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UNIVERSITE DE POITIERS
FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES SOCIALES
Ecole Doctorale
L’émergence du monde ouvrier en milieu rural dans l’ancienne province du
Poitou au XIX e siècle
JURY :
Directeur de la Recherche
Suffragants
Tome I
THESE POUR LE DOCTORAT EN HISTOIRE DU DROIT
Présentée et soutenue publiquement le
21 juin 2008
Par
Nicolas Garnaud
Madame Catherine LECOMTE
Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Doyen honoraire
de la Faculté de Droit
Monsieur Gérard AUBIN
Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV, vice-président de l’Université
Montesquieu Bordeaux IV, rapporteur
Monsieur Norbert OLSZAK
Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Doyen honoraire de la Faculté de
Droit de Strasbourg, rapporteur
Monsieur Yann DELBREL
Professeur à la faculté de Droit et des Sciences Sociales de l’Université de Poitiers

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UNIVERSITE DE POITIERS
FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES SOCIALES
Ecole Doctorale
L’émergence du monde ouvrier en milieu rural dans l’ancienne province du
Poitou au XIX e siècle
JURY :
Directeur de la Recherche
Suffragants
Tome I
THESE POUR LE DOCTORAT EN HISTOIRE DU DROIT
Présentée et soutenue publiquement le
21 juin 2008
Par
Nicolas Garnaud
Madame Catherine LECOMTE
Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Doyen honoraire
de la Faculté de Droit
Monsieur Gérard AUBIN
Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV, vice-président de l’Université
Montesquieu Bordeaux IV, rapporteur
Monsieur Norbert OLSZAK
Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Doyen honoraire de la Faculté de
Droit de Strasbourg, rapporteur
Monsieur Yann DELBREL
Professeur à la faculté de Droit et des Sciences Sociales de l’Université de Poitiers
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La Faculté n’entend donner aucune
approbation ni improbation aux
opinions émises dans les thèses ; ces
opinions doivent être considérées
comme propres à leurs auteurs.

Quelle peut-être la place de l’ouvrier dans le Poitou du XIX eme siècle, région archétype d’une France en
miniature, majoritairement conservatrice et rurale ? Quelle perception peut avoir l’autorité publique d’une
population marginale noyée dans un océan de ruralité à une époque de bouleversements économiques, sociaux et
politiques majeurs ?
Loin des centres industriels du nord et de l’est de la France, le monde ouvrier poitevin demeure très
hétérogène, fruit d’une tradition artisanale ancienne plus qu’enfant de la révolution industrielle. Victime d’a
priori nationaux l’ouvrier est parfois perçu comme un individu turbulent, voire dangereux pour l’ordre public, ou
bien comme un privilégié au regard des masses paysannes, ou, au contraire, comme un simple pauvre sans
spécificités propres.
Le développement du suffrage universel et la prise de conscience sociale des gouvernants permettent à
la population industrielle locale de faire entendre sa voix, à défaut d’être toujours écouté. Politiquement faible,
l’ouvrier possède néanmoins quelques bastions précisément localisés où il peut exercer une influence non
négligeable.
Cependant sa modération politique et sa modeste importance numérique ne sont pas suffisantes pour que
l’ouvrier soit prioritaire dans l’esprit des autorités publiques. D’autres enjeux locaux priment sur la prise en
compte des aspirations d’une catégorie sociale minoritaire. L’application d’une législation sociale, qui émerge
dans la seconde moitié du siècle, se fait sans zèle malgré le besoin réel d’une intervention étatique au sein des
ateliers.
Pour faire face aux difficultés d’une vie quotidienne éprouvante il reste la solidarité et la revendication
active. L’entraide mutuelle, fille de la philanthropie, permet d’entrevoir le futur d’un œil moins sombre. Quant à
la grève elle met du temps avant d’entrer dans les mœurs bien qu’elle apparaisse souvent comme un réel moyen
de progrès social.
Dispersé dans les campagnes l’ouvrier doit redoubler d’effort pour faire reconnaître sa spécificité par
une administration préoccupée par l’ordre publique et les combats politiques et idéologiques de son époque.
Mots clés : Ouvrier – Industrie – Administration – Politique – Poitou – Lois sociales – Mutualisme – Grèves
What can the place of the worker be in the 19 th century Poitou, archetypal region of a miniature France,
predominantly conservative and rural? What way can the public authority perceive a population living on the
margins of society, drowned in an ocean of ruralism in a period of major economic, social and political
upheavals ?
Far from the industrial centres of the North and East of France, the Poitou labour force remains very
heterogeneous, fruit of an ancient craft tradition rather than child of the industrial revolution. Victim of national
a priori, the worker is sometimes seen as unruly and even dangerous for law and order, or as a privileged person
in the eyes of the agricultural masses, or on the contrary, as a mere poor man with no specific characteristics.
The development of the universal suffrage and the social awareness of the rulers, allow the local
industrial population to make itself heard, even if not always carefully listened to. Though politically weak, the
worker masters a few bastions precisely located in areas where he can carry some influence.
However, his political moderation and his small population are not sufficient enough for the worker to
have priority in the mind of public authorities. Other local stakes prevail over the aspirations of a minority social
group. A social legislation, emerging in the second half of the century, is implemented with no zeal, despite the
real need for a state intervention in the workshops.
To face the difficulties of a testing daily life, there is solidarity and active claims. Mutual support, child
of philanthropy, allows the worker to view the future in a less unfavourable light. As for the strike, it takes time
before it has become a normal practice, even if it is often seen as an effective means of social progress.
Scattered in the countrysides, the worker must step up to make his specificity be acknowledged by an
administration mainly preoccupied with law and order, and the political and ideological fights of its time.
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ABREVIATIONS
ABPO : Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest.
ADV : Archives départementales de la Vienne.
ADVd : Archives départementales de Vendée.
ADDS : Archives départementales des Deux-sèvres.
ALA : Archives de Loire-Atlantique.
AM : Archives municipales.
AN : Archives Nationales.
BSAO : Bulletin de la Société des antiquaires de l’Ouest.
BSHSDS : Bulletin de la Société historique et scientifique des Deux-sèvres.
BSHAAAP : Bulletin de la Société historique et archéologique les amis des antiquités
de Parthenay.
BSHAVS : Bulletin de la société historique et archéologique du Val de Sèvre.
BHSS : Bulletin d’histoire de la sécurité sociale.
RBP : Revue du bas Poitou.
Cass. : Cour de cassation.
C.civ. : Code civil.
CHSS : Comité d’histoire de la sécurité sociale.
C. sécur. soc. : Code de la sécurité sociale.
C.trav. : Code du travail.
D. : Dalloz.
DP : Dalloz périodique.
J.O. : Journal officiel.
MS : Mouvement social.
MSSDDS : Mémoire de la Société de statistique du département des Deux-Sèvres.
MSAO : Mémoire de la Société des antiquaires de l’Ouest.
RAA : Recueil des actes administratifs.
RHCO : Revue historique du Centre Ouest.
RFAS : Revue française des affaires sociales.
RHES : Revue d’histoire économique et sociale.
RHDFE : Revue d’histoire du droit français et étranger.
RHMC : Revue d’histoire moderne et contemporaine.
SAO : Société des antiquaires de l’Ouest.
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SOMMAIRE
Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière
[1800-1914]
Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Section 1 : Des professions fruits de la modernité ?
I- Les activités industrielles poitevines post révolutionnaires
II- Les caractères de la « grande industrie » poitevine
Section 2 : Des professions émergeant d’un océan de ruralité
I- Du savoir-faire artisanal à la production industrielle
II- L’ouvrier des campagnes ou la quête désuète d’harmonie avec la terre
Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Section 1 : Un univers sensible aux idées nouvelles
I- L’ouvrier et les scrutins nationaux sous la Deuxième République
II- L’ouvrier et le jeu politique sous la III e République
Section 2 : La police ouvrière
I- Un milieu sous surveillance
II- La répression judiciaire
Seconde partie : Une question sociale prégnante ?
Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Section 1 : A peine égale, salaire inégal
I- Des revenus disparates
II- La précarité de la paie
Section 2 : De longues journées de travail
I- Un temps douloureusement plein
II- Des textes législatifs difficilement recevables
Chapitre 2 : L’épreuve du quotidien
Section 1 : Des conditions de vie et de travail éprouvantes
I- Un environnement insalubre et oppressant
II- De l’assistance à la mutualité
Section 2 : L’éclosion des revendications
I- De la coalition à la grève
II- L’écho des revendications ouvrières
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INTRODUCTION
Introduction
Le XIX e siècle marque un bouleversement considérable des conceptions et des
structures sociales du monde occidental. La société d’ordres, abolie depuis la nuit du 4 août
1789, laisse définitivement la place à une organisation fondée avant tout sur la richesse :
« […] aujourd’hui le législateur fait de l’argent un étalon général, il l’a pris pour base de la
capacité politique », écrit Balzac en 1832 1 . Les progrès techniques et productifs liés à
l’exploitation de nouvelles sources d’énergie accélèrent la métamorphose d’un univers rural et
artisanal vers un monde industriel. La réorganisation des techniques de productions agraires
pousse quantité d’individus vers les villes où ils constituent un nouveau et inépuisable
réservoir de main-d’œuvre bon marché. L’économie et l’industrie s’en trouvent profondément
et durablement bouleversées. Une révolution qui va de pair avec une expansion
démographique augmentant la demande de biens manufacturés et obligeant à produire plus.
Cependant cette révolution industrielle pour les uns, ou cette mutation progressive de
l’appareil productif pour les autres, touche principalement, hormis l’Angleterre, une minorité
de zones ayant le privilège de condenser les éléments nécessaires au « take off ». Ainsi la
majorité du territoire français demeure à l’écart de l’effervescence manufacturière régnant
dans les régions du Nord et de l’Est de la France. Hormis quelques « oasis industrielles » liées
à l’histoire ou aux ressources locales, la ruralité et ses archaïsmes immémoriaux prédominent
dans la majorité des provinces d’un pays encore commotionné par le choc révolutionnaire. Le
Poitou n’y fait pas exception.
Le XIX e siècle, allant de 1814 à 1914, servira de limite temporelle à l’étude du monde
ouvrier « industriel » poitevin 2 .
La Restauration marque le début d’une nouvelle ère dans laquelle les repères anciens
des classes laborieuses vont disparaître progressivement. L’économie de guerre nécessaire
aux entreprises militaires napoléoniennes cesse. Les activités commerciales et industrielles
poitevines ne sont plus entravées ni par les guerres de la Révolution ni par le blocus
continental qui a causé le déclin des ports atlantiques et, plus généralement, de l’Ouest de la
France. Dans ce contexte, l’industrie à nouveau normalisée peut repartir de l’avant et tenter de
1 BALZAC (H.) in Le colonel Chabert cité par BABÉRIS (Pierre), Mythes balzaciens, Paris, 1972, p.269.
2 Précisons que, malgré cette limite temporelle, il nous arrivera d’utiliser certaines sources datant de l’époque
impériale, période propice aux enquêtes statistiques nationales et régionales, à l’image de certains recensements
professionnels et des rapports concernant les départements poitevins, fruits du travail d’illustres préfets de
l’époque.
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Introduction
combler les décennies perdues ; la monarchie de Juillet marquant ensuite le début de
l’industrialisation réelle du pays.
La Grande Guerre marquera le terme du champ temporel de l’étude. Une date
symbolique marquant incontestablement la fin d’un monde et le début d’un nouvel âge. Les
utopies politiques et sociales quittent l’âge de l’innocence. L’Europe tout entière voit ses
bases culturelles et économiques sapées par le traumatisme des tranchées et son hémorragie
démographique. Quant à la Révolution française elle cesse d’être une référence permanente,
positive ou négative.
Les deux premiers tiers du XIX e siècle apparaissent fort peu favorables à l’ouvrier. La
révolution libérale de 1789 consacre l’individualisme en rejetant les structures
communautaires, trop symboliques de l’Ancien Régime. « L’âme de l’industrie est la liberté »
proclame l’Assemblée constituante 3 . Les corporations sont accusées d’exercer une mainmise
absolue sur le travail et les travailleurs. Le décret d’Allarde du 2-17 mars 1791 les abolit.
Dans le même temps la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 interdit toutes réunions et coalitions
d’ouvriers ou de patrons. Dès lors, et pour de longues décennies, l’ouvrier est seul face au
patron, à parité, comme le veut la théorie juridique de l’époque. Le contrat de travail n’est pas
dissocié des autres formes de contrat. Seule la rencontre de deux volontés libres et de deux
consentements non viciés est suffisante. Un bel équilibre mis à mal en pratique puisque
l’ouvrier est rarement sur un pied d’égalité avec l’employeur. L’absence de qualification,
l’augmentation considérable de la main-d’œuvre disponible, deux facteurs allant de pair,
rompent l’harmonie de la théorie juridique contractuelle toute puissante à l’époque.
Une soumission que le Consulat et l’Empire parachèvent. Le Code civil de 1804
consacre la liberté du travail 4 tout en renforçant la puissance patronale. Une présomption
favorable aux maîtres règle le contentieux salarial 5 . En 1803 le livret ouvrier est instauré 6 . Il
apparaît comme une mesure de police qui autorise le contrôle des autorités administratives sur
les travailleurs. En outre on octroie la faculté aux patrons de garder le livret s’ils estiment que
l’ouvrier n’a pas répondu aux obligations auxquelles il était tenu contractuellement. Une
situation qu’amplifie encore le succès de « l’industrialisme » saint-simonien où l’industrie et
ses dirigeants sont appelés à la gestion des intérêts généraux de la société.
3
Cité par DAMOUR (Louis), La conciliation et l’arbitrage en matière de grève, Nîmes, 1924, p.17.
4
Articles 1779, 1780, 1781.
5
Article 1781 du code civil : « le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, pour le paiement
du salaire échu, pour les acomptes donnés pour l’année courante ».
6 er
Arrêté du 9 frimaire an XII / 1 décembre 1803. On reprend un système déjà mis en place à la fin de l’Ancien
Régime où les règlements corporatifs exigeaient un certificat de congé afin d’embaucher un compagnon ou un
apprenti. Une pratique qui s’est propagée à toutes les manufactures à partir de 1749. Trente ans plus tard un
véritable livret est instauré à cet effet.
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Introduction
L’attitude soupçonneuse du pouvoir à l’égard du monde ouvrier perdure jusqu’aux
premières décennies de la III e République. Seules la parenthèse sociale de 1848 et peut-être
les dernières années d’un second Empire en mal de soutien font figurent d’exception. Avant
1864 7 « ce n’est pas le régime de la liberté, c’est le régime de l’isolement 8 » pour le travailleur
industriel. Une défiance alimentée régulièrement par les événements sanglants et tragiques
liés aux revendications sociales. L’opinion est marquée par la révolte des canuts lyonnais en
1831, première émeute du genre suivie des émeutes parisienne et lyonnaises de 1834 ; les
manifestations violentes de juin 1848, provoquées par la fermeture des ateliers nationaux ; le
traumatisme considérable de la Commune de Paris et ses répliques provinciales 9 ; la fusillade
des grévistes de Fourmies en 1891.
Cependant les mentalités évoluent lentement au fil du siècle. Le constat de l’apparition
et du développement d’une pathologie sociale nouvelle appelée « paupérisme » y est pour
beaucoup. Ce paupérisme est un mal que très rapidement les contemporains vont estimer très
nécessaire de soigner. La morale, religieuse et laïque, ou la simple humanité le commandent.
Les intérêts futurs de la nation l’exigent. C’est ainsi que l’Etat va abandonner
progressivement sa posture libérale et non interventionniste. Le domaine social va s’agréger
lentement aux fonctions régaliennes traditionnelles. La loi du 22 mars 1841 réglementant le
travail des enfants marque le début du processus 10 . Celui-ci conduit à l’adoption de lois
toujours plus protectrices des travailleurs, à la création d’un corps efficace d’inspecteurs du
travail en 1892 et à l’élaboration d’un Code du travail.
La fin du XIX e constitue alors une période riche et fondamentale en matière d’histoire
sociale où l’ouvrier occupe une place centrale. Une évolution qui ne manque pas de
bouleverser les mentalités, même dans les contrées rurales comme le Poitou, là où les enjeux
liés à l’industrialisation sont apparemment moins sensibles et surtout très peu connus.
7
Année de la dépénalisation du délit de coalition ouvrière.
8
SCELLE (Georges), Le droit ouvrier, Paris, 1922, p.8.
9
Des Communes se proclament, entre autres, à Lyon, où Bakounine est présent, à Macon, à Toulouse ou à
Limoges.
10
Si on excepte le décret impérial du 3 janvier 1813 interdisant aux enfants mineurs de 10 ans de descendre au
fond des puits de mine. Voir entre autre SUEUR (Philippe), La loi du 22 mars 1841, un débat parlementaire :
l’enfance protégée ou la liberté offensée, Histoire du droit social, mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris,
1989, pp 493-508 ; BARRAU (Patrick), HORDERN (Francis), Histoire du droit du travail par les textes. De la
Révolution à la Première Guerre mondiale (1791-1914), tome 1, université Aix-Marseille II, Cahiers de l'Institut
régional du Travail, n°8, 1999, 232 p. ; GUIN (Yannick), Au cœur du libéralisme : la loi du 22 mars 1841
relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers, in LE CROM (Jean-Pierre)
(dir.), Deux siècles de droit du travail. L’histoire par les lois, Paris, 1998, pp.29-41, LECOMTE
(Catherine), Contrôle de l’administration départementale sur le travail des enfants au XIX e siècle. Réalité ou
fiction en Seine-et-Oise, in CHIANEA (G.), CHAGNY (R.), DEREYMEZ (J.-W.), Le département. Hier,
aujourd’hui, demain. De la province à la région. De la centralisation à la décentralisation, Grenoble, 1994, pp.
551-569.
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Introduction
Définir précisément l’ouvrier au XIX e siècle n’est pas chose aisée. Le Grand Larousse
Universel du XIX e siècle indique qu’il s’agit d’une « personne qui gagne sa vie à travailler de
ses mains 11 ». Phrase ambiguë car elle englobe à la fois les ouvriers industriels, travaillant en
chambre ou en atelier, les artisans, maîtres et employés, mais aussi certains employés ainsi
que les travailleurs des campagnes, qualifiés au XX e siècle « d’ouvriers agricoles ». Une
catégorie professionnelle que l’on écartera du cadre de l’étude 12 , tout en prenant soin de
toujours garder à l’esprit l’existence constante d’un lien consubstantiel entre « l’ouvrier
industriel » et le monde rural. Bien souvent le « métier industriel » apparaît uniquement
comme une activité annexe des travaux des champs.
Le salaire, c'est-à-dire l’ensemble des rémunérations ou des prestations fournies par un
employeur à chacun de ses salariés en rétribution de ses services, dans le cadre d’un contrat de
travail, est une condition nécessaire 13 mais insuffisante pour définir l’ouvrier. En effet le
salariat se développe considérablement au XIX e siècle et la qualité de salarié n’est pas
toujours aisée à déterminer. Certains travailleurs textiles à domicile, appelés « fabricants »,
sont censés œuvrer pour leur propre compte. Toutefois la dépendance très forte les unissant
généralement à leur unique commanditaire les font appartenir sinon en fait du moins en droit
au monde du salariat.
L’ouvrier est donc un salarié qui participe prioritairement à la production de biens
matériels. Ce critère permet donc d’écarter les manœuvres 14 , les employés, les domestiques et
autres professions basées sur une prestation de service. Cependant cet élément supplémentaire
ne permet pas de différencier l’ouvrier de l’artisan salarié d’un maître.
Cette difficulté à différencier monde artisanal et industriel en formation est le
problème majeur auquel se heurte le chercheur. Toutefois trois nouveaux critères peuvent être
utilisés afin de les distinguer. Ce sont la taille de l’établissement, le degré de qualification et
les méthodes de travail.
11 LAROUSSE (Pierre), Grand dictionnaire universel du XIX e siècle, Paris, 1866-1876 (reprint Nîmes, 1990).
12 Il s’agit ici d’étudier une population minoritaire tendant à se singulariser. Les ouvriers agricoles, bien plus
nombreux, sont loin d’opérer une telle mutation.
13 Précisons que le critère du salaire ne semble pas prépondérant pour Emile Levasseur qui, dans la préface de
son ouvrage Histoire des classes ouvrières en France depuis 1789 à nos jours (Paris, 1867, p.II) range sous le
terme « classes ouvrières » « tous ceux qui vivent du travail de l’industrie, patrons, apprentis, ouvriers, en
insistant particulièrement sur ces derniers ». L’auteur rejoint en cela la conception propre à l’Ancien Régime de
l’ouvrier, cf. TULARD (Jean) (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris, 1987, v° ouvrier.
14 Toutefois les vocables « manœuvres » et « ouvriers » sont parfois synonymes.
- 12 -

Introduction
L’artisan, maître ou ouvrier, œuvre à l’intérieur de petits ateliers disposant de faibles
effectifs 15 , alors que l’ouvrier travaille généralement dans de plus grandes unités. Mais cette
distinction n’est pas suffisante car elle laisse de côté les travailleurs des fabriques, systèmes
de production axés autour du travail à domicile, comme c’est le cas dans le secteur textile où
maints tisserands et fileurs agissent seuls chez eux.
Cette distinction fondée sur la taille de l’établissement rejoint celle effectuée au sein même de
l’industrie. Celle-ci regroupe deux réalités : d’un côté le monde industriel fournissant des
biens de production ou des bien intermédiaires (filés, fonte, fer), très minoritaire dans
beaucoup de régions françaises, de l’autre côté l’univers artisanal traditionnel, appelé aussi
« arts et métiers », produisant des biens de consommation courante, destinés le plus souvent
au marché local, et des biens de consommation de luxe, fabriqués dans des ateliers urbains
grâce à un savoir-faire ancien et élaboré 16 . L’industrie regroupe donc « les personnes [patrons
comme ouvriers] qui fabriquent un produit en totalité ou lui font subir une élaboration
quelconque tendant à le modifier, à le transformer, à l’achever, à le parer 17 ». Précisons,
comme l’a fait la Cour de cassation en 1902 à propos d’employés de congrégations
religieuses 18 , que « le caractère industriel du travail est indépendant du but dans lequel il est
organisé ; que ce caractère dépend uniquement de sa nature propre et de son objet ».
Le processus d’élaboration diffère selon le statut du travailleur et son niveau de
qualification. Celui-ci n’est pas le même entre un artisan salarié et un ouvrier. L’ouvrier est
un individu ayant une faible qualification, accomplissant des tâches simples et mécaniques ce
qui en fait une main-d’œuvre interchangeable, fréquemment intégrée dans un système de
production où la division du travail et l’emploi de machines entraîne une meilleure
productivité. Une définition parfaitement valable à notre époque mais qui ne correspond pas
parfaitement à la réalité du XIX e siècle. Là encore la persistance du travail « en chambre »
fausse cette perception contrastée. Une gantière ou un fileur travaillant à domicile peuvent
posséder un métier, avoir une certaine qualification et travailler selon leurs propres rythmes
en étant payés à la pièce. Des paramètres qui les rangeraient dans la catégorie des artisans
comme en témoignent certaines enquêtes de l’époque. Cependant ces artisans travaillent
souvent pour un seul entrepreneur dont ils dépendent totalement. Cette situation conduit à les
assimiler à de véritables salariés, incorporés dans une filière productive sur laquelle ils n’ont
15
Appelés parfois « ouvriers qualifiés ».
16
VERLEY (Patrick), Nouvelle histoire économique de la France contemporaine : 2.L’industrialisation (1830-
1914), Paris, 1989, p.23.
17
Cf. circulaire du 5 mai 1856 émanant du ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics.
18 Cass., 28 mars 1901, DP. 1903, I. 229.
- 13 -

Introduction
aucune prise, comme pourraient en avoir par ailleurs des travailleurs artisanaux plus
qualifiés 19 .
Ainsi, il serait envisageable de définir l’ouvrier comme un individu salarié participant
partiellement à un processus de production de biens matériels par l’accomplissement d’actes
et de tâches simples manuelles ou mécaniques et répétitives sans esprit d’initiative.
Cependant cette conception trop stricte de l’ouvrier éliminerait bien trop de personnes
du cadre de cette enquête. En effet, comme le dit Alain Dewerpe, « il existe une distance
considérable entre le lexique utilisé dans la première moitié du XIX e siècle pour désigner les
phénomènes économiques et sociaux de l’industrialisation et celui que nous employons
aujourd’hui 20 ». C’est pourquoi le terme « ouvrier » sera employé dans son sens large afin de
coller au plus près à la réalité de l’époque. Il sera précisé quand notre propos portera plus
précisément sur l’ouvrier industriel, en « fabrique concentrée » ou en « chambre », ou sur
celui appartenant à la sphère artisanale. C’est l’opinion de Chantal Beauchamp qui définit le
« monde ouvrier » comme un large ensemble englobant « des artisans, des ouvriers et leur
famille, tous ceux qui, à défaut d’un statut économique unique, partagent des valeurs
communes, en grande partie héritées du passé » et qui voit dans « la classe ouvrière » un
groupe « de travailleurs manuels salariés plus homogènes dans ses caractéristiques, tel qu’il
s’est développé dans la seconde partie du XIX e siècle » 21 .
L’ouvrier, quelles que soient ses particularités, est confronté tôt ou tard à
l’administration, « médiatrice » entre le pouvoir, ses agents et les usagers 22 . L’administration
doit remplir deux rôles dans le seul but de satisfaire l’intérêt général sans pour autant ignorer
les intérêts particuliers. D’une part elle doit assurer des missions régaliennes, de protection de
l’ordre public. D’autre part elle doit mener à des prestations destinées à aider, soulager et
contrôler ceux que la société, dans son perpétuel mouvement, écarte ou oublie. Au XIX e
siècle, l’administration est presque exclusivement cantonnée à assurer l’ordre et la bonne
application des lois et des décisions du pouvoir central. Une mission dont le préfet – et les
forces de police – a l’entière responsabilité. Dans les départements cet « empereur aux petits
pieds » accompagne paradoxalement les vies et les mouvements ouvriers du siècle.
19
MOSS (Bernard.-H.), Aux origines du mouvement ouvrier français. Le socialisme des ouvriers de métier
(1830-1914), Paris, 1985, p.32.
20
DEWERPE (Alain), Le monde du travail en France 1800 – 1950, Paris, 1998, p.81.
21 e
BEAUCHAMP (Chantal), Révolution industrielle et croissance économique au XIX siècle, Paris, 1997, p.159.
22 e e
BURDEAU (François), Histoire de l’administration française du XVIII au XX siècle, Paris, 1994, p.13.
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Introduction
Initié depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, le corps préfectoral agit à la fois comme
représentant et comme agent du pouvoir central. Il est « l’intermédiaire obligé entre le
gouvernement et les administrés 23 », la « grande artère du pouvoir exécutif 24 ».
Dès l’Empire il connaît du livret ouvrier. De 1815 à 1870 les autorités publiques s’appuient
sur le corps préfectoral pour surveiller les agissements de ce monde ouvrier mal connu et
donc inquiétant. En milieu rural encore plus qu’en ville il revient aux sous-préfets de signaler
les mouvements de l’opinion publique, les réunions que des ouvriers pourraient organiser. Les
maires 25 deviennent naturellement les relais de ces incessantes et permanentes enquêtes et
surveillances. L’administration, des municipalités aux préfectures, apparaît comme le miroir
où se reflètent les agissements ouvriers. Les nombreux rapports administratifs rédigés sont
une source d’information, peut être vue à travers un prisme déformant mais essentiel.
Les délibérations et les votes des conseils généraux permettent aussi d’appréhender la
manière dont les travailleurs industriels sont perçus par les notables et élites poitevins.
Les mentalités locales ne manquent pas parfois d’influencer sur les préoccupations de
l’administration. Dans la Vienne les notables demeurent très puissants jusqu’en 1914. En
1831 seulement 6,5% de la population figurent sur la liste des électeurs censitaires, divisés
entre légitimistes, orléanistes, bonapartistes et libéraux. Mais l’absence d’opinion commune
explique que les antagonismes prennent le pas sur les initiatives et débouchent
immanquablement sur « une vie administrative languissante 26 ».
23 BARTHELEMY (H.), Traité élémentaire de droit administratif, Paris, 1910, p.128. A ce titre il a pour mission
d’assurer la police générale en plus de nommer certains agents ou d’exercer une tutelle administrative sur les
institutions subalternes, tels les conseils municipaux. A cette vocation très encadrée s’ajoute un rôle représentatif
où le préfet jouit d’une plus grande autonomie au sein de domaines strictement définis par un texte – dans ces
cas de figure précis l’annulation ou la réformation d’un acte préfectoral n’est possible qu’en cas d’illégalité ou
d’inopportunité –. La Restauration, puis le second Empire (cf. le décret-loi du 25 mars 1852) développent cet
aspect de la mission préfectorale. Une latitude toujours plus grande, intéressante quant à l’approche que
l’administration locale peut avoir de la question ouvrière.
24 SERIGNY (Denis), Traité de l’organisation, de la compétence et de la procédure en matière contentieuse
administrative, Paris, édition de 1865, t.3, p.243, n°1356.
25 Longtemps totalement subordonnés au pouvoir central, comme l’illustre l’article 57 de la Constitution de 1852
(cf. BURDEAU (François), op. cit., p.197) ils acquièrent une véritable autonomie quand la III e République est
définitivement conquise par les républicains et quand à partir de 1882 le maire est élu par le conseil municipal 25 .
Il acquiert ainsi une véritable fonction d’administrateur de la collectivité locale en plus de son rôle traditionnel
d’agent de l’Etat. Un nouveau statut l’obligeant à prendre en compte les aspirations des ouvriers au sein des cités
où leur nombre représente un poids politique non négligeable. Voir FOUGERE (Louis), MACHELON (Jean-
Pierre), MONNIER (François), Les communes et le pouvoir : histoire politique des communes françaises de
1789 à nos jours, Paris, 2002, 661 p.
26 TARRADE (Jean) (dir.), La Vienne de la préhistoire à nos jours, Saint-Jean-d’Angely, 1986, p.270.
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Introduction
L’ancienne province du Poitou est divisée pendant la Révolution en trois
départements, Deux-Sèvres, Vendée et Vienne, le 26 février 1790 27 . Elle était avant 1789-
1790 une entité géographique et administrative, à défaut d’en être une réellement historique.
La province, qualifiée parfois « d’espace frontière 28 », se situe aux confins de deux
bassins sédimentaires, bassin parisien et bassin aquitain, et de deux masses géologiques,
massif armoricain et massif central. « Le cœur du Poitou est, avant tout, un seuil, une voie de
passage 29 ». Les batailles qui s’y déroulent au fil des siècles en témoignent 30 . Les langues d’oïl
et d’oc s’y rencontrent tout comme jadis les droits coutumiers et ceux de droit écrit.
Ce seuil est bordé d’une grande diversité de pays : au nord et au nord-ouest, la Touraine et
l’Anjou ; à l’est, la Brenne berrichonne, séparée des plateaux secs et pierreux du Poitou
oriental par les vallées de la Creuse et de l’Anglin ; au sud-est le Limousin et ses reliefs, au
sud, le fertile pays charentais et à l’ouest, une zone littorale ouverte aux influences
océaniques.
Strictement encadré le Poitou n’en est pas moins divers à la fois dans sa définition
administrative que dans sa physionomie naturelle.
Depuis 1670 et la création officielle de deux lieutenances, on distingue le haut du bas Poitou.
Le premier centré autour de la ville de Poitiers, le second autour de celle de Fontenay-le-
Comte. Les cours d’eau du Thouet et de l’Autize marquant la séparation entre les deux
entités.
L’ouest et le sud-ouest sont des pays de bocage, englobant une bonne partie des actuels
départements vendéen et deux-sèvrien. La Gâtine, qui ceint Parthenay, en est la meilleure
expression 31 . Plus à l’est, Poitiers et son plateau calcaire, regroupant à la fois Châtellerault et
Loudun, se définit par une plaine descendant jusqu’à la vallée de la Loire. Quant aux deux
extrémités elles se caractérisent par des terres pauvres : plaine rocailleuse du montmorillonais
à l’est et prolongement du marais breton du côté occidental, la Vendée des genêts et des
27 Voir entre autre OZOUF-MARIGNIER (Marie-Vic), La formation des départements. La représentation du
territoire français à la fin du XVIII e siècle, Paris, 1992, 365 p.
28 MATHIEU (Maurice), Les poitevins et la République (1870-1914) : le passage d’une société traditionnelle à
la modernité, thèse histoire, Paris, 1990, 3 vol., p.III.
29 CROZET (René), Histoire du Poitou, Paris, 1949, p.5
30 Citons la bataille de Vouillé opposant, en 507, francs et Wisigoths, la bataille de Poitiers en 732 où Charles
Martel défit les arabes, la défaite en 1856 de Jean II le bon fait prisonnier des anglais, là encore à Poitiers, ou
bien la bataille de Moncontour entre protestants et catholiques de l’armée royale (1569).
31 MERLE (Louis), La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Age à la
Révolution, Paris, 1958, p.23 et s., voir aussi NEVEU (Hugues), La métairie poitevine, in DUBY (Georges),
Wallon (Armand) (dir.), Histoire de la France rurale : l’âge classique des paysans (1340-1789), Paris, 1975,
pp.130-131.
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Introduction
roseaux. Marécages auxquels il est nécessaire d’ajouter ceux situés à l’ouest de Niort, formant
le marais poitevin.
Comme pour beaucoup de provinces du royaume de France, la délimitation stricte du
Poitou varie au fil du temps 32 . Les généralités et les gouvernements se chevauchent en
formant un ensemble complexe d’enclaves et de territoires entremêlés. A l’époque
moderne l’Aunis, le Limousin ou La Rochelle y sont parfois rattachés comme c’est le cas
jusqu’en 1694 dans le cadre de la Généralité du Poitou 33 . De même en 1714, Confolens et
Rochechouart, situés dans le Limousin, sont également incorporés au Poitou. Au nord, la
généralité de Tours empiète pour sa part sur le territoire poitevin. Loudun et Mirebeau y sont
rattachés par l’intermédiaire de la sénéchaussée de l’Anjou 34 .
Ces fluctuations de frontières importeront peu dans le cadre de l’étude à venir. Celle-ci
ne portera que sur les trois départements issus de l’ancienne généralité. En excluant les
territoires que le découpage de 1790 n’y inclut pas, telles certaines zones de la Saintonge, les
régions de Rochechouart et de Confolens.
Carte 1 : départements composant l’ancienne province du Poitou et ses
préfectures et sous-préfectures :
32
CROZET (René), op. cit., p.80 et s.
33
A cette date un bureau de finance est créé à La Rochelle ce qui retire certains territoires de la généralité du
Poitou.
34
A cela s’ajoutent de nombreux petits territoires situés aux abords des marches charentaises, angevines,
bretonnes ou berrichonnes. Aux divisions administratives et politiques se surajoutent les divisions
ecclésiastiques : le loudunais étant rattaché au diocèse de Poitiers.
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Introduction
La pertinence du cadre spatial de l’étude peut être mise en question. En effet la région
Poitou-Charentes, entité territoriale administrative créée en 1972 et développée en 1982, peut
paraître plus appropriée à la recherche historique, sociale et juridique qui est la nôtre.
Cependant nombre d’éléments plaident en faveur d’une étude portant sur le Poitou
historique et les départements qui en sont issus. Leur longue histoire commune constitue un
premier argument non négligeable. En outre l’ancienne province se caractérise par une
certaine unité géographique et environnementale 35 , bien qu’elle soit une zone de transition
entre quatre grandes régions naturelles. Cette unité est plus frappante que celle qu’elle
pourrait entretenir avec les charentes.
Certes le sud fontenois et niortais n’est que le prolongement de la plaine de la
Saintonge et le ruffecois déborde légèrement sur les Deux-Sèvres comme sur la Vienne.
Néanmoins l’ancien Poitou possède lui aussi ses plaines autour de Niort, de Luçon et de
Fontenay-le-Comte, de Thouars et d’Airvault ou celles allant, dans la Vienne, de Loudun à
Lezay et de Neuville à Thouars. Elles s’ajoutent aux plaines vallonnées et boisées, rarement
artificielles, recouvrant une très grande partie de l’ouest de ce département, du tuffeau et des
sols crayeux du nord aux terres rouges du sud. Des terres céréalières parfois fertiles comme
dans le loudunais ou le mirebalais.
Le bocage bressuirais, mellois et vendéen n’est que l’extension de la Gâtine poitevine
qui s’étend en Vendée comme dans l’ouest de la Vienne, de Lusignan à Couhé jusqu’à Saint-
Maixent, un paysage formant ce que l’on peut nommer « le cœur poitevin » 36 . A ce bocage
ajoutons celui situé entre le civraisien et le montmorillonais, au sud-est du département de la
Vienne, des terres humides difficiles à travailler.
A cela s’ajoutent des paysages de brandes 37 partant des Deux-Sèvres pour couvrir une
grande partie de la Vienne jusqu’aux confins orientaux du département, aux marches du
Berry, et aux alentours de Châtellerault. « Des plaines immenses » à en croire le juge de paix
de Gençay en 1848 où l’humidité et la rareté des voies de communication ne sont pas sans
rappeler certains caractères du bocage.
35
Site de l’Observatoire régional de l’environnement Poitou-Charentes [en ligne], http://www.observatoireenvironnement.org/OBSERVATOIRE/
(page consultée le 27 novembre 2007).
36
Le docteur Louis Merle ne distingue pas Gâtine et bocage qui forment, selon lui, un seul et unique ensemble,
cf. MERLE (Louis), op. cit., pp.24-25.
37 e
Des territoires que l’on a cherché à améliorer, particulièrement dans la seconde moitié du XVIII siècle sous
l’impulsion de grands propriétaires comme le marquis de Pérusse, celui de Vareilles ou d’Argenson. Ceux-ci ont
même fait appel à une main-d’œuvre étrangère, venue entre autre de Westphalie, et aux acadiens expulsés du
Canada par les anglais (CROZET (René), op. cit., p.87). Une seconde phase de défrichement a lieu à partir de
1830 : la Vienne passe de 82000 hectares de friches en 1832 (dont 37000 dans le montmorillonais, à 59 000 en
1892, cf. TOURAINE (Gaston), Le pays montmorillonais, deux siècles d’histoire d’une société rurale, Poitiers,
1989, p.32.
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Introduction
En outre l’ancienne province n’échappe pas aux terres marécageuses : celles pauvres
du littoral vendéen et celles bien plus riches du marais poitevin ouvertes aux influences
sociales et politiques du marais desséché, prolongement de l’Aunis 38 .
Il existe donc un véritable enchevêtrement de paysages entre la Vienne, Les Deux-
Sèvres et la Vendée. Trois départements bien plus « imbriqués » les uns aux autres que ceux
de la région Poitou-Charentes, dans son acception moderne.
Cette relative cohérence environnementale s’accompagne de modes de vie similaires
influant sur la mentalité des habitants. Le bocager, à l’image de ses champs clos, est bien plus
renfermé sur lui-même que l’habitant des plaines. L’organisation vendéenne en bourgs épars
en témoigne. De petites communautés que le traumatisme des guerres de Vendée a rendu
encore un peu plus farouches et hostiles aux concepts républicains. Une mentalité casanière
que l’on retrouve aux alentours de Civray 39 et aux fins fonds des zones couvertes de brandes
et d’ajoncs.
Au contraire le poitevin des plaines se montre plus enclin à s’imprégner d’idées et
d’opinions plus nouvelles comme c’est le cas dans le niortais, le thouarsais et une partie de la
Vienne où la République, voire le socialisme, vont acquérir droit de cité.
En dépit de ces analogies de fortes nuances existent entre les populations catholiques
et monarchistes d’une grande partie de la Vendée et celles plus à gauche des Deux-Sèvres ou
de Châtellerault.
La « petite église » représente une communauté de 20 000 âmes en 1820 implantée
profondément dans le Bressuirais 40 . Ces catholiques dissidents possèdent leurs propres rites
basés sur la pratique religieuse prérévolutionnaire. Renfermés sur eux-mêmes ils s’opposent
toutefois à leurs voisins vendéens réactionnaires et traditionalistes du bocage en ne rejetant
pas l’école publique, qu’ils préfèrent aux institutions religieuses, et en accordant leurs
suffrages aux « forces de gauche ».
De même si le catholicisme est bien implanté dans la Vienne comme en témoigne la
révérence à l’égard de Mgr Pie, évêque ultramontain de Poitiers 41 , le département est peu
38 SIEGFRIED (André), Tableau politique de la France de l’Ouest, reprint, Paris, 1995, p.72.
39 MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République (Fin 1846-courant 1852).
Le rôle des forces économiques et sociales et des mentalités collectives, thèse histoire, Poitiers, 1968, p.6.
40 Les membres de la petite église ont refusé le concordat entre Pie VII et le premier consul Bonaparte modifiant
profondément le diocèse de La Rochelle et provoquant l’exil en Espagne de son évêque, voir BILLAUD
(Auguste), La petite église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), Paris, 1961, 654 p.
41 BESSE (Jean-Martial), Le cardinal Pie, sa vie, son action religieuse et sociale, Paris, 1906, 168 p.
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Introduction
sensible aux sirènes monarchiques contrairement aux départements situés plus à l’ouest 42 .
Généralement conservateur mais peu réactionnaire, l’habitant de la Vienne est plus tenté par
le bonapartisme ou un républicanisme modéré.
En outre la présence protestante significative dans le sud du département des Deux-
Sèvres – arrondissements de Niort et de Melle – explique en partie le penchant de ses
habitants pour les thèses républicaines.
Autant de positions idéologiques où la question ouvrière ne peut être qu’accueillie
différemment. Le Poitou peut être considéré, mutatis mutandis, comme une « France en
miniature ». Une région banale ou moyenne, archétype d’un pays profond, où les populations
ouvrières sont nécessairement originales et marginales eu égard au poids considérable de la
ruralité en ces contrées.
En effet, nonobstant les particularismes locaux, les départements poitevins ont tous en
commun leur ruralité. Caractéristique à laquelle il convient d’ajouter, selon les auteurs
anciens, une certaine apathie de leurs habitants peu enclins à dynamiser les différents aspects
de la vie locale.
Arthur Young brosse un tableau bien peu élogieux du Poitou. La province serait, à en
croire l’agronome anglais, « un pays arriéré, pauvre et laid [manquant] de communications,
de débouchés et de toutes sortes d’activités », ainsi qu’une région bien peu productive en
comparaison de son potentiel 43 . Si la description de l’illustre voyageur est certainement
exagérée 44 , elle a le mérite d’insister lourdement sur la langueur économique poitevine et son
caractère rural et enclavé 45 .
Le département de la Vienne apparaît moins bien pourvu dans son ensemble que
certaines zones des Deux-Sèvres ou de la Vendée avec leurs plaines et leurs marais fertiles.
Les statistiques des préfets l’attestent. En l’an X Cochon de Lapparent écrit, dans sa
Description générale du département de la Vienne, que « le département de la Vienne est,
sans contredit, le plus pauvre et le moins fertile de ceux qui composaient la généralité de
42 SIEGFRIED (André), op. cit., 636 p.
43 YOUNG (Arthur), Voyages en France en 1787, 1788 et 1789, Paris, 1931, t 1, reprint, p.161. Il remarque tout
de même que le Bas Poitou « est beaucoup plus riche et meilleur ».
44 Ibid., note 1. Notons tout de même que le préfet d’Empire Cochon de Lapparent qualifie « d’inerte » la
population du département de la Vienne, AUGUSTIN (Jean-Marie), Description générale du département de la
Vienne par Charles Cochon de Lapparent, préfet, La Crèche, 2000, p.73.
45 Tout comme est également manifestement exagéré le mémoire présenté au roi Charles VII afin de provoquer
sa clémence. Il y est dit que « le païs est stéril et infertil de toutes provisions et marchandises, fors seulement de
blez et de vins et du dit sel », Mémoire présenté au roi Charles VII par les délégués de la ville de Poitiers pour le
détourner d’établir la gabelle en Poitou et en Saintonge, Archives historiques du Poitou, tome 2, Poitiers, 1873,
pp.228-284.
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Introduction
Poitiers 46 ». Quelques années plus tard, un de ses successeurs est encore plus radical quand il
affirme qu’il est « peut être le plus pauvre de tout l’Empire 47 ». Sous le second Empire, le
préfet de la Vienne Louis Jeanin décrit lui aussi des populations qui « vivent au jour le jour et
s’opposent à tout progrès qui pourrait les faire sortir de leur isolement 48 ». Les terres en
friches sont nombreuses dans une grande partie sud du département. La pratique ancestrale de
l’assolement biennal ou triennal est encore fortement développée. Les autorités le déplorent
encore en 1889 49 . On indique aussi que les arrondissements de Poitiers et de Châtellerault
comptent de nombreux sols stériles 50 . Les protestations des grands propriétaires, des autorités
et les nombreuses pétitions ne parviennent pas à faire cesser la vaine pâture. Enfin, l’outillage
agricole demeure longtemps rudimentaire. De telles observations valent également pour une
grande partie des territoires de bocage vendéen et deux-sévrien.
L’absence de voies de communication demeure longtemps un handicap pour la
région 51 . Nombre de rivières ne sont guères navigables à l’image de la Charente et du Clain.
Le transport de marchandises n’est possible que sur la Vienne et la sèvre niortaise 52 .
L’axe nord-sud traversant la Vienne, reliant Paris à Bordeaux par la route puis plus
tard dans le siècle par le train, fait figure d’exception. Ailleurs les populations sont
« éloignées les unes des autres, vivant dans des villages saupoudrés ça et là [...] où les voies
de communication sont trop peu développées pour changer cela 53 ». Cette description du
montmorillonais 54 s’étend à de nombreux autres territoires du Poitou. Ainsi, la Vendée est
souvent représentée comme une sorte de forteresse végétale que l’on contourne sans jamais
pouvoir y pénétrer ; c’est comme pour les Deux-Sèvres, un département où le chemin de fer
46
AUGUSTIN (Jean-Marie), Description générale du département de la Vienne …, op. cit., p.42
47
Lettre du préfet Chéron du 9 brumaire an XIV. Louis Claude Chéron de La Bruyère est préfet de la Vienne du
13 thermidor an XIII à sa mort le 13 octobre 1807. Son fils fut sous-préfet de Civray, cf. PELCRAN (Anne), Les
préfets et l’administration départementale dans les Deux-sèvres et la Vienne au XIX e siècle (1800-1914), thèse
droit, Poitiers, 2003, t.3, p.734.
48
ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851).
49
TARRADE (Jean) (dir.), op. cit., pp.275-284.
50
HUGO (Abel), JOANNE (Adolphe), VERNE (Jules), La Vienne, [S.L], 1991(reprint).
51
Notons que pour certaines activités répondant aux besoins locaux, l’enclavement n’est pas forcément un
handicap. En effet le développement des moyens de transport, particulièrement le chemin de fer, oblige à une
spécialisation régionale des productions tout en provoquant la disparition des établissements les plus faibles qui
ne répondent qu’à une demande circonscrite aux zones alentours.
52
Les deux rivières sont à l’origine du développement de Châtellerault et de Niort.
53
ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851). Le nombre d’habitants au kilomètre est de
20 dans l’arrondissement de Montmorillon, 33 dans celui de Châtellerault et 45 à Poitiers, JEAN (Yves),
TOURAINE (Gaston), op. cit., p.28.
54
Le train arrive à Montmorillon en 1867. En revanche les autres villes de l’arrondissement ne sont reliées au
réseau de chemin de fer que dans les années 1880, JEAN (Yves), TOURAINE (Gaston), op. cit., p.22.
- 21 -

Introduction
tarde à s’implanter 55 . Il en résulte un isolement qui peut paraître paradoxal pour une région
qui est un « gué de transition 56 » entre le nord et le sud du pays.
Quant au caractère rural, il ne s’atténue guère avec le temps. L’enquête économique et
sociale sur le travail agricole et industriel de 1848 le constate dans la quasi-totalité des
cantons des trois départements poitevins et les rapports préfectoraux font de même
régulièrement jusqu’à la Grande Guerre.
En outre l’exode rural, débutant à partir des années 1880 57 , est rarement compensé par
une plus grande urbanisation hormis, peut-être et par intermittence, pour la ville de
Châtellerault.
Toutefois, au XIX e siècle, ruralité et industrie ne sont plus toujours antinomiques.
En 1861 le conseil général de la Vienne bat en brèche l’idée que le département ne
serait pas du tout industriel. L’institution départementale qualifie cette opinion « d’erreur »,
même si les rapporteurs reconnaissent l’absence d’habitude industrielle de sa population 58 .
Surtout, la proto-industrie est loin de disparaître avec l’ère industrielle. Bien au contraire elle
y perdure longtemps, connaissant même un second souffle dans les dernières décennies
précédant 1900. S’y ajoutent nombre d’ateliers installés loin des villes afin de profiter d’une
main-d’œuvre supposée docile et surtout moins onéreuse. On a affaire à une sorte de
délocalisation avant l’heure. Dans le Poitou, comme dans tout l’Ouest, l’industrie est « à
l’état gazeux » d’après l’expression de Bertier de Sauvigny 59 .
En effet si l’ouvrier industriel ou artisanal existe, il est nécessairement marginal en
comparaison de la masse paysanne.
Selon le recensement national de 1866 60 la Vendée est le plus peuplé des trois
départements poitevins. Elle compte 403 440 habitants répartis dans 298 communes, dont sept
d’entre elles ont plus de 2 000 âmes.
55 Si Niort est reliée à Poitiers et à La Rochelle dès les années 1850, le reste du département demeure longtemps
oublié par le chemin de fer. Quant à la Vendée elle figure jusqu’en 1866 parmi les huit départements français qui
en sont dépourvus.
56 AUGUSTIN (Jean-Marie), La Révolution française en Haut Poitou et Pays charentais…, op. cit., p.6.
57 Notons que la département de la Vendée sera touché bien plus tard par cet exode. La grande fécondité
vendéenne profite quelque temps à l’industrie locale, particulièrement dans le Bocage et autour de choletais.
58 AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
59 Expression citée par WILLARD (Claude) (dir.), La France ouvrière, des origines à 1920, Paris, 1993, t.1,
p.52. Cf. BERTIER de SAUVIGNY (Guillaume de), La Restauration, Paris, 1999, 514 p.
60 Voir annexe 1.
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Introduction
Si on s’en tient aux conclusions de l’enquête 61 , l’industrie y compte 95 541 personnes soit
plus de 23,5% de la population totale. Un pourcentage de très loin inférieur à celui de
l’agriculture (64,25%) mais bien supérieur à celui du commerce (3%). La même situation se
rencontre dans les départements des Deux-Sèvres et de la Vienne. Le premier compte 333 500
habitants 62 dont 71 137 appartiennent au secteur industriel soit environ 21% d’entre eux 63 .
En 1866 le recensement évalue à 325 733 habitants la population globale de la région
dont 23% appartiennent au secteur industriel 64 . Ces chiffres doivent être comparés à la
moyenne nationale établie à l’aide des mêmes sources. A cette date la population industrielle
française est évaluée à près de 9,5 millions de personnes sur une population totale de 38
millions, soit environ 25% 65 . L’industrie régionale s’inscrit donc légèrement en deçà de la
moyenne nationale 66 d’un pays essentiellement rural 67 .
Toutefois ces données apparaissent bien peu fiables si on se livre à un examen
approfondi des données brutes des recensements poitevins 68 . C’est pourquoi ces données
issues directement des tableaux de recensement auront notre préférence en 1866 comme en
1891.
Si on calcule la place de l’industrie dans la population locale en utilisant ces chiffres la
proportion du secteur industriel dans la population globale est beaucoup moins importante 69 .
Elle oscille autour de 11% 70 .
61 ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1926].
62 ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866].
63 L’agriculture représente 60% de la population et le commerce 2,6%.
64 Soit un effectif de 75 428 travailleurs et affiliés. Le secteur agricole occupe 61% de la population et le
commerce 3,3%. ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
65 DUVEAU (Georges), op. cit., p.196. L’auteur compte 11 millions de personnes vivant de l’industrie.
Toutefois le calcul des chiffres qu’il fournit donne un résultat plutôt proche des 9 millions.
66 Nous sommes très loin des chiffres du département du Nord, où plus de la moitié des 1450000 habitants vivent
de l’industrie, ou bien encore de ceux du Rhône où 47% de la population appartient au monde industriel, cf.
DUVEAU (Georges), La vie ouvrière en France sous le second Empire, Paris, 1946, p.198 et 201. En 1865, un
tiers des ouvriers français sont localisés dans cinq départements : le Nord, le Rhône, la Seine-Maritime, la Loire
et le Haut-Rhin. Cf. MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), Deux siècles de travail en France, Paris, 1991,
p.38.
67 Dans les premières années du XIX e siècle 73 départements ont ensemble moins d’ouvriers et d’ouvrières que
les 14 autres, DUPAQUIER (Jacques), DUPAQUIER (Michel), Histoire de la démographie, la statistique de la
population des origines à 1914, Paris, 1985, p.261.
68 Outre l’absence de définition précise des secteurs d’activités on constate surtout que la somme des travailleurs
de chaque secteur d’activité ne correspond pas au chiffre de la population totale.
69 Voir annexes 2, 3 et 4.
70 L’explication de cette différence se trouve peut être par l’absence de prise en compte de l’entourage du
patronat et des maîtres ne figurant pas dans les données brutes telles qu’elles sont répertoriées dans les grands
tableaux de recensement présents au sein des archives départementales. Il est nécessaire de signaler la place non
négligeable tenue par les activités propres à l’alimentation et le transport, deux domaines figurant dans la partie
des recensements consacrée à la petite industrie. On peut se demander légitimement ce que font les cafetiers,
restaurateurs, bouchers, haleurs, administrateurs de chemins de fer ou mariniers dans une classification
consacrée aux industries ? Autant de professions qui gonflent artificiellement les statistiques en augmentant le
- 23 -

Introduction
A l’intérieur du secteur industriel tel qu’il est défini à l’époque, la petite industrie est
très largement majoritaire dans le Poitou. Ce domaine comporte le bâtiment, l’éclairage,
l’ameublement, l’habillement, l’alimentation, les transports, les secteurs dits « des sciences »
et « du luxe », c'est-à-dire globalement la sphère artisanale. Celle-ci représente ici près de
77% des personnes vivant directement ou indirectement d’une telle activité 71 . Un poids bien
lourd face à l’industrie proprement dite qui regroupe les secteurs du textile, de l’extraction, de
la fabrication de métaux ou d’objets en métal, et les activités propres au bois, à la céramique
et à la chimie.
Les recensements de 1891 gagnent en précision. Les catégories professionnelles sont
mieux définies 72 . La part du monde industriel et artisanal augmente dans les trois
départements concernés 73 .
La Vendée, qui reste largement le département le plus peuplé 74 , voit plus de 16% de sa
population globale vive de l’industrie 75 , soit une augmentation de cinq points par rapport aux
données brutes de 1866 76 . Un taux d’augmentation identique à celui constaté pendant la même
période dans les Deux-Sèvres 77 .
C’est dans la Vienne que l’augmentation est la plus importante. L’industrie y gagne
plus de six points entre 1866 et 1891 passant de 11% à plus de 18% d’une population globale
de 344 155 âmes 78 . Un « essor » qui s’explique grandement par le développement de la
Manufacture nationale d’armes de Châtellerault, alors en plein apogée. Des milliers d’ouvriers
y travaillent drainant avec eux femmes et enfants dépendants de l’activité du père de famille.
Au total le monde industriel au sens large regroupe environ 16% de la population des
départements poitevins. Un groupe social que les autorités ne peuvent pas ignorer, d’autant
plus qu’il se concentre généralement dans des zones géographiques précises.
pourcentage total de un à deux points dans chaque département. C’est pourquoi il faut estimer que l’industrie
occupe ou fait vivre peu ou prou 9 à 10% de la population de chaque département.
71
Soit 74,28% en Vendée, 77,24% dans les Deux-Sèvres et 79,19% dans la Vienne.
72
Désormais le secteur du transport n’appartient plus au monde l’industrie et une nouvelle catégorie de
travailleurs apparaît : celle des employés.
73
En 1891 les conclusions des recensements sont très lacunaires, voire inexistantes. C’est pourquoi l’étude se
fonde sur les chiffres bruts calculés à partir des grands tableaux récapitulatifs consultés aux archives
départementales.
74
On y dénombre 442 355 habitants, soit une augmentation de près de 40 000 personnes depuis 1866
75
Soit 71 859 personnes : patrons, ouvriers et leurs familles, voir annexe 5.
76
ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1926]
77
Soit une augmentation de près de 20 000 personnes depuis 1866 dan un département qui compte 352 790
habitants. L’industrie y fait vivre 56 300 personnes.
78
Soit une différence de près de 20 000 personnes par rapport à 1866. Voir annexe 7. ADV 8M2.2 à 8M2.21.
Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
- 24 -

Introduction
Toutefois l’industrie reste nettement en marge de l’agriculture qui occupe près des
deux tiers de la population des Deux-Sèvres et 60% de celle de Vendée 79 .
En 1891, la petite industrie demeure majoritaire bien que son hégémonie s’achève 80 .
En 1866, le secteur « des arts et métiers » occupait environ les trois-quarts de la population
industrielle de la région. Vingt-cinq ans plus tard la réalité n’est plus la même. Le secteur perd
16 points en Vendée (57,8%), 26,5 points dans les Deux-Sèvres (50,7%) et 32,4 dans la
Vienne (46,8%), département où il ne domine plus.
Afin de tenter de cerner la place qu’occupe le monde artisanal et industriel dans cette
région il est nécessaire de s’intéresser à la population réellement active 81 .
En 1866 la population active industrielle, au sens large, des trois départements
poitevins représente environ 8% de la population totale 82 , soit une proportion moindre que
celle constatée alors à l’échelle nationale 83 . Les données confirment la prédominance du
monde « des arts et métiers ». En effet 79% des actifs sont occupés à des activités liées aux
secteurs de la petite industrie 84 .
Le recensement de 1891 fait apparaître une baisse de la population active industrielle
et artisanale dans les trois départements. En effet elle n’y représenterait plus en moyenne que
6,5% de la population totale 85 , soit un point et demi de moins par rapport à l’année 1866.
Cependant les modifications apportées aux recensements entre 1866 et 1891, que ce soit la
mise à l’écart de nombres d’épouses ou la classification autonome du secteur du transport,
79 Selon les statistiques fournies par le recensement de 1886, celui de 1891 étant lacunaire en la matière. Une
domination qui perdure malgré les crises comme celle du phylloxera.
80 Cependant l’énorme accroissement des chiffres propres aux familles des acteurs industriels et artisanaux,
relevé dans le recensement de 1896, relativise ces constatations. On peut difficilement croire qu’en 25 ans cette
catégorie ait été multipliée par 4,6 en Vendée, 3,6 dans la Vienne et 2,8 dans les Deux-Sèvres. La relative unité
de cette augmentation dans les trois départements laisse à penser que les recensements ont gagné en précision par
l’adoption de critères mieux définis et mieux suivis. Désormais la femme exerçant la profession de son mari se
retrouve classée dans la catégorie « famille ». On considère qu’elle n’exerce plus une profession à part entière.
Cette nouvelle façon de faire explique en partie cette croissance tout comme la meilleure appréhension de la
réalité ouvrière et artisanale par les personnes chargées de mener ces enquêtes statistiques, que ce soit aux
échelons communaux ou aux niveaux des arrondissements ou des départements. On ne constate plus les lacunes
dont pouvaient souffrir quelques-uns des recensements précédents. Ces derniers souffraient d’omissions et
d’erreurs, parfois flagrantes, qui ne semblaient pas choquer outre mesure les fonctionnaires chargés du travail
récapitulatif.
81 La population active ne comprend pas tous les individus profitant directement ou indirectement des fruits du
travail d’un seul comme la famille proche ou bien encore les employés et les domestiques.
82 85 591 personnes sur une population globale de 1 062 513.
83 DUVEAU (Georges), op. cit., p.196. L’auteur compte 4 700 000 travailleurs pour une population totale de 38
millions de personnes, soit environ 12% de la population française de l’époque.
84 Cf. annexe 8.
85 6,74% dans la Vienne, 6,60% en Vendée et 6,24% dans les Deux-Sèvres.
- 25 -

Introduction
sans parler d’une meilleure exécution des enquêtes elles-mêmes, incitent plutôt à croire à une
baisse plus légère voire à une stagnation numérique de la population industrielle et artisanale
en Poitou entre 1866 et 1891 86 . La dépression qui sévit pendant les vingt dernières années du
XIX e l’explique en grande partie. Certains secteurs d’activités industrielles se heurtent à des
difficultés économiques conjoncturelles. D’autres déclinent structurellement dans la dernière
décennie du XIX e siècle. C’est le cas par exemple du textile choletais qui se reconvertit en
partie dans la chaussure bon marché, ou bien de la chamoiserie niortaise pour qui l’avenir
paraît bien sombre en cette fin de siècle.
La petite industrie, celle des arts et des métiers, demeure majoritaire dans la
population active industrielle. Néanmoins son importance est en très net recul puisque
l’artisanat occupe selon les départements entre 50 et 60% des actifs du secteur 87 , soit
beaucoup moins qu’en 1866 où ce type d’activité en employait plus des trois-quarts.
En 1866 le patronat des départements des Deux-sèvres et de la Vienne est
numériquement proche du monde ouvrier. La concentration ouvrière y est faible. Les petites
structures artisanales y prédominent. Il est fréquent qu’un patron exerce son activité seul ou
bien aidé d’un voire deux employés 88 . Les enquêtes des années 1840 et 1860 le confirment à
l’échelon national. Elles montrent « qu’une grande partie du tissu industriel français est
composé de micro entreprises, d’établissements proches de l’artisanat ou de l’atelier 89 »
employant moins de dix personnes.
La Vendée est l’exception à cause du déséquilibre patent qui existe entre le patronat et
le monde ouvrier, tel qu’on le définit aujourd’hui. En effet, l’effectif patronal y représente
plus du double de l’effectif ouvrier. Cette différence est due à l’existence d’activités rurales
s’exerçant à domicile dans les secteurs du textile et de l’habillement dans la partie vendéenne
du rayon choletais. Néanmoins on peut considérer qu’une majorité de ces personnes ne
travaille pas réellement à son compte puisqu’elle est intégrée dans une chaîne proto-
industrielle de production où la frontière est floue entre l’entrepreneur indépendant et
l’ouvrier soumis aux exigences des fabricants et des négociants. Une enquête plus
approfondie des différents secteurs d’activités le montrera 90 .
86
Une stagnation que l’on retrouve au niveau national, cf. NOIRIEL (Gérard), Les ouvriers dans la société
française (XIX e –XX e siècles), Paris, 1986, pp.12.
87
59% en Vendée, 56% dans la Vienne et 52% dans les Deux-Sèvres, voir annexe 11.
88
Cf. annexes 9 et 10.
89 e e
VERLEY (Patrick), Entreprises et entrepreneurs du XVIII siècle au début du XX siècle, op. cit., p.61
90
Voir infra p.108 et s. pour l’étude consacrée aux activités textiles de la Sèvre nantaise et du modèle proto-
industriel qui y domine.
- 26 -

Introduction
Entre 1866 et 1891 le nombre de chefs d’établissements poitevins diminue 91 , comme
ailleurs en France 92 . Dans les départements des Deux-Sèvres et de la Vienne la baisse s’inscrit
dans la moyenne nationale avec un patronat perdant près de 10% de ses membres.
En Vendée ce déclin est plus accentué. Là le patronat – industriel et surtout artisanal –
perd près de 55% de ses effectifs. Ici la baisse réelle de l’activité textile à domicile se
combine avec une meilleure définition des critères de recensement permettant d’obtenir une
vision plus précise et plus réaliste de la situation du patronat en comparaison des chiffres
fantaisistes de 1866. Nombre de tisserands sont maintenant considérés comme de simples
ouvriers et non plus comme des personnes exerçant un travail pour elles-mêmes, d’autant plus
que le travail en atelier a tendance à se développer dans ce secteur.
Cette tendance au fléchissement du nombre de « chefs d’entreprise » n’est pas toujours
un indicateur d’une plus grande concentration des ouvriers dans les ateliers et les fabriques.
Bien au contraire, on compte toujours dans le Poitou environ un ouvrier pour un patron, avec
un rapport encore plus faible dans les Deux-Sèvres où il y a moins d’ouvriers que de patrons.
Cela traduit la domination encore très forte du secteur « des arts et métiers » sur l’industrie
moderne des grands ateliers. Le travail manuel domine dans de petits ateliers où travaille un
maître parfois aidé d’un ouvrier.
La grande industrie ne s’écarte pas non plus de ce schéma. Les fabriques d’importance
moyenne semblent noyées dans la multitude des ateliers familiaux tels qu’on les trouve dans
les secteurs prédominants du textile – en particulier dans le rayon choletais –, de la fabrication
d’objets en métal ou du bois. Le travail en grands ateliers organisés reste encore l’exception.
Quant aux villes, rares sont celles qui brillent par le dynamisme de leurs activités
économiques. Leur faible taille l’explique en partie 93 . Avant 1900 seules Poitiers et Niort
dépassent les 20 000 habitants 94 . En Vendée Fontenay demeure longtemps la ville la plus
importante. La cité nouvelle de La Roche-sur-Yon, où Bonaparte transfère la préfecture en
1804 95 , n’est longtemps que simple bourg administratif où il n’y a de réel développement que
91 Cf. annexes 12 et 13.
92 WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.237.
93 Les chiffres suivant sont tirés du site Cassini dédié aux communes de France, [en ligne] http://Cassini.ehess.fr
(page consultée en novembre 2007), cf. annexe 14.
94 Poitiers passe de 21465 habitants en 1806 à 41 242 en 1911 en passant par 29 227 en1851. Quant à Niort on y
dénombre 15 066 habitants en 1806, 18 727 en 1851 et 23 775 en 1911.
95 Le chef-lieu du département était depuis 1790 Fontenay-le-Comte.
- 27 -

Introduction
dans le dernier tiers du XIX e siècle. En 1806 elle n’abrite que 857 âmes, 7 498 en 1851 et plus
de 14 000 en 1911.
En outre la plupart des villes, bien souvent chefs-lieux d’arrondissement, semblent
installées dans une profonde torpeur. Leur population évolue peu, voire diminue, au fil du
XIX e siècle à l’image de Melle, Bressuire, Civray, Montmorillon ou Loudun. Fontenay-le-
Comte a depuis longtemps perdu l’aura qui était la sienne au XVI eme siècle et si sa population
augmente c’est dans la même proportion que celle de l’ensemble du département où la natalité
est forte à la Belle Epoque. En Vendée, il n’y a de véritable essor qu’aux Sables-d’Olonne, lié
au développement de la pêche à partir des années 1860 96 .
Poitiers semble n’avoir guère évolué depuis les temps modernes. Au XV eme siècle, des
ambassadeurs vénitiens font part de leur surprise quand ils constatent que la capitale poitevine
est dépourvue d’activités marchandes 97 . Un constat qui semble valable en grande partie au
XIX e siècle, période où seul un petit artisanat se développe afin de répondre à la demande des
élites bourgeoises de la cité parmi lesquelles de nombreux magistrats, avocats et professeurs
de l’université.
Seules les villes de Niort et de Châtellerault ont une activité industrielle plus
dynamique. La première des deux cités, chef-lieu des Deux-Sèvres, est réputée pour son
travail du cuir et, dans une moindre mesure pour son commerce. Toutefois ce dynamisme ne
perdure guère au XIX e siècle où la chamoiserie et la ganterie traditionnelle sont mises à mal
par le coton et les nouveaux modes de production. L’évolution démographique de la ville
témoigne de ces difficultés chroniques 98 . En revanche le nombre d’habitants de Châtellerault
augmente régulièrement au rythme lent et régulier du développement de la manufacture
d’armes 99 .
Cette langueur poitevine, qui ne peut pas être remise en cause tant les témoignages
abondent, n’est pas causée uniquement par l’esprit rural ou conservateur de la population.
Certains traumatismes historiques y ont participé.
96
Les Sables-d’Olonne passent de 5 723 habitants à 14 005 en 1911. En 1851 ils ne sont que 5 983 soit 200 de
plus que cinquante ans plus tôt.
97 eme
Voir l’article de LECOMTE (Catherine), Le gouvernement de la France du XVI siècle vu par les
ambassadeurs vénitiens, dans Nonagesimo anno, mélanges en hommage à Jean Gaudement, Paris,
1999, pp.641-666.
98 e
La population de la ville de Niort évolue peu jusqu’à la moitié du XIX siècle, puis elle augmente jusqu’en
1900 avant de stagner à nouveau.
99
La population de Châtellerault passe de 8 970 habitants en 1806, à 12 433 en 1851 et à 18 260 en 1911.
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Introduction
Les dragonnades et la révocation de l’édit de Nantes, le 18 octobre 1685, en sont un 100 .
Les « missions bottées » de Foucault et de ses dragons 101 poussent les plus aisés des
protestants à l’exil vers l’Angleterre, le Danemark ou la Hollande. Les huguenots préfèrent
perdre une partie de leurs biens à l’apostasie. Or nombre d’exilés représentaient jusqu’alors
une grande partie des forces vives du pays et de son savoir-faire. Loudun ne s’en relèvera pas.
La ville de Châtellerault perd ses spécialistes huguenots de l’horlogerie et de l’orfèvrerie,
partis pour la Suisse ou l’Allemagne. Les campagnes perdent de nombreux marchands
fabricants qui prenaient jusqu’alors une grande part dans l’industrie textile. Néanmoins le
protestantisme perdure dans la région, particulièrement dans le « Moyen Poitou », c'est-à-dire
dans une partie du bocage vendéen autour de Chantonnay et surtout dans le sud du futur
département des Deux-Sèvres dans les régions de Niort et de Melle. Avec le retour de la
tolérance religieuse à la fin du XVIII e siècle, vingt-huit églises protestantes se reconstituent
dans le Poitou 102 . En outre certains de ces huguenots forment une nouvelle classe dirigeante,
celle des cultivateurs aisés et des meuniers, futurs acquéreurs des biens nationaux et possibles
investisseurs industriels au siècle suivant.
Les Guerres de Vendée, autre épisode sanglant, modifient profondément les mentalités
d’une fraction de la population poitevine. La Vendée devient « inexplicable », pour reprendre
l’expression du conventionnel Barère 103 en 1793, car elle parvient à se forger en peu de temps
une identité parfois plus forte que d’autres régions françaises 104 . Outre le sentiment profond
d’être un « chouan 105 », impliquant une méfiance aiguë des idées républicaines et un repli sur
soi-même autour du bourg, le Bas Poitou va porter longtemps les séquelles d’une saignée
démographique importante. Un handicap incontestable à l’aube des nouveaux défis que le
XIX e siècle imposera. Les Mauges et ses marges perdent un quart de leurs habitants. Cholet
est ravagé. En Vendée et dans le Bressuirais les pertes humaines sont variables : 60% des
100
Sur la question protestante dans le Poitou sous l’Ancien Régime voir MARCADĒ (Jacques), Protestants
poitevins de la révocation à la Révolution, La Crèche, 1998, 239 p., BENOIST (André), Vie paysanne et
protestantisme en « Moyen Poitou » du XVI eme siècle à la Révolution, ABPO, Rennes, 1985, vol.92, n°2,
pp.161-182 et les chapitres XXIV et XXVII in BROCHET (Louis), La Vendée à travers les âges, Luçon, 1902,
477 p.
101
Les dragonnades débutent dès 1681.
102
CROZET (René), op. cit., p.85.
103
Bertrand Barère de Vieuzac, conventionnel français et membre du Comité de salut public. Il participe
activement à la Terreur avant d’abandonner Robespierre le 9 thermidor.
104
MARTIN (Jean-Clément), La Vendée et la France, Paris, 1987, p.7.
105
Le terme « chouan » correspond au nom donné à partir de 1830 aux jeunes gens des campagnes vendéennes
refusant la conscription et fuyant dans le bocage.
- 29 -

Introduction
habitants d’Argenton-Château ont péri ou ont fui à cette époque. Au total près d’un quart de la
population de la région a disparu 106 .
Le caractère régional de l’étude impose comme sources principales les dépôts
d’archives départementaux des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne.
Les séries M consacrées à l’administration, à son personnel et à ses missions 107
représentent le fonds dans lequel a été puisé la plus grande partie des informations nécessaires
à la recherche. Celle-ci s’est avérée plus ou moins facilitée par le type et les méthodes de
classement des séries selon les dépôts. Dans les Deux-Sèvres et – surtout – en Vendée les
classifications sont méthodiques et les inventaires précis avec généralement un tri effectué par
thème et non par année. Il en est différemment dans la Vienne où l’étude approfondie de la
série M4 regroupant la correspondance préfectorale – lettres et minutes – est nécessaire afin
de compléter les séries consacrées spécifiquement à l’industrie 108 et aux missions « sociales »
de l’administration. Un état de fait obligeant à consulter une grande masse de documents.
Outre ces difficultés liées aux modalités de classement, d’autres impondérables au travail
d’archives ont rendu le travail de recherche plus ardu. Ainsi il n’a pas été possible de
consulter les liasses vendéennes propres à la deuxième République et au second Empire 109 .
Ces documents sont restés très longtemps indisponibles. De même la nécessité, plus ou moins
impérieuse selon les sources d’archives, d’obtenir des dérogations afin de pouvoir consulter
des documents où figurent des informations personnelles, comme c’est le cas dans le cadre
des accidents du travail, ont rendu la tâche un peu plus difficile encore.
La série M précédemment évoquée contient également les enquêtes statistiques,
sociales et économiques de l’époque 110 et les recensements de la population française au XIX e
siècle. L’exploitation de ces derniers documents est délicate : connaître précisément le
106
MARTIN (Jean-Clément), La Vendée et la France, op. cit., p.310 à 312. L’auteur s’est basé sur la
comparaison entre les recensements de 1790 et de 1801 afin d’établir un déficit de 200 000 à 250 000 personnes
par rapport à l’accroissement naturel. Selon Georges Bobin, 179 métairies, 30 borderies et 600 maisons sont
détruites à Châtillon-sur-Sèvres dont la population passe de 6650 habitants à 3750. Quant à Bressuire, elle est
détruite, cf. BOBIN (Georges), Naissance de la République aux portes de la Vendée, Maulévrier, 1990, p.422.
D’autres estimations existent mais il n’est pas question de s’appesantir sur cette question ô combien polémique
dans ce présent travail.
107
Tout particulièrement celles du maintien de l’ordre et de l’application des lois.
108
Séries ADV M10 et M12.
109
Séries ADVD 4M385 à 400.
110
Comme par exemple les rapports préfectoraux trimestriels ou bien l’enquête de 1848 sur le travail effectuée
par le juge de paix dans chaque canton, assisté d’une commission composée en nombre égal d’ouvriers et de
patrons cf. CHARON-BORDAS (Jeannine), Ouvriers et paysans au milieu du XIX e siècle, l’enquête de 1848 sur
le travail, Paris, 1994, 513 p. et RIGAUDAS-WEISS (Hilde), Les enquêtes ouvrières en France entre 1830 et
1848, thèse lettres, Paris, 1936, p.184 et s.
- 30 -

Introduction
nombre d’actifs compris dans chaque secteur d’activité à un moment donné est peu évident ;
comparer ces données sur une longue période relève du défi.
Ces dénombrements ne s’intéressent aux secteurs industriel et artisanal qu’à partir du
milieu du XIX e siècle 111 . Auparavant aucun chiffre global ne peut être utilisé au niveau
départemental. Les rapports des préfets en la matière restent très lacunaires puisqu’ils ne
portent que sur les établissements industriels et secteurs d’activités importants. On passe sous
silence l’existence d’une population laborieuse « ordinaire » qui reste majoritaire dans les
départements à prédominance rurale comme ceux composant l’ancienne province du Poitou.
Les recensements quinquennaux effectués à partir du milieu du siècle souffrent de leur
hétérogénéité 112 , de la qualité du travail effectué et de la variabilité des définitions des
activités concernées. « Les recensements du XIX e siècle, en particulier ceux de la III e
République, comportent beaucoup d’erreurs d’enregistrements (portant principalement sur les
âges et les professions), de compilation ou d’impression 113 ». Le Poitou n’y échappe pas.
Ce problème de délimitation est l’écueil majeur au travail rigoureux du chercheur. «
D’une enquête à l’autre, la manière d’appréhender la réalité sociale varie 114 ». En 1856 une
circulaire demande « de classer dans chaque profession non seulement le chef de famille,
mais encore toutes les personnes que sa profession fait vivre directement ou
indirectement 115 ». Ce mode de recensement gonfle anormalement les statistiques puisque sont
considérés comme ouvriers ou artisans les individus exerçant réellement une profession mais
aussi leur famille et même leurs domestiques ou autres personnes qu’ils peuvent employer.
D’où la difficulté d’utiliser ces chiffres pour les comparer avec ceux des enquêtes suivantes
où la distinction entre actifs et inactifs est appliquée 116 , avec plus ou moins de rigueur selon
les communes et les arrondissements 117 .
111
Si on excepte les enquêtes effectuées sous l’Empire, celles des années 1840 où l’on ne recense que les
personnes travaillant en ateliers, et l’Enquête sur le travail de 1848. Pour plus de détails voir RIGAUDAS-
WEISS (Hilde), op. cit. et GILLE (Bertrand), Les sources statistiques de l’histoire de France. Des enquêtes du
XVII e siècle à 1870, Genève, 1980, 290 p.
112
En 1851, la nomenclature utilisée pour recenser les activités industrielles et artisanales comporte douze
domaines divisés en grandes et petites industries, alors qu’en 1866 on compte plus de 130 secteurs d’activités
différents classés en 17 grands domaines. Le recenseur doit alors remplir plus de 4000 cases sans toujours
connaître ou appliquer de définitions strictes des professions concernées et des personnes exerçant ces métiers.
Par la suite on revient à des enquêtes plus raisonnables, avec 16 secteurs sans subdivision dans les enquêtes de
1886 et 1891 par exemple. En 1881 le recensement est encore plus sommaire puisqu’il ne compte que sept
groupes d’activités où l’on ne différencie pas les ouvriers des journaliers.
113 e
BARJOT (Dominique), Histoire économique de la France au XIX siècle, Paris, 1995, p.43.
114
NOIRIEL (Gérard), Les ouvriers…, Paris, 1986, p.19.
115
ADV 8M2.11. Recensement de la population de 1861.
116
Particulièrement à partir de 1866.
117
Le recensement de l’arrondissement de Parthenay en 1866 laisse entendre que les familles ouvrières sont
exclusivement composées de personnes de sexe féminin !
- 31 -

Introduction
La précision des chiffres dépend du zèle et de la compétence des autorités locales chargées du
travail qui semblent appliquer parfois leur propre typologie. Parmi les nombreux ouvriers
ayant des occupations agricoles, d’aucuns peuvent se retrouver classés dans le secteur
industriel alors qu’il ne s’agit que d’une activité d’appoint ou saisonnière. Les épouses
demeurent trop souvent liées à la profession de leurs maris. Les couturières à domicile sont
parfois répertoriées parmi le patronat, d’autres fois parmi les ouvriers. La notion de patronat
et surtout celle d’ouvrier reste longtemps assez floue bien qu’elle ait tendance à s’affiner avec
le temps comme le décrit Georges Duveau : « au fur et à mesure que l’industrie accroît son
importance, la qualification d’ouvrier est moins libéralement attribuée, la notion même
d’ouvrier devenant plus précise, devenant moins flottante, étant baignée d’images plus
nettes 118 ».
Les professions souffrent elles aussi d’un manque de définition précise 119 . D’où des
fluctuations artificielles entre chaque période quand on veut connaître les effectifs par grands
domaines d’activités. Ces facteurs expliquent les chiffres disparates pour un même cadre
géographique variant selon les manières d’appréhender les sources statistiques. Pour assurer
une étude plus rigoureuse, certains auteurs préconisent de reconstituer la population active 120
en s’appuyant sur une méthode simple utilisant les concepts actuels en la matière. Cette
entreprise constitue à elle seule un travail à part entière, ce qui n’est pas le sujet essentiel de
cette étude. C’est pourquoi les résultats des recensements seront utilisés tels quels en gardant
constamment à l’esprit les nombreuses imperfections qui les accablent.
Il s’agit donc d’utiliser ces statistiques comme de simples indices destinés à former
une image, certes floue, mais globale du monde artisanal et industriel des trois départements
poitevins.
Parmi ces enquêtes quinquennales, celles de 1866 121 , de 1886 et de 1891 semblent les moins
sujettes à caution d’autant plus que leurs nomenclatures générales sont identiques, ce qui
facilite les comparaisons.
A côté de la série M propre à l’administration, il a fallu consulter les séries regroupant
divers jugements de Cour d’assises ou de tribunaux de grande instance. Là encore l’apport de
ces consultations était grandement dépendant des inventaires de la série U. Il n’était pas
118 DUVEAU (Georges), La vie ouvrière en France sous le second Empire, Paris, 1946, p.197.
119 Gérard Noiriel illustre ce problème par l’exemple frappant de la pêche, placée tour à tour dans les industries
alimentaires, dans les transports, dans le secteur agricole ou bien encore dans un secteur qui lui est propre,
NOIRIEL (Gérard), Les ouvriers..., op. cit., p.19.
120 MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), Deux siècles de travail en France, Paris, 1991, pp.11 et s.
121 Ce recensement est considéré comme le meilleur du XIX e siècle.
- 32 -

Introduction
question de consulter l’ensemble des jugements en espérant rencontrer un ouvrier au hasard
des recherches.
Les séries 3X et 4X, regroupant les documents concernant les questions de
d’assistance et de prévoyance sociale ont fait l’objet d’un dépouillement approfondi,
particulièrement au travers l’étude des ateliers de charité – et de leur innombrables listes de
chantiers et de bénéficiaires – et de celle des statuts, autorisations administratives et autres
statistiques relatives aux sociétés de secours mutuels.
Afin d’appréhender un peu mieux le niveau de vie des ouvriers châtelleraudais nombre
d’actes notariés – particulièrement des contrats de mariage – ont été consultés.
municipales.
Enfin la série S propre aux mines et aux carrières a été compulsée.
Aux archives départementales, source principale, s’ajoutent les archives nationales et
Les premières ont été très utiles pour appréhender l’application de la législation
protectrice des femmes et des enfants au travail 122 , tout particulièrement à propos du texte du
19 mai 1874. Les rapports des inspecteurs divisionnaires s’avérant en l’occurrence très
instructifs et complets. Même constat à propos des liasses consacrées aux émeutes et
rébellions 123 dans la série BB et à certaines séries de statistiques industrielles.
L’utilisation des archives municipales porte avant tout sur les villes de Poitiers et de
Châtellerault, les deux principales cités du département de la Vienne, à la fois voisines et
différentes. L’une bourgeoise, ancrée dans son histoire, l’autre laborieuse et ouvrière, ouverte
aux enjeux politiques et sociaux de l’époque. Deux exemples aux caractères opposés qu’il est
intéressant de comparer au travers des registres de délibération des conseils municipaux. De
bons outils pour constater au plus près comment la condition ouvrière est appréhendée par le
pouvoir municipal.
La consultation de sources imprimées a également été nécessaire. La presse locale
fournit beaucoup d’informations, en particulier dans les domaines des grèves ou des élections.
Des renseignements qu’il est nécessaire d’analyser avec un regard critique, en croisant les
informations, tant la presse est partiale à l’époque.
Ajoutons aux journaux les recueils des actes administratifs départementaux ou ceux
propres aux délibérations des conseils généraux, utilisés généralement en complément
122 Séries AN F12 et F22.
123 Particulièrement pour l’affaire dite de « la Marianne ».
- 33 -

Introduction
d’autres sources. Enfin, en plus des encyclopédies et des dictionnaires anciens, il y a les écrits
des contemporains de l’époque 124 , nationaux ou locaux : ceux des géographes et historiens à
l’image d’Elisée Reclus, de Michelet ou du poitevin Boissonnade ; les témoignages et études
des médecins, hygiénistes, philanthropes, économistes et premiers « sociologues » 125 tels le
préfet Dupin 126 , le docteur Villermé, Buret, Gérando, Leroy-Beaulieu ou Levasseur ; les
ouvrages et thèses juridiques qui apparaissent au fur et à mesure de la mise en place des
nouvelles lois sociales bouleversant profondément la société et son droit ; enfin les récits,
biographiques ou romanesques, des acteurs de l’époque ou de ses observateurs comme le sont
Arthur Young, Agricol Perdiguier, George Sand ou Zola.
A ces sources manuscrites ou imprimées s’ajoute une importante bibliographie.
L’essor industriel et les bouleversements sociaux et politiques qu’il induit au XIX e siècle ont
suscité une abondante littérature. Certains aspects ont fait l’objet de nombreux travaux,
ouvrages ou articles. C’est le cas des études portant sur l’ouvrier parisien ou sur les régions
hautement industrialisées du Nord et de l’Est de la France ou, dans une moindre mesure, des
travaux consacrés au régime juridique des travailleurs et à l’apparition et au développement
des concepts de droit social. Sans oublier les très nombreuses pages portant sur l’essor du
mouvement ouvrier. Autant de domaines où il faut prendre soin de se démarquer des partis
pris idéologiques très prégnants en la matière.
En revanche certains thèmes ont fait l’objet de recherches moins nombreuses.
L’ouvrier industriel vivant dans les régions rurales françaises n’a guère attiré l’attention du
chercheur. Numériquement minoritaire et peu véhément il est un des oubliés de l’histoire,
même si des travaux plus ou moins récents 127 tendent à amoindrir cette injustice faite à un
groupe social laissé pour compte.
La présente recherche s’inscrit dans cette volonté de découvrir un monde méconnu et de
pouvoir le situer par rapport à celui des sites très industrialisés. Il s’inscrit également dans une
124
Outre les bibliothèques le site internet Gallica a été très utile afin d’avoir accès à certains ouvrage anciens et
peu disponibles : http://gallica.bnf.fr/.
125
Sur la statistique départementale sous le Consulat et l’Empire voir PERROT (Jean-Claude), L’âge de la
statistique régionale française (an IV-1804), Paris, 1977, 235 p. et BOURGUET (Marie-Noëlle), Déchiffrer la
France. La statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, 1988, 476 p.
126
Claude Dupin (1767-1828) est nommé préfet des Deux-Sèvres le 11 ventôse an VIII. Il termine sa carrière
comme conseiller maître à la Cour des comptes le 31 août 1813, cf. PELCRAN (Anne), op. cit., p.778. Voir
également LOUBEAU (Marcel), Un préfet de Napoléon, Claude Dupin, Baron d’Empire, premier préfet des
Deux-Sèvres (1800-1813), thèse histoire administrative, [s.l.], 1948, 346 p.
127
Voir par exemple TREMPÉ (Rolande), Les mineurs de Carmaux (1848-1914), Paris, 1971, t.1, 503 p.,
TARON (Patrick), Enfant au travail : les enfants ouvriers angevins au XIX e siècle, thèse droit, Versailles-Saint-
Quentin-en-Yvelines, 1999, 3 vol., OLIVIER (Jean-Marc), Société rurale et industrialisation douce, Morez
(Jura) (1780-1914), Lille, 1998.
- 34 -

Introduction
dynamique d’études complémentaires portant sur le corps préfectoral ou le syndicalisme
poitevin 128 .
A cela s’ajoute la consultation de mémoires et d’articles émanant des sociétés savantes
afin d’affiner la compréhension de certains enjeux régionaux et de compléter efficacement
nos propres recherches.
Etudier l’ouvrier non agricole en milieu rural peut apparaître aux yeux de certains
chercheurs comme une gageure. Le simple énoncé du thème de la présente recherche l’a
souvent confirmé. Cependant cette frange non négligeable de la population française mérite
de ne pas demeurer dans les limbes de l’histoire. L’ouvrier de la « vieille France », par
opposition au pays dynamique économiquement et industriellement, ne doit pas être oublié,
lui qui s’est battu comme les autres contre l’adversité et pour l’amélioration des ses conditions
de vie et de travail. Toutefois sa relative marginalité en ces régions faiblement industrialisées
peut être un handicap. Il est légitime de penser que cette catégorie de la population ne figure
pas aux premières places de l’ordre des priorités des pouvoirs publics poitevins, peu zélés à
appliquer des textes novateurs. En somme l’ouvrier serait laissé pour compte. Une hypothèse
qu’il est nécessaire de vérifier en cherchant comment est considéré réellement le monde
ouvrier par l’administration chargée des départements ruraux tels ceux composants l’ancienne
province du Poitou. L’ouvrier souffre-t-il d’un a priori défavorable ? L’ignore-t-on ? Fait-on
preuve de zèle dans l’application des lois qui le concernent ? Prend-on en compte ses
aspirations ? Fait-il l’objet d’initiatives originales ? Y a-t-il un décalage entre les discours de
l’époque et la réalité quotidienne ? Autant de questions dont les réponses permettraient
d’appréhender un peu mieux la place qu’occupe le monde ouvrier dans les régions rurales
françaises.
C’est pourquoi il est nécessaire de caractériser la population ouvrière poitevine dans
les domaines historiques, sociologiques, économiques et politiques afin, ensuite, de
comprendre les raisons du degré de prise en compte de la question ouvrière par
l’administration qui en a la charge. Dans cette optique, le choix d’un plan thématique s’est
128 Le corps préfectoral et l’administration départementale des Deux-Sèvres et de la Vienne ont été étudiés en
profondeur par Anne Pelcran dans sa thèse d’histoire du droit soutenue en 2003, PELCRAN (Anne), op. cit., 730
p. L’ouvrage possède un tome biographique complet consacré aux préfets et à leurs agents. Pour les questions
propres au syndicalisme nous renverrons à la thèse de Laurent Cantamessa soutenue en 2006 : CANTAMESSA
(Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), thèse droit, Poitiers, 2006, 1007 p. et à
celle de Florence Regourd pour ce qui concerne la Vendée : REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens
(1840-1940), thèse histoire, Nantes, 1980, 849 p.
- 35 -

Introduction
imposé afin de parvenir à un équilibre global qu’un plan chronologique n’aurait pas permis du
fait de l’accélération de l’histoire sociale dans la seconde moitié du XIX e siècle.
L’ouvrier n’est pas apparu ex nihilo dans les départements poitevins. Il y existe une
tradition artisanale, modeste mais réelle, d’où a pu découler l’émergence, souvent
géographiquement circonscrite, d’activités plus modernes. Ces « pôles » doivent être ensuite
étudiés afin de définir plus précisément les caractéristiques de l’industrie poitevine et de ses
travailleurs. L’ouvrier travaillant à domicile ou de manière artisanale développe moins
fréquemment un « sentiment de classe » en comparaison de ses homologues regroupés dans
de grands ateliers. De même l’existence, plus ou moins développée, de métiers appartenant à
ce qui est considéré comme l’élite ouvrière, à l’image de l’imprimerie, ou s’inscrivant dans
une tradition de compagnonnage, indique une prédisposition à la naissance d’un tel sentiment,
prélude à une réelle éclosion revendicative.
La connaissance de l’influence politique de l’ouvrier, allant souvent de pair avec son
poids démographique, permet en outre de savoir quelles sont les localités où la « question
sociale 129 » a des chances de s’immiscer un tant soit peu dans les débats. Ces localités feront
l’objet de la surveillance de l’administration, avec plus ou moins de zèle selon les régimes et
les enjeux nationaux ; la tendance, réelle ou fantasmée, de l’ouvrier à la rébellion ou au tapage
suscite en effet la méfiance des autorités.
La réunion de ces aspects place le travailleur industriel ou artisanal sous le regard
policier tout en conditionnant grandement le zèle de l’ensemble des autorités locales à
intervenir pour soulager les problèmes posés par une question ouvrière de plus en plus
prégnante. L’embauche des enfants et des femmes, les conditions et le temps de travail, les
enjeux salariaux, constituent des thèmes ne pouvant plus être ignorés à l’échelon local comme
national 130 . Et cela d’autant plus que le mouvement législatif s’accélère au fil du siècle 131 .
Cet « emballement » va de pair avec la prise de conscience ouvrière de son
particularisme. L’entraide, nécessaire afin de faire face à un quotidien difficile, va
s’additionner à l’envie de revendiquer. Ce repli solidaire n’est évidemment pas bien perçu par
le pouvoir étatique. Les sociétés de secours mutuels sont suspectées de servir de paravents à
des mouvements d’opposition clandestins. Une crainte poussant les pouvoirs publics à
129 L’expression « question sociale » correspond aux difficultés d’intégration du travail industriel dans l’ordre
social. L’ouvrier cherche à obtenir une meilleure reconnaissance politique, revendicative et culturelle auprès
d’un Etat qui ne peut plus nier une spécificité liée aux profonds bouleversements du monde de travail au XIX e
siècle.
130 Même si le problème est longtemps nié par la classe politique : au début des années 1870 Gambetta affirme
encore qu’il n’y pas de question sociale, seulement des questions sociales.
131 A partir de 1891 le Parlement réserve aux affaires sociales une séance par semaine.
- 36 -

Introduction
accentuer leur surveillance ou à contrôler, voire à s’approprier, les institutions d’entraide
ouvrière.
Cette méfiance est encore plus grande à l’égard des mouvements sociaux, longtemps interdits
avant d’être tolérés. Là comme ailleurs la première tâche du préfet et de ses agents réside dans
le maintien de l’ordre. Cependant on s’aperçoit que des voix discordantes s’élèvent parfois,
même au sein du corps préfectoral, pour prendre en compte les maux et les revendications
d’une classe ouvrière en formation, phénomène qui s’amplifie au fur et à mesure que les idées
républicaines s’installent. Si l’époque est toujours au préfet champion et protecteur de l’ordre,
on voit aussi apparaître en lui le messager d’une République sociale derrière lequel pointe
déjà un véritable conciliateur autonome affranchi des anciens dogmes libéraux.
Ainsi le lent avènement d’une réalité ouvrière poitevine (première partie) révèle une
question sociale relativement prégnante (seconde partie).
- 37 -

- 38 -

Première partie : L’avènement d’une réalité ouvrière
[1800-1914]
La question ouvrière ou sociale, se pose en France dès l’achèvement du premier tiers
du XIX e siècle. Toutefois les problèmes rencontrés diffèrent selon les régions et leur degré
d’industrialisation. Le pays est loin d’être homogène en la matière. De rares bassins
industriels côtoient une immensité de zones rurales, dans lesquelles le Poitou figure sans
contestation. Tant et si bien qu’on peut estimer qu’il y a autant de questions sociales que de
degrés dans l’échelle du développement industriel. Le problème ouvrier inhérent à chaque
département est grandement lié à la lente évolution des industries locales d’où émerge
finalement une population particulière, fruit de l’époque (chapitre 1). En outre cette classe
sociale originale, et parfois turbulente, se montre sensible aux idées nouvelles – dont elle est
partiellement à l’origine – apparaissant à la gauche de l’échiquier politique. Une sensibilité
qui incite l’ordre établi et les pouvoirs publics à la surveiller de très près (chapitre 2).
- 39 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Chapitre 1 : La lente évolution d’une population particulière
Au XIX e siècle, dans les départements poitevins les contours du monde ouvrier restent
longtemps flous et le modèle du travailleur industriel peine à s’y diffuser. En ville, l’artisanat
qui peut être qualifié de « proximité », c'est-à-dire celui du petit atelier ou du boutiquier,
domine majoritairement. Dans les campagnes peu d’éléments distinguent celui qui travaille
pour l’industrie de ceux qui oeuvrent à plein temps aux travaux des champs. Le recours
persistant des fabricants au travail à domicile y est pour beaucoup. Le métier à tisser côtoie
bien souvent la bêche dans les chaumières poitevines.
L’ouvrier apparaît dans des espaces très circonscrits semblant émerger d’un océan de ruralité.
Ces « zones d’industrie » peuvent être liés à d’anciennes activités artisanales aux racines
ancestrales perdurant ou se développant au XIX e siècle (section 2). En outre d’autres activités
apparaissent plus spontanément, à l’initiative d’entrepreneurs ambitieux, semblant, elles, être
les fruits d’une époque et de sa modernité inéluctable (section 1).
Section 1 : Des professions fruits de la modernité
La cassure révolutionnaire marque dans le Poitou le déclin d’activités qui avant elle
étaient renommées ou fleurissantes. Toutefois d’autres formes de production apparaissent au
fil du XIX e siècle. Elles se caractérisent par une plus grande localisation géographique. Seuls
quelques pôles industriels surgissent ça et là au beau milieu d’un Poitou ancré dans sa ruralité.
Ces nouvelles activités « post-révolutionnaires » (I) correspondent bien souvent à ce que
l’administration de la seconde moitié du XIX e siècle qualifie de « grande industrie » (II). Une
catégorie dominée par le secteur textile où on est encore très loin de l’image que l’on peut se
faire d’une certaine France industrielle qui naît à l’époque, tant y prédomine l’archaïsme de
ses caractères.
- 40 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
I- Les activités industrielles poitevines post révolutionnaires
Une fois le choc révolutionnaire absorbé, et ses effets sociaux et économiques
atténués, le mouvement artisanal et industriel entamé au XVIII e se redynamise. De nouvelles
productions apparaissent en se greffant fréquemment sur un tronc d’activités anciennes aux
racines bien ancrées dans le passé, telle la fabrication d’armes à Châtellerault, enfant de la
coutellerie locale.
Cependant cette réalité n’est pas absolue. Des activités peuvent surgir ex nihilo dans
un territoire qui en était vierge jusqu’alors. La découverte d’un gisement de matière première
– comme la houille – ou l’élaboration de nouvelles techniques de production – la mise en
boite de sardines – peuvent pousser des entrepreneurs, visionnaires ou inconscients, à se
lancer dans l’aventure industrielle.
Toutefois, nouvelle industrie et nouvelle profession ne sont en rien synonymes de
modernité. Le mode d’organisation productif demeure fréquemment calqué sur des canons
anciens (B). Le modèle artisanal reste la norme. L’atelier et le maître sont loin d’être
concurrencés par une organisation plus scientifique et rigoureuse du travail. Tant et si bien
que l’existence de véritables sites ouvriers demeure exceptionnelle dans le Poitou (A). Seuls
quelques pôles industriels ont un rayonnement plus important où une organisation plus
moderne aboutit à l’agrégation d’une population ouvrière, propice à la naissance d’un
sentiment d’appartenance à une classe distincte de la société.
A- Les sites de populations ouvrières
Dans le Poitou on peut considérer qu’il existe trois localités dont le nom semble
indissociable du monde ouvrier, contrairement aux autres cités poitevines où l’industrie n’est
qu’une activité parmi d’autres ayant plus ou moins d’importance. Il s’agit d’un côté de
Châtellerault, ville où s’implante une manufacture d’armes, et de l’autre du bassin houiller du
Bas Poitou, représenté par les bourgs de Faymoreau en Vendée et de Saint-Laurs dans les
Deux-Sèvres. Des localités de tailles très différentes mais dont le sentiment d’appartenance à
une classe sociale particulière rapproche leur population.
- 41 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
a) Châtellerault et les ouvriers de la manufacture d’armes 132
La coutellerie n’étant plus aussi prospère que par le passé, la ville de Châtellerault
parvient à convaincre la monarchie fraîchement restaurée d’installer dans ses murs une
manufacture d’armes. Un établissement qui va se développer lentement mais assurément
jusqu’à la III e République où d’importantes commandes vont conduire l’établissement
industriel à son apogée.
1. De l’origine à la maturité
C’est une ordonnance royale du 14 juillet 1819 qui fonde la Manufacture royale
d'armes de Châtellerault aux dépens de la ville de Moulins. Après les guerres napoléoniennes,
le nouveau pouvoir souhaite mettre à l’abri d’éventuelles invasions les fabriques d’armes, qui,
jusqu’alors, sont situées dans le Nord et l’Est de la France 133 . Dès août 1816, on étudie les
conditions d’établissement à Châtellerault d’une manufacture d’armes blanches, en raison de
son industrie coutelière réputée 134 . Deux ans plus tard on suggère de lui adjoindre une
fabrique d’armes à feu.
Outre le savoir-faire de la ville en matière d’armes blanches 135 , Châtellerault est aussi
un carrefour entre le nord et le sud de la France. La Vienne y est navigable et peut fournir la
force motrice nécessaire à la future manufacture royale. On considère également que la région
est calme et hospitalière comme la Touraine toute proche. Les autorités espèrent également
développer le châtelleraudais, jusque-là principalement agricole, en lui insufflant une nouvelle
dynamique. Enfin, cette implantation est un moyen efficace de donner de l’ouvrage aux
nombreux couteliers locaux souffrant cruellement du manque de débouchés de leur activité
depuis les événements révolutionnaires.
132 Pour de plus amples détails se référer aux ouvrages suivants : GUILLON (André), MEUNIER (Paul), La
manufacture d’armes de Châtellerault, 1818-1968, Poitiers, 1983, 80 p. ainsi que LOMBARD (Claude), La
manufacture nationale d’armes de Châtellerault (1819 – 1968), Poitiers, 1987, 398 p.
133 Ces fabriques sont localisées dans les villes de Charleville-Mézières, Maubeuge, Mutzig et Klingenthal.
134 Une fabrique d’armes blanches fut constituée en l’an II à Châtellerault pour participer à l’effort de défense du
territoire national. L’expérience fut un échec complet. Cf. RICHARD (Camille), Une tentative de fabrication
d’armes à Châtellerault en l’an II, BSAO, t.6, 1 er trimestre 1922, pp. 54-57.
135 Voir infra, p.140 et s.
- 42 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Illustration 1 : la manufacture à ses débuts :
Source : SIMMAT (Gérard), Châtellerault, histoire illustrée de la ville aux XIX e et XX e siècles, [s.l.], 2001, p.16.
La municipalité est vite séduite et motivée par le projet 136 . Elle se porte acquéreur d’un
terrain situé sur la rive gauche de la Vienne, à l’extrémité du faubourg de Châteauneuf 137 . Les
travaux commencent dès 1820. Un barrage sur la rivière est achevé fin janvier 1823. Puis les
travaux s’accélèrent en vue d’accueillir nombre d’ouvriers alsaciens de la manufacture, de
Klingenthal 138 , est menacée de fermeture en août 1828. En sus des ateliers et des fonderies,
des logements sont construits afin de servir de résidence aux futurs ouvriers et à leurs
familles. On compte 40 ouvriers en 1829 139 . Une commande de 10 000 sabres est réalisée en
1830 par 67 ouvriers 140 .
La production d’armes à feu s’ajoute rapidement à la fabrication d’armes blanches,
obligeant à agrandir la manufacture et à élargir le canal d’accès dont le débit est désormais
insuffisant.
136
« C’est un événement immense en province que l’arrivée d’un régiment […] A l’arrivée d’un régiment, le
marchand rêve la fortune de son établissement et la respectable mère de famille l’établissement de ses filles : il
ne s’agit que de plaire aux chalands », Stendhal in Lucien Leuwen.
137
Le faubourg de Châteauneuf est traditionnellement le quartier où résident les couteliers de la ville : 98% y
habitaient aux alentours de 1750, cf. BARIBAUD (Sandrine), Les couteliers à Châtellerault : étude sociale,
économique et culturelle (1730-1750), mémoire de maîtrise histoire, Poitiers, 1992, p.56.
138
La fabrique de Klingenthal est la première manufacture d’armes blanches française. Elle est créée en 1730
sous Louis XV.
139
GUILLON (André), MEUNIER (Paul), op. cit., p.11.
140 Ibid.
- 43 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
L’année 1831 marque un changement dans le régime d’administration de
l’établissement jusqu’alors en régie. Sa gestion est attribuée par adjudication à un
entrepreneur 141 auquel l’Etat assure un marché annuel minimum de 500 000 francs. Cet
entrepreneur doit entretenir les bâtiments et les machines, assurer le recrutement et
l’organisation de la main d’œuvre. Au-dessus de lui, un directeur militaire représente l’Etat,
contrôle la bonne exécution des contrats et commande le personnel militaire, en particulier les
officiers contrôleurs d’armes.
Mais un manque de main d’œuvre spécialisée en armes à feu se fait sentir, ainsi des primes
élevées permettent à la direction d’attirer un nombre important d’ouvriers employés
jusqu’alors par la fabrique de Maubeuge 142 .
Illustration 2 : Vue d’ensemble de la manufacture en 1840 :
- 44 -
Source : SIMMAT (Gérard), op. cit., p.16.
Le second Empire marque l’essor de la manufacture d'armes de Châtellerault.
L’utilisation de machines-outils, introduites à partir de 1857, et le succès du fusil Chassepot 143
y sont pour une grande part. Dès lors une grande partie du travail s’effectue sur place et non
141
En 1831 la manufacture est confiée à la gestion des frères Pihet, puis en 1835 passe entre les mains de la
société Creuzé-Proa et C ie jusqu’en 1878.
142
Le nombre d’ouvriers en armes à feu passe de 90 en janvier 1832 à 206 en juillet de la même année.
143
Fusils à piston et non plus à pierre que l’on charge par la culasse.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
plus à domicile. On compte plus de 300 machines-outils en 1868 et 959 en 1879 144 , ce qui
classe l’établissement châtelleraudais parmi les premières usines d’armement d’Europe.
Illustration 3 : machine à fabriquer des bois de fusil :
Source : Cheminées, 150 ans d’histoire de la Manufacture d’armes de Châtellerault, op. cit., p.15.
Ce développement s’accompagne d’une augmentation du nombre d’ouvriers occupés
aux divers postes de la manufacture. Entre 1849 et 1865, leur nombre oscille autour de 800 145
malgré quelques difficultés conjoncturelles rencontrées au cours de la période. Une
commande importante du gouvernement de 30 000 fusils gonfle soudainement les effectifs
pendant l’été 1866. Un an plus tard le sous-préfet dénombre près de 2000 armuriers occupés
par la manufacture, un nombre qu’il juge insuffisant pour faire face aux impératifs de la
commande 146 .
Afin de combler ce manque de main d’œuvre qualifiée, la direction fait appel une
nouvelle fois à des ouvriers alsaciens. Ceux-là viennent des manufactures d’armes de Mutzig
144
BOUTIN (Clovis), La famille Chassepot et son œuvre à la manufacture nationale d’armes de Châtellerault,
Cheminées, 150 ans d’histoire de la Manufacture d’armes de Châtellerault, n°2, Châtellerault, 1987, p.15.
145
ADV 10M122. Statistiques industrielles [1839 ; 1852] & ADV M4.71. Correspondances du préfet [1862-
1865].
146
ADV M4.72. Correspondances du préfet [1866-1870].
- 45 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
et de Klingenthal et s’installent à Châtellerault en 1869 147 . On produit alors 25 000 armes
blanches par an ainsi que 1000 cuirasses et 15 000 armes à feu 148 .
Le premier obstacle à cette évolution linéaire survient avec la guerre de 1870. Non
seulement les jeunes membres du contingent local, qui travaillent dans les ateliers
d’armement, sont appelés au front, mais surtout une partie de la production est délocalisée à
l’arsenal maritime de Bayonne ; Châtellerault ne conservant que la production d’armes
blanches. Un redéploiement qui ne dure que sept mois, avant que la manufacture ne récupère
l’intégralité de ses activités.
2. L’âge d’or de la « Manu »
Une fois la guerre terminée, et après une période de diminution importante
d’effectif 149 , la manufacture va reprendre le cours de son évolution, en profitant de la volonté
de remilitarisation nationale. Cette période marque l’arrivée à maturité de ce fleuron de
l’industrie poitevine où, désormais, « le travail est entièrement concentré dans l’usine 150 ».
En 1895 on fabrique près de 1000 armes par jour 151 . La main d’œuvre est recrutée et
formée sur place sans avoir recours à l’engagement d’armuriers étrangers à la région. La
manufacture devient le pôle d’attraction de la main-d’œuvre de la contrée, qu’elle soit issue
du monde rural ou urbain. La population de la cité augmente de 40% en 30 ans 152 .
Quatre catégories d’individus cohabitent entre les murs de « la Manu ». Si
l’encadrement est militaire 153 , le reste du personnel est civil. Certains sont embauchés à titre
permanent c'est-à-dire pour six ans renouvelables, « les immatriculés » ; d’autres bénéficient
de contrats temporaires, « les commissionnés » ; et les derniers, les plus nombreux, sont
147
Cette manufacture ferme en 1868 ce qui favorise également l’augmentation des commandes faites à la
manufacture d'armes de Châtellerault. Cf. VALLEE (G.), «Châtellerault. Esquisse de la naissance, du
développement topographique de la fonction économique d’un organisme urbain », BSAO, Poitiers, 1931-1933,
3 e série, tome IX, p.299.
148
De LONGUEMAR (M.A), Géographie populaire du département de la Vienne, Poitiers, 1869, p.46
149
Le nombre d’ouvriers passe de 2 000 à 500.
150
HEMERY (Yvonne), La vie ouvrière dans la région de Châtellerault de 1870 à 1895, mémoire lettres,
Poitiers, octobre 1961. L’auteur fixe ce moment dans le dernier quart du XIX e siècle.
151
MURPHY (Gwenaël), Petite histoire de Châtellerault, La Crèche, 2006, p.91.
152
Entre 1866 et 1896 la population passe de 14 278 habitants à 20 014, MURPHY (Gwenaël), op. cit., p.87.
153
En 1912 l’état major est constitué de 11 officiers d’artillerie, presque tous polytechniciens, de 3 officiers
d’administration du service de l’artillerie et de 19 officiers d’administration et contrôleurs d’armes, le plus
souvent d’anciens ouvriers issus de la promotion sociale, cf. GUILLON (André), MEUNIER (Paul), op.
cit., p.38.
- 46 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
appelés « ouvriers libres ». Ces derniers n’ont aucune garantie quant au maintien de leur
emploi. Leur nombre varie en fonction de l’aléa conjoncturel des commandes. Leur sort
suscitera par la suite beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations chez les autorités municipales
et départementales.
La progression du nombre d’employés illustre l’attractivité de la profession
d’armurier. Près de 3000 ouvriers en 1878 et le double en 1894 154 , année qui marque l’apogée
de la manufacture d'armes de Châtellerault où une commande massive de fusils 155 est
effectuée par le gouvernement impérial russe 156 . Pendant près de trois ans, l’accent slave
raisonne sur les rives de la Vienne. Un prince impérial réside en ville et le Tsar lui-même
offre une cloche 157 à l’église Saint-Jean-l’Evangéliste de la paroisse de Châteauneuf.
Malheureusement cette belle histoire de fraternité franco-russe se termine mal, faute de
paiement. Une des causes de la future nationalisation de la manufacture. Celle-ci est mise en
régie en 1895 158 . Dorénavant, c’est à l’Etat que revient la charge de gérer entièrement la
manufacture.
Cette période faste laisse place à une ère moins excitante où « la Manu », telle qu’on la
nomme sur place, subit les aléas inhérents à l’industrie de l’armement. Les embauches
succèdent aux licenciements, et vice-versa. Jusqu’à la Première Guerre mondiale les effectifs
varient entre 1000 et 3000 ouvriers 159 , au gré des commandes 160 . En 1904, l’Echo de
Châtellerault constate que « le personnel est réduit à sa plus simple expression et que, pour
l’entretien, il n’est pas facile de diminuer l’effectif actuel des ouvriers 161 ».
Sur place beaucoup regrettent l’extrême dépendance de la ville envers sa
manufacture : « Il est fâcheux que la fabrication soit aussi intermittente, car il n’existe pas ici,
154
La manufacture compte 5560 ouvriers en février 1894. ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902]. L’effectif
maximal atteint à l’époque est de 5794 ouvriers selon Cf. VALLEE (G.), op. cit., p 300.
155
Entre 500 000 et un million de fusils Lebel selon les sources.
156
C’est l’époque où une véritable course à l’armement agite l’Europe toute entière.
157
Un présent important dans la tradition orthodoxe russe, cf. CONTE (Francis), Les slaves, aux origines des
civilisations d’Europe centrale et orientale, Paris, 1986, 734 p.
158
HERVOIR (Nicole), PINEAU (Philippe), Un siècle de vie sociale à la manufacture à travers la presse non
quotidienne, Poitiers, 1991, p.8.
159
Le préfet de la Vienne compte 2000 ouvriers en 1902. Cf. ADV M12.113. Grève [1894 ; 1902].
Une importante commande monte le nombre d’ouvriers à 3427 en 1899, 1074 en 1905 et 1334 en 1913. Cf.
LOMBARD (Claude), op. cit., p. 255. En 1912 la manu possède tout de même 6324 machines sur 40 000m 2 , cf.
GUILLON (André), MEUNIER (Paul), op. cit., p.38.
160
Quelques exemples : une commande de 10 000 sabres de cavalerie en 1898, cf. L’Echo de Châtellerault du 9
avril 1898, le reliquat de la production que la manufacture d’armes de Tulle ne peut assurer, cf. L’Echo de
Châtellerault du 3 septembre 1898, ou bien encore une commande de 20 000 carabines de gendarmerie destinée
à l’armée coloniale, cf. Le Dimanche du 18 mai 1902 et l’Echo de Châtellerault du 13 juin 1902.
161
L’Echo de Châtellerault du 16 septembre 1904.
- 47 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
comme à Saint-Étienne, une industrie métallurgique assez puissante pour recueillir les
ouvriers licenciés 162 ».
En 1903, les autorités municipales en arrivent à craindre la fermeture de l’établissement phare
de leur ville 163 . La manufacture d'armes de Châtellerault est la seule à fabriquer encore des
armes blanches en France, en 1902 ; ses pendants de Tulle et de Saint-Étienne y ayant
renoncé. Cependant le président du Conseil met fin à la rumeur au grand soulagement des
instances locales. Châtellerault est alors une vraie ville ouvrière avec une population
laborieuse conséquente et homogène que le pouvoir, quel qu’il soit, doit ménager.
Il faut ensuite attendre la Grande guerre pour rencontrer une nouvelle augmentation
significative des effectifs occupés aux ateliers d’armes, augmentation qui ne dure que le
temps du terrible conflit mondial 164 .
Puis la « Manu » poursuivra son existence avec plus ou moins de bonheur, en combinant les
commandes militaires et civiles 165 , jusqu’à sa fermeture en octobre 1968.
Importance du nombre d’ouvriers, organisation moderne et rationnelle du travail,
emploi de techniques industrielles avancées sont autant de critères favorables à l’émergence
d’une conscience ouvrière véritable 166 . Une formule que l’on retrouve à une moindre échelle
dans les mines de houille de Vendée et des Deux-Sèvres.
b) Le bas Poitou et ses mineurs
Deux sites d’extraction de charbon sont exploités dans le massif vendéen dans le
deuxième tiers du XIX e siècle. Ils se localisent dans deux localités voisines 167 : Faymoreau 168
en Vendée, située dans l’arrondissement de Fontenay-le-Comte et Saint-Laurs 169 , localisée
dans l’arrondissement de Niort.
162
VALLEE (G.), op. cit., p.301.
163
On parle aussi d’une location des locaux ou d’un retour à une forme de gestion privée. Une rumeur qui court
jusqu’à la Grande Guerre.
164
Le pic est atteint en 1917 avec 7223 ouvriers. Un an après la guerre, on redescend aux alentours de 2000
personnes. Cf. LOMBARD (Claude), op. cit., p 255.
165
Durant la seconde Guerre mondiale, la Manu est une des plus importantes usines d’armement d’Europe
166
Cette idée de conscience ouvrière doit être relativisée eu égard au statut de la manufacture qui est une
institution particulière, qui la place elle et ses membres, sous un régime dérogatoire au droit commun.
167
Un troisième site minier de moindre importance est localisé en Vendée sur la commune des Epesses, dans
l’arrondissement de La Roche-sur-Yon, canton des Herbiers.
168
Canton de Saint-Hilaire-des-Loges.
169 Canton de Coulonges-sur-l’autize.
- 48 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
1. L’attribution des concessions
C’est à l’occasion des travaux de terrassement du chemin royal allant de Nantes à
Bordeaux, aux alentours de 1750, que l’on découvre pour la première fois une veine de
houille au sud de Chantonnay, dans l’actuelle Vendée. Le gisement est timidement exploité
avant d’être abandonné 170 . Il faut attendre 1827 pour qu’un sabotier redécouvre
accidentellement ce gisement local 171 .
Dès lors, on se prend à rêver de la création d’un pôle sidérurgique vendéen qui
combinerait cette houille aux gisements de fer de la Ferrière et de la Vergne des Loges.
L’esprit du comte de Saint-Simon 172 souffle sur la Vendée, où l’on veut mettre en pratique la
doctrine du maître : « tout par l’industrie, tout pour elle 173 ». Les déclarations sont
enthousiastes. Charles Massé-Isidore imagine, en 1829, qu’une « gloire nouvelle va briller
sur ces plaines silencieuses. Ces mines vont être rouvertes et le commerce, y versant de l’or
en place du fer, va comme autrefois rapporter dans cette contrée les tributs des arts et la
gloire d’être utile à la patrie 174 ». L’envolée lyrique se poursuit une dizaine d’années plus tard
quand un juge du tribunal de Saintes, qui sollicite une concession dans les Deux-Sèvres,
s’exclame « qu’un jour […] lorsque l’élan sera donné, nous pourrons entrer dans la grande
voie de la civilisation par le plus rapide de tous les moyens, l’industrie qui amène toujours et
sans cesse l’amélioration des mœurs et des coutumes, en forçant la population à un contact
plus fréquent : cette civilisation fera naître chez nous le goût du travail, celui des beaux arts
et fera disparaître, sans aucun doute, avec la propagation des lumières, cette opposition
politique qui, à diverses époques, a causé tant de malheurs à nos provinces 175 ». Autant de
déclarations qui, au regard de l’histoire locale, font maintenant office de vœux pieux.
La découverte provoque une véritable course aux concessions. Deux groupes
s’opposent. D’un côté, quatre entrepreneurs poitevins, de l’autre des hommes d’affaires
Nantais.
170 Cf. GODARD (Gaston), Des corons en Vendée, Recherches vendéennes, Le charbon en Vendée, Société
d’émulation de la Vendée – Centre vendéen de recherches historiques, n°10, La Roche-sur-Yon, 2003, p.5-6.
171 Même si le curé de Faymoreau prétend en avoir trouvé sur le territoire de cette commune en 1817 et qu’on en
a déjà découvert près de Thouars sous le Premier Empire.
172 Voir par exemple : SAINT-SIMON (Claude Henry de Rouvroy), Du système industriel, Paris 1821, 311 p. et
Le catéchisme des industriels, in Œuvres, Genève, 1977.
173 Epigraphe de L’industrie, cf. MUSSO (Pierre), Saint-Simon et le saint-simonisme, Paris, 1999, p.50.
174 Charles Massé-Isidore in Vendée poétique et pittoresque cité par GODARD (Gaston), op. cit., p.6.
175 H. Guilbault, AD Loire-Atlantique 1643.S1.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Les premiers se regroupent autour d’Armand-Désiré de La Fontenelle de Vaudoré, membre
du conseil général des Deux-Sèvres et conseiller à la cour royale de Poitiers. Ils forment la
Compagnie de Cressac 176 . Une lettre adressée au préfet de la Vendée, en date du 12 juillet
1829, indique leur volonté de concurrencer à moyen terme le Nord de la France 177 . Un espoir,
là encore, bien dans l’esprit de Saint-Simon et de ses disciples.
Les seconds s’organisent aux côtés du conseiller général de la Vendée et maire de Chassenon,
près de Faymoreau, Ignace-Florence Möller, et de son beau-frère Thomas Dobrée, un homme
d’affaire Nantais réputé 178 et ayant le soutien de riches négociants londoniens.
Malgré la préférence préfectorale accordée à Dobrée et le relatif amateurisme de la
société de Cressac, le Conseil d’Etat 179 et la direction générale des Ponts et Chaussée et des
Mines choisissent de partager la concession entre les deux compagnies le 9 novembre 1829 180 ,
avant qu’elles ne soient réunies en une seule neuf ans plus tard 181 . La concession de
Faymoreau s’unit à son tour à celle d’Épagne en 1868 182 .
Entre-temps, les mines du sud vendéen sont devenues la propriété unique de Pierre-Henri
Bally, un isérois venu dans le bas Poitou en 1847 comme ingénieur dans la société en
commandite. Bien vite, il est promu directeur avant de racheter les parts des autres
actionnaires en 1858. La famille Bally devient l’unique propriétaire de l’ensemble constitué
par les exploitations d’Épagne et de Faymoreau un peu moins de vingt ans plus tard 183 .
176 Les trois autres membres sont Eutrope-Barthélémy de Cressac, député de la Vienne et membre de la Société
d’exploitation des mines et houillères de France ; le banquier et négociant Louis-Aimé Laurence et François-
Narcisse Le Gentil Laurence, avocat et propriétaire. Cf. HURIER (Damien), L’exploitation des mines de
Faymoreau (1827-1958), Recherches vendéennes, Le charbon en Vendée, Société d’émulation de la Vendée –
Centre vendéen de recherches historiques, n°10, La Roche-sur-Yon, 2003, p.12.
177 ADVd. S 596.
178 Cet homme d’affaires protestant dirige une des principales maisons d’armement et de commission de Nantes
et détient une participation à la société anonyme qui exploite les forges de Basse-Indre. Cf. HURIER (Damien),
L’exploitation des mines de Faymoreau (1827-1958), op. cit., p.13.
179 Jusqu’en 1867, les sociétés anonymes sont soumises à une autorisation gouvernementale conformément à
l’article 37 du Code de Commerce de 1807. Sur le statut juridique de la société anonyme au XIX e siècle
consulter LEFEBVRE-TEILLARD (Anne), La société anonyme au XIX e siècle. Du Code de Commerce à la loi
de 1867, histoire d’un instrument juridique du développement capitaliste, Paris, 1985, 481 p.
180 Cf. HURIER (Damien), L’exploitation des mines de Faymoreau (1827-1958), op. cit., p.14-15.
181 HURIER (Damien), Les mines de Faymoreau, histoire d’un site industriel dans le bocage vendéen (1827-
1958), mémoire de maîtrise histoire, Institut Catholique d’Etudes Supérieures, La Roche-sur-Yon, 2001, p.74.
182 Concession accordée à Michel Blot, propriétaire et négociant à La Flèche et à ses associés, puis, après une
faillite, à Léon Devillaine, un ingénieur civil venant de Saint-Étienne. Cf. LERMITE (Jean-Louis), La mine
d’Epagne, en Saint-Maurice-des-Noues, Recherches vendéennes, Le charbon en Vendée, Société d’émulation de
la Vendée – Centre vendéen de recherches historiques, n°10, La Roche-sur-Yon, 2003, pp 93 et s.
183 Pour de plus amples développements sur ces fusions de concessions se reporter aux pages 38 et suivantes de
l’article de Damien Hurier déjà cité.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Carte 2 : houillères du Bas Poitou :
Moins de tumulte du côté des Deux-Sèvres mais plus de lenteur dans l’attribution de la
concession de Saint-Laurs. L’administration, qu’elle soit ministérielle ou préfectorale 184 , fait
traîner les choses. Elle refuse les premiers projets d’acquisition formulés par Möller et la
veuve Dobrée, et attend 1840, pour accepter la candidature d’un colonel à la retraite, le
marquis de Nettancourt-Vaubécourt, par une ordonnance royale du 28 août. En 1861, la
Société civile des houillères de Saint-Laurs est créée. Elle regroupe les descendants du
184 Malgré tout l’intérêt qu’y porte le préfet Thiessé.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
marquis et des associés étrangers à la famille. Parmi eux, messieurs de La Fare et de Bordes
se succèdent au poste d’administrateur délégué 185 .
2. Une exploitation difficile
Ces multiples réorganisations traduisent toutes les difficultés que rencontrent, à
l’époque, les entrepreneurs osant se lancer dans l’aventure charbonnière dans l’Ouest de la
France. Les hautes espérances du début laissent vite place à des ambitions plus réalistes,
même si Cavoleau et de La Fontenelle présentent Faymoreau comme « un grand centre
d’industrie et d’action, aux constructions grandioses et une population nombreuse et
aisée » 186 .
Illustration 4 : Puits Saint-Laurent à Saint-Laurs :
Source : MONTOUX (Michel), op. cit., p.124.
Le premier problème est posé par la mauvaise qualité de la houille extraite des puits
exploités. Ce charbon est de petite taille et comprend un fort pourcentage de cendres, entre dix
et vingt pour cent contre trois à six pour cent pour celui de meilleure qualité. En outre, sa
185 Cf. MONTOUX (Michel), Mines et mineurs de Saint-Laurs (1840-1916-1958), Bulletin de la Société
historique et scientifique des Deux-Sèvres, 3 e série, 1993, t.1, pp.114 à 123.
186 CAVOLEAU (J.-A.) (annoté par de LA FONTENELLE DE VAUDORE (A.-D.)), Statistique ou description
générale du département de la Vendée, Paris, 1844, reprint Marseille, 1978, p.649-650.
Florence Regourd fait remarquer très justement dans sa thèse que si Faymoreau fait si forte impression c’est
parce que « la misère paysanne l’entoure ». On peut se demander aussi si de La Fontenelle est objectif eu égard
à sa participation à la société de Cressac.
- 52 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
consistance à demi-grasse n’est pas adaptée à la fabrication de coke, combustible idéal pour
les machines à vapeur 187 .
En outre les puits sont difficiles à exploiter. Les couches sont irrégulières et inclinées, avec,
çà et là, des grains stériles. Il faut sans cesse vider l’eau qui s’infiltre dans les galeries. Autant
de facteurs qui expliquent un coût d’extraction élevé et, par conséquent, un prix de vente qui
se situe au-dessus de la moyenne française. La petite taille du tissu houiller local ne permet
pas une diminution des coûts par le jeu des économies d’échelle. L’ingénieur des Mines
Redon en convient en estimant que le prix de revient de la tonne de charbon « sera toujours
mauvais du fait de son aménagement et de la quantité d’eau qu’il doit puiser ». Il craint
« l’abandon définitif d’une partie de ce bassin houiller, comme ont déjà été abandonnés,
depuis un demi-siècle, dans divers départements de l’Ouest de la France, d’autres bassins
houillers analogues à celui de Faymoreau 188 ».
La seconde difficulté majeure se rapporte au manque de débouchés, qui se combine au
faible développement des voies de communication, et à la concurrence nationale et étrangère.
Les débouchés sont locaux et n’excèdent pas un rayon d’une centaine de kilomètres autour
des centres de production. En 1836, les houillères vendéennes vendent 45 % de leur
production dans les départements limitrophes du Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres et de la
Charente Inférieure ; et 40 pour cent à l’intérieur du département lui-même. La situation
s’aggrave encore 60 ans plus tard quand on constate que deux tiers des débouchés sont
vendéens et que le reste du charbon s’écoule dans les petites industries deux-sévriennes 189 .
La région est trop enclavée. Le chemin de fer tarde à s’y implanter. La Vendée est
« entourée, contournée » mais on n’y entre pas, pour reprendre une formule de Lionel de
Tigny Du Pouet 190 . L’arrivée tardive du train dans les dernières années du second Empire
facilite l’écoulement d’une partie de la production et la création de nouvelles voies d’échange,
qui, toutefois, n’excèdent pas le rayon primitif d’écoulement de la production houillère du
massif vendéen. La nouvelle liaison Angers-Niort, reliée à Saint-Laurs par une voie annexe en
1884, permet au charbon local d’accéder aux villes de Bressuire, Poitiers, Cholet, La Rochelle
et son port 191 .
187 HURIER (Damien), L’exploitation des mines de Faymoreau (1827-1958), op. cit., p.30.
188 Rapport de l’ingénieur des mines A. Redon, ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de
Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
189 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.125.
190 De TIGNY Du POUET (Lionel), Livre blanc, février 1876.
191 MONTOUX (Michel), op. cit., p.139.
- 53 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
La question prend une autre dimension quand on examine l’importance de la
concurrence étrangère et nationale. Comment lutter contre des produits moins chers et de
meilleure qualité ? La concurrence anglaise, belge ou flamande est redoutable. Les ports de la
côte atlantique sont abreuvés de charbon anglais. Les rapporteurs de l’enquête économique et
sociale de 1848 du canton de Coulonges demandent déjà qu’on élève le droit d’entrée sur les
charbons importés d’outre Manche, afin que « le charbon indigène de Saint-Laurs
approvisionne l’arsenal maritime de Rochefort 192 ». La situation s’aggrave encore avec la
signature du traité de libre-échange entre la France et l’Angleterre en 1860 193 . A cela s’ajoute
le quasi monopole sur le reste du territoire des bassins houillers français du Nord et de la
Loire.
Face à ces géants économiques, les houillères du bas Poitou doivent se contenter du
marché local et régional.
On fabrique des briquettes de houille afin de faciliter la commercialisation et l’usage
de ce charbon de qualité médiocre utilisé à un usage domestique par les populations des
alentours, par les artisans locaux et les collectivités telles que les hôpitaux de Fontenay-le-
Comte ou de Niort, des villes où d’autres difficultés surgissent. La survie de l’octroi dans ces
villes renchérit encore un peu plus le prix de la marchandise. Le coût de l’hectolitre de
charbon est de 60 centimes à Fontenay-le-Comte, 22 centimes à Niort et seulement 15
centimes à Poitiers en 1835 194 .
Saint-Laurs profite de l’activité textile choletaise afin d’y vendre du charbon, et ce
jusqu’à la Première Guerre mondiale. Les forges et les tuileries locales absorbent également
une partie de la production.
La volonté des propriétaires terriens d’améliorer les performances agronomiques des
sols est une aubaine pour les mines de charbon de la région. Les techniques de chaulage se
développent au milieu du XIX e siècle. Les fours à chaux se multiplient et servent de
débouchés à la houille de faible qualité produite dans le massif vendéen 195 . Certains d’entre
eux sont même liés par contrat aux concessionnaires de Faymoreau et de Saint-Laurs, quand
ces derniers n’en sont pas purement et simplement propriétaires. C’est le cas du four à chaux
192
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3) : réponses de l’arrondissement de
Niort, BSHSDS, 3 e série, Niort, t.3, 1995, p.445.
193
Outre leur importance économique dans un tissu industriel lâche, les mines de houille du bas Poitou ont aussi
une importance stratégique. On estime, qu’en cas de guerre avec l’Angleterre, elles pourraient palier
l’approvisionnement en charbon de la flotte française stationnée sur la côte atlantique.
194
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.113.
195
66% du charbon extrait en 1882 est destiné aux fours à chaux.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
de la gare de Lhommaizé, dans la Vienne, appartenant à la société minière vendéenne 196 et de
celui de Chantonnay en Vendée 197 .
Néanmoins les entrepreneurs des charbonnages sont poussés à créer sur place les
débouchés nécessaires à l’écoulement de leur produit. Une briqueterie est construite en 1874 à
Saint-Laurs afin d’utiliser les poussières et les morceaux de charbon les plus fins non
commercialisables en l’état. Toutefois l’exemple le plus éclatant en la matière est la création
d’une verrerie à Faymoreau 198 .
3. Les verriers de Faymoreau
C’est une ordonnance royale du 8 mai 1836 qui marque la création de la fabrique de
verre de Puy de Serre, installée au lieu-dit de la Blanchardière, situé sur le territoire de la
commune de Faymoreau. Elle s’inscrit dans un plan d’ensemble visant à créer un pôle
industriel dans la région. Les entrepreneurs souhaitent suivre l’exemple du Creusot où une
verrerie a été créée avec succès. Ils sont imprégnés des idées saint-simoniennes selon
lesquelles « la société toute entière repose sur l’industrie […] la seule garantie de son
existence 199 ».
La production de bouteilles et de bocaux en verre commence dès 1838. Bien vite, on revoit le
projet à la baisse en ne construisant que deux fours à fusion au lieu des six prévus
initialement. Tout de même, l’affaire est jugée considérable 200 et selon La Fontenelle de
Vaudoré, rien de la Loire à la Dordogne ne peut lui être comparé 201 .
L’établissement utilise les ressources du département. La houille bien sûr, mais aussi le sable
de l’île de Ré, l’argile locale 202 et la soude fabriquée à partir de sel marin.
La production trouve preneurs dans la région, mais aussi en Bretagne, dans les ports de
Nantes et de La Rochelle, dans le Sud-Ouest, particulièrement dans le vignoble bordelais.
Cependant la fabrique se heurte à des difficultés dès 1842, date à laquelle la première
société est dissoute. La production se poursuivra bon an mal an jusqu’en 1883, année de la
196
Société archéologique du pays chauvinois, op. cit., p.28.
197
MONTOUX (Michel), op. cit., p.139.
198
Sur la verrerie de Faymoreau, voir infra.
199
Saint-Simon in L’industrie cité par LEFRANC (Georges), Histoire des doctrines sociales dans l’Europe
contemporaine, t.1, Paris, 1966, p.22.
200
REGOURD (Florence), L’embauche à la verrerie de Faymoreau : contrat et coalition (1836 ; 1838), Centre de
recherche sur l’histoire du monde atlantique, tome X, 1985, p.8.
201
CAVOLEAU (J.-A.) (annoté par de LA FONTENELLE DE VAUDORE (A.-D.)), op. cit., p.649.
202 L’argile vient de Saintes.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
fermeture définitive du site. La crise viti-vinicole due au phylloxera et l’inadaptation aux
techniques nouvelles constituent les causes majeures de cet échec.
Les difficultés rémanentes expliquent le nombre variable d’ouvriers dans les ateliers. Celui-ci
oscille entre 45 en 1841 203 et 88 en 1845 en passant par 34 en 1842, et entre 70 en 1850 et 92
en 1875 204 , avec de nombreuses variations saisonnières ou conjoncturelles. On est loin des
600 employés envisagés dans le projet initial. Ces variations d’effectifs se retrouvent au sein
des houillères elles-mêmes, mais dans une moindre proportion.
4. Un contingent ouvrier soumis aux aléas de la production
Aux difficultés de la vente s’ajoutent une production et une productivité faible.
On produit moins de 10 000 tonnes par an pendant les quinze premières années d’exploitation
de la concession de Faymoreau. Elle se stabilise autour de 20 000 à 25 000 tonnes à partir de
1857, pour atteindre les 30 000 tonnes en 1869 205 . Une augmentation de la production à
laquelle l’arrivée du chemin de fer n’est pas étrangère. Ce niveau se maintient jusqu’à la
Première Guerre mondiale 206 , malgré quelques crises, notamment après la guerre de 1870 ou
bien encore entre 1876 et 1888 avec la disparition de certains débouchés, en particulier la
fermeture de la verrerie.
La production de la mine de Saint-Laurs semble encore plus irrégulière 207 . Comme chez sa
voisine vendéenne, il faut attendre 1860 pour que les puits atteignent enfin un rythme de
production convenable. A partir de cette date, et pendant 50 ans, la quantité moyenne de
charbon extraite chaque année se situe aux alentours de 20 000 tonnes. Mais de nombreuses
crises émaillent la période. La production s’effondre à cinq reprises : après la défaite contre la
Prusse en 1871 ; en 1879, car les stocks sont trop importants ; en 1887, en raison de la
fermeture provisoire d’un puits ; douze ans plus tard quand la première grève éclate sur le
site ; et en 1902 avec la fermeture d’un des puits.
203 ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
204 ADVd 6M1231. Statistiques industrielles. Instructions, affaires générales [1806 ; 1850] et REGOURD
(Florence), L’embauche à la verrerie…, op. cit., p.19.
205 HURIER (Damien), L’exploitation des mines…, op. cit., p.26-27.
206 L’effort de guerre provoquera une hausse considérable de la production : on passera à 60 000 tonnes par an.
207 MONTOUX (Michel), op. cit., pp.133-135.
- 56 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Cette production relativement faible 208 , et souvent perturbée, explique que les effectifs
employés dans les concessions charbonnières du bas Poitou fluctuent, même si on note une
progression constante sur une longue période.
Du côté vendéen, peu d’ouvriers sont nécessaires au bon fonctionnement de
l’exploitation à ses débuts. Une quarantaine suffit. En 1844, on en dénombre déjà 66 209 .
Toutefois, le nombre de mineurs, employés au fond comme au jour 210 , augmente rapidement.
On dépasse les 200, deux années plus tard, avant une légère régression des effectifs en raison
des difficultés économiques qui touchent le pays au milieu de ce siècle 211 . L’obstacle
surmonté, on embauche à nouveau à Faymoreau. Le nombre d’employés oscille rapidement
autour de 300 212 , avant que la crise qui secoue la Belle Epoque ne se fasse sentir et oblige la
direction à réduire les effectifs afin d’atteindre les 175 mineurs en 1886 213 . Puis l’évolution
reprend. On compte 252 mineurs en 1898 214 puis environ 300 jusqu’à la Première Guerre
mondiale 215 .
Les mines de Saint-Laurs à leur ouverture compte 72 employés 216 . L’embauche
s’accroît avant de se stabiliser un peu au-delà de 200 mineurs 217 . Le maximum est atteint en
1861 avec 250 personnes travaillant dans les puits de la concession 218 . Ici aussi, le contexte
économique défavorable de la fin du XIX e siècle se fait sentir. Les effectifs chutent. Il n’y a
plus qu’une centaine de personnes occupées sur le site en 1887 219 . L’activité reprend
légèrement au début du siècle nouveau où les personnes occupées aux puits fluctuent à
nouveau autour de 200 220 . Enfin, la fin de la première décennie du XX e siècle marque le
déclin de la concession en dépit du changement de propriétaire en décembre 1907 221 . Il
s’ensuit un déclin constant et régulier du nombre de salariés : ils ne sont plus que 80 en
208
La production peut être jugée faible en comparaison avec les grands centres houillers de l’époque, mais elle
est tout de même remarquable face à la pauvreté de l’Ouest en la matière.
209
ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
210
Généralement le personnel travaillant sous terre est deux fois plus nombreux que celui du jour.
211
212 ouvriers en 1846 et 171 en 1849.
212
Florence Regourd en dénombre près de 360 en 1858 in Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op.
cit., p.153.
213 Ibid.
214 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914] .
215 ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930] et ADVd 10M17. Repos hebdomadaire dans divers secteurs d’activité ; dérogations
[1906 ; 1937].
216 MONTOUX (Michel), op. cit., p.141.
217 150 ouvriers en 1858, 218 en 1864 et 222 en 1875 cf. ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et
commerciales [1804 ; 1889].
218 MONTOUX (Michel), op. cit., p.141.
219 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
220 180 en 1903 et 213 en 1904. ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
221 Les Charbonnages des Deux-Sèvres prennent le contrôle de l’exploitation.
- 57 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
1914 222 et 24 en 1916, année de la fermeture de la mine et de la fusion de la société avec son
équivalent vendéen.
350
300
250
200
150
100
50
0
Figure 1 : évolution des effectifs des houillères de Faymoreau et de Saint-Laurs :
1830 1840 1844 1846 1858 1861 1887 1900 1914 1916
Saint-Laurs Faymoreau
Sources : ADDS 10M17.1 ; MONTOUX (Michel), op. cit.¸p.141, ADVd 6M1232, ADVd 4M195, ADVd 10M48,
Regourd (Florence), Grèves et ouvriers vendéens…, op. cit., pp.152-153.
L’aventure charbonnière vendéenne se poursuit encore pendant une quarantaine
d’années, jusqu’à la fin de la concession de Faymoreau le 28 février 1958.
Si l’activité et le nombre de mineurs peuvent paraître faibles en comparaison des
grands centres industriels du Nord, de l’Est ou du Centre de la France, ils suffisent à expliquer
la naissance d’une conscience de classe dans un environnement très rural où l’ouvrier ressent
sa particularité et le pouvoir collectif dont il peut disposer. Le travail y est organisé
rationnellement dans un univers clos et hiérarchique bien différent du monde agricole qui
prédomine, et ce aussi bien dans les mines qu’à la verrerie. L’influence de travailleurs
étrangers à la région venant de bassins industrieux s’y fait aussi sentir. Baigné dans ce
microcosme, l’ancien journalier agricole se rend compte qu’il appartient à ce que l’on nomme
déjà le prolétariat.
222 Ibid.
- 58 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
La manufacture d'armes de Châtellerault et les houillères du massif vendéen ne sont
pas les seules activités industrielles à éclore au XIX e siècle. Quelques-unes semblent
apparaître ex nihilo, d’autres connaissent un nouvel élan qui les pousse à un développement
plus conséquent, tout en obéissant à des schémas de production moins innovant que ceux
existant à Châtellerault ou à Faymoreau.
B- Les nouvelles professions
Le développement de nouveaux secteurs d’activités au XIX e siècle s’accompagne
rarement d’un mode d’organisation moderne et encore moins scientifique. La plupart du
temps les nouveaux métiers restent organisés de manière traditionnelle dans des ateliers
fortement marqués par l’influence artisanale, même si au fil des décennies la rationalité
industrielle et économique fait son chemin dans les esprits des entrepreneurs et dans le
quotidien des travailleurs.
a) Les sardinières 223 et les boîtiers des conserveries vendéennes
La pêche à la sardine connaît un essor considérable au XIX e siècle aussi bien en
Bretagne que le long des côtes vendéennes grâce à un nouveau procédé de conservation du
poisson.
1. L’innovation capitale d’un confiseur nantais
La pêche et le commerce de la sardine au large des côtes vendéennes ne sont
évidemment pas nés au XIX e siècle. La tradition veut que Les Sables-d'Olonne trouvent leur
origine dans la venue de pêcheurs basques et espagnols attirés par les cétacés 224 et les sardines
qu’on trouve au large. Plus tard, en 1610, les marins hispaniques apprennent aux autochtones
vendéens une nouvelle technique de capture de la sardine, dite « au filet droit 225 », qui
remplace celle « à la ligne » ou « à l’hameçon ».
223
Le terme « sardinière » correspond ici aux ouvrières des usines de sardines et non aux simples vendeuses
itinérantes.
224 eme
La pêche de la baleine prend fin courant XVI siècle.
225
D’AVIGNEAU (André Marie), L’industrie des conserves de poissons en France métropolitaine, thèse
sciences économiques, Rennes, 1958, p.34.
- 59 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Ce poisson devient au XVIII e siècle une des principales ressources du bas Poitou et de
la Saintonge. L’intendant Le Nain explique en 1733 que la sardine fait vivre sur les côtes du
bas Poitou « une infinité de peuples 226 ». Une faible campagne de pêche y est souvent
synonyme de misère. Le port des Sables-d’Olonne, devenu un grand port sardinier,
abandonne la pêche à la morue 227 , plus onéreuse et difficile.
Les méthodes de conservation 228 de la sardine sont longtemps rudimentaires. Elle est
préparée confite, comme le rapporte déjà Savary Des Bruslons dans son Dictionnaire
universel du commerce, ou sous forme de confitures au vinaigre, au beurre ou à l’huile 229 .
Puis trois autres méthodes de conservation s’imposent et font l’objet d’une activité
économique importante. Il s’agit de la sardine anchoitée, de la sardine en pile, litée dans des
caques 230 , et surtout de la sardine pressée. Des modes de préparation 231 à base de sel.
Il faut attendre la deuxième décennie du XIX e siècle pour qu’un nouveau mode de
conservation de la sardine soit inventé, plus propice à une industrialisation. Cette innovation
est l’œuvre d’un confiseur nantais, Joseph Colin, qui élabore une technique de préparation à
base d’huile. La spécificité de l’opération provient de la stérilisation du poisson, qui est
ensuite stocké dans des boites en fer blanc 232 .
Ce procédé ouvre d’importantes et nouvelles perspectives commerciales. Le poisson
n’est plus théoriquement périssable ; son transport est grandement facilité, sans aucune
préoccupation de fraîcheur, et son goût n’est plus dénaturé par le sel. C’est ainsi que se crée
un marché spécifique qui fait sortir l’activité sardinière du monde purement halieutique pour
la faire entrer, en partie, dans l’univers industriel.
226 PAPY (Louis), L’homme et la mer sur la côte atlantique de la Loire à la Gironde, thèse lettres, Bordeaux,
1941, p.190.
227 L’age d’or de la morue aux Sables-d’Olonne se situe entre 1660 et 1720. Selon Savary Des Bruslons, « les
négociants de cette ville sont de tous les français, ceux qui donnent le plus dans la pêche de la morue et qui le
font avec le plus grand succès ». Cet enthousiasme est tempéré par Le Bouedec qui affirme qu’on est loin des
grands ports morutiers des côtes de la Manche, cf. LE BOUEDEC (Gérard), Activités maritimes et sociétés
littorales de l’Europe atlantique(1690-1790), Paris, 1997, chapitre 1, pp.5-30. Ensuite, l’insécurité maritime et
la désaffection des armateurs nantais et rochelais, attirés par les Antilles et ses ressources, sonnent le glas de la
pêche à la morue en Vendée.
228 BESANCON (Jacques), Géographie de la pêche, Paris, 1955, 5 eme partie, chapitre 2 : le traitement des
produits périssables, pp. 248-280.
229 SAVARY DES BRUSLONS (Jacques), Dictionnaire universel de commerce, d’histoire naturelle, et des arts
et métiers, Copenhague, 1760.
230 Sardines salées superposées et pressées dans des barriques.
231 Voir D’AVIGNEAU (André Marie), op. cit., p.37 et s. pour un descriptif plus détaillé de ces méthodes de
conservation.
232 Sur l’innovation de Joseph Colin, voir D’AVIGNEAU (André Marie), op. cit., p.51 et s. et BESANCON
(Jacques), Géographie de la pêche, Paris, 1955, p.271 et s.
- 60 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Le nouveau mode de conservation va d’abord se répandre en Loire-Atlantique et en
Bretagne, le long de la cote d’Armor. Il faut attendre les dernières années de la monarchie de
Juillet, et l’arrivée de capitaux nantais, pour que cette industrie s’installe dans les ports
vendéens où se côtoient quelques temps les anciennes presses à sardines et les nouvelles
usines de confiserie.
Cavoleau cite dans son ouvrage de 1844 deux conserveries 233 . La première d’entre
elles se situe aux Sables-d’Olonne. Il s’agit d’une succursale de la maison Colin de Nantes.
La seconde est établie à Saint-Gilles et comprend un atelier de salaison et un autre de
confiserie. A la même période, la Statistique Industrielle de la France 234 mentionne
parallèlement l’établissement Drouet aux Sables-d’Olonne, qui continue à presser les sardines
et occupe douze ouvriers, et la maison Joubert à Croix-de-Vie. Dans Les années qui suivent
les petites usines fermeront faute de poisson suffisant à confire. Un bref déclin avant le
véritable essor.
2. L’essor de la sardine en conserve
Le développement véritable de la confiserie 235 sardinière a lieu à partir de 1855 sous
l’impulsion des conserveries bretonnes et nantaises 236 , dont la Vendée devient une sorte de
succursale, comme elle l’a déjà été jadis en d’autres domaines 237 .
Trois facteurs expliquent « l’extension décisive » des conserves de poissons.
Le premier est la demande exponentielle de denrées faiblement périssables faites par les Etats-
Unis et l’Australie, liée aux ruées vers l’or de l’époque et à la colonisation des grands espaces.
Le deuxième facteur est le développement des chemins de fer facilitant le transport de
marchandises et l’élargissement des marchés.
233 CAVOLEAU (J.-A.) (annoté par de LA FONTENELLE DE VAUDORE (A.-D.)), op. cit., chapitre 7.
234 Statistique Industrielle de la France, 1840-1845, t.IV, Midi Occidental, 1852 cité par REGOURD (Florence),
Industries et ouvriers vendéens en 1848 d’après « l’enquête sur le travail agricole et industriel », enquête et
documents, centre de recherche sur l’histoire de la France atlantique, université de Nantes, IV, 1978, p.7.1
235 Une confiserie est, selon le Littré, une « usine où l’on prépare les sardines pour les confire et conserver ».
236 Sur les 44 usines de conserves de tout le littoral atlantique, quinze appartiennent à des nantais en 1855.
237 En effet le département fournissait à Nantes une partie de la main d’œuvre nécessaire aux ambitions
commerciales du grand port de l’embouchure de la Loire, BOUYER (Murielle), L’attraction progressive de
Nantes sur les petits ports bretons et poitevins, Des villes, des ports, la mer et les hommes, Comité des travaux
historiques et scientifiques, Paris, 2001, pp. 41-52.
- 61 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Enfin, la troisième cause se situe dans l’importante publicité faite à ce produit innovant dans
les expositions internationales comme celle de Londres de 1851. Le monde entier découvre
alors les vertus de la sardine en boite.
Dans le même temps aux Sables-d’Olonne le nombre de fabriques de conserves
prédomine sur celui de Saint-Gilles. Les enquêtes économiques préfectorales 238 recensent
trois conserveries aux Sables-d’Olonne occupant 280 à 312 personnes entre 1856 et 1863. Les
petits ports de Saint-Gilles et de Croix-de-Vie comptent deux usines de conserves faisant
travailler de 240 à 160 personnes aux mêmes époques 239 .
Il est important de signaler que ces effectifs ouvriers sont fortement fluctuants d’une
année sur l’autre. En effet, le nombre de personnes employées, essentiellement des femmes de
marins 240 , dépend entièrement de la réussite des campagnes de pêche commençant vers la fin
du mois de mai de chaque année et se terminant en septembre, voire jusqu’en novembre bien
plus au large. Il s’agit donc pour les marins, comme pour les employées des conserveries,
d’un travail saisonnier qui dure à peine la moitié de l’année.
Néanmoins l’industrie de la conserve vendéenne n’en finit pas de se développer. C’est
l’époque « d’un engouement extraordinaire pour la pêche à la sardine 241 ». Dans les dernières
années du second Empire une première usine est établie sur l’Ile-d’Yeu en 1867. Trois ans
plus tard, le département comprend treize conserveries dont neuf aux Sables-d’Olonne.
En 1876, la côte de l’arrondissement des Sables compte 22 confiseries de sardines. Le
chef-lieu en comprend une douzaine 242 occupant 330 personnes 243 ; Croix-de-Vie, sept,
employant 240 ouvriers et ouvrières et l’Ile-d’Yeu, compte trois fabriques 244 . Six ans plus
tard, un quatrième site consacré à la transformation de la sardine naît à Noirmoutier où le
sous-préfet de l’arrondissement des Sables relève en 1855 26 conserveries donnant du travail
238
ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
239
Le département de la Vendée compte donc cinq conserveries de poisson contre quinze pour le Morbihan, onze
pour la Loire-Inférieure, neuf pour le Finistère, et quatre à La Rochelle en Charente Inférieure.
240
Sur les sardinières cf. MARTIN (Anne-Denes), Les ouvrières de la mer, histoire des sardinières du littoral
breton, Paris, 1994, 195 p.
241
PAPY (Louis), op. cit., p.195.
242
Le rapport préfectoral du second trimestre 1876 relève onze usines aux Sables-d’Olonne, huit à Croix-de-Vie
et aucune à l’Ile-d’Yeu, alors que d’Avigneau en compte respectivement douze, sept et trois en se basant sur
l’article d’ODIN, Histoire de la pêche de la sardine en Vendée et sur les côtes les plus voisines (1610-1880),
Revue des Sciences Naturelles de l’Ouest, 1894, t.V, p.203.
243
ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
244 Ibid.
- 62 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
à environ 500 femmes, 95 ferblantiers et vingt manœuvres 245 . On produit alors annuellement
un million de boites de sardines et 30 000 de thon.
Carte 3 : fabriques de conserves de l’arrondissement des Sables-d’Olonne en
1909 246 :
Source : ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927].
La mise en conserve du poisson emploie deux types de main d’œuvre. D’un côté, une
élite constituée par les soudeurs-boîtiers, et de l’autre, la masse anonyme des sardinières. S’y
ajoutent parfois quelques dockers faisant office de manœuvres.
Les ferblantiers, en général des bretons, se considèrent comme membres à part entière
d’une aristocratie ouvrière, détenteurs d’un savoir-faire unique, qui les rapproche des maîtres
artisans et compagnons des anciens temps. Ils apparaissent un peu comme des « alchimistes »
au savoir ésotérique exerçant un « véritable art ». Cette position élitiste explique aussi leur
245 ADVd 6M1242. Situation commerciale et industrielle mensuelle [1862 ; 1887].
246 ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927].
- 63 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
lutte ardente contre le machinisme qui apparaît dans la profession aux alentours des années
1880 247 . Leur petit nombre 248 et leurs origines souvent étrangères à la Vendée renforcent leur
spécificité et les mettent à l’écart du reste des employés de la filière. L’ostracisme et
l’hostilité latente des sardinières et des pêcheurs à leur égard s’expliquent également par leur
soumission aux organisations syndicales nantaises qui leur font prendre parfois des positions
antagonistes à celles des pêcheurs et de leurs femmes. Les ferblantiers profitent de leur
position dominante afin de faire pression sur le patronat pendant les périodes de pêches,
obligeant parfois les marins pêcheurs à vendre le fruit de leur labeur à vil prix ou même à le
rejeter à la mer. Enfin, et contrairement aux sardinières, leur activité n’est pas saisonnière.
A l’opposé les sardinières, composées à 80% de femmes, sont recrutées parmi les
familles de pêcheurs, et constituent une main d’œuvre sous-qualifiée et peu payée. Leur tâche
consiste à préparer le poisson, c’est-à-dire le nettoyer, le saler, l’étêter, le saumurer et le
sécher. Une fois ces opérations achevées, il est temps de cuire le poisson à l’huile bouillante
avant de le mettre en boîte. Un travail pénible et très intense, particulièrement durant la pleine
période de pêche où la sardine doit être apprêtée rapidement.
Le nombre de ces ouvrières varie chaque année selon les besoins des conserveries. A la fin du
XIX e et au début XX e siècle, leur nombre oscille entre 800 et 2000 249 . C’est l’époque où le
thon germon commence à prendre le relais d’une industrie sardinière dont
l’approvisionnement devient parfois difficile 250 .
Toutefois cette industrie subsiste allégrement jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il
y a toujours 12 conserveries donnant du travail à 1243 personnes aux Sables-d’Olonne en
1909 251 et à 700 individus en 1914. Après le chef-lieu d’arrondissement c’est à l’Ile-d’Yeu
qu’il y a les plus grands effectifs en la matière : 524 sardinières en 1909 252 . Saint-Gilles-
Croix-de-Vie n’est plus que la troisième place de l’industrie sardinière vendéenne en 1909 car
elle n’emploie alors que 445 ouvriers 253 . Enfin, Noirmoutier, centre le plus récent, compte
211 personnes en 1909 dans les usines établies sur son territoire 254 .
247
Voir tableau n°2 pour le nombre de machines à sertir présentes dans les usines de Vendée en 1909.
248
Ils sont souvent une petite vingtaine par usine.
249
Ibid.
250
Certaines confiseries commencent dès les années 1870, cf. PAPY (Louis), op. cit., p.194-195.
251
ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927].
252 Ibid.
253 Ibid.
254 Ibid.
- 64 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
De grands groupes industriels du secteur alimentaire sont nés de cette activité 255 . Les
plus connus sont les maisons Saupiquet, dont une usine est installée à l’Ile-d’Yeu et une autre
aux Sables-d’Olonne, et Cassegrain, comptant des succursales à Croix-de-Vie et à
Noirmoutier, des maisons possédant bien souvent leur propre flotte de bateaux de pêche 256 .
Tableau 1 : liste des usines de conserves de l'arrondissement des Sables-d’Olonne
en août 1909 :
Sables-d'Olonne
Noirmoutier
Croix de Vie
Ile d’Yeu
Usines
- 65 -
Employés
soudeurs manœuvres Femmes
Machines à sertir
Pellier frères 3 7 165 4
Paré 6 2 30
Saupiquet (SA) 4 2 82
Lechat, Philippe et Cie 12 5 100
Basset 18 8 120
Courtin 14 4 70
Tirot 14 6 70
Veuve Laurent 16 6 80
Ramell 20 6 120
Rouland 14 5 80
Béziers / 5 60
Dumagnou 14 4 75 4
Cassegrain et Cie 7 4 83 4
Parmentier 12 6 80 1
Mme Legal 5 1 13
Aubin, Salles et fils 11 3 35
Brunet frères 17 8 90
Gendreau, Morin et Cie 13 6 60
Cassegrain et Cie / 5 80 5
Dandicolle et Gaudin 6 4 30
Tertrais 14 3 60
Amieux et Cie 12 8 140 3
Vouvais-Flon 12 9 110 6
Saupiquet (SA) 5 6 135 3
Jacquier 16 9 62
Source : ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927].
255 Voir tableau n°2.
256 CLEMENT (Jean-Yves), PAILLĒ (Patrick), op. cit., p.27.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
La technique innovante du confiseur nantais trouve très vite des débouchés dans le
monde entier. L’Inde importe la moitié de la production française en 1827. La Maison Colin
jouit alors d’une « réputation colossale dans l’Inde, en Angleterre, dans tout le monde
maritime 257 ». Les Etats-Unis, le Mexique et les Antilles consomment également de la sardine
en boite. En 1845, La Russie et l’Allemagne s’ajoutent à la liste. Malgré quelques crises
conjoncturelles, comme celle née de la Guerre de Sécession américaine, et certaines
campagnes de pêches médiocres 258 , l’industrie de la sardine trouve toujours des débouchés,
car elle est, selon le jury international de l’Exposition universelle de 1867, « une véritable
spécialité française » que n’égale aucun autre pays.
Illustration 5 : déjeuner des femmes d’une usine de sardines de Croix-de-Vie
(date indéterminée) :
Cependant la clientèle internationale se transforme dans le dernier quart du XIX e
siècle. L’Angleterre achète 50% de nos exportations, un quart va aux Amériques et le reste en
Europe, en Russie et en Turquie. Le secteur tout entier est dépendant de ces débouchés.
La toute fin du XIX e siècle marque le terme du monopole français. L’Espagne et le Portugal
deviennent de redoutables concurrents, quelquefois grâce à des investissements français. Si
257
Procès verbal du jury du département pour l’Exposition qui a lieu à Paris en 1834 cité par D’AVIGNEAU
(André Marie), op. cit., p.85.
258
Comme pendant les années 1870 à 1872 ou les années 1880 qui semblent catastrophiques eu égard aux
volumes pêchés.
- 66 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
bien que les exportations diminuent, notemment vers l’Angleterre. La France commence
même à importer des sardines en boîte. Néanmoins, le retour de pêches au volume important
combiné à de nouvelles améliorations des techniques de production et de conditionnement,
permet aux conserveries de retrouver une nouvelle prospérité. Et cela d’autant plus que
désormais le thon est lui aussi mis en conserve.
Le début du XX e siècle est à nouveau marqué par une crise d’approvisionnement en
matières premières touchant plus la Bretagne que la Vendée. La concurrence augmente et
entretient savamment la confusion avec les produits français toujours renommés. La crainte
de la surabondance hante les esprits des entrepreneurs, ce qui n’empêche pas le secteur de la
conserve de poisson de perdurer après le premier conflit mondial.
Loin des embruns marins et de l’activité portuaire, un autre secteur apparaît dans les
dernières décennies du XIX e siècle à l’intérieur du bocage qui borde la Sèvre nantaise, où de
petits entrepreneurs ont choisi de se lancer dans la fabrication de chaussures bon marché.
b) A l’origine de l’industrie de la chaussure choletaise
L’industrie de la chaussure s’implante dans le « rayon choletais » à partir des années
1870 259 . Elle naît en réaction à la crise profonde qui affecte le textile traditionnel 260 et profite
d’un mode d’organisation économique centenaire axé autour du travail à domicile et de la
communauté laborieuse dite du « bourg industriel » 261 .
Les premiers producteurs d’espadrilles, de savates et de pantoufles offrent aux
tisserands des campagnes du travail à domicile. Ces derniers souffrent de l’installation
d’ateliers textiles de grande échelle dont ils redoutent la modernité, la promiscuité entre les
hommes et les femmes et les règles strictes qui les obligeraient à renoncer à leur mode de vie
rural. Cette réticence est alimentée en grande partie par le clergé local qui encourage le travail
à domicile : « les ouvriers engagés acceptent ce genre de travail [la fabrication de chaussures
bon marché] parce qu’il ne dérange pas les habitudes rurales, qu’il n’oblige pas à travailler
259 Pour une approche complète de cette activité, voir CHÉNÉ (René), Les débuts du commerce et de l’industrie
de la chaussure dans la région de Cholet, 1980, Maulévrier, 132 p. Cet ouvrage est l’œuvre d’un entrepreneur en
chaussure locale et a été rédigé en 1918. En plus des renseignements purement techniques, cette publication
permet de cerner plus facilement l’état d’esprit des petits patrons de l’époque. Concernant le développement de
la fabrique dans l’industrie de la chaussure voir AFTALION (Albert), Le développement de la fabrique et le
travail à domicile dans les industries de l’habillement, Paris, 1906, p.51 et s.
260 Voir infra p.108 et s.
261 Ibid.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
dans un atelier, parce qu’il reçoit la caution cléricale garantissant le maintien des bonnes
mœurs, le respect du dimanche 262 ».
Les premières fabriques de chaussures sont créées dans les Mauges autour des foyers
de Saint-Macaire, le May-sur-Evre, la Séguinière et la Tessouale. Le premier à tenter
l’aventure est un ancien directeur d’une maison de détenus des Pyrénées Orientales 263 . Son
initiative tourne à l’échec. Néanmoins, elle a le mérite de faire naître dans l’esprit des
entrepreneurs autochtones l’idée que cette nouvelle activité peut se développer dans la région.
Dès lors les fabriques se multiplient. On en compte quatre en 1889, toutes dans les Mauges,
alors qu’il y en aura une quarantaine en 1905, réparties dans tout le « rayon choletais » dont
les maisons Gaillard et Hammond à Montaigu, Damelon à Châtillon et Olivier aux
Herbiers 264 .
Carte 4 : exemples de localités du rayon choletais accueillant des usines de
chaussure au début du XX e siècle :
Sources : GAUCHER (Michel), op. cit. & CHĒNĒ (René), op. cit., p.75 à 81.
262 MARTIN (Jean Clément), Aux origines de l’industrie vendéenne, Cahier du Centre de Recherche pour
l’Aménagement Régional, Les industries rurales, Actes du colloque du GIS-GIRI du 16-17 novembre 1982 à La
Roche-sur-Yon, n°22, Nantes, 1983, p.44.
263 Un certain Adam qui faisait fabriquer des chaussures aux détenus.
264 GAUCHER (Michel), op. cit., p.14.
- 68 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Un recensement de 1896 fait état de 1403 ouvriers travaillant à la confection de chaussures 265 .
Le modèle dit « de Cholet » est vite compétitif. Son prix de revient très bas, dû aux salaires et
autres frais généraux peu élevés, concurrence efficacement les productions des villes de
Limoges, Fougères, en Ille-et-Vilaine, Nîmes et Nancy.
A la fin du XIX e , les ateliers tant redoutés par la population font leur apparition.
Auparavant, seuls les emballeurs et quelques femmes y travaillaient. L’entrepreneur Chéné
vante les mérites de ce nouveau mode d’organisation du travail basé sur sa division. Il permet,
selon lui, une meilleure exploitation de l’habileté du personnel, des gains de temps dans la
production et l’apprentissage, une utilisation optimum des capacités des femmes et des
enfants et le contrôle des coûts de revient des produits. Il s’extasie devant le modèle américain
où l’on fabriquerait une paire de chaussures en 17 minutes. Les contremaîtres locaux, souvent
issus du monde de la cordonnerie traditionnelle, doivent s’adapter à ces nouvelles contraintes
qu’ils ignorent jusqu’alors. En revanche, les machines mettent du temps à s’imposer.
Les matières premières locales sont rares dans le processus de production d’une
chaussure de Cholet 266 . Le cuir est acheté à Rennes et dans le Nord de la France. On utilise
aussi beaucoup la peau de moutons en raison de sa faible valeur 267 ; une grande part provient
de la région mais encore d’Espagne et du Maghreb. Le feutre des semelles vient d’Ardèche
mais aussi de l’Est de la France. Les cuirs vernis haut de gamme arrivent d’Angleterre et de
Bavière. Les velours sont fabriqués à Amiens, Roubaix ou Lille. Les lacets sont de Saint-
Étienne et de Saint-Chamond. Enfin Paris et ses alentours fournissent la colle et le cirage.
Ainsi, Cholet et la Vendée choletaise se trouvent au centre d’un petit réseau de
commerce européen avec une large gamme de production qui va de la chaussure supérieure en
cuir aux articles appelés « genre choletais » : pantoufles en cuir, feutre, velours ou toiles et les
fameuses « inusables » à semelles de feutre ou de cuir.
Moins ambitieux est le commerce des brosses qui se développe temporairement au
milieu du XIX e siècle autour du chef-lieu du département des Deux-Sèvres.
265 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit. , p.91.
266 CHĒNĒ (René), op. cit., p.75 à 81.
267 Le cuir de mouton se situe tout en bas de la hiérarchie des cuirs.
- 69 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
c) Les Brossiers
Toute la filière de la transformation du crin animal est installée dans le niortais. En
amont on prépare les poils longs et rêches des animaux dans des filatures afin de les utiliser
en aval pour fabriquer des brosses et des pinceaux.
1. Les fabriques et filatures de crins
La préparation et la transformation du crin animal se développent à partir de la
seconde moitié du XIX e siècle à Niort et dans ses environs.
Trois catégories de produits existent. La première catégorie appartient à l’industrie du
luxe. Il s’agit de redresser les soies de porcs, de les rassembler en paquet pour ensuite les
expédier à des fabriques de brosses. L’Allemagne et la Russie dominent le marché où la
France, avec ses fabriques niortaises mais aussi bordelaises et messines, tente de se faire une
place. Ces fabriques se spécialisent aussi dans la préparation de crins longs destinés aux
fabricants de tamis et d’étoffes en crins, connu pour leur réputation de résistance et utilisé
dans le monde de l’ameublement. Enfin il y a les crins frisés le plus souvent destinés à garnir
fauteuils, chaises, divans et matelas.
Les fabriques et filatures de crins se développent surtout sous le second Empire.
L’entreprise niortaise Proust frères et Noirot fils 268 est emblématique. Elle naît à la
suite du rachat de la société du sieur Bizard et se développe grâce à la mécanisation des
procédés de nettoyage des soies et des crins. Cet établissement est le plus important de ce
secteur. Dès 1848, il occupe une cinquantaine d’ouvriers aidés par quelques dizaines
d’enfants. Sept ans plus tard, on recense 135 ouvriers travaillant dans les murs de la fabrique.
Ils sont 140 en 1867 mais seulement une petite centaine à partir des années 1870 269 .
La seconde fabrique de crin établie dans le chef-lieu de département l’est à l’initiative
des frères Cadiot en 1852. Trois ans plus tard, ils emploient 60 ouvriers dont 20 prisonniers 270
occupés au triage des soies brutes, un travail loin d’être une sinécure au regard de
l’atmosphère miasmatique dans laquelle ils sont confinés. Une quinzaine d’années après, le
nombre d’employés a baissé : on en compte 57 dont 10 enfants. L’affaire lutte contre des
268 Jean Ernest Noirot est le fils de l’illustre chamoiseur niortais Jean Adolphe Noirot.
269 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
270 BODIN (E.), Mémoire statistique sur l’industrie et le commerce de l’arrondissement de Niort à l’occasion de
l’exposition universelle, MSSDSS, t. XVIII, 1855, p.111.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
difficultés financières liées, entre autres, aux conséquences de la guerre de Crimée. Et
pourtant, l’entreprise vend dans toute la France : Sedan, Brive, Besançon, Poitiers et Rodez…
Mais cela ne suffit pas et la faillite devient inévitable en 1872.
Niort n’a pas le monopole du travail du crin. La petite commune d’Usseau, située dans
le canton de Mauzé, dispose elle aussi de sa fabrique. Le notable local Charles Brelay en est
l’instigateur : 50 femmes et 80 enfants y travaillent en 1855 271 .
Une fois le crin préparé il trouve souvent preneur chez les brossiers. Quelques
entreprises de ce genre s’établissent à Niort et dans ses alentours, sans pour autant pérenniser
réellement leur implantation.
2. Les fabriques de brosses et de pinceaux
Durant le second Empire le nombre de ces fabriques oscille entre quatre et sept. En
1855 l’arrondissement de Niort en compte cinq employant 208 ouvriers 272 . Ensuite ce nombre
ne va cesser de diminuer et seuls les plus petits établissements survivent encore vingt ans plus
tard. Les enquêtes préfectorales du début des années 1880 mentionnent toujours cinq
fabriques n’occupant plus au total que 42 personnes 273 .
Néanmoins quelques entreprises se distinguent pendant ce laps de temps notamment
celle des frères Bignonneau. Les deux frères, associés jusqu’en 1857 puis concurrents par la
suite, disposent des deux plus grandes brosseries de l’arrondissement. Auréolés de plusieurs
participations aux expositions universelles, ils embauchent à eux deux près de 340 personnes
en 1867 274 . Malheureusement la faillite de leur banque va les obliger à déposer le bilan.
L’épisode sonne le glas des ateliers importants dans l’arrondissement.
L’activité brossière trouve un nouvel élan quelques années après à Poitiers. En 1894
150 personnes sont appliquées à façonner des brosses dans la capitale Poitevine. Dix ans plus
tard ce sont quatre fabriques de brosses que mentionnent les enquêtes et rapports de
l’époque 275 . Elles occupent près de 200 ouvriers.
271
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
272
BODIN (E.), op. cit., p.111.
273
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
274 e
MARTIN (Jean Clément), Aspects de l’industrialisation à Niort au milieu du XIX siècle, op. cit., p.403.
275
ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902] & ADV M12.114. Grèves et coalitions [1903 ; 1906].
- 71 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Le XIX e siècle voit aussi apparaître de nouvelles formes d’industries axées autour de
productions alimentaires sortant des modes anciens de fabrications artisanales.
d) La naissance des métiers agro-alimentaires
Il n’est pas question ici de dresser un inventaire de tous les établissements qui entrent
dans le cadre des industries alimentaires. La majeure partie d’entre eux est organisée de façon
artisanale et chacune ne regroupe souvent qu’une faible proportion d’ouvriers. C’est le cas des
minoteries et meuneries, disséminées dans les nombreuses communes des trois départements.
L’exemple des Deux-Sèvres l’illustre bien puisqu’il y a 312 moulins recensés sous les
monarchies censitaires 276 , puis 34 dans 22 communes en 1887 277 .
En dehors de ces activités traditionnelles et manifestement artisanales, on tente d’implanter de
nouveaux produits issus de nouvelles cultures ou de procédés innovants qui apparaissent au fil
de la première moitié du XIX e siècle. Les rêves de gloire industrielle aidant, on tente de
développer ces activités sur une grande échelle et de façon organisée, loin des modèles de
production ancestraux. La culture du colza et des betteraves sucrières est l’occasion pour des
entrepreneurs de tenter l’aventure moderne de l’industrie.
1. Les huiliers
Les huiles alimentaires sont issues du pressage des noix ou du colza, dont la culture
apparaît dans la région à partir des années 1820. Nombre de ces fabriques produisent aussi de
l’huile à brûler. Les deux productions sont souvent confondues par les autorités
administratives, ou bien la distinction n’est point mentionnée par les industriels producteurs
eux-mêmes.
C’est encore une fois dans les Deux-Sèvres que cette activité semble la plus
développée, et tout particulièrement à Niort, une ville longtemps enclavée 278 nécessitant une
production locale afin de pallier ses besoins.
276
PINARD (Jacques), Les industries du Poitou et des Charentes, étude de l’industrialisation d’un milieu rural
et de ses villes, thèse lettres, Poitiers, 1971, p.88.
277
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
278
Niort est reliée au réseau ferroviaire bien plus tard que les villes voisines de Poitiers, Nantes et Bordeaux, ce
qui explique qu’elle prend moins vite part à l’unification du marché national sous le second Empire. Le chef-lieu
- 72 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
On en recense déjà quatre en 1836 279 . L’enquête économique et sociale de 1848 ne
mentionne pas le nombre d’établissements qui se consacrent à la fabrication d’huile mais
rapporte que 50 personnes y travaillent quatre mois de l’année. En effet, pour des raisons
évidentes liées au climat c’est une activité saisonnière 280 . En 1855 une centaine d’ouvriers
pressent le colza et le lin dans quatre huileries où les moulins fonctionnent à la vapeur ou sont
actionnés par une roue hydraulique. L’activité subit les aléas de la production agricole et une
concurrence nationale de plus en plus forte. A la fin du second Empire il ne semble subsister à
Niort qu’une usine se consacrant à l’huile, à côté de petits ateliers artisanaux sans envergure
comme ceux de Saint-Maixent employant une dizaine d’ouvriers en 1873 281 .
Le colza provenant principalement de Vendée, il n’est pas étonnant d’y trouver
quelques huileries. En 1844, deux d’entres elles sont établies à Saint-Hermine et à Nieul-sur-
l’Autise, cette dernière employant 25 personnes 282 . Vingt ans plus tard les autorités en
mentionnent toujours deux mais cette fois-ci près de Luçon et de Fontenay-le-Comte 283 .
Enfin, les diverses autorités du département de la Vienne s’avèrent discrètes quant aux
éventuelles huileries pouvant parsemer le territoire dont elles ont la charge. Seule l’enquête
économique et sociale de 1848 indique la présence d’une telle activité dans chaque
arrondissement du département à l’exception de celui de Loudun. Le châtelleraudais remporte
la palme en la matière avec 39 établissements devant les arrondissements de Poitiers (26) et
de Civray (17) 284 . Néanmoins ces chiffres laissent à penser qu’il s’agit majoritairement
d’établissements de très petite taille sans commune mesure avec les quelques huileries
importantes citées auparavant.
Si on cultive le colza pour en faire de l’huile, on fait croître la betterave afin d’en
extraire du sucre.
du département des Deux-Sèvres doit donc produire lui-même les biens dont il a besoin, qui souffrent moins vite
de la concurrence nationale.
279 ADDS 4M6.12. Chouannerie ; rapports divers [1836 ; 1837].
280 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., p.397.
281 ADDS 4M6.12. Chouannerie ; rapports divers [1836 ; 1837].
282 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
283 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
284 ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852). On n’en répertorie qu’une seule dans l’arrondissement
de Montmorillon.
- 73 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
2. Les sucriers
La betterave sert de base à deux types de production : le sucre et l’alcool.
Sous l’Empire, la France souffre du blocus continental. On recherche notamment un
substitut métropolitain à la canne à sucre. La betterave est l’heureuse élue. En 1811 près de
32 000 hectares sont consacrés à cette nouvelle production. Un an plus tard Benjamin
Delessert réussit à en extraire le sucre industriellement.
Il faut attendre près de 20 ans pour que de telles fabriques s’installent sur le territoire
de l’ancienne province du Poitou 285 . En effet, c’est en 1829 qu’un rapport préfectoral
mentionne pour la première fois l’établissement d’une fabrique de sucre de betterave dans la
ville de Niort 286 . Elle produit annuellement entre 25 000 et 35 000 kilogrammes de sucre. En
1832, elle occupe 30 ouvriers 6 mois par an 287 . En outre cette activité tributaire des récoltes
connaît d’importantes fluctuations d’effectifs l’obligeant parfois à fermer ses portes.
L’administrateur de la sucrerie se plaint en 1833 de la farouche concurrence étrangère qui lui
dispute ses parts de marché dont elle dispose à Saintes ou à Bordeaux et du coût des octrois à
l’entrée des villes. L’usine niortaise ferme ses portes en 1835. La chambre consultative des
arts et manufactures de la ville de Niort impute cet échec à trois années de mauvaises récoltes
et au prix excessif du combustible 288 .
Cependant l’activité réapparaît dans le sud-est du département des Deux-Sèvres alors
que la troisième République n’en est encore qu’à ses balbutiements. En 1873, une sucrerie
s’installe à Melle et y emploie 161 personnes deux ans après 289 , mais seulement 82 en 1879.
L’exploitation est toujours autant dépendante des récoltes et des saisons : quand la période de
la betterave survient on travaille parfois vingt-quatre heures sur vingt-quatre par équipes de
12 heures.
C’est encore dans les Deux-Sèvres que quelques industriels locaux tentent de
développer des distilleries d’alcool de betterave.
285 La plaine du sud du département des Deux-Sèvres est favorable à la culture de la betterave.
286 Lettre de l’administrateur de la sucrerie de Niort au maire de Niort du 15 juillet 1833, ADDS 11M16.1 :
organisation et développement du commerce et de l’industrie : Alimentation.
287 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
288 ADDS 11M16.1 : organisation et développement du commerce et de l’industrie : Alimentation.
289 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
L’activité vinicole souffre en ce milieu du XIX e siècle. Les maladies qui se
succèdent 290 ont détruit les vignobles et provoqué une forte augmentation des prix. On
manque de raisin dans les distilleries 291 . C’est pourquoi, en 1855, Constant Foubert reçoit
l’autorisation d’établir à Niort un nouveau type de distillerie. Cent tonnes de betteraves y sont
traitées et pour cela on y emploie 120 personnes 292 . Comme pour le sucre, c’est une activité
saisonnière qui s’étend de septembre à février. Une aubaine pour quelques ouvriers privés de
travail la morte saison. En 1865 on y fabrique 40 à 43 hectolitres d’alcool par jour. Mais
quatre ans plus tard l’activité semble avoir cessé.
D’autres industriels niortais ont aussi tenté l’aventure de l’alcool de betterave. Un
rapport préfectoral du troisième trimestre 1883 mentionne quatre distilleries dans les
communes de Bréloux et de Chavagné 293 dans l’arrondissement niortais 294 . Déjà en 1863 le
canton de Saint-Maixent comptait trois distilleries occupant 140 hommes, femmes et
enfants 295 .
Près de Niort, et comme pour les fabriques de sucre, il y a Melle et ses environs où
l’on trouve quelques distilleries à la fin du XIX e siècle. Un état de la situation industrielle de
l’arrondissement de Melle pendant le 1 er trimestre de l’année 1873 parle de l’existence de
deux distilleries employant douze personnes dans la commune de Mougon 296 .
En 1887, il y a six distilleries dans tout le département, celles de Bréloux et Chavagné
et celle de Mougon. De petites tailles, elles emploient une cinquantaine de personnes 297 . Peu
de temps avant la Première Guerre mondiale on en dénombre une douzaine dont trois à la
Crèche.
En mai 1908 l’incendie de la distillerie de betteraves sucrières de Melle prive de travail près
de 150 personnes 298 . Après la Première Guerre mondiale l’usine de Melle se reconvertit en
une unité de fabrication de produits biochimiques. Elle appartient actuellement au groupe
Rhodia.
290
Diverses maladies se succèdent : l'oïdium entre 1845 et 1852 puis le phylloxera en 1865, le mildiou en 1878
et le black-rot en 1885. Ces maladies, en particulier le phylloxera, bouleversent la culture de la vigne. Il faudra
du temps pour les identifier, étudier leur développement et mettre en place les moyens de les combattre.
291
Quant aux céréales pouvant être distillées elles sont trop coûteuses.
292 e
MARTIN (Jean Clément), Aspects de l’industrialisation à Niort au milieu du XIX siècle, op. cit., p.398.
293
Ces deux bourgs forment depuis 1965 la commune de la Crèche.
294
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889]
295
Ibid.
296
Ibid.
297
Ibid.
298
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 12 mai 1908.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Illustration 6 : Distillerie de Melle incendiée le 9 mai 1908 :
Source : Le CORFEC (Jean-Michel), La vie d’autrefois dans les Deux-Sèvres, [S.l.], 2007, p.57.
A côté des nouveaux métiers agro-alimentaires balbutiants, l’industrie chimique
appartient également aux secteurs d’activité naissant et se développant au XIX e siècle.
e) Les industries chimiques
Ces industries sont apparues pour la plupart dans le dernier quart du XIX e siècle avec
les progrès de la chimie organique et minérale.
En 1874, le département de la Vienne compte trois fabriques de bougies. L’une est établie à
Châtellerault et les deux autres à Poitiers. Ces deux dernières emploient alors 30 ouvriers 299 .
En 1887, ce sont quatre petites fabriques de chandelles qui se situent sur le territoire de la
commune de Niort, employant seulement dix ouvriers.
La Belle Epoque, c’est aussi et surtout l’avènement du gaz de ville. C’est pourquoi des
usines à gaz fleurissent aux alentours des plus grosses cités. Dans la Vienne, Poitiers,
299 ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Châtellerault, Loudun et Montmorillon ont chacune leur fabrique de gaz dans le dernier quart
du siècle 300 .
La même évolution se retrouve dans les Deux-Sèvres à Parthenay, Saint-Maixent, Thouars,
Bressuire et Niort 301 . Celle du chef lieu de département produit à la fin du second Empire
240 000 m 3 de gaz par an – contre 130 000 m 3 pour celle de Poitiers. Elle est créée en 1843 et
peut alors alimenter 2000 becs de gaz. L’établissement est racheté en 1855 par un investisseur
nantais auquel la municipalité accorde le privilège de l’usine pendant 19 ans à compter de
1857.
En Vendée, les trois chefs lieux d’arrondissement disposent également de leurs fabriques
employant chacune une petite dizaine d’ouvriers 302 .
Enfin Poitiers a longtemps connu intra muros des fabriques de savon, de soude et de lessive.
Plus anecdotique est l’existence d’une marque automobile niortaise qui est apparue à
la toute fin du XIX e siècle, époque où le secteur foisonne de multiples initiatives semblables.
f) La brève et folle aventure automobile niortaise
Gaston Barré est à l’initiative de la création d’une marque automobile à Niort qui va
concurrencer pendant quelques temps les productions de Renault, Citroën, Berlier ou Ford 303 .
Barré, choletais d’origine, s’installe à Niort en 1888 où il crée un magasin de loueur et
de réparateur de cycles, puis devient fabricant de bicyclettes six ans plus tard. L’affaire est
florissante et les revenus générés poussent l’entrepreneur niortais à se lancer en 1899 dans la
grande aventure automobile. Il construit des tricycles et quadricycles propulsés le plus
souvent par des monocylindres Dion-Bouton. Outre une médaille d’or à l’Exposition
universelle de Paris en 1900, son initiative est remarquée par un grand propriétaire terrien du
cru qui lui offre un million cinq cent mille francs pour développer son affaire.
300
Les deux plus importantes sont celles de Poitiers et de Châtellerault qui emploient respectivement 45 et 10
ouvriers en 1874 et 30 et 15 dans les années 1880, ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries
principales (1873-1888). Un établissement de lumière électrique, comme on disait alors, s’installera dans la
capitale du Poitou où il occupera 8 ouvriers en 1894.
301
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
302
La commune de Luçon compte elle aussi une usine à gaz, ADVd 6M1243. Statistiques des industries
principales [1882 ; 1889].
303
Nos deux sources principales sont constituées par l’ouvrage Le CORFEC (Jean-Michel), La folle aventure de
Gaston Barré, constructeur d’automobiles à Niort, Saintes, 2004, 64 p. et par l’article mis sur le site de la
direction des Affaires culturelles du Poitou-Charentes [en ligne], http://www.poitou-charentes.culture.gouv.fr/
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
« L’établissement Barré et Cie » vient de naître et semble avoir toutes les cartes en mains
pour réussir 304 .
Dès 1903 la fabrique propose sept modèles, assemblés à partir d’éléments venant de
fournisseurs différents. En outre Barré profite du savoir-faire local, particulièrement en
matière de travail du cuir. Toutefois la diffusion demeure essentiellement régionale. En 1905,
l’entreprise innove en présentant un véhicule propulsé par un quatre cylindres refroidi par eau.
En 1906, l’établissement industriel change de raison sociale et devient les
« Automobiles G. Barré ». Jamais à court d’idées il est un des premiers à s’engager à
apprendre à conduire à ses futurs clients 305 .
Illustration 7 : publicité pour les automobiles Barré :
En 1910 la maison Barré acquiert un magasin à Paris, dans le XVII eme arrondissement,
où est transféré le siège social. Désormais, jusqu’en 1914, l’usine de Niort fabrique une
304
A titre de comparaison Louis Renault ne dispose que de 5000 francs comme capital de départ quand il crée sa
société en 1899.
305
Les premières véritables auto-écoles n’apparaissent que dans les années 30.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
voiture par jour 306 . Elle emploie une centaine de personnes dans trois usines 307 et a déjà
produit près de 1500 véhicules.
Malheureusement La Grande Guerre va briser l’élan du constructeur niortais en
interrompant la production d’automobiles. Pendant quatre années les ateliers ne fabriquent
plus que des obus et de petits camions pour l’armée. Après guerre Barré néglige le
développement de son entreprise au profit de bénéfices immédiats, ce qui condamne, à terme,
la fabrique. Cependant on produit tout de même 400 véhicules en 1926 soit quatre ans avant
la fin de l’aventure automobile de Gaston Barré.
Cette « épopée » industrielle qui dure près de 30 ans montre assez bien qu’il suffit
d’enthousiasme, de créativité et de ténacité pour qu’un centre industriel puisse voir le jour.
Barré dispose d’un budget bien plus élevé que ses concurrents de l’époque (et désormais
illustres), seul le manque d’ambition semble avoir empêché la firme niortaise d’avoir une
destinée bien plus marquante.
Ces nouvelles professions apparaissant au fil du XIX e siècle constituent la partie la
plus visible et la plus remarquable d’un ensemble bien plus conséquent formant ce que l’on
nomme à l’époque la « grande industrie ».
306 Voitures de tourisme ou utilitaires.
307 TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), Niort, 1982, t.1, p.213.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
II- Les caractères de la « grande industrie » poitevine
On entend avant tout par le terme de « grande industrie », qu’emploient les
recensements du XIX e siècle, les activités d’extraction ou de transformation de matières
premières brutes telles les mines de charbon, la métallurgie ou le secteur textile 308 . Ce dernier
domine longtemps le tissu industriel français. En 1866, il y occupe près de 50% des ouvriers
industriels, suivi de très loin par le bâtiment (14%) et la métallurgie (13%) 309 .
Une hiérarchie qui subsiste jusqu’à la Première Guerre mondiale. Le textile occupe encore
plus de 41% de la population industrielle française en 1911 devant le bâtiment (13,6%),
dépassé seulement par une métallurgie en plein essor (15,2%) 310 .
Cette réalité se retrouve dans le Poitou où la grande industrie est dominée par le textile (A)
même si là c’est le bâtiment qui prédomine 311
Toutefois l’expression de « grande industrie » ne peut être assimilée à l’importance de
la main d’œuvre employée. Les recensements montrent que l’artisanat demeure encore le
secteur le plus pourvoyeur d’emplois dans un Poitou où la concentration industrielle demeure
très faible (B).
Enfin la modernité n’est pas forcément une composante de la « grande industrie »
poitevine à l’image, encore une fois, du textile. Là, le modèle proto-industriel résiste des
décennies à la mise en place de systèmes de productions mieux contrôlés et plus efficaces (C).
308 Ce secteur comprend les activités de filage, tissage et de blanchissage. Il ne doit pas être confondu avec le
domaine de l’habillement et de la toilette appartenant à « la petite industrie ».
309 NOIRIEL (Gérard), Les ouvriers…, op. cit., p.14. Constat identique chez Georges Duveau où le textile et
l’habillement occupent 46% de la population active industrielle et artisanale du pays, loin devant le bâtiment
(17,6%), DUVEAU (Georges), op. cit.., p.196.
310 DEWERPE (Alain), Le monde du travail…, op.cit., p.95.
311 Le bâtiment et sa kyrielle de maçons, tailleurs de pierres, terrassiers, fumistes, plombiers et vitriers appartient
à la « petite industrie ». On compte ici les personnes exerçant réellement l’activité mais aussi leurs familles.
Précisons également que les secteurs particuliers des transports et de l’alimentation ne sont pas comptabilisés ici.
Ce sont deux domaines aux effectifs importants mais dont la majorité des professions ont peu de rapport avec le
monde industriel voire même artisanal (si on excepte les charrons ou les meuniers). Qu’ont en commun un
haleur, un conducteur de voiture, un boulanger, un pâtissier, un restaurateur ou un cafetier avec un fileur, un
mineur, un coutelier ou une couturière à domicile ?
Cependant il est nécessaire de garder à l’esprit que ces deux catégories occupent une place importante dans les
recensements de l’époque. En 1866, les actifs exerçant un des métiers regroupés sous le vocable alimentation
sont plus nombreux que ceux du secteur textile dans les trois départements. Même chose en 1891 même si l’écart
entre les domaines d’activité s’est réduit. Concernant les actifs, le secteur de l’alimentation occupe la troisième
place en 1866 comme en 1891 et celui des transports la cinquième en 1866 (cette catégorie étant classée à part en
1891).
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
A- La suprématie contestée du secteur textile
En 1866, dans le Poitou comme ailleurs dans le pays, le travail textile domine sans
conteste le monde de la grande industrie. A cette époque ce secteur fait vivre 1,7% de la
population des trois départements. Mais avant tout deux tiers des personnes subsistant 312
grâce à la grande industrie en sont issues, loin devant la fabrication d’objets en métal (23%).
La Vienne apparaît nettement en retrait 313 . Le département ne compte guère de
fabricants. Ces derniers sont localisés autour de Poitiers et ne confectionnent que des tissus
destinés au marché local.
Figure 2 : population 314 vivant de la grande industrie en 1866 :
EFFECTIFS
7000
6000
5000
4000
3000
2000
1000
0
6426
1319
4161
1916
544
1144
1-Tissus 2- Industrie
extractive
150
7
119
3-Fabrication
de métaux
- 81 -
1922
1657
695
4- Fabrication
d'objets en
métal
Sources : ADDS 7M4-2, ADVd 6M1100, ADV 8M2.2 à 8M2.21.
1017
405
464 415
268 295
5-Industrie du
cuir
6-Industrie du
bois
Vendée Vienne Deux-Sèvres
681605
465
7-Industrie
céramique
Il en va tout autrement de la Vendée et des Deux-Sèvres où le rayon choletais s’étend
en partie le long de la Sèvre nantaise. Beaucoup de tisserands à domicile travaillent pour les
fabricants de Cholet dans les arrondissements de Bressuire et du nord de La Roche-sur-Yon
autour de Mortagne-sur-Sèvre. On y fabrique en grande quantité des pièces de lin et de
chanvre, mais aussi de coton, imprimé ou non, ou de laine. N’oublions pas d’y ajouter les
312 Personnes réellement actives et leurs familles.
313 Dans ce département le textile ne représente qu’un tiers des personnes vivant de la grande industrie.
314 Actifs (patrons et ouvriers), domestiques et familles.
88 53
158
8-Produits
chimiques et
analogues

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
quelques fabriques situées autour de la Châtaigneraie dans l’arrondissement de Fontenay-le-
Comte. Au total, 74% de la population vivant de la grande industrie en Vendée gagne sa vie
grâce au textile.
Toutefois, c’est dans les Deux-Sèvres que la dépendance à l’égard du textile est la plus
forte. Ici 80% du monde industriel confectionne des étoffes. Ce département possède une
longue tradition textile. On y fabrique un peu partout de gros draps en lin, en chanvre ou en
laine. C’est le cas dans la Gâtine poitevine autour de Parthenay, mais aussi dans les
arrondissements de Melle et de Niort où les effectifs sont très loin d’être négligeables 315 .
La population active employée dans le secteur textile représente 58% des travailleurs
de la grande industrie dans les Deux-Sèvres, 53% en Vendée et 28% dans la Vienne 316 . Des
chiffres qui s’inscrivent dans la moyenne nationale pour les deux premiers départements. A la
lumière de ces pourcentages on constate la proportion d’inactifs vivant de la fabrication
d’étoffes, un domaine où le modèle proto-industriel domine. Ainsi on peut affirmer qu’une
partie non négligeable de ces individus, membres de la famille, aident dans les faits la
personne considérée comme active, souvent le père de famille. Ce sont des auxiliaires
indispensables au bon fonctionnement de la proto-industrie.
A la fin du XIX e siècle le secteur du tissu perd une part considérable de son poids dans
la grande industrie régionale, à tel point qu’en 1891 cette activité ne fait plus vivre que 1% de
la population totale des trois départements. Elle ne représente plus un moyen de subsistance
que pour 13% des travailleurs et des familles appartenant à la grande industrie, soit une baisse
de 52 points en vingt-cinq ans. Les secteurs du bois ou de la fabrication d’objets en métal
l’ont dépassée avec respectivement 25% et 22%.
Cependant ce recul incontestable du secteur textile industriel doit être relativisé.
Tout d’abord l’examen des données statistiques propre à la population active 317 montre
un déclin moindre que les chiffres précédents pouvaient le laisser croire. Dans cette catégorie
le textile fait jeu égal à l’échelon régional avec ses nouveaux concurrents puisqu’il représente
20% des actifs contre 21% pour la fabrication d’objets en métal et 23% pour l’industrie du
bois.
315 L’arrondissement de Melle compte surtout des fabriques familiales de petite taille.
316 Deux-Sèvres : 3075 actifs dans le textile sur un total de 5244 dans la grande industrie. Vendée : 4649 sur un
total de 8630. Vienne : 1242 sur un total de 4408.
317 Patrons, ouvriers et employés. Ces derniers sont très faibles numériquement.
- 82 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
En fait, cette situation est provoquée non seulement par la faiblesse déjà constatée de
l’industrie textile dans le département de la Vienne 318 , mais aussi et surtout par son
effondrement dans les deux-Sèvres. Là cette activité perd 42 points en 25 ans pour ne plus
représenter que 16% des actifs de la grande industrie. Le nombre d’entrepreneurs y est divisé
par trois et celui des ouvriers par cinq. C’est dans les arrondissements de Parthenay et de
Niort que la diminution est la plus flagrante. Le temps glorieux des filatures de la Gâtine est
bel et bien révolu.
Figure 3 : population vivant de la grande industrie en 1891 :
EFFECTIFS
9000
8000
7000
6000
5000
4000
3000
2000
1000
0
8369
2017
industries
textiles
5047
3806
3106
industries
extractives
3710
6085
56 40
157
79
196
44
industries
métallurgiques
- 83 -
5586
fabrication
d'objets en
métal
Sources ADDS 7M4.7, ADVd 6M1101, ADV 8M2.2 à 8M2.21.
6135
3792
3265
5090
industries du
cuir
6871 6905
6353
industries du
bois
Vendée Vienne Deux-Sèvres
1272 1218
1081
industries
céramiques
Parallèlement, la Vendée résiste mieux. Même si le textile perd près de vingt points
par rapport à 1866, il représente encore 30% des actifs de la grande industrie et demeure le
secteur le plus important du département loin devant le travail du bois (20%) et la fabrication
d’objets en métal (19%). C’est dans l’arrondissement de La Roche-sur-Yon, et
particulièrement dans le canton de Mortagne-sur-Sèvre, que se concentrent les deux tiers de
l’activité textile du département.
Cependant, les « tisseurs à la cave » de la région souffrent du déclin de l’industrie linière dans
l’ouest de la France. Celle-ci endure aussi la concurrence qui naît du regroupement de
318 Le textile ne représente en 1891 que 11% de la population active de la grande industrie du département. Ce
pourcentage ne prend pas en compte les effectifs de la manufacture d’armes de Châtellerault classés dans le
établissements d’Etat et non dans la grande industrie.
produits
chimiques

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
l’activité dans des ateliers de tissage mécanique se développant à Cholet et ses alentours
proches 319 aux dépens de la campagne vendéenne et de son travail à domicile séculaire.
Comme dans les Deux-Sèvres, l’arrondissement de Fontenay-le-Comte, prolongement
vendéen de la Gâtine, voit ses effectifs textiles chuter de façon drastique. Selon les chiffres
fournis par le recensement de 1891, ils ne représentent plus qu’un dixième des actifs du
secteur, soit légèrement moins que l’arrondissement des Sables-d’Olonne pourtant bien
dépourvu en la matière.
L’écart est tel entre la situation de 1866 et celle de 1891 qu’on peut raisonnablement
penser que cette apparente diminution de l’importance du textile dans le tissu industriel local
est imputable en partie à des erreurs commises lors des recensements. A cela s’ajoutent
surtout les nouveaux critères de recensement qui peuvent modifier les classifications.
Toutefois, quelle que soit l’ampleur des inexactitudes, on peut réellement parler de déclin du
textile régional hors du rayon choletais, lui aussi en difficulté, tout comme l’est le secteur
entier à l’échelon national dans ces vingt dernières années du XIX e siècle 320 .
La faible différence qui existe entre les chiffres concernant l’ensemble de la
population vivant des fruits d’une activité industrielle spécifique, et ceux de la population
réellement active laisse à penser que le secteur textile emploie surtout des actifs assez jeunes
n’ayant pas encore fondé de famille. C’est le cas tout particulièrement des femmes
embauchées très jeunes dans les ateliers comme c’est pratique courante dans le textile
vendéen. L’emploi féminin des débuts de l’ère industrielle apparaît incompatible avec une vie
de famille et de mère, comme nous le montrera l’étude consacrée aux travailleuses de
l’habillement 321 .
Les recensements font ressortir également une très faible concentration ouvrière dans
la « grande industrie » qui est synonyme de petits ateliers organisés de manière artisanale.
319 FOHLEN (Claude), L’industrie textile au temps du second Empire, thèse lettres, Paris, 1954, pp.455 et 463.
320 BARJOT (Dominique), op. cit., p.223 et s.
321 Voir infra p.187.
- 84 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
B- Une faible concentration industrielle
En 1866, la comparaison entre le nombre d’ouvriers et celui des maîtres démontre la
prédominance du travail à domicile et la faiblesse importante du travail en atelier dans la
sphère textile régionale. On compte alors un patron sur deux actifs dans le textile deux-
sévrien, et plus de 60% de maîtres en Vendée et dans la Vienne. On tisse seul chez soit, « à la
cave », le chanvre, la laine ou le coton, parfois aidé d’un ouvrier, même si le plus souvent ce
sont les autres membres de la famille qui aident à la tâche.
Le textile n’est pas la seule activité où l’on constate un faible taux de concentration ouvrière
dans le monde de la « grande industrie ». C’est le cas dans les trois départements dans les
domaines faiblement industrialisés comme peuvent l’être les secteurs du bois 322 , de la
fabrication d’objets en métal – la Vienne fait ici exception par la présence d’une industrie
coutelière à Châtellerault –, de la métallurgie 323 ou de l’extraction quand il s’agit de pierres et
non de houille 324 .
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Figure 4 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande
industrie vendéenne en 1866 :
Tissus Extraction Métallurgie Objets en
métal
- 85 -
Cuir Bois Céramique Produits
chimiques
Source : ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1926].
Ouvriers
322
Il s’agit dans la région d’activités que l’on peut qualifier d’artisanales comme celles de vannier, tonnelier,
boisselier ou de tourneur sur bois.
323
Seule la Vendée est concernée. La Vienne comme les Deux-Sèvres possèdent quelques forges d’importance
dans les arrondissements de Montmorillon ou de Parthenay, voir supra.
324
En 1866 les fours à chaux sont classés dans le secteur du bâtiment.
Maîtres

100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Figure 5 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande
industrie deux-sévrienne en 1866 :
Tissus Extraction Métallurgie Objets en
métal
Source : ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866].
- 86 -
Cuir Bois Céramique Produits
chimiques
Ouvriers
Maîtres
Figure 6 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande
industrie de la Vienne en 1866 :
Tissus Extraction Métallurgie Objets en
métal
Cuir Bois Céramique Produits
chimiques
Source : ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
Ouvriers
Maîtres
En 1891, la répartition des actifs entre patronat et ouvriers de la grande industrie
révèle une concentration ouvrière toujours aussi faible que vingt ans auparavant. Le travail
textile est majoritairement pratiqué à domicile par un patron parfois secondé par un ouvrier
dans la Vienne comme dans les Deux-Sèvres. Seule la Vendée sort du lot avec un patron pour
trois ouvriers. Cependant la proto-industrie y perdure, particulièrement dans le tissage, à côté
de quelques ateliers plus importants, comme ceux de filage mécanique.
Mais, là encore, cette situation n’est pas l’apanage du monde textile. Rares sont les
secteurs où existe une véritable concentration de la population ouvrière. On peut tout de
même citer les houillères du bas Poitou qui regroupent une population ouvrière sur leurs
sites 325 . Il en est de même pour les ateliers de céramique.
325 Cette concentration ouvrière dans les mines est atténuée par la comptabilisation dans le secteur de l’extraction
des carrières de pierres où l’agglomération ouvrière est moindre.

100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Figure 7 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande
industrie vendéenne en 1891 :
Textile Extraction Métallurgie Objets en
métal
- 87 -
Cuir Bois Céramiques Produits
chimiques
Source : ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1896].
ouvriers
patrons
Figure 8 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande
industrie deux-sévrienne en 1891 :
Textile Extraction Métallurgie Objets en
métal
Source ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891].
Cuir Bois Céramiques Produits
chimiques
ouvriers
patrons
Figure 9 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande
industrie de la Vienne en 1891 :
Textile Extraction Métallurgie Objets en
métal
Cuir Bois Céramiques Produits
chimiques
Source : ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrement de la population du département [1806 ; 1896].
ouviers
patrons

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
La concentration ouvrière est faible dans la Vienne. Les modes de production anciens
propres à l’artisanat y dominent. Toutefois c’est dans ce département que se situe la plus
importante concentration ouvrière de la région. En effet la Manufacture nationale d’armes de
Châtellerault emploie près de 2600 ouvriers dans et autour de ses ateliers 326 .
Une des meilleures illustrations de cette faible concentration ouvrière se retrouve dans
le développement important du travail à domicile consacré au travail du textile, parangon du
modèle proto-industriel.
C- Le textile, archétype du modèle proto-industriel
Si des zones géographiques, comme la vallée de la Sèvre nantaise ou dans une
moindre mesure la Gâtine, sont connues au XIX e siècle pour être des foyers de production
textile c’est qu’elles sont les vestiges d’un artisanat anciennement très prospère.
a) Une activité aux racines régionales profondes
Le travail du tissu 327 , envisagée dans le cadre de la filière tout entière existe dans le
Poitou depuis des siècles. Les villes de Niort 328 et de Poitiers sont connues au Moyen Age
pour leurs fabriques de draps 329 , un des principaux articles de négoce des provinces de
l’Ouest. La Gâtine est aussi un centre important en la matière. Un texte du XI eme siècle,
Conflictus ovi et lini, explique qu’on y trouve déjà « une industrie drapière tellement
florissante et nécessairement ancienne, que le nom de Parthenay a déjà une grande
diffusion 330 ». On y mentionne les « draps de Parthenay », autre nom du pinchinat 331 . Ces
326 Néanmoins, cette activité est classée à l’époque dans le secteur nommé « établissements de l’Etat », répertorié
sous la catégorie « petite industrie », largement dominée par les secteurs d’activités du bâtiment et de
l’habillement.
327 Pour une définition des divers types d’étoffes voir annexe n°15.
328 A partir du XII e siècle, la laine niortaise brute est également exportée par bateaux vers les draperies
flamandes, cf. BELSER (Christophe), Petite histoire de Niort, La Crèche, 2003, p.27.
329 Cf. Tableau 1 pour un descriptif des étoffes.
330 POIGNAT (Maurice), L’industrie textile à Parthenay et en Gâtine du XV e au XX e siècle, BSHSDS, deuxième
série, Niort, 1976, p.429. Ce texte, rédigé aux alentours de 1070, est un document précieux pour connaître la
diffusion de la draperie au XI e siècle.
331 FOURNIER (Sylvie), Les tisserands et le milieu textile à Parthenay (1750-1788), Les cahiers de la recherche
en Gâtine, janvier 1996, t.2, p.17.
- 88 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
tissus sont réputés pour leur solidité car moins fins que ceux produits dans les Flandres, en
Angleterre ou en Normandie 332 .
Ce secteur d’activité se développe aux Temps Modernes, une fois effacées les
séquelles de la guerre de Cent Ans et malgré les dégâts causés par les guerres de Religion. Le
textile est une des principales activités économiques de la province. Parthenay figure au
pinacle des grandes villes textiles du Royaume 333 .
La religion réformée exerce une influence certaine sur l’industrie du tissu à l’image
des tisserands hollandais participant activement au développement du textile choletais au
XVII eme siècle. Les protestants sont très nombreux dans le moyen Poitou 334 . C’est le cas dans
« la Gâtine industrielle », autour de Moncoutant et de la Châtaigneraie, mais aussi à Niort 335 ,
Saint-Maixent et Chef-Boutonne. Parfois même, ils sont majoritaires dans la population
comme dans le quadrilatère reliant Pamproux à Vouillé-sur-Niort et de Sainte-Blandine à
Vanzay 336 .
Néanmoins, une majorité d’entre eux est contrainte à l’exil après les dragonnades de 1681 et
1685. Les marchands fabricants locaux, victimes de l’anathème, bien intégrés dans le circuit
commercial international sont plus facilement accueillis à l’étranger, notamment en Hollande.
Le savoir-faire de ces artisans est un atout non négligeable pour trouver l’hospitalité en terres
étrangères. Ainsi, nombreux sont les tisserands de la haute vallée de la Sèvre à trouver refuge
en Angleterre. Le départ des huguenots provoque une grave saignée démographique et un
recul de l’économie locale, au point que diverses enquêtes parlent de déclin à propos de la
Gâtine industrielle ou de Saint-Maixent 337 .
Châtellerault est connu pour son lin. Poitiers, Bressuire, Niort et Fontenay pour la
fabrication de draps 338 . Moult tisserands travaillent dans les campagnes pour les marchands
drapiers de la ville, qui fournissent, en amont, la matière première et terminent, en aval, la
332 e
BOISSONNADE (M.), Essai sur l’organisation du travail en Poitou depuis le XI siècle jusqu’à la
Révolution, MSAO, 2 e série, Poitiers, 1898, n°21 et 22, p.12.
333
DELSALLE (Paul), op. cit., p.54.
334 e
Au XVII , l’église prétendument réformée est constituée de seize provinces dans le Royaume. Le Poitou est
l’une d’elles. La province est divisée en haut, moyen et bas Poitou. Le moyen Poitou correspond à peu près à
l’actuel département des Deux-Sèvres.
335
Les protestants représentent environ un tiers de la population de la ville de Niort.
336
MARCADĒ (Jacques), op. cit., pp 13-15.
337
MARCADĒ (Jacques), op. cit., p.40 et 44.
338 e
RAVEAU (Paul), Essai sur la situation économique et l’état social en Poitou au XVI siècle, Paris,
1931, pp.5-6.
- 89 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
fabrication 339 . Ces derniers assurent ensuite l’écoulement de la production qui échoue souvent
entre les mains d’un négociant qui « introduit les produits dans le circuit du grand commerce
international 340 ».
Les manufactures poitevines sont au centre d’un réseau commercial européen, voire
mondial. La laine est importée d’Espagne et de tout le royaume, pour pallier la carence de
troupeaux du haut Poitou. La sergette de Saint-Maixent, comme le serge drapé de Fontenay,
s’exportent au Portugal et dans le milanais. Les grosses étoffes de Luçon, Parthenay ou de La
Châtaigneraie sont expédiées au Canada comme en Lusitanie 341 , via les ports de La Rochelle
ou de Nantes. La bonneterie se développe à Saint-Maixent 342 dont les bas de laine en tricot
sont vendus en France comme à l’étranger, tout comme les mouchoirs en lin de Cholet
trouvant des débouchés dans les terres lointaines de l’Amérique espagnole 343 . Une partie de la
production trouve aussi preneurs dans les importantes foires de Niort 344 et de Fontenay-le-
Comte, que Rabelais ne manque pas de citer dans ses oeuvres.
En dehors de la laine, on utilise aussi le lin et surtout le chanvre cultivés sur place.
Selon Raveau, au XVI e siècle, on ne trouve « pas de métairies sans sa chènevière 345 ». Les
tisserands de toile ou de serge sont légion dans les campagnes. Souvent indépendants et à leur
compte, ils travaillent à la tâche, c'est-à-dire à la commande, en utilisant la matière première
que l’acheteur fournit lui même. Ainsi, la production s’écoule sur les marchés et les foires de
la région. Selon Boissonade, « dans presque tous les villages du Poitou, la production de la
draperie, de la sergetterie et de la bonneterie s’est répandue avec une extrême rapidité. De la
Sèvre à la Loire, de la Gâtine au bocage s’élève le bruit des métiers. C’est vraiment l’apogée
de l’industrie textile dans cette vaste région 346 ».
339 Sous les règnes de Louis XI et Charles VIII, on projette vainement de créer une manufacture de draps à
Poitiers afin de rassembler les petits ateliers disséminés dans tout le haut Poitou.
340 BOSSIS (Ph.), L’ouvrier du Haut-Bocage et de la Sèvre Nantaise au XVIII e siècle, Cahier du Centre de
Recherche pour l’Aménagement Régional, Les industries rurales, Actes du colloque du GIS-GIRI du 16-17
novembre 1982 à La Roche-sur-Yon, n°22, Nantes, 1983, p.24.
341 BOISSONNADE (M.), Essai sur l’organisation du travail en Poitou depuis le XI e siècle jusqu’à la
Révolution, op. cit., p.40.
342 Des bas et des bonnets grossiers sont aussi fabriqués à Poitiers.
343 Pour T.J. Markovitch, ces exemples font figures d’exceptions. Selon lui, « Le Poitou garde un caractère
strictement national aussi bien au niveau des débouchés que de l’approvisionnement », MARKOVITCH
(Tihomir J.), Les industries lainières de Colbert à la Révolution, Genève, 1976, p.378.
344 L’inspecteur des manufactures du Poitou, Vaugelade, rapporte en décembre 1788 que la foire de Niort est « la
plus considérable du Poitou », cf. PILLARD (G.), Un tableau des manufactures du Poitou en 1787, BSHSDS,
1980, t.13, p.52. D’autres rapportent que sa halle couverte de 156 mètres sur 24 en faisait la plus grande du
royaume de France. La foire de Niort devient royale en 1454.
345 RAVEAU (Paul), op. cit., p.28. Le Littré définit la chènevière ainsi : « terrain semé de chènevis où croit le
chanvre », le chènevis étant la graine du chanvre.
346 BOISSONNADE (M.), Essai sur l’organisation du travail en Poitou depuis le XI e siècle jusqu’à la
Révolution, op. cit., p.41.
- 90 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
En dépit de la crise qui frappe la province du Poitou, tout comme le royaume entier, au
XVIII e siècle, l’industrie textile perdure tout en se dispersant un peu plus dans les bourgs et
les campagnes 347 . Les laines du Berry et du Limousin alimentent une manufacture d’étoffe à
Chauvigny qui occupe trente maîtres et quatre à cinq cents ouvriers en 1773 348 .
Les tissus les plus couramment fabriqués sont les plus simples : serges, pinchinats, tiretaines
communes et droguets 349 . Une grande partie de cette industrie se concentre dans le « triangle
Bressuire, La Châtaigneraie, Parthenay 350 », où l’on dépasse le simple cadre d’une
production destinée à satisfaire les besoins strictement locaux. Les petits fabricants poitevins,
installés le long de la Sèvre nantaise, qui dépendent des fabriques de Cholet, en sont
l’illustration. Savary Des Bruslons qualifie la fabrique de Bressuire d’une « des plus
considérables du département de l’inspecteur des manufactures de Poitiers 351 ». Néanmoins
ce siècle voit pâlir irrémédiablement l’éclat de Parthenay et de ses industries du chanvre et de
la laine 352 . Le renouveau industriel de la seconde moitié du XVIII e est faiblement ressenti
dans la province qui souffre de la perte de débouchés des marchés canadiens et espagnols
profitant à l’Angleterre. C’est également à cette époque que l’indiennage apparaît à Cholet.
La main d’œuvre est disséminée dans les campagnes. Que l’on soit cardeur ou
tisserand, on travaille à façon 353 avec un matériel de faible valeur et peu de stock, en cultivant
un petit lopin de terre afin « d’attraper le bout de l’année 354 ». On se sent souvent plus paysan
qu’ouvrier.
Ce mode d’organisation perdure longtemps après la Révolution, aidé en cela par l’avènement
des métiers mécaniques. Le travail à domicile est la règle et celui en atelier l’exception. Le
textile n’en a pas le monopole, la peausserie et tout ce qui touche à l’habillement de façon
347 Voir également l’exemple de la Bretagne in MARTIN (Jean), Toiles de Bretagne. La manufacture de Quintin,
Uzel et Loudéac (1670-1830), Rennes, 1998, 376 p.
348 DUGUET (Jean), Petite histoire de Chauvigny, op. cit., p.47.
349 TEXIER (Dominique), Les ouvriers du textile au XVIII e siècle dans les paroisses de Notre Dame de
Lusignan, de Saint-Pierre et Saint-Paul de Pranzay et de Saint-Martin d’Enjambes, mémoire de maîtrise
histoire, Poitiers, 1986, p.8.
350 MARKOVITCH (Tihomir J.), op. cit., p.375.
351 SAVARY DES BRUSLONS (Jacques), op. cit., t.5.
352 POIGNAT (Maurice), L’industrie textile à Parthenay et en Gâtine du XV e au XX e siècle, op. cit., p.431.
353 Le travail à façon est « un type d’organisation du travail dans lequel l’entrepreneur donneur d’ordre confie
la matière première à des travailleurs qui travaillent à domicile ou parfois à de petits ateliers qui exécutent
l’ouvrage et restituent le produit terminé. La rémunération correspond au prix de la façon, convenu d’avance,
indépendamment du temps effectivement mis pour le réaliser ». Définition extraite de VERLEY (Patrick),
Entreprises et entrepreneurs du XVIII e siècle au début du XX e siècle, Paris, 1994, p.231.
354 PERET (Jacques), Les paysans de Gâtine au XVIII e siècle, La Crèche, 1998, p.144.
- 91 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
plus générale s’organise de la sorte, mais il représente le modèle le plus abouti de ce que l’on
nomme la proto-industrie.
b) Les principaux foyers d’activités
Cette structure du travail organisée autour de fileurs et de tisserands à domicile se
retrouve au XIX e siècle où le textile joue encore un rôle économique certain.
On prépare les tissus partout dans les villages, que l’on soit tisserand occasionnel ou
de profession. Ces personnes sont « noyées, intégrées dans le milieu local, paysan. A peu de
choses près, ce sont des paysans comme les autres 355 ». C’est la raison pour laquelle, il paraît
difficile de mener une étude exhaustive à propos de « cette industrie à l’état gazeux 356 ».
Le tissage et la fabrique d’étoffes ne sont souvent qu’une activité domestique parmi d’autres.
C’est le cas du pays Mellois où l’on trouve trace d’une industrie textile à petite échelle, aux
débouchés locaux. Chef-Boutonne 357 , La Mothe-Saint-Heray 358 , Pamproux et Salles sont les
localités se distinguant en la matière 359 .
Le sous-préfet de l’arrondissement de Civray, dans le sud de la Vienne, confirme lui
aussi cet état de fait 360 , en 1833, quand il écrit que beaucoup de tisserands ne travaillent « que
lorsque les travaux agricoles auxquels ils se livrent sont interrompus », en précisant que les
toiles sont « destinées aux besoins du pays » et que « les fabricants n’emploient le plus
souvent, comme les tisserands, que les matières que leur fournissent les particuliers pour
lesquels ils travaillent ».
355
BOIS (Paul), Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis
l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, Paris, 1971, p.231.
356
Expression de Bertier de Sauvigny, intendant de la généralité de Paris, citée par MOISSONNIER (Maurice),
op. cit., p.52.
357
En l’an XII, le maire de Chef-Boutonne estime que les personnes qui oeuvrent pour les fabriques locales ne
peuvent être « assimilées à de vrais tisserands » et qu’elles ne « travaillent pas pour leur compte, mais
seulement pour ceux qui les emploient en leur fournissant toutes les matières », cf. ADDS 10M17.1. Statistiques
industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
358
Le préfet Dupin s’étonne du développement de la production de draps dans la ville. Il en fait mention en 1804
dans un rapport au ministre Chaptal. En 1853, la draperie mothaise se distingue encore dans une exposition
locale tenue dans le chef-lieu du département, cf. Docteur PROUHET, op. cit., p.146.
359
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
360
ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852), lettre adressée au préfet en date du 4 août 1833.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Illustration 8 : tisseur lyonnais travaillant à domicile :
Néanmoins trois zones se détachent nettement. La première se situe à proximité des
grands centres urbains que sont Poitiers, Niort et, dans une moindre mesure, Saint-Maixent 361 .
La deuxième se constitue autour de la ville de Parthenay, dans la Gâtine poitevine et dans son
prolongement vendéen de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte. Autant de fabriques qui
travaillent pour clientèle locale sans espoirs de développement important, au contraire de la
troisième, établie le long du cours de la Sèvre nantaise, au nord-est de la Vendée et au nord-
ouest des Deux-Sèvres. Une zone qui se fond dans le rayon industriel choletais où la tendance
est à la concentration d’un monde ouvrier jusque-là éparpillé.
361 Citons également une fabrique de chemises située près de Montmorillon et employant près de 130 femmes.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
1. Les ateliers et fabriques clairsemés
Les villes importantes sont des carrefours d’artisanat et de commerce. Il n’est donc pas
étonnant que les deux plus grandes villes poitevines comptent dans leur proximité immédiate
des manufactures et des fabriques d’étoffes.
1.1. Les fileurs et tisseurs des fabriques et usines proches
des capitales urbaines
• Poitiers et sa périphérie
L’industrie textile du département de la Vienne, que l’on peut qualifier d’organisée, se
concentre dans un rayon d’environ trente kilomètres autour de Poitiers 362 .
Les fabriques les plus éloignées de la capitale poitevine sont localisées dans les
communes de Vivonne et de Marnay. La première a une filature de lin et de toiles qui emploie
150 tisserands en 1845 363 et un établissement de tissage mécanique et d’effilochage du
chanvre 364 et du lin 365 , autorisé par une ordonnance royale du 20 avril 1841 366 et qui perdura
jusqu’en 1954 367 dont la main-d’œuvre ouvrière ne dépasse pas la trentaine d’employés entre
1869 et 1894 368 . La commune de Marnay, voisine de la précédente, a une filature de laine
occupant 24 fileurs en 1845 369 , puis une dizaine vingt ans plus tard, avant de péricliter à la fin
des années 1880 370 . D’autres étoffes de laine sont produites dans le bourg de Béruges, situé à
l’est de Poitiers. On y recense 70 ouvriers en 1842 371 , et 42 en 1850 372 . Les rapports
362 Il ne faut pas omettre les quelques industries textiles localisées dans l’arrondissement de Loudun. On y trouve
la trace en 1840 de quelques fabriques de toiles et de broderie de tulle. cf. ADV M10.122. Statistiques
industrielles (1839-1852). Un établissement de passementerie se développe dans la seconde moitié du XIX e
siècle jusqu’au début du siècle suivant, dans la lignée d’une vieille tradition remontant au XVI e siècle. On y
dénombre environ une quarantaine d’employés dans les années 1860 et quatre-vingt en 1902, cf. ADV M4.70, 71
& 72 Correspondances du préfet de 1860 à 1870 et ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902]. Ajoutons-y le tissage
de gros draps un peu partout dans les campagnes.
363 ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
364 Une usine de traitement du chanvre existe à partir des années 1870 à Ouzilly près de Châtellerault.
365 L’établissement Danlot.
366 ADV M12.22. Situation industrielle du département.
367 ROUSSET (Camille), L’annuaire de l’industrie textile, Paris, 1936, p.281.
368 Vingt tisserands en 1869 cf. ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures et vingt-cinq en 1894
cf. ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
369 ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
370 On compte 10 fileurs en 1869 et 1874 puis 3 à 5 entre 1880 et 1886 cf. ADV M10.123. Statistiques sommaires
des industries principales (1873-1888).
371 ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
préfectoraux indiquent qu’on tisse le coton dans une fabrique de petite envergure à Migné, au
nord de Poitiers, en 1840 373 comme en 1874 374 .
Carte 5 : fabriques textiles de l’arrondissement de Poitiers au XIX e siècle :
(Nombre maximum d’ouvriers employés) Source : ADV.
372 ADV M10.125. Situation de famille des ouvriers des manufactures.
373 ADV M10.124. Salaires des ouvriers (1830-1890).
374 ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Cependant deux établissements se démarquent par leur importance : la filature de
chanvre de Ligugé, et celle de coton et fabrique de bonneterie de Biard.
La filature de Ligugé
La filature de Ligugé est créée en 1856 dans une région réputée pour la culture du
chanvre, comme l’indique en 1833 le maire de Poitiers au préfet 375 . Le chanvre est cultivé
dans le nord-ouest du département le long du canal de la Dive, près de Moncontour, dans le
canton de Lencloître et autour de Ligugé. A cela il convient d’ajouter les chènevières
d’Anjou, de la Sarthe et de Touraine. L’établissement est implanté sur un site où sont déjà
installées une minoterie 376 et une fabrique d’amidon et de gluten 377 , qui disparaîtra dans un
incendie en 1864.
Mis à part le chanvre, on y traite aussi le jute, qui devient la matière première
principale à partir des années 1890, le lin et le phormium, plante provenant de Nouvelle-
Zélande, dont le nom figure sur les listes de production de l’entreprise entre 1860 et 1890 378 .
En 1875, la direction mécanise le tissage, fait unique dans toute la Vienne. Elle adjoint
également une ficellerie quinze ans plus tard.
De 1858 à 1904, la filature est dirigée par Louis Céleste Carlos Hambis 379 . D’origine
lilloise il arrive à Ligugé vers 1856, fort de ses expériences textiles en Angleterre et au Mans,
dans la filature de son père. Il s’associe sur place avec les membres de la famille Véron pour
créer la société Louis Hambis et C ie qui, en 1904, devient la société de Filature et de Tissage
de Ligugé. Elle se spécialise dans la filature, le tissage mécanique avec blanchisserie et
teinturerie, la corderie et la ficellerie. Elle ne fermera ses portes qu’en 1955.
375 ADV M12.22. Situation industrielle du département.
376 La minoterie prend la suite d’un moulin à farine en 1835 et arrêtera son activité en 1896 après la destruction
accidentelle du moulin.
377 On y invente le gluten granulé destiné à la fabrication de potages alimentaires, breveté en 1855 et reconnu par
le ministère de l’agriculture en 1863.
378 MIELCZAREK (Willy), La filature de Ligugé, monographie d’un centre industriel, mémoire de maîtrise
Histoire des arts et archéologie, Poitiers, septembre 2002, p.25-26.
379 Membre de la Société académique d’Agriculture, des Sciences et Belles Lettres de Poitiers, chevalier de la
légion d’honneur, c’est un républicain farouchement anti-clérical qui succède à son associé Emile Véron à la
mairie de Ligugé en 1890. Il est également vice-président du conseil général de la Vienne, dont il préside la
commission permanente de 1899 à 1904, date à laquelle il décède dans sa commune d’adoption. Ces quelques
éléments biographiques sont tirés du mémoire de MIELCZAREK (Willy), La filature de Ligugé, monographie
d’un centre industriel, op. cit., p.67 à 70 et de MATHIEU (Maurice), Les poitevins et la République (1870-
1914)…, op. cit., p.189.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Considérée à juste titre comme la deuxième entreprise du département 380 , après la
manufacture d'armes de Châtellerault, la filature trouve sur place une importante main
d’œuvre. Celle-ci vient de toutes les villes et bourgades des alentours, situées dans la
périphérie de Poitiers : Ligugé bien entendu, mais aussi Smarves, Iteuil, Fontaine-le-Comte,
Croutelle ou Marçay. Il y a plus d’une centaine de personnes dans les ateliers en 1869 381 et
environ 400 dix ans plus tard 382 . Cet afflux de travailleurs oblige la direction et la
municipalité à bâtir une cité ouvrière. La mécanisation du travail impose de disposer d’une
main-d’œuvre sur place et non pas éparpillée dans les campagnes. Malgré quelques aléas dus
à la conjoncture de la fin du siècle, les effectifs se maintiennent à 400 en 1902 383 .
La filature de coton et fabrique de bonneterie de
Biard
La filature de coton et fabrique de bonneterie de Biard 384 est le second établissement
textile majeur du département de la Vienne au XIX e siècle. Son existence est plus ancienne
que sa consœur de Ligugé et son organisation plus archaïque.
La fabrique est fondée en 1828 par un banquier poitevin, ancien acquéreur de biens
nationaux 385 . Il obtient dans la foulée un marché de fournitures auprès du ministère de la
Guerre 386 . Néanmoins en juin 1834 un marchand de Poitiers, Turquand Courbe, reprend les
rênes de la filature. Dès lors, sa famille va présider aux destinées de l’établissement jusqu’à sa
fermeture en 1862 387 , provoquée par le manque de coton sur le continent européen,
conséquence directe de la guerre de Sécession aux Etats-Unis.
Avant cela, la production poitevine est commercialisée aussi bien en France, qu’en
Suisse, en Italie ou bien encore sur les autres rives de l’Atlantique. La fabrique produit « des
bonnets de coton blanc ou bleu, des pantalons d’hommes, des gilets divers - gaufrés, à châle
380 Le 16 mai 1902, le préfet de la Vienne adresse une missive au commandant de la division d’infanterie de
Châteauroux concernant les possibilités de grève dans le département où il indique que la filature de Ligugé est
« la seule véritable industrie de l’arrondissement » de Poitiers, cf. ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
381 ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures.
382 ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
383 ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
384 Cette commune de la périphérie Ouest de Poitiers est couplée avec celle de Vouneuil jusqu’en 1847.
385 Le banquier François Laurence-Surin a acquis l’ancienne métairie des Augustins de Biard, dont la superficie
est d’environ 100 hectares.
386 MEUNIER (R.-A), La filature de coton et fabrique de bonneterie de Biard de 1825 à 1862, extrait des Actes
du centième congrès national des sociétés savantes (Paris 1975), section d’histoire moderne et contemporaine,
ministère de l’Education nationale, Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 1977, p. 137.
387 A la mort de Turquand en 1857, sa fille et son gendre lui succèdent à la tête de la manufacture.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
ou à bouton - des jupons et camisoles, guillochés ou gaufrés, des gants de coton pour
l’armée, ou de cachemire, des calottes pour l’armée 388 ».
La main d’œuvre est nombreuse : 150 à 200 employés en 1832 389 , 415 en 1842 390 , 600
trois ans plus tard 391 . La plus grande partie des employés ne travaille pas sur place. Les deux
tiers, majoritairement des femmes, filent le coton à domicile, après être venus quérir la
matière première au siège même de la filature. Le dernier tiers est occupé sur place aux
ateliers de bonneterie, où l’on trouve, à côté de quelques métiers à filer, 94 métiers à tricoter
et un espace réservé aux couseuses.
• Niort et Saint-Maixent
Du fait de sa taille, il y a à Niort quelques établissements industriels de tissage ou de
confection d’étoffes. Mais, c’est Saint-Maixent qui véritablement se distingue dans ce
domaine.
Il reste peu de chose de l’industrie de l’habillement niortaise une fois la commotion
révolutionnaire résorbée. Les mémoires du préfet Dupin en attestent. Le préfet d’Empire n’y
cite, mise à part une poignée de tisserands dispersés 392 , qu’une fabrique de confection de
chapeaux occupant une quarantaine d’ouvriers 393 . Quelques années plus tard, les enquêtes
administratives 394 mentionnent en sus l’existence d’une filature de laine de faible taille,
puisque constituée uniquement de 7 maîtres tisserands en 1808. Un établissement se
développera ensuite, puisque ses effectifs s’élèveront à une quarantaine d’ouvriers en 1832.
Elle vend alors ses productions aussi bien dans le Maine-et-loire qu’en Bretagne. La fabrique
semble péricliter par la suite.
Il faut attendre la seconde partie du XIX e siècle pour que l’industrie textile réinvestisse
un tant soit peu la ville de Niort, jadis réputée pour ses draps. Le début des années 1850 voit
la création dans la première des villes des Deux-Sèvres d’une fabrique de blouses 395 et d’une
388 Enumération des produits fabriqués en 1849.
389 ADV M12.22. Situation industrielle du département.
390 ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures.
391 ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
392 Selon le préfet Dupin il y aurait 17 fabricants de serges, pinchinats et autres étoffes de laines en l’an X cf.
DUPIN (Claude), Second mémoire sur la statistique du département des Deux-Sèvres, Niort, An X, p.317 s.
393 DUPIN (Claude), Mémoire sur la statistique du département des Deux-Sèvres, Niort, An IX, p.39.
394 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
395 Certains auteurs parlent d’une date de création durant les années 1840 mais cela semble peu probable car ces
établissements sont absents de l’Enquête économique et sociale de 1848 cf. ARCHES (Pierre), L’enquête
économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., pp 383-465.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
filature de coton 396 dans lesquelles on place de grands espoirs. Aspirations vite déçues, car la
filature ferme ses portes dès 1871. Entre temps, l’entreprise de Charles Mathé emploie 150
ouvriers en 1856, 187 en 1858 et moitié moins dix ans plus tard 397 .
Dans le même temps, la fabrique de blouses, qui comprend entre douze et sept
établissements plus ou moins spécialisés selon les époques, occupe, à sa création, près de
mille femmes et jeunes filles 398 qu’on imagine sans peine travaillant chez elles sans répit,
dans l’espoir de fabriquer un maximum de pièces afin d’augmenter un tantinet leurs maigres
revenus. La plupart de ces couturières travaillent également pour l’industrie gantière de la
ville. Leur nombre diminuera sous l’influence de la machine à coudre augmentant la
productivité et amenant les ouvrières dans les ateliers 399 . L’administration en recense
seulement 330 en 1883 400 . Les blouses produites sont vendues dans tout le Centre Ouest 401 ,
surtout dans les Deux-Sèvres et les départements limitrophes de Vendée et des Charentes.
A Saint-Maixent, et contrairement au chef-lieu du département, il y a une réelle
continuité dans le travail de la laine où l’ensemble de la filière est représentée, de la filature
aux fabriques de gilets, en passant par les teintureries. On y fabrique des draps et de grosses
étoffes en serge avec l’aide des populations rurales alentour. En vérité, ce sont la bonneterie et
les bas qui sont les véritables spécialités de la ville depuis le XVIII e siècle 402 , époque où
Savary Des Bruslons qualifie l’activité de « considérable 403 ».
Cette branche d’activité perdure par la suite, malgré les troubles révolutionnaires et les
guerres de Vendée occasionnant une diminution de moitié de l’activité. Le préfet Dupin
estime en l’an IX à 2500 personnes celles occupées dans la bonneterie et à 1400 en l’an X 404 .
En 1825, cinq fabriques emploient 118 ouvriers 405 . Vingt-cinq ans plus tard, deux fabriques
396 L’arrivée du coton en France dans les années 1840 marque, selon Michelet, une véritable « révolution en
France » qui permet aux femmes de toutes conditions, et moyennant le prix d’une journée de travail d’un
ouvrier, de se couvrir « d’un vêtement de fleurs ». Grâce à ce nouveau textile le « peuple de femmes […]
présente sur nos promenades un éblouissant iris de mille couleurs, qui naguère était en deuil » cf. MICHELET,
Le peuple, p. 79 s cité par DUVEAU (Georges), op. cit., p.163.
397 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
398 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
399 A partir des années 1860. Cf. LEROY-BEAULIEU (Paul), Le travail des femmes au XIX e siècle, Paris, 1888,
p.395 et s.
400 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
401 PINARD (Jacques), op. cit., p.76.
402 GILBERT (René), Economie et emploi à Saint-Maixent aux XVII e et XVIII e siècles, BSHSDS, Niort, 1975,
t.8, p.16.
403 SAVARY DES BRUSLONS (Jacques), op. cit., t.5.
404 DUPIN (Claude), Mémoire sur la statistique du département des Deux-Sèvres, op. cit., p.45. & DUPIN
(Claude), Second mémoire sur la statistique du département des Deux-Sèvres, op. cit., p.321.
405 ARCHES (Pierre), La filature de laine à Saint-Maixent au XIX e siècle et son fondateur Célestin Blot,
BSHAVS, n°73, 1 er trim.1994, p. 4. La différence considérable entre les effectifs s’explique simplement. On
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
de gilets de laine, au métier ou à l’aiguille, sont recensées. Elles emploient entre 150 et 400
personnes 406 . En 1864 ce sont 360 hommes et femmes qui travaillent à la confection de gilets
tricotés 407 . Trente ans plus tard ces trois établissements n’emploient plus que 90 personnes 408 .
La concurrence est rude, en particulier celle des tricots allemands 409 . Néanmoins les effectifs
semblent se stabiliser autour de 200 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, date qui clôt le
chapitre de la bonneterie à Saint-Maixent.
Parallèlement, une filature de laine s’y développe à l’initiative de Célestin Blot, un
ancien chef de bataillon de l’armée napoléonienne, vétéran des campagnes d’Italie et
d’Espagne. Demi-solde dès la Restauration 410 , il s’installe dans les Deux-Sèvres. Il suit
l’exemple de ses deux frères qui viennent de se lancer dans l’industrie en créant une filature
de laine dans la commune de Châtillon-sur-Thouet, située dans l’arrondissement voisin de
Parthenay 411 . Blot et son épouse achètent un moulin, ancienne propriété de l’abbaye de Saint-
Maixent avant la Révolution, où ils installent leur filature en 1824. Celle-ci est équipée de
machines anglaises, sans pour autant bénéficier de la force motrice d’une machine à vapeur.
On se contente de l’énergie produite par les roues du moulin. L’établissement occupe 44
ouvriers travaillant sur commission, c’est-à-dire à la demande de fabricants fournissant la
laine et reprenant le fil une fois le travail accompli. Une manière de limiter les risques en
diminuant les stocks.
compte sous l’Empire toutes les personnes qui travaillent dans la filière de la bonneterie, qu’elles soient
occupées dans des ateliers ou à domicile. Alors que par la suite, on ne dénombre que les ouvriers effectivement
présents dans les ateliers, ouvriers souvent minoritaires dans le processus de production. Ce phénomène est
amplifié par l’introduction de la machine à tricoter qui supplante peu à peu le tricot à la main.
406 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
407 Ibid.
408 ADDS 11M19.13.B : conflits et grèves.
409 Rapport du commissaire de police de Saint-Maixent de février 1898, ADDS 4M6.27.Mouvement social ;
rapports divers [1898 ; 1903].
410 Les demi-solde, personnages romanesques de la littérature du XIX e siècle, sont le fruit de la démobilisation
massive qui suit la première Restauration : une ordonnance du 12 mai 1814 supprime près de 100 régiments
d’infanterie (sur près de 200) et 38 de cavalerie (sur 102). Après les Cent jours le statut de ces anciens officiers
dont se méfie le pouvoir en place est strictement encadré, cf. TULARD (Jean) (dir.), op. cit., v° demi-solde et
VIDALENC (Jean), Les demi-solde, étude d’une catégorie sociale, Paris, 1955, 231 p.
411 cf. infra.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Illustration 9 : filature de Saint-Maixent :
Source : Service régional de l'inventaire de Poitou-Charentes / A. Dagorn, 2004.
L’entreprise se développe et Blot devient l’homme le plus riche de la ville. Son fils Charles-
Emile lui succède en 1840. A son décès en 1888, Raoul Macourt prend la suite et dirige la
fabrique jusqu’à sa fermeture en 1899. La seconde période marque l’apogée de la
modernisation du site. Le nombre d’ouvriers oscille entre 60 et une centaine qui utilisent près
de 2000 broches 412 . Mais les difficultés surviennent dans les dernières décennies du siècle.
Cette fois les ateliers ne suivent plus les progrès techniques. Le glas de l’établissement sonne
quand survient un incendie détruisant entièrement la filature en août 1899. Elle ne sera pas
reconstruite. Une imprimerie s’installera sur le site.
Si l’industrie du textile et de l’étoffe se rencontre à divers degrés de développement
dans toute l’ancienne province du Poitou, le cœur véritable de l’activité se situe dans le bas
Poitou et plus particulièrement dans la Gâtine où ses pulsation se font de plus en plus sourdes.
412 ARCHES (Pierre), La filature de laine à Saint-Maixent au XIX e siècle et son fondateur Célestin Blot, op. cit.,
p.13. On compte une soixantaine d’ouvriers en 1856 et 1863, cf. ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et
commerciales [1804 ; 1889].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
1.2. La Gâtine poitevine, un vieux cœur textile fatigué
La Gâtine, et sa capitale Parthenay, sont bien loin de leur faste des siècles passés. Le
préfet d’Empire Dupin évalue la main d’œuvre textile de la ville de Parthenay à environ 2000
bras, soit trois ou quatre fois moins que sous l’Ancien Régime. Il y a une fabrique de draps,
droguets et serges, qui « mérite des améliorations » et qui aurait fourni une partie des ouvriers
de la manufacture de Sedan. Outre la guerre civile et ses plaies non ou mal refermées, le
préfet met en cause les entrepreneurs locaux dont il critique sévèrement l’état d’esprit
vaniteux et le manque d’initiative. Un manque d’esprit d’entreprise des agents économiques
locaux qui est stigmatisé par les autorités poitevines tout au long du XIX e siècle. Les notables
préfèrent diriger leurs enfants vers des carrières « de moines ou de mauvais avocats » plutôt
que d’en faire des manufacturiers 413 . Des facteurs qui expliquent selon lui la stagnation du
secteur tout au long de l’Empire, le textile local ne parvenant pas à trouver un second souffle
après le marasme Révolutionnaire.
La ville de Parthenay fait exception et retrouve un peu de son dynamisme textile au fil
du XIX e siècle 414 . En 1843, on compte en ville 18 fabricants et 36 tisserands. Une fabrique de
gilets de laine est créée sous le second Empire et emploie une petite cinquantaine de
personnes 415 , produisant annuellement 25 000 pièces. Un de ses fondateurs n’est autre que le
sieur Caballe dont le frère est lui même l’instigateur d’une des fabriques de bonneterie de
Saint-Maixent. A cette même époque, plusieurs tisserands sont occupés à la fabrication
d’étoffes de laines et de droguets. La palette textile de la ville comprend aussi une fabrique de
toiles de lin et de chanvre, ainsi qu’une manufacture de flanelle, dont les travaux sont
récompensés à l’Exposition universelle parisienne de 1855.
Dans les trois dernières décennies du XIX e siècle, Parthenay tente de résister à la
concurrence des grands centres du Nord et de l’Est de la France. On dénombre en 1872, « 37
tisserands, quatre fabricants, un cardeurs, cinq fileurs, un teinturier, deux fabricants de
gilets, un fabricant de tricot, 39 ouvriers giletiers, sept patrons et un ouvriers teinturier, 76
ouvrières giletières, une tisserande en laine, trois fileuses, une fabricante de gilets, deux
tailleuses et deux teinturiers 416 ». Mais la lutte est vaine. A l’aube du XX e siècle, les
413 POIGNAT (Maurice), Huit siècles d’artisanat et d’industrie textiles en Gâtine, BSHAAAP, n°28, 1980, p.9.
414 Pour un panorama assez complet de l’univers du textile à Parthenay voir POIGNAT (Maurice), L’industrie
textile à Parthenay et en Gâtine du XV e au XX e siècle, op. cit., pp 429 à 442.
415 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889.]
416 ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, BSHSDS, 3 e trim.1975, t.8, p.166.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
entrepreneurs locaux, dénués d’ambition et empêtrés dans leurs modes de gestion archaïques,
doivent s’incliner devant les produits issus des ateliers modernes des régions hautement
industrialisées françaises. Les temps ne sont plus au travail à domicile et à l’artisanat mais à
l’organisation méthodique et scientifique du travail en atelier.
Tableau 2 : l’industrie textile dans la statistique industrielle de l’arrondissement
de Parthenay au premier janvier 1827 :
Lieux Type d’établissement Nombre d’ateliers Nombre d’ouvriers
120 fileuses
Fabrique d’étoffes en serge 20 ateliers
20 cardeuses
30 tisserands
Airvault
Fabrique de toiles
Fabriques d’étoffes, draps
communs etc.
40 ateliers
18 ateliers
60 tisserands
34 tisserands
44 fileuses
6 cardeuses
Azay-sur-
Thouet
Fabrique d’étoffes
40 ateliers dont 6 ouvrières
seulement travaillent à leur compte
40 tisserands
80 fileuses
10 cardeuses
Fabrique d’étoffes, fils de
laine dite barrée
3 ateliers. Seulement une partie de
l’hiver et au printemps
3 tisserands
12 fileuses
2 cardeuses
Largeasse
Fabrique de toile
4 ateliers ouverts pendant 4 mois de
l’année
4 tisserands
Le nombre de fileuses
n’est pas connu
Fabrique de molleton en
serge
10 ateliers
10 tisserands
12 fileuses
2 cardeuses
Chapelle Seguin
Fabrique de toile 6 ateliers
6 tisserands
Le nombre de fileuses
n’est pas connu
5 tisserands
Moncoutant Etoffe de fil de laine 1 atelier
4 fileuses
1 cardeuse
Saint Paul en
gâtine
Fabrique de molleton en
serge
5 ateliers
12 tisserands
16 fileuses
2 cardeuses
Châtillon-sur-
Thouet
Fabrique mécanique à filer la
laine
2 ateliers 80 personnes
Source : ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
Les environs du chef-lieu d’arrondissement sont, eux aussi, profondément marqués par
l’industrie du fil, de l’étoffe et de l’habillement. Sur les rives du Thouet fleurissent de petites
fabriques disséminées dans les communes de Saint-Loup, de Secondigny, du Tallud ou
d’Airvault. Des petits ateliers qui souffrent eux aussi de la concurrence des métiers
mécaniques comme s’en plaint le maire d’Airvault en réponse au questionnaire de l’enquête
économique et sociale de 1848.
- 103 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
La filature de Pompairain, localisée dans la commune de Châtillon-sur-Thouet, à
quelques kilomètres au nord de Parthenay est la plus remarquable. Cet établissement est
l’œuvre de Louis-Joseph et François-Joseph Blot, les frères de Célestin Blot, le fondateur de
la filature de Saint-Maixent 417 . Une famille qui, comme quelques rares autres, joue un rôle
capital dans l’économie locale. Leurs actions et leurs investissements favorisent l’éclosion de
quelques établissements industriels dynamiques et relativement modernes. C’est aussi le cas
des frères Caballe, qui ont vitalisé l’industrie textile à Saint-Maixent comme à Parthenay.
Ces dynasties d’entrepreneurs sont rarement originaires du Poitou. Les frères Blot, par
exemple viennent d’Etreux dans l’Aisne. Une bonne illustration du manque d’esprit
d’entreprise des capitalistes poitevins laissant, le plus souvent, la prise de risque économique
à des personnes étrangères à la région. Le rapport des autorités municipales de Parthenay
destiné à l’Enquête économique et xociale de 1848 le dit clairement : « les indigènes ne feront
jamais les frais de premiers établissements et il faudra que ce soient des étrangers qui le
fassent 418 ».
Les Blot osent créer des ateliers modernes dans un pays attaché à ses traditions
anciennes et cela dès 1821. Ici point de filage au rouet mais des ateliers mécaniques, mués à la
fois par des forces hydrauliques l’hiver et par la puissance d’une machine à vapeur l’été.
Autant d’atouts qui font de l’établissement de Pompairain le plus moderne du département
des Deux-Sèvres mais aussi le premier du département dans sa spécialité. On y traite dans les
meilleures années près de 250000 kilos de laine.
Illustration 10 : filature Blot à Pompairain :
Source : Service régional de l'inventaire de Poitou-Charentes / Beauvarlet.
417 Voir supra.
418 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2) : réponses des arrondissements de
Bressuire et de Parthenay, BSHSDS, 3 e série, Niort, tome 2, 1994, p. 419.
- 104 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Les effectifs employés ne sont pas pléthoriques pour un établissement de cette
importance. Ils oscillent entre 50 et 80 ouvriers en fonction des années 419 . Un nombre
relativement faible qui s’explique par la mécanisation des tâches.
A la mort de Louis-Joseph Blot en 1830, son frère dirige seul la fabrique 420 . Sa
réussite lui fait envisager une carrière politique afin de promouvoir ses idées libérales et
démocratiques. Elle sera brève. On lui confie d’abord, en 1848, la présidence du comité
républicain des Deux-Sèvres. Puis, sous la seconde République, il est élu député en mai 1848,
avant que les urnes ne le chassent en 1849. Entre-temps, il a transmis la gestion de la filature à
son gendre, Auguste Bardet.
Les difficultés surviennent dans les années qui clôturent le second Empire malgré une
remise à niveau technique opérée en 1863. La concurrence est trop forte. Les conséquences du
traité de libre échange se font douloureusement sentir. Les effectifs s’étiolent. L’établissement
finira par fermer ses portes en 1884.
Une autre commune de la vallée du Thouet s’illustre particulièrement en la matière.
Azay-sur-Thouet a une longue histoire drapière. Situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de
Parthenay, c’est un des principaux bourgs ruraux du monde textile poitevin profitant du
sillage ouvert par Parthenay. Une quinzaine de fabriques y existaient déjà en 1693 421 . Une
manufacture de tiretaines y est implantée en 1776 422 .
Le XIX e siècle se caractérise par la mise en œuvre d’une production d’étoffes
grossières destinées à être vendues sur les marchés locaux, des campagnes proches de Niort,
quelquefois jusqu’en Bretagne. Le travail à domicile constitue là aussi la règle. Les enquêtes
préfectorales comptabilisent 40 ateliers en 1827 employant 130 personnes, « dont six
ouvrières seulement travaillent à leur compte 423 ». Ils sont 180, 35 ans plus tard 424 . L’éventail
des productions est large, comme dans le chef lieu d’arrondissement. On y confectionne des
serges, futaines, tiretaines et droguets.
419 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
420 Il commande également la Garde Nationale locale en tant qu’ancien vétéran des armées napoléoniennes. Sur
sept frères membres des armées de Napoléon Bonaparte, seuls trois survivent. Le plus vieux, Louis-Joseph,
colonel au 4 e Hussard, accompagne l’Empereur pendant les Cent Jours ; le second, Célestin est un ancien chef de
bataillon ; et le troisième, François-Joseph, est fait lieutenant le jour même de la bataille.
421 POIGNAT (Maurice), Huit siècles d’artisanat et d’industrie textiles en Gâtine, op. cit., p.12.
422 ADV C39, Inspection des manufactures du Poitou et de l’Aunis, cf. TEXIER (Dominique), Les ouvriers du
textile au XVIII e siècle dans les paroisses de Notre Dame de Lusignan, de Saint-Pierre et Saint-Paul de Pranzay
et de Saint-Martin d’Enjambes, op. cit., p.26.
423 Tableau de la statistique industrielle de l’arrondissement de Parthenay au premier janvier 1827 in
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
424 Situation de l’industrie dans l’arrondissement de Parthenay au mois de juin 1862 in ADDS 10M17.1.
Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
En outre trois filatures de laine emploient un peu moins de 200 personnes en 1858 425 .
L’une d’entre elles se détache sous l’égide des familles Forestiers et Sabiron. On y traite près
de 100 kilos de laine par jour au milieu du siècle en employant 56 personnes 426 . Cet
établissement, créé au siècle précédent, vivra ses dernières heures en 1935, quand la famille
Sabiron abandonne le filage au profit d’une fabrique de vêtements. Entre-temps, ces
industriels développent de petits ateliers dans les villages proches de la commune où on y
apprête des pièces d’étoffes confectionnées à domicile.
La présentation ne serait pas complète sans les fabriques disséminées dans le nord-
ouest de l’arrondissement à l’extrême limite du Bressuirais, tout autour de la ville de
Moncoutant. Il existe là, selon l’enquête économique et sociale de 1848, une fabrique de laine
occupant 138 personnes de tous sexes et de tous âges, et une d’étoffe employant 40
ouvriers 427 .
A côté de ce chef-lieu de canton, on note l’existence d’une industrie textile dans la
commune de Vernoux-en-Gâtine où se trouvent, au milieu du siècle, une filature de laine et
une fabrique d’étoffes grossières animée par une petite trentaine d’employés 428 . Le bourg de
Largeasse, au sud-est de Moncoutant, a, dans la première moitié du siècle, une fabrique de
toile, et surtout pendant une grande partie du XIX e siècle, une fabrique d'étoffes en fil de laine
dite barrée, disposant d’ateliers saisonniers regroupant une trentaine d’individus 429 . A celles-
ci s’ajoutent encore les bourgades de l’Absie et de la Chapelle-Saint-Laurent, ainsi que
nombre de tisserands paysans travaillant à domicile pour des particuliers fournissant la
matière première 430 .
Les caractéristiques du textile gâtinais se retrouvent encore en Vendée, dans le canton
de la Châtaigneraie proche de Fontenay-le-Comte 431 . Ici aussi l’industrie textile est liée à
l’histoire régionale. Marcel Faucheux, dans son ouvrage L’insurrection vendéenne de 1793,
425
Note préfectorale évaluant le nombre d’ouvriers par établissements industriels du département en 1858 in
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
426 e e
POIGNAT (Maurice), L’industrie textile à Parthenay et en Gâtine du XV au XX siècle, op. cit., p 436.
427
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.413.
428
ADDS 10M17. 1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
429
Ibid.
430
Voir par exemple le rapport mensuel du sous-préfet de Bressuire du 23 mars 1864, ADDS 10M17.1.
Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
431 e
La Châtaigneraie et son canton appartiennent à la Gâtine poitevine telle qu’elle se définissait au XVIII siècle,
cf. PERET (Jacques), Gâtine poitevine au XVIII e siècle, La Crèche, 1998, p.6.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
recense à la Châtaigneraie, en 1787, 35 fabricants, 80 tisserands et 1200 ouvriers 432 . La
commune voisine du Breuil-Barret compte à la même époque 24 fabricants, 50 tisserands et
700 ouvriers 433 .
Carte 6 : principales fabriques textiles de la Gâtine et du sud Deux-Sèvres au
XIX e siècles :
(Nombre maximum d’ouvriers) Sources : ADDS, POIGNAT (Maurice), L’industrie textile à Parthenay et en
Gâtine du XV e au XX e siècle, op. cit., ARCHES (Pierre), L’enquête
économique et sociale de 1848, op. cit.
Les populations de ce canton fabriquent des tissus qui ne sont « propres qu’à l’usage
de la classe pauvre et laborieuse 434 » des environs. Le travail à domicile y est de mise. Mi
432 FAUCHEUX (Marcel), l’insurrection vendéenne de 1793, aspects économiques et sociaux, commission
d’histoire économique et sociale de la Révolution, mémoires et documents XVII, Paris, Imprimerie nationale,
1964, p.145.
433 Ibid.
434 CAVOLEAU (J.-A.) (annoté par de LA FONTENELLE DE VAUDORE (A.-D.)), op. cit., p.657.
- 107 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
XIX e siècle, la fabrique de la Châtaigneraie s’étend sur douze communes du canton. Ses 150
métiers fournissent divers tissus comme le kalmouk, la serge, le molleton, ou le droguet.
Toute proche du chef-lieu de canton, il y a dans le bourg de Loge-Fougereuse, dès
1841, une filature de laine aux effectifs variables. Ceux-ci passent de 22 en 1844 et 1850 435 , à
60 en 1873 436 , et enfin à 26 en 1883 dans deux filatures 437 , dont l’une d’entre elles au destin
très éphémère. Le dernier tiers de ce siècle voit apparaître sur place une fabrique d’étoffes de
laine.
Enfin, Chantonnay concentre sur son territoire quelques établissements textiles. La
commune compte quelques fabriques de grosses étoffes 438 , de toiles 439 et de chanvre ; cette
dernière production employant 70 ouvriers dans quatre établissements en 1873 440 .
Si le cœur textile du Poitou bat encore un peu du côté de Parthenay 441 , son artère
principale est constituée par la vallée de la Sèvre nantaise qui irrigue les zones septentrionales
de la Vendée et des Deux-Sèvres.
2. Les tisserands de la vallée de la Sèvre nantaise
Au nord de l’arrondissement de La Roche-sur-Yon, et dans une moindre mesure dans
les campagnes de Bressuire en Deux-Sèvres, existe une industrie textile relativement
considérable tout au long du XIX e siècle. Ces territoires profitent des eaux de la Sèvre
nantaise comme force motrice ou comme moyen d’alimentation des machines à vapeur. Selon
Fohlen cette vallée est « un véritable couloir industriel 442 ». En revanche, cet espace
géographique ne constitue pas un centre textile à part entière. Il est intégré dans la grande
fabrique choletaise du sud du Maine-et-Loire, le « rayon choletais 443 » tel qu’on le nomme
alors.
435
ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850] & ADVd 6M1232.
Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
436
ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
437
ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 189].
438
ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
439
Ibid.
440
ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
441
En mai 2005, la concurrence internationale oblige la filature de Parthenay, une des dernières de France, à
fermer ses portes.
442 e
Expression rapportée par Florence REGOURD, L’industrialisation de la Vendée au XIX siècle, Cahier du
Centre de Recherche pour l’Aménagement Régional, Les industries rurales, Actes du colloque du GIS-GIRI du
16-17 novembre 1982 à La Roche-sur-Yon, n°22, Nantes, 1983, p. 34.
443
Le « rayon choletais » s’étend sur 120 communes du Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres, de la Loire-Inférieure
et de Vendée. Il est défini par l’aire de la juridiction du Conseil des prud’hommes créé en 1822.
- 108 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
2.1. Les grandes fabriques choletaises
Selon l’Histoire de la Révolution française de Michelet, la fabrique de mouchoirs de
Cholet est fondée par la famille Lebreton vers 1680, quand le mérite n’en revient pas au
marquis de Broon, seigneur de la ville à cette époque 444 . Néanmoins ce type de production
n’est pas le plus ancien de la cité. On trouve des traces d’artisanat textile dans le Maine et les
Mauges dès le XI e siècle 445 . Au XV e siècle, le chroniqueur lavallois Guillaume Le Doyen
raconte comment les marchands espagnols viennent dans la région s’approvisionner en tissus.
Le port de Nantes est l’antichambre de la très riche Espagne qui constitue le débouché
principal des productions textiles du grand Ouest du royaume de France 446 . En 1675, il y a
déjà 350 tisserands dans la cité, soit près de 15 % de la population totale.
On y travaille le lin, un peu le coton, et le chanvre. Le tableau de la généralité de
Tours précise que Cholet dispose d’une « manufacture considérable […] qui occupe huit à
dix mille métiers et plus de vingt mille personnes tant pour la fabrication de ces toiles que
pour celle de mouchoirs de fil et coton 447 ».
Toutefois il faut attendre la seconde partie du XVIII e siècle pour que l’industrie textile
choletaise prenne son véritable envol. Colbert y attire une petite communauté hollandaise qui
dynamise le potentiel textile de la ville 448 . L’influence de protestants montpelliérains y est
également notable ; ouvrant aux productions des Mauges une fenêtre sur la Méditerranée.
Parmi eux, il y a les négociants Cambon, véritables figures du textile local 449 .
Des centaines de villages dépendent de la capitale des Mauges, dont maintes petites
localités des futurs départements des Deux-Sèvres et de la Vendée. En 1789, un nouveau
444
BELSER (Christophe), Petite histoire du pays des Mauges, La Crèche, 2002, p.31. Voir aussi PINARD
(Jacques), La transformation des industries textiles de l’Ouest de la France du Moyen-Age au XIX e siècle, dans
Les industries textiles dans l’Ouest de la France, ABPO, Laval, 1990, n°3, t. 97, pp.281-289 et les autres articles
de cette publication.
445
CHASSAGNE (Serge), Encore la proto-industrie, ou vingt ans après, Annales de Bretagne et des pays de
l’Ouest, Laval, tome 107, année 2000, n° 2, p.8.
446
Outre l’Espagne, les toiles des Mauges trouvent preneurs dans les colonies d’Amérique. Saint-Domingue et
La Martinique sont des exemples de destinations, cf. MONVOISIN (J.L.), Les toiles de Cholet en Amérique au
début du XVIII e siècle, De fil en aiguille, Cholet, 1990, n°7, pp. 2-5 cité par DOLLE (Pascal), Cholet et
l’industrie toilière au début du XVIII e siècle, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Laval, tome 107, année
2000, n° 2, p.71.
447
AD Maine-et-Loire, 1Mi50, Tableau de la généralité de Tours, 1762, cité par DOLLE (Pascal), Cholet et
l’industrie toilière au début du XVIII e siècle, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Laval, 2000, t.107,
n°2, p.73.
448
BELSER (Christophe), Petite histoire du pays des Mauges, Op. Cit., p.33.
449
Voir BENDJEBBAR (André), Cambon et la Vendée, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Laval,
tome 97, année 1990, n° 3, pp.227-235.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
rapport de la généralité de Tours fait état de 40 000 personnes des deux sexes travaillant
mouchoirs et toiles de Cholet 450 . On instaure un « bureau de la marque » pour garantir la
qualité des produits. Cette institution serait l’une des causes principales du succès de la toile
choletaise 451 . Néanmoins des difficultés commencent à surgir à partir du règne de Louis XV
et dans les dernières années de l’Ancien régime avec la perte de débouchés coloniaux 452 .
La déchirure révolutionnaire laisse une contrée exsangue. Les troupes républicaines de
Kleber ont réduit la ville en ruines. Michelet la dépeint avec emphase : « La pauvre ville de
Cholet, si cruellement ravagée, et qui un moment n’eut plus d’habitants que les chiens, vivant
de cadavres, avait fourni contre elle-même ces mouchoirs, insignes de la guerre civile 453 ».
Cette période signe le déclin de la plupart des industries textiles de l’Ouest, en Mayenne
comme en Bretagne mais pas dans le « rayon choletais ».
L’industrie textile choletaise redémarre une fois l’insurrection vendéenne étouffée. Le
général Gouvion le constate en 1803 ; « dans la partie qui avoisine la Sèvre nantaise, il y
avait avant la guerre, des fabricants qui travaillaient pour la célèbre manufacture de Cholet :
presque tous ont péri. Cependant cette utile branche de l’industrie commence à reprendre de
l’activité 454 ».
Ce redressement économique est particulièrement l’œuvre de onze associés
négociants, et républicains, formant ce que l’on nomme « La Société des Onze » grâce à
l’appui financier du gouvernement 455 . Cette fabrique emploie 794 personnes en l’an VI. On en
compte entre 800 et 1200 quatre ans plus tard. En l’an XI, le préfet du Maine-et-Loire décrit
la manufacture choletaise comme une « immense fabrique [qui] occupe environ 35 000
individus, à savoir 5000 tisserands et autant de métiers, 10 000 dévideuses et 20 000
fileuses 456 ». Le lien déchiré par la guerre civile entre la ville et les campagnes alentours est à
nouveau noué.
450
POPEREN (Maurice), Un siècle de luttes chez les tisserands des Mauges, Angers, 1974, p.12.
451
Cette instance sera rétablie en 1801.
452
La France perd ses comptoirs indiens et ses possessions d’Amérique du Nord.
453
MICHELET (Jules), Histoire de la Révolution française, Paris, 1853, t.7, p.81.
454
Rapport en date du 15 avril 1803, émanant du général Gouvion, inspecteur général de la gendarmerie
nationale, chargé de mission par le premier consul, AN AF IV 1053.
455
Un décret du 26 messidor an IV accorde un prêt de 6 millions qui sera intégralement remboursé en 1808, le
signe d’une prospérité retrouvée. Voir CHEVALIER (Jean-Joseph), Les « Onze associés » de Cholet (1796-
1806). Reconstruction économique et politique au lendemain de l’insurrection vendéenne, Annales de Bretagne
et des pays de l’Ouest, Laval, tome 107, année 2000, n° 2, p.237-255.
456 e
MAILLARD (Jean), La disparition des fileuses rurales dans la manufacture choletaise au début du XIX
siècle, ABPO, Laval, 2000, t.107, n°2, p.154.
- 110 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Toutefois, ces entrepreneurs prennent peu de risques. Aux investissements importants, ils
préfèrent agir en marchands-fabriquants traditionnels, chantres de la proto-industrie. « Non
seulement ils distribuent matières premières et travail à un réseau direct et indirect de
tisserands, blanchisseurs et teinturiers mais achètent, à la halle aux toiles, les deux tiers de la
fabrication locale hors société 457 ».
S’ils restent traditionnels quant au modèle de production, ils osent privilégier le travail
du coton, introduit dans les Mauges au milieu du XVIII e siècle. Les étoffes tissées à partir de
cette fibre exogène vont connaître dès lors une grande expansion, en particulier les célèbres
mouchoirs de la ville. C’est ainsi que de grandes firmes apparaissent comme les
établissements Turpault 458 , Richard, Brouet ou Brémond 459 .
Le tissu industriel choletais n’évolue guère pendant les deux premiers tiers du XIX e
siècle. Une crise aiguë le frappe au début de la monarchie de Juillet, alors que le travail du lin
et du chanvre est en pleine décadence. C’est pourquoi le coton prend le relais dans les
campagnes. Néanmoins on continue à travailler le lin car le « lin et [le] coton sont
indissociables dans le tissage de Cholet 460 ».
Le manque d’initiative des entrepreneurs est encore une fois mis en avant. Le maire de Cholet
accuse les « vieilles routines » qui ne permettent pas de faire face à la concurrence étrangère
et française. Le sous-préfet de Beaupréau, dans le Maine-et-Loire, y va aussi de son couplet
sur l’autarcie des patrons locaux qui « n’ont pas su faire les efforts suffisants pour soutenir la
lutte, soit en améliorant leurs procédés de fabrication, soit en variant leurs produits en les
appropriant au goût des consommateurs 461 ». En 1850 la navette volante apparaît presque
comme une nouveauté, alors qu’elle a près d’un siècle 462 , et le métier Jacquard est très peu
répandu 463 . Ici les habitudes ancestrales sont tenaces.
Nonobstant cet état de fait, les fabriques choletaises emploient six à sept mille ouvriers
auxquels il faut ajouter près de 20 000 tisserands « à la cave » dont 2000 dans le seul canton
457
CHEVALIER (Jean-Joseph), op. cit., p.242.
458
900 ouvriers en 1897, SARRAZIN (Jean-Luc) (dir.), La Vendée des origines à nos jours, Saint-Jeand’Angely,
1982, p.381.
459
BELSER (Christophe), Petite histoire du pays des Mauges, op. cit., p.59.
460
FOHLEN (Claude), L’industrie textile au temps du second Empire, op. cit., p.167.
461
POPEREN (Maurice), op. cit., p.14.
462
Procédé mis au point par le britannique John Kay en 1733 afin d’améliorer la vitesse de tissage. Cette navette
limite la largeur des pièces d’étoffes à celle des deux bras de l’ouvrier en raison du passage de la navette. Il est
nécessaire d’être deux afin de produire une pièce plus grande.
463
L’emploi de cartons perforés permet d’exécuter les dessins à tisser en employant une main-d’œuvre moindre.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
vendéen de Mortagne. En 1847 le maire estime que 13/20 e des habitants de cette commune
travaillent dans le textile dont plus de la moitié dans les fabriques locales 464 .
Illustration 11 : métier à tisser Jacquard :
La situation s’améliore légèrement par la suite, malgré les crises conjoncturelles ou
structurelles qui se succèdent. En particulier celle frappant le coton 465 à partir de 1860 sous les
effets conjugués du traité de libre échange et de la guerre de Sécession américaine.
464 Les fabriques sont des filatures de lin et de laine ainsi qu’une blanchisserie. Ces établissements occupent une
population qui tissait auparavant la toile de coton pour les entreprises choletaises. Rapport du maire de Mortagne
au préfet de Vendée du 2 août 1874, ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales
[1806 ; 1850].
465 Sur la crise du coton voir la troisième partie de l’ouvrage de Claude Fohlen intitulée « La famine du coton »
in FOHLEN (Claude), L’industrie textile au temps du second Empire, op. cit., p.253 et s.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Sous le second Empire, la capitale des Mauges « est le centre d’une fabrique qui étend ses
rayons sur plus de 120 communes, dans lesquelles 45 000 à 50 000 ouvriers sont occupés aux
produits manufacturés et fabriqués 466 ».
La ville de Cholet n’accueille pas que des maisons de négoce ou les centres
névralgiques des fabriques. Elle compte aussi des établissements industriels proprement dits.
Claude Folhen 467 y dénombre, en 1862, deux filatures de coton. L’une dispose de 7 700
broches et l’autre de 12 000. L’une d’elles appartient aux frères Richard et est créée vers
1825. Elle est la première dans la place à utiliser une machine à vapeur ne fonctionnant qu’au
charbon provenant des mines de Saint-Laurs, de Faymoreau et de Chantonnay.
Les environs proches de Cholet accueillent également des installations industrielles et
textiles. Chemillé compte deux filatures de laine. Le Longeron fait mouvoir 13 000 broches
de coton. En outre les rives de la vallée de la Sèvre sont occupées par onze filatures
consacrées aussi bien au lin, au chanvre qu’au coton.
Carte 7 : principales localités du rayon textile choletais poitevin :
D’après SAUVAGET (D.), Les industries du Nord Est de la Vendée, DES, Nantes, 1966.
466 Registre des délibérations de la chambre consultative de Cholet, 5 novembre 1854, cité par FOHLEN
(Claude), L’industrie textile au temps du second Empire, op. cit., p.166.
467 Ibid.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Malgré cette présence de véritables entreprises industrielles, la caractéristique
principale du « rayon choletais » est la survie prolongée d’un mode de production archaïque,
basé sur le travail à domicile.
2.2. Un modèle de proto-industrie contemporaine
Le modèle proto-industriel 468 sous-entend un mode d’organisation hiérarchisé allant
du marchand aux simples tisserands et fileurs.
• Le marchand fabricant
Le marchand fabricant, ou le « faux fabricant » comme le nomment ceux qu’il
exploite 469 , se trouve au centre de la filière textile choletaise. Il sert d’intermédiaire entre le
producteur et le consommateur.
Les négociants sont des marchands de produits finis, voire de matières premières, en
gros ou en détail. En 1822, sept grossistes commerçants sont recensés dans le choletais et une
quinzaine de détaillants. Ils ne possèdent pas de métiers. Ils centralisent seulement la
production des fabricants 470 .
Toutefois certains d’entre eux veulent contrôler toute la chaîne du tissage à la vente.
Pour cela ils imposent parfois leur marque 471 sur des mouchoirs fabriqués par des tisserands
indépendants des campagnes qui viennent à la ville vendre leur production. A cela s’ajoute le
fait que quelques-uns vendent du coton brut, ce qui les place aux deux extrémités du
processus productif. Tel est le problème principal pour les distinguer des fabricants, car ils ne
possèdent pas de métiers mais en font fonctionner de nombreux. Beaucoup de tisserands ont
468
Sur la difficile définition de la proto-industrie et son éventuelle différenciation avec le travail à domicile, voir
KRIEDTE (Peter), MEDICK (Hans), SCHLUMBOHM (Jürgen), Proto-industrialisation : bilan et perspectives.
Démographie, structure sociale et industrie à domicile moderne, in Mélanges en souvenir de Franklin
MENDELS, Genève, 1996, pp.29-71.
469
BOUVIER-AJAM (Maurice), Histoire du travail en France depuis la Révolution, Paris, 1969, p.193.
470
Nous sommes dans le cadre du domestic system où le marchand-fabricant n’exerce aucun contact et aucun
contrôle sur le travailleur à domicile.
471 e e
Le Trésor de la langue française, dictionnaire de la langue du XIX et XX siècle, CNRS, Paris, 1980, t.8,
définit la marque de fabrique ainsi : « label apposé sur un objet par le fabricant pour en garantir la provenance
et la qualité ».
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
une véritable situation de dépendance à leur égard ce qui les rapproche du sort de véritables
salariés 472 .
Néanmoins, juridiquement ces marchands fabricants demeurent des commerçants. Ces
négociants répondent positivement aux critères établis par l’article 632 aliéna1 du Code de
commerce de 1807 473 . Ils achètent des marchandises avec l’intention de les revendre, de
spéculer sur leurs prix futurs.
• Le fabricant
Définir le terme de fabricant est encore plus ardu. « Les fabricants forment un vaste
ensemble débutant aux marges bien définies et très limitatives des tisserands à la cave et
s’étendant jusqu’à celles du marchand fabricant 474 ».
Deux conditions doivent être réunies pour être considéré comme un fabricant. La
première est matérielle. L’exercice personnel d’une activité de transformation est nécessaire.
Il faut disposer d’un minimum de deux métiers déclarés. La seconde est plus structurelle. Il
faut être un entrepreneur d’ouvrages 475 . Les plus petits dirigent à leur domicile leur propre
famille, des apprentis et compagnons. Les plus importants commandent à d’autres tisserands à
la cave.
Deux modalités qui se retrouvent dans la définition du terme fabricant que donne
Savary Des Bruslons dans son Dictionnaire universel du commerce au XVIII e siècle : « on
appelle ainsi celui qui travaille, ou qui fait travailler pour son compte des ouvrages
d’ourdissage de toutes espèces, en soie, en laine, en fil, en coton etc. Il est rare qu’on
applique à d’autres arts le terme de fabricant 476 ». Un siècle plus tard, la définition de Pierre
Larousse n’a pas beaucoup changé, sauf qu’elle ne confine plus le fabricant au monde du
textile : « Personne qui fabrique ou fait fabriquer pour son compte 477 ».
472 Précisons qu’en 1931 la cour de cassation affirme qu’une dépendance économique n’octroie pas la qualité de
salarié. Il faut pour cela constater l’existence d’un lien juridique de subordination, cf. arrêt Bardou du 6 juillet
1931 in PELISSIER (jean), LYON-CAEN (Antoine), JEAMMAUD (Antoine) & DOCKÈS (Emmanuel), Les
grands arrêts du droit du travail, Paris, 2008, n°1.
473 « La loi répute actes de commerce tout achat de denrées et marchandises pour les revendre, soit en nature,
soit après les avoir travaillées et mises en œuvre, et même pour en louer simplement l’usage ».
474 MAILLARD (Jean), Tisserands, fabricants, marchands-fabricants, dans la fabrique choletaise vers 1820.
Essai de délimitation, ABPO, Laval, 1990, n°3, t.97, p.322.
475 Ici il s’agit du putting-out system où le fabricant distribue le travail à domicile.
476 Cette définition est reprise intégralement dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, cf. Encyclopédie ou
dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Genève, 1776, t.13.
477 LAROUSSE (Pierre), Grand dictionnaire universel du XIX e siècle, Paris, 1866-1876 (reprint Nîmes, 1990).
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Il s’agit donc d’une catégorie professionnelle hétéroclite, où quelques-uns sont
proches, voire assimilés, à de simples tisserands et d’autres, situés tout en haut de l’échelle
catégorielle, sont de quasi négociants.
Le Code de commerce de 1807 et son analyse jurisprudentielle et doctrinale
postérieure facilitent un peu plus la compréhension de cette activité.
Tout d’abord, la loi considère le fabricant comme un commerçant quand il possède
une boutique où il vend les produits de son travail. Il possède également ce statut juridique
lorsque le fabricant « achète les matières premières brutes qu’il revend après les avoir
travaillées 478 ». Peu importe aussi que le fabricant possède un établissement proprement dit.
Faire travailler par des ouvriers à domicile des matières premières fournies par des tiers
confère au fabricant maître d’œuvre le statut de commerçant 479 .
En revanche, un tisserand recevant des matières premières de personnes à qui il les
rend après les avoir modifiées moyennant salaire ne peut être considéré comme un
commerçant. Il s’agit simplement de l’exécution d’un contrat de louage d’ouvrage.
La situation se complique quand le fabricant transforme pour son propre compte et son
propre profit des matières premières qu’il a acquises lui-même et fabrique, en outre, des
articles pour une tierce personne moyennant salaire. Il se retrouve donc à la fois commerçant
et salarié dont on loue l’ouvrage 480 . Une situation que l’on rencontre fréquemment dans le
milieu textile de la vallée de la Sèvre nantaise.
Si le terme fabricant est bien défini, il en est tout autrement du terme fabrique.
Longtemps, ce mot n’est que le synonyme de manufacture. Le verbe « fabriquer » est
longtemps l’équivalent moins courant de « manufacturer » 481 . En 1835, le Dictionnaire de la
conversation et de la lecture explique « qu’on dit indifféremment une fabrique ou une
manufacture de draps 482 ».
Au XVIII e siècle l’article « Manufacture » de l’Encyclopédie distingue deux types
d’établissements dont l’un est l’équivalent de la fabrique telle qu’on la connaîtra encore un
siècle plus tard : d’un côté les manufactures réunies et de l’autre les manufactures dispersées.
Les premières regroupent en un lieu déterminé un grand nombre de mains devant
478
LYON-CAEN (Ch.), RENAULT (L.), Précis de droit commercial, Paris, 1884, t.1, p.53.
479
Ibid.
480
Ibid.
481
Dictionnaire Trévoux, Paris, 1771, t.4.
482
Dictionnaire de la conversation et de la lecture, Paris, 1835.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
promptement réaliser diverses opérations qui se suivent. Les secondes regroupent « tous les
ouvrages qui peuvent s’exécuter par chacun dans sa maison, dont chaque ouvrier peut se
procurer par lui-même ou par les autres les matières premières qu’il peut fabriquer dans
l’intérieur de sa famille, avec le secours de ses enfants, de ses domestiques et de ses
compagnons ». Un article illustré par l’exemple de l’industrie du textile.
On doit attendre le dernier quart du XIX e siècle pour qu’enfin on reconnaisse une
véritable spécificité à la fabrique. L’Encyclopédie du XIX e siècle, répertoire universel des
sciences, des lettres et des arts entend par ce mot « tout établissement où la production est
obtenue par groupes isolés, par efforts individuels, avec les instruments et l’outillage le plus
anciennement connus, le plus généralement employés », alors que la manufacture 483 devient
« la fille d’une haute civilisation [qui] désigne et embrasse le travail et la production qui
naissent du rapprochement et de l’action simultanée de vastes capitaux, de bras nombreux, de
forces mécaniques puissantes 484 ». Cette définition rapproche enfin la fabrique du fabricant en
montrant la dispersion des unités de production.
En définitive la fabrique « est un ensemble productif partageant une même finalité, la
réalisation d’un produit et un même territoire, en agrégeant une même pluralité
d’organisations productives », le plus souvent une distribution du travail à des ouvriers
travaillant à domicile ou en petits ateliers sous la houlette de fabricants.
Enfin, au-delà de la proto-industrie, on trouve les filateurs fréquemment regroupés
dans des ateliers.
Bien entendu, soumis aux détenteurs du pouvoir économique et commercial, il y a les
simples tisserands.
• « Les tisserands à la cave »
Ces tisserands à domicile se différencient des simples ouvriers travaillant pour autrui
définis à l’article 29 de la loi du 1 er Brumaire an 7.
483 La manufacture est devenue au XIX e siècle le synonyme de grande entreprise disposant d’une organisation du
travail élaborée et organisée autour d’ateliers offrant une production centralisée. Ceci n’est pas forcément vrai un
siècle plus tôt où une manufacture n’est « qu’un établissement industriel, sous forme concentrée (usine) ou
dispersée (travail à domicile), avec ou sans privilèges » cf. glossaire in DELSALLE (Paul), La France
industrielle aux XVI e , XVII e , XVIII e siècles, Paris, 1993, 280 p.
484 Encyclopédie du XIX e siècle, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, 4 e éd., Paris, 1876,
vol.19.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Dispersés dans les hameaux et les bourgs de la région, aux maisons identiques « toutes
percées de petites fenêtres à fleur de terre » où « du lever au coucher du soleil, on entend le
va et vient monotone de la navette 485 », ils sont réputés ne posséder qu’un métier et
n’employer aucun ouvrier. Il faut attendre la loi du 25 avril 1844 pour ne plus considérer
« comme compagnons et apprentis, la femme travaillant avec son mari, ni les enfants non
mariés travaillant avec leurs père et mère, ni le simple manœuvre dont le concours est
nécessaire à l’exercice de la profession 486 ».
Auparavant, la loi de l’an VII sur les patentes opère une autre distinction dans cette
catégorie. D’un côté les tisserands (classe 7), de l’autre les fabricants à métiers (classe 6).
Les membres de la classe 7 doivent travailler à façon. Une loi de 1818 confirme cette
situation en affirmant qu’ils travaillent « pour le compte de fabricants ou de marchands
fabricants en gros ou en détail ». Ils ne possèdent pas la matière première qui leur est fournie
par un tiers auquel sont destinés les tissus produits. Ils sont payés à façon, c’est-à-dire sur le
travail accompli 487 . La Cour de cassation affirme que le tisserand est un « simple artisan »
sans aucune activité commerciale 488 . Il ne fait que louer son savoir-faire.
La définition des fabricants à métiers (classe 6) est différente et juridiquement plus
floue. Ceux-ci vendent au fur et à mesure les produits de leur travail. Leur rémunération est
constituée par le prix de vente de la marchandise. Mais à la différence des marchands et
commerçants, ils ne spéculent pas sur le prix des productions qu’ils doivent vendre « au fur et
à mesure » qu’elles sont produites. Ils sont propriétaires des matières premières et des textiles
produits jusqu’au moment où ils sont vendus, après la visite d’un négociant à leur domicile ou
le plus souvent sur la place d’un marché.
Les fileuses occupent l’amont de la filière pendant les trente premières décennies du
XIX e siècle. Dispersées dans les campagnes, leur nombre varie, selon les auteurs, dans une
proportion de quatre à cinq fileuses par tisserand, voire de six à dix. Une catégorie silencieuse
qui travaille à domicile sur des métiers à filer, la spinning jenny, la « jeannette » telle qu’on la
nomme dans la région. Mais cette population industrieuse est vouée à disparaître lentement
485
POISSON (Charles), Le salaire des femmes, thèse droit, Caen, 1906, p.53.
486
MAILLARD (Jean), Tisserands, fabricants, marchands-fabricants, dans la fabrique choletaise vers 1820.
Essai de délimitation, op. cit., p.319.
487
La façon signifie « le travail d’un artisan, la peine, le temps qu’il a employé à un ouvrage, ce sur quoi on
règle la récompense et le salaire. On donne tant par pièce au « tissier » ou tisserand, pour la façon de chaque
pièce de drap, de chaque pièce de toile », définition extraite de SAVARY DES BRUSLONS (Jacques), op. cit.,
1760, t.2.
488
Arrêt de la Cour de cassation en date du 12 décembre 1836.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
sous les assauts de la mécanisation. De nouveaux métiers apparaissent. La mule jenny 489
augmente la production et la productivité. nécessitant en contrepartie une force motrice plus
importante. L’obligation de disposer d’une force animale, hydraulique ou à vapeur, oblige les
fileuses à quitter leurs demeures pour s’agréger dans des ateliers. C’est ainsi que disparaît le
métier traditionnel de fileuse, sans bruit, aussi discrètement que pouvaient l’être ces femmes
travaillant à l’ombre des caves.
Illustration 12 : vieille fileuse niortaise :
Source : Le CORFEC (Jean-Michel), op. cit., p.61.
489 La première mule jenny serait apparue en France, à Amiens, en 1788.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
• La permanence du modèle proto-industriel
Ce mode d'organisation de la production textile perdure de longues années dans le
« rayon choletais ». Les tisserands à la cave emploient longtemps des outils rudimentaires 490 .
Outre la navette volante faisant figure de nouveauté les métiers à la Jacquard sont peu
répandus, car « les tisserands de ce pays quittent difficilement les habitudes routinières de
leurs devanciers ».
Les enquêtes économiques du canton de Mortagne-sur-Sèvre en Vendée attestent de la
survivance du travail à domicile, non seulement au XIX e siècle mais aussi au début du siècle
suivant. Un rapport du préfet des Deux-Sèvres au ministre du commerce du 10 février
1836 souligne le développement du travail à domicile dans le bocage : « les métiers à toile et
à étoffes de laine sont assez répandus dans tout le bocage, et depuis 4 ans environ, ils ont pris
de l’accroissement 491 ». Des rapports de 1886 et de 1910 montrent qu’une part importante de
tisserands travaillent encore chez eux ; 280 métiers pour la seule commune de Mortagne-sur-
Sèvre 492 . Les instances administratives dénombrent 1200 tisseurs dans ce canton en
1904 493 ; 1117 en 1910 494 .
Ce « second âge proto-industriel 495 » est une ère d’ultime et de vaine résistance à
l’industrialisation moderne, même si cette résistance est âpre dans les campagnes où une
forme de sweating-system 496 perdure dans les premières décennies du XX e siècle 497 . La crise
cotonnière, l’abandon du protectionnisme étatique et la multiplication des productions en
grande série issues des centres textiles du Nord et de l’Est de la France rendent cette forme
ancienne d’organisation du travail subsidiaire. Elle persiste dans des centres industriels
490
FOHLEN (Claude), Tisserands, fabricants, marchands-fabricants, dans la fabrique choletaise vers 1820. Essai
de délimitation, op. cit., p.167.
491
ADDS 4M6. 12. Chouannerie ; rapports divers [1836 ; 1837].
492
ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
493
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
494
ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
495
TERRIER (Didier), les deux âges de la proto-industrie, les tisserands du Cambrésis et du Saint-Quentinois,
1730-1880, Paris, 1996, p.147 et s.
496 e
« Organisation du travail qui trouve son origine dans les villes britanniques de la fin du XIX siècle, par
laquelle les entrepreneurs employeurs sous-traitaient le travail à des intermédiaires qui exploitaient sans
vergogne des travailleurs urbains sous-payés soit à domicile soit dans de petits ateliers avec des conditions
d’hygiène déplorables », définition extraite de VERLEY (Patrick), Entreprises et entrepreneurs du XVIII e siècle
au début du XX e siècle, op. cit., p.232. Cette expression apparaît au milieu du XIX e siècle dans le roman de
Charles Kingsley, Alton Locke publié en 1849 cf. FOHLEN (Claude), Le travail au XIX e siècle, Paris, 1967, p.40
497
AFTALION (Albert), op. cit., p.17 et s.
- 120 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
secondaires où elle offre « une alternative au modèle classique d’industrialisation 498 ». Les
deux modes de production peuvent être complémentaires en facilitant une gestion plus souple
de la production textile.
Mais les tisserands à la cave sont encore plus soumis que par le passé aux fabricants.
La déchéance du lin et la prédominance du coton imposent aux industriels un plus grand
contrôle des matières premières. Les simples travailleurs à domicile ne peuvent plus se fournir
directement. Ils dépendent entièrement des fabricants. Et surtout, à moyen terme, ce mode de
travail, pourtant très flexible et peu onéreux en salaires et en investissements de tous types, ne
satisfait plus les entrepreneurs qui souhaitent contrôler toute la filière de production pour
éviter toute perte de productivité, assurer une meilleure qualité et une plus grande
uniformisation de la production 499 .
Cholet et sa région n’ont pas le monopole en France de l’économie proto-industrielle.
En revanche, le territoire semble posséder une culture industrielle extraordinaire dans un
grand Ouest réputé apathique. Le nord-est vendéen avec ses caractéristiques géographiques et
historiques particulières a façonné une mentalité rare en France qui explique le particularisme
et la survivance du tissu économique de la nébuleuse choletaise.
2.3. Les fondements de l’industrialisation du bocage
vendéen
Des auteurs 500 ont cherché les fondements du particularisme évident du tissu industriel
choletais et nord vendéen. Des analyses partielles qui, faute de travaux approfondis, méritent
d’être mentionnées.
Les guerres de Vendée semblent être le premier évènement ayant modelé l’état
d’esprit industriel local. Jean-Claude Martin remarque que « ce sont les paroisses qui ont le
plus activement participé au soulèvement de 1793 qui sont aujourd’hui le lieu d’activité la
plus intense de l’industrie en milieu rural 501 ». Ces zones sont caractérisées par une très forte
498 TERRIER (Didier), op. cit., p.148.
499 AFTALION (Albert), op. cit., p.157 et s.
500 Cf. les travaux de MARTIN (Jean Clément), Aux origines de l’industrie vendéenne, op. cit., pp 37-48 &
CHAUVET (A.), Le bourg industriel de la Vendée choletaise, Cahier du Centre de Recherche pour
l’Aménagement Régional, Les industries rurales, Actes du colloque du GIS-GIRI du 16-17 novembre 1982 à La
Roche-sur-Yon, n°22, Nantes, 1983, pp 49-62.
501 MARTIN (Jean Clément), Aux origines de l’industrie vendéenne, op. cit., p.38.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
fécondité, bien supérieure à celle constatée ailleurs dans le département de la Vendée au XIX e
siècle. La religion catholique y est très implantée et le vote conservateur très important. Cette
région dépourvue d’identité propre avant la Révolution 502 trouve dans les évènements
tragiques de 1793 de quoi fonder une destinée commune à tous ses habitants, dont l’industrie
est une des meilleures illustrations. « L’âme vendéenne serait responsable de cette
industrialisation » centrée dans un contexte sociologique et politique désireux de s’affranchir
du pouvoir central jacobin.
Quelques-uns objectent que cette défiance envers l’autorité publique existe depuis des temps
bien plus anciens, tout comme l’esprit laborieux des populations de ces contrées 503 . Selon
Perouas, ce « dimorphisme » existe depuis au moins trois siècles 504 .
Ce qui est remarquable, c’est la capacité du tissu économique et industriel à toujours renaître
de ses cendres. Beaucoup de régions textiles ont décliné tout au long du XIX e siècle, alors que
la nébuleuse choletaise a réussi à retrouver son dynamisme après l’expérience révolutionnaire
et les crises importantes de la Belle Epoque. On peut penser que les guerres de Vendée ont
apporté le petit supplément d’âme nécessaire à la survivance de l’industrie locale, là où elle
périclite dans d’autres régions.
Cette solidarité vendéenne qui naît alors, va modifier l’état d’esprit des populations du
bocage prenant leur destinée en main. L’entrepreneur issu des petits bourgs va supplanter les
investisseurs bourgeois des villes voisines, comme ceux de Cholet ou encore les dynasties
protestantes du val de Sèvre, ainsi que ceux, trop rares, étrangers à la région. Cette mutation
est bénie par le clergé et les notables, favorables à ce repli sur soi. L’ancienne Vendée
militaire devient un bastion de résistance politique à la République. Un fonctionnement quasi-
autarcique se met en place. La main d’œuvre nombreuse trouve des emplois sur place. Ici,
l’exode rural qui se déroule en France dès le régime de Napoléon III est différé d’une
vingtaine d’années, puisqu’il ne débute que dans les années 1890. Les élites brandissent la
ruralité comme un étendard. On refuse l’industrialisation moderne qui va de pair avec la ville
et les usines, autant de lieux de perdition. Le travail à domicile est un moyen de concilier
l’inéluctable essor industriel avec la volonté de préserver un mode de vie ancestral, dans un
environnement où la concentration des terres est faible.
502 Cette région est partagée sous l’Ancien régime entre la Bretagne, l’Anjou et le Poitou.
503 CAVOLEAU (J. A.), Description abrégée du département de la Vendée, 12 e série, 10, n°24, p.25.
504 PEROUAS (L.), A quand remonte le dimorphisme religieux dans le Bas Poitou ?, RBP, 1961, pp. 336-347.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Parallèlement d’autres auteurs recherchent des causes plus structurelles expliquant ce
particularisme.
On peut mettre en avant la vitalité et la densité démographique du bocage en suivant la
pensée de Durkheim. Cette vitalité pourrait se manifester dans l’industrialisation. Cette
analyse n’est pas concluante selon A. Chauvet. Celui-ci affirme qu’il n’y a pas toujours
corrélation entre les moments de pics démographiques et les phases d’industrialisation.
Néanmoins, il reconnaît que cette offre importante de main d’œuvre peut expliquer
l’installation d’activités nouvelles, comme celle de la chaussure à la fin du XIX e siècle.
L’interprétation marxiste basée sur « l’acquisition de nouvelles forces de production »
ne semble pas plus probante. La mutation industrielle choletaise est lente, sans véritable
accumulation de capitaux et sans forte intégration dans les bourgs et les villes. Le monde rural
n’a pas été bouleversé. Les paysans ont conservé leur mode de vie et d’organisation
traditionnels sans être happés par les usines et leurs ateliers.
Les facteurs culturels apparaissent plus pertinents. Une éthique religieuse guide les
populations du pays. L’auteur reprend la thèse de Max Weber 505 qui place « l’ascèse
individuelle » comme base de l’esprit capitaliste, à l’image des pays où le calvinisme s’est
développé. A. Chauvet affirme que « comme dans le protestantisme, [il] régnait dans le
catholicisme vendéen un rigorisme moral par lequel une austérité de la vie entraînait une
certaine accumulation de richesses disponibles pour l’investissement industriel 506 ».
Mais le facteur principal semble être l’organisation socioculturelle centrée autour du bourg et
de la communauté. Celle-ci forme une entité repliée sur elle-même où la solidarité joue à
plein en formant une forme de « christianisme social ». Les guerres de Vendée ont accentué
cet état d’esprit d’une société en vase clos.
« [Le bourg est] une petite entité suffisamment réduite en surface et
souple en dimension pour s’adapter aux conditions sans cesse
changeantes. Un modèle reproduit à de multiples exemplaires et qui
donne un aspect homogène à toute la Vendée choletaise mais un
modèle qui du fait même de sa nature, n’a jamais conduit à
constituer sur l’ensemble une entité territoriale particulière 507 ».
505
WEBER (Max), L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, 1964, chapitre II, partie 2 : ascétisme
et esprit capitalisme, p.200 à 249.
506
CHAUVET (A.), Le bourg industriel de la Vendée choletaise, op. cit., p.53.
507 Ibid., p.59.
- 123 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
2.4. Fabriques et ateliers textiles du val de Sèvre vendéen
En 1854, la chambre consultative de Cholet relève onze filatures dans la seule vallée
de la sèvre nantaise.
Le rayon choletais, dans sa partie vendéenne, accueille deux centres majeurs de production
textile. Ils se localisent tous deux dans l’arrondissement de La Roche-sur-Yon. Le plus
important est le canton de Mortagne-sur-Sèvre, situé à l’extrême limite du département, tout
près du Maine-et-Loire. Le second se concentre autour du bourg de Cugand – « petite colonie
industrielle » selon Audiganne 508 –, près de Montaigu et de la limite du département de la
Loire-Inférieure.
Outre ses nombreux tisserands à la cave, spécialisés le plus souvent dans la confection
de mouchoirs de Cholet 509 , Mortagne-sur-Sèvre et ses environs ont quelques ateliers textiles
fonctionnant selon un mode de production plus moderne, parfois même mécanique, où toute
la filière est représentée.
La principale filature de Mortagne-sur-Sèvre 510 travaille le lin avec 275 ouvriers à la
fin de la monarchie de Juillet 511 , entre 350 et 400 au milieu du second Empire 512 et 190 en
1889 513 , époque où le lin est complété par du chanvre et du jute. Une plus petite filature de
laine y est aussi installée. Le nombre de ses employés oscille autour de la quarantaine entre
1844 et 1863 514 . Une teinturerie y est jointe. D’ailleurs d’autres établissements de ce type sont
établis sur place, tout comme quelques blanchisseries. On note aussi la présence d’une
fabrique de tissus dans les dernières décennies du XIX e siècle. Le nombre d’ouvriers
employés y est en augmentation constante : seulement 29 employés en 1865, 90 en 1886 515 et
294 en 1897 516 .
508 AUDIGANNE (Armand), Les populations ouvrières et les industries de la France. Etudes comparatives sur le
régime et les ressources des différentes industries, Paris, 1860, p.374.
509 Voir supra.
510 Cette filature est le principal établissement industriel du département en 1850, AN F/12501, cf. REGOURD
(Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.75.
511 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849]
512 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
513 ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 1889].
514 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849] &
ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
515 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
516 ADVd 10M6. Etablissements soumis à l’inspection du travail (1897).
- 124 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Le canton de Mortagne est loin d’être en reste. Les communes de Saint-Laurent-sur-
Sèvre, Mallièvre, les Epesses, la Verrie possèdent toutes leur lot d’ateliers de tissage, de
blanchisseries et de teintureries. Mais quelques uns s’illustrent plus particulièrement.
Une fabrique de tissus apparaît sous le second Empire aux Epesses. Elle existe encore
quand la Première Guerre mondiale éclate. A ses débuts l’embauche est faible puisque
l’atelier ne compte que 16 personnes en 1860 517 , puis elle en emploie 140 en 1876 518 avant de
retomber aux environs de la cinquantaine à la fin de la Belle Epoque 519 .
A la Verrie, petite commune située au sud de Mortagne, il y a aussi une filature de
jute, qui s’y implante à partir des années 1850 et emploie en moyenne une grosse soixantaine
de fileurs pendant les quarante années qui suivent 520 . Cette localité a également un atelier de
tissage mécanique qui apparaît dans la dernière décennie du XIX e siècle. Pellaumail, un gros
fabricant choletais, possède quant à lui une fabrique à Saint-Laurent-sur-Sèvre 521 .
Située au nord de Montaigu et bien à l’ouest de la ville de Cholet, la commune de
Cugand est souvent citée dans les divers documents relatifs aux industries locales. Ici aussi,
les fabricants d’étoffes travaillant à leur compte sont légion. Une quarantaine de fabricants
emploient 410 ouvriers en 1844 522 . Trente ans plus tard, ce sont 235 ouvriers employés dans
30 petites fabriques 523 .
Cugand compte de surcroît trois filatures relativement importantes. Les deux
premières sont consacrées à la laine. Ce sont les établissements Cheguillaume et Péquin. Ils
semblent avoir été fondés dans la seconde décennie de la monarchie de Juillet 524 , période
« d’enthousiasme industriel » où l’on tente de trouver les moyens de faire face à une
concurrence de plus en plus redoutable 525 . Ces deux usines occupent environ 160 fileurs à
leurs débuts 526 . Des effectifs qui se retrouvent tout au long du siècle, bien que l’on atteigne les
517 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
518 Ibid.
519 ADVd 10M6. Etablissements soumis à l’inspection du travail (1897).
520 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887] & ADVd 10M6. Etablissements soumis à
l’inspection du travail (1897).
521 ADVd 4M185. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires diverses. Arrondissement de La Roche-
sur-Yon (1894-1911).
522 ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
523 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
524 Une troisième y est fondée à la même époque, mais celle-ci, contrairement aux deux autres sera éphémère
525 Le rapporteur de l’enquête cantonale de 1848 se plaint de la concurrence désastreuse des métiers à tisser
alsaciens et des effets négatifs de l’ordonnance de 1842 en faveur de la Belgique et de son industrie textile.
526 ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
- 125 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
220 ouvriers sous le second Empire 527 . La troisième filature transforme le coton. Elle emploie,
en moyenne, 70 personnes, de la deuxième République aux premières lueurs du XX e siècle 528 .
Localisée plus en amont de la Sèvre nantaise, une grande partie de l’arrondissement de
Bressuire est elle aussi intégrée au sein du « rayon choletais ». Ici, peut être encore plus
qu’ailleurs, le travail à domicile domine. Les « tisserands à la cave » produisent évidemment
des mouchoirs mais aussi des toiles grossières destinées aux marchés environnants. Il y a de
250 à 260 tisserands « indépendants » en 1865 529 . En revanche, ce territoire compte peu
d’ateliers organisés de manière moderne, que ce soit à Bressuire-même, mais aussi dans les
bourgs d’Argenton Château, de la Chapelle Largeau, ou des Aubiers.
La Vendée choletaise est une véritable région industrielle présentant des caractères
spécifiques qui la rendent unique. Longtemps spécialisée dans le textile, elle a réussi ensuite à
se reconvertir dans des industries nouvelles telles que celles du meuble ou de la chaussure, qui
perdurent encore. Cette diversification des activités productives démontre qu’une région
imprégnée d’une culture industrielle peut s’adapter en modifiant ses moyens de production
aux nouveaux impératifs économiques.
Le canton de Châtillon-sur-Sèvre 530 est intégré complètement dans la nébuleuse
choletaise. Moult tisserands y façonnent des toiles et des mouchoirs de lins. Une fabrique de
flanelles teintes s’ajoute à ces productions. L’enquête économique et sociale de 1848 la
mentionne et indique qu’elle emploie de 300 à 800 ouvriers en fonction des aléas
conjoncturels 531 . Cette même fabrique, qui fournit du travail en majorité à des personnes
travaillant à domicile, comptabilise environ 250 ouvriers durant « les bonnes années » du
second Empire 532 .
La modernité de la « grande industrie » poitevine apparaît très relative, limitée à des
productions précisément localisées. L’industrie textile, qui domine numériquement, reste
527
Au deuxième trimestre 1856 cf. ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
528
ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850] & ADVd 6M1241.
Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
529
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
530
Ce chef-lieu de canton correspond à la ville actuelle de Mauléon.
531
L’enquête est effectuée peu de temps après que la crise des années 1846-1847 ait frappé. ARCHES (Pierre),
L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.424.
532
BRUNET (Michel), La vie ouvrière et artisanale dans le département des Deux-Sèvres de 1848 à 1870,
mémoire de maîtrise lettres, Poitiers, 1960, p.7.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
profondément ancrée dans des schémas d’organisation préindustrielle. Ces structures
anciennes se retrouvent dans beaucoup d’activités ayant derrière elles une longue tradition. Il
s’agit d’industries aux racines ancestrales, souvent proches du monde artisanal, devant
s’adapter, avec plus ou moins de réussite, aux nouveaux enjeux d’une époque en profonde
mutation.
- 127 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Section 2 : Des professions émergeant d’un océan de ruralité
L’ouvrier poitevin, comme nombre de ses congénères français, demeure profondément
attaché à ses racines rurales. L’accession à la terre demeure longtemps une finalité et le travail
industriel un simple moyen pour l’atteindre. Le travailleur industriel cherche coûte que coûte
à concilier son métier et ses origines rurales qu’il ne désire en aucun cas renier (II). Cet
attachement aux valeurs anciennes prévaut aussi dans une large mesure dans ce que
l’administration nomme la « petite industrie ». Là on reste attaché à un savoir-faire artisanal
que seule la combinaison d’impératifs économiques, techniques et sociaux oblige à modifier
afin de tendre vers des modes de production industrielle (I).
I- Du savoir-faire artisanal à la production industrielle
Au cours de l’histoire, les centres urbains et l’artisanat ont toujours évolué de concert.
L’ancienne province du Poitou ne déroge pas à la règle. Ses principales villes
s’enorgueillissent d’avoir au XIX e siècle de nombreux artisans et commerçants.
Poitiers en est le meilleur exemple. Le recensement de 1851 montre que le monde artisanal
constitue le groupe social le plus important de la ville 533 . Les métiers de l’habillement, du
bâtiment se taillent la part du lion dans le microcosme artisanal (B). Puis viennent les artisans
du cuir, ceux du bois, du fer. Autant d’activités, appartenant à la « petite industrie »,
nécessaires à la population d’une cité importante, ville de garnison et chef-lieu de
département.
Néanmoins, ces groupes sociaux numériquement importants 534 ne peuvent être
considérées comme de véritables foyers industriels. En effet, la grande majorité des artisans
travaillent à leur compte parfois entourés de leurs familles ou de quelques ouvriers et
apprentis. Il y a peu de chances de trouver dans cet environnement urbain des ateliers
regroupant une population laborieuse considérable et participant à une activité de grande
échelle dépassant le simple cadre des besoins citadins.
533 Les artisans représentent plus d’un tiers des ménages de la ville, cf. COGNY (Luce), La composition sociale
de la population de Poitiers, mémoire lettres, Poitiers, octobre 1972.
534 Cf. infra l’étude des recensements p.181 et s.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Toutefois, certaines des activités traditionnelles sortent de ce cadre. Celles-ci connaissent un
essor et une renommée outrepassant les limites de la ville et les obligeant à employer une plus
grande main-d’œuvre (A).
A- Des activités aux racines ancestrales
Certaines localités de l’ancienne province du Poitou abritent au XIX e siècle des
industries aux racines anciennes, voire millénaires telles que la chamoiserie ou la coutellerie.
a) Les travailleurs du cuir
Le travail du cuir est une des principales traditions artisanales du Poitou. Les tanneurs,
corroyeurs ou cordonniers y demeurent encore nombreux au XIX e siècle, tout
particulièrement à Niort et dans ses environs. Un chef-lieu de département où s’est
développée une activité particulière, fleuron local du travail du cuir, celle de la ganterie et de
la chamoiserie.
1. Chamoiseurs et gantiers niortais
Le travail du cuir, et plus particulièrement la chamoiserie, consistant en la préparation
de peau d’agneaux, de moutons ou de chèvres, peut être considéré comme la véritable
spécialité artisanale poitevine. L’inspecteur général des manufactures, Savary Des Bruslons
en attribue même la paternité à des fabricants de Poitiers 535 . Des tarifs poitevins du XIII e et du
XIV eme siècles mentionnent quantités de peaux de bêtes et d’huiles de poissons, nécessaires au
bon corroyage du cuir ; « les huiles de poissons arrivaient par navires de la mer Baltique, et
même de plus près, car les baleines fréquentaient encore le golfe de Gascogne 536 ». Les
premières chamoiseries françaises auraient été établies à Poitiers sous François 1 er 537 . Les
peaux proviennent de la province elle-même, particulièrement du bas Poitou où les pâturages
nourrissent un important troupeau ainsi que les forêts giboyeuses, mais aussi des Flandres,
d’Angleterre et d’Espagne.
535 SAVARY DES BRUSLONS (Jacques), op. cit.
536 CHAPELLE (Victor), Une vieille industrie niortaise. Chamoiserie et ganterie, Niort, 1921, p.7.
537 KOLLMAN (Virginie), VALIERE (Michel), A la découverte du patrimoine artisanal et industriel du Poitou-
Charentes, Poitiers, Maison des Sciences et Techniques de la région Poitou-Charentes, 1987, p.26.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Au XVI e siècle, selon Boissonnade, « la buffleterie et la chamoiserie de Poitiers, de Niort et
de Châtellerault n’ont point alors de rivales en France et à l’étranger, capables de les
dépasser 538 ». Présente aussi à Saint-Loup, Lavausseau 539 , Montmorillon et Parthenay 540 ,
l’activité va ensuite se concentrer et se spécialiser dans la ville de Niort, le long des rives de la
Sèvre niortaise.
La colonisation du Canada provoque une impulsion nouvelle. Les peaux d’élans sont
presque exclusivement travaillées à Niort où de nombreux colons ont des attaches familiales.
La ville profite également de la volonté de Colbert de promouvoir le commerce du port de La
Rochelle, ce qui se répercute sur les campagnes proches.
La prospérité s’accroît encore au XVIII e siècle quand le royaume de France annexe le
Canada et Terre-Neuve. Niort semble submergée par les peaux et noyée par les huiles de
poissons. On parle de mille barriques d’huile venues de Lisbonne, d’Angleterre et de la
Baltique. Niort s’approvisionne à La Rochelle mais également à Bordeaux où arrivent 50 à
60 000 peaux de chevreuil en provenance de Louisiane 541 . La ganterie niortaise s’impose
même sur la référence anglaise dans les boutiques parisiennes. L’activité est à son comble.
« La seule ville de Niort fait acheter dans les différents ports du
royaume toutes les peaux de chevreuils, daims, cerfs et élans qui
arrivent. Elle est même forcée d’en tirer de Londres, à grand frais et
pour des sommes considérables. Aucune autre ville ne peut entrer en
concurrence avec elle pour cette branche de commerce, soit par la
supériorité de l’apprêt des peaux,[…]soit parce qu’elle possède
quantité immense d’ouvriers dans ce genre 542 ».
La main-d’œuvre et les capitaux passent du textile en déclin à la ganterie et à la chamoiserie.
Ainsi, en 1774, la ville de Niort emploie 1100 gantières et 300 chamoiseurs qui fournissent
culottes et gants à plus de trente régiments de cavalerie. Les environs de la ville profitent
aussi de cette formidable accélération économique. On y installe de nombreuses chamoiseries
et une trentaine de moulins destinés à fouler les peaux.
538 e
BOISSONNADE (M.), Essai sur l’organisation du travail en Poitou depuis le XI siècle jusqu’à la
Révolution, op. cit., p.34.
539
Bourgade située à l’Ouest de Poitiers se faisant appeler de nos jours « la cité des tanneurs ».
540
RAVEAU (Paul), op. cit., p.37.
541
MAIN (Thomas-Jean), La crise de la chamoiserie Niortaise sous la Révolution : un rapport inédit de Thomas-
Jean Main, BSHSDS, Niort, tome 9, 1959-1961, p.171.
542
CHAPELLE (Victor), Une vieille industrie niortaise. Chamoiserie et ganterie, Niort, 1921, p.9.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
C’est le début d’une nouvelle ère pour la mégisserie niortaise qui devra désormais
lutter contre les crises successives qui l’affecteront avec récurrence au XIX e siècle.
1.1. Une industrie sensible au marché
La Révolution et l’Empire constituent le premier accroc majeur à la belle histoire de la
ganterie et chamoiserie niortaises. Les exportations de peaux vers certaines contrées, comme
le Portugal, sont taxées 543 et les guerres de Vendée perturbent les échanges commerciaux. Le
préfet Dupin constate que l’industrie phare de la ville de Niort a diminué des deux tiers entre
1789 et l’an IX. Malgré tout, les grands besoins militaires des premières années de l’Empire
donnent à la mégisserie un surcroît d’activité temporaire : en 1807, 40 maîtres emploient 230
hommes et 1270 femmes 544 .
Plus tard, le blocus continental prive de débouchés extérieurs 545 cette industrie qui
n’arrive plus à se satisfaire des seules commandes de la Grande Armée. Les peaux
américaines ne peuvent plus parvenir jusqu’à Niort. Le blocus augmente également le coût de
l’huile de baleine dont le prix s’accroît de 40 %. En 1810, on dénombre tout de même encore
1238 ouvriers dont 1000 piqueuses 546 . Ce qui n’empêche pas un an plus tard, le 26 mai 1811,
les fabricants chamoiseurs de la ville de dresser un sombre tableau de l’état de leur activité au
ministre de l’Intérieur : « Les ateliers sont déserts, ce qui réduit au désœuvrement et à la
misère les classes les plus laborieuses de la cité ». La situation est véritablement
catastrophique. La production est réduite des trois-quarts 547 . Les culottes de peau se vendent
mal. Les populations rurales leur préfèrent les velours de coton anglais moins onéreux,
produits en France ou importés en fraude. Une mévente à laquelle s’ajoute la lente
désaffection de la cavalerie pour ce vêtement. L’Etat accorde des licences d’importation
spéciales, et exceptionnelles en cette période de blocus, en faveur des matières premières
canadiennes et américaines, contrôlées par l’Angleterre.
La fin de l’Empire est accueillie avec soulagement par les industriels locaux. Enfin les
produits niortais vont retrouver leurs clients par-delà les mers.
543 MAIN (Thomas-Jean), op. cit., pp.172-173.
544 LEVIEIL (A.), Etudes et documents sur l’histoire de l’industrie à Niort pendant le 1 er Empire, BSHSDS,
Niort, 1923, p.249.
545 En particulier vers l’Amérique qui achète un quart de la production niortaise.
546 LEVIEIL (A.), op. cit., p.251.
547 Cf. tableau des productions de 1807 à 1811 in ARCHES (Pierre), Niort-Paris-Niort, les frères Main et leur
descendance (XVIII e -XIX e siècles), BSHSDS, 3 e série, Niort, tome 18, 1984, p.197.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Pendant la Restauration la mégisserie niortaise retrouve un niveau d’activité
considérable. La fabrication de gants est privilégiée par rapport à celle des culottes dont la
demande, aussi bien civile que militaire, décroît inéluctablement. Dans les dernières années
du règne de Charles X, la chamoiserie parvient à damer le pion à celle de la perfide Albion.
En 1825, 3800 piqueuses et brodeuses sont employées dans 56 maisons 548 .
Néanmoins les années qui suivent vont à nouveau s’assombrir. En septembre 1832 la
Chambre consultative des arts et manufactures de la ville de Niort 549 tire à nouveau la
sonnette d’alarme. Selon elle « la chamoiserie est sur le point d’être anéantie ». Les
exportations vers l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal ont sensiblement diminué. Elles ont
même cessé vers la Lombardie. Le nombre d’ouvriers est passé de 300 au mois de janvier à
200 en septembre. La ganterie souffre plus encore. La concurrence du coton est rude et on
craint un anéantissement de l’industrie si l’armée choisit elle aussi les gants de tissu. Le
nombre d’ouvriers a diminué de moitié et est tombé à 1500 personnes.
La crise s’accentue encore deux ans plus tard quand les Etats-Unis, victimes d’une crise
financière, et qui importent trois-quarts des produits niortais, suspendent leurs importations.
La chambre consultative des arts et manufactures va même jusqu’à parler d’un « état voisin de
la ruine 550 ». La municipalité intervient continuellement et désespérément 551 auprès des
ministères afin d’enrayer la progression inéluctable des gants de coton dans les régiments de
cavalerie française. Hélas la démarche est vaine 552 . La crise dure une dizaine d’années,
pendant lesquelles on prie pour l’amélioration de la situation financière américaine.
548 LEVIEIL (A.), op. cit., p.254.
549 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
550 Séance de la Chambre consultative des arts et manufacture de la ville de Niort du 4 juillet 1834 cf. ADDS
10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
551 En février 1839 le préfet des Deux-Sèvres estime que la chamoiserie et la ganterie font vivre un quart de la
population de la ville, ADDS 4M6.13. Chouannerie ; mouvement social ; rapports divers [1836 ; 1847].
552 L’industriel Noirot obtiendra tout de même, en 1855, que la Garde Impériale porte les gants de peau donnant
un surcroît d’activité non négligeable à la fabrique. En revanche, la réponse du ministère de la guerre en 1902 est
sans ambages : « Les gants étaient inutiles et qu’avec l’économie de 1 800 000 francs réalisée, il était préférable
d’acheter des chaussettes ou entretenir le travail des manufactures d’armes qui en manquent, même si c’est pour
vendre aux Abyssins… » cf. TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.45 &
211.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Illustration 13 : opération de lavage des peaux en 1920 :
Source : CHAPELLE (Victor), Une vieille industrie niortaise. Chamoiserie et ganterie, Niort, 1921, 62 p.
L’enquête économique et sociale de 1848 553 montre une stabilisation du nombre
d’ouvriers employés : la mégisserie et la chamoiserie occupent 140 personnes, la ganterie
1600. Néanmoins les autorités municipales de l’époque 554 parlent toujours de déclin
inexorable renforcé par la crise économique générale qui sévit en France. Désormais la
peausserie n’est plus une industrie innovante. Elle cherche seulement à survivre en se
maintenant en l’état le plus longtemps possible. Les recensements de la population ouvrière
du second Empire illustrent cet immobilisme. Les ateliers attirent entre 170 à 200 ouvriers,
tandis que le nombre de gantières oscille entre 1000 et 1500 555 .
A cette date 556 , les peaux proviennent du Poitou, des boucheries et du port de
Bordeaux, de Toulouse, de la Saintonge et de l’Aunis. Les peaux de daim 557 sont achetées au
Canada via l’Angleterre. Enfin, les chamoiseurs importent toujours l’indispensable huile de
baleine, parfois remplacée par celle de morue. Les peaux trouvent preneurs dans toute
553
A propos de l’enquête économique et sociale de 1848 voir par exemple RIGAUDAS-WEISS (Hilde),op. cit.,
p.184 et s.
554
Procès verbal des délibérations des autorités municipales niortaises en réponse à l’Enquête de 1848 cf.
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., pp.397 et 424-426.
555
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889] : on compte 1589 ouvrières
occupées dans six établissements en 1858.
556 BODIN (E.), op. cit., p.95.
557 Il s’agit en réalité de peaux de chevreuil.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
l’Europe. Enfin, les gants sont très prisés outre-Atlantique, au Mexique et surtout aux Etats-
Unis 558 .
Illustration 14 : doleur :
Source : CHAPELLE (Victor), op. cit.
Les difficultés économiques et une plus grande mécanisation imposent la
concentration des établissements industriels. La chamoiserie ne compte plus que huit
entreprises dans la seconde moitié du XIX e siècle 559 , alors que 45 fabricants étaient recensés
en 1814 560 . Subsistent les établissements Boinot, Laydet, Texier et Breillac. Les effectifs
ouvriers diminuent constamment. On recense seulement 80 chamoiseurs en 1883 561 .
Le même processus s’opère dans la ganterie. Le travail à domicile des piqueuses tend
à disparaître. Six fabriques se partagent les commandes jusqu’à la grave crise de 1898 alors
qu’elles ne sont plus que quatre 562 même s’il y en aura sept six ans plus tard. Elles occupent
alors 152 personnes 563 . Cette industrie retrouve un nouveau souffle au XX e siècle. En 1908 Le
Mémorial des Deux-Sèvres recense environ 300 ouvriers, soit 75 chamoiseurs et plus de 220
558
C’est l’époque où l’on se rue sur l’or californien.
559
COMBES (Jean) (dir.), Histoire de Niort des origines à nos jours, Poitiers, 1987, p.371.
560
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889 ].
561
Ibid.
562
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
563
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
ponceurs, étireurs et autres doleurs 564 . Deux années après ce sont dix ganteries qui emploient
450 personnes 565 .
Parmi toutes les fabriques de chamoiserie et de ganterie niortaises, la fabrique Main
jouit d’un prestige sans égal.
1.2. La famille Main, une grande lignée de la chamoiserie
et de la ganterie 566
Thomas Jean Main est à l’origine de cette aventure industrielle. Né le 28 mars 1745 il
est issu d’une vieille famille niortaise de chamoiseurs et de marchands. La mort de son père
en 1764 l’oblige à prendre en main le commerce familial. L’époque est rude car le traité de
Paris signé l’année précédente raréfie les peaux disponibles 567 . Ces difficultés le décident à se
rendre en Angleterre pour y prendre connaissance des dernières méthodes de traitement ; les
Anglais étant les maîtres en la matière. Il en ramène des techniques innovantes comme celle
du ponçage des peaux. Main sauve son industrie de l’asphyxie et lui insuffle un souffle
nouveau.
Le succès aidant, il fonde la société « Main frères et sœur » en 1771 qui devient le plus
gros employeur de la ville. La société enrichit considérablement la famille. La fabrique
dispose d’un capital financier et d’un savoir-faire qui lui offre la faculté de mieux résister que
ses rivaux à la baisse des débouchés ou aux attaques de la concurrence anglaise.
Thomas Jean Main « embrasse chaudement 568 » la Révolution. Il est élu officier
municipal en février 1790 et acquiert des biens nationaux qui font de lui l’un des plus riches
propriétaires du département.
Mais la tourmente révolutionnaire et les guerres de l’Empire ébranlent profondément
l’édifice principal de l’économie niortaise. Main n’y échappe pas, même s’il parvient
finalement à sortir du marasme sans trop de dommages. Il est l’un des plus grands
chamoiseurs français et serait le seul manufacturier remarquable des Deux-Sèvres selon le
564 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 16 juillet 1908. Le travail d'amincissement de la peau se nomme « dolage »
et est effectué à l'aide d'un « doloir », large couteau qui ressemble à une spatule que l'on fait glisser sur la peau.
565 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
566 ARCHES (Pierre), Niort-Paris-Niort, les frères Main…, op. cit., pp 171-257.
567 Le traité de Paris de février 1763 fait perdre à la France au profit de l’Angleterre le Canada, la vallée de
l’Ohio et la rive gauche du Mississipi.
568 AN F 1-B Sèvres (Deux).
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
préfet Dupin. Avec le retour des Bourbons, Main, le notable du premier Empire, est victime
de l’épuration politique. Il meurt le 15 mai 1821 à 76 ans.
Illustration 15 : mégissiers à la tâche :
Source : CHAPELLE (Victor), op. cit.
La mort du « grand homme » ne provoque pas pour autant le déclin redouté de
l’entreprise. Ses deux fils disparus, c’est l’un de ses neveux dans la ligne maternelle, Jean-
Adolphe Noirot, qui est appelé à Niort par sa tante et s’attache à poursuivre l’œuvre de son
aïeul, sans se complaire dans l’immobilisme. En 1840 il possède, outre ses fabriques, des
comptoirs commerciaux à Niort, à Paris et aux Etats-Unis.
Toutefois la crise de 1847 le touche durement. Il doit son salut à la solidarité familiale.
La situation s’améliore sous le second Empire, où l’on cherche à redresser l’affaire en
augmentant la qualité des produits et leur diversité. Ce nouvel élan profite à la fabrique de
Noirot tout comme à la Société Laydet fils aîné et C ie , devenue entre temps le principal centre
niortais du secteur de la mégisserie.
Noirot, grand notable orléaniste et franc-maçon, s’illustre dans la vie politique de la
cité 569 avant de décéder en 1859 après avoir vendu son affaire à Théophile Boinot. Le fils
569 Cet homme apprécié des autorités préfectorales devient conseiller municipal dès 1830, puis adjoint au maire
en 1842 et enfin maire de Niort en 1846. Sa carrière politique cesse deux ans plus tard, quand il préfère se
consacrer à ses affaires.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Noirot, Jean Ernest, opte quant à lui pour l’aventure industrielle du crin frisé 570 . La maison
Boinot poursuit l’œuvre entreprise par Main un siècle plus tôt. La fabrique ne cessera de
prospérer une fois les fils aux commandes, à partir de 1905. Date à partir de laquelle
l’établissement est considéré comme « une des toutes premières fabriques de gants de peau
chamoisée de France, d’Europe et même d’Amérique 571 ».
les déchets.
D’autres activités industrielles existent en marge de la chamoiserie dont elles utilisent
1.3. Les industries résiduelles
La première activité issue des déchets nés du travail des peaux est le commerce du dégras,
l’huile de poisson ayant servi à passer les peaux en chamois. On en produit plus de 400 000
kg par an, au milieu du XIX e siècle. La vente de cette huile aux tanneurs et corroyeurs procure
aux chamoiseurs de fortes rentrées d’argent aux bénéfices nets puisque la substance ne
nécessite pour être vendue aucune manipulation ou transformation nouvelle. Quelquefois, le
dégras, qui n’est qu’un déchet industriel, est vendu plus cher que l’huile de poisson lui servant
de base.
Une fabrique de colle forte tente également de s’installer à l’ombre de la chamoiserie
dont elle utilise les rognures de cuir et les os d’animaux comme matières premières 572 .
L’entreprise est fondée en 1857 par Alexandre Noirault, associé à un dénommé Goujon 573 .
Elle emploie entre huit et trente ouvriers selon les décennies 574 . Les autorités placent de
grandes espérances dans cette activité qui, malheureusement pour la ville, ne se pérennise pas.
Noirault est déclaré en faillite en 1870.
Parallèlement aux industries spécialisées de la peausserie, au savoir-faire très
particulier, existent des tanneries tout à fait traditionnelles se limitant à travailler les cuirs
communs.
570
Voir infra.
571
TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.211.
572
Cette entreprise produit également du noir animal, un engrais à base de matières fécales.
573
BODIN (E.), op. cit., p.126 et s.
574 e
MARTIN (Jean Clément), Aspects de l’industrialisation à Niort au milieu du XIX siècle, op. cit., p.404.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
2. Tanneurs, corroyeurs et cordonniers
Au Moyen Age comme sous l’Ancien Régime, les tanneurs se répartissent un peu
partout dans la province du Poitou. Néanmoins, dès les XI e et XII e siècles, de nombreux
tanneurs peuplent la ville de Saint-Maixent 575 . Au XVI e siècle, à Poitiers et à Niort ils
partagent leurs quartiers avec les bouchers. D’autres s’installent à Châtellerault, à
Montmorillon, dans le pays Mellois, et de petites bourgades comme Lavausseau ou Saint-
Loup 576 .
Le travail du cuir est une des principales industries de la province où elle fait vivre non
seulement les tanneurs, mais aussi bon nombre de bouchers, auxquels s’ajoutent les
marchands de tan 577 et les nombreux moulins nécessaires à son broyage 578 . Au XVIII e siècle,
les plus grandes tanneries se situent à Benassay 579 et à Poitiers, où quatre foires annuelles sont
consacrées au commerce du cuir 580 .
Une fois la parenthèse révolutionnaire refermée, la tannerie perdure de façon artisanale
sans jamais atteindre des volumes de production importants. Les enquêtes statistiques des
préfets de Napoléon vont dans ce sens. Cochon de Lapparent 581 cite quelques tanneries situées
dans les cantons de Sanxay, Lusignan, Châtellerault et Chauvigny dont les cuirs sont de bonne
qualité 582 . Dupin énumère les tanneries et mégisseries du département des Deux-Sèvres.
Saint-Maixent compte 10 tanneries occupant 30 à 35 ouvriers. Mais leur prospérité appartient
au passé. Le sous-préfet de Melle recense 16 tanneries tout en rappelant que leur nombre a
diminué des trois-quarts depuis 1759, date de l’édit imposant un droit de marque sur les
cuirs 583 .
575 TINTHOIN (Robert), L’économie des Deux-Sèvres, BSHSDS, Niort, 4 e trim.1960, t.XI, p.333.
576 Lavausseau est une commune située dans l’actuel département de la Vienne à l’Ouest de Poitiers. Saint-Loup
est un village voisin d’Airvault dans l’actuel département des Deux-Sèvres. De petites localités où des fortunes
importantes se seraient amassées comme nulle part ailleurs dans le Poitou, à en croire certains auteurs, cf.
RAVEAU (Paul), op. cit., p.43.
577 Le tan est une écorce de chêne séchée et pulvérisée, employée pour le tannage des cuirs.
578 L’écorce de chêne provient de Touraine, du département actuel des Deux-Sèvres et de la forêt de Mareuil non
loin de Chauvigny.
579 A l’ouest de Poitiers, à la limite de la Gâtine et de l’actuel département des Deux-Sèvres.
580 PINARD (Jacques), op. cit., p.78.
581 Charles Cochon de Lapparent (1750-1825) est natif de Champdeniers dans les Deux-Sèvres. Il siège à la
Convention pendant la Révolution, où il vote la mort de Louis XVI, puis au Conseil des Anciens. Ministre de la
police générale du 14 germinal an IV au 28 messidor an V, il tombe en disgrâce par la suite. Interné sur l’île
d’Oléron, il doit attendre le 18 brumaire pour retrouver sa liberté et poursuivre sa carrière. Il est nommé préfet de
la Vienne le 11 ventôse an VIII, cf. PELCRAN (Anne), op. cit., p.293.
582 AUGUSTIN (Jean-Marie), Description générale du département de la Vienne..., op. cit., p.98.
583 Docteur PROUHET, Notes sur l’agriculture, le commerce et l’industrie à la Mothe-Saint-Héray à la fin de
l’ancien régime, Mémoire de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres, 8 e année, 1912, p.154.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
En fait seule la ville de Niort est réputée pour son industrie du cuir conséquente 584 .
Dupin estime que 400 ouvriers sont employés dans les cordonneries de la ville 585 . La tannerie
ordinaire souffre de l’essor de la chamoiserie qui permet « avec moins de fonds d’obtenir
rapidement des bénéfices plus élevés 586 ». Néanmoins, dans les années 1840, la mégisserie
niortaise soutient la concurrence des villes de Millau et d’Annonay, dans l’Ardèche 587 .
Il existe de rares tanneries en Vendée. Sous le règne de Charles X, l’arrondissement de
Fontenay-le-Comte 588 , particulièrement le bourg de Chantonnay, comptent une trentaine
d’ouvriers tanneurs regroupés en petits ateliers de trois à quatre personnes 589 . A La Roche-
sur-Yon il y a aussi une quarantaine de tanneurs organisés de façon identique 590 .
L’industrie du cuir perd nombre d’ateliers au fil des années qui clôturent l’ère des
monarchies censitaires. Dans le département des Deux-Sèvres les « tanneries qui
fonctionnaient encore en 1831 à Thouars, Parthenay, Saint-Maixent ferment progressivement
leurs portes 591 ». Ce qui n’empêche pas la ville de Parthenay de compter encore 72
cordonniers en 1848 qui tirent leurs cuirs des villes de Niort et surtout de Poitiers 592 . Quelques
tanneries sont encore recensées en 1848 à la Mothe-Saint-Héray 593 . La même année, le bourg
de Mauzé, localisé dans l’arrondissement de Niort, compte une quarantaine de petits ateliers
travaillant le cuir 594 .
Seuls les mégissiers niortais traversent, tant bien que mal, les difficultés qui se
dressent devant eux. Une cinquantaine de tanneurs et de corroyeurs, ainsi qu’environ 600
cordonniers des deux sexes exercent leurs métiers dans la capitale des Deux-Sèvres quand
survient la révolution de 1848 595 . La cordonnerie et l’industrie de la chaussure s’y
584
Il ne faut pas oublier d’y ajouter les villes de Champdeniers et de Frontenay. Quant à Poitiers on y dénombre
une dizaine d’ateliers occupant entre deux et quatre ouvriers, Lettre du maire de Poitiers au préfet de la Vienne
du 24 septembre 1832, ADV M12.22. Situation industrielle du département.
585
DUPIN (Claude), Mémoire sur la statistique du département des Deux-Sèvres, op. cit., p.39.
586
ARCHES (Pierre), Mémoire sur la statistique du département des Deux-sèvres par le préfet C. Dupin, La
Crèche, [S.D], p.39 note 162.
587
TINTHOIN (Robert), L’économie des Deux-Sèvres, op. cit., p.341.
588 e
Cet arrondissement comptera toujours quelques dizaines de tanneurs et de corroyeurs tout au long du XIX
siècle cf. ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887] & ADVd 6M1243. Statistiques des
industries principales [1882 ; 1889].
589
ADVd 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
590
Ibid.
591 e
MARTIN (Jean Clément), Aspects de l’industrialisation à Niort au milieu du XIX siècle, op. cit., p.383.
592
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p. 412 & 425.
593
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 1) : réponses de l’arrondissement de
Melle, BSHSDS, 3 e série, Niort, tome 1, 1993, p.505.
594
ARCHES (Pierre), (partie 3), op. cit., p.400.
595
Ibid., p.397. La ville de Niort compte 200 fabricants cordonniers patentés en 1836, cf. ADDS 4M6.12.
Chouannerie ; rapports divers [1836 ; 1837].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
développent. Mais le secteur d’activité est divisé. D’un côté, une quinzaine de cordonniers
bottiers qui œuvrent sur mesure. De l’autre, le même nombre de cordonniers travaillant en
plus grande série pour une clientèle populaire ou étrangère 596 . Entre les deux, une
cinquantaine de cordonniers indépendants 597 . Des fabriques de chaussures sont créées. La plus
connue et la plus importante est l’établissement Macard fondé au milieu du XIX e siècle. Cette
entreprise est considérée comme prospère en 1867 alors qu’elle occupe 45 ouvriers 598 . Trente
ans plus tard, cette réussite s’est accentuée puisque les ateliers du chausseur comptent 200
employés 599 .
Le chef-lieu des Deux-Sèvres n’a pas le monopole de cette nouvelle forme de
production même si la ville dispose des plus gros effectifs. En 1908 il y a à Chauvigny des
cordonniers organisés dans trois établissements 600 , une activité déjà jugée prospère en
1866 601 . Quant à Poitiers elle compte une soixantaine d’ouvriers cordonniers dans la
manufacture Raynaud et Biard 602 . Enfin, l’industrie de la chaussure bon marché, bien plus
récente, se développe considérablement dans le « rayon choletais » où cette production
supplante à la fin du XIX e siècle l’activité textile traditionnelle déclinante 603 .
Si la chamoiserie et le Poitou ont longtemps cheminé de concert, une seconde activité
artisanale d’envergure existe dans la province, la coutellerie. Celle-ci perdure jusqu’à
l’époque contemporaine et se localise précisément à Châtellerault.
b) Les travailleurs du métal
On travaille le métal de longue date dans le Poitou. Des forges anciennes, mais
déclinantes au XIX e siècle, coexistent aux côtés du fleuron métallurgique poitevin : la
coutellerie châtelleraudaise.
596
Ils fabriquent des chaussures dites « de pacotille » qu’ils exportent par l’intermédiaire des ports de La
Rochelle et de Rochefort.
597
BODIN (E.), op. cit., p.123.
598 e
MARTIN (Jean Clément), Aspects de l’industrialisation à Niort au milieu du XIX siècle, op. cit., p.383.
599
TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.215.
600
ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].
601
ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870). Rapport mensuel du préfet de septembre 1866.
602
ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].
603
Voir infra et la partie consacrée aux industries nouvelles.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
1. Couteliers châtelleraudais
Le sort de la ville de Châtellerault est lié à celui de la coutellerie depuis de nombreux
siècles. Certes, on trouve trace de maîtres couteliers à Poitiers 604 mais sans commune mesure
avec sa voisine des bords de Vienne, une des capitales coutelières de France.
1.1. Un artisanat ancien et réputé
Camille Pagé dans sa somme consacrée à la coutellerie 605 , retrace l’historique de cet
artisanat à Châtellerault, naissant, selon lui, entre le XIII e et le XIV e siècle 606 .
Les témoignages abondent de voyageurs traversant le royaume de France et attestant
du poids de la coutellerie locale. Parmi eux, au XVI eme siècle, les ambassadeurs vénitiens
Andréa Navagero et Jérôme Lippomano notent l’importance de la coutellerie de la ville et la
finesse des manches de couteaux ouvragés en cornes d’animaux qui arriveraient « à plein
bateaux » comme le vante un proverbe de la même époque 607 .
En 1616, Just Zinzerling dans son Itinerarium Galliae qualifie Châtellerault comme une
« fabrique de couteaux, de ciseaux et d’objets semblables ». Le Dictionnaire universel du
commerce, d’histoire naturelle, et des arts et métiers de Savary Des Bruslons indique que la
coutellerie « passe pour être une des meilleures du royaume, particulièrement pour ses
couteaux, rasoirs et ciseaux », que son commerce se fait non seulement à Paris et dans les
villes principales de France, mais aussi à l’étranger où les « envois sont considérables ». Le
couteau symbolise tant la ville que Louis XIII en reçoit un des échevins de la cité en 1614.
L’intendant de Poitiers, Gilles Maupeou d’Ableiges, qualifie lui aussi la coutellerie
Châtelleraudaise « d’une des meilleures du royaume 608 ».
604
RAMBAUD (M.), Les maîtres couteliers et le commerce de la coutellerie à Poitiers, BSAO, Poitiers, t.IV,
1 er trim.1916, pp 32-35.
605
PAGE (Camille), La coutellerie depuis l’origine jusqu’à nos jours, 7 volumes, Châtellerault, 1896-1905.
606 eme
G. Vallée indique même que les couteaux de Châtellerault sont connus en Islande au XI siècle, cf.
VALLEE (G.), «Châtellerault. Esquisse de la naissance, du développement topographique de la fonction
économique d’un organisme urbain », BSAO, 1931-1933, 3 e série, Poitiers, tome IX, pp 279-303. L’industrie
coutelière naît à la même époque dans les villes de Toulouse, Périgueux, Thiers, Langres et Paris cf.
BARIBAUD (Sandrine), op. cit., p.26.
607 e
Le livre des proverbes français de Le Roux de Lincy du XVI siècle en fait mention :
« Ouvriers de Châtellerault,
Amancheurs de couteaux,
Il lui vient des cornes à pleins bateaux ».
608
MAUPEOU d’ABLEIGES (Gilles), Mémoire sur la province de Poitiers, 1698 in COLBERT de CROISSY,
Etat du Poitou sous Louis XIV, Fontenay-le-Comte, 1865, 519 p.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Principale communauté de métiers de la cité, les maîtres couteliers sont 204 en 1772
alors que Paris n’en compte que 120 vingt-deux ans plus tôt et Langres 61 609 . L’activité est
alors à son zénith. La progression est constante car, en 1571, Camille Pagé relevait seulement
50 maîtres et 100 ouvriers alors qu’à la veille de la Révolution la ville occupe 450 610 à 700 611
ouvriers et compagnons. Le voyageur anglais Arthur Young constate en 1787 l’importance de
la fabrique de coutellerie tout en s’étonnant du faible coût des objets fabriqués par de artisans
isolés travaillant de façon désorganisée 612 .
Les couteliers fabriquent trois grandes variétés d’objets, certains usuels comme les
couteaux, les ciseaux 613 ou les rasoirs, mais aussi des armes, des poignards aux hallebardes en
passant par les épées droites 614 , ou des instruments de chirurgie comme les trépans destinés à
percer les os.
La fabrication de ces objets requiert l’importation du charbon d’Ecosse, plus onéreux que le
charbon de bois mais au rendement bien plus avantageux ; des cornes d’animaux, dont les
plus belles sont les cornes de bœuf d’Irlande ; des bois précieux venus des Indes, de Chine,
des Amériques ou des îles méditerranéennes qui s’ajoutent aux vulgaires bois des noyer
locaux ; et des os de baleines, des écailles, de la nacre ou des métaux précieux servant au
sertissage des garnitures. Enfin l’acier provient du Piémont et d’Allemagne. La ville de
Châtellerault est une plaque tournante du commerce international.
1789 est le point de départ d’une grave crise. Les matières premières manquent et la
conscription arrache les couteliers à leur travail. Une situation qui perdure pendant une
dizaine d’années, puisque le préfet Cochon de Lapparent constate en l’an X que la fabrique de
couteaux « est presque totalement tombée : elle ne se soutient que par les achats que font les
voyageurs : il n’y a aucunes demandes faites aux maîtres, et la plupart des ouvriers sont sans
pain 615 ».
609 e
BOISSONNADE (M.), Essai sur l’organisation du travail en Poitou depuis le XI siècle jusqu’à la
Révolution, op. cit., p.75.
610
PAGE (Camille), op. cit., p.224.
611
MURPHY (Gwenaël), Petite histoire de Châtellerault, La Crèche, 2006, p.83.
612
YOUNG (Arthur), op. cit., p.161.
613
Les fabricants de ciseaux sont appelés « cizeliers »
614 e
La fabrication d’armes concerne surtout le XVI siècle, elle diminuera par la suite.
615
AUGUSTIN (Jean-Marie), Description générale du département de la Vienne…, op. cit., p.98.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Illustration 16 : vendeuse de couteaux châtelleraudaise proposant sa marchandise
aux voyageurs (1820) :
Néanmoins, la stabilité retrouvée donne à la coutellerie un élan nouveau. Sa réputation
a peu souffert de la crise et ses couteaux sont bien représentés à l’exposition parisienne de
1806.
Sous la Restauration on redéfinit la chaîne de production. A la base des chefs ouvriers,
c’est-à-dire de petits fabricants qui travaillent en boutique avec quelques apprentis et
confectionnant l’article de toutes pièces. Cet artisan vend ensuite sa production à des maîtres
couteliers, en réalité des grossistes ou des commissionnaires ne produisant rien, l’équivalent
des marchands-fabricants du secteur textile 616 .
A la même époque les produits eux-mêmes se diversifient entre couteaux fermants et
les couteaux de table. Les couteaux-poignards et ceux de chasse ont un grand succès sous la
616 Cf. supra le passage consacré au rayon textile choletais.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
monarchie de Juillet. Les couteliers locaux cherchent à innover afin de lutter contre la
concurrence de plus en plus féroce des villes de Langres, Nogent, Thiers, Solingen, Sheffield
ou Steyr en Autriche.
La spécialité artisanale de la ville de Châtellerault semble retrouver niveau proche de
celui qu’elle possédait avant la Révolution. Les frères Firmin-Didot, dans leur Panorama
pittoresque de la France parlent d’une « fabrique considérable de coutellerie 617 ». En 1838,
un mémoire sur le projet de chemin de fer de Paris à Bordeaux « compte à Châtellerault plus
de 600 ouvriers qui confectionnent par an au moins 20 000 douzaines de couteaux 618 ». La
réputation de la coutellerie ne se dément pas pendant une grande partie du XIX e siècle. En
effet, Elisée Reclus, dans sa Géographie universelle, publiée en 1877, fait de la ville des
bords de Vienne « l’un des centres de l’industrie française pour les couteaux 619 ». Les
enquêtes statistiques du second Empire assurent à plusieurs reprises que la coutellerie est
florissante 620 . Ce que ne dit pas le célèbre géographe, et futur communard, c’est que la
majorité des couteliers ont quitté Châtellerault pour s’installer dans les alentours de la ville,
dans les communes de Naintré et de Cenon, où se créent de nouvelles fabriques.
1.2. Les ateliers de coutellerie modernes
Comment la coutellerie, archétype de l’artisanat urbain, se retrouve-t-elle installée
dans les communes rurales de Naintré et de Cenon, localisées au sud du chef-lieu
d’arrondissement ?
L’explication se trouve dans l’ordonnance royale du 14 juillet 1819 qui fonde la
manufacture royale d'armes de Châtellerault 621 . En effet, pendant une dizaine d’années,
nécessaires à la mise en route de la manufacture, celle-ci attire dans ses ateliers les ouvriers
qualifiés de la ville jusqu’alors occupés à la coutellerie traditionnelle. Ce processus s’opère
sous le règne de Louis-Philippe et oblige les rares établissements restants à s’expatrier à la
campagne afin de diminuer l’influence de l’établissement d’Etat sur leur activité 622 . Toutefois
cette tentative est vaine car la coutellerie va être entièrement dépendante de la Manufacture
d’armes. Celle-ci a des effectifs ouvriers qui varient considérablement au gré des commandes.
617
PAGE (Camille), op. cit., vol.2, p.309.
618
Ibid., p.316.
619
RECLUS (Elisée), Géographie universelle, la France, Paris, 1877, t.2 , p.527.
620
ADV M4.71. Correspondances du préfet (1862-1865) et ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-
1870).
621
Voir supra p.42.
622
Le bourg de Naintré est situé sur la rive du Clain à quelques kilomètres de Châtellerault. Cenon est encore
plus près du chef-lieu et se trouve situé entre le Clain et la Vienne.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Des variations qui ne manquent pas d’influer sur le nombre d’employés des coutelleries
traditionnelles : on préfère travailler à la Manu quand celle-ci embauche 623 . Dès lors, la
coutellerie n’est plus le centre des préoccupations des autorités dont les projets se tournent
entièrement vers la manufacture. En septembre 1832, le maire de Châtellerault ne manque pas
de critiquer la coutellerie. Il accuse les fabricants d’être « l’une des principales causes du mal
», d’avoir « des vues mesquines », des positions rétrogrades et « de manquer des
connaissances indispensables pour donner à cette fabrique une direction convenable 624 ».
Quelques entreprises se distinguent tout de même. Deux établissements prospèrent, les
maisons Mermillot frères et Pagé, localisées à Cenon et à Naintré.
La première d’entre-elles est fondée sous le règne de Louis-Philippe et acquiert au fil
du temps d’autres ateliers de coutellerie situés dans le même canton 625 . Parmi eux, la Société
Rassinoux, formée par Creuzé, Rassinoux et Proa 626 , ayant eux aussi racheté auparavant des
fabriques de moindre importance. La fabrique est active, prospère et innovante. Elle fait appel
en 1840 à un contremaître de Nogent et à des ouvriers de Sens afin de fabriquer des rasoirs.
Ceux-là refuseront en 1873 qu’on forge les rasoirs au laminoir et s’installeront à Chezelles où
ils travailleront pour la concurrence, la maison Pagé. En 1853 la société Rassinoux & co
dépose un brevet portant sur la fabrication mécanique des manches de couteaux de table.
Néanmoins l’établissement est dissout en 1889 avant de devenir plus tard la maison Chéreau
et C ie .
623 C’est la raison pour laquelle les petites fabriques stockent leurs productions en prévision des manques de
main d’œuvre liés aux commandes d’armes faites au fleuron industriel de la région.
624 Lettre du maire de Châtellerault du 8 septembre 1832, ADV M12.22. Situation industrielle du département.
625 Pour plus de détails voir PAGE (Camille), La coutellerie depuis l’origine jusqu’à nos jours, vol.3, op. cit.,
p.614 et TURGAN, Les grandes usines. Etudes industrielles en France et à l’étranger, Paris, 1865, pp.161-176.
626 Creuzé et Proa sont alors les adjudicataires de la manufacture d'armes de Châtellerault. Proa, maire de
Châtellerault et orléaniste pragmatique, est élu député en 1842, cf. MATHIEU (Maurice), La vie politique dans
la Vienne sous la Seconde République…op. cit., pp.206-207.
- 145 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Carte 8 : fabriques et ateliers de coutellerie de l’arrondissement de
Châtellerault :
Sources : PAGE (Camille), La coutellerie depuis l’origine jusqu’à nos jours, vol.3, op. cit. et ADV.
La société Pagé frères est fondée en 1859 à Naintré. Les Pagés sont issus d’une famille
de couteliers qui avaient ouvert une boutique en 1810 à Châtellerault. Ces frères ont dès le
commencement le souci de suivre le progrès technique. Ils déménagent plusieurs fois pour
s’installer dans des locaux toujours plus adaptés aux techniques modernes. Une cité ouvrière
est créée en 1866 en même temps qu’une usine nouvelle. Sept ans plus tard, la mécanisation
s’accentue. L’établissement accède à la prospérité. La division du travail y est la règle comme
à la manufacture d'armes de Châtellerault qui sert de modèle. La société compte 190 ouvriers
à la fin du XIX e siècle.
- 146 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
En 1865 une autre maison tente de se faire une place dans la coutellerie. Une initiative
qui dénote bien l’intérêt des élites locales pour un secteur d’activité encore prestigieux et
rentable dans cette seconde moitié du XIX e siècle. Pingault, l’adjoint au maire de
Châtellerault, président de la Société philanthropique et commerçant en vaisselle s’associe à
des personnalités du bonapartisme local, le baron de Soubeyran 627 et Robert de Beauchamp 628 .
Cependant l’aventure industrielle des trois hommes échoue. L’entreprise fait ensuite l’objet de
rachats successifs.
Illustration 17 : machine à forger les lames :
- 147 -
Source : SIMMAT (Gérard), op. cit., p.31.
627 Jean Marie Georges de Soubeyran fut tour à tour sous-gouverneur du Crédit Foncier de France, fondateur et
président de la Banque d'Escompte de Paris, maire de Morthemer (1860-1896), conseiller général du canton de
Saint-Julien-l'Ars (1855-1892) et député de la Vienne (1863-1893). Il est la figure majeure du bonapartisme
poitevin, cf. CALMON (Jean H.), Jean Marie Georges de Soubeyran, mémoire de maîtrise histoire, Poitiers,
1973, 331 p.
628 Conseiller général de Lussac-les-Châteaux, maître de forge de Lhommaizé et grand propriétaire terrien.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
L’examen des rapports économiques administratifs illustre la relative bonne santé de
la coutellerie au XIX e siècle, bien qu’elle soit sans commune mesure avec la prospérité des
temps anciens. Il est nécessaire également de signaler que les effectifs ouvriers employés dans
les ateliers de fabrication de couteaux varient énormément selon les années et les mois en
fonction de l’intensité de l’activité à la manufacture d’armes. Les chiffres donnés sont
purement indicatifs et ne reflètent guère la variabilité importante des effectifs ouvriers. On
dénombre 501 couteliers en 1847 dans toute la sphère châtelleraudaise 629 ; 658 en 1866 qui
travaillent dans trois coutelleries. L’activité est alors jugée florissante 630 .
Le nombre d’ouvriers de Cenon augmente sur l’ensemble de la période allant de 1845 à 1902.
En effet de 30 avant l’avènement de la seconde République 631 on passe à 250 au début du XX e
siècle 632 . Entre ces deux dates, on observe de grands écarts d’effectifs : 250 ouvriers sont
employés dans deux coutelleries du Prieuré en 1866 – le sous-préfet indiquant même que les
demandes sont incessantes 633 – et seulement 120 trois ans plus tard 634 . Il y a un nombre
d’ouvriers couteliers plus important à Naintré. Trois fabriques y emploient 208 personnes de
tout âge en 1869 635 . En 1902, ils sont 400 dans les coutelleries de la commune 636 .
La coutellerie représente l’activité métallurgique la plus active et la plus conséquente
des départements constituant anciennement la province du Poitou. Néanmoins, elle n’est pas
la seule. Outre les activités purement artisanales, quelques forges de fer subsistent encore au
XIX e siècle. Elle sont localisées dans des zones précises et obéissent à des règles de
fonctionnement bien éloignées des impératifs propres à l’ère industrielle.
629 ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
630 ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870), rapport du sous-préfet concernant la situation
industrielle de l’arrondissement de Châtellerault pour le deuxième trimestre 1866.
631 ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
632 ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902]. Lettre du préfet de la Vienne au commandant de la brigade d’infanterie
de Tours en date du 16 mai 1902.
633 ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870). Rapport sur la situation industrielle de
l’arrondissement de Châtellerault pour le deuxième trimestre 1866.
634 ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures.
635 Ibid.
636 ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902]. Lettre du préfet de la Vienne au commandant de la brigade d’infanterie
de Tours en date du 16 mai 1902.
- 148 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
2. forgerons poitevins 637
La métallurgie est très anciennement implantée dans le Poitou. La toponymie de
certains noms de communes l’atteste 638 .
Après les troubles du haut Moyen Age, la formation du comté du Poitou et du duché
d’Aquitaine, le travail du métal connaît une prospérité inconnue jusqu’alors.
« Ses fers et ses aciers, ses casques et ses cuirasses, ses équipements
militaires, ses épées , ses arcs et ses arbalètes, produits
principalement à Saint-Maixent, à Nieul l’Espoir et à Poitiers, ont
une renommée si grande qu’elle s’étend jusqu’en Italie, jusque dans
la Scandinavie et même dans la lointaine Islande 639 ».
On utilise alors du minerai venu du Poitou mais aussi du Limousin et de l’Angoumois.
Au XVI e siècle, le Poitou est une des provinces où les forges sont les plus nombreuses 640 . Le
royaume en compte 460 en 1540 641 . François 1 er juge ce nombre trop important, ce qui le
conduit, en 1543, à en ordonner la réduction.
Les forges consomment une très grande quantité de bois, destiné à être transformé en
charbon afin d’alimenter les fourneaux. Un maître de forge poitevin explique, en 1757,
« qu’une forge à fer engloutit tous les ans plus de bois converti en charbon qu’il n’en faut
pour chauffer deux petites villes 642 ». Au XVIII e siècle, la famille de Mortemarts, propriétaires
de la forge de Verrière, près de Lussac-les-Châteaux, possède environ 2000 hectares de bois
dont la forêt de Verrière. Les forges de la Peyratte, non loin de Parthenay, sont situées à
proximité de la forêt d’Autun 643 et de divers autres bois, soit un total de 1800 hectares
637
A titre de comparaison voir l’étude sur les ouvriers des forges nivernaise : THUILLIER (Guy), Les ouvriers
des forges nivernaises au XIX e siècle, vie quotidienne et pratiques sociales, Paris, 2002, 645 p.
638
C’est le cas des noms de commune comme La Ferrière, Puyferrier, les Mines, les Vieilles Forges ou les
Renardières/Goupillières, du nom de la forge volante dite « à queue de renard » etc. cf. LEVAINVILLE
(Jacques), L’industrie du fer en France, Paris, 1922, chap.2, p.18 et Fer, Forges et forgerons, le fer et la
métallurgie ancienne en Poitou, les forges de la Vienne au XVIII e et XIX e siècles, Société archéologique et
historique du Montmorillonais, Montmorillon, 1986, p.8.
639
BOISSONNADE (P.), Histoire du Poitou, Paris, 1915, p.65. Voir également MIRBEAU-GAUVIN, l’Echo
du Poitou dans les pays nordiques au Moyen Age, BSAO, 4 e série, t.XIX, 1986, p.493 et s.
640 e e e
DELSALLE (Paul), La France industrielle aux XVI , XVII , XVIII siècles, Paris, 1993, p.50.
641
On construit alors des forges pour revaloriser de grands domaines seigneuriaux situés dans des zones
déshéritées et forestières.
642 e e
Fer, Forges et forgerons, le fer et la métallurgie ancienne en Poitou, les forges de la Vienne au XVIII et XIX
siècles, op. cit., p.20.
643 La forêt d’Autun ayant été pour la forge « mine de fer et mine de charbon » cf. VIGUĒ (Paul), La forêt
d’Autin et la forge de la Meilleraye, Ligugé, 1928, p.3.
- 149 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
d’espaces boisés 644 . Les propriétaires de la forge de Luchapt, localisée entre Availles-
limouzine et L’Isle-Jourdain, détiennent, quant à eux, environ 1600 hectares de forêts aux
alentours.
Beaucoup de petites forges poitevines périclitent au XVIII e siècle avec le
développement de la métallurgie au charbon 645 . A cette époque il y a quatre forges principales
dans la généralité du Poitou. Trois d’entre elles sont dans le montmorillonais, région riche en
minerai de fer 646 , dans les paroisses de Lhommaizé et de Gouex 647 . Quant à la quatrième elle
est établie près de Parthenay, dans le village de la Peyratte 648 . En 1770, on estime « qu’elles
donnent annuellement 1500 mètres de fonte et 1100 de barres ; les mines sont de bonnes
qualités, le fer est pliant et ductile. On n’y fabrique, ni acier, ni quincaillerie 649 ». Dix-huit ans
plus tard, la forge de La Peyratte est la plus productive du Poitou avec 450 milliers de fer par
an ; celle de la Verrières suit avec 300 milliers de fer, puis viennent les forges de Luchapt et
de la Gaubreté avec, respectivement, 230 et 150 milliers de fer 650 .
2.1. La forge de La Peyratte
Les gisements de fer de la baronnie de Parthenay ont été longtemps exploités par
intermittence, d’abord aux abords de la forêt d’Autun, puis sur les rives du Thouet. Il faut
attendre 1645-1649 pour que naisse la forge proprement dite. Là, Charles de La Porte,
marquis puis duc de la Meilleraye 651 , achète un moulin à la Peyratte où il transporte la forge
qu’il avait établie derrière son château. Dix-sept ans plus tard, une vingtaine de personnes y
travaillent 652 . En 1652, elle est affermée 150 000 livres par an 653 et réorganisée en 1660 ; il y a
désormais un haut fourneau et une fenderie destinée à fendre le fer en verges 654 .
644 BELHOSTE (Jean-François), PON-WILLEMSEN (Charlotte), La forge de la Meilleraye, à la Peyratte du
milieu du XVIII e siècle au milieu du XIX e siècle, BSHSDS, Niort, 1986, p.313.
645 CROZET (René), Histoire du Poitou, Paris, 1949, p.90.
646 Quelques mines de fer existent aussi dans la région de Montalembert et de Vaussais à l’extrême sud-est de
l’arrondissement de Melle. Elles alimentent les forges de Taizé-Aizie près de Ruffec, dans l’actuel département
de la Charente. Cf. PINARD (Jacques), op. cit., p.63.
647 Ce sont les forges de Verrières, dans la paroisse de Lhommaizé, de Luchapt et de la Gauberté, situées dans la
paroisse de Gouex.
648 Il s’agit de la forge de la Meilleraye.
649 BOURGIN (Georges), BOURGIN (Hubert), L’industrie sidérurgique en France au début de la révolution,
Paris, 1920, p.432.
650 Lettre de M. de Nanteuil au bureau du commerce en date du 25 octobre 1788 cf. VIGUĒ (Paul), op. cit., p.23
651 Charles de La Porte (1602-1664), marquis, puis duc de La Meilleraye et Pair de France, baron de Parthenay et
de Saint-Maixent et Comte de Secondigny, maréchal de France, grand maître de l'Artillerie de France (1634),
cousin germain du cardinal de Richelieu et surnommé « le preneur de ville ».
652 POIGNAT (Maurice), La forge de la Peyratte, première industrie Gâtinelle, BSHAAAP, n°10, 1961, p.33.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
La mise en place de cette exploitation sidérurgique s’inscrit dans la mise en valeur de la côte
atlantique voulue par Richelieu et Mazarin, qui souhaitent développer le grand commerce
maritime et reconstruire une flotte civile et militaire dont l’armement nécessite une production
de fer importante.
Le fils de Charles de La Porte, Armand-Charles, accroît le prestige de la famille par
son mariage avec une des nièces de Mazarin, dont il prend le nom et les armes 655 . La forge
n’est plus qu’un bien de rapport parmi d’autres pour les descendants du duc, même si elle
représente près de 10% des revenus de la famille, qui seront ensuite affermés en 1747.
Une « visite générale du duché de la Meilleraye » en mai 1776 fait état d’une forge qui
produit peu et qui exploite des gisements de mauvaise qualité 656 , quand la force motrice de
l’eau ne vient pas à manquer une partie de l’année 657 . La production varie peu entre la fin du
XVII e siècle et le début du XIX e siècle. Elle oscille entre 80 et 120 tonnes de fonte par an, soit
de 50 à 80 tonnes de fer 658 .
Les troubles politiques qui suivent 1789 ne stoppent pas l’activité de l’établissement.
Sa vitalité est simplement amoindrie par le manque de bois, la peur des insurgés vendéens 659
et l’absence d’innovation obligeant à un repli sur le marché local.
Le 2 messidor an VII, la forge est vendue comme bien national, sous condition de
produire un minimum de « 50 milliers » par an, soit 25 tonnes de fer ; faute de quoi l’Etat en
reprendra le contrôle. Elle est rachetée en mai 1803 par Clément Médard Arthuys de
Villement, qui la revend en 1818 à César Auguste Brière de Mautaudin. Celui-ci appartient à
une très importante famille de maîtres de forges du Berry, dont le père fut le fermier de la
forge de Vierzon dans l’apanage du comte d’Artois.
Un haut fourneau et trois affineries 660 produisent tant bien que mal « cent à cent vingt
milliers » de fer par année. On fabrique des instruments aratoires, vendus à de petits artisans
653 VIGUĒ (Paul), op. cit., p.20.
654 La fenderie est abandonnée en 1677 en raison d’un minerai de fer impropre à la fabrication des fers de
clouterie.
655 Armand Charles de La Porte-Mazarini (v.1631-1713), marquis de La Porte, puis de La Meilleraye, puis duc
de Mayenne, puis duc de Mazarini (dit de Rethélois-Mazarini) et Pair de France, duc de La Meilleraye et Pair de
France, prince de Château-Porcien, marquis de Montcornet, comte de Marle et de La Fère, grand maître de
l’Artillerie de France et chevalier du Saint-Esprit (reçu le 31 décembre 1688).
656 L’exploitation a lieu à ciel ouvert à deux ou trois lieux de la forge. On l’achemine à dos de mulet, on compte
souvent un muletier pour 50 mules.
657 VIGUĒ (Paul), op. cit., p.22.
658 BELHOSTE (Jean-François), PON-WILLEMSEN (Charlotte), op. cit., pp 325-327.
659 La forge est réquisitionnée pendant la guerre de Vendée. Elle livre des boulets aux troupes de Parthenay et de
Bressuire. Quelque temps plus tard, son activité est interrompue, les marteaux démontés et les outils cachés par
crainte d’une attaque des vendéens.
- 151 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
ou marchands en gros, en grande partie à Parthenay et dans la Gâtine, en Vendée, dans les
villes de Fontenay-le-Comte et de la Chataigneraie et dans le niortais.
Carte 9 : localisation de la forge de la Meilleraye à La Peyratte :
La vie de l’établissement est loin d’être linéaire. Elle produit 65 tonnes de fer en 1810,
mais souffre de l’augmentation des coûts d’approvisionnement en bois 661 . On envisage déjà sa
fermeture en 1828. Cependant en 1836, le préfet estime que la production est « assez
considérable » et de « bonne qualité 662 » : en 1842 elle s’élève à 368 tonnes de fonte et 180
tonnes de fer 663 . Malgré tout, la forge cesse de fonctionner en 1844. Les entrepreneurs n’ont
pas su résoudre les problèmes causés par la rareté du minerai et sa faible teneur en fer. Ils ont
660 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
661 Depuis la Révolution le bois doit être acheté aux enchères en concurrence directe avec la masse de
marchands.
662 Rapport du préfet au ministre du Commerce en date du 10 février 1836, ADDS 10M17.1. Statistiques
industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
Cette appréciation positive sera réitérée et s’oppose à des jugements anciens plus sévères. Cela dénote une
contradiction sur l’appréciation de l’importance de la forge selon les observateurs.
663 BELHOSTE (Jean-François), PON-WILLEMSEN (Charlotte), op. cit., p.349.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
surtout pêché par manque d’esprit d’innovation et par l’insuffisante adaptation aux techniques
nouvelles.
Quelques ouvriers venus du Limousin bâtissent à proximité des fourneaux où ils fabriquent de
la fonte destinée à réaliser des chaudrons et des poids de pendules qu’ils vont colporter dans
les villages des environs 664 . La forge elle-même est remplacée par un moulin à moudre le blé
qui fonctionnera jusque dans les années 1920.
Pourtant les effectifs ouvriers n’ont cessé de progresser jusqu’à la fin du site. La forge
compte entre 16 et 22 employés 665 dans les dernières années du premier Empire et 40 douze
ans plus tard, dont une partie ne travaille que trois mois par an. L’enquête économique et
sociale de 1848 fait état de 300 bras occupés à la mine en 1844 666 . Les rapporteurs du canton
de Thénezay doivent inclure dans ce nombre les forgerons et mineurs, mais aussi les
charpentiers, bûcherons, dresseurs et voituriers qui gravitent autour de la forge. Enfin, les
services préfectoraux évoquent 80 ouvriers dans les années qui précèdent immédiatement la
fermeture de l’établissement métallurgique 667 .
La forge de la Peyratte est isolée dans l’ouest des Deux-Sèvres, à l’écart des grands
circuits commerciaux, entre les nombreuses forges du pays de Châteaubriant et celles du
Berry.
La situation des forges du montmorillonais est différente. Il s’agit d’un petit centre
sidérurgique situé dans le prolongement des forges de l’Indre et des installations
métallurgiques de Charente.
2.2. Les forges du montmorillonais
Il y a deux forges principales dans l’arrondissement de Montmorillon au XIX e siècle :
la première à Luchapt, à l’extrême limite du département de la Vienne, tout proche de la
Charente et de la Haute-Vienne et la seconde, au long passé, à la Verrières 668 .
664
VIGUĒ (Paul), op. cit., p.28.
665
Il s’agit des employés proprement dits de la forge, il faut y ajouter plus d’une centaine de mineurs, bûcherons
et muletiers.
666
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.408.
667
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
668
Une troisième forge existe à la Gaubreté, mais son destin est commun à son aînée de la Verrières depuis son
rachat par celle-ci en 1787. Elle cessera son activité en 1836.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Carte 10 : forges du montmorillonais :
Située à Lhommaizé, à vingt-cinq kilomètres au sud-est de Poitiers, la forge de
Verrières fonctionne de 1595 à 1886. Elle est longtemps considérée comme une des plus
importantes de l’Ouest de la France.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
L’établissement sidérurgique est la propriété des ducs de Mortemart 669 jusqu’à la
Révolution. La région est riche en fer comme l’atteste la couleur rouge de petits cours d’eau
qui la sillonnent. Les filons sont peu profonds. Il suffit de creuser à peine un mètre pour les
trouver. De 1750 à 1800, quatre à cinq « mineyeurs », armés de piques, de pelles et de
pioches, en ont la charge 670 . En 1756, la forge est affermée aux Robert de Beauchamp, maîtres
de forges de père en fils, qui en deviendront propriétaires en l’an VI et la garderont jusqu’à sa
fermeture 671 .
Là aussi, comme à la Peyratte, toute une population de travailleurs gravite autour des
forgerons. C’est le cas des bûcherons, ouvriers payés à la tâche et travaillant pendant sept
mois de l’année ; des charbonniers et des voituriers qui parcourent, avec leurs convois de
mulets 672 , entre cinq et quarante kilomètres pour transporter le charbon à la forge.
L’exploitation sidérurgique elle-même emploie avant la Révolution, neuf personnes au
haut fourneau et quatre dans les affineries 673 . Entre 1806 et 1818, la production annuelle des
sites de Verrières et de Gaubreté est en moyenne de 159 tonnes par an 674 . Une fois affiné, le
fer est martelé afin de fabriquer des tôles 675 , des bandes et des rubans. On façonne peu de
produits finis, seulement à la demande 676 .
Les débouchés sont locaux et s’orientent vers l’ouest 677 , avant comme après la
Révolution. On vend du fer à des artisans des paroisses environnantes : maréchaux-ferrants,
serruriers ou à des marchands des départements issus de l’ancienne province du Poitou,
jusqu’à Luçon et Sainte-Hermine en Vendée 678 . La forge est en concurrence avec ses voisines
669 Le premier duc, Gabriel de Rochechouart (v.1600-1675) reçoit son titre de Louis XIII en 1650, il est Pair de
France et Prince de Tonnay-Charente. Son fils, Louis Victor de Rochechouart (1636-1688), est comte puis duc
de Vivonne, ainsi que de Mortemart (dit de Vivonne), Pair de France, Prince de Tonnay-Charente, général des
Galères de France et maréchal de France. Il est le frère de la marquise de Montespan et vice-roi de Sicile.
670 De NANTEUIL, Une forge dans l’Ouest au XVIII e siècle, la forge de Verrières, BSAO, 4 e série, Poitiers,
t.XIII, 3 e trim. 1976, p.529.
671 Pour un historique de la forge voir CHAMAND (Paul), Forges de « Verrières » (1595-1886), Poitiers, 2000,
pp.10-11.
672 Le mulet du Poitou est renommé en France comme en Espagne et dans le Piémont. Les cantons de Sanxay et
de Lusignan dans la Vienne fournissent une partie de ces animaux. Plus tard, les mules et mulets trouveront de
nombreux débouchés en Algérie.
673 De NANTEUIL, op. cit., pp.544 et 547.
674 Fer, Forges et forgerons, le fer et la métallurgie ancienne en Poitou, les forges de la Vienne au XVIII e et XIX e
siècles, op. cit., p.36.
675
Les tôles sont appelées « feuillards ».
676
On peut citer la confection de boulets de canon qui percèrent, entre autres, les murailles de La Rochelle en
1627 et celles de Yorktown en 1781, lors de la guerre d’indépendance américaine.
677
Un impôt devait être payé sous l’Ancien Régime pour passer de la province du Poitou à la province du
Limousin, réputée étrangère.
678 e e
Fer, Forges et forgerons, le fer et la métallurgie ancienne en Poitou, les forges de la Vienne au XVIII et XIX
siècles, op. cit., p.38.
- 155 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
de Charente et d’Indre 679 et pâtit du manque de développement des voies de communication.
Le préfet Cochon de Lapparent le déplore dans sa Description générale du département de la
Vienne en l’an X.
La date de création de la forge de Luchapt est incertaine. Elle aurait été créée dans les
premières années du XVIII e siècle sous le contrôle du seigneur de Montbron 680 . Après la
Révolution, la forge appartient à des investisseurs protestants de La Rochelle jusqu’en 1835,
date à laquelle le fondé de pouvoir, Joseph Dunoyer, en acquiert la propriété. L’union de sa
fille avec Gervais de Lafond, un grand propriétaire local, pérennise le pouvoir de la famille
Dunoyer-Lafond sur la forge jusqu’à sa fermeture en 1886 681 .
L’activité de la mine au XIX e siècle est méconnue. Une tradition locale veut que les
guerres napoléoniennes aient fait la fortune de cette forge. L’étude de la production des
quarante dernières années du site de Luchapt montre une lente et inéluctable chute de ses
ventes de fer : 270 tonnes en 1855, près de 150 tonnes en 1862 et moins de cinquante tonnes à
partir de 1875, après quelques soubresauts d’activité en 1872 682 .
En 1874, les enquêtes économiques attestent que dans l’arrondissement de
Montmorillon 60 personnes exploitent le minerai de fer et 90 produisent de la fonte brute 683 .
La forge de Luchapt emploie, à elle seule, 43 personnes, dans une période où les effectifs ont
augmenté passagèrement afin de suivre l’éphémère augmentation de la production et des
ventes 684 .
L’industrie métallurgique n’a pas totalement disparu du Poitou. En effet à l’heure
actuelle les Fonderies du Poitou établie à Ingrandes, quelques kilomètres au nord de
Châtellerault, perpétuent une tradition millénaire combinée au savoir-faire industriel
châtelleraudais. L’entreprise travaille pour les plus grands groupes automobiles européens en
679 Parmi elles, les forges de Queaux dans l’Indre et de Ruffec et de Champdeniers en Charente. A celles-ci
s’ajoute la fonderie de Ruelle, près de la forêt de la Braconne, fondée par le marquis de Montalembert en 1750.
Sa position stratégique non loin d’un port fluvial sur la Charente « éclipse toutes les autres forges ». Elle devient
une manufacture royale en 1782, cf. AUGUSTIN (Jean-Marie), La Révolution française en Haut Poitou et pays
charentais, op. cit., p.14.
680 La baronnie de Montbron appartient au duché d’Angoulême.
681 Fer, Forges et forgerons, le fer et la métallurgie ancienne en Poitou, les forges de la Vienne au XVIII e et XIX e
siècles, op. cit., p.39.
682 Fer, Forges et forgerons, le fer et la métallurgie ancienne en Poitou, les forges de la Vienne au XVIII e et XIX e
siècles, op. cit., p.37.
683 ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
684 La main d’œuvre est souvent tentée d’aller rejoindre des centres sidérurgiques plus importants où son savoirfaire
est mieux rémunéré, voir l’exemple des forgerons du nivernais in THUILLIER (Guy), Les ouvriers des
forges nivernaises…, op. cit., p.209 et s.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
fabricant des éléments de blocs moteurs. En janvier 2006 l’établissement compte 440
employés et déclare un chiffre d’affaires de 64 millions d’euros 685 .
Le minerai de fer ne constitue pas la seule ressource qu’offrent jadis les sols poitevins.
La transformation de la terre permet l’existence d’activités artisanales traditionnelles comme
la poterie ou la verrerie, ou plus nouvelles à l’image du développement du chaulage dans la
première moitié du XIX e siècle.
c) Permanence et essor du travail de la terre et de ses ressources :
potiers, verriers, tuiliers et chaufourniers
Le mémoire de Boissonnade consacré à l’organisation du travail en Poitou mentionne
la céramique et le verre parmi les productions ayant une renommée dépassant le cadre de la
province entre le XI e et XV e siècle 686 .
Ces activités perdurent par la suite dans certaines zones de la région, sans connaître
pour autant un essor important. Quelques rares exceptions existent tout de même, surtout dans
les domaines de la faïence et de la porcelaine. Ces spécialités touchent à l’artisanat d’art et
demandent un savoir-faire réel, des investissements conséquents et des débouchés nationaux,
voire internationaux, afin d’écouler une production luxueuse.
1. Potiers, faïenciers et porcelainiers
Les sites de Poitiers, Melle, Vouvant 687 et Maillezais regroupent une grande partie des
potiers du Poitou au Moyen Age. Ces fabriques de céramiques sont qualifiées de rustiques et
semblent principalement pourvoir à la demande locale. Au XVI e siècle, les faïences fines et
délicates dites « de Henri II » font la renommée des fabriques d’Oiron, près de Thouars, et de
Saint-Porchaire dans le bressuirais 688 . Plus tard, on cherche aussi à imiter, comme ailleurs en
France, la façon de faire imaginée par le céramiste Bernard Palissy 689 .
685
Source usinenouvelle.com.
686 e
BOISSONNADE (M.), Essai sur l’organisation du travail en Poitou depuis le XI siècle jusqu’à la
Révolution, op. cit., p.11.
687
Vouvant se situe près de la forêt de Mervent dans l’actuel département de la Vendée.
688
Les sources diffèrent quant à l’origine des faïences « Henri II ».
689
L’illustre céramiste serait né vers 1510 et meurt aux alentours de 1590.
- 157 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Néanmoins, l’essor véritable de la faïence en France survient un siècle après sa mort
quand Louis XIV impose par ses édits et ordonnances pris à partir de 1689 690 la fonte du
mobilier et de la vaisselle d’or et d’argent pour financer l’effort de guerre du royaume 691 .
Il y a dans le Poitou une demi-douzaine de fabriques de faïences au XVIII e siècle 692 .
L’une d’entre-elles, à Rigné près d’Oiron et de Thouars, voit son fonctionnement interrompu
à de nombreuses reprises au cours du siècle. Saint-porchaire a deux faïenceries jugées « d’une
grande utilité pour la province » car elles évitent l’achat de vaisselle étrangère. Un autre
établissement de ce type est créé à Chef-Boutonne en 1778. Des artisans de la ville de Poitiers
élaborent également des faïences émaillées. Le couvent des Robinières, dans la forêt de
Mervent, produit pareillement de la céramique fine. Enfin, l’ancienne fabrique de l’Ile-d’Elle,
implantée jusqu’alors dans le marais de la Sèvre niortaise, s’installe à Marans en 1740 avant
d’être définitivement transférée à La Rochelle entre 1755 et 1760.
Les faïenceries poitevines déclinent après la Révolution. Seule celle de Saint-
Porchaire 693 continue de produire des céramiques destinées à un usage domestique. Elle est
vendue comme bien national le 2 messidor an VII à un médecin rochelais qui la cède à son
tour en 1802 à un marchand de Saumur 694 . En 1804 cinq fabriques y sont dénombrées, dix
quatre ans plus tard 695 en même temps que 23 fours. En 1840, le sous-préfet de Bressuire
affirme que la fabrique de poterie de Saint-Porchaire est toujours d’une prospérité
satisfaisante 696 . Elle comprend une vingtaine d’ateliers et autant de fours et donne du travail à
plus de vingt familles 697 . En 1887, Saint-Porchaire et Airvault sont réputées pour leur travail
de la de poterie 698 . Les propriétaires se succèdent mais ne peuvent empêcher le déclin du site.
En 1900, seulement 9 fours sont encore en activité contre 14 en 1830. Néanmoins la
céramique ne disparaît définitivement de Saint-Porchaire qu’en 1962.
690 Ordonnance du 14 décembre 1689.
691 « Tout ce qu’il y a de grand et de considérable se mit en huit jour à la faïence. Ils en épuisèrent les boutiques
et mirent le feu à cette marchandise, tandis que tout le médiocre continua à se servir de son argenterie » in
Mémoires de Saint-Simon.
692 FILLON (Benjamin), L’art de la terre chez les poitevins suivi d’une étude sur l’ancienneté de la fabrication
du verre en Poitou, Niort, 1864, p.160 et s.
693 Saint-Porchaire est un petit bourg localisé à quatre kilomètres à l’est de Bressuire.
694 Un certain Etienne Chevalier, cf. MERLE (Charles), Le centre potier de Saint-Porchaire, BSSHDS, 1971, t.4,
p.121.
695 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
696 ADDS 4M6.12. Chouannerie ; rapports divers [1836 ; 1837].
697 MERLE (Charles), Le centre potier de Saint-Porchaire, op. cit., p.118.
698 Situation industrielle des Deux-Sèvres au 1 er trimestre 1887, ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et
commerciales [1804 ; 1889].
- 158 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Le secteur de la céramique regagne de la vitalité dans le dernier quart du XIX e siècle
grâce aux faïenciers de Parthenay 699 , alors qu’un nouveau centre céramique est apparu dans le
département de la Vienne, du côté de Chauvigny.
1.1. La faïence à Parthenay
Ce type de production n’est pas une nouveauté en Gâtine. Des natifs de la région sont
à l’origine des verreries de la forêt de Mervent et des faïenceries et fabriques d’émaux de
l’Ile-d’Elle.
En 1764, un notaire de Parthenay, François Bon, crée en périphérie de la ville un
atelier de faïencerie et de poterie où il embauche deux ouvriers nivernais. On y modèle des
plats et des assiettes vendus à Niort et ses environs. L’établissement est saccagé plusieurs fois
pendant les guerres de Vendée, les chouans reprochant au sieur Bon ses accointances avec le
maire de Parthenay attaché aux idées révolutionnaires. A la même époque, Mathurin Favien,
un céramiste de Saint-Porchaire, trouve refuge dans la capitale de la Gâtine où il tente de
fonder une petite fabrique de faïences 700 . Il échoue malgré son savoir-faire et décide en 1803
de regagner le bressuirais où il exploitera la faïencerie du sieur Chevalier.
En réalité, l’art de la terre atteint son apogée à Parthenay près de 75 ans plus tard avec
Prosper Jouneau 701 . Ce sculpteur, diplômé des Beaux-Arts de Poitiers et de Paris, devient
céramiste après un passage à la Manufacture nationale de Sèvres. De retour dans sa ville
natale il y construit ses ateliers et ses fours tout en rêvant de faire revivre les célèbres faïences
d’Oiron. L’établissement ouvre ses portes en 1882 et n’occupe alors que cinq ouvriers. On y
façonne des faïences d’art, bien loin d’une production à grande échelle, qui ne tardent pas à
acquérir une réelle renommée 702 , si bien qu’un richissime britannique lui offre un pont d’or
pour qu’il s’installe sur l’autre rive de la Manche. Le céramiste des Deux-Sèvres refuse
l’offre. Mal lui en prend car un désaccord l’oppose ensuite à son associé et principal
commanditaire, le sieur Amirault 703 , qui va lui ôter la direction de la faïencerie de
699
Sur la faïence à Parthenay voir POIGNAT (Maurice), Les faïences et faïenciers de Parthenay, RBP, 1972,
t.83, pp 357-373 & 444-457.
700
TURPIN, Une manufacture de poterie à Parthenay sous la Révolution, BSHSDS, 1906, t.2, pp 383-385.
701
Voir POIGNAT (Maurice), Le plus célèbre faïencier de Parthenay, Prosper Jouneau, BSHAAAP, 1972, n°21,
pp 8-17.
702
Il reçoit une médaille d’or à l’Exposition internationale d’Anvers en 1885. L’Exposition des arts décoratifs de
Paris de 1887 le couvre de récompenses. On lui confie le privilège de réaliser un des plafonds de l’exposition
parisienne de 1889.
703
Henri Amirault (1834-1914), originaire de Loudun, s’est illustré comme lieutenant de vaisseau dans la
campagne de Cochinchine. Amateur d’art et dessinateur, il s’associe au projet de Jouneau en 1883. Cf.
POIGNAT (Maurice), Les faïences et faïenciers de Parthenay, RBP, 1972, t.83, pp 444-447
- 159 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Parthenay 704 . La faïencerie poursuit son existence sans son créateur et sans s’adapter aux
nouveaux goûts du public. Ses fourneaux s’éteignent alors que le premier conflit mondial
embrase déjà l’Europe.
Si l’artisanat de la faïence des arrondissements du nord des Deux-Sèvres s’inscrit dans
une relative continuité historique, l’activité céramique de Chauvigny semble, elle, éclore d’un
terreau moins fertile 705 .
1.2. La céramique et la porcelaine chauvinoise
C’est en 1826 qu’est fondée une manufacture de céramique dans les environs de
Chauvigny qui vers 1830 prend l’appellation de maison Deshouillières 706 , par l’association du
premier créateur, Jean Bozier, avec son gendre, Louis Deshouillières. On souhaite tirer profit
de la force motrice du cours d’eau local et de la vitalité commerciale de la ville. Ses foires
mensuelles sont réputées et attirent entre quatre et cinq milles personnes. Mais avant tout,
Chauvigny se situe à proximité des deux pôles porcelainiers du Centre-Ouest que sont le
Limousin 707 et le Berry.
Des poteries grossières, du verre, du grès, de la faïence mais aussi de la porcelaine
sortent des ateliers chauvinois dont l’organisation reste archaïque pendant tout le XIX e siècle.
En 1848, il y a seulement 4 ouvriers 708 , puis 35 en 1894 709 et 20 en 1902 710 .
Le nouveau siècle semble apporter avec lui son lot d’innovation. Le fils Deshouillères est
envoyé suivre les cours de l’école supérieure de céramique de Sèvres. Son retour est marqué
par l’abandon de techniques anciennes et la production de céramiques plus fines. En 1906 et
1909, de nouveaux fours sont construits. On abandonne le bois de chauffage au profit du
charbon ce qui améliore la qualité et la finesse des productions. En 1909, la fabrique lance la
marque de porcelaine à feu « Perfecta ».
704 L’artiste s’installe provisoirement à Paris où il tente, avec peu de réussite, de poursuivre son travail de
création. Puis, c’est la ville de Montpellier qui l’accueille et en fait le directeur de son école des Beaux-Arts. Il
meurt en 1921.
705 Même si on note la présence de potiers aux alentours de Chauvigny dès le XIV e siècle, cf. DUGUET (Jean),
Petite histoire de Chauvigny, La Crèche, 2004, p.91.
706 Cf. PLANCHARD (Marie-Christine), Le MAGUET (Jean-Paul), AUBRUN (Max), Une vie de porcelaine,
les porcelainiers et leur travail en Poitou aux XIX e et XX e siècles : Deshouillières, Poitiers, 1989, 167 p.
707 On découvre du kaolin à Saint-Yrieix dans le limousin au milieu du XVIII e . Turgot, intendant du Limousin
entre 1761 et 1774, crée avec le concours du comte d’Artois la première manufacture de porcelaine de Limoges.
708 PLANCHARD (Marie-Christine), Le MAGUET (Jean-Paul), AUBRUN (Max), op. cit., p.28.
709 ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
710 Ibid.
- 160 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Le groupe Deshouillières existe toujours à Chauvigny et fournit encore des porcelaines
et autres céramiques à usage domestique ou ornemental. Toutefois la concurrence rude des
pays asiatiques a provoqué de graves difficultés financières conduisant à son rachat en 2002
par un groupe russe 711 déjà propriétaire de la Manufacture impériale de Saint-Pétersbourg. La
fabrique employait cette année-là 300 personnes.
Carte 11 : centres majeurs de fabrication de faïence poitevine au XIX e siècle :
La fabrication de poteries destinées au marché local explique la diffusion de petits
ateliers dans les campagnes 712 . Etre exhaustif en la matière semble difficile, d’autant plus que
ces petites fabriques sont parfois dénommées tuileries ou briqueteries. Toutefois la commune
de Vasle située dans l’arrondissement de Parthenay se distingue particulièrement au milieu du
711 L’Imperial porcelain holding Lomonosov de St-Pétersbourg.
712 En 1883, on recense, dans les Deux-Sèvres, 123 fabriques de tuiles installées dans 51 communes différentes,
cf. ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889]
- 161 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
XIX e siècle 713 tout comme les communes vendéennes de Chaillé-sous-les-Ormeaux, des
Herbiers, de Montaigu, de Saint-Martin-des-Fontaines, dont les fabriques occupent chacune
quatre ouvriers 714 , et celle de Luçon, dans l’arrondissement de Fontenay-le-Comte 715 . En tout,
28 fabriques de poteries dont une grande part de la production est exportée vers La Rochelle.
Enfin, on compte 40 céramistes à Poitiers en février 1894 716 ainsi qu’une fabrique de poterie
et de carreaux à Châtellerault vers 1850 717 .
La céramique est issue de la transformation et du façonnage de terres argileuses. Le
verre, quant à lui, provient de la fonte de sables siliceux avec de la potasse ou de la soude. Au
XIX e siècle cette activité présente dans le Poitou depuis des temps reculés 718 n’existe plus
réellement dans la région. « Depuis la Révolution, l’industrie du verre ne s’est pas
relevée 719 ».
En effet, seule la verrerie de Faymoreau, créée par une ordonnance royale du 8 mai
1836, est un exemple d’initiative d’envergure dans ce domaine. Elle fait partie d’un projet
industriel concentré autour des mines de houilles vendéennes. Un grand projet qui n’ira
jamais aussi loin que ses promoteurs l’espéraient. La verrerie cesse toute activité en 1883 720 .
Une autre tentative de moindre ambition échoue aux Herbiers, en Vendée. Nonobstant,
quelques petits établissements du genre sont recensés aux environs de la forêt de Chizé 721 .
Ainsi le verre ne se fabrique quasiment pas dans le Poitou au XIX e siècle, bien au
contraire des tuiles et des briques, matériaux indispensables aux travaux quotidiens de
construction.
713 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
714 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
715 ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
716 ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
717 ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
718 Les verreries se développent aux temps féodaux, aux alentours des régions forestières. Benjamin Fillon en
recense onze à cette époque. Une des plus anciennes se situe à Maillezais, au sud de Fontenay-le-Comte. La
Roche-sur-Yon, la forêt de Mervent et Mouchamps s’adonnent aussi au travail du verre. Cette même spécialité
se retrouve également dans la région d’Argenton-Château et de Parthenay. La Renaissance marque le déclin de
ces établissements. La concurrence des manufactures du Limousin, de l’Angoumois et de la Saintonge malmène
les productions locales. Puis ce sont les manufactures de Nantes et de La Rochelle qui imposent leur loi en
laissant peu d’espace aux verreries locales.
719 FILLON (Benjamin), L’art de la terre chez les poitevins…, op. cit., p.213.
720 Voir le passage consacré aux charbonneries du Poitou dans la partie dédiée à l’éclosion de pôles ouvriers
nouveaux, infra p.48 et s.
721 TINTHOIN (Robert), L’économie des Deux-Sèvres, BSHSDS, 4 e trim. 1960, t.11, p.334.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
2. Tuiliers, briquetiers et chaufourniers
Les tuileries et briqueteries 722 forment un ensemble micro industriel situé à la lisière
du monde rural et artisanal. Le faible coût d’investissement financier et humain – chaque
fabrique compte très peu d’employés, il s’agit le plus souvent de petits patrons travaillant
seuls –, ainsi que les besoins de l’industrie du bâtiment, expliquent la profusion de ces
établissements dans les trois départements étudiés. Ce grand nombre de fabriques s’explique
aussi par le fait que moult tuiliers sont aussi chaufourniers, la chaux ayant un essor
extrêmement important au XIX e siècle en raison d’une utilisation agricole plus fréquente,
fortement encouragée par l’agronomie.
La présence de tuileries dans la Vienne est attestée au XVII e siècle aux abords de la
forêt de Moulière 723 , au nord-est de Poitiers. Longtemps, les tuiliers y « prélèvent » le bois
sans que les autorités ne disent mot, jusqu’à la réformation des forêts du Poitou, entre 1665 et
1667, mettant le holà à ces pratiques et contraignant nombre de tuiliers à détruire leurs
fours 724 .
A la fin du XVIII e , l’art de la tuile se pratique dans la région de Saint-Julien-l’Ars, à
mi-chemin entre Poitiers et Chauvigny : la terre y est très argileuse, propice à la cuisson. Le
travail des tuiliers se décompose en deux phases : l’hiver est consacré à la préparation de la
terre et au stockage des fagots, alors que les tuiles et les briques sont cuites à la belle saison.
L’industrie tuilière se développe au fil du XIX e siècle 725 . Saint-Julien-l’Ars et ses environs
comptent huit tuileries au temps des monarchies censitaires. L’essor se poursuit sous le
second Empire et les débuts de la III e République, pour déboucher sur une période d’activité
plus intense entre 1880 et 1886 où onze tuileries occupent une cinquantaine de personnes dans
le bourg et les communes avoisinantes. Ce nombre descend à huit en 1896 et jusqu’à la
Première Guerre mondiale.
On note aussi de nombreuses tuileries dans l’arrondissement de Montmorillon en
1894. L’activité emploie 25 ouvriers à Montmorillon même, une dizaine à Lussac-les-
Châteaux et une cinquantaine dans d’autres petites communes du montmorillonais 726 .
722 Tuileries et briqueteries sont souvent synonymes dans l’esprit des administrateurs locaux et départementaux
723 Société archéologique du pays chauvinois, Industries disparues du pays chauvinois, Poitiers, 1980, p.41.
724 Cinq fours sont détruits dans la seule commune de Bignoux.
725 Société archéologique du pays chauvinois, op. cit., pp 41-42.
726 ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
A celles-ci, il faut ajouter, les tuileries et briqueteries de Gençay, dans
l’arrondissement de Civray, et celles d’Ingrandes proche de Châtellerault 727 .
Au début XIX e , le préfet Dupin recense une centaine de tuileries dans le département
des Deux-Sèvres. L’enquête économique et sociale de 1848 mentionne une activité tuilière
dans le canton de Bressuire qui emploie une cinquantaine de personnes dont 32 femmes ; ici
les fours fabriquent aussi bien des tuiles que de la chaux. La même enquête insiste sur les
tuileries du canton de Celles, dans l’arrondissement de Melle, et plus particulièrement sur les
établissements de la commune d’Argentière où « tout le monde est tuiliers, hommes, femmes
et enfants 728 ». Cette petite commune qui vit de l’industrie de la tuile et de la brique pourrait,
selon les rapporteurs de l’époque, devenir un des plus importants centre industriel de France
si le nombre de chemins venait à croître. Un beau témoignage d’optimisme comme on en
rencontre à l’époque.
D’autres petites communes vivent pareillement de la tuile. C’est le cas de Boussay,
dans l’arrondissement de Parthenay, qui compte treize fours au début du second Empire 729 .
Entre 1861 et 1865, 124 tuileries employant 606 personnes, sont disséminées sur le territoire
du département des Deux-Sèvres 730 ; comme dans le bourg de Coulonges où 25 ouvriers
tuiliers travaillent dans cinq établissements 731 . Signalons aussi les tuileries implantées dans les
communes du sud-est des Deux-Sèvres, autour de Sauzé-Vaussais, à la limite des
départements de la Vienne et de la Charente 732 .
Parmi les départements qui composaient l’ancienne province du Poitou, c’est en
Vendée qu’il y aurait le plus de tuileries.
Pourtant l’historien Cavoleau, dans sa Description générale du département de la Vendée,
dénombre 120 fours en 1809 733 , soit autant que dans la Vienne et les Deux-Sèvres. En
revanche, les divers rapports préfectoraux du XIX e siècle parlent peu de cette activité. Seules
quelques tuileries sont signalées du côté des Herbiers en 1844 734 et à la Châtaigneraie en
727
Entre 1861 et 1865, le département de la Vienne compte 93 tuileries occupant 418 ouvriers, cf. PINARD
(Jacques), op. cit., p.81.
728
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 1), op. cit., p.509.
729
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
730
PINARD (Jacques), op. cit., p.81.
731
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
732
En 1884, une cinquantaine d’ouvriers sont employés dans les tuileries localisées dans les communes de
Sauzé-Vaussais, Limalonges et Montalembert, ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales
[1804 ; 1889].
733
CAVOLEAU (J.-A.) (annoté par de LA FONTENELLE DE VAUDORE (A.-D.)), op. cit., p.652.
734
ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
1875 735 . Une briqueterie existe également à La Roche-sur-Yon en 1884 736 . Les premiers
exploitants des mines de Faymoreau tentent également d’implanter une tuilerie près de leurs
puits afin d’absorber une part de leur production mais la tentative est sans succès.
Néanmoins, le nombre de tuileries doit être plus important que ce que les enquêtes
économiques indiquent. Cette activité rurale de faible importance est souvent méconnue ou
parfois confondue avec les fours à chaux. Tuiliers et chaufourniers 737 se confondent bien
souvent, ce qui explique la même localisation des lieux de production.
Illustration 18 : fours à chaux de saint Pompain dans les Deux-Sèvres :
Source : Le CORFEC (Jean-Michel), op. cit., p.70.
L’utilisation de la chaux 738 se développe et prospère au XIX e siècle, en particulier à
partir de la Monarchie de Juillet. On l’utilise dans le bâtiment pour préparer le ciment, dans
certaines industries comme la tannerie et bien entendu dans l’agriculture. Le chaulage des
terres est une des composantes du progrès agricole 739 . En 1820, le président de la société
d’agriculture de Vendée rapporte que « la chaux […] est d’un usage assez répandu dans le
735
ADVd 10M11. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 ; commissions
locales [1874 ; 1885].
736
ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 1889].
737
Ouvriers qui fabriquent la chaux.
738
La chaux se produit par l’action directe d’une forte chaleur sur une pierre à chaux (carbonate de calcium ou
coquillage dans l’Antiquité) qui va perdre son gaz carbonique et son eau pour se réduire à l’état de chaux vive.
739
La chaux permet une meilleure aération et perméabilité des sols argileux. Elle joue aussi un rôle d’engrais en
stimulant la croissance des racines végétales et le développement cellulaire des plantes. L’oxyde de calcium
évite également des maladies liées aux acidités végétales. Enfin, elle peut être utilisée comme fongicide et
insecticide, GAYON (A.), Chaux et chaulage, Paris, 1950, p.15 et s.
- 165 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
bocage, et produit de bons effets pour la culture des céréales […] Mélangée avec de la
cendre de marais, les effets sont beaucoup plus supérieurs à ceux du fumier 740 ».
Nombreuses sont les communes à disposer de leur chaufour 741 . Il y a une densité
remarquable de ces installations, en Vendée, particulièrement dans le bassin de Chantonnay et
dans la plaine de Luçon, où les sols sont riches en calcaire. En 1848, autour de Chantonnay,
170 personnes travaillent à la calcination de la chaux 742 . Ces fours consomment la houille
locale, ce qui pousse les propriétaires et concessionnaires des mines à en construire.
« La Société des houillères et verreries de la Vendée qui a déjà tant
fait pour la prospérité du pays, voulant donner une nouvelle
impulsion à l’industrie de la chaux et au mouvement progressif de
l’agriculture dans les contrées avoisinant ses établissements, se
propose de faire construire un groupe de fours à chaux à feu
continu 743 ».
C’est le cas à Faymoreau et dans les environs de Saint-Laurs, à Coulonges, dans les Deux-
Sèvres 744 où 54 chaufourniers sont recensés en 1864 dans neuf sites 745 . Ils vont jusqu’à
investir dans les départements voisins. Le four à chaux de la commune de Lhommaizé, dans
la Vienne, appartient aux mines de Faymoreau 746 .
Le nombre de chaufourniers baisse tout de même à la fin du XIX e siècle. Ils ne sont
plus que 170 en 1896 et sont fréquemment confondus avec de simples ouvriers agricoles. Dix-
sept ans plus tard, il n’y a plus qu’une trentaine de fours.
Si la Vendée a des chaufours à feu continu, alimenté au charbon, il n’en est pas de
même dans la très grande majorité des départements voisins. La plupart des installations de
cuisson ne sont constituées que « de simples trous au flanc d’une butte où les pierres
calcaires sont amoncelées et brûlées par un tas de fagots en flamme au fond du trou 747 ».
C’est le cas dans le chauvinois et le montmorillonais jusqu’en 1850 où des fours à courte
flamme fonctionnant au charbon commencent à être implantés à la demande des grands
740
Rapport du président de la société d’agriculture de Vendée d’avril 1820 in HELLO (Yves), REGOURD
(Florence), Un long XIX e siècle (de 1793 à 1946), Saint-Jean-d’Angely, 1983, p.295.
741
Four à chaux.
742
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.15.
743
Lettre de P. Bally au préfet de Vendée du 3 juin 1850, ADVd 5M109.
744
MONTOUX (Michel), op. cit., p.137.
745
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
746
Cette commune compte 30 chaufourniers en 1894, ADVd M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
747
Société archéologique du pays chauvinois, op. cit., p.27.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
propriétaires terriens désireux d’améliorer la performance agronomique de leurs terres 748 . Le
département de la Vienne compte 109 fours à chaux entre 1861 et 1865 et les Deux-Sèvres,
117 749 , dont une quarantaine dans l’arrondissement de Bressuire employant 195 personnes 750 .
L’augmentation est constante puisqu’en 1887 les Deux-Sèvres ont 144 chaufours alimentés
par 564 ouvriers 751 .
Bien plus élevés dans la hiérarchie artisanale que les chaufourniers, les charpentiers de
marine de la côte atlantique vendéenne sont à l’origine, au XIX e siècle, d’un nouvel essor du
secteur de la construction navale débouchant au siècle suivant sur une industrie du navire de
plaisance réputée en France comme aux quatre coins du globe.
d) Les charpentiers de marine sablais
Les chantiers vendéens 752 de construction de navires jouissent d’une excellente
réputation dès le XVII e siècle. L’intendant Colbert de Terron note que « c’est un lieu du
monde où l’on bâtit le mieux mais en petit » 753 .
La construction navale s’adapte aux modifications qui surviennent dans le monde
halieutique. Au XVIII e , la pêche morutière laisse sa place à celle de la sardine, en plein essor
au siècle suivant, avant de céder son monopole au thon à la fin du XIX e siècle. En 1900, Les
Sables-d’Olonne viennent en tête des ports français pour l’armement thonier 754 . Les
charpentiers de marine fabriquent en outre des embarcations destinées au cabotage vers
Bordeaux et le Sud-Ouest de la France. Le vin et le sel 755 se croisent le long de la côte
Atlantique ainsi que le bois et le charbon. A cela s’ajoutent quelques bateaux au long cours
destinés au commerce international vers l’Amérique, l’Espagne ou le nord de l’Europe.
748 Ibid.
749 PINARD (Jacques), op. cit., p.81.
750 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
751 Ibid.
752 Pour un historique complet et un descriptif des techniques de construction voir CLEMENT (Jean-Yves),
PAILLĒ (Patrick), Les chantiers navals du littoral vendéen, XIX e - XX e siècle, une mutation, La Roche-sur-Yon,
1987, 64 p.
753 RETUREAU (Hervé), Les gens de mer du pays d’Olonne au XVIII e siècle, mémoire de maîtrise histoire,
Nantes, 1996, p.51.
754 D’AVIGNEAU (André Marie), op. cit., p.181.
755 Le port de Noirmoutier est connu depuis le Moyen Age pour son activité de cabotage : son port constitue le
débouché naturel des marais salants de l’île.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Au XIX e siècle, les bricks 756 morutiers disparaissent, remplacés par des embarcations
beaucoup plus petites destinées à la pêche à la sardine se pratiquant alors non loin des côtes. Il
s’agit de petites chaloupes creuses, non pontées, de six à dix tonneaux qui servent aussi à la
drague l’hiver, en dehors des saisons de pêche. Le tonnage ne cesse d’augmenter tout au long
du siècle car il est toujours nécessaire d’aller plus loin en mer afin de trouver de nouveaux
bancs de sardines 757 . Les embarcations trouvent aussi preneurs dans les ports de Groix, La
Rochelle, Lorient ou Ré. Ponctuellement des navires de tonnages plus importants sont
construits, comme les lougres 758 ou les trois mâts, commandés généralement par des
armateurs étrangers aux ports vendéens.
Fin XIX e , les gréements auriques succèdent aux bateaux de conception plus anciennes
portant voilure au tiers. Les précurseurs en la matière sont les goélettes 759 et les sloops 760 , puis
viennent les dundees 761 , surnommés « les gazelles » du fait de leur agilité et de leur vitesse.
Le port des Sables-d’Olonne est le site principal de construction de navires en Vendée.
En 1818, trois chantiers se partagent les quais des Sables 762 . Deux d’entre eux existent depuis
les dernières années du siècle précédent : les chantiers Guerry et Chaigneau. Ce dernier est le
plus important établissement du port. Son activité s’accroît au fil du XIX e siècle et ses cales
ont la capacité de produire des embarcations de gros tonnages. Le chantier Guerry est de
moindre importance et son activité cesse dès les années 1840. Un troisième naît sous l’Empire
à l’initiative des frères Bertrand, originaires de Bordeaux. Il ferme ses portes une quarantaine
d’années plus tard.
Au début des années 1840, entre quinze et trente ouvriers s’affairent sur les
chantiers 763 , qu’ils soient scieurs de long ou charpentiers. En sus, quelques compagnons
travaillent à domicile ou dans de petits ateliers à la confection de voiles, poulies, clous et
cordes.
L’enquête économique et sociale de 1848 fait état de l’existence de quatre chantiers
navals aux Sables-d’Olonne occupant une soixantaine d’ouvriers. Les chantiers Cheusseau et
Nauleau s’ajoutent à la liste. Deux autres apparaissent sous le second Empire, époque où les
756 Petit navire à deux mâts et à voile carrée.
757 On utilise alors des bateaux à jauge plus importante pour remorquer les chaloupes sur les lieux de pêche.
758 Le lougre est un bateau de 45 à 75 tonneaux et de 15 à 18 mètres de long.
759 Navire à deux mâts, le mât de misaine et le grand mât.
760 Bateaux à voile à un mât gréant ayant un foc à l’avant.
761 Petit voilier à un mât et à voile trapézoïdale.
762 CLEMENT (Jean-Yves), PAILLĒ (Patrick), op. cit., pp.11-14.
763 Industries par communes en 1844, ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques
ou manufactures [1839 ; 1849].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
charpentiers de marine se font rares puisque certains sont requis par le port militaire voisin de
Rochefort, en Charente Inférieure.
Le nombre d’ouvriers reste stable jusqu’aux années 1870 764 qui marquent le début de
l’âge d’or de la construction navale, avec le développement des conserveries de sardines. Les
chantiers Pitra, Chauffeteau et Guignardeau voient le jour et dominent le secteur jusqu’en
1914. En 1897, 125 ouvriers sont recensés, 103 charpentiers de marine et 22 scieurs de
long 765 . Quinze ans plus tard, une association ouvrière de production est même créée par sept
compagnons charpentiers. Elle occupe une quinzaine de personnes et réussit l’exploit de
pérenniser son activité. En 1913, 75 personnes travaillent sur les chantiers des Sables.
La construction navale existe dans d’autres ports du littoral vendéen. Saint-Gilles et
Croix-de-Vie sont les premières communes à compter des chantiers sur leurs quais. Le
premier s’y installe en 1833, le second en 1841. Leur production annuelle est faible : 150
tonneaux en 1848, soit l’équivalent de quelques navires. Moins d’une dizaine d’ouvriers y
sont employés. Deux autres établissements de construction s’y établissent pendant le second
Empire. L’un d’eux, les chantiers Speck, existe encore en 1896. Un seul autre est recensé à
cette date : les chantiers Bénéteau, dont la renommée est mondiale de nos jours 766 . Deux petits
établissements de construction navale existent aussi à Noirmoutier en 1896. Bien vite, ils se
diversifient dans la marine de plaisance. Enfin, l’Ile-d’Yeu a aussi sur sa côte quelques
ateliers de construction d’embarcations.
Au total, la Vendée compte en 1896 neuf chantiers navals occupant 171 ouvriers 767 . Il
faut additionner à ce nombre les 38 ouvriers voiliers qui travaillent dans de petits ateliers aux
Sables-d’Olonne et à leurs domiciles à Croix-de-Vie, l’Ile-d’Yeu et Noirmoutier.
Les charpentiers de marine ne représentent pas un poids démographique considérable.
Néanmoins, ils exercent une influence importante sur toute la communauté laborieuse des
Sables-d’Olonne et des autres ports vendéens 768 . L’hérédité professionnelle est souvent la
règle et leur savoir-faire, acquis après un long apprentissage, leur confère un statut à part dans
un monde industriel où les tâches se simplifient. Cette « aristocratie ouvrière », aux salaires
764
56 ouvriers au deuxième trimestre 1863, ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
765
ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers [1897 ; 1936].
766
L’entreprise fabrique actuellement des bateaux de plaisance à voile ou à moteur.
767
CLEMENT (Jean-Yves), PAILLĒ (Patrick), op. cit., p. 29.
768
Pour une comparaison voir KEREZEON (Michel), Les ateliers et chantiers de Bretagne. Un chantier naval
nantais (1895-1909-1968), Cholet, 1995, 455 p.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
bien éloignés de ceux des sardinières des usines de conserve, est consciente de disposer d’un
poids non négligeable dans la balance de la lutte sociale. Leur organisation, encore marquée
par la tradition compagnonnique 769 , leur permet très tôt de mesurer leur spécificité et d’être
aux avants postes de la revendication sociale, entraînant avec eux d’autres professions moins
favorisées.
Un rôle de catalyseur revendicatif que jouent également les ouvriers du livre, faibles
en nombre mais hautement actifs à l’intérieur du mouvement social ouvrier.
e) Les ouvriers du livre
Introduite en France aux alentours de 1469 en provenance de Mayence, l’invention de
Johannes Gutenberg ne tarde pas à atteindre le Poitou et sa capitale. Poitiers est une des
premières villes du royaume de France à accueillir l’imprimerie. Une presse s’y installe en
1479, soit neuf ans, seulement, après Paris, et six ans après Lyon 770 . En outre l’existence de
l’imprimerie à Châtellerault est attestée dès 1620 771 , date marquant la domination de quelques
familles sur les presses de la cité 772 malgré les arrêts royaux qui interdisent l’exercice de
l’imprimerie dans la ville et les poursuites subies après la publication d’ouvrages Jansénistes.
1. L’imprimerie poitevine
Le premier ouvrage imprimé dans la capitale poitevine est le Breviarium historiae.
Une chronique imprimée en 1479 débutant à la création du monde et se terminant au
pontificat de Martin V qui meurt en 1431. Les premières œuvres sont imprimées à l’initiative
d’hommes d’Eglise et, plus rarement, par les lettrés et savants de l’université locale 773 . Le
deuxième incunable qui sort des presses poitevines en 1481 est une édition de l’Expositio
769
Les charpentiers de marine dépendent au même titre que les marins de l’inscription maritime créée par
Colbert.
770
Toulouse et Angers connaissent le procédé à base de caractères typographiques mobiles en 1476, De La
BOURALIERE (Augustin), Les débuts de l’imprimerie à Poitiers (1479-1515), Poitiers, 1873, p.6.
771
De La BOURALIERE (Augustin), Les imprimeurs et les libraires du département de la Vienne (hors
Poitiers), Poitiers, 1896, 1pp. 43-81.
772
A la famille Maréchal succède la famille Guimbert. Un de ses descendants, Jean Baptiste Guimbert,
s’illustrera plus tard sous la Révolution comme un ardent révolutionnaire.
773
L’université de Poitiers est fondée en 1431 par le pape Eugène IV, puis confirmée par les lettres patentes du
roi Charles VII. L’institution compte dès l'origine cinq facultés : théologie, droit canon, droit civil , médecine et
arts.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
super toto psalterio de Jean Torquemada 774 . Puis on imprime le Coutumier du Poitou en
1486, suivi du Missale diocesis pictavensis 775 .
Au XVI e siècle, l'université de Poitiers est reconnue comme la seconde université de
France, après Paris ; 4000 étudiants la fréquentent 776 . Ce foisonnement culturel et scientifique
rend l’imprimerie florissante. De véritables dynasties d’imprimeurs vont se succéder dans la
cité pictave 777 .
La religion a aussi joué un rôle primordial dans l’essor de l’imprimerie poitevine. Les
guerres de Religion et leur cortège de polémiques et de discussions théologiques ont favorisé
l’installation de presses à travers le Poitou.
Au XVI e siècle, de nombreux libraires sont déjà installés sous la halle couverte de la
foire de Niort. Néanmoins, la faible activité intellectuelle de la ville ne justifie pas
l’installation d’une imprimerie. La première presse date de 1569. Elle voyage dans les
bagages de la reine de Navarre, Jeanne d’Albret, qui fait imprimer à Niort, en janvier, deux
ordonnances portant sur la confiscation des biens ecclésiastiques 778 .
La paix revenue, la foire retrouve son dynamisme et les libraires sont de retour.
Désormais une lutte dialectique oppose huguenots et catholiques. Les pasteurs locaux doivent
faire face aux missionnaires jésuites, capucins ou oratoriens. Ces âpres débats théologiques et
politiques s’accompagnent de l’installation d’imprimeries dans les villes moyennes 779 . Une
première imprimerie, la maison Portau, s’installe à Niort en 1594 et se spécialise dans les
ouvrages de controverse religieuse, aux côtés des sujets de la R.P.R. Une période foisonnante
qui prend fin avec le siège et la prise de La Rochelle en 1627-1628 780 .
La méfiance du pouvoir à l’égard de l’imprimerie fait la fortune de l’impression
clandestine. Ainsi une partie des œuvres d’Agrippa d’Aubigné, le poète soldat calviniste
774 e
Juriste dominicain espagnol du XV siècle qui affirme que le pouvoir pontifical n’est soumis à aucune
condition, à aucun jugement ni à aucune sanction
775
« Le plus ancien monument imprimé de la liturgie poitevine qui ait été conservé », cf. De La BOURALIERE
(Augustin), Les débuts de l’imprimerie à Poitiers (1479-1515), op. cit., p.13
776
Parmi eux Joachim du Bellay, Guez de Balzac, François Rabelais, René Descartes ou Francis Bacon.
777 e
Au XVI siècle ce sont les Bouchets et les de Marnefs, puis ce sont les Mesniers au siècle suivant. Ensuite
viennent les Fleuriau et les Faulcons au XVIII e siècle. Enfin, les Barbiers et les Oudins qui se succèdent de la fin
de l’Ancien Régime au XX e siècle.
778
Quelque temps plus tard c’est Henri de Navarre, nouveau maître de la cité qui y publie son opinion quant aux
états de Blois, GENDRON (Christian), SURGET (Eric), Imprimer au pays des Deux-Sèvres, Niort, 1994, pp.12-
13. Cet article servira de base aux développements qui suivent.
779
Ces ouvrages théologiques se divisent en trois types : les exposés de doctrines, les récits de conversion et les
disputes.
780
Même si dix ans auparavant, les édits de Gaillac de novembre 1618 avaient renforcé le système de censure et
privilégié l’édition parisienne.
- 171 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
niortais, est imprimée par Jean Mussat, dans une petite île du marais Poitevin située à cinq
lieues de Niort 781 . Deux familles protestantes se partagent le monopole de l’imprimerie à
Niort au XVII eme siècle. Six à huit presses fonctionnent et diffusent la doctrine de Genève. Le
règne de Louis XIV va assombrir un peu plus le tableau de l’imprimerie protestante niortaise.
Vers 1661, l’imprimeur Rouhault décède, et son gendre, François Mathé, part s’installer à
Saint-Maixent. La maison Bureau, totalement vouée à la cause de la R.P.R., est victime en
1685 des dragonnades l’obligeant à mettre ses caractères de plomb au service des catholiques
pour inciter les huguenots au « changement ».
Au XVIII e , le pouvoir royal reprend en main l’imprimerie. Un édit de 1704 limite le
nombre d’imprimeurs dans le royaume en privilégiant seulement Paris, Lyon, Rouen et
Troyes 782 . Malgré cette prohibition, Saint-Maixent et Thouars 783 ont encore leurs imprimeries.
A Niort, la dynastie Elies commence son règne sur les presses de la ville. Il ne s’achèvera
qu’au siècle suivant. Désormais les presses n’impriment plus que des textes officiels des corps
constitués et quelques livres d’usage aux débouchés assurés.
Les controverses religieuses jouent également un rôle fondamental dans la genèse des
presses de Fontenay-le-Comte, capitale du bas Poitou. La ville est un des pôles intellectuels
de la Renaissance où le poète Nicolas Rapin, André Tiraqueau 784 , Pierre Brissot 785 , François
Viète 786 , Pierre Amy 787 , François Rabelais 788 , Henri de Sallenove, traducteur de Tite-Live, et
tant d'autres forment l'élite de la société fontenaisienne en justifiant la devise « Fontenay,
source de beaux esprits ».
L’imprimerie serait apparue à Fontenay dès 1550. Un certain Dargicourt en serait le
fondateur, mais peu de traces subsistent de son activité 789 . C’est à Pierre Petit-Jan 790 que l’on
781 A Maillé. De même une presse clandestine est également installée dans le château de la Forêt-sur-Sèvre pour
qu’on y imprime les mémoires du conseiller d’Henri de Navarre, Philippe Duplessis-Mornay. L’ouvrage subit
néanmoins les foudres des censeurs de la Sorbonne et devra être achevé à Amsterdam. L’imprimeur fautif, le
saumurois Jean Bureau, fonde tout de même la seconde dynastie d’imprimeurs de Niort.
782 Un autre édit de 1739 réitère cette restriction fort peu suivie alors que le jansénisme trouve un écho important
dans le royaume et indispose les autorités royales.
783 La ville de Thouars possède une presse depuis le milieu du XVII e siècle au service de la famille apanagiste de
la Trémouille, cf. GENDRON (Christian), SURGET (Eric), op. cit., p.39.
784 André Tiraqueau est un juriste célèbre, membre éminent du parlement de Paris.
785 Chirurgien en chef du roi d'Espagne, né à Fontenay en 1478, mort à Lisbonne en 1522, après avoir contribué
puissamment à faire substituer à l'empirisme arabe, les doctrines d'Hippocrate et de Gallien. Ses études sur la
saignée dans la pleurésie, le rangent parmi les précurseurs du célèbre médecin anglais Harvey.
786 François Viète a révolutionné les mathématiques en perfectionnant l'algèbre.
787 Pierre Amy travaille avec François Rabelais à l’étude des auteurs grecs et latins.
788 Rabelais a séjourné plusieurs années à Fontenay.
789 Ses descendants quitteront la France après la révocation de l’édit de Nantes pour se réfugier en Prusse.
- 172 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
attribue le véritable démarrage de l’imprimerie à Fontenay-le-Comte. Il s’y installe en 1605 et
y exerce son art pendant quarante années 791 . Ses travaux reflètent d’abord ses opinions
religieuses sensibles au protestantisme 792 , avant de rejoindre la contre-réforme quand l’hérésie
devient trop dangereuse.
Une grande partie de la population fontenaisienne adhère à la Réforme. La ville est un
tel enjeu des luttes religieuses et militaires qu’elle change de main huit fois entre 1562 et
1598.
Au XVII e et XVIII e siècles, les familles Blanchet et Poirier représentent l’imprimerie
fontenaisienne malgré l’arrêt du conseil du 31 mars 1739 supprimant les imprimeries de la
ville. Une interdiction réitérée par nouvel arrêt du conseil en 1759 793 . L’imprimerie trouve un
souffle nouveau avec l’arrivée en ville d’Ambroise Cochon de Chanbonneau dont la famille
est installée à Thouars depuis le XVII e siècle.
Les privilèges d’imprimerie limités par le pouvoir royal empêchent la diffusion des
presses dans le royaume. La Révolution va donner un élan nouveau à l’activité. Si dans un
premier temps elle abolit les restrictions anciennes limitant le libre exercice de
l’imprimerie 794 , le foisonnement des idées et la volonté du pouvoir révolutionnaire de diffuser
ses idéaux dans tout le pays provoquent une fleuraison d’imprimeries à laquelle de
nombreuses villes poitevines n’échappent pas. Il faut faire connaître les lois et décisions du
pouvoir central et il faut disposer d’actes pour la vente des biens nationaux ou l’émission des
billets de confiance.
C’est alors que l’imprimeur Ferré monte une presse aux Sables-d’Olonne puis une
autre à La Roche-sur-Yon en 1806, qu’il possède jusqu’en 1831 795 . Une seconde s’y ajoute en
1847 et occupe huit ouvriers 796 . Puis ils sont 150 à travailler dans le secteur en 1911, cette fois
790 Le nom de sa femme laisse penser qu’elle est la fille d’un des imprimeurs de Poitiers de l’époque.
791 FILLON (Benjamin), Notes pour servir à l’histoire de l’imprimerie…, op. cit., pp.4-10. Son fils Gratien fonde
même sa propre presse.
792 Il est cité au Parlement de Paris pour avoir imprimé un pamphlet de Georges Thompson, ministre de la
Chataigneraie, intitulé La chasse à la beste romaine. La notice de cet ouvrage est la suivante : « Où est réfutée le
XXIII e chapitre du catéchisme imprimé à Fontenay-le-Comte en 1607, et où est recherché et évidemment prouvé
que le Pape est l’Anti-Christ ».
793 On tolère tout de même que la veuve d’un des imprimeurs locaux puisse poursuivre son activité jusqu’à sa
mort.
794 Un décret du 5 février 1810 va à nouveau porter restrictions à la liberté d’impression : le nombre
d’imprimeurs par ville est à nouveau limité ; un brevet est nécessaire et un serment doit être prêté. La mise en
place du décret explique les enquêtes préfectorales de 1810 sur les imprimeries locales.
795 FILLON (Benjamin), Notes pour servir à l’histoire de l’imprimerie…, op. cit., p.50.
796 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
dans cinq établissements 797 dont deux occupent à eux seuls 76 personnes 798 . Une imprimerie
est également fondée à Luçon au milieu du siècle. Fontenay-le-Comte compte deux
imprimeries tout au long du XIX e siècle qui occupent une dizaine d’ouvriers 799 .
Le département de la Vienne et ses villes principales 800 ont des presses souvent
destinées à l’impression de documents officiels et administratifs. C’est le cas à Loudun, où de
vaines tentatives avaient déjà été tentées au XVII e siècle 801 . Une famille d’imprimeur s’y
installe, les Challuau et Bideau. Elle dirige en plus de sa presse loudunaise, des presses à
Luçon – qui restent en activité jusqu’à la fin du XIX e siècle – et des ateliers à Chinon.
A Châtellerault, l’imprimeur jacobin Guimbert vend sa presse à son ouvrier Louis
Drouault, dont la famille conservera le contrôle jusqu’en 1853, avant qu’un certain Blanchard
ne lui succède. Ce lettré très prolixe exerce cette activité pendant dix ans, jusqu’au rachat de
ses ateliers par Olivier Bichon, un ancien commis de la maison Oudin de Poitiers. Les ateliers
Bichon-Jacob, du nom de sa femme, exercent jusqu’à la fin du XIX e siècle 802 .
L’imprimerie apparaît à Montmorillon en 1794 sous l’influence d’imprimeurs venus
de Limoges 803 . Une seconde imprimerie existe aussi dans la sous-préfecture, plus
particulièrement spécialisée dans la lithographie, et dont le directeur fonde un des journaux
locaux, L’écho de Montmorillon. La Révolution permet à l’imprimerie d’atteindre Civray. Un
des protes 804 de la maison niortaise Elies s’y installe le 11 messidor an II. Mais la presse ne
fonctionne que deux années. Il faudra attendre 1837 pour que l’on imprime à nouveau dans la
petite cité des bords de la Charente.
A Poitiers, on compte trois imprimeries en 1847. La presse écrite locale est importante
et la vitalité intellectuelle de la cité certaine. Deux dynasties d’imprimeurs se détachent ; les
797
ADVd 10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers ébénistes, galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs,
employés de banque [1911 ; 1931].
798
Ce sont les imprimeries Turgot et Sevrant, cf. GAUTRON (Muriel), La Roche-sur-Yon, sa démographie, son
économie, sa société à partir du recensement de 1911, mémoire de maîtrise histoire, Institut Catholique d’Etudes
Supérieures, La Roche-sur-Yon, 1998, p.97.
799
ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849] &
ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873]
800
Sur les imprimeries de la Vienne et ses dynasties d’imprimeurs voir De LA BOURALIERE (Augustin), Les
imprimeurs et les libraires du département de la Vienne…, op. cit., 143 p.
801
Une presse itinérante y est installée à l’occasion de la réunion des députés de toutes les églises réformées de
France en 1619.
802
Une autre imprimerie cohabite avec la précédente à la fin du siècle. Celle-ci est créée en 1840 par Collet-
Drouin, un instituteur communal de la ville. Cinquante-six ans plus tard, cette imprimerie est dirigée par Henri
Rivière, dont le père a acquis la presse en 1850.
803
D’autres imprimeurs locaux se succèdent aux commandes de ces ateliers. Parmi eux, Socrate G. Jahyer, qui
dirige l’imprimerie de 1838 à 1849 et qui est à l’origine du journal de la ville, La Gartempe, journal de
l’arrondissement de Montmorillon.
804
Le prote est le contremaître d’un atelier typographique.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Barbiers, dont l’activité cesse en 1842, et les Oudins qui reprennent le flambeau la même
année et pour de très longues décennies. En 1869, 223 ouvriers s’affairent sur les presses de la
capitale du Poitou 805 ; 638 en 1894 et 400 en 1913 806 .
Au cours du XIX e siècle, d’autres localités du département de la Vienne ont une
imprimerie 807 . C’est le cas de Lusignan, en 1886, avec l’installation sur place d’un imprimeur
de la Mothe-Saint-Héray. Mais aussi du bourg de Mirebeau à partir de 1845, à l’initiative
d’un instituteur libre de la commune.
Comme dans les autres départements, chacune des sous-préfectures des Deux-
Sèvres 808 a une imprimerie, même si la guerre civile retarde le processus. C’est ainsi qu’une
imprimerie s’installe à Bressuire vers 1826 ; à Parthenay, de 1810 à 1818, puis en 1824 ; à
Melle à partir de 1833 ; à Saint-Maixent à partir des années 1900 sur les ruines de la filature
Blot.
En fait, si la Révolution a joué un rôle moins important dans la diffusion de
l’imprimerie dans les Deux-Sèvres qu’ailleurs, elle a provoqué la mise en place d’une
éphémère presse royaliste à Châtillon sur Sèvre 809 .
Enfin, à Niort, le monopole de la maison Elies est contesté dès les premières années
qui suivent la fin de l’Ancien Régime. En 1791, le Jacobin Louis Averti 810 s’y installe. Sa
brève activité lui laisse tout de même le temps de faire paraître le premier journal des Deux-
Sèvres. Tout aussi momentanée est la tentative du sieur Burgeaut et de l’établissement
Plisson, fondé par le baron Dupin pour les services de la préfecture. En fait, au XIX e siècle,
seules les imprimeries Depierris partagent le secteur avec la maison Elies. Originaire de
Haute-Garonne, Raymond Depierris fonde son imprimerie en 1791. Il est l’imprimeur officiel
de la municipalité et des tribunaux. En 1821, à la mort de sa veuve, ses enfants s’associent un
temps avant de se séparer. L’un s’installe à Luçon et l’autre reste à Niort, avant que son fils,
qui lui succède, parte s’établir à Poitiers, où l’activité est bien plus rentable.
805
ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures ADVd M12.113. Grèves [1894 ; 1902]
806
ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
807
Ligugé dispose aussi d’une presse au sein du monastère bénédictin Saint Martin.
808
CLOUZOT (Henri), SURGET (Eric), L’imprimerie à Niort et dans les Deux-sèvres, Niort, 1994, 306 p. Cet
ouvrage contient la liste complète des imprimeurs et des libraires du département.
809
En mai 1793, le conseil supérieur des vendéens s’y établit et y imprime l’Adresse aux Français rédigée par
les chefs royalistes (Bernard de Marigny, Des Essarts, de La Rochejacquelin, Lescure, Donnissau, Cathelineau)
après la prise de Fontenay.
810
Louis Averti est le fils d’un négociant de La Flèche et d’une nièce de Thomas Jean Main, le célèbre
chamoiseur niortais. Engagé politique, il signe sous le nom de Brutus et siège au conseil du département pendant
six ans. Pendant l’insurrection vendéenne, il centralise les forces républicaines à Bressuire.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Parallèlement à l’imprimerie, des papeteries se sont logiquement développées le long
des rivières de l’ancienne province du Poitou.
2. La fabrication du papier
C’est dans le bas Poitou, et plus particulièrement dans la vallée de la Sèvre nantaise 811 ,
que l’on trouve le plus de papeteries. Les premières s’y seraient installées au XVII e siècle, aux
environs de 1640. Au XVIII e siècle, en 1778, la province compte onze établissements
fabriquant le papier 812 dont neuf se localisent sur les rives de la Sèvre nantaise, autour de
Mortagne. Elles se situent dans les paroisses des Epesses, de la Verrie, de Saint-Pierre de
Mortagne, d’Évrunes, de Saint-Aubin, de Tiffauges et de Saint-Hilaire où trois papeteries se
sont installées. Les deux autres se trouvent à Sauze, près de Montmorillon, sur la Gartempe, et
à Saint-Benoît, le long du Clain près de Poitiers.
La papeterie poitevine connaît une relative vitalité à la fin de l’Ancien Régime, sans
comparaison cependant avec les papeteries angoumoisines. Les grandes villes des alentours
constituent les débouchés naturels à la production papetière poitevine ; Poitiers, mais aussi
Angers, Saumur, Tours, Les Sables-d’Olonne, La Rochelle et surtout Nantes. Le papier local
se vend rarement plus loin. La seule exception notable étant pour les papeteries vendéennes,
fournisseurs attitrés du Consulat et de l’Empire, qui profitent des spéculations du banquier
Ouvrard 813 . A cette époque la vallée de la Sèvre comprend neuf papeteries. Niort possède
également la sienne qui donne du travail à 80 personnes en 1814 814 .
La suite du XIX e siècle est caractérisée par une concentration des entreprises
papetières nord vendéennes. Aux alentours de 1850, il n’en reste que cinq. Deux d’entre elles
sont installées à Cugand et occupent 65 ouvriers. Une autre emploie 150 ouvriers à Tiffauges.
Enfin, les papeteries des Epesses et de la Verrie emploient respectivement 32 et 13 papetiers.
811 La vallée de la Sèvre nantaise est une des étapes du tour de France des compagnons papetiers au même titre
qu’Angoulême, l’Auvergne, les Vosges ou même la Hollande.
812 DEHERGNE (J.), Le Bas Poitou à la veille de la Révolution, Paris, 1963, p.136.
813 Gabriel Julien Ouvrad (1770-1846) est le fils d’un papetier de Clisson qui à 19 ans, en 1789, achète par
avance et pour deux ans toute la production de papier de la région qu’il revend avec bénéfice : la profusion
d’écrits et de livres lors de la Révolution font sa fortune. Associé à une maison nantaise il poursuit ses
spéculations (achat de biens nationaux, indemnités conséquentes pour les papeteries détruites lors de la guerre de
Vendée etc.) pour devenir un des plus grands argentiers du pays, cf. BERGERON (Louis), Banquiers,
négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire, Paris, 1978, p.156 et s. et TULARD (Jean)
(dir.), op. cit., v° Ouvrard.
814 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889]. La présence d’une papeterie dans
le chef lieu du département des Deux-Sèvres est encore attestée en 1853 bien que son activité soit très faible.
- 176 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Le mouvement de concentration de ce type d’entreprises se poursuit au gré des crises
ponctuant la seconde moitié du XIX e siècle. En 1875, 321 ouvriers travaillent dans cinq
papeteries. Ils ne sont plus que 240 sept années plus tard dans trois papeteries et 153 en 1883
employés dans deux établissements. En 1900, la principale entreprise de fabrication de papier
est l’usine Gouraud qui fournit de l’ouvrage à 327 ouvriers dont 122 femmes 815 .
La papeterie perdure ensuite le long des berges de la Sèvres nantaise jusqu’à l’entre-
deux-guerres. Période où la société des Papeteries de l’Ouest est dissoute, entraînant la fin des
établissements vendéens en 1934-1935 816 .
La Vendée n’a pas le monopole de la fabrication du papier dans le Poitou. Dans la
Vienne deux papeteries voient le jour, l’une installée à Iteuil et l’autre à Poitiers même 817 . La
première des deux emploie environ 70 ouvriers entre 1894 et 1902 818 et recycle les déchets de
toile de chanvre de la filature toute proche de Ligugé. Quant à la seconde, une trentaine de
personnes s’adonnent à la fabrication de papier dans ses ateliers en 1906 819 .
Carte 12 : principales papeteries poitevines au XIX e siècle :
Source : ADDS, ADV, ADVd.
815 Le commissaire spécial la qualifie « d’une des plus vieilles de France » lors de la grève des ouvriers papetiers
de mai 1900, ADVd 4M185. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires diverses. Arrondissement de
La Roche-sur-Yon (1894-1911).
816 SARRAZIN (Jean-Luc) (dir.), op. cit., p.379.
817 En 1832, le maire de Montmorillon parle d’une papeterie établie près de la ville, fabriquant du papier pour le
département d’Indre-et-Loire tout proche, ADV M12.22. Situation industrielle du département. Une autre est
recensée à Bonneuil Matour en 1869, cf. De LONGUEMAR (M.A), op. cit., p.40.
818 ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
819 ADV M12.114. Grèves et coalitions [1903 ; 1906].
- 177 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
f) Les chapeliers
Outre la chapellerie artisanale, des fabriques de chapeaux existent principalement à
Fontenay-le-Comte et à Niort.
La chapellerie marque de son empreinte la ville de Fontenay-le-Comte dès le XVIII e
siècle où est créée une manufacture en 1754 820 . Plus tard, les établissements Lopinot et
Maingueneau se distinguent sous le second Empire et la fabrique Gibelin, au début du XX e
siècle. Mais une fabrique se détache plus particulièrement, malgré un environnement jugé
encore une fois peu favorable aux initiatives industrielles 821 . Il s’agit de la maison Gandriau.
Celle-ci est fondée dans les dernières années de l’Ancien Régime. Toutefois, il faut attendre
1842 pour qu’elle apparaisse sous une forme moderne, loin des ateliers exigus des origines.
On y fabrique des chapeaux de feutre gris et des chapeaux vernis, dont la production s’arrête
en 1854 pour laisser place aux seuls chapeaux de laine 822 .
Le nombre de chapeliers est en constante augmentation à partir de la seconde moitié
du XIX e siècle. Cavoleau en dénombre seulement 60 en 1809 823 . Ce chiffre n’évolue guère en
quarante ans puisqu’une enquête communale de 1844 comptabilise toujours une soixantaine
d’ouvriers spécialisés en la matière 824 .
Le véritable décollage se produit durant la période libérale du second Empire, moment où
débute la modernisation des ateliers. On répertorie alors une centaine de chapeliers dans la
ville 825 , puis 200 en 1874 826 dans la seule fabrique Gandriau alors que le préfet estime, la
même année, qu’une autre des fabriques est aussi « prospère et importante » 827 . Cette période
correspond à l’aboutissement de la mécanisation des ateliers où des machines sophistiquées,
820 e e
GAUCHER (Michel), Les industries vendéennes au XIX et au XX siècles, Les amitiés sablaises, Les Sablesd'Olonne,
1978, p.11.
821
« Ce n’est pas à des circonstances locales particulières qu’est dû le développement considérable de cet
établissement. Fontenay n’était ni un marché de laine, ni un marché de poil, et la Vendée qui traverse la ville
serait loin de pouvoir fournir, par une chute, une source de force mécanique ; c’est grâce au travail soutenu des
fondateurs et des propriétaires successifs de l’usine, qu’elle a pu naître et se développer dans des conditions qui,
au premier abord, ne semblaient pas déterminantes » in TURGAN, Manufacture de chapeaux de laine et de poil
de M.S. Grandiau fils à Fontenay-le-Comte (Vendée), livraison 208 et 209 des grandes usines, Paris, 1877, 32 p.
cité par TESSIER (Daniel), La sous-industrialisation dans le Sud vendéen, mémoire de DES géographie, Nantes,
1974, p.16.
822
la matière première provient des lointaines contrées d’Argentine ou d’Australie, de la plus proche Espagne et
très subsidiairement de France.
823
CAVOLEAU (J.-A.) (annoté par de LA FONTENELLE DE VAUDORE (A.-D.)), Op. Cit., p.662.
824
ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
825
ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
826
ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
827
rapport préfectoral de l’année 1874 in ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière,
industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
- 178 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
animées par la vapeur, s’acquittent des tâches compliquées confiées jusqu’alors à une main
d’œuvre très qualifiée.
Le pic des effectifs chapeliers de Fontenay-le-Comte est atteint à la période charnière
entre le XIX e et le XX e siècle où le nombre d’ouvriers oscille autour de 350 personnes,
époque où la main-d’œuvre se féminise. Un nombre qui diminuera légèrement à l’approche
du premier conflit mondial ; 225 chapeliers en 1911 828 .
En 1863 la cité de Saint-Maixent comte cinq fabriques 829 , considérées comme plus
importantes que celles de Niort 830 dont une usine de chapeaux de soie 831 et d’autres de
chapeaux de feutre 832 . Parmi ces établissements celui des frères Couralleau se développe dans
la seconde moitié du XIX e siècle. On y produit des chapeaux souples en poils de lapin et de
lièvre 833 ou en laine du pays. Entre trente et quarante personnes confectionnent environ 25000
chapeaux en 1855 834 .
Enfin l’activité vivote à Niort, sans y représenter un véritable poids économique
conséquent. Sous l’Empire, seule une vingtaine d’ouvriers s’appliquent à façonner des
chapeaux communs « avec des laines d’agneau du pays, du département de la Haute-Vienne
et de celui de la Gironde, mêlées avec des laines d’Aragon 835 ». Plus tard, en 1850, une
dizaine de fabriques sont répertoriées et le double vingt ans après.
828
ADVd 10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers ébénistes, galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs,
employés de banque [1911 ; 1931].
829
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
830
BRUNET (Michel), op. cit., p.9.
831 e
Les enquêtes préfectorales du milieu du XIX siècle recensent une magnanerie à Saint-Maixent et une autre à
Thouars dans le Nord des Deux-Sèvres, cf. ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ;
1889].
832
GUYONNET (Jean), Histoire de la ville de Saint-Maixent des origines à nos jours, Poitiers, 1978, p.71.
833
Ce type de chapeau est la spécialité de Bordeaux et d’Aix-en-Provence.
834
BODIN (E.), op. cit., pp 137-138.
835
DUPIN (Claude), Mémoire sur la statistique du département des Deux-Sèvres, Niort, An IX, p.39.
- 179 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
g) Les carriers
Les carrières sont nombreuses dans la région, particulièrement dans la Vienne,
géologiquement bien pourvue. Souvent de faible envergure économique, elles semblent
appartenir au paysage. On y en comptabilise 950 en 1869 pour ce seul département, dont 50
souterraines 836 , alors qu’on en dénombre seulement une petite quinzaine dans les Deux-Sèvres
produisant des pierres à bâtir et des pavés 837 . Un nombre qui rendrait fastidieux un exposé
complet et détaillé des établissements se livrant à cette activité.
Hormis le tuffeau châtelleraudais, extrait des carrières de Lésigny, Antoigné ou
Vouneuil-sur-Vienne 838 , la Vienne a « des carrières de pierres tendres et de pierres dures, qui
comptent parmi les plus productives de France 839 », principalement localisées dans les
arrondissements de Civray 840 et surtout dans ceux de Poitiers et de Montmorillon, exploitées
par la Société des carrières du Poitou 841 .
Autour de la capitale poitevine sont également ouvertes d’importantes carrières dont certaines
souterraines, situées principalement dans les localités de Lavoux, Jardres, Tercé ou Migné qui
emploient 230 ouvriers en 1844 842 et 170 une trentaine d’années plus tard 843 .
Dans l’arrondissement de Montmorillon, des carrières importantes et réputées 844
existent tout autour de la ville de Chauvigny 845 . En 1865 on compte 200 carriers sur les 350
ouvriers recensés en ville 846 . A cette époque l’ensemble des carrières du département emploie
près de 600 carriers, extracteurs ou rouleurs de pierres 847 .
A côté d’activités historiques se démarquant quelque peu, il y a toute une multitude de
métiers moins remarquables mais occupant pourtant la plus grande portion des travailleurs de
la petite industrie. Parmi ces professions, celles du bâtiment et de l’habillement sont les plus
représentées.
836 De LONGUEMAR (M.A), op. cit.
837 On cite les communes de Niort, Souché, Saint-Pézenne et Vouillé, AN F12/4539 : Situation industrielle des
départements. Deux-Sèvres (1869-1887).
838 On y compte 46 carrières (dont 30 souterraines) occupant 150 ouvriers sous le second Empire, AM POITIERS
CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
839 BOISSONNADE (P.), Histoire du Poitou, op. cit., pp.292-293.
840 Aux environs des bourgs de Gençay, Charroux ou Blanzay.
841 Cette société devient Civet, Pommier & Cie à la fin du XIX e siècle.
842 ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
843 MARION (Jacques), Le mouvement ouvrier dans la Vienne (1871-1914), mémoire D.E.S histoire, Poitiers,
1963, p.21.
844 La pierre de Chauvigny a été utilisée pour construire le socle de la statue de la liberté à New York.
845 Là les carrières perdurent encore comme en témoigne l’activité de la société Rocamat.
846 ADV M4.71. Correspondances du préfet (1862-1865).
847 AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
- 180 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
B- La primauté des travailleurs du bâtiment et de l’habillement
dans la petite industrie
L’industrie dite des arts et des métiers, regroupe des savoir-faire que l’on peut
qualifier de proximité répondant à la demande immédiate de la population. Ces métiers sont
moins tributaires des matières premières, comme peut l’être la grande industrie, que des
débouchés immédiats à leurs productions. D’où des activités propres au tissus urbains 848 où
les productions, et parfois les services, trouvent preneurs facilement. Les secteurs du bâtiment
comme celui de l’habillement et de la toilette s’inscrivent dans ce cadre. Une réalité où le
travail féminin a une place extrêmement circonscrite à la confection textile.
a) La construction, une source importante d’emplois
En 1866, le secteur de la construction touche de près ou de loin 39 000 individus 849
soit environ 3,5% de la population poitevine.
Les Deux-Sèvres sont le département le plus en retrait en comparaison de ses deux
voisins. Néanmoins la Vendée, comptant plus de 3 000 personnes supplémentaires dans ce
secteur d’activité, est bien plus peuplée, ce qui la place dans la moyenne nationale, légèrement
au-dessus des 3%. En réalité c’est la Vienne qui se démarque réellement puisque le bâtiment
fait vivre près de 4,5% de la population. De grands travaux d’urbanisme de type
haussmannien sont entrepris à Poitiers à partir de 1864 suivant en cela la croissance
démographique de la ville qui est bien supérieure à celle du département à partir des années
1840 850 l’expliquent. A cette époque, l’arrondissement de Poitiers concentre 65% de la
population vivant du bâtiment dans la Vienne.
L’industrie de la construction est donc fortement dépendante des grands chantiers,
beaucoup plus nombreux en ville qu’à la campagne 851 . Cette caractéristique, liée aux effectifs
d’ouvriers – dont une grande part est sans attache – et au caractère aléatoire des emplois
soumis aux aléas climatiques, justifie la surveillance régulière effectuée par les autorités
municipales ou préfectorales. Les grèves qui ne manquent pas d’éclater dans le secteur en sont
848 35% de la population de Poitiers vit de l’artisanat en 1851, cf. COGNY (Luce), op. cit.
849 Individus réellement actifs dans le secteur, mais aussi les domestiques ou la famille des ouvriers concernés.
850 FAVREAU (Robert) (dir.), Histoire de Poitiers, Toulouse, 1985, p.307 & p.348 et s.
851 Plus de 50% des individus vivant du bâtiment en Deux-Sèvres sont concentrés dans l’arrondissement de Niort
et 41% dans l’arrondissement de La Roche-sur-Yon pour la Vendée.
- 181 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
l’illustration 852 tout comme la mise en place l’hiver d’ateliers de charité pour les maçons et
autres manœuvres sans travail.
Le bâtiment occupe un tiers des personnes vivant directement ou indirectement d’une
activité industrielle qu’elle soit grande ou petite 853 . On atteint même les 40% si on ne se réfère
qu’au monde artisanal 854 .
EFFECTIFS
16000
14000
12000
10000
Figure 10 : population 855 vivant de la petite industrie en 1866 :
8000
6000
4000
2000
0
13259
14799
10661
9-Industrie du
bâtiment
18
235411
457438
111
10-Industrie de
l'éclairage
11-Industrie de
l'ameublement
7881 8001 8121
12-Industrie de
l'habillement et
de la toilette
6620
- 182 -
4045
2649
13-Industrie de
l'alimentation
5363
1849
3310
14-Industrie des
transports
Vendée Vienne Deux-Sèvres
384 555
184
15-Industrie
relative aux
sciences
690
32 82 3
16-Industrie du
luxe et du plaisir
2392
0
17-Industrie de
guerre
Sources ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866], ADVd 6M1100. Etats statistiques
quinquennaux du département [1866 ; 1926], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du
département [1806 ; 1896].
Vingt-cinq ans plus tard, en 1891, le bâtiment représente toujours près de 4% de la
population globale de la région. On constate que les trois départements se situent dans cette
moyenne et qu’aucun d’entre eux ne se distingue plus comme c’est le cas en 1866. La plus
grande importance numérique du secteur en Vendée est toujours compensée par une
population totale plus nombreuse.
Les ouvriers du secteur se concentrent dans les arrondissements les plus peuplés
autour des chefs-lieux de département, La Roche-sur-Yon (43%) 856 , Poitiers (40%) et Niort
852
Voir Infra p.732 et 744.
853
On atteint même les 40% dans le département de la Vienne.
854
47% dans la Vienne.
855
Actifs (patrons et ouvriers), domestiques et familles.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
(32%).En 1891, le bâtiment fait vivre un quart de la population industrielle globale soit un
peu moins que vingt-cinq ans auparavant. Sa part dans la petite industrie reste stable par
rapport à 1866 si on tient compte de la mise à l’écart du secteur du transport dans les
recensements. Il fait vivre entre 40 et 50% des travailleurs et de leurs familles des arts et des
métiers selon les départements 857 .
EFFECTIFS
20000
18000
16000
14000
12000
10000
Figure 11 : population vivant de la petite industrie en 1891 :
8000
6000
4000
2000
0
17401
13998 14068
industries du
bâtiment
3042
2571
2547
9908
7107
5031
850 854
151 228 258 332 413 479 496
industries de
l'éclairage
industries de
l'ameublement
industries de
l'habillement et
de la toilette
- 183 -
9060
4112
5814
industries de
l'alimentation
industries
relatives aux
sciences et aux
lettres
Vendée Vienne Deux-Sèvres
industries du
luxe
698
11469
0
établissement
de l'Etat (arme,
tabac,
poudre…)
Sources ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891], ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1896], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département
[1806 ; 1896].
On ne note guère d’évolution dans la part que représente le bâtiment dans la
population active des trois départements. Elle correspond à environ un tiers des effectifs de la
petite industrie en 1866 comme en 1891 même si on distingue quelques particularités locales.
Cette fraction atteint 46% dans la Vienne du milieu du siècle ou 41% dans les Deux-Sèvres au
début de la dernière décennie du XIX e siècle.
Même constat quand on mesure le poids de ce secteur par rapport à la population active
industrielle globale de la région. En 1866, elle oscille autour de 25% 858 et autour de 20% en
856
Plus tard le développement de la station balnéaire des Sables-d’Olonne occasionnera un fort développement
local du bâtiment.
857
41% en Vendée, 49% dans les Deux-Sèvres et 47% dans la Vienne (34% si on enlève les effectifs de la
Manufacture d’armes de Châtellerault).
858
Seule la Vienne s’illustre par un taux de 39% en 1866.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
1891. La légère augmentation des effectifs des secteurs d’activité appartenant à la grande
industrie explique cette baisse minime. On est proche des chiffres nationaux. Le bâtiment
occupe un cinquième de la main-d’œuvre industrielle en 1860 et ne cesse de croître jusqu’au
début des années 1880 859 .
Le secteur du bâtiment, comme tous les secteurs à vocation artisanale, s’organise
autour d’établissements de très petites tailles. L’examen des chiffres fournis par les
recensements montre une proportion moyenne quasi-égale d’ouvriers et de patrons. La seule
exception se situe dans le département de la Vienne en 1866 où le ratio est de deux ouvriers
pour un patron qui s’explique partiellement par l’existence de chantiers importants à Poitiers.
Quelle que soit la période ou la région, deux types de professions regroupent la très
grande majorité des travailleurs : les métiers de maçon, de tailleur de pierre et de couvreur
constituent le contingent le plus important ; suivent les menuisiers et les charpentiers.
Si le monde de la construction est masculin et s’exerce en plein air, le second poste
important d’activité de la petite industrie, l’habillement, est dominé par les femmes exerçant
leur travail dans les espaces confinés de leurs domiciles.
b) « La toilette », apanage de la main-d’œuvre féminine
Ce secteur d’activité regroupe divers métiers ayant un lien plus ou moins direct avec le
vêtement ou de manière plus générale, l’apparence. On pense en premier lieu à la couture, à la
blanchisserie, aux tailleurs et aux teinturières. Il y a aussi toutes les professions qui touchent
à l’accessoire vestimentaire comme la chapellerie ou bien encore la cordonnerie, la saboterie,
les barbiers et perruquiers.
En 1866, près de 24 000 personnes subsistent dans l’ancienne province du Poitou
grâce à la confection et ses dérivés, c'est-à-dire environ 2,2% de sa population totale. Ce
secteur d’activité représente en Vendée 23% des personnes vivant des produits de la petite
industrie contre près d’un tiers dans la Vienne (27%) ou les Deux-Sèvres (29%) 860 . Cette
légère différence peut s’expliquer par le plus faible développement du tissu urbain vendéen, et
tout particulièrement de La Roche-sur-Yon, cité encore jeune.
859 BARJOT (Dominique), op. cit. p.223.
860 On y trouve, en plus des activités traditionnelles liées au vêtement, des chapelleries, à Niort ou à Saint-
Maixent, et de nombreuses cordonneries en marge de la ganterie et de la chamoiserie niortaises.
- 184 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
En 1891, le secteur de l’habillement conserve sa place de dauphin du bâtiment tout en
voyant ses effectifs fléchir quelque peu en comparaison des chiffres fournis par les
recensements de 1866. Ses travailleurs et leurs familles représentent, en moyenne, 2% de la
population de la région. Son poids reste stable dans la petite industrie vendéenne (24%) ou
dans celle de la Vienne (24%). En revanche, les Deux-Sèvres voient son contingent de
couturières, blanchisseuses et cordonniers, diminuer dans une importante proportion. Le
secteur perd 12 points en vingt-cinq ans. Il ne représente plus que 17% de l’ensemble des
personnes qui subsistent grâce aux revenus de la petite industrie. La baisse de la demande
locale due au ralentissement de l’activité économique et aux difficultés rencontrées par
certaines des industries majeures des Deux-Sèvres peut expliquer partiellement ce constat.
En 1866, l’habillement représente un gros quart de la population active de la « petite
industrie » dans les trois départements confondus 861 . Vingt-cinq ans plus tard cette part a
augmenté, même si les effectifs réels ont diminué dans le même laps de temps. Si l’artisanat
perd du terrain en cette de fin siècle, l’habillement se maintient. Il représente désormais un
tiers des travailleurs « des arts et des métiers ». En effet, la part de la confection et des
professions associées progresse dans la Vienne et la Vendée, respectivement de six et cinq
points 862 . Seules les Deux-Sèvres voient le pourcentage d’actifs du secteur diminuer – moins
trois points.
Cela contraste avec la relative stabilité constatée précédemment à propos de la
population globale vivant de l’habillement. Un pourcentage d’actifs en hausse laisserait croire
à une augmentation proportionnelle du nombre de personnes vivant indirectement de cette
activité. Or c’est ici que la taille des familles est la plus faible. En 1891, deux personnes sur
trois recensées dans l’habillement travaillent réellement et seulement un tiers en vit « par
ricochet ». Ce rapport est inversé dans les autres domaines d’activité. La famille représente les
deux tiers des effectifs globaux dans le domaine du bâtiment, sans parler des ouvriers de la
Manufacture d’armes de Châtellerault qui ne représentent qu’un cinquième de la population
globale vivant d’un salaire fourni par l’établissement militaire. Une particularité qui
s’explique par la prépondérance féminine dans le monde de la confection.
861 25% en Vendée, 29% dans la Vienne et 30% dans les Deux-Sèvres.
862 35% en Vendée, 37 % dans la Vienne et 27% dans les Deux-Sèvres.
- 185 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
1. « A l’homme, le bois et le métal. A la femme, le tissu et le
vêtement 863 »
En 1866, 56% des actifs de l’habillement dans la Vienne sont des femmes, 53% en
Vendée et 41% dans les Deux-Sèvres, des pourcentages pondèrés la présence importante
d’hommes chez les sabotiers et les cordonniers, professions elles aussi classées dans cette
catégorie du recensement. Néanmoins la couture et la confection en général, mise à part la
profession de tailleur, relèvent quasi-exclusivement du travail féminin.
En 1891, la part féminine des actifs travaillant dans l’habillement et la toilette
augmente de façon importante dans les trois départements. Désormais les femmes composent
les trois quarts de ces travailleurs 864 . La féminisation du secteur de la confection est une
réalité aussi bien régionale que nationale. En France, 78% des travailleurs de la confection
sont des femmes en 1866. En 1906 on atteint 89 % 865 .
Si cette progression s’explique en partie par une amélioration des procédés et des
méthodes utilisés lors des recensements, la cause principale de cette évolution est tout de
même le développement important de la confection à domicile 866 dans les villes et les villages
environnants. Les arrondissements de Poitiers et de La Roche-sur-Yon 867 concentrent la
moitié des travailleurs du secteur dans leurs départements respectifs 868 . Une ère nouvelle de
proto-industrialisation débute, même si on est loin dans la région des excès du
« pressurage » – également dénommé sweating-system – sévissant alors à Paris 869 . L’essor 870
et la baisse du prix de la machine à coudre 871 , à partir de 1880, facilitent et accélèrent la tâche.
On travaille à la commande comme sous-traitant pour les fournisseurs des grands magasins et
autres boutiques de vêtements. La spécialité finit de se féminiser. La concurrence est rude,
cadencée par le rythme saisonnier de la couture, d’autant plus que le travail en chambre n’est
863 e
Rapport ouvrier de 1867 cité par LAROULANDIE (Fabrice), Les ouvriers de Paris au XIX siècle, Paris,
1997, p.25.
864
74% en Vendée, 76 % dans la Vienne et 78% dans les Deux-Sèvres.
865
WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.241.
866
A l’époque l’expression « travail à domicile » est synonyme de « travail à l’aiguille » .
867
Plus d’un quart des travailleurs de l’habillement de l’arrondissement de La Roche-sur-Yon se concentre dans
le canton du même nom.
868
Le département des Deux-Sèvres échappe à ce constat. Ici l’habillement semble rester une activité rurale
suivant le modèle ancien de la proto-industrie. L’arrondissement de Niort (25%) ne concentre pas dans sa zone
les couturières et autres professions affiliées. Au contraire les effectifs sont distribués assez régulièrement entre
chaque arrondissement, avec une légère domination de Bressuire et de ses alentours (34%).
869
LAROULANDIE (Fabrice), op. cit., p.27 et s.
870
La Singer, cette « couturière de fer », pour reprendre l’expression de Madeleine Rebérioux in ARON (Jean-
Paul) (dir.), Misérable et glorieuse, la femme du XIX e siècle, Fayard, Paris, 1980, p.76, arrive des Etats-Unis en
France à la fin du second Empire.
871
Une machine à coudre que louent parfois les couturières, aggravant un peu plus une situation économique
déjà bien difficile.
- 186 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
pas soumis à la législation du travail qui se développe à l’époque 872 . La profession de
couturière est désormais accessible à toutes les jeunes filles en quête de revenus. Aucune
qualification n’est nécessaire. La couturière est jeune, – les femmes de moins de 20 ans
représentent 40% des femmes travaillant dans l’habillement dans l’arrondissement de La
Roche-sur-Yon 873 – sans enfant et rarement mariée. Les recensements indiquent également
qu’un nombre important d’entre elles exerce leur métier à leur compte sans être salariées.
La frontière est floue entre l’artisan indépendant et l’ouvrière rémunérée comme
chaque fois que le travail s’effectue à domicile, et où la dépendance envers de rares
commanditaires est forte.
Figure 12 : proportion de patronnes et d’ouvrières dans le secteur de
l’habillement et de la toilette en 1891 :
49%
- 187 -
51%
Patronnes
Ouvrières
Sources : ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891], ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1896], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
En 1866, la proportion de maîtres est plus grande que celle des ouvriers parmi les
travailleurs de l’habillement : 75% dans le département de la Vendée, 56% dans la Vienne,
mais 51% dans les Deux-Sèvres. On trouve encore beaucoup de petits artisans travaillant à
872 La femme adulte est exclue du bénéfice de la loi du 19 mai 1874 qui ne concerne que le monde industriel et
non celui exercé dans le cadre de la cellule familiale. De même la loi du 2 novembre 1892 limitant la durée du
travail de la femme adulte ainsi que celui exercé la nuit ne concerne pas le travail à domicile. Ce dernier échappe
également au texte de 1903 réglementant l’hygiène dans les ateliers de confection.
873 ADVd 6M1124. Etat des statistiques cantonales des professions. Arrondissement de La Roche-sur-Yon
[1891].

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
leur compte comme le cordonnier ou le sabotier. En 1891, cette proportion s’équilibre : on
dénombre un patron pour un ouvrier parmi les travailleurs de l’habillement 874 .
Le grand nombre d’entrepreneurs féminins, essentiellement des couturières, montre le
caractère proto-industriel de cette activité. Ici on travaille chez soi, la plupart du temps à façon
pour des clients, entrepreneurs ou particuliers, qui fournissent l’étoffe 875 . La femme chez elle
possède un statut plus proche de l’ouvrier que de l’artisan 876 et n’a aucune autonomie. Sa
production est strictement encadrée. Elle ne dispose pas de la liberté de travail et de
conception d’un artisan. Quant à sa rémunération, elle s’apparente à un salaire. D’une part
parce qu’il est forfaitaire, et d’autre part, en raison de la grande dépendance du travailleur à
domicile envers ses commanditaires réguliers, souvent une « sous-entrepreneuse » qui sous-
traite sa production. On peut parler « d’industrie à domicile salariée 877 ».
L’habillement occupe majoritairement la main-d’œuvre féminine très largement
minoritaire dans les autres secteurs en comparaison du nombre de travailleurs masculins.
2. Une main-d’œuvre féminine rare dans l’ensemble de
l’industrie et de l’artisanat
De nombreux auteurs estiment que le poids de la main-d’œuvre féminine est minoré
par rapport à la réalité et que l’on doit procéder à une réévaluation numérique, en particulier
dans les campagnes 878 . La consigne administrative selon laquelle les femmes ne sont
considérées comme actives que si elles exercent une profession distincte de leurs maris en est
une illustration. En quelques lignes, on nie l’existence du travail féminin des tisseuses des
campagnes comme des épouses d’artisans. Cependant il serait trop périlleux de tenter de
corriger les chiffres et ceci d’autant plus que jusqu’à une date très récente le statut de la
femme d’artisan ou d’agriculteur n’était pas défini.
874
Seules les Deux-Sèvres comptent une proportion légèrement plus importante de patrons que d’ouvriers :
environ 60%.
875
Charles Poisson décrit dans sa thèse trois types de couture : la grande, on y travaille en atelier où l’on
applique « les lois suprêmes de la dernière élégance », elle est spécifiquement parisienne ; la moyenne, où l’on
reproduit les modèles des grands couturiers dans des ateliers moins bien organisés ; la petite, où la femme
travaille à domicile à façon, « dans la camelote ». Cf. POISSON (Charles), op. cit., pp.70-72.
876
Sur la différenciation entre ouvrier et artisan chez le travailleur à domicile, voir GUILBERT (Madeleine),
ISAMBERT-JAMATI (V.), Travail féminin et travail à domicile, CNRS, 1956, p.9.
877
AFTALION (Albert), op. cit., p.22 et s.
878 e
SCHWEITZER (Sylvie), Les femmes ont toujours travaillé, une histoire du travail des femmes aux XIX et
XX e siècle, Paris, 2002, p.77 et s.
- 188 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
La faiblesse régionale de la grande industrie moderne organisée au sein d’ateliers
rationnellement structurés explique en partie la modicité du travail féminin mise en avant par
les recensements locaux du XIX e siècle. En effet, « plus le travail est mécanisé et déqualifié,
plus la proportion de main-d’œuvre féminine est importante 879 ». Ce cas de figure est assez
rare au XIX e siècle dans l’ancienne province du Poitou, si l’on excepte les quelques filatures
ou fabriques de tissus proches des grandes villes, de certains bourgs importants ou dans la
vallée de la Sèvre nantaise et les ateliers de mise en conserve des sardines de la côte
vendéenne.
Dans l’industrie et l’artisanat, le taux de main-d’œuvre féminine reste stable entre
1866 et 1891 et constitue environ 20% de la population active totale. Si cette stagnation se
retrouve au niveau national, la région est néanmoins en retrait quant au pourcentage de
femmes dans la population active industrielle. En 1866, on l’estime en France à un tiers du
total des personnes travaillant dans l’industrie et les arts et métiers 880 .
Figure 13 : pourcentage de travailleurs féminins dans la population active totale
de la grande industrie des trois départements en 1866 et 1891 :
13%
1866
- 189 -
87%
population active masculine population active féminine
879 NOIRIEL (Gérard), Les ouvriers…, op. cit., p.17.
880 Soit 1 269 700 femmes travaillant dans l’industrie en France en 1866, GUILBERT (Madeleine), La fonction
des femmes dans l’industrie, Paris, 1966, p.44.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
7%
1891
- 190 -
93%
population active masculine population active féminine
Sources : ADDS 7M4-2 & 7, ADVd 6M1100 & 1101, ADV 8M2.2 à 8M2.21.
Néanmoins d’importantes disparités apparaissent selon qu’il s’agit de la grande ou de
la petite industrie. En 1866, les femmes constituent 20% de la population travaillant dans
l’artisanat et 13% de celle exerçant une profession de la grande industrie. C’est en Vendée
que les femmes représentent un quart des actifs et constituent une part non négligeable des
travailleurs de la grande industrie (16%) contrairement à la situation des autres
départements 881 . Même constat dans les « arts et métiers » où la part des femmes dans la
petite industrie vendéenne est supérieure à la moyenne des trois départements puisqu’elle
compose 25% des actifs contre 20% dans la Vienne et 14% dans les Deux-Sèvres.
Figure 14: pourcentage de travailleurs féminins dans la population active totale
de la grande industrie des trois départements en 1866 et 1891 :
21%
1866
79%
population active masculine population active féminine
881 On compte respectivement dans les Deux-Sèvres et la Vienne 11,5% et 8,5% de femmes parmi les actifs de la
grande industrie.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
31%
1891
- 191 -
69%
population active masculine population active féminine
Sources : ADDS 7M4-2 & 7, ADVd 6M1100 &1101, ADV 8M2.2 à 8M2.21.
Vingt-cinq ans plus tard la différence entre les deux grands secteurs d’activité
s’accentue encore. Désormais les femmes des trois départements constituent 31% des actifs
exerçant un travail appartenant aux « arts et métiers », alors que leur place par rapport aux
hommes dans la grande industrie diminue considérablement puisqu’elle ne représente plus
que 7% des personnes.
Le travail féminin n’a pas suivi l’évolution nationale qui tend au développement de la
grande industrie et à l’augmentation de ses effectifs féminins. En effet cette main-d’œuvre
n’augmente pas en vingt-cinq ans, elle ne suit même pas l’augmentation naturelle de la
population totale de la région. Encore une fois c’est la Vendée qui s’illustre, même si c’est
timidement, avec une part de main-d’œuvre féminine dans la grande industrie de 11% contre
7% et 3,5% dans les Deux-Sèvres et la Vienne.
Au contraire, l’augmentation du pourcentage de femmes dans la petite industrie est
considérable : plus douze points dans la Vienne et les Deux-Sèvres et neufs en Vendée 882 .
Une évolution s’expliquant en grande partie par le développement du travail à domicile dans
le secteur de la confection dans le dernier tiers du XIX e siècle 883 .
En 1891, les couturières, blanchisseuses et autres teinturières représentent plus des
deux tiers du total des effectifs féminins de la région tous types d’industries réunis 884 . Ces
882
Part des femmes dans la petite industrie en 1891 : 34% en Vendée, 32% dans la Vienne et 26% dans le Deux-
Sèvres.
883
Voir supra p.181 et s.
884
10663 patronnes et ouvrières dans l’habillement et la toilette sur 15165 actives dans la grande et petite
industrie des trois départements réunis.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
professions constituent même plus des quatre cinquièmes de tous les actifs féminins de la
Vienne 885 , un département où la grande industrie, guère développée, offre peu d’opportunités
d’embauche à une main-d’œuvre féminine faiblement qualifiée, contrairement au nord-est de
la Vendée où le secteur textile emploie un nombre relativement conséquent d’ouvrières. Ce
secteur est le deuxième poste d’activité féminine. Il occupe 10% des actives des trois
départements, très loin derrière l’habillement. Seul le département de la Vendée abrite un
nombre significatif d’ouvrières dans ce secteur, quoique très faible comparé à d’autres
régions. En effet, la fin du XIX e siècle est marquée par une forte mécanisation du secteur
textile, une simplification des tâches qui conduit à une importante féminisation des effectifs
qui y sont employés. L’exemple du tissage lyonnais l’illustre puisque 95% de ses effectifs
sont des femmes en 1903 886 .
Le troisième poste de travail féminin est l’alimentation (7% des actives poitevines), en
particulier dans les métiers de la meunerie, de la boulangerie et de la restauration.
EFFECTIFS
5000
4500
4000
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
Figure 15 : répartition des actifs féminins par industries en 1891 :
0
262
1047
169
411
250
85
Industrie textile Grande industrie (sauf
1)
2494
- 192 -
4575
3594
241
657
149
220
739
272
Habillement Alimentation Petite industrie (sauf
3 & 4)
1 2 3 4 5
Deux-sèvres Vendée Vienne
Sources : ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891], ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1896], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
885
62% en Vendée et 68% dans les Deux-Sèvres.
886
Même si on constate qu’en 1866 les femmes représentent 45% de l’effectif total du secteur textile et environ
52% en 1901, POISSON (Charles), op. cit., p.15.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Il existe également quelques domaines très précis où les femmes représentent une part
non négligeable des effectifs d’industries moyennement pourvues en travailleurs en 1891.
Dans la Vienne il y a les activités relatives aux sciences et aux lettres, composées
essentiellement de la papeterie et de l’imprimerie, sous toutes ses formes, qui emploient 124
femmes sur un total de 420 actifs. C’est le cas également de l’industrie céramique vendéenne
où 188 femmes travaillent aux côtés de 462 hommes.
Enfin, il y a aussi les gantières et piqueuses du cuir niortais, 200 ouvrières un peu
perdues parmi la foule de près de 1900 ouvriers masculins que fait vivre encore cette activité
en difficulté.
Si les femmes sont loin d’être majoritaires dans la population active, la situation
change si l’on examine la composition des familles ouvrières où le nombre de femmes
domine. En 1866 comme en 1891, elles représentent les deux tiers des effectifs recensés
appartenant à l’entourage 887 de la population active industrielle.
Figure 16 : pourcentage de femmes et d’hommes dans les familles industrielles
des trois départements réunis en 1866 et 1891 :
Population
féminine
67%
1866
- 193 -
Population
masculine
33%
887 Les recensements rangent dans la catégorie famille les enfants et les conjoints mais aussi toutes les personnes
vivant des revenus d’une activité industrielle comme les personnes âgées ou les domestiques.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Population
féminine
66%
1891
- 194 -
Population
masculine
34%
Sources : ADDS 7M4-2 & 7, ADVd 6M1100 & 1101, ADV 8M2.2 à 8M2.21.
On a du mal à imaginer que toutes ces femmes restent « inactives ». Un certain
nombre d’entre elles doivent nécessairement aider le ou les hommes de la maison dans leurs
métiers quotidiens, tout particulièrement si le père, le mari ou le frère travaillent à domicile.
Toutefois il est impossible de chiffrer cette population laborieuse oubliée.
Quant au tiers masculin, il est composé principalement des enfants, et plus
particulièrement de ceux en bas âge, pas encore capables ou autorisés à travailler. Mais sur ce
point les recensements demeurent muets puisqu’ils ne différencient pas les travailleurs
mineurs des adultes 888 .
La faiblesse du travail féminin dans la plupart des secteurs d’activités industrielles et
artisanales est un indice supplémentaire du développement industriel modéré des
départements constituant l’ancienne province du Poitou. Une région où le lien ancestral avec
la terre n’est pas rompu.
888 Nous étudierons en détail le travail des enfants dans la partie consacrée à l’application des lois protectrices
des enfants mineurs et des femmes au sein du monde industriel, voir Infra p.499 et s.

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
II- L’ouvrier des campagnes ou la quête désuète d’harmonie
avec la terre
Jusqu’à l’aube du XX e siècle il nous est difficile de discerner, dans les campagnes,
ouvriers et paysans à l’aide des indications fournies par les archives. La catégorisation
rigoureuse des enquêtes statistiques cache une réalité beaucoup plus nuancée. Les individus
chargés des recensements doivent choisir arbitrairement pour chaque personne l’occupation
qu’ils jugent principale. L’administration peut ainsi, à loisir et selon ses objectifs, modeler la
réalité économique du département en le faisant apparaître comme fortement rural ou bien
plus développé industriellement qu’il ne l’est en vérité.
Néanmoins une chose est certaine. Des liens extrêmement étroits unissent la terre aux
ouvriers dans le Poitou comme dans la plupart des régions françaises.
La relation ancestrale attachant les habitants des campagnes à leur terroir perdure au
XIX e siècle, tout particulièrement dans les zones aux terres pauvres et aux techniques
agricoles guère innovantes. Le Poitou appartient à cette catégorie. Des auteurs parlent
d’archaïsme poitevin au même titre que périgourdin 889 . Ce constat établi pour l’Ancien
Régime reste valable pendant une très grande partie du XIX e siècle. Les progrès
agronomiques ou agricoles pénètrent difficilement dans le bocage vendéen, la Gâtine ou bien
encore certaines zones du sud de la Vienne.
L’ouvrier poitevin se reconnaît plus comme un paysan « en disponibilité de la terre »
que comme un membre de la nouvelle classe ouvrière. L’exemple des travailleurs du textile
l’illustre (A). Le niveau de vie supposé de l’ouvrier attire dans les campagnes (B). Toutefois
le lien est rarement rompu avec ses proches demeurés fermiers, métayers ou cultivateurs. La
concentration urbaine est très faible. Les bourgs et les faubourgs ne sont jamais loin des
champs. En outre quand des difficultés surviennent c’est vers la terre que l’on se retourne
comme en témoigne la prédominance des grèves printanières 890 et le retour à la terre des
chômeurs (C).
889 DAVIET (Jean-Pierre), Nouvelle histoire économique de la France contemporaine : 1.L’économie
préindustrielle (1750-1840), Paris, 1993, p.26.
890 Voir infra p.754.
- 195 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
A- Des travailleurs textiles profondément enracinés à leur terroir
Le travail du tissu constitue généralement le meilleur moyen de concilier les travaux
des champs et une activité industrielle ou artisanale d’appoint, il joue […] encore un rôle
essentiel dans les campagnes où ilst toujours l’activité complémentaire d’une agriculture
souvent pauvre ».
On ne fait marcher le métier que quelques mois. En 1827 le sous-préfet de
l’arrondissement de Parthenay constate que les trois ateliers où l’on fabrique des étoffes en fil
de laine barrée ne sont actionnés qu’une partie de l’hiver et au printemps 891 .
Les industries textiles restent très dispersées, en dehors des villes, telles que les siècles
passés les ont laissées 892 . On élève des moutons pour leur laine qu’on peigne, file et tisse.
Dans le canton de Celles le rapport établi après l’enquête économique et sociale de 1848 parle
de tisserands ne travaillant « que pendant six mois de l’année environ » 893 .
Les tisserands du Maine cherchent à s’adapter aux nouvelles productions pour garder
le plus longtemps leur mode de fonctionnement séculaire loin des ateliers. Ainsi ils passent du
lin au chanvre, cultivé sur place 894 , pour tenter de résister au coton provenant de l’étranger.
Cet attachement à la terre est encore plus important quand une pression
démographique forte s’ajoute à la pauvreté du pays 895 . La Vendée choletaise en est la parfaite
illustration 896 , particulièrement le bocage vendéen, « le grand atelier de la fécondité
vendéenne 897 ».
L’augmentation de population entraîne inéluctablement l’exode 898 . Toutefois il n’est
pas massif dans un premier temps. Nombre de vendéens restent extrêmement attachés au
bocage et à ses bourgs aux communautés renfermées sur elles-mêmes. Si bien que les familles
paysannes doivent trouver des activités d’appoint sur place afin de subvenir à leurs besoins.
Certains s’engagent quelques mois comme bûcherons ou sabotiers dans le pays de Mervent,
comme carriers, terrassiers ou manœuvres dans le bâtiment ou le long des lignes de chemin de
891 er
Tableau de la statistique industrielle de l’arrondissement de Melle au 1 janvier 1827, ADDS 10M17.1.
Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
892
PINARD (Jacques), op. cit., p.75.
893
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 1), op. cit., p.515.
894
Notamment en Mayenne.
895
LEFRANC (Georges), Histoire du travail et des travailleurs, Paris, 1975, p.243.
896
La Vendée est considérée alors comme l’un des dix départements les plus féconds de France.
897 e
REGOURD, L’industrialisation de la Vendée au XIX siècle, op. cit., p. 32.
898
Près de 10 000 vendéens vont s’exiler entre 1890 et 1930, en particulier dans le Sud Ouest de la France.
- 196 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
fer en construction. Mais avant tout c’est naturellement et traditionnellement vers le travail du
textile à domicile qu’une grande partie de ces populations se tourne.
Le travail du tissu ne demande guère d’investissement. Il est accessible à toute la
maisonnée : aux enfants les travaux préparatoires, aux parents le tissage et le travail des
champs. « L’homme ourdit, les enfants font les cannettes, les femmes et les filles brodent [ou
filent]. Toute ferme, toute métairie est un atelier 899 ». En juillet 1863 le sous-préfet de
Bressuire constate ainsi que « le plus grand nombre des tisserands est aujourd’hui occupé aux
travaux agricoles, mais les moissons terminées, ils reviendront à leurs métiers 900 ».
Cette activité rurale est prônée par les très influents curés locaux, rejoignant en cela
certains moralistes et économistes de l’époque 901 , qui jettent l’anathème sur les ateliers où la
promiscuité règne ce qui favoriserait le vice et la débauche. « Les grandes usines brisent les
liens familiaux, le travail à domicile les renforce 902 ». A Saint-Maixent les rapporteurs de
l’enquête économique et sociale de 1848 préconisent le retour aux travaux agricoles afin
d’améliorer la situation des ouvriers en souffrance 903 .
La volonté de préserver son indépendance, que le lien de subordination du contrat de
travail implique, s’ajoute aux considérations morales et religieuses. Devenir un ouvrier à plein
temps c’est renier son identité. Cet état d’esprit prévaut dans le bocage et les bourgs
vendéens.
« Dans de nombreuses familles, on préfère un manque de gain
appréciable et souvent nécessaire, plutôt que d’envoyer les enfants à
la fabrique. Cet état d’esprit provoque longtemps la scission
bourg/campagne. Dans beaucoup de communes des Mauges, il faut
attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que des
agriculteurs acceptent d’envoyer leurs enfants travailler à l’atelier.
899 REYBAUD (Louis), Le coton, son régime, ses problèmes, son influence en Europe, Paris, 1863, p.146
900 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
901 Jules Méline, homme politique et ancien président de l’assemblée nationale est un de ces apôtres du retour à
la terre et de la France agricole. En 1905, il loue les vertus du travail à domicile : « Au point de vue de l’hygiène
morale, les résultats de ce progrès nouveau seront plus considérables encore. De toutes les manières d’arracher
l’ouvrier au cabaret, à l’alcoolisme et aux vices inséparables de la promiscuité des ateliers, il n’en est pas de
meilleure que la reconstitution de la vie de famille par le travail en commun », MELINE (Jules), Le retour à la
terre et la surproduction industrielle, 1905 cité par VANDERPOOTEN (Michel), Les campagnes françaises au
XIX e siècle, Nantes, 2005, p.173.
902 DUVEAU (Georges), op. cit., p.250.
903 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., p.460.
- 197 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
C’était une déchéance que de devoir perdre son indépendance en
devenant ouvrier : la terre doit nourrir la famille 904 ».
L’ouvrier des campagnes veut rester maître de son emploi du temps, du rythme de son travail.
Il opère un calcul entre revenus et temps libre. Une chanson populaire critique cette apparente
indolence des tisserands choletais 905 :
« Tous les lundis, ils s’ont font une fête ;
Et le mardi, ils ont mal à la tête ;
Le mercredi, ils vont changer leurs pièces ;
Et le jeudi, ils vont voir leur maîtresse ;
Le vendredi, ils travaillent sans cesse ;
Le samedi, la pièce n’est point faite,
Et le dimanche, il faut de l’argent, Maître. »
Un refrain traduisant également la méfiance des paysans, que l’on pourrait qualifier
« d’authentiques », envers les tisserands, éternels endettés, faisant marcher le commerce
choletais plutôt que celui des magasins locaux 906 . Ainsi, si ceux qui travaillent le textile sont
toujours des ruraux, ils forment petit à petit une communauté à part dans le monde
campagnard de la Vendée choletaise. En 1850 un curé de Saint-Hilaire-de-Mortagne constate
amèrement que les bons, honnêtes et laborieux tisserands de sa paroisse commencent à être
« gâtés par les rapports qu’ils ont avec Cholet » et qu’ils « ne s’occupent en aucune sorte de
remplir leurs devoirs religieux 907 ». Un exemple de plus qui confirme les observations de
Gérard Noiriel affirmant que « les paysans qui se spécialisent dans une activité industrielle
finissent par former un groupe distinct des autres tant par la mentalité que par les choix
politiques 908 ».
Le patronat du « rayon choletais » tarde aussi avant de pousser les tisserands des
campagnes à rejoindre les ateliers.
904 CHAUVET (A.), Le bourg industriel de la Vendée choletaise, op. cit., p.51.
905 DEWERPE (Alain), Le monde du travail…, op.cit., pp.62-63.
906 Rapport du commissaire spécial au préfet de Vendée (1894 ?) à propos du canton de Mortagne et de ses
ouvriers, ADVd 4M185. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires diverses. Arrondissement de La
Roche-sur-Yon (1894-1911).
907 RONDEAU (Jean-Louis), Les ouvriers d’usine en milieu rural : Mortagne sur Sèvre en Vendée. Etude
comparative de deux groupes d’origine professionnelle différente, thèse psychologie, Paris, 1971, p.273.
908 NOIRIEL (Gérard), Les ouvriers…, op. cit., p.55.
- 198 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Dans un premier temps la souplesse du mode d’organisation proto-industriel prime sur
d’autres contraintes économiques. Chaque unité de production est reliée par des fils invisibles
menant au fabricant. Dans ce système sans contrat de travail la main d’œuvre est malléable,
elle peut varier en fonction de la demande. Certains frais inhérents à l’atelier son évités. Le
capital fixe est réduit au minimum ; aucun immeuble n’est à acquérir et les outils
appartiennent généralement aux ouvriers. La rémunération du travail est moins élevée qu’en
atelier, l’employeur prétextant qu’il s’agit d’une activité complémentaire. Quant à la
législation protectrice des travailleurs elle est ignorée à l’ombre des caves familiales. Le
travailleur à domicile, bien plus soumis que son cousin des ateliers, demeure très longtemps le
grand oublié du législateur.
L’industriel Blot-Bardet exprime clairement sa préférence pour les ouvriers des
campagnes : « L’isolement de l’ouvrier, son habitation hors des villes, sa vie de famille au
milieu de la campagne sont à mes yeux le meilleur préservatif (sic) contre les conflits, les
grèves et les chômages volontaires 909 ». Les entrepreneurs préfèrent s’adapter aux aspirations
« casanières » de cette main d’œuvre docile plutôt que de faire venir une main d’œuvre plus
qualifiée et prête à travailler en atelier mais réputée très indisciplinée. « Une telle main
d’œuvre présente des caractères de docilité et d’accommodement que n’ont pas les
authentiques prolétaires 910 ».
La même politique est mise en place dans les mines de Faymoreau où la direction
comprend rapidement ce qu’elle peut gagner en formant sa propre main-d’œuvre au détriment
des mineurs expérimentés venus d’autres régions de France. Le paysan local est jugé robuste
et docile. Les enjeux politiques et les luttes sociales lui sont étrangers.
Cette « symbiose » entretenue par les ouvriers avec la terre ne concerne pas
uniquement le secteur du textile. La terre représente partout, à des échelles différentes, la
vraie valeur quelque soit le domaine d’activité industrielle 911 .
L’importance de la propriété foncière 912 , accentuée dans l’imaginaire collectif par la
Révolution française, explique en partie ce sentiment profond. On a du mal à quitter un lopin
909 En 1873 Blot-Bardet est maire de Châtillon-sur-Thouet (commune située dans le prolongement de Parthenay)
et dirige une filature employant une soixantaine de personnes. AN C 3023, cité par ARCHES (Pierre), Une ville
et son maire, Parthenay en 1872, op. cit., p.130.
910 PERROT (Michelle), les ouvriers en grève en France (1871-1890), t.1, Paris, 1974, p.157.
911 Dans les années 1860-1865 on note une amplitude de 38% entre les effectifs ouvriers de novembre et ceux
d’août, cf. MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), op. cit., p.178 et s.
912 En 1789 Arthur Young compare les campagnes françaises et anglaises et témoigne de l’importance de la
propriété individuelle dans le royaume de France. Voir également WINOCK (Michel), La France politique
(XIX e -XX e siècle), Paris, 1999, p.56 et s.
- 199 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
de terre que l’on possède et que ses aïeux ont possédé. Les métayers et les fermiers,
particulièrement nombreux dans le bocage vendéen, souhaitent accéder un jour à la propriété,
et pour cela ils multiplient les efforts. Les économies réalisées grâce à une activité annexe
doivent permettre de réaliser « son rêve de terre » 913 . L’entrepreneur Blot-Bardet s’en fait
l’écho quand il affirme que « l’ouvrier est égoïste, [il] vit chez lui, sans cesse préoccupé
d’augmenter son avoir 914 ». L’horizon de ces travailleurs est avant tout campagnard.
Ainsi les travailleurs des campagnes partagent leur temps dans l’année entre
l’agriculture, l’industrie et l’artisanat. Il est difficile de connaître l’occupation principale des
chaufourniers et des tuiliers, véritables parangons de l’ouvrier paysan 915 . Les dockers des
Sables-d’olonne diversifient également leurs occupations entre le déchargement des bateaux
de bois ou de charbon et les travaux agricoles, auxquels s’ajoutent de temps à autre des
embauches dans les conserveries de sardines.
Ce lien puissant unissant les hommes et la terre s’applique également tout autant à des
professions qui semblent, à priori, être très éloignées des archaïsmes ruraux.
B- L’attirance du monde rural pour l’industrie
« Tout au long du siècle, dans chaque mineur sommeille un paysan 916 ». Un constat
qu’illustre Le Mémorial des Deux-Sèvres au mois d’août 1912 quand il fait allusion aux
« travailleurs à la mine [de Saint-Laurs] qui joignent généralement à leurs salaires les
revenus de petites cultures 917 ». Ainsi la culture de son propre champ apparaît comme
fondamentale dans l’esprit des mineurs du bassin houiller du bas Poitou, majoritairement des
journaliers agricoles issus du pays à partir de la fin du XIX e siècle 918 . En 1895 Saint-Laurs est
913
Sur l’importance de la thésaurisation chez les ouvriers paysans en comparaison de l’ouvrier d’usine citadin
voir PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.212 et s. Voir également le témoignage consacré au
ouvriers des forges de Guérigny dans la Nièvre et l’éloge de l’ouvrier paysan in THUILLIER (Guy), Les
ouvriers des forges nivernaises…, op. cit., p.124 et s. et p.319.
914
ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit., p.131.
915 e
A l’aube du XX siècle les chaufourniers sont souvent solidaires des ouvriers agricoles en grève, cf. Le
Publicateur du 14 mai 1911 et ADVd 4M191. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon.
916 e e
COOPER-RICHET (Diana), le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France (XIX -XX siècles), Paris
2002, p.26.
917
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 24 août 1912.
918
La relative modestie des houillères du bas Poitou explique qu’on se contente le plus souvent d’une maind’œuvre
locale, cf. COOPER-RICHET (Diana), le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France (XIX e -XX e
siècles), Paris 2002, p.26 et s. Toutefois même quand les mineurs ne sont pas originaires de Vendée, ils vivent
« chez le paysan ou avec lui ». La seule catégorie ayant rompu à Faymoreau avec le monde rural est celle des
- 200 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
décrit comme un paisible village de laboureurs, des ouvriers « tous recrutés parmi les paysans
de l’endroit, et [qui] ont conservé les allures, le caractère et les mœurs de leurs camarades
qui labourent la surface du sol dont eux-mêmes fouillent les profondeurs 919 ».
Une situation semblable à celle des mines de Carmaux où le directeur souligne en 1865 que la
majorité de la main-d’œuvre est composée « de propriétaires qui possèdent presque assez de
bien pour vivre en le travaillant ». De toutes les façons, « propriétaire ou non dès qu’il est
sorti de la mine le mineur redevient […] un cultivateur » ajoute le directeur. Ici près 13% des
ouvriers du fond – soit une centaine d’individus – s’absentent pendant les travaux des
champs 920 .
Plus tard les mouvements de grèves de 1910 à Saint-Laurs comme à Faymoreau visent
à empêcher les modifications des horaires de travail voulues par la direction afin d’abolir ces
habitudes. On cherche à éviter que les mineurs n’épuisent leurs forces dans des travaux
agricoles qui les occupent quand ils ne sont pas dans les puits. Cette besogne supplémentaire
fatigante, provoque une baisse de la productivité et augmente le risque d’accidents. Ces
raisons poussent la compagnie à vouloir avancer l’heure de la descente et retarder l’heure de
la remontée, l’augmentation du temps passé dans les galeries étant compensée par une longue
période de repos au fond 921 . Ainsi le mineur ne peut plus travailler la terre.
Les mineurs sont loin d’être les seuls dans cette situation. En 1880, le commissaire de
police de Niort insiste sur le lien viscéral des ouvriers de la ville avec la campagne : « tous les
ouvriers ici, ou à peu près tous, possèdent un petit lopin de terre dans les environs de la ville,
ils sont presque tous mariés, et le Dimanche ils vont avec leur famille passer la journée à la
campagne 922 ».
A la Manufacture d’armes de Châtellerault les attaches avec le monde agricole sont
loin d’être rompues. A partir des années 1870 nombre d’armuriers sont originaires des
campagnes alentours. Le sous-préfet de la ville souligne en 1871 cet exode agricole : « il y a
une tendance excessivement marquée chez les cultivateurs à abandonner les travaux des
verriers comme l’indique l’ingénieur Léon Devillaire en 1873, AN L3020 cité par REGOURD (Florence),
Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.131.
919
Annuaire des Deux-Sèvres, 1895, p.56.
920
TREMPÉ (Rolande), Les mineurs de Carmaux…,op. cit., p. 190 et s.
921
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911] et ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ;
1914].
922
Rapport du commissaire de police de Niort du 30 octobre 1882, ADDS 11M8.1. Syndicats professionnels :
correspondances, rapports, listes [1848 ; 1884].
- 201 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
champs pour travailler à la manufacture d’armes où le salaire est plus en rapport avec leurs
besoins 923 ». En trois mois, 113 cultivateurs sont embauchés.
La presse dénonce cet exode nuisant aux ouvriers de formation. La Manu « ne
pourrait-elle pas engager des ouvriers qui soient autres que des ouvriers agricoles dont la
présence aux champs est plus logique ? » se demande Le Mémorial du Poitou en février
1888 924 . L’Eclaireur de la Vienne, de tendance socialiste, trouve une réponse à cette
interrogation. « Le directeur de la Manu préfère embaucher des propriétaires campagnards 925
plutôt que des ouvriers de métiers moins sujets à courber l’échine » 926 . L’homme des
campagnes serait moins prêt à revendiquer. Son lopin de terre lui offrirait des moyens de
subsistance d’appoint. En outre il ne possèderait pas encore ce sentiment d’appartenance à
une classe sociale particulière poussant à s’unir et à protester.
Généralement ce sont les rémunérations plus élevées qui poussent le paysan à
rejoindre les rangs du monde ouvrier que ce soit dans les ateliers de Châtellerault ou bien dans
les puits de houille du bas Poitou. Une concurrence salariale que constatait déjà l’enquête de
1848 sur le travail agricole et industriel 927 ou bien encore un rapport du sous-préfet de Civray
en 1864 928 . Michelet s’en fait l’écho en 1846 à propos du mouvement poussant les paysans
vers les mines :
« Le paysan ne se laisse pas effrayer par les plaintes de l’ouvrier,
par les peintures terribles qu’on lui fait de sa situation. Il ne
comprend pas, lui qui gagne un ou deux francs, qu’on puisse être
malheureux avec des salaires de trois ou quatre francs 929 ».
Et puis, pour un travailleur des champs, les mines présenteraient l’avantage d’être à l’abri des
intempéries, protégé au fond des galeries ! Un argument pratique apparaissant bien
négligeable et pourtant maintes fois évoqué.
923
Rapport du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 27 septembre 1871, ADV M4.80.
Correspondances du préfet (1871-1881).
924
Le Mémorial du Poitou du 15 février 1888.
925
Les propriétés se résument à quelques ares de terre ne permettant pas d’en tirer grands revenus.
926
L’Eclaireur de la Vienne du 29 juillet 1888.
927
« On abandonne la charrue pour l’atelier parce que le prix de la journée de travail est beaucoup plus élevé
pour l’artisan qu’il ne l’est pour le laboureur » selon l’enquête menée à Beauvoir en Vendée.
928
Le sous-préfet constate que les salaires des ouvriers de son arrondissement tendent toujours à augmenter au
préjudice de l’agriculture qui s’en plaint beaucoup, rapport de quinzaine du sous-préfet de Civray au préfet de la
Vienne (1864), ADV M4.71. Correspondances du préfet (1862-1865).
929
MICHELET (Jules), Le peuple, Paris, 1846, p.65.
- 202 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
A la fin du XIX e siècle des inspecteurs du travail constatent un effet pervers de
certaines dispositions de la loi du 19 mai 1874 imposant le travail à mi-temps aux enfants les
plus jeunes ou dépourvus de livret attestant leur instruction. En effet le manque à gagner
provoqué par les dispositions légales pousse les parents à retirer leurs enfants des ateliers pour
les mettre au travail dans les champs, là où aucune contrainte légale ne s’impose 930 . Une
menace qui prouve bien que le lien entre l’industrie et la terre demeure vivace dans la région.
Cette relation entre l’industrie et les campagnes est également flagrante quand le
chômage frappe.
C- La terre, un palliatif au chômage
Lors des périodes où le chômage sévit de nombreux armuriers de la manufacture de
Châtellerault regagnent les campagnes où ils trouvent du travail, tout particulièrement lors
des moissons. En février 1894, à la veille d’une vague de licenciements massifs 931 , le sous-
préfet de Châtellerault estime que les ouvriers issus de la périphérie rurale ne souffriront
guère de la perte de leurs emplois puisqu’ils trouveront une occupation agricole. Seuls les
armuriers étrangers au département et principalement ceux résidant dans la ville elle-même
« auront à traverser une passe extrêmement pénible » 932 .
L’ouvrier châtelleraudais semble ne pas disposer d’alternative au travail agricole pour
compenser la perte de son travail à la manufacture. Outre la faiblesse du tissu économique
régional, son savoir-faire serait trop spécialisé et l’empêcherait de trouver d’autres types
d’emplois à l’intérieur du secteur métallurgique. On le déplore en 1858 quand on remarque
que : « les ouvriers exclusivement voués à la fabrication de certaines pièces dans lesquelles
ils excellent sont complètement dépourvus d’une habileté suffisante pour s’adonner à d’autres
industries en temps de chômage ». Même constat chez Duveau quand il compare l’ouvrier en
arme de Châtellerault à celui de Saint-Étienne : « l’armurier de Saint-Étienne qui possède lui-
930 Rapport de l’inspecteur Landois (12 e circonscription) du 1 er janvier 1886 au ministre du Commerce, AN
F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
931 On prévoit près de 5 000 licenciements. La direction de la Manufacture prévoit de restreindre son activité un
an plus tard. Aucune grosse commande ne suit la commande de l’Etat russe qui a fait prospérer l’établissement
d’Etat.
932 Rapport mensuel du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 28 février 1894, ADV M4.85.
Correspondances du préfet ; voyage du ministre de l’instruction publique, mort de Sadi Carnot ; mort
d’Alexandre III (1894).
- 203 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
même sa petite forge témoigne d’une toute autre souplesse professionnelle que son camarade
de Châtellerault 933 ».
Le retour à la terre, palliatif à l’inactivité dans l’atelier est très répandu. C’est un
moyen facile de trouver du travail ne nécessitant pas de savoir-faire particulier. Les tisserands
du rayon choletais y ont recours, même si certains préfèrent, dans les années 1860, essayer
d’obtenir du travail sur les lignes de chemin de fer en construction 934 .
Parfois l’ordre est inversé. Des cultivateurs occupent leurs périodes creuses par des
activités industrielles ou assimilées. Il s’agit ici aussi de labeurs simples, mais physiques, ne
nécessitant pas de compétences particulières, fréquemment des emplois de terrassiers sur des
chantiers de construction. Cette main d’œuvre rurale est utilisée par les entrepreneurs au gré
de leurs besoins. En 1863, à l’Aiguillon en Vendée, des paysans sollicités pour travailler sur
un chantier protestent contre les maîtres maçons qui les appellent sans les embaucher une fois
sur place.
En fait cette activité agricole est rarement accidentelle. Le rythme des saisons dicte
l’emploi du temps et les caprices du temps s’imposent aux industries rurales.
Le secteur du bâtiment et les tisserands de Vendée souffrent chaque année d’une longue
période d’inactivité pendant les mois d’hiver 935 . D’autres travailleurs textiles ne s’occupent de
leurs métiers qu’à la morte-saison. On extrait le sucre des betteraves uniquement l’hiver. Les
scieurs de long occupent les forets de novembre à mars puis troquent aux beaux jours leurs
scies et leurs haches contre les outils de la ferme 936 . Même les mineurs de Faymoreau et de
Saint-Laurs quittent les puits pour les chaumes quand vient l’été 937 .
L’alternance des rythmes climatiques nuit à une industrie qui n’est pas encore libérée
de sa dépendance à l’égard de dame Nature. Une trop grande sécheresse et ce sont toutes les
activités fonctionnant à l’énergie hydraulique qui s’arrêtent. Les minoteries sont touchées au
plus haut point mais aussi les chamoiseries dépourvues de machines à vapeur.
933 AN F12/4.446 D. Rapport du sous-préfet de Châtellerault sur la situation de la manufacture d’arme en date du
15 décembre 1858 cité par DUVEAU (Georges), op. cit., p.252.
934 Voir POPEREN (Maurice), op. cit., p.32.
935 ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849], arrondissement de Napoléon Vendée.
936 Extrait des lettres de son excellence le ministre de l’Intérieur, contenant demande de renseignements sur les
émigrations d’ouvriers en réponse à une lettre du ministre de l’Intérieur au préfet de la Vienne du 27 avril
1811, ADV M4.11.Circulaires et correspondances du préfet (1811).
937 Rapport de l’ingénieur Devillaire en 1873, AN L3020.
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Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
De même une crise agricole régionale provoque une diminution des débouchés
essentiellement locaux des houillères poitevines. La baisse d’activité agraire provoque un
fléchissement de la consommation de chaux et par ricochet une baisse de la consommation de
charbon des chaufours 938 .
Le vocable « dépendant » qualifie bien les centres industriels de l’ancienne province
du Poitou au XIX e siècle.
La région est d’abord dépendante de son histoire économique. Peu de nouvelles
activités naissent entre 1800 et 1914, période pourtant réputée pour son dynamisme et ses
innovations industrielles. Une grande part des activités existantes s’inscrit dans la continuité
des spécialités anciennes qui ont connu leurs heures de gloire bien avant la fin de l’Ancien
Régime. C’est le cas de l’industrie textile, mais aussi de la coutellerie, de la chamoiserie et du
travail du cuir en général. Ces secteurs survivent tant bien que mal au XIX e siècle sans
atteindre l’ampleur des succès passés. On ose peu innover. A la question posée sur les causes
de prospérité ou de décadence des industries locales, les rapporteurs de l’Enquête économique
et sociale de 1848 de la commune de Saint-Maixent déclarent : « la cause première de la
prospérité des manufactures ou ateliers vient de ce qu’elles(sic) ne sont pas trop
nombreuses 939 ». On craint la concurrence. La plupart des élites du cru ont une vision étriquée
du marché limité au canton ou à l’arrondissement. On se contente souvent de prolonger le
modèle ancestral d’organisation du travail adapté au caractère rural prédominant. Cavoleau
souligne cet état de fait en 1844 à propos de la Vendée : « Les arts les plus simples nous sont
à peine connus, et les procédés n’ont pas varié depuis plusieurs siècles 940 ». Seules quelques
personnalités tentent de bouleverser la norme établie en essayant de moderniser les façons de
faire et de penser. D’où une seconde forme de dépendance de l’économie poitevine vis-à-vis
d’investissements extérieurs à la contrée.
En 1848, à Argenton-Château on regrette l’absence d’établissements industriels « qui
pourraient se créer avec succès si le capital, cheville ouvrière de toute organisation, ne
manquait point 941 ». Une grande partie des fonds appartiennent aux propriétaires terriens, peu
938
Rapport trimestriel du préfet de Vendée daté de décembre 1877, ADVd 6M1242. Situation commerciale et
industrielle mensuelle [1862 ; 1887].
939
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., p.429.
940
CAVOLEAU (J.-A.) (annoté par de LA FONTENELLE DE VAUDORE (A.-D.)), op. cit., p.639.
941
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.418.
- 205 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
sensibles aux sirènes de l’aventure industrielle 942 . Ils préfèrent bâtir l’avenir de leurs enfants
en leur assurant des carrières libérales, juridiques ou administratives nécessitant un train de
vie dispendieux. En outre, c’est encore dans la terre qu’on investit car les placements fonciers
sont jugés plus sûrs à long terme. A cela s’ajoute le prestige immémorial que l’on retire de
posséder des terres apportant bien plus de considération que la réussite en affaires. On se
plaint que les grands propriétaires terriens résident dans les grandes villes où « les profits et
l’agrément sont plus grands 943 ». C’est pourquoi on voit surgir ça et là des investisseurs
étrangers à la région – souvent d’anciens militaires – qui tentent de monter leur propre
entreprise en apportant avec eux des techniques et savoir-faire nouveaux. Parfois ce sont
même des fratries entières qui osent arpenter le difficile chemin du progrès industriel, à
l’image de la famille Blot dans le textile deux-sévrien. Les édiles de Parthenay constatent
cette situation en 1848 :
« Le Thouet étant susceptible de recevoir plusieurs genres
d’industries qui n’existent pas dans le canton,[…] mais il faut le
reconnaître, les indigènes ne feront jamais les frais de premier
établissement et il faudra que ce soient des étrangers qui les
fassent 944 ».
Même constat en Vendée vingt ans plus tard où une pétition vante le mérite de « tous ces
industriels, pleins de courage et d’espérance [qui] avaient compté sans les préjugés qui
entravent toujours les entreprises nouvelles, sans l’esprit local porté par nature à se défier des
étrangers et de l’industrie en général 945 ».
A cela s’ajoute un très grand enclavement. La majeure partie des trois départements est
à l’écart des grandes voies de communication et de nombreux témoignages le déplorent. Le
chemin de fer atteint Poitiers en 1851, Montmorillon en 1857 et Bressuire en 1870. En
attendant, les productions trouvent des débouchés limités. Leurs sorts sont très fréquemment
liés à une demande peu diversifiée et fortement localisée.
942 Précisons que les banques d’affaires nécessaires à l’investissement privé ne se développent en France que
dans la seconde moitié du XIX e siècle : Crédit Industriel et Commercial (1859), Crédit Lyonnais (1863), Société
Générale (1864).
943 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 1), op. cit., p.515.
944 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.419.
945 Pétition de 1866 en faveur de l’industrie, REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940),
op. cit., p.127.
- 206 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Le tissu industriel distendu poitevin et vendéen est fortement dépendant
géographiquement de centres économiques voisins et bien plus développé. En effetl’activité
textile bressuiraise et nord vendéenne n’est qu’une des composantes périphériques du pôle
textile choletais, que le hasard administratif a placé hors du Maine-et-Loire. Ici l’épicentre
décisionnel et financier se localise à Cholet. Les petits fabricants des campagnes et des bourgs
vendéens sont le plus souvent endettés envers les gros fabricants choletais à la merci desquels
ils se trouvent comme l’indique un commissaire spécial au préfet de Vendée en 1894 946 .
Les conserveries vendéennes sont dans une situation similaire. Là, ferblantiers et
sardinières obéissent à des chefs qui reçoivent leurs instructions de Nantes où se trouvent les
sièges des principales entreprises. Même cas de figure à propos des Charbonnages du bas
Poitou où quelques investisseurs poitevins s’allient à des dirigeants nantais et parisiens.
Cette dépendance à l’égard des centres de décisions situés à Cholet, Nantes ou Paris trouve
encore une illustration dans les grèves. Les mots d’ordres proviennent des centrales
syndicales choletaises ou nantaises et rares sont les mouvements sociaux importants qui soient
spontanés de la part des ouvriers locaux.
La manufacture d’armes de Châtellerault ne fait pas exception à la règle. Le joyau
industriel du Poitou dépend entièrement des commandes de l’Etat. Le sort des ouvriers est
dépendant des politiques militaires du régime. Lorsque les commandes baissent il est
impossible de replacer la grande majorité des ouvriers comme c’est le cas à Saint-Étienne. La
coutellerie ne peut absorber les laissés pour compte.
L’analyse des recensements régionaux de la seconde moitié du XIX e siècle confirme
une réalité déjà connue et étudiée pour d’autres contrées françaises.
Dans le Grand Ouest, la grande industrie, celle qui fournit les biens de production et
les biens intermédiaires, n’est guère développée. Les centres urbains dynamiques font défaut.
D’où des débouchés locaux, et dans une plus large mesure nationaux ou internationaux, rares
dans ces territoires adossés à l’Atlantique. On manque de ressources naturelles importantes et
facilement exploitables comme l’est le charbon dans le nord et l’est du pays. Et puis la
mentalité locale n’est ni prompte ni mûre pour risquer l’aventure industrielle.
Toutefois quelques contre-exemples précis atténuent ce constat de déficience.
Châtellerault et sa manufacture, les quelques filatures de la vallée de la Sèvre nantaise, les
houillères du bas Poitou ou bien encore le cuir niortais sont des exemples de grande industrie.
946 ADVd 4M185. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires diverses. Arrondissement de La Roche-
sur-Yon (1894-1911).
- 207 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
Les chiffres bruts des recensements atténuent l’importance que peuvent représenter ces
activités dans la région. Cependant les autorités ne peuvent manquer de les ignorer à cause de
l’extrême concentration géographique de ces métiers augmentant leur poids et leur influence
comparé à des activités peu être plus importantes numériquement mais plus dispersées dans
l’espace. Ce faible développement de la grande industrie, allant de pair avec le travail
organisé au sein d’établissements importants, explique que le travail féminin est moins
développé qu’ailleurs.
Ici, l’artisanat domine numériquement. La petite industrie occupe, quelle que soit
l’époque, le plus grand nombre de personnes. Les « arts et métiers » répondent aux besoins
locaux, à une demande de proximité à l’image du bâtiment et de l’habillement, les deux
secteurs les plus importants en terme d’effectifs. Point de concentration ouvrière ici mais
plutôt de petits ateliers où un maître exécute son ouvrage avec l’aide d’un ou deux ouvriers,
quand il ne travaille pas seul à domicile.
Néanmoins cette prédominance du monde artisanal ne soulage pas pour autant le patronat et
les autorités locales de leurs responsabilités en matière de maintien de l’ordre ou d’application
des lois sociales. Les maçons, les tailleurs et autres travailleurs du bâtiment appartiennent aux
professions les plus actives sur le front des revendications sociales 947 . Ils allient à la fois la
force du nombre à des formes d’organisations issues des anciens compagnonnages. Et puis la
distinction entre l’artisan et l’ouvrier est beaucoup plus floue dans le monde du travail de
l’époque qu’elle ne peut l’être dans le cadre strict et codifié des recensements.
La population industrielle, au sens large (actifs et inactifs), occupe un petit cinquième
de la population globale dans les trois départements 948 , ce qui n’est pas négligeable loin de là,
même si l’ancienne province du Poitou paraît en retard en comparaison de la moyenne
nationale. On ne peut ignorer ces hommes et ces femmes, même si la grande majorité d’entre
eux demeure sage et docile. Une humilité qui sied parfaitement à ces artisans et ouvriers des
campagnes où l’on est très loin d’avoir coupé les liens avec la terre et avec ses origines
agricoles.
Le monde ouvrier émergeant lentement des campagnes poitevines du XIX e siècle
apparaît de plus en plus comme une population aux aspirations spécifiques obligeant l’autorité
publique à lui porter un regard plus attentif au fur et à mesure que les années passent. Le
poids politique de la classe ouvrière, son organisation, ses espérances et sa pétulance font
947 Voir la section 2 du chapitre 2 de la première partie consacrée aux grèves ouvrières.
948 En 1891.
- 208 -

Chapitre 1 : La lente émergence d’une population particulière
craindre le pire aux tenants de l’ordre établi dans une France redoutant sans cesse les
convulsions révolutionnaires. Et si les classes laborieuses peuvent être considérées comme
dangereuses à Paris 949 , en est-il de même dans le Poitou ?
949 CHEVALIER (Louis), Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du
XIX e siècle, Paris, réédition 1958, 562 p.
- 209 -

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Certains épisodes de l’Ancien Régime puis la Révolution française ont montré aux
tenants de l’ordre toute la dangerosité des populations laborieuses citadines à la fois
influençables et incontrôlables. L’ouvrier, comme le compagnon, demeure longtemps et pour
beaucoup un individu libre et sans attaches.
Cependant l’apparition et le développement d’un prolétariat industriel et la place de
plus en plus importante occupée par la question sociale dans les mouvements revendicatifs ou
révolutionnaires poussent les régimes politiques à intensifier la surveillance du monde
ouvrier. Un bouleversement social faisant de toute une catégorie de la population une classe
potentiellement dangereuse, même dans les contrées les moins industrialisées. Les
gouvernements prêtent une attention extrême aux paroles et aux actes d’un groupe social de
plus en plus sensible aux idées nouvelles et de plus en plus actif au sein des luttes politiques
de l’époque (section 1). C’est pourquoi une véritable police ouvrière se met en place
(section 2), fondée bien souvent sur des préjugés, particulièrement là où l’ouvrier demeure
minoritaire à l’instar du Poitou.
Section 1 : Un univers sensible aux idées nouvelles
Le secteur artisanal et industriel constitue un environnement propice à l’implantation
et au développement d’idées politiques dites « avancées ». Lors de la période révolutionnaire,
les plus acharnés des sans-culottes proviennent du petit artisanat parisien.
L’avènement de l’ère industrielle provoque l’émergence d’une nouvelle classe sociale
dont les aspirations diffèrent des idéaux bourgeois triomphant à partir de 1789 et que
l’apparition du suffrage universel renforce.
Dans un premier temps le camp républicain suscite de grandes espérances,
espoirs anéantis dans les mois qui suivent la révolution de 1848. Le temps des
exaltations utopiques et de la communion fraternelle nationale ne dure pas. Dès lors
210

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
seules les théories républicaines radicales et surtout socialistes semblent chercher à
répondre aux attentes d’une population en voie de paupérisation. Elles visent à
réformer profondément une société en mutation par des moyens politiques ou
révolutionnaires. Le socialisme veut bouleverser l’ordre établi au contraire d’un parti
républicain trop occupé à renforcer son pouvoir contre les forces réactionnaires et
cléricales. Les uns luttent pour l’avenir pendant que les autres luttent contre le passé.
Ce lien entre le monde ouvrier et « l’extrême gauche », dans un premier temps
républicaine radicale ou radicale socialiste puis socialiste, est apparent dans la géographie
électorale nationale à partir des années 1890 950 . A la fin du XIX e siècle l’implantation radicale
et socialiste coïncide fréquemment aux zones d’artisanat urbain et aux régions hautement
industrialisées de la France du Nord et de l’Est, là où les ouvriers s’agglomèrent. Mais on ne
retrouve que très rarement cette situation dans les départements du Centre Ouest de la France.
Si bien qu’il est légitime de se demander si l’ouvrier a une place dans le jeu politique
mouvementé de la seconde (I) ou troisième (II) République dans des régions à dominante
rurale, réputées pour leur conservatisme. Trouve-t-on trace de la « question sociale » dans les
professions de foi des candidats locaux lors de ces deux périodes ? Y a-t-il toujours
corrélation entre les fiefs républicains et socialistes et la présence d’industries ? Enfin, le
monde ouvrier a-t-il assez de poids pour imposer ses propres représentants ?
950 Avant les élections d’octobre 1889, « l’extrême gauche », pour reprendre l’expression et la définition de
François Goguel, a pour bastions le Centre, la région de Montluçon, la Loire et les alentours de Lyon ; le Sud Est
de la France et certaines villes importantes comme Paris, Nantes ou bien encore le Havre. Le monde ouvrier
n’est pas encore séduit par ces théories. Le radicalisme concerne plutôt une population urbaine et artisanale ou
bien une population rurale comme on en trouve dans le Centre et aux alentours de la Méditerranée. Par la suite
les départements du Nord et de l’Est vont être pénétrés par les idées radicales et socialistes. En 1891 Jules
Guesde est élu député de Roubaix. Toutefois il faudra du temps pour les conquérir complètement, cf. cartes in
GOGUEL (François), Géographie des élections françaises sous la troisième et la quatrième République, Paris,
1970, p.60 et s.
211

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
I- L’ouvrier et les scrutins nationaux sous la Deuxième
République
La fin du système électoral censitaire, que remplace pour la première fois le suffrage
universel 951 lors de l’élection de l’Assemblée constituante le 21 avril 1848, donne
théoriquement à toutes les composantes de la société une place dans le jeu politique local et
national.
Le tout jeune mouvement ouvrier français profite de l’enthousiasme romantique et
fraternel quasi-mystique des premiers moments de la seconde République pour tenter
d’atteindre les plus hautes sphères du pouvoir. L’amélioration du sort des travailleurs est au
cœur des débats. L’ouvrier ne semble plus être condamné « à la patience et à la résignation »
comme l’affirmait jadis Casimir Perier, président du Conseil et ministre de l’Intérieur de
Louis-Philippe 952 . On s’aperçoit enfin que la seule bonne volonté ne suffit pas à améliorer sa
condition et que le destin de l’ouvrier n’est pas forcément de devenir propriétaire ou industriel
comme l’estimait Charles Dupin dans un Discours sur l’avenir de la classe ouvrière prononcé
au Conservatoire des arts et métiers en 1833 953 .
Le gouvernement provisoire mis en place le 24 février 1848 compte, non seulement
des personnes préoccupées par le sort du « prolétaire », comme le socialiste Louis Blanc 954 ,
mais aussi un ouvrier, Albert. Ainsi le droit au travail est proclamé 955 et les Ateliers nationaux
créés. Une commission est également mise en place afin d’étudier les problèmes du travail et
de légiférer en la matière 956 .
951
Décret Cormenin du 5 mars 1848. Le suffrage universel masculin réservé aux majeurs de 21 ans (soit environ
neuf millions d’individus pour l’ensemble du territoire français) résidant depuis six mois dans la commune.
L’éligibilité est permise aux individus mâles âgés de 25 ans sans condition de résidence (permet les candidatures
multiples).
952
Casimir Perier affirme, après avoir maté dans le sang la révolte des canuts lyonnais de 1831, qu’il « faut que
les ouvriers sachent bien qu’il n’y a qu’un remède pour eux que la patience et la résignation ».
953
Discours prononcé le 24 novembre 1833 à l’occasion de l’ouverture du cours gratuit de Géométrie et de
Mécanique industrielle au Conservatoire des arts et métiers, DUPIN (Charles), Discours sur l’avenir de la classe
ouvrière, Paris, 1833, p.10. Charles Dupin (1784-1873), mathématicien, ingénieur et homme politique, membre
du Tiers parti (son frère aîné en est la principale figure) sous la monarchie de Juillet pendant laquelle il est
également conseiller d’Etat et membre de l’Académie des sciences morales et politiques.
954
Auteur en 1847 de L’Organisation du travail.
955
Un droit implicite – le terme ne figure pas dans le décret –, symbole de la Révolution de 1848 selon
Proudhon.
956
La commission présidée par Louis Blanc est installée au Palais du Luxembourg. Elle envisage les possibilités
de limiter la durée du travail, de mettre en place des organes de conciliation entre travailleurs et patronat ou bien
encore de légiférer en matière de bureaux de placement. Au plus fort de son activité la commission compte près
de 700 délégués. Auparavant le projet d’un ministère du Travail (ou du Progrès) s’est heurté à l’opposition de
212

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Toutefois l’élan sentimental et social est vite freiné par le résultat des élections à
l’Assemblée constituante d’avril 1848 puis brisé net après les dramatiques et sanglants
événements parisiens du mois de juin.
Un mouvement bien peu ressenti dans la très conservatrice France de l’Ouest où
s’inscrivent les départements composant l’ancienne province du Poitou. Hormis quelques
bastions libéraux ou républicains, en particulier dans la plaine constituant le sud du
département des Deux-Sèvres 957 , la plus grande partie de la région est sous l’influence
orléaniste voire légitimiste. Le caractère rural de la zone explique l’emprise sur les
consciences de l’église catholique et des grands propriétaires terriens, bien souvent de noble
extraction.
La Vendée et le nord des Deux-Sèvres en sont l’illustration 958 . Ces territoires,
qu’André Siegfried nomme « l’Ouest intérieur 959 » demeurent farouchement fidèles à l’Ancien
Régime et à une certaine conception hiérarchique de la société fondée sur l’autorité de petits
notables locaux 960 .
Les douloureux souvenirs des guerres de Vendée demeurent. Les idées républicaines
ou libérales restent associées aux tristement célèbres colonnes infernales du général Turreau.
L’enclavement de ces régions de bocage 961 extrêmement peu urbanisées restreint la
circulation de doctrines politiques nouvelles. Une petite aristocratie y détient les pouvoirs
fonciers, économiques et politiques. Elle est propriétaire de la majorité des terres en
employant fermiers et métayers qui constituent une fidèle clientèle. Une véritable relation
paternelle existe dans les campagnes entre la noblesse et le reste de la population.
De plus le sentiment religieux constitue un lien extrêmement fort dans ces contrées où le
cléricalisme est très profondément ancré. Les curés au cours de leurs sermons dominicaux
dictent à leurs ouailles la bonne conduite politique qui est résolument traditionaliste,
nombre de Républicains. Pour Lamartine ce projet est « la ruine de la société, de la famille et de l’homme ! »,
WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.129.
957 Une zone fortement imprégnée par le protestantisme. Cette plaine se prolonge à l’ouest en Vendée dans mince
bande englobant les cantons du sud et ceux du bord de mer, voir la carte des opinions libérales dans le
département de la Vendée dressée en 1834 par le préfet du département in HELLO (Yves), Blancs, bleus,
rouges. Histoire politique de la Vendée (1789-2002), La Crêche, 2004, p.64.
958 Quelques enclaves républicaines subsistent tout de même : Thouars et ses environs, Les Sables-d’Olonne et
une grande partie de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte. Signalons également qu’on ne compte aucun
député légitimiste dans les Deux-Sèvres aux élections législatives de 1846, cf. VINCK (Maurice), La Révolution
de 1848 dans les Deux-Sèvres, BSHSDS, 2 e série, Niort, 1971, t.4, p.3.
959 SIEGFRIED (André), op. cit., 636 p.
960 Une noblesse très proche du peuple, composée pour une grande part d’hobereaux, n’ayant pas le prestige, le
niveau de vie et la culture de son équivalent angevine.
961 En 1830 le préfet des Deux-Sèvres s’exprime à propos de la Vendée militaire et ses habitants dont le bocage
« représente le monde entier », ADDS 3X57. Ateliers de charité [1826 ; 1830].
213

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
monarchiste et légitimiste, et il est indispensable de suivre ces commandements si l’on ne
veut pas être exclu d’une communauté hermétique et repliée sur elle-même.
Plus à l’est, dans le département de la Vienne, la tendance à la réaction est bien moins
radicale même si l’on y reste majoritairement conservateur 962 . Les partisans du comte de
Chambord sont ici beaucoup moins intransigeants que leurs homologues vendéens.
Emmanuel de Curzon 963 , personnalité emblématique du légitimisme poitevin à partir des
années 1840, n’hésite pas à transiger plusieurs fois avec les orléanistes tout en cherchant à
élargir l’assise locale du parti, au grand désarroi des néo-carlistes. Il désire se rapprocher non
seulement de la bourgeoisie, mais aussi des ouvriers que les légitimistes ne manquent pas
d’aider lors de la crise des années 1846 et 1847. L’Abeille, le journal conservateur propriété
d’E. de Curzon, se fait l’écho dès ses premiers numéros des préoccupations sociales et
charitables induites par les principes catholiques, dont Ozanam 964 ou Lacordaire 965 sont les
portes paroles. Selon l’organe de presse légitimiste il faut « introduire cet esprit de charité
dans notre législation à laquelle on peut reprocher trop souvent son injuste et fatal oubli de la
protection qui est due aux classes déshéritées de fortune 966 ». La gazette ouvre même ses
colonnes à des ouvriers. Si bien qu’en février 1848 de Curzon demande à ses partisans de se
rallier au gouvernement provisoire.
A la veille de la révolution de 1848, les départements de l’ancienne province du Poitou
sont plutôt politiquement modérés, exception faite de la Vendée profonde et de la plaine
niortaise, deux régions que tout semble opposer. En définitive, le libéralisme bourgeois et
voltairien de la monarchie de Juillet sied à bon nombre de poitevins, au premier chef desquels
figurent beaucoup de membres de professions libérales. L’époque est à l’enrichissement et
aux chemins de fer pour reprendre une expression du futur ministre Léon Faucher 967 .
962
La noblesse du département de la Vienne représente environ un quart de l’électorat censitaire et possède une
grande fortune terrienne. Ajoutons-y une bourgeoisie aisée et influente, composée de nombreux propriétaires
terriens importants, aux liens souvent étroits avec l’aristocratie locale.
963
Cf. MATHIEU (Maurice), Le destin du légitimisme. L’exemple de la Vienne : le rôle d’Emmanuel de
Curzon, RHCO, Poitiers, 2005, pp. 7-76.
964
Frédéric Ozanam (1813-1853), juriste et historien, tenté un temps par les thèses républicaines après la révolte
des canuts lyonnais, fonde en 1833 la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul destinée à soulager les plus démunis.
Il est béatifié en 1997 par le pape Jean-Paul II.
965
Jean-Baptiste Henri Lacordaire (1802-1861), ce religieux, à la fois prédicateur talentueux, journaliste, homme
politique et académicien, est considéré comme le fondateur du catholicisme moderne. Dès 1830 il collabore au
journal l’Avenir organe ultramontain et libéral dont le principal fondateur est Lamennais. Plus tard il rétablit en
France l’ordre des Dominicains. En 1848 il se rallie à la République puis condamne vigoureusement le coup de
force de Louis Napoléon Bonaparte. « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le
serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit », cf. 52 e Conférence de Notre-Dame, 1848.
966
L’Abeille du 4 décembre 1846.
967
JARDIN (André), TUDESQ (André), La France des notables, Paris, 1973, volume 2, p.165.
214

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
L’opposition libérale et républicaine est essentiellement implantée dans les grandes
villes : Niort, Poitiers, Fontenay-le-Comte, Les Sables-d’Olonne, Napoléon-Vendée et
Châtellerault.
D’un côté on retrouve les tenants de « la gauche dynastique 968 », orléanistes ayant du
mal à se reconnaître dans le gouvernement Guizot, et de l’autre des républicains, modérés ou
jacobins plutôt que socialistes, plus souvent bourgeois qu’ouvriers ou autres représentants du
petit peuple, même si les artisans et boutiquiers ne restent pas indifférents aux idées
révolutionnaires. L’Echo du peuple 969 porte pendant de longues années le flambeau du
républicanisme dans le Poitou.
Le socialisme ne rencontre d’écho réel que dans la plaine du sud des Deux-Sèvres – le
petit bourg de Mauzé-sur-le-Mignon le montre 970 – et surtout dans la ville ouvrière de
Châtellerault 971 , cité où sont déjà bien implantés des républicains aux idées démocrates
avancées, descendants des Montagnards de 1789. Le nombre important de travailleurs, dont
certains sont étrangers au département favorise évidemment ce courant d’idées.
La question ouvrière est la grande absente des préoccupations de l’administration sous
la Restauration et la monarchie de Juillet. Dans les Deux-Sèvres comme en Vendée la
surveillance se focalise, en dehors de la chouannerie, sur ceux qui prônent les idées libérales.
La majorité de la population des départements de la région ne semble pas susceptible de
s’embraser pour des questions politiques. En 1829 celle des Deux-Sèvres est jugée
« apathique » par son préfet et celle de Vendée « calme, paisible, soumise et résignée »,
cloisonnée dans une opposition tranchée entre libéraux et royalistes 972 .
Le monde ouvrier ne constitue pas encore un danger. En 1831, une circulaire du 21
mars évoque les populations, les circonstances et les sociétés à surveiller. La population
ouvrière en tant que telle n’en fait pas partie 973 . Le danger est légitimiste. Cependant ça et là
968
Pour la Vienne voir MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République…op.
cit., pp.218-220. La « gauche dynastique » ou « parti du mouvement » estime que la révolution de 1830 n’est
qu’une étape vers une monarchie plus démocratique. Pour cela ses partisans réclament, entre autre, un
élargissement de l’électorat par un abaissement du cens. Ils sont également favorables à l’émancipation des
nations européennes affranchies des empires étrangers. Le banquier Lafitte et Odillon Barrot sont les principales
figures de cette doctrine .
969
Le journal voit le jour aux lendemains de la révolution de juillet et disparaît en 1843. Il s’agit d’un des
journaux de province les plus poursuivis de France sous la monarchie de Juillet, cf. HOUISSE (Alain), La presse
à Poitiers sous le second Empire, BSAO, 4 e série, Poitiers, 3 e semestre 1972, pp 484.
970
Voir infra p.343.
971
L’influence protestante explique en parti cette prédisposition aux thèses libérales.
972
AN F7/6772. Situation politique des départements. Rapports des préfets. Classement départemental (1815-
1830).
973
ADV M4.41. Correspondances du préfet (1830-1831).
215

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
des ouvriers se font entendre par des propos estimés séditieux. Mais il s’agit de cas isolés
d’individus qui ne représentent qu’eux-mêmes. Sous la Restauration, on s’en prend à la
monarchie en proférant des propos favorables à Napoléon 1 er et à l’Empire, le plus souvent
dans des cabarets ou des auberges où l’alcool ne manque pas de délier les langues 974 .
La population ouvrière n’existe pas encore réellement en tant que classe. Le
mouvement ouvrier est loin d’exister ce qui n’empêche pas les régimes de s’en méfier de par
son caractère jugé fortement influençable. On ne veut pas que les forces d’opposition au
régime, qu’elles soient bonapartistes ou bien légitimistes à partir de 1830, y fassent germer les
graines de la rébellion. Ainsi lors du soulèvement de la duchesse du Berry en 1832 on craint
sérieusement que des ouvriers se joignent aux opposants chouans dans le nord des Deux-
Sèvres et en Gâtine.
La révolution de juillet 1830 est étrangère aux préoccupations des classes laborieuses
de la région. On note juste « un peu de fermentation » à Châtellerault pour reprendre les
propos d’un capitaine de gendarmerie. Le sous-préfet de l’arrondissement estime que la seule
participation des ouvriers de la ville à la révolution est la vente à Paris, en grand nombre, de
couteaux fabriqués par les couteliers locaux 975 .
Cependant une circulaire préfectorale du 4 septembre 1830 met en garde les ouvriers
contre les pièges à leur bonne foi. L’autorité publique redoute encore une manipulation de la
classe ouvrière par des opposants profitant des crises frumentaires qui ponctuent encore
l’époque. C’est pourquoi le préfet associe dans son texte les ouvriers parisiens et les
travailleurs du pays, au triomphe orléaniste 976 avant de mettre en garde ses subalternes contre
les possibles manoeuvres visant à agiter les populations les plus indigentes :
« Nous devons toutefois, Messieurs, prémunir nos administrés contre
certains pièges qui, si j’en crois les rapports qui me sont faits,
seraient tendus à leur bonne foi. On affecte de leur parler de la
cherté du pain, du manque d’ouvrage, du poids de certains impôts ;
974
Cf. ADDS 4M15/2a. Dossiers individuels concernant les inculpés, condamnés et surveillés politiques.
Chouans, libéraux, bonapartistes (A-L) (1815-1830), ADDS 4M15/2b. Dossiers individuels concernant les
inculpés, condamnés et surveillés politiques. Chouans, libéraux, bonapartistes (M-Z) (1815-1830) et ADDS
4M15/3. Dossiers individuels concernant les inculpés, condamnés et surveillés politiques. Républicains,
légitimistes, chouans (A-Z) (1831-1848).
975
Lettre du sous-préfet de l’arrondissement de Châtellerault au préfet de la Vienne du 19 juin 1830, ADV
M4.41. Correspondances du préfet (1830-1831).
976
Il est vrai que les révolutions de 1830 et de février 1848 sont dues en grande partie à l’encadrement judicieux
de la classe ouvrière par la bourgeoisie et les partis d’opposition, cf. SZRAMKIEWICZ (Romuald),
BOUINEAU (Jacques), Histoire des institutions (1750-1914), Paris, 1998, p.399.
216

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
on les engage à des démarches contraires à l’ordre, qui n’auraient
d’autres résultats que d’attirer sur eux la sévérité de la justice.
C’est au nom de leur repos que nous devons les engager à
fermer l’oreille à ces perfides insinuations […] le pain est cher, et
cependant il l’est moins qu’il ne l’était l’année dernière à la même
époque ; il l’est moins en ce moment dans ce département que dans
ceux qui nous avoisinent. Espérons que la fin des moissons, en
amenant plus de blé sur les marchés, amènera une baisse dont
l’autorité s’empressera de profiter ; et si la récolte ne donne pas les
résultats que l’on en avait espéré, des mesures seront prises de
bonne heure pour procurer aux classes indigentes, pendant la saison
rigoureuse, les secours dont elles auront besoin 977 ».
C’est la révolte des canuts lyonnais en 1831 qui fait apparaître au grand jour le mal-
être ouvrier. Toutefois cette véritable révolte n’a aucune incidence réelle dans la région
dépourvue de très grands centres industriels. Les pouvoirs publics se cantonnent à rechercher
d’éventuels et très rares canuts réfugiés dans les contrées poitevines. En janvier 1832, un
ferblantier de Bressuire est arrêté à Lyon, suspecté d’avoir participé aux émeutes. On retrouve
dans ses affaires des balles et une baïonnette appartenant à la garde nationale 978 .
Des circulaires ministérielles commencent à prendre sérieusement en compte la
question ouvrière. On craint les coalitions qui doivent être dissoutes sans hésitations et les
meneurs traduits en justice systématiquement. Ainsi un texte émanant du ministère de
l’Intérieur du 4 septembre 1840 demande aux préfets d’agir avec promptitude et fermeté en
province pour « étouffer dans leurs premiers germes les ferments d’agitation » qui ont déjà
gagné la capitale 979 .
Les Deux-Sèvres, la Vienne et la Vendée vivent plutôt calmement la période des
derniers régimes monarchistes français. Les événements nationaux ne semblent guère les
toucher. L’ordre public n’est pas menacé sauf très rares exceptions. La région est calme
comme l’illustre la liste des villes françaises interdites aux condamnés politiques dressée en
septembre 1842 ; aucune localité de la région n’y figure, pas même Châtellerault malgré la
977 RAA préfecture de la Vienne (août 1830 - décembre 1831).
978 ADDS 4M15/3. Dossiers individuels concernant les inculpés, condamnés et surveillés politiques.
Républicains, légitimistes, chouans (A-Z) (1831-1848).
979 Septembre 1840 est marqué par des coalitions dans de nombreux corps de métiers parisiens, cf. ADDS
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
217

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
présence de la manufacture d’armes. La plus proche cité concernée se situe en Charente
Inférieure à Rochefort 980 , port célèbre pour son arsenal créé par Colbert et fortifié par Vauban.
L’aspect social très prononcé de la révolution de 1848, l’immense espoir et les
frayeurs populaires qui en résultent changent la place du monde ouvrier dans le pays, un
contexte dans lequel des ouvriers vont tenter de tirer leurs épingles du nouveau jeu politique
né du suffrage universel afin de faire connaître leurs revendications. Les élections à
l’Assemblée constituante du 21 avril 1848 constituent la première occasion pour la classe
ouvrière et ses défenseurs de tenter d’investir le devant de la scène politique locale et de faire
entendre ses doléances et aspirations. Les nombreuses pétitions d’ouvriers, de Saint-Maixent
ou de Niort 981 , traduisent bien les grandes espérances suscitées par le mouvement
révolutionnaire de février. Un espoir bien vite déçu (A) qui précède une véritable mise au ban
politique de l’ouvrier poitevin (B).
A- La désillusion d’avril 1848
Dans la région les premières heures suivant l’insurrection parisienne sont calmes. On
se rallie docilement à la République sans débordement. Dans les Deux-Sèvres seules les
bourgs de Melle et de Mauzé sont secoués par de véritables manifestations populaires 982 .
Néanmoins le caractère généreux du mouvement fait naître de grands espoirs, comme
l’attestent les pétitions adressées par les ouvriers au nouveaux détenteurs du pouvoir de divers
corps de métiers dans les villes de Niort et de Saint-Maixent. Des aspirations déçues
provoquant des débordements à partir du mois de mars 1848. Des réactions amplifiées par le
prix élevé du pain et des autres denrées de première nécessité et par le ralentissement
important de l’activité industrielle occasionnée par la panique des milieux d’affaire que « le
spectre rouge » qui secoue Paris inquiète.
C’est le cas à Parthenay et en Gâtine où les antagonismes entre conservateurs et forces
progressistes sont plus importants que dans la plaine du sud du département. Les élections
d’avril 1848 sont l’occasion pour un commissaire de mettre à l’index les journaliers et
ouvriers de la ville qui seraient manipulés et corrompus financièrement par les membres d’un
980 RAA préfecture de la Vienne (1833 - 1842).
981 En mars 1848, les ouvriers tailleurs d’habits, chamoiseurs et travailleurs du bâtiment niortais ainsi que les
menuisiers de Saint-Maixent réclament l’amélioration de leurs rémunérations et de leurs conditions de travail.
Des pétitions adressées au commissaire du gouvernement du département. Cf. ADDS 11M19.13.A. Conflits et
grèves [1836 ; 1899], voir également infra p.224.
982 VINCK (Maurice), op. cit., pp.17-18. A Mauzé on arbore même le drapeau rouge.
218

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
club de travailleurs local, les mêmes qui voudraient instaurer une « république rouge » 983 . On
craint des débordements le soir de l’élection d’avril du fait de la présence dans la cité de
nombreux journaliers. Rien de tel ne se passera cette soirée là.
En Vendée les évènements parisiens attiseraient l’excitation des masses laborieuses 984 .
On constate une « fréquence accrue des outrages aux gendarmes, aux fonctionnaires
publics » et un « déchaînement de la violence (sic) dans les rapports entre citoyen par le
colportage de fausses nouvelles ». Ainsi des placards menaçants apparaissent sur les murs de
certaines localités comme à Luçon, le 10 mars, où l’on demande « de l’ouvrage ou du pain,
ou le sang et le feu » ; ou bien encore à Challans, le 31 mars, où l’on menace de mettre le feu
chez le bourgeois si l’on n’obtient pas de travail ou de quoi se sustenter.
Dans la Vienne, seule la ville de Châtellerault souffre de quelques troubles 985 en
dehors des tensions existantes sur les chantiers de chemins de fer arrêtés à la suite des
événements révolutionnaires parisiens. Néanmoins ces quelques troubles restent de nature
exceptionnelle et de très faible portée.
Dans un pays apparemment rallié à la République 986 où toutes les factions semblent
trouver leur couleur dans le drapeau tricolore défendu par Lamartine le 25 février, les
élections d’avril 1848 vont se solder par la victoire des républicains modérés. Environ 86%
des électeurs se rendent solennellement aux urnes, disposées dans chaque chef-lieu de canton.
Ils élisent près de 500 députés républicains modérés, regroupés sous la bannière de l’auteur
des Méditations poétiques ; plus de 200 monarchistes ; une centaine de radicaux démocrates
dont Ledru-Rollin est le chef de file ; et une poignée de socialistes, dont Louis Blanc, Cabet et
Proudhon. Seuls 25 ouvriers bénéficient de « la bénédiction » des urnes 987 . La manifestation
parisienne du 16 avril orchestrée par Louis Blanc et Auguste Blanqui a été grandement
préjudiciable aux tenants des doctrines dites avancées. Le spectre rouge ne tarde pas à
réapparaître et à hanter à nouveau l’esprit des français et de la masse rurale extrêmement
983 Rapport du commissaire de police de Parthenay en date du 21 avril 1848, ADDS 4M6.14 b. Révolution de
1848 ; proclamation de la République et adhésion des communes ; arbres de la Liberté ; délivrance de
drapeaux ; rapports divers (1848-1849).
984 FAUCHEUX (M.), MORAUZEAU (L.), op. cit., p.13.
985 Rapports du préfet de la Vienne au ministre de l’Intérieur du 6 mars et 16 avril 1851, ADV M4.59.
Correspondances du préfet (janvier-septembre 1851) et ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobredécembre
1851).
986 Lamartine déclare aux étudiants parisiens à propos du ralliement général à la République : « nous faisons
ensemble la plus sublime des poésies », cité par WINOCK (Michel), La gauche en France, Paris, 2006, p.36
987 Les candidats démocrates socialistes ou communistes n’ont pu se faire entendre que dans les villes de Paris,
Lyon, Rouen, Marseille et Limoges, cf. WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.135. Bien souvent les nouveaux
élus sont les anciens du régime précédant.
219

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
majoritaire. L’extrême gauche, elle n’a pas eu le temps de distiller sa propagande parmi les
populations ignorantes et analphabètes d’une France rurale très influencée par ses élites
conservatrices et par le discours officiel républicain 988 . Elle n’a pas réussi à dissiper les
souvenirs encore vifs de la Terreur révolutionnaire à laquelle ses partisans sont encore
souvent assimilés 989 .
En Vendée ces élections donnent sans surprise la victoire aux monarchistes qui ont
sept élus sur les neufs députés du département. Deux républicains modérés bénéficient des
votes massifs de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte et des Sables-d’Olonne, soit environ
un quart des cantons du département 990 . C’est une spécificité du sud vendéen qui se dessine.
L’ouvrier peine vainement à faire entendre sa voix dans les méandres humides du
bocage vendéen, bien loin des ateliers et des cheminées d’usines. Cependant il arrive que
leurs opinions soient prises en compte dans les villes en profitant de l’engouement subit des
autorités pour la question sociale. C’est ainsi qu’à La Roche-sur-Yon, les thèses républicaines
trouvent plus d’écho que dans les campagnes et un club démocratique est créé à l’initiative du
commissaire de la République du département. Il compte même plusieurs centaines de jeunes
gens et d’ouvriers mais il ne survit pas aux journées de juin.
Le catholicisme social a aussi quelques adeptes dans ces contrées. Il est incarné par le
socialiste chrétien Buchez 991 qui parvient à obtenir plus de 20 000 voix lors des élections
d’avril 1848, soit 23 % des suffrages obtenus dans les quatre cantons les plus pauvres du
département 992 . Un bon résultat mais insuffisant pour se faire élire 993 .
Les ouvriers sont bien plus présents sur la scène politique, activement ou passivement,
dans les départements des Deux-Sèvres et de la Vienne. Niort et tout le sud des Deux-
988
Blanqui avait prédit l’échec des forces socialistes manquant de temps pour propager leur doctrine dans le
pays : « Le peuple ne sait pas, il faut qu’il sache, ce n’est pas l’œuvre d’un jour, ni d’un mois […] Les élections,
si elles s’accomplissent, seront réactionnaires », BLANQUI (Auguste), Textes choisis, Paris, 1956, p.114.
989
Précisons que le socialisme de 1848 ne prône ni la révolution violente ni la Terreur. Il est utopique ou
réformiste à l’image de Cabet ou bien encore de Buchez préconisant un socialisme chrétien.
990
Pour la carte et les résultats détaillés de l’élection d’avril 1848 en Vendée voir HELLO (Yves), op.
cit., p.78 et s.
991
Philippe Buchez est considéré comme « le précurseur des démocrates chrétiens ». Catholique convaincu il
aspire le groupe de L’Atelier professant des idées politiques proches de celles prônées pas Louis Blanc dans son
Organisation du travail, cf. LESCUYER (Georges), Histoire des idées politiques, Paris, 2001, p.531, voir
également DUROSELLE (Jean-Baptiste), Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870), Paris,
1951, 787 p.
992
Soit les cantons de Mortagne, Challans, Palluau et Saint-Gilles, HELLO (Yves), op. cit., pp.80-81 et
REGOURD (Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.591.
993
Des résultats auxquels on peut ajouter ceux d’un certain Charron (environ 400 voix), un candidat se
présentant comme « catholique libéral », cf. MONNIER (L.) et SICAMOIS (H.), La Révolution de 1848 en
Vendée. Les députés de Vendée aux assemblées de1848, Fontenay-le-Comte, 1949, 84 p.
220

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Sèvres 994 constituent une zone propice au développement et au possible enracinement de la
République. L’importante population protestante y a façonné un état d’esprit différent des
autres régions poitevines 995 . Les liens étroits existants entre les partis de droite et le
catholicisme n’y sont pas étrangers. La victoire de « la gauche » aux élections partielles de
1822 996 et l’élection de Michel de Bourges 997 comme député de Niort en 1837 sont déjà des
signes de cet « esprit démocratique fort avancé » propre à la région 998 . Plus tard, l’élection en
août 1846 du docteur Maichain 999 , candidat de gauche et futur commissaire du gouvernement
provisoire des Deux-Sèvres, en est un autre, tout comme la majorité socialiste au conseil
municipal de Mauzé 1000 où deux ouvriers siègent aux côtés de Claude Durand, l’auteur du
Chant des vignerons.
Dans la Vienne les artisans de Poitiers et de certains bourgs du département ainsi que
le prolétariat châtelleraudais représentent également une population susceptible de se ranger
du côté des candidats de gauche, voire d’extrême gauche.
a) Les forces de gauche en présence
Dans la région comme ailleurs en France tous se rallient dans un premier temps à la
République, les légitimistes comme les autres à l’image du marquis de La Rochejacquelin
dans les Deux-Sèvres 1001 .
C’est ainsi que le comité électoral de Poitiers procède à une politique d’ouverture. Mais cette
apparence d’unité ne dure pas. Bien vite de Curzon et ses partisans se retrouvent en dehors du
comité. D’importantes tensions naissent aussi à Châtellerault où adeptes républicains et
zélateurs de l’orléaniste Proa s’opposent. Des querelles auxquelles les ouvriers sont bien
étrangers.
994 Tout particulièrement l’arrondissement de Melle où le protestantisme est bien ancré.
995 André Siegfried affirme même que cette population protestante doit être considérée comme une exception
étrangère aux critères habituels définissant les gens de l’Ouest, cf. SIEGFRIED (André), op. cit., p.473 note *.
996 PELCRAN (Anne), op. cit., pp.519-520.
997 Michel de Bourges (1797-1853) brillant avocat et républicain militant, fréquente Emmanuel Arago, Ledru-
Rollin, Raspail, Barbés ou bien encore Pierre Leroux. Il est également l’amant de l’écrivain George Sand qu’il
rencontre en 1835. Il n’est pas réélu en 1839. Les niortais lui reprochent son peu d’intérêt pour le département.
998 TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier et socialiste dans les Deux-Sèvres, BSHSDS, Niort, 1 er
trim. 1961, t.11.
999 Voir notice biographique in PELCRAN (Anne), op. cit., p.855.
1000 Le jour de la proclamation de la République on déploie même le drapeau rouge à Mauzé.
1001 COMBES (Jean) (dir.), op. cit., p.346.
221

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Dans les Deux-Sèvres, un comité central électoral se forme à Niort peu avant les
élections. Présidé par l’industriel Jean-François Blot 1002 , il est chargé de centraliser l’action de
tous les comités électoraux du département afin de choisir les huit candidats bénéficiant du
patronage républicain. On dénombre cinq ouvriers parmi les 37 membres. Les candidats
choisis sont tous d’anciens militants républicains à l’image de Demarçay 1003 , dont le père est
un ancien de la gauche dynastique. Mais surtout le comité ne compte que des membres de la
bourgeoisie du département. Derrière la tête de liste, le médecin Maichain, quatre avocats,
deux industriels et un cultivateur aisé 1004 .
Le choix de ces candidats déplait aux républicains avancés et à la classe ouvrière. Le
club démocratique et le comité des ouvriers socialistes, formés tous en mars 1848, refusent
d’agréer la sélection du comité central. En réaction l’extrême gauche va présenter sa propre
liste composée exclusivement de socialistes dont Claude Durand, Rouhier ou bien encore les
trois ouvriers que sont Paul Guay, Charles Martin et Louis Clerc. Ces derniers sont les seuls
représentants du prolétariat des Deux-Sèvres aux élections d’avril 1848 1005 . Mais plus que le
monde ouvrier, ils représentent avant tout le monde du petit artisanat à l’image de Guay, un
cordonnier dont la profession de foi est loin d’être révolutionnaire.
Toutefois ces candidats ouvriers ne fédèrent pas derrière eux tous les travailleurs du
département. Bien souvent le sentiment d’appartenance à un corps de métier est plus fort que
celui de dépendre d’une classe ou une catégorie sociale. Les professions organisées de
l’intérieur, sur un modèle compagnonnique, ne se reconnaissent pas dans les revendications
sociales et novatrices proférées par les tenants du socialisme. C’est le cas par exemple des
chamoiseurs niortais qui estiment appartenir à l’élite ouvrière. Ils jugent leurs besoins tout
autres que ceux des ouvriers occupés à des tâches jugées bien moins prestigieuses. Pour eux
l’essentiel réside dans l’augmentation de la consommation de leurs produits. Pour cela une
baisse des prix est nécessaire ce qui est incompatible, selon eux, avec les mesures sociales de
réduction du temps de travail ou de hausse des salaires. Des considérations bien éloignées du
« socialisme des métiers » qui se développe ailleurs en France, symbolisé par le comité
central des corporations ouvrières. Une conception ancienne voire archaïque du
compagnonnage expliquant qu’une partie des travailleurs industriels ou artisanaux vont se
1002 Il dirige en compagnie de son frère la filature de Pompairain à Châtillon-sur-Thouet.
1003 Fils aîné du général Demarçay, député de la Vienne pendant 27 ans, il est élu deux fois dans les Deux-Sèvres
en tant que membre de l’opposition radicale. Il abandonnera son mandat le 16 janvier 1849, VAPEREAU
(Gustave), Dictionnaire universel des contemporains, Paris, 1858, p.509.
1004 VINCK (Maurice), op. cit., p.36. Maichain figure également sur une liste de conciliation aux cotés de
nombreux notables légitimistes.
1005 Il y a 70 candidats au total.
222

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
ranger derrière des candidats conservateurs et légitimistes, comme Charles d’Assailly à
Niort 1006 .
Dans la Vienne huit sièges sont à pourvoir. A Poitiers, contrairement à ce qui se
produit à Niort, le comité électoral décide d’emblée d’offrir une place à un candidat
représentant le monde ouvrier. On est pleinement conscient que le petit peuple boutiquier de
la capitale poitevine représente un poids électoral qu’il ne faut pas négliger. D’ailleurs c’est
un artisan et petit entrepreneur 1007 , et non pas un simple ouvrier, qui trouve place dans la liste
comprenant des hommes de la bourgeoisie, tous anciens opposants à la monarchie de Juillet.
Cependant le choix du comité ne satisfait pas, là aussi, le monde ouvrier et l’extrême
gauche, estimant insuffisant de n’être défendu que par une seule personne. François-Xavier
Gauvain 1008 se fait le porte-parole du mécontentement. Il estime que « tout comité électoral
qui n’appuierait pas la candidature de représentants pris dans la classe ouvrière
méconnaîtrait l’esprit révolutionnaire, nierait implicitement la révolution de février 1009 ».
Après débats, les chefs ouvriers décident de former leur propre liste, autour du comité ouvrier
électoral poitevin, présidé par Gauvain. Ainsi quatre candidats ouvriers, désignés ainsi bien
qu’ils ne représentent pour la plupart que les métiers traditionnels et le monde de la boutique,
se joignent à la cinquantaine de postulants que l’on compte dans le département de la Vienne.
On trouve aux côtés de Gauvain, le doreur Collard, le serrurier Patault, dit Berry, et le
mécanicien Augey.
A côté des comités électoraux, des clubs d’opinon se créent un peu partout dans la
région, profitant de l’élan démocratique provoqué par les journées de février. Le monde
ouvrier en profite pour tenter de s’organiser. C’est le cas à La Roche-sur-Yon mais aussi à
Châtellerault où le club de la Fraternité de Châtellerault, créé par Euvrard, un contrôleur
d’armes, regroupe des ouvriers de la manufacture d’armes 1010 . De telles associations se
forment à Niort ou à Parthenay où elles doivent lutter contre des clubs formés par les forces
1006 A Niort une Association des travailleurs amis de l’ordre est créée par des ouvriers chamoiseurs en réaction
aux idéaux sociaux et républicains du moment, cf. VINCK (Maurice), op. cit., p.41.
1007 Un certain Ricordeau.
1008 Menuisier antiquaire et fouriériste, il s’installe à Poitiers dans les années 1830 où il donne des cours du soir
aux ouvriers, cf. MAITRON (Jean), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français : première partie
[1789-1864], Paris, 1966, v° Gauvain.
1009 MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République…op. cit., p.267.
1010 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Euvrard.
223

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
conservatrices. Celles-ci espèrent se constituer un électorat populaire sur fond de théorie
sociale et, surtout, de philanthropie 1011 .
b) Des revendications sociales sans être révolutionnaires
L’idéologie républicaine n’est pas du tout synonyme de socialisme. La démocratie
politique est la réelle priorité de la plupart des républicains. Si les préoccupations sociales
existent c’est en arrière plan. La majorité des professions de foi et autres programmes
politiques de l’époque en attestent.
La réaction de la municipalité provisoire de Saint-Maixent à la pétition, à la grève et à
la manifestation des ouvriers menuisiers de la cité est significative 1012 . Les chantres
municipaux de la liberté, de l’égalité et de la fraternité reprochent leur démarche aux
travailleurs qui ont manifesté et investi la mairie. L’hôtel de ville doit rester un « sanctuaire
inviolable » où les demandes sont solennellement examinées. Toutefois le conseil municipal
n’écarte pas pas les travailleurs. Il se dit à leur écoute. L’ouvrier n’est pas encore exclu du jeu
politique comme il le sera quelques mois plus tard.
« Nous avons trop de confiance dans votre bon sens et vos lumières
pour croire que vous n’êtes pas convaincus que nous voulons vos
intérêts et que vos intérêts vous commandent de rester calmes et
d’avoir confiance en nous. Si notre voix n’était pas entendue, c’est
qu’alors vous nous refuseriez les témoignages de sympathie dont
nous avons été jusqu’ici l’objet de votre part. »
Ces propos rassurants ne masquent pas l’inquiétude des républicains. Ils savent qu’il en faut
peu pour effrayer l’habitant des campagnes et l’amener à rejoindre le camp des conservateurs
comme partout en France.
Rares sont les candidats à se réclamer du socialisme pendant la campagne électorale
d’avril 1848 dans les Deux-Sèvres. L’extrême gauche se range derrière les candidatures du
docteur Maichain 1013 , désormais commissaire du gouvernement provisoire, du cordonnier
1011
Un Club des travailleurs voit le jour à Parthenay sous l’égide de personnalité légitimistes et présidé par le
bâtonnier des avocats de la ville.
1012
Proclamation du conseil municipal provisoire de Saint-Maixent du 21 mars 1848, GUYONNET (Jean), op.
cit., p.78.
1013
Maichain apparaît comme le chantre de l’union dans le département comme le démontre sa profession de
foi : « Plus d’antipathies, plus de haines. Faisons même taire pour un instant nos sympathies particulières et ne
224

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
communiste icarien et conseiller municipal niortais, Paul Guay et du médecin de Saint-
Maixent, Rouhier, dont la profession de foi, à l’emphase propre à l’époque, est marquée par
son caractère général et impersonnel : son discours est bien peu revendicatif et fort éloigné
des préoccupations quotidiennes des travailleurs :
« […] pénétré des grands principes d’organisation sociale professés
par Pierre Leroux, Lamartine, Louis Blanc et d’autres socialistes,
mes efforts tendront constamment à la réalisation sincère et
progressive de la devise de nos pères : Liberté, Egalité, Fraternité,
doctrine sublime proclamée il y a 18 siècles par l’Homme divin qui
expia par le supplice le plus affreux son amour immense de
l’humanité 1014 ».
Cependant les travailleurs artisanaux ou industriels eux-mêmes ne se montrent pas
révolutionnaires dans leurs attentes. Leurs candidats n’ont pas d’aspiration au changement
radical. La famille et la propriété ne sont pas remises en cause. Ils ne visent pas à changer les
fondements de la société mais plutôt à promouvoir une réelle égalité des chances offrant à
tous de pouvoir gravir les échelons de l’échelle sociale. L’ouvrier de l’époque,
particulièrement celui du monde artisanal, espère avant tout devenir son propre patron. Il ne
se soucie pas de promouvoir sa propre classe, car l’objectif est bel et bien d’en sortir. A ce
propos le poitevin Gauvain se fait mystique quand il affirme avoir la conviction d’être proche
« de la fusion et de l’union de l’intérêt des classes » et « que tous ensemble sinon du même
pas, nous marchons vers le même but, l’Unité, Dieu ».
Les professions de foi des aspirants 1015 députés du monde ouvrier déclarent
« réintégrer les travailleurs dans la société » et établir une égalité réelle entre toutes les
composantes de la communauté nationale que l’on soit cordonnier, serrurier, bourgeois ou
noble.
Pour Gauvain les vrais amis de la classe ouvrière se distinguent par leurs actes et non
par leurs discours en ces temps de fraternité ostensiblement exhibée. Les alliés du prolétariat
doivent considérer l’ouvrier comme leur égal 1016 , « en organisant le travail sur des bases
voyons que l’intérêt général. N’ayons qu’un but : la consolidation de la République et la confusion de ses
ennemis », PICARD (Georges), Histoire du département des Deux-Sèvres (1790-1939), Poitiers, 1979, p.174.
1014 TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit.
1015 Le passage suivant s’appuie sur l’analyse de Maurice Mathieu consacrées aux fondements des candidatures
ouvrières, en particulier la profession de foi de F.X. Gauvain, cf. MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la
Vienne sous la Seconde République…op. cit., pp.272-274 ainsi que sur le dictionnaire de Jean Maitron.
1016 C’est pourquoi il demande qu’un tiers des députés de l’Assemblée soit constitué d’ouvriers.
225

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
assez larges pour augmenter dans une progression immense, la fortune publique et le bien
être de tous sans rien enlever à personne ». L’éducation pour tous est un des moyens de
réaliser ce rêve d’égalité 1017 , tout comme le droit au travail, qui est également mis en avant.
Le cordonnier niortais Paul Gay milite lui aussi pour une réorganisation du travail et
l’abolition de tout impôt pesant sur les travailleurs. Jamais il n’aspire à une refonte de la
société tout entière. Ses revendications, pour l’essentiel, rejoignent celles des républicains
modérés : souveraineté populaire, respect du droit de propriété, de la famille, liberté d’opinion
et de conscience, abolition de la peine de mort et le plein exercice de la souveraineté
populaire, comme le fait Gauvain.
La cause des travailleurs n’est pas uniquement défendue par les candidats ouvriers.
Des républicains aux idées avancées évoquent le sort des classes laborieuses, dont on veut
apaiser les souffrances, même si leurs priorités sont là aussi plus politiques que sociales.
L’avocat châtelleraudais Pierre Pleignard est le plus éminent de ces républicains avancés. Lui
qui n’est ni communiste, ni saint-simonien, ni fouriériste, admet se soucier du sort des classes
populaires 1018 . Il milite pour une meilleure organisation du travail dans les villes, pour une
meilleure lutte contre le chômage, et une répartition plus juste de l’impôt qu’il souhaite
progressif. Dans le même temps il s’oppose à toute doctrine visant à faire disparaître
l’organisation hiérarchique de la société.
c) Le scrutin du 21 avril 1848
Au soir du 29 avril les républicains modérés triomphent partout 1019 .
Dans les Deux-Sèvres les huit candidats soutenus par le comité électoral s’imposent en
obtenant 48 % des suffrages exprimés. Les élus appartiennent tous à la bourgeoisie et sont
tous d’anciens électeurs voire d’anciens élus censitaires 1020 . La liste de conciliation mêlant
républicains et conservateurs recueille quant à elle 22% des voix, ce qui représente beaucoup
plus que le seul 1 % récolté par le comité des ouvriers socialistes. Partout l’électeur lui a
préféré les candidats républicains modérés même dans les localités considérées comme des
1017 Cf. passage consacré au doreur Collard in MAITRON (Jean), première partie, op. cit.
1018 A cela s’ajoute un intérêt électoral certain puisque son fief politique est localisé à Châtellerault.
1019 Avec un taux de participation au scrutin de 84 % les Deux-Sèvres et la Vienne se situent exactement dans la
moyenne nationale. La plus forte participation a lieu dans les cantons conservateurs du Nord du département là
où les élites locales et religieuses ont instauré une discipline de vote drastique. On compte 98 % de votants à
Bressuire ou bien encore 94 % à Parthenay. Le vote y est perçu comme un devoir de conscience.
1020 C’est le cas de Maichain et de Demarcay qui étaient députés sous la monarchie de Juillet.
226

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
places fortes des idées avancées comme peuvent l’être Niort, Champdeniers et surtout Mauzé
où la liste ouvrière n’obtient que 14 % des voix 1021 , une liste qui n’a pas plus de succès dans
le nord du département, où les conservateurs sont majoritaires 1022 . Toutefois, fait notable, elle
recueille ici une grande partie de ses rares suffrages dans les villes de Bressuire et de
Parthenay 1023 , la capitale de la Gâtine où une association ouvrière est créée dans les semaines
suivant les journées révolutionnaires de février. Un Club des travailleurs dont l’action est
pourtant entravée par la municipalité, puisque le maire refuse à ses membres l’accès à la salle
de spectacle municipale afin d’y empêcher ses réunions 1024 et que le commissaire de police de
Parthenay qualifie les membres de ce club de « fanatiques » voulant instaurer une
« république rouge » 1025 . Ces conditions sont loin d’être idéales pour diffuser une doctrine
déjà fortement confidentielle dans la région.
Dans la Vienne les légitimistes échouent à faire élire un des leurs 1026 . Quant aux
candidats ouvriers l’échec est encore plus patent. Le caractère éminemment rural du
département de la Vienne explique en partie ces piètres résultats en dehors de Châtellerault,
tout comme la décision tardive du comité ouvrier de proposer ses propres candidats. Mais
c’est surtout la crainte des campagnes envers l’ouvrier, envers « le partageux » qui a joué en
défaveur des représentants du prolétariat. Une opinion reprise par de Curzon :
« Les ouvriers ont été écarté parce qu’ils font peur et chose
remarquable, nulle part la répulsion n’a été décidée, plus complète
que dans les campagnes. […]. Ils font peur parce que ceux qui se
font leurs champions ont été excessifs, menaçants, rêvaient le
renversement des relations sociales 1027 ».
Seul l’avocat Pleignard est élu parmi les candidats étiquetés comme ayant des « idées
avancées » et favorable aux populations laborieuses. C’est naturellement dans son fief de
1021
VINCK (Maurice), op. cit., pp.47-48.
1022
C'est-à-dire dans le Bocage bressuirais et la Gâtine parthenaisienne et à l’exception de la plaine de Thouars.
1023
TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit.
1024
Une décision qui provoque moult polémiques, cf. POIGNAT (Maurice), Parthenay et la révolution de 1848,
BSHAAAP, 1954, n°3, p.29.
1025
Rapport du commissaire de police de Parthenay en date du 21 avril 1848, ADDS 4M6.14 b. Révolution de
1848 ; proclamation de la République et adhésion des communes ; arbres de la Liberté ; délivrance de
drapeaux ; rapports divers (1848-1849).
1026
Cette absence d’élu surprend la préfecture.
1027
MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République…op. cit., pp.287-288.
227

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Châtellerault qu’il recueille la plus grande part de ses voix. Avec 31 682 suffrages 1028 il figure
au sixième rang des élus. On est loin des 9 000 voix en faveur de Gauvain, le premier des
candidats du comité ouvrier 1029 . Les nombreux suffrages reçus par Pleignard dans la région de
Châtellerault montrent également qu’une grande partie du monde artisanal et à fortiori ouvrier
n’a pas encore de réelle conscience de classe. On considère encore les élites, en l’occurrence
ici un avocat, comme de meilleurs représentants que des membres de sa propre condition.
Peu nombreux mais néanmoins présents dans la campagne électorale, puis finalement
écartés sans ambages par les urnes, les ouvriers des Deux-Sèvres et plus largement les tenants
de la mouvance socialiste n’ont pas réussi à faire entendre leur voix et à dépasser les préjugés.
Un peu plus actifs politiquement que dans la Vienne, les ouvriers n’y obtiennent pourtant pas
plus de réussite.
Toutefois à défaut d’y obtenir des élus, l’élection d’avril 1848 est la première occasion
pour le mouvement ouvrier national et local de faire entendre ses revendications spécifiques,
beaucoup plus sociales que politiques. L’objectif recherché est d’améliorer les conditions de
vie et de travail mais aucunement de modifier les structures profondes de la société. Les
propos tenus ne sont jamais de nature révolutionnaire. Quand un prolétaire évoque des
considérations politiques il se contente de reprendre les grands thèmes républicains en
insistant sur celui de l’égalité.
Cependant si les ouvriers revendiquent ils ne sont pas forcément écoutés, en particulier
dans la région, là où l’agriculture prédomine. Non seulement le mouvement des travailleurs
n’a pas d’élus, et rares sont les républicains radicaux à pouvoir réellement intercéder en leur
faveur, mais surtout ils suscitent la crainte parmi les populations rurales. Inquiétude que les
événements parisiens ultérieurs vont alimenter et justifier.
C’est dans ce contexte de reformation des antagonismes politiques anciens, succédant
à l’éphémère communion nationale des premières semaines de février, que les élections
présidentielles du 10 décembre 1848 ont lieu. C’est l’occasion de jauger à nouveau le poids
du monde ouvrier dans la région à l’aide des scores obtenus par les candidats d’extrême
gauche à cette première élection présidentielle au scrutin universel, date marquante et début
d’une période longue et difficile pour le tout jeune mouvement ouvrier français.
1028 Dans le département de la Vienne 72 722 personnes votent sur les 86 394 individus inscrits, soit 84% de
participation ce qui équivaut à la moyenne nationale. Le premier élu est Drault, chef de file des libéraux, avec
51 059 suffrages.
1029 Collard en recueille 5 000.
228

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
B- L’ouvrier mis à l’écart du jeu politique
Les événements parisiens aboutissant aux violentes journées de juin 1030 change
profondément la nature du mouvement révolutionnaire en cours. La générosité des premières
semaines laisse la place à la méfiance et à la répression. Les partisans des doctrines socialistes
et les travailleurs se sentent bafoués et exclus de leur révolution. Le divorce semble
consommé avec l’Etat. L’autorité publique n’a plus qu’un souci : assurer le maintien de
l’ordre public.
Les émeutes de juin provoquent une vive inquiétude dans les esprits des habitants qui
suivent avec attention le déroulement de la situation parisienne. Une angoisse que ne manque
pas d’attiser quelques-uns des ardents partisans de la réaction 1031 . Déjà le 1 er mai est
l’occasion pour 150 à 200 ouvriers maçons et terrassiers de la commune de Parthenay et des
alentours de parcourir la vieille ville, le drapeau tricolore en tête. Parmi eux, le garde
champêtre de la commune de Châtillon le sabre à une main et un ruban rouge à l’autre. Le
maire de la ville est verbalement pris à parti par les femmes du cortège 1032 . Au mois de juin
suivant on dénombre de nombreux propos séditieux dans la ville et ses alentours.
Cette tension va s’accroître au fil des semaines un peu partout dans la région, à
l’image des bourgeois et ouvriers de Saint-Hilaire-des-Loges se faisant face le 21 juin sur la
place du marché le couteau en avant, tout en étant très loin de ce qui peut se passer dans
d’autres régions françaises 1033 .
Toutefois la première tâche des représentants de l’Etat est de canaliser l’afflux vers la
capitale d’une main-d’œuvre attirée par les Ateliers nationaux. Le sous-préfet de
l’arrondissement de Châtellerault constate l’ampleur du flot d’ouvriers bénéficiant de
transports de route gratuits qui transitent par sa ville en direction de Tours et de Paris 1034 .
Cette population sans attache et fortement manipulable suscite l’inquiétude des autorités. Le
ministre de l’Intérieur Ledru-Rollin donne des consignes strictes pour limiter les
1030
Un « combat de classe », selon Tocqueville.
1031
Cf. MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République…op. cit., p.310 et s.
pour le département de la Vienne..
1032 er
Lettre du commissaire de police du 1 mai 1848, Ibid.
1033
Signalons également qu’à Limoges les ouvriers réagissent violemment au prononcé des élections d’avril.
Une Commune s’y établit même pendant quelques jours et à Rouen une manifestation ouvrière se termine e bain
de sang, 34 ouvriers y trouvent la mort, WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., pp.135-136.
1034
Rapport du sous-préfet de Châtellerault du 4 avril 1848, ADV M4.54. Correspondances du préfet (1848).
Auparavant, ces individus transitent pour la plupart par Limoges..
229

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
déplacements de cette population à risque, dont le trop grand nombre pourrait susciter un trop
plein de main-d’œuvre dans la capitale et envenimer encore un peu plus une situation déjà très
tendue.
Circulaire du ministère de l’Intérieur du 4 avril 1848 aux
citoyens commissaires du gouvernement de la République
dans les départements 1035 :
« Citoyen commissaire, le nombre de travailleurs admis dans les
Ateliers nationaux de Paris s’accroît tous les jours d’une manière
notable, par suite de l’arrivée d’un grand nombre d’ouvriers des
départements. Il en résulte le double inconvénient d’une concurrence
fâcheuse pour les ouvriers de Paris et d’un accroissement de
dépenses pour le Trésor.
Il est urgent d’y remédier ; en conséquence des ordres formels vont
être donnés pour qu’on n’admette désormais aux Ateliers nationaux
que les seuls ouvriers qui avaient leur domicile à Paris avant le 24
février. On va également aviser à amener les autres ouvriers à
retourner dans leurs départements respectifs.
Je vous en donne avis : il importe essentiellement que les
départements fournissent dans la mesure de leurs ressources, du
travail à leurs ouvriers, et préviennent ainsi un déplacement de
population nuisible à tous les intérêts ».
Cette circulaire ne suffit pas à endiguer le flot d’ouvriers convergeant vers la capitale. Le
ministère de l’Intérieur multiplie les directives. Le 6 juin, il rappelle que les ouvriers qui
séjournent depuis moins de trois mois dans le département de la Seine doivent le quitter avec
leur famille. Pour cela les personnes concernées bénéficient d’une indemnité de 40 centimes
par myriamètres et d’une somme de cinq francs à l’arrivée à destination, tout en suivant une
feuille de route indiquant précisément le trajet 1036 . Cependant le problème persiste, même si
en juillet le sous-préfet de l’arrondissement de Châtellerault affirme n’avoir dirigé sur la
capitale aucun ouvrier sans raison valable de s’y rendre. Tout voyageur doit justifier d’être
domicilié à Paris depuis le 1 er mars et de disposer sur place d’un contrat de travail passé
devant un magistrat 1037 afin d’éviter tout certificat de complaisance 1038 .
1035
ADV M4.54. Correspondances du préfet (1848).
1036
Circulaire du 6 juin 1848 du ministère de l’Intérieur, ADV M4.52 Circulaires des ministres de la Seconde
République & du second Empire [1848-1851.]
1037
Maire, commissaire de police ou juge de paix.
230

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Une situation qui explique la présence de nombreux ouvriers vagabondant dans les
campagnes et arrivant en masse dans les villes en espérant y trouver du travail. Ceux-ci n’ont
aucune ressource. Soit ils disposent de secours de route insuffisants 1039 soit ils n’en
bénéficient aucunement puisqu’ils n’ont aucune destination à fournir aux autorités ou aucune
raisons valables de se déplacer. En août 1848, quelques-uns d’entre eux sont dirigés vers
Poitiers « où ils ne trouvent pas de travail pour assurer leur subsistance 1040 ».
Les quelques ateliers de charité ne suffisent pas à absorber le trop plein de main-
d’œuvre. Ils coûtent trop cher à entretenir et sont des foyers de tensions potentielles.
L’exemple des travaux organisés sur la route nationale 145 près de Loudun l’illustre. En juin
1848 les ouvriers renvoyés faute d’ouvrage se rendent sur les chantiers pour débaucher ceux
qui ont encore la chance de travailler, à défaut toujours d’être payés. Le lieutenant de
gendarmerie auquel les mécontents s’adressent renvoie ses interlocuteurs auprès du sous-
préfet. Le manque de fonds est flagrant. Le directeur des ponts et chaussées s’en plaint et
explique qu’il s’agit de la cause du ralentissement des travaux et du licenciement d’une
grande partie des personnes embauchées. Il estime urgent de payer ce qui est dû aux ouvriers
afin d’assurer l’ordre public 1041 .
A ce contrôle du déplacement des personnes sans travail et sans ressources s’ajoute la
recherche des individus impliqués dans les émeutes parisiennes de la fin du mois de juin 1848
pendant lesquelles Cavaignac conquiert les rues de la capitale au prix de plusieurs milliers de
morts. La répression qui suit doit être rigoureuse et impitoyable. Les circulaires ministérielles
l’attestent. Les préfets doivent rechercher les insurgés ayant pris la fuite en province ce qui
provoque une surveillance accrue des voyageurs, en particulier des « vagabonds et sans
aveux » qui, s’ils n’ont pas de papiers ou que leur notoriété n’est pas établie, doivent être
conduits devant le juge sans délai 1042 .
Ces individus ne semblent pas nombreux à avoir été appréhendés dans la région. Citons
cependant l’exemple d’un tailleur d’habits vendéen traduit devant la Cour d’assise pour avoir
participé aux émeutes de juin et pour ensuite avoir développé une propagande blanquiste dans
1038
Circulaire du ministère de l’Intérieur du 3 octobre 1848, ADV M4.52 Circulaires des ministres de la seconde
République & du second Empire [1848-1851].
1039
En août 1848, le maire de Couhé dans la Vienne se plaint auprès du préfet d’être assailli de personnes
indigentes qui réclament le paiement de secours de routes englobant l’intégralité de leur trajet, cf. ADV M4.54.
Correspondances du préfet (1848).
1040
ADV M4.54. Correspondances du préfet (1848).
1040
Ibid.
1041
Ibid.
1042
Circulaire du 28 juin 1848 du ministère de l’Intérieure, ADV M4.52 Circulaires des ministres de la seconde
République & du second Empire [1848-1851].
231

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
son département d’origine 1043 . L’administration craint que ces fuyards sans le sou ne
provoquent des mouvements insurrectionnels comme en juillet où le préfet des Deux-Sèvres
évoque de possibles troubles à Niort causés par la venue de nombreux anarchistes. L’autorité
militaire est alertée 1044 .
Dans le même temps les pouvoirs publics appréhendent la création de sociétés secrètes
et se méfient des sociétés de secours mutuels qui se créent alors, comme c’est le cas à
Châtellerault. Les premiers mois de 1849 sont agités dans cette ville. L’ouvrier est d’autant
plus craint qu’il s’agite à l’approche d’élections législatives vouées au triomphe des
conservateurs. Le ministre de l’Intérieur s’inquiète d’une situation qui peut vite dégénérer
puisque, selon lui, « les ouvriers […] annoncent publiquement leur intention de descendre
dans la ville au premier signal 1045 ». Parmi eux 200 ouvriers ont à leur disposition les armes
de la manufacture. L s’agit en fait d’appréhension infondée 1046 , teintée de propagande
conservatrice, même si quelques légers incidents émaillent le déroulement des élections
législatives de 1849 à Châtellerault.
Le sentiment fraternel des premiers jours laisse définitivement place à un retour
marqué des antagonismes politiques et à une méfiance grandissante à l’encontre de l’ouvrier,
le « rouge » vecteur de confusion, d’anarchie et de terreur 1047 . La France craint par-dessus tout
le désordre. Le choix de Louis-Napoléon Bonaparte lors des élections présidentielles de
décembre 1848 traduit cette angoisse.
1043
FAUCHEUX (M.), MORAUZEAU (L.), op. cit., pp. 14-15.
1044 er
Télégramme confidentiel du ministère de l’Intérieur eu préfet de la Vienne du 1 juillet 1848, ADV M4.54.
Correspondances du préfet (1848).
1045
Rapport ministériel du 14 février 1849, ADV M4.56. Correspondances du préfet (premier semestre 1849).
1046
Les demandes de troupes supplémentaires à Châtellerault comme à Poitiers seront refusées.
1047
Un hommage aux défenseurs de l’ordre de juin 1848 traduit bien l’opinion d’une majorité de français :
« L’affreuse anarchie, hydre aux gueules hurlantes
Monstre né de l’orgueil et de l’avidité
Qui lève parmi nous ses têtes menaçantes
Et couvre ses forfaits du nom de liberté ».
232

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
a) Les élections présidentielles du 10 décembre 1848
La constitution 1048 adoptée par l’Assemblée constituante le 4 novembre 1848 on
décide de procéder au plus vite à l’élection de celui qui présidera la République pour quatre
années non renouvelables. La date est fixée au 10 décembre.
Cinq candidats 1049 briguent la fonction de chef de l’exécutif : Louis-Eugène
Cavaignac, le général qui a maté les journées révolutionnaires de juin ; Louis-Napoléon
Bonaparte, neveu du petit caporal devenu Empereur ; Alphonse de Lamartine, le poète
romantique défenseur du drapeau tricolore ; Alexandre Ledru-Rollin, grand artisan de la
révolution de février et ministre de l’Intérieur du gouvernement provisoire ; enfin François-
Vincent Raspail, médecin et chimiste converti au socialisme idéaliste et révolutionnaire,
détenu à Vincennes depuis le 15 mai et la manifestation au palais Bourbon en faveur de la
Pologne.
Au soir du 10 décembre Louis Napoléon Bonaparte l’emporte avec près de cinq
millions et demi des voix soit près de 75 % des suffrages exprimés 1050 . Ce triomphe
s’explique par son habileté à « se présenter tout à la fois comme le vengeur des humiliations
de 1815, le garant de l’ordre et de la liberté, et le médiateur entre les possédants et les
déshérités 1051 ». Le républicain Cavaignac, « le boucher de juin » pour les ouvriers, n’obtient
que 20 % des suffrages. Quant au radical Ledru-Rollin il a 5 % des voix et Raspail seulement
36 000, soit à peine un demi pourcent, deux fois plus que Lamartine !
1. Des ouvriers confrontés à un choix difficile
Dans les départements de l’ancien Poitou, comme ailleurs, les antagonismes politiques
se renforcent dans les semaines précédant l’élection présidentielle.
D’un côté les conservateurs se rangent en ordre de bataille pour profiter du malaise et
du sentiment d’insécurité qui règne dans le pays. Les forces conservatrices ont déjà remporté
1048
La Constituante met en place un régime de stricte séparation des pouvoirs entre l’exécutif, représenté par le
président de la République, et l’assemblée.
1049
On peut y ajouter le militaire légitimiste Nicolas Changarnier qui obtient quelques milliers de voix sans
s’être présenté officiellement.
1050
Bonaparte symbolise à la fois l’ordre, le rejet d’une certaine bourgeoisie et le refus d’une certaine pression
fiscale, cf. GOSSEZ (Rémi), La résistance à l’impôt. Les quarante-cinq centimes, Société d’histoire de la
Révolution de 1848, Paris, 1953, p.89 à 132.
1051
ANTONETTI (Guy), Histoire contemporaine politique et sociale, Paris, 1997, p.272.
233

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
beaucoup d’élections locales survenues en juillet et août 1848 1052 . Le franc succès de la liste
de conciliation présentée par les légitimistes aux élections municipales de Niort l’atteste. Les
candidats ouvriers sortants ne sont pas réélus 1053 . Même situation avec le retour d’hommes de
la monarchie de Juillet, élus au conseil général des Deux-Sèvres 1054 . A Châtellerault la
victoire probable de Proa aux élections municipales provoque la mobilisation des forces de
gauche et de la population ouvrière. Une mobilisation vaine mais agitée, qui effraie à nouveau
le bourgeois comme le paysan.
De l’autre côté les forces démocratiques et d’extrême gauche tentent de s’organiser
afin de résister aux conservateurs à nouveau conquérants. On veut promouvoir les thèses
républicaines, radicales et socialistes, bien malmenées depuis juin. La plupart du temps on
tient réunion dans des cafés. Parfois des cercles et des associations d’inspirations
montagnardes 1055 sont créés.
Dans les Deux-Sèvres le Cercle d’Apollon est l’un d’entre eux 1056 . Il regroupe de
jeunes travailleurs niortais cherchant à éduquer leurs homologues sous couvert de cours de
chant. Cette activité attire la suspicion des autorités 1057 , qui, dès juin, affirmaient que le
communisme exploite sans vergogne les souffrances de la classe ouvrière niortaise 1058 . Un
cercle du même type existe également à Mauzé en novembre 1059 .
Dans la Vienne l’avocat Duplaisset crée une antenne régionale de la Solidarité
Républicaine. Des membres du comité ouvrier s’y joignent à l’image du doreur Collard. Ce
groupement est en relation avec les responsables ouvriers de la manufacture de Châtellerault.,
ce qui ne manque pas de préoccuper les autorités de police. Des sections sont créées dans les
1052
Elections municipales, aux conseils généraux et aux conseils d’arrondissements.
1053
Les monarchistes sortent vainqueurs des élections municipales du 31 juillet 1848 à Niort. Ils obtiennent 18
élus contre seulement huit républicains. Toutefois le républicain Giraud est nommé maire dans un souci de
préservation de l’ordre public. Auparavant le chef-lieu du département possédait la seule municipalité
majoritairement républicaine des Deux-Sèvres avant la révolution de février. Paul Guay ou l’ouvrier chamoiseur
Petit-Crétal en faisait parti. Les personnalités socialistes de Mauzé sont également battues. Les maires
républicains sont rares. Thouars fait figure d’exception. Cf. VINCK (Maurice), op. cit., pp.69-70 et COMBES
(Jean) (dir.), op. cit., p.348.
1054
C’est le cas de Ferdinand David, député de Niort sous la monarchie de Juillet, cf. TOUL (Yves), Géographie
de l’élection présidentielle du 10 décembre 1848 dans les Deux-Sèvres, BSHSDS, Niort, 2 e trim. 1961, t.11, p.
437 et s.
1055
Le parti Montagnard est créé à Paris en novembre 1848. Ses membres refusent le socialisme tout en se
démarquant des républicains modérés.
1056
Le cercle est dissous par la municipalité en 1850. On le soupçonne de fomenter des actes révolutionnaires.
Cf. Rapport du procureur général du 6 janvier 1850, AN BB30 364.2.
1057
Un décret du 28 juillet 1848 limite fortement la liberté des associations et autres clubs démocratiques nés peu
après les journées de février.
1058
Lettre du préfet Morin au ministre de l’Intérieur du 26 juin 1848, AN F/1b1/167.31.
1059
VINCK (Maurice), op. cit., pp.76-77.
234

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
faubourgs populaires de Poitiers, de Châtellerault, à Loudun 1060 et dans d’autres bourgs et
cités du département de la Vienne.
Cette alliance entre des républicains proches de Ledru-Rollin et le monde ouvrier,
toujours des artisans ou de petits boutiquiers urbains, démontre à nouveau que les aspirations
de la classe laborieuse et des meneurs du mouvement qui les représentent sont loin d’être
révolutionnaires.
Alors que la majorité des conservateurs se rallie sans enthousiasme 1061 , mais non sans
arrière-pensées, à Louis-Napoléon Bonaparte, qui est pour beaucoup synonyme d’un retour de
l’ordre, les forces de gauche demeurent divisées.
Les plus modérés choisissent Cavaignac, véritable candidat officiel du pouvoir en
place. Un homme qui, malgré le sang qui entache son uniforme, demeure le candidat le mieux
placé afin d’espérer triompher de Bonaparte.
Les membres de la Solidarité Républicaine poitevine évoquent la possibilité de
soutenir la candidature du chef provisoire de l’exécutif – le « vote utile » pour reprendre un
vocable contemporain – avant finalement de se ranger derrière la bannière radicale de Ledru-
Rollin. Une position adoptée par la quasi-totalité des clubs montagnards de la région.
En revanche le socialisme de Raspail ne trouve guère de partisans 1062 . L’homme est
trop peu connu du simple ouvrier ou de la masse des travailleurs des campagnes. Ses théories
paraissent encore trop abstraites. Seuls les disciples communistes de Cabet se trouvant à Niort
ou à Mauzé se rangent derrière lui.
Ce choix de Ledru-Rollin confirme que les ouvriers appartenant au cercle ne sont pas
des révolutionnaires, tout au plus des radicaux. Une brochure, signée par « un vieux
démocrate 1063 », fait l’éloge de Ledru-Rollin, le meilleur garant des principes démocratiques,
des intérêts populaires, de l’ordre et de la stabilité. Une notion de maintien de l’ordre nouvelle
dans le lexique radical mais indispensable maintenant que la lutte contre l’anarchie est le
point central de la campagne. On est très loin des envolées lyriques et fraternelles de février !
1060 La ville de Loudun où La Solidarité républicaine à bien peu d’influence.
1061 D’autres conservateurs, en particulier des orléanistes, voient en Cavaignac un réel garant de l’ordre et sont
prêts à lui apporter leur soutien. Notons également qu’aucun comité de soutien bonapartiste ne se constitue dans
les Deux-Sèvres.
1062 Un courrier du ministère de la Police générale au préfet de la Vienne du 12 avril 1853 affirme que Gauvain a
soutenu Raspail aux élections, jugeant Ledru-Rollin trop modéré. On peut douter de cette affirmation. Le
ministère veut peut être alourdir le dossier d’accusation d’un homme que le pouvoir veut éliminer, ADV M4.65.
Correspondances du préfet (1853).
1063 Ce « vieux démocrate » serait Duplaisset ou peut être même Gauvain !
235

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Dans le même temps l’Abeille continue sa propagande favorable bonapartiste sans se
soucier de Ledru-Rollin. Le leader de la Montagne est considéré comme « un rouge »
inoffensif, car méconnu de la plupart des membres du corps électoral et dépourvu du soutien
des campagnes qu’il effraie ; pour elles, la gauche c’est le désordre.
Mais Louis-Napoléon Bonaparte n’est pas que le champion du conservatisme.
L’auteur de L’extinction du paupérisme 1064 séduit certains ouvriers, quand ils ne sont pas
sensibles au seul nom de Napoléon qui fait encore vibrer en eux les souvenirs glorieux d’une
grandeur désormais révolue.
2. Le triomphe bonapartiste et l’échec patent de l’extrême
gauche
La participation électorale est plus faible que les précédentes. L’enthousiasme naïf
des débuts a disparu. Une forte abstention caractérise les régions foncièrement conservatrices
et historiquement hostiles à Napoléon 1 er comme le bocage vendéen ou bressuirais 1065 et la
Gâtine parthenaisienne 1066 . Cette hostilité à la famille Bonaparte pousse même d’ardents
légitimistes à voter pour Cavaignac.
Néanmoins c’est un raz-de-marée bonapartiste qui submerge l’ancien Poitou comme le
reste de la France. Près de quatre cinquièmes des votants des Deux-Sèvres, de la Vienne, un
peu moins en Vendée, accordent leurs suffrages au neveu de l’Empereur 1067 . Les zones
républicaines d’avril 1848, du sud des départements de la Vendée et des Deux-Sèvres, ainsi
que leur ramifications dans la Vienne 1068 , sont les plus enthousiastes à voter Bonaparte. Pour
les habitants de ces plaines, laïcs aux racines protestantes, un Bonaparte ne peut que garantir
les acquis de la Révolution auxquels ils sont fondamentalement attachés. Le choisir c’est
« voter Bleu ».
1064 Un ouvrage mettant en avant des préoccupations sociales inspirées par Saint-Simon.
1065 La place importante de la petite Eglise dans le canton de Cerizay, et plus largement dans l’arrondissement de
Bressuire, explique également cette abstention puisque ces dissidents ont toujours refusé le concordat entre Pie
VII et Napoléon. Dans leurs esprits un Bonaparte ne peut être qu’anti-religieux. Sur la petite Eglise voir
BILLAUD (Auguste), La petite Eglise dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), Paris, 1961, 654 p.
1066 73 % de participation contre 86,5 % en avril 1848 dans les Deux-Sèvres, 78 % dans la Vienne, soit des
pourcentages proches de la moyenne nationale qui est de 75 %. Seul le département de la Vendée se démarque
réellement avec un taux de participation de 56,8 %.
1067 Louis Napoléon Bonaparte obtient 85 % des suffrages exprimés dans la Vienne et 83 % dans les Deux-
Sèvres. La Vendée est légèrement en retrait avec 74 % des suffrages exprimés en faveur de Bonaparte.
1068 Les arrondissements de Civray et de Loudun, les cantons de Saint-Georges, de Chauvigny et de Saint-Savin,
cf. carte in MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République…, op. cit.,
pp.360-361.
236

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Cette déferlante laisse très peu de place aux candidats se réclamant du monde ouvrier.
Non seulement les campagnes, où résident de nombreux travailleurs artisanaux ou industriels,
ont choisi le candidat de l’ordre mais aussi des bastions urbains réputés de gauche.
A Châtellerault, dans le « canton rouge », Ledru-Rollin recueille beaucoup moins de
voix que Pleignard ou Gauvain sept mois plus tôt 1069 . Même ici Louis-Napoléon Bonaparte
emporte une grande part des suffrages 1070 . Nombre d’ouvriers lui ont donné leurs voix. Il est
même qualifié « d’élu du peuple » par des socialistes locaux peu de temps après les élections.
Toutefois le ralliement des ouvriers n’est pas aussi massif qu’ailleurs puisque Ledru-Rollin
obtient près de 80 % du total de ses voix obtenues dans la Vienne uniquement dans la
commune de Châtellerault.
Les cités où la gauche républicaine résiste correspondent rarement aux sites où réside
une population ouvrière importante. Ce sont plutôt des localités historiquement républicaines
ou démocrates ou bien encore des fiefs de personnalités des listes de gauche.
En Vendée ce sont les villes républicaines de Fontenay-le-Comte et des Sables-
d’Olonne qui marquent le plus de réticence au futur prince président 1071 .
Dans la Vienne seul le bourg laborieux de Chauvigny se rencontre parmi les rares
bastions de la démocratie avancée 1072 . A Poitiers Ledru-Rollin n’obtient que 410 voix soit
moins que Pleignard lors des élections à la Constituante. Ici la bourgeoisie administrative et
marchande choisit plutôt Cavaignac, mais il n’obtient qu’un tiers des voix.
Dans les Deux-Sèvres la population ouvrière est dispersée dans les campagnes ce qui
l’empêche de peser sur les élections. Seules les villes de Niort, et, à une échelle moindre, de
Parthenay et de Saint-Maixent, comptent des ouvriers intra muros. Un constat qui ne vaut pas
pour les communes de Mauzé, où les doctrines de gauche demeurent très implantées, tout
comme à Thouars ou même à Bressuire.
Dans les grandes villes et bourgs importants de la région, la bourrasque bonapartiste
fait moins « de dégâts » que dans les campagnes 1073 , même si l’empereur en devenir enlève
1069
Environ 3000 voix dont une grande part à Châtellerault et aux alentours.
1070
43 % pour Bonaparte et seulement 11 % pour Ledru-Rollin contre 49 % pour Pleignard en avril 1848.
1071
Cette réticence est relative à Fontenay et son canton où le futur empereur obtient tout de même 65,9 % des
voix, un pourcentage qui aurait été certainement plus élevé sans les votes urbains. Une méfiance bien plus
importante dans l’arrondissement des Sables-d’Olonne où Bonaparte n’obtient qu’un petit tiers des suffrages cf.
HELLO (Yves), op. cit., p.82.
1072
On peut y ajouter les communes de Mirebeau, Lusignan et l’Isle-Jourdain, des localités où Pleignard avait
réussi de bons scores en avril 1848.
1073
Le futur Napoléon III peut être considéré comme l’empereur des paysans, tant leur poids dans le suffrage
universel est important. Un soutien paysan que Bonaparte entretien tout au long de sa présence à la tête de l’Etat.
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Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
plus de la moitié des suffrages 1074 . A Niort une grande part des ouvriers et des petits artisans
votent encore à gauche 1075 . Les idées républicaines et démocratiques avancées restent
imprégnées dans le chef-lieu des Deux-Sèvres.
Quant à Raspail, Ledru-Rollin le devance sans peine et sans surprise dans la région. Le
candidat d’extrême gauche ne recueille que quelques dizaines de suffrages dans la Vienne et
un peu plus de deux cent dans les Deux-Sèvres 1076 .
Fin 1848 un constat s’impose pour le monde ouvrier local : hormis Châtellerault, et
dans une beaucoup moindre mesure Niort, l’ouvrier ne pèse pas dans le jeu politique de la
région. Ici comme partout en France ce sont les campagnes qui tiennent les rênes des scrutins
nationaux. La population ouvrière n’a aucune conscience de classe. Elle n’a pas encore le
sentiment d’appartenir à un groupe social déterminé. Un cheminement psychologique
compliqué par la dissémination des ouvriers dans les campagnes. Ici la mentalité du
travailleur industriel ne diffère pas de celle de son voisin paysan. Qui plus est l’existence d’un
compagnonnage archaïque demeure un frein à l’unification de la classe ouvrière et à la
propagation des idées de gauche. Chaque profession garde jalousement ses distances les unes
envers les autres.
L’élection de mai 1849 va confirmer à la fois la prédominance du Parti de l’ordre et
l’impuissance politique d’une minorité ouvrière de plus en plus isolée qui sera condamnée au
silence pour de très longues années.
b) Les élections législatives du 13 mai 1849
Les départements de l’ancienne province du Poitou n’échappent pas à la mainmise du
parti de l’Ordre sur l’Assemblée, désormais occupée par 500 députés de droite, monarchistes
et catholiques 1077 , sur les 750 qui occupent ses travées. La gauche montagnarde compte 180
députés autour de Ledru-Rollin. Enfin seuls 70 rescapés de la Constituante représentent le
1074 Environ 60 % dans les deux cantons de Niort, cf. TOUL (Yves), Géographie de l’élection présidentielle du
10 décembre 1848 dans les Deux-Sèvres, op. cit., p. 441.
1075 Dans la première section du premier canton de Niort, les candidats de gauche totalisent près de 40 % des
voix, cf. TOUL (Yves), Géographie de l’élection présidentielle du 10 décembre 1848 dans les Deux-Sèvres, op.
cit., p. 443.
1076 Essentiellement à Mauzé et à Niort.
1077 On compte autant de légitimistes que d’orléanistes, ces derniers ayant radicalisé leurs positions.
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Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
camp des républicains modérés 1078 . La droite régionale monopolise les sièges. La Vendée élit
huit députés, tous légitimistes ; les Deux-Sèvres quatre légitimistes, deux orléanistes et un
bonapartiste 1079 ; et la Vienne six monarchistes dont une majorité d’orléanistes. On n’a jamais
voté autant à droite depuis 1830 et le suffrage censitaire.
Les élections partielles survenues dans le département de la Vienne le 14 janvier
1849 1080 illustrent déjà le désarroi des candidats de gauche. La fracture de juin reste ouverte et
de fortes dissensions opposent républicains modérés et socialistes. Désormais les
représentants ouvriers sont mis à l’écart. La gauche n’accorde pas aux ouvriers le droit d’être
représentés par leurs propres membres. Gauvain traduit son désenchantement dans sa
profession de foi en évoquant le mépris dont ils font l’objet. Les conservateurs Proa et
Hennecart l’emportent malgré la forte abstention constatée dans le département. Dans le fief
de Proa, à Châtellerault, la quatrième section 1081 fait exception en votant majoritairement pour
des candidats de gauche. Les ouvriers de la manufacture apportent leurs votes à Fradin,
l’ancien sous-préfet de l’arrondissement, et au républicain modéré Demarcay 1082 qui est bien
loin d’être un révolutionnaire. Ce scrutin est à nouveau émaillé de légers incidents, suffisants
pour alimenter encore une fois les frayeurs populaires.
L’ouvrier est l’éternel « rouge » ce que souligne le sous-préfet de Châtellerault en
affirmant que « la population est sous l’empire de la frayeur, le parti exalté s’agite » tout en
précisant qu’il « ne fait cependant rien qui puisse donner prise à un acte répréhensif 1083 ».
La propagande très active 1084 du parti de l’Ordre stigmatise le danger potentiel des idées
montagnardes et socialistes. Les journaux et les brochures sont distribués dans les campagnes.
Les rédacteurs expliquent que non seulement les thèses dites « avancées » encourageraient
l’anarchie et la violence 1085 parmi les classes défavorisées mais aussi, et surtout, elles
saperaient les bases de la société en s’en prenant à la propriété, à la famille, à la morale et à la
1078
Les résultats de l’élection laisse apparaître l’existence de fiefs démocratiques et socialistes à la fois dans les
centres urbains et industriels mais aussi dans certaines régions rurales du sud de la Loire où le « parti de la
Montagne » a des adeptes, cf. WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.144.
1079
COMBES (Jean) (dir.), op. cit., p.349.
1080
Ces élections surviennent afin de pourvoir au remplacement des députés Sylvain Drault et Alfred Jeudy.
1081
Section où se situe la manufacture d’armes.
1082
Proa recueille 1334 voix à Châtellerault mais uniquement 292 dans la quatrième section alors que Fradin y
obtient plus de la moitié des 1190 voix obtenues dans la ville.
1083
Lettre du 5 février 1849, ADV M4.56. Correspondances du préfet (premier semestre 1849)
1084
Une propagande menée tout particulièrement par le journal légitimiste l’Abeille.
1085
Plusieurs républicains avancés niortais sont accusés d’avoir fomenté une émeute populaire à Niort le 18
février 1848. Emprisonnés ils ne seront jugés qu’en juin, AN BB 30-364 12.
239

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
religion. Des propos qu’on ne rencontre évidement pas chez les représentants régionaux de la
gauche et du monde ouvrier. On en arrive même à publier des confessions, réelles ou
douteuses, d’ouvriers ayant succombé par le passé aux sirènes du socialisme avant de
retrouver la raison et l’envie de devenir propriétaires 1086 .
Dans un contexte aussi délétère, républicains avancés, démocrates et autres socialistes
vont se rendre aux urnes en ordre dispersé.
Ceux de la Vienne vont tenter de se rapprocher pour faire face à l’adversité. Des
candidats communs sont présentés, mais deux comités électoraux coexistent, l’un propre aux
ouvriers, l’autre pour les républicains 1087 . Ces derniers, petits bourgeois pour la plupart, ne
peuvent s’allier ouvertement aux prolétaires, de peur de perdre un électorat plus modéré.
Quant aux ouvriers ils tiennent à leur indépendance et désirent être représentés par les leurs,
comme Gauvain l’exprimait dès janvier 1849. Le menuisier et antiquaire figure sur la liste
présentée par le Comité populaire démocratique et social en compagnie du doreur Collard et
du mécanicien Auger. Trois personnages auxquels se joignent aux premières places Pleignard,
Fradin et Duplaisset, déjà présents sur l’autre liste de gauche. Un comité populaire qui se
revendique socialiste. Les professions de foi expliquent « qu’être socialiste, c’est vouloir des
réformes sociales, l’équité dans l’impôt ». Ici, comme dans les Deux-Sèvres, la conception du
socialisme est idéalisée et utopique, rarement attachée à une école de pensée précise. Le mot
est souvent synonyme de fraternité 1088 . « Le socialisme c’est la civilisation 1089 » se borne-t-on
souvent à dire et à répéter. Mais l’absence d’une liste commune voue les voix de gauche à
l’éparpillement.
Partout les républicains modérés prennent soin de se démarquer nettement des
montagnards et des socialistes. Ils prônent une politique du juste milieu « sans anarchie ni
réaction ». D’autres ne croient plus à la victoire et vont même parfois jusqu’à rejoindre le
camp conservateur 1090 .
Dans les Deux-Sèvres les montagnards sont divisés à propos de l’attitude à tenir vis-à-
vis des orientations socialisantes de leurs alliés potentiels. Nombre d’entre eux désirent s’en
1086
MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la seconde République…op. cit., p.393.
1087
La liste du Comité républicain démocratique comprend Michel de Bourges, Pleignard, Fradin, Duplaisset,
Bourbeau et Bonnin.
1088
WINOCK (Michel), La gauche en France, op. cit., p.39.
1089
Voir la polémique qui oppose L’Etoile de l’Ouest et L’œil du Peuple quant à la définition de la doctrine
socialiste et des courants de pensée qui s’y rattachent, cf. VINCK (Maurice), op. cit., pp.100-101.
1090
Maichain est présent sur toutes les listes à l’exception d’une seule, purement conservatrice, PICARD
(Georges), op. cit., p.182.
240

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
tenir au programme de Ledru-Rollin, où les objectifs politiques l’emportent sur le progrès
social. Enfin, à l’extrême gauche, demeurent les communistes disciples de Cabet.
A l’approche de la date fatidique des élections législatives, le camp républicain
niortais va tenter d’obtenir une liste regroupant les différentes composantes de gauche, à
l’exception notable des ouvriers, rejetés, afin d’obtenir le concours des modérés. Guay et
Clerc, les deux candidats de 1848, ne vont même pas se présenter 1091 . Même la liste du
Comité des travailleurs démocrates socialistes ne compte aucun ouvrier 1092 !
La question ouvrière n’est plus prioritaire pour les hommes du Comité démocratique de Niort,
reprochant même aux hommes de février 1848 d’en avoir trop fait à ce sujet. Désormais la
priorité est donnée tout entière à l’éducation et à une plus grande justice fiscale 1093 .
Malgré une abstention qui s’accentue encore en comparaison des scrutins précédents,
la victoire du parti de l’Ordre est totale au soir du 13 mai, comme dans toute la France de
l’Ouest 1094 . Le journal l’Abeille parle « d’annihilation des hommes du milieu, des hommes
intermédiaires, des doctrinaires de la république 1095 ». L’unité des conservateurs contraste
avec la confusion régnant chez les forces de gauche où l’électeur semble ne pas toujours
savoir vers qui se tourner 1096 , d’autant plus que l’extrême gauche prône parfois
l’abstention 1097 . On ne croit plus au sacro-saint suffrage universel et certains comme Blanqui
préfèreraient le coup de force aux élections. Une « culture de l’insurrection 1098 » appelée à un
avenir prometteur.
Le démocrate socialiste Pleignard est le mieux placé des républicains dans la
Vienne 1099 . Les modérés ont perdu tout poids politique. Quant aux candidats ouvriers, si
Gauvain perd la moitié du nombre total de voix reçues en 1848, ses colistiers Collard et
Augey sont en progression mais très loin du score des forces de droite 1100 .
1091 VINCK (Maurice), op. cit., p.104.
1092 Au final on comptabilise dans le département quatre listes républicaines dont une socialiste, PICARD
(Georges), op. cit., p.182.
1093 Notons que seuls les montagnards les plus acharnés et les socialistes proposent l’impôt progressif et la
création « de banques agricoles et industrielles », cf. L’œil du Peuple du 25 mars et 4 mai 1849
1094 Dans un groupe de huit départements allant de l’Indre à la Gironde, 58 candidats du parti de l’Ordre sont élus
sur 62 députés au total.
1095 L’Abeille du 21 mai 1849.
1096 Dans le canton des Sables-d’Olonne on en arrive à voter pour Alexandre Dumas, HELLO (Yves), op. cit.,
p.82.
1097 Lettre au ministre en date du 16 mai 1849, ADV M4.56. Correspondances du préfet (premier semestre 1849).
1098 ROSANVALLON (Pierre), La démocratie inachevée, Paris, 2000, p.127 à 154.
1099 On vote pour lui autour de Châtellerault, Chauvigny, Lusignan, Availles et Charroux, cf. carte in MATHIEU
(Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la seconde République…op. cit., pp.402-403 et 407.
1100 Collard gagne près de 1200 voix et Augey 6000 en comparaison du scrutin d’avril 1848.
241

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Dans les Deux-Sèvres la liste du Comité des travailleurs démocrates socialistes subit
un échec complet avec 2,3% des suffrages exprimés, bien en deçà des résultats obtenus par la
liste républicaine modérée. Malgré tout on affirme qu’il existe un véritable « péril rouge »
dans les Deux-Sèvres, la liste socialiste arrivant seconde à Mauzé et faisant des scores
honorables à Champdeniers (11%) ou à Saint-Maixent (6%). « Un péril » qui ne va pas
toujours de pair avec la présence massive d’ouvriers. Les bourgs concernés sont simplement
les fiefs des membres de la liste socialiste.
Le suffrage universel renforce les partis conservateurs, évince les républicains
modérés qui finiront pas se rallier à Louis-Napoléon Bonaparte, et permet à l’extrême gauche
de se dresser comme la seule force d’opposition du pays, malgré le faible nombre de ses
partisans.
L’ouvrier appartient le plus souvent à cette mouvance démocrate et socialiste même
s’il est écarté par les comités électoraux qui se forment en 1849. L’ouvrier demeure
l’épouvantail effrayant l’électeur lambda des campagnes, lui qui fut la personne à sauver
durant la période fraternelle des débuts de la révolution de 1848. Désormais l’ouvrier ne croit
plus au changement par les urnes. Le déroulement de la révolution de 1848 lui a ôté ses
illusions.
La loi électorale du 31 mai 1850, violemment combattue par Victor Hugo 1101 , encadre
fortement le droit de vote et limite le caractère universel du suffrage. En imposant une
condition de résidence 1102 le texte écarte les travailleurs saisonniers, oeuvrant souvent pour
l’industrie, tout comme l’artisan faisant le tour de France afin d’apprendre son métier. De plus
la preuve d’une éventuelle résidence passant par la contribution mobilière facilite l’exclusion
des individus sans ressource puisqu’ils ne peuvent pas fournir la preuve demandée. On écarte
ainsi trois millions d’électeurs !
A cette loi électorale, Louis Napoléon Bonaparte s’oppose, lui la créature du suffrage
universel et futur apôtre du plébiscite. Néanmoins, une fois son coup d’état perpétré, le
nouveau maître du pays va s’en prendre avec véhémence au mouvement ouvrier, un foyer de
contestation doutant de sa légitimité 1103 .
1101
Cf. le discours de Victor Hugo devant l’Assemblée nationale législative du 31 mai 1850 in site de
l’Assemblée nationale [en ligne], http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/VictorHugo_31051850.asp (Page
consultée le 20 mars 2007).
1102
Il est nécessaire afin d’être électeur de prouver une résidence de trois ans dans le même canton, résidence
attestée par la contribution mobilière.
1103
Déjà en juin 1849 les partisans de la Montagne ont appelé un peu partout en France à la résistance contre
l’Assemblée. Des troubles éclatent à Grenoble, Vienne ou Valence. A Lyon 150 ouvriers sont tués par les
242

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Au lendemain du 2 décembre, 32 départements sont mis en état de siège. La plupart
sont situés au sud de la Loire : Haute-Vienne, Allier, Saône-et-Loire, Jura, dans la vallée du
Rhône, le Sud-Est, particulièrement les départements provençaux et une partie du Sud-Ouest.
Les départements poitevins ne font pas l’objet d’une telle mesure 1104 . Dans la région c’est le
sud du département des Deux-Sèvres qui semble réagir le plus vivement au coup d’état de
Louis Napoléon Bonaparte 1105 . La ville de Niort et le bourg de Mauzé s’agitent au lendemain
du coup de force 1106 .
Dans le chef-lieu de département la foule se réunit sur la place de la Brèche. Des
commissaires sont désignés et des lettres envoyées pour inciter les opposants au régime à
venir en grand nombre rejoindre la contestation. Puis c’est l’hôtel de ville qui est assailli. Le
commissaire de police déterminé à ne pas céder, fait barrage. Il est alors pris à parti. On
vocifère : « A bas le président ! A bas le Préfet ! A bas le commissaire ! Il faut tout écharper !
Le peuple est souverain, nous sommes les maîtres, il n’y a plus de conseil municipal ». Le
maire provisoire est contraint d’intervenir. Les délégués des insurgés demandent au conseil
municipal de prendre les armes pour défendre la constitution. Le premier magistrat de la ville
refuse. La tension monte. Le nom du président Bonaparte est conspué. D’aucuns projettent
même de s’emparer de la caserne. Le préfet est appelé à la rescousse. Il décide de disperser
l’attroupement en envoyant un détachement d’infanterie et un autre de cavalerie. Mais la foule
se regroupe aussitôt autour de l’arbre de la liberté et à nouveau l’armée intervient. Certains
émeutiers envisagent de dépaver les rues pour s’opposer à la troupe. Il n’en est rien et
« l’insurrection niortaise » en reste là. Vingt-sept personnes sont arrêtées par la suite dont une
dizaine d’ouvriers parmi lesquels quatre cordonniers.
Au même moment des faits similaires se déroulent à Mauzé, là « où les idées
anarchistes ont le plus d’adhérents 1107 ». Huit individus sont arrêtés dont à nouveau deux
cordonniers.
militaires venus écraser des « hommes gangrenés et pestiférés » d’idées subversives, WILLARD (Claude) (dir.),
op. cit., p.146.
1104
Précisons que les liasses concernant cette période – tout comme celle consacrées à la seconde République –
ont été très longtemps indisponibles aux archives départementales de Vendée (série 4M385/396/397/400).
1105
Citons tout de même une marche de plusieurs centaines de personnes mécontentes à Poitiers, FAVREAU
(Robert) (dir.), op. cit., p.352.
1106
ADDS 4M6.17a. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports divers (1852-
1856).
1107
Acte d’accusation de l’affaire du 3 décembre 1851, Ibid.
243

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
L’éventualité d’une réaction de la ville de Châtellerault au coup d’état suscite quelques
inquiétudes chez les partisans du prince président. On y envoie donc immédiatement deux
compagnies d’infanterie et un escadron de cavalerie pour maintenir la tranquillité et dissuader
tout mouvement d’opposition. Une force qui s’ajoute aux 150 hommes présents uniquement
pour défendre la manufacture 1108 .
Puis l’administration cherche à prévenir toute réaction insurrectionnelle en s’en
prenant aux organisations clandestines. Quelques jours plus tard le sous-préfet de
l’arrondissement dresse une liste des personnes soupçonnées d’appartenir à une société
secrète 1109 . Ce répertoire contient 92 noms répartis en trois catégories. Trente-huit personnes
sont désignées comme « les chefs ». Toutes vivent à Châtellerault sauf une qui n’est autre que
le maire de la commune de Cenon. Ici les ouvriers sont minoritaires, on n’en dénombre que
huit. Puis le sous-préfet évoque les « sous-chefs » pour reprendre les termes de son
vocabulaire. Là, les ouvriers sont plus nombreux, seize sur 39 membres. La totalité réside à
Châtellerault. Enfin, la troisième catégorie, qui ne comporte aucun ouvrier, est composée des
« correspondants externes » vivant dans le reste de l’arrondissement.
Au même moment le sous-préfet de Montmorillon dresse lui aussi la liste de 12
personnes hostiles au gouvernement et capables de prendre part à un mouvement
insurrectionnel. Un seul ouvrier y figure 1110 .
Quand le second Empire est proclamé le 2 décembre 1852 on ne manifeste guère. La
répression et les menaces qui ont suivi le coup d’état ont réfréné les velléités d’opposition. Le
préfet Jeannin le constate à Châtellerault 1111 . A cette heure seul le parti légitimiste semble
capable de se dresser contre le camp bonapartiste 1112 .
L’intimidation qui précède la proclamation impériale passe par la rédaction de listes de
personnes jugées hostiles au pouvoir en place. Le monde ouvrier et artisanal est bien entendu
présent dans ces dénombrements comme l’atteste ceux effectués dans l’arrondissement de
Poitiers en 1852.
1108
ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851).
1109
Rapport du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 10 décembre 1851 : liste des membres
châtelleraudais des sociétés secrètes, Ibid.
1110
ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851.)
1111
Rapport du 4 décembre 1852 du préfet Jeanin au ministre de l’Intérieur, ADV M4.63. Correspondances du
préfet, voyage du président de la République à Poitiers, surveillance des opposants (octobre /décembre 1852.)
1112
Rapport du sous-préfet de Châtellerault du 27 décembre 1852, Ibid.
244

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Tableau 3 : liste des personnes considérées comme hostiles au second Empire
dans l’arrondissement de Poitiers en 1852 :
Professions Nb. Professions Nb.
Agent d’assurance 2 Maréchal ferrant 1
Ancien officier de marine 1 Médecin/Chirurgien 3
Ancien préposé à l’octroi 1 Menuisier 7
Armurier 1 Miroitier 2
Aubergiste/cafetier 5 Notable/propriétaire 35
Avocat 7 Notaire 2
Balancier 1 Pasteur 1
Cantinière 1 Perruquier 1
Cordonnier 2 Pharmacien 1
Fabricant d’étoffes 1 Potier 1
Forgeron 1 Receveur de l’abattoir 1
Graveur 2 Relieur 2
Homme de lettres 1 Sellier 1
Horloger 1 Serrurier 4
Huissier 2 Tailleur de pierre 1
Libraire 1 Tailleur d’habits 10
Lithographe 1 Tonnelier 1
Inconnue 4 Tourneur 2
Instituteur 2 Vétérinaire 1
Maître de danse 1 Vinaigrier 2
Marchand 2 Vigneron 1
Total
117
Source : ADV M4.63. Correspondances du préfet, voyage du président de la République à Poitiers, surveillance des
opposants (octobre /décembre 1852).
Les ouvriers stigmatisés résident en grande majorité à Poitiers. Parmi eux les tailleurs d’habits
et les menuisiers se détachent. Néanmoins cette catégorie de la population est minoritaire si
on la compare au nombre de notables, propriétaires et autres membres de professions libérales
suspectés. Les forces conservatrices sont bien plus puissantes dans le département et dans la
région que celles prônant des idées progressistes.
Dans cette liste peu nombreux sont les individus réellement dangereux. Rares sont
ceux qui feront parler d’eux ultérieurement. Dans le milieu artisanal on peut toutefois citer le
maître balancier de Poitiers, Pierre Jacquelin, qui emploiera par la suite systématiquement des
opposants au régime. On estime aussi qu’il jouit d’une certaine influence sur ses
camarades 1113 . Il y a également le tailleur d’habit, Constant Main, « un socialiste exalté » 1114 ,
les graveurs et horlogers, Pierre-Auguste et Charles Pasquet, qui seront encore sous
surveillance en 1858 1115 . Un menuisier attire tout particulièrement l’attention des autorités. Il
s’agit du socialiste Gauvain, président du comité ouvrier électoral poitevin et candidat de la
1113 MAITRON (Jean), 1 ere partie, op. cit., v° Jacquelin.
1114 Ibid. v° Main.
1115 Ibid. v° Pasquet.
245

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
classe ouvrière aux élections d’avril 1848. Cet homme fuit le département en décembre 1852
pour se réfugier à Paris afin d’échapper à la commission mixte de la Vienne. Au mois d’avril
suivant le ministère de l’Intérieur questionne le préfet à son sujet. On dit de lui qu’il est « l’un
des socialistes les plus dangereux de France», et on estime qu’il faut « débarrasser la société
de cette nature vicieuse, qui n’a que de la haine contre tout ce qui possède et qui voudrait
malgré tout posséder » 1116 .
On trouve une liste du même type dressée quelques années plus tard dans le
département de la Vendée. En 1855 le préfet adresse au gouvernement deux listes sur
lesquelles figurent les opposants les plus véhéments à l’Empire. La première liste comprend
dix noms de légitimistes jugés dangereux. La seconde s’intéresse aux « démocrates ».
Quatorze personnes appartenant principalement à la bourgeoisie : propriétaire terriens,
médecins, avocats, petits entrepreneurs. Seuls deux artisans y figurent et aucun ouvriers 1117 .
L’opposition est décapitée par la répression policière et judiciaire qui se poursuit tout
au long de la première partie du second Empire. Elle mettra de longues années avant de se
reconstituer. Les députés ouvriers de la Législative sont bannis, le prolétariat est purgé de ses
membres les plus virulents, les associations suspectes, comme les cercles d’ouvriers, sont
dissoutes et les lieux de réunions hautement surveillés. La gauche n’est plus un danger. Le
commissaire central de police de Poitiers s’en félicite en parlant de « rouges complètement
démoralisés » qu’on ne « voit plus nulle part » 1118 .
Des travailleurs se rallient au régime en place à l’image de l’ancien candidat ouvrier,
le doreur Collard, « rallié complètement au régime 1119 ». C’est le cas particulièrement chez les
artisans des bourgs et des campagnes, mais aussi parfois des ouvriers industriels. Aux
élections partielles de juin 1861 la population ouvrière de la ville de Châtellerault vote
1116
ADV M4.65. Correspondances du préfet (1853). Le courrier rappelle qu’il a publié de nombreuses brochures
communistes (dont La canaille et l’Honnête homme en 1848), qu’il a essayé d’organiser des sociétés secrètes et
qu’il a soutenu Raspail aux élections présidentielles en jugeant Ledru-Rollin comme trop modéré. Voir aussi
MAITRON (Jean), deuxième partie, op. cit., v° Gauvain.
1117
Il s’agit d’un mercier et d’un tailleur d’habits, tous deux de Fontenay-le-Comte, HELLO (Yves), op. cit.,
pp.94-95.
1118
ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvier-septembre 1852).
1119
Un homme dont le préfet se méfie encore cinq mois plus tôt dans une note adressée au ministère de
l’Intérieur, note dans laquelle il préconise son éloignement de France. Rapport du préfet du 13 janvier 1852 et
liste des anciens chefs du parti socialiste de mai 1852. ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvierseptembre
1852).
246

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
majoritairement pour le candidat officiel du pouvoir, ce qui ne manque pas d’étonner le sous-
préfet de l’arrondissement 1120 .
Dans la région la contestation est l’œuvre des monarchistes cléricaux. C’est le cas
particulièrement dans la Vienne où les catholiques ultramontains, ralliés à la crosse et à la
mitre de leur guide, l’évêque de Poitiers Mgr Pie, se montrent très actifs politiquement 1121 . Au
contraire, en Vendée, les légitimistes s’abstiennent généralement d’intervenir. Ils suivent en
cela le comte de Chambord souhaitant qu’aucun de ses partisans ne participent à la vie
politique. Une abstention facilitée par l’exigence pour tout candidat d’un serment de fidélité à
la constitution et à l’Empereur 1122 .
Toutefois, parallèlement, quelques rapports mentionnent de temps à autre l’existence
d’une activité clandestine des quelques « démagogues » qui subsistent à Châtellerault 1123 et
ailleurs. A l’échelle nationale, seuls les centres ouvriers importants et les grands centres
urbains résistent toujours au pouvoir impérial lors du plébiscite de mai 1870. Dans la région
les trois départements constituant l’ancienne province du Poitou renouvellent massivement
leur confiance en Napoléon III 1124 .
Le timide réveil de l’ouvrier dans la région a lieu dans les années libérales du second
Empire. Le droit pour les travailleurs de se constituer en société coopérative 1125 , la création de
deux caisses d'assurance 1126 , l'une en cas de décès et l'autre en cas d'accidents résultant de
travaux agricoles et industriels, et surtout la fin du délit de coalition 1127 sont des signaux
favorables lancés à l’adresse du monde ouvrier par un régime en manque de soutien populaire.
Les soubresauts revendicatifs secouant la Vienne 1128 , et particulièrement la ville de
1120
Rapport de quinzaine du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 30 juin 1861, ADV M4.70.
Correspondances du préfet (1860-1861).
1121
Curzon est arrêté en 1858 pour une adresse envoyée au comte de Chambord. Pie devient évêque de Poitiers
en 1849 où il prône la prééminence du pouvoir spirituel. Ce légitimiste acharné est accusé de faire des églises de
la Vienne de véritables clubs politiques, FAVREAU (Robert) (dir.), op. cit., pp. 333-334 et MATHIEU
(Maurice), Une retentissante affaire sous l’Empire : le procès politique d’Emmanuel de Curzon, (août 1858février
1859), BSAO, 2000, pp.259-290.
1122
Une absence de serment est considérée comme une démission
1123
Courrier du ministère de l’Intérieur au préfet du 23 février 1863, ADV M4.71. Correspondances du préfet
(1862-1865)
1124
On vote oui à plus de 80 % en Vendée et à plus de 75% dans les Deux-sèvres et la Vienne, GOGUEL
(François), op. cit., pp.16-17.
1125
Loi du 23 mai 1863.
1126
Loi du 11 juillet 1868.
1127
Loi du 25 mai 1864.
1128
ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870).
247

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Châtellerault, en 1867 et 1868 montrent que le mouvement, ou tout au moins l’esprit
revendicatif, ouvrier de la région n’est pas mort mais seulement profondément endormi.
Cependant revendiquer dans le cadre de son activité professionnelle est rarement
synonyme d’action politique. Il s’agit plutôt de demander une amélioration de ses conditions
de travail ou de rémunération sans aucun autre type d’arrière-pensées. Plus tard le
syndicalisme lui-même cheminera longtemps seul, loin des sentiers empruntés par les forces
politiques.
Toutefois l’avènement et la consolidation de la III e République vont procurer à l’ouvrier une
chance de reconquérir une place sur l’échiquier politique.
II- L’ouvrier et le jeu politique sous la III e République
Les souvenirs des journées de juin 1848 associés au traumatisme extrêmement vif de
la Commune de Paris font que l’ouvrier est persona non grata dans le jeu politique du pays
pendant les premières décennies du nouveau régime. Un constat valable également pour la
question sociale demeurant très éloignée des préoccupations des républicains qu’ils soient
opportunistes ou même plus tard radicaux. Dans un premier temps la République doit être
conquise aux dépens des monarchistes. Dans un second temps, dès 1880 1129 , la priorité est
donnée à la lutte contre le cléricalisme afin de changer les mentalités d’une France profonde
que l’on juge trop influencée par l’Eglise ayant rejoint le camp de la réaction. Un combat où
la très catholique Vendée est en première ligne.
Si l’ouvrier est mis à l’écart il s’active afin de reconquérir une place sur l’échiquier
politique national. Lentement le mouvement se reconstruit et panse ses blessures. Le retour
d’exil d’anciens communards dynamise cette renaissance aboutissant à la création du Parti
ouvrier lors du congrès de Marseille de 1879. Il est temps pour le travailleur d’être le seul
maître de son sort. Il ne veut plus de représentants bourgeois républicains, même sincères et
dénués d’arrière-pensées.
Désormais la cause ouvrière se confond avec le socialisme. Un parti de classe où
diverses tendances s’affrontent à la fois sur le bien fondé de l’action politique comme moyen
de conquête du pouvoir mais aussi sur la possible unification du mouvement dans un seul
1129 Les décrets du 9 mars 1880 prononce la dissolution de la Compagnie de Jésus et l’obligation de
régularisation des congrégations non autorisées sous peine de fermeture. Puis on laïcise l’éducation par les lois
du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882 rendant l’enseignement primaire gratuit, laïc et obligatoire. En 1884 on
rétablit le divorce.
248

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
parti sous l’influence des doctrines marxistes. Jules Guesde et Paul Lafargue en sont les
promoteurs en France. Selon eux l’action politique doit prévaloir et un seul parti doit « vivre
en osmose avec le syndicalisme 1130 ». Un modèle qui s’est imposé en Europe lors du congrès
de l’Internationale socialiste de Zurich d’août 1893.
A l’opposé d’autres prônent la stricte indépendance syndicale et l’action
révolutionnaire. Cette tendance regroupe les blanquistes 1131 , favorables au coup d’Etat
permanent visant à instaurer une dictature ouvrière, mais aussi les allemanistes 1132 du Parti
ouvrier révolutionnaire, hostiles à tout électoralisme et favorables à la révolution sociale au
travers de la grève générale. Autant de courants doctrinaires antimarxistes à la fois héritiers de
la longue tradition révolutionnaire française et proches des principes anarcho-syndicalistes
anti-autoritaires. Des préceptes refusant l’autoritarisme marxiste, le suffrage universel et toute
compromission avec la bourgeoisie. L’ouvrier doit agir seul par l’intermédiaire d’institutions
locales et solidaires à l’image des bourses du travail dont la première naît en 1887 à Paris 1133 .
Paul Brousse 1134 et les possibilistes défendent quant à eux des thèses plus modérées
axées autour d’un socialisme municipal et d’une collaboration avec les républicains
réformistes et radicaux.
A cet ensemble s’ajoutent « les indépendants », rétifs à la discipline imposée par les
différentes chapelles socialistes, dont Alexandre Millerand peut être considéré comme l’une
des figures.
Ce mouvement socialiste divisé met de longues années à s’imposer politiquement à
l’échelon national. Il faut attendre les élections municipales de 1892 et celles législatives de
1893 pour noter une percée significative des candidats socialistes représentant toutes les
1130
WINOCK (Michel), La gauche en France, op. cit., p.170.
1131
Disciples d’Auguste Blanqui.
1132
Le Parti ouvrier révolutionnaire est présidé par Jean Allemane (1843-1935), un typographe, ancien
communard et bagnard de Nouvelle-Calédonie à la fois partisan de la grève général et farouche défenseur de la
République.
1133
On compte 44 bourses du travail en 1895 regroupant environ un tiers des syndicats du pays, cf. WILLARD
(Claude) (dir.), op. cit., p.279.
1134
Paul Brousse (1844-1912), médecin et ancien communard, est à la tête de la Fédération des travailleurs
socialistes de France (F.T.S.F) qui fusionne en 1902 avec le Parti socialiste français de Jean Jaurès.
249

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
tendances. En 1892 des villes importantes sont conquises 1135 et l’année suivante une
cinquantaine de députés prennent place sous les lambris dorés du Palais Bourbon 1136 .
Ces doctrines et ces conceptions se retrouvent évidemment au plan régional,
tempérées par les particularismes locaux, le faible poids numérique des ouvrier et un certain
conservatisme ambiant.
A- Le profil politique de l’ouvrier poitevin
« Les événements extérieurs à l’arrondissement et étrangers à la
politique locale produisent en général peu d’impressions sur les
masses rurales qui la plupart du temps ignorent les événements ou
les connaissent que longtemps après 1137 .»
Un réel conservatisme politique marque le Poitou tout au long des premières décennies
de la III e République, jusqu’à la Première Guerre mondiale.
L’examen général des scrutins nationaux entre 1871 et 1914 1138 montre trois
départements ancrés à droite, sous l’égide des conservateurs de tous bords, à l’image de la
France de l’Ouest en général. Le scrutin législatif du 20 août 1893 l’illustre. Ce jour là aucun
radical ou socialiste n’est élu dans la région alors qu’ailleurs en France les forces les plus à
gauche obtiennent leurs premiers résultats probants. Mieux les conservateurs obtiennent la
majorité absolue en Vendée.
Toutefois, de temps à autre, l’extrême gauche apparaît au détour d’un scrutin. C’est le
cas lors des élections législatives de 1889, qui suit la crise boulangiste, où des candidats
d’extrême gauche, pour reprendre la classification de Goguel 1139 , sont élus dans les Deux-
Sèvres et la Vienne.
1135 La ville de Roubaix, qui compte 120 000 habitants, apparaît comme la ville « la plus révolutionnaire de
France » avec son conseil municipal composé presque entièrement d’ouvriers. Une conquête socialiste qui
marque les esprits de l’époque et fait de la cité du Nord de la France « la ville sainte » du socialisme français,
LEFEBVRE (Rémi), Le conseil des buveurs de bière de Roubaix (1892-1902). Subversion et apprentissage des
règles du jeu politique, Le temps des Mairies, Politix, vol.15, n°53, 2001, pp.87-115.
1136 Le CHARTIER (E.), La France et son Parlement 1871-1912. Annuaire des électeurs et des parlementaires,
Paris, 1911. L’auteur dénombre 49 députés socialistes, D’autres auteurs en comptent 38, cf. ANTONETTI
(Guy), op. cit., p.349. On recense aux précédentes élections un député en 1881, cinq en 1885, et vingt en 1889.
1137 Rapport du 2 février 1889 du sous-préfet de Montmorillon au préfet faisant suite à l’élection du général
Boulanger, ADV. M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891).
1138 Le développement qui suit s’appuie sur l’analyse et les cartes de l’ouvrage de François GOGUEL déjà cité
1139 GOGUEL (François), op. cit., p.14.
250

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
L’étude générale des scrutins sur plus de quarante ans permet de distinguer trois
tendances différentes dans les départements étudiés.
La Vendée apparaît comme le pays le plus conservateur dans le spectre politique local.
Les élus conservateurs, des monarchistes catholiques auxquels s’ajoutent au tournant du siècle
les membres des partis modérés, obtiennent bien souvent la majorité des suffrages, parfois la
majorité absolue, voir la totalité des sièges à pourvoir. Entre 1893 et 1914, les « bleus »
républicains vendéens ne sont majoritaires aux élections législatives que deux fois, en 1893 et
1910.
La gauche, au sens large, est quasi inexistante dans les cantons du bocage vendéen
s’étendant également à une partie des Deux-Sèvres. La droite royaliste puis catholique y règne
sans partage jusqu’en 1910. Toutefois les républicains deviennent très influents dans les
cantons de la plaine vendéenne 1140 et dans ceux du marais 1141 où le bonapartisme laisse place
progressivement aux défenseurs de la République. Cependant le découpage des
circonscriptions empêche l’élection de ses partisans.
Ces républicains égarés en milieu hostile sont loin d’être des « rouges ». Ici c’est le
bleu et la modération qui dominent. Le député républicain Emile Beaussire fait lui-même
l’éloge d’une République conservatrice en prônant une « alliance des partis modérés » qu’il
appelle « la ligue des gens biens » 1142 . Une opinion émise dans les premières heures d’un
régime en proie aux appétits monarchiques mais qui demeure une fois la République installée
et consolidée pour de bon. Une prépondérance d’idées modérées qui va faciliter les
rapprochements entre catholiques ralliés à la République 1143 et républicains défenseurs de
l’ordre moral. Progressivement le bleu républicain s’éclaircit et vire au blanc.
La Vienne, qui avait adhéré massivement à l’Empire, suit mais de manière moins
radicale. Les forces conservatrices y dominent jusqu’au la fin du XIX e siècle, sous
l’impulsion du parti bonapartiste et de ses chefs, le baron de Soubeyran et son beau-frère
Robert de Beauchamp, à l’exception notable du chef-lieu de département et de Châtellerault,
les deux villes principales du département acquises aux républicains. Par la suite, à partir des
élections de mai 1898, la République s’y installe définitivement. Une République modérée qui
triomphe comme en mai 1906 où on ne dénombre aucun élu de droite.
1140
Cantons de Fontenay-le-Comte et de Saint-Hilaire-des-Loges. Ajoutons-y la ville de La Roche-sur-Yon, petit
bastion républicain du bocage réactionnaire.
1141
Cantons de l’extrême sud du département comprenant ceux de Luçon, Maillezais et Chaillé-les-Marais.
1142 er
Emile Beaussire est député de Vendée de 1871 à 1877, puis de 1879 à 1881. Lettre du 1 août 1873,
ADVd 4M30.
1143
C’est le cas de catholiques sociaux disciples d’Albert de Mun comme Henri Bazire, député de Vendée en
1919 après deux échec électoraux avant la Grande Guerre, HELLO (Yves), op. cit., p.137.
251

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Les Deux-Sèvres se révèlent comme plus ouvert aux idées d’extrême gauche. Le
bocage y est moins étendu qu’en Vendée. Les idées républicaines sont bien implantées dans la
plaine du sud autour de Niort et de Saint-Maixent, ainsi qu’à Thouars dans le nord du
département. Quant au marais majoritairement bonapartiste il va se rallier à la République.
Signe de cette ouverture, l’élection dès octobre 1877 d’un député républicain 1144 , lors du
scrutin causé par la dissolution de la chambre basse par Mac-Mahon, un élu bien seul dans un
environnement demeurant acquis aux conservateurs. Quatre années plus tard ce constat est
remis en cause puisque lesdits conservateurs se retrouvent cette fois-ci en minorité dans le
département.
A l’aube du XX e siècle, les Deux-Sèvres basculent du côté de la gauche modérée sans
qu’aucun candidat « d’extrême gauche » ne parvienne à se faire élire avant 1910, année de
l’élection au Parlement du socialiste révolutionnaire Henri de la Porte 1145 .
Être républicain dans le Poitou, tout particulièrement en Vendée, c’est avant tout
camper contre la droite, lutter contre la réaction, combattre le parti clérical. En Vendée
l’antagonisme politique repose tout entier sur l’opposition entre cléricaux et anti-cléricaux. Il
n’y a pas ou peu de place pour évoquer les questions sociales. Le seul fait d’être opposé à la
monarchie ou à l’ultramontanisme vous fait républicain voire même un radical.
En réalité rares sont les bastions réels et anciens d’un républicanisme de principe et
non de circonstance pour reprendre la terminologie chère à André Siegfried. Ici les
« radicaux » ou « radicaux-socialistes » de 1902 ou de 1906 ne sont bien souvent que des
républicains bon teint descendants des opportunistes des premières heures. Cette situation
explique qu’en temps de crise la « gauche réelle » se retrouve seule, lâchée par un ventre mou
républicain parti rejoindre les défenseurs de l’ordre. Ainsi vont se dégager des cantons
« républicains de principe » où l’on vote régulièrement à gauche depuis 1876 en Vendée
comme dans les Deux-Sèvres.
1144 Amédée de La Porte est élu dans la deuxième circonscription de Niort. Il le sera constamment jusqu’en 1900,
date de sa mort, exception faite des législatives de 1889. C’est lors de sa dernière élection, en 1898, que ce
républicain va se qualifier pour la première fois de radical.
1145 Pour une étude complète de la vie et de l’œuvre politique d’Henri de La Porte voir ROUX (Jacques), Henri
de la Porte et le mouvement socialiste révolutionnaire dans les Deux-Sèvres (1900-1914), BSHSDS, t.XXII,
1989, pp. 367 à 498.
252

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Tableau 4 : cantons « républicains de principe » dans les Deux-Sèvres et en
Vendée de 1876 à 1910 :
Vendée
Deux-Sèvres
Arrondissements Cantons
Sables-d’Olonne Sables-d’Olonne
Noirmoutier
Fontenay-le-Comte
Fontenay-le-Comte Saint-Hilaire-des-Loges
Mareuil
Chaillé-les-Marais
Bressuire
Thouars
Argenton-Château
Parthenay Parthenay
Niort
Prahecq
Saint-Maixent
Melle Melle
Source : SIEGFRIED (André), op. cit., p.553.
Dans ces cantons la petite propriété rurale domine morcelée. Toutefois on y constate aussi un
caractère urbain relativement développé et/ou un développement industriel parfois faible à
l’image du canton de Saint-Hilaire-des-Loges où se trouvent les mines de houille de
Faymoreau ou bien encore dans ceux de Saint-Maixent, Parthenay ou Argenton-Château.
Dans la Vienne Châtellerault et son canton ainsi que Poitiers et ses alentours répondent
également à ces critères.
Toutefois le républicanisme n’est pas synonyme de socialisme et de prise en compte
des aspirations ouvrières, tout comme le syndicalisme ne va pas forcément de pair avec
l’action politique, même s’il n’est pas toujours aisé de faire la distinction entre les deux
formes d’action 1146 . Une implantation syndicale importante, la plupart du temps circonscrite
dans les grandes villes et les chefs-lieux, n’implique pas toujours un poids important des
forces socialistes dans la balance politique locale, et ceci d’autant plus que le syndicalisme ne
pénètre que lentement dans la grande et moyenne industrie. Les syndicats des premières
heures représentent avant tout les métiers urbains et qualifiés – il faut attendre 1899 pour
qu’un syndicat naisse à la manufacture d’armes de Châtellerault et 1912 pour qu’il y soit
créée une bourse du travail. L’activiste socialiste demeure longtemps une personnalité d’élite
bien esseulée dans le paysage politique local, une avant-garde privée de troupes à guider.
1146 Une confusion souvent faite dans l’esprit des contemporains même après 1900. En 1903, un auteur estime
que la bourse du travail de Paris « a produit dans presque toutes les grandes villes de petites bourses du travail.
Presque partout, ce sont des bourses politiques, entretenues aux frais des municipalités pour préparer les
candidatures socialistes », GUYOT (Y.), Les conflits du travail et leur solution, Paris, 1903, p 255.
253

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
L’action politique ouvrière est à l’image de l’action syndicale. On vise généralement à
la réforme plus qu’à la révolution. On souhaite améliorer une situation plutôt que de chercher
un renversement pur et simple 1147 . Cette modération fait de l’ouvrier poitevin un républicain
se défiant souvent d’un socialisme trop virulent.
a) Une défiance envers le socialisme
Les rares implantations socialistes dans les trois départements de référence se
localisent soit dans les chefs-lieux de département, soit sur des sites où une population
ouvrière est implantée, à l’image des villes de Châtellerault, Chauvigny ou, dans une moindre
mesure, de Niort, de Fontenay-le-Comte, des Sables-d’Olonne. Cependant quelques pousses
socialistes parviennent à germer également dans le bocage vendéen sous l’influence choletaise
malgré un environnement hautement réactionnaire.
Cette présence ouvrière, ou plus encore artisanale 1148 , provoque une émergence
syndicale propice au développement d’organisations socialistes. « Le socialisme a d’abord été
une option ouvrière en milieu syndicalisé 1149 ».
infime.
Longtemps le socialisme fait seulement acte de présence. Le nombre de militants est
A Niort le commissaire de police n’en découvre que 19 en 1899 et le secrétaire du
parti ouvrier niortais 1150 41 neuf ans plus tard 1151 . Une faiblesse numérique propre à tout le
département des Deux-Sèvres 1152 où de petits groupes de militants locaux naissent de façon
inorganisée au gré des réunions politiques. Une hétérogénéité d’organisation et de doctrine
qui accentue encore un peu plus l’impuissance politique de ce courant de pensée.
Nombre de ces socialistes n’ont aucun lien avec le monde ouvrier. L’élite est
composée de membres de professions libérales ou de notables, à l’image d’Henri de La Porte,
1147
Sur l’aspect réformiste des syndicats poitevins voir CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme
en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.210 et s.
1148
En particulier dans les chefs-lieux de département.
1149
REBERIOUX (Madeleine), Le socialisme français de 1871 à 1918, in DROZ (Jacques), Histoire du
socialisme, Paris, 1974, t.2, p.164.
1150
Le P.O.N est fondé par Henri de La Porte, ancien chartiste et membre de l’école pratique des Hautes études,
fondateur en 1901 de la fédération socialiste des Deux-Sèvres.
1151
COMBES (Jean) (dir.), op. cit., pp.358-359.
1152
On estime à un millier le nombre de militants dans tout le département des Deux-Sèvres en 1913, ROUX
(Jacques), op. cit., p.421.
254

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
et la base d’employés des chemins de fer 1153 , parfois d’artisans et de petits patrons, voire de
cultivateurs comme c’est le cas dans le pays mellois 1154 .
Les socialistes seraient une grosse trentaine à Châtellerault et entre 200 et 300 dans
l’arrondissement selon les autorités de police dans un rapport daté de janvier 1885 1155 .
Toutefois ils y sont relativement actifs comparés à ceux de Poitiers. Il est évident que la ville
des bords de Vienne dispose d’un fort potentiel pour les tenants des doctrines socialistes. En
octobre1890 la ville accueille le Congrès national de la Fédération des travailleurs socialistes
de France où les représentants des fédérations de la Vienne optent pour le possibilisme contre
l’allemanisme 1156 .
En Vendée on ne dénombre que 25 adhérents pour l’ensemble du département en 1910
et 34 en 1912. Un chiffre très faible qu’il faut certainement revoir à la hausse si on y ajoute la
quarantaine de sympathisants socialistes des bourgs du nord-est de Vendée 1157 . Pendant des
décennies il n’y pas d’organisation socialiste propre au département. Il faut attendre 1911
pour qu’une fédération socialiste y naisse et s’y organise. En attendant la Vendée demeure
rattachée à la Charente Inférieure ou aux Deux-Sèvres 1158 .
En réalité l’activité politique est souvent le fait des organisations syndicales du moins
jusqu’à l’époque où le mouvement s’affranchit de la tutelle du parti socialiste. C’est le cas à
Poitiers jusqu’en 1890 où « les syndicats s’efforcent d’apparaître comme des institutions
purement professionnelles ». « Dès 1897 la commission chargée de favoriser la création des
syndicats et de la bourse du travail est présentée comme étant l’émanation des groupes
ouvriers et non du parti socialiste 1159 ». Une confusion qui explique par ailleurs la
déliquescence du syndicalisme à Châtellerault où l’ouvrier est peu enclin à se syndicaliser
dans des groupements influencés politiquement.
1153
Les premiers groupes socialistes du département se forment à Thouars et à Bressuire en 1895 et 1896 à
l’initiative des employés de chemin de fer locaux, ROUX (Jacques), op. cit., p.390.
1154
Voir à ce propos la composition du groupe socialiste de Clussais près de Melle en 1899, cf. ROUX
(Jacques), op. cit., p.392.
1155
L’estimation concernant l’arrondissement paraît exagérée. On sait que les tenants de l’ordre public aiment
parfois à exagérer pour obtenir plus de moyens et d’homme afin d’accomplir leur tache. Cependant il amoindrit
le danger qu’ils peuvent représenter en les qualifiant plus loin « de pauvres […] pas dangereux », ADV M4.81.
Correspondances du préfet [1882-1887].
1156
MARION (Jacques), op. cit., p.92 et s.
1157
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.644, 655 et 658.
1158
La Fédération des Deux-Sèvres et de la Vendée, puis en 1902 la Fédération socialiste autonome de Charente
Inférieure et de la Vendée. Lors de la séparation en fédérations départementales nombre de sympathisants
vendéens domiciliés dans des communes limitrophes de celles des Deux-Sèvres rejoindront l’union de ce
département.
1159
CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.97 et
99.
255

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
La situation est différente à Niort et dans beaucoup d’autres localités. Les syndicats qui y
naissent ont rarement une origine socialiste. Ici l’ouvrier s’organise et se réunit quand il en a
besoin pour appuyer et imposer ses revendications. La grève fait naître le syndicat qui
disparaît par la suite, une fois le mouvement revendicatif terminé : ce sont de véritables
« syndicats couloirs ».
L’ouvrier du Poitou est un modéré. Le sous-préfet de Châtellerault le constate en
octobre 1898 quand il évoque avec satisfaction l’indifférence provoquée par une affiche
placardée vantant les mérites du socialisme révolutionnaire et que les passants ne prennent
aucunement le temps de lire 1160 .
Cette modération est visible chez les premiers socialistes châtelleraudais, des
possibilistes au premier rang desquels le cordonnier Georges Limousin, fondateur en 1881 de
l’Union des travailleurs 1161 . Un statut de modéré que Limousin va rapidement perdre en se
convertissant au guesdisme dès le début des années 1880. Un rapport de gendarmerie de 1894
le place au premier rang des socialistes révolutionnaires de la ville 1162 .
Cette modération se retrouve également à Niort ou à La Roche-sur-Yon et comme dans la
majorité des villes de province 1163 .
Cette pondération syndicale et politique des premiers jours de la III e République
correspond bien à la mentalité d’un grand nombre d’ouvriers abandonnant le socialisme
quand celui-ci va se radicaliser au tournant du XIX e siècle, de la même manière que le
syndicalisme va lui aussi chercher à se démarquer de la sphère politique.
politique :
En 1891 le socialiste poitevin Orry est alarmé par le désintérêt de l’ouvrier pour la
« Certains travailleurs de notre localité affectent depuis quelques
temps des airs d’indépendance […] Il semblerait qu’à Poitiers des
citoyens disciplinés, sous prétexte de reprendre leu liberté,
1160
Lettre du sous-préfet de Châtellerault du 22 octobre 1898, ADV M4.88. Correspondances du préfet (1897-
1898.)
1161
L’union des travailleurs devient La Solidarité en 1887, cf. L’Eclaireur de la Vienne, 12 février 1881 et
L’Eclaireur de la Vienne, 11 décembre 1887.
1162
Ce rapport cite trois noms. Celui de François Brouillard, un ancien tailleur de pierres de 61 ans, considéré
comme peu actif ; Ernest Bergeon, 30 ans, ouvrier à la manufacture d’armes et conseiller municipal, on lui prête
une grande influence à Châtellerault et Georges Marcellin Limousin alors âgé de 34 ans et devenu libraire et
conseiller municipal, souvent délégué à des congrès ouvriers en France et à l’étranger, réputé pour sa propagande
active dans tout le département. Rapport du commandant de gendarmerie de l’arrondissement de Châtellerault du
4 janvier 1894, ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de l’instruction publique, mort de
Sadi Carnot ; mort d’Alexandre III (1894).
1163
MOSS (Bernard -H.), op. cit., p 116.
256

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
n’hésiteraient pas à trahir la confiance de leurs camarades en
soufflant parmi eux un vent de discorde dont les effets peuvent avoir
une influence fatale pour la cause que nous défendons 1164 ».
De même, une décennie plus tôt, dans les Deux-Sèvres, les autorités imputent l’échec
de la Chambre syndicale sociale et solidaire à la réticence de l’ouvrier niortais au socialisme.
Cette chambre n’a pas la confiance des travailleurs tout en étant considérée « d’un mauvais
œil » par les maîtres ouvriers 1165 . Plus tard en 1910, la prise de pouvoir des socialistes
révolutionnaires à la direction de la bourse du travail de Niort provoque le départ d’un tiers de
ses membres, la plupart appartenant au syndicat typo-lithographique 1166 . L’accroissement
beaucoup plus important du « parti socialiste » comparé à celui du Parti ouvrier niortais
(P.O.N) montre que les deux organisations n’évoluent pas de concert pendant la décennie
précédant la Grande Guerre 1167 .
A Châtellerault même les réunions socialistes aux propos virulents ne semblent pas
trouver un écho important dans la population ouvrière de la ville.. En février 1892, des
orateurs fustigent assez violemment la bourgeoisie, la propriété et le capital dans une
conférence rassemblant entre 400 et 500 personnes. Une atmosphère propice aux
manifestations d’humeur de la foule s’il en est. Or le commissaire de police souligne après
coup le calme de l’assistance et surtout son « indifférence aux idées émises par les apôtres du
collectivisme 1168 ».
Plus tard un commissaire spécial dépêché à Châtellerault traduit certainement l’opinion d’une
grande partie des ouvriers de la ville quand à la sortie d’une réunion publique organisée par
L’Eclaireur de la Vienne, journal républicain à tendance socialiste, il affirme avoir entendu
« beaucoup de gros mots à l’adresse du ministère [mais pas] d’idées pratiques, ce qui prouve
que cette conférence niait plutôt le gouvernement que l’intérêt réel des ouvriers 1169 ». Le
travailleur veut que l’on s’intéresse à ses préoccupations quotidiennes, les enjeux politiques
nationaux ne le touchent pas. Cet état d’esprit ne manque pas de réjouir l’administration.
1164 L’Eclaireur de la Vienne du 12 août 1891.
1165 Rapport de police du 14 février, ADDS 11M8.1. Syndicats professionnels : correspondances, rapports, listes
[1848 ; 1884]. Précisons également que la Chambre syndicale sociale et solidaire souffre de la concurrence de la
Chambre syndicale des deux cantons, deux institutions aux effectifs peu nombreux.
1166 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.85
1167 ROUX (Jacques), op. cit., p.421 et annexes XI et XII.
1168 Rapport du commissaire de police de Châtellerault du 22 février 1892, ADV M4.84. Correspondances du
préfet ; voyage de Sadi Carnot et d’une escadre russe (1892-1893).
1169 Rapport du commissaire spécial au préfet de la Vienne daté du 3 septembre 1897, ADV M4.88.
Correspondances du préfet (1897-1898).
257

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Cette distance entre le monde politique et le monde du travail est encore plus marquée
en Vendée. Ici le socialisme n’a de succès qu’au niveau syndical comme l’illustrent les
exemples des trois principales villes du département et l’échec absolu des candidats
guesdistes du Parti ouvrier français en 1902 1170 .
En effet, on observe une relative désaffection envers les doctrines socialistes et leurs
implications dans le jeu politique que renforcent les divisions et les frasques de ses membres.
Les luttes intestines entres les divers courants socialistes sont bien éloignées des attentes
ouvrières. Ainsi l’année 1890 marque dans la Vienne une rupture importante au sein du
socialisme entre broussistes et allemanistes 1171 . Le possibiliste Garnier, auquel « de nombreux
ouvriers se sont ralliés 1172 », s’oppose aux allemanistes Orry 1173 à Poitiers et Limousin à
Châtellerault. Ces derniers reprochent à Garnier son alliance électorale avec les républicains,
alliance qu’il ne renie pas puisqu’il s’engage « à ne pas s’occuper de socialisme pour le
moment et à combattre uniquement pour les candidats républicains aux prochaines
élections 1174 ».
Neuf ans plus tard une scission s’opère à nouveau parmi les socialistes de la cité
ouvrière du nord-est de la Vienne. Cette fois ce sont les ouvriers de la Manufacture qui
s’opposent entre eux : plusieurs centaines d’entre eux rejoignent un nouveau syndicat moins
modéré et moins soumis à la direction afin de présenter une liste aux futures élections 1175 .
Ces luttes doctrinales, on les retrouve partout en Vendée comme à Niort où en 1900
les socialistes se déchirent là aussi entre possibilistes, autour de Galisot, et révolutionnaires,
bientôt dirigés par de La Porte. Un combat fratricide va même opposer en 1902 un candidat
du Parti socialiste français à un autre appartenant au Parti socialiste de France de Guesde.
Les discours insurrectionnels de certains dirigeants socialistes ainsi que leurs
conduites parfois outrancières choquent à dessein le bourgeois mais effraient par la même
1170 Les candidats du P.O.N n’obtiennent que 81 voix dans l’ensemble du département, REGOURD (Florence),
industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.645 et 649.
1171 En octobre 1890 un congrès national de la Fédération des travailleurs socialistes de France (F.T.S.F) qui se
tient à Châtellerault est le théâtre de cette rupture, WINOCK (Michel), « La scission de Châtellerault et la
naissance du parti « allemaniste » (1890-1891) », MS, n°75, avril-juin 1971, p.33-62.
1172 Rapport du commissaire spécial de Poitiers du 9 mars 1889, ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-
1891)
1173 Secrétaire général de l’Union corporative des chambres syndicales ouvrières. Selon Jean Maitron Orry n’est
pas un radical mais plutôt un possibiliste, MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
1174 Rapport du commissaire spécial de Poitiers du 9 mars 1889, ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-
1891).
1175 Rapport du sous-préfet de Châtellerault au préfet du 10 novembre 1899, ADV M4.89. Correspondances du
préfet (1899-1900).
258

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
occasion le gros des troupes ouvrières. Les tenants de l’autorité insistent bien souvent sur ce
point. En 1893, le sous-préfet de Châtellerault refuse de financer la bibliothèque demandée
par la Chambre syndicale de Cenon car il ne veut pas octroyer une faveur « à un parti
politique qui dans l’arrondissement de Châtellerault se fait remarquer par la violence de son
langage et ses excitations à la guerre des classes 1176 ».
Une violence de langage et une excitation dont le poitevin Limousin est l’exemple le
plus frappant. Il apparaît au gré des rapports policiers que sa conduite se détériore
parallèlement à la radicalisation de ses idées. En 1886 il s’en prend âprement aux
républicains. Il affirme que « mieux vaut amener au pouvoir un réactionnaire qu’un
opportuniste », un choix destiné à conduire à l’anarchie et à la révolution 1177 . Nul doute que
l’ouvrier de Châtellerault ou de Poitiers s’effraie de telles paroles. Les rapports préfectoraux
relatifs aux réunions publiques décrivent un Limousin, souvent éméché, emporté par ses
propos violents comme c’est le cas en mai 1894 lors d’une conférence socialiste à Poitiers
regroupant près de 600 personnes. Le syndicaliste intervient en dernier en proposant de
fournir aux grévistes de la mitraille pour lutter contre l’envoi de gendarmes à leur encontre.
Une attitude provocatrice alors qu’il intervient devant une assemblée majoritairement
réactionnaire et conservatrice à en croire le commissaire de police 1178 . Un mois plus tard
Limousin se bat en duel au pistolet 1179 ce qui diminue son influence, comme le constate un
commandant de gendarmerie 1180 , tout comme son divorce ou les condamnations pénales
prononcées contre lui. En avril 1899, par exemple, il est condamné à payer cent francs
d’amende pour diffamation et injures par voie de presse 1181 contre l’abbé Villeneuve,
fondateur et directeur du Cercle catholique de Châtellerault 1182 . Une peine réduite au mois
d’août à cinquante francs par le Président de la République après l’intervention du sous-
1176
Lettre du sous-préfet de l’arrondissement de Châtellerault du 18 novembre 1893, ADV M12.53. Syndicats
professionnels, chambres syndicales, sociétés coopératives (1891-1898).
1177
Rapport du commissaire de police de Châtellerault au sous-préfet du 23 mars 1886, ADV M4.83.
Correspondances du préfet (1889-1891).
1178
Rapport du 16 mai 1894 du commissaire central de Poitiers, ADV M4.85. Correspondances du préfet ;
voyage du ministre de l’Instruction publique, mort de Sadi Carnot ; mort d’Alexandre III (1894)
1179
Aucun des duellistes n’est blessé après quatre coups de feu. On les suspecte de n’avoir pas chargé les armes !
ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de l’instruction publique, mort de Sadi Carnot ;
mort d’Alexandre III (1894).
1180
Rapport du commandant de gendarmerie de l’arrondissement de Châtellerault du 4 janvier 1894, ADV
M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de l’instruction publique, mort de Sadi Carnot ; mort
d’Alexandre III (1894).
1181
Limousin est le principal rédacteur de L’Eclaireur de la Vienne.
1182
Edmond Vallet de Villeneuve, devient curé du faubourg populaire de Châteauneuf après de brillantes études.
Cet ecclésiastique, dont la grande tante est la baronne Dudevant qui n’est autre que George Sand, a marqué
profondément la ville. On peut le considérer comme le pendant religieux et royaliste du socialiste Krebs, cf.
GUILLON (André), MEUNIER (Paul), op. cit., pp.33-34.
259

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
préfet 1183 . Le syndicaliste ne vivrait plus que dans les cabarets. Sa situation fait dire au
représentant de l’Etat toute la pitié qu’il ressent à son égard 1184 .
Il y n’a pas que les frasques verbales qui freinent l’ardeur socialiste ouvrière. D’autres
scandales touchant les organisations syndicales elles-mêmes y contribuent également. En juin
1885 un ouvrier gantier, caissier de la Chambre syndicale de Poitiers, est suspecté d’avoir
soustrait des fonds de la caisse de l’organisation à des fins personnelles et d’avoir détourné
l’argent d’une loterie afin de « venir en aide aux ouvriers malheureux ». Une affaire que les
autorités montent en épingle puisque le rapport de police cite d’autres individus
éventuellement compromis. Tous sont des socialistes convaincus. On cite un proche du
Châtelleraudais Limousin, mais aussi des conférenciers parisiens comme Joffrin, Clément ou
Allemane 1185 . De là à dire que l’on profite de l’affaire pour nuire aux socialiste locaux il n’y a
qu’un pas.
b) La modération politique
Si les champions des « doctrines avancées » se font entendre haut et fort 1186 , la grande
masse des ouvriers demeure bien plus modérée. La plupart se borne à soutenir le cas échéant
les républicains de leurs localités, même si les républicains eux ne se soucient pas toujours de
leur sort 1187 . Un désintéressement de l’ouvrier pour la politique que déplore amèrement Henri
de La Porte quand il évoque son « étrange apathie » 1188 .
Châtellerault est la ville républicaine par excellence depuis les premières heures de la
République. Une situation à laquelle le prolétariat local a forcément contribué. Les ouvriers
représentant une grande part de la population de la cité, il est manifeste que leurs suffrages ne
vont pas qu’aux socialistes, et cela d’autant plus qu’il n’y a pas de candidat dans les années
1870-1880. Le vote républicain c’est en grande partie le vote ouvrier. L’Avenir de la Vienne le
proclame haut et fort alors que les socialistes locaux se rangent derrière un candidat ouvrier
1183 Le fonctionnaire constate le manque de ressource du leader syndical.
1184 Rapport du sous-préfet de Châtellerault du 3 juin 1899 et courrier du ministère de l’Intérieur du 23 août
1899, ADV M4.89. Correspondances du préfet (1899-1900).
1185 Rapport de police du 22 juin 1885, ADV M4.81. Correspondances du préfet [1882-1887].
1186 Même les plus actifs d’entre eux se sont sentis républicain : c’est le cas de Limousin qui distribuent tracts,
bulletins et affichent pour le candidat républicain en 1877, cf. MARION (Jacques), op. cit., p.47.
1187 Gambetta, de passage à Châtellerault en octobre 1873, se voit refuser l’accès à la manufacture d’armes. Plus
tard son discours ne fait aucunement mention de l’ouvrier. L’avocat opportuniste fait l’éloge de la bourgeoisie, à
qui revient l’honneur de l’émancipation du peuple tout entier, cf. ADV M4.80. Correspondances du préfet (1871-
1881) et COQ (Léonce), «Une déception pour Gambetta : son passage à Châtellerault le 3 octobre 1873 », BSAO,
1 er trim.1986, Poitiers, pp.393-397.
1188 Le Populaire de L’Ouest du 31 mai 1908.
260

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
parachuté de Paris se présentant aux législatives de 1881 : « Les ouvriers de Châtellerault
peuvent être radicaux, mais ils ne sont pas socialistes 1189 ».
Le régime juridique particulier de la manufacture d’armes explique en outre cette
relative réticence envers le mouvement ouvrier. L’ouvrier y est strictement encadré car son
activité concerne un domaine hautement sensible, strictement contrôlé par l’Etat et ses
représentants. Rejoindre le mouvement ouvrier c’est se mettre immédiatement en marge, c’est
l’assurance de perdre son travail tôt ou tard 1190 . « Seuls jusqu’à ce jour les ouvriers et les
employés de l’Etat sont restés en dehors du mouvement 1191 », constate Limousin dans un
article publié dans l’Eclaireur de la Vienne en 1890. Seule l’approche purement corporative
mise en place par les ouvriers libres et encadrée par la direction est tolérée, d’autant plus que
ses partisans sont bien vite récupérés par les républicains.
Il en va de même à Poitiers où le républicanisme est bien ancré. Les élections
législatives de 1889 sont exemplaires. Cette année là le groupe socialiste poitevin ne présente
pas de candidat et soutient le champion républicain Denizot 1192 . Garnier, le socialiste, affirme
la nécessité « de combattre uniquement pour les candidats républicains aux prochaines
élections 1193 » car, selon lui, la jeune république est menacée par le général Boulanger 1194 .
Cette prise de position provoque une scission à l’intérieur du parti socialiste. Certains, dont
Limousin, lui reprochent d’abandonner les revendications du Parti ouvrier. En réaction
Garnier fonde l’Autonomie Socialiste et se rapproche sans regrets des républicains 1195 dans le
cadre d’un parti où « de nombreux ouvriers » le rejoignent, si on en croit le commissaire
spécial, fier d’annoncer l’affaiblissement des forces socialistes. Selon lui seuls les « plus
exaltés restent sous la direction des frères Orry à Poitiers et de Limousin à Châtellerault » en
1189 L’Avenir de la Vienne du 21 août 1881.
1190 Les ouvriers craignent d’être remplacés par des soldats s’ils se montrent trop vindicatifs et revendicatifs, cf.
L’Eclaireur de la Vienne du 31 juillet, 11 septembre et 9 octobre 1887.
1191 L’Eclaireur de la Vienne du 7 septembre 1890.
1192 Denizot gagne l’élection, L’Eclaireur de la Vienne du 29 novembre 1889.
1193 Rapport du commissaire spécial de Poitiers du 9 mars 1889. Déjà le 24 février le commissaire de police de la
ville de Poitiers note à propos de Garnier : « [Garnier] paraît être un honnête homme qui a discipliné le parti
socialiste en l’unissant et pourrait rendre des services au moment des élection générales s’il tient encore le parti
dan sa main ». ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891).
1194 Quelques socialistes craignent que des ouvriers châtelleraudais succombent aux théories boulangistes comme
le souligne un article de l’Eclaireur de la Vienne daté du 3 mars 1889. Abenoist, un ancien socialiste local,
rejoint alors le camp du général. On affirme également que la manufacture d’armes compte de nombreux
boulangistes dans ses rangs. C’est finalement une crainte non fondée qu’illustrent l’échec du candidat
boulangiste aux élections au conseil général et son absence aux législatives qui suivent. La propagande active de
l’organe boulangiste le Nouvelliste n’y change rien, cf. MARION (Jacques), op. cit., p.66 et s.
1195 L’Eclaireur de la Vienne du 17 mars 1889. Le commissaire de police parle d’un parti visant à concilier les
revendications du Parti ouvrier avec la défense de la République et ses défenseurs de tout horizons, cf. rapport du
commissaire central de Poitiers du 19 mars 1889 sur la dissolution du groupe d’étude sociale « Le travail »,
ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891).
261

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
estimant qu’ils « reviendront un par un et qu’il [Garnier] pourra de nouveau les discipliner
pour les élections générales, sa feuille L’Eclaireur de la Vienne restant sous sa direction
complète » 1196 . Toutefois, Garnier se présente dans l’arrondissement de Châtellerault où il ne
recueille qu’à peine 700 voix contre plus de 8000 pour Nivert qui est élu 1197 . Cette élection
atteste du caractère républicain, et non socialiste, de la majeure partie des ouvriers de la ville
de Châtellerault.
De même à Niort en 1900 le secrétaire de la bourse du travail, Galisot, se présente sur
la liste radicale au nom du Parti ouvrier ce qui démontre la relative insensibilité aux propos
révolutionnaires de cette organisation. Cependant quatre années plus tard le même Galisot va
à nouveau se présenter sur la liste du maire sortant, le radical Martin-Bastar, alors que le Parti
ouvrier niortais présente cette fois-ci sa propre liste. Cette rupture pousse les membres du
P.O.N à adopter les positions du socialisme révolutionnaire 1198 , doctrine qui ne cesse de
prendre de l’ampleur jusqu’à sa victoire en 1910. L’activité et l’aura de certains de ses
membres a fini par l’emporter 1199 .
Le choix républicain des ouvriers est encore plus net dans le département de la
Vendée. Ici le vote républicain est jugé bien plus subversif que dans d’autres départements,
tant celui-ci est marqué par les idées conservatrices. Etre républicain en Vendée c’est être
révolutionnaire puisque le socialisme y est très peu implanté 1200 . En réalité les républicains et
même les radicaux vendéens sont très modérés. Là, la bataille ne se déroule pas sur le terrain
social mais quasi exclusivement sur la question religieuse. La lutte contre le cléricalisme
obnubile les tenants de la République et fait passer les autres questions au second plan. On
amalgame souvent socialisme et République et donc promotion de la laïcité. Cet objectif
poussant parfois à vouloir séduire l’électorat ouvrier par tous les moyens, même par l’emploi
d’amalgames et de raccourcis historiques alambiqués et ambigus. En 1902, au plus vif du
déchaînement anti-clérical, le journal Le Bleu de Vendée s’adresse aux ouvriers afin qu’ils
apportent leurs suffrages au républicain Maximilien Fay, candidat dans la première
circonscription de La Roche-sur-Yon. Un texte de ce journal met en garde pêle-mêle contre le
vote réactionnaire, démontrant par la même que l’ouvrier ne vote pas forcément à gauche en
1196
Rapport du commissaire spécial de Poitiers du 9 mars 1889, ADV M4.83. Correspondances du préfet
(1889-1891).
1197
L’Eclaireur de la Vienne du 29 novembre 1889.
1198
Le P.O.N est définitivement créé en mai 1904 à la suite d’une scission intervenue en 1903 au sein de la
Fédération départementale socialiste des Deux-Sèvres, cf. Le Socialiste de l’Ouest du 8 mai 1904.
1199
Le nombre important de réunions politiques qui s’y déroulent à cette époque en témoigne. Un constat
identique peut être fait à Poitiers et à Châtellerault, voir aussi ROUX (Jacques), op. cit., pp.451-452.
1200
En 1902, les socialistes du Parti ouvrier français (P.O.F) ne récoltent que 81 voix dans l’ensemble du
département, tout particulièrement dans les cantons sud.
262

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Vendée, et le vote socialiste, tout en qualifiant de conservatrices les premières heures de
1848 !
« Ouvriers vous voterez pour M. Fay […] par reconnaissance, par
sagesse. Chaque fois que les réactionnaires ont été au pouvoir, ils
ont donné du plomb au peuple qui demandait du pain […] C’est la
République conservatrice de 1848 qui a flétri le socialisme et béni
les arbres de la liberté ; cette République là qui a fusillé vos frères
en 1848. C’est l’Assemblée nationale conservatrice de 1871 qui a
fusillé vos frères les prisonniers de la Commune alors que
l’insurrection était anéantie, alors qu’on ne fusillait pas les
prisonniers allemands. La République a fait beaucoup pour
l’ouvrier. Elle l’a armé formidablement par la loi sur les syndicats.
Le syndicat c’est l’arme des travailleurs […] Le socialisme, c’est
l’avenir peut être […] nul n’a le droit d’y précipiter le pays par des
voies révolutionnaires 1201 ».
Dès mars 1881 L’Avenir de la Vienne accuse les socialistes de faire le jeu des conservateurs
et, au cours du même mois, un exemple supplémentaire illustre la suspicion des républicains
de la Vienne envers le socialisme au début des années 1880.
« Que monsieur Chabert 1202 vienne faire une conférence à
Châtellerault, c’est son droit, nous le respectons, mais que des sous-
agents exploitent cela en dehors des centres ouvriers nous y voyons
un mauvais tour du socialisme impérial, dont monsieur Chabert est
l’instrument sans le savoir 1203 ».
Il en est de même en 1885 quand les républicains accusent l’un des membres du parti ouvrier
d’être à la solde des bonapartistes. La liste socialiste ne serait selon eux qu’une diversion des
forces conservatrices destinées à faire perdre aux républicains les voix ouvrières. Rabuel, un
ancien communard proche des socialistes, est suspecté par la police de recevoir de l’argent de
1201 Le Bleu de Vendée du 23 avril 1902.
1202 Conférencier collectiviste membre de l’Internationale.
1203 L’Avenir de la Vienne du 11 mars 1881.
263

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Soubeyran 1204 , grande figure du bonapartisme dans le département, ce qui expliquerait son
train de vie dispendieux, peu en rapport avec ses revenus.
Des arguments identiques sont utilisés par les radicaux lors de leur défaite aux
élections législatives de 1910 dans la deuxième circonscription de Niort. Ils reprochent au
socialiste Henri de La Porte d’avoir bénéficié des consignes anti-républicaines du parti
conservateur pour être élu dans la deuxième circonscription de Niort 1205 .
Autant de rumeurs qui peuvent effrayer certains ouvriers redoutant d’être victimes
d’une manipulation. D’autant plus que dans le même temps les bonapartistes profitent de
l’indifférence des opportunistes pour se poser en défenseurs des travailleurs. Ils en arrivent
même à trouver des excuses aux actes anarchistes 1206 .
Une des meilleures illustrations de républicanisme ouvrier se rencontre chez les
mineurs des houillères de Faymoreau.
En 1902 ils votent, comme tout le canton de Saint-Hilaire-des-Loges, en faveur du maire de
Fontenay, le député radical Guillemet. Les candidats guesdistes venus de Paris ne trouvent
aucun partisan. Ici l’ouvrier constitue la clientèle républicaine et non celle du socialisme. Les
travailleurs des charbonnages sont modérés comme l’atteste leur taux de syndicalisation en
dehors des périodes de conflits du travail 1207 . A partir de 1900, un peu moins des deux tiers
des employés sont syndiqués. Une tendance qui diminue avec le temps puisque ce taux atteint
59 % en 1914, quatre années après l’affiliation du syndicat à la CGT 1208 .
En 1896 L’Avenir et l’indicateur mettent en garde les mineurs contre l’attitude du
maire de Faymoreau qui chercherait à les flatter pour gagner, selon eux, les faveurs du
syndicat. Des flatteries, peut être ? Toutefois il s’avère que le maire de Chantreau prend
systématiquement fait et cause pour les mineurs contre la direction des houillères pendant les
51 ans où il est à la tête de la commune.
Le mineur du bas Poitou est choyé constamment par les républicains en place. Chaque
grève est l’occasion pour eux d’intervenir afin de matérialiser leur soutien. Les députés, les
1204 Signalons qu’après 1871 Soubeyran n’appartient pas au groupe bonapartiste à l’Assemblée, cf. AUGUSTIN
(Jean-Marie), La presse poitevine et Versailles, capitale de la République (1871-1879), in Versailles au XIX e
siècle, évocations et variations, LECOMTE (Catherine) (dir.), Versailles, 1999, p. 102.
1205 Voir Infra.
1206 MATHIEU (Maurice), Les poitevins et la République (1870-1914)…, op. cit., pp.95-96.
1207 Le pourcentage de syndiqués augmente considérablement quand la grève est déclarée : en 1900 on compte
66 % de syndiqués en temps normal mais 90 % en temps de grève.
1208 Voir tableau in REGOURD (Florence), industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.400.
264

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
conseillers généraux ou les sénateurs intercèdent auprès de la direction des mines afin qu’elle
assouplisse ses positions et qu’elle se prête aux négociations.
En 1896, le député républicain Disleau se place en champion de la cause des
travailleurs de Saint-Laurs. Ses diatribes enflammées dirigées contre la direction parisienne
des houillères attisent les antagonismes plus qu’elles ne calment la situation. Et peu importe
qu’il soit nommé médiateur par la préfecture 1209 .
En 1912 tous les responsables politiques se pressent à Faymoreau 1210 , le député
Veillat, républicain démocrate, comme le conseiller général et républicain de gauche
Constantin. Un choix parfois dangereux pour les républicains. Veillat n’est pas réélu en 1914.
Le reste de la population de la circonscription lui reproche d’avoir trop privilégié les mineurs,
chez qui « il y a une véritable confiance dans leurs élus républicains, isolés dans un
département manifestement conservateur » 1211 .
Ce républicanisme ouvrier se rencontre à Ligugé. Là Louis Céleste Carlos Hambis,
patron de l’importante filature et républicain farouchement anti-clérical, est élu de 1890 à
1904 à la tête de la mairie. Ici le paternalisme se combine à la cause républicaine puisqu’il
succède à son associé, l’industriel Emile Veron. De même à Niort en 1896 les ouvriers
travaillant au service des industriels Marot et Mercier, deux illustres républicains modérés de
la ville, signent une pétition en leur faveur et s’opposent au Parti ouvrier les accusant d’êtres
des patrons « buveurs de sang et de sueur » 1212 . Ce paternalisme se retrouve dans les cercles
ouvriers et les syndicats d’obédience catholique.
c) L’influence du catholicisme social
La modération dont fait preuve nombre d’ouvriers poitevins est patente dans l’emprise
qu’ont pendant un certain temps les organisations catholiques ouvrières. Des institutions qui
trouvent un écho favorable à Poitiers, à Châtellerault et bien entendu en Vendée.
Le catholicisme social est bien implanté dans le département vendéen dès 1848 où le
socialiste Chrétien Buchez réalise un score honorable, en particulier dans le rayon choletais
1209
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899] et infra p. 849 et s.
1210
ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
1211
REGOURD (Florence), industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., pp.359-360.
1212
TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.167.
265

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
autour de Mortagne-sur-Sèvre. Sous la III e République quinze cercles catholiques 1213 , formés
sur le modèle du Cercle Montparnasse 1214 , vont être fondés entre 1873 et 1900, dont dix avant
1876 1215 . Albert de Mun estime nécessaire de reconstruire une société chrétienne, afin de
lutter contre les conséquences de l’individualisme. Il s’agit là d’un devoir d’encadrement et
d’aide qui incombe aux « classes dirigeantes ».
La Vendée est en pointe du mouvement comme tout le grand Ouest français. Le
premier cercle est créé à Luçon, siège de l’évêché. Six autres vont suivre en 1874 à La Roche-
sur-Yon, aux Sables-d’Olonne et dans les bourgs du haut bocage, région où le « syndicalisme
jaune » rencontre un vrai succès 1216 . Plus tard ceux de Fontenay-le-Comte ou de Pouzauges
s’ajouteront à cette liste. Ces associations regroupent de quelques dizaines de membres à une
petite centaine. Elles sont dominées par l’idéologie légitimiste et le souci de préserver la
moralité de la masse ouvrière pervertie par des conditions de travail difficiles et les doctrines
jugées subversives de l’Internationale. Ces cercles sont suspectés de propagande électorale
par les autorités. Celui des Sables est menacé de fermeture alors que celui de La Roche-sur-
Yon est dissout en 1880 pour « propagande active contre les institutions républicaines » 1217 .
Ces cercles nombreux et bien organisés octroient à l’ouvrier un poids électoral bien plus
grand que ne le laisse présager sa force numérique. L’ouvrier, et tout particulièrement
l’ouvrier artisan, devient l’enjeu des élections municipales comme l’affirme le maire de
Fontenay-le-Comte au préfet de Vendée en 1887 : « Les élections sont absolument entre les
mains des ouvriers, il faut les ménager 1218 ».
Les cercles catholiques ne sont pas influents qu’en Vendée. Ils sont également actifs
dans le nord des Deux-Sèvres à l’image du cercle Saint-Joseph fondé à Parthenay en 1875.
Quant à la ville de Poitiers, des congrès nationaux y ont lieu en 1872 et 1875. L’évêque de
1213 Sur les cercles ouvriers consulter ROLLET (Henri), L’action sociale des catholiques en France, Paris, 1947,
p.29 et s. et LEVILLAIN (Philippe), Albert de Mun : catholicisme français et catholicisme romain, du Syllabus
au ralliement, Paris, 1983, 1062 p.
1214 Le Cercle Montparnasse est crée à Paris par Maurice Maignen en 1871. Des cercles catholiques dont Albert
de Mun et René de La Tour du Pin vont être les promoteurs, GUITTON (H.), Le catholicisme social, Paris,
1945, p.19.
1215 Voir ADVd 4M108 à 4M131.
1216 Un conseiller municipal de Cholet affirme en 1892 qu’il faut « profiter des grèves pour attirer les
mécontents », que « l’ouvrier berné [par les promesses socialistes] est une proie facile », cf. Congrès des
directeurs et protecteurs des associations ouvrières catholiques de La Roche-sur-Yon en 1892. C’est ainsi que le
cercle catholique d’Evrunes aurait recruté près de 150 membres en 1894, ADVd 4M153.
1217 ADVd 4M26. Rapports journaliers du commissaire de police de La Roche-sur-Yon (1893-1894)
1218 Lettre du 24janvier 1887, ADVd 4M116. Cercles et associations. Dossiers individuels par communes
(Champagné à Chavagnes).
266

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Poitiers, Mgr Pie, un Hilaire 1219 moderne, attaché aux valeurs traditionnelles du catholicisme,
fait de l’encadrement de la classe ouvrière une de ses priorités. Il désire ardemment moraliser
cette population dont il juge les repères faussés. Un bon moyen pour lui d’assurer la paix
publique 1220 . En 1872, l’évêque ultramontain présente l’Eglise aux ouvriers de Montmorillon
comme « la plus haute, la plus pure, la plus libérale de toutes les démocraties 1221 ». Cette
même année le cercle ouvrier Notre Dame des Dunes compte 200 membres dont 80 jeunes de
15 à 19 ans, effectif qui double les années suivantes 1222 . Des associations du même type sont
créées à Montmorillon 1223 et à Châtellerault 1224 à l’initiative de Jean de Moussac et d’Adrien
Creuzé, personnalités catholiques et légitimistes 1225 . L’objectif avoué est la propagande
contre-révolutionnaire, la sauvegarde de la foi et la promotion des vertus du travail et de
l’atelier.
Les syndicats mixtes 1226 prennent le relais des cercles catholiques dès 1884. Des
« corporations chrétiennes » d’arts et métiers qui « correspondent à des professions urbaines
de type artisanal, au monde de la boutique, de l’atelier, aux métiers du bâtiment [dont la]
création est souvent due à l’initiative du Comité local de l’Œuvre des cercles catholiques
d’ouvriers 1227 ».
Ce type d’organisation d’inspiration corporative est rare dans la région. Il en existe
seulement à Ligugé et à Poitiers, ville où ils sont particulièrement actifs 1228 . Dans la capitale
du Poitou l’artisan demeure profondément catholique, notamment dans certains quartiers
1219
En référence à Saint-Hilaire, évêque de Poitiers vers 350, Père et docteur de l’Eglise et ardant combattant de
l’arianisme.
1220 e
GADILLE (Jacques), La pensée et l’action politique des évêques français aux débuts de la III République
1870-1883, thèse lettres, Lyon, 1967, p 323.
1221 MATHIEU (Maurice), Les poitevins et la République (1870-1914)…, op. cit., p.37.
1222 Ibid.
1223 Le premier cercle catholique du département y est créé en 1872, il est présidé par un maître charron et
compte près de 80 membres.
1224 Le cercle voit le jour en mai 1875 (cf. L’Echo de Châtellerault et le Mémorial du Poitou du 24 octobre
1875). A cette date il compte 80 membres, puis une cinquantaine cinq ans plus tard.
1225 Jean de Moussac à Montmorillon et Adrien Creuzé à Châtellerault. Ajoutons dans cette dernière ville le
chanoine de Villeneuve.
1226 Pour un historique complet sur les syndicats mixtes dans le Poitou-Charentes cf. CANTAMESSA (Laurent),
Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.305 et s. Voir également
CANTAMESSA (Laurent), Catholicisme et monde du travail : les syndicats mixtes à Poitiers, in LE CROM
(Jean-Pierre) (dir.), Les acteurs de l’histoire du droit du travail, Rennes, 2004, pp. 151-165.
1227 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., pp.306-
307.
1228 Le chef-lieu regroupe trois éléments favorables à la création de syndicats mixtes d’arts et métiers : une
notabilité locale catholique (noblesse et bourgeoisie légitimiste), un clergé influent poursuivant l’œuvre de Mgr
Pie disparu en 1880 et forte présence artisanale au travers de petits ateliers et de boutiques.
267

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
comme celui-ci de Montierneuf. Une expérience syndicale 1229 qui y dure sept années, de 1886
à 1893, date à laquelle la Corporation Sainte Radegonde disparaît. Ces syndicats visent à
rétablir l’harmonie dans les ateliers en fondant la relation entre ouvriers et patrons sur des
bases justes et en soulignant les intérêts qu’ils ont en commun tout en développant le savoir
professionnel et l’assistance mutuelle 1230 .
Cette forme d’association est la cible privilégiée des partisans républicains et
socialistes de la ville, malgré un apolitisme hautement affirmé. Les syndicats mixtes
représentent pour leurs détracteurs un moyen de propagande électorale et de pénétration de
l’esprit clérical au sein des couches laborieuses de la ville. Le journal socialiste L’Eclaireur
de la Vienne emploie même le terme de « machine de guerre 1231 » pour qualifier le rôle
politique du Comité. Dix des membres de la liste conservatrice candidate aux élections
municipales de 1888 sont liés de manière plus ou moins proche au cercle ou aux syndicats
mixtes. Le chef de l’opposition conservatrice, l’avocat Félix Mousset, lui-même en est un
membre éminent.
De son côté le commissaire central de police de Poitiers ne voit dans la création du
syndicat mixte du bâtiment en 1886 qu’un prétexte. Selon lui, le but véritable de cette
« agitation réactionnaire », qui dure depuis l’année précédente 1232 , « c’est le comité électoral
qui peut devenir d’autant plus puissant que le parti républicain ne fait absolument rien 1233 ».
De même deux ans plus tard le préfet émet de semblables soupçons :
« Le parti clérical s’efforçant de conserver sa prépondérance dans
une ville qui est une de ses dernières citadelles, s’est appliqué avec
une rare persévérance à constituer à l’abri de la loi du 21 mars 1884
sous le nom de syndicats mixtes ou corporations chrétiennes, des
associations agricoles et industrielles, appelées à jouer un rôle
important dans les élections 1234 .»
1229
Une expérience qui concerne plus particulièrement, dans le domaine artisanal, les secteurs du bâtiment et de
l’habillement.
1230
Etat des syndicats au 15 octobre 1886, ADV M12.41. Sociétés coopératives, banques populaires, sociétés de
crédit (1885-1890).
1231 er
L’Eclaireur de la Vienne du 1 avril 1888.
1232
Déjà en 1885 Le Courrier de la Vienne (organe royaliste et clérical) interpelle la classe ouvrière pour
chercher à lui démontrer que les républicains l’ont trahi, Le Courrier de la Vienne du 3 octobre 1885.
1233
Rapport de police du 19 avril 1886, ADV M4.81. Correspondances du préfet [1882-1887].
1234
Note du préfet en préparation des élections municipales de 1888, ADV M3.123. Elections du 6 (et 13)
mai 1888 .
268

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Il faut toutefois relativiser ce rôle politique, la philanthropie l’emportant largement sur les
enjeux de politique comme l’a révélé Laurent Cantamessa 1235 .
Cependant il ne faut pas nier tout rôle politique et toute influence cléricale ou
catholique sur le milieu ouvrier poitevin. En mai 1894 l’audience importante obtenue par
l’abbé bordelais Naudet 1236 venu conférer à Poitiers sur les bienfaits du catholicisme social et
la doctrine d’Albert de Mun en témoigne. Lors d’une conférence suivante il parvient à voler la
vedette au député socialiste présent. Le commissaire spécial transporté sur les lieux estime
que le religieux a fait rater la réunion 1237 . Son discours s’oppose à toute idée de révolte des
ouvriers contre leurs patrons. Il affirme également que le devoir du riche est de donner du
travail aux plus pauvres afin qu’ils puissent élever leur famille. La fortune ne leur est pas
donnée « pour entretenir des danseuses » s’exclame-t-il. Enfin il fait la promotion des
chambres patronales, organes de conciliation entre l’ouvrier et le patron 1238 .
L’ouvrier poitevin étant modéré et méfiant à l’égard des thèses les plus avancées il va
de soi qu’il ne peut qu’être opposé aux actions les plus violentes des « rouges » les plus
ardents.
d) L’aversion pour la rébellion et la violence
La Commune de Paris et les vagues de terreur anarchistes ensanglantent les débuts de
la III e République tout en effrayant la quasi-totalité de la population, toutes opinions
confondues.
1. Les retombées de la Commune de Paris
La Commune de Paris de mars à mai 1871 suscite presque unanimement dans le pays
le dégoût et l’aversion. On juge « les rouges » responsables du bain de sang. Les mouvements
1235
CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit.,
pp.352-353.
1236
L’abbé Naudet (1859-1929), grande figure de la démocratie chrétienne, il contribue par ses conférences aux
débats de l’époque relatifs à la question ouvrière et à la notion de démocratie. Fondateur de l’hebdomadaire La
Justice sociale qui est interdit pas Pie XI en 1908. Voir ROLLET (Henri), op. cit., p.396.
1237
600 personnes y assistent dont près de la moitié est constituée d’opposants aux socialistes. Rapport du 16
mai 1894 émanant du commissariat spécial, ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de
l’instruction publique, mort de Sadi Carnot ; mort d’Alexandre III (1894).
1238
Il termine son discours par une demande d’envoi d’un télégramme de félicitation au comte de Mun, Rapport
du commissaire central de Poitiers au préfet de la Vienne du 17 mai 1894, ADV M4.85. Correspondances du
préfet ; voyage du ministre de l’Instruction publique, mort de Sadi Carnot ; mort d’Alexandre III (1894.)
269

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
socialistes révolutionnaires sont mis à l’index et ils le resteront pendant de longues années. La
répression est terrible. La « semaine sanglante » va hanter longtemps l’imaginaire de ceux qui
aspirent à une profonde révolution sociale.
Les pouvoirs publics qu’ils soient provisoires ou bien issus de la jeune et fragile
III e République, vont poursuivre la répression à l’encontre des individus suspectés d’avoir
participé au mouvement communard ou d’appartenir à l’Internationale ouvrière.
Dans la région, le mouvement insurrectionnel parisien a très peu d’écho. Tous les
rapports préfectoraux l’attestent 1239 . Nantes, Limoges 1240 ou Saint-Pierre-des-Corps, près de
Tours, sont les villes les plus proches où l’on constate des actions de soutien aux
communards 1241 . L’opinion est choquée et abasourdie, influencée par une presse entièrement
conservatrice 1242 .
Les Deux-Sèvres sont restées fort calmes pendant les tristes jours de la Commune de
Paris comme l’indique le préfet dans son rapport adressé à la commission d’enquête
versaillaise mise en place en juillet 1871. Niort est paisible. Il ajoute que « les hommes [sont]
connus pour être des partisans des idées révolutionnaires et dont les opinions politiques
radicales […] sont en général déconsidérés et n’ont pas d’influence réelle sur la
population ». Seul le marché aux grains de Parthenay s’agite quelque peu, mais beaucoup plus
tard, en mai 1875. La population proteste contre les spéculations des marchands sur les prix
du grain. Toutefois le rapport de gendarmerie parle d’un mouvement d’humeur prémédité par
les mauvais sujets de la ville et par la pression exercée par les nombreux ouvriers de la
ville 1243 .
Le même constat est valable en Vendée. La région est demeurée parfaitement
tranquille pendant que l’on se battait dans la capitale. La campagne profonde du nord du
département est indifférente au sort des communards, même si la ville toute proche de Cholet
1239 Il faut se tourner vers la Charente Inférieure pour rencontrer des manifestations de solidarité avec les
communards. A Rochefort, aux élections municipale de 1871, près de 1400 bulletins portent la mention
« Commune de Paris » dont 800 proviennent des faubourgs. Les ouvriers de la marine travaillant à l’arsenal sont
mis en cause, cf. CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op.
cit., p.47.
1240 COUSTEIX (Pierre), La Commune de Limoges, L’Actualité de l’histoire, 1956, n°15, pp.28-32.
1241 WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., pp.206-208.
1242 Cette presse parle de « terreur démagogique » et dénonce « la démence furieuse des autorités de la
Commune ». Les poitevins ne sont que peu informés des événements parisiens, seule une note du Courier de la
Vienne du 26 mai parle du mur des fédérés et du sol de Paris jonché de cadavres, cf. AUGUSTIN (Jean-Marie),
La presse poitevine et Versailles, op. cit., p. 97.
1243 ADDS 4M6.23. Guerre de 1870 ; suites de la Commune ; affaire de Parthenay (1871) ; affaires divers
[1870 ; 1872].
270

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
est considérée avant la guerre de 1870 comme un poste avancé de l’Internationale dans
l’Ouest de la France 1244 . L’habitant des campagnes, qu’il soit paysan ou ouvrier, ne voit dans
les insurgés parisiens que « des rouges », des révolutionnaires, des ennemis de la religion,
dans une région où les esprits sont influencés profondément par l’Eglise.
Seulement quelques groupes sont favorables à l’insurrection 1245 , notemment à
Fontenay-le-Comte et à Luçon où le sous-préfet soupçonne, sans preuves formelles, des
« individus de la classe moyenne et ouvrière » d’appartenir ou d’entretenir des relations avec
l’Association Internationale des Travailleurs 1246 .
Dans l’arrondissement des Sables-d’Olonne le désintéressement de la population pour
la chose politique est tel que le sous-préfet qualifie cette attitude « d’excessive » et de
« coupable » 1247 ! Peut-être lui reproche-t-on son absence d’indignation face aux récits des
méfaits commis par les communards que l’influent évêque de Luçon a condamné
violemment 1248 .
Le département de la Vienne, et tout particulièrement la ville de Châtellerault qui est
la cité la plus susceptible de s’agiter, n’ont pas connu de troubles au moment où Versaillais et
communards s’affrontaient. Aucun adhérent de l’Internationale n’y est recensé 1249 .
Dans les semaines et les mois, voire les années 1250 , qui suivent la Commune, l’autorité
étatique va pourchasser les communards et les membres de l’Internationale partout dans le
pays. C’est « la curée froide » selon Louise Michel. On veut purger le pays de ses « rouges ».
L’Etat craint que des fugitifs propagent des idées révolutionnaires et anarchistes dans les
contrées calmes du pays. Une inquiétude qu’exprime le préfet des Deux-Sèvres en juillet 1871
1244
WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.94.
1245
Notons pour l’anecdote la rédaction d’une lettre anonyme dénonçant Clemenceau, ancien député de Paris,
réfugié chez son père à Sainte-Hermine. Le préfet confirme sa présence tout en estimant que malgré ses idées
avancées il n’est pas solidaire de la commune et de ses crimes, ADVd 4M402. Commune de Paris : insurgés.
Instructions. Rapports. Dépêches [1871].
1246
Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte au préfet de Vendée du 10 juillet 1871, ADVd 4M402.
Commune de Paris : insurgés. Instructions. Rapports. Dépêches [1871].
1247
Rapport du sous-préfet des Sables-d’Olonne au préfet de Vendée du 10 juillet 1871, Ibid.
1248
Mgr Colet est alors évêque de Luçon.
1249
MATHIEU (Maurice), Les poitevins et la République (1870-1914)…, op. cit., p.29.
1250
L’Etat de siège n’est levée qu’en avril 1876 dans la Seine, la Seine-et-Oise, les Bouches-du-Rhône et le
Rhône. Une loi de mars 1872 rend suspecte toute tentative de regroupement ouvrier et expose ses meneurs à des
poursuites judiciaires. Les tribunaux militaires condamnent d’anciens communards longtemps après les
événements parisiens.
271

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
quand il constate que seuls les étrangers de passage évoquent favorablement l’insurrection
parisienne 1251 .
Des listes de suspects et de nombreux avis de recherche sont lancés contre les
personnes ayant fui Paris. Beaucoup se font passer pour des chauffeurs ou des employés de
chemin de fer. Les contrôles effectués dans les trains sont multipliés. Mais rares sont les
arrestations dans la région 1252 . Citons tout de même le cas d’un ouvrier horloger sans domicile
fixe, originaire du Loir-et-Cher, qui est arrêté à Vivonne le 5 octobre 1871 aux motifs
d’affiliation à l’Internationale et faux papiers 1253 .
Cette répression est accentuée par la loi du 14 mars 1872 qualifiant le simple fait
d’être affilié à l’Internationale « d’attentat contre la paix publique ». On est loin des
préoccupations des représentants départementaux de l’Etat. Quelques temps plus tard en
Vendée on contrôlera scrupuleusement les passeports d’indigents des condamnés libérés après
avoir été internés à l’Ile-d’Yeu et à Noirmoutier. Il y a parmi eux de très nombreux
ouvriers 1254 .
Après le séisme provoqué dans l’opinion du pays par la Commune de Paris viendra le
temps d’une nouvelle terreur, celle des attentats anarchistes dont l’écho parviendra à peine
dans le Poitou 1255 .
2. La terreur anarchiste de la Belle Epoque
L’anarchisme, prônant une propagande par l’action, devient la cible principale de
l’autorité publique à partir de la flambée de violence des années 1891 à 1894. En France,
comme dans le reste de l’Europe et du monde, des attentats anarchistes visent les
représentants de l’Etat et ses symboles. C’est l’ère des « chevaliers de la dynamite 1256 ». Des
bombes explosent au palais Bourbon, dans des commissariats ou des cafés. Le 24 juin 1894 à
Lyon, Caserio assassine le président de République Sadi Carnot pour venger ses camarades
1251
ADDS 4M6.23. Guerre de 1870 ; suites de la Commune ; affaire de Parthenay (1871) ; affaires divers
[1870 ; 1872].
1252
Télégramme du 20 mai 1871, ADVd 4M402. Commune de Paris : insurgés. Instructions. Rapports. Dépêches
[1871].
1253
MAITRON (Jean), deuxième partie, op. cit., v° Martin et Adrien.
1254
ADVd 4M404. Commune de Paris : passeports individuels après mise en liberté (1871-1872)
1255
Nous tairons l’épisode boulangiste qui nesemble guère influencer les ouvriers locaux même si Boulanger est
élu conseiller général de Niort en 1889 et que le marais poitevin est un de ses fiefs
1256
Lors du procès de l’anarchiste Ravachol le procureur général le qualifie « de chevalier de la dynamite ».
Pour lui Ravachol n’a pas agi pour des motifs politiques.
272

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
condamnés à mort que le chef de l’Etat n’avait pas voulu gracier 1257 . L’opinion publique est
indignée.
Puis les attentats cessent au contraire de la répression qui s’accentue. C’est l’époque
des fameuses « lois scélérates » qui visent les journaux anarchistes en portant atteinte à la
liberté de la presse. Ailleurs dans le pays l’angoisse s’installe. Les autorités locales partent « à
la chasse à l’anar » sans toujours savoir exactement ce qu’elles cherchent. L’ouvrier, surtout
s’il est itinérant et étranger au département, est souvent suspecté de propager ces idées
subversives 1258 .
La région est peu propice au développement des thèses anarchistes. Les préfets ne
manquent aucune occasion de le souligner dans leurs rapports 1259 .
La ville de Châtellerault n’en compte aucun même si le commandant de gendarmerie
de l’arrondissement estime « le terrain propice » et qu’il suspecte une trentaine d’individus de
« pouvoir céder aux sirène d’un anarchiste habile » 1260 afin de les pousser à « proclamer la
commune à Châtellerault 1261 ». Ces individus sont en réalités de simples socialistes
révolutionnaires qui font déjà l’objet d’une surveillance étroite 1262 . Un rapport de police de
décembre 1893 l’indique tout en notant l’absence d’homogénéité de la mouvance. Une
désunion excluant tout risque d’attentat 1263 . Le sous-préfet confirme cette absence de danger
en affirmant que ces hommes sont certes « des orateurs violents des réunions politiques »
mais qu’ils sont avant tout « trop soucieux de leur liberté et trop prudents pour ne jamais
recommander la propagande par le fait, et encore moins pour s’y livrer eux-mêmes 1264 ».
1257 Des directives ministérielles demandent la plus grande vigilance aux préfets concernant une déclaration de
Caserio Santo dissimulée dans des courriers venus d’Angleterre.
1258 Les anarchistes individualistes rejettent en majorité le salariat en préférant exercer des métiers ambulants et
indépendants, tels ceux de forains ou de camelots, cf. DHAVERNAS (Marie-Joseph), La surveillance des
anarchistes individualistes (1894-1914), Maintien de l’ordre et police en France et en Europe au XIX e siècle,
Société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIX e siècle, Paris, 1987, pp.347 à 360.
1259 Un parmi d’autres du sous-préfet de Parthenay (15 février 1894) : « Aucun individu ne profère des théories
anarchistes ou est seulement susceptible d’entretenir des relations avec les anarchistes militants des autres
régions ». Il termine en ajoutant que la population réprouve au plus haut point tous les actes anarchistes, ADDS
4M17.2. Dossiers individuels, correspondance concernant les anarchistes (1894).
1260 Rapport du commandant de gendarmerie de l’arrondissement de Châtellerault du 4 janvier 1894 relatif aux
socialistes révolutionnaires, ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de l’Instruction
publique, mort de Sadi Carnot ; mort d’Alexandre III (1894).
1261 Lettre du sous-préfet au préfet de la Vienne du 25 novembre 1893, ADV M4.84. Correspondances du préfet ;
voyage de Sadi Carnot et d’une escadre russe (1892-1893).
1262 Cette méprise traduit une grande méconnaissance idéologique de la part des individus chargés d’une
surveillance policière.
1263 Rapport de police du 16 décembre 1893, ADV M4.84. Correspondances du préfet ; voyage de Sadi Carnot et
d’une escadre russe (1892-1893)
1264 Rapport du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 22 décembre 1896, ADV M4.236.
Etablissements et révisions des contrôles (1893-1904).
273

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
A Poitiers les thèses anarchistes n’ont pas plus d’audience. En 1897 on y mentionne
seulement la saisie de quatorze exemplaires du Libertaire 1265 .
Les rares individus soupçonnés d’être proche des thèses libertaires font l’objet d’une
surveillance et d’un fichage méticuleux de la part des représentants de l’administration 1266 . En
1894, il y a 26 personnes inscrites sur la liste des anarchistes habitants ou étant originaires du
département de la Vendée 1267 . On dénombre 15 ouvriers parmi elles.
La lecture des rapports montre que les ouvriers sont jugés bien moins dangereux que
les catégories professionnelles intellectuelles. La plupart du temps leur seul tort est d’être
abonné à un journal anarchisant comme Le Père Peinard ou La Révolte 1268 . D’ailleurs,
quelques années plus tard, le commissaire spécial propose de radier des listes les individus
dont les seuls faits reprochés sont de recevoir ce journal, diffusé de façon confidentielle
uniquement à La Roche-sur-Yon et à Fontenay-le-Comte 1269 . Seules douze personnes restent
ainsi inscrites sur les listes.
Généralement le danger semble provenir uniquement des personnes qui passent dans
les départements propageant leurs doctrines sous couvert de leurs professions. Toutefois leur
plus grand crime est souvent de transporter et de divulguer des journaux socialistes.
Très nombreux sont les télégrammes portant des avis de recherche sur des individus de
passage dans la région ou voyageant dans le pays. Le préfet doit assurer la surveillance de
leurs déplacements et des localités où résident leurs familles, quand ils en ont sur place. Une
vigilance qui s’accentue quand le président de la République est amené à voyager sur le
territoire. Des dossiers complets sont constitués sur chacun de ces individus où sont consignés
le moindre de leurs faits et gestes connus (travail exercé, employeurs, logements etc.). La
plupart du temps ces individus ne commettent aucun acte répréhensible, ils traînent
simplement avec eux leur lourd passé. Des listes d’anarchistes expulsés de France sont
dressés et doivent figurer dans toutes les brigades de gendarmerie et les commissariats de
police des départements.
1265
ADV M4.237. Saisies de journaux, brochures, affiches anarchistes et antimilitaristes (1886-1906).
1266
Les archives sont muettes sur la présence habituelle d’anarchistes dans les départements des Deux-Sèvres et
de la Vienne.
1267
Le nombre réel d’anarchistes présents dans le département est inférieur puisque nombre de personnes listées
ont disparu sans laisser de traces. Elles ne sont plus que onze en 1896.
1268
ADVd 4M177. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Anarchistes et antimilitaristes (1893-1915) et
ADDS 4M17.2. Dossiers individuels, correspondance concernant les anarchistes (1894).
1269
Rapport du commissaire spécial du 19 décembre 1896, ADVd 4M177. Commissariat spécial de La Rochesur-Yon.
Anarchistes et antimilitaristes (1893-1915).
274

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Tableau 5 : ouvriers inscrits dans la liste des anarchistes du département de
Vendée en 1895 :
Nom Profession Lieu de naissance Domicile Observations
Allaire Menuisier Challans Challans
« Condamné à 45 jours de prison
par la Cour d’Assise de Vendée »
« A prône l’anarchie en 1892
Borda Eugène
Ouvrier
serrurier
- Montaigu
dans un cabaret.
Sa piste sera perdue en 1895.
Considéré comme dangereux »
« Bonnin ferait de la propagande
Bonnin Clovis Cordonnier - Montaigu
anarchiste et aurait formé un
groupe de 7 adhérents. Le
commissaire spécial en doute »
« Ancien membre de la
Commune.
Chaigneau
Joseph-Henri
Ouvrier
boulanger
-
La Roche-sur-
Yon
A tenu des propos anarchistes.
Deux ans de prison pour attentat
à la pudeur
Le commissaire spécial propose
sa radiation »
Chevalier
Benjamin
Tailleur de
pierres
- - -
Landes Guillaume
Alfred
cordonnier Saumur Sans domicile
« Soixante condamnations.
Présent en Vendée »
Régnier Camille
dit « Maréchal »
Tailleur
d’habits
- - -
Maricot Henri
François
Mécanicien - Chantenay « Anarchiste très dangereux »
Meunier dit
« Muller »,
« Lagardère » etc.
Menuisier
Bournezeau
(arrondissement de
La Roche-sur-Yon)
Londres
« Condamné aux travaux forcés à
perpétuité, il séjourne à l’Ile de
Ré avant de partir en Nouvelle
Calédonie »
Ragaigne Fernand Menuisier La Châtaigneraie
L’Absie
(Deux-Sèvres)
-
« Arrêté en 1894 pour avoir crié
Rat Arnaud Marie Chaudronnier Nantes Le Mans « Vive l’anarchie » à Fontenayle-Comte
»
« Ami d’un dénommé Meunier,
propagandiste anarchiste de
Sourisseau
Fernand
Ferblantier - Bournezeau
Luçon, condamné à 7 ans de
travaux forcé en 1894.
Voyage beaucoup dans l’Ouest :
Nantes, Saint-Nazaire, Saumur,
Brest »
Sourisseau
Charles Auguste
Serrurier -
Luçon puis
domicile
inconnu
« Condamné à six mois de prison
en 1883 pour affiliation à
l’Association Internationale des
Travailleurs »
Source : ADVd 4M177. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Anarchistes et antimilitaristes (1893-1915).
Cette crainte du terroriste ne cesse pas jusqu’à la Première Guerre mondiale. En effet,
elle retrouve un second souffle à partir de l’année 1907 avec la présence de Clemenceau à la
tête du ministère de l’Intérieur. Pendant cette période les télégrammes signalent régulièrement
275

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
la présence ou le passage dans le département d’une personne soupçonnée de sympathie ou de
propagande anarchiste 1270 .
Citons l’exemple d’un typographe, un certain Peyramaure, qui est employé en octobre
1908 dans une imprimerie yonnaise 1271 . Le ministère de l’Intérieur demande la surveillance de
cet individu, jusqu’alors inconnu de l’administration préfectorale, en raison de l’existence de
relations très suivies qu’il entretient avec des libertaires de Paris, Bruxelles et même
d’Amérique. A cela s’ajoute une éloquence le distinguant lors des réunions publiques
auxquelles il participe. Cet ouvrier originaire de Brive, arrivé depuis peu en Vendée, fait alors
l’objet de la plus vive attention de la part du commissaire spécial de la ville qui n’hésite pas à
visiter sa chambre en son absence même s’il est avéré qu’il s’abstient de toute propagande à
La Roche-sur-Yon, une ville « où il n’y a pas d’anarchistes, sauf quelques-uns parfois de
passage ». L’inventaire du garni lui servant de chambre ne fait aucun doute sur ses opinions
politiques. On y trouve le parfait attirail du propagandiste. Les murs sont ornés de deux
drapeaux rouges, des portraits de Jean Grave 1272 et d’Emile Pouget 1273 et de l’inscription
« Vive l’anarchie ». Ça et là traînent des journaux et des brochures anarchistes parmi
lesquelles Patrie, guerre et caserne de Charles Albert, A mon frère paysan d’Elysée Reclus
ou bien La morale anarchiste du prince Kropotkine. Le commissaire met aussi la main sur un
courrier venant de San Francisco relatant une manifestation. Seule une malle en osier fermée à
clef échappe à l’investigation du fonctionnaire. Toutefois il projette de faire fabriquer une clef
afin d’en dévoiler les secrets 1274 . La présence de cet anarchiste illustre bien l’influence de ce
courant de pensée dans le monde de l’imprimerie et tout particulièrement chez les
typographes.
1270 Voir ADVd 4M177. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Anarchistes et antimilitaristes (1893-1915)
et ADDS 4M6.28a.Mouvement social ; rapports divers [1904 ; 1913].
1271 Il travaille dans un établissement (Ets Servant-Mahaut) qui imprime le Publicateur, un journal royaliste et
clérical. Par la suite Peyramaure regagne Brive où il fonde un groupe libertaire, une imprimerie et un journal, Le
réveil typographe, cf. MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Peyramaure.
1272 Jean Grave (1854-1939) Figure importante de l'anarchisme français. D'abord tenté par le socialisme, il
devient, dès 1880, anarchiste. Il s'occupe d'abord, à la demande d’Elysée Reclus, de la publication du Révolté à
Genève, en 1883. Puis il rentre en France où il poursuit la publication du journal sous le titre, La Révolte.
Vulgarisateur des thèses de Kropotkine, il écrit, en 1892 : La société mourante et l'anarchie, préfacé par Octave
Mirbeau. Ce livre lui vaut d'être condamné, en 1894, à 2 ans de prison. En 1895, il crée la revue Les Temps
Nouveaux, qui a un fort impact dans les milieux littéraires et artistiques de l'époque. En 1914, il se réfugie en
Angleterre où il rejoint Kropotkine en signant le Manifeste des seize (favorable à l'interventionnisme) ce qui
provoque à son encontre l'animosité des anarchistes opposés à la guerre.
1273 Emile Pouget (1860-1931). Pamphlétaire redouté, anarcho-syndicaliste, antimilitariste et anticlérical.
Le 9 mars 1883, il participe avec Louise Michel à la manifestation des « sans travail » où plusieurs boulangeries
sont pillées. Arrêté avec elle, il est condamné le 21 juin à 8 ans de prison. Il en sort en 1886 lors d'une amnistie
et se consacre à la propagande anarchiste, avec la création, le 24 février 1889, du journal Le Père Peinard.
Converti au le syndicalisme révolutionnaire, il devient secrétaire adjoint de la CGT en 1902.
1274 ADV 4M177. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Anarchistes et antimilitaristes (1893-1915).
276

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Dans le même temps des placards anarchistes ou bien anti-militaristes apparaissent de
temps à autre sur les murs de certaines villes de la région comme c’est le cas dans de
nombreux quartiers de Niort en janvier 1913. Ils sont l’œuvre d’un « groupe libertaire néo-
malthusien » représentant tout au plus une quarantaine de personnes 1275 .
Même peu porté à l’action politique certains ouvriers parviennent néanmoins à jouer
un rôle important dans certaines élections. Les plus actifs politiquement réussissent même à se
faire élire.
B- Du rêve à la réalité de l’élection
Les ouvriers représentent un poids politique que doivent prendre en compte les élus
dans leurs décisions quotidiennes et dans l’élaboration de leurs projets. Cependant c’est par
leur action politique directe que les travailleurs peuvent assurer au mieux la défense de leurs
intérêts. L’échelon municipal apparaît comme le plus propice à la réalisation de cet objectif.
La proximité entre les électeurs et leurs élus offre la possibilité de mettre en œuvre
« réellement » les projets et les doctrines avancées pendant la campagne électorale.
Il n’est pas question ici d’étudier les élections municipales de manière exhaustive. Il
s’agit avant tout de voir comment les ouvriers ont pu peser sur le jeu politique dans les villes
où leur nombre et leurs organisations leur permettent de dépasser le cadre de scrutins
personnels comme on en rencontre dans de petites localités. Il faut avant tout que le
travailleur se présente en vertu de sa qualité d’ouvrier ou qu’une personne soit choisie en tant
que représentant de cette catégorie sociale et non pas simplement parce qu’il est populaire
dans sa ville, même si ce critère est toujours présent dans ce type de scrutin.
Il arrive aussi que, lors des élections législatives, il puisse faire entendre sa voix, bien
qu’elle pèse beaucoup moins lourd à l’échelon national qu’au niveau local 1276 .
1275
ADDS 4M6.28a.Mouvement social ; rapports divers [1904 ; 1913] et ADDS 4M6.28b.Mouvement social ;
rapports divers [1904 ; 1913].
1276
Nous passerons sous silence les scrutins intermédiaires comme ceux aux conseils généraux, bien que des
ouvriers s’y présentent et à l’image du châtelleraudais Krebs en 1898 ou du mécanicien de Parthenay Louis
Charbonnier en 1910.
277

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
a) Les élections municipales
La présence ouvrière dans les conseils municipaux est propre aux communes où
l’industrie est bien implantée. On imagine mal un ouvrier élu soit par la bourgeoisie, soit par
une majorité paysanne, sauf dans de petites communes où l’élément personnel prime sur
l’origine sociale.
Cependant, compte tenu de la main-d’œuvre dispersé dans les contrées fortement
rurales, des ouvriers parviennent à y être élus. En 1892 une quinzaine d’entre eux, des
tisserands, se retrouvent dans les conseils municipaux des communes du rayon choletais du
bocage vendéen 1277 .
Toutefois si on quitte la sphère des petits bourgs ruraux, la présence ouvrière dans les
municipalités peut apparaître bien souvent comme un objet de curiosité tant elle est rare. La
plupart du temps ce sont des socialistes éloignés du monde ouvrier proprement dit qui
représentent les travailleurs industriels et artisanaux. Mais encore faut-il qu’ils soient élus.
La cité de Châtellerault apparaît bien vite comme le lieu le plus propice à la promotion
politique de l’ouvrier. C’est une ville républicaine de la première heure où il y a un très
important contingent ouvrier, une population en pleine expansion dans les trois premières
décennies de la III e République. Dès 1871 quelques éléments de l’extrême gauche radicale se
font élire au conseil municipal 1278 .
Trois ans plus tard les républicains triomphent à Châtellerault 1279 , mais le temps n’est
pas encore venu pour qu’un ouvrier prenne place au conseil municipal. Le mouvement n’est
pas encore organisé. Il faut attendre 1880 et la formation du Groupe d’étude sociales et 1881
avec la formation de l’Union des travailleurs.
En 1888, l’ouvrier semble mieux armé pour enfin être représenté à l’échelon local.
Cependant l’heure politique du travailleur n’a toujours pas sonné dans la cité de la coutellerie.
Aucun des cinq candidats socialistes n’est élu. Mais les mieux placés d’entre eux sont deux
ouvriers de la manufacture d’armes : l’aiguiseur Audinet 1280 et le simple armurier Krebs 1281 ,
1277 ADVd 4M153.
1278 Un vote radical ne concernant que bien peu d’autres communes de la Vienne, cf. MATHIEU (Maurice), Les
poitevins et la République (1870-1914)…, op. cit., p.65.
1279 Comme à Poitiers, Chauvigny ou Civray.
1280 Eugène Audinet est originaire de Châtellerault où il naît en 1852. Il est tour à tour aiguiseur à la manufacture
d’armes, puis retraité et restaurateur avant de partir à Poitiers où il devient employé des postes. Il est avant tout
l’un des fondateurs du Groupe d’études sociales de Châtellerault et un militant actif de la cause socialiste. Il est
secrétaire de la bourse du travail de Poitiers de 1908 à 1932. Il succède à Limousin, Cf. MAITRON (Jean),
troisième partie, op. cit.
278

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
qui recueillent 953 voix alors que le parti socialiste ne compte environ que 250 adhérents.
Deux travailleurs dévoués aux sympathies nombreuses dans les ateliers de la Manu
contrairement à Limousin, le candidat dogmatique et agité du Parti ouvrier 1282 . L’amertume
de l’échec est un peu adoucie par la satisfaction d’avoir battu la liste conservatrice et d’avoir
fait progresser les socialistes de près de 600 voix depuis les dernières législatives 1283 .
Ce n’est que partie remise puisque quatre ans plus tard le socialisme, et donc l’ouvrier,
vont entrer en force au conseil municipal pour ne plus le quitter.
A Châtellerault, comme dans bien d’autres municipalités du pays au premier rang
desquelles figure Roubaix, 1892 est l’année où le socialisme obtient pour la première fois des
résultats électoraux probants. Le tiers du conseil municipal est conquis par les socialistes.
Parmi les neufs élus, Krebs et Audinet recueillent le plus de voix lors de l’élection, devançant
Limousin et deux autres ouvriers de la Manufacture Bergeon 1284 et Gomichon 1285 . Le
secrétaire de la Chambre syndicale du bâtiment de la ville, Garnault, fait partie lui aussi des
élus.
La déception va succéder à la joie en 1896. La liste de 17 noms composée de huit conseillers
sortants, de syndicalistes et de membres des prud’hommes, n’obtient que deux élus, les
immuables Krebs et Audinet. Près de 500 voix ont été perdues en quatre ans. Cette fois la liste
ouvrière a souffert de la concurrence républicaine qui n’a pas hésité à incorporer des ouvriers
à ses propres candidats. Deux d’entre eux seront élus 1286 .
En 1900 la liste ouvrière compte 24 noms. Elle rassemble d’anciens conseillers élus,
des syndicalistes, des ouvriers dont 5 venus de la manufacture d’armes et quelques
1281
Clément Krebs est lui aussi un des fondateurs du Groupe d’études sociales. Il est l’exemple de l’ouvrier
désintéressé puisqu’il choisit de renoncer à une promotion de chef d’atelier pour ne pas avoir à renier ses
convictions politiques. Cf. MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
1282
Krebs obtient 820 voix, Audinet 779 et Limousin 616. On est loin des 1 942 voix du mieux placé des
candidats, le républicain opportuniste Duvau, L’Eclaireur de la Vienne du 20 mai 1888. Toutefois le parti
socialiste est en nette progression puisque le sous-préfet estime le nombre d’adhérents à 250, Rapport du 18 avril
1889 du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne, ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-
1891).
1283
Le mieux placé de la liste ouvrière recueille 953 voix contre 922 au candidat de droite, MARION (Jacques),
op. cit., pp.63-64.
1284
Bergeon est secrétaire de l’Union fédérative des syndicats de Châtellerault depuis 1891. Il fait parti de la liste
des socialistes révolutionnaires dressée par le commandant de gendarmerie de Châtellerault en 1894 où on
estime qu’il a une grande influence en ville, ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de
l’Instruction publique, mort de Sadi Carnot ; mort d’Alexandre III (1894) et MAITRON (Jean), troisième partie,
op. cit.
1285
Gomichon est le secrétaire de l’Union fédérative des syndicats de Châtellerault de 1888 à 1891. Considéré
comme un révolutionnaire violent il est renvoyé de la manufacture en 1894 pour avoir approuvé l’assassinat de
Sadi Carnot. Il devient alors un collaborateur à l’Eclaireur de la Vienne, MAITRON (Jean), troisième partie,
op. cit..
1286
Augereau, un ouvrier de la manufacture, et Colley, un chef armurier à la retraite.
279

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
socialistes 1287 . Six sont élus. Parmi eux aucun syndicaliste et peu d’ouvriers, seul Krebs,
Schmitt et Texier le sont 1288 . C’est l’époque où « le parti socialiste perd son caractère
ouvriériste 1289 » comme l’atteste l’échec de Limousin 1290 – conscient de la baisse de son crédit
il ne se présente pas en 1896 – et l’élection de l’industriel Anatole Day. Ce dernier, petit
industriel de Châtellerault, est l’un des fondateurs du Groupe d’études sociales local en 1880.
Possibiliste, il accède au secrétariat de la Fédération de la Vienne du parti socialiste S.F.I.O
en 1911, est un membre du conseil municipal de Châtellerault de 1900 à 1912. Il est l’un des
plus ardents portes drapeaux du socialisme dans le département de la Vienne avant comme
après la Grande Guerre 1291 . Ainsi l’ouvrier est durablement implanté au sein conseil
municipal de la ville dans le sillage d’un Krebs 1292 réélu constamment jusqu’en 1912 et
adjoint au maire depuis l’année 1908. Désormais le monde ouvrier est une force politique
réelle à Châtellerault.
La présence importante et constante de travailleurs industriels et artisanaux dans le
conseil municipal fait de Châtellerault une exception dans la région. Ailleurs le prolétaire est
plutôt représenté par des socialistes ou des radicaux non issus du monde industriel ou
artisanal.
A Chauvigny les carriers et cordonniers ne peuvent conquérir le conseil municipal
malgré une activité syndicale importante et un mouvement socialiste actif 1293 . Déjà, dès 1851,
le préfet de la Vienne souligne que l’état d’esprit y est « très mauvais », c'est-à-dire fortement
influencé par les idées de gauche, notamment chez les cordonniers 1294 , même si l’influence de
1287 La liste se dit avant tout syndicale, elle ne met pas en avant les opinions socialistes de ses membres. Nous
sommes en période de crise syndicale et de « divorce » entre politique et syndicalisme.
1288 Les deux autres sont libraire (Bergeon) et fabricant de conserves (Day).
1289 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.100
1290 Limousin passera par la plus grande partie de son temps à Poitiers et se tournera entièrement vers l’action
syndicale.
1291 MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
1292 Même si désormais à la retraite et coupé du monde ouvrier il ne s’occupe plus que de politique, cf. MARION
(Jacques), op. cit., p.133.
1293 Au tournant du siècle il existe à Chauvigny un Groupe de la jeunesse socialiste que le sous-préfet de
Montmorillon qualifie en 1901 de révolutionnaire, cf. ADV M4.91. Correspondances du préfet (1901) et un
Comité socialiste des travailleurs. La ville accueille également en 1902 le congrès de la Fédération socialiste de
la Vienne et du Choletais.
1294 Rapport du préfet de la Vienne au ministre de l’Intérieur du 16 septembre 1851, ADV M4.59.
Correspondances du préfet (janvier-septembre 1851). Le fonctionnaire mentionne notamment l’influence
importante d’un instituteur révoqué (un certain Conzay) pour avoir fait part de ses opinions socialistes avancées.
280

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
cette mouvance reste assez limitée en raison du faible nombre et du jeune âge de la plupart
des militants 1295
Néanmoins Chauvigny et ses environs deviennent une contrée républicaine, radicale
voire socialiste à en croire les rapports de l’administration. Un maire radical-socialiste dirige
la commune toute proche de Saint-Martial de 1892 à 1898. En 1899 le maire de Chauvigny,
Jules Tranchant, est qualifié de socialiste par les autorités puisqu’il subventionne un journal
socialiste, La vraie république 1296 . Deux ans plus tard le même premier magistrat de la ville
autorise le déploiement d’un drapeau rouge lors d’une manifestation du groupe local de la
jeunesse socialiste ce qui ne manque pas de déplaire au sous-préfet 1297 . L’activité syndicale
est aussi un indice du rôle que peut avoir l’ouvrier localement. Des syndicats sont créés 1298
alors qu’ils sont très rares en dehors des villes de Poitiers et de Châtellerault 1299 . Une
éphémère bourse du travail y voit même le jour en 1908 avant de péricliter peu de temps après
entraînée par l’arrêt du syndicat local du bâtiment.
Il faut attendre la fin du XIX e siècle pour que des ouvriers entrent au conseil municipal
de Poitiers, ville républicaine de la première heure depuis 1871.
Le succès politique municipal de l’ouvrier est tout proche en 1888. Cette année là
quatre candidats ouvriers apparaissent sur la liste républicaine. Leur chef, Garnier, est en
troisième position sur la liste, les trois autres 1300 bien plus loin aux quinzième, dix-neuvième
et trentième positions. Cependant Garnier échoue aux portes de la salle du conseil à 91 voix
derrière le dernier candidat élu, un conservateur. Malgré cette quasi-réussite, on est amer du
côté ouvrier, car on estime que la discipline de vote des républicains n’a pas joué à fond.
Beaucoup d’opportunistes sont réticents à donner leurs suffrages à des ouvriers socialisants.
Le véritable tournant à lieu quatre années plus tard lors des élections de 1893. Cette
fois deux ouvriers sont élus : le ferblantier zingueur Auguste Berton 1301 , le seul réélu aux
1295 Le maire de Chauvigny estime que le groupe de la jeunesse socialiste n’est composé que d’une quinzaine
d’individus dont seulement deux ou trois sont majeurs, rapport du 2 novembre 1902, ADV M4.92.
Correspondances du préfet (1902-1903).
1296 Rapport du commissariat spécial du 28 avril 1899, ADV M4.89. Correspondances du préfet (1899-1900).
1297 L’exhibition du drapeau rouge, dans une période préélectorale, « aurait produit un effet désastreux dans tout
l’arrondissement » et des « conséquences les plus funestes au parti républicain » affirme le premier
fonctionnaire de l’arrondissement. Rapport du sous-préfet de Montmorillon en date du 19 novembre 1901, ADV
M4.91. Correspondances du préfet (1901).
1298 Un syndicat des ouvriers carriers est créé en 1896, un autre concernant les ouvriers du bâtiment en 1906 et
un dernier regroupant les cordonniers en 1907, cf. MARION (Jacques), op. cit., p.157.
1299 On en compte un à l’usine textile de Ligugé et deux autres dans les carrières de Lavoux et de Migné.
1300 Il s’agit des dénommés Marnay, Berthin et Burthe, tous conseillers aux prud’hommes.
1301 Il est également membre du conseil des prud’hommes jusqu’en 1902, conseil qu’il préside en 1893 et 1894,
cf. MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
281

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
élections suivantes, et l’ouvrier maçon Jean Berthes, propagandiste actif du monde ouvrier
poitevin 1302 . L’Eclaireur de la Vienne se réjouit de cette réussite : « les travailleurs de
Poitiers ont enfin compris de quel côté ils devaient se diriger 1303 ».
En 1895, lors d’élections complémentaires deux autres candidats socialistes intègrent
le conseil municipal du chef-lieu de département. Le premier est un employé des chemins de
fer 1304 , et le second un ouvrier relieur, Emile Guillon 1305 , candidat malheureux du Parti
ouvrier en 1892. Ils sont tous élus sur une liste de coalition mêlant socialistes et radicaux qui
s’oppose à la liste républicaine cléricale. Guillon et Berthes sont à l’origine de la création de
la bourse du travail de Poitiers le 27 avril 1896 1306 , date à laquelle ils sont encore conseillers
municipaux. Ils sont battus peu de temps après, la majorité devenant conservatrice avant de
basculer à nouveau en 1898, année où les deux ouvriers retrouvent leurs sièges 1307 . A partir de
1900 les forces ouvrières et socialistes marchent de concert avec les radicaux. Une liste
unique est présentée. Les deux ouvriers conseillers sortant sont réélus ainsi que deux
socialistes : Georgel 1308 et Meyer. Les trois autres candidats ouvriers sont battus.
Un revirement politique s’opère à Poitiers en 1904 avec la prise du pouvoir municipal
par les forces conservatrices incarnées par le nouveau maire Paul Mérine. Un retournement de
courte durée puisqu’en 1908 le radical socialiste Gabriel Morain devient à son tour le premier
magistrat de la ville. Cet ancien avoué, maire jusqu’en 1919, n’est pas indifférent au sort des
ouvriers ce qui lui vaut d’ailleurs une grande popularité 1309 .
Deux-Sèvres.
La présence ouvrière sur la scène politique municipale est encore plus tardive dans les
Dès 1874 la ville de Niort est conquise par les républicains. Une conquête triomphale
puisqu’ils remportent 26 des 27 sièges à pourvoir. Lors de cette élection les ouvriers ne jouent
1302 Il participe et mène activement l’importante grève touchant le secteur du bâtiment poitevin pendant l’été
1899, cf. ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902] et MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
1303 L’Eclaireur de la Vienne du 25 juin 1893.
1304 Le propagandiste Bacocchi.
1305 Il est le fondateur de la 112 e section de la Fédération des travailleurs du livre qu’il préside de de 1891 à sa
mort en 1902, voir MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
1306 Guillon en est le secrétaire général de janvier 1899 à juillet 1901.
1307 Guillon est à nouveau élu en 1900.
1308 Georgel s’est présenté à la fois à Poitiers et à Châtellerault. Il choisit de devenir conseiller municipal à
Poitiers où il exercera son seul mandat électif.
1309 FAVREAU (Robert) (dir.), op. cit., p.342.
282

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
aucun rôle, excepté celui, non négligeable, d’avoir apporté leurs suffrages aux candidats
libéraux parmi lesquels il y a quelques-uns de leurs patrons, fabricants et manufacturiers 1310 .
Cette domination sans partage n’incite pas les républicains à élargir leur assise électorale. Le
programme du Comité central républicain paru dans Le Mémorial des Deux-Sèvres en 1881
n’évoque en aucun point l’ouvrier et ses préoccupations 1311 . Le temps est à la lutte contre les
cléricaux et à la défense de la laïcité.
L’année 1888 marque le retour des conservateurs à la mairie. Cinq d’entre eux sont
élus profitant de la division des forces républicaines entre modérés et radicaux, prenant fin
dès les élections suivantes de 1892 où les républicains gagnent largement une nouvelle fois.
Cependant, contrairement à bien d’autres municipalités françaises, on ne note à cette date
aucune percée socialiste ou ouvrière. Aucun mouvement ne semble alors pouvoir déborder les
républicains niortais sur leur gauche.
C’est quatre ans plus tard que cette percée a lieu. En 1896 une nouvelle scission
s’opère dans le camp républicain entre modérés et radicaux. Ces derniers s’allient avec le parti
ouvrier local représenté par l’ouvrier brasseur Ancel 1312 et le secrétaire du syndicat des
cheminots Mounier 1313 . Tous deux sont élus. Les radicaux l’emportent et les modérés
s’installent désormais dans une posture conservatrice. Le parti radical va dominer la
municipalité jusqu’à la guerre 1314 . Cette mainmise radicale sur la mairie de Niort n’est pas
synonyme de présence ouvrière dans le conseil municipal puisque seul Ancel y siège. Quant
aux listes socialistes et ouvrières elles échouent aussi bien en 1908 qu’en 1912.
Il convient de relever l’élection d’ouvriers dans les conseils municipaux de petites
communes à l’instar du militant socialiste Cathelineau, conseiller à Frontenay-Rohan-Rohan
fief de la famille de La Porte 1315 .
En Vendée le développement du socialisme est très tardif ; son organisation est
sporadique et quasi-inexistante, par rapport aux départements des Deux-Sèvres et de la
Vienne. Les ouvriers parvenant à être élus dans les conseils municipaux le sont généralement
à titre individuel, comme simple personnalité de la cité, sans qu’ils représentent une réelle
1310
Pour la liste des élus voir TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit.,
pp.128-129.
1311
Seuls la demande de création d’une manufacture de tabac et le projet d’organiser une exposition industrielle
et commerciale concernent, de très loin, l’ouvrier.
1312
Henri Ancel est réélu en 1900, 1904 et en 1908 sur les listes radicales.
1313
Deux ans plus tard il est un des deux premiers candidats socialistes aux législatives, MAITRON (Jean),
troisième partie, op. cit.
1314
Si on excepte les élections de 1904 remportées par les modérés.
1315
MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
283

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
orientation politique. Le seul fait d’être un ouvrier leur suffit. Se réclamer du socialisme est
un handicap qu’aucune forme d’organisation partisane ne vient contrebalancer.
Fontenay-le-Comte apparaît comme la ville de Vendée dont l’orientation progressiste
et républicaine est la plus réelle. Déjà en 1887 le maire de la ville estime que les ouvriers sont
l’élément central de la future élection municipale. Toutefois il faut attendre 17 ans pour qu’il
y ait une candidature ouvrière. Trois responsables syndicaux tentent leur chance aux élections
municipales de 1904. Le premier, Jules Vincent, est un typographe, trésorier de l’Union
typographique et philanthropique de Fontenay. Le deuxième, Edmond Robuchon est à
l’origine du syndicat des menuisiers et ébénistes de la ville créé en 1901. Le dernier, Jean
Louis, est trésorier du syndicat du bâtiment. Les deux premiers sont élus comme ils le seront à
nouveau en 1908. Mais l’engagement politique n’est pas sans danger dans un département
conservateur. Ainsi Jules Vincent est contraint de démissionner en 1910 car ses activités
militantes l’empêcheraient de trouver du travail 1316 . En 1912, il ne reste que Robuchon,
conseiller municipal sous l’étiquette de républicain socialiste.
Des ouvriers se présentent également dans le chef-lieu de département où ils
parviennent parfois à être élus comme lors des municipales de 1896.
L’examen des diverses élections municipales dans lesquelles se sont impliqués des
ouvriers démontre que ce qui est fondamental c’est, évidemment, une bonne assise locale et
un contact permanent avec le monde ouvrier. Un constat particulièrement vrai avant 1900
alors que les travailleurs n’ont pas de conscience politique très nette.
Le vote c’est avant tout le choix, d’un pair, d’un collègue, d’un « frère d’arme » et non
pas celui du propagandiste ou du doctrinaire. Un ouvrier exerçant réellement sa profession
dispose de plus de chances de réussite qu’un ouvrier impliqué totalement dans l’action
politique n’ayant plus de réelle activité professionnelle. L’exemple de Limousin l’illustre, lui
l’ancien ouvrier devenu libraire. Un homme qui est le promoteur du socialisme à Châtellerault
mais qui n’est jamais le premier choix des ouvriers châtelleraudais. Quand il est élu c’est
toujours en dernière position. Quand le parti ouvrier recul électoralement, il est le premier à
en faire les frais, au contraire des Krebs et Audinet ouvriers réguliers et populaires de la
manufacture d’armes.
1316 REGOURD (Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.655.
284

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Ce choix professionnel plus que politique est évident dans les fonctions de conseillers
prud’homaux exercées par certains élus. A Poitiers Bertin, Berthes, Guillon appartiennent au
conseil des prud’hommes de Poitiers qui est une institution paritaire dans laquelle les ouvriers
voient un défenseur réellement efficace, agissant au quotidien. Les conseillers sont perçus
comme les champions pragmatiques de la cause ouvrière que l’on préfère aux apôtres du
socialisme promettant une incertaine révolution et des jours meilleurs. Le parti possibiliste a
la main mise absolue sur la représentation ouvrière dans les prud’hommes de la Vienne. Ce
constat illustre le caractère réellement réformiste des socialistes locaux même si parfois ils
aiment à se présenter comme des révolutionnaires.
L’évolution des votes à l’élection des conseillers prud’homaux montre l’accroissement
de la confiance ouvrière 1317 . A Châtellerault, rares sont les ouvriers à se déplacer pour voter
en 1874. Ils ne sont que neuf lors d’un des scrutins ! En revanche ils sont déjà 10 % à
s’exprimer par les urnes dix ans plus tard, 17 % en 1890 et 20% en 1914 1318 . A Poitiers, on
passe de 12 % de votants en 1882 à 25% en 1890. Un pourcentage qui redescend à 20% en
1914 1319 .
Toutefois les ouvriers ne peuvent pas toujours installer un des leurs dans les conseils
municipaux. La plupart du temps faute de candidat ou d’espoir, ils se bornent à élire un
notable socialiste, radical voir républicain modéré ou bien même conservateur. Des notables
qui sont parfois aussi leurs patrons comme peuvent l’être les républicains modérés Hambis à
Ligugé ou Marot, le chamoiseur niortais vainqueur des radicaux en 1904.
Si les ouvriers ont une chance de participer à la gestion de leurs communes il leur est
beaucoup plus difficile de parvenir aux plus hautes sphères de l’Etat. La députation est
réservée aux intellectuels et aux notables formant de véritables lignées d’hommes politiques à
l’image des de La Porte dans le département des Deux-Sèvres.
1317 Le Conseil des prud’hommes est créé à Châtellerault le 16 juillet 1869 et à Poitiers le 12 août 1874.
1318 MARION (Jacques), op. cit., pp. 118-119 et 161.
1319 Ibid., pp. 122 et 161.
285

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
b) Les élections législatives
Les candidatures ouvrières à la députation sont généralement vouées à l’échec. Les
élections législatives demandent une plus grande notoriété, une plus grande force de
rassemblement et de plus gros moyens que les scrutins municipaux. Les ouvriers sont trop peu
nombreux, trop dispersés et trop souvent mal organisés, en dehors des centres urbains, pour
peser réellement dans la balance électorale. Dans l’Ouest il est nécessaire de composer avec la
masse paysanne traditionnellement conservatrice. Une obligation qui pousse même certains
candidats socialistes s’affirmant révolutionnaires à des concessions passant par un recentrage
de leurs programmes et par des ententes, plus ou moins avouées ou avérées, avec le parti
conservateur tel Henri de La Porte, le premier député socialiste des Deux-Sèvres élu en 1910.
Le département où le « challenge » est le plus important pour l’ouvrier est sans
conteste la Vendée. Longtemps les législatives couronnent les forces conservatrices et
réactionnaires à l’image des élections de 1885 où les sept candidats conservateurs sont élus.
Pourtant les partis de gauche peuvent compter sur la sympathie du sud du département,
dans les cantons situés le long de la frontière charentaise, et dans ceux de Fontenay-le-
Comte 1320 et de La Roche-sur-Yon. Une situation contrebalancée par un découpage électoral
dispersant ces opinions républicaines dans près de quatre circonscriptions différentes. C’est au
début des années 1890 que des républicains parviennent à se faire élire, parfois en profitant de
l’invalidation de leur adversaire 1321 . En 1890 ils sont deux contre quatre conservateurs. Une
proportion qui reste la norme jusqu’en 1914, parfois inversée comme en 1893 et en 1910 deux
années où les républicains obtiennent la majorité des élus en profitant du relâchement de
l’encadrement clérical des électeurs.
Un environnement hostile dans lequel des socialistes, très rarement des ouvriers,
tentent leur chance devant les électeurs dans les circonscriptions du sud du département. C’est
un mouvement timide qui s’amorce aux législatives de 1902. Cette année-ci six candidats se
réclamant du P.O.F, tout juste fondé, échouent piteusement. Leur échec est encore bien plus
important que celui de leurs homologues présentés par Jules Guesde dans les Deux-Sèvres et
dans la Vienne. Ces candidats ne recueillent que 81 voix dans l’ensemble du département soit
1320 Le radicalisme y succède au bonapartisme dès 1893.
1321 L’élection du député conservateur Gaston Sabouraud est invalidée en 1890 pour ingérence du clergé dans la
campagne électorale.
286

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
0,07% des suffrages exprimés 1322 . Même un centre ouvrier comme Faymoreau les boude
totalement. Ils n’y recueillent aucune voix, les mineurs préférant apporter leur soutien sans
faille au député radical et maire de Fontenay-le-Comte, Gaston Guillemet 1323 . Les candidats
guesdiste cumulent trop d’handicaps pour espérer percer politiquement. Tout d’abord leur
doctrine trop révolutionnaire effraie une population très majoritairement campagnarde et
conservatrice. Ensuite aucun des candidats du P.O.F n’est originaire du département. Ils sont
perçus par la population comme des étrangers. Sans attaches locales le défi relève de la
mission impossible.
En 1906 le socialisme sort un peu de l’anonymat dans lequel il était contraint
d’exister. Un employé des chemins de fer, Boisseau, parvient à récolter 785 voix dans la
deuxième circonscription de La Roche-sur-Yon, dont 319 dans le seul canton de
Mortagne 1324 . Un exploit au regard de la quarantaine de membres que compte la SFIO dans le
département 1325 . Mais en 1910 il n’y a aucun candidat socialiste dans le département. Le
contingent socialiste est jugé trop faible 1326 pour espérer quoi que ce soit. Néanmoins quatre
ans plus tard un seul candidat socialiste se présente dans la deuxième circonscription de
Fontenay-le-Comte 1327 . Obtenant 1244 suffrages au premier tour il se désiste au second en
faveur du candidat radical socialiste Amans Périer 1328 qui est élu.
La faiblesse du socialisme oblige les ouvriers à se tourner vers d’autres chapelles afin
d’être représentés. Bien entendu c’est d’abord aux radicaux qu’ils se rallient comme l’illustre
l’exemple des mineurs de Saint-Laurs votant unanimement pour Guillemet. Cependant la
question sociale prend de l’ampleur au fil du temps. En septembre 1906 le député radical de la
première circonscription de La Roche-sur-Yon, Pierre Daniel Lacombe, l’évoque quand il
accueille Clemenceau 1329 . Le ministre de l’Intérieur et futur premier ministre reprend lui-
même à son compte le socialisme en se disant pour la réforme mais contre la violence.
Un thème que l’on trouve surtout dans la deuxième circonscription de Fontenay-le-Comte. Là,
le radical socialiste Périer est le premier à s’en faire le champion 1330 , ce qui lui permet de
1322 ADVd 3M230. Elections législatives. 27 avril 1902.
1323 Une fois n’est pas coutume, Guillemet est battu cette année là.
1324 HELLO (Yves), op. cit., p.138
1325 La Fédération de Vendée est alors considérée comme la 70 e de France sur 75 au total.
1326 La SFIO compterait 25 membres.
1327 Un dénommé Coste.
1328 Amans Périer est maire de la commune de Champagné-les-Marais et conseiller général du canton de Chaillé-
les-Marais.
1329 De belles paroles peu suivies d’actes comme le montre l’étude des mandats du député Lacombe qui
traduisent un désintérêt patent pour la question sociale et ouvrière, cf. REGOURD (Florence), Industries et
ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.661.
1330 Il soutient par exemple les revendications corporatives des cheminots.
287

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
battre le radical Guillemet en 1910. Une situation qui se reproduit en 1914 face au
conservateur Parenteau.
Mais la gauche n’a pas toujours le monopole de la question sociale. L’exemple
d’Henri Bazire l’illustre. Candidat malheureux à trois reprises 1331 ce membre de l’Action
libérale populaire 1332 défend les thèses d’Albert de Mun et doit faire face à l’opposition de la
gauche mais aussi, et surtout, à l’extrême hostilité des forces réactionnaires lui reprochant
d’utiliser le mot « République » sur ses affiches. Une position à la fois sociale, républicaine et
catholique considérée comme « un non sens » ou « une hérésie » par toutes les forces
politiques du département 1333 .
Dès 1876 Poitiers 1334 et Châtellerault, ville atteinte « du mal démocratique des
grandes agglomérations ouvrières 1335 », choisissent des républicains pour les représenter à
l’Assemblée nationale. Deux îlots de gauche noyés dans un océan conservateur. La Vienne est
alors un bastion bonapartiste représenté par la grande figure du baron de Soubeyran.
Mais il n’est pas encore question dans ces deux cités de candidats ouvriers. Il faut
attendre 1885 pour qu’une liste socialiste et ouvrière s’émancipe de la tutelle républicaine.
Une division en deux listes qui fait le jeu des conservateurs puisqu’ils remportent tous les
sièges avec près de 42% des voix. Quant aux socialistes ils n’obtiennent que 0,47% des
suffrages, dans une dizaine de communes, bien loin derrière les républicains 1336 . Le préfet ne
manque pas de reprocher au parti ouvrier d’avoir jeté le discrédit sur les opportunistes, cause
principale de leur échec avec le mode de scrutin.
Le revers de 1885 modifie la stratégie du parti ouvrier. A Poitiers il décide de ne pas
présenter de candidat aux élections suivantes de 1889 préférant soutenir le candidat
républicain Denizot 1337 qui est élu. En 1892 la lutte entre modérés et radicaux fait rage dans la
première circonscription du chef-lieu. Cette fois-ci le parti ouvrier se range derrière le
1331 Nettement battu en 1906 dans la deuxième circonscription de Fontenay-le-Comte, il échoue de 136 voix en
1910 et de 17 voix en 1914, les deux fois dans la première circonscription des Sables-d’Olonne.
1332 Parti fondé par Albert de Mun et Jacques Piou.
1333 Le préfet de la Vendée le constate déjà en 1897 cf. ADVd 4M33. Arrêtés municipaux.
1334 Il s’agit de la première circonscription de la ville, la seconde voit l’élection du candidat bonapartiste
Cesbron.
1335 Expression tirée du journal royaliste le Courrier de la Vienne du 21 février 1876.
1336 Ils obtiennent 38% des voix.
1337 Denizot,ancien notaire, est maire de Poitiers depuis 1888 et jusqu’à sa mort trois ans plus tard.
288

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
candidat radical Bazille défenseur des revendications ouvrières 1338 . Une option payante
puisqu’il est élu. Désormais les radicaux sont implantés durablement à Poitiers.
Toutefois cette n’alliance ne dure que du vivant de Bazille. A sa mort l’avocat et
socialiste George Georgel se présente dans la première circonscription de Poitiers. Pour la
première fois un candidat socialiste se présente aux législatives dans le chef-lieu du
département. Il doit faire face à une liste radicale menée par le maire Auguste Girardin. Cette
candidature socialiste est soutenue par Jean Jaurès qui vient dans le chef-lieu de la Vienne le
27 mars 1900. L’ex et futur député de Carmaux reçoit un accueil bien moins chaleureux qu’à
Châtellerault où il a été fêté par une foule importante en novembre 1899 1339 . Georgel échoue
et se retire au second tour au profit de Girardin pour faire barrage à la candidature d’Henri de
Coursac. Le jeune avocat essuie un nouvel échec en 1902. Cette année là il est battu comme
Girardin par un républicain nationaliste Edgard de Montjou 1340 .
C’en est fini momentanément des candidatures socialistes aux législatives. Désormais
l’ouvrier se rallie au panache des radicaux socialistes de la ville vainqueurs dans la deuxième
circonscription de Poitiers mais perdants dans la première.
A Châtellerault la situation est différente. Ici le parti ouvrier n’hésite pas à présenter
des candidats qui vont progressivement occuper une place importante sur l’échiquier politique
de la circonscription. Si en 1889 l’armurier Krebs ne recueille que 697 voix, il en va
autrement quatre ans après lorsqu’il obtient 3370 voix. Cette progression se poursuit aux
scrutins suivants.
En 1896, un nouveau candidat venu de Paris est présenté par le parti ouvrier. Victor
Dalle est un membre actif du mouvement ouvrier parisien 1341 . S’il ne parvient pas à se faire
élire il consolide la position ouvrière et socialiste dans la circonscription de Châtellerault,
période où le mouvement syndical local est en déconfiture. En 1896 Dalle obtient 4522 voix
soit seulement 350 voix de moins que le candidat réactionnaire 1342 , mais bien loin du
républicain Disleau qui amasse 8727 suffrages 1343 . En 1898 il augmente encore le nombre de
1338 Bazille évoque les retraites ouvrières, la journée de 8 heures ou bien encore la responsabilité patronale en
matière d’accident du travail, cf. MATHIEU (Maurice), Les poitevins et la République (1870-1914)…, op. cit.,
p.173.
1339 ADV M4.89. Correspondances du préfet (1899-1900).
1340 FAVREAU (Robert) (dir.), op. cit., pp.339-340.
1341 Il est le fondateur de la Chambre syndicale des employés de commerce et de l’industrie de Paris en 1884 et
de la Fédération des ouvriers des manufactures de tabac. Il est également rédacteur au Prolétariat et au Cri du
Peuple.
1342 MARION (Jacques), op. cit., p.127.
1343 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.200.
289

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
ses partisans 1344 . Cependant l’incapacité des socialistes à séduire les campagnes environnantes
afin d’étendre leur spectre électoral les empêche de remporter la victoire. La ville de
Châtellerault et ses faubourgs, ainsi que les cités de Cenon et de Naintré apparaissent comme
des citadelles socialistes assiégées par un environnement aux opinions modérées. Son action
finit par s’essouffler, Dalle ne recueillant plus que 3599 voix en 1902. Cet essoufflement
s’accentue avec la candidature de l’ancien ouvrier de la manufacture, Clément Krebs qui est le
candidat de la S.F.IO en 1906 et 1910 dans la première circonscription de Châtellerault. Le
conseiller municipal n’obtient que 791 et 1400 voix aux deux scrutins successifs 1345 . Très peu
pour un homme si implanté et si engagé dans la vie de la cité.
Si le socialisme est particulièrement actif dans la Vienne à la charnière du XIX e et du
XX e siècle et dispose du fort potentiel d’une véritable ville ouvrière à Châtellerault, aucun
candidat ouvrier puis socialiste ne parvient à se faire élire à l’Assemblée. Au contraire, dans le
département des Deux-Sèvres, un député socialiste est élu en 1910. La faiblesse industrielle
du département est comblée par de forts antagonismes idéologiques qui poussent l’opinion à
rejoindre des camps moins modérés et moins conservateurs que dans la Vienne. Ici le monde
des campagnes est plus concerné par les enjeux politiques.
Le premier candidat socialiste à se présenter dans les Deux-Sèvres n’est ni un notable
ni un ouvrier mais un employé des chemins de fer, dont le syndicat est très organisé dans le
département à Thouars et dans une moindre mesure à Bressuire et à Niort. Le lampiste Joseph
Barillerau se présente aux élections législatives du 10 octobre 1897 1346 . Ce militant du
syndicat des chemins de fer et membre du P.O.F affirme dans sa profession de foi qu’il est
temps pour les travailleurs des campagnes comme des villes de diriger leur destinée en
l’enlevant des mains des bourgeois et des conservateurs de tout ordre. Cette attaque contre la
bourgeoisie s’accompagne d’une critique de la religion qui ,selon lui, est l’instrument pour la
classe dominante du maintien de ses privilèges. Barrilleau, le seul candidat de gauche à
l’élection, réussit un score honorable dans un arrondissement fortement conservateur. Il
obtient 3452 voix contre 12260 au candidat conservateur Savary de Beauregard. Mais surtout
il l’emporte à Thouars de 200 voix. Ce scrutin est sa seule tentative, il laissera sa place aux
élections de 1898 à un cultivateur local 1347 . Année où un plâtrier 1348 se présente dans la
1344 Dalle recueille 6015 voix.
1345 MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
1346 Ce sont des élections législatives partielles provoquées par le décès du marquis de La Rochejacquelin.
1347 François Quillet, cultivateur et conseiller municipal de Thouars.
1348 V° Marcel Gerbeaud in MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
290

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
circonscription de Melle au nom de la Fédération socialiste de l’Ouest. C’est un échec
complet puisqu’il ne recueille que 35 suffrages ! Les campagnes ne sont pas prêtes à entendre
des discours sociaux. La candidature la même année de l’employé des chemins de fer
Mounier 1349 est plus sérieuse. Lui, dont le préfet signale son « influence parmi les employés
des chemins de fer et les ouvriers de Niort 1350 », rassemble 2101 voix dans la première
circonscription de Niort. Il est alors soutenu par le syndicat local des chemins de fer, les
syndicats professionnels de la bourse du travail et le P.O.N.
Dans les Deux-Sèvres, comme ailleurs, 1902 est l’année où le parti socialiste 1351
« parachutent » des candidats étrangers afin de propager la bonne parole partout en France.
Préklin, un employé de commerce, originaire de la Seine, se présente dans l’arrondissement
de Parthenay. Cet homme qui ne vit sur place que depuis quelques mois échoue. Une
candidature exogène qui déplait dans un département qui « par tempérament répugne à toute
candidature étrangère 1352 ». Un autre étranger au département se présente à Niort. Le
journaliste et ancien conseiller municipal parisien, Octave Blondel 1353 , est envoyé à Niort par
le Parti socialiste français afin de conquérir la circonscription. La tentative échoue malgré une
campagne extrêmement modérée prenant garde d’effaroucher les campagnes. Il ne récolte que
1901 voix soit bien moins que l’opportuniste et député sortant Disleau 1354 et que le royaliste
de Lacoste-Lareymondie 1355 . Seule satisfaction il devance le candidat du Parti socialiste de
France, Henri Mounier, secrétaire du Comité socialiste révolutionnaire de Niort 1356 . La
division du mouvement socialiste voue irrémédiablement ces candidatures à l’insuccès.
L’assise électorale est bien trop limitée pour plusieurs candidats.
Le seul candidat d’extrême gauche endogène aux élections législatives de 1902, Jules
Garnaud se décrit « républicain, ouvrier et socialiste 1357 ». Ce maire de la commune de
Granzay se présente dans la deuxième circonscription niortaise où il glane 1934 voix (15,9%
des suffrages) derrière le député radical Gentil auquel il se rallie au second tour.
1349
Voir MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
1350
ADDS 3M11.31. Elections législatives (1900-1902).
1351
Le Parti socialiste français est fondé en 1902 à Tours par la fusion des socialistes indépendants de Jaurès et
de la Fédération des travailleurs socialistes de France de Brousse. D’inspiration réformiste ce parti s’oppose au
Parti socialiste de France de Jean Allemane d’inspiration révolutionnaire. Les deux partis fusionnent en 1905
pour constituer la S.F.I.O.
1352
ADDS 3M11.31. Elections législatives (1900-1902).
1353
MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit. v° Blondel.
1354
7610 voix.
1355
5168 voix.
1356
1220 voix.
1357
Da sa profession de foi ce cultivateur se présente comme un républicain « depuis 30 ans », comme un
ouvrier : « je suis un cultivateur, un paysan, un campagnard, un prolétaire… », voyant dans « le socialisme
l’avenir de la Démocratie et l’avenir de la République », cf. MAITRON (Jean), troisième partie, op. cit.
v° Garnaud.
291

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
C’est dans cette deuxième circonscription de Niort que va se dessiner la première
victoire socialiste de la région. Le passé politique y fut tumultueux puisque s’y succèdent des
députés bonapartiste et républicain de gauche 1358 et boulangiste. Le préfet parle en 1906 d’une
zone proche de la Charente Inférieure qui « a conservé le caractère particulier de ses
populations d’autrefois, favorables aux idées plébiscitaires, foncièrement bonapartiste,
aujourd’hui encore de tendance césarienne 1359 ». L’environnement est donc favorable pour
une personnalité forte et bien implantée comme l’est Henri de La Porte, fils d’une grande
figure du radicalisme niortais. Une fois le parti socialiste unifié il va conquérir le siège de
député. En 1906 il obtient près de 30% des suffrages soit le double du précédent candidat
socialiste, ce qui est insuffisant pour enlever l’élection que remporte le radical Gentil mais
traduit tout de même une audience élargie empiétant sur l’électorat radical. Ses meilleurs
scores il les obtient dans son fief de Frontenay-Rohan-Rohan et à Mauzé, commune bien
connue tout au long du XIX e siècle pour ses opinions politiques de gauche.
En 1910, aucun candidat conservateur ne se mêle à la lutte opposant socialistes et
radicaux. Si du côté de Gentil on brandit le spectre du collectivisme pour lutter contre les
socialistes, de la Porte, lui, au contraire, recentre ses propos afin de rallier les campagnes
toujours très modérées 1360 . Cette stratégie associée aux consignes sans équivoques des
conservateurs appelant à voter contre le « potentat » radical permettent à de La Porte de
remporter les élections dès le premier tour avec 53,8% des suffrages exprimés. Il s’agit bien
d’une victoire socialiste mais non d’une victoire ouvrière ainsi qu’en témoigne sa profession
de foi affichée sur les murs de la ville. Il n’y cite qu’une fois l’ouvrier, mais seulement
comme une catégories parmi d’autres 1361 . La seule victoire socialiste de la région n’est donc
pas une victoire ouvrière 1362 , loin s’en faut.
L’obligation de rassembler à la fois dans les milieux de la petite bourgeoisie et dans la
paysannerie pour espérer l’emporter hypothèque les candidatures purement ouvrières. Les
prolétaires ne sont pas assez nombreux dans chaque circonscription pour gagner à eux seuls
un scrutin législatif. Même l’encadrement et l’organisation au sein d’un parti sont très d’être
1358
Amédée de La Porte père du futur député socialiste de la circonscription
1359
Note du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Intérieur du 6 février 1906, ADDS 3M11.32. Elections
législatives (1906).
1360
Le terme socialiste n’apparaît pas sur les affiches d’Henri de La Porte ce qui déplaît aux membres du P.O.N,
1361
Cf. la profession intégrale in ROUX (Jacques), op. cit., p.450.
1362
L’examen du contenu éditorial des articles rédigés par de la Porte dans Le Socialiste de l’Ouest montre bien
que la question sociale et ouvrière est très loin de le préoccupé. Plus de la moitié de ses écrits portent sur
l’histoire du socialisme et sur la lutte contre la bourgeoisie et le cléricalisme. Le nombre d’articles consacrés aux
ouvriers ne dépasse pas 2%, cf. ROUX (Jacques), op. cit., annexe XVII.
292

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
des garanties de réussite. Au contraire c’est plutôt un handicap dans les premières années
alors que le socialisme effraie une proportion importante de la population aux conceptions
conservatrices et religieuses solidement ancrées. L’échec général et absolu des candidatures
exogènes du P.O.F en 1902 montre bien qu’il faut plus qu’une étiquette ouvrière et socialiste
pour rapporter des voix.
Il faut avant tout disposer d’une renommée transcendant les classes sociales à l’image
d’Henri de La Porte à Niort. Celui-ci réussit à se faire élire grâce à son charisme hérité de son
père combiné à un discours édulcoré visant avant tout les campagnes. Sa réussite est facilitée
en outre par l’état d’esprit particulier de la population habitant la deuxième circonscription de
Niort. Il semble paradoxal que le seul candidat socialiste élu avant guerre dans la région ne le
soit pas par le monde ouvrier.
Cependant s’il pèse peu au niveau départemental, l’ouvrier parvient à disposer d’une
certaine influence à l’échelle municipale. Cet impact est circonscrit à certaines localités où il
existe une concentration ouvrière réelle. Le prolétariat est sans conteste très influent à
Châtellerault comme à Poitiers, deux villes où le parti socialiste est actif et le syndicalisme
présent. Ces deux paramètres existent pareillement à Niort, avec néanmoins des effectifs
ouvriers moins nombreux et en diminution à l’approche de la Grande Guerre.
Dans d’autres villes tous doivent compter avec l’électorat ouvrier et particulièrement
les républicains. C’est le cas à Chauvigny mais aussi à Bressuire ou à Thouars où le
syndicalisme est très développé. En Vendée les républicains de Fontenay-le-Comte
reconnaissent eux-mêmes le rôle important des ouvriers aux élections municipales et parfois
même aux législatives. Ajoutons également certains petits bourgs ruraux du rayon choletais
où les travailleurs du textile sont écoutés même si leur mentalité reste finalement
profondément conservatrice.
Ailleurs, l’ouvrier, quand il ne se considère pas comme paysan en mal de terre, semble
démuni sans espoir de représentation. Son sort est placé uniquement entre les mains de
l’administration sans que le poids des urnes ne puisse jouer en sa faveur. Cette situation se
complique encore avec l’a priori faisant du travailleur un individu turbulent et potentiellement
dangereux pour l’ordre public malgré sa marginalité dans un environnement hautement rural
et sa relative indifférence aux grands enjeux nationaux.
293

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Section 2 : La police ouvrière
L’ouvrier des contrées rurales paraît fort dangereux à la lecture des liasses d’archives
compilant les rapports préfectoraux. Dans la Vienne, Châtellerault fait penser à une poudrière
où l’on redoute la moindre étincelle ou à un îlot regroupant une population en quarantaine.
L’ouvrier semble épié sans cesse (I). Il est un suspect par essence toujours prêt à se liguer
contre la bourgeoisie et le pouvoir en place. Ces soupçons sont bien disproportionnés dans cet
Ouest de la France bien peu industrialisé. Cette suspicion est alimentée avant tout par de
nombreux préjugés que l’on retrouve aussi bien dans les courriers ministériels que dans ceux
des sous-préfets, zélés et en quête de reconnaissance, en passant par les notables locaux
constatant avec horreur les bouleversements susceptibles d’affecter leur univers.
Cependant la surveillance du milieu ouvrier n’est pas toujours vaine. L’ouvrier est
turbulent, il revendique. Et puis la stricte définition de son statut donne beaucoup d’armes aux
pouvoirs publics pour agir judiciairement (II).
I- Un milieu sous surveillance
La relative faiblesse numérique du monde ouvrier dans l’ancienne province du Poitou
explique que sa surveillance ne constitue pas la priorité des autorités publiques. Les milieux
cléricaux, la bourgeoisie aisée ou l’aristocratie focalisent davantage l’attention pendant la
majeure partie du XIX e siècle. La plupart du temps ce sont les élites libérales, monarchiques
ou bonapartistes qui font l’objet d’une attention plus vive suivant la nature des régimes qui se
succèdent.
Néanmoins l’administration locale est loin d’ignorer le monde ouvrier et artisanal
qu’elle surveille avec zèle (A). Les circulaires ministérielles le lui rappellent, notamment lors
des enquêtes sur l’état d’esprit local, sur les opinions politiques dominantes ou bien encore
l’activité économique des départements, notamment dans certaines localités où la proportion
très forte de travailleurs impose une vigilance particulière. La ville de Châtellerault en est la
meilleure illustration.
294

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
A cette surveillance systématique, s’ajoutent des moments particuliers où des
situations locales particulières imposent aux autorités de porter un regard plus attentif sur le
monde du travail et ses membres (B).
A- Des mesures systématiques de contrôle
Le monde ouvrier peut représenter une menace aux yeux de l’autorité publique du fait
simplement de son mode de vie spécifique, de sa situation matérielle 1363 ou de ses aspirations.
Ces critères sont parfois concentrés dans un seul lieu comme c’est le cas dans quelques villes
des départements de la Vienne ou des Deux-Sèvres, au premier rang desquelles il y a la ville
de Châtellerault.
a) Un monde ouvrier suspect par essence
Selon Auguste Comte, l’ouvrier serait un nomade « campant dans la société, sans y
être casé ». Les travailleurs industriels et certains artisans apparaissent comme des corps
étrangers à l’intérieur d’un organisme bien organisé et structuré. Nombre d’entre eux sont
sans attaches et doivent régulièrement se déplacer pour trouver du travail ce qui les coupe
d’éventuels liens communautaires ou sociaux. Mais aussi leurs opinions et quelques formes
d’organisations particulières au monde artisanal les font apparaître comme une classe
singulière ayant ses propres aspirations. A cela s’ajoute une paupérisation croissante qui ne
manque pas de les écarter un peu plus du reste de la société. Autant de facteurs qui expliquent
la défiance des autorités à leurs égards.
Leurs chemins croisent donc très souvent celui de l’administration. Tout d’abord le
monde ouvrier fait l’objet d’une surveillance économique qui croît à mesure que le siècle
avance. Le corps préfectoral est chargé de dresser des rapports réguliers sur l’activité
industrielle de leurs départements. Il doit en outre répondre à des enquêtes ponctuelles
relatives à des domaines particuliers.
Toutefois ces travaux ne sont pas toujours exécutés avec beaucoup de soin. L’enquête
industrielle et agricole de 1848 montre des autorités locales peu enclines à s’en préoccuper.
L’exemple vendéen l’illustre bien. L’administration néglige souvent de convoquer les chefs
1363 L’ouvrier n’ayant pas ou peu de biens matériels, il n’aurait aucun intérêt à défendre l’ordre social en place.
295

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
ouvriers. A Bourbon-Vendée les taillandiers, tisserands et charrons s’en plaignent. Les juges
de paix expriment les difficultés qu’ils rencontrent dans de nombreux cantons du
département : ici on a « peu de zèle pour le bien public » 1364 , ailleurs, dans le canton des
Sables-d’Olonne, « l’enquête ne produit aucun résultat » 1365 , ou bien l’absence de réponse de
nombreux maires trop occupés aux moissons pour se soucier de l’enquête 1366 . D’autres
enquêtes générales suivront comme celle de 1884 relative à la situation des ouvriers de
l’industrie et de l’agriculture en France 1367 . Ces études se heurtent également au patronat qui
n’aime pas cette intrusion des pouvoirs publics dans leurs affaires. En 1861, le maire de
Mortagne explique que les industriels de sa commune ne veulent pas fournir d’informations
sur leurs entreprises. Ils craignent que les chiffres fournis n’augmentent leurs patentes 1368 .
Ce manque d’entrain et de sérieux n’échappe pas aux ministères. En 1885 le ministre
de l’Intérieur se plaint du manque de zèle des préfectures dans l’application des textes relatifs
au signalement des toutes les grèves et coalitions survenant dans chaque département 1369 , un
manque de sérieux illustré également par les rapports périodiques relatifs à l’économie
quasiment toujours identiques.
La police des cabarets oppose travailleurs et autorités. On ne peut vraiment
comptabiliser le nombre de délits commis par des ouvriers dans un débit de boisson, là où on
peut se réunir sans être obligé de se plier à la stricte réglementation des réunions publiques ou
privées. Dans ces lieux, les esprits et les langues déliées par l’alcool se mettent à regretter tout
haut un illustre empereur, à vouloir mettre à bas le régime qui les tyrannise ou à espérer des
jours meilleurs et bien plus égalitaires et fraternels. Ajoutons-y les échauffourées opposant
1364
Courrier du juge de paix du canton de Palluau du 25 août 1848, ADVd 6M1237. Enquête industrielle et
agricole (décret du 25 mai 1848). Instructions ; correspondance relative aux commissions cantonales d’enquête
[1848 ; 1849].
1365
Rapport du juge de paix du canton des Sables-d'Olonne du 28 septembre 1848, Ibid.
1366
Courrier du juge de paix du canton de Mortagne en date du 23 juillet 1848, Ibid.
1367
Enquête à laquelle doivent participer les préfets, les sous préfets, les maires, les chambres syndicales
d’ouvriers, les chambres syndicales de patrons, les cercles d’ouvriers, les associations coopératives de
production, les associations coopératives de consommation, les sociétés de secours mutuels, les sociétés de
prévoyance, d’assistance et caisses de retraite. Circulaire du 19 juillet 1884 relative à la situation des ouvriers de
l’industrie et de l’agriculture en France, RAA préfecture de la Vienne (1881-1899).
1368
Courrier du maire de Mortagne du 9 avril 1861, ADVd 6M1240. Dénombrement décennal de l’industrie
[1861].
1369
Circulaire du ministère de l’Intérieur du 3 juillet 1885 relative aux grèves et coalitions, RAA préfecture de la
Vienne (1881-1899).
296

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
ouvriers et militaires, comme à Châtellerault, ou bien même entre ouvriers de différentes
spécialités 1370 .
L’autorité publique a très vite conscience du rôle néfaste sur l’esprit des populations
laborieuses de ces lieux 1371 qualifiés de débauche 1372 . On y boit, on y met en péril les finances
de la famille, on s’y bat, on y conteste le gouvernement et on finit par vouloir le renverser.
Une circulaire du 21 novembre 1851 illustre bien cette préoccupation.
« Monsieur le Préfet, on me signale de toutes parts la
pernicieuse influence que la fréquentation habituelle des cabarets
exerce sur l’esprit et la moralité des populations. Je suis informé que
dans un grand nombre de localités, les ouvriers, entrés au cabaret le
samedi soir, n’en sortent plus que le mardi, après avoir consommé
en débauche la totalité des salaires qu’ils auraient dû rapporter
dans leurs familles.
Les cabarets deviennent d’ailleurs des clubs pendant la nuit
et c’est là que se forment principalement ces dangereuses
associations secrètes qui menacent la tranquillité publique 1373 ».
On prend ainsi des mesures à l’encontre de cantines ou d’autres établissements similaires.
L’une d’entre elles est fermée le long d’un chantier de chemin de fer de la Vienne en 1851,
pendant que les autres sont soumises à des règlements préfectoraux très stricts 1374 .
Les cabaretiers sont nombreux sur les listes de suspects ou de prisonniers politiques
établies sous le second Empire. Cette profession est une reconversion pour des ouvriers
condamnés et n’ayant plus d’avenir dans leur spécialité. C’est le cas d’ouvriers de la
manufacture d’armes de Châtellerault devenant cabaretiers après avoir été rayés des cadres ou
1370 Le commissaire de police d’Argenton-Château dans les Deux-Sèvres explique qu’il a évité un « grand
carnage entre ouvriers rivaux » sous l’emprise de la boisson (5 janvier 1858), ADDS 4M6.20. Attentat d’Orsini ;
rapports divers [1858].
1371 Pour de plus amples développements sur la police des débits de boisson dans les départements des Deux-
Sèvres de la Vienne au XIX e siècle voir PELCRAN (Anne), op. cit., p. 482 et s.
1372 Le sous-préfet de Montmorillon, dans son rapport du mois d’août 1866, note que les ouvriers carriers de son
arrondissement (Chauvigny) « pourraient faire de grandes économies sur leurs salaires s’ils n’avaient la triste
passion de la débauche ». Un témoignage parmi tant d’autres. ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-
1870). Les rapporteurs de l’enquête économique et sociale de 1848 dresse un constat semblable dans le canton
de Coulonges, dans les Deux-Sèvres. Là ils proposent de restreindre le nombre de cabarets et d’y tarifer le vin
comme on tarife le pain, de réglementer les heures d’ouverture et de ne pas permettre aux cabaretiers d’agir en
justice contre leurs clients locaux leur devant de l’argent, cf. ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale
de 1848 (partie 3), op. cit., p.459.
1373 Circulaire du ministère de l’Intérieur du 21 novembre 1851, ADV M4.52. Circulaires des ministres de la
seconde République & du second Empire [1848-1851].
1374 ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier-septembre 1851).
297

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
condamnés par la justice en 1849 1375 . L’un d’entre eux est considéré comme le président « de
fait » de la Société de prévoyance de la manufacture, des soupçons qui provoquent sa
dissolution 1376 . Les « hanteurs de cabarets » reviennent sans cesse dans les rapports de police
consacrés aux individus suspectés d’activités politiques clandestines 1377 .
Cette méfiance se traduit aussi dans le domaine législatif puisqu’un décret en date du
28 décembre 1851 soumet l’ouverture des débits de boissons à une autorisation préfectorale
préalable. Les attendus du texte mettent en cause explicitement le rôle politique des cabarets,
ces lieux de réunions et d’ « affiliation pour les sociétés secrètes [favorisant] d’une manière
déplorable les progrès des mauvaises passions 1378 ». Il n’y a donc rien d’étonnant donc qu’on
trouve beaucoup d’aubergistes et de cafetiers parmi les informateurs des forces de l’ordre.
L’administration préfectorale croise également l’ouvrier dans sa mission de
surveillance des réunions publiques ou privées en application des lois successives
promulguées en 1835, 1868, 1881 et 1907.
Si le milieu ouvrier est suspect, certaines professions le sont plus que d’autres eu égard
à leur mode d’organisation interne ou à cause de la nécessité quelles imposent à leurs
membres de se déplacer pour être embauchés.
Enfin, un acteur se détache dans l’appareil de surveillance administratif et policier,
c’est le commissaire spécial préposé aux chemins de fer dont la mobilité le fait côtoyer très
souvent le monde ouvrier.
1. Les professions sujettes au désordre et à la rébellion
Certaines professions semblent être plus agitées que d’autre. C’est le cas des artisans
issus de métiers organisés anciennement en corporations. Ces travailleurs qualifiés, le plus
souvent citadins, constituent l’élite de leur classe. Ils apparaissent comme plus enclins à
manifester leurs opinions politiques ou leurs conceptions économiques et sociales. Ils
1375
Citons par exemple un certain Dehoré (appelé également le Gros Nicolas) condamné en 1849 ou bien encore
le dénommé Jean-Baptiste Pierrot-Hélis. ADV M4.58. Correspondances du préfet (1850), ADV M4.65.
Correspondances du préfet (1853) & ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859).
1376
ADV. 4X22. Société de secours mutuels de Châtellerault. Note du sous préfet de Châtellerault au préfet de la
Vienne du 9 janvier 1852.
1377
Voir par exemple le rapport confidentiel du sous-préfet de Parthenay au préfet du 30 décembre 1855, ADDS
4M12.1a. Rapport de police et de gendarmerie ; correspondances politiques concernant les sociétés et les
cercles (1827-1861).
1378
Cité par WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.155.
298

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
s’opposent en cela aux ouvriers des campagnes, à l’image des ouvriers du textile du rayon
choletais, qualifiés « de calmes et de dociles », ayant « une conscience de classe à peine plus
développée que l’artisan isolé » 1379 . Les autorités se méfient de ces associations
compagnonniques aux rites maçonniques 1380 et dont la structure les rend proches des sociétés
secrètes.
La première partie du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier de Jean Maitron 1381 ,
montre l’omniprésence des métiers attachés à une tradition compagnonnique. En effet les
ouvriers turbulents, qui ont maille à partir avec l’autorité publique dans les trois départements
de l’ancienne province du Poitou à cette époque, appartiennent soit aux corps d’état du
bâtiment (menuisiers, charpentiers, tailleurs de pierres, maçons, terrassiers), soit aux métiers
travaillant le cuir ou le fer (maréchaux, charrons, cordonniers et les armuriers à Châtellerault).
A ces professions s’ajoutent les tailleurs d’habits. Ces derniers forment en 1837 une société
aux ramifications nationales sous couvert de philanthropie. Elle tente d’organiser une
coalition généralisée pour imposer un tarif 1382 identique dans tout l’Ouest de la France. Une
organisation qui aurait des sympathies républicaines selon le ministre de l’Intérieur 1383 .
Quelques dizaines d’années plus tard c’est au tour des ferblantiers 1384 du quartier de la
Chaume aux Sables-d’Olonne d’être suspectés de former une société secrète 1385 . Des soudeurs
surveillés également par les autorités du fait de l’hostilité latente qui existe entre eux et les
pêcheurs locaux. En effet les mouvements sociaux des boîtiers correspondent à la période la
plus intense de la pêche. Les sardineries qui chôment sont synonymes de poissons rejetés à la
mer, ou dans le meilleur des cas, de ventes à vil prix.
Toujours sous le second Empire, en 1859, la coalition des chapeliers de Fontenay est
dirigée par un compagnon déjà condamné quelques années auparavant pour avoir insulté
l’Empereur et loué les mérites de Blanqui et de Barbès. Le compagnonnage à l’origine du
mouvement est ici patent. D’innombrables témoignages attestent du rôle primordial du
compagnonnage dans cette profession. Bien plus tard, ce sont des typographes qui tentent
1379
FOHLEN (Claude), L’industrie textile au temps du second Empire, op. cit., p.55.
1380
BENOIST (Luc), Le compagnonnage et les métiers, Paris, 1970, p.70.
1381
MAITRON (Jean), première partie, op. cit.
1382
Barème et tableau du prix des tâches et des travaux (à la quantité ou au temps) d’après DEWERPE (Alain),
Le monde du travail…, op. cit., glossaire.
1383
Courrier du ministère de l’Intérieur du 28 février 1837, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899]
1384
L’élite ouvrière locale, avec les charpentiers de marine, dont le travail « est un véritable art » selon
D’AVIGNEAU (André Marie), op. cit., p.153.
1385 Voir infra.
299

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
d’organiser chômage et manifestations lors du 1 er mai 1906 à Niort et à Saint-Maixent alors
que la date est traditionnellement calme dans la région 1386 .
Sous la Restauration quelques ouvriers se font remarquer par des cris séditieux. Le
plus souvent la scène se déroule dans un cabaret où l’alcool enhardit les plus téméraires qui
maintes fois regrettent à haute voix l’Empire et son chef désormais mythique. Les professions
les plus citées sont celles de maréchal-ferrant ou de cordonnier 1387 . Quelques exemples parmi
d’autres l’illustrent. En 1823 des maréchaux niortais sont suspectés, après dénonciation, d’être
la source d’une rumeur circulant en ville affirmant qu’un régiment français, celui du
deuxième dragon, a été complètement annihilé en Espagne, où les forces militaires françaises
interviennent afin d’y rétablir la monarchie. Deux individus que le commissaire de police
souhaite prendre en flagrant délit. Un projet qui ne semble pas très difficile à réaliser
puisqu’ils « passent leur vie dans les cabarets » 1388 . La même année un cordonnier de
Bressuire tient des propos séditieux dans un cabaret de Mauzé. Il regrette publiquement la
mort du général Berton, condamné à la peine capitale un an auparavant à Poitiers pour avoir
tenté de soulever l’Ouest de la France contre Louis XVIII 1389 . Le cordonnier espère que ses
« enfants » le vengeront et brûleront Poitiers 1390 .
Avec le temps les professions les plus surveillées par les autorités vont évoluer.
L’organisation du mouvement ouvrier, la naissance d’un sentiment de classe et l’accès des
masses aux enjeux politiques et sociaux vont modifier l’approche de l’administration vis-à-vis
des métiers peu qualifiés exercés en ateliers ou de manière industrielle. Le compagnonnage
reste un grand pourvoyeur d’élites du mouvement ouvrier tout en perdant sa force
d’opposition. A la fin du second Empire les corporations de métiers se dévouent au régime
1386 ADDS 4M6.28a.Mouvement social ; rapports divers [1904 ; 1913].
1387 Les cordonniers sont majoritaires parmi les ouvriers inquiétés à Niort aux lendemains du coup d’Etat de
Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, Voir Infra et ADDS 4M6.17a. Commissions mixtes ; drapeaux
(1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports divers (1852-1856).
1388 ADDS 4M13. 2. Dossiers collectifs, tableaux, états de renseignements concernant les inculpés, surveillés
politiques. Opposition aux gouvernements, dossiers divers (1815-1851).
1389 Le soulèvement se résume à la seule prise de la ville de Thouars ! Berton est guillotiné sur la place du pilori
à Poitiers le 5 octobre 1822. Trois autres personnes sont également condamnées à la peine capitale. L’une d’entre
elles se suicide en prison, les deux autres sont exécutées à Thouars le 7 octobre, cf. AUGUSTIN (Jean-Marie),
Les grandes affaires criminelles de Poitiers, Mougon, 1995, p.246 et s., VEILLON (Didier), Les magistrats dans
le ressort de la Cour d’appel de Poitiers au XIX e siècle, thèse droit, Poitiers, 1996, 2 tomes, p.627 et s., PICARD
(Georges), op. cit., p.146 et s. Voir aussi sur les carbonari poitevins : FAUCHER (J.C.), Histoire de la francmaçonnerie
et des sociétés secrètes dans le département de la Vienne (1750-1943), Poitiers, 1982, p.241 et s.
1390 Rapport du sous-préfet de Bressuire du 19 avril 1823, ADDS 4M15/2b. Dossiers individuels concernant les
inculpés, condamnés et surveillés politiques. Chouans, libéraux, bonapartistes (M-Z) (1815-1830).
300

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
comme le remarque le sous-préfet de Fontenay-le-Comte en 1868 à propos des chapeliers
locaux 1391 .
Dans le même temps les nombreux travailleurs des usines, des fabriques ou des mines sont de
moins en moins dociles. Les mouvements de grève se banalisent 1392 . On craint les
revendications et les manifestations des sardinières de la cote vendéenne, des mineurs des
houillères du bas Poitou, des armuriers châtelleraudais ou bien encore des tisserands et fileurs
choletais essaimant leur mécontentement dans les campagnes alentours.
Au XIX e siècle, comme sous l’Ancien Régime, les institutions chargées du maintien
de l’ordre public se méfient au plus haut point de ces individus qui parcourent le pays à la
recherche de travail qu’ils soient compagnons ou qu’ils aient été sans aveu.
2. Le nomadisme ouvrier
L’étranger 1393 est suspect comme jadis les gens sans aveu. On voit en lui un fauteur de
troubles en puissance, d’autant plus qu’on le remarque facilement au sein d’une population
autochtone très casanière. Il porte en lui les germes de la rébellion. Le vent de la révolte
souffle toujours de l’extérieur. L’ouvrier exogène est souvent considéré comme le vecteur
des idées avancées et des doctrines sociales ou révolutionnaires. L’ouvrier qualifié en est
l’archétype à l’image de l’ouvrier mécanique du second Empire : il est « l’ouvrier beau
parleur qui conte volontiers sa vie riche en péripéties et qui répand quelques troubles dans
l’usine où il passe comme un météore 1394 ».
Mais d’autres métiers sont aussi concernés. En 1856, le sous-préfet de
l’arrondissement des Sables-d’Olonne regrette amèrement de n’avoir pas procédé à
l’arrestation d’un ouvrier menuisier étranger à la ville avant que celui-ci ne pousse ses
camarades de chantier à revendiquer un nouveau règlement qu’il a amené dans ses
bagages 1395 .
1391 Le sous-préfet les qualifie même de « bon agents électoraux », cf. Rapport du sous-préfet de Fontenay au
Préfet de Vendée de l’année 1868, ADVd 4M116. Cercles et associations. Dossiers individuels par communes
(Champagné à Chavagnes).
1392 Pour tout ce qui concerne les grèves voir infra.
1393 C'est-à-dire toute personne non originaire de la localité. Pour une analyse générale du nomadisme ouvrier
voir DEWERPE (Alain), Le monde du travail…, op. cit., pp.58-59.
1394 DUVEAU (Georges), op. cit., p.256.
1395 ADVd 4M396. Coup d’Etat du 2 décembre 1851. Mesures de répression. Instruction. Correspondance. Etat
des condamnés (1852-1855).
301

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
L’étranger est celui qui apporte l’agitation dans les bourgs de campagne. A la fin du
XIX e siècle, il est même l’anarchiste sans toit, sans foi et sans loi qui fomente en secret de
funestes et sanglants projets 1396 . En 1859, lors de la coalition des chapeliers de Fontenay,
aucun des huit inculpés n’est originaire de Vendée. Ils viennent des Bouches du Rhône, de
Corrèze, du Lot, du Maine-et-Loire ou du Tarn 1397 . Les Ferblantiers de la côte sablaise,
souvent à la pointe des mouvements revendicatifs, viennent tous de Bretagne pour travailler
aux conserveries pendant la saison de la pêche à la sardine.
En dehors de certains rites compagnonniques qui imposent à leurs membres un Tour
de France, d’autres ouvriers sont contraints à se déplacer en fonction des offres de travail et
des saisons. C’est le cas des terrassiers des chantiers de chemin de fer sillonnant la France le
long des réseaux ferroviaires en construction, en affolant au passage les populations
indigènes.
Une enquête de 1811 sur les migrations ouvrières dans la Vienne 1398 montre que ce
sont les maçons et les scieurs de long qui sont les plus mobiles avec les journaliers agricoles.
Le préfet estime leur nombre à près de mille. Tributaires des saisons, les maçons entament
leurs migrations aux alentours du mois de mars et regagnent leurs foyers peu avant le début de
l’hiver. Les étrangers au département viennent du Maine-et-Loire, des Deux Sèvres, de Haute-
Loire, de Haute-Vienne, et du Rhône. Les ouvriers du département qui se déplacent
proviennent des cantons de La Trimouille, de l’Isle Jourdain, de Saint-Savin, de Charroux,
d’Availles-Limouzine, de Dangé-Saint-Romain, de Pleumartin, de La Villedieu, de Vivonne
et Saint-Julien, ces localités étant situées pour la plupart dans l’est et le sud du département.
Ces régions correspondent en partie aux arrondissements de Montmorillon et de Civray 1399 ,
pauvres faiblement développés économiquement. La plupart se rendent dans les départements
des Deux-Sèvres, d’Indre, d’Indre-et-Loire, du Loir-et-Cher, du Loiret, d’Eure-et-Loir et de
Charente-Iinférieure pour y travailler à la maçonnerie ou s’employer aux travaux des
champs 1400 .
1396
Voir infra.
1397
AN BB 18/1600 A3 1944.
1398
Réponse préfectorale à une lettre du ministre de l’Intérieur du 27 avril 1811, ADV M4.11.Circulaires et
correspondances du préfet (1811).
1399
Une partie de l’arrondissement de Châtellerault est aussi concernée.
1400
Nous sommes très loin des déplacements de masse que l’on connaît dans certains départements : en 1848 on
comptabilise près 14 000 ouvriers maçons venus du département de la Creuse sur les 25 000 présents à Paris.
302

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
A Poitiers comme à Châtellerault, les autorités observent bien souvent ces étrangers
avec peu de ressources séjournant en ville à la recherche d’un travail 1401 . Les listes de secours
de route et de passeports d’indigents délivrés et visés dans le département de la Vienne
montrent très bien le caractère itinérant de nombreuses professions ouvrières.
Tableau 6 : passeport intérieurs et secours de route délivrés pour l’année 1842 :
AGE PROFESSION DOMICILE DESTINATION AGE PROFESSION DOMICILE DESTINATION
24 Tisserand Ile et Vilaine Ile-et-Vilaine 26
Soldat espagnol
Poitiers Perpignan
303
carliste 1402
42 Fileur Parthenay Parthenay 25 Domestique Gard Aurillac
50 Couturière Bordeaux Bordeaux 32
Soldat espagnol
carliste
Poitiers Perpignan
23
Maréchal
ferrant
Blois Blois 31
Soldat espagnol
carliste
Poitiers Bayonne
58 Ex militaire Besançon Besançon 15 Berger Vienne Vienne
21 Couturière Soissons Soissons 27
Militaire
espagnol
? Nantes
28 Couturière Loudun Haute Garonne 35 Cloutier Poitiers ?
26 Domestique Sarthe Sarthe 46 ? ? ?
23 Réfugié carliste
Galice
(Espagne)
Bayonne 30 Journalier Poitiers Poitiers
20
Tailleur de
pierre
Niort Tours 16 Domestique Caen Caen
16
Maréchal
ferrant
Indre et
Loire
Indre et Loire 51 Cordonnier Poitiers ?
41 Verrier
Aigre
(Charente)
Saumur 40 Marin
Cotes du
Nord
Cotes du Nord
28 Journalier
Maine et
Loire
Maine-et-Loire 45 Journalier Allier La Rochelle
19 Décrotteur Charente Charente 36 Menuisier Poitiers Allier
42 Terrassier Gençay
Alger (par
Toulon)
54 Ex militaire
Haute
Vienne
Haute Vienne
40 Ex militaire Calais Périgueux 46 Charpentier Vienne Allier
45 Couturière Brest Brest 45 Journalier Finistère Finistère
64 Couturière Orléans Orléans 40
Peintre en
bâtiment
Paris La Rochelle
26 Journalier
Charente
Inférieur
La Rochelle 26 ? Poitiers Pas de Calais
20 Terrassier Charente Charente 20
Tailleur de
pierre
Niort Niort
23 Menuisier Gironde La Rochelle 21 Cuisinière Paris Sarthe
52 Marin Idem Gironde 13 Domestique calvados Eure
48 Jardinier Calvados Moncontour 49 Peintre ? Verdun
43 Artiste Paris Sables-d’Olonne 40 Tisserand Sarthe Sarthe
1401 AM de Poitiers, B.58. Bureaux de placement. Demande d’autorisation d’ouverture d’un bureau de
placement du 16 juillet 1857 & AM de Châtellerault. Délibérations du conseil municipal du 5 mai 1840
1402 Les carlistes, partisans de don Carlos d’Espagne et défenseur d’un traditionalisme politique (maintien des
prérogatives royales) et religieux, s’opposent en 1830 à Ferdinand VII qui souhaite établir à sa succession sa fille
Isabelle, en violation de la Pragmatique sanction du 10 mai 1713, par laquelle Philippe V fixe les principes de la
loi salique dans les règles de succession au trône espagnol. Malgré des victoires militaires les carlistes échouent
dans leur conquête du pouvoir et sont contraints à l’exil. Pour une vision globale de l’immigration espagnole en
France, et plus particulièrement à Paris, dans la première moitié du XIX e siècle voir LEBLAY (Anne),
L’émigration espagnole à Paris, thèse de l’Ecole des chartes, Paris, 2004.

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
55 Journalier Seine et Oise Le Mans 38 Id Moselle Blois
46 Terrassier Charente Barbezieux 49 Blanchisseuse Italie Bordeaux
25 Maçon Périgueux Haute Vienne 24 Domestique
Basses
Pyrénées
Basses Pyrénées
21 Perruquier
Soldat
Barbezieux Libourne 62 Marchande Vienne Maine et Loire
24 Espagnol
carliste
Soldat
Catalogne Pau 60 Curé Poitiers Loire Inférieur
42 Espagnol
carliste
Saragosse Pau 46 Passementier Aude Aude
37 Ex militaire Prusse Bas Rhin 27 Cordonnier
Indre et
Loire
Dordogne
67 Tisserand Isère Allier 43 Ex militaire Morbihan Saintes
71 ? Metz Metz 19 Scieur de long Confolens Brive
33 Tonnelier
Officier
La Rochelle Bourges 42 Cafetier Paris Loire
26 espagnol
carliste
Poitiers Bayonne 70 Ex militaire Lille Creuse
Source : ADV M4.48. Correspondances du préfet (1841-1842).
Sur 70 individus 1403 disposant d’un passeport intérieur visé dans le département de la Vienne
en 1842, près de la moitié sont des ouvriers ou des artisans, les autres d’anciens militaires ou
de réfugiés carlistes espagnols (20%), des journaliers et des domestiques. Un quart sont des
natifs de la Vienne (en grande majorité) et des Deux-Sèvres. En revanche on ne sait où ils
vont, sauf peut être à La Rochelle, Bordeaux et Tours. C'est-à-dire deux ports et une ville
située sur le chemin de Paris.
Près de 30 ans après, ouvriers et artisans sont toujours majoritaires sur les routes (40%),
même si le nombre de bénéficiaires de passeports intérieurs 1404 est bien moins important
(37) 1405 . Si on ajoute les journaliers et les manœuvres on atteint les deux tiers des personnes
recevant des secours de route. En revanche seuls six individus ont pour domicile un
département de l’ancienne province du Poitou. Les villes de Bordeaux et de Tours sont
toujours les destinations les plus prisées.
1403 La moyenne d’âge est de 36 ans.
1404 L’institution des passeports intérieurs tombe progressivement en désuétude à partir des années 1860.
1405 La moyenne d’âge ne varie guère : elle est de 35 ans.
304

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Tableau 7 : état nominatif des passeports et visa de passeports d’indigents avec
secours de route, ou moyen de transport pendant l’année 1869 :
Profession Age Domicile Destination
Ramoneur 38 Puy de Dôme Puy de Dôme
Terrassier 24 Loire et Cher Loire et cher
Artiste 19 Quimper Quimper
Tailleur d’habits 32 Mayenne Mayenne
Tapissier 19 Clermont Ferrant Montauban
Tourneur en cuivre 42 Bordeaux Bordeaux
Cloutier 21 Haut Rhin Haut Rhin
Boulanger 37 Jura Jura
Domestique 24 Corrèze Corrèze
Cuisinière 38 Tours Tours
Couvreur 52 ? La Rochelle
Journalier 42 Bordeaux Bordeaux
Journalier 29 Indre Indre
Cordonnier 18 Châtellerault Bourges
Menuisier 60 Angoulême Angoulême
Sans profession 66 Indre et Loire Tours
Sans profession 60 Sans domicile Blois
Menuisier 76 Tulle Tulle
Cordonnier 24 Châtillon (Deux-Sèvres) Châtillon (Deux-Sèvres)
Journalier 36 ? ?
Sans profession 22 Poitiers Angles
Journalier 59 Rochefort Bordeaux
Journalier 56 ? ?
Journalier 27 Douai Douai
Ex gendarme 42 Brest Angers
Ex marin 24 Brive Brive
Ex employé des chemins de fer 21 Lyon Lyon
Manœuvre 20 Dinan Le Mans
Menuisier 29 Laval Laval
Garçon de salle 20 Mirebeau Mirebeau (Vienne)
Journalier 42 Moselle Clermont Ferrant
Journalier 26 Finistère Finistère
Marin 21 Sans domicile Nantes
Chaudronnier 21 Limoges Limoges
Couturière 28 Deux-Sèvres Deux-Sèvres
Domestique 29 ? Alençon
Tailleur 44 Poitiers Tours
Source : ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870).
Certaines activités industrielles nécessitent une main-d’œuvre qualifiée qu’il est
difficile de trouver sur place. L’éphémère verrerie de Faymoreau en est l’exemple. Ici point
de verriers expérimentés issus de la région, on doit les faire venir de l’extérieur du
département : de Bordeaux, Cognac et Rive-de-Gier 1406 . Ils s’engagent le plus souvent pour
une seule saison avant de partir vers d’autres centres verriers ailleurs en France et poursuivre
1406 Un des centres verriers le plus important du monde au XIX e siècle, LEQUIN (Yves), Les ouvriers de la
région lyonnaise (1848-1914), Lyon, 1977, t.1, p.22.
305

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
leur vie de nomade 1407 . Cet emploi d’une main-d’œuvre exogène à la région continue bien
après les débuts de l’établissement industriel, même si peu à peu on forme sur place des
ouvriers du cru, financièrement moins exigeants et bien plus dociles.
Ainsi en est-il des premiers mineurs de Faymoreau rémunérés à prix d’or 1408 , les
chapeliers de Fontenay-le-Comte où les ateliers regorgent de jeunes ouvriers faisant leur Tour
de France, ou bien encore les armuriers employés par la manufacture d’armes de
Châtellerault, un prestigieux établissement attirant à ses débuts de très nombreux ouvriers
alsaciens 1409 aguerris aux techniques de la profession. Enfin il y a les conserveries de sardines
employant des soudeurs bretons hautement qualifiés mais également des sardinières
armoricaines qui le sont beaucoup moins 1410 , des femmes ayant l’avantage de n’avoir aucun
lien familial avec les turbulents pêcheurs vendéens.
Le nombre d’ouvriers de nationalité étrangère apparaît extrêmement peu élevé dans la
région 1411 . Les frontières extérieures sont bien loin du grand Ouest français. Les centres
industriels du Nord et de l’Est drainent la majeure partie de cette main-d’œuvre, Bordeaux
l’autre. Les enquêtes administratives et les recensements confirment cette absence. En 1880
on recense à Poitiers deux à trois cent étrangers sur un total de 36 000 habitants 1412 . En 1899
l’ingénieur des Pont et Chaussées rassure le ministre de l’Intérieur quant à de possibles
conflits entre ouvriers français et étrangers « en raison du nombre tout à fait insignifiant des
éléments étrangers dans les classes ouvrières sur les chantiers de travaux publics de
Vendée 1413 ».
En guise de contre exemple il y a les chantiers de chemin de fer puisqu’on y dénombre
moult ouvriers étrangers venus d’Italie, de Belgique, d’Allemagne ou de Suisse. Mais il s’agit
ici de chantiers itinérants n’ayant aucune attache durable avec le tissu économique local. Bien
plus tard signalons tout de même la présence de terrassiers italiens sur un chantier de Poitiers
en mars 1888. Toutefois ils ne représentent que 5% des embauches. On les emploie car ce
1407 Sur le nomadisme des verriers voir LEQUIN (Yves), op. cit., t.1, p.259.
1408 Bien vite la majeure partie des mineurs vont être recrutés sur place : à Saint-Laurs il sont 63% à provenir de
la commune ou du canton en 1891 et 70% en 1906, MONTOUX (Michel), op. cit., p.144.
1409 Dans les années 1880-1890 ils forment 14% des effectifs de la manufacture d’armes, MURPHY (Gwenaël),
op. cit., p.88.
1410 En 1909 on dénombre aux Sables-d’Olonne 150 bretonnes parmi les 870 femmes répertoriées, REGOURD
(Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p. 215.
1411 On peut citer quelques mineurs anglais et allemand recrutés aux premières heures des mines de houille de
Faymoreau.
1412 72 espagnols, 62 italiens, 43 allemands, 38 russes, 34 belges etc., cf. FAVREAU (Robert) (dir.), op. cit.,
p.344.
1413 Rapport de l’ingénieur des pont et chaussées du 20 octobre 1899, ADVd 10M45. Conflits du travail.
Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
306

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
sont des spécialistes des «travaux de ciment ». Par la suite l’entrepreneur suivra les
recommandations de l’administration lui demandant d’embaucher en priorité des ouvriers
français 1414 .
Les enquêtes administratives et policières consacrées à un individu illustrent aussi la
mobilité ouvrière. Il n’est pas rare que l’autorité préfectorale soit contactée par ses
homologues des autres départements pour obtenir des renseignements sur un ouvrier poitevin
de passage ou résidant dans leur région. Ainsi l’un d’entre eux prend part aux émeutes
lyonnaises en 1831 1415 , un autre tient des propos séditieux à Chalon-sur-Saône un an plus
tôt 1416 . En 1847, un ouvrier forgeron de Châtillon-sur-Sèvres est soupçonné à Nantes d’être un
agent légitimiste, lui qui a déjà été condamné pour escroquerie et faux billet par la cour
d’assises de la Seine 1417 .
2.1. Les restrictions aux déplacements des travailleurs
L’administration doit canaliser les mouvements de travailleurs. L’exemple le plus
connu se déroule en 1848 quand les ateliers nationaux sont pris d’assaut à Paris par les
ouvriers et travailleurs sans emploi 1418 .
L’examen des passeports intérieurs et de secours de route délivrés dans la Vienne 1419
montre que pour les quatre à cinq premiers mois de 1848, on compte près de 120 voyageurs
qui ont foulé le sol du département de la Vienne. Leur moyenne d’âge est de 35 ans. La
majorité de ces voyageurs est composée d’ouvriers et journaliers. Ils représentent 40 % des
passeports consultés contre 15% pour les artisans et les marchands. Près de la moitié des
voyageurs ont leur domicile hors du département et un tiers dans celui-ci. Le reste est
composé d’individus sans domicile. Près de 25 % d’entre eux ont comme destination une ville
de la Vienne. Pour les autres la destination la plus prisée est Paris avec près de 15 % des
passeports. Les travailleurs nourrissent de grands espoirs dans les ateliers nationaux.
Cette tendance ne change presque pas dans seconde moitié de l’année 1848, période
faisant suite aux événements de juin. Là aussi, on compte près de 120 voyageurs ou gens de
1414
Rapport du commissaire central de Poitiers au préfet de la Vienne du 12 mars 1888, ADV M4.82.
Correspondances du préfet (1888).
1415
Il s’agit d’un ferblantier originaire de Bressuire, ADDS 4M15/3 : Dossiers individuels concernant les
inculpés, condamnés et surveillés politiques. Républicains, légitimistes, chouans (A-Z) (1831-1848).
1416
Rapport du sous-préfet de Bressuire du 3 janvier 1830 à propos d’un tailleur d’habit ayant fêté l’anniversaire
du sacre de Napoléon 1 er , Ibid.
1417
Demande d’enquête émanant du ministère de l’Intérieur du 6 juin 1847, Ibid.
1418
Cf. infra
1419
ADV. M4.54. Correspondances du préfet. 1848.
307

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
passage. Leur âge moyen est toujours de 35 ans et là aussi le contingent de voyageurs
majoritaire est composé d’ouvriers, à hauteur de 35 %. Derrière eux, on trouve 25 %
d’artisans et 15 % de marchands. Les destinations les plus prisées en dehors du département
de la Vienne sont toujours Bordeaux et Tours. Les mesures de restriction des déplacements
vers la capitale on fait leur oeuvre. Notons aussi que plus de 30 % des voyageurs ont élu
domicile dans la Vienne.
Cependant ce souci de ne pas engorger la capitale d’une population flottante et
instable n’est pas nouveau. L’Ancien Régime a constamment lutté contre la mendicité et le
vagabondage. La tentative de « grand enfermement » des pauvres au XVII e siècle l’atteste 1420 .
Sous l’Empire on retrouve cette préoccupation d’assurer l’ordre dans le centre
névralgique du pays, là où tout se fait et tout se défait. Napoléon 1 er sait plus que quiconque
qu’assurer l’ordre à Paris c’est assurer l’ordre dans le pays. En octobre 1811, une circulaire
ordonne aux préfets de ne plus délivrer de passeports pour Paris, sauf si on justifie d’un
travail sur place. On ne veut pas « augmenter le nombre de voleurs de nuit (sic) 1421 ». Les
subsistances se font rares sur place. Cette mesure va rester en vigueur deux années
entières 1422 .
Des mesures restrictives de ce type sont adoptées régulièrement. En 1828 1423 , en 1843,
où l’on veut éviter l’afflux de terrassiers attirés par la capitale et ses travaux de
fortification 1424 . En 1851, le préfet de la Vienne demande au sous-préfet de Civray de ne pas
délivrer de passeports non seulement pour Paris, mais aussi pour Lyon et ses environs 1425 .
Sous le second Empire les travaux publics et de construction n’arrivent pas à absorber la main
d’œuvre qui vient chercher du travail le long des berges de la Seine. Même les chantiers
d’urbanisme du préfet Haussmann n’y suffisent pas puisque des circulaires, limitant
drastiquement l’accès à la capitale pour les ouvriers, sont émises en octobre 1853, en mars
1857 ou bien encore en avril 1862 1426 .
1420 Cf. GUTTON (Jean-Pierre), La société et les pauvres en Europe (XVI e - XVIII e siècles), Paris, 1974, 207 p.
1421 Lettre du ministère de la Police Générale au préfet de la Vienne du 2 octobre 1811, ADV M4.11.Circulaires
et correspondances du préfet (1811).
1422 Lettre du ministère de la Police Générale au préfet de la Vienne du 3 octobre 1813, Ibid.
1423 Circulaire du 10 novembre 1828 relative aux passeports de route, RAA préfecture de la Vienne (1828 –
1830).
1424 Circulaire du ministère de l’Intérieur du 13 avril 1843, ADV M4.49. Correspondances du préfet (1843-1844).
1425 Courrier du sous-préfet de l’arrondissement de Civray au préfet de la Vienne du 25 février 1850. ADV
M4.58. Correspondances du préfet (1850).
1426 Circulaires du 22 octobre 1853, du 26 mars 1857 et du 8 avril 1862, ADV M4.53. Circulaires des ministres
du second Empire (1852-4 décembre 1870).
308

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Circulaire du 17 avril 1852 du ministre de la Police Générale
de Maupas 1427 :
« M. le préfet, le mouvement de la population flottante de
Paris me signale l’arrivée d’un grand nombre d’ouvriers, qui
viennent y chercher des travaux de toute nature. Ce mouvement qui
se produit chaque année à cette époque, correspond à l’ouverture
des travaux de construction, a donné des proportions qui dépassent
celles des années précédentes. S’il est utile de le favoriser à certains
égards, il est nécessaire de le réglementer dans l’intérêt bien
entendu des ouvriers et dans l’intérêt de la conservation de l’ordre et
de la tranquillité publique.
Il est évident, en effet, que l’agglomération trop grande des
ouvriers à Paris établit entre eux une concurrence, qui tend à
déprécier leurs salaires, et que, lorsque leur nombre dépasse les
besoins de la place, ceux qui restent inoccupés doivent
nécessairement en souffrir et peuvent devenir une cause de
préoccupation pour l’autorité ».
L’autorité publique craint non seulement la survenue de troubles à Paris mais aussi le manque
de main d’œuvre agricole et industrielle en province et sur les chantiers de chemin de fer.
C’est pourquoi toute personne désirant se rendre à la capitale doit justifier de ressources
suffisantes pour y vivre un mois sans travailler.
Le même type de restriction est prise en juin 1871 pour éviter l’afflux de travailleurs à
Paris La ville soigne douloureusement ses récentes plaies provoquées par la sanglante
aventure des communards. Seuls les ouvriers du bâtiments ont la permission de s’y rendre,
afin d’y travailler aux travaux de reconstruction de la cité meurtrie. En revanche les autres
corps d’état, en particulier les terrassiers, cordonniers, tailleurs d’habits et mécaniciens,
doivent être maintenus en dehors des murs parisiens 1428 .
C’est pour éviter ces afflux d’ouvriers dans les localités sensibles politiquement ou
socialement que des itinéraires fixes sont imposés aux personnes sans revenus bénéficiant de
secours de route pour se déplacer sur le territoire. En 1860 on compte 24 stations obligatoires
1427 ADV M4.53. Circulaires des ministres du second Empire (1852-4 décembre 1870).
1428 RAA préfecture du Calvados, n°21, 1871, ADV M4.80. Correspondances du préfet (1871-1881).
309

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
pour se rendre de Lille à Niort, parmi lesquelles Arras, Beauvais, Evreux, Conches, Le Mans,
Saumur, Thouars, Bressuire, Fontenay-le-Comte 1429 .
C’est pour encore mieux contrôler une population ouvrière dont on se méfie, qu’est
créé le livret ouvrier.
2.2. Le livret ouvrier
La volonté étatique de contrôler l’ouvrier n’est pas née avec la législation
napoléonienne.
Sous l’Ancien Régime, l’encadrement est non seulement corporatif mais aussi l’œuvre
d’une police ouvrière qui naît au XVII e siècle avant de se développer au siècle suivant. Turgot
puis les lettres patentes du 12 septembre 1781 cherchant à « entretenir la subordination parmi
les ouvriers », imposent l’inscription des ouvriers au greffe de police à chacune de leur
arrivée en ville.
A ces obligations s’ajoute la possession d’un livre ou d’un cahier sur lequel sont
consignés les certificats de congés successifs visés par le maître ou le juge de police.
« Devenu une véritable pièce d’identité, ce livret ouvrier est l’expression la plus achevée de
la politique de contrôle social dans le monde du travail 1430 ».
Aboli implicitement sous la Révolution en même temps que toute forme de règlement
corporatif, le livret ouvrier est rétabli par la loi du 22 germinal an XII (12 avril 1803). Cette
brochure délivrée par le commissaire de police ou les maires, contient l’état civil et le
signalement du travailleur. L’employeur doit y consigner les dates d’embauche et de congé.
Le maître peut ainsi retenir l’ouvrier en lui retenant son livret. Toutefois il doit justifier pour
cela de motifs légitimes comme la non exécution du contrat de travail. Tout litige est résolu
par l’autorité publique 1431 . Un ouvrier ne disposant pas de papiers en règle est susceptible
d’être poursuivi pour vagabondage.
Ce document administratif vise dès le début à garantir à la fois la discipline
contractuelle et la sécurité publique. Néanmoins, dans un premier temps, cette dernière
1429
ADDS 4M6-17B. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports divers
(1852-1856).
1430
AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), Introduction historique au droit du travail, Paris, 1995, p.31.
1431
Le livret ouvrier est dans la droite ligne d’une des préoccupations de l’Etat napoléonien : le respect de
l’autorité, ici celle du patron. Chaptal, ministre de l’Intérieur, le dit clairement le 9 frimaire an XII : « En rendant
le livret obligatoire, on n’a pas seulement voulu fournir à l’ouvrier les moyens de justifier de sa conduite et de
son honnêteté ; on s’est proposé de donner à ceux qui l’emploient une sorte de garantie de sa fidélité », cf.
TULARD (Jean) (dir.), op. cit., Paris, 1987, v° ouvrier.
310

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
fonction semble prendre le pas sur l’autre. Deux ordonnances du 1 er avril 1831 et du 30
décembre 1834 imposent le visa policier des livrets aux travailleurs se rendant à Paris.
L’ouvrier est assimilé au vagabond qu’on suspecte de propager les miasmes du désordre.
Phantasme millénaire qui amène les pouvoirs publics à mettre sous surveillance une classe
entière de la société.
Cette fonction purement répressive va ensuite s’effacer derrière l’outil contractuel, à
partir des années 1850, où le livret redevient un moyen de sécurisation des relations
privées 1432 , garantissant aux patrons le remboursement des avances consenties à leurs
ouvriers. Dans un premier temps, une loi du 14 mai 1851 allège un peu les obligations
ouvrières. Dès lors les travailleurs peuvent obtenir congé même s’ils n’ont pas acquitté le
travail correspondant à toutes les avances reçues. Un mouvement qui s’inverse avec la loi du
22 juin 1854 qui « étend et fortifie l’institution du livret ouvrier 1433 ». Le pouvoir en place
cherche à mieux contrôler la population ouvrière, même si certains membres de
l’administration craignent que le nouveau souffle donné à l’institution puisse porter atteinte
aux procédures existantes de surveillance de haute police pesant déjà sur des membres de la
classe ouvrière 1434 .
Cette législation très favorable au patronat l’autorise à accentuer son contrôle sur ses
employés. Aucune embauche n’est plus possible sans ce document. En effet, si l’employeur
n’a plus la faculté (en principe) de le garder pendant toute la durée du contrat de travail, il
peut toujours refuser de porter le congé d’acquit sur ledit livret 1435 , ce qui garantit « les
ateliers de la désertion et les contrats de travail de la violation », comme l’exprime dès 1803,
Régnault de Saint-Jean-d’Angely 1436 . L’ouvrier ne peut toujours pas s’engager ailleurs sans
cette mention prouvant qu’il s’est bien acquitté des anciennes obligations contractuelles. La
liberté de l’ouvrier est encore dépendante du maître et de sa bonne foi.
Le livret va exister officiellement pendant 87 ans, période pendant laquelle les
travailleurs ne parviennent pas à obtenir son abolition même dans les premiers moments de la
révolution de 1848. Le livret est finalement abrogé par une loi du 2 juillet 1890 1437
1432
Sur l’évolution du rôle du livret ouvrier voir LE GOFF (Jacques), Du silence à la parole, droit du travail,
société, Etat, 1830-1985, Quimper, 1985, p.41.
1433
Circulaire du 3 juillet 1854, ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888].
1434
RAA préfecture de la Vienne (1843 - 1855).
1435
DELBREL (Yann), L’essentiel de l’histoire du droit social, Paris, 2006, pp.26-27.
1436
Régnault de Saint-Jean-d’Angely est le rapporteur de la loi de 1803.
1437
Un projet de loi portant abrogation de la loi de juin 1854 est présenté au corps législatif le 21 mars 1870. Ce
projet vise à faire disparaître le livret ouvrier et à soumettre les deux parties du contrat de travail au droit
commun. Ce projet n’a pas abouti (cf. ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899])
311

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
officialisant une pratique tombée en désuétude depuis plusieurs décennies 1438 . Notons tout de
même que l’on continue à le distribuer dans le département de la Vienne jusqu’en 1896 1439 !
Cette pratique traduit à la fois une méconnaissance de la part de l’administration de la
législation propre aux ouvriers et le sentiment de méfiance qui perdure à leur égard, mais
aussi la survivance des habitudes faisant du livret un outil contractuel utile aux patrons
comme à leurs employés 1440 .
La législation propre au livret ouvrier semble relativement bien respectée à la lecture
des rapports préfectoraux qui y sont consacrés 1441 . Il arrive toute de même que des ouvriers ne
respectent pas les obligations imposées par la loi. Ainsi, en juin 1851 des terrassiers
travaillant sur un chantier de chemin de fer de la Vienne ne peuvent recevoir leurs cartes de
sûreté 1442 car ils refusent de déposer leurs livrets entre les mains des entrepreneurs. Le
commissaire spécial responsable du maintien de l’ordre sur place donne une semaine aux
ouvriers pour régulariser leur situation et respecter les lois du travail en vigueur 1443 . Sept
années après un ouvrier boucher est arrêté par le commissaire de la ville de Bressuire
« comme étant porteur d’un livret irrégulier et comme ne pouvant pas justifier où il a passé
son temps ». En effet, pendant un mois entier il n’est fait aucune mention de son activité 1444 .
Plus tard une circulaire préfectorale tardive, de 1880, demande aux maires de ne plus délivrer
de livrets aux artisans et autres professions non industrielles, comme il semble être l’usage
dans les Deux-Sèvres 1445 . Toutefois l’époque n’est plus à une application scrupuleuse de la loi
de juin 1854 1446 . En 1881, sur les 313 ouvriers employés dans les usines et les ateliers de la
ville de La Roche-sur-Yon 85 % disposent d’un livret, les 38 qui n’en ont pas n’ont jamais
quitté la ville. Le commissaire de police du chef-lieu estime tout de même nécessaire qu’ils
1438 Dès les premières heures de la III e République le parquet comme le patronat se désintéressent de la
législation propre au livret ouvrier, cf. DELBREL (Yann), L’essentiel de l’histoire du droit social, op. cit., p.27
1439 795 livrets sont distribués en 1893 (années de la commande russe à la manufacture d’armes de Châtellerault),
311 en 1895 et 302 en 1856.
1440 Certains ouvriers considèrent le livret comme une garantie du contrat de travail à l’encontre de leur
employeur et comme un document attestant de leur carrière.
1441 Précisons que la plupart de ces rapports datent des débuts de la III e République, période où le livret ouvrier
tombe en désuétude.
1442 Document attestant de leur embauche et permettant aux ouvriers d’être payés chaque semaine.
1443 Rapport du commissaire spécial du chemin de fer du 11 juin 1851, ADV M4.59. Correspondances du préfet
(janvier-septembre 1851).
1444 Rapport du commissaire de police de Bressuire du 4 août 1858, ADDS 4M6.19. Rapports divers (1856).
1445 Circulaire du préfet des Deux-Sèvres du 23 avril 1880 adressée aux maires du département, ADDS
11M.19.1. Artisans, employés, ouvriers et apprentis : listes, états, livrets, contrats, correspondance.
1446 Le sous-préfet de Parthenay en témoigne en février 1880. Il affirme que les registres exigés concernant les
livrets ouvriers ne sont pas tenus dans toutes les mairies. Lettre du 18 février 1880, ADDS 11M.19.1. Artisans,
employés, ouvriers et apprentis : listes, états, livrets, contrats, correspondance.
312

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
s’en procurent un au plus vite 1447 . En revanche le commissaire de police de Napoléon en
Vendée remarque, en 1864, que nombre de livrets qu’il vise sont incomplets : « cette grande
quantité de livrets m’a donné l’occasion de remarquer que beaucoup de ces livrets délivrés
dans de petites communes sont peu complets quant aux renseignements qu’ils doivent
contenir 1448 ». Il note également des abus dans l’utilisation qui en est faite : « ils sont souvent
délivrés comme titre de voyage à des professions qui devraient être munies de passeports.
C’est ainsi qu’un grand nombre de domestiques ou de gens professant des états comme ceux
de rémouleur s’en servent pour parcourir la France dans tous les sens » 1449 . C’est un bon
moyen pour les municipalités de se débarrasser des indigents résidant sur leur territoire.
Il est difficile de connaître le nombre de livrets ouvriers délivrés et visés par les
autorités 1450 dans les départements composant l’ancienne province du Poitou. Les sources sont
rares ou bien très tardives sur le sujet.
En 1856, dans la Vienne, 847 livrets sont donnés entre la date du décret impérial du 30
avril 1855, qui met en application la loi du 22 juin 1854, et mai 1856. C’est à Châtellerault
qu’on a accordé le plus de livrets (297), suivie d’assez près par la ville de Poitiers (256). La
cité manufacturière compense sa petite taille par son activité industrielle bien plus grande que
celle du chef-lieu de département. Bien loin derrière se situent Montmorillon (90) et Lusignan
(60). La faiblesse de l’industrie des sous-préfectures de Loudun et de Civray est illustrée ici
par le très faible nombre de livrets délivrés (respectivement 10 et 23) 1451 . En 1864, le
commissaire de police de Napoléon en Vendée rapporte avoir visé 295 livrets et en avoir
délivré 71 en l’espace de sept mois 1452 .
Une circulaire du 12 juillet 1878 demande aux préfets de recenser les livrets ouvriers
délivrés chaque année dans leur département. En 1879, 381 documents sont remis dans les
Deux-Sèvres dont 152 dans la seule ville de Niort 1453 . Les professions les plus concernées
sont celles de boulangers (24), de maréchaux (21), de menuisiers (21), de cordonniers et
1447
Rapport du commissaire de police de La Roche-sur-Yon au préfet de Vendée du 28 janvier 1881,
ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ;
1888].
1448
C’est le cas par exemple de l’âge des individus présentant leur livret.
1449
Rapport du commissaire de police de Napoléon du 17 août 1864 relatif à la délivrance des livrets ouvriers,
ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ;
1888].
1450
Maires et commissaires de police des grandes villes.
1451
ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
1452
ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats statistiques des livrets d’ouvriers
[1851 ; 1888].
1453
Lettre du maire de Niort du 9 février 1880, ADDS 11M.19.1. Artisans, employés, ouvriers et apprentis :
listes, états, livrets, contrats, correspondance
313

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
gantiers (19) 1454 , de terrassiers (18), de ferblantiers (13), de peintres en bâtiment (12), de
serruriers (12) et de domestiques (10). Que des professions à caractère artisanal.
En 1882 ce sont toujours les mêmes professions qui bénéficient du plus grand nombre
de livrets quelque soit le département. Ce sont les boulangers, les travailleurs du bâtiment, les
cordonniers et les tisserands, soit des métiers n’appartenant pas au domaine industriel. Notons
que les boulangers, les bouchers, les manœuvres ou bien les domestiques – ou même ici un
compositeur – qui figurent sur la liste n’ont pas l’obligation de disposer d’un livret depuis le
texte de loi de 1854. Or, malgré cela, la pratique perdure. En Vendée c’est dans
l’arrondissement des Sables-d’Olonne qu’on a remis le plus grand nombre de livret en
1882 1455 . Le grand nombre de journaliers, de manoeuvres et de terrassiers (près d’une centaine
au total) employés certainement au port explique cette première place. L’arrondissement de
La Roche-sur-Yon suit avec 164 livrets. Enfin l’arrondissement de Fontenay-le-Comte ferme
la marche avec 113 livrets. Ici aucune profession ne se détache.
Le livret ouvrier procure aux autorités la connaissance précise des emplois exercés par
chaque travailleur. Un sabotier du Maine et Loire connaît onze destinations à travers le Maine
et Loire, la Vendée, La Charente Inférieure et la Vienne entre le 20 août 1847 et le 19 février
1854. Ainsi il a tour à tour travaillé chez son père à Saumur, puis est passé par Angers,
Nantes, Bouguenais en Loire-Inférieure où il demeure sept mois à partir du 19 février 1848.
En août, il rejoint Verton où il travaille jusqu’au 5 juin 1850. Puis, il reprend son périple et
travaille au Pallet, à Luçon, La Rochelle, Rochefort avant de rejoindre Loudun le 12 février
1853 où il restera une année. Citons également l’exemple d’un tailleur de pierres qui a connu
en cinq ans quinze lieux de travail au travers de la Gironde, de la Vendée, des Deux Sèvres,
de la Charente Inférieure et de l’Indre-et-Loire. Ou encore un charron qui travaille à huit
endroits différents en deux ans dans le Maine-et-Loire et les Deux Sèvres 1456 .
1454
Une trentaine avait été délivrée l’année précédente.
1455
234 livrets.
1456
ADV M4.51.Livrets ouvriers (1845-1889).
314

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Tableau 8 : nombre de livrets ouvriers distribués dans les départements des
Deux-Sèvres et de Vendée pour l’année 1882 :
Professions
Nb. de livrets délivrés
Deux-Sèvres Vendée
Professions
Nb. de livrets délivrés
Deux-Sèvres Vendée
Arquebusier - 1 Maçon 5 41
Ajusteur - 2 Manoeuvre - 24
Bijoutier 2 Maréchal 8 8
Boulanger 21 32 Mécanicien 3 7
Boucher - 8 Menuisier 21 35
Bourrelier 2 8 Mineur 1 4
Brossier 9 - Mouleur 5 -
Carrier - 6 Papetier - 6
Carrossier 3 - Pâtissier 4 1
Chaisier 5 - Peintre 7 8
Chapelier 4 7 Plâtrier 4 8
Charcutier - 3 Perruquier - 6
Charpentier 10 14 Ponceur 2
Charron 12 9 Potier - 1
Chaudronnier 2 6 Raffineur - 1
Coiffeur 6 - Relieur - 3
Cloutier 2 4 Rémouleur - 1
Compositeur - 4 Sabotier 10 9
Cordier - 4 Scieur de long 9 2
Cordonnier 16 21 sculpteur 1 -
Corroyeur 2 3 Sellier 4 1
Coutelier - 1 serrurier 13 12
Couvreur 2 4 Tailleurs d’habits 3 11
Crinier 1 Tanneur 2 9
Débourreur - 1 Tapissier - 2
Etameur - 2 Tailleur de pierre 15 7
Fabricant d’eau de seltz - 1 Teinturier 3
Frappeur - 1 Tisserand 4 20
Fileur de coton - 3 Tonnelier 6
Ferblantier 8 9 Tourneur/ajusteur 2 3
Forgeron 11 22 Tuilier - 2
Gantier 14 (dont 11
gantières)
- Typographe 10 2
Horloger 3 3 Terrassier - 80
Imprimeur 2 4 Inconnue 2 -
TOTAL 281 497
Sources : ADDS 11M.19.1. Artisans, employés, ouvriers et apprentis : listes, états, livrets, contrats, correspondance et
ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888].
La mobilité ouvrière ne peut qu’inquiéter l’autorité publique, en particulier durant un second
Empire suspicieux où l’opposant est sensé être omniprésent.
Ce rôle de surveillance du monde ouvrier est le plus souvent dévolu aux commissaires
de police des villes importantes. Néanmoins cette institution n’est pas présente partout, en
particulier dans les « campagnes industrielles » comme c’est le cas dans le rayon choletais ou
dans le bassin houiller du bas Poitou. C’est alors qu’un autre acteur intervient grâce à la
315

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
mobilité inhérente à sa fonction. Il s’agit du commissaire spécial des chemins de fer, un agent
précieux de surveillance au service de l’Etat.
3. Le rôle des commissaires spéciaux des chemins de fer
A côté des commissaires de police des villes importantes, les commissaires spéciaux
sont un des principaux représentants de l’autorité publique ayant affaire avec le monde
ouvrier. Leurs attributions multiples et leur mobilité leur font croiser régulièrement la route
des travailleurs que ce soit en matière de surveillance spécifiquement politique ou bien encore
dans leurs missions de maintien de l’ordre sur les chantiers de chemin de fer ou durant les
grèves. Ils représentent sur place les yeux et les oreilles de l’Etat.
Les commissaires spéciaux de la police des chemins de fer apparaissent avec les
travaux de constructions ferroviaires qui fleurissent sur le sol français à partir du milieu du
XIX e siècle. Durant cette première période, les commissaires de surveillance des chemins de
fer sont nommés par le ministre des Travaux publics et exercent leur fonction sous les ordres
des ingénieurs. Ces officiers de police judiciaire sont chargés de constater les crimes et délits
commis sur les chantiers, ce qui les place également sous l’autorité des procureurs de la
République 1457 . Un décret du 22 février 1855 va généraliser et développer l’institution. Ce
texte crée le corps des commissaires spéciaux de la police des chemins de fer, des postes
frontières et des ports. Napoléon III veut disposer de moyens accrus en matière de contrôle et
d’information politique afin de lutter au mieux contre ses opposants.
Ce corps de surveillance politique, issu d’un régime autoritaire, va survivre à son créateur. La
III e République ne va pas hésiter à profiter de cet instrument privilégié de renseignement et de
répression.
Ces agents dépendent du ministère de l’Intérieur qui paie leur rétribution et reçoit
directement leurs rapports, dont une copie est adressée au préfet du département où ils sont
affectés. Non attachés à une localité, leur territoire administratif correspond dans un premier
temps aux lignes de chemin de fer auxquelles ils sont affectés, ce qui les rend compétent dans
plusieurs départements à la fois. En 1888, le commissaire spécial de Poitiers possède une
circonscription regroupant trois départements dont la Haute-Vienne. Cependant un décret du
1457 Loi du 27 février 1850, Voir le Recueil des lois et ordonnances du ministère des Travaux publics (1848-
1851).
316

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
23 décembre 1893 va modifier cela en leur octroyant une compétence de police judiciaire
relative à l’ensemble du département de leur résidence administrative. Notons tout de même
que le commissaire spécial de Poitiers conserve longtemps un champ d’action qui dépasse les
limites du département de la Vienne puisqu’en 1901 il se fait rembourser des frais de
déplacement à Parthenay et à Angoulême 1458 .
Cette mobilité renforce leur efficacité et développe les antagonismes avec une police
municipale beaucoup moins libre et souvent débordée par ses tâches quotidienne de maintien
de l’ordre. De même les préfets se méfient des ces agents agissant à ses ordres mais
dépendant entièrement de leur ministère de tutelle. Toutefois leur efficacité incontestable en
font un allié et un serviteur de poids du corps préfectoral.
Dans la région, c’est à Poitiers que le premier poste de ce type est créé en 1861.
Toutefois cette création est éphémère puisque quatre ans après l’emploi est supprimé. Il faut
attendre 1874 pour qu’un commissaire spécial s’établisse définitivement dans le chef-lieu du
département de la Vienne 1459 .
Avec la République les commissariats spéciaux vont se multiplier sans perdurer à
Châtellerault, Mont-sur-Guesne 1460 ou bien Civray 1461 . A Poitiers le commissaire spécial va
même être secondé par un adjoint pendant quelque temps. Un poste de commissaire spécial
est crée bien plus tardivement en Vendée. Un commissaire spécial des chemins de fer s’établit
à La Roche-sur-Yon aux alentours de 1893. Quant aux Deux-Sèvres, on ne trouve pas trace
d’un tel agent. En 1896, lors de la grève des mineurs de Saint-Laurs, le préfet du département
demande à son homologue de Vendée de lui envoyer le commissaire qu’il a sous ses ordres.
En cas d’impossibilité il évoque la possibilité d’en appeler un directement de Paris 1462 . De
même en 1901, c’est le commissaire spécial de la Vienne qui se déplace à Parthenay et non un
éventuel agent posté à Niort.
1458 MATHIEU (Maurice), Le rôle politique des commissaires spéciaux de la police des chemins de fer dans la
Vienne entre 1874 et 1914, Maintien de l’ordre et police en France et en Europe au XIX e siècle, société
d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIX e siècle, Paris, 1987, p.163, note 14.
1459 Treize commissaires spéciaux se succèdent à Poitiers de 1874 à 1914.
1460 Le commissaire affecté à la surveillance de la voie ferrée Châtellerault-Loudun gêne par trop l’action du
« potentat » local, le député bonapartiste Soubeyran, qui obtient la suppression de ce poste.
1461 Un commissaire spécial est installé provisoirement à Civray pour préparer les élections de 1898 afin de faire
barrage aux partis d’oppositions bien implantés dans l’arrondissement, Ibid.
1462 Télégramme du préfet des Deux-Sèvres au préfet de la Vendée du 25 janvier 1896, ADDS 11M19.13.A.
Conflits et grèves [1836 ; 1899].
317

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
La route des commissaires spéciaux est amenée à croiser souvent celle des travailleurs.
C’est le cas bien entendu sur les chantiers de chemin de fer sur lesquels ils doivent assurer le
maintien de l’ordre, exercer les compétences en matière de police judiciaire, distribuer les
cartes d’embauche et assister aux paiements hebdomadaires. Plus tard, avec l’élargissement
de leurs domaines de compétence, les agents spéciaux vont côtoyer le monde ouvrier, en
particulier dans l’exercice de deux types de missions : la surveillance des milieux socialistes
et l’activité de renseignement pendant les mouvements de grève.
L’étude des déplacements des commissaires spéciaux dans le département de la
Vienne montre que la ville de Châtellerault est leur principale destination. La manufacture
d’armes fait l’objet de toutes les attentions. On y appréhende la présence d’espions comme
l’indique le préfet Cleiftie 1463 en 1888 1464 . Puis c’est la crainte des débordements socialistes
qui amène le commissaire à s’y rendre régulièrement – parfois toutes les semaines – pour
suppléer une police municipale numériquement faible. En 1904, près d’un tiers de ses
déplacements sont consacrés à la cité du nord de la Vienne. On estime même nécessaire d’y
établir un commissariat spécial à demeure tellement la surveillance de la ville paraît
indispensable 1465 : « la surveillance de la classe ouvrière châtelleraudaise est toujours, peu
ou prou, l’une des tâches prioritaires du commissaire de Poitiers 1466 ». De même, le
commissaire spécial de La Roche-sur-Yon se rend régulièrement à Faymoreau pour s’enquérir
de l’état d’esprit des mineurs du crû 1467 .
La surveillance des milieux socialistes et ouvriers passent également par l’entretien
d’indicateurs et d’agents secrets rémunérés officiellement par le ministère de l’Intérieur. La
plupart du temps ce sont des « agents dormants » auxquels on fait appel au coup par coup.
Quelques-uns d’entre eux ont pénétré à la manufacture de Châtellerault sans que l’on puisse
connaître leurs identités. En septembre 1892, le sous-préfet demande l’envoi dans le faubourg
1463
Georges Cleiftie est préfet de la Vienne du 21 juin 1884 au 16 mai 1891, date où il est nommé au même
poste en Loire-Inférieure où il dispose de nombreuses attaches. Auparavant il a été préfet de la Charente et des
Côtes-du-Nord. Il finit sa carrière dans les Bouches-du-Rhône avant de devenir receveur percepteur du deuxième
arrondissement de Paris en 1899. Cf. PELCRAN (Anne), op. cit., p.768.
1464
Lettre du préfet de la Vienne Cleiftie au ministère de l’Intérieur demandant le maintien du commissaire
spécial dans le département, ADV M4.82. Correspondances du préfet (1888).
1465
Cette installation n’est que temporaire, le sous-préfet estimant peu utile cette présence. Peut-être n’aimait-il
pas la concurrence que lui faisait l’agent direct du ministère de l’Intérieur ?
1466
MATHIEU (Maurice), Le rôle politique des commissaires spéciaux de la police des chemins de fer dans la
Vienne entre 1874 et 1914, op. cit., p.157-158.
1467
ADVd 4M194. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires sociales. Rapports. Correspondance.
Coupure de presse. Surveillance des syndicats professionnels (1893-1914).
318

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
de Châteauneuf d’un agent de la sûreté pour exercer une surveillance active sur les
agissements et les propos des meneurs socialistes 1468 .
A Faymoreau, au début du XIX e siècle, le cabaretier local, un certain Robin, ne doit
pas être étranger aux informations fournies au commissaire pendant les grèves 1469 . En 1901,
un membre de la Société de secours mutuel joue également ce rôle durant la grève de mai
1901. Ce dernier informe l’agent étatique des votes des grévistes. Il termine son courrier en ne
manquant pas de lui réitérer « son dévouement et sa totale coopération 1470 ».
Dans l’affaire de la Société secrète de la Chaume aux Sables-d’Olonne c’est un
tenancier d’une maison de prostitution qui avertit les autorités sur les activités suspectes des
ferblantiers du port 1471 . Dans cette même affaire un expérimenté agent secret parisien est
dépêché sur place pour infiltrer le groupuscule soupçonné de sédition 1472 .
C’est pendant les grèves que les agents spéciaux se retrouvent en première ligne, en
particulier dans les mouvements sociaux survenants en dehors des grandes villes, où les
commissaires de police sont compétents (même s’il arrive qu’ils se fassent concurrence
comme c’est le cas parfois aux Sables-d’olonne). Ils sont les organes sensoriels du corps
étatique dans les campagnes. Leurs rapports sont journaliers, parfois très longs, et de leurs
opinions dépendent souvent les mesures prises sur place par l’autorité publique. Le préfet
s’enquiert auprès d’eux pour savoir s’ils doivent se déplacer et l’effet que produire sa
présence 1473 . Ce sont eux qui sont à Faymoreau, à Saint-Laurs, parmi les maçons de Luçon,
les sardinières sablaises ou bien encore chez les tisserands du rayon choletais. Cette dernière
destination fait partie de la tournée départementale d’inspection de 1894 qu’impose le préfet
au commissaire spécial de La Roche-sur-Yon, qui semble fraîchement débarqué sur place.
Celui-ci doit se rendre à Luçon, Nalliers et dans les communes environnantes pour rechercher
l’existence d’éventuelles relations que peuvent y entretenir des anarchistes. Il doit en outre
surveiller les capucins de Fontenay, organiser le service de gare de La Roche-sur-Yon et y
contrôler les jeux clandestins, surveiller les cercles catholiques de La Roche-sur-Yon et
Fontenay-le-Comte et se rendre à Mortagne-sur-Sèvre, Saint-Laurent-sur-Sèvres et
Tiffauges « où il existe une population ouvrière et des syndicats affiliés à l’association
1468
Lettre du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 29 septembre 1892, ADV M4.84.
Correspondances du préfet ; voyage de Sadi Carnot et d’une escadre russe (1892-1893).
1469
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
1470
Courrier du 5 mai 1901, Ibid.
1471
AN BB30/417. Affaire de la Marianne.
1472
Voir infra p.361 et s.
1473
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
319

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
ouvrière de Cholet [et y ] rechercher si l’agitation socialiste gagne ces agglomérations qui lui
sont demeurées jusqu’ici étrangères » 1474 .
Toutefois le zèle de ces agents n’est pas toujours absolu, en particulier à propos des
grèves de faible ampleur ou de courte durée. Les dossiers d’archives remplis uniquement de
coupures de presses l’attestent. Les renseignements ne sont pas toujours de première main. En
1904, lors de la grève du secteur textile de Mortagne, le commissaire ne se déplace pas et
demande au juge de paix de faire son travail, c'est-à-dire de répondre à un questionnaire que
le préfet lui avait transmis auparavant 1475 . Les agents se contentent souvent de récolter
suffisamment d’informations de seconde main afin de pouvoir dresser un rapport pour
satisfaire le ministère et son département de la sûreté générale.
Si la mobilité des travailleurs industriels et artisanaux constitue un des premiers
problèmes auxquels est confrontée l’autorité publique, certaines localités ouvrière ou
sensibles aux idées progressistes inquiètent également et régulièrement les institutions
chargées du maintien de l’ordre.
b) Les villes ouvrières à risques
Les populations ouvrières de certains bourgs ou de certaines villes ne manquent pas
d’attirer l’attention des autorités. Au premier chef d’entre elles il y a Châtellerault, seul
véritable bastion ouvrier de la région.
1. Châtellerault
L’implantation d’une manufacture d’armes de guerres explique évidemment la
surveillance particulière dont fait l’objet la ville de Châtellerault. Cette activité sensible
hautement stratégique accroît la méfiance des autorités envers la masse des travailleurs
rassemblés dans la localité. Quel que soit le régime en place, on s’inquiète de la réaction de la
population en cas de troubles politiques ou révolutionnaires qui pourraient survenir dans le
1474 Instructions du préfet de Vendée au commissaire spécial de La Roche-sur-Yon du 13 février 1894, ADVd
4M156. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Instructions du préfet (1894-1916).
1475 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
320

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
pays 1476 . En 1852, le préfet de la Vienne, Jeannin 1477 , se félicite de l’absence de manifestation
de la classe ouvrière de Châtellerault le 2 décembre lors de la proclamation de l’Empire alors
que cette population « aux mauvais sentiments » est « l’épouvantail » du reste du
département 1478 .
En 1850, le sous-préfet de l’arrondissement dépeint la ville comme un foyer d’insurrection.
« J’ai déjà eu l’honneur monsieur le Préfet, de vous signaler comme
un élément très sérieux de désordre la présence à Châtellerault de
cette grande quantité d’ouvriers qui travaillent à la manufacture
d’armes. La majeure partie de ces ouvriers, je le dis avec la plus
profonde conviction, attendent avec impatience peut être le moment de
réaliser les espérances perverses qu’on a fait naître et qu’on entretient
dans leurs esprits. Le jour, il ne faut pas se le dissimuler, où le
gouvernement sera obligé de lutter dans la capitale ou dans quelques
villes importantes de province contre une insurrection ayant chance
de succès, les ouvriers de la manufacture se lèveraient en masse et
l’émeute de Châtellerault serait imminente. L’autorité serait-elle en
mesure d’opposer une résistance profitable ? La réponse à cette
question doit être complètement négative. Les forces que l’autorité a à
sa disposition consistent dans quelques brigades de gendarmeries et
une compagnie de fantassins 1479 .»
Car ici les armes sont à portée de la main 1480 . Le sous-préfet n’a aucune confiance dans la
garde nationale de la ville et demande l’augmentation des effectifs de la garnison locale. C’est
là un type de doléance que l’on retrouve quelles que soient les époques et qui traduit bien la
méfiance des autorités vis à vis des habitants de la ville. En 1871, le ministre de l’Intérieur
s’inquiète auprès du préfet de la Vienne du faible nombre de soldats présents dans la ville par
1476
En 1851, le ministre de l’Intérieur exprime cette crainte : « Je n’hésite pas à dire que si des désordres
sérieux éclataient avec quelques chances de succès sur d’autres points de la France, nous aurions certainement
à Châtellerault de sérieux embarras », ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851).
1477
Louis Jeanin (1812-1902). Cet ancien avocat et auditeur au Conseil d’Etat est préfet de la Vienne du 11 mai
1850 au 4 mars 1853 où il est nommé dans l’Orne. Il finit sa carrière comme conseiller d’Etat. Cf. PELCRAN
(Anne), op. cit., p.753.
1478
Rapport du 4 décembre 1852 du préfet au ministre de l’Intérieur, ADV M4.63. Correspondances du préfet,
voyage du président de la République à Poitiers, surveillance des opposants (octobre /décembre 1852).
1479
Rapport sur l’état matériel, moral et politique des arrondissements de la Vienne du 14 février 1850, ADV
M4.58. Correspondances du préfet (1850).
1480
Les couteliers de Châtellerault sont aussi surveillés. On les soupçonne plusieurs fois (en 1834 et 1842) de
fabriquer des couteaux poignards interdits et de les vendre librement. Cf. ADV M4.42 : Circulaires et
correspondances du préfet (1832-1834) & ADV M4.48. Correspondances du préfet (1841-1842).
321

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
rapport « à sa population ouvrière considérable 1481 ». En 1893, le sous-préfet de
l’arrondissement évoque une trentaine d’individus, qualifiés de socialistes révolutionnaires,
susceptibles de « tenter le coup de main sur la manufacture 1482 » si un propagandiste habile
parvenait en ville.
Mais déjà bien avant, lors des évènements de 1830, alors que la manufacture n’en est
qu’à ses débuts et n’emploie qu’une grosse soixantaine d’ouvriers, le commandant de la
gendarmerie royale parle d’une cité où règne « un peu de fermentation » et y envoie 80
chasseurs 1483 . En 1846, le préfet ajoute une compagnie d’infanterie à la garnison de la ville
sur demande du maire. Deux ans plus tard, quelques semaines après les journées de février
1848, le directeur de la manufacture d’armes de Châtellerault doit lui-même intervenir auprès
du préfet pour nier les rumeurs qui font état de troubles parmi les employés de l’établissement
d’Etat 1484 .
En 1851, cette inquiétude quant au nombre de soldats présents dans la ville est d’autant plus
grande que la troupe présente sur place a pour unique mission de défendre la manufacture en
cas de troubles ou d’émeute dans la ville qui se verrait ainsi livrée à elle-même 1485 , alors
qu’elle serait, selon le sous-préfet, le « foyer des principes les plus subversifs et des passions
politiques les plus dangereuses 1486 ». Un ordre confirmé quelques temps plus tard par le
général comandant Tampoure 1487 . Ce qui n’empêche pas le préfet de la Vienne d’envoyer à
Châtellerault, là où « la démagogie est si puissante », deux compagnies d’infanterie et un
escadron de cavalerie supplémentaires aux 150 hommes déjà sur place 1488 .
Cette crainte d’une population laborieuse agglomérée ne se traduit pas uniquement par
des demandes d’hommes en armes, on réclame aussi plus de moyens et de personnes pour
exercer une meilleure surveillance. En 1892 le sous-préfet de Châtellerault se plaint de ne
disposer en ville que d’un commissaire, quatre agents et un garde champêtre pour une ville
ouvrière disposant de 300 débits de boisson, douze bals publics, trois cafés concerts, neuf
hôtels, treize auberges et deux gares. Il affirme que la municipalité est mal renseignée et
1481
ADV M4.80. Correspondances du préfet (1871-1881).
1482
Courrier du sous-préfet au préfet de la Vienne en date du 25 novembre 1893, ADV M4.84. Correspondances
du préfet ; voyage de Sadi Carnot et d’une escadre russe (1892-1893).
1483
Lettre du capitaine commandant de la gendarmerie royale au ministre de l’Intérieur du 31 juillet 1830, ADV
M4.41. Correspondances du préfet (1830-1831).
1484
ADV M4.54. Correspondances du préfet (1848).
1485
Seuls dix gendarmes (cinq à pieds et cinq à cheval) seraient disponibles pour défendre la ville.
1486
Rapport du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 27 octobre 1851, ADV M4.60.
Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851).
1487
ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851).
1488
Courier du préfet de la Vienne au ministre de l’Intérieur du 6 décembre 1851, Ibid.
322

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
qu’elle fait preuve de négligence, en grande partie par la faute des neufs conseillers
municipaux socialistes. C’est pourquoi il demande deux choses. Tout d’abord l’envoi d’un
agent de sûreté dans le faubourg de Châteauneuf afin d’exercer une surveillance active sur les
agissements et les propos des meneurs socialistes et ensuite le remplacement du commissaire
central actuel par un homme plus jeune et plus dynamique. Le sous préfet estime que la
situation de Châtellerault est exceptionnelle et qu’elle nécessite un homme d’exception pour y
faire face 1489 . Ces doléances se font l’écho d’une requête du député Nivert réclamant la
création dans la ville d’un commissariat spécial, vœu qui ne sera pas exaucé.
On craint l’infiltration de personnes hostiles au régime à la manufacture, sous la
seconde République mais surtout dans la grande période quasi-paranoïaque des premières
années du second Empire.
En février 1849 le ministre de la Guerre décide de déplacer cinq ouvriers dont
l’influence auprès de leurs camarades est jugée néfaste 1490 . Une décision suscitant
l’opposition de la municipalité qui réclame la réintégration d’un des ouvriers écartés afin de
calmer les esprits. Le sous-préfet ne partage cet avais estimant que la personne concernée n’a
pas eu une attitude de repenti en continuant à assister à des banquets. Le représentant de l’Etat
dans l’arrondissement estime qu’il faut faire un exemple et qu’une amnistie ne ferait que
renforcer l’agitation 1491 .
Un an plus tard, c’est au tour de deux autres ouvriers de la manufacture d’être
transférés pour raisons disciplinaires dans les manufactures d’armes de Mutzig et de Saint-
Étienne. Mais faute d’argent, ils ne peuvent pas se rendre à ces nouvelles affectations et ils
errent, désoeuvrés, à Châtellerault, l’autorité administrative refusant de les réintégrer 1492 .
Début 1852, le sous-préfet de Châtellerault a dressé une liste des individus considérés
comme « démagogues » devant être transportés, expulsés ou temporairement éloignés de
France. On y dénombre 79 personnes dont 30 ouvriers en grande majorité issus de la
manufacture 1493 .
1489 Lettre du sous préfet de Châtellerault du 29 septembre 1892, ADV M4.84. Correspondances du préfet ;
voyage de Sadi Carnot et d’une escadre russe (1892-1893).
1490 ADV M4.56. Correspondances du préfet (premier semestre 1849).
1491 ADV M4.57. Correspondances du préfet (second semestre 1849).
1492 ADV M4.58. Correspondances du préfet (1850).
1493 ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851).
323

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Tableau 9 : liste des ouvriers de la manufacture d’armes de Châtellerault à
éloigner de la ville en janvier 1852 :
NOM PROFESSION OBSERVATION
Ayrinhac Antoine Fabricant de poignets Président de la société de Prévoyance
Cerisier Victor Maître platineur -
Decortis Jean Platineur garnisseur Belge
Hermann Gilles Platineur Belge
Joly Florentin Maître garnisseur -
Lunot Pierre Maître garnisseur -
Manne Thomas Philippe Monteur de fusil -
Mackard Jean Thomas Maître baguettier Belge
Massin Jean Baptiste Joseph Platineur Belge
Martinet Auguste Maître d’usine -
Orval (père) Jean Contrôleur réviseur Belge
Orval Henri Joseph Antoine Maître garnisseur Belge
Pernet François Monteur de fusil -
Girard Antoine Forgeur de canon Belge
Raoud (père) Louis joseph Maître canonnier -
Roy Adolphe Maître canonnier -
Rousseau Honoré Garnisseur -
Schneider (père) Jacques Chef d’atelier -
Schneider (fils) Gustave Compagnon platineur -
Turaban Fougère Monteur de fusil -
Source : ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvier-septembre 1852).
Un sous-préfet extrêmement zélé regrette de n’avoir pas pu pousser d’avantage la répression.
Il déplore de n’avoir dû choisir que « les démagogues de la pire espèce » sans pouvoir
« porter la foudre trop profondément dans le bourbier châtelleraudais ». Pour lui au moins la
moitié de la population de la ville devrait être sur la liste ! 1494 Finalement, le préfet ne va pas
aussi loin que le souhaite son subalterne. Il décide d’expulser seulement les ouvriers belges
figurant sur la liste. A ces six s’ajoute un septième (un certain Lambert Haroux, ouvrier en
rasoirs) déjà exclu de la « manu » deux ans plus tôt pour avoir commis des « actes
démagogiques », tels que l’on nomme à l’époque les procédés d’opposition au régime. Il
aurait mis en péril la vie des entrepreneurs de l’établissement et continuerait depuis son œuvre
de démoralisation des ouvriers. Toutes ces personnes seraient aux ordres des chefs de la
fraction démagogique locale 1495 et prôneraient des propos insurrectionnels.
Mais l’affaire n’en reste pas là. Une levée de bouclier importante a lieu pour défendre
les ouvriers dont l’expulsion a été confirmée. Le platineur Massin est défendu de toutes parts
après avoir lui-même reconnu ses fautes passées. Le curé de Châtellerault, l’entrepreneur de la
1494 Courrier du sous préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 18 janvier 1852, Ibid.
1495 Le sous-préfet cite comme chefs « démagogiques » les sieurs Pleignard, Lespinnière et Fradin.
324

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
manufacture d’arme, Jules Creuzé 1496 , et même le vicaire de Montierneuf à Poitiers sollicitent
la clémence préfectorale. Plus tard, Eugène Delavau de La Massone, maire de Châtellerault,
prend la défense des ouvriers belges en s’offusquant de n’avoir pas été averti des intentions
préfectorales. Ignoré le premier magistrat de la ville menace de démissionner.
Toutes ces réactions finissent par porter leurs fruits puisque le ministère de la Police Générale
annule l’arrêté d’expulsion le 14 juin 1852. La préfecture a cédé, peut être pour ne pas
définitivement s’aliéner la population. Quelle que soit la raison, cette décision ne manque pas
de réjouir le paternel maire de la ville dans une lettre pleine d’emphase.
Courrier du maire de Châtellerault au préfet de la Vienne
du 16 juin 1852 1497 :
« Mille fois merci d’avoir bien voulu m’annoncer le retour
de mes pauvres ouvriers belges. Soyez assuré que vous n’aurez pas à
vous repentir d’avoir provoqué cet acte de clémence, et que s’il en
est parmi eux à qui l’on puisse reprocher leur conduite passée, ils se
montreront dignes de la faveur que vous leur avez fait obtenir.
Je regrette, monsieur le préfet, que vous ne soyez pas témoin
des larmes de bonheur que votre lettre a fait répandre et vous ne
puissiez entendre dans quels termes, les six familles expriment vis-à-
vis de vous, l’épanchement de leur reconnaissance ; vous seriez
heureux de juger par vous même que vous n’avez pas obligé des
cœurs ingrats ».
La méfiance ressentie à l’encontre des ouvriers étrangers ne concerne pas uniquement
les belges. Certains ouvriers armuriers sont fichés comme « de dangereux orateurs de
cabaret 1498 ». En 1872, les alsaciens 1499 eux aussi sont dépeints comme des fauteurs de
troubles que les sanctions policières n’effraient pas 1500 . Peut-être voit-on en eux des étrangers
1496 Il est également conseiller municipal et juge au tribunal de commerce. Massin n’est pas le seul ouvrier belge
que défend Creuzé. Le sous-préfet ne manque pas de mettre en garde son supérieur à l’encontre de cet homme
jugé peu digne de confiance car ayant toujours refusé de fournir à l’administration les renseignements demandés
en prétextant que une incompatibilité avec sa fonction d’entrepreneur.
1497 ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvier-septembre 1852).
1498 ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859).
1499 Lors du recensement de 1871 on comptabilise 222 alsaciens, soit la communauté non originaire du
département la plus importante de la ville. On compte aussi une cinquantaine de personnes venues d’Indre et
d’Indre-et-Loire et quelques dizaines d’individus issus des Ardennes, du Nord, de Corrèze et de Belgique, cf.
HEMERY (Yvonne), op. cit.
1500 Rapport trimestriel de police concernant l’état politique, agricole et industriel de Châtellerault, ADV M4.80.
Correspondances du préfet (1871-1881).
325

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
depuis la défaite de Sedan et la perte de l’Alsace et de la Lorraine. D’ailleurs peu de temps
après, quelques-uns d’entre eux répondront positivement et clandestinement à un avis « anti-
patriotique » leur proposant de rejoindre la manufacture d’armes blanches de Klingenthal 1501 .
Plus tard, une fois la III e République bien installée, l’opinion politique des armuriers
de la « manu » est encore évoquée dans des cas de licenciement. C’est le cas en octobre 1889
où, selon le journal L’Avant Garde, l’ouvrier Louis Mark se voit reprocher ses opinions
qualifiées de républicaines 1502 par un contrôleur de la manufacture d’Etat. Le sous-préfet ne
s’en émeut guère estimant qu’un établissement employant près de 5000 personnes nécessite
qu’on y impose de la discipline. Il ajoute que cet ouvrier aurait prétexté une maladie pour
accompagner un candidat socialiste en campagne. Un mensonge qui suffit à justifier sa mise à
l’écart comme l’ont été déjà des ouvriers boulangistes dans des cas semblables 1503 .
En plus de leurs activités politiques, les autorités se méfient des relations houleuses
qui existent entre ouvriers et militaires présents à la manufacture. De temps à autre des
altercations les opposent, les insultes fusent 1504 et quelques fois des coups pleuvent 1505 .
Si l’autorité publique se méfie des individus employés dans les ateliers de la
manufacture d’armes, elle craint également les périodes de faible activité de l’établissement
d’Etat pendant lesquelles ils n’ont plus d’ouvrage. En effet, la région de Châtellerault, à la
différence de Saint-Étienne, ne dispose pas d’un volume d’activité industrielle suffisant pour
employer les ouvriers perdant leur travail à la manufacture. Cette situation est aggravée par la
spécialisation importante des employés de la « manu ». Le sous-préfet s’en inquiète déjà en
1858 : « Les ouvriers exclusivement voués à la fabrication de certaines pièces dans lesquelles
ils excellent sont complètement dépourvus d’une habileté suffisante pour s’adonner à d’autres
industries en temps de chômage 1506 ». A Saint-Étienne, au contraire, les ouvriers possèdent
leur petite forge qui leur permet de faire face aux périodes chômées.
A Châtellerault ces ouvriers constituent une masse de chômeurs difficile à maîtriser,
pouvant constituer un vivier aux idées révolutionnaires ou socialistes, comme l’explique le
sous-préfet de Châtellerault en juillet 1871 : « Tant que le travail sera maintenu et assuré à
Châtellerault, aucun trouble, aucun désordre, aucune atteinte à l’autorité ne sera à
1501 Rapport de gendarmerie du 9 novembre 1872, Ibid.
1502 Il semble que le contrôleur amalgame républicains et socialistes.
1503 ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891), lettre du ministère de l’Intérieur au préfet de la Vienne
du 29 octobre 1889 et réponse du sous-préfet de Châtellerault du 10 novembre 1889.
1504 ADV M4.65. Correspondances du préfet (1853).
1505 ADV M4.81. Correspondances du préfet [1882-1887].
1506 Rapport du sous-préfet de Châtellerault sur la situation de la manufacture d’armes du 15 décembre 1858, AN
F/12 4.476D cité par DUVEAU (Georges), op. cit., p.252.
326

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
redouter 1507 ». Pourtant cette crainte apparaît dès les premières années de la manufacture. En
1831, le conseil municipal demande au ministre de la Guerre de passer commande d’armes à
feu afin de procurer du travail aux couteliers locaux qui en manquent cruellement. Le
ministère répond positivement : « Je vois avec plaisir que cette ville industrieuse doit trouver
dans cette décision de M. le ministre de la Guerre les moyens d’alimenter les travaux d’une
partie intéressante de sa population 1508 ». Châtellerault n’apparaît pas encore aux yeux des
autorités comme un possible foyer insurrectionnel à la population instable. La ville ne compte
encore que de simples artisans couteliers.
Au fil du temps l’augmentation considérable des effectifs de la manufacture décuple
chez les autorités la crainte d’un éventuel chômage massif en cas de baisse d’activité. En 1886
le sous-préfet redoute la baisse d’activité industrielle qui peut être un terreau idéal aux idées
socialistes : « les meneurs socialistes croient, avec raison, qu’il y a quelque chose à tenter
dans la population ouvrière de Châtellerault, très nombreuse et très mécontente. La cause
principale de ce mécontentement […] est la diminution du travail à la manufacture nationale
d’armes ; […] nombres d’ouvriers qui avaient afflué des environs pendant les années
d’excessives productions ont été remerciés 1509 ». Un sentiment renforcé, selon lui, par les
opinions fort peu républicaines de la direction et des contrôleurs qui exacerbent les tensions
internes et externes à « la manu ». Pourtant le sous-préfet cherche à atténuer les tensions en
demandant à cette direction conservatrice d’embaucher plus d’ouvriers, mais la requête est
refusée par le directeur. Seuls les ouvriers spécialisés, ceux habitant depuis six mois dans la
ville et les militaires libérés de leur service peuvent alors être susceptibles d’y trouver du
travail 1510 .
Mais c’est en 1895 que le chômage touche massivement la manufacture et inquiète au
plus haut point les autorités publiques. La commande russe de fusils est terminée et aucune
autre ne suit. Cinq mille postes sur six mille sont menacés ! Le sous-préfet s’en émeut dès
février 1894. Il craint que se crée en ville une masse de chômeurs composée des ouvriers
locaux et des centaines de personnes venues d’autres villes 1511 . Ces travailleurs sont
difficilement rapatriables dans leurs foyers d’origine car là aussi le travail manque. Pour
atténuer le choc, la direction décide de ralentir graduellement la production et d’échelonner
dans le temps les licenciements. Une indemnité de 250 francs est prévue pour les ouvriers
1507
Rapport trimestriel du sous-préfet de Châtellerault du 12 juillet 1871, Ibid.
1508
ADV M12.22. Situation industrielle du département.
1509
Rapport du sous-préfet de Châtellerault sur les activités socialiste de l’arrondissement du 30 mars 1886, ADV
M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891.)
1510
Lettre du sous-préfet de Châtellerault du 12 novembre 1889, Ibid.
1511
Seuls les ouvriers venus de la campagne environnante pourront y trouver facilement du travail.
327

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
licenciés ayant assuré 25 années de service. La mesure est critiquée par L’Eclaireur de la
Vienne. Selon lui, cette disposition est source de tensions entre travailleurs. Il cite en exemple
ce qui s’est déjà passé à Bourges et à Saint-Étienne 1512 . Finalement 4500 personnes vont être
licenciées dont une part non négligeable va constituer une population indigente et instable que
la police surveille avec attention.
Un troisième facteur trouble les pouvoirs publics qui doivent compter non seulement
avec une population majoritairement ouvrière, un établissement industriel à la production
hautement sensible mais aussi avec une municipalité qualifiée d’indisciplinée qui prend
souvent fait et cause pour la cause ouvrière.
Dès 1832, le maire accuse les fabricants locaux de ne pas faire preuve de
« philanthropie » dans les relations qu’ils entretiennent avec leurs employés 1513 . En 1867, le
ministre de l’Intérieur s’enquiert auprès du préfet de la Vienne, Arthur Tourangin, de cette
connivence municipale à propos d’un conflit opposant la direction de la manufacture et
certains de ses armuriers. Le préfet confirme cet état de fait tout en rassurant le ministre. Le
cas échéant il rappellera le maire, Alexandre Rivière, à une plus grande réserve, lui « dont les
tendances personnelles […] et le goût pour la popularité l’entraînent quelquefois un peu
loin 1514 ». Toutefois Tourangin préfère temporiser afin de ne pas aggraver inutilement les
tensions existantes entre l’autorité municipale et la direction de l’établissement industriel
d’Etat. Si l’autorité administrative se montre conciliante il n’en a pas toujours été de même,
en particulier dans les premières années du second Empire où le sous-préfet d’alors ne
manque pas une occasion de rappeler sa méfiance envers la municipalité. Ces tensions vont
continuer bien plus tard puisqu’en 1896 le sous-préfet fait part de l’existence de vives
tensions entre lui et le maire de la ville 1515 .
Comme la majorité des régimes qui se succèdent le craignent, Châtellerault est
sensible aux mouvements progressistes, libéraux et socialistes. L’autorité publique surveille
particulièrement ceux et celles qui s’en réclament dont, bien entendu, nombre d’ouvriers.
1512
ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de lIinstruction publique, mort de Sadi
Carnot ; mort d’Alexandre III (1894).
1513
Lettre du maire de Châtellerault du 8 septembre 1832, ADV M12.22. Situation industrielle du département.
1514
Lettre du préfet de la Vienne au ministre de l’Intérieur du 6 mars 1867, ADV M12.22. Situation industrielle
du département. Le ministère de la Guerre a peu apprécié l’intervention du maire de Châtellerault.
1515
Courrier du sous-préfet de l’arrondissement de Châtellerault au préfet de la Vienne du 14 juillet 1896, ADV
M4.86. Correspondances du préfet ; voyage du ministre du commerce ; passage de Félix Faure ; Voyage de
l’empereur Nicolas II (1895-1896).
328

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Néanmoins, rares sont les manifestations d’opinion qui troublent réellement l’ordre public.
Citons en août 1850 un rassemblement d’ouvriers où les bonnets rouges et autres symboles
« anarchistes » sont ostensiblement exhibés. Le préfet reproche au sous-préfet, comme à la
police leur passivité, ce qui sous-entend un désordre bien relatif 1516 . Mais surtout quelques
cris et propos séditieux vont troubler le banquet officiel donné en l’honneur de Louis-
Napoléon Bonaparte venu inauguré la ligne de chemin de fer Paris-Poitiers en juillet 1851. Un
ouvrier de la manufacture est suspecté d’en être à l’origine de ceux-ci 1517 .
En fait, à partir de 1870, l’administration préfectorale se borne le plus souvent à
surveiller les réunions publiques ou privées organisées par une mouvance socialiste qui tente
de se développer. Georges Limousin, l’instigateur du socialisme châtelleraudais, se
remémore en 1899 les premières heures du mouvement et la surveillance dont il faisait
l’objet : « Que de chemin parcouru depuis le 20 janvier 1881, où [à] quelques-uns, nous nous
réunissions dans une modeste chambre d’un ouvrier cordonnier et jetions les bases de
l’organisation socialiste, injuriés, diffamés, traqués de toutes part 1518 ».
En mars 1886, le parti socialiste de la ville compte 250 adhérents, mais, comme le
souligne le sous-préfet, cet effectif est susceptible d’augmenter fortement eu égard à la
situation difficile de la « manu » 1519 . En réalité ce nombre n’augmente guère puisque trois
années plus tard on comptabilise toujours autant d’adhérents chez les socialistes locaux, dont
on craint à nouveau l’envol numérique après les résultats des dernières élections 1520 .
En 1875, le sous-préfet de Châtellerault s’inquiète des conséquences de la loi du 6 juin
1868 relative au droit de réunion sur la population « inflammable » de la ville 1521 . Il estime
nécessaire d’appliquer strictement les sanctions prévues en cas d’infraction au texte législatif.
Mais avant tout il craint la véhémence de certains orateurs. C’est le cas lors du passage à
Châtellerault de Gambetta le 3 octobre 1873 1522 . Cette visite est fortement encadrée par
l’autorité publique. La distribution des journaux reproduisant les discours du tribun
républicain est aussi prohibée. Mais surtout on tient à ce que les ouvriers « ne fassent l’objet
d’aucune provocation » ; c’est pourquoi l’accès à la manufacture est interdit à Gambetta qui
1516 ADV M4.58. Correspondances du préfet (1850).
1517 On se serait écrié : « A bas le Président, vive la sociale ». La personne suspectée est un certain Augé à la fois
ouvrier à la manufacture et journaliste. L’incident cause la dissolution de la garde nationale de Châtellerault, cf.
GUILLON (André), MEUNIER (Paul), op. cit., p.17.
1518 L’Eclaireur de la Vienne du 9 juillet 1899.
1519 ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891).
1520 Ibid. Le sous-préfet estime que le nombre de socialistes pourrait passer de 250 à un millier, ce qui
correspond environ au nombre de voix que comptabilisait Krebs, le candidat socialiste de la ville, aux dernières
élections municipales.
1521 ADV M4.80. Correspondances du préfet (1871-1881).
1522 Ibid. et voir aussi COQ (Léonce), op. cit., pp.393-397.
329

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
pourtant rappelle ses anciennes fonctions de ministre de l’Intérieur et ministre de la Guerre
pendant « l’année terrible ». En outre le préfet menace de sanction tout maire ou adjoint « qui
assisterait à des réunions privées où des paroles ayant un caractère séditieux seraient
prononcées ». Ce bref séjour déçoit l’homme politique alors que l’administration se réjouit du
déroulement de la journée, « de l’absence d’enthousiasme, de la part d’une ville qui passe
pour enfermer des éléments républicains assez nombreux » et du « désappointement causé à
M. Gambetta ».
Au début XX e siècle, le mouvement socialiste développe son implantation à
Châtellerault, ce qui augmente l’activité ordinaire de surveillance du sous-préfet. Celui-ci
demande à son supérieur de modifier la fréquence de ses rapports en fonction de l’importance
de l’événement relaté : « Le mouvement socialiste ayant tendance à s’accentuer dans
l’arrondissement de Châtellerault et les manifestations de ce mouvement paraissant devoir
devenir plus fréquentes que par le passé, j’aurais l’honneur à l’avenir, si vous n’y voyez
aucun inconvénient, de vous adresser sur les faits d’ordre secondaire concernant ce
mouvement, des résumés hebdomadaires, me bornant à vous faire parvenir des rapports
particuliers et plus détaillés sur les incidents plus importants 1523 ».
Toutefois, cette surveillance n’est plus que politique. Le socialisme ne semble plus
mettre réellement en péril l’ordre public comme en témoigne la venue en ville d’Alexandre
Millerand le 23 mai 1897 1524 ou celle de Jean Jaurès en novembre 1899 qui n’a pas suscité de
grands émois chez les tenants de la force publique 1525 contrairement à la visite de Gambetta
26 ans plus tôt. Et pourtant 1200 personnes assistent au discours du chef de file socialiste 1526 .
La manufacture reste tout de même un foyer du socialisme qu’il est nécessaire de
garder à l’œil. En octobre 1899, une réunion regroupe 400 ouvriers de la manufacture tous
qualifiés de socialistes. Néanmoins, les propos qui y sont tenus n’ont rien de révolutionnaires.
On y vente seulement les bienfaits du syndicalisme pour la classe ouvrière. Près de 150
d’entre eux se syndiqueront et formeront Le syndicat des ouvriers et employés de la
manufacture d’armes 1527 . D’ailleurs la plupart des assemblées se caractérisent par le grand
calme de l’assistance composée la plupart du temps des quelques socialistes de la ville
auxquels s’ajoutent des républicains curieux et de jeunes gens pas encore en âge de voter.
1523
ADV M4.89. Correspondances du préfet (1899-1900).
1524
ADV M4.88. Correspondances du préfet (1897-1898).
1525
Si on excepte le refus de la municipalité de lui prêter la salle de théâtre pour sa conférence.
1526
ADV M4.89. Correspondances du préfet (1899-1900). Rapport du sous-préfet de Châtellerault du 26
novembre 1899.
1527
ADV M4.89. Correspondances du préfet (1899-1900). Rapport du sous-préfet de Châtellerault du 27 octobre
1899.
330

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Même les propos les plus radicaux comme ceux d’un conseiller municipal parisien venu en
1892 revendiquer pour la classe ouvrière « le droit au capital, à la matière et aux instruments
de travail » et dénonçant la propriété comme étant « le produit du vol et du
brigandage » n’enflamme guère les passions de l’auditoire. Le commissaire de police de la
ville s’en fait l’écho en constatant l’indifférence « aux idées émises par les apôtres du
collectivisme » 1528 .
Finalement, si Châtellerault focalise une grande part de l’attention des autorités, c’est
surtout par son caractère industriel atypique dans un département rural et plutôt conservateur
qu’à travers l’existence d’un danger réel de troubles à l’ordre public, les ouvriers de la
manufacture étant déjà très encadrés dans une manufacture d’Etat au régime particulier tout
imprégné de discipline militaire. C’est la spécificité de la ville qui inquiète.
Châtellerault est avant tout une ville républicaine sans être réellement un bastion
révolutionnaire. Le commissaire de police de la ville le constate en 1871 quand il écrit que
« l’élément républicain domine à Châtellerault […] mais c’est un élément républicain
essentiellement honnête et conservateur 1529 ».
Si la population ouvrière de Châtellerault capte prioritairement l’attention des
autorités, d’autres villes ont des populations laborieuses potentiellement turbulentes au
premier rang desquelles figurent les villes préfectures.
2. Les villes préfectures
L’autorité publique se méfie des populations ouvrières ou artisanales vivant dans les
faubourgs des chefs-lieux de département. On pressent la source possible de débordements
qui pourraient avoir de graves conséquences. Niort est particulièrement concernée du fait de
la présence d’une industrie du cuir autrefois conséquente et dont le déclin préoccupe
municipalité et préfecture. Poitiers, en tant que centre intellectuel et artisanal, a une
population laborieuse ouverte aux idées nouvelles dont se soucie le pouvoir en place. Seule
La Roche-sur-Yon suscite très peu l’inquiétude de l’administration : les forces conservatrices
et réactionnaires la préoccupent d’avantage.
1528 ADV M4.84. Correspondances du préfet ; voyage de Sadi Carnot (1892) et d’une escadre russe (1893) ;
(1892-1893) .Rapport du commissaire de police de Châtellerault du 22 février 1892.
1529 Rapport du commissaire de police de Châtellerault du 27 septembre 1871, ADV M4.80. Correspondances du
préfet (1871-1881).
331

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
2.1. Niort
A Niort, les difficultés, rencontrées par la ganterie et la chamoiserie ne manquent pas
d’inquiéter les autorités. Après un relatif sursaut durant la Restauration, ce domaine voit son
activité ralentir dans des proportions importantes à partir des années 1830. La hausse de
l’huile de baleine et la perte des débouchés américains se font cruellement sentir. Plusieurs
milliers de personnes sont touchées et l’ordre public peut en être menacé.
Ces difficultés combinées à la hausse du prix du pain expliquent quelques
mouvements d’humeur à Niort comme dans d’autres endroits du département des Deux-
Sèvres en 1836. « C’est la faim, croyez en nos larmes, qui, fiévreuse, aiguise leurs armes »
s’exclame la poétesse Marceline Desbordes-Valmore à propos des émeutes lyonnaises de
1834 1530 . Un mécontentement qu’on ne voudrait pas voir exploité par les agitateurs
légitimistes ou chouans. Le renchérissement du pain inquiète à nouveau les autorités en 1839.
Les émeutes de La Rochelle 1531 font craindre au préfet des mouvements semblables dans le
département, en particulier chez les ouvriers, « une catégorie facilement
impressionnable »selon lui. Et en effet, le 12 février à Niort, une manifestation doit être
dispersée par la force publique. Le représentant de l’Etat préconise en conséquence « une
surveillance sage et active » pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise 1532 , ce qu’avait
déjà demandé le sous-préfet de l’arrondissement le 5 janvier de la même année :
« Le prix élevé des récoltes a jeté de l’inquiétude parmi la classe
malheureuse, naturellement impressionnable par le besoin ou les
mauvais conseils. Les ouvriers à la journée ont besoin d’être
surveillés et sont maintenus en respect par la présence des troupes ;
il serait dangereux de n’avoir pas ce moyen à disposition 1533 ».
Quelques mois plus tard, en août, le préfet sollicite en vain le ministre de l’Intérieur de venir
en aide aux cordonniers de la ville par le biais d’une commande étatique 1534 . En 1846 et 1847
une nouvelle et importante crise frumentaire fait renaître l’agitation dans les villes et les
1530 ADDS 4M6.12. Chouannerie ; rapports divers [1836 ; 1837].
1531 Les troubles ont été causés par l’embarquement de grains dans le port de La Rochelle. La crainte de manquer
de blé se fait aussi sentir dans le port des Sables-d’Olonne où la population s’indigne de l’embarquement de
céréales à destination des ports anglais de Plymouth et de Bristol.
1532 Rapport mensuel du préfet des Deux-Sèvres sur l’état du département en février 1839, ADDS 4M6.13.
Chouannerie ; mouvement social ; rapports divers [1836 ; 1847].
1533 ADDS 4M6.13. Chouannerie ; mouvement social ; rapports divers [1836 ; 1847].
1534 Ibid.
332

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
campagnes. En janvier 1847 un commencement d’émeute a lieu à Niort 1535 . Des affiches
appellent la classe ouvrière à la révolte et menacent de mort le préfet et les membres du
conseil municipal 1536 .
Plus tard ; sous le second Empire ; on redoute que des ouvriers locaux contribuent au
développement des opinions socialistes. Fin 1855 un indicateur parle d’artisans armés 1537 et
de l’exploitation de la misère des ouvriers par les tenants des doctrines socialisantes 1538 .
Toutefois le commissaire de police de la ville est beaucoup moins alarmiste trois ans plus
tard 1539 . Selon lui la population ouvrière ne se fait pas entendre, pas même en murmures. Ses
opinions sont jugées satisfaisantes et il termine en indiquant que les ouvriers « sont surveillés
partout et même dans leurs ateliers », ce qui garantit le contrôle de la situation.
La question du coût de la vie et de la cherté des vivres ressurgit bien plus tard. En
1911 on manifeste encore contre la spéculation qui frappe les marchés. Plusieurs
rassemblements sont même organisés par l’union des syndicats confédérés de la cité pour
protester contre cette situation et réclamer de réelles hausses des salaires 1540 .
A ces difficultés rencontrées par le fleuron de l’industrie locale s’ajoute très tôt le
développement dans le chef-lieu d’un « esprit démocratique fort avancé 1541 ». Dès 1846, le
conseil municipal se rallie aux idées de Louis Blanc et crée des ateliers de travail pour venir
en aide aux ouvriers victimes d’une nouvelle crise frumentaire.
En 1845, la présence de plus d’une centaine 1542 de communistes utopistes disciples de
Cabet 1543 illustre parfaitement cet état d’esprit qui ne peut manquer d’inquiéter les autorités.
Et cela d’autant plus que le chef local du mouvement, Paul Guay, est un ouvrier cordonnier
1535 Cf. CHARBONNEAU (Roger), La crise des subsistances dans les Deux-Sèvres en 1847, Pays d’Ouest, 37 e
année, n°8, pp. 17-21 et VINCK (Maurice), op. cit, p.8. La ville de Poitiers et certaines localités de la Vienne
sont aussi concernées voir par exemple FAVREAU (Robert) (dir.), op. cit., p.305.
1536 MEMAIN (René), La crise de 1845-1847 dans la Vienne (première partie), BSAO, 4 e série, Poitiers, t.V, 2 e
trim. 1960, p.505.
1537
Un armurier figure parmi les socialistes cités. Mais surtout l’informateur, un détenu de la maison d’arrêt de
Fontevrault, fait allusion à un stock d’armes amassé quelque part à Niort par l’ancienne Société secrète
d’Apollon, dissoute en 1850 cf. ADDS 4M6-17 b. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus
(1855) ; rapports divers (1852-1856).
1538
ADDS 4M13/3 : Dossiers collectifs, tableaux, états de renseignements concernant les inculpés, surveillés
politiques. Opposition à l’Empire, amnistie, dossiers divers (1852-1859).
1539
Rapport du commissaire de police de Niort de décembre 1858, ADDS 4M6.20. Attentat d’Orsini ; rapports
divers [1858].
1540 er
Rapports du commissaire de police de Niort du 29 septembre et du 1 octobre 1911, ADDS
4M6.28b.Mouvement social ; rapports divers [1904 ; 1913].
1541
TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit.
1542
Le Populaire du 22 novembre 1845 en dénombre 124.
1543
Etienne Cabet (1788-1858) est l’auteur du Voyage en Icarie en 1838 où il décrit un état communiste
imaginaire basé sur l’industrie et l’absence de propriété. Il tente de mettre en pratique ses idées dans une
communauté qu’il fonde à Saint-Louis au Texas en 1849.
333

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
conseiller municipal de la ville 1544 . Ce réseau se développe également en dehors de Niort 1545
et du département des Deux-sèvres. Les « cabétiens » sont présents en Vendée. En 1847, une
affiche prônant le communisme est placardée non loin de l’évêché de Luçon 1546 . Les autorités
de police interviennent et arrêtent un maître tisserand local, un certain Madeline, et ses 26
complices pour la plupart artisans et ouvriers, travaillant dans le textile ou bien dans la taille
de pierres à bâtir 1547 . Un an plus tard le préfet Morin évoque à son tour ces communistes
niortais « qui exploitent la gène dont souffre la classe ouvrière 1548 ». Le 11 mars 1849, la
pièce de théâtre « Un voyage en Icarie ou le Communisme » est représentée à Saint-Maixent.
C’est l’occasion pour certains disciples de Cabet présents dans la salle de chahuter en s’en
prenant à la République , au président Bonaparte et à la propriété, assimilée au vol 1549 .
L’esprit socialiste ou plutôt, dans un premier temps, républicain, propre à la plaine du
sud des Deux-Sèvres, s’exprime après le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte le 2
décembre 1851 1550 . Si l’acte d’accusation estime l’affaire moins grave que d’autres
manifestations similaires survenues ailleurs en France, il affirme tout de même qu’il est
nécessaire d’être exemplaire et de punir les tenants des « doctrines anarchiques de la
démagogie ». Ce jour là le préfet est contraint d’en appeler à la troupe pour disperser la foule
agitée réunie à Niort afin de protester contre le coup de force du prince président. Parmi elle
on retrouve de nombreux ouvriers, en particulier des menuisiers et des artisans du cuir dont
beaucoup de cordonniers 1551 .
La III e République consolidée, les tensions s’apaisent quelque peu. Toutefois Niort
demeure une ville ouverte aux idées progressistes ouvrières et aux théories socialistes comme
en témoignent jusqu’en 1914 les très nombreux rapports des commissaires de police chargés
de surveiller les réunions publiques et privées. En juillet 1882 le troisième congrès des
ouvriers du sud-ouest y a lieu. On y conteste les objectifs purement professionnels de la
1544 Paul Guay est considéré comme le chef des communistes icariens des départements des Deux-sèvres et de
Vendée. Très actif politiquement dans le canton de Mauzé il est condamné à être transporté en Algérie en février
1852, cf. MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Guay.
1545 Un ouvrier menuisier niortais va jusqu’à rejoindre une colonie icarienne installée à Nauvoo dans l’Illinois
aux Etats-Unis. Certaines de ses lettres adressées à sa famille son publiées en 1849 dans l’Œil du Peuple un
journal socialiste publié à Niort, cf. MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Savariau (fils).
1546 Luçon d’où est originaire Alexandre Théodore Dézamy (1808-1850 à Luçon), un théoricien communiste,
révolutionnaire et matérialiste. Il est secrétaire de Cabet avant de s’opposer à lui sur divers poins de doctrine.
Proche de Blanqui en 1848, cf. MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Dézamy.
1547 Madeline est traduit devant la cour d’assises pour excitation des citoyens à la guerre civile. Il est acquitté au
bénéfice du doute, cf. FAUCHEUX (M.), MORAUZEAU (L.), Les débuts du communisme en Vendée : l’affaire
Madeline, recueil de la Société d’histoire de la révolution de 1848, tiré à part, 1953, 20 p.
1548 Lettre du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Intérieur du 26 juin 1848, AN. F1 B1 167 3.1
1549 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Lamarque Pierre.
1550 ADDS 4M6.17a. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports divers (1852-
1856).
1551 Voir Infra p.375 et s.
334

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Chambre syndicale locale 1552 ce qui provoque la création de la Chambre syndicale sociale et
solidaire. Celle-ci adhère dans la foulée au parti ouvrier 1553 . Cette tendance révolutionnaire
chez quelques socialistes du cru persiste puisque nombre de conférences les concernant sont
relatées entre 1900 et 1904 1554 , date de la naissance du Parti ouvrier niortais. En 1906 comme
1907 de très nombreuses réunions socialistes et syndicales ont lieu 1555 . A partir des années
1910, ce sont surtout les tendances anti-militaristes des socialistes qui préoccupent les forces
de l’ordre.
Finalement les représentants de l’Etat interviennent peu pour maintenir l’ordre public
à Niort et ce malgré une population ouvrière et artisanale relativement nombreuse, souvent en
difficulté, et la propagation d’idées longtemps jugées subversives. Cette relative quiétude des
autorités de la cité traversée par la Sèvre niortaise se retrouve également le long des berges du
Clain.
2.2. Poitiers
La question ouvrière et ses répercussions sur l’ordre public sont rarement au cœur des
préoccupations des représentants de l’Etat dans le chef-lieu du département de la Vienne.
En 1832 on estime qu’une « forte partie de la population de la ville reste attachée au
gouvernement déchu ». Néanmoins les républicains ne sont pas absents de Poitiers. Ils se
réuniraient dans un club où l’on ferait la lecture des journaux d’opposition aux ouvriers qui
seraient entre 50 et 100 selon les jours de la semaine 1556 .
Il faut attendre les purges du second Empire pour que l’ouvrier apparaisse vraiment
comme une menace dans l’esprit des autorités administratives.
En 1852 on dresse une liste des anciens chefs du parti socialiste de la ville. On en recense
quatorze dont quatre artisans. Parmi eux le nom de Collard se détache. Ce doreur est
considéré comme un meneur dangereux ayant organisé des clubs et des cercles littéraires
comparés par le préfet à de « véritables sociétés secrètes ». On souhaite dans un premier
1552 La Chambre syndicale niortaise rejette tout objectif révolutionnaire ou collectiviste en optant pour des
revendications uniquement professionnelles.
1553 ADDS 4M11/2a. Rapports de police et de gendarmerie : correspondances politique concernant les congrès
et réunions publiques et privées (1881-1905).
1554 ADDS 4M12/3. Rapport de police et de gendarmerie ; correspondances politiques concernant les sociétés et
les cercles (1885-1913).
1555 ADDS 4M11/2b. Rapports de police et de gendarmerie : correspondances politique concernant les congrès
et réunions publiques et privées (1881-1911).
1556 Lettre du ministère de l’Intérieur au préfet de la Vienne du 21 mars 1832, ADV M4.42 : Circulaires et
correspondances du préfet (1832-1834). L’auditoire est le plus nombreux le samedi jour de parution du journal
L’Echo du Peuple.
335

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
temps l’éloigner de France. Cependant cette dangerosité est toute relative puisque quelques
mois plus tard on le dit rallié au gouvernement 1557 . Quoiqu’il en soit le commissaire central de
Poitiers se félicite des mesures coercitives prises par les pouvoirs publics qui ont, selon lui,
complètement démoralisé « les rouges » effrayés par les menaces de déportation 1558 .
Cependant le monde ouvrier ne focalise pas réellement l’attention des autorités. Le préfet
Jeanin s’en fait l’écho auprès du ministre de l’Intérieur le 4 décembre 1852 1559 .
« Je séparerai d’abord la population du département en
parties inégales en nombre et biens distincts quant aux sentiments.
Dans la première et la plus nombreuse, je rangerai toute la
population agricole et la plus grande partie de la population
ouvrière des centres un peu importants.
Cette première catégorie est sincèrement dévouée à la
personne de la Majesté Impériale, elle l’a prouvée au 2 décembre et
(…?) prouver encore dans la dernière élection. Les efforts des partis
n’ont exercé sur elle qu’une faible influence et la violence de la
tempête a pu seule produire quelques vides dans ses rangs.
C’est sur son concours loyal et dévoué que dans le
département de la Vienne un gouvernement peut surtout compter ».
Selon lui le danger vient avant tout des forces conservatrices du département :
« Dans l’examen moral de cette deuxième catégorie je
commencerai par les plus influents en réalité c’est à dire le clergé.
Le clergé du département de la Vienne qui forme la moitié
du diocèse de Poitiers est divisé au point de vue politique.
Une fraction qui a à sa tête Monseigneur l’évêque de
Poitiers est et restera toujours attachée au principe de la légitimité
et à celui en qui ce principe se personnifie. La relation de cette
fraction du clergé, votre excellence le comprendra du reste, est très
fréquente avec le parti légitimiste, elle marche complètement
d’accord avec lui dans toutes les questions politiques qui ont
quelque importance. […]
1557 ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1852).
1558 Rapport du commissaire de police de Poitiers au préfet de la Vienne sur l’état de la ville, Ibid.
1559 ADV M4.63. Correspondances du préfet, voyage du président de la République à Poitiers, surveillance des
opposants (Octobre /décembre 1852).
336

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Je me hâte toutefois de dire que cette fraction du clergé est quant au
nombre assez restreint. Que l’autre fraction qui compte dans ses
rangs des hommes qui ont aussi des sympathies sérieuses soit pour
les branches aînées soit pour les branches cadettes de la maison des
bourbons marche aujourd’hui dans les voies du gouvernement de sa
Majesté et qu’elle est de beaucoup la plus nombreuse. […] Après le
clergé je classerai le parti légitimiste qui joue dans la Vienne un rôle
important mais sans toutefois en exagérer l’influence ».
Parmi les 66 personnes considérées comme hostiles au régime dans le canton de Poitiers en
1852, on compte 30 ouvriers et artisans – ces derniers étant majoritaires, en particulier les
tailleurs d’habits et les menuisiers.
Rares sont les troubles imputables au monde ouvrier à Poitiers si on excepte certaines
manifestations à l’occasion de grèves, comme c’est le cas lors du mouvement des ouvriers du
bâtiment en 1899 1560 . Citons tout de même un rassemblement à l’occasion de l’habituel
« retraite en musique », en octobre 1873 qui tourne rapidement au désordre et se conclut par 46
arrestations et treize condamnations, dont une majorité d’ouvriers et d’artisans. Cependant le
procureur général près la cour d’appel n’y voit aucune arrière-pensée politique mais plutôt un
enthousiasme mal contrôlé 1561 . Et tout au plus s’agit-il d’une manifestation républicaine.
Il en va autrement quinze ans plus tard quand les ouvriers nécessiteux des chantiers
municipaux manifestent de façon pacifique afin d’obtenir la poursuite des travaux de
canalisation de la ville. Le préfet subodore l’influence du parti réactionnaire qui tente
d’exploiter les travailleurs déshérités. Mais surtout il fait part au ministre de son étonnement
devant un tel mouvement d’humeur de la part des ouvriers de la ville, tellement calmes
d’habitude : « Cette manifestation a été, je le répète, absolument pacifique. Elle est un indice
que la population ouvrière poitevine n’a aucune idée subversive » 1562 .
Ici comme à Niort les autorités administratives ne cessent de surveiller les nombreuses
réunions politiques ou syndicales auxquelles participe un certain nombre d’ouvriers et
d’artisans. En 1877, le ministre de l’Intérieur ne voit pas d’inconvénient à ce que les
menuisiers de la ville se rencontrent une fois par mois pour discuter de leurs intérêts
1560 Cf. infra.
1561 ADV M4.80. Correspondances du préfet (1871-1881). Toutefois on rapporte quelques cris favorables à la
commune comme « Vive Paris, à bas Versailles » en plus de la Marseillaise, cf. FAVREAU (Robert) (dir.), op.
cit., p.336.
1562 Lettre du préfet de la Vienne au ministre de l’Intérieur en date du 19 février 1888 et Rapport du commissaire
central au préfet du 17 février 1888, ADV M4.82. Correspondances du préfet (1888).
337

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
professionnels, sous réserve de l’accomplissement des formalités prévues par la loi de 1868 1563 .
On ne se méfie guère des ouvriers dans le chef-lieu de la Vienne. Les partis conservateurs et
républicains (puis socialistes) obnubilent les représentants de l’Etat. Les enjeux sont
principalement de nature politique. La question sociale proprement dite apparaît secondaire,
comme ne manquent pas de le souligner régulièrement les commissaires de police. C’est le cas
par exemple en avril 1886 quand l’un d’entre eux affirme que « le syndicat professionnel n’est
que le prétexte, le but, c’est le comité électoral qui peut devenir d’autant plus puissant, que le
parti républicain ne fait absolument rien 1564 » ou bien encore onze plus tard, lors d’une réunion
portant sur le prix du pain et le projet d’une boulangerie coopérative organisée par le journal
L’Eclaireur, « en somme beaucoup de gros mots à l’adresse du ministère sans avoir émis une
idée pratique, ce qui prouve que cette conférence niait plutôt le gouvernement que l’intérêt réel
des ouvriers 1565 ».
Toutefois à partir à partir de 1884 toutes les réunions publiques socialistes insistent sur
la nécessité pour les ouvriers de se syndiquer, seul moyen pour lutter contre les visées de la
bourgeoisie. Néanmoins les excès sont rares dans ces assemblées surveillées de manière
routinière par l’administration. Quelquefois des orateurs se laissent emporter par leurs
convictions ou par l’excès de boisson, comme c’est le cas du socialiste poitevin Limousin 1566
qui tient des propos violents contre l’armée 1567 lors d’un discours tenu à Poitiers le 15 mai
1894. Cette réunion à laquelle participe l’abbé Naudet, un socialiste chrétien bordelais
disciple du comte Albert de Mun, est suivie par plus de 500 personnes dont « la majeure
partie appartient à la noblesse et au négoce, c’est à dire au parti réactionnaire » 1568 .
La relative indifférence des autorités aux réunions syndicales tenues dans le chef-lieu
s’explique en partie par la faible audience qu’elles rassemblent habituellement. En novembre
1896, on ne compte que 13 personnes lors d’une conférence tenue par le syndicat des chemins
de fer. Les conférenciers ne manquent d’ailleurs pas de le déplorer 1569 .
1563
Ibid.
1564
ADV M4.81. Correspondances du préfet [1882-1887].
1565
Rapport du 3 septembre 1897, ADV M4.88. Correspondances du préfet (1897-1898).
1566
Le cordonnier Georges Limousin est à l’origine du parti socialiste de Châtellerault où il fonde en 1881
l’Union des travailleurs qui devient quelques années plus tard La solidarité. Un socialiste qui s’inscrit dans la
tendance possibiliste. Cf. CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-
1914), op. cit., p.48.
1567
Il affirme vouloir donner aux grévistes « de la mitraille » pour s’opposer aux gendarmes que l’Etat ne
manque pas d’envoyer contre eux.
1568
Rapports du commissaire de police de Poitiers, ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre
de l’instruction publique, mort de Sadi Carnot ; mort d’Alexandre III (1894)
1569
ADV M4.86. Correspondances du préfet ; voyage du ministre du commerce ; passage de Félix Faure ;
Voyage de l’empereur Nicolas II (1895-1896)
338

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
2.3. La Roche-sur-Yon
Cette « tranquillité » ouvrière est encore plus importante à La Roche-sur-Yon où la
surveillance du milieu ouvrier est loin d’être prioritaire aux yeux de l’autorité publique.
La première raison de cette relative indifférence se trouve certainement dans la
faiblesse de l’activité industrielle de la ville. La création récente de la ville n’y est pas
étrangère. Seul le bâtiment, lié à l’essor de la ville, et les professions souvent associées aux
centres administratifs, comme l’imprimerie, s’y développent.
Mais surtout les pouvoirs publics portent toute leur attention sur les enjeux politiques
locaux dans un département où le parti conservateur et royaliste compte de très nombreux
partisans. Toutefois ici, comme ailleurs, l’administration surveille au quotidien les réunions
publiques parmi lesquelles celles organisées par les organisations syndicales 1570 de la ville où
l’on essaie régulièrement de vanter les vertus et les bienfaits du syndicalisme à une population
ouvrière calme et relativement éparse.
Les chefs-lieux de département et leurs faubourgs ne sont pas les seules localités où le
monde ouvrier fait l’objet d’une surveillance attentive. D’autres cités plus petites attirent
également l’attention des autorités publiques régulièrement ou ponctuellement.
3. Les bourgs
Trois localités moins peuplées que les villes préfectures font l’objet de rapports
réguliers attestant de l’existence d’une population ouvrière agitée dont on est amené à se
méfier.
La première localité est Parthenay, capitale de la Gâtine poitevine et haut lieu de la
Vendée militaire, fief conservateur et royaliste 1571 .
1570 En particulier les organisations d’imprimeurs et de typographes de la ville, cf. ADVd 4M415. Réunions et
manifestations syndicales et professionnelles [1889 ; 1919]
1571 Citons aussi Thouars où la présence d’un grand dépôt de chemin de fer explique le développement local du
syndicalisme et des idées socialistes. Toutefois cela concerne bien plus les cheminots que les ouvriers, plutôt
rares dans cette partie du département des Deux-Sèvres.
339

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
3.1. Parthenay
Dès 1832 l’attention est attirée par le comportement de « la classe ouvrière » de la
ville 1572 alors que la région est agitée par des bandes armées revigorées par l’équipée de la
duchesse du Berry. On craint ici comme à Nantes que des ouvriers rejoignent les rangs de la
chouannerie 1573 , « première préoccupation policière du gouvernement et des préfets des
Deux-Sèvres 1574 ». On ne veut pas que les agitateurs légitimistes profitent des émotions
populaires suscitées par la hausse du prix du blé 1575 . Cependant ces craintes sont bien vite
dissipées malgré quelques manifestations hostiles au pouvoir dans l’arrondissement. Une
préoccupation qui perdure néanmoins dans la décennie suivante 1576 . En 1839 le sous-préfet de
Parthenay en fait encore état :
« Je vous ai déjà rendu compte de l’association de quelques ouvriers
et fabricants de la basse ville [de Parthenay] et de la mauvaise
direction qu’ils cherchent à donner au peuple en lui faisant faire de
mauvaises lectures 1577 ».
Ainsi pour éviter tout débordement, les autorités prônent une plus ample surveillance et
l’appel à la troupe : « Les ouvriers à la journée ont besoin d’être surveillés et sont maintenus
en respect par la présence des troupes ; il serait dangereux de n’avoir pas ce moyen à
disposition 1578 ».
Tout rentre dans l’ordre à partir de l’année 1842. En effet, en décembre, le sous préfet
juge que la classe ouvrière demeure calme malgré des conditions de vie toujours aussi
mauvaises 1579 .
1572 Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet des Deux-Sèvres du 27 janvier 1832, ADDS 4M6.9. Voyage de la
duchesse de Berry ; chouannerie ; rapports divers [1832].
1573 Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet des Deux-Sèvres du 25 mai 1832, Ibid.
1574 PELCRAN (Anne), op. cit., p.491 et s.
1575 ADDS 4M6.12. Chouannerie ; rapports divers [1836 ; 1837].
1576 En 1841 le préfet évoque encore le jeu des spéculateurs qui organiseraient la pénurie de blé. Une situation
rendue encore plus confuse par la récente adoption du système métrique qui trouble les repères et sème le doute
sur l’exactitude des transactions.
1577 Rapport du sous-préfet de Parthenay au préfet en date du 8 juillet 1839, ADDS 4M6.13. Chouannerie ;
mouvement social ; rapports divers [1836 ; 1847].
1578 Rapport trimestriel du sous préfet au préfet du 5 janvier 1839, ADDS 4M6.13. Chouannerie ; mouvement
social ; rapports divers [1836 ; 1847].
1579 Rapport du sous-préfet de Parthenay en date du 29 décembre 1842, ADDS 4M6.13. Chouannerie ;
mouvement social ; rapports divers [1836 ; 1847].
340

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
La révolution de 1848 pousse les autorités à se méfier à nouveau d’une partie des
ouvriers de la ville, manipulés par quelques meneurs plutôt conservateurs, membres d’un club
de travailleurs se prétendant seuls vrais républicains et n’hésitant pas à joindre de l’argent à
leurs propos afin d’être bien plus convaincants et d’avoir plus de partisans aux futures
élections 1580 .
Toutefois la classe laborieuse de Parthenay n’est pas considérée comme vraiment
dangereuse. Le procureur de la République le souligne dans un rapport à la cour d’appel de
Poitiers en novembre 1849 1581 où il affirme que cette population des faubourgs « paraît peu
portée à croire au sérieux des illusions socialistes ». Pour lui, seule l’oisiveté – « le caractère
saillant de la race (sic)» – est à craindre. Une oisiveté que la municipalité ne manquerait pas
d’entretenir par ses secours constant 1582 . Une aide qui permettrait aux hommes, selon le
procureur, « d’étaler au soleil leur misère et leur paresse ».
Puis c’est le temps de la paranoïa bonapartiste qui à Parthenay comme ailleurs trouve
– à tort ou à raison – de quoi s’alimenter. Des sociétés secrètes y fomenteraient de sombres
projets même si le sous-préfet d’alors reconnaît que les chefs ouvriers concernés ne sont que
des « hanteurs de cabarets » et qu’il y a fort peu d’hommes réellement dangereux dans la
cité 1583 . Une opinion confortée par le commissaire de police de la ville quelques années
après : les ouvriers de la capitale de la Gâtine poitevine n’aurait « aucune sympathie arrêtée »
pour quiconque 1584 .
La chute du second Empire ne marque pas la fin de la surveillance des milieux
ouvriers de la ville. Au contraire dès 1871, une nouvelle hausse du prix du blé additionnée au
manque de travail met en exergue la nécessité de la poursuivre. Des craintes exprimées par le
sous-préfet de l’époque 1585 qui voit dans cette agitation l’influence des partis d’opposition au
1580 Rapport du commissaire de police de Parthenay du 21 avril 1848. ADDS 4 M6.14b. Révolution de 1848 ;
proclamation de la République et adhésion des communes ; arbres de la Liberté ; délivrance de drapeaux ;
rapports divers (1848-1849).
1581 ADDS. 4 M6.14a. Révolution de 1848 ; proclamation de la République et adhésion des communes ; arbres
de la Liberté ; délivrance de drapeaux ; rapports divers (1848-1849).
1582 Sur la politique d’aide municipale aux classes populaires en 1848 voir POIGNAT (Maurice), Parthenay et la
révolution de 1848, op. cit., p.32 et s.
1583 Rapport confidentiel du sous-préfet de Parthenay au préfet des Deux-Sèvres du 30 décembre 1855, ADDS
4M12.1a. Rapport de police et de gendarmerie ; correspondances politiques concernant les sociétés et les
cercles (1827-1861).
1584 Rapport du commissaire de police de Parthenay de décembre 1858, ADDS 4M6.20. Attentat d’Orsini ;
rapports divers [1858].
1585 Rapport du sous préfet de Parthenay du 20 mai 1871, ADDS 4M6.23. Guerre de 1870 ; suites de la
Commune ; affaire de Parthenay (1871) ; affaires divers [1870 ; 1872].
341

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
régime. Selon lui la population ouvrière possède « une influence démesurée, ou pour mieux
dire, la puissance qu’on lui laisse prendre dans les affaires publiques au détriment de la
bourgeoisie ». On vise ici le maire bonapartiste de Parthenay, Louis-André Ganne avec lequel
le représentant de l’Etat entretient de difficiles rapports 1586 . Néanmoins la situation est jugée
peu dangereuse même si le commandant de gendarmerie de la région estime nécessaire
l’envoi sur place de renfort pour éviter tout débordement.
Cette méfiance s’étiole par la suite comme l’indique le sous-préfet de l’arrondissement
en avril 1894 : la population « s’occupe peu des questions agitées dans les grands centres
ouvriers » 1587 , ce qui n’empêche pas de nombreuses réunions et conférences socialistes de se
tenir dans la capitale de la Gâtine poitevine 1588 .
Une autre localité politiquement agitée des Deux-Sèvres attire assez régulièrement
l’attention de l’autorité publique : Mauzé-sur-le-Mignon, bourg du marais poitevin de
l’arrondissement de Niort, situé non loin de la Charente 1589 .
3.2. Mauzé-sur-le-Mignon
Cette petite cité, surnommée « la ville rouge » en raison de ses sympathies
nombreuses envers les mouvements socialistes et ouvriers 1590 , résonne à plusieurs reprises de
l’écho des revendications d’une population descendue dans la rue. C’est le cas en 1839, où
une foule disparate de cultivateurs, d’ouvriers et de notables locaux, manifeste pour protester
contre la hausse du prix du blé, obligeant le préfet à venir sur place mettre fin au
débordement 1591 .
Plus tard en 1850 le carnaval est l’occasion d’une mascarade jugée séditieuse. Une très
nombreuse foule défile derrière une représentation de la déesse de la liberté enchaînée. On y
1586 Voir ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit., pp.153-154.
1587 ADDS 4M11.2a. Rapports de police et de gendarmerie : correspondances politique concernant les congrès
et réunions publiques et privées (1881-1905).
1588 Cf. ADDS 4M12.3. Rapport de police et de gendarmerie ; correspondances politiques concernant les
sociétés et les cercles (1885-1913).
1589 C’est ici qu’est né en 1802 Claude Durand, le poète, chansonnier et militant socialiste, auteur du célèbre
Chant des Vignerons (à l’époque l’activité vinicole est importante dans le canton de Mauzé) véritable hymne
dans les milieux révolutionnaires français. Transporté en Algérie, il devient un familier de Victor Hugo qu’il
rencontre sur l’île de Jersey. Revenu à Mauzé il s’y éteint le 24 février 1895, cf. MAITRON (Jean), première
partie, op. cit., v° Durand Claude.
1590 Cf. TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit., pp. 383-408.
1591 ADDS 4M6.13 Chouannerie ; mouvement social ; rapports divers [1836 ; 1847] .
342

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
entonne à pleine voix le Chant des Vignerons en dansant la Carmagnole, ceint d’écharpes
rouges et coiffé de bonnets phrygiens 1592 .
Un an après, le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte suscite de vives réactions
dans le bourg. Certains habitants n’hésitent pas à rejoindre Niort dans l’espoir d’y rencontrer
une résistance organisée. Autant d’éléments qui ne plaident pas en faveur de Mauzé dans
l’esprit du pouvoir bonapartiste. Longtemps Mauzé restera « l’un des points de
l’arrondissement [de Niort] ou les idées anarchiques ont le plus d’adhérents 1593 ». Une
opinion alimentée ensuite par les rumeurs constantes de complots fomentés par des sociétés
secrètes et par les placards subversifs qu’on peut parfois lire sur les murs de la cité 1594 .
En dehors des Deux-Sèvres, la population ouvrière de Chauvigny éveillée et sensible
aux idées socialistes suscite également l’intérêt des autorités.
3.3. Chauvigny
Cette cité connue pour ses carrières de pierre et sa cordonnerie a une longue tradition
d’association ouvrière. Sous le second Empire on soupçonne des carriers, cordonniers et
travailleurs du bâtiment locaux d’appartenir à une société de résistance. Peu de temps
auparavant, en avril 1850, le sous-préfet de Montmorillon fait déjà état de troubles à l’ordre
public par des habitants favorables à la République. L’arrestation de certains d’entre eux
provoque la réunion de près de 600 personnes parmi lesquelles de nombreux ouvriers tenant
moult propos hostiles au régime et aux forces de l’ordre 1595 .
De telles manifestations se retrouvent à toute époque. En effet, en novembre 1901, le
sous-préfet accompagné du commissaire spécial se voit contraint de venir sur place pour
contenir un défilé organisé par le groupe de la Jeunesse révolutionnaire de la ville. Ces
derniers souhaitaient arborer ostensiblement des drapeaux rouges, emblèmes autorisés par le
maire lui-même. Le sous-préfet estime avoir ainsi évité « une véritable manifestation
1592 e
GERMOND (R.), La mascarade séditieuse de Mauzé de 1850, BSHSDS, Niort, 4 trim. 1961, t.11, pp 551-
555.
1593
ADDS 4M6.1a. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports divers (1852-
1856).
1594
ADDS 4M13.3. Dossiers collectifs, tableaux, états de renseignements concernant les inculpés, surveillés
politiques. Opposition à l’Empire, amnistie, dossiers divers (1852-1859).
1595
ADV M4.58. Correspondances du préfet (1850).
343

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
révolutionnaire [qui] aurait produit un effet désastreux dans tout l’arrondissement [et des]
conséquences les plus funestes au parti républicain » en cette période préélectorale 1596 .
Le mouvement ouvrier est bien implanté à Chauvigny dont le maire inspire et
subventionne le journal socialiste La Vraie République en 1899 1597 . En outre de nombreux
placards aux idées progressistes fleurissent sur les murs de la ville.
La cité des bords de Vienne figure parmi les villes les plus actives politiquement du
département. Par exemple, en 1898, il y a deux groupements de la ville de Chauvigny parmi
les groupes socialistes adhèrant au comité de vigilance pour la défense de la République, soit
autant que pour la ville de Châtellerault 1598 . A cela s’ajoutent les réunions socialistes qui s’y
tiennent régulièrement avec plus ou moins de succès, meeting auxquelles les forces de police
assistent comme l’impose la loi.
Cette surveillance ordinaire de l’autorité publique n’est souvent motivée que par le
caractère particulier de ces villes apparaissant comme des exceptions dans des départements
faiblement industrialisés. La présence d’une population ouvrière importante en comparaison
des autres villes justifie à elle seule la surveillance dont elle fait l’objet, en particulier dans les
périodes où l’Etat fait preuve d’une grande défiance envers cette catégorie de la population,
une méfiance qui se développe un peu plus quand le mouvement ouvrier parvient à influencer
le pouvoir municipal, voire quand ses représentant arrivent à se hisser jusqu’aux plus hautes
sphères de leurs communes, comme c’est le cas à Châtellerault.
A côté de cette obligation de surveillance ordinaire, l’autorité publique doit également
faire face à des événements spécifiques et locaux.
1596
Rapport du sous préfet de Montmorillon au préfet de la Vienne du 19 novembre 1901, ADV M4.91.
Correspondances du préfet (1901).
1597
ADV M4.89. Correspondances du préfet (1899-1900).
1598
Cette liste comprend : le comité socialiste et la jeunesse socialiste de Chauvigny, la Solidarité, groupe
d’études sociales de Châtellerault, la Jeunesse socialiste de Châtellerault, les Eclaireurs de la Vienne, le Comité
républicain socialiste de Loudun et l’Eclaireur, organe des travailleurs républicains socialistes de la Vienne,
ADV M4.88. Correspondances du préfet (1897-1898).
344

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
B- La surveillance exceptionnelle du monde ouvrier
Il arrive parfois que le monde ouvrier apparaisse sur le devant de la scène à l’occasion
d’événements ponctuels et géographiquement localisés. L’administration est alors obligée de
prendre des mesures particulières pour assurer un ordre public menacé. C’est le cas lors de
l’installation de chantiers de chemin de fer, lors de manifestations pendant certaines grèves ou
bien encore par la présence, avérée ou non, de sociétés secrètes.
a) Les turbulents chantiers de chemin de fer
Fin 1841 la France ne compte que 560 km de voies ferrées alors que le reste de
l’Europe et les Etats-Unis en possèdent chacun environ 4900 km. Jusqu’en 1850 les lignes de
chemin de fer restent en France des lignes isolées, créées sur de courtes distances pour assurer
un trafic bien déterminé, sans qu'il soit question d'un programme d'ensemble englobant le
pays entier, ni même de lignes à grande distance si on excepte les lignes reliant Strasbourg à
Bâle, Paris à Orléans et Paris à Rouen inaugurées en 1843. Une loi du 11 juin 1842 prévoyant
des concessions de longue durée assorties d’aides de l’Etat va permettre le développement
d’un réseau national. Ce réseau centralisé autour de Paris doit suivre le tracé existant des
routes nationales. De grandes compagnies se constituent alors : celles de Normandie et de
Bretagne (1839-1842) qui fusionnent en 1855 avec la Compagnie de Saint-Germain pour
constituer la Compagnie de l’Ouest ; celle du Nord, en 1842 ; celle du Chemin de fer de
Strasbourg, en 1845, qui devient la Compagnie de l’Est en 1854 quand la concession de la
ligne Paris à Mulhouse lui est accordée ; celle du Paris-Lyon, en 1845 ; celle de Lyon à
Avignon, en 1846, qui deviendra plus tard la Compagnie de Lyon à la Méditerranée ; et celles
de Paris-Orléans, en 1848, du Midi (1852) et du Grand Central (1853). A ces compagnies
s’ajoutent une masse d’établissements exploitant des lignes secondaires comme celles
d’Alsace, des Charentes, de Nantes ou de Vendée. Toutefois dans les années 1860 on ne
dénombre plus que six compagnies qui ont absorbé toutes les autres souvent confrontées à
d’importantes difficultés financières : les Compagnies du Nord, de l’Est, du Midi, de l’Ouest,
Paris-Lyon-Méditerranée et Paris-Orléans 1599 .
Le développement du réseau de la Compagnie Paris-Orléans dans le département de la
Vienne explique qu’on y multiplie les chantiers de chemin de fer au début des années
1599 Voir pour de plus amples détails CARON (François), Histoire des chemins de fer en France (1740-1883),
Paris, 1997, 700 p. et plus particulièrement les pages 218 et s.
345

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
1850 1600 . Le 1 er juillet 1851 la ligne reliant Tours à Poitiers est inaugurée. Bien plus tard en
avril 1891, c’est la ligne Châtellerault-Le Blanc qui est ouverte au trafic ferroviaire.
Dans les Deux-Sèvres, la gare de Niort est ouverte en 1856, date à laquelle le chef-lieu
du département est reliée Poitiers, ligne dont les travaux débute en 1854. Un an plus tard un
second tronçon est ouvert entre la capitale des Deux-Sèvres et La Rochelle. En 1868, c’est au
tour de la gare de Bressuire de voir le jour. Elle raccorde Niort à Angers via Cholet. En 1885,
le chef-lieu des Deux-Sèvres est relié à Ruffec en Charente. Deux ans plus tard on inaugure la
ligne Parthenay-Bressuire 1601 . La gare de Thouars quant à elle entre en service en 1886. Celle-
ci devient un dépôt important et dans une ville en développement 1602 .
L’arrivée du train est bien plus tardive en Vendée qui est un des huit derniers
départements français sans chemin de fer. Napoléon-Vendée n’est reliée à Nantes qu’en
décembre 1866 et à Bressuire en 1871. Quant à la ville de Fontenay-le-Comte, elle est tenue à
l’écart du chemin de fer et de ses bienfaits potentiels pour l’industrie et le commerce local.
1. Une invasion barbare
L’arrivée massive d’ouvriers d’horizons très divers provoque l’inquiétude des
populations rurales chargées de les accueillir sur le sol de leurs communes. En 1851, le
chantier établi à Vivonne dans la Vienne compte entre 250 et 900 ouvriers suivant les
semaines et le travail à fournir 1603 .
Les municipalités se font l’écho de cette inquiétude. Le maire de Saint-Benoît
s’inquiète en septembre 1851 de la population flottante arrivée nombreuse dans sa ville 1604 . Le
premier magistrat de la cité classifie ces travailleurs dans trois catégories. La première est
constituée des habitants du bourg, une vingtaine de familles, soit environ 150 personnes, d’un
calme parfait. La deuxième catégorie se compose de 40 à 50 familles avec de nombreux
enfants, soit plus de 250 personnes. Ces couples vivraient en concubinage dans des logements
en bois installés sur le territoire de la commune. Le maire affirme qu’ils ont une « mauvaise
conduite » et qu’ils se livrent à l’ivrognerie. Enfin, le dernier groupe comprend des personnes
seules travaillant par intermittence et appréciant particulièrement l’ambiance des cabarets.
1600
Voir également REVEILLE (Philippe), Les débuts du chemin de fer dans la Vienne (1833-1878), mémoire
de maîtrise histoire, Poitiers, 1987.
1601
PICARD (Georges), op. cit., pp.322-323.
1602
Thouars est alors située sur la ligne reliant Paris à Bordeaux. Le dépôt de chemin de fer perd de son
importance à partir de 1938 quand la ligne Paris-Bordeaux change de trajet et passe par Châtellerault cf. LE
BAQUER (Maïning), PACHER (Maurice), Petite histoire du train en Deux-Sèvres, Niort, 2004, p.10.
1603
ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
1604
Lettre du maire de Saint Benoît au préfet de la Vienne du 14 septembre 1851, Ibid.
346

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Pour le premier magistrat du bourg 80% des individus des deux dernières « catégories sont
toujours pret à se jeter au milieu du désordre, c’est à dire se livrer à des rapines, vols, à ne
pas payer leurs dettes… ». Car les terrassiers et autres ouvriers sont réputés pour être
dépensiers. D’aucuns d’entre eux attendent de ne plus avoir d’argent pour reprendre le travail.
Parmi eux nombre d’ouvriers étrangers sans attache fixe venus d’Italie, de Belgique,
d’Allemagne ou de Suisse.
Cette opinion est partagée par le conseil municipal de Ceaux en Couhé, commune
située plus au sud du département. Les conseillers parlent d’une population effrayée et qu’une
« véritable terreur pèse sur la contrée ». Les habitants ne voient dans les chantiers qu’un
refuge pour étrangers et repris de justice chassés des villes 1605 . La hantise qui se développe ne
manque pas d’alimenter des faits divers sanglants mettant en cause des terrassiers 1606 .
On voit dans cette population allogène la source de tous les maux. On craint même qu’elle
propage certaines maladies 1607 .
Cette angoisse est justifiée partiellement. Les larcins, le maraudage, les rixes et autres
délits sont nombreux 1608 . Les ouvriers des chantiers de chemin de fer sont particulièrement
turbulents. Ils apparaissent comme le fléau des campagnes, la calamité s’abattant sur une
paisible contrée, une armée en campagne vivant sur l’habitant. Le préfet de la Vienne reprend
cette comparaison quand il écrit à un entrepreneur carrier que « les ouvriers ont sans cesse la
menace à la bouche, […] ils se conduisent comme en pays conquis 1609 ».
Les ouvriers sont de mauvais payeurs. Les habitants qui les hébergent ont du mal à
percevoir les loyers qui leur sont dus. Le commissaire spécial est très critique à l’encontre des
ouvriers. Selon lui ils cherchent « tous les moyens pour duper les habitants qui les nourrissent
1605 Délibération du conseil municipal de Ceaux en Couhé du 17 novembre 1851, Ibid.
1606 Une circulaire émanant du ministère de l’Intérieur du 14 décembre 1844 adressée aux préfets relate un crime
horrible qui s’est produit à Blois où des hommes ont pénétré de nuit dans une maison et ont massacré ses
habitants à coup de burin de terrassier. Un crime commis non loin d’un chantier de chemin de fer, ADV M4.49.
Correspondances du préfet (1843-1844).
1607 En avril 1851, le commissaire spécial mentionne que de nombreux ouvriers souffrent de la gale. Il préconise
leur renvoi jusqu’à guérison complète, ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ;
police des chemins de fer (1851-1853).
1608 En 1854 deux gardes champêtres des Deux-Sèvres dont les propriétés longent la ligne en construction
Poitiers-La Rochelle obtiennent une gratification de 75 francs chacun a la suite des dommages, dégradation et
larcins subis. Les municipalités ne veulent pas d’actions en justice qui pourraient nuire au bon avancement des
travaux. Le train est attendu, il est synonyme de désenclavement. Cf. TEXIER (André), Essai d’histoire
municipale de Niort (1848-1914), op. cit., pp.65-66.
1609 Lettre du préfet de la Vienne à un entrepreneur des carrières de la Bourgeoisie du 2 mai 1849, ADV M4.56.
Correspondances du préfet (premier semestre 1849).
347

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
ou les logent » 1610 . Les logeurs préfèrent les renvoyer préventivement pour éviter de
mauvaises surprises ultérieures.
Précisons cependant que les salaires des terrassiers ne sont pas versés régulièrement ou
selon les modalités prévues. Quelques entrepreneurs ne mentionnent pas le gain journalier sur
les carnets lors de l’embauche. Les plaintes à ce sujet sont nombreuses. Ceci explique la
survenue de véritables débâcles chez les travailleurs comme c’est le cas à Lusignan en 1854
où les ouvriers impayés partent en regrettant d’être venus travailler « dans cette maudite
galère ». Quelques-uns d’entre eux en profitent à nouveau pour ne pas régler leurs dettes 1611 .
Les troubles, les menaces et les rixes sont monnaie courante. Les exemples sont
multiples. Les esprits alcoolisés, en particulier les soirs de paie, s’échauffent facilement dans
les cabarets. On propose à ses camarades « de mettre en pièces les gendarmes » 1612 . Certains
habitants sont agressés par des jets de pierres quand ils s’approchent des chantiers. A Vivonne
le commissaire spécial estime que « les ouvriers du chemin de fer prennent de jour en jour
une attitude de plus en plus menaçante qui paraît compromettre la sûreté des habitants et
celle de l’autorité 1613 ». Fin septembre 1851 une dizaine d’ouvriers maltraitent trois habitants
dans un cabaret de la commune d’Iteuil dans la Vienne. L’une des victimes décède, une autre
est entre la vie et la mort et les trois dernières victimes sont plus ou moins grièvement
blessées. Neuf ouvriers sont arrêtés. Ils expliquent leur acte par la colère ressentie après avoir
été exclus des travaux 1614 . Le chantier sera dissous par la suite.
Quelquefois les ouvriers s’opposent entre eux. Les communautés se disputent le
travail. En août 1851 français et piémontais se font face dans un des chantiers de la Vienne.
Les premiers sont jaloux du travail fourni aux terrassiers étrangers par un entrepreneur
originaire du même pays. On les menace de mort s’ils ne partent pas 1615 . L’arrivée des
représentants de l’autorité calme les esprits. A d’autres moments ce sont les membres des
différentes corporations qui s’opposent. Les tailleurs de pierres occupés à la construction d’un
pont près de Lusignan en viennent aux mains avec les charpentiers du cru qui reprochent à un
des tailleurs d’avoir séduit une des filles du village 1616 !
1610
Rapport du commissaire spécial du chemin de fer du 8 juin 1851, ADV M4.49. Correspondances du préfet
(1843-1844).
1611
Rapport du 6 juin 1854, ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
1612
ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
1613
Rapport du commissaire spécial du chemin de fer du 2 juin 1851, Ibid.
1614
Rapport adressé au ministre de l’Intérieur du 30 septembre 1851, Ibid.
1615
Lettre du préfet de la Vienne au ministre de l’Intérieur du 25 août 1851, Ibid.
1616
ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
348

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Les chantiers de chemin de fer sont aussi d’importants foyers de revendications en
particulier aux périodes où se coaliser est prohibé et puni par la loi 1617 .
Le moment de la paie chaque semaine est souvent l’occasion d’exprimer son
mécontentement. C’est le cas dès 1846 sur le chantier de Port-de-Pile, situé dans le nord du
département de la Vienne, où l’entrepreneur est violemment pris à parti. Seules les
interventions du maire et de la gendarmerie parviennent difficilement à calmer les esprits 1618 .
Bien souvent les réticences des entrepreneurs à payer les sommes convenues dans le contrat
de travail causent les protestations ouvrières. En 1851 les terrassiers coalisés s’insurgent
contre l’entrepreneur ne respectant pas les termes contractuels. Les grévistes ne seront pas
poursuivis par les autorités à la condition qu’ils quittent le département 1619 . En 1853, sur la
ligne en construction Poitiers-Angoulême, l’autorité administrative intervient pour faire cesser
une coalition. Les sanctions sont rares. On cherche d’abord à éviter tout retard dans le
calendrier des travaux. L’ordre public passe au second plan 1620 .
Cette tendance à cesser le travail pour revendiquer se poursuit une fois le délit de
coalition disparu. Les entrepreneurs profitent du grand nombre de terrassiers et du faible
niveau de qualification nécessaire pour tenter d’imposer abusivement leurs conditions. Une
attitude qui provoque de vives réactions chez cette population remuante et dissipée.
Ces chantiers où travaillent des individus venus de toute part sont des microcosmes où
germent bien souvent des idées politiques éloignées de celles acceptables par l’autorité
publique.
Il arrive régulièrement que des manifestations où l’on revendique de meilleurs salaires
se transforment en véritables défilés politiques. En janvier 1851 des terrassiers travaillant sur
un chantier à Vivonne affublent l’idiot du village d’un bonnet phrygien orné de cocardes
rouges avant de le promener dans une charrette dans toute la commune 1621 . En 1867 à Saint-
1617
Voir infra tableau 90 portant sur les coalitions touchant les trois départements de l'ancienne province du
Poitou au XIX e siècle.
1618
Rapport de gendarmerie du 11 juin 1846 au préfet de la Vienne, ADV M4.50 : Correspondances du préfet
(1845-1847).
1619
Courrier du préfet au ministre de l’Intérieur du 16 octobre 1851, ADV M4.59. Correspondances du préfet
(janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853). En 1855 les ouvriers travaillant sur la ligne
Poitiers-La Rochelle sont organisés en compagnies appelées « Bricoles » regroupant une cinquantaine
d’individus représentées par un chef qui traite directement avec l’entrepreneur et fixe le salaire, cf. DUVEAU
(Georges), op. cit., p.266.
1620
Lettre du ministère des Travaux publics au préfet de la Vienne du 30 avril 1853, Ibid.
1621
Courrier du procureur de la République au préfet de la Vienne du 7 janvier 1851, Ibid.
349

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Benoît les grévistes armés de pelles défilent derrière des drapeaux rouges déployés en tête de
leurs cortèges 1622 .
Les autorités craignent que ces chantiers ne deviennent des postes avancés utilisés par
les socialistes et les révolutionnaires de tous bords afin de propager leurs idées au fin fond des
campagnes. En mai 1851, des cris séditieux 1623 raisonnent près d’un chantier localisé à
Vivonne. Le commissaire spécial pense immédiatement aux terrassiers présents sur place. En
réalité les propos prohibés sont tenus pas des personnes du cru, en l’occurrence un artiste et
un forgeron 1624 . En 1855 une coalition de charpentiers de Poitiers est provoquée par la
présence d’un chantier de chemin de fer à Lusignan 1625 .
Ces travaux assurent aux ouvriers un emploi dans la région ce qui vide de sa substance
le principal moyen pression patronal. La menace de licenciement n’est plus crainte. Au
contraire ce sont les ouvriers qui apparaissent en position de force si leurs employeurs leur
refusent toute augmentation.
Les cabarets focalisent l’attention des autorités et de leurs représentants. C’est dans
ces endroits que les passions s’exacerbent abreuvées de mauvais vin et d’eau de vie. Un
ouvrier est arrêté dans l’arrondissement de Civray près de Couhé pour avoir tenu des paroles
violentes et révolutionnaires dans une cantine 1626 , un exemple parmi d’autres expliquant la
volonté de l’administration de mettre fin à l’activité de nombre de ces établissements. En août
1851, le préfet de la Vienne désire fermer un cabaret ouvert à Vivonne, « le rendez-vous des
anarchistes de la localité et des alentours » selon le commissaire spécial. Le représentant de
l’Etat dans le département s’enquiert auprès du ministre de l’Intérieur de la légalité de cette
mesure car, selon lui, c’est un lieu où « s’engagent publiquement des discussions politiques,
où les journaux sont lus et commentés à haute voix 1627 , où se chantent des chansons de nature
à exciter les passions politiques, où la vente des comestibles n’est que l’accessoire et un
moyen de déguiser un club sous l’apparence d’un café ou cabaret 1628 ». Le ministre approuve
1622
Lettre du maire de Saint-Benoît au préfet de la Vienne du 16 juin 1867, ADV M4.72. Correspondances du
préfet (1866-1870).
1623
« Vive les rouges, à bas les blancs, vive la guillotine permanente ».
1624
Rapport du commissaire spécial du chemin de fer du 24 mai 1851, ADV M4.59. Correspondances du préfet
(janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
1625
ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
1626
« Dans six mois le règne de Robespierre viendra, il y aura six mois de guillotine, le couteau national
marchera et un grand nombre de réactionnaires y passera, et Bonaparte comme les autres. J’étais à l’assaut de
Paris et je suis prêt à y remonter ». Rapport du sous-préfet de Civray du 2 février 1852, Ibid.
1627
En particulier L’Echo de l’Ouest.
1628
Lettre du ministre de l’Intérieur du 30 août 1851 au préfet de la Vienne, ADV M4.59. Correspondances du
préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
350

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
l’initiative de son subalterne, même si en réalité l’établissement n’est pas des plus
fréquentés 1629 .
Cette agitation régnant le long des voies ferrées en construction oblige l’autorité
publique à réagir.
2. L’intervention de l’autorité publique
La première mesure réclamée sur le terrain est l’augmentation des effectifs de
surveillance et de maintien de l’ordre.
En octobre 1851, l’ingénieur en chef du chemin de fer dresse un constat d’insuffisance
concernant le travail fourni par le commissaire spécial 1630 . Il propose de lui adjoindre une
autre personne 1631 pour l’aider dans sa tâche qui consiste à dresser la liste des ouvriers, à leur
remettre leurs cartes ou leurs permis de travail 1632 et à surveiller leurs faits et gestes. Ensuite,
il demande au préfet que le commissaire change son lieu de résidence afin qu’il s’approche
des sites où le plus gros des chantiers s’exercent, c'est-à-dire dans la commune de Ceaux et
non plus celle de Vivonne. On demande même la nomination d’un second commissaire
spécial « pour exercer une surveillance de tous les instants ». Une requête à laquelle le
ministre de l’Intérieur s’oppose, faute de crédits disponibles. Néanmoins il propose au préfet
d’augmenter le ressort territorial du commissaire de Poitiers jusqu’à Vivonne pour remédier
aux lacunes de surveillance rencontrées sur les chantiers.
Les commissaires spéciaux disposent de pouvoirs importants sur place. Ils surveillent
et répriment les ouvriers, ne serait-ce que par les mentions de conduite qu’ils inscrivent sur les
livrets ouvriers, que les travailleurs sont souvent réticents à fournir 1633 . Ils possèdent aussi une
grande influence sur les entrepreneurs qu’ils n’hésitent pas à obliger à respecter leurs
engagements antérieurs et à payer les salaires convenus les jours de paie. Moments auxquels
assiste le commissaire et contre lesquels le procureur de la Cour d’appel de Lyon met en
1629 Rapport du commissaire spécial des chemins de fer du 15 août 1851, Ibid.
1630 Lettre de l’ingénieur en chef du chemin de fer au préfet de la Vienne du 25 octobre 1851, ADV M4.60.
Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851).
1631 L’ex préposé au pont et bascule.
1632 La carte est remise en échange du livret ouvrier. Elle doit contenir le nom de l’ouvrier, sa profession
habituelle, sa position de famille, le lieu et le département où il habite, les pièces qu’il a déposé au bureau de
police et son numéro d’enregistrement. Cette carte doit toujours en possession du travailleur sous peine d’être
obligé de quitter le chantier. Cf. arrêté préfectoral portant règlement pour la police et la surveillance des
chantiers, et pour l’ordre des paiements des ouvriers employés aux travaux du chemin de fer de Tours à
Bordeaux dans la traversée du département de la Vienne en date de novembre 1850, ADV M4.58.
Correspondances du préfet (1850).
1633 Rapport du commissaire spécial du chemin de fer du 8 juin 1851, ADV M4.59. Correspondances du préfet
(janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853.)
351

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
garde. Selon lui ce jour est trop souvent source de « remue-ménage » et « d’excitation »
pouvant se transformer dangereusement en agitation politique 1634 .
La surveillance ne suffit pas. La population et ses maires implorent avec insistance
l’augmentation ou la création de casernes non loin des lieux où les terrassiers honnis
travaillent. C’est ainsi que la compagnie de gendarmerie de Couhé augmente aux dépens de
celles de Civray et de Gençay malgré le désaccord du sous-préfet 1635 . Cependant cela ne
semble pas suffire puisqu’une semaine plus tard le conseil municipal de Ceaux en Couhé
sollicite une nouvelle augmentation des forces militaires stationnées près des chantiers 1636 . Le
préfet adresse une missive allant dans ce sens au ministre de la Guerre quelques jours après.
Les structures doivent constamment bouger pour suivre le gros des ouvriers sur les chantiers
principaux. En 1854 un poste provisoire de gendarmerie est installé à Ligugé non loin de la
ligne en construction Poitiers-La Rochelle. Cinq gendarmes à pied y sont affectés. Le poste
est supprimé deux ans après, une fois les travaux achevés 1637 .
Le rôle de l’administration dépasse quelquefois le simple cadre du maintien de l’ordre
public. On craint que la présence massive d’ouvriers ne modifie localement le résultat des
votes. C’est le cas les 20 et 21 décembre 1851 lors du plébiscite ratifiant le coup d’état du 2
décembre précédent. Le sous-préfet de Civray se réjouit d’avoir empêché de voter tous les
ouvriers des chemins de fer de son arrondissement, même ceux ayant six mois de
résidence 1638 . Pour lui cette condition de domicile ne suffit pas. Il se demande même si leur
simple condition d’ouvrier ne frappe ces hommes d’une indignité légale. En effet il estime
qu’il existe une telle présomption à leurs égards 1639 !
Parfois l’autorité préfectorale doit grandement s’employer pour remettre de l’ordre sur
les chantiers de chemin de fer. Les arrêtés préfectoraux sont nombreux et souvent identiques.
En octobre 1851 le préfet Jeannin en prend un qui met fin au chantier « des Vallées » à Iteuil
où un crime a été commis. Les travaux seront réorganisés par la suite. Ce texte s’en prend
1634
AN BB30 379, Lyon le 8 janvier 1863, cité par DUVEAU (Georges), Op. Cit., p.299.
1635
Rapport du sous-préfet de l’arrondissement de Civray du 9 novembre 1851, Ibid.
1636
Délibération du conseil municipal de Ceaux en Couhé du 17 novembre 1851, Ibid.
1637
ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
1638
Soit 300 à 400 ouvriers.
1639
Rapport du sous-préfet de Civray du 2 février 1852, ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier -
septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
352

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
également aux cantines aux effets si néfastes. L’une d’entre elle est fermée. Les autres doivent
être régulièrement autorisées et se situer à une distance raisonnable de l’axe des voies.
« Arrêté préfectoral du 2 octobre 1851 1640 :
Art.1
Le chantier dit « des Vallées », compris entre Ligugé et
Iteuil, sera immédiatement licencié, et ne sera réorganisé que le
Lundi 6 du présent mois.
Art.2
Immédiatement après la publication du présent arrêté,
chacun des ouvriers composant le chantier, à la date du 28
septembre, se rendra à la Mairie de Ligugé, où en présence du
brigadier de Gendarmerie, de l’entrepreneur, du chef de chantier et
du conducteur des Ponts et Chaussées, chargé de surveiller les
travaux, il recevra un passeport avec itinéraire obligé.
Art.3
Le lundi 6, lors de la réorganisation de l’atelier, nul ouvrier
ne sera employé s’il n’est porteur d’une carte délivrée
régulièrement, suivant les prescriptions du paragraphe 1 er de
l’arrêté du 26 janvier dernier et visé spécialement.
Art.4
La cantine du sieur Brivady, chef de chantier des Vallées,
sera immédiatement et définitivement fermée.
Art.5
A l’avenir, nul cantine ne pourra être ouverte pour les
ouvriers du chemin de fer, si elle n’est distante d’au moins 200
mètres de l’axe du chemin de fer, et sans notre autorisation spéciale
écrite et rendue sur le rapport des ingénieurs.
Art.6
Les cantines aujourd’hui existantes autres que celle du sieur
Brivady, auront un délai d’un mois pour obtenir une autorisation
régulière.
Art.7
Aucun tâcheron, chef de chantier ou chef de bricole ne
pourra d’ailleurs jamais ouvrir de cantines pour les ouvriers, mêmes
pour ceux qui lui sont étrangers.
Art.8
Monsieur le commissaire central de Police de la ville de
Poitiers reste chargé de l’exécution du présent arrêté ».
Le commissaire spécial a fort à faire pour assurer l’ordre sur les chantiers de chemin
de fer, en particulier pendant les périodes où l’ouvrier est suspect aux yeux de l’Etat, comme
1640 Ibid.
353

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
c’est le cas pendant une très grande partie du second Empire. Une époque où l’on craint, à
tort ou à raison, l’action des sociétés secrètes.
b) Des tentatives insurrectionnelles
Le XIX e siècle, l’âge d’or des sociétés secrètes politiques, organisations que l’on
imagine tapies dans les ombres, occupées à ourdir de machiavéliques complots en attendant le
moment propice pour passer enfin à l’action et renverser le gouvernement tant abhorré. Les
antagonismes idéologiques et les changements nombreux survenus à la tête d’un Etat plus ou
moins autoritaire fournissent régulièrement des candidats à la révolte tout en alimentant les
phantasmes étatiques. La loi du 10 avril 1834 traduit cette méfiance à la fois envers les
associations mais aussi et surtout à l’encontre des sociétés de secours mutuel alors en plein
essor. Les groupements de personnes de plus de vingt membres sont interdits et les
dispositions du Code pénal aggravées. Les sociétés secrètes deviennent alors un des refuges
d’une action ouvrière encore balbutiante.
Ces sociétés sont par définition difficiles à connaître et à définir 1641 . Le ministère de
l’Intérieur s’y risque en 1848 1642 en les différenciant des réunions privées, telles qu’elles sont
définies à l’époque par l’article 14 du décret du 28 juillet 1848. Cette définition, plus pratique
que juridique, affirme que « les membres d’une société secrète ne prennent pas seulement des
précautions pour éloigner de leurs conciliabules des personnes du dehors, ils cachent leur
but, ils entourent leurs travaux d’un profond mystère, ils ont, en général, des mots d’ordre,
des mots de passe, des signes de ralliement, ils exigent un serment et ils entretiennent des
rapports et des correspondances avec d’autres affiliations de même nature ou tendant au
même but ». Toutefois le ministre termine son exposé en précisant « […] que la réunion de
tous ces caractères n’est pas toujours indispensable pour les constituer [les sociétés
secrètes] », une remarque ne manquant pas d’atténuer considérablement la portée de la
définition qui précède tout en élargissant le champ d’intervention des pouvoirs publics.
Ces groupuscules mettant en péril la sûreté de l’Etat sont très loin de ne concerner que
le monde ouvrier. En 1834, on précise bien que les sociétés industrielles, littéraires, de
1641
Pour une tentative de définition des sociétés secrètes de nature politique voir HUTIN (Serge), Les sociétés
secrètes, Paris, 1952, p.87 et s.
1642
Circulaire du ministère de l’Intérieur du 17 août 1848, ADDS 4M12.1a. Rapport de police et de
gendarmerie ; correspondances politiques concernant les sociétés et les cercles (1827-1861). Les réunions sont
soumises à une autorisation préalable (art. 15 du décret). Mais l’autorité publique estime qu’elles peuvent ensuite
dévier de leur but premier. C’est aux autorités que revient la charge de discerner les sociétés secrètes des
réunions privées, le législateur n’ayant pas pu prendre une position définitive sur le sujet.
354

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
bienfaisance ou de secours « très communes chez les ouvriers » et ayant pour but « le
soulagement des pauvres, le secours entre les ouvriers » ne doivent pas faire l’objet de la
vigilance de l’administration 1643 . En fait la plupart du temps les têtes pensantes appartiennent
souvent au monde des élites qu’elles soient politiques, carlistes, républicaines, libérales 1644 ,
révolutionnaires ou professionnelles.
La définition rappelle les usages et rites compagnonniques nimbés de secrets et de
mystères, particulièrement depuis leur mise à l’index sous la période révolutionnaire. Les
professions artisanales fournissent souvent un nombre non négligeable de membres aux
sociétés clandestines de nature politique. En 1837, l’administration découvre que des sociétés
philanthropiques de tailleurs d’habits, présentes un peu partout dans l’Ouest de la France, de
Rennes à Bordeaux, se sont concertées pour fomenter des coalitions et imposer leurs
conditions aux entrepreneurs. Les villes de Poitiers et de Niort n’y échappent pas 1645 .
Le compagnonnage perdure très longtemps au XIX e siècle malgré l’évolution industrielle des
métiers et le développement et la concurrence du syndicalisme. Le catholicisme social n’est
pas étranger à cette survie. En 1895 la Société des compagnons du tour de France est établie
dans trois villes de Vendée 1646 : La Roche-sur-Yon, Fontenay-le-Comte et Luçon. Cette
société n’est pas limitée à une profession. Le président – tel que le désigne le commissaire
spécial – de la branche yonnaise est tailleur de pierre, celui de Fontenay, chapelier, et le
troisième ferblantier. Au total une trentaine de professions sont représentées. La société
établie à la Roche appartient à une union qui regroupe près de trente villes 1647 au contraire de
celles de Fontenay et de Luçon qui n’y sont pas affiliées 1648 . Cependant ces sociétés sont loin
d’être occultes puisque des congrès sont tenus tous les cinq ans 1649 . Seules quelques pratiques
et quelques sobriquets subsistent des temps anciens. On loge toujours chez la mère des
compagnons et certains présidents adoptent des surnoms, comme le président du congrès de
Nantes appelé « Provençal le résolu ».
1643
Circulaire d’application du 29 avril 1934 concernant la loi du 10 avril 1834 relative aux associations, ADDS
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
1644
Comme la société Aide toi, le ciel t’aidera, aux inspirations démocratiques et présidée par Guizot.
1645
Cf. AGUET (Jean-Pierre), Les grèves sous la monarchie de Juillet, Paris, 1954, 408 p.132 et s., ADV M4.43.
Circulaires et correspondances du préfet (1835-1836).
1646
Rapport du commissaire spécial au préfet de Vendée du 21 juin 1895, ADVd 4M194. Commissariat spécial
de La Roche-sur-Yon. Affaires sociales. Rapports. Correspondance. Coupure de presse. Surveillance des
syndicats professionnels (1893-1914).
1647
Agen, Angers, Angoulême, Avignon, Barbezieux, Bordeaux, Brive, Cognac, Dijon, Elbeuf, Genève,
Marseille, Nantes, Orléans, Paris, La Roche-sur-Yon, Saintes, Saint-Étienne, Saumur, Surgères, Toulon,
Toulouse, Tours, Valence, Villeneuve, Villefranche.
1648
Tout comme celles de Blois, Châlons-sur-Saône, Macon, Marseille, Niort et Vienne.
1649
Les congrès de Bordeaux en 1889 et de Nantes en 1894 créer l’union des sociétés compagnonniques à
laquelle appartient celle de La Roche-sur-Yon.
355

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Des directives ministérielles et des courriers préfectoraux évoquent diverses sociétés
secrètes où l’on soupçonne le monde ouvrier. Sous la monarchie de Juillet, une société
philanthropique niortaise serait en relation avec la Société des Droit de l’Homme 1650 créée en
1833, une association clandestine qui aurait des objectifs économiques puisqu’elle cherche à
imposer aux chefs d’ateliers des tarifs uniques applicables au travail à façon 1651 .
Mais c’est avec l’avènement de Louis-Napoléon Bonaparte que la peur des
associations clandestines rebelles au pouvoir s’amplifie en devenant une véritable obsession
chez les tenants de l’autorité.
En 1850, le maire de Niort dissout la Société d’Apollon soupçonnée de regroupés des
agitateurs influençant les nombreux jeunes ouvriers membres du cercle 1652 . Ce sentiment
d’insécurité s’amplifie à la suite des tentatives d’assassinat dont l’Empereur est l’objet et à
l’arrestation de Louis Charles Delescluze 1653 à Londres d’où il aurait fomenté les actions
clandestines du « parti démagogique ».
En mai 1851 le sous-préfet de Châtellerault soupçonne l’existence d’une société
secrète établie dans le chef-lieu d’arrondissement sans qu’il puisse en prouver la réalité. Ses
supposés membres n’ont jamais pu être pris sur le fait. On les aurait prévenu des intentions
préfectorales 1654 . Cette même année les autorités publiques craignent un coup de force
généralisé dans tout le pays. La date du 30 octobre est évoquée. Châtellerault est considérée
comme la tête de pont du mouvement dans la région 1655 .
Ce type de rumeur circule encore en octobre 1853. Des individus de Poitiers et de
Châtellerault sont arrêtés avant d’être libérés faute de preuves 1656 . L’année suivante c’est à
Parthenay qu’on pressent la formation d’un groupement occulte appelé la Révolution nouvelle
1650 La Société des Droits de l’Homme est une organisation d’inspiration républicaine réunissant près de 4000
membres. Elle prône dans son manifeste d’octobre 1833 le suffrage universel, l’instruction populaire ou bien
encore la liberté d’association ou le droit au travail.
1651 TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit.
1652 Rapport du procureur général du 6 janvier 1850, AN BB30 364.2.
1653 Louis Charles Delescluze (1909-1871) journaliste et homme politique. Il est poursuivi pour complot
républicain en 1836. En 1848, il proclame la république à Valenciennes et devient commissaire de la République
pour le département du Nord. Battu aux élections à la Constituante, il fonde à Paris le journal La Révolution
sociale et démocratique et l'association Solidarité républicaine, qui groupe des radicaux et des socialistes. Après
les journées de juin, il est condamné et fuit en Angleterre. Rentré en France, il est emprisonné finalement à
Cayenne sur l’Ile du Diable. Le 16 août 1859 il est amnistié. Devenu communard il meurt sur une barricade
parisienne. Son obstination à défendre ses idées malgré les épreuves et ses nombreux emprisonnements lui valent
d’être surnommé « la barre de fer ».
1654 Rapport mensuel du préfet de la Vienne au ministre de l’Intérieur du 2 mai 1851, ADV M4.59.
Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853) et ADV M4.60.
Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851). On compte 24 ouvriers sur les 77 personnes suspectées.
1655 ADV M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851).
1656 ADV M4.65. Correspondances du préfet (1853).
356

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
qui recrute ses membres parmi les chefs ouvriers et les commerçants de la cité. Toutefois les
investigations minutieuses demandées par le sous-préfet ne portent aucun fruit. Le préfet lui-
même doute de la réalité de la société. Selon lui les seules personnes dangereuses en ville sont
des « hanteurs de cabarets » bien connus des autorités. Personne ne semble posséder la
stature pour mener à bien de tels projets souterrains 1657 . Toujours en 1854, c’est au tour
d’ouvriers des chantiers de chemin de fer d’être suspectés d’appartenir à un groupement
clandestin, fondé par un cabaretier, Napoléon Vasseur, établi à Vivonne le long de la future
ligne Orléans-Bordeaux. Cet homme, surnommé « Charlemagne », n’est pas un inconnu des
autorités puisqu’il fut interné à La Rochelle deux ans plus tôt par la Commission mixte de la
Vienne. Vasseur fait propagande sur les chantiers de Couhé, Lusignan et Vivonne tout en
organisant des réunions dans une forêt de cette dernière commune 1658 .
A cela s’ajoute la surveillance des déplacements de personnes suspectes, en raison de leurs
opinions, de leurs antécédents judiciaires ou de leurs professions. Le métier d’agent
d’assurance, par exemple, fait l’objet de toute l’attention de l’administration. En effet ce
métier peut constituer une bonne couverture pour des conspirateurs de tout bord car il justifie
de nombreux déplacements.
Le plus souvent la menace semble relever de l’ordre du phantasme. Les zélés
représentants de l’administration dramatisent les faits. Ils sont méfiants à l’extrême, souvent
sans raison. Si des groupements occultes existent, il est généralement long le chemin avant
qu’ils s’en prennent à la sûreté de l’Etat.
Néanmoins des sociétés secrètes ont bel et bien existé dans la région en impliquant par la
même des ouvriers ou des artisans. C’est le cas de la Marianne, une organisation plutôt
implantée en milieu rural, même si on soupçonne l’existence, dans l’arrondissement des
Sables-d’Olonne, d’une de ses branches composée de ferblantiers employés dans une des
conserveries de sardines de la côte.
1657 Rapport confidentiel du sous-préfet de Parthenay au préfet des Deux-Sèvres du 30 décembre 1855, ADDS
4M12.1a. Rapport de police et de gendarmerie ; correspondances politiques concernant les sociétés et les
cercles (1827-1861).
1658 Napoléon Vasseur dit Charlemagne est originaire de Paris où il naît en 1803. Ancien maréchal des logis, il
est chassé de l’armée en raison de ses opinions politiques démocratiques et socialistes. Cf. MAITRON (Jean),
première partie, op. cit., v° Vasseur et ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
357

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
1. La Marianne à Thouars
La société secrète La Marianne est un mouvement clandestin appartenant à la
mouvance socialiste radicale et républicaine. Celle-ci est principalement active dans le Val de
Loire, alors qu’un second réseau de sociétés républicaines s’articule autour de Paris où existe
La Jeune Montagne 1659 .
Dans les années 1855 et 1856 des groupes qui leur sont affiliés organisent un peu partout en
France des tentatives d’insurrection, particulièrement dans les fiefs Montagnards situés au sud
de la Loire 1660 . En mai 1856 c’est le cas dans plusieurs communes de l’arrondissement de
Blois dans le Loir-et-Cher. La Marianne est soupçonnée d’être implantée dans les Basses
Alpes, en Indre-et-Loire, dans l’Hérault, le Gers ou bien encore en Loire-Inférieure où les
autorités constatent la présence « d’ouvriers en assez grand nombre affiliés à La
Marianne » 1661 . Nantes est d’ailleurs considéré comme le siège de cette société secrète.
En 1855, elle ourdit une révolte dans le Maine-et-Loire près d’Angers, à Trélazé, dans
une région réputée pour ses ardoisières 1662 . Elle désire profiter du ressentiment populaire
provoqué par la cherté du pain 1663 . Dans la nuit du 26 au 27 août près de 600 ouvriers, dont
une très grande majorité ardoisiers 1664 , s’emparent des armes présentes dans la gendarmerie et
les habitations de Trélazé pour marcher ensuite sur Angers afin d’y rétablir la République
sociale. Malheureusement pour eux la troupe, bien renseignée, intervient et disperse sans
difficulté les émeutiers paniqués.
C’est en 1856 que les départements de la Vienne et surtout celui des Deux-Sèvres vont
être atteints par la propagande et les actions séditieuses des « marianneux ». Déjà le 23 avril
1856 des individus de la commune de Curzay 1665 , dans l’arrondissement de Loudun, sont
soupçonnés d’être affiliés à l’association clandestine après s’en être pris au curé local et avoir
chanté des chansons hostiles à Napoléon III 1666 . On complote également à Niort où les
1659
Ces deux réseaux auraient fusionné à Paris en septembre octobre 1853 à l’appel de Ledru-Rollin, cf. PETIT
(Jacques-Guy), Marianne en Anjou : l’insurrection des ardoisiers de Trélazé (26/27 août 1855), Annales de
Bretagne et des pays de l’Ouest, année 1997, Laval, tome 104, numéro 3, p.196 et FAUCHER (J.C.), op. cit.,
p.309.
1660
Déjà en juin 1849 dans l’Allier, La Marianne mobilise ses zélateurs tout près de Montluçon, WILLARD
(Claude) (dir.), op. cit., p.146.
1661
AN BB30/417. Affaire de la Marianne.
1662
PETIT (Jacques-Guy), op. cit., pp.187-200, voir aussi TARON (Patrick), op. cit., 864 p.
1663
Une justification que réfutent les autorités.
1664
Près de 90% selon Jacques-Guy Petit.
1665
L’adjoint au maire et ses fils.
1666
Rapport du procureur Damay au garde des Sceaux du 23 avril 1856, AN BB30/417. Affaire de la Marianne.
358

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
membres de La Militante 1667 espèrent former « un noyau de démagogues capable d’entraîner
les ouvriers [de la ville]». Les conspirateurs parcourent également les campagnes avoisinantes
pour recruter d’autres candidats à la sédition. Au final le meneur, un corsetier niortais
dénommé Paillet, est arrêté puis transféré à Paris 1668 .
Mais le véritable coup d’éclat survient le 22 juillet 1856. Une insurrection générale
doit éclater à cette date 1669 . On prévoit de brûler les blés sur pieds et toutes les propriétés des
nobles et des curés puis de propager le mouvement jusqu’à Thouars, Montreuil-Bellay, Niort,
Saumur, Loudun et même Poitiers 1670 . Le plan échoue. Un indicateur le révèle au maréchal
des logis de la gendarmerie de la brigade d’Oyron. Toutefois des émeutes sporadiques ont lieu
comme c’est le cas à Brion-près-Thouet où les femmes comme les hommes résistent aux
gendarmes venus procéder sur place à des interpellations 1671 .
Il s’en suit une grande vague d’arrestations. Le 18 juillet les meneurs sont arrêtés et
quelques-uns d’entre eux avouent sur le champ. Le 21 juillet le procureur Damay 1672 informe
le garde des Sceaux que l’affaire prend des proportions considérables : « Le socialisme a fait
des progrès effrayants dans les communes des cantons de Thouars et d’Argenton Château et
même dans le bocage, c’est un fait malheureusement constaté 1673 ». Plus de 190 personnes
sont suspectées. Le procureur ne poursuit que les plus dangereux, c'est-à-dire surtout les
ouvriers, « animés d’un esprit mauvais ». En effet la plus grande part des insurgés sont des
cultivateurs dont les motivations restent très terre-à-terre bien éloignées des enjeux politiques
nationaux. Les principales causes de la révolte sont la hausse du prix du blé et l’insuffisance
des salaires. On accuse les paysans de faiblesse et de n’avoir pas su résister aux démagogues
locaux influencés par leurs homologues du Maine-et-Loire et de Mayenne qui faisaient
circuler sur place un catéchisme socialiste et républicain 1674 .
1667 La Militante est une société secrète républicaine et socialiste très proche dans ses buts de la Marianne. Elle
cherche avant tout à renverser l’Empereur. On dit également qu’elle souhaite confier le pouvoir à Victor Hugo !,
cf. COMBES (Jean) (dir.), op. cit., p.350.
1668 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Paillet.
1669 BRUNET (Michel), op. cit., p.111 et s.
1670 Un certain Mailly aurait été chargé de transmettre à Poitiers le mot d’insurrection, cf. MAITRON (Jean),
première partie, op. cit., v° Mailly.
1671 ADDS 4M12.2. Rapport de police et de gendarmerie ; correspondances politiques concernant les sociétés et
les cercles (1870-1884).
1672 Natalis Damay est nommé procureur général de la cour d’appel de Poitiers en 1849. Né en 1794 à Amiens, il
est installé procureur du roi à Abbeville en 1830. Il est le seul chef du parquet à avoir occupé la même fonction
pendant tout le second Empire, cf. CHAUVEAU (Frédéric), La magistrature du parquet et la diabolisation du
politique (1830-1870), Droit et Société, Paris, 1996, p.554. Voir également VEILLON (Didier), op. cit., 850 p.
1673 Rapports du procureur au garde des Sceaux du 21 juillet 1856, AN BB30/417. Affaire de La Marianne.
1674 Le rite initiatique est des plus simples puisqu’un simple serment devant témoin suffit pour s’engager dans le
mouvement.
359

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Ici contrairement au mouvement survenu un an plus tôt à Trélazé, on compte peu
d’ouvriers et d’artisans parmi les révoltés. Toutefois ils semblent être plus nombreux à être
condamnés en proportion du nombre total de personnes ayant pris part aux événements de
juillet. Le 13 septembre 1856, on dénombre 31 ouvriers et artisans, dont huit maréchaux, six
charpentiers et quatre tisserands, parmi les 80 condamnés par le tribunal correctionnel de
Bressuire 1675 .
Ce coup de sang survenu dans les campagnes du thouarsais est aussi éphémère qu’un
feu de paille un soir orageux d’été. Les rapports ultérieurs consacrés à cette population le
constatent tous. En 1860 le sous-préfet de Bressuire le souligne. Il estime que les anciens
coalisés sont très paisibles et qu’ils ne méritent aucune mesure spéciale 1676 .
Bien plus tard, en 1873, un rapport confidentiel fait le point sur les conséquences et
l’éventuelle survivance de sentiments séditieux dans le canton de Thouars 1677 . Encore une fois
l’exagération est de mise chez les représentants de l’Etat puisque le sous-préfet n’hésite pas à
comparer La Marianne et la situation de 1856 à l’Internationale en Europe ! Cependant il
constate également que le calme règne dans la campagne. Quelques-uns des marianneux sont
même devenus maires de certaines communes alentours.
Si l’insurrection du nord des Deux-Sèvres est marquée par son caractère rural, la
Marianne influence également des sociétés secrète purement ouvrières comme celle que
l’autorité administrative soupçonne d’exister dans l’arrondissement des Sables-d’Olonne en
Vendée.
2. Le démantèlement d’une société secrète aux Sables-
d’Olonne 1678
C’est en mai 1856 qu’un tenancier d’une maison de prostitution de Cholet 1679 , informe
le commissaire de police des Sables-d’Olonne qu’il existe depuis plusieurs années, dans le
1675 AN BB30/417. Affaire de la Marianne et ADDS 4M13.3. Dossiers collectifs, tableaux, états de
renseignements concernant les inculpés, surveillés politiques. Opposition à l’Empire, amnistie, dossiers
divers (1852-1859).
1676 Rapport du sous-préfet de Bressuire du 15 juin 1860, ADDS 4M13.3. Dossiers collectifs, tableaux, états de
renseignements concernant les inculpés, surveillés politiques. Opposition à l’Empire, amnistie, dossiers
divers (1852-1859).
1677 Rapport confidentiel du sous-préfet de Bressuire du 25 août 1873, ADDS 4M12.2. Rapport de police et de
gendarmerie ; correspondances politiques concernant les sociétés et les cercles (1870-1884).
1678 ADVd 4M401. Société secrète de la Chaume. Surveillance, démantèlement (1856).
1679 Auparavant cet individu a exercé son médiocre métier aux Sables-d’Olonne.
360

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
quartier de la Chaume, une société secrète affiliée à La Marianne 1680 . La confiserie de
sardines Cognée serait la cellule de base de l’organisation regroupant les ferblantiers locaux.
Les réunions se dérouleraient le premier dimanche de chaque mois et le jour anniversaire de la
République dans l’usine et dans un cabaret tout proche. Une correspondance existerait avec
plusieurs villes dont principalement celle d’Angers, cité où La Marianne est bien implantée.
Le contremaître Pinguet serait le président de l’association clandestine. Cet homme
n’embaucherait que des personnes aux opinions politiques proches des siennes. Les
cotisations versées par les membres seraient utilisées pour venir en aide aux déportés et aux
condamnés politiques. Enfin le mouchard complète son tableau par une précision qui ne
manque pas de stimuler l’imagination fertile des autorités : les comploteurs disposeraient
d’une clef des portes de l’arsenal.
Devant autant d’éléments 1681 , le ministre de l’Intérieur, sur requête du procureur, décide
d’envoyer sur place un agent secret chargé d’infiltrer le groupuscule séditieux. C’est un
maître charpentier qui est choisi pour accomplir cette tâche dangereuse. Cet homme, « habile
et expérimenté » selon le préfet de police de Paris, est accompagné de sa femme, une
personne qui « lui est d’un très utile secours dans l’accomplissement des missions qu’il a
plusieurs fois reçues du ministère ».
A partir de la fin du mois de mai les rapports journaliers se suivent. Rapidement
l’agent gagne la confiance des ferblantiers et des maîtres charpentiers du port. Au début ils
fanfaronnent, font des confidences à un frère franc-maçon, affirment avoir des papiers à brûler
et louent la personne de Ledru-Rollin. Des noms circulent comme ceux d’un maître bottier
des Sables 1682 et d’un médecin démocrate très influent 1683 . Un autre raconte avoir appartenu à
une société secrète fondée à Limoges. Des d’éléments qui confirmeraient qu’il se trame
quelque chose dans la région, sans qu’il y ait pour autant de preuves concrètes :
« Monsieur le préfet toutes ces minuties et préoccupations nous prouvent
qu’il y a quelque chose mais aussi avec combien de prudence, de soin,
d’intelligence, il faut agir pour arriver au but désiré, car en présence de
leur situation actuelle, ils n’osent même pas parler 1684 ».
1680
Rapport du procureur Damay au garde des Sceaux du 8 mai 1856, AN BB30/417. Affaire de La Marianne.
1681
Seul le procureur général de la Cour impérial d’Angers ne prend pas au sérieux les allégations du
dénonciateur, courrier au garde des Sceaux en date du 13 mai 1856, Ibid.
1682
Ionnet, « un républicain acharné ».
1683
Le sieur Boyer.
1684
Rapport de l’agent Porché de fin mai et début juin 1856, ADVd 4M401. Société secrète de la Chaume.
Surveillance, démantèlement (1856).
361

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Le préfet et le commissaire de police des Sables pressent Porché d’agir et de provoquer les
comploteurs. L’agent propose de fomenter une société secrète. Les ouvriers s’y refusent.
Aucun d’entre eux ne souhaitent se lancer dans ce genre de folle entreprise. D’ailleurs ils
affirment qu’il est « stupide de s’occuper sérieusement de politique dans une si petite
localité ». Si bien que l’agent estime qu’aucun projet de société séditieuse n’existe
sérieusement sur place. Les jeunes ferblantiers 1685 sont trop terrorisés par les arrestations
touchant La Marianne dans les autres départements. La mission de l’agent secret est terminée.
Le commissaire de police et le sous-préfet ne partagent pas cette opinion. Ils sont bien
décidés à aller jusqu’au bout. Ils semblent vouloir utiliser cette affaire comme un tremplin
pour leurs carrières 1686 . Les propos de la tenancière du cabaret où se réunissent de temps à
autre les ouvriers le renforcent dans son idée. Celle-ci affirme directement au commissaire
venu dans son établissement 1687 que « les ouvriers ferblantiers […] forment entre eux une
société secrète dont la réunion a lieu sous le toit où ils travaillent [la fabrique Cognée] ». Elle
cite même le nom de « quatre exaltés » qui auraient appartenu par le passé à une société
secrète de La Rochelle 1688 . Elle poursuit en précisant que lorsque les événements d’Angers
concernant la Marianne ont eu lieu l’année précédente, les ouvriers d’ici étaient prêts à agir et
attendaient les ordres de Pinguiet. Une conversation interrompue par l’arrivée impromptue
dans le cabaret de ce même Pinguiet.
Dans les jours qui suivent on procède à l’ouverture du courrier des individus
suspectés. Les autorités imaginent qu’il existe une correspondance politique entre Les Sables
et La Rochelle via la côte où les barques de pêche voguent sans contrôle. Le préfet de
Charente Inférieure va mettre le littoral sous surveillance 1689 . Les personnes quittant la
commune sont suivies. On procède à l’arrestation de l’une d’entre elles lors de son séjour à
Nantes. Le préfet de Loire-Inférieure perquisitionne ses affaires. Il n’y trouve aucun
document compromettant.
L’autorité publique ne dispose pas de preuve matérielle ou de commencement
d’exécution d’un complot, ce que ne manque pas de rappeler le préfet de Charente
1685 On compte 32 ferblantiers, la plupart très jeunes, entre 16 et 18 ans.
1686 Le commissaire de police des Sables semble être peu apprécié de la hiérarchie quelques temps avant que
l’affaire ne se déclenche, cf. lettre du ministère de l’Intérieur, direction de la sûreté publique, du 16 mai 1856,
Ibid.
1687 Rapport du commissaire de police des Sables-d’Olonne au sous-préfet du 8 juin 1856, Ibid.
1688 Elle nomme les sieurs Dalidoux, Dauvergne, Piolin et Pinguiet. Ce dernier serait le chef. La cabaretière
précise même qu’il aurait un buste de Marianne chez lui.
1689 Courrier du préfet de Vendée du 24 juin 1856, ADVd 4M401. Société secrète de la Chaume. Surveillance,
démantèlement (1856).
362

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Inférieure 1690 . Néanmoins, début juillet, on décide d’agir. La gendarmerie intervient, arrête les
suspects et perquisitionne leur domicile où rien de probant n’est trouvé à l’exception de
quelques armes.
L’affaire se termine par une ordonnance de non-lieu prise le 14 août 1856. Seuls deux
ouvriers sont inquiétés. Le premier pour détention d’armes de guerre. Il doit payer une
amende de cinq francs. Le second est plus lourdement condamné. Il doit purger trois mois
d’emprisonnement et payer trois cent francs d’amende pour « excitation à la haine et au
mépris du gouvernement et de l’Empereur ». Cet homme semble avoir été mouchardé par la
tenancière du cabaret.
Le procureur Natalis Damay explique au garde des Sceaux qu’en réalité la majeure
partie des ferblantiers concernés appartient bien à une société, mais à une société
compagnonnique d’entraide : l’Union. Il affirme que tout ce qui est resté sans contradiction
pendant l’enquête et la procédure peut se rattacher à cette société 1691 . Des conclusions qu’a du
mal à partager le sous-préfet, intimement convaincu de l’existence d’un mouvement séditieux
à La Chaume…
Parfois des mouvements ouvriers plus spontanés peuvent mettre en danger l’ordre
public. C’est le cas des grèves et plus particulièrement des manifestations qu’elles peuvent
engendrer. Cependant il n’est pas question ici d’étudier en détails les coalitions et les grèves
qui se déroulent dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne. Nous
le ferons plus loin.
De même certains événements politiques et judiciaires suscitent l’appréhension des
autorités quant aux réactions qu’ils peuvent engendrer dans la classe ouvrière de la région.
Cette inquiétude apparaît notamment en 1849 à l’occasion du procès dit « des accusés de
Limoges » qui se déroule devant la Cour d’assise de Poitiers 1692 . Le ministre de l’Intérieur de
l’époque comme le préfet de la Vienne craignent que les audiences offrent aux accusés 1693 une
tribune pour promouvoir leurs idées « avancées et socialistes ». Il redoute une forte excitation
parmi les ouvriers de la région et le réveil des éventuelles sociétés secrètes qui pourraient y
1690 Le préfet de Charente Inférieure informe le préfet de Vendée le 5 juillet 1856, Ibid.
1691 Rapport du procureur Damay au garde des Sceaux du 14 août 1856, AN BB30/417. Affaire de la Marianne.
1692 ADV M4.57. Correspondances du préfet (second semestre 1849).
1693 Les accusés sont des ouvriers qui se sont révoltés à Limoges suite à la proclamation des résultats des
élections d’avril 1848. La ville connaît pendant quelques jours une véritable Commune avant la lettre. Le sang
n’ayant pas coulé, la cour d’assises de la Vienne prononce des peines de deux ans de prison, WILLARD
(Claude) (dir.), op. cit., pp.135-136.
363

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
exister. C’est pourquoi on demande de renforcer la troupe à Châtellerault, la ville ouvrière
majeure du département, et à Poitiers, dont étudie sérieusement le plan des rues pour choisir
le type d’unité militaire le mieux approprié à intervenir en cas d’émeute. Mais au final le
procès se déroule dans le calme.
La crainte des mouvements de foule ou des manifestations séditieuses est aussi
évoquée tous les ans à l’occasion de la fête du travail du 1 er mai.
c) La hantise du 1 er mai
En 1889, la II e Internationale socialiste, réunie à Paris pour le centenaire de la
Révolution française, adopte le 1 er mai comme jour de revendication des travailleurs du
monde entier 1694 . Un jour déjà choisi par l’Américan Fédération of Labor 1695 et marqué en
1886 par de violent incidents à Chicago. Cette journée, fête du travail, est surtout l’occasion
de militer pour la journée de huit heures.
Dès 1890 des manifestations ont lieu un peu partout en Europe ainsi qu’aux Etats-
Unis. Un an plus tard, le 1 er mai est endeuillé par la mort de dix ouvriers abattus par la troupe
dans la petite ville de Fourmies, dans le nord de la France. Cette journée s’enracine alors
comme un point d’orgue de la lutte ouvrière. La même année des anarchistes parisiens
s’illustrent en prenant à parti le gouvernement et le chef de l’Etat. Quelques mois plus tard, le
Congrès international socialiste de Bruxelles fixe le caractère revendicatif et international de
cette date. En 1906, de violentes manifestations ont lieu en France, notamment à Paris où on
dénombre 800 arrestations et de nombreux blessés.
Le 1 er mai a très peu de conséquences dans la région. Le faible développement du
syndicalisme explique dans un premier temps une mobilisation défaillante. Puis aux alentours
de 1895 la date devient purement symbolique et trop abstraite aux yeux des travailleurs. Elle
ne marque plus que l’adhésion à l’Internationale et perd son caractère revendicatif.
Dans la Vienne, le 1 er mai ressuscite à partir de 1903 à Poitiers et seulement en 1909 à
Châtellerault du fait de la reconstitution tardive du mouvement syndical dans cette ville. Une
commémoration tardive causée en partie par l’interdiction à la manufacture d’armes de toute
absence le 1 er mai sous peine de renvoi 1696 . Dans les Deux-Sèvres, il faut attendre 1901 pour
1694 Voir TARTAKOWSKI (Danielle), La part du rêve. Histoire du 1 er mai en France, Paris, 2005, 333 p.
1695 Cette date correspond aux Etats-Unis au début de l’année comptable des entreprises.
1696 MARION (Jacques), op. cit., p.81.
364

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
que cette date soit célébrée pour la première fois à Niort, avant que la bourse du travail ne
s’en saisisse à partir de 1909 1697 .
Le décalage est frappant entre les consignes émanant du ministère de l’Intérieur
traduisant l’anxiété du pouvoir en place vis-à-vis de la journée du 1 er mai et les réponses
sereines de leurs subalternes en place dans les départements de la région.
Nombre de directives ministérielles demandent aux préfets de veiller au maintien de
l’ordre lors des manifestations, par ailleurs souvent interdites. Elles insistent particulièrement
sur l’exhibition de symboles révolutionnaires au premier chef desquels il y a le drapeau rouge.
Cet emblème est interdit non seulement sur la voie publique mais aussi lors des réunions 1698 .
On autorise néanmoins la réception par les représentants de l’Etat de petites délégations à
conditions 1699 « qu’elles soient peu nombreuses, isolées, et qu’elles ne se livrent à aucune
manifestation qui ait le caractère d’une menace ou qui soit susceptible de compromettre
l’ordre public ». Si les délégations respectent les formes exigées alors l’accueil doit être
« bienveillant » et les doléances notées avec exactitude.
Les consignes de prudence émanant du ministère de l’Intérieur continuent après 1900.
Une circulaire du 25 avril 1907 rappelle les mesures à prendre pour éviter tout débordement et
la possibilité d’appliquer la procédure spéciale issue de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté
de la presse. Les événements violents parisiens de l’année précédente sont encore présents
dans les esprits.
Dans le même temps les préfets des trois départements répondent tranquillement aux
inquiétudes étatiques.
En 1892, les sous-préfets de Fontenay-le-Comte et de Sables-d’Olonne ne redoutent
aucun trouble. Les ouvriers locaux sont considérés comme n’étant pas du tout turbulents et
incapables de manifestations bruyantes en particulier en faveur des idées socialistes et
révolutionnaires 1700 .
1697
CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., pp.711-
712 et 714.
1698
Télégramme codé émanant du ministère de l’Intérieur aux préfets de mars 1894, ADDS 4M11.2a. Rapports
de police et de gendarmerie : correspondances politique concernant les congrès et réunions publiques et privées
(1881-1905).
1699 er
Instructions du préfet de la Vienne aux sous-préfets du département, ADV M4.226. 1 Mai (1890-1909)
1700
Rapports du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 3 avril 1892 et du sous-préfet des Sables-d'Olonne du 23
avril 1892, ADVd 4M414. Manifestations ouvrières du 1 er mai (1892 ; 1940).
365

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
En 1894 on dresse le même constat : il n’y aura pas de manifestations et encore moins
de jours chômés. « C’est absolument certain » à Parthenay 1701 , A Niort les ouvriers « sont peu
enclins à entrer publiquement en lutte avec les patrons et à organiser des manifestations dans
la rue. Il n’y a aucun trouble à redouter » 1702 . Autant de remarques qui valent pour les années
suivantes dans tous les arrondissements des Deux-Sèvres.
L’attitude du sous-préfet de Châtellerault en 1899 illustre bien la sérénité des autorités
locales. Cette année là un « appel aux travailleurs » signé des syndicats ouvriers et des
groupements socialistes de la ville exhorte les ouvriers du crû à livrer « une suprême
bataille » contre les ennemis coalisés en arborant fièrement le drapeau rouge « sur les
décombres fumants de la société capitaliste ». Le sous-préfet reste de marbre devant une telle
menace. Il affirme ne redouter aucun trouble. Pire, il ironise sur les menaces proférées.
« La suprême bataille se terminera à onze heures du soir, heure de
la fermeture réglementaire des cafés. […] Le soleil de germinal se
lèvera donc le 2 mai, sans que la société en général et Châtellerault
en particulier se doutent de la lutte suprême qui leur fut livrée la
veille, et sans qu’il ait été besoin de prendre des mesures d’ordre
spéciales pour réprimer les manifestations qui n’auront pas lieu ».
Le rapport du 2 mai confirme ces prévisions. La veille les manifestants se sont borné à
chanter l’Internationale des travailleurs, de dire quelques monologues, de pousser quelques
cris et surtout de boire beaucoup 1703 . La plupart du temps le 1 er mai n’est qu’une occasion pour
les ouvriers de faire la fête. On y chante, on y danse et on y rit. Les esprits sont détendus et
peu enclins à revendiquer ou à manifester.
L’année 1906 marque un retour au premier plan de la journée des travailleurs à
l’initiative de la CGT. Au niveau national on espère enfin obtenir la journée de huit heures.
L’autorité publique elle aussi se prépare minutieusement. Le ministère de la Guerre donne des
consignes strictes 1704 . Les troupes doivent se tenir prêtes à intervenir, en tenue de campagne et
armées 1705 . Chaque région doit essayer de mobiliser uniquement ses propres troupes sans faire
appel aux troupes des départements et des régions voisines.
1701 Rapport du sous préfet de Parthenay du 16 avril 1894, Ibid.
1702 Rapport du préfet du 17 avril 1894, Ibid.
1703 Rapports du sous-préfet de Châtellerault du 27 avril et 2 mai 1899, ADV M4.226. 1 er mai (1890-1909).
1704 ADVd 4M414. Manifestations ouvrières du 1 er mai (1892 ; 1940).
1705 Toutefois les dragons ne porteront pas la lance.
366

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
On craint des arrêts de travail. Dans les Deux-Sèvres la brigade de gendarmerie de
Saint-Maixent rapporte la visite en ville d’ouvriers typographes venus inciter leurs
homologues à se mettre en grève 1706 . Ils auraient menacé de venir sur place le 1 er mai en
compagnie de collègues niortais et parthenaisiens pour obliger les ouvriers à quitter le travail
« même par la force si besoin est ». Une appréhension qui n’est pas fondée selon d’autres
sources. Malgré cela des rondes de police 1707 supplémentaires sont prévues à cette date. A
Niort la même rumeur se répand.
Les craintes s’avèrent largement exagérées. Le 1 er mai 1906 est comparable dans la
région à celui des années précédentes.
Le 1 er mai n’est en réalité que l’occasion de se rassembler. A Niort la bourse du travail
fête pour la première fois le 1 er mai en 1909 1708 . Seuls soixante hommes et quatorze femmes y
assistent, alors que cinq cent personnes étaient attendues 1709 . L’aspect revendicatif revient au
premier plan. En 1911 une grande réunion publique a lieu sous l’égide de la bourse du travail
de la ville. On y aborde les thèmes récurrents : salaires, semaine anglaise, réduction du temps
de travail à 8 heures. A cela s’ajoutent des protestations contre les condamnations pour délits
politiques et les arrestations qualifiées d’arbitraires subies par les camarades de la cause
ouvrière 1710 . Toutefois en 1912 l’audience est faible puisque seules soixante personnes
assistent aux débats et aux conférences 1711 . Cette mobilisation inquiète les autorités. En 1910
la troupe est consignée. Toutefois aucun débordement n’est signalé tout comme les années
précédentes et celles qui suivent 1712 .
mondiale 1713 .
En Vendée, aucun incident n’est constaté lors des 1 er mai précédant la Première Guerre
Le monde ouvrier local fait incontestablement l’objet d’une attention particulière de la
part des autorités administratives et politiques. Toutefois il n’est pas prioritaire. D’autres
questions apparaissent bien plus urgentes et bien plus périlleuses aux yeux du pouvoir en
1706
Rapport de la brigade de gendarmerie de Saint-Maixent du le 30 avril 1906, ADDS 4M6.28a.Mouvement
social ; rapports divers [1904 ; 1913].
1707
On ne désire pas que l’armée intervienne car les soldats pourraient être cause de tapage. On les qualifie de
mauvaises têtes ou de parisiens.
1708
CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.723
1709
ADDS 11M19.13.F. Conflits et grèves [1901 ; 1941].
1710
On prend soin tout de même de se démarquer des actes anarchistes qui émaillent cette période.
1711
ADDS 4M11.3a. Rapports de police et de gendarmerie : correspondances politique concernant les congrès
et réunions publiques et privées (1908-1913).
1712
ADDS 11M19.13.F. Conflits et grèves [1901 ; 1941].
1713 er
ADVd 4M414. Manifestations ouvrières du 1 mai (1892 ; 1940).
367

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
place quelles que soient les idéologies les guidant. C’est le cas dans le premier tiers du XIX e
siècle de la chouannerie, puis plus largement de l’opposition monarchique, mais aussi des
mouvements d’oppositions républicains et bonapartistes.
Mais si l’ouvrier est surveillé, qu’en est-il de ses éventuels débordements ? Fait-il l’objet
d’une répression importante et particulière ? L’institution judiciaire se montre-t-elle sévère ou
magnanime ? Quelles sont les circonstances particulières qui provoquent le courroux de la
justice ?
368

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
II- La répression judiciaire
Exception faite des violations des règles générales de droit commun 1714 , deux sortes de
circonstances poussent la justice à poursuivre et à condamner des ouvriers.
Le premier cas concerne les infractions commises à titre individuel par des individus
touchés, de près ou de loin, par les prémices du mouvement social ou bien encore par les
questions d’ordre politique qui agitent l’ensemble de la population française au XIX e siècle.
La seconde occurrence se rapporte aux violations des lois condamnant les coalitions de gens
de métiers, ou plus tard limitant le droit de grève. Ici le travailleur industriel et artisanal ayant
affaire à la justice est intégré à un mouvement collectif duquel il se distingue par ses actes ou
par ses engagements politiques ou sociaux.
A- Poursuites et condamnations d’ouvriers
Les antagonismes importants dans la lutte pour le pouvoir entre des factions aux
convictions opposées durant tout le XIX e siècle expliquent que les délits de nature politique
occupent une place très importante dans l’esprit des autorités publiques et des tenants de
l’ordre judiciaire. Les atteintes à l’Etat et à ses représentants sont particulièrement réprimées
lors des deux premiers tiers du siècle, et bien entendu les ouvriers comme les artisans n’y
échappent pas.
a) La traque aux propos séditieux
Ce type d’infraction politique apparaît comme la plus répandue 1715 . Il est facile de se
répandre en propos rebelles ou séditieux sans toujours en mesurer les conséquences.
Les travailleurs fautifs regrettent dans un premier temps les époques précédentes et ces
gouvernements que des forces opposées ont désormais remplacés. L’ouvrier se remémore
avec tristesse la grandeur des actes de l’Empereur des français ou bien déplore la mise à
1714 On compte à Châtellerault de très nombreux exemples de rixes opposant militaires et ouvriers ainsi que des
vols de métaux et de pièces d’armes au sein de la manufacture (cf. par exemple Le Mémorial du Poitou en date
du 23 septembre 1911).
1715 Cf. PERROT (Michelle), Archives policières et militants ouvriers sous la troisième République. Un
exemple : le Gard, Revue d’histoire économique et sociale, 1959, n°2, p.229.
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Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
l’écart de la branche légitime des Bourbons. Les cabarets et quelques mouvements de foule
résonnent tour à tour de ces échos nostalgiques.
En 1829 une peine de 4 ans de prison sanctionne un ouvrier charpentier et un maçon
de Montmorillon ayant tenu des propos républicains dans une manifestation protestant contre
la hausse du prix du blé 1716 .
Trois années plus tard deux travailleurs du bâtiment 1717 sont poursuivis pour
« exaltation à la haine » après avoir entonné des chants séditieux dans des cabarets et des
pensionnats de Poitiers 1718 . Ils clament leur espoir d’un avènement prochain d’Henri V, le tout
jeune comte de Chambord 1719 .
Par la suite, les représentants du monde ouvrier se montrent beaucoup moins
nostalgiques. Les âges d’or du passé disparaissent au profit des nouvelles thèses promettant
un avenir plus radieux. Bien entendu ces thèses se heurtent violemment aux credo défendus
par le pouvoir en place, en particulier après 1848 et durant les années répressives du second
Empire. Louis Napoléon Bonaparte devient pour certains travailleurs la cible à abattre. Ceux-
là se moquent bien qu’il ait écrit L’extinction du paupérisme quelques années plus tôt.
Entre 1849 et 1851, on compte 36 ouvriers sur les 52 personnes poursuivies pour délits
politiques, le plus souvent de simples propos séditieux et parfois des paroles incitatives à la
haine contre des catégories de la population, le plus souvent les riches et les bourgeois.
En 1849 deux ouvriers 1720 et un aubergiste de Saint-Maixent sont poursuivis pour
avoir troublé une représentation se moquant des thèses icariennes. Ils s’en prennent
violemment au prince président, à la république modérée, à la propriété et à la gendarmerie,
tout en faisant l’éloge de Louis Blanc, de Cabet et des chefs ouvriers inculpés après les
événements du 15 mai 1848 1721 . Trois individus acquittés par le jury d’assise malgré la
virulence avérée de leurs propos 1722 .
1716 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° P. Bernard et A. Bouriaud (dit Limousin).
1717 Un maçon et un tailleur de pierres, deux professions souvent représentées dans ce type de délit.
1718 ADV 2U 1506. Dossiers de Cour d’assise de la Vienne [1832].
« En avant marchons
Braves compagnons
Et rétablissons le trône des bourbons
[…] Henri V voilà notre roi … »
1719 L’un des deux ouvriers concernés, le tailleur de pierres Baillargeau, commence cette année là sa carrière
d’agitateur politique. En effet ce légitimiste convaincu devient par la suite un communiste icarien résolu tout en
présidant la Fraternité Ouvrière des tailleurs de pierres de Paris. Il participe aux événements de juin 1848 ce qui
lui vaut d’être transporté en Algérie. Cf. MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Baillargeau.
1720 Un tailleur d’habits et un ferblantier.
1721 Le 15 mai 1848, une manifestation populaire, composée d’ouvriers et d’artisans parisiens pénètrent à
l'Assemblée constituante afin de la déclarer dissoute et de former un gouvernement révolutionnaire. Les
370

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Nombre d’ouvriers sont traduits en justice pour avoir interprété diverses chansons
hostiles au régime parmi lesquelles le Chant des vignerons apparaît en bonne place. Des
chants très populaires ayant bien plus d’effets sur les foules que de longs discours. En 1850,
un maître imprimeur de Châtellerault est poursuivi après avoir publié et vendu des
exemplaires de cette chanson particulièrement virulente 1723 .
Extrait du Chant des vignerons :
« Pauvre ouvrier, tu construis pour le maître
De beaux châteaux, de somptueux palais ;
Tu fais aussi des prisons pour te mettre
Car tu le sais, les gros n’y vont jamais
[…]
C’est encore toi, pauvre, qui fait la guerre
Tu forges aussi des fers au genre humain ;
A l’occasion, tu fusilles ton frère ;
Souvent, hélas ! insurgé par la faim
[…] »
L’individu est également inquiété pour avoir divulgué le Chant des paysans, une violente
diatribe contre Louis-Napoléon Bonaparte. L’artisan semble être acquitté par les tribunaux.
Néanmoins d’autres condamnations suivront 1724 .
L’année 1851 est synonyme de nombreuses poursuites pénales envers des ouvriers et
des artisans. Par exemple, un ouvrier cordonnier de 21 ans, domicilié dans la commune du
Vigeant, située au sud-ouest du département de la Vienne, est traduit devant les tribunaux
pour « attaque contre la constitution et incitation à la haine du gouvernement. 1725 »
Au second semestre de la même année c’est au tour de trois ouvriers 1726 de
Châtellerault de subir l’ire de la justice pénale. Le parquet les poursuit pour « excitation au
mépris des citoyens et du gouvernement et provocation à la guerre civile ». Le 3 mai 1851, à
manifestants sont dispersés par la garde nationale et la troupe. Les chefs ouvriers (Blanqui, Barbès, Albert
Raspail, Sobrier) sont arrêtés.
1722 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Jules Amail, J. Allard, et P. Lamarque.
1723 ADV 2U 1599. Dossiers de Cour d’assise de la Vienne [1850].
1724 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Henry.
1725 ADV 2U 1604. Dossiers de Cour d’assise de la Vienne [1851].
1726 Charles Fournier, 33 ans, serrurier et forgeron, Augustin Moricet/Morisset, 37 ans, cabaretier et menuisier, et
Antoine Marcellin Truc, 23 ans, tailleur d’habit.
371

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Thuré, ils ont tenu publiquement des propos favorables à la République rouge et à la
Montagne et provoqué à l’insurrection 1727 :
« Que ces [?] de blancs avaient fait démonter les cheminées
des fusils de la manufacture d’armes de Châtellerault, et caché les
sabres, mais que, malgré cela, les ouvriers étaient armés, et qu’ils
avaient tout ce qu’il fallait pour se battre.
Que lendemain, 4 mai, anniversaire de la proclamation de la
république, on se révolterait par toute la France.
Que si ce n’était pas le lendemain ce serait le lundi 5 : qu’il
y aurait un coup de chien ;
Que si la malle n’arrivait pas à l’heure accoutumée, on se
révolterait à Châtellerault ;
Qu’il fallait que les habitants de Thuré se révoltassent et
allassent à Châtellerault pour porter secours, afin de renverser les
blancs qui font tant de mal aux malheureux ouvriers, en ne leur
procurant pas d’ouvrage ;
Qu’il fallait tous se révolter ;
Que le lendemain, si l’on se battait, les ouvriers viendraient
chercher les gens de Thuré, et que l’on connaîtrait bien les blancs
des rouges ;
Que si quelques-uns se cachaient dans leurs caves, on les
forcerait bien de se joindre aux autres ;
marcher ;
Qu’ils viendraient plus de 50 les chercher et les forceraient à
Que quoiqu’on les eût désarmés, ils sauraient se procurer
des instruments de combat, qu’il emmancherait au bout d’un bâton
de 5 pieds de long son couperet ou hachereau, et qu’il en couperait
et taillerait ces [?] de blancs »
A ces paroles s’ajoutent des chansons séditieuses 1728 entonnées dans le cabaret de Moricet où
le dénommé Truc lit régulièrement des articles du journal Le Siècle 1729 . Le procureur de la
République insiste auprès de son supérieur sur la nécessité absolue de sanctionner ces
1727 ADV 2U 1604. Dossiers de Cour d’assise de la Vienne [1851].
1728 Le chant de la guillotine, Le bal de la guillotine et bien entendu Le chant des vignerons.
1729 Journal lancé en 1836 en parti grâce au financement du banquier Laffitte, il est l’organe de la gauche
dynastique et anticléricale.
372

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
actes 1730 . Un acquittement serait considéré comme une victoire sur l’autorité du parti de la
démagogie qu’il estime « si nombreux dans cette ville [Châtellerault] ». Toutefois il fait état
des difficultés qu’il rencontre pour obtenir des témoignages et des renseignements sur les
prévenus. On coopère peu à Châtellerault avec les autorités. Tant et si bien que finalement les
trois individus sont acquittés aux assises.
Cette période précédant le coup d’état du 2 décembre semble marquée par la clémence
relative des jurys composant les cour d’assise. Nombre de poursuites semblent se conclure par
l’acquittement. Dans la Vienne près de la moitié des poursuites n’aboutissent pas 1731 . On peut
considérer que la majorité des prévenus ont compris la leçon. Les poursuites ont été
dissuasives. Néanmoins, d’aucuns subissent aussi de lourdes condamnations pour de simples
cris séditieux comme c’est le cas d’un peintre vitrier de Saint-Savin contraint de purger une
peine de trois mois d’emprisonnement. Les sanctions sont bien plus sévères quand la violence
inonde les paroles proscrites par le régime et quand l’ordre public est mis en cause : treize
mois de prison pour deux cordonniers de l’Isle-Jourdain 1732 condamnés pour provocation au
pillage et à la haine contre la bourgeoisie 1733 .
Date de
l’infraction
13 août 1849
Tableau 10 : ouvriers jugés par la Cour d’assise du département de la Vienne
pour délits politiques entre 1849 et 1851 :
Nom Profession Domicile Accusation Verdict
Déringère
Charles
Galas Jean
Godu Louis
Antoine
Ouvrier en
arme
Fabricant
d’outils et
cordonnier
Châtellerault Cris séditieux Acquittement
Vendôme
Plâtrier Gençay
373
Provocation à la
haine contre les
riches et au pillage
Cris et discours
séditieux
Un mois de prison et
cent francs d’amende
Acquittement
Serreau Jean
Ouvrier en
arme
Châtellerault Idem Idem
14 août 1849
Orval Henri
Joseph
Armurier Châtellerault Idem Idem
Céresier Victor Idem Idem Idem Idem
Un mois de prison et
Content Etienne Idem Idem Idem
interdition de vote
14 août 1849
Dehove Nicolas
pendant 5 ans
dit « le gros
Nicolas »
Idem Idem idem Idem
1730
Courrier du procureur de la république du tribunal de première instance de Châtellerault au procureur général
en date du 1 er juin 1851, ADV 2U 1604. Dossiers de cour d’assise de la Vienne [1851].
1731
Cf. tableau ci-dessus.
1732
L’un d’eux est récidiviste.
1733
ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859 ) et MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° F.
Roy et A. Treuil.

9 juin 1850
20 août 1850
Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Pacaud Louis Maçon Idem Sédition Huit jours de prison
Hervé François Idem Idem Idem Idem
Touzalin
Antoine
Idem Idem Idem Idem
Alexandre
Frédéric
Menuisier Idem Idem Idem
Thénault Pierre Coutelier Idem Idem Idem
Arnault
Alexandre
Maçon idem Idem Idem
Brechet Victor Tisserand Saint léger Cris séditieux Quinze jours de prison
Morin Eugène
Tailleur de
Chauvigny Idem Acquittement
pierre
Bideaux Jules Perruquier Idem Idem Idem
Penot Benjamin Cordonnier Idem Idem Idem
Ougron
Boulanger Idem Idem Un mois de prison
Ferdinand
Gergaud
Armand
Paillé Maurice
Treuil Armand
Alexandre
Terrassier Idem Idem Idem
Tailleur de
pierres
374
Idem Idem Idem
Boulanger Idem Idem Quinze jours de prison
Mélivier Félix Cordonnier
L’Isle
Jourdain
Cris séditieux Acquittement
Philibert Louis Menuisier Idem Idem Idem
23 novembre
1850
Dechaume Jean
Fradin Honoré
Idem
Serrurier
Idem
Usson du
Poitou
Idem
Idem
Idem
Idem
Vergnaud
Auguste
Cordonnier Poitiers Idem Idem
25 novembre
1851
Besse Victor dit
fortune
Netzer Sylvain
dit Parisien
Idem
Peintre vitrier
Saint-Savin
Idem
Cris séditieux
Idem
Idem
Trois mois de prison
Fournier Charles
Serrurier et
forgeron
Châtellerault
Propos et chansons
séditieuses
Acquittement
3 juin 1851
Moricet
Augustin
Menuisier et
cabaretier
Idem Idem Idem
Truk Antoine
Tailleur
d’habits
Idem Idem Idem
4 juin 1851 Chebeau Joseph Cordonnier Le Vigeant Cris séditieux Idem
20 août 1851
Mélivier Félix
Roy François
Idem
Idem
L’Isle
Jourdain
Idem
Incitation à la haine
contre les bourgeois
Idem
Treize mois de prison
Idem
25 août 1851 Thénault Pierre Coutelier Châtellerault Cris séditieux Acquittement
Source : ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859).
Durant les années 1860 une véritable chape de plomb va étouffer toutes velléités de
révoltes chez les opposants au régime qu’ils soient monarchistes ou républicains. L’ordre est
rétabli et la docilité des opposants acquise 1734 . Les rares individus osant élever la voix sur le
1734 Une docilité renforcée par la loi de sûreté générale du 19 février 1858 visant à maintenir l’ordre en France.
Ce texte est promulgué après l’attentat d’Orsini contre l’Empereur et permet au ministre de l’Intérieur d’interner
ou déporter, sur simple décision administrative, toute personne ayant subi antérieurement des condamnations

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
territoire de l’Empire 1735 subissent des peines lourdes et dissuasives. Ainsi, un terrassier
oeuvrant sur un des chantiers de chemin de fer de la Vienne se voit condamné au transport à
Cayenne pour avoir tenu des propos violemment révolutionnaires et menacé des
entrepreneurs 1736 . Il y rejoint un autre terrassier, aux lourds antécédents pénaux, travaillant en
décembre 1851 sur un chantier près de Poitiers et condamné par la commission mixte pour
son attitude hostile au coup d’Etat. A ces lourdes peines s’ajoutent les condamnations
désormais traditionnelles pour « cris séditieux » s’échelonnant de quinze jours à trois mois de
prison 1737 .
Après 1860, on trouve trace de beaucoup moins de condamnations. Citons tout de
même le cas d’un cordonnier de Poitiers obligé de purger une peine de treize mois de prison
pour « haine contre les bourgeois et les riches » 1738 .
Cette sorte de léthargie des opposants au régime s’explique par la sévérité affichée
immédiatement après le coup d’état du 2 décembre 1851. Une sévérité qui est très loin
d’épargner la classe ouvrière.
b) Le châtiment des proscrits après le 2 décembre 1851
Le nouveau régime impérial prenant le pouvoir en 1851, avant de s’imposer un an plus
tard, ne veut pas laisser se développer au grand jour une opposition qui contesterait sa
légitimité. Il veut asseoir fermement sa domination, c’est pourquoi l’Etat se dote d’un arsenal
répressif permettant d’écarter de la vie politique et sociale les opposants déclarés ou supposés.
Le décret du 8 décembre 1851 en est l’illustration. Il facilite le bannissement dans les colonies
pénitentiaires de Cayenne ou d’Algérie des individus suspectés de rompre la surveillance dont
ils font l’objet, d’appartenir à des groupuscules révolutionnaires ou bien de prôner des thèses
révolutionnaires ou contraire au régime en place et à ses représentants.
politiques, cf. SAUTEL (Gérard), HAROUEL (Jean-Louis), Histoire des institutions publiques depuis la
Révolution française, Paris, 1997, p.443.
1735
Des voix se font entendre à l’étranger comme celle de Victor Hugo dont les écrits brocardent sans cesse
« Napoléon le petit ».
1736
ADV M4.65. Correspondances du préfet (1853) et MAITRON (Jean), première partie, op. cit.,
v° J. Delaunay.
1737
MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Normand & Potier.
1738
MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° F. Métivier.
375

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
« Préambule du décret du 8 décembre 1851 concernant les
individus placés sous la surveillance de la haute police et les
individus reconnus coupables d’avoir fait partie d’une société
secrète :
Le Président de la République sur proposition du ministre de
l’Intérieur. Considérant que la France a besoin d’ordre, de travail et
de sécurité, que depuis un trop grand nombre d’années la société est
profondément inquiétée et troublée par les machinations de
l’anarchie, ainsi que les tentatives insurrectionnelles des affiliés aux
sociétés secrètes et repris de justice toujours prêts à devenir des
instruments du désordre ; Considérant que, par de constantes
habitudes de révolte contre toutes les lois, cette classe d’hommes,
non seulement compromet la tranquillité, le travail, l’ordre public,
mais encore autorise d’injustes attaques et de déplorables calomnies
contre la saine population ouvrière de Paris et de Lyon ;
Considérant que la législation actuelle est insuffisante, et qu’il est
nécessaire d’y apporter des modifications, tout en conciliant les
devoirs d’humanité avec les intérêts de la sécurité générale,
décrète […] »
Si la région réagit au coup d’Etat du 2 décembre 1851, on est loin des réactions
virulentes du midi de la France ou de la vallée du Rhône. Dans le Poitou, seul le département
des Deux-Sèvres s’agite réellement le lendemain du coup de force « du sphinx 1739 » et futur
empereur. Des émeutes secouent les villes de Niort et de Mauzé-sur-le-Mignon. Trente-trois
personnes sont poursuivies. Parmi elles la moitié est constituée d’ouvriers 1740 dont une très
forte majorité de cordonniers. Ce corps de métier compte dans ses rangs de nombreux
hommes imprégnés d’idées républicaines ou communistes, unis par d’importants liens
familiaux.
1739 Tel est le nom donné à Napoléon III par Emile Zola.
1740 Sur le plan national 48 % des individus arrêtés sont des travailleurs du secteur industriel et artisanal et
seulement 27 % appartiennent au monde rural, WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.150.
376

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Tableau 11 : individus poursuivis après l’émeute du 3 décembre 1851 à Niort et à
Mauzé :
Nom Localité Profession Observations inscrites dans les dossiers de l’époque
Amy Niort Avocat Républicain
Arbello Niort Menuisier -
Audouin Mauzé Aubergiste
Becquet Niort
ancien capitaine au
71° de ligne
Rayé des cadres de l’armée en 1849 par un arrêté du ministre de
la Guerre : démagogue, on le pousse à s’installer en Charente
Inférieure où il continue sa propagande avant de revenir à Niort
Billet Niort Cordonnier « Un des socialistes les plus exaltés de la ville »
Boisson Niort Cordonnier -
Bouhaud Mauzé Propriétaire -
Chaumier Niort Marchand de bois Juge suppléant au tribunal de commerce
Constant Niort
Saltimbanque et
marchand de
papiers
David Niort Ouvrier corroyeur -
Damon Mauzé Cultivateur -
Durand Mauzé ? -
Fayette Mauzé Cordonnier Capitaine de la garde nationale de Mauzé
Garreau Niort Ouvrier -
Girard Niort Propriétaire -
Gorrin Niort
Ancien médecin de
-
la marine
Guay Niort Cordonnier Ancien sous-officier d’un régiment d’artillerie
Hayet Niort Cordonnier -
Jeanneau Mauzé Tonnelier -
Leroy Mauzé Ouvrier menuisier Travail à Niort
Magon Niort Ouvrier cordonnier -
Morin Niort Cordonnier -
Mignot Mauzé Cordonnier
377
-
Cordonnier n’exerçant pratiquement plus. Il est considéré
comme démagogue à plein temps
Parlot Niort Journalier -
Pelisson Niort Sans emploi Ancien représentant de commerce
Ribreau Niort Chamoiseur -
Rousseil Niort Corroyeur « Un des hommes les plus mal famé de Niort »
Saillant Niort
Employé des Ponts
et chaussées
Savarion Niort Propriétaire
-
« Défend les idées icariennes qu’il dit différente des idées
communistes »
Tafery Niort
Compositeur
d’imprimerie
-
Talon-
Lorente (?)
Niort Sans emploi Ancien représentant de commerce
Thineau Niort Ouvrier menuisier -
Vien Niort ? « Nombreuses arrestations »
Source : ADDS 4M6.17a. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports
diverses (1852-1856).

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Cette prédominance des cordonniers au nombre des suspects inquiétés par le régime
autoritaire qui se met en place se retrouve bien entendu dans les listes dressées par les
commissions mixtes mises en place après le coup d’Etat afin de poursuivre les opposants au
régime 1741 . Le préfet, le procureur général – ou le procureur du chef-lieu – et l’officier
supérieur commandant les troupes du département composent ces commissions au statut
juridique très flou. A priori leurs décisions n’ont qu’une valeur d’avis que le gouvernement
n’est pas tenu de suivre. Toutefois des textes ultérieurs valident ces commissions et leurs
décisions. Près de 27 000 personnes vont être arrêtées dans tout le pays.
Les Deux-Sèvres est le département le plus touché des trois composant l’ancienne
province du Poitou. Ici 93 individus sont mis en cause contre 9 en Vendée et 34 dans la
Vienne 1742 . La plupart sont internés à la maison d’arrêt de Parthenay dans l’attente des
décisions de la commission. Les ouvriers et les artisans représentent plus d’un tiers de cette
petite centaine d’individus. La majeure partie d’entre eux résident à Niort. Les autres sont
domiciliés dans les villes les plus importantes du département. Seul le petit bourg de Mauzé
fait figure d’exception.
1741 Les commissions mixtes sont instituées par une circulaire en date du 3 février 1852. Elles doivent statuer
« sur le sort de tous les individus compromis dans les mouvements insurrectionnels ou les tentatives de
désordre » ayant suivi le 2 décembre 1851 (cf. Moniteur Universel du 4 février 1852). Ces juridictions
d’exception statuent sur simples rapports de police sans que soient assurés les droits de la défense. Elles
symbolisent la mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire. Cf. SAUTEL (Gérard), HAROUEL
(Jean-Louis), op. cit., p.443
Victor Hugo les abhorre comme en témoigne un passage des Châtiments (1853) :
« Ils sont assis dans l’ombre et disent : nous jugeons.
Ils peuplent d’innocents les geôles, les donjons,
Et les pontons, nefs abhorrées,
Qui flottent au soleil, sombres comme le soir,
Tandis que le reflet des mers sur leur flanc noir
Frissonne en écailles dorées.
Pour avoir sous son chaume abrité des proscrits,
Ce vieillard est au bagne, et l’on entend ses cris.
À Cayenne, à Bone, aux galères,
Quiconque a combattu cet escroc du scrutin
Qui, traître, après avoir crocheté le Destin,
Filouta les droits populaires !
Ils ont frappé l’ami des lois ; ils ont flétri
La femme qui portait du pain à son mari,
Le fils qui défendait son père ;
Le droit ? on l’a banni ; l’honneur ? on l’exila.
Cette justice-là sort de ces juges-là
Comme des tombeaux la vipère. »
1742 VEILLON (Didier), op. cit., p.638. Ajoutons les 22 condamnations concernant la Charente Inférieur pour
compléter les décisions de la commission mixte prononcées dans le ressort de la cour d’appel de Poitiers.
378

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Les peines prononcées sont sévères dans un premier temps puis sont adoucies par la suite. Le
nombre de condamnations et le non respect de principes juridiques fondamentaux obligent les
autorités à réviser systématiquement les premières décisions des commissions mixtes 1743 .
Tableau 12 : ouvriers condamnés par la commission mixte des Deux-Sèvres en
1852 :
Nom Profession Domicile
Décision initiale de la
commission
Décision finale de la
commission
Allain
Ebéniste
(ancien cafetier)
Bressuire
Transportation en
Algérie
Expulsion du territoire
Arbello Menuisier Niort Internement Sous surveillance à Niort
Arnault
Peintre vitrier
(fils d’un cordonnier)
Bressuire Liberté surveillée -
Belin Coutelier Parthenay Liberté surveillée Grâce
Billié Cordonnier Niort Internement
Surveillance de haute
police dans la Meuse
Boisson Cordonnier Niort Internement à Nantes -
Bourson Ouvrier cordonnier Parthenay Eloignement -
Brouard Tailleur Bressuire Surveillance -
Brouard Cordonnier Bressuire Surveillance -
Cerise Tailleur Mauzé
Expulsion du
département
-
David Corroyeur Niort Surveillance Grâce
Fayette
(Jean
Fayet)
Cordonnier
(ancien militaire condamné pour
vente d’équipements)
Mauzé
Transportation en
Algérie
Expulsion du territoire
Férero Tailleur Niort Expulsion du territoire -
Garreau Filassier Niort Expulsion du territoire -
Gilbert Ebéniste Bressuire
Transportation en
Algérie
Expulsion du territoire
Goyan Boisselier Parthenay ? ?
Grandeau Voiturier Saint-Maixent Expulsion du territoire -
Guay Cordonnier Niort
Transportation en
Algérie
-
Magon Cordonnier Niort Internement -
Miet Scieur de long ? Internement -
Mignot Cordonnier ? ? Remise
Morin Cordonnier Niort Internement Sous surveillance à Niort
Parlot Cordonnier Niort Internement à Amiens Sous surveillance à Niort
Renaud Tailleur Mauzé Internement Sous surveillance à Mauzé
Ribreau Ouvrier chamoiseur Niort
Eloignement momentané
du territoire
Sous surveillance à Niort
Rouchon Ouvrier plâtrier
Coulonges-surl’Autize
Eloignement dans le
Calvados
Sous surveillance
Rousseil
Corroyeur Niort
Transportation en
Algérie
Expulsion du territoire
Servole Boisselier Parthenay ? ?
Tafery
Typographe et rédacteur à L’œil
du peuple
Niort Expulsion momentanée -
Thineau Menuisier Niort Internement Sous surveillance
D’après ADDS 4M6.17a. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports diverses
(1852-1856), ADDS 4M6-17 b. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports
divers (1852-1856) et ADDS 4M13/3 : Dossiers collectifs, tableaux, états de renseignements concernant les
inculpés, surveillés politiques. Opposition à l’Empire, amnistie, dossiers divers (1852-1859). Informations
complétées par le Dictionnaire du mouvement ouvrier de Jean Maitron .
1743 SAUTEL (Gérard), HAROUEL (Jean-Louis), op. cit., p.443.
379

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Une seule personne est effectivement transportée en Algérie sur les cinq devant subir
initialement cette condamnation. Il s’agit de Jacques Guay, un ancien sous-officier d’un
régiment d’artillerie reconverti comme cordonnier. Ce disciple de Cabet est alors considéré
par les services préfectoraux comme le plus dangereux des premiers communistes icarien de
Niort et l’un des principaux instigateurs de la réaction du 3 décembre. Les membres de la
commission mixte le craignent à tel point qu’ils regrettent « que la faculté ne lui soit pas
laissée de le désigner pour Cayenne car il n’est pas repris de justice » 1744 .
La plupart des autres lourdes peines prononcées dans un premier temps sont ensuite
commuées en simples mesures de surveillance soit par une décision ultérieure de la
commission mixte soit par un décret de grâce, comme celui promulgué en 1853 1745 . Les
expulsions du territoire ou les internements dans d’autres régions de France ne durent guère.
Le cordonnier Jean Fayet dit « Fayette » est successivement condamné à être transporté en
Algérie, puis à être expulsé de France 1746 pour enfin être gracié en 1853. Il revient à Mauzé
afin de subvenir aux besoins de sa femme et de sa famille jusque là sans revenu. Même
situation pour le dénommé Rousseil dont la fille, future pensionnaire de la Comédie
Française, racontera son exil dans un roman intitulé Mémoire d’un proscrit 1747 .
D’autres individus sont condamnés à l’internement, c'est-à-dire assignés à résidence.
Dans certains cas, les autorités veulent faire cesser les déplacements d’ouvriers nomades
propageant moult idées séditieuses. Dans la Vienne, la commission mixte considère comme
dangereux les nombreux déplacements d’un certain de Chamoré, un ouvrier qualifié de
« fanfaron du désordre » 1748 . C’est pourquoi on décide de l’interner à Poitiers où ses faits et
gestes seront faciles à contrôler.
Le plus souvent les pouvoirs publics se limitent à impressionner les opposants
politiques. De simples mesures de surveillance suffisent généralement à dissuader la plupart
des prévenus de toute nouvelle action ou propos séditieux. Maint inculpés, considérés comme
ayant été manipulés, sont purement et simplement graciés par la commission lors du
réexamen de chaque cas. La simple menace d’une éventuelle sanction a suffi à ébranler leurs
1744 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Guay.
1745 Plus tard, suite aux victoires d’Italie, le décret impérial du 16 août 1859 accorde une amnistie aux individus
qui ont fait l’objet d’une condamnation politique (crimes et délits), soit environ 1800 proscrits..
1746 Il se réfugie en Angleterre après avoir reçu un passeport pour la Belgique.
1747 ROUSSEIL (Rosélia), Mémoire d’un proscrit.
1748 VEILLON (Didier), op. cit., p.644.
380

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
convictions. C’est le cas du corroyeur David ou bien encore du coutelier Belin qualifié de
« pauvre niais » influençable, lui dont l’attitude est habituellement exemplaire 1749 .
Les accusés retiennent la leçon donnée par l’Etat comme en témoignent les suppliques
se trouvant dans les lettres de grâces, de suspension 1750 ou de modification de la peine 1751
adressées aux autorités préfectorales par les condamnés. Un condamné à la transportation en
Algérie 1752 adresse une adjuration au préfet des Deux-Sèvres afin que sa peine soit commuée
en une simple expulsion du territoire. Il souhaite être exilé vers l’Icarie ! C’est à dire vers
l’Etat d’Illinois où son fils unique a rejoint une colonie icarienne en 1848.
Les accusés en sont quittes pour une grosse peur. L’inspecteur générale du 8 eme
arrondissement le constate le 30 mars 1852 :
« J’ai retrouvé à Parthenay ce sentiment de terreur que je constatais
avant-hier dans la population ouvrière de Bressuire. L’effet produit
ne paraît pas de nature à entraîner de fâcheuses conséquences. Il
fait taire la propagande des doctrines socialistes et donne aux
ouvriers au moins la force de la peur pour échapper à la pression
des meneurs 1753 ».
Parfois aucune sanction n’est requise par les commissions mixtes à l’encontre d’individus
ayant manifesté leur hostilité au régime ou leurs sentiments révolutionnaires. On estime que la
détention préventive a porté ses fruits et a fait passer le goût de la révolte. C’est le cas par
exemple pour deux terrassiers vendéens ayant fait l’apologie du drapeau rouge le 6 décembre
1851 ou bien encore pour un tailleur de pierre poursuivi pour offenses envers le président de la
République 1754 . La commission estime « que trente-huit jours de détention préventive lui ont
suffisamment appris à quels dangers pourraient l’exposer des manifestations imprudentes 1755 ».
Rares sont les personnes qui osent poursuivre leurs activités politiques comme le fait
par exemple Pierre Arbello. Ce menuisier niortais échappe à l’internement pour se retrouver
1749
ADDS 4M13/3 : Dossiers collectifs, tableaux, états de renseignements concernant les inculpés, surveillés
politiques. Opposition à l’Empire, amnistie, dossiers divers (1852-1859).
1750
Certains condamnés à la transportation ou à l’expulsion demandent au préfet un délai avant d’appliquer la
mesure afin de régler les affaires en suspens les concernant.
1751
On demande d’être éloigné à Nantes plutôt qu’à Vesoul par exemple.
1752 eme
Un ancien maréchal des logis au 5 régiment de chasseurs à cheval de l’Empire et cabétiste convaincu. Il
est finalement proscrit de France et séjourne en Belgique puis sur l’île de Jersey, cf. MAITRON (Jean),
première partie, op. cit., v° René Savariau.
1753
Cité par BRUNET (Michel), op. cit., p.110.
1754
VEILLON (Didier), op. cit., p.640.
1755
AN BB30 402.Délibérations des commissions mixte.
381

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
finalement contraint à une simple mesure de surveillance. Malgré cela il poursuit sa
propagande socialiste ce qui lui vaut de subir en 1853 une mesure d’éloignement à Angers.
Trois ans plus tard son nom apparaît encore parmi les affiliés à la société secrète La Militante
lors du fameux « complot de Niort ».
De longues années de calme vont s’écouler après la « purge » de ces éléments
politiquement turbulents. Seules les tentatives d’insurrections fomentées par les sociétés
secrètes vont fournir l’occasion aux juges de punir de nouveaux opposants au régime, au
nombre desquels il y a quelques ouvriers.
c) Des conjurations matées
En 1856 des sociétés secrètes émergent un peu partout en France, du Loir-et-Cher aux
Basses Alpes, de l’Indre-et-Loire à l’Hérault, dans le Cher, la Loire-Inférieure ou le Gers. Ça
et là des condamnations suivent. A Paris huit personnes sont condamnées à purger des peines
allant de cinq ans à un mois de prison pour affiliation à une société secrète, en l’occurrence La
Commune Révolutionnaire 1756 .
Dans la région c’est le nord Deux-Sèvres qui est secoué de spasmes séditieux.
L’Anjou toute proche et la révolte d’août 1855 des ardoisiers de Trélazé ne manquent pas
d’influencer nombre de travailleurs du département voisin.
En juillet 1856 une grande part de la population de Brion 1757 et de ses alentours se
soulève, parfois même spontanément, contre l’autorité publique. Les révoltés sont bien
décidés à renverser le gouvernement. Mais c’est un échec. Plusieurs centaines de personnes
sont mises en cause selon les forces de police. Finalement on ne dénombre pas moins de 85
personnes qui vont être traînées devant le tribunal correctionnel de Bressuire pour y être
condamnées 1758 , la plupart pour affiliation à une société secrète, un petit nombre pour
publication de fausses nouvelles ou bien excitation à la haine des citoyens 1759 : parmi eux une
1756 AN BB30/417. Affaire de La Marianne.
1757 Bourg situé dans l’arrondissement de Bressuire.
1758 L’affaire est correctionnalisée afin qu’elle ait un moins grand retentissement que si elle avait été jugée
devant la Cour d’appel de Poitiers. C’est également un moyen sûr de maîtriser la sévérité des sanctions.
1759 Rapport du procureur Damay au garde des sceaux du 16 septembre 1856, AN BB30/417. Affaire de la
Marianne. Notons que la qualification de rébellion ou de complot est retenue dans un désir d’apaisement des
esprits.
382

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
trentaine d’ouvriers et d’artisans 1760 . Ceux-là sont jugés plus sévèrement que les cultivateurs
des campagnes, considérés comme des individus naïfs et crédules facilement manipulables et
n’ayant aucune visée politique. Seules la hausse du prix du blé et la faiblesse des salaires les
ont poussés à agir.
Les peines les plus lourdes sont de quatre années de prison, assorties de dix ans de
privation de droits civiques. On y ajoute une décennie de haute surveillance une fois libéré.
Deux individus sont concernés dont un tisserand nommé Gautron considéré comme « le plus
animé ». Il aurait poussé les gens à prendre les armes et menacé ceux qui s’y refusaient 1761 .
Viennent ensuite des condamnations à trois ans de détention et cinq années de privation de
droits civiques touchant, entre autres, un maréchal taillandier et un tonnelier de Brion, les
chefs locaux du mouvement 1762 . Les autres peines prononcées vont de deux ans à 15 jours de
prison 1763 .
Des condamnés bénéficient par la suite de remises de peine. Le pouvoir en place sait
que la leçon est bien comprise. Le repentir est réel chez nombre de détenus. En janvier 1857
une femme condamnée à six mois de prison profite d’un mois de réduction de sa sanction. Au
mois d’août de la même année, à l’occasion de la fête de l’Empereur, on autorise un peu plus
d’une demi-douzaine de détenus à ne pas exécuter la fin de leurs peines 1764 .
La même année une autre conjuration se fomente dans le département des Deux-
Sèvres. Cette fois-ci elle se déroule dans le turbulent chef-lieu du département. L’instigateur
principal de ce complot, dit « de Niort », serait Léon Paillet, un corsetier de la ville 1765 . Cet
homme et ses complices veulent « exalter l’esprit des ouvriers » et préparer l’insurrection de
la ville qui doit s’inscrire dans un mouvement révolutionnaire général touchant tout le pays.
Ce groupuscule affilié à la société secrète La Militante échoue. Paillet est arrêté, conduit à
1760 Dont huit maréchaux et six charpentiers, ADDS 4M13.3. Dossiers collectifs, tableaux, états de
renseignements concernant les inculpés, surveillés politiques. Opposition à l’Empire, amnistie, dossiers
divers (1852-1859).
1761 ADDS 4M6.18-A : La Marianne : dossiers individuels des accusés jugés par le tribunal de Bressuire
[1856]. Le second est un vigneron dénommé Sigogneau ou Cigogneau. Il est considéré comme dangereux, muni
d’un fusil il aurait menacé la servante du presbytère alors qu’il voulait sonner le tocsin pour attirer du monde afin
de faire baisser le prix du blé. Il aurait prévu de se rendre dans les maisons qui n’auraient pas jointes le
mouvement pour brûler la cervelle de ses occupants. Il aurait menacé également ses propres compagnons si
ceux-ci se dégonflaient. Il aurait également crié « aux armes, la guerre est déclarée ».
1762 Un certain Louis Guillot (dit Guillot père). Il est considéré comme un des chefs avec le tonnelier Rouger. Il a
affilié de très nombreux membres, fourni des armes et menacