dans le pays. Au début de l'année, les tribus si<br />

tuées entre Sétif et Bougie s'agitaient de nouveau, et un officier de<br />

bureau arabe de Sétif, le lieutenant Gravier, avait été, peu de temps<br />

auparavant, grièvement blessé par un montagnard de la région. L'in<br />

soumission des tribus rendait impossible toute communication entre<br />

les deux villes. Le Gouvernement chargea, en conséquence, le Général<br />

de Barrai, commandant supérieur de la subdivisition de Sétif, d'ouvrir<br />

une route stratégique de Sétif à Bougie, en prenant pour guide les ves<br />

tiges encore visibles par endroits des anciennes routes romaines. Il<br />

devait suivre à peu près le tracé de la plus occidentale. Partie, le 9 mai<br />

de Sétif, la colonne formée par le Général, gravit les pentes du Djebel<br />

Anini, passa chez les Ouled Mendil sans rencontrer de résistance. Puis,<br />

après avoir traversé le Bou Sellam, la colonne visita le pays des Ghe-<br />

boula et des Béni Ourfilan, mais chez les Beni-Immel, rencontra une<br />

résistance armée. Dès les premiers combats, le Général de Barrai trou<br />

va la mort. Le Colonel de Lourmel, qui prit le commandement, mena<br />

à bien la campagne en recevant la soumission des tribus visitées. Il<br />

échelonna alors ses troupes dans les montagnes et leur fit commencer<br />

les premiers travaux de route. Dix-huit jours suffirent pour accomplir<br />

ce travail. Le Colonel le compléta en poussant une incursion vers l'Est,<br />

au cœur même du pays kabyle, chez les Kherrata, puis chez les Beni-<br />

Méraï (2),<br />

qui reçurent pour la première fois notre visite. La colonne<br />

rentra ensuite à Sétif où elle arriva le 8 juillet.<br />

Cette campagne faisait époque dans l'histoire de la Kabylie Orien<br />

tale. Non seulement nous avions pénétré pour la première fois, au<br />

cœur même de la Kabylie des Babors, mais encore, l'inauguration des<br />

premiers chantiers de la route montrait que le but même de nos opé-<br />

(1) Général de Saint-Aiinaud : Lettre du 15 novembre 1850<br />

(2) Ces deux tribus sont situés sur la rive droite de l'Oued Agrioun.


— — 42<br />

rations avait changé. Aux coups de force sans lendemain des pre<br />

mières années, nous avions substitué pour la première fois une action<br />

durable. Le Général Bosquet, successeur du Général de Barrai put<br />

constater, dès son arrivée, l'amélioration notable apportée par cette<br />

expédition à la situation du pays ; il put avec une très faible escorte,<br />

se rendre sans être nullement inquiété, de Sétif à Bougie par la route<br />

récemment ouverte. A vrai dire ce n'était encore qu'une piste,<br />

où l'on<br />

circulait à dos de mulet, en campant chaque nuit pour éviter les sur<br />

prises. Pauline Roland l'emprunta pour se rendre de sa prison d'Alger<br />

à la ville de Sétif, qu'on lui avait assignée comme résidence surveillée,<br />

et elle y prit les fièvres qui l'ont conduite à la mort (1). Cependant Sé<br />

tif, quelque peu débloquée vers le Nord-Est,<br />

allait pouvoir être ravi<br />

taillée directement par Bougie, et y écouler le produit de ses céréales.<br />

Ainsi 1850 est une véritable année-charnière dans l'histoire de la<br />

conquête de la Kabylie Orientale. Elle inaugure la période des grandes<br />

expéditions qui vont aboutir à la pacification totale de la région.<br />

(1) Marcel làitiiir : Pauline Roland cl les déportés d'Afrique, p. 85-86.


DEUXIEME PARTIE<br />

LÀ CONQUETE DEFINITIVE<br />

DE LA KABYLIE ORIENTALE


LA CONQUETE DEFINITIVE DE LA KABYLIE ORIENTALE<br />

CHAPITRE I<br />

LES CARACTERES GENERAUX DES GRANDES EXPEDITIONS<br />

De tous les événements politiques qui se déroulèrent de 1851 à<br />

1865, il se dégage plusieurs caractères généraux, qu'il'est intéressant de<br />

souligner.<br />

L'histoire de la conquête, considérée dans le temps, nous appa<br />

raît longue et difficile. Sans même compter les douze années de pré<br />

paration qui de 1838 à 1850, nous permirent de l'amorcer, il fallut<br />

encore une quinzaine d'années pour réaliser la pacification définitive<br />

de la région. Pour soumettre ces tribus belliqueuses,<br />

avides d'indépen<br />

dance et de liberté, il ne suffit pas d'une seule expédition sur leur ter<br />

ritoire. Mais il fallut recommencer presque chaque année des opéra<br />

tions contre ces populations, soumises assez rapidement après les pre<br />

miers combats, mais aussitôt en rébellion après le départ de nos trou<br />

pes. Avant 1871, la Kabylie Orientale n'a joui véritablement que de<br />

cinq années de paix absolue, ce qui paraît bien peu de chose en com<br />

paraison des autres régions algériennes pacifiées pour la plupart,<br />

depuis longtemps déjà. La Grande Kabylie elle-même, qui semblait<br />

pourtant un bastion plus redoutable, ne nous donna plus d'inquiétudes<br />

à partir de 1857, lorsque Randon eût soumis le pâté des Zouaoua, cen<br />

tre de la résistance. A la même date, la Kabylie à l'Est de Bougie, était<br />

loin d'être pacifiée et la puissance des grands chefs indigènes encore<br />

intacte.<br />

Si l'on considère ce que furent dans l'espace, les différents théâ<br />

tres d'opérations, il ressort que la conquête a eu un caractère assez<br />

fractionné. Non seulement il n'y eut pas de vaste expédition s'étendant<br />

aux deux Kabylies à la fois ; mais encore, dans la seule Kabylie Orien<br />

tale, les diverses campagnes militaires ne s'étendirent jamais à l'en<br />

semble de la région. Presque chaque expédition se borna à un cadre<br />

restreint, soit le triangle limité par Bougie, Sétif, Djidjelli, soit la<br />

région comprise entre Djidjelli, Mila, Philippeville. Seules les opéra<br />

tions de 1851, 1853 et 1864-65, débordèrent légèrement hors de ces cadres.<br />

Cet aspect fragmentaire est dû, semble-t-il moins au manque d'effec<br />

tifs qu'aux difficultés des campagnes à réaliser dans un espace de<br />

temps très court entre la gênante saison des pluies de printemps et


— — 46<br />

les chaleurs accablantes de l'été, que nos troupes supportaient diffici<br />

lement ; ou bien pendant la cour^ saison d'automne,<br />

de l'hiver où la neige sur les montagnes,<br />

ciles.<br />

Si l'on analyse l'origine même des expéditionjS,<br />

avant les froids<br />

rendait les opérations diffi<br />

et leur aspect<br />

politique, il est intéressant de constater qu'elles furent, peut-être plus<br />

que les autres campagnes d'Afrique, subordonnées étroitement à des<br />

faits politiques étrangers à la question même de conquête,<br />

et que les<br />

raisons personnelles des généraux ou des hommes gouvernementaux<br />

primèrent bien souvent les raisons strictement militaires.<br />

L'histoire de la conquête peut se diviser en deux grandes phases.<br />

De 1851 à 1858, nos généraux entreprirent la soumission de la Kabylie<br />

Orientale de concert avec les grands chefs indigènes du Ferdjioua, du<br />

Zouagha et de la vallée de l'Oued-el-Kébir. Ils n'intervinrent jamais<br />

dans les affaires de Bou Akkas. S'ils durent faire la guerre dans le<br />

commandement de Bou Renan, le but immédiat des expéditions ne<br />

fut pas de soumettre les tribus à notre autorité directe, mais bien à<br />

celle du chef indigène.<br />

Mais, en 1858, la situation politique n'est plus la même. A cette<br />

date nous avions étendu notre domination sur une partie considérable<br />

de la Kabylie Orientale. Toutes les tribus du cercle de Djidjelli étaient<br />

pacifiées ; la soumission des tribus des Babors, comme celle du pâté<br />

de Collo, était en bonne voie. Seules les tribus des commandements<br />

indigènes ne connaissaient pas notre autorité directe. Or, les chefs du<br />

Zouagha et du Ferdjioua ne savaient plus maintenir l'ordre dans leur<br />

territoire ; la révolte grondait chez eux. Ils devenaient alors une en<br />

trave dont il fallait se débarrasser. Si bien qu'après avoir marché de<br />

concert avec les chefs indigènes, l'autorité tendit, tout naturellement,<br />

lorsque ces agents en furent arrivés à nous créer plus de sources de<br />

difficultés que de profit, à détruire leurs commandements, pour les<br />

faire passer sous notre autorité directe.<br />

Ainsi, à la première phase qui réalisa la soumission des tribus in<br />

dépendantes de la région, succède une deuxième phase, de 1858 à<br />

1865 : celle de la destruction des grands commandements indigènes ;<br />

destruction progressive, faite avec ménagement de notre part, mal*<br />

qui n'en suscita pas moins de brusques à-coups, et la rébellion des<br />

grands chefs kabyles contre notre autorité.


CHAPITRE II<br />

LES GRANDES EXPEDITIONS DANS LE TRIANGLE<br />

DJIDJELLI-MILA-PHSLIPPEVILLE<br />

Dès la fin de 1850, une campagne de grande envergure fut décidée<br />

en Kabylie et cette nouvelle provoqua une grande effervescence dans<br />

les deux Kabylies. Le foyer de l'agitalion se trouvait dans le Djurdju<br />

ra : c'est de la tribu des Beni-Mellikeuch,<br />

sur les pentes méridionales<br />

de cette chaîne que partait le signal de la résistance, donné par un<br />

nouveau chérif, apparu depuis peu de temps, Bou Baghla. D'une per<br />

sonnalité plus marquante que les fanatiques précédents, il avait su<br />

acquérir une énorme popularité parmi les tribus, en usant de strata<br />

gèmes qu'il présentait comme des miracles. Ces procédés lui avaient<br />

permis d'entraîner, dans la révolte, la plupart des tribus de Grande<br />

Kabylie, et de communiquer l'agitation jusqu'en Kabylie Orientale.<br />

Le Gouverneur Général d'Hautpoul proposa de faire une grande<br />

opération concertée entre les troupes de Constantine à l'Est, d'Alger<br />

à l'Ouest, et des corps de cavalerie au Sud. Le théâtre de la campagne<br />

s'étendrait aux deux Kabylies à la fois. Des échanges de vues à ce<br />

sujet, entre Constantine, Alger et Paris, durèrent jusqu'au début de<br />

1851 ; le Ministre de la Guerre se décida finalement pour une expédi<br />

tion restreinte à une seule Kabylie.<br />

Restait à choisir entre l'une ou l'autre. D'Hautpoul, intéressé da<br />

vantage par la Kabylie du Djurdjura, voulait détruire, en premier lieu,<br />

le pâté des Zouaoua qu'il considérait comme le centre de toutes les<br />

résistances, le foyer de toutes les insurrections. Il pensait que la Ka<br />

bylie Orientale tomberait ensuite d'elle-même. Or Saint-Arnaud pré<br />

conisait au contraire une action en Kabylie Orientale. Chacun soutint<br />

sa cause à Paris ; le Général d'Hautpoul y envoya un émissaire ; de<br />

son côté Saint-Arnaud écrivait (1) : « Le Gouverneur suppose que le<br />

Djurdjura et les Zouaouas soumis, les Kabyles du Babor, de Djidjelli<br />

et de Collo (petite Kabylie), tomberont d'eux-mêmes. Je serais plutôt<br />

de l'avis contraire. Il n'y a aucune corrélation entre les Kabyles du<br />

Djurdjura et ceux qui habitent entre Bougie et Philippeville. Il y a<br />

mieux : je pense que si quelque événement pouvait influer sur les<br />

dispositions de ces différentes fractions de Kabylie, ce serait la sou<br />

mission du pâté de la Kabylie situé entre Bougie et Philippeville qui,<br />

isolant complètement les Zouaouas, leur ferait faire de salutaires ré<br />

flexions sur leur position.<br />

(1) Voir Quatrelles l'Epine : Le Maréchal de Saint-Arnaud, tome II, p. 54.


-48-<br />

« D'un autre côté, il n'y a pas urgence à aller chez les Zouaouas,<br />

qui restent chez eux et sont loin de tous nos établissements, mais il y a<br />

honte à laisser Djidjelli bloqué depuis douze ans ; il y a danger à<br />

laisser insoumises des tribus qui sont à deux heures de nos colonies<br />

agricoles. Enfin, il y aurait faute à ne pas profiter des bonnes disposi<br />

tions de Bou Akkas et des frères Ben Azzedin qui comptent sur nous<br />

et nous attendent pour en finir au printemps avec toute cette Petite<br />

Kabylie ... Nous avons vu aussi (1)<br />

que des raisons personnelles le sou<br />

tenaient dans cette volonté ; elles sont nettement exprimées dans ces<br />

mots écrits à son frère en février 1851 : « Ce que je désire par dessus<br />

tout, c'est faire l'expédition de Djidjelli que j'ai préparée avec amour<br />

et qui me posera haut, car elle réussira... Avec l'expédition de Djidjelli,<br />

je me place donc, et je gagne ma troisième étoile »,<br />

Le Ministère,<br />

par courrier du 12 mars décida en faveur de la pro<br />

position de Saint-Arnaud, au grand mécontentement du Gouverneur<br />

Général. Celui-ci, membre de l'Assemblée Législative, ne pouvant exer<br />

cer à ce titre qu'un commandement temporaire, fut obligé,<br />

afin d'en<br />

solliciter le renouvellement, de se rendre à Paris. Il quitta l'Algérie le<br />

25 avril, laissant comme intermédiaire, le Général Pélissier. Ainsi re<br />

vint à Saint-Arnaud, toute la responsabilité et la direction effective de<br />

l'expédition. Plus tard, le Général d'Hautpoul attribua la responsabilité<br />

de cette décision en faveur de la Kabylie Orientale à l'ambition du<br />

Général Randon, alors ministre de la Guerre. « Prévoyant (écrit-il<br />

dans ses Mémoires), qu'il ne conserverait pas son poste, il songeait<br />

peut-être déjà à se faire nommer Gouverneur Général de l'Algérie, au<br />

sortir du Ministère, et dans ces conditions, il entendait bien se réserver<br />

lui-même l'honneur et les avantages de l'expédition préparée par le<br />

Général d'Hautpoul ». En réalité, le rôle de Randon fut bien modeste<br />

en comparaison de celui du commandant Fleury,<br />

conseiller de Louis-<br />

Napoléon Bonaparte, et du Prince-Président lui-même. Celui-ci, décidé<br />

à faire son coup d'Etat, avait besoin de généraux, et d'un ministre de<br />

la Guerre, prêts à accepter la responsabilité de donner aux troupes des<br />

ordres contraires à la Constitution. Fleury, dans ses « Souvenirs » ra<br />

conte le long entretien qu'il eut avec le prince au début de 1851. Louis-<br />

Napoléon avait des difficultés à réaliser son coup d'Etat, car les<br />

meilleurs généraux de l'époque se trouvaient dans les camps opposés.<br />

Il fallait au Prince des hommes nouveaux, énergiques, et dont le carac<br />

tère puisse s'adapter facilement à la tâche exigée. Or Fleury avait bien<br />

connu Saint-Arnaud en Algérie ; il avait servi sous ses ordres à Orléans-<br />

ville ; et avait pu apprécier ses qualités. Il en dit beaucoup<br />

de bien à<br />

Louis-Napoléon et termina ainsi : « Voilà l'homme que je vous propose<br />

pour devenir, dans six mois, votre ministre de la Guerre et l'instrument<br />

du coup d'Etat. Toutefois, s'il a les qualités supérieures des généraux<br />

qui sont vos adversaires, il n'en a pas le grade, la notoriété, le bagage<br />

(1) Voir chapitre IV,<br />

lr*<br />

partie.


y<br />

- 49<br />

-<br />

militaire qui constituent l'influence et la renommée. Il est à Constan<br />

tine, aux portes de la Petite Kabylie qui n'est pas encore soumise et dont,<br />

cependant, la'<br />

soumission s'impose. Faites ordonner celte expédition,<br />

donnez-lui en le commandement,<br />

renforcez sa colonne et soyez sûr<br />

qu'il se distinguera de telle façon, que vous pourrez le nommer général<br />

de division, le faire revenir à Paris et l'avoir sous la main pour lui<br />

donner le ministère lorsque l'heure aura sonné. Si vous adoptez ce<br />

plan, Monseigneur, autorisez-moi à conférer avec le Général Randon et,<br />

une fois la chose arrêtée, les préparatifs de la campagne commencés,<br />

permettez-moi de partir pour Constantine à titre d'envoyé militaire de<br />

la présidence... Sous prétexte de suivre la campagne j'aurai toutes les<br />

facilités de négocier avec Saint-Arnaud, de lui exposer la situation, de<br />

vaincre ses hésitations, s'il en montre, et d'obtenir enfin son adhésion<br />

formelle au grand rôle que vous lui destinez » (1).<br />

Louis-Napoléon ne connaissait pas Saint-Arnaud, mais il se laissa<br />

convaincre et adopta ce plan. Le lendemain Fleury<br />

alla en faire part<br />

à Randon, le mit à demi-mot dans la confidence. Randon donna son<br />

consentement, demandant simplement, lorsque le moment de l'exécu<br />

tion viendrait, de retourner en Algérie comme gouverneur. Le repro<br />

che du Général d'Hautpoul à l'égard de Randon n'est donc pas valable,<br />

et l'initiative du choix de la campagne revient tout entière à Fleury<br />

et au Prince-Président.<br />

Il était temps d'agir d'ailleurs : l'excitation dans la région ne faisait<br />

que croître. Le commandant supérieur de Philippeville, venu jusqu'à<br />

Collo pour reconnaître le tracé d'une route projetée entre ces deux<br />

villes était soudainement attaqué par la tribu des Achach qui envahi<br />

rent Collo. Cet officier, pourchassé, dut se réfugier avec sa suite dans<br />

un bateau et revenir par mer à Philippeville. Huit mille hommes fu<br />

rent alors réunis à Mila, sous les ordres de Saint-Arnaud (2). Le but<br />

immédiat de ce chef était de débloquer la ville de Djidjelli prisonnière<br />

dans ses murs depuis douze ans. Il fallait donc traverser rapidement<br />

les montagnes séparant Mila du littoral pour arriver à Djidjelli. Cette<br />

ville servirait alors de point d'appui à une série d'attaques destinées à<br />

soumettre toutes les iribus du cercle. Ce résultat atteint, on irait par<br />

une marche vers l'Est, combattre les tr.bus de la vallée inférieure de<br />

l'Oued-el-Kébir, du pâté de Collo et de l'Oued Guebli, pour assurer par<br />

ces dernières mesures, une complète sécurité à la route comme aux<br />

centres de colonisation de la vallée du Safsaf.<br />

Nos troupes se mirent en marche le 8 mai ; 8 jours après elles<br />

étaient déjà devant Djidjelli. Pour arriver à ce résultat il avait fallu<br />

beaucoup d'audace de leur part. Après avoir traversé le Zouagha (3),<br />

nos troupes abordèrent l'inconnu : chez les Ouled Askeur, l'ennemi était<br />

(1) Souvenirs, du Général comte Fleury, Paris, 1897, 3= édition, tome I, p. 131<br />

et 132.<br />

/<br />

(2) Pour le récit des opérations, voir carte III.<br />

(3) par FedJ-Baïnem.


— — 50<br />

en armes, mais nos troupes en furent victorieuses. Après avoir campé<br />

à El-Aroussa, elles descendirent par des sentiers très difficiles en di<br />

rection de l'embouchure de l'Oued-el-Kébir. Les engagements étaient<br />

d'autant plus vifs que nous approchions de l'endroit fatal où Osman<br />

Bey<br />

et son armée avaient été massacrés en 1804. On arriva cependant<br />

à sortir du massif montagneux, pour déboucher dans la plaine littorale.<br />

La marche y fut désormais facile jusqu'à Djidjelli où l'on arriva le 16<br />

mai. Cette traversée avait été trop<br />

rapide pour amener de véritables<br />

résultats ; les Ouled-Askeur, Beni-Aïcha et Beni-Habibi avaient été<br />

très maltraités mais ne s'étaient pas soumis. Le Général se promettait<br />

de revenir un plus tard dans la région.<br />

Pour l'instant il songeait à débloquer Djidjelli par une série d'opé<br />

rations successives vers le Sud, l'Ouest et l'Est. Au Sud de la ville se<br />

trouvaient les Beni-Amran, tribu puissante et hostile ; leur châtiment<br />

serait un exemple pour les voisins. Parti le 19 de Djidjelli, Saint-Ar<br />

naud alla leur livrer deux brillants combats qui causèrent des pertes<br />

nombreuses, non seulement aux Beni-Amran, mais aussi aux Beni-<br />

Foughal et Beni-Khettab qui avaient envoyé des contingents. Aussitôt<br />

Beni-Amran, Beni-Khettab et Beni-Ahmed firent soumission. Conti<br />

nuant sa marche vers le Sud, la colonne arriva le 24 mai au col de<br />

Tibaïren, à la limite du Ferdjioua. Elle n'avait pas besoin d'aller plus<br />

loin,<br />

car le pays qui s'étendait désormais devant elle était maintenu<br />

dans le plus grand calme par B°u-Akkas. Le Général reprit alors la<br />

direction de Djidjelli,<br />

en passant cette fois plus à l'Ouest chez les<br />

Béni Foughal et les Béni Ourzeddin en armes. Après un essai malheu<br />

reux de résistance, ces tribus durent demander l'aman, et entraînèrent<br />

plusieurs voisines dans un acte analogue. Le 2 juin, de retour à Dji<br />

djelli, Saint-Arnaud pouvait considérer comme soumis tout le Sud du<br />

cercle.<br />

Il fallait obtenir le même résultat du côté de l'Ouest. Le 5 juin,<br />

quittant de nouveau Djidjelli, Saint-Arnaud marcha en direction de<br />

Ziama. Au passage il soumit les Beni-Aïssa, puis chez les Beni-Maad,<br />

il trouva réunis les contingents voisins des Ouled Nabet, Ouled Ali et<br />

Béni Marmi. Après deux jours de combat, Béni Maad et Béni Marmi<br />

arrivèrent à composition. Arrivé à Ziama, le Général avait soumis<br />

toutes les tribus de l'Ouest du cercle, et même les Béni Segoual et Béni<br />

Bou Youssef, relevant du cercle de Bougie. Sa tâche terminée, la co<br />

lonne rentra à Djidjelli le 16 juin.<br />

Restaient les tribus de l'Est, dont la plupart n'avaient point encore<br />

vu nos armes. Après avoir donné deux jours de repos à ses troupes,<br />

le Général quitta Djidjelli le 18 juin pour la troisième et dernière fois,<br />

et se dirigeant vers l'Est, au lieu de prendre le chemin facile du litto<br />

ral emprunté à l'aller, il s'engagea cette fois au cœur de la montagne<br />

pour arriver jusque chez les Beni-Ider. Dès ce moment, la colonne eut<br />

constamment devant elle, non seulement les contingents qu'elle avait<br />

combattus à l'aller, mais ceux de toutes les tribus de l'Oued-el-Kébir, qui<br />

envoyaient des renforts pour nous disputer le passage. Après plusieurs


— 51 —<br />

combats acharnés, les Béni Ider demandèrent l'aman ; puis ce fut le<br />

tour des Béni Mameur et des Beni-Ftah ; enfin celui des Ouled-Askeur.<br />

Le 24 juin la colonne se montra chez les Béni Habibi,<br />

et il fallut une<br />

action vigoureuse pour obtenir leur soumission. Elle arriva aussitôt<br />

près de l'embouchure de l'Oued-el-Kébir, à la limite du sercle de Dji<br />

djelli ; après avoir imposé obéissance aux Ledjenah et Beni-Salah.<br />

Désormais, toutes les tribus du cercle sauf les Béni Afeur, dont le<br />

territoire, trop méridional n'avait pas été visité, avaient fait acte de<br />

soumission.<br />

La même besogne devait s'accomplir maintenant, dans la région<br />

de Collo et de l'Oued Guebli. Le 1"<br />

juillet, Saint-Arnaud se porta sur<br />

la rive droite de l'Oued-el-Kébir, soumit successivement les Béni Bel-<br />

Aïd, Béni Meslem, Djebala, Béni Fergan et Mchat, tout en remontant<br />

la vallée jusque chez les Ouled-Aïdoun. Pendant ce trajet il avait fallu,<br />

comme depuis le début de la campagne, livrer d'incessants combats<br />

pour arriver à obtenir des soumissions. Après quelques jours de repos,<br />

au bivouac d'El-Milia, la division se remit en marche le 12 juillet, en<br />

direction de Collo. Il fallait traverser les crêtes des Beni-Toufout sé<br />

parant l'Oued-el-Kébir de l'Oued Guebli ; la vallée de l'Oued Izouggar,<br />

affluent du Guebli aurait été un passage assez commode s'il n'avait<br />

été fortement défendu par les Béni Toufout, renforcés par une fraction<br />

encore insoumise des Ouled-Aïdoun, et par des contingents venus de<br />

chez les Achach et les Béni Ishak du Goufi. Le Général préféra engager<br />

la colonne sur les crêtes voisines pour redescendre ensuite sur l'Oued<br />

Guebli,<br />

qu'il suivit sans difficulté jusqu'à Collo où il arriva le 15 juil<br />

let. La petite ville était notre alliée, mais il fallait punir les tribus voi<br />

sines des Achach et les Béni Ishak, qui avaient attaqué le commandant<br />

supérieur supérieur de Philippeville, et menacé plusieurs fois la viile<br />

de Collo. C'est pourquoi le 16 et le 17, un détachement fut lancé contre<br />

les villages des Achach. Un autre contingent dirigé contre les Béni<br />

Ishak eut à combattre un rassemblement important, comprenant aussi<br />

des Ouled Attia et des Aïchaoua. Partout nos armes furent victorieuses<br />

et le résultat de ces deux journées fut d'amener au camp les Achach.<br />

Pendant ces opérations, Collo fut entouré d'ouvrages en terre par les<br />

troupes restées au camp. On y nomma un nouveau caïd, chargé de re<br />

présenter nos intérêts. Puis brusquement, le 18 juillet, le Général ar<br />

rêta les opérations, annonça la fin de la campagne et renvoya les trou<br />

pes dans leurs garnisons.<br />

La fin hâtive de cette campagne a été jugée très diversement par<br />

les historiens. Tous s'accordent pour constater que le plan des opéra<br />

tions, annoncé au début de la campagne, n'avait été qu'en partie réa<br />

lisé. Dans le pâté de Collo, les Béni Ishak, Ouled Attia et Aïchaoua,<br />

restaient encore insoumis. Coilo n'avait pu être occupé malgré les<br />

demandes pressantes des Colliotes ; la route de Philippeville restait<br />

comme auparavant à la merci d'attaques de la part des montagnards<br />

de la rive droite de l'Oued Guebli, qui n'avaient pas été visités.


— — 52<br />

Mais les raisons données à cet arrêt prématuré des opérations oui<br />

été très diverses suivant les auteurs. Certains pensèrent que les mau<br />

vaises conditions matérielles dans lesquelles se terminait la campagne,<br />

étaient les seuls motifs valables. Le corps expéditionnaire, en effet,<br />

était vraiment fatigué par deux mois et demi de marches dans un<br />

pays difficile où il avait fallu le plus souvent ouvrir soi-même des<br />

rouies encore inexistantes. Les combats avaient été incessants, et les<br />

pertes n'étaient pas négligeables. Ii avait fallu aussi, au col de Tibaï-<br />

ren, se dessaisir de deux bataillons confiés au Général Bosquet, pour<br />

aller réprimer l'agitation qui se manifestait du côté de Bougie. Si<br />

bien que, parti de Mila avec plus de 8.000 soldats, le Général se re<br />

trouvait à Collo avec environ 6.000 hommes. Cet effectif n'était plus<br />

suffisant pour mener à bien<br />

le"<br />

reste de la campagne. Le climat par<br />

ailleurs devenait intolérable ; les soldats en ce mots de juillet suppor<br />

taient péniblement la chaleur rendue plus accablante encore par le<br />

souffle brûlant du siroco (1). Ces motifs ont dû sûrement contribuer<br />

pour une bonne part à la décision de Saint-Arnaud.<br />

Mais les considérations politiques ont certainement joué un plus<br />

grand rôle. Saint-Arnaud était l'homme désigné par Fleury<br />

au Prince-<br />

Président, comme linstrument futur du coup d'Etat ; et Fleury pour<br />

convertir Saint-Arnaud à ses vues, était arrivé en Algérie dès le 23<br />

avril, escorté de plusieurs autres officiers, pour souligner,<br />

aux yeux<br />

du public, toute l'importance de cette expédition. On aurait tort de<br />

croire, cependant, que l'expédition ne fut jamais, dans l'esprit de<br />

Saint-Arnaud, qu'une simple comédie politique destinée à lui faire<br />

gravir l'échelon nécessaire, et à lui donner un poste à Paris. Il la<br />

conçut au contraire avec désintéressement, avec- l'intention de faire<br />

œuvre durable. Fleury<br />

réalisa la conversion de Saint-Arnaud au cours<br />

de l'expédition seulement, et précise dans ses « Souvenirs » : « Pen<br />

dant les quelques jours qui précédèrent le départ, je ne voulus pas<br />

aborder le but délicat de ma mission... j'affectai de rester dans le rôle<br />

d'un officier en mission venu tout exprès poux suivre la campagne et<br />

représenter le Président de la République. Tout à ses préparatifs et<br />

aux mille détails que comportait son commandement, le Général de<br />

Saint-Arnaud n'aurait pu prêter qu'une oreille distraite aux sugges<br />

tions que je lui aurais soumises » (2). Ces phrases sont confirmées par<br />

une lettre de Saint-Arnaud lui-même à son frère en février : « Si on<br />

persiste et qu'on m'appelle à Paris,<br />

mon thème est fait, ma ligne de<br />

conduite est tracée et je n'en sortirai pas. J'irai voir le Prince, et lui<br />

dirai avec franchise que je ne suis que militaire avant tout, et que je<br />

ne veux devenir homme politique qu'à mon aise, à ma guise et sur mon<br />

terrain. Ainsi pas d'Empire, pas de coup d'Etat, la loi, la constitution...<br />

j ; ■<br />

■,■<br />

i<br />

ta^iii^ian<br />

(1) Voir Randon : Rapport adressé à M. le Président de la République par<br />

le Ministre de la Guerre sur les opérations qui ont eu lieu en Algérie au prin<br />

temps 1851, Paris, 1851.<br />

(2) Générul Comte Fleury ; op, cit„ torac I, p. 135,


- 53<br />

-<br />

Voilà mon programme. Si on ne le trouve pas bon je rends ma canne,<br />

je prends ma disponibilité... » (1). C'est au cours de la campagne seule<br />

ment, que Fleury réussit à obtenir son adhésion résignée plus qu'en<br />

thousiaste si l'on en juge d'après ces mots écrits en juin, après le dé<br />

part de Fleury : « Qu'on me nomme Général de division et qu'on m'y<br />

laisse. Je passe un bail et je réponds de tout sur ma tête. J'en sortirais<br />

avec une belle réputation et qui sait ce que le ciel me réserve. J'aime<br />

peu la politique et j'aime la guerre. Enfin, il faut suivre sa destinée » (2 .<br />

Sûr désormais de l'appui de Saint-Arnaud, le Prince-Président ne cher<br />

cha plus qu'à hâter la fin de la campagne, et pour activer l'arrivée<br />

de Sa'nt-Arnaud à Paris, il le nomma prématurément Général de divi<br />

sion, dès le 10 juTlet. C'est donc à Louis-Bonaparte que revient la res<br />

ponsabilité de la fin hâtive de cette campagne. La sécurité de la région<br />

et notre prestige militaire en Kabylie Orientale étaient sacrifiés aux<br />

intérêts politiques des particuliers.<br />

Malgré l'insuffisance de cette campagne, on ne peut dire cependant<br />

avec le Maréchal Randon et ses panégyristes, que ses résultats furent<br />

à peu près nuls et que tout fut à refaire au cours des années suivantes.<br />

La colonne n'avait pas effectué une simple promenade militaire, elle<br />

avait tenu campagne pendant 80 jours, parcouru 650 kms, livré 26<br />

combats heureux, dans lesquels le huitième de son effectif avait été<br />

touché plus ou moins grièvement. Elle avait obtenu la soumission de<br />

quarante tribus nouvelles. Certes, la plupart se révoltèrent ultérieure<br />

ment, mais celles des Babors, soumises par Randon en 1853, agirent<br />

de la même façon. Saint-Arnaud eut le mérite de pénétrer le premier<br />

dans une région encore inconnue, et de réaliser pour la première fois,<br />

la liaison Constantine Djidjelli. D'autre part, il est sûr que Djidielli<br />

fut momentanément débloqué. L'« historique du cercle de Djidjelli »<br />

de l'année 1851, rédigé par le capitaine Philippe, chef du Bureau Arabe<br />

de Djidjelli, le montre amplement. En 1851, il décrit ainsi la situation<br />

de la ville, après l'expédition de Saint- Arnaud : « les incursions noc<br />

turnes dont on avait tant à se plaindre autrefois disparurent comme<br />

par enchantement, et depuis, la sécurité a continué à se maintenir<br />

dans les environs de Djidjelli. Pour en donner un exemple, il suffit<br />

de noter le fait suivant : un troupeau de bœufs appartenant à un colon,<br />

par défaut de surveillance du gardien, s'échappa dans la nuit et se<br />

dispersa dans les montagnes. Les cheikhs des diverses tribus furent<br />

prévenus et quelques jours de perquisition suffirent pour retrouver<br />

tous les bœufs égarés. Les recherches de cette nature, dans les pays<br />

les plus soumis, ne sont pas toujours aussi heureuses » (3). Plusieurs<br />

tribus aussi nous restèrent désormais définitivement soumises. Ce fu<br />

rent les Béni Kaïd, les Béni Hassen, Béni Ahmed.<br />

(1) Quaïrelles l'Epine : op. cit., tome II, p. 52.<br />

(2) Quatrelles l'Epine : idem, p. 80.<br />

(3) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> Affaires musulmanes. 8H-21. Car<br />

4. Histoire du cercle de Djidjelli. Année 1851.<br />

ton 17. Dossier n"


— — 54<br />

En 1851, le Capitaine Philippe signale,<br />

de l'expédition : « le commerce a également gagné,<br />

comme autre conséquence<br />

surtout celui des<br />

grains ; les huiles sont arrivées en grande quantité. Le marché de<br />

Djidjelli a pris beaucoup d'importance ; souvent on compte plus<br />

y de<br />

300 Kabyles... Une des conséquences les plus importantes de l'expé<br />

dition de 1851 est l'établissement de relations suivies des Arabes du<br />

Ferdjioua avec nos négociants de Djidjelli » (1).<br />

Pour la première fois aussi, on procéda à un essai d'organisation<br />

du cercle. Saint-Arnaud donna des caïds ou des cheikhs aux tribus<br />

suivant leur plus ou moins grande importance. La tribu des Béni Amran,<br />

dont le territoire est très étendu, fut divisée en deux et reçut deux<br />

caïds. Béni Ahmed et Béni Kaïd furent constitués chacun en un caïdat.<br />

Les tribus de l'Ouest, peu importantes, furent assimilées à des chei-<br />

khats. L'organisation des tribus de l'Est fut beaucoup<br />

plus difficile.<br />

Là se trouvait le marabout Mouley Chekfa, dont les ancêtres avaient<br />

toujours exercé une grande influence dans le pays. Son importance<br />

avait certes beaucoup diminué depuis quelques années, à cause des<br />

relations qu'il avait entretenues avec nous, et en 1851, ses partisans se<br />

réduisaient à quelques fractions des Béni Ider. Saint-Arnaud pensa se<br />

servir de cette famille comme de celles du Ferdjioua et du Zouagha ;<br />

il donna au fils de Mouley Chekfa, Si Lahoussin, le commandement<br />

de toutes les tribus de l'Est du cercle (2). Cette tâche était au-dessus<br />

de ses forces, mais on ne pouvait songer à une organisation plus di<br />

recte de ces tribus difficiles à gouverner. Pour maintenir dans l'obéis<br />

sance les tribus de l'Oued-el-Kébir qui ne faisaient pas partie du cercle<br />

de Djidjelli, on les fit passer dans le commandement de Bou-Renan.<br />

C'était les Béni Fergan, Djebalah, Ouled Ali, Taïlmen, Béni Ftah et<br />

Ouled Aouat (3). Ainsi l'autorité française contribuait elle-même à<br />

augmenter la puissance de Ben Azzedin.<br />

Malgré ces résultats certains, il était évident que l'œuvre restait<br />

incomplète. Saint-Arnaud avait négligé ce qui est le complément néces<br />

saire de toute expédition : la construction de routes stratégiques et<br />

de maisons de commandement,<br />

seuls instruments de pacification com<br />

plète. Et on a pu dire avec raison de l'œuvre du Général :• « C'était<br />

bien taillé, mais il aurait fallut coudre » (4). Faute d'avoir cousu, la<br />

plupart des soumissions obtenues ne furent que nominales. Un mois<br />

après le passage de la colonne, les tribus du pâté de Collo étaient de<br />

nouveau en armes. Bientôt suivirent celles de l'Est du cercle de<br />

Djidjelli ; et sur celles de l'Ouest, notre action allait sans cesse en<br />

diminuant.<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> Affaires musulmanes, 8H-21. Car<br />

n°<br />

ton 17. Dossier 4. Histoire du cercle de Djidjelli. Année 1851.<br />

(2) Si Lahoussin fut nommé caïd des Beni-Ider, Beni-Habibi, Beni-Siar, Beni-<br />

Mameur, Ledjenah, Beni-Salah, Ouled Belafou et Beni-Mazouz.<br />

(3) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 8H-21. Carton 12, dossier 6,<br />

n°<br />

6.<br />

pièce C/4,<br />

(4) Louis Rinn : Histoire de l'Algérie (manuscrit). Livre X, chap. 4, paragr. H.


La situation était donc telle,<br />

— — 55<br />

après le départ de Saint-Arnaud<br />

qu'elle réclamait une nouvelle expédition pour compléter l'œuvre com<br />

mencée. Saint-Arnaud le comprit si bien que, devenu ministre de la<br />

Guerre en octobre 1851, il décida une expédition dans la vallée de<br />

l'Oued-el-Kébir et dans la région de Collo pour le printemps suivant.<br />

Cette fois encore, la Kabylie Orientale était favorisée aux dépens de<br />

celle du Djurdjura où la situation était cependant critique. Depuis le<br />

début de 1851 Bou Baghla ne cessait d'y<br />

multiplier des exploits qui<br />

fortifiaient son audace. Malgré un échec, subi le 10 mai devant Bougie,<br />

il continuait à entretenir* l'agitation, et coupa les communications entre<br />

cette ville et Sétif. Ces événements étaient si graves qu'ils faillirent<br />

modifier le plan des opérations du côté de Djidjelli, et Saint-Arnaud,<br />

dans ses lettres, trahit son appréhension à ce sujet. On se contenta ce<br />

pendant de retirer, à la colonne Saint-Arnaud, deux bataillons qui, sous<br />

la conduite du Général Bosquet, allèrent renforcer le contingent du<br />

Général Camou entre Sétif et Bougie. Les deux généraux marchèrent<br />

alors contre le chérif, qui subit une déroute complète,<br />

blir les communications entre les deux villes.<br />

et purent réta<br />

Ce coup de force contraignit Bou Baghla à vivre quelque temps<br />

dans l'obscurité, mais il reparut dès janvier 1852, dans les montagnes<br />

voisines de Bougie, et fomenta de nouveau l'insurrection. Il fallait y<br />

mettre un terme : le Général Randon, Gouverneur Général de l'Algérie<br />

depuis le 31 décembre 1851, proposa à Saint-Arnaud, ministre de la<br />

Guerre, deux plans d'opérations possibles, l'un en Kabylie Orientale,<br />

l'autre dans le Djurdjura, en insistant pour l'adoption du deuxième.<br />

Mais Saint-Arnaud,<br />

qui avait à cœur d'achever son œuvre en Kabvlîe<br />

Orientale, opta pour le premier. Randon confia alors au Général Mac-<br />

Mahon, successeur de Saint-Arnaud au commandement de la province<br />

de Constantine, la direction des opérations.<br />

Celui-ci,<br />

partit le 12 mai de M;la, et se dirigea directement sur les<br />

Ouled Aïdoun de l'Oued-el-Kébir, dont une fraction était restée insou<br />

mise, en 1851 ; cette tribu, une fois vaincue, il fallait combattre un<br />

nouveau chér'f, Bou Sebâ, qui avait soulevé plusieurs tribus de la ré<br />

gion. Il était établi sur un des contreforts séparant l'Oued-el-Kéb'r de<br />

l'Oued des Beni-Aïcha. Le Général en fut vainqueur, dans un brillant<br />

combat ;<br />

aussitôt les contingents rebelles des Ouled-Aouat et Ouled<br />

Ali et autres se soumirent. Mac-Mahon prit alors le chemin de Collo<br />

par les crêtes des Béni Toufout qui, à leur tour, demandèrent grâce.<br />

Mais, au moment d'occuper la ville, le Général reçut de graves nouvelles<br />

qui le déterminèrent à modifier ses plans. Des mouvements insurrec<br />

tionnels venaient d'éclater dans l'Est de la province : Aïn-Beïda était<br />

bloqué ; les Hanencha, puissante tribu frontière, et leurs alliés, péné<br />

traient déjà dans la plaine de Bône pour la dévaster. L'occupation de<br />

Collo,<br />

en immobilisant une partie des forces risquait de gêner la li<br />

berté de mouvements du Général,<br />

qui devait être à même de se porter


— — 56<br />

avec des forces suffisantes, vers la région menacée. L'occupation de<br />

Collo fut donc ajournée (1) ; Mac-Mahon cependant, tout en envoyant<br />

une partie de ses troupes vers l'Est de la province, continua son ac<br />

tion sur le pâté de Collo. Il fallut livrer deux combats contre les Beni-<br />

Ishak, et grimper jusqu'au pic du Goufi pour obtenir la soumission de<br />

cette belliqueuse tribu. On compléta ce résultat en pénétrant,<br />

par la<br />

vallée dé l'Oued Zhour, chez les Ouled Attia, puis chez les Beni-Fergan<br />

qui cessèrent vite le combat. Le 3 juillet, la campagne était terminée.<br />

Quelques mesures administratives complétèrent ces opérations mi<br />

litaires. On fit passer les Béni Toufout du cercle de Constantine dans<br />

celui de Philippeville, où ils pourraient être soumis à une surveillance<br />

plus étroite. Pour assurer la tranquillité des populations de l'Oued Gue<br />

bli, on décida d'installer dans cette vallée un camp retranché de 100<br />

cavaliers à Aïn-Tabia.<br />

La campagne de 1852, restée inachevée comme la précédente,<br />

contribua cependant par la création de camp<br />

à la sécurité<br />

de la vallée du Safsaf, et à une plus grande soumission de la région<br />

montagneuse qui ne nous donna plus d'inquiétude jusqu'en 1858.<br />

(1) C'était la cinquième fois que nox colonnes se présentaient devant la ville<br />

sans pouvoir l'occuper.


CHAPITRE III<br />

LES PREMIERES GRANDES EXPEDITIONS DANS LE TRIANGLE<br />

SETIF-BOUGSE-DJIDJELLS<br />

La région comprise entre Djidjelli, Mila et Philippeville était dé<br />

sormais tranquille, et le commandement des Ben Azzedin bien affermi ;<br />

nous pouvions maintenant porter nos regards vers l'Ouest, et réaliser<br />

la soumission de toutes les montagnes comprises entre Bougie, Sétif<br />

et Djidjelli.<br />

Mais la Kabylie du Djurdjura demandait aussi une action immé<br />

diate et le Gouverneur Général Randon était bien décidé à réduire,<br />

dès 1853 le pâté montagneux des Zouaoua. Depuis deux ans il en avait<br />

lentement préparé les voies ; il avait enserré le massif du Djurdjura,<br />

de<br />

routes'<br />

stratégiques, dont une passait au Sud dans la vallée de la<br />

Summam, pour relier Bougie à Alger, et l'autre à l'Ouest, entre Dellys<br />

et Aumale. En 1852, d'autre part, un grand chef indigène Si Djoudi,<br />

qui avait dirigé jusqu'alors la révolte contre nous, était venu faire sa<br />

soumission à la France et promettre de chasser du Djurdjura, Bou<br />

Baghla, auteur de troubles constants dans la région. Il fallait profiter<br />

de ces circonstances favorables pour réaliser la soumission définitive<br />

du massif.<br />

Aussi, dès janvier 1853, Randon demanda-t-il au ministre de la<br />

Guerre Saint-Arnaud d'autoriser une expédition en Grande Kabylie.<br />

Sur l'approbation du ministre, Randon dressa un plan d'opérations<br />

qu'il communiqua à Saint-Arnaud. Puis il commença les préparatifs<br />

de l'expédition, lorsqu'une dépêche ministérielle du 3 mars, arrivée le<br />

9 à Alger lui annonça que : « l'intention de l'Empereur était que l'ex<br />

pédition fut dirigée par un Maréchal de France,... et que le Maréchal de<br />

France, désigné par l'Empereur, était le Ministre de la Guerre... qui<br />

viendrait, par sa présence à l'Armée d'Afrique, grandir l'importance<br />

d'une expédition, à laquelle le Gouverneur prendrait une large part,<br />

comme commandant d'une des deux colonnes ayant, en sous-ordre, un<br />

général de division et deux brigadiers •>, Randon, refusant la situation<br />

qui lui était faite, envoya au Ministre sa démission de Gouverneur Gé<br />

néral, et fit partir son premier aide de camp pour Paris, avec une lettre<br />

dans laquelle il demandait à l'Empereur d'être employé à titre de sim<br />

ple divisionnaire dans l'expédition. L'Empereur n'accepta pas cette<br />

démission : Randon demeura Gouverneur de l'Algérie ; Saint-Arnaud<br />

se déclara malade et la grande expédition du Djurdjura fut ajournée.<br />

Le Gouverneur Général maintenu, crut devoir insister sur la nécessité


— — 58<br />

de faire l'expédition projetée : il envoya son chef d'Etat-major porteur<br />

d'une seconde lettre à l'Empereur. Celui-ci,<br />

bliger ni l'un ni l'autre de ses généraux, que d'imposer sa volonté dans<br />

plus préoccupé de ne déso<br />

l'intérêt de la chose publique,<br />

il y a d'autres considérations... mais... cependant... » et se décida fina<br />

répondit : « C'est bien tentant... mais...<br />

lement pour une demi-mesure : pour ne pas déplaire à Saint-Arnaud<br />

il maintint son veto sonîre l'expédition du Djurdjura,<br />

et pour donner<br />

quelque satisfaction à Randon, il décida que l'expédition aurait lieu<br />

dans la Kabylie des Babors. Une fois de plus, le hasard avait décidé<br />

en faveur de la Kabylie Orientale, et les motifs de politique person<br />

nelle avaient passé avant les raisons purement militaires.<br />

L'expédition n'était cependant pas inutile : il était urgent de sou<br />

mettre les tribus des deux rives de l'Oued Agrioun, dont la plupart<br />

n'avaient encore jamais vu nos armes, et -de mettre en relation les ver<br />

sants méridional et septentrional des chaînes du Babor. Il était néces<br />

saire surtout de raffermir la situation dans le cercle de Djidjelli, où<br />

les tribus de l'Ouest échappaient de plus en plus à notre influence,<br />

cherchant à imiter celles de l'Est, révoltées depuis la fin de 1851.<br />

Sétif fut choisi comme point de concentration des troupes ; plus<br />

de 10.000 hommes s'y réunirent, formant deux divisions, commandées<br />

l'une par Mac-Mahon, l'autre par le Général Bosquet ; le Gouverneur<br />

Général se réservait le commandement suprême des opérations. Il était<br />

bien préparé à cette tâche : dès 1842, alors qu'il commandait le secteur<br />

de l'Edough, il avait pris contact avec la race kabyle,<br />

et compris que<br />

la seule façon d'arriver à une pacification complète de ces régions<br />

montagneuses du littoral, était de les traverser de routes stratégiques,<br />

et il avait immédiatement doté d'une belle route le massif d'Edough.<br />

Plus tard, comme ministre de la Guerre, il avait suivi avec intérêt les<br />

mouvements de la colonne Saint-Arnaud en Kabylie Orientale. Devenu<br />

Gouverneur Général de l'Algérie, il avait réorganisé l'Armée d'Afrique,<br />

et augmenté considérablement ses effectifs. Il pouvait donc entrepren<br />

dre cette campagne en toute sécurité. Pour maintenir les populations<br />

du Djurdjura, pendant les opérations, un camp d'observation fut ins<br />

tallé à Dra-el-Mizan, sous les ordres du Général Camou, tandis qu'à<br />

l'Est dans le Ferdjioua un autre contingent était placé sous les ordres<br />

de Bou Akkas, contrôlé lui-même par le commandant de Neveu.<br />

Le 18 mai, les deux divisions se mirent en marche (1). Celle de<br />

Mac-Mahon devait opérer sur l'Oued Berd, puis sur la rive droite de<br />

l'Oued Agrioun ; la division Bosquet, commandée par Randon, avait<br />

pour mission de soumettre, plus à l'Ouest, les tribus comprises entre<br />

l'Oued Agrioun et la route de Sétif à Bougie. Celle-ci, après avoir établi<br />

son camp sur l'Oued Drouats (2), châtia les tribus récalcitrantes des<br />

Djermouna et Rahmin, puis se dirigea vers le pays des Beni-Tizzi, pour<br />

(1) Pour la marche des opérations, voir carte III.<br />

(2) Oued Drouats, affluent de rive gauche de l'Oued Agrioun, est appelé au<br />

jourd'hui Oued Embareck.


— — 59<br />

arriver au col de Tizzi-Sakka. Là, nos troupes délogèrent les Kabyles<br />

de leur excellente position de défense, pesèrent ensuite sur le pays<br />

pendant quelques jours, jusqu'à obtenir les soumissions attendues. Les<br />

Beni-Tizzi ne tardèrent pas à venir demander l'aman, suivis bientôt de<br />

toutes les tribus des environs (1). La colonne put alors continuer son<br />

chemin en longeant le contrefort du djebel Tararist,<br />

pour descendre<br />

vers le littoral, par le pays des Beni-Ismaïl et des Aït-Ouaret Ouali.<br />

Elle ne rencontra plus désormais que de grosses difficultés de terrain.<br />

Après avoir campé à Si-Behan, au bord de la mer, elle arriva bientôt<br />

à l'embouchure de l'Oued Agrioun, au Souk-el-Tnin,<br />

faire jonction avec la division Mac-Mahon.<br />

où elle devait<br />

Celle-ci avait atteint l'Oued Berd le 19 mai, et soumis sans diffi<br />

culté, sur la rive droite, les E^ Muncha. Mais les tribus voisines, parti<br />

culièrement les Beni-Meraï, Inhzer-ou-Ftis, et Béni Felkaï, s'étaient<br />

préparées à la résistance. Pour les vaincre, Mac-Mahon alla établir son<br />

camp, en plein pays ennemi, à Aïn-si-Tallout, sur la crête d'un contre<br />

fort conduisant au Tababor. De cette position dominante, nos troupes<br />

purent rayonner sur les tribus environnantes, et frapper surtout les<br />

Béni Menalla et Béni Dracen, les plus proches du camp. Après plu<br />

sieurs combats, toutes les tribus de la rive droite de l'Oued Agrioun<br />

vinrent successivement demander l'aman. La division ne rencontra<br />

plus dès lors que de très sérieuses difficultés de terrain, en passant<br />

par le djebel Tababor, pour redescendre ensuite sur le versant Nord<br />

de cette chaîne jusqu'au Souk-el-Tnin,<br />

Bosquet.<br />

où elle retrouva la division<br />

Le 4 juin, l'armée tout entière forma un vaste camp au Souk-el-<br />

Tnin. Vingt jours avaient suffi pour soumettre toute la région com<br />

prise entre la route de Sétif à Bougie d'une part, les limites du cercle<br />

de Djidjelli et de l'Etat de Bou Akkas d'autre part. Le 5 juin, dans une<br />

grande cérémonie, on procéda à un essai d'organisation de la région.<br />

en conférant l'investiture aux représentants des tribus soumises,<br />

reçurent du Gouverneur Général, l'assurance que leurs coutumes et<br />

leurs lois particulières seraient conservées. A cette cérémonie politique,<br />

succéda une grande messe en plein air dont la solennité a été repro<br />

duite par le peintre Horace Vernet, témoin de la scène,<br />

célèbre intitulée « messe en Kabylie ».<br />

sur sa toile<br />

Après quelques jours de repos accordés à ses troupes, Randon<br />

aborda la deuxième partie des opérations, dans le cercle de Djidjelli.<br />

Il fallait raffermir notre autorité sur les tribus de l'Ouest du cercle,<br />

visiter et soumettre les Beni-Afeur encore indépendants, exercer une<br />

forte répression sur les tribus révoltées de l'Est, notamment les Béni<br />

Ider. Ce programme une fois réalisé, il était nécessaire d'entamer des<br />

travaux de route pour relier Djidjelli à Constantine.<br />

(1) C'est-à-dire : les Beni-Melloul, Béni Bou-Aïssi, Aï'.-Ouaret Ouali, Beni-Mah-<br />

med, Beni-Hassen et Beni-Ismaïl.


— — 60<br />

Parti de l'Oued Agrioun, le corps<br />

expéditionnaire se rendit à Zia<br />

ma. Le Gouverneur resta dès lors avec la division Mac-Mahon qui se<br />

dirigea vers l'Est, en suivant la côte au plus près, par le pays des Béni<br />

Ahmed et Béni Khettab. Le 16 juin, elle arriva à Ksiba sur l'Oued Nil.<br />

mais en pénétrant davan<br />

La division Bosquet marcha parallèlement,<br />

tage dans l'intérieur, par le pays des Béni Foughal, et des Béni Afeur<br />

pour arriver enfin par Tibaïren et Fedoulès, à Fedj-el-Arba,<br />

chez les<br />

Ouled-Askeur, le 21 juin. Pendant tout ce trajet les deux divisions ne<br />

rencontrèrent aucune résistance, et n'eurent à tirer aucun coup<br />

de fu<br />

sil. Des deux camps où elles s'étaient installées, nos troupes s'apnrê-<br />

taient à enserrer comme dans un étau les Beni-Ider et autres tribus<br />

rebelles de l'Est du cercle ;<br />

aussi imposantes, se soumirent sans combat.<br />

mais les Kabyles, effrayés par des forces<br />

On pu commencer alors les travaux de route indispensables pour<br />

débloquer définitivement la place de Djidielli. « Dès crue les communi<br />

cations furent établies entre les deux divisions, les officiers du génie<br />

s'occupèrent à reconnaître le pavs, afin de déterminer la meilleure di<br />

rection de la route ; les reconnaissances faites, on se mit à l'œuvre sans<br />

retard. Plusieurs camps furent formés pour mettre les troupes à portée<br />

de la portion de route qu'elles devaient ouvrir. Les officiers du génie.<br />

sous la direction du Général de Chabaud-Latour montrèrent une acti<br />

vité extrême. Ils se multipliaient ;<br />

on les voyait partout occupés à faire<br />

les tracés, à indiquer à chacun sa tâche. En prévision de ces travaux,<br />

huit mille outils avaient été préparés d'avance, huit mille hommes s'en<br />

saisirent et ce formidable atelier eut bien vite raison des rochers qu'on<br />

brisa, des ravins qui furent comblés, des rivières qu'on enchaîna par<br />

des ponts » (1). Dès 3e 29 juin, la portion de route muletière de Djidjelli<br />

à Fedj-el-Arba était terminée, et le Général Randon l'emprunta pour<br />

rentrer à Djidjelli où les habitants, conscients de l'importance de<br />

l'œuvre réalisée, le reçurent en triomphe.<br />

Dans cette campagne, l'armée n'avait pas rencontré, contrairement<br />

à celle de 1851, une grande résistance de la part des montagnards. Tous<br />

les auteurs qui ont relaté cette expédition s'accordent pour dire qu'il<br />

y eut, pendant la première partie, beaucoup de fusillades,<br />

mais pas<br />

de véritables combats, et aucun acte de guerre à partir du Souk-el-<br />

Tnin. Au total, l'armée avait eu à supporter plus de difficultés maté<br />

rielles, dues à un terrain très accidenté, qu'à braver de véritables com<br />

bats. Les Kabyles, effrayés, semble-t-il, par la force imposante de notre<br />

armée, avaient préféré se soumettre après une ou deux journées de<br />

poudre, suffisantes pour satisfaire leur orgueil ou leur honneur. Ce qui<br />

permit à Louis Rinn de juger ainsi la campagne de Randon : « Cette<br />

démonstration militaire à grand spectacle et à bruyante réclame ne<br />

(I) Maréchal Randon : Mémoires, Paris, 187Ô, tome I,<br />

p. loi et 152.


— 61 —<br />

fut, en somme, qu'une simple tournée de police à travers un très pitto<br />

resque pays, dans lequel il y eut pour tout le monde, plus de fatigue<br />

que de dangers » (1).<br />

Dans le cercle de Djidjelli ; la campagne de 1853 eut des résultats<br />

durables, et acheva d'une façon satisfaisante le travail ébauché par<br />

Saint-Arnaud en 1851. Pour assurer la pacification complète du cercle,<br />

on compléta les travaux de route, par la construction, au cours des<br />

années suivantes des bordjs de Chahena et Fedj-el-Arba sur la route<br />

de Djidjelli à Constantine, destinés à servir à la fois de postes de sur<br />

veillance, et de gîtes d'étapes aux voyageurs. Bientôt un autre bordj<br />

fut construit à Tahar, chez les Beni-Ider, pour maintenir plus étroite<br />

ment cette belliqueuse tribu, et un quatrième à Teniet-Texenna chez<br />

les Béni Amran. D'autre part, grâce à la route nouvelle,<br />

dont les prin<br />

cipales étapes étaient Chabena, Fedj-el-Arba, Fedj-Baïnem et Mila,<br />

Constantine et Djidjelli étaient désormais reliées directement (2). C'était<br />

bien la fin du blocus étroit dont Djidjelli avait souffert depuis quatorze<br />

ans, avec un seul répit très bref en 1851, après la campagne de Saint-<br />

Arnaud. Le commandant supérieur fit tracer par les indigènes de nom<br />

breux chemins muletiers, reliant les tribus soit aux principaux marchés<br />

du cercle, soit à Djidjelli. Toute celte activité eut pour autre consé<br />

quence, la renaissance du commerce de la ville. Dès 1854, le résumé<br />

historique du cercle signale : « Le commerce s'étend de plus en plus ;<br />

souvent, dans les beaux jours, notre marché présente jusqu'à 100.000<br />

hectolitres de blé. Les huiles arrivent aussi en plus grande abondance<br />

que l'année précédente » (3).<br />

On procéda aussi à une réorganisation administrative du cercle.<br />

On avait eu tort, en 1851, de donner à Si Lahoussin Mouley Chekfa<br />

un commandement beaucoup trop étendu ; toutes les tribus de l'Est<br />

sauf celle des Beni-Ider, qui n'avaient jamais obéi à cette famille ma-<br />

raboutique, mais au contraire n'avaient cessé de guerroyer pour main<br />

tenir leur indépendance, se révoltèrent bientôt contre Si Lahoussin,<br />

encouragées, dans cette attitude, par un rival du marabout, Khelfa ben<br />

Amirouch. Aussi Randon, en 1853, chercha-t-il à restreindre le pouvoir<br />

de la famille Mouley Chekfa. Si Lahoussin reçut le commandement de<br />

la partie Nord du territoire des Beni-Ider qui furent scindés en deux ;<br />

le Sud fut confié à Khelfa ben Amirouch. Les autres tribus étaient dé<br />

sormais gouvernées chacune séparément.<br />

trop<br />

Randon cependant, en voulant rectifier l'erreur passée, avait poussé<br />

loin la réforme. S'il avait été imprudent de grouper en un seul<br />

commandement, des tribus auparavant indépendantes, il était tout<br />

aussi dangereux de fractionner une même tribu. Les deux chefs des<br />

Beni-Ider ne tardèrent pas à entrer en rivalité, chacun voulant accroî-<br />

(1) Louis Rinn : Histoire de l'Algérie (manuscrit). Livre X, ch. VI, paragr. 8.<br />

(2) Les Romains avaient déjà construit une route entre Djidjelli et Constantine,<br />

mais elle passait plus à l'Ouest, par le col de Fedoules.<br />

(3) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> Affaires musulmanes, 8H-21, c. 19,<br />

d. n"<br />

4. Historique du cercle de Djidjelli. Année 1854.


— 62 —<br />

tre son pouvoir aux dépens de l'autre. Ils contribuèrent à créer une agi<br />

tation dont le lieutenant-colonel Robert,<br />

commandant supérieur du cer<br />

cle, ne tarda pas à subir les conséquences. Cet officier avait voulu<br />

s'assurer, peu après l'expédition, de la parfaite tranquillité du cercle.<br />

Accompagné seulement d'une faible escorte, il visita tous les tribus, et<br />

arriva, sans incident, après une course de deux mois, chez les Beni-Ider.<br />

Il y constata aussitôt une certaine effervescence et fut averti, par des<br />

envoyés de Mouley Chekfa lui-même, d'un complot tramé contre sa<br />

personne. Il se retira en hâte du territoire des Beni-Ider, mais découvrit<br />

bientôt l'origine du complot : il n'était pas une manifestation d'indé<br />

pendance de la part des tribus, mais bien une intrigue montée par Si<br />

Lahoussin lui-même. Mécontent des rectrictions faites à son pouvoir<br />

par notre autorité, il avait cherché à soulever les tribus dont il avait<br />

perdu le commandement pour compromettre les nouveaux chefs inves<br />

tis et se faire passer pour seul capable de les administrer. Or, son rival,<br />

Ben Amirouch, informé de ces manœuvres, les fit tourner à son profit<br />

en suscitant le trouble à l'intérieur même du pays de Mouley Chekfa.<br />

Celui-ci, voyant l'affaire se retourner contre lui, se hâta d'en avertir<br />

le commandant supérieur. En punition de ces intrigues, Si Lahoussin<br />

fut destitué de son commandement, arrêté et interné en France. C'était<br />

la fin de la puissance de Mouley Chekfa. Ben Amirouch fut révoqué à<br />

son tour, et les Beni-Ider relevèrent désormais d'un seul chef, Ahmed<br />

bel Hadj ben Azzedin, parent de Bou Renan, qui sut maintenir la paix<br />

sur son territoire.<br />

Dans la région même des Babors, la campagne de 1853 eut des<br />

résultats bien inférieurs à ceux réalisés dans le cercle de Djidjelli, la<br />

soumission des tribus avait été trop rapide pour être sincère ; et dans<br />

ce pays nouvellement visité,<br />

on ne fortifia pas nos victoires comme il<br />

aurait fallu (sans doute faute de moyens), par la construction de routes<br />

et de forts absolument indispensables à la surveillance du pays. Pour<br />

tant une route directe entre Sétif et Djidjelli aurait été très utile et le<br />

bureau arabe de Sétif réclamait, dès le mois de mars 1853, la cons<br />

truction d'un fort à Dra-el-Caïd, en face des Djermouna et de toute la<br />

chaîne des Babors (1).<br />

Ces travaux n'ayant pas été exécutés, la soumission des tribus des<br />

Babors se révéla aussi peu durable que celle des tribus de Djidjelli en<br />

1851. Dès 1854, à la nouvelle de la guerre d'Orient, les tribus au Nord<br />

de Sétif recommencèrent à s'agiter. Bou Baghla sortit de son refuge<br />

du Djurdjura et reprit ses activités belliqueuses ; il envoya des émis<br />

saires dans le Guergour et les Babors pour annoncer aux populations<br />

que la guerre avait réduit nos forces et qu'il fallait profiter de cette<br />

occasion pour nous chasser d'Algérie. Les populations excitées, s'armè<br />

rent, et menacèrent de nouveau les communications entre Sétif et Bou<br />

gie ; il fallut envoyer une petite colonne au Dra-el-Arba des Beni-<br />

(1) Les Turcs avaient installé, en ce point, un caïd qui, avec sa smala, main<br />

tenait en respect la région.


— 63 —<br />

Guifser pour protéger la circulation sur la route et observer le pays.<br />

La campagne effectuée au printemps 1854 dans le Djurdjura, et la har<br />

diesse du Gouverneur Général Bandon qui pénétra avec ses troupes,<br />

au cœur des Béni Raten, réputés les plus belliqueux de la région pro<br />

duisit un grand effet moral sur les tribus du Guergour et des Babors,<br />

qui reprirent leur tranquillité jusqu'à la fin de l'année et pendant 1855.<br />

Mais, perdant bientôt le souvenir de notre force, elles s'agitèrent de<br />

nouveau au début de 1856. Plusieurs de nos cheikhs furent assassinés<br />

dans les Babors. Au début, l'autorité française n'en tint pas compte,<br />

et mit ces événements sur le compte de vengeances particulières. Mais<br />

le 7 mai 1856, un de nos meilleurs serviteurs le cheikh des Kherrata (1)<br />

fut assassiné dans des circonstances toutes particulières, prouvant qu'il<br />

avait été visé, non pas dans sa personne, mais dans ses fonctions d'agent<br />

du gouvernement français. Le chef de Bureau arabe de Sétif, arrivé sur<br />

les lieux, voulut punir les coupables, mais né réussit qu'à dresser con<br />

tre lui la tribu des Kherrata. Bientôt, le mouvement s'étendit à toutes<br />

les tribus de la rive droite de l'Oued Agrioun : Izer ou Ftis, Béni Fel-<br />

kaï, Béni Meraï, qui entraînèrent peu après les El Muncha, Béni Menalla<br />

et Ouled Salah. Un bataillon de tirailleurs indigènes fut alors dirigé,<br />

le 10 mai, de Sétif vers la région insurgée, et lancé sur un village des<br />

Kherrata, mais il dut bien vite battre en retraite devant le nombre<br />

croissant des ennemis, renforcés par des contingents des Amoucha et<br />

des Djermouna (2). Il fallut alors faire appel au Général Maissiat, avec<br />

toutes les forces disponibles dé sa subdivision pour réduire cette nou<br />

velle insurrection. Dès le 31 mai, nos troupes se rassemblèrent sur le<br />

versant Sud du Djebel Mentanou : l'ennemi occupait ce pic,<br />

ainsi que<br />

les deux rives de l'Oued Berd. Il fut] vite délogé du Mentanou et ne put<br />

s'y<br />

réinstaller malgré une vigoureuse contre-attaque. Nos soldats pu<br />

rent alors franchir l'Oued Berd,<br />

et pénétrer au cœur même de la ré<br />

sistance. Vainqueurs au combat de Taguerboust, ils escaladèrent les<br />

contreforts du Babor et dispersèrent l'ennemi. Le Général Maissiat,<br />

grâce à cette action vigoureuse, obtint bientôt la soumission complète<br />

de toutes les tribus. Il établit alors son camp à Aïn-Si-Tallout, et em<br />

ploya ses troupes à des travaux de route destinées à relier Sétif et<br />

Djidjelli. Quelque temps après un chemin muletier reliait déjà le Babor<br />

à l'Oued Missa. Puis, le Général chercha un emplacement pour la cons<br />

truction d'un fort destiné à surveiller ce difficile pays. Il hésita quelque<br />

temps entre Dra-el-Caïd et Takitount, au milieu des Amoucha. Il se<br />

décida finalement pour ce dernier point, peut-être moins bien comme<br />

centre militaire,<br />

mais préférable comme centre politique parce que<br />

situé au cœur même des tribus rebelles.<br />

La campagne de 1856 avait, en somme, apporté le complément né<br />

cessaire à celle de 1853, mais les travaux commencés furent conduits<br />

(1) Les Kherrata, tribu de la rive droite de l'Oued Agrioun. Pour le récit des<br />

opérations militaires voir carte III.<br />

(2) Les Amoucha, tribu de la rive gauche de l'Oued Berd. Les Djermouna sont<br />

situés sur la rive gauche de l'Oued Agrioun voir carte III.


- 64<br />

—<br />

avec trop de lenteur, pour révéler leur efficacité ; au début de 1858<br />

seulement, ils furent assez avancés pour qu'on pût envisager l'instal<br />

lation, à Takitount, d'un chef d'annexé, avec son Bureau arabe. A cette<br />

nouvelle, les populations des s'agitèrent Babors; de nouveau. Elles crai<br />

gnaient, d'une pareille mesure, la disparition de leur indépendance,<br />

une augmentation de leurs impôts, et l'introduction chez eux de la<br />

colonisation européenne. De plus, la construction de la maison de com<br />

mandement avait entraîné la coopération de corvées nombreuses qui<br />

leur avaient déplu.<br />

Le mécontentement fut bientôt général. L'idée de révolte courut<br />

de tribu en tribu. Elle partit cette fois de chez les Arb-Babor, tribu du<br />

commandement de Bou Akkas Ben Achour, qui entraîna ses voisins<br />

de l'Ouest et quelques contingents même du Ferdjioua proprement dit.<br />

Pour la première fois les tribus de Bou Akkas nous causaient des en<br />

nuis. La conjuration fut menée en grand secret : les représentants de<br />

tribus mécontentes se réunirent en secret au Souk-el-Sebt (1) du Ferd<br />

jioua, le 10 avril 1858, et firent serment d'attaquer le bordj de Taki<br />

tount, d'en détruire les constructions avant leur achèvement. Pour pou<br />

voir atteindre le bordj, il fallait entraîner, dans la révolte, Amoucha<br />

et Ouled- Yahia, dont les villages entouraient Takitount. Ils marchèrent<br />

dans le plan,<br />

et l'attaque fut décidée pour le 12 avril. Mais les deux<br />

tribus, revenant sur leur décision, par crainte d'un châtiment sévère en<br />

cas d'insuccès, prévinrent le 11 au soir l'officier du bordj. Faisant allian<br />

ce avec nous, et soutenues par les soldats du poste, elles résistèrent éner-<br />

giquement à l'attaque des insurgés qui disparurent peu à peu. Une co<br />

lonne, arrivée peu après de Sétif, infligea au coupable une sévère cor<br />

rection. Le marché du Ferdjioua,<br />

qui avait servi de lieu de réunion<br />

aux révoltés, fut supprimé et transporté à Takitount même, sous la<br />

surveillance étroite du fort. Le Bureau arabe s'installa dans le poste,<br />

et entra immédiatement en action. Son administration très utile, allait<br />

imposer à la région une paix de six années consécutives.<br />

Les événements de 1858 n'avaient pas été graves en eux-mêmes.<br />

La défection des Amoucha, des Ouled Yahia, et aussi d'une partie des<br />

tribus du Babor, prouvait que lés tribus commençaient à craindre la<br />

force française. Cependant, l'insurrection avait pris naissance, pour la<br />

première fois, dans le territoire de Bou Akkas. Le cheikh, on le sut,<br />

avait eu connaissance de la réunion et du serment solennel des tribus<br />

au marché du Ferdjioua. Pourquoi n'en avait-il pas averti l'autorité<br />

française ? N'était-il pas lui-même l'instigateur de la révolte ? Le bordj<br />

de Takitount, en effet, installé si près de son territoire lui faisait crain<br />

dre une diminution éventuelle de sa puissance. Pour sauvegarder toute<br />

son indépendance, il avait cherché à nous causer des ennuis hors de<br />

son territoire, pour détourner ailleurs notre attention. Il était, en fait,<br />

arrivé au résultat opposé : dès cette époque entre en jeu, dans notre<br />

politique, la délicate question des grands commandements indigènes.<br />

(1) Souk-el-Sebt : le plus important marché du Ferdjioua.


CHAPITRE IV<br />

LA DESTRUCTION DU COMMANDEMENT<br />

DE BOU RENAN BEN AZZEDIN<br />

La deuxième moitié de l'année 1858 marque une nouvelle phase<br />

de la conquête de la Kabylie Orientale. A cette date, toutes les tribus<br />

en dehors des grands commandements indigènes subissaient, d'une<br />

façon durable, le poids de notre autorité : la région comprise entre<br />

Collo et Constantine connaissait le calme depuis 1852 ; l'année suivante<br />

tout le cercle de Djidjelli se trouvait complètement pacifié ; enfin, les<br />

populations comprises entre Bougie, Sétif et le cercle de Djidjelli ve<br />

naient tout récemment encore de subir une dure leçon, et nous avions<br />

maintenant, avec le nouveau bordj de Takitount et l'entrée en fonction<br />

du Bureau arabe de la nouvelle annexe, les moyens de faire régner la<br />

tranquillité dans le pays. Seuls restaient en dehors de notre autorité<br />

directe, les tribus relevant des deux grands chefs indigènes : Bou Akkas<br />

du Ferdjioua, et Bou Renan Ben Azzedin. Or, nous, visions à la soumis<br />

sion complète de toute la Kabylie Orientale ; ces Etats quasi indépen<br />

dants de notre autorité n'étaient plus viables désormais ; ils étaient<br />

condamnés à disparaître,<br />

après nous avoir servi.<br />

Ainsi, de 1858 à 1864, nous allions nous appliquer à ruiner les<br />

Etats du Ferdjioua et du Zouagha, dont nous avions édifié la grandeur.<br />

Cette destruction, qui se fit progressivement, et par étapes successives,<br />

n'évita pas cependant de violentes réactions de la part des grands chefs<br />

kabyles, dans leurs tentatives désespérées pour ressaisir la totalité de<br />

leurs prérogatives. En 1860, comme en 1864, nous allions avoir, de nou<br />

veau, à porter nos armes en Kabylie Orientale.<br />

Depuis leur soumission, en 1849, les Ben Azzedin avaient, grâce<br />

à notre appui, considérablement augmenté leur puissance, et l'étendue<br />

de leur territoire. En 1851, nous l'avons vu, Saint-Arnaud avait fait<br />

passer, dans le commandement de Bou Renan une grande partie des<br />

tribus de la vallée inférieure de l'Oued-el-Kébir (1). En 1853, après la<br />

réforme du Général Randon, dans l'Est du cercle de Djidjelli, les Béni<br />

Habibi, qu'on avait placés sous l'autorité de Mouley Chekfa, passèrent<br />

à leur tour dans le commandement de Bou Renan. L'année suivante,<br />

la mort de Mahammed ben Azzedin fit passer le fief héréditaire entre<br />

les mains de son jeune fils Si Azzedin ben Cheikh Mahammed, mais la<br />

réalité du pouvoir appartint désormais à son oncle Bou Renan, qui<br />

(1) Les Béni Fergan, Djebala, Ouled Ali, Taïlmen, Béni Ftah, Ouled Aouat.<br />

Voir deuxième partie, chapitre II.


_ 66<br />

—<br />

agissait aussi en maître dans le caïdat des Mouïa el Béni Telilen confié<br />

à un de ses parents (1) Si Bou Lakheras ben Azzedin. En outre, Bou<br />

Renan, exerçait une influence certaine sur un autre de ses parents,<br />

Ahmed bel Hadj ben Azzedin, nommé depuis 1853, caïd des Beni-Ider.<br />

Son pouvoir s'était donc accru d'une façon prodigieuse, et il se<br />

trouvait maître d'un vaste territoire s'étendant depuis les montagnes<br />

immédiatement au Nord de Mila jusqu'à l'embouchure de l'Oued-el-<br />

Kébir (2). Pouvions-nous tolérer pareille puissance aux portes mêmes de<br />

Constantine ? Certes, depuis 1849, il nous avait rendu de réels servi<br />

ces : en 1851, il avait participé à nos côtés, avec son frère, à l'expédi<br />

tion de Saint-Arnaud ; guidant nos colonnes dans les passages diffici-<br />

/es, il s'était montré plein de zèle à notre égard. En 1853, les deux frères<br />

étaient venus faire hommage au Gouverneur Général Randon installé<br />

chez les Beni-Ider. Enfin, grâce à cette famille, le Zouagha et la vallée<br />

de l'Oued-el-Kébir avaient été maintenus depuis 1852, dans le plus<br />

grand calme.<br />

Mais la soumission de ces tribus avait été acquise au prix de bien<br />

des actes arbitraires de la part des Ben Azzedin. Bou Renan se con<br />

duisait en vrai tyran à l'égard de ses sujets ;<br />

ses abus de pouvoir ne se<br />

comptaient plus. Dans toutes les tribus il avait placé des cheikhs qui<br />

n'étaient que ses créatures ; il s'était fait de nombreux partisans, com<br />

me les seigneurs de l'ancienne France se constituaient une clientèle,<br />

et, avec leur aide, pouvait pressurer à son gré les populations qu'il<br />

commandait. A lui seul revenait le droit de répartir et de percevoir<br />

l'impôt de la lezma (3). Il en profitait pour exiger, par le fer et le<br />

feu, des sommes énormes, triples ou quadruples de ce que les Français<br />

demandaient, gardant pour lui la différence. La justice étant rendue<br />

d'une manière tout arbitraire, les partisans de Bou Renan étant inévi<br />

tablement favorisés aux dépens du reste de la population. Les tribus<br />

de la vallée de l'Oued-el-Kébir, restées indépendantes pendant des siè<br />

cles, étaient peu habituées à ces méthodes de gouvernement, et suppor<br />

taient mal la tyrame de Bou Renan. Elles avaient en outre, depuis quel<br />

que temps, l'exemple de leurs voisines du cercle de Djidjelli et de la<br />

vallée de l'Oued Guebli qui, soumises à notre autorité directe, jouis<br />

saient d'un sort plus heureux : les impôts exigés étaient moins lourds,<br />

et la justice mieux rendue.<br />

Elles commencèrent alors à préférer notre autorité directe à celle<br />

de Bou Renan. Des plaintes individuelles parvinrent à l'autorité fran<br />

çaise, suivies bientôt par de véritables députations qui venaient à Cons<br />

tantine se plaindre de leur seigneur. Bou Renan pressentant que notre<br />

initiation dans les affaires de sa gestion, entraînerait fatalement un<br />

amoindrissement de son pouvoir, s'efforçait d'imposer silence aux tri-<br />

(1) Voir première partie, chapitre IV.<br />

(2) Voir carie V où les limites de l'annexe d'EJ-Milia sont celles du territoire<br />

de Bou-Renan dans la vallée de l'Oued-el-Kébir.<br />

(3) Lezma : contribution de guerre, sorte de oapilauon que nous imposions<br />

aux chefs indigènes en signe de sujétion.


— — 67<br />

bus, en exerçant sur elles de terribles représailles. Il ne réussit qu'à se<br />

mer le trouble parmi ses sujets.<br />

Une autre circonstance d'ailleurs vint ébranler en 1858, la tranquil<br />

lité de cette région. Quelques concessions, faites à des Européens pour<br />

exploiter les forêts de l'Oued-el-Kébir, firent craindre aux populations<br />

un envahissement de leur territoire par la colonisation européenne,<br />

dont elles avaient vu l'extension considérable dans la vallée de l'Oued<br />

Safsaf, où les nouveaux villages de Robertville et Gastonville commen<br />

çaient à prospérer. Pour éloigner l'Européen de leurs contrées, elles<br />

décidèrent de brûler leurs forêts. Des incendies se multiplièrent bien<br />

tôt dans tous les massifs boisés de l'Oued-el-Kébir et du Zouagha. Le<br />

feu s'étendit sur une surface de 5.000 hectares, attaqua plus de 550.000<br />

chênes-liège (1). Les cheikhs des différentes tribus affectaient de met<br />

tre du bon vouloir et de l'activité pour rechercher les coupables, mais<br />

ils ne dénonçaient en fait que des gens introuvables ou contre lesquels<br />

il n'y avait aucun témoignage probant.<br />

Bou Benan aurait pu rétablir le calme en rassurant les populations<br />

et en les éclair anlj sur nos véritables intentions ; il encouragea au con<br />

traire les tribus dans leur attitude,<br />

craignant pour lui-même une dimi<br />

nution de son pouvoir, qu'entraînerait fatalement l'introduction de la<br />

colonisation dans son territoire. Mais l'agitation de ses sujets se retourna<br />

bientôt contre lui : quelques fractions, exaspérées par ses abus de pou<br />

voir, entrèrent à l'automne de 1858 en révolte ouverte ; les gourbis<br />

qu'il avait fait construire chez les Ouled Aouat,<br />

pour abriter ses trou<br />

peaux en hiver, furent incendiés. Bou Benan, présentant cet événement<br />

comme un acte de rébellion envers l'autorité française, demanda notre<br />

aide pour châtier Ouled Hannache, fraction des Ouled-Aïdoun, qu'il<br />

représentait comme les meneurs de la révolte. Il fut autorisé à se por<br />

ter, avec ses cavaliers, chez les Ouled Aïdoun, pour y réprimer les<br />

désordres éventuels, mais il lui était expressément défendu de prendre<br />

toute initiative d'attaque pour éviter les complications. Bou Renan passa<br />

outre à nos recommandations, attaqua les fractions sans motif valable.<br />

L'agitation se transforma aussitôt en révolte ouverte ; et lorsqu'on<br />

voulut infliger des amendes collectives aux groupes les plus compro<br />

mis dans les incendies de forêts, plusieurs tribus (2) refusèrent de verser<br />

le montant de leurs amendes entre les mains de leur caïd et, entraînées<br />

par les Ouled Aïdoun, l'attaquèrent ouvertement les 13 et 14 novembre,<br />

sur la rive gauche de l'Oued-el-Kébir. Une fois compromises, ces tri<br />

bus cherchèrent un appui chez leurs voisines, qui se rallièrent à elles (3).<br />

11 fallait se hâter de rétablir le calme dans cette région. Le 22 novembre<br />

1858, une colonne sous les ordres du Général Gastu était réunie à Fedj-<br />

Elma-el-Abiod, chez les Mouïa, et le 23 se dirigeait chez les Ouled<br />

Aïdoun. Les tribus effrayées envoyèrent immédiatement des députations<br />

(1) Voir Féraud : Ferdjioua et Zouagha, Revue Africaine, année 1878, p. 329.<br />

(2) Les Ouled Ali, Mçhat,- Ouled Aouat et Ouled Aïdoun.<br />

(3) Aux tribus précédentes s'ajoutèrent les Béni Aïcha, Djebala et une partie<br />

des Béni Meslem.


— — 68<br />

pour protester de leurs bonnes dispositions. « Le Général leur répondit<br />

qu'il les écouterait à El-Milia, au centre même de leur pays, et qu'il<br />

exigeait,<br />

comme premier acte de soumission, le paiement intégral de<br />

toutes les amendes qu'elles avaient refusé de verser entre les mains<br />

de Bou-Renan... Le 26, toutes les djemaâ,<br />

ainsi que l'avait prescrit le<br />

Général, étaient réunies à El-Milia et apportaient les amendes. Le len<br />

demain, elles faisaient acte de soumission » (1). Une obéissance aussi<br />

rapide prouvait suffisamment que la révolte n'avait pas été dirigée<br />

contre notre autorité, mais bien contre celle du caïd, dont elles ne tolé<br />

raient plus les exactions.<br />

Les mesures à prendre en cette occasion, étaient assez délicates : il<br />

fallait d'une part punir Bou Renan de sa mauvaise administration et<br />

donner quelque satisfaction aux populations en<br />

s'<br />

occupant davantage<br />

de leurs affaires. Mais, d'autre part, il était impossible de révoquer<br />

brutalement Bou Renan ; cette décision après la révolte des tribus,<br />

aurait paru un acte de faiblesse dont les Kabyles auraient su faire pro<br />

fit pour augmenter leurs exigences. Il fallait au contraire leur donner<br />

l'esprit de soumission à nos agents quels qu'ils fussent. En outre, les par<br />

tisans encore considérables du caïd nous auraient suscité bien des dif<br />

ficultés en se voyant privés tout à coup des privilèges assurés jusqu'a<br />

lors par leur maître. C'est pourquoi le Général Gastu décida de prendre<br />

une mesure intermédiaire. Pour garder intact le principe d'autorité,<br />

Bou Renan fut maintenu caïd de l'Oued-el-Kébir, et on notifia aux<br />

djemaâ qu'en raison de leur acte de rébellion contre notre représentant,<br />

elles auraient à payer, dans les quarante-huit heures, une amende égale<br />

à la contribution qu'elles venaient de payer. Mais, pour donner quelques<br />

satisfactions à leurs justes plaintes, comme pour punir Bou Renan de<br />

son inique gouvernement, le Général Gastu décida qu'un officier fran<br />

çais serait installé dans un bordj<br />

à El-Milia pour administrer directe<br />

ment les Ouled Aïdoun, et surveiller plus étroitement le caïd à qui on<br />

laissait le gouvernement des autres tribus. Trois cheikhs qui s'étaient,<br />

par leur zèle envers le caïd, attirés la haine des populations, furent<br />

destitués et remplacés, et les travaux du bordj immédiatement com<br />

mencés. Le 29 novembre, toutes les amendes étaient payées mais une<br />

réaction se produisit à la nouvelle des mesures prises par le Général.<br />

Les Kabyles voulaient la destitution complète de Bou Renan, certains<br />

même exigeaient sa tête. Le Général leur donna jusqu'au lendemain<br />

pour accepter les conditions établies et faire acte de complète soumis<br />

sion, sous peine d'un châtiment exemplaire. Le 30, toutes les tribus reve<br />

naient témoigner avec empressement de leur entier dévouement. Désor<br />

mais, toute résistance était brisée. Les troupes furent employées pen<br />

dant quelque temps à ouvrir une rouie de Constantine à El-Milia, et<br />

des que les travaux du bordj furent assez avancés, on y installa le<br />

(1) Fi-MVD : Ferdjioua et Zouagla, Revue Africaine, 1878, p. 323.


— 69 —<br />

Capitaine Poillou de Saint-Mars, avec une compagnie de tirailleurs, et<br />

le Bureau arabe de la nouvelle annexe ainsi créée (1).<br />

Le Général Gastu voulut compléter ces mesures, en se rendant<br />

jusqu'à Collo. Dès le 26 novembre, il écrivait d'El-Milia : « Dès que<br />

ma présence ne sera plus nécessaire sur ce point, et pendant que les<br />

troupes de la colonne travailleront à la route, je me rendrai à Collo<br />

pour juger sur les lieux des mesures de détails à prendre pour notre<br />

installation dans cette ville. Je pourrai voir, dans cette tournée, les<br />

massifs forestiers à concéder,<br />

de l'élément européen dans leur pays,<br />

préparer les populations à l'introduction<br />

et étudier enfin l'<br />

avant-projet<br />

de colonisation dans la vallée du Guebli. La colonisation de cette val<br />

lée doit aboutir à l'établissement de deux villages routiers et agricoles<br />

pour relier Collo à Constantine par El-Kantour » (2). Au cours de cette<br />

randonnée, il put constater avec satisfaction le travail réalisé par les<br />

Kabyles d'après nos ordres : ils avaient ouvert eux-mêmes de nombreux<br />

sentiers qui permettaient désormais, un passage facile à travers leur<br />

pays. Mais le Général Gastu ne réalisa à peu près aucun de ses projets<br />

du côté de Collo. L'occupation de la ville et l'établissement de rela<br />

tions permanentes avec Constantine furent remises à l'année suivante,<br />

à cause de l'opposition formulée par le Prince Napoléon, alors ministre<br />

de l'Algérie et des Colonies, et qui gouvernait l'Algérie de Paris, depuis<br />

le départ de Randon et la suppression du poste de Gouverneur Général.<br />

Dans la vallée de l'Oued-el-Kébir cependant, l'expédition de 1858<br />

avait considérablement modifié la situation. Le Capitaine Poillou de<br />

Saint-Mars, chef de la nouvelle annexe d'El-Milia obtint tout de suite<br />

de remarquables résultats auprès des Ouled Aïdoun qu'il administrait<br />

directement ; il leur en imposait par une vigueur physique extraordinai<br />

re, et sut gagner leur estime par ses qualités de justice et de bonté. Bou<br />

Benan sentit le danger de cette administration directe au cœur même<br />

de son commandement ; les Kabyles allaient pouvoir faire une compa<br />

raison, désastreuse pour lui, entre le gouvernement bienfaisant de<br />

l'officier français, et son joug tyrannique. Il aurait pu se contenter ce<br />

pendant du rôle encore considérable qui lui était laissé dans la vallée<br />

de l'Oued-el-Kébir, et surtout dans le Zouagha, où il gardait encore<br />

intacte toute sa puissance. La création du bordj de Zeraïa, destiné à<br />

surveiller le Zouagha n'avait pas été réalisée, malgré la proposition<br />

du Général Gastu. Car le Prince Napoléon,<br />

qui tenaient en défiance<br />

toutes les propositions des généraux d'Afrique, en avait refusé l'auto<br />

risation (3). Bou Benan pourtant, loin de se résigner à son nouveau<br />

(1)<br />

(2)<br />

Voir carte V.<br />

Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 2H3 (Opérations militaires en<br />

Kabylie Orientale), dossier intitulé : Famille des Béni Azzedin, lettre du 26 no<br />

vembre 1859.<br />

(3) Il avait toléré l'occupation d'El-Milia,<br />

traînerait aucune dépense pour son ministère, et qu'il n'y<br />

françaises en garnison.<br />

mais à la condition que cela n'en<br />

aurait pas de troupes


— — 70<br />

rôle, va désormais travailler contre nous et consacrer ses efforts à nous<br />

créer des embarras.<br />

Il cessa immédiatement ses fonctions d'agent de l'autorité fran<br />

çaise et, ne tenant aucun compte des ordres qu'il recevait, il affecta<br />

une attitude de complète inertie, laissant les tribus de l'Oued-el-Kébir<br />

sans aucun commandement. Le 11 juin 1859, le Capitaine de Saint-<br />

Mars décrit ainsi l'attitude de Bou Renan : « Depuis l'installation de<br />

l'autorité française à Él-Milia, Bou Renan ben Azzedin a opposé à nos<br />

efforts l'inertie la plus coupable et a repris l'attitude d'antagonisme<br />

qu'il n'avait quittée que pendant les six ans où on lui laissa la toute<br />

puissance sur les tribus de son commandement. Je n'ai trouvé près de<br />

lui que des renseignements monstrueux d'inexactitude. Il ne s'est décidé<br />

que deux fois à venir près de moi et a toujours eu soin de répandre<br />

des bruits mensongers pour faire, de ces voyages, des motifs d'agitation<br />

dans le pays. Il m'a déclaré son impuissance à payer les amendes, et<br />

à établir des rapports sur les faits importants. Il prétend qu'il ne peut<br />

aller sans danger chez ses administrés. En un mot le caïd de l'Oued-el-<br />

Kébir est non seulement un fonctionnaire absolument inutile, mais en<br />

core il entrave l'administration. Son service a été fait depuis six^ mois<br />

par les rouages adjacents, les officiers et les cheikhs » (1).<br />

Le 27 juillet suivant, de Saint-Mars, indique les conséquences, né<br />

fastes pour l'administration des tribus, de la nouvelle attitude du caïd,<br />

et les difficultés de! l'autorité française à y parer. « Les populations de<br />

l'Oued-el-Kébir n'avaient jamais payé d'impôt régulier à personne.<br />

Pressées par nos colonnes en 1852, 1853, elles sont tombées entre les<br />

mains de Bou Renan ben Azzedin. Ce chef indigène s'est empressé<br />

d'étreindre son commandement dans un puissant réseau de cheikhs,<br />

oukils, ouquafs, dévia, collecteurs, amis, espions, etc..<br />

« Ayant une grande influence personnelle, il prit soin de la conso<br />

lider encore, en s'appuyant sur sa tribu patrimoine, le Zouagha, sur<br />

deux ou trois tribus maghzen, sur le fantôme de la force française qu'il<br />

montrait derrière lui, prête au besoin à le secourir.<br />

« On s'explique alors facilement comment Bou Renan parvenait en<br />

huit ou dix jours à réunir la valeur de cinq ou six fois la lezma ac<br />

tuelle. Arrivant chez les tribus, il mettait en action son puissant méca<br />

nisme administratif et, le fer et le feu aidant, il rencontrait rarement<br />

une résistance sérieuse à la perception ». Cette année cette organisation<br />

avait disparu. « Les tribus n'avaient, pour ainsi dire plus de caïd, car<br />

Bou Renan oppose une inertie absolue, plus de cheikhs influents, car<br />

depuis un an, nous avons repris les cheikhs nommés par les généraux<br />

en 1851, 1852, 1853, et la plupart d'entre eux sont insignifiants ou trop<br />

vieux ; plus d'ouquafs ni de collecteurs...<br />

« L'autorité française se trouvait seule en face d'une nombreuse po<br />

pulation turbulente, guerrière et orgueilleuse, qu'il fallait faire passer<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 2H5 (Missions et colonnes). Dos<br />

sier intitulé : Colonne du Zouagha.


— — 71<br />

homme par homme sous le même joug, sans aucune distinction. La<br />

modicité de la part d'impôt facilitait l'opération, mais les intrigues du<br />

parti du caïd, la suppression des exemptions, le départ de nos troupes<br />

pour l'Italie..., l'installation d'un bureau arabe, la compliquaient beau<br />

coup<br />

» (1).<br />

Dans son fief du Zouagha, au contraire, loin de se désintéresser du<br />

gouvernement, il exerçait une tyrannie plus terrible que jamais, repre<br />

nant sans les changer ses méthodes d'exaction à l'égard des popula<br />

tions. Aussi, dès le milieu de juin 1859, les Ouled Askeur, Arrhes, Ouled<br />

Haïa, du Zouagha, donnèrent-ils le signal de la révolte contre leur<br />

caïd, en refusant de verser leur impôt entre ses mains. Il fallut envoyer,<br />

à Fedj-Baïncm, une petite colonne pour rétablir le calme.<br />

Bou Renan d'ailleurs, ne se contentait pas d'une attitude purement<br />

négative, dans la vallée de l'Oued-el-Kébir, mais se livra bientôt à tou<br />

tes sortes d'intrigues, contre nous. Faisant valoir auprès des tribus<br />

notre faiblesse du moment, et le peu de troupes dont nous disposions<br />

en Algérie, à cause de la guerre d'Italie, il poussait les tribus à la ré<br />

volte. Il cherchait à compromettre, à nos yeux, celles qu'il ne pouvait<br />

soulever parce qu'elles le détestaient,<br />

par des actes criminels devant<br />

amener sur elles de terribles représailles. Ainsi s'explique le meurtre<br />

commis à l'égard des chaufourniers militaires campés chez les Ouled<br />

Aïdoun, et qui travaillaient à fabriquer de la chaux pour le bordj d'El-<br />

Milia : dans la nuit du 14 au 15 juillet 1859, ils furent assaillis à coups<br />

de fusils. On découvrit bientôt que les coupables étaient tous les servi<br />

teurs de Bou Benan.<br />

La punition n'ayant pas suivi le crime, les partisans du caïd eurent<br />

beau jeu pour soulever le pays contre nous,<br />

si bien qu'en octobre, la<br />

situation devenait mauvaise, à la fois dans le Zouagha, l'Oued-el-Kébir,<br />

et même à l'Est du cercle de Djidjelli. Le Général Gastu, mort subite<br />

ment à Constantine, après une courte maladie, était remplacé provisoi<br />

rement par un officier qui ne voulait prendre aucune initiative de me<br />

sures militaires. Les effectifs de la province étaient encore insuffisants<br />

car nos troupes, aussitôt revenues d'Italie, avaient été dirigées sur la<br />

frontière marocaine, pour parer à un danger plus pressant. Aussi la<br />

situation ne cessa-t-elle de s'aggraver : toutes les tribus entre Djidjelli<br />

et le Zouagha refusèrent bientôt de payer leur impôt. Portes et fenêtres<br />

des bordjs de Chahena et Fedj-el-Arba furent brisées et enlevées ;<br />

quatre fois la ligne télégraphique reliant Djidjelli à Mila fut coupée.<br />

pendant l'hiver 1859-60 ; la sécurité des communications entre ces deux<br />

villes cessa d'exister et les actes de pillage se multiplièrent sur les mar<br />

chés. Les instigateurs de cette rébellion étaient, sans aucun doute, les<br />

Ben Azzedin et leurs partisans. Pour rétablir le calme, il devenait né<br />

cessaire de détruire leur puissance.<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 2H5 (Missions et colonnes), dos<br />

sier intitulé « Colonne du Zouagha „, lettre du 27 juillet 1859.


— 72 —<br />

Le Général Desvaux, nommé commandant supérieur de la Divi<br />

sion de Constantine, depuis le 30 octobre, obtint de faire une expédition<br />

dans la région. Décidé à mettre fin au pouvoir du caïd, il était, à ce<br />

sujet, pleinement d'accord avec de Saint-Mars, qui réclamait cette me<br />

sure avec force, depuis 1859. Il écrivait le 19 août : « Je me crois au<br />

jourd'hui en mesure de poser clairement le problème de l'annexe d'El-<br />

Milia et d'en donner la solution. Il faut rompre sans retour avec nos<br />

serviteurs infidèles,<br />

scinder les tribus kabyles d'après une nouvelle<br />

organisation et placer à leur tête des hommes choisis par nous... Dès<br />

que cette mesure sera connue, la résistance occulte prendra fin, le parti<br />

de Bou Benan s'évanouira avec son chef... L'administration, secondée<br />

par des caïds intelligents, par des cheikhs de bonne volonté, s'étendra<br />

sur les fractions les plus éloignées. L'annexe d'El-Milia, comme une<br />

machine bien conduite, fonctionnera sans bruit... En conséquence, j'ai<br />

l'honneur de vous proposer la destitution du caïd Bou Renan... » (1).<br />

L'exécution de cette décision, retardée quelque peu par des trou<br />

bles dans le Hodna, auxquels il fallut parer, ne fut entreprise qu'au<br />

printemps 1860. Le 23 mai, le Général Desvaux réunit à Mila, une<br />

colonne de 10.000 hommes (2). Il était décidé, si les kabyles résistaient,<br />

à visiter en détail les montagnes entre Djidjelli et Mila, où les expé<br />

ditions précédentes n'avaient livré que de trop rapides combats, et à<br />

peser sur le pays, par une longue et sévère répression. La proclamation<br />

adressée aux populations, avant le départ, les engageait à la paix et à<br />

la soumission, elle produisait un certain effet, et la colonne arriva sans<br />

incident, le 31 mai, jusqu'à Fedj-el-Arba, où les Ouled Haïa, Arrhes,<br />

Ouled Askeur et Béni Afeur envoyèrent leur djemaâ pour protester de<br />

leur soumission.<br />

Mais les Ben Azzedin agissaient en sous-main de leur côté : à leur<br />

instigation, leurs agents tinrent au pic de Sidi-Mârouf, chez les Béni<br />

Khettab Cheraga, une grande réunion, au cours de laquelle on pro<br />

clama la guerre sainte. Peu après, les avant-gardes de notre camp de<br />

Fedj-el-Arba furent attaquées. Ce fut le signal de la répression armée.<br />

Le 15 juin nous écrasions les Béni Khettab par deux combats victo<br />

rieux (3), qui nous ouvrirent l'accès du djebel Tafortas. De cette posi<br />

tion naturelle, on pesa lourdement pendant quinze jours sur tout le<br />

pays des Béni Khettab, et de leurs voisins, les Béni Mimoun et Ouled<br />

Haïa. « Nos troupes manœuvrant en colonnes légères, gravirent toutes<br />

les cîmes, même les pics du Sidi-Mârouf, où avait lieu l'assemblée so<br />

lennelle pour proclamer la guerre sainte. Tous les ravins furent fouil<br />

lés » (4). Puis se dirigeant vers le Nord, la colonne parcourut successi-<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 2H5 (Missions et colonnes), dos<br />

sier intitulé « Colonne du Zouagha », lettre du 19 août 1859.<br />

(2) Voir carte IV.<br />

(3) Combats d'El-Aroussa et de Bou Touil.<br />

(4) Féraud Histoire de Djidjelli, Recueil des Notices et Mémoires de la So<br />

ciété Archéologique de Constantine, année 1870, p. 284. C'est au Sidi Marouf qu'on<br />

retrouva le kanoun de la tribu des Beni-Khettab.


— — 73<br />

vement le territoire de toutes les tribus de la rive gauche de l'Oued-<br />

el-Kébir (1) punissant les coupables. Enfin cernés dans l'Oued Irdjana,<br />

les insurgés demandèrent l'aman. Un incident réclamait notre présence<br />

chez les Ouled Aouat et les Béni Meslem ; le 16 juin, ils avaient attaqué<br />

l'établissement forestier de MM. Bock et Delacroix, établi au confluent<br />

de l'Oued Irdjana et de l'Oued-el-Kébir. Les deux tribus responsables<br />

payèrent durement la mort de M. Bock et les blessures de son associé.<br />

Le Général Desvaux termina son expédition par la visite de Collo<br />

où il laissa une garnison « provisoire à titre de mesure militaire .<br />

C'était le prélude de l'occupation définitive de la petite ville. Le 11<br />

septembre 1860, un arrêté ministériel ratifiera, à titre provisoire, cette<br />

installation, et il faudra attendre un arrêté du 29 juillet 1861, pour<br />

transformer cette situation provisoire en un état de choses définitif (2).<br />

De Collo, la colonne revint à El-Milia,<br />

où elle procéda à une der<br />

nière exécution, celle des Arb Tesquif, minuscule fraction des Ouled<br />

Aïdoun, continuellement agitée depuis deux ans. Ils furent forcés dans<br />

leur refuge au sommet d'un rocher et durent se rendre.<br />

La campagne se termina le 15 août. Ses conséquences politiques et<br />

administratives furent considérables. Dès le milieu de juin, Bou Benan,<br />

son neveu Azzedin ben Cheikh Mahammed, caïd des Zouagha, et plu<br />

sieurs de leurs complices avaient été arrêtés sans difficultés, et expé<br />

diés à Constantine. L'oncle et le neveu furent destinés d'abord à un<br />

conseil de guerre ; on se contenta finalement de les exiler à Tunis (3).<br />

Ainsi finissait la dynastie des Ben Azzedin, dont nous avions à la fois<br />

édifié la grandeur et précipité la décadence (4). Cette importante me<br />

sure marquait la fin de l'arbitraire seigneurial de la vallée de l'Oued-<br />

el-Kébir et du Zouagha. Nous allions y établir une administration ana<br />

logue à celle des régions déjà soumises à notre autorité directe. Dès le<br />

mois d'août 1859, de Saint-Mars avait envisagé cette réforme : « Ces<br />

Kabyles, pendant des siècles,<br />

sera facile le jeu de .à l'autorité, lorsque, la<br />

se sont administrés eux-mêmes. Combien<br />

force de leurs vieilles mu<br />

nicipalités, nous ajouterons des cheikhs, des caïds et un bureau ara<br />

be... » (5). Le Général Desvaux reprit cette même idée en la précisant.<br />

A la fin de la, campagne il fit, le 31 août, une longue proclamation, en<br />

insistant sur le rôle qu'il destinât aux djemaâ en matière d'impôts et<br />

d'affaires n'intéressant que la tribu.<br />

D'autre part, les anciens territoires de Bou Benan furent morcelés<br />

entre nos diverses divisions administratives : cercles de Djidjelli et de<br />

(1) Ouled Ali, Béni Aïcha, Taïlmen, Béni Habibi, Beni-Ider et Beni-Ftah.<br />

(2) Voir Louis Rixn : Histoire de l'Algérie (manuscrit). Livre XI, ch. I, par. VI.<br />

(3) Bou Renan y trouva la mort en 1861.<br />

(4) Deux membres seulement de cette famille, furent gardés parmi nos agents :<br />

Si Bou Lakhras ben Azzedin, caïd des Mouïa et Si Ahmed bel Hadj ben Azzedin,<br />

caïd des Beni-Ider.<br />

(5) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 2H5 (Missions<br />

sier intitulé « Colonne du Zouagha ,,, lettre du 9 août 1859.<br />

e'<br />

colonnes), dos


■<br />

— — 74<br />

Constantine, annexes de Collo et d'El-Milia (1). Par cette mesure, le<br />

Général Desvaux cherchait à briser définitivement tout faisceau de ré<br />

sistance éventuelle dans le pays. Dans un rapport du 27 août 1860, il<br />

indique lui-même au Gouverneur Général les réformes effectuées (dans<br />

l'annexe d'El-Milia) : « J'ai placé des caïds à la tête de trois caïdats<br />

que j'ai formés en laissant la tribu des Ouled-Aïdoun administrée di<br />

rectement par le chef de l'annexe d'El-Milia, pour les rattacher à celle<br />

de Collo dont je vous propose de faire un cercle : les Béni bel Aïd, les<br />

Béni Mcslem et les Béni Ferguen. J'ai réuni ces trois tribus sous les<br />

ordres d'un caïd... Je sais, par une lettre du chef de l'annexe d'El-<br />

Milia, que les trois caïds qui ont été investis sont en bonne voie... J'ai<br />

détaché aussi d'El-Milia, pour la comprendre dans le cercle de Dji<br />

djelli la tribu des Béni Habibi... Placée sur la rive gauche de l'Oued-<br />

el-Kébir,<br />

ayant en toute saison des communications plus faciles avec<br />

Djidjelli qu'avec El-Milia, c'est du premier de ces deux postes que doit<br />

dépendre évidemment celte tribu » (2).<br />

Le caïdat du Zouagha fit partie du cercle de Constantine, un caïd<br />

nouveau fut nommé pour qui l'on fit construire, dès 1861, un bordj à<br />

Zéraïa. Dans le même cercle entrait le caïdat des Mouïa, où le cousin de<br />

Bou Renan était maintenu comme, chef.<br />

Cette organisation nouvelle, complément nécessaire de la dectruc-<br />

tion du commandement des Ben Azzedin, se révéla très opportune, et<br />

jusqu'en 1870, elle ne fut pas modifiée.<br />

Un des deux grands fiefs seigneuriaux de Kabylie Orientale avait<br />

disparu. Seul restait encore debout celui de Bou Akkas Ben Achour.<br />

Le même sort lui était aussi réservé.<br />

(1) Pour saisir l'importance des remaniements effectués en 1860 dans cette<br />

région, comparer les deux cartes V et VI.<br />

(2) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 2H3 (Opérations militaires en<br />

Kabylie Orientale). Dossier intitulé : Affaires des Babors, 1860. Rapport du Gé<br />

néral Desvaux du 27 août 1860.


CHAPITRE V<br />

DESTRUCTION DU COMMANDEMENT DE BOU AKKAS BEN ACHOUR<br />

1861 fut une année fatale aux grands commandements indigènes<br />

d'Algérie : le chérif d'Ouargla fut capturé, et le khalifa de Tlemcen<br />

mis en prison ; deux autres chefs moururent subitement : le cheikh<br />

Ben Gana, près de Constantine, et le khalifa des Ouled-Sidi-Cheikh à<br />

Alger. Seuls dans la province de Constantine, le Ferdjioua et son chef<br />

subsistaient, cette exception n'avait plus de raison d'être ; elle devait,<br />

par 1» force des choses, disparaître à son tour.<br />

On hésita cependant avant d'entamer les prérogatives de Bou Ak<br />

kas : depuis sa soumission à Constantine, il nous avait rendu de pré<br />

cieux services. Dès 1851, il s'était posé résolument comme serviteur de<br />

la France, en faisant partie, à nos côtés, de la campagne Saint-Arnaud.<br />

Il se signala si bien par sa bravoure au combat, qu'il fut nommé, au<br />

retour, officier de la Légion d'honneur. Deux ans plus tard, au moment<br />

de l'expédition des Babors, Randon lui confia, sous le contrôle du com<br />

mandant de Neveu, la direction d'un corps d'observation,<br />

qui lui per<br />

mit de maintenir, dans l'ordre, toutes les tribus de son territoire, et<br />

celle des Amoucha voisins. Et lorsque la division Bosquet après le<br />

relai de Souk-el-Tnin, se dirigea vers l'Est du cercle de Djidjelli, elle<br />

trouva, de Tibaïren à Fedoulès, dans le territoire de Bou Akkas, des<br />

chemins tout tracés. Bou Akkas les avait fait ouvrir par ses sujets pour<br />

faciliter le passage de nos soldats et nous prouver ainsi ses bonnes<br />

intentions. Dans l'administration de son commandement il avait tou<br />

jours eu le grand mérite, jusqu'en 1858, de faire respecter un ordre<br />

parfait. Il était donc naturel de lui devoir certains égards, d'autant plus<br />

que nous n'avions pas contribué directement à l'agrandissement de son<br />

territoire,<br />

comme nous l'avions fait pour les Ben Azzedin. Bou Akkas<br />

était seul l'auteur de sa propre puissance, édifiée en partie sous le<br />

règne du dernier bey, et achevée dès les premières années de notre<br />

arrivée à Constantine. Nous avions, de plus, admis en principe, au<br />

moment de sa soumission, que nous respecterions, dans leur intégrité,<br />

les droits de Bou Akkas sur son fief, durant toute sa vie : il était assez<br />

difficile maintenant de revenir sur cet engagement.<br />

Cependant, dès 1858, d'impérieuses raisons nous poussaient à<br />

amoindrir la puissance du cheikh du Ferdjioua. Nous étions de plus en<br />

plus convaincus, malgré la valeur des services rendus, de la politique<br />

ambiguë qu'il jouait à notre égard. Son intelligence remarquable, son<br />

attitude habile et souple ne pouvaient parvenir à masquer entièrement<br />

ce qu'il y avait de faux dans son comportement. Nous nous aperce-


vions enfin qu'il avait toujours eu,<br />

— — 76<br />

selon l'aveu même d'un membre de<br />

sa famille, « une main dans l'ombre et l'autre au soleil » (1). Sa tactique<br />

consistait, tout en faisant respecter l'ordre chez lui, à nous susciter des<br />

embarras au dehors, pour nous occuper ailleurs et le laisser libre à sa<br />

guise dans son territoire. Il est certain qu'il joua un rôle indirect dans<br />

la révolte des Babors en 1856,<br />

car parmi les coupables on retrouva<br />

quelques-uns de ses plus zélés serviteurs. En 1858, ses sujets participè<br />

rent ouvertement au projet d'attaque de Takitount, et ce fut au cœur<br />

même de son territoire, au marché du Ferdjioua, que les tribus se réu<br />

nirent pour décider de l'insurrection. Bou Akkas parfaitement au cou<br />

rant de cet événement, ne nous en donna aucun avertissement. Après<br />

la répression de l'agitation, il chercha à rattraper cette faute en de<br />

mandant avec empressement la suppression de ce marché, source de<br />

richesse pourtant dans son territoire. Mais le doute cette fois n'était<br />

plus permis quant au jugement de sa conduite. Au début de 1861, sui<br />

vant la même tactique, il profita de la révolte du chérif du Hodna, pour<br />

nous susciter des ennuis. Quelques jours après la chute dé ce chef indi<br />

gène, des troubles eurent lieu sur plusieurs marchés voisins du Ferd<br />

jioua, ceux dé l'Oued-Dehcb (2), de Takitount, de l'Oued Bousselah (3),<br />

du Zouagha, des Ouled-Ahd-en-Nour (4). On put retrouver, parmi les<br />

coupables, plusieurs serviteurs intimes de Bou Akkas qui avait voulu<br />

marquer, par cet acte, sa sympathie pour la cause du chérif du Hodna.<br />

Ce chef indigène, toujours prêt à intriguer contre notre autorité, était<br />

une puissance dangereuse ; pour obtenir la pacification totale de la<br />

Kabylie Orientale, il fallait la réduire, sinon la détruire complètement.<br />

Depuis ces dernières années, d'ailleurs, il ne savait plus maintenir<br />

dans son fief, l'ordre rigoureux dont nous lui étions redevables jus<br />

qu'alors. Ce chef dur et cruel, parvenu au pouvoir par l'assassinat de<br />

de son cousin, héritier désigné, exerçait sur ses tribus, un joug tyran-<br />

nique et arbitraire, dont elles commençaient à souffrir. La justice était<br />

rendue dans les tribus par des cadis, ses créatures. Il levait les impôts<br />

à son gré et ses sujets étaient souvent écrasés d'amendes et de corvées.<br />

En maître cupide, il cherchait surtout à accroître l'étendue de ses ter<br />

res personnelles et, pour arriver à ses fins, n'hésitait pas à extorquer<br />

les propriétés de ses sujets. Les tribus, jusque vers 1860, avaient supporté<br />

ces exactions en silence, mais depuis que notre autorité directe s'était<br />

étendue tout autour du Ferdjioua, dans le cercle de Djidjelli d'abord,<br />

puis dans les Babors, tout dernièrement enfin, dans la vallée de l'Oued-<br />

el-Kébir et le Zouagha, elles ne pouvaient s'empêcher de comparer leur<br />

triste situation avec celle, plus heureuse, des tribus voisines. L'impa-<br />

(1) Cité par Férau» : Ferdjioua et Zouagha, Revue Africaine, année 1878,<br />

p. 93.<br />

(2) Oued Deheb : situé à la frontière sud-ouest du Ferdjioua.<br />

(3) Oued Bousselah : au sud-est du Ferdjioua.<br />

(4) Les Ouled-Abd-en-Nour : population dont le territoire est situé au sud de<br />

la route de plaine entre ConstanJine et Sétif.


— — 77<br />

tience des sujets envers leur maître ne fit que croître, et comme ceux de<br />

Bou Renan en 1858, ils menaçaient de se révolter contre leur cheikh.<br />

Les rapports militaires des années 1860 et 1861 enregistrent des plain<br />

tes constantes de la part des populations. Une lettre du 27 septembre<br />

1861, écrite par le commandant de la subdivision de Constantine, au<br />

Général Desvaux, met clairement en évidence celte situation : « Les<br />

Maouïa et les Béni Guecha se plaignent de l'impôt énorme qu'il exige<br />

d'eux... Il se présente chaque jour au Bureau arabe une foule de plai<br />

gnants isolés, qui réclament, les uns contre une spoliation des terres,<br />

les attires contre un surcroît de corvée, un déni de justice,<br />

etc.. D'au<br />

tre part, un nombre considérable des gens des Ouled Kebbab réclament<br />

énergiquement contre les labours dont jouit Bou Akkas chez eux, et<br />

qu'il leur a enlevés morceau par morceau, au grand préjudice des habi<br />

tants de la tribu. Il y<br />

a quelques années lorsque par suite du désordre<br />

qui régnait encore dans l'administration, les indigènes attachaient une<br />

grande importance à la protection des chefs influents, plusieurs indi<br />

vidus des Ouled Kebbab offrirent à Bou Akkas, pour acheter la sienne,<br />

de l'associer à leurs labours. Celui-ci accepta avec empressement puis,<br />

après quelques années de travail en commun, il finit toujours par évin<br />

cer les premiers détenteurs * (1).<br />

Il nous était bien difficile, de notre côté, de donner suite à ces<br />

plaintes, car nous n'avions aucun moyen de vérification : Bou Akkas<br />

avait toujours mis obstacle à nos essais d'intervention dans les affai<br />

res du pays, si bien qu'en 1861,<br />

ment,<br />

ni aucune statistique sur l'état du pays.<br />

nous n'avions encore aucun renseigne<br />

Toutes les tribus n'avaient pas également sujet de se plaindre de<br />

leur cheikh. Celle du Ferdjioua proprement dit,<br />

où Bou Akkas recrutait<br />

la majeure partie de ses clients, était la seule tribu qu'il ménageait,<br />

pour garder une base solide à sa puissance. Les Arb-Babor et leurs voi<br />

sins n'avaient pas à se plaindre non plus, des spoliations du maître,<br />

car ils avaient su conserver à son égard une indépendance assez gran<br />

de, et leur pays montagneux et difficile, offrait peu de richesses en<br />

viables. Au contraire, les tribus du Sud et du Sud-Est, particulièremenî<br />

les Beni-Merouan, Talha et Maouïa, rattachées les dernières au gou<br />

vernement du cheikh, et jouissant, dans les hautes plaines constantinoi-<br />

ses, de belles terres de labour, nous adressaient d'ardentes et nom<br />

breuses réclamations,<br />

contre les spoliations de Bou Akkas (2).<br />

Le cheikh du Ferdjioua, allié utile des premières années, était de<br />

venu une gêne qu'il fallait écarter. Le Général Desvaux agit à son égard<br />

avec beaucoup de ménagements,<br />

comme il l'avait fait pour les Ben Azze-<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 6H25 (Chefs et personnalités in<br />

digènes). Dossier intitulé : Famille de Bou Akkas ben Achour, lettre du 27 sep<br />

tembre 1861.<br />

(2) Archives du Gouvernement Général. Séi-ie 8H21 (Organisation, délimitation,<br />

n'<br />

historique des tribus dans la province de Constantine). Carton 17, dossier 4.<br />

Rapport du 23 novembre 1861 par le Capitaine Lucas.


din,<br />

— — 78<br />

par une suite de négociations dont plusieurs furent menées par l'in<br />

termédiaire d'un grand ami de la France : Si Ben Ali Chérif, chef de<br />

la zaouïa de Chellata (1) gendre de Bou Akkas, il décida le cheikh à<br />

se dessaisir volontairement de la plus grande partie de ses pouvoirs.<br />

Le 3 novembre 1861 fut consacrée officiellement l'abdication de la sou<br />

veraineté de Bou Akkas sur son territoire. Il consentit à quitter le com<br />

mandement effectif pour venir habiter à Constantine, dans un petit<br />

palais mauresque qu'on aménagea à son intention. Cependant, pour le<br />

récompenser de ses anciens services, on lui laissa son titre honorifique<br />

de Cheikh du Ferdjioua, et les revenus du Ferdjioua sans avoir le droit<br />

de les percevoir lui-même. L'étendue de son fief fut divisée en deux<br />

tronçons,<br />

confiés chacun à un de ses neveux : Si Ahmed Khodja ben<br />

Achour, ancien caïd des Béni Afeur, fut nommé khalifa (2) du Ferd<br />

jioua et obtint la plus grosse part : outre le Ferdjioua proprement dit,<br />

il avait sous son autorité, toutes les tribus du Sud et de l'Est, et pres<br />

que toutes celles du Nord de l'ancien fief (3). Si Ahmed ben Derradji,<br />

nommé khalifa du Babor, reçut le commandement plus restreint des<br />

tribus de l'Ouest. Quoique proche parent du cheikh,<br />

Ben Derradji était<br />

son ennemi intime, en tant que fils de la victime faite par Bou Akkas<br />

pour arriver au pouvoir. Ce fut la raison qui nous poussa sans doute,<br />

pour ne pas déplaire à ce dernier, à ne lui donner qu'un territoire de<br />

petite dimension; Ces deux khalifas devaient exercer leur autorité au<br />

nom du cheikh du Ferdjioua, qui les rétribuait à son gré, mais en réa<br />

lité, les ordres émanaient de notre exclusive autorité.<br />

Cette révolution, obtenue sans démonstration militaire, sans effu<br />

sion de sang, passa inaperçue en France. Elle était pourtant riche de<br />

conséquences. C'était une première et considérable atteinte à la puis<br />

sance de Bou Akkas, devenue maintenant toute nominale. Nous avions<br />

désormais droit de regard sur ce territoire du Ferdjioua, qui s'était<br />

maintenu jusqu'alors à l'écart de toute intervention de notre part. Il<br />

avait fallu onze ans pour voir se réaliser l'exclamation trop<br />

hâtive de<br />

Saint- Arnaud en 1850, de « l'inviolabilité du Ferdjioua disparue au.,<br />

souffle de la puissance française ».<br />

Pour rendre effectif l'acte du 3 novembre, le capitaine Lucas, chef<br />

du Bureau arabe de Constantine, fut aussitôt envoyé en mission dans<br />

le Ferdjioua. Il y vérifia le tableau d'organisation des tribus, puis<br />

exposa, à toutes les djemaâ des tribus réunies, les principes de la<br />

nouvelle organisation donnée au pays ; il leur dit « quels seraient les<br />

droits et devoirs de chacun, dans quelles limites les corvées, les touïza<br />

seraient à l'avenir exigées d'elles » ; il leur fit pressentir « le nouveau<br />

mode d'impôts qui allait leur êlre appliqué, quel en serait le mécanis-<br />

(1) La Zaouïa de Chellata est située en Grande Kabylie sur les pentes méridio<br />

nales du Djurdjura.<br />

(2) Ce titre fut choisi avec intention, dans le sens de « Lieutenant de Bou<br />

Akkas „, pour souligner la dépendance des deux neveux à l'égard de leur oncle.<br />

(3) Voir carie V.


— — 79<br />

me de perception, leur base probable, la responsabilité et les droits<br />

de chacun en cette matière », il développa « le système en vigueur<br />

pour les amendes » et termina en indiquant à chacun « ce que l'autorité<br />

française attendait de lui, les droits et pouvoirs qu'elle lui conférait,<br />

les obligations qu'elle lui imposait » (1). Il se livra, en même temps à<br />

une sérieuse étude des différents régimes de propriété, en vigueur dans<br />

le pays. A ce sujet, les contestations entre le cheikh et ses tribus du<br />

Sud, étant trop difficiles à résoudre, le capitaine Lucas décida de lais<br />

ser la question provisoirement en suspens.<br />

La nouvelle organisation fut en général bien accueillie des popu<br />

lations et fonctionna sans incident jusqu'en 1864. En 1862, le Général<br />

Desvaux alla lui-même dans le pays, pour se rendre compte du nouvel<br />

état de choses, et en fil un rapport satisfaisant au Gouverneur Général ;<br />

il écrit le 17 avril : « J'ai passé une journée dans le Ferdjioua. Ce pays<br />

d'exception placé pendant longtemps en dehors de toutes règles, com<br />

mence à entrer dans une voie régulière. Malgré les obstacles que cher<br />

chaient à apporter ceux qui profitaient de l'omnipotence du cheikh,<br />

la transformation s'opère sans à-coup, et bientôt, je l'espère, nous aurons<br />

mis fin à des exactions et spoliations qui ne pouvaient plus être tolé<br />

rées.... Le cheikh Bou Akkas,<br />

quoique cédant de temps à autre à des<br />

influences mauvaises n'a jamais apporté une résistance ouverte aux<br />

changements qui s'opèrent. J'ai saisi loules les occasions de punir les<br />

serviteurs qui ont cherché à entraver ces changements, et jusqu'ici,<br />

nous devons être satisfaits de ce qui se passe » (2). Ainsi, malgré la<br />

médiocre valeur personnelle des deux nouveaux khalifas, la nouvelle<br />

administration semblait fonctionner sans rencontrer d'opposition. Bou<br />

Akkas lui-même paraissait s'être résigné au rôle restreint qui lui était<br />

laissé. Il n'intervenait dans les affaires du Ferdjioua, qu'après autorisa<br />

tion de notre Gouvernement. Selon son désir, on procéda, en octobre<br />

1862, à une réforme partielle dans le commandement des deux khali<br />

fas : pour égaliser l'étendue des deux territoires, on fit passer sous<br />

l'autorité d'Ahmed ben Derradji, le groupe des tribus du Sud, Dehem-<br />

cha, Béni- Mérouan, Talha, Maouïa (3). En accordant cette faveur à<br />

Bou Akkas, on voulait aussi ménager sa susceptibilité et lui donner<br />

l'illusion que son rôle n'était pas réduit à néant.<br />

En réalité, le cheikh du Ferdjioua ne s'était guère résigné à sa<br />

nouvelle situation, et ne guettait qu'une occasion favorable pour es<br />

sayer de ressaisir son ancienne puissance. Or, vers le milieu de mars<br />

1864, parvint à Constantine la nouvelle de l'insurrection des Ouled-<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 8H21 (Organisation, délimitation,<br />

historique des tribus de la province de Constantine). Carton «17, dossier<br />

n"<br />

4.<br />

Rapport du 23 novembre 1861 sur la nouvelle organisation du Ferdjioua.<br />

(2) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 11H23 (Situations politiques),<br />

dossier de l'année 1862. Rapport du 17 avril 1862;<br />

(3) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 6H25 (Chefs et personnalités in<br />

digènes). Dossier de la famille de Bou Akkas Ben Achour, lettre du 25 octobre<br />

1862.


— — 80<br />

Sidi-Cheikh, dans le Sud Oranais. C'était la première manifestation<br />

d'un grand mouvement panislamique qui allait agiter toute l'Afrique<br />

du Nord. Ces troubles étaient fomentés par les ordres religieux musul<br />

mans, dont les adeptes s'appelaient entre eux : les Khouan (1). Nous<br />

verrons plus loin comment les Khouan étaient arrivés à remplacer,<br />

dans leur rôle de défenseurs de la foi musulmane contre le chrétien,<br />

les chérifs. En 1864, ils cherchaient à donner plus d'importance à leur<br />

mouvement, par l'appui de grands chefs indigènes. Dans la province<br />

d'Oran, le bachagha Si Sliman ben Hamza avait donné son adhésion<br />

et entraîné sa tribu des Ouled-Sidi-Cheikh dans la révolte. Celle-ci<br />

gagna bientôt le Sud de la province d'Alger et, en même temps, une<br />

insurrection générale des tribus tunisiennes menaçait la tranquillité<br />

de notre frontière orientale. L'occasion parut très favorable à Bou<br />

Akkas, et il s'engagea à son tour du côté des rebelles, prêtant son con<br />

cours au seul ordre religieux répandu à cette époque dans les deux<br />

Kabylies : celui des Rahmanya, fondé par Si Mahammed ben Abder-<br />

rahman, Bou Kouberin (2) dont la zaouïa était située sur le territoire<br />

de la confédération des Igouchdal, en Grande Kabylie. Cet ordre était<br />

fondé depuis une centaine d'années déjà, mais son extension commen<br />

çait seulement à devenir considérable. Depuis quelques années le véri<br />

table chef de l'ordre était le cheikh El Haddad qui résidait à Seddouk,<br />

près de Bougie (3). Il exerçait sur ses adeptes une autorité absolue, au<br />

moyen d'un certain nombre de moqqadem, chargés d'administrer, sous<br />

ses ordres immédiats, les circonscriptions dans lesquelles se divisait<br />

le pays. En 1864, le moqqadem du Zouagha était un nommé Mouley-<br />

Mohammed. C'est par lui que Bou Akkas entra en contact avec tout le<br />

mouvement insurrectionnel. Très souvent le moqqadem allait voir, à<br />

Constantine, l'ancien cheikh du Ferdjioua, dans la modeste boutique<br />

d'un marchand de savon noir, Amor ben Guettache, resté en relations<br />

avec tous les habitants du Ferdjioua. Cette échoppe, située dans une<br />

rue très fréquentée, était plus pratique pour nouer une conspiration,<br />

et moins compromettante que la demeure même du cheikh. C'est là,<br />

accroupi sur une natte, pour se distraire disait-il de la foule, que le<br />

cheikh passait presque toute sa journée, ne rentrait chez lui que la<br />

nuit et aux heures des repas. Là se trama une conspiration qui devait<br />

lui redonner la toute puissance dans son fief du Ferdjioua.<br />

Mais le rôle exact de Bou Akkas, dans les mouvements de 1864,<br />

est difficile à déterminer. Féraud lui attribue, à tort semblC-t-il, un<br />

rôle prépondérant, en lui donnant l'initiative de toute intrigue. « ...On<br />

devait bientôt découvrir (dit-il), que c'était dans cette modeste échoppe<br />

que Bou Akkas tenait son espèce de quartier général et tous les fils de<br />

(1) Les Khouan : Frères.<br />

(2) Bou Kouberin : surnom signifiant l'homme aux deux tombeaux, à cause<br />

des deux tombeaux construits pour ce saint, l'un au Hamma d'Alger, l'autre en<br />

Grande Kabylie. ,<br />

(3) Ce cheikh joua un grand rôle dans l'insurrection de 1871.


— — 81<br />

l'intrigue ; c'est de là qu'il lançait enfin ses instructions pour révolter<br />

la Kabylie » (1). Il donne même à Bou Akkas la responsabilité d'avoir<br />

entraîné dans le mouvement le moqqadem du Zouagha, qui aurait<br />

« reçu le mot d'ordre dans la boutique du savonnier ». Louis Rinn (2)<br />

au contraire décharge Bou Akkas de presque toute responsabilité, et<br />

réduit son rôle dans les événements de 1864, à un simple consentement<br />

tacite, en rejetant toule la part active sur les Khouan. « Lui et les siens<br />

(dit l'auteur) ont toujours affirmé qu'il avait déconseillé cette levée de<br />

boucliers qu'il n'avait pas mission de dévoiler car, en dehors du Ferd<br />

jioua proprement dit, il ne pouvait plus être responsable d'un pays<br />

dont nous lui avions enlevé la direction effective,<br />

pour la confier à un<br />

de ses ennemis intimes (Ben Derradji). Il est vraisemblable en effet<br />

que la conspiration de Bou Akkas s'est bornée à laisser entendre qu'il<br />

verrait, sans déplaisir les Khouan susciter des embarras à son parent<br />

Derradji, et qu'il avait promis seulement le silence à condition que le<br />

Ferdjioua proprement dit ne soit pas troublé ».<br />

Ces opinions semblent toutes deux trop extrêmes chacune dans un<br />

sens opposé : il faut attribuer, avec Louis Rinn, un rôle important aux<br />

Khouan, complètement négligés par Féraud. Il est certain qu'ils ont eu<br />

l'initiative du mouvement, et que Bou Akkas s'y est engagé postérieu<br />

rement sur la demande de Mouley Mohammed car, nous le verrons,<br />

la chute du cheikh n'a pas entraîné le déclin de l'insurrection ; celle-ci<br />

au contraire a connu une ampleur croissante jusqu'en 1865. Mais L.<br />

Rinn semble aller trop loin, en attribuant, à Bou Akkas, un rôle pure<br />

ment passif, et en lui donnant pour tout motif la haine personnelle<br />

qu'il concevait pour son neveu Ben Derradji. Bou Akkas, au contraire,<br />

visait certainement bien plus haut et cherchait à reconquérir, dans son<br />

fief, ses anciens pouvoirs. Pour arriver à ce but, il joua sûrement un<br />

rôle actif dans le mouvement.<br />

Quoiqu'il en soit, la conspiration commença à prendre corps dès<br />

le début de 1864. Bou Akkas et Mouley Mohammed se mirent en rela<br />

tion avec un marabout de Mila, nommé El-Hadj-Hadjoudj, vieillard<br />

obèse et à demi-idiot, mais considéré comme un saint car son corps,<br />

couvert de pustules, faisait croire qu'il avait le don de prendre pour<br />

lui tous les maux de ceux qui l'approchaient et l'honoraient. Ce mara<br />

bout se mit à raconter à ses visiteurs ses prétendues visions : elles lui<br />

annonçaient, disait-il,<br />

que le moment était venu de recommencer le<br />

djehad (3) contre les chrétiens; et ces paroles trouvaient écho parmi<br />

les habitants du Zouagha. Ceux-ci étaient excités aussi par un vieux<br />

barde populaire de chez les Ouled-ab-en-Nour, nommé Bougrine, qui<br />

chantait des poèmes épiques,<br />

répandus partout. Ces poèmes disaient<br />

qu'« Ahmed Bou Akkas, sultan de la vallée, avait tout son monde<br />

groupé autour de lui et distribuait des burnous verts et bleus... les amis<br />

(1) Féraud : Ferdjioua et Zouagha, Revue Africaine, 1878, p. 167.<br />

(2) Louis Rinn : Histoire de l'Algérie (manuscrit). Livre XI, ch. 3, paragr. III.<br />

(3) Djehad : Guerre sainte.


— — 82<br />

des Français, tremblant de peur avaient la peau desséchée sur les os... »<br />

et les vers finissaient par un appel énergique : « debout ! lève-toi, fais ta<br />

prière, prends la crête des collines ! garde-toi de combattre ton frère<br />

musulman quand les Français sont devant toi,<br />

fuis dans la montagne » (1).<br />

abandonne la plaine et<br />

Bou Akkas chercha à renforcer le mouvement par l'appui d'autres<br />

chefs indigènes ; il se souvint de la famille des Ben Azzedin dont il<br />

avait d'abord favorisé l'ascension, puis hâté le déclin lorsqu'elle était<br />

devenue une rivale trop dangereuse pour sa propre puissance. Dans le<br />

malheur, le cheikh du Ferdjioua pensa au concours que pourrait lui<br />

apporter cette famille dont les partisans étaient encore nombreux. Il<br />

entra en relations avec les deux fils de Bou Benan qui étaient revenus<br />

habiter Constantine depuis la mort de leur père,<br />

dans le complot,<br />

en exil. Ils entrèrent<br />

entraînant avec eux leurs deux cousins qui avaient<br />

gardé un- commandement en Kabylie Orientale : Bou Lakheras, caïd des<br />

Mouïa, et Si Ahmed bel Hadj, caïd des Béni Ider.<br />

Le 10 mars, à Dar-el-Hamra, eut lieu une grande réunion où l'on<br />

fixa pour la nuit du 17 au 18 mars, le début de l'action. Le signal serait<br />

donné par l'attaque du bordj de Zeraïa (2), résidence du nouveau caïd<br />

de Zouagha. Au premier coup de feu, les Ben Azzedin devaient se<br />

mettre à la tête de leurs contingents, tandis que Bou Akkas,<br />

sortant de<br />

Constantine, irait s'installer au milieu du Ferdjioua et de là, soutien<br />

drait et dirigerait le mouvement insurrectionnel de toute la Kabylie<br />

Orientale.<br />

Au jour dit, les Kabyles armés descendaient des montagnes du<br />

Zouagha et venaient saccager et brûler le bordj<br />

de Zeraïa. Mais leur<br />

déconvenue fut grande de n'y point trouver le caïd appelé quelques<br />

heures auparavant par le chef d'annexé d'El-Milia. Ils furent encore<br />

plus désappointés en ne voyant arriver ni Bou Akkas, ni les Ben Azze<br />

din qui n'avaient osé, au dernier moment, se rallier à l'insurrection.<br />

Croyant à une trahison de la part de ces chefs, les Kabyles se déban<br />

dèrent et rentrèrent chez eux. Ils livraient, dès le lendemain, le moqqa<br />

dem Mouley Mohammed qui, pour se venger de l'attitude si versatile<br />

de Bou Akkas et des Ben Azzedin fit aussitôt des révélations sur leur<br />

conduite : « Je ne suis ni un homme puissant, ni un homme riche, je<br />

n'ai ni silos remplis de grains,<br />

ni coffres remplis d'argent pour lever<br />

et entretenir des goums. Si donc j'ai entrepris de lutter contre vous,<br />

c'est que j'ai suivi l'impulsion que m'ont donnée de grands personnages<br />

dont l'appui m'était promis » (3). Puis il donna sur ces chefs d'acca<br />

blants témoignages qu'il fit confirmer par de nombreux indigènes.<br />

Aussitôt les Ben Azzedin furent arrêtés dans leurs montagnes et Bou<br />

Akkas dans sa boutique, au moment où il allait s'enfuir au Ferdjioua.<br />

On les enferma tous à la Casba de Constantine le 11 avril 1864. Ainsi<br />

(1) Cité par L. Rinn : Histoire de l'Algérie. Livre XI, ch. 3, parag. III.<br />

(2) Ce bordj était situé tout près de Mila.<br />

(3) Cité par L. Rinn : Histoire de l'Algérie (manuscrit). Livre XI, ch. 3, par. III.


— — 83<br />

prit fin la puissance d'El Hadj Ahmed Bou Akkas, seigneur du Ferd<br />

jioua. Comme Bou Renan, il n'avait su se contenter du rôle modeste<br />

qu'on lui* avait réservé ; sa révolte fut la cause de sa chute définitive.<br />

Son territoire passa aussitôt sous notre autorité directe, et, comme<br />

celui de Bou Renan, fut morcelé entre différents cercles pour briser<br />

tout faisceau de résistance ou tout essai de reconstitution du comman<br />

dement. Le cercle de Djidjelli hérita de la tribu des Djimla qui fut<br />

rattachée au caïdat des Béni Afeur ; et aussi des Béni Adjiz et Béni<br />

Medjaled Dahra réunis au caïdat des Béni Foughal (1). Dans le cercle<br />

de Constantine passèrent toutes les tribus de l'Est y compris les Ouled<br />

Amer, Arb-el-Oued, Beni-Foughal du Ferdjioua, Talha et Ouled Ya-<br />

coub (2). L'annexe de Takitount s'agrandit du groupe des Arb-Babor<br />

et de leurs voisins : Béni Zoundaï, Richia, Arbaoun, Ouled Mena, etc..<br />

Au cercle de Sétif revinrent les tribus du Sud-Ouest dont les princi<br />

pales sont les Ouled Sidi-bel-Haz, Dehemcha et Maouïa. A l'intérieur<br />

de ces grandes divisions administratives, les tribus furent groupées en<br />

caïdats (3). Celui du Babor, et celui du Ferdjioua eurent respectivement,<br />

à leur tête Ben Derradji et Si Ahmed Khodja, devenus maintenant<br />

simples caïds avec un commandement beaucoup<br />

paravant.<br />

plus restreint qu'au<br />

Cette réforme hardie montrait nettement notre volonté d'en finir<br />

avec les grands commandements indigènes ; réforme assez paradoxale<br />

si l'on songe que nous étions à cette époque sous le régime du « Boyau-<br />

me Arabe » instauré depuis la fin de 1860 par l'Empereur Napoléon III.<br />

Faut-il en déduire que cette politique, tant prônée par le Gouvernement<br />

ne reçut en fait aucune application systématique ? Quoiqu'il en soit<br />

le Général Desvaux ne s'y laissa pas prendre et continua rigoureusement<br />

la politique, commencée dès 1858 avec les Ben Azzedin, de destruction<br />

des grands commandements indigènes pour aboutir à la pacification<br />

totale de la région. Et Bou Akkas gracié généreusement par l'Empe<br />

reur qui lui permit de revenir à Alger dès l'année suivante, puis à<br />

Constantine même, en 1870, ne put jamais obtenir, malgré, des démar<br />

ches incessantes, la réalisation de son vœu suprême : la reconstitution<br />

de son ancienne position en faveur de son jeune fils.<br />

1864 marque donc une grande date dans l'histoire de la Kabylie<br />

Orientale. Désormais, toute la Kabylie Orientale jouissait d'une même<br />

organisation. L'unité administrative du pays était constituée. Mais la<br />

pacification même n'était pas encore achevée. L'étincelle jaillie dans l'at<br />

taque du bordj<br />

de Zeraïa, était la manifestation d'un vaste foyer in<br />

surrectionnel, dont le feu était entretenu et avivé par l'ordre religieux<br />

des Bahmanya.<br />

(1)<br />

Pour tous ces remaniements administratifs voir carte VI (comparer avec<br />

la carte V).<br />

(2) La liste complète des tribus du Ferdjioua et les remaniements opérés en<br />

1864 sont indiqués dans le tableau de la situation des Etablissements français<br />

dans l'Algérie, année 1864, p. 229-231.<br />

(3) Voir 3*<br />

partie, ch. II.


CHAPITRE VI<br />

L'INSURRECTION DE 1864-65<br />

Parmi les personnages arrêtés au lendemain de l'attaque du bordj<br />

de Zeraïa, figurait Mouley-Mohammed, moqqadem de l'ordre des Rah-<br />

manya, dans le Zouagha. Son rôle actif dans l'insurrection nous révèle<br />

le sens même de la révolte de 1864-65. C'est dans les sociétés secrètes<br />

qu'il faut chercher son origine.<br />

Tous les ordres religieux musulmans ont une organisation analogue,<br />

très simple, mais très vigoureusement constituée. Le chef suprême de<br />

l'ordre est le khalifa qui exerce sur les adeptes une autorité absolue<br />

au moyen d'un certain nombre de moqqadem « chargés d'administrer<br />

sous ses ordres immédiats, les circonscriptions dans lesquelles se divi<br />

sent le pays à mesure que l'ordre se propage. Le moqqadem a seul qua<br />

lité dans sa circonscription ,<br />

pour conférer Youeurd, c'est-à-dire initier<br />

à la règle et aux pratiques de l'ordre des fidèles qui en font la de<br />

mande » (1). Ces ordres musulmans ont comme but déclaré d'amener<br />

les adeptes à mériter, par leurs efforts, la félicité éternelle et le salut<br />

de leur âme, que le coran promet à ceux qui suivent la « bonne voie ».<br />

Mais le but humain de ces ordres est tout différent : c'est la domination<br />

des volontés, l'absorption des individualités au profit de l'œuvre im<br />

personnelle poursuivie par la communauté. Cette soumission des indi<br />

vidus est d'autant plus absolue qu'elle est librement consentie par les<br />

adeptes qui doivent, dès leur entrée dans l'ordre, une obéissance passi<br />

ve à leurs supérieurs. De pareilles institutions assurent aux chefs des<br />

ordres religieux une puissance extraordinaire sur leurs adeptes, qu'ils<br />

peuvent diriger ensuite vers n'importe quelle tâche. Ils possèdent ainsi<br />

un magnifique instrument qu'ils peuvent employer à des fins unique<br />

ment politiques, d'où le danger d'une insurrection fomentée contre nous<br />

par les Khouan.<br />

Or, pour la première fois, en 1864, les Khouan jouent un rôle poli<br />

tique en Kabylie Orientale. Jusqu'alors, en effet, le seul ordre religieux<br />

de Kabylie, celui des Rahmanya, dont le berceau réside dans le Djur<br />

djura avait eu peu d'extension et, au début de la conquête, très peu<br />

de Kabyles en faisaient partie. L'action de cet ordre était, à cette épo<br />

que, surpassée de beaucoup par celle des marabouts locaux, religieux<br />

indépendants. Mais, par une évolution curieuse au cours de la con<br />

quête française, l'influence des marabouts déclina considérablement<br />

(1) Hanotp.au et I.ETounxi:u\ : La Kabylie et les coutumes kabules ■> édit<br />

Paris, 1893, tome II, ç. 90.


— — 85<br />

au profit des ordres religieux. Hanotcau et Letourneux expliquent très<br />

bien, pour la Grande Kabylie, les raisons de ce changement, parfaite<br />

ment valables pour la Kabylie Orientale, puisqu'elles résident avant<br />

tout dans un fait psychologique. -<br />

Avant les guerres soutenues contre<br />

nous (disent les auteurs) les Kabyles avaient une très grande confiance<br />

dans un certain nombre de leurs marabouts ; ils croyaient surtout pou<br />

voir compter sur la protection efficace de quelques saints, enterrés<br />

dans leurs montagnes, que la crédulité populaire avait investis de la<br />

mission d'en défendre l'accès aux conquérants étrangers, et surtout<br />

aux infidèles. Plusieurs attaques malheureuses des Turcs avaient affer<br />

mi cette croyance, et la foi dans ces espèces de génies tutélaires était<br />

encore entière quand parurent nos premiers bataillons.<br />

« Tant que nos colonnes restèrent dans les vallées, les défaites<br />

successives des contingents envoyés contre elles produisirent peu d'ef<br />

fet ; les Turcs aussi avaient été les maîtres des plaines. On nous atten<br />

dait sur les montagnes, dans le rayon d'action immédiat des marabouts<br />

protecteurs. Les Français ne tardèrent pas à s'y montrer et la fortune<br />

des armes leur resta fidèle. Les « grandes capotes » comme les Kaby<br />

les appellent nos soldats, passaient sans s'émouvoir, près des sanc<br />

tuaires redoutables qui devaient les frapper de terreur, et lancer contre<br />

eux la foudre ; bientôt le pays tout entier fut réduit à s'avouer vaincu.<br />

Il fallait bien se rendre à l'évidence : les saints avaient complètement<br />

failli à leur mission. Les marabouts vivants qui, au nom de la Divinité,<br />

avaient fait des promesses téméraires, se trouvaient cruellement dé<br />

mentis par la conquête » (1).<br />

« Les événements de la guerre ayant ainsi ébranlé les croyances<br />

antiques qui, jusque là, avaient fait la force de la résistance, l'esprit<br />

patriotique, ne pouvant se résigner à une soumission sans réserve,<br />

chercha à ses espérances un nouveau point d'appui. Il croit l'avoir<br />

trouvé dans les sociétés secrètes dont l'organisation permet si facile<br />

ment de dérober, à notre vigilance, les menées politiques ».<br />

« D'autres circonstances encore favorisèrent cet entraînement. Les<br />

Kabyles étaient habitués à vivre dans des agitations continuelles ; les<br />

années qui précédèrent la conquête furent surtout pour eux une époque<br />

d'excitation fébrile. Une paix profonde venant à succéder à cet état<br />

de trouble devait produire nécessairement un vide pénible dans ces<br />

existences naguère si tourmentées, et disposer des esprits ardents à<br />

accepter tout mouvement qui offrirait un élément à leur activité » (2).<br />

Sous le concours de ces circonstances, l'ordre des Rahmanya prit,<br />

au cours de la conquête une extension croissante,<br />

et devint un organis<br />

me actif des menées politiques contre notre politique. Dès 1856, la ré<br />

volte de Grande Kabylie est fomentée par le Khalifa de l'ordre ; quel<br />

ques années plus tard, l'action de cette société secrète atteint la Kabylie<br />

(1) Hanoteau et Letourneux : op. cit., tome II, p. 102 et 103.<br />

(2) idem, p. 104.


— — 86<br />

Orientale, et en 1861, le Général Desvaux entrevoit déjà nettement le<br />

danger d'une pareille organisation. Le 7 janvier 1861, dans un « rap<br />

port politique sur les tribus de la province de Constantine », il écrit :<br />

« Dans la Subdivision de Sétif, on me signale quelques démonstrations<br />

religieuses qui me donnent à penser qu'appel est fait, en dessous main,<br />

au fanatisme musulman. Le cheikh El Haddad chef de l'ordre, de Sidi-<br />

Abd-er-Rahman Bou Koberin recrute de nouveaux prosélytes : son<br />

influence prend une très grande extension au détriment de celle de<br />

Si ben Ali Chérif (de la Zaouïa de Chellata). Dans d'autres cercles aussi<br />

l'attention de nos officiers a été appelée sur les démarches des Khouan.<br />

« Nous avons, pendant le courant de l'année,<br />

vu se présenter dans<br />

diverses zaouïa des étrangers venant, soit de la Mecque, soit du Maroc :<br />

nous les avons vus accueillis chez plusieurs de nos chefs indigènes,<br />

collecter en secret des aumônes, apporter sans doute quelques mots<br />

d'ordre qui nous échappent : il y a un certain mouvement chez les<br />

Khouan des divers ordres religieux... Je recommande à MM. les Com<br />

mandants des subdivisions une surveillance active sur les affiliations<br />

aux différents ordres religieux, affiliations dont le nombre va chaque<br />

jour en augmentant » (1).<br />

De 1861 à 1864 en effet, le mouvement ne fit que croître, en force<br />

comme en étendue, et le moqqadem Mouley Mohammed participe acti<br />

vement à l'agitation qui aboutit à l'attaque du bordj de Zeraïa. Son<br />

arrestation, celles de Bou Akkas et des Ben Azzedin n'étaient pas suf<br />

fisantes pour arrêter l'activité des Khouan, instruments de chefs, rési<br />

dant presque tous à l'étranger, donc hors de notre atteinte. Le Général<br />

Desvaux, conscient de la situation réelle, demanda une expédition en<br />

Kabylie Orientale, mais le Gouverneur Général Pélissier ne lui en don<br />

na pas l'autorisation. A Alger, on n'avait vu dans l'attaque du bordj<br />

qu'un incident local et le résultat d'une intrigue provoquée par un grand<br />

chef mécontent. Une fois Bou Akkas arrêté, on croyait que la révolte<br />

s'éteindrait d'elle-même. Pour avoir négligé le vrai sens du mouvement,<br />

on allait s'exposer à de graves mécomptes.<br />

Les différentes phases de cette insurrection résultent avant tout<br />

de l'insuffisance de nos moyens de répression. Occupés au même mo<br />

ment à réprimer les troubles du Sud des provinces d'Oran et d'Alger,<br />

ainsi que du Hodna, nous avons été amenés, par la force des choses<br />

à négliger la Kabylie Orientale dont la situation nous paraissait moins<br />

grave qu'ailleurs. On peut distinguer, dans l'évolution des événements<br />

deux grandes phases qui présentent l'une et l'autre certaine analogie.<br />

Chacune de ces phases, en effet, débute par une période de tempori<br />

sation, d'inertie même de notre part due au manque de troupes dispo<br />

nibles : on se contente de parer au danger en faisant agir nos contin<br />

gents indigènes, ou en plaçant quelques garnisons sur les points mena<br />

cés pour contenir le mouvement. Bientôt, devant l'inefficacité de ces<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 11 H 23 (Situations politiques), dos<br />

sier de l'année 1861. Rapport du 7 janvier 1861.


— 87 —<br />

méthodes, l'autorité se décide à une expédition sérieuse dans le pays ;<br />

à la période de temporisation succède celle de la répression rapide et<br />

armée. Cette même évolution se retrouve dans chacune des deux gran<br />

des phases de l'insurrection, dont la première s'étend de juin à la fin<br />

de septembre 1864, et la deuxième d'octobre 1864 au mois de juin<br />

1865. Celle-ci diffère cependant de la précédente par l'ampleur plus<br />

grande de la révolte comme de la répression armée.<br />

Après l'arrestation des principaux instigateurs de l'attaque du<br />

bordj de Zeraïa, les tribus se tinrent tranquilles pendant un certain<br />

temps. Mais, travaillées de nouveau en sous-main par les Khouan, ex<br />

citées par les nouvelles qu'apportaient de Tunisie les anciens serviteurs<br />

des Ben Azzedin rentrés secrètement dans le pays, avec des lettres<br />

de moqqadem appelant à la révolte, elles s'agitèrent de nouveau dès<br />

le mois de juin. Le ferment partit du Zouagha, où les tribus commen<br />

cèrent à s'armer et à reparler de guerre, et firent le projet d'attaquer<br />

la garnison d'El-Milia. Mais les conjurés ne purent entraîner dans leur<br />

décision les Ouled Aïdoun entourant le bordj, et on lança contre eux<br />

les contingents des trois caïds qui nous étaient restés fidèles : celui<br />

des Béni Khettab Cheraga de l'annexe d'El-Milia et, dans le cercle de<br />

Djidjelli, le caïd des Béni Amran et celui des Béni Ider. Ils forcèrent<br />

les insurgés à demander l'aman dès le 11 août.<br />

Cette action directe freina pour un temps l'élan de rébellion. Mais,<br />

sous l'excitation constante des Khouan, les tribus s'agitèrent de nou<br />

veau, et résolurent cette fois de se porter sur le bordj de Zeraïa, pour<br />

y assassiner le caïd du Zouagha, qui avait échappé au complot du 18<br />

mars. Mais celui-ci se sentant menacé, donna immédiatement sa démis<br />

sion. Pour rendre la sécurité au poste de Zeraïa, le Général Périgot,<br />

successeur du Général Desvaux nommé depuis peu sous-Gouverneur<br />

de l'Algérie, organisa une colonne, et le 9 septembre, se mettait en mar<br />

che, pour visiter les régions soulevées du Zouagha et de l'annexe d'El-<br />

Milia. Par la route de Constantine à Djidjelli, il arriva jusqu'à El-<br />

Aroussa sans aucun incident : partout les Kabyles se montrèrent sou<br />

mis. Le Général entra alors dans l'ancien commandement de Bou Ak<br />

kas ; la résistance s'y<br />

déclara ouvertement. Dans la nuit du 24 au 25<br />

septembre, nos troupes furent attaquées après avoir dépassé les ravins<br />

dangereux dominés par le pic de Tamesguida, sur les bords de l'Oued<br />

Endja supérieur. C'était le territoire des Bichia, incorporé tout récem<br />

ment dans l'annexe de Takitount. Nos troupes eurent vite fait d'anni<br />

hiler toute résistance, dans quelques combats victorieux. Ben Derradji,<br />

n'ayant pas su maintenir l'ordre dans son caïdat (1), fut destitué et<br />

remplacé dans le commandement du Babor,<br />

par Belcassem Ben Habi<br />

les, homme actif et dévoué, incapable de pactiser avec les clients de<br />

Bou Akkas ou avec les Khouan, dont il était l'ennemi déclaré ; il se ré<br />

vélait le seul chef capable de contenir les belliqueuses tribus de cette<br />

(1) Les Béni Zoundaï faisaient partie du caïdat du Babor commandé par Si<br />

Ahmed ben Derradji.


— — 88<br />

région. Grâce à son concours, le Général Périgot put s'éloigner du<br />

théâtre de Kabylie Orientale pour aller vers le Hodna où le danger avait<br />

pris d'inquiétantes proportions.<br />

Le départ précipité de la colonne, laissant une Kabylie imparfaite<br />

ment soumise, allait avoir de graves conséquences : l'agitation, mal<br />

enrayée, allait se développer de nouveau, et atteindre, dans cette deu<br />

xième phase, une ampleur considérable,<br />

par son étendue comme par<br />

la vigueur et le nombre de combats. Seule une nouvelle action coercitive<br />

de notre part, allait pouvoir étouffer définitivement le feu de la ré<br />

volte.<br />

Dès le 10 octobre en effet, l'effervescence se manifesta de nouveau,<br />

dans le caïdat du Babor où les Richia et Béni Zoundaï refusèrent de<br />

payer l'impôt (1). De là, le mouvement s'étendit vers l'Ouest,<br />

chez les<br />

Béni Meraï, Béni Felkaï et Ouled Salah, de l'annexe de Takitount. En<br />

novembre, les incidents provoqués par les insurgés se multiplient : le<br />

14, ils attaquent et incendient le bordj du caïd des Amoucha ; le 24,<br />

ils font une démonstration armée contre celui de Takitount. Ces inci<br />

dents aboutissent au résultat espéré ; de nouvelles tribus s'agitent à leur<br />

tour : les Amoucha et trois tribus de la rive gauche de l'Oued Agrioun,<br />

Béni Tizi, Ismaïl et Djermouna. Le ferment se propage même au-delà<br />

de l'annexe vers le Nord, dans le caïdat du Tababor du cercle de Dji<br />

djelli, où les défections se multiplient, et à l'Est, dans le caïdat du Ferd<br />

jioua où plusieurs cheikhs sont assassinés. A la fin de l'année, la situa<br />

tion devint inquiétante, et nous n'avions pas encore les moyens de réu<br />

nir les troupes nécessaires à une expédition.<br />

Comme en juillet 1864, il fallut agir indirectement, faire appel aux<br />

contingents indigènes, et se contenter, avec les faibles effectifs qui nous<br />

restaient, d'établir des corps d'observation aux abords de la région<br />

insurgée pour freiner les progrès de l'insurrection. Au Sud-Est, les trois<br />

caïds des Ouled Nabet, Ameur Dahra et Ameur Guebala du cercle de<br />

Sétif, allèrent avec leurs contingents, protéger les Dehemcha ; deux<br />

goums sous le commandement du lieutenant de Saint-Foix furent ins<br />

tallés aux environs de Takitount. Au Sud-Ouest,<br />

un autre officier se<br />

tint, avec quelques troupes à Dra-el-Caïd pour assurer, par des pa<br />

trouilles incessantes la sécurité des courriers entre Sétif et Takitount,<br />

et empêcher l'insurrection de déborder la route de Sétif à Bougie. Au<br />

Nord,<br />

un contingent sortait de Djidjelli et se plaçait au col d'El Aouana,<br />

pour garder l'accès de la ville.<br />

Ces mesures, et surtout les intempéries du début de 1865, arrêtè<br />

rent pour un temps, les hostilités : mais dès la fin janvier, les insur<br />

gés reprirent leur activité, et dirigèrent leurs efforts vers un seul but :<br />

peser sur leurs voisins pour les entraîner avec eux, par la force ou la<br />

persuasion, dans l'insurrection. Ils attaquent aussitôt les Ismaïl, Béni<br />

Tizi et Djermouna qu'ils amènent définitivement à leur cause. Tous<br />

fl) Pour les événements qui vont suivie, voir carte IV.


— — 89<br />

marchent alors contre les Béni Sliman, sans pouvoir cependant les en<br />

tamer. Us se tournent alors contre les Béni Hassein et Béni Mahmed du<br />

cercle de Bougie, chez lesquels un chantier d'ouvriers civils est en train<br />

d'ouvrir une route destinée à relier Sétif à Bougie par les gorges de<br />

Chabet-el-Akhra. Mais les Béni Hassein ont fait prévenir secrètement<br />

le colonel Bonvalet, commandant supérieur de Bougie, qui arrive aussi<br />

tôt avec du renfort. Les rebelles, renonçant alors à l'attaque projetée,<br />

reportent leurs efforts vers le Sud-Est et le 6 mars, foncent sur le bordj<br />

des Dehemcha dont ils s'emparent. Ce succès décuple leur audace ; ils<br />

reviennent vers le Nord et, le 12 avril attaquent le camp de travailleurs<br />

du cap Aokas. Le colonel Bonvalet, par une charge vigoureuse trans<br />

forme celte offensive en une déroute complète. Malgré cet échec, les<br />

Kabyles tentent un nouvel assaut, le 26 avril, contre le bordj<br />

tount, et en font un blocus étroit.<br />

de Taki<br />

Ce fut heureusement le dernier acte d'agression : nous avions enfin<br />

les moyens d'agir efficacement dans la région. Au début de mai, deux<br />

colonnes entrèrent en opération, l'une commandée par le Général Pé-<br />

rigot, arriva à Constantine ; l'autre dirigée par le Colonel Augeraud,<br />

commandant la subdivision de Sétif vint de l'Ouest. Toutes deux par<br />

une marche concentrique devaient parvenir jusqu'au cœur de la résis<br />

tance, dans le caïdat du Babor. Le Colonel Augeraud passant par Dra-<br />

el-Arba infligea, sur son trajet, un sévère châtiment aux Ismaïl, puis<br />

aux Béni Meraï,<br />

où la résistance fut sérieuse. Il s'installa ensuite chez<br />

ces derniers, au camp d'Aïn-Si-Tallout. De son côté le Général Périgot,<br />

passant par le Zouagha et le Nord du Ferdjioua, pénétra.' dans le caïdat<br />

du Babor,<br />

où il punit durement les Béni Zoundaï qui avaient donné le<br />

premier signal de la révolte. Il établit son camp le 25 mai, à Ras-el-<br />

Bahari, en vue de celui d'Aïn-si-Tallout. Sur son trajet, l'avait rejoint<br />

la colonne d'El Aouana, commandée par le Général de Lacroix. Dans<br />

l'intervalle aussi, le Commandant Bonnemain avait rallié, en passant<br />

par le Sud, le goum des Dehemcha. Tous ces mouvements combinés<br />

eurent vite raison de la résistance des Kabyles qui furent, cette fois,<br />

véritablement écrasés. Pour leur donner une leçon on dévasta leurs<br />

villages, on saccagea leurs futures récoltes. Les chefs indigènes rebelles<br />

furent destitués et remplacés. Les tribus durent payer leurs impôts et<br />

de fortes amendes de guerre.<br />

Le 2-juin, les troupes descendirent les versants montagneux pour<br />

aller dans la plaine de Bougie recevoir la visite de l'Empereur Napoléon<br />

III, arrivé récemment en Algérie. Quelques jours après, elles remontè<br />

rent dans le Babor, y séjournèrent près d'un mois pour y<br />

pacification.<br />

achever la<br />

Dès lors, pendant six ans, la Kabylie Orientale ne cessa de goûter<br />

la paix la plus parfaite ; et lorsque survint la guerre de 1870, la situation<br />

politique dans le pays était excellente. L'insurrection de 1871 eut son


— — 90<br />

origine dans des faits étrangers à l'esprit même des populations. Elle<br />

fut déclenchée par l'ambition d'un seul homme, le bach-agha de la<br />

Medjana. L'enjeu de la lutte n'était que son mécontentement personnel<br />

de la situation qui lui était faite.<br />

Il ne semble donc pas paradoxal d'arrêter, à l'année 1865, la pé<br />

riode de conquête et de pacification de la Kabylie Orientale.


TROISIEME PARTIE<br />

NOTRE ŒUVRE DE PACIFICATION,<br />

D'ORGANISATION ET DE COLONISATION<br />

JUSQU'EN 1870


NOTRE ŒUVRE DE PACIFICATION, D'ORGANISATION<br />

ET DE COLONISATION JUSQU'EN 1870<br />

CHAPITRE 1"<br />

LES RAISONS DE NOTRE SUCCES DEFINITIF<br />

En 1865, après quinze ans d'efforts continus, nous étions arrivés<br />

à la pacification totale de la Kabylie Orientale. Cette oeuvre avait été<br />

longue et difficile à réaliser, car dans la lutte engagée, les Kabyles<br />

avaient eu de grands avantages : un des plus précieux était la con<br />

naissance parfaite de leur pays ; nous étions au contraire, au début<br />

de la conquête, très ignorants sur l'aspect topographique du massif<br />

kabyle, dont nous n'avions visité que la bordure. Lorsque Saint-Arnaud<br />

et Randon réalisèrent leurs premières grandes expéditions, ils durent<br />

avoir recours aux renseignements des indigènes pour se diriger, sans<br />

s'égarer dans ces montagnes hérissées d'obstacles et d'ailleurs beaucoup<br />

plus favorables à la défense qu'à l'attaque. Tous les récits de campagne<br />

enregistrent les difficultés matérielles de nos marches à travers le pays.<br />

E. Cler, pendant la campagne de 1853, décrit ainsi le pays voisin de<br />

l'Oued Agrioun : le régiment « dut traverser un pays de montagnes aux<br />

pics élevés et déchiquetés, aux vallées déchirées et irrégulières..., un pays<br />

où le fantassin ne pose qu'avec précaution le pied sur l'étroit sentier<br />

bordé de précipices effrayants... Tizzi ou Sakka, sur le bordj Souel<br />

où la colonne du gouverneur séjourna du 22 au 29 mai est un col à<br />

1.900 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce col forme un des rares<br />

passages de la grande chaîne des Babors. Les Arabes appellent ces<br />

hautes montagnes les « Portes de la Vapeur », et le temps affreux<br />

que la colonne subit pendant les neuf jours qu'elle resta au bivouac<br />

justifie parfaitement cette dénomination. En effet, elle vécut dans les<br />

nuages, au milieu des tempêtes » (1).<br />

Ce relief accidenté,<br />

n'était pas la seule difficulté rencontrée par<br />

nos colonnes : la Kabylie Orientale, plus arrosée que la Grande Kabylie,<br />

possède de vastes forêts qui, au temps des Turcs, étaient déjà renom<br />

mées pour la valeur de leurs bois. Les Béni Foughal de Djidjelli appro<br />

visionnaient en cette matière, le gouvernement turc,<br />

(1)<br />

pour la construc-<br />

2'<br />

Capitaine Eug. Cler : Souvenirs d'un officier du Zouaves, p. 76.


— — 94<br />

tion de ses vaisseaux. Ces vastes massifs boisés du Sud-Ouest de Dji<br />

djelli, de la région de Collo et de l'Oued-el-Kébir étaient un sérieux<br />

obstacle au passage de nos troupes.<br />

Le pays était, en outre, totalement dépourvu de routes, et même<br />

de sentiers. Au cours des premières expéditions, nos soldats devaient<br />

se frayer eux-mêmes un chemin, ce qui augmentait encore les diffi<br />

cultés de leur tâche. Par la suite, on imposa ce travail aux indigènes<br />

eux-mêmes, au moyen de corvées. Après chaque révolte, les Kabyles<br />

devaient, comme punition, travailler gratuitement à ouvrir des sentiers<br />

à travers leur territoire.<br />

Non seulement les avantages matériels de leur pays, mais aussi<br />

certains traits de caractère, particuliers à la race même, soutenaient<br />

les Kabyles dans leur lutte contre l'étranger. Ils avaient confiance en<br />

leur invincibilité, parce qu'ils n'avaient pas connu de maîtres depuis<br />

des siècles : les Turcs avaient toujours échoué dans leur tentative de<br />

domination du pays kabyle. Cette assurance reposait sur un sentiment<br />

religieux ; ils avaient confié à leurs santons locaux, la mission de les<br />

protéger, et ils étaient persuadés, par la voix des marabouts eux-mêmes,<br />

que les saints ne failliraient jamais à leur mission. Chez les Béni Fer-<br />

gan de l'Oued-el-Kébir, une légende s'était formée à laquelle tous<br />

croyaient fermement. En 1804 disait-on, « lorsque le bey Otsmâne s'a<br />

ventura à la tête de ses troupes, dans cette région accidentée, trois énor<br />

mes coups de canon sortirent des flancs de la montagne où repose le<br />

marabout, et anéantirent l'armée » (1).<br />

Si la haine qu'ils nourrissaient contre le chrétien était moins vi-<br />

vace que celle des Arabes, par contre leur sentiment d'indépendance<br />

était un puissant ressort qui les rendait incapable de supporter aucune<br />

autorité et les poussait à rejeter la nôtre par avance. Cet état d'esprit<br />

était sans cesse tenu en éveil par de faux chérifs, sortis brusquement<br />

de l'obscurité, pour y rentrer presque aussi vite, après un court ins<br />

tant de renom, dans un périmètre généralement limité. Nous avons vu,<br />

pendant les premières années de la conquête l'apparition successive<br />

des Si Zerdoude, ben Yamina, Mouley Mohammed, Bou Baghla, pour<br />

ne citer que les principaux. Tous ne sont que de faux chérifs ; leur<br />

prétention à descendre du Prophète n'est qu'une légende forgée par<br />

eux de toutes pièces, pour acquérir du prestige. Beaucoup d'entre eux<br />

sont des intrigants, qui cherchent à jouer un rôle important, en ex<br />

ploitant la crédulité populaire ; d'autres sont plutôt des illuminés que<br />

des ambitieux : sous l'empire d'une exaltation religieuse, ils se croient<br />

réellement appelés à la mission de défendre l'Islamisme contre les<br />

dangers du christianisme, en essayant d'entraîner la masse au combat<br />

contre l'Infidèle. Certains ne sont que les créatures de grands chefs<br />

indigènes désireux de nous créer des difficultés,, sans se compromettre<br />

eux-mêmes. Les Ben Azzedin, par exemple, avant leur: soumission en<br />

1849, avaient suscité, contre nous, plusieurs faux chérifs.<br />

(1) E. Douttè : Notes su* l'Islam Maghribin. Les Marabouts, Paris, 1900, p. 63.


— — 95<br />

Pour acquérir le renom nécessaire,<br />

ces personnages employaient<br />

presque toujours des moyens bien précaires. Peu nombreux étaient<br />

ceux qui cherchaient à pratiquer une vie ascétique et vertueuse. Cette<br />

méthode, trop longue, ne convenait point aux impatients. La plupart<br />

préféraient le procédé! plus rapide et plus efficace du miracle. Avec un<br />

peu d'adresse et quelques compères dévoués, ils avaient vite fait de<br />

réaliser des événements merveilleux. Bou Baghla avait acquis beaucoup<br />

d'habileté dans la réalisation de ces subterfuges. Pour essayer de gagner<br />

l'appui des Béni Idjer, tribu de Grande Kabylie, il se présenta un jour<br />

en grande pompe sur leur marché, et prononça un discours. Alors se<br />

produisit une scène extraordinaire : un nègre aux traits hideux se<br />

précipite sur le chérif en niant qu'il soit l'envoyé de Dieu et décharge<br />

son énorme tromblon sur la poitrine de Bou Baghla qui, impassible<br />

ne bouge pas. Ce prétendu miracle n'était, en fait,<br />

qu'une vulgaire<br />

supercherie concertée par avance entre le nègre et lui. « C'est le vrai<br />

chérif o, criait-on de tous côtés. « Séance tenante ori fait la prière, la<br />

prise d'armes est ordonnée et la guerre contre les chrétiens décidée et<br />

combinée » (1).<br />

Un autre procédé souvent employé était celui des songes dans les<br />

quels l'Ange Gabriel, ou le Prophète, ou même un Saint,<br />

révélaient à<br />

l'intéressé sa mission providentielle. El-Hadj-Hadjoudj, le vieillard de<br />

Mila, agit de la sorte en 1864 pour soulever les habitants du Zouagha.<br />

Cette mission providentielle avait toujours, officiellement,<br />

un but<br />

religieux : il fallait défendre la religion de l'Islam contre les périls qui<br />

la menaçaient. Mais la Guerre Sainte n'était, en réalité, qu'un prétexte<br />

pour abriter les intentions politiques de leurs menées. Et pour entraî<br />

ner les populations, ils s'adressaient moins à leur foi religieuse qu'à leur<br />

sentiment d'indépendance, en leur montrant le danger de la proximité<br />

des Français qui s'apprêtaient à gravir leurs montagnes. Pour exciter<br />

l'ardeur guerrière des montagnards,<br />

ces faux-chérifs n'hésitaient pas<br />

à propager les nouvelles les plus fausses et les plus invraisemblables<br />

sur notre compte ; le moment était venu disaient-ils, de rejeter les<br />

Français à la mer, le pays était dégarni de troupes, et nous avions subi<br />

plusieurs défaites sur nos théâtres de guerre européens ; le sultan allait<br />

bientôt venir à leur aide, etc..<br />

Ces moyens, très grossiers,<br />

combat ces montagnards crédules,<br />

chefs de guerre.<br />

suffisaient pourtant à entraîner au<br />

qui faisaient de ces chérifs leurs<br />

Au cours de la conquête cependant, les Kabyles se voyant vaincus,<br />

perdirent confiance en ces personnes qui les avaient si souvent bernés,<br />

et reportèrent tous leurs espoirs vers l'idéal que leur offraient les so<br />

ciétés secrètes ; elles héritèrent du rôle patriotique des chérifs qui dis<br />

parurent. Les Khouan en effet, n'avaient aucun intérêt à en susciter<br />

parmi leurs membres : ils avaient déjà un chef, le supéTreur de l'ordre,<br />

(1) Féraud : Histoire de Bougie, Recueil des Notices et Mémoires de la<br />

Société Archéologique de Constantine, année 1869, p. 362.


- 96<br />

—<br />

dont la puissance sur les adeptes était considérable ;<br />

point n'était be<br />

soin d'un chérif dont les aventures n'auraient contribué qu'à porter un<br />

fâcheux préjudice à l'ordre tout entier. Dans tous les cas, chérifs puis<br />

khouan servirent considérablement la cause de l'indépendance kabyle,<br />

et furent pour nous une source d'ennuis, parfois même de dangers.<br />

Non seulement les Kabyles possédaient en eux-mêmes d'importants<br />

moyens de se défendre contre notre envahissement, mais encore, pen<br />

dant les premières années de la conquête, ils purent largement profiter<br />

de certaines de nos infériorités, ou des erreurs commises par nos chefs.<br />

Jusqu'en 1850, nos effectifs, dans la province de Constantine, furent<br />

trop<br />

réduits pour envisager une expédition sérieuse dans les montagnes<br />

kabyles. En outre, une action continue dans notre politique était assez<br />

difficile,<br />

par suite des changements fréquents de nos chefs militaires<br />

dans cette province. De 1838 à 1844, cinq<br />

titulaires se succédèrent au<br />

poste de commandant supérieur de la division. Que pouvaient malgré<br />

tout leur bon vouloir et leurs capacités, des généraux comme Galbois,<br />

Négrier et Baraguey d'Hilliers, restés en fonction pendant si peu de<br />

temps ? Le duc d'Aumale, arrivé à Constantine en 1843, était décidé à<br />

agir fermement dans la province, mais il partit l'année suivante.<br />

A Djidjelli, la succession des commandants supérieurs fut encore<br />

plus rapide, au cours des premières années. Féraud donne leur liste<br />

complète (1) de 1839 à 1864, qui est intéressante à observer : de 1839<br />

à 1845, en six ans, on constate dix changements successifs, dont trois<br />

dans la même année 1841. De 1845 à 1848, chose très extraordinaire,<br />

le commandant supérieur reste à son poste trois ans de suite ; mais<br />

de nouveau cinq titulaires se succèdent entre 1848 et 1851. Il est facile<br />

d'envisager les conséquences pratiques de cet état de choses : le com<br />

mandant supérieur avait juste le temps de s'installer dans ses nou<br />

velles fonctions, et de se mettre au courant des affaires du cercle ;<br />

il était aussitôt remplacé, sans avoir le loisir de mettre à profit cette<br />

expérience, pour se lancer dans une politique hardie. Ses successeurs<br />

étaient soumis aux mêmes inconvénients, chacun quittait son poste<br />

en laissant, faute de temps, une situation semblable à celle qu'il avait<br />

trouvée. C'est en partie à cause de cette néfaste politique que Djidjelli<br />

resta bloqué pendant de si longues années.<br />

En France, le gouvernement soutenu par l'opinion publique, mit<br />

jusqu'en 1850, de sérieux obstacles à une conquête de la Kabylie. On<br />

était effrayé à l'idée d'aborder une région si difficile et l'on sait les<br />

efforts déployés par Bugeaud pour faire admettre son expédition sur<br />

Bougie en 1847. Avant de se mettre en campagne, il reçut une dépêche<br />

ministérielle qui, sans oser absolument interdire l'entrée en action des<br />

troupes, blâmait formellement l'entreprise. Le Maréchal répondit im<br />

médiatement : « Il est bien évident que je dois prendre sur moi toute<br />

la responsabilité de l'œuvre dans la chaîne du Djurdjura. Je la prends<br />

(1) Ferai» : Histoire de Djidjelli. Recueil des Notices et Mémoires de la<br />

Société Archéologique de Constantine, année 1870, p. 290, note A.


— — 97<br />

en entier ». Malgré son succès final, les reproches s'abattirent sur lui,<br />

et contribuèrent directement à sa démission.<br />

Enfin, au cours même des expéditions de Kabylie Orientale, les<br />

intrigues politiques jouèrent un grand rôle et contribuèrent parfois<br />

à écourter des opérations dont l'action prolongée aurait eu le plus sa<br />

lutaire effet, sur les populations indigènes. Certes, dans la décision des<br />

opérations, la Kabylie Orientale a été, au contraire, favorisée aux dé<br />

pens de celle du Djurdjura, en 1851, 1852 et 1853 ;<br />

cependant la cam<br />

pagne de 1851 a été écourtée pour des raisons purement politiques, qui<br />

ont nui à l'œuvre de Saint-Arnaud dans les montagnes kabyles.<br />

Malgré ces fautes de notre part, et les avantages qu'ils possédaient<br />

dans certains domaines, les Kabyles ne purent résister à notre domi<br />

nation parce que nous avions, sur eux, deux grandes supériorités :<br />

celle d'une force nationale sur l'anarchie, et celle de la science sur<br />

l'ignorance.<br />

Les Kabyles,. en effet, pendant toute la durée de la conquête, ne<br />

surent jamais s'unir véritablement dans un commun effort contre no<br />

tre envahissement. Certes,<br />

quand nos colonnes pénétraient sur le ter<br />

ritoire d'une tribu, elles avaient toujours à combattre des rassemble<br />

ments formés de tous les contingents des tribus voisines, venus prêter<br />

main forte à la plus menacée. Mais cette solidarité se manifestait dans<br />

un périmètre assez restreint et jamais les montagnards de Grande Ka<br />

bylie n'essayèrent de déborder les faibles garnisons placées en obser<br />

vation aux abords du Djurdjura pour venir, à l'Est de la Summam,<br />

menacés par nos armes. Les Kabyles n'ont<br />

au secours de leurs frères,<br />

jamais connu le véritable sentiment national ; ceux de Kabylie Orien<br />

tale moins que tous les autres, semble-t-il,<br />

car on ne trouve même pas<br />

chez eux les vastes confédérations du Djurdjura, expression d'une ten<br />

dance au groupement en unités plus vastes que la tribu. Cette absence<br />

d'unité politique fut une des causes profondes de leur défaite.<br />

Cette infériorité nationale des Kabyles se doublait d'une faiblesse<br />

militaire incontestable. Ils n'eurent jamais que la supériorité du nom<br />

bre, et seulement pendant les premières années de la conquête. On ne<br />

peut parler d'une véritable armée kabyle, car les guerriers réunis for<br />

maient plutôt des contingents hétérogènes et peu cohérents. Femmes et<br />

enfants accompagnaient souvent les hommes au combat pour les en<br />

courager par des cris et des chants, et leur présence sur les lieux de<br />

là guerre, était sans aucun doute, beaucoup plus gênante qu'efficace.<br />

Dans le combat, ils se servaient du fusil dont ils prenaient toujours<br />

grand soin, et parfois, renforçaient leur armement en se munissant<br />

d'un pistolet, ou d'un yatagan,<br />

sorte de sabre de maniement plus com<br />

mode dans les corps à corps. Mais, au total, la valeur de l'armement<br />

comme des guerriers eux-mêmes, laissait à désirer. Chez nous, au con<br />

traire, les progrès furent rapides dans ce domaine, à partir de 1850.<br />

Les différents gouverneurs généraux, d'accord avec, le ministère de la<br />

Guerre, firent de sérieux efforts pour augmenter la valeur et le nom<br />

bre des régiments algériens. Un des premiers soins de Randon à son


— — 98<br />

arrivée au Gouvernement Général, fut de donner à ce pays,<br />

une armée<br />

fortement constituée. Dès le 20 janvier 1852, il adressait à Saint- Arnaud,<br />

ministre de la Guerre, un projet d'organisation, qui soulignait la néces<br />

sité d'augmenter les corps spéciaux d'Afrique. Saint-Arnaud se laissa<br />

facilement convaincre et décida d'ajouter au seul régiment de zouaves<br />

existant jusqu'alors, deux nouvelles unités. Chacun des trois bataillons<br />

de l'ancien régiment servirait de noyau aux régiments nouveaux. Le<br />

<strong>2e</strong> Zouaves, nouvellement constitué put faire ses preuves dans la campa<br />

gne des Babors en 1853 (1). Randon obtint aussi quelque satisfaction<br />

pour les tirailleurs indigènes : dans les trois bataillons existants, le<br />

nombre des compagnies fut porté de six à huit. Bientôt cette mesure<br />

fut complétée par la création de trois régiments complets de tirailleurs<br />

algériens. Le nombre de cavaliers fut aussi augmenté, mais ils furent<br />

peu employés en Kabylie, où le relief montagneux les empêchait de se<br />

développer à l'aise.<br />

Grâce à cette organisation nouvelle, on put désormais entreprendre<br />

de grandes expéditions, et remédier au manque d'effectifs, qui avait<br />

paralysé notre action, au début de la conquête. En 1851, la colonne<br />

Saint-Arnaud réunissait le chiffre inconnu jusqu'alors de 8.000 hom<br />

mes. En 1853, l'effectif total de l'infanterie s'élevait à 10.000 hommes.<br />

En outre, notre armée bénéficia toujours d'une forte unité de comman<br />

dement, ce qui manquait chez les Kabyles dont l'esprit, trop démocra<br />

tique ne peut supporter de véritable chef. La direction de la guerre<br />

était généralement confiée, chez eux, à un comité de défense composé<br />

des chefs des partis politiques, ou des hommes réputés pour leur bra<br />

voure militaire. Parfois,<br />

un faux chérif s'intitulait chef de guerre et<br />

entraînait ses hommes au combat ; mais sa valeur était toujours loin<br />

d'atteindre celle de nos généraux d'Afrique. Point n'est besoin de pas<br />

ser en revue tous les généraux qui commandèrent les expéditions de<br />

Kabylie Orientale pour constater leur grande valeur militaire, s'asso-<br />

ciant souvent à de remarquables qualités d'organisateurs et de coloni<br />

sateurs. Tous,<br />

en arrivant au commandement de la province de Cons<br />

tantine ou des subdivisions qui en dépendaient, pouvaient déjà se glo<br />

rifier d'un long passé militaire ; presque tous avaient fait leur carrière<br />

en Afrique, et l'occasion s'était déjà présentée, pour eux, de combattre<br />

les Kabyles. Grâce à leml expérience, l'art de la guerre en Kabylie s'en<br />

richit peu à peu. Il avait fallu, en effet, s'adapter à la méthode de com<br />

bat des Kabyles,<br />

si différente de celle des Arabes. Au lieu de fuir à<br />

grande distance comme ces derniers, ils combattaient sur place, en se<br />

jetant généralement sur les côtés, pour attaquer les flancs et la queue<br />

de nos troupes. Surtout, ils se révélaient gênants au moment de la<br />

retraite ; ils savaient habilement nous poursuivre de rocher en rocher,<br />

en nous harcelant sans cesse. On sut bientôt remédier à ces inconvé<br />

nients en évitant d'emprunter, autant que possible, le passage des val<br />

lées sans être maître des, crêtes.voisines et, en cas de retraite, en effec-<br />

(1) Cf. E. Cler : Souvenirs d'un officier du 2"<br />

Zouaves.


— — 99<br />

tuant plusieurs retours offensifs et prolongés, destmeTa"cTïsperser com<br />

plètement les assaillants. Nos généraux comprirent vite que les guer<br />

riers kabyles étaient peut-être moins dangereux que les Arabes : dé<br />

pourvus de leur mobilité qui nous avait fait tant de mal pendant les<br />

premières années,<br />

ces montagnards sédentaires étaient plus facile<br />

ment saisissables. Très attachés à leurs biens matériels,<br />

un moyen très<br />

sûr pour obtenir leur soumission (tout au moins momentanée), était<br />

de raser leurs vergers, de brûler leurs maisons, et de leur imposer de<br />

fortes amendes de guerre.<br />

Ces mesures de violence furent complétées par d'autres, plus paci<br />

fiques et plus efficaces : la construction de routes stratégiques, et de<br />

maisons de commandement qui nous permirent d'exercer une surveil<br />

lance directe et constante sur les populations, et par là, nous assurè<br />

rent la pacification définitive de la région.<br />

En 1870, la Kabylie Orientale possédait encore peu de routes ; ce<br />

pendant, de bonnes routes muletières reliaient déjà entre elles les<br />

villes du littoral et de l'intérieur. C'est en 1850, que le colonel de Lour-<br />

mel inaugurait la première route en pays kabyle, en échelonnant plu<br />

sieurs chantiers de travaillj&urs entre Sétif et Bougie. Elle fut conti<br />

nuée au cours des années 1852 et 1853, sous la direction du Général<br />

Maissiat ; les troupes qui y travaillaient servaient en même temps de<br />

corps, d'observation destiné à surveiller les populations de la région,<br />

tandis que Mac-Mahon opéraitj dans la vallée de l'Oued el-Kébir et que<br />

Randon entreprenait, l'année suivante, sa grande expédition dans les<br />

Babors. Quatre caravansérails furent construits, de distance en dis<br />

tance pour servir de gîtes d'étape aux voyageurs. Ce premier tracé pas<br />

sait par Ain Rouia, Dra-el-Arba et les crêtes des Béni Guifsar, pour<br />

aboutir dans la vallée de la Summam jusqu'à Bougie. Les travaux,<br />

suspendus pendant la guerre d'Orient, furent repris en 1856 et conti<br />

nués pendant trois ans consécutifs. Le passage par la tribu des Béni<br />

Guifser, s'étant révélé très difficile, avait été abandonné pour un autre<br />

tracé passant par les Béni Sliman, Barbacha et Béni Mimoun. Mais cette<br />

dernière route elle-même présentait de grands inconvénients : soumise<br />

aux intempéries d'un climat montagnard,<br />

elle était facilement dété<br />

riorée ; d'ailleurs elle manquait absolument de travaux d'art et de<br />

soins permanents. Aussi, dès 1861, l'autorité envisagea-t-elle la possi<br />

bilité de réunir Bougie à Sétif par une autre route empruntant des ré<br />

gions où la neige restait moins longtemps sur le sol. Le capitaine Cap-<br />

depont,<br />

chef de l'annexe de Takitount alla reconnaître les gorges de<br />

Chabet-el-Akhra, et y vit la possibilité d'établir une route aboutissant<br />

directement au littoral du golfe de Bougie pour longer ensuite cette<br />

Ville. Le gouvernement donna suite à ce projet et, le 17 décembre 1861,<br />

le Général Desvaux écrivait : « deux routes importantes ont été mises<br />

a l'étude : ce sont celles de Sétif à Bougie et de Sétif à Alger. Pour la<br />

première de ces routes, les travaux sont commencés. L'ensemble de la<br />

dépense est évalué à 3.800.000 francs. Avec les seules ressources du<br />

budget provincial, il faudra près de dix ans pour achever cette route


— 100 —<br />

de Sétif à Bougie. En raison de son importance politique et stratégique,<br />

il serait important que l'Etat accordât une subvention. Une proposition<br />

a été faite dans ce sens pour que le chiffre de la subvention soit fixé<br />

à la moitié de la dépense » (1).<br />

L'année suivante, il écrit au Gouverneur Général : « Cette route<br />

sera certainement un des travaux les plus considérables ordonnés par<br />

Votre Excellence en raison des obstacles à vaincre et des résultats à<br />

en attendre. Déjà l'attitude des Kabyles traversés par cette route s'est<br />

sensiblement améliorée. Bientôt le sentier muletier, taillé dans le roc<br />

franchira les huit kilomètres de la gorge sauvage du Chabet-el-Akhra,<br />

mettra en communication facile les versants Nord et Sud de la chaîne<br />

de montagne presque infranchissable en cet endroit... (2). Les travaux<br />

furent continués les années suivantes et, en 1865, les ouvriers du Cap<br />

Aokas y<br />

travaillaient lorsqu'ils furent attaqués par les Kabyles révol<br />

tés. En 1869, tout n'était pas encore complètement terminé car Féraud,<br />

dans son histoire de Bougie parle encore au futur des; avantages qu'elle<br />

apportera : « cette voie de communication rendra son importance au<br />

port de Bougie, servira de débouché à toutes les denrées des plaines fer<br />

tiles de Sétif, et on pourra ainsi voir renaître l'activité de Bougie » (3).<br />

La communication la plus urgente à établir après celle-ci était<br />

celle de Djidjelli à Constantine. Dès 1853, le Général Randon, à la fin<br />

de son expédition, employa ses troupes à ouvrir une partie de la route.<br />

En peu de temps, une section de Djidjelli à Fedj-el-Arba par Chahena,<br />

était réalisée. Au cours des années suivantes, le reste du tracé, par<br />

Fedj Baïnem et Mila était établi et jalonné de caravansérails.<br />

La route de Sétif à Djidjelli, troisième artère vitale du pays fut<br />

commencée en 1856 par le Général Maissiat et menée à bonne fin quel<br />

que temps plus tard.<br />

D'autres routes, d'intérêt plus secondaire furent établies au cours<br />

de la conquête : dès 1851, le commandant supérieur de Philippeville<br />

étudiait sérieusement le projet de relier Philippeville à Collo, par une<br />

voie de communication ; projet bien téméraire pour l'époque puisque<br />

collo n'était pas encore en notre possession (1), mais qui fut réalisé<br />

cependant avant 1870, grâce à l'emploi de la main-d'œuvre indigène,<br />

par le moyen de corvées. Il en fut de même pour la route tracée entre<br />

Collo et El-Milia qui escaladait le sommet de Goufi, puis longeait les<br />

crêtes des Béni Toufout. Le poste d'El-Milia fut aussi relié à Constan<br />

tine, par une route commencée dès la fin de 1858, par ordre du Général<br />

Gastu.<br />

En 1870, le nombre des routes, en Kabylie Orientale était encore<br />

faible ; malgré leur insuffisance, elles contribuèrent grandement à la<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 11H22 (Situation politique)<br />

(2) idem.<br />

(3) Féraud : Histoire de Bougie. Recueil des Notices et Mémoires de la Société<br />

Archéologique de Constantine, année 1878.<br />

(4) On se rappelle que le commandant supérieur fut al'taqué par des Kabyles<br />

en voulant aller jusqu'à Collo.


— — 101<br />

pacification du pays, et furent complétées,<br />

dans ce rôle, par la cons<br />

truction de plusieurs postes militaires ou maisons de commandement.<br />

Ces constructions, bâties presque toutes sur le même modèle,<br />

ne va<br />

riaient guère que par leurs plus ou moins grandes dimensions. Géné<br />

ralement placé au sommet d'une colline, le bordj<br />

deste maison au milieu d'une cour,<br />

comprenait une mo<br />

entourée d'un mur crénelé et flan<br />

qué d'un bastion armé d'un obusier. En dehors de l'enceinte se trou<br />

vaient toujours quelques maisonnettes servant de logement aux fa<br />

milles de cavaliers employés auprès de l'officier commandant le bordj.<br />

Un emplacement en dehors du mur était aussi réservé pour le camp<br />

des détachements de troupes envoyés du bordj lorsque le besoin s'en<br />

faisait sentir. Ainsi furent construites le maisons de commandement de<br />

Takitount de 1856 à 1858, d'El Milia en 1858, de Zeraïa en 1861. Ces<br />

créations furent peu à peu complétées par d'autres de moindre impor<br />

tance : Chahena et Fedj-el-Arba sur la route de Constantine à<br />

Djidjelli et Texenna, sur celle de Djidjelli à Sétif,<br />

servaient à la<br />

surveillance du pays en même temps que de gîtes d'étape aux<br />

voyageurs. El-Aroussa, en 1865, compléta l'action du bordj d'El-Milia.<br />

Bientôt même, chaque caïd, agent du gouvernement français eut, com<br />

me résidence, un bordj, position fortifiée, destinée à faire respecter son<br />

autorité, dans le caïdat. En 1864 et 1865, le premier souci des révoltés<br />

de l'annexe de Takitount fut d'attaquer et de brûler ces symboles de<br />

l'autorité française dans leur pays.<br />

Ainsi,<br />

routes et postes fortifiés, nous aidèrent puissamment dans<br />

notre œuvre de pacification. Une sage administration adaptée aux cou<br />

tumes indigènes et aux besoins du pays, fut le complément nécessaire<br />

de ces mesures.


CHAPITBE II<br />

NOTRE ŒUVRE ADMINISTRATIVE JUSQU'EN 1870<br />

Pour avoir une idée exacte de ce que fut notre œuvre en Kabylie,<br />

jusqu'en 1870, il faut envisager, à côté des événements purement mili<br />

taires, l'œuvre administrative réalisée par nos généraux,<br />

car l'organi<br />

sation du pays est intimement liée aux faits militaires. En effet, chaque<br />

expédition en Kabylie Orientale eut, comme complément nécessaire,<br />

un essai d'organisation du pays momentanément soumis. Même dans<br />

les toutes premières années de la conquête, on essayait d'intervenir<br />

dans les affaires du pays, et de nommer cheikhs et caïds chargés, d'exé<br />

cuter nos ordres. Il est certain qu'au début, cette organisation fut toute<br />

nominale. Nous ne pouvions donner d'appui à nos agents qui, livrés<br />

à eux-mêmes n'exerçaient aucune influence sur les populations dont<br />

on leur avait confié le commandement. Cependant,<br />

nouvelle, en renforçant notre autorité sur les tribus,<br />

chaque campagne<br />

permettait de<br />

préciser notre organisation, et de l'adapter davantage aux coutumes<br />

berbères pour la faire mieux fonctionner.<br />

L'organisation de la Kabylie Orientale fut donc, avant tout, une<br />

œuvre empirique, et contemporaine des faits militaires.<br />

Jusqu'en 1870 d'ailleurs, et même quelques années après, elle fut<br />

pour ainsi dire entièrement aux mains des militaires. Seule, la ville<br />

de Djidjelli et sa banlieue constituèrent une exception : en 1858 un<br />

décret éleva ce territoire en commissariat civil et investit le commandant<br />

de la place des fonctions de commissaire civil. C'était imiter les mesu<br />

res prises pour toutes les villes de la province.<br />

Le commissariat de Djidjelli rattaché d'abord à l'arrondissement<br />

de Philippeville, puis à celui de Bougie, fut transformé, le 18 février<br />

1860, en commune de plein exercice : le commissaire civil faisait fonc<br />

tion de maire, et il était nommé par l'administration.<br />

Tout le reste de la Kabylie Orientale resta aux mains des militai<br />

res. A la périphérie des montagnes, il y eu pourtant, avant 1870, pro<br />

gression très nette du territoire civil sur le territoire militaire : le 29<br />

février 1860, la vallée du Safsaf, territoire militaire dans tout son cours<br />

supérieur au Sud de Saint-Antoine, et la région du Nord de Constantine,<br />

jusqu'au Sud de Mila, furent transformés en territoire civil, qui s'éten<br />

dit désormais jusqu'à la limite des montagnes kabyles. Autour de Sétif<br />

aussi se produisit une extension certaine du territoire civil. Mais nulle


— — 103<br />

part la limite des arrondissements n'empiéta sur la Kabylie Orien<br />

tale (1). A partir de 1865 d'ailleurs la politique nouvelle de l'Empereur,<br />

qui chercha à restreindre l'étendue de la zonQxivile au profit des mili<br />

taires, arrêta pour un temps l'évolution commencée. Il faudra atten<br />

dre jusqu'en 1875 pour constater l'extension du territoire civil en<br />

Kabylie Orientale.<br />

Jusqu'à cette date, la Kabylie Orientale dut divisée en cinq cercles<br />

militaires de grande étendue. Sauf celui de Djidjelli compris entière<br />

ment en territoire kabyle, tous les autres débordaient largement sur<br />

les plaines environnantes et possédaient leurs chefs-lieux de Bougie,<br />

Sètif, Constantine et Philippeville hors de la Kabylie Orientale. Chaque<br />

cercle était administré par un officier supérieur aidé à partir de 1844<br />

par un bureau arabe. Les limites des différents cercles, au début très<br />

vagues se précisèrent peu à peu, à mesure que la soumission du pays<br />

devenait plus effective. Les grands commandements des Ben Azzedin<br />

et de Bou Akkas furent pratiquement en dehors du territoire des cer<br />

cles car ils avaient une administration particulière, et ils échappaient<br />

à tout contrôle de notre part. En 1864 seulement, après la destruction<br />

définitive de ces fiefs héréditaires, l'administration militaire eut entiè<br />

rement dans sa main, le territoire de Kabylie Orientale et put alors lui<br />

donner une certaine unité administrative.<br />

Mais les cercles de Sétif, Constantine et Philippeville s'étaient ré<br />

vélés trop<br />

d'une façon satisfaisante ces régions montagneuses qui nécessitaient<br />

vastes en étendue pour avoir la possibilité d'administrer<br />

une surveillance constante. Pour soulager dans leur tâche les comman<br />

dants du cercle, on créa des annexes (2). C'est ainsi qu'en 1856, pour<br />

maîtriser complètement les tribus difficiles des deux rives de l'Oued-<br />

Agrioun, on créa l'annexe de Takitount, dépendant du cercle de Sétif.<br />

D'étendue assez restreinte au début, elle s'agrandit considérablement<br />

en 1864, de toute la partie occidentale du commandement du Ferd<br />

jioua détruit.<br />

En 1858 fut créée l'annexe d'El-Milia, destinée d'abord à doubler<br />

le commandement de Bou Benan dans la vallée de l'Oued-el-Kébir,<br />

puis à le remplacer définitivement aprèsi la destitution de ce chef ; elle<br />

fut alors restreinte dans ses limites (3) pour être à même d'exercer un<br />

contrôle plus rigoureux sur les populations belliqueuses de l'Oued-el-<br />

Kébir.<br />

En 1859 fut créée une troisième annexe à Collo (4), érigée l'année<br />

suivante en cercle, par le Général Desvaux, après la transformation<br />

de la vallée du Safsaf en territoire civil qui faisait disparaître le cer<br />

cle de Philippeville, et l'occupation de Collo par nos troupes.<br />

pes.<br />

(1) Voir cartes V et VI (limite des territoires civil et militaire).<br />

(2) Pour toutes les questions administratives voir cartes V et VI.<br />

(3) Voir 2« partie, ch. IV.<br />

(4) L'annexe a donc été créée avant même l'occupation de Collo par nos trou


— — 104<br />

A la tête de chacune de ces divisions administratives,<br />

se trouvait<br />

un officier supérieur commandant le cercle, un capitaine ou un lieute<br />

nant dans l'annexe. Ils administraient avec l'aide d'un bureau arabe,<br />

comprenant des officiers « stagiaires », des interprètes militaires, des<br />

archivistes, tout un personnel d'exécution (khodjas, secrétaires, cha-<br />

ouchs, askers)<br />

un détachement de spahis et un médecin.<br />

Le Bureau arabe avait pour tâche principale de s'occuper des<br />

affaires indigènes, et de régler les rapports de l'autorité française avec<br />

la population kabyle. Il adopta toujours une méthode de gouvernement<br />

indirect, cherchant, pour économiser le personnel des fonctionnaires<br />

européens, à faire administrer les indigènes par eux-mêmes, restrei<br />

gnant le rôle de l'autorité française à une action de contrôle et de sur<br />

veillance. Malgré sa volonté de respecter le plus possible l'état des<br />

coutumes existantes, il est certain que l'entrée en fonction du Bureau<br />

arabe engendra de sensibles modifications dans des institutions politi<br />

ques de la Kabylie Orientale. Comme le font très bien remarquer Ha-<br />

noteau et Letourneux, les modifications étaient inévitables. .<br />

«<br />

Quelle<br />

que soit la modération du vainqueur, lorsque deux peuples aussi diffé<br />

rents viennent à être mis brusquement en contact, dans de semblables<br />

conditions, le plus fort,<br />

rieure, doit forcément réagir sur l'autre » (1).<br />

surtout s'il appartient à une civilisation supé<br />

Les pouvoirs, réunis entièrement jusqu'alors, dans les mains des<br />

djemaâ, les cheikhs et caïds, le Bureau arabe du cercle ou de l'annexe.<br />

« L'autonomie du village comme corps politique n'existant plus, les<br />

pouvoirs politiques de la djemaâ n'avaient plus de raison d'être, et ont<br />

disparu sans qu'il ait été nécessaire d'en faire l'objet d'une stipulation<br />

particulière a (2). On lui donna seulement le droit d'élire son cheikh,<br />

mais ce choix devait être ratifié par l'autorité française. Désormais<br />

toutes les initiatives politiques appartiennent aux officiers français<br />

commandant la division, la subdvision, le cercle ou l'annexe. Dana cha<br />

que cercle, le chef du Bureau arabe joue un rôle politique important.<br />

C'est lui qui propose au commandant de la division les indigènes capa<br />

bles de diriger une ou plusieurs tribus ; il surveille leur conduite, de<br />

mande leur destitution s'ils se révèlent incapables ou peu obéissants.<br />

A ce sujet, une circulaire très importante du Maréchal de Mac-Mahon<br />

alors Gouverneur Général, datée du 21 mars 1867,. précisa le rôle du<br />

chef de Bureau arabe à l'égard du personnel indigène : « Les officiers<br />

des Bureaux arabes s'attacheront à connaître parfaitement le person<br />

nel des chefs indigènes. Ils doivent être à même de renseigner le com<br />

mandant supérieur sur la valeur, les qualités, les défauts de chacun<br />

de ces agents. Il est nécessaire qu'ils se mettent à l'avance en mesure<br />

de lui adresser, sans retard, s'il en était beoin, des propositions pour<br />

pourvoir aux remplacements. Ils rechercheront, dans ce but, quels sont<br />

(1) Hanoteau et Letourneux : La Kabylie et les coutumes kabyles, Paris<br />

1893, 2'<br />

édit., tome II, p. 132.<br />

(2) Idem.


— — 105<br />

les hommes remplissant les conditions voulues pour chaque comman<br />

dement et quels services on peut attendre d'eux ».<br />

Le chef du Bureau arabe possède aussi des pouvoirs militaires<br />

dans le territoire qu'il gouverne, s'occupe de recruter et d'organiser<br />

les contingents indigènes. On a vu le rôle de ces troupes pendant l'in<br />

surrection de 1864-65 et l'aide précieuse qu'ils nous ont apportée, en<br />

freinant les progrès de l'agitation jusqu'à ce que nous ayons les moyens<br />

d'intervenir efficacement. Dans le domaine politique, cheikhs et caïds<br />

n'ont aucune initiative ; ils ne sont que les agents d'exécution de l'offi<br />

cier français ; sous l'autorité de ce dernier, ils ont le droit de mener<br />

au combat leurs contingents.<br />

Ainsi, avec la conquête française, la plénitude des pouvoirs poli<br />

tiques passa, des mains de la djemaâ dans celles des officiers français.<br />

Les pouvoirs administratifs que la djemaâ possédait autrefois en<br />

toute souveraineté, passèrent entre les mains du Bureau arabe qui<br />

prenait les décisions, et des cheikhs et caïds qui les appliquaient. Le<br />

Bureau fixait les redevances de chaque tribu : la lezma, simple contri<br />

bution de guerre exigée au début de la conquête, et maintenue pen<br />

dant longtemps dans les fiefs héréditaires du Zouagha et du Ferd<br />

jioua, fut remplacée, quand notre administration se régularisa, par<br />

des impôts établis sur des bases fixes. On distinguait trois sortes d'im<br />

pôts : l'achour, ou dîme de récoltes, Yhokkor, distinct de la dîme re<br />

présentant le loyer du sol, et le zekkat, dîme du bétail. Il est certain<br />

qu'en Kabylie Orientale, ces trois sortes d'impôts furent perçus en<br />

même temps. Dans un rapport du 7 janvier 1861, le Général Desvaux,<br />

chargé, après la destruction de la puissance de Bou Renan, de rempla<br />

cer l'ancienne lezma par le nouveau mode d'impôts précise : « L'an<br />

cien mode d'impôt, qui avait ses inconvénients, a été remplacé par le<br />

zekkat, l'hokkor et l'achour. Toutefois, ces impôts sont peut-être un<br />

peu lourds pour les Kabyles,<br />

et ne sont point parfaitement appropriés<br />

à un pays dont la richesse principale consiste en vergers et oliviers.<br />

Ils n'en sont pas moins rentrés facilement » (1).<br />

De même, après la réforme du 3 novembre 1861 qui consacrait<br />

l'abdication de la souveraineté de Bou Akkas sur son commandement,<br />

le capitaine Lucas, chef du Bureau arabe de Constantine, fut envoyé<br />

en mission dans le Ferdjioua pour y établir la nouvelle organisation.<br />

Dans le rapport du 23 novembre, établi au retour de cette mission, il<br />

écrit : « l'impôt pourrait, à mon avis, être établi sur les bases suivantes :<br />

1° le zekkat, établi à tout le commandement du Ferdjioua et du Babor.<br />

Ces populations ont de nombreux troupeaux et pâturages ; on peut<br />

donc les imposer sur une des sources de leur richesse. 2° l'hokkor et<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 11H23. Dossier intitulé « Situa<br />

tions politiques ,., année 1861. Rapport du 7 janvier 1861.


— — 106<br />

l'achour sur toutes les tribus en variant le tarif selon les régions (sui<br />

vant la valeur des terres)<br />

» (1).<br />

La base d'après laquelle étaient établis l'hokkor et l'achour était<br />

la mesure agraire appelée zouïdja ou djebda,<br />

c'est-à-dire l'étendue du<br />

terrain qu'une paire de bœufs peut labourer dans une saispn, 7 à 10<br />

hectares. Pour chaque zouïdja il fallait payer à l'Etat une mesure de<br />

blé et une mesure d'orge,<br />

payée généralement en numéraire. Pour<br />

payer le zekkat, il fallait donner un mouton sur 100, un bœuf sur 30<br />

ou une contribution, égale en numéraire (2) .<br />

Le mécanisme de perception de ces impôts était assez simple. Cha<br />

que année, au début du printemps, les chefs indigènes fournissaient<br />

des listes constatant, par tribu, l'étendue des terres cultivées et le dé<br />

nombrement des bestiaux. D'après ces listes, le bureau arabe fixait<br />

le chiffre d'impôts de chaque tribu et transmettait aux caïds ou cheikhs<br />

les ordres de perception. La contribution, une fois rentrée, le Bureau<br />

arabe l'expédiait aux fonctionnaires français des Finances. Ainsi la<br />

djemaâ n'avait aucun pouvoir en matière financière. Les impôts rele<br />

vaient du Bureau arabe,<br />

tition et leur perception.<br />

aidé par les cheikhs et caïds pour leur répar<br />

Les attributions judiciaires de la djemaâ furent profondément mo<br />

difiées. Hanoteau et Letourneux signalent : « la connaissance des cri<br />

mes et délits graves contre la chose publique et contre les particuliers<br />

lui a été retirée pour être confiée à nos tribunaux... Les affaires civiles<br />

sont restées soumises à sa juridiction, et elle peut déléguer son auto<br />

rité à des juges arbitres lorsqu'elle le trouve convenable... » (3). Il faut<br />

préciser cependant que toutes les affaires civiles n'étaient pas restées<br />

soumises à sa juridiction, mais seulement celles de peu d'importance,<br />

ne nécessitant comme moyen de répression que l'amende qui était pro<br />

noncée d'après les kanouns de la tribu (4). Ces amendes étaient versées<br />

aux fonds communaux que la djemaâ employait pour les besoins de<br />

l'administration du village et des travaux d'utilité publique, tels que<br />

l'aménagement des sources, l'entretien des fontaines et mosquées (5).<br />

Les affaires civiles dont la peine dépassait l'amende,<br />

relevaient de<br />

l'officier du Bureau arabe. « Le cadi* placé auprès du Bureau, exerçait<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 8H21 (Organisation, délimita<br />

tion, historique des tribus dans la province de Constantine). Car'on 17, dossier<br />

1, intitulé « Envoi d'un rapport sur la nouvelle organisation du Ferdjioua », 23<br />

novembre 1861.<br />

(2) Ces chiffres sont valables, dans la province de Constantine, pour l'année<br />

1849. Cf. Tableau de la Situation des Etablissements français dans l'Algérie,<br />

années 1848-1849, p. 716 à 719, article intitulé « Organisation' du gouvernement et<br />

de l'administration des tribus ».<br />

(3) Hanoteau et Letourneux : op. cit., t. II, p. 133.<br />

(4) Cf. Tableau de la situation des Etablissements français dans l'Algérie,<br />

année 1864, p. 235 et 236.<br />

(5) Cet emploi des amendes était déjà en vigueur avant la conquête.


— — 107<br />

ses fonctions sous sa surveillance et se bornait souvent à conseiller, en<br />

qualité d'expert en matière de droit coranique, le chef de Bureau ju<br />

geant suivant nos habitudes d'équité. Les questions criminelles étaient<br />

du ressort des tribunaux militaires, mais l'officier du Bureau arabe<br />

prenait les renseignements et réunissait le dossier de chaque affai<br />

re » (ï).<br />

Ainsi, dans l'administration des indigènes, le plus grand rôle était<br />

dévolu aux chefs des Bureaux arabes. Leur puissance était si grande<br />

qu'on les a souvent accusés d'en abuser. « Les Bureaux arabes, ayant<br />

la compétence et l'expérience,<br />

et ce pouvoir était sans contrepoids » (2).<br />

attiraient à.eux la réalité du pouvoir<br />

Quoiqu'il en soit de ces remarques générales, les chefs des Bureaux<br />

arabes de Kabylie Orientale semblent, pour la plupart, avoir usé de<br />

leur pouvoir avec modération. Et certains se sont signalés par leur<br />

haute capacité. Le capitaine Poillou de Saint-Mars, chef de l'annexe<br />

d'El-Milia du 24 mars 1859 au 25 octobre 1862, se signala dans le com<br />

mandement par sa justice, sa bonté, son expérience des affaires indi<br />

gènes, car il appartenait aux Services des Bureaux arabes depuis 1853.<br />

Il mérita en 1861, les éloges du Général DesvaUx,<br />

qui le notait ainsi :<br />

« Officier distingué par l'éducation, les sentiments, l'intelligence et<br />

l'instruction. Aété. fort utile dans l'expédition de Kabylie Orientale » (3).<br />

De même le capitaine Capdepont, chef de l'annexe de Takitount<br />

de 1858 à 1863 (4) mérita les éloges suivants du Général Desvaux : « La<br />

position exceptionnelle occupée par le Capitaine Capdepont, comme<br />

chef de l'annexe de Takitount, lui a permis de mettre en évidence les<br />

qualités remarquables qui le distinguent : intelligence, énergie, pru<br />

dence, bienveillance, activité, lui sont naturelles. Il rend de grands ser<br />

vices dans ce poste difficile. Officier de beaucoup d'avenir » (5).<br />

A côté de l'action prépondérante de nos chefs de Bureaux arabes,<br />

nous remarquons le rôle nouveau conféré par notre administration,<br />

aux cheikhs et caïds. Nous atteignons-là,<br />

un des faits les plus impor<br />

tants dans l'évolution des coutumes kabyles au contact de la domina<br />

tion française. Dès le début de la conquête, nous avons éprouvé le be<br />

soin, pour faire respecter notre autorité en Kabylie Orientale, de nous<br />

adresser en particulier, à des individus et non à des groupements tels<br />

que la djemaâ. Il était plus commode, en effet, de reporter sur des par<br />

ticuliers la responsabilité du commandement d'un certain nombre de<br />

(1) M. Emerit : Les Bureaux Arabes. Documents algériens. <strong>Série</strong> Politique,<br />

10, 10 novembre 1947.<br />

*<br />

(2) A. Girault : Principes de Colonisation et de Législation coloniale. L'Algérie<br />

(3) Cf. Peyronnet : Livre d'Or des Officiers des Affaires indigènes, tome II,<br />

(4) C'est lui qui s'occupa, nous l'avons vu, des premiers travaux de la route<br />

du Chabet-el-Akhra. Il fut nommé en 1864, commandant supérieur de Djidjelli<br />

et garda ce poste jusqu'en 1870.<br />

(5) Cf. Peyronnet : op. cit., t. II, p. 333.<br />


— — 108<br />

fractions ou de tribus. Tout naturellement, on s'adressa dans chaque<br />

tribu, ou fraction, à l'homme le plus en vue,<br />

c'est-à-dire au cheikh du<br />

village le plus important. On l'investit du burnous rouge ; moyennant<br />

quoi, il devait nous servir fidèlement, en exécutant nos ordres dans la<br />

tribu qu'on lui avait confiée. Mais. ce rôle était tout nouveau pour le<br />

cheikh (1) habitué jusqu'alors à n'être qu'un primus inter pares parmi<br />

les autres membres de la djemaâ. Ainsi, inconsciemment peut-être, sû<br />

rement par commodité, nous avons eu tendance à donner, au cheikh<br />

kabyle les pouvoirs importants qui l'assimilaient aux cheikhs des tribus<br />

arabes.<br />

Dans le même ordre d'jdée et pour les mêmes raisons nous avons<br />

cherché à donner à ces cheikhs, dont l'autorité était assez limitée, des<br />

supérieurs qui prirent le nom de caïds. Chaque caïd reçut le com<br />

mandement d'une ou plusieurs tribus. Or, la plupart d'entre elles (2)<br />

n'avaient jamais eu de caïd avant notre arrivée. Cette mesure était<br />

donc une véritable création,<br />

tumes berbères (3).<br />

qui modifia sensiblement l'état des cou<br />

Cette nouvelle hiérarchie de cheikhs et caïds,<br />

solidement Consti<br />

tuée révélait une tendance continue de notre part, à l'arabisation ces<br />

coutumes berbères, tendance qui fut généralisée dans toute la Kaby<br />

lie Orientale. L'étude historique détaillée de l'organisation du cercle<br />

de Djidjelli, démontre amplement nos efforts continuels pour grouper<br />

toutes les tribus du cercle en un certain nombre de caïdats, et réaliser<br />

ainsi(<br />

qu'alors.<br />

une certaine uniformité politique (intérieure inexistante 'jus<br />

A l'Ouest du cercle, il existait, à la fin de 1851, une multitude de<br />

petits cheikhats indépendants dont les chefs venaient d'être investis<br />

par le Général de Saint- Arnaud (4), et seulement deux caïdats peu im<br />

portants, des Béni Kaïd et Béni Ahmed. Deux ans, après le Gouverneur<br />

Général Randon organisa les trois caïdats de Dar-el-Batah, Ziama et<br />

Tababor (5), laissant subsister à côté, cependant, onze cheikhats. En<br />

décembre 1860, le Général Desvaux accentue la concentration en sup<br />

primant les cheikhats pour grouper toutes les tribus de l'Ouest en<br />

quatre grands caïdats, de Dar-el-Batah, Ziama, Tababor et El-Aouana.<br />

Celui-ci réunissait dix des cheikhats jusqu'alors indépendants. La ré<br />

forme s'achève en 1864, par la fusion des caïdats ; trois caïds seule<br />

ment se partagèrent le commandement des tribus de l'Ouest du cercle.<br />

A l'Est de Djidjelli, une évolution analogue se produisit (6). En<br />

1853, après les tentatives malheureuses de Saint-Arnaud pour donner<br />

(1) Voir 1"<br />

partie, ch. I.<br />

(2) Celles qui ne faisaient pas partie des commandements indigènes.<br />

l'autorité française créa dans chaque tribu un emploi d'Amin-el-Oumena, l'équi<br />

té) Hanoteau et Letourneux signalent un fait analogue en Grande Kabylie, où<br />

valent du caïd de Kabylie Orientale.<br />

(4) Voir 2' partie, ch. IL<br />

(5) Voir carte VIL<br />

(6) Cf. Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 10H10 (Subdivision de Cons<br />

tantine, Historique des tribus), dossier du cercle de Djidjelli.


— — 109<br />

un vaste commandement à Si Lahoussin Mouley Chekfa et les tâton<br />

nements de Randon dans le même domaine (1), on décida de<br />

créer deux caïdats principaux des Béni Ider et des Ledjenah. Les<br />

autres tribus furent confiées à des cheikhs. En 1860, on forme quatre<br />

caïdats : celui de l'Oued Djindjen groupa les Béni Hassein, Ouled Maïs,<br />

Ouled Belafou, et une fraction des Béni Amran (Seflia), administrés<br />

jusqu'alors séparément les uns des autres. Dans le caïdat de l'Oued<br />

Nil entrèrent les Béni Mameur, Béni Salah, Ledjenah et Béni Habibi.<br />

Les Béni Siar et Béni Ider formèrent chacun un caïdat. En 1865 enfin,<br />

ces quatre unités sont réduites au nombre de trois par la fusion de deux<br />

caïdats de l'Oued Djindjen et de l'Oued Nil dans celui de la Plaine.<br />

Au Sud du cercle, des remarques semblables s'imposent, dans l'évo<br />

lution de l'organisation des tribus. En 1851 chacune était administrée<br />

séparément. Deux ans après Randon créa le caïdat des Béni Khettab<br />

qui s'agrandit en 1860, d'une fraction des Béni Amran (Djebalah). En<br />

1862, Béni Foughal et Béni Ouarzeddin furent réunies en un seul<br />

caïdat, augmenté en 1864, lors de la destruction du commandement de<br />

Bou Akkas, des Béni Medjaled et Béni Adjiz. Dès 1860, d'autre part,<br />

les Ouled Askeur, soumis jusqu'alors à Bou Renan, étaient passés dans<br />

le cercle de Djidjelli, après la destitution de ce chef,<br />

pour former un<br />

caïdat avec les Béni Afeur. Seul ce groupement se révéla inopportun<br />

et en 1864 au moment où les Djimla de Bou Akkas furent compris dans<br />

le caïdat des Béni Afeur on détacha les Askeur pour les constituer en<br />

un caïdat indépendant. A partir de cette date, les cinq<br />

de Djidjelli ne subirent plus de modification.<br />

caïdats du Sud<br />

Ainsi, dès 1865, la concentration des divisions administratives du<br />

cercle, était achevée. Il ne comprenait plus un seul cheikhat indépen<br />

dant, mais dix caïdats, dont le nombre n'avait pas augmenté en 1864,<br />

malgré l'agrandissement du cercle par l'adjonction de trois tribus de<br />

Bou Akkas (2).<br />

Une réforme analogue fut réalisée dans l'annexe d'El-Milia (3).<br />

Dès 1860, après la destruction du commandement de Bou Benan, le<br />

Général Desvaux donna à cette annexe une organisation définitive<br />

en groupant les tribus en trois caïdats ; seule la tribu des Ouled Aïdoun<br />

ne reçut que des cheikhs, soumis à l'autorité directe du Bureau arabe<br />

d'El-Milia.<br />

Le cercle de Constantinecomprit de même cinq caïdats kabyles, et<br />

celui de Collo fut divisé en six unités.<br />

Dans la subdivision de Sétif, l'annexe de Takitount réunit six<br />

caïdats, et le cercle de Sétif en comprit neuf, situés dans les montagnes<br />

kabyles. Seul le cercle de Bougie garda ses cheikhats indépendants ; à<br />

l'Est de la Summam on ne comptait qu'un seul caïdat, celui des Ouled-<br />

abd-el-Djebbar.<br />

(1) Voir 2"<br />

(2) Voir la liste des caïdats de toute la Kabylie Orientale, à la fin du livre.<br />

(3) Pour les cercles de Sétif et de Constantine, seuls ont été comptés les caïdats<br />

partie, ch, III.<br />

de Kabylie à l'exclusion de ceux de la plaine.


— 110-<br />

Ces observations mettent en valeur l'importance des changements<br />

apportés par la France dans le mode de gouvernement des tribus kaby<br />

les. Pour parer au trop grand morcellement politique engendré par la<br />

présence d'innombrables djemaâ, pour arriver à une concentration<br />

de plus en plus grande des organes de gouvernement, la France a eu<br />

tendance d'une part à arabiser les coutumes berbères, en donnant plus<br />

d'importance aux cheikhs et caïds, d'autre part, à uniformiser, dans<br />

toute la Kabylie Orientale, le même système d'administration en divi<br />

sant tous les cercles en un certain nombre de caïdats, formés d'une ou<br />

plusieurs tribus.<br />

Cette organisation nouvelle se révéla profitable et fonctionna sans<br />

heurt jusqu'en 1870. Il faut rendre hommage à nos généraux du Second<br />

Empire d'avoir su adapter au vieil édifice kabyle, les rouages nouveaux<br />

de l'administration française, et distinguer tout particulièrement<br />

dans ce domaine le rôle considérable du Général Desvaux, auteur de<br />

la plus grande partie des réformes administratives,<br />

tale.<br />

en Kabylie Orien<br />

Après 1870, le gouvernement de la Troisième République ne se mon<br />

tra certes pas aussi habile. Poussant à l'extrême les principes démocra<br />

tiques, il voulut assimiler les institutions kabyles à celles de la Répu<br />

blique Française. Distinguant mal que la cellule primitive, dans la<br />

société berbère, est la famille, et non l'individu, il a voulu introduire le<br />

suffrage individuel dans l'élection annuelle des membres de la djemaâ.<br />

Il en résulta de gros inconvénients dans le fonctionnement de l'admi<br />

nistration. Plus sages, les hommes du Second Empire n'avaient procédé<br />

qu'à des réformes de surface, évitant de porter atteinte aux principes<br />

mêmes de la société berbère.


CHAPITRE III<br />

NOTRE ŒUVRE COLONISATRICE JUSQU'EN 1870<br />

Si l'administration des populations indigènes préoccupa beaucoup<br />

nos chefs militaires, l'œuvre de colonisation, par contre, fut à peine<br />

ébauchée avant 1870.<br />

La Kabylie Orientale pourrait-on croire, n'offrait pas encore une<br />

sécurité suffisante. De|S établissements européens, fermes ou petits<br />

villages, créés à l'intérieur du massif kabyle, auraient été à "la merci<br />

des révoltes nombreuses que les montagnards ne cessèrent de fomenter<br />

jusqu'en 1865. Pourtant,<br />

diats de Djidjelli, connurent de bonne heure une sécurité définitive.<br />

Pourquoi n'a-t-on pas essayé d'y<br />

ne ?<br />

certaines régions comme les environs immé<br />

développer la colonisation européen<br />

La densité de la population ne fut pas non plus le véritable obsta<br />

cle à l'introduction de l'élément; européen, car le sol n'était pas partout<br />

occupé ni cultivé. La difficulté venait du petit nombre de terres ara<br />

bles dans ces montagnes. La Kabylie Orientale, à l'Est des Babors était<br />

plus pauvre, que la Kabylie du Djurdjura. Cette indigence se traduisait<br />

dans l'aspect plus misérable des villages. « On n'y rencontre pas, dit<br />

Féraud, comme chez ceux de la Confédération des Zouaoua, de l'Oued<br />

Sahel et de Bougie, du Bou Sellam ou du Babor, de ces grands et popu<br />

leux villages aux maisons solidement construites... Depuis le versant<br />

oriental du Babor jusqu'à l'Edough, ce ne sont généralement que de<br />

pauvres cahutes en clayonnage ou en torchis recouvertes en diss ou en<br />

liège dans lesquelles gens et animaux logent pêle-mêle » (1).<br />

Dans cet enchevêtrement de crêtes et de ravins,<br />

il était difficile de<br />

trouver des étendues assez vastes de terres labourables ; les sols eux-<br />

mêmes étaient peu fertiles,<br />

relles favorables à la culture.<br />

manquant de chaux et de propriétés natu<br />

Carette nous montre, par quelques chiffres, la pauvreté des tribus<br />

du cercle de Djidjelli, du Zouagha, du Ferdjioua et du Babor (2).<br />

Cercle de Djidjelli .<br />

Tribus du Zouagha .<br />

Tribus du Ferdjioua .<br />

.<br />

. .<br />

.<br />

Tribus du Sahel Babor.<br />

POPU<br />

LATIONS<br />

163.200<br />

25.000<br />

12.603<br />

6.550<br />

CHEPTEL<br />

(Nombre<br />

de têtes)<br />

84.000<br />

- 80.000<br />

23.000<br />

23.000<br />

TENTES GOURBIS<br />

4.000<br />

300<br />

24.000<br />

5.000<br />

2.480<br />

1.300<br />

SUPERFIC.<br />

INCULTES<br />

(en ha-)<br />

250.000<br />

20.000<br />

120.000<br />

12.000<br />

SUPERFIC.<br />

CULTIVÉES<br />

(en ha)<br />

10.000<br />

6.00<br />

3.000<br />

2.000<br />

(1) Ch. Féraud : Mœurs et Coutumes kabyles, Revue Africaine, année. 1862,<br />

p. 274.<br />

(2) Cf. Tableau de la situation des Etablissements français dans l'Algérie en<br />

1844, p. 470 à 474.


— — 112<br />

En consultant ce tableau, nous sommes frappés par l'étendue res<br />

treinte des terres cultivées à côté du grand nombre des superficies<br />

incultes. L'aspect de cette pauvreté ne devait guère tenter les colons<br />

qui préféraient risquer leurs chances dans des pays plus favorisés par<br />

la nature.<br />

Les rares petites plaines, cependant, comme celle 'des environs de<br />

Djidjelli, offraient des conditions beaucoup plus favorables à la colo<br />

nisation européenne ; mais une autre difficulté survint, de l'inexis<br />

tence, dans cette région, comme dans presque toute la Kabylie Orien<br />

tale, de terres azels, c'est-à-dire appartenant au gouvernement turc,<br />

et dont nous aurions pu nous emparer en toute légalité. Tout le sol<br />

appartenait aux Kabyles : les espaces non labourables, forêts, brous<br />

sailles, sommets, pentes et ravins abruptes étaient propriété collective<br />

de la tribu ou de la fraction ; les terres labourables jouissaient de sta<br />

tuts variés, souvent difficiles à préciser ; certaines étaient de vérita<br />

bles propriétés privées, mais parfois les Kabyles faisaient une distinc<br />

tion entre le sol lui-même et les cultures qu'il portait. Ainsi, la terre<br />

pouvait être collective, tandis que les oliviers avaient chacun leur pro<br />

priétaire particulier.<br />

C'est pourquoi notre arrivée à Djidjelli n'entraîna pas la constitu<br />

tion immédiate d'un domaine d'Etat. Dès 1854, pourtant, la sécurité<br />

était devenue suffisante pour envisager l'extension de la<br />

dans la banlieue immédiate. Le 10 novembre, au cours de la délibéra<br />

tion du Conseil du Gouvernement, un nommé M. de Dax exposa sa<br />

requête : « La tranquillité qui règne actuellement aux environs de Dji<br />

djelli permettant enfin de livrer à la colonisation européenne, une<br />

partie des terres qui environnent cette place, l'administration supérieure<br />

a fait étudier divers projets pour la création de centres de population.<br />

« L'un d'eux qui prendrait le nom d'Aïn Nouara serait établi à 2<br />

kms de Djidjelli, dans la plaine des Beni-Caïd dont le territoire serait<br />

annexé au centre projeté... » (1). Le village serait de 40 feux et le terri<br />

toire de 522 hectares.<br />

Au cours de la même séance, M. de'<br />

Dax proposa la création d'un<br />

deuxième village, à Aïn-el-Aïouf à 1 km. 500 environ au Sud-Est de la<br />

ville, chez les Béni Hassein, et qui prendrait le nom de Bokkara. Il<br />

devait comprendre 20 feux et se voir annexer un territoire de 260 hec<br />

tares.<br />

Le 5 avril 1855, le Gouverneur Général approuva ces deux créa<br />

tions, en transmit la demande au Ministre de la Guerre.<br />

Mais, dans les requêtes adressées, on n'avait pas précisé si l'auto<br />

rité française pouvait de plein droit s'emparer des terres nécessaires<br />

à ces créations. On s'était contenté, à ce sujet, de renseignements très<br />

vagues : « les terres destinées à former le territoire du village peuvent<br />

être considérées dès à présent comme domaniales, les indigènes ne pro-<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 1L19. Colonisation. Villes et vil<br />

lages Djidjelli. Rapport du 10 novembre 1854.


— — 113<br />

duisant pas de titres: de propriété et ne pouvant invoquer, au plus, qu'un<br />

droit de jouissance dont il sera facile à l'administration supérieure de<br />

donner l'équivalent s'ils sont jugés dignes de cette marque de bien<br />

veillance » (1);<br />

Aussi, dès le 24 avril, le ministre fit-il remarquer : « Le territoire<br />

affecté à ces créations paraissant occupé par des fractions de tribus,<br />

je ne puis donner suite aux propositions du Conseil de Gouvernement<br />

avant qu'un cantonnement ait été opéré conformément aux instruc<br />

tions ministérielles sur la matière, et qu'un certificat constatant la do-<br />

manialité et la disponibilité des terrains ait été joint au dossier » (2).<br />

Le cantonnement ne fut jamais réalisé. La question traîna jusqu'en<br />

1856. A ce moment le tremblement de terre qui détruisit Djidjelli, en<br />

traîna sa reconstruction, non plus sur la presqu'île,<br />

mais dans la petite<br />

plaine du Sud. On abandonna par suite la création d'Ain Nouara, et<br />

de Bokkara qui ne connurent jamais qu'une existence virtuelle.<br />

Mais le principal obstacle de l'introduction de l'élément européen<br />

en Kabylie Orientale fut la politique inaugurée par l'Empereur Napo<br />

léon III, après son premier voyage en Algérie,<br />

en 1860. Dès le 6 février<br />

1863, il fit connaître ses tendances arabophiles dans une lettre publique<br />

adressée au Maréchal Pélissier. « On ne peut admettre qu'il y<br />

ait uti<br />

lité à cantonner les indigènes, c'est-à-dire à prendre une certaine por<br />

tion de leurs terres pour accroître la part de la colonisation. Aussi est-<br />

ce d'un consentement unanime que le projet de cantonnement soumis<br />

au Conseil d'Etat, a été retiré.... La loi de 1851 avait consacré les droits<br />

de propriété et de jouissance existant au temps de la conquête, mais la<br />

jouissance mal définie, était demeurée incertaine. Le moment est venu<br />

de sortir de cette situation précaire. Le territoire des tribus, une fois<br />

reconnu, on le divisera par douars, ce qui permettra plus tard, à l'ini<br />

tiative prudente de l'administration, d'arriver à la propriété indivi<br />

duelle. Maîtres incommutables de leur sol, les indigènes pourront en<br />

disposer à leur gré... ...<br />

En application de ces principes, le Senatus consulte du 22 avril<br />

1863, déclara les tribus de l'Algérie propriétaires des territoires dont<br />

elles avaient la jouissance permanente et traditionnelle à quelque titre<br />

que ce fût. Il devait être procédé, dans le plus bref délai : 1° à la déli<br />

mitation du territoire des tribus ; 2° à la répartition entre les diffé<br />

rents douars, du territoire de chaque tribu ; 3° à l'établissement de la<br />

propriété individuelle entre les membres de ces douars, partout où<br />

cette<br />

mesure sera jugée possible et opportune.<br />

Ce travail considérable,<br />

exigeant de nombreuses recherches et des<br />

soins minutieux, ne fut entrepris, avant 1870, que dans un petit nombre<br />

de tribus. Il est bien difficile de préciser si ce travail, fut alors commen-<br />

(1)<br />

Même référence que précédemment.<br />

(2) idem.


— 114 — s<br />

ce en Kabylie Orientale. Le tableau de la Situation des Etablissements<br />

Français dans l'Algérie en 1864, indique des renseignements trop vagues.<br />

En 1866, le travail de délimitation et de répartition des tribus en douars<br />

a été fait dit-on, pour les Béni Mehenna, Béni Bechir, Béni Bou Naïm<br />

Sifsifa, Ouled Mazouz, Béni Meslem et Béni Bel Aïd, Béni Kaïd et Béni<br />

Ahmed. Mais aucun renseignement ne situe ces tribus d'une façon pré<br />

cise. Or, ces mêmes noms se retrouvent fréquemment hors de Kabylie<br />

Orientale, notamment sur la rive droite de l'Oued Safsaf (1). Un rap<br />

port du Maréchal de Mac-Mahon, du 2 mai 1865; (2) mentionne que les<br />

Béni Mehenna, cantonnés sont passés en territoire civil, en 1860.<br />

« J'appelle d'une manière toute particulière votre attention sur ces<br />

Béni Mehenna. Ils sont cantonnés depuis plus de douze ans,<br />

on s'occu<br />

pait de partager la terre entre les ayants-droit en 1860, au moment où<br />

ils ont été remis à l'autorité civile ; qu'a-t-on fait depuis ? Il faut abso<br />

lument en finir et arriver à la constitution de la propriété individuelle<br />

sans retard aucun ». Il s'agit bien des Béni Mehenna de la plaine de<br />

l'Oued Safsaf, et non de ceux des montagnes de l'Ouest,<br />

restés jusqu'en<br />

1870 en territoire militaire. Aucun travail de ce genre ne semble avoir<br />

été réalisé en Kabylie Orientale avant 1870.<br />

Le Senatus consulte du 22 avril 1863 fut complété par le décret du<br />

31 décembre 1864 qui substituait à la concession gratuite, le système<br />

des ventes à prix fixe et à bureau ouvert,<br />

domaniales en Algérie.<br />

pour l'aliénation des terres<br />

Cette politique nouvelle arrêta même tout élan de colonisation, que<br />

la pacification définitive, en 1865, aurait pu cependant favoriser. L'Em<br />

pereur au contraire, dans sa lettre du 20 juin 1865, au Maréchal Mac-<br />

Mahon, décida de restreindre la zone de colonisation existante ». Dans<br />

la province de Constantine, dit-il, la limite Nord devra comprendre, à<br />

partir de Sétif les territoires déjà occupés, ou à occuper sur la route<br />

de Sétif à Constantine, jusqu'à l'Oued Decri, de là, gagner Mila pour<br />

redescendre clans la vallée de l'Oued Kahi jusqu'au territoire de Smen-<br />

dou, d'où elle atteindra Collo en suivant la vallée de l'Oued Guebli ».<br />

Ainsi, excepté le pâté montagneux séparant l'Oued Guebli, de la vallée<br />

du Safsaf, tout le reste de la Kabylie Orientale restait en dehors du pé<br />

rimètre de colonisation fixé par l'Empereur.<br />

D'ailleurs, même dans la portion comprise dans la zone de coloni<br />

sation, aucun centre européen ne fut créé, jusqu'à la fin de l'Empire.<br />

Notre seule action se réduisit à l'exploitation des massifs fores<br />

tiers. Les premières concessions, en 1857, dans la vallée de l'Oued-el-<br />

Kébir, causèrent une panique parmi les tribus, qui se virent à bref<br />

délai évincées de la jouissance de ces vastes massifs, propriété collec<br />

tive des tribus. Or chaque agglomération y trouvait des ressources<br />

appréciables, le bois pour sa consommation, des pâturages pour ses<br />

(1) Ce fait s'explique par des émigrations antérieures à la conquête.<br />

(2) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 8H21. Carîon 17, dossier n"<br />

Rapport du 2 mai 1865.<br />

7.


INTALE<br />

A a| Chines -tie^e.<br />

Chlhes -verts<br />

j^^| Chênes<br />

[TT1 Chênes -zeens<br />

.kermès<br />

;<br />

Echelle. d Soo-ooo<br />

CARTE ô<br />


— — 115<br />

troupeaux et possibilité de culture dans les clairières. La perspective<br />

de se voir privés de ces avantages poussa les montagnards à incendier<br />

leurs forêts pour en éloigner l'Européen, et il fallut une sévère répres<br />

sion pour arrêter ces dévastations. De 1857 à 1862, les concessions fu<br />

rent assez nombreuses comme l'indique le tableau suivant établi en<br />

1862 (1).<br />

DESIGNATION SUPERFI DATES<br />

SITUATION des ESSENCES CIES DES DÉCRETS<br />

FORÊTS en Ha. DE CONCESSION<br />

Concession s provisoires aont fa durée d :vra être portée à 90 ans<br />

Subdivision Ouled-el-Kébir Chênes- 4. 700 21 Mai 1858<br />

de Philippeville. (Djidjelli-Est) lièges<br />

idem Béni Aïclia idem 4.700 21 Jin 1857<br />

Concessions de chênes-zéens faites pour 18 ans<br />

Subdivision Béni Foughal Chênes- 6.467 13 Novembre 1861<br />

de Philippeville. (Djidjelli) zéens 1.733<br />

1"<br />

Mars 1861<br />

idem Béni Medjaled<br />

(Djidjelli)<br />

idem 3.500 17 Mai 1862<br />

Concess ons pour 91 1 ans<br />

Subdivision Collo (18»<br />

lot)<br />

Chênes- 2.300 7 Juillet 1862<br />

de Philippeville. lièges<br />

» Collo (1"<br />

lot) » 3.440 »<br />

» Collo (2'<br />

lot) » 2.965 11 Août 1862<br />

» Collo (16e<br />

k>:) » 2.680 »<br />

» Collo (3°<br />

lot) » 11.400 »<br />

Subdivision Oued Djemaâ » 2.780 26 Août 1862<br />

de Sétif (Bougie).<br />

Subdivision Collo (5" lot) » 3.400 18 Octobre 1862<br />

de Philippeville.<br />

» Collo (4* lot) » 4.400 »<br />

» Collo (9e<br />

lot) » 4.200 - 10 Novembre 1862<br />

Ce tableau nous indique qu'un lot fut concédé dans l'annexe d'El-<br />

Milia (chez les béni Aïcha), un dans le cercle de Bougie, quatre dans<br />

celui de Djidjelli^ et huit dans celui de Collo. Féraud dans son histoire<br />

de Djidjelli, mentionne en outre la concession, probablement posté<br />

rieure à 1862, d'un lot de 4.000 hectares de forêts chez les Béni Amran.<br />

A partir de 1862, néanmoins, le nombre des concessions nouvelles dimi<br />

nue sensiblement ; cette restriction fut la conséquence inévitable de la<br />

politique du « royaume arabe » de Napoléon III.<br />

Si. dans l'intérieur du massif kabyle nos efforts pour introduire<br />

l'élément européen, se bornèrent à concéder à quelques individus l'ex<br />

ploitation de massifs forestiers, sur la côte,<br />

seule ville européenne importante, celle de Djidjelli.<br />

notre intérêt se porta sur la<br />

Ce petit centre dut végéter pendant de longues années, avant de<br />

reprendre quelque prospérité. Jusqu'en 1845 environ, on ne put même<br />

pas cultiver les terres de la petite plaine comprise entre la presqu'île<br />

où se trouvait la ville, et la ligne de collines plus au Sud, car les diffé<br />

rentes redoutes construites sur ces dernières positions, n'étaient pas<br />

(1) Cf. Tableau de la situation des Etablissements français dans l'Algérie en<br />

p. 312 à 315.<br />

1862,


— — 116<br />

encore reliées par un mur de défense. Le Chef de Bataillon de Ville<br />

neuve,<br />

signale en 1841 : « Le terrain circonscrit par les avant-postes<br />

serait une ressource précieuse s'il était cultivé. Pour l'instant, il y a<br />

trop<br />

peu de sécurité : quelques maraudeurs passent toujours sans diffi<br />

culté entre les avant-postes, pendant la nuit et cela suffit pour détruire<br />

les récoltes. Dans ce moment, l'entretien de jardins tout proches de la<br />

ville oblige à un service assez pénible lorsqu'il y a quelque fermenta<br />

tion hostile » (1).<br />

La ville n'avait même pas assez d'eau pour ses besoins journaliers.<br />

Villeneuve nous fait remarquer : « La ville romaine recevait l'eau<br />

d'une source très abondante à 1.800 mètres de la ville, appelée fontaine<br />

de l'oasis. Actuellement ces eaux forment un ruisseau qui coule en<br />

dehors des collines voisines et se jette à la mer à 3.000 mètres à l'Ouest<br />

de Gigelli. Depuis longtemps la ville ne reçoit plus ces eaux et s'ali<br />

mente par des puits et une source très faible qui est à la porte de la<br />

ville. Cette source, suffisante pendant l'hiver, tarit presque entièrement<br />

pendant l'été. A cette époque, on éprouve une grande gêne à Gigelli,<br />

parce que les puits s'épuisent et ne donnent que des eaux peu salu-<br />

bres... '» (2).<br />

Le port lui-même ne connaissait qu'un médiocre trafic. Aucun<br />

travail d'art n'y ayant été exécuté, seule la ligne de rochers prolon<br />

geant vers l'Est la petite presqu'île, formait un abri naturel. Les petits<br />

navires venaient mouiller fort près de la ville,<br />

mais les gros bateaux,<br />

à cause du manque de profondeur, s'arrêtaient au rocher le plus éloi<br />

gné du rivage et restaient, par suite,<br />

exposés aux effets de la grosse<br />

mer. D'ailleurs, pendant la mauvaise saison, ce port n'était plus fré<br />

quenté par aucun navire.<br />

•<br />

Peu à peu, l'état matériel de la ville s'améliora. Dès le mois d'août<br />

1844, les travaux de l'aqueduc de l'oasis étaient presque terminés. La<br />

ville put désormais jouir de réserves d'eau abondantes qui contribuè<br />

rent, en même temps que le dessèchement progressif des marais de la<br />

petite plaine, au meilleur état de santé de la population.<br />

La campagne de Bandon en 1853 apporta la paix à tout le cercle,<br />

et fut à l'origine de la renaissance de Djidjelli. La construction des<br />

routes de Djidjelli à Constantine et Sétif eut pour conséquence le<br />

développement du commerce de la ville. L'huile des tribus voisines<br />

arriva en plus grande quantité. Surtout le blé du Ferdjioua dont le<br />

seul débouché était Djidjelli, vint alimenter abondamment le marché<br />

de la ville. Un résumé historique du cercle note, dès 1854 (3) : « le<br />

commerce s'étend de plus en plus ; souvent, dans les beaux jours, no-<br />

(1)<br />

27 juillet 1841.<br />

Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> colonisation 1L19. Rapport du<br />

(2) idem.<br />

(3) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 8H21 (Organisation, délimita<br />

tion, historique des tribus, province de Constantine). Carton 17, dossier<br />

Résumé historique de l'année 1854.<br />

n°<br />

4.


— — 117<br />

tre marché présente jusqu'à 100.000 hectolitres de blé. Les huiles arri<br />

vent aussi en grande abondance... dans le courant de l'année il a été<br />

acheté sur le marché de Djidjelli :<br />

94.776 hl de blé 19 fr. 93 = 1.888.794 frs<br />

+ 6.160 hl d'huile à 100 fr. 82 = 621.108 frs<br />

Total des affaires en blé et huile 2.509.902 frs »<br />

Cuirs, cire, se vendaient aussi au marché de la ville et une partie<br />

de toutes ces marchandises s'exportait vers Alger et même vers la<br />

France, par Marseille et Sète.<br />

Dès 1854, en effet, on s'occupa de projets d'amélioration du port<br />

qui en avait grand besoin. La rade très peu protégée des vents du' Nord<br />

et du Nord-Ouest était exposée à toutes les tempêtes et,<br />

au début de<br />

l'année 1854, sept bricks et une balancelle furent jetés contre la côte,<br />

occasionnait de grosses pertes. Pour remédier à ces inconvénients, l'in<br />

génieur ordinaire Billard établit, le 17 juin, un projet de travaux à<br />

effectuer (1) : la ligne de récifs alignés d'Ouest en Est, depuis la pointe<br />

de la presqu'île sur 900 mètres de longueur,<br />

servirait de base à la<br />

construction d'une jetée (A.C.) réunissant tous ces rochers ; et même,<br />

si cette réalisation s'avérait insuffisante à établir le calme dans les<br />

eaux du port, on prolongerait la jetée de 400 mètres (CD.) dans une<br />

direction perpendiculaire à une ligne qui joindrait le Fort Duquesne<br />

au cap Bougaroun. Il fallait aussi construire un quai (A.B.C.)<br />

pour que<br />

les navires de commerce puissent facilement débarquer et embarquer.<br />

Tous ces travaux, de longue haleine, demandaient plusieurs an<br />

nées avant d'être menés à bonne fin ; mais on pouvait tout de suite,<br />

parer aux tâches les plus urgentes ; comme le port perdait continuelle<br />

ment de son fond, il fallait, pour éviter le comblement de la petite<br />

baie, s'opposer énergiquement à ce que personne ne jette rien dans le<br />

port, puis combler la base AB de 75 mètres de longueur, comprise en<br />

tre la pointe de la presqu'île et le premier rocher isolé. Ainsi serait<br />

amorcé la construction du grand môle. De même on commencerait la<br />

création du quai en établissant un bout de débarcadère près de la place<br />

du marché aux grains,<br />

dans les navires (2).<br />

pour faciliter le transport des marchandises<br />

Au cours des années suivantes, la plus grande partie de ces tra<br />

vaux fut réalisée, en 1866, la jetée de 900 mètres était terminée, ainsi<br />

que deux débarcadères en maçonnerie. Un nouveau projet fut alors<br />

établi ayant pour but de prolonger de 140 mètres « dans les formes<br />

qu'elle présente » la jetée existante, « qui a été reconnue insuffisante<br />

pour produire un peu de calme le long des quais de débarquement » (3).<br />

(1) Voir carte II.<br />

(2) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 8H21 (Organisation, délimita<br />

tion, historique des tribus, province de Constantine). Carton 17, dossier<br />

résumé historique de l'année 1854.<br />

(3) Cf. Tableau de la situation des Etablissements français dans l'Algérie,<br />

année 1865-66, p. 244. Il semble que le projet de la jetée CD. de 400 m., établi<br />

par Billard n'ait jamais été réalisé.<br />

n°<br />

4.


— — 118<br />

A côté du port, la ville elle-même prit une plus grande extension.<br />

En 1856 un violent tremblement de terre,<br />

accompagné d'un ras de<br />

marée, détruisit presque entièrement les habitations. On en profita<br />

pour rebâtir la ville, non pas sur l'emplacement primitif du rocher, où<br />

elle étouffait, mais dans l'espace plus large de la plaine plus au Sud.<br />

Les baraques de fortune, construites après le séisme, firent rapidement<br />

place à de véritables bâtiments,<br />

malgré l'entrave du problème de doma-<br />

nialité des terrains, abordé dès 1854, au moment des projets de création<br />

d'Aïn-Nouara et Bokkara, et non encore résolu deux ans après. En<br />

1858 même, un rapport signale : « La question de domanialité des ter<br />

rains n'est toujours pas résolue. Les concessions faites jusqu'ici ne sont<br />

donc que provisoires et cela est très regrettable ; dans de pareilles con<br />

ditions, les constructions n'ont pas la valeur qu'elles auraient si les<br />

propriétaires avaient des titres. Malgré cela, on bâtit beaucoup et des<br />

maisons remplacent chaque jour les baraques qui avaient été établies<br />

après le tremblement de terre » (1).<br />

Djidjelli fut la seule ville de Kabylie Orientale qui reçut pareille<br />

impulsion de notre part avant 1870. Collo avait été occupé depuis trop<br />

peu de temps pour connaître un semblable essor. D'ailleurs le retard<br />

ne fut pas dû seulement à la difficulté d'y maintenir une garnison, mais<br />

surtout à des causes économiques. Après avoir vivement réclamé,<br />

jusqu'en 1852, l'occupation de ce port,<br />

pour arriver à une pacification<br />

plus rapide de la contrée, on s'aperçut bientôt que la création d'un<br />

nouveau centre européen, en cet endroit nuirait considérablement à la<br />

prospérité de Philippeville. Bandon, le premier essaya de montrer ce<br />

danger au ministre de la Guerre : « Si Collo eût été connu lorsqu'on<br />

cherchait un port à donner à Constantine, il eût obtenu sans aucun<br />

doute la préférence sur Stora, car la côte, moins tourmentée sur ce<br />

point que sur les autres, semble le désigner comme le port naturel qui<br />

devrait relier Constantine à la mer. Mais la'<br />

ville de Philippeville a été<br />

créée ; l'extension qu'elle. a prise, les sommes considérables employées<br />

à établir une route jusqu'au chef-lieu de la province, les intérêts euro<br />

péens qui y sont accumulés, la fertilité de la vallée de la Saf-Saf, tout<br />

nous engageait à conserver avec soin ces germes précieux d'une pros<br />

périté naissante. Or, une nouvelle voie entre Collo et Constantine, con<br />

séquence forcée de l'établissement à Collo, leur porterait un notable<br />

préjudice et entraînerait d'ailleurs à de très grosses dépenses » (2).<br />

Dans un rapport de 1854, rédigé par le commandant supérieur du<br />

cercle de Philippeville, Lapasset, on note la même opposition à l'occu<br />

pation de Collo : « Je ne pense pas qu'il faille mettre à Collo une<br />

force française. L'occupation de cette ville serait par trop préjudiciable<br />

à Philippeville. L'incertitude qui a régné jusqu'à présent à cet égard<br />

(2) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 1L19. Rapport sur les services<br />

civils, 1"<br />

trimestre 1858.<br />

(2) Randon ; Mémoires, tome I, p. 89-90.


— — 119<br />

a été très funeste à cette ville » (1). Et il demande l'installation d'un<br />

caïd dans la petite place. Ce fut d'ailleurs la solution adoptée jusqu'en<br />

1860. A cette date, la prospérité de Philippeville et de toute la vallée<br />

du SafSaf était assez solidement établie pour que l'occupation de Collo<br />

ne lui apportât aucun désavantage. Mais il en résulta toujours un retard<br />

dans l'essor économique de cette dernière ville, dont le rôle resta tou<br />

jours secondaire.<br />

Parallèlement à notre effort de développement urbain, on essaya<br />

de donner quelque prospérité aux campagnes en encourageant les indi<br />

gènes à produire davantage,<br />

comme aussi à faire des essais de cultures<br />

nouvelles. Dans le cercle de Djidjelli, le résumé historique de 1854<br />

fait les remarques suivantes : « Nous avons fait, cette année, des essais<br />

de coton. Dans beaucoup d'endroits où les plans étaient couverts de<br />

leurs capsules, le froid et la pluie d'automne sont arrivés avant la sai<br />

son et ont tout abimé. Cependant le coton récolté est d'une très belle<br />

qualité... et on peut présumer qui si l'année 1855 est bonne, nous ob<br />

tiendrons chez les populations du littoral un résultat de beaucoup su<br />

périeur à celui de cette année. Les essais déjà tentés depuis longtemps<br />

sur la pomme de terre ont prjs un plus grand développement ; elle<br />

convient beaucoup<br />

aux Kabyles et, avant peu d'années, elle sera bien<br />

répandue dans le cercle. On les excite aussi à multiplier leurs semis<br />

de chanvre. Cette denrée est un des plus anciens produits du pays » (2).<br />

D'autres cultures encore furent essayées dans ce cercle : tabac,<br />

houblon, garance, nopal. Cette dernière plante était destinée à l'élevage<br />

de la cochenille, pour la fabrication d'une teinture rouge obtenue en<br />

traitant cet insecte.<br />

La plupart de ces essais semblent avoir été voués à l'échec, sauf<br />

peut-être, la pomme de terre. Il était évidemment difficile de demander<br />

pareil effort à des populations dont les moyens de culture restaient<br />

encore très rudimentaires..<br />

Notre curiosité se porta aussi vers les ressources minières du<br />

pays. On découvrit dans le cercle de Djidjelli, plusieurs mines de fer<br />

et de cuivre. Dès 1856, un rapport demande que « des compagnies se<br />

forment pour tirer parti des gisements de mines de fer que l'on trouve<br />

en grande quantité de Djidjelli jusqu'à Ziama... » (3). Féraud note de<br />

son côté dans son histoire de Bougie, qu'il a reconnu, pendant ses cour<br />

ses dans le cercle, certains gisements minéralogiques : «.une mine de fer<br />

très riche entre les Barbacha et les Béni Sliman, est exploitée par les<br />

Kabyles, une autre, très riche chez les Béni Sliman, et une mine de.<br />

(1) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 8H2L Carton 12, dossier<br />

Rapport du 15 novembre 1854.<br />

(2) Archives du Gouvernement Général. <strong>Série</strong> 8H21. Carton 17, dossier<br />

Historique du cercle de Djidjelli en 1854.<br />

(3) Tableau de la situation des Etablissements français dans l'Algérie, en 1856,<br />

p. 410.<br />

n°<br />

n"<br />

1.<br />

4.


— — 120<br />

plomb argentifère, chez les Béni Djelil à l'Ouest de l'Oued Amacin » (1).<br />

mais il se contenta seulement de repérer les gisements. Ils restèrent inex<br />

ploités, faute de moyens suffisants.<br />

Au total, peu de choses furent réalisées, avant 1870 pour mettre<br />

en valeur la Kabylie Orientale, comme pour améliorer les conditions de<br />

vie des indigènes. On ébaucha l'œuvre d'éducation spirituelle en créant<br />

deux écoles arabes-françaises, l'une à Takitount, et l'autre à Collo en<br />

1864 ; mais on en resta là. L'ère de colonisation en Kabylie Orientale<br />

ne s'ouvrira vraiment qu'après la révolte de 1871.<br />

«<br />

**<br />

La période antérieure à 1870 est donc, avant tout celle de la con<br />

quête et de la pacification de la Kabylie Orientale. Après une période<br />

de tâtonnements et d'essais infructueux, cette œuvre fut réalisée à<br />

partir de 1850, avec une grande continuité d'action, et beaucoup d'es<br />

prit de suite. Les commandements indigènes tombèrent les uns après<br />

les autres. Une organisation nouvelle, uniforme et bien définie fit place<br />

peu à peu à l'anarchie presque générale qui, avant notre arrivée, épui<br />

sait cette région. L'expérience avait permis à nos généraux et à nos<br />

administrateurs de pratiquer avec souplesse de nouvelles méthodes<br />

pour l'occupation d'un pays sans pertes graves, sa mise en valeur sans<br />

frais excessifs et le ralliement des populations par l'attrait de notre<br />

civilisation.<br />

(1) Féhaud : Histoire des villes de la province de Constantine, Bougie. Re<br />

cueil des notices et mémoires de la Société Archéologique de Constantine,<br />

année 1869, p. 120.


LISTE DES COMMANDEMENTS<br />

(CAÏDATS ET CHEIKHATS)<br />

DE KABYLIE ORIENTALE AU DEBUT DE 1865<br />

Cercle de Constantine<br />

Caïdat des O. Kebbab<br />

Ct des O. Bousselah<br />

Ct du Zouagha<br />

Ct du Ferdjioua<br />

Ct des Mouïa<br />

Annexe d'El-Milia<br />

Ct des B_ Telilen<br />

Ct des B. Khettab<br />

Ct des O. Aouat<br />

Tribu des O. Aïdoun<br />

Cercle de Collo<br />

Ct des B. Mehenna<br />

Ct de l'O. Guebli<br />

Ct du Sahel<br />

Cercle de Sêlif<br />

Ct d'Aïn Turc<br />

Ct du Sahel Guebli<br />

Ct du Guergour<br />

Ct du B. Yala<br />

Ct des B. Ourtilan<br />

Ct des B. Chebana<br />

Ct de l'Arach<br />

Ct des B. Aïdel<br />

Ct des Dehemcha<br />

Annexe de Takitount<br />

Ct du Babor<br />

Ct des Amoucha<br />

Ct des B. Sliman<br />

Ct des B. Meraï<br />

Subdivision de Constantine<br />

Ct des B. Toufout<br />

Ct des O. Attia<br />

Ct de l'O. Zhour<br />

Cercle de Djidjelli<br />

Réunis en un seul<br />

!->•• j-<br />

^. , ,,/-» (<br />

Ct de 1 O. Djindjen \caïdat de la Piai.<br />

Ct de l'O. Nil )ne à la fin de<br />

1865.<br />

Ct des B. Ider<br />

Ct des B. Siar<br />

Ct des B. Amran Djebalah et des<br />

B. Khettab<br />

Ct de Dar-el-Batah<br />

Ct des B. Foughal<br />

Ct du Tababor<br />

Ct d'El-Aouana<br />

Ct des B. Affeur et Djimla<br />

Ct des O. Askeur<br />

Subdivision de Sétif<br />

Ct des O. Salah<br />

Ct des B. Smaïls<br />

Cercle de Bougie<br />

Tribus administrées par des cheikhs<br />

Ait Ahmed<br />

B. Bou Messaoud<br />

B. Mimoun<br />

B. Amrous<br />

B. Melloul<br />

B. Bou Aïssi<br />

Aït-Ouaret-Ou-Ali<br />

B. Mahmed<br />

B. Hassein<br />

B. Bou Youssef<br />

B. Segoual<br />

Caïdats :<br />

Ct des O. Abd-el-Djebbar<br />

D'après une liste des commandements et chefs indigènes de la province de<br />

le 15 avril 1865. (Bibliothèque du Gouvernement Général,<br />

_Constantine, établie<br />

Travée II).<br />

(


I. —<br />

SOUBCES<br />

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE<br />

: Archives du Gouvernement Général de l'Algérie.<br />

A) <strong>Série</strong> H. : Affaires Musulmanes<br />

2.H. Opérations militaires<br />

2.H.-3 Kabylie Orientale 1851<br />

2.H.-5 Missions et Colonnes 1838-1860<br />

2.H.-7/8 Opérations militaires<br />

1864<br />

2.H.-9 Opérations militaires 1864-1866<br />

6.H. Chefs indigènes : Constantine<br />

6.H.-25/26 Chefs et personnalités indigènes : Constantine<br />

6.H.-27/28 Chefs et personnalités indigènes : Sétif<br />

8.H. Organisation<br />

8.H.-2-1 Organisation, délimitation, historique de tribus<br />

Province de Constantine en général<br />

Subdivision de Constantine (cercles de Constantine, de Philippeville,<br />

de Djidjelli, d'El Milia)<br />

1838-1849<br />

1866-1869<br />

8.H.-2-3 Subdivision de Sétif (cercles de Sétif et Bougie) 1840-1880<br />

10.H. Etudes. Renseignements historiques et géographiques<br />

10.H.-10 Subdivision de Constantine. Historique des tribus (cercles de Cons-<br />

taniine, de Collo, de Djidjejlli, annexe d'El Milia). Cartes<br />

10.H.-11 Organisation et délimitation. Subdivision de Constantine : cercles de<br />

Constantine ; annexe de Mila.<br />

ll.H. Situations politiques<br />

11.H.-22 Constantine 1860-1864<br />

11.H.-23<br />

11.H.-24<br />

11.H.-25<br />

d°<br />

d°<br />

d°<br />

1864-1865<br />

1866-1869<br />

1870<br />

B) <strong>Série</strong> EE : Correspondance Générale<br />

EE-18 Rapport du 26 février 1851<br />

EE-21 Rapport du 8 mai 1852, du Gouverneur Général Randon au Ministre de<br />

la Guerre au sujet d'une expédition en Kabylie<br />

C) <strong>Série</strong> L : Colonisation<br />

L.-18 bis Terres disponibles. Séquestres 1866-1893<br />

L.-22 Chemin de grande communication de Constantine à El Milia, 1869-1872.<br />

1.-L-19 Villes et Villages. Djidjelli<br />

D) Bibliothèque du Gouvernement Général : Travée II<br />

Cartes de la Province de Constantine (la plus importante est celle de 1869, au<br />

1/400.000», avec l'indication des divisions administratives de l'époque).<br />

I- —<br />

Ouvrages<br />

IL —<br />

généraux<br />

OUVBAGES<br />

A. Julien : Histoire de l'Afrique du Nord, ch. xvm et xix.<br />

E. Péixisier de Rbynaud Annales Algériennes. Paris 1854, 3 vol.


— — 123<br />

C. Rousset : La Conquête de l'Algérie (1841-1857). Paris 1889, 2 vol.<br />

Général Paul Azan : Conquête et pacification de l'Algérie. Collection Armées<br />

françaises d'Outre-mer, Paris 1931.<br />

Général Paul Azan : L'Armée d'Afrique de 1830 à 1852. Collection Centenaire de<br />

l'Algérie. Paris 1936, ch. xu.<br />

L. Rinn : Histoire de l'Algérie. Manuscrit déposé à la Bibliothèque de l'Univer<br />

sité d'Alger. Tomes ix, x, xi.<br />

IL —<br />

Rapports<br />

militaires et récits de campagnes<br />

Marche des colonnes expéditionnaires qui ont opéré dans la Grande Kabylie on<br />

sur les confins du 23 juillet 1845 au 24 mars 1852.<br />

Dr Leclerc : Campagne de Kabylie en 1850. Revue Africaine,<br />

années 1860-61.<br />

Général d'Hautpoul : Rapports adressés à M. le Président de la République par<br />

le Ministre de la Guerre : 1° sur les opérations militaires en Algérie ;<br />

2°<br />

sur la colonisation. 6 août et 12 septembre 1850. Paris 1850, p. 1-20.<br />

Général d'Hautpoul : Du Ministère de la Guerre en 1850 et de l'Algérie en<br />

1851. Paris 1851.<br />

Rapport adressé à M. le Président de la République par le Ministre de la Guerre<br />

sur les opérations qui ont eu lieu en Algérie au printemps 1851. (signé<br />

Randon).<br />

Cte L. Ch. P. de Castellane : La dernière expédition de Kabylie. Revue des<br />

« Deux Mondes », juillet 1851.<br />

E. Cler : Souvenirs d'un Officier du 2° Zouaves. Paris 1859, p. 60-94.<br />

Tableau de la Situation des Etablissements Français dans l'Algérie, année 1839.<br />

Précis historique du 31 décembre 1838 au 31 décembre 1839, p. 1-13 ;<br />

années 1859-1861, Campagne de Kabylie Orientale, p. 8.<br />

III. —<br />

Biographies<br />

et Mémoires<br />

Maréchal de Saint-Arnaud : Lettres. Tome n, p. 338-350.<br />

Quatrelles l'Epine : Le Maréchal de Saint-Arnaud. 2 vol.., Paris.<br />

Général Cte Fleury : Souvenirs. Paris 1897. Tome i (1837-1859), ch. xiv.<br />

Maréchal Randon : Mémoires. Paris 1875. Tome i.<br />

A. Rastoul : Le Maréchal Randon (1795-1871) d'après ses Mémoires et docu<br />

ments inédits. Paris 1890.<br />

R. Peyronnet : Livre d'Or des Officiers des Affaires Indigènes (1830-1930). Alger<br />

1930, 2 vol.<br />

IV. —<br />

Monographies<br />

Ch. Féraud : Histoire des villes de la Province de Constantine. « Recueil des<br />

Nolices et Mémoires de la Société Archéologique de Constantine ». Bou<br />

gie 1869. Djidjelli 1870. Sétif 1871-72.<br />

Ch. Féraud : Ferdjioua et Zouagha. « Revue Africaine », année 1878.<br />

Ch. Féraud : Documents pour servir à l'histoire de Philippeville. « Revue Afri<br />

caine », années 1875 et 1876.<br />

Bernard, médecin-major : Etudes sur la Petite Kabylie. Données climatologi-<br />

ques et médicales sur le cercle d'El-Milia (Kabylie Orientale). « Rec.<br />

mém. méd. chir. pharm. mil., 1872, t. xxvni, p. 417-475, 529-588. (L'au<br />

teur a assisté à l'insurrection de 1858).<br />

V. —<br />

Administration<br />

A. Girault ; Principes de colonisation et de législation coloniale. T. rv, nr par<br />

tie, l'Algérie, 7'<br />

éd., Paris 1938, ch. iv, ix, x.<br />

E. Noats : Œuvre de la France en Algérie. La Justice. Collection du Centenaire<br />

de l'Algérie. Paris 1931, p. 490.


— - 124<br />

M. Emerit : Les Bureaux Arabes. Documents Algériens. <strong>Série</strong> Politique<br />

novembre 1947.<br />

Tableau de la Situation des Etablissements Français dans l'Algérie :<br />

n°<br />

10, 10<br />

Année 1844-45, article de Carette, Notice sur la division territoriale de<br />

l'Algérie, p. 377, suivie d'une carte des tribus de l'Algérie ;<br />

Année 1845-1846. Carte établie en 1851, sous la direction du Gouverneur<br />

Général Randon, par Ch. de la Roche, attaché au Ministère de la Guerre ;<br />

Année 1846, article : Organisation du Gouvernement et de l'Administra<br />

tion des tribus, p. 716-719 ;<br />

Année 1864, titre m : Administration,<br />

VI. —<br />

Colonisation<br />

p. 229-231 ; Justice, p. 235-237.<br />

L. de Baudicour : Histoire de la Colonisation de l'Algérie. Paris 1860, ch. iv<br />

et xu.<br />

Tableau dé la Situation des Etablissements Français dans l'Algérie :<br />

Année 1856 : Colonisation en territoire militaire, cercle de Djidjelli,<br />

p. 410 ;<br />

Année 1862 : Statistiques Forestières, p. 312-315.<br />

Année 1865-1866 : Travaux des ports, Djidjelli, p. 244.<br />

VIL —<br />

Sociologie<br />

et coutumes kabyles<br />

A. Bernard : L'Algérie. Paris 1929.<br />

R. Maunier : Mélanges de sociologie nord-africaine. Paris 1930.<br />

Hanoteau et Letourneux : La Kabylie et les coutumes kabyles. 29" 1893, t. 2 et 3.<br />

éd., Paris<br />

Ch. Féraud : Mœurs et coutumes kabyles. « Revue- Africaine », 1862.<br />

D, Luciani : Les Ouled Athia de l'Oued Zhour. « Revue Africaine », 1889.<br />

Rahmani Slimane : Notes ethnographiques et sociologiques sur les Béni M'Hamed<br />

du Cap Aokas. Constantine 1933.<br />

Coutumes kabyles du Cap Aokas. Préfacé de Hardy, Alger 1939.<br />

Doutte et Gautier : Enquête sur la dispersion de la langue berbère en Algérie.<br />

Alger 1913,<br />

VIII. —<br />

p. 140.<br />

Religion<br />

Doutte : Notes sur l'Islam Maghribin. Les Marabouts. Paris 1900.<br />

L. Rinn : Marabouts et Khouan, Alger 1884.<br />

Depont et Coppolanï : Les Confréries religieuses musulmanes. Alger 1897.<br />

Je regrette de n'avoir pu consulter les Archives Nationales à Paris, qui<br />

auraient apporté d'utiles éclaircissements à la question. Je remercie M. E.<br />

Dermenghem, bibliothécaire du G. G. d'avoir intelligemment dirigé mes recher<br />

ches dans les Archives du G. G. d'Algérie.


ACHACH, 49, 51<br />

Ain Nouara, 112, 118<br />

Ain Si Tallout, 59, 63, 89<br />

Ain Tabia, 56<br />

Ain Turc, 23<br />

AU Ouaret Ouali, 59<br />

AMOR BEN GUETTACHE, 80<br />

AMOUCHA, 30, 63=65, 88<br />

ARB-BABCÎR, 63, 77, 83<br />

ARB EL OUED, 83<br />

ARB TESQUIF, 73<br />

ARRHES, 38, 39, 71<br />

AUGERAUD, 89<br />

AUMALE (Duc d'), 40<br />

Babors, 42, 57-64, 78, 83, 88-91<br />

BARAGUEY D'HILLIERS, 28, 33<br />

BARBÀCHA, 120<br />

BARRAL (de), 32, 42<br />

BEDEAU, 28-31, 33-37<br />

BEN ACHOUR (EL HADJ AHMED<br />

INDEX ALPHABETIQUE<br />

BOU AKKAS), 18-19, 23, 26-27, 35,<br />

38-41, 63-64, 75-83<br />

BEN ACHOUR (SI AHMED KHODJA),<br />

78-83<br />

BEN AZZEDIN (BOU LAKHERAS),<br />

37, 38, 39, 65, 734, 82<br />

BEN AZZEDIN (BOU RENAN), 18-19<br />

38, 39, 65-74<br />

BEN AZZEDIN (FERHAT), 37<br />

BEN AZZEDIN (MAHAMMED), 18-19,<br />

26, 37, 38, 39, 66<br />

BEN AZZEDIN (SI AHMED BEL<br />

HADJ), 62, 66, 73*, 82<br />

BEN HABILES (BELCASSEM), 88<br />

BENI ADJIZ, 83, 109<br />

BENI AFEUR, 51, 60, 73, 83, 109<br />

BENI AHMED, 7, 35, 50, 54, 108<br />

BENI AICHA, 17, 50<br />

BENI AISSA, 50<br />

BENI AMRAN, 50, 109, 116<br />

BENI AMROUS, 17<br />

BENI DRACEN, 59<br />

BENI FELKAI, 59, 63, 94<br />

BENI BEL AID, 51, 74<br />

BENI BOU MESSAOUD, 31<br />

BENI BOU YOUSSEF, 51<br />

BENI FERGAN, 54, 56, 75, 94<br />

BENI FOUGHAL, 50, 83, 93, 109<br />

BENI FTAH, 51, 54<br />

BENI GUECHA, 77<br />

BENI GUIFSER, 63, 99<br />

BENI HABIBI, 50, 51, 65, 74<br />

BENI HASSEIN, 35, 54, 89, 109<br />

BENI IDER, 20, 38, 54, 60-62, 109<br />

BENI IMMEL, 42<br />

BENI ISHAK, 28, 33, 51-52<br />

BENI ISMAÏL, 59, 88, 89<br />

BENI KAID, 26, 35, 54, 108, 112<br />

BENI KHETTAB, 29, 50, 73, 109<br />

BENI MAAD, 50<br />

BENI MAHMED, 89<br />

BENI-MAMEUR, 51, 109<br />

BENI MARMI, 50<br />

BENI MEDJALED, 18, 82, 109<br />

BENI MEHENNA, 28, 32, 33<br />

BENI MELLIKEUCH, 47<br />

BENI MENALLA, 59, 63<br />

BENI MERAI, 42, 59, 88<br />

BENI MEROUAN, 19, 77, 79<br />

BENI MESLEiM, 51, 73, 74<br />

BENI MIMOUN, 38, 73<br />

BENI OURTILAN, 30, 42<br />

BENI OURZEDDIN, 50, 109<br />

BENI SALAH, 28, 51, 109<br />

BENI SEGOUAL, 51<br />

BENI SIAR, 109<br />

BENI SLIMAN, 31, 36, 89, 120<br />

BENI TELILEN, 38, 66<br />

BENI TIZZI, 59, 88-89<br />

BENI TOUFOUT, 28, 51, 56<br />

BENI ZOUNDAI, 83, 88-89<br />

BENI YAMINA, 33, 34, 38<br />

BILLARD, 117<br />

Bokkara, 113,118<br />

BONNEMAIN, 89<br />

BONVALET, 89<br />

BOSQUET, 42, 58-61<br />

BOU BAGHLA, 34, 55, 57, 62, 94<br />

Bougie, 23, 33, 35, 36


BOUGRINE, 81<br />

BOU KOUBERIN (SIDI ABD ER RAH-<br />

MAN), 21, 80, 86<br />

BOU SEBA, 56<br />

BRICE, 33<br />

BUGEAUD, 30, 36, 40, 97<br />

CAPDEPONT, 100, 107<br />

CHABAUD-LATOUR (de), 60<br />

CHADEYSSON, 22<br />

Chahena, 61, 72, 101<br />

Chellata, 78<br />

CoHo, 23, 24, 33 38, si-5*, 55-56, 73,<br />

119<br />

Dar el Hamra, 82<br />

Dar el Batah, 109<br />

DEHEMCHA, 79, 83, 88<br />

DESVAÛX, 72-74, 77-83, 86<br />

DJEBALAH, 51<br />

Djelana, 38<br />

Djémila, 22, 23, 39<br />

DJERMOUNA, 58, 62, 88-89<br />

Djidjelli, 24-25 33, 35, 36, 39, 47-54<br />

118-119<br />

DJIMLA, 83<br />

Dra el Caïd, 62, 63, 88<br />

El-Arrouch, 32, 33<br />

EL HADDAD, 80, 86<br />

EL HADJ HADJOUDJ, 81, 95<br />

Eddis, 33, 34<br />

El-Arroussa, 49, 87, 101<br />

El-Kantour, 69<br />

El-Milia, 51, 68-74, 87, 101<br />

EULMA, 33<br />

EYNARD, 30<br />

Fedj-Baïnem, 29, 38, 61, 75<br />

Fedj-el-Arba, 60, 61, 72, 73, 101<br />

Fedj-elma-el-Abiod, 68<br />

Fedoulès, 60<br />

Ferdjioua, 18-19, 35, 37, 48, 75-83<br />

FLEURY, 48-49, 52-53<br />

GALBOIS, 23, 25<br />

GASTU, 67-71, 101<br />

GHEBOULA, 30<br />

GRAVIER, 41<br />

Guergour, 30-32, 62<br />

HAUTPOUL (d')( 36, 47-48<br />

HERBILLON, 29, 35, 38<br />

IGHZER OU FTIS, 59, 63<br />

126<br />

KHELFA BEN AMIROUCH, 62<br />

KHERRATA, 42, 63<br />

KHOUAN, 80, 84-86<br />

LACROIX (de), 89<br />

LEDJENAH, 51, 109<br />

LOURMEL (de), 42<br />

LUCAS, 78, 106<br />

MAC-MAHON, 56, 58-61, 104-105<br />

MAISSIAT, 63-64, 101<br />

MAOUÏA, 19, 77, 79<br />

Mentanou, 63<br />

Mila, 22, 37, 61<br />

MOUIA, 37-39, 66-67, 76<br />

MOULEY CHEKFA (SI LAHOUSSIN),<br />

20-21, 54, 61-62, 109<br />

MOULEY MOHAMMED, 79r82<br />

NAPOLEON III, 57-58, 83, 89, 113-114<br />

NEGRIER, 28, 33<br />

NEVEU (de), 41, 58<br />

OULED AIA, 39<br />

OULED AÏDOUN, 29, 38, 51, 56, 67-73,<br />

110<br />

OULED AOUAT, 39, 54„ 56, 67, 73<br />

OULED ALI, 50, 54, 56<br />

OULED AMER, 83<br />

OULED ASKEUR, 50, 51, 60, 71, 72<br />

109<br />

OULED ATTIA, 17, 51-52, 56<br />

OULED BELAFOU, 109<br />

OULED HAIA, 71, 73<br />

OULED HANNACHE, 67<br />

OULED MAIS, 109<br />

OULED MENA, 83<br />

OULED MENDIL, 42<br />

OULED NABET, 50<br />

OULED SALAH, 63, 88<br />

OULED SIDI BEL HAZ, 83.<br />

OULED YACOUB, 83<br />

OULED YAHIA, 64<br />

OSMAN BEY, 17, 50<br />

PELISSIER, 48, 86<br />

PSRIGOT, 87-101<br />

PHILIPPE, 54<br />

Philippeville, 32, 33, 36<br />

PRINCE PRESIDENT, 48-49, 53<br />

RAHMANYA, 21, 80, 86-88<br />

RAHMIN, 58<br />

RANDON, 36, 45, 48-49, 57-62, 97, 99


Bas el Bahart, 89<br />

ROBERT, 62<br />

RICHIA, 19, 83, 87-88<br />

SALLES (de), 25, 30<br />

SAINT-ARNAUD, 25, 32, 36, 41, 47-56,<br />

98<br />

SAINT-FOIX, 88<br />

SAINT-MARS (POILLOU de), 69-72,<br />

107<br />

SI BEN ALI CHERIF, 78, 86<br />

SI MOHAMMED BOU DALI, 33<br />

Sidi Dris, 33<br />

Sidi Amhed Zerrouq, 21<br />

Sidi Khelifa, 21<br />

Sidi Mârouf, 17, 73<br />

Sidi Merouan, 37, 38<br />

Sidi Moussa, 21<br />

SI DJOUDI, 57<br />

Si Rehan, 59<br />

SI ZERDOUDE, 32-34<br />

SILLEGUE, 30<br />

127 —<br />

Smendou, 33, 34, 38<br />

SouJSc el Sebt, 64<br />

Souk el Tleta, 32<br />

Souk el Tnin, 59<br />

Stora, 23, 24, 119<br />

Tababor, 59, 88, 109<br />

Taforlas, 73<br />

Taguerboust, 63<br />

Tahar, 61<br />

Takitount, 63-64, 83, 86-87, 101<br />

TALHA, 19, 77, 79, 83<br />

Texenna, 101<br />

Tibaïren, 50<br />

Toumiet, 33<br />

VALEE, 24, 25, 26<br />

ZARZA, 18<br />

Zraïa, 68, 72, 82-83, 87, 101<br />

Ziama, 50, 60, 109<br />

Zouagha, 18, 29, 38, 39, 40, 51, 65-76<br />

ZOUAOUA, 45, 47, 48, 57


CARTE I<br />

CARTE II<br />

CARTE III<br />

CARTE IV<br />

CARTE V<br />

CARTE VI<br />

CARTE VII<br />

CARTE VIII<br />

TABLE DES CARTES<br />

Pénétration de la Kabylie Orientale avant 1850 28<br />

Plan de Djidjelli avant 1856 34<br />

Les premières grandes expéditions de Kabylie Orientale de 1851<br />

à 1856<br />

Les grandes expéditions de Kabylie Orientale de 1858 à 1865 .<br />

64<br />

. 74<br />

La Kabylie Orientale de 1856 jusqu'au début de 1860 84<br />

Etat administratif de la Kabylie Orientale de 1864 à 1870 102<br />

Etat administratif du cercle de Djidjelli de 1851 jusqu'au début<br />

de 1864 : 108<br />

Les Forêts de Kabylie. Le réseau routier en 1870 114


TABLE DES MATIERES<br />

PREFACE 5<br />

INTRODUCTION 9<br />

CHAPITRE I<br />

CHAPITRE II<br />

CHAPITRE III<br />

CHAPITRE IV<br />

PBEMIEBE PABÏIE<br />

LES ORIGINES DE LA CONQUETE<br />

Etat de la Kabylie Orientale lors de nôtre arrivée à Constantine. 13<br />

Premiers contacts avec la Kabylie Orientale 22<br />

Notre action militaire en Kabylie Orientale avant 1850 28<br />

Les nécessités d'une conquête de la Kabylie Orientale 32<br />

DEUXIEME PARTIE<br />

LA CONQUETE DEFINITIVE DE LA KABYLIE ORIENTALE<br />

CHAPITRE I<br />

CHAPITRE II<br />

CHAPITRE III<br />

CHAPITRE IV<br />

CHAPITRE V<br />

CHAPITRE VI<br />

CHAPITRE I<br />

CHAPITRE II<br />

CHAPITRE III<br />

Les caractères généraux des grandes expéditions 45<br />

Les grandes expéditions dans le triangle Djidjelli-Mila-Philip-<br />

ville 47<br />

Les premières grandes expéditions dans le triangle Sétif-Bougie-<br />

Djidjelli 57<br />

La destruction du commandement de Bou Renan ben Azzedin.. 65<br />

Destruction du commandement de Bou Akkas ben Achour .... 75<br />

L'insurrection de 1864-65 84<br />

TROISIEME PARTIE<br />

NOTRE ŒUVRE DE PACIFICATION, D'ORGANISATION<br />

ET DE COLONISATION JUSQU'EN 1870<br />

Les raisons de noire succès définitif 93<br />

Notre oeuvre administrative jusqu'en 1870 102<br />

Notre oeuvre colonisatrice jusqu'en 1870 11<br />

Liste des commandements (caïdats et cheikhats) de Kabylie Orientale au<br />

début de 1865 121<br />

Sources et bibliographie 122


Ancienne Imprimerie<br />

— V.<br />

HEINTZ —<br />

41, Rue Mogador<br />

ALGER<br />

E. ANDRÉo, Direct.


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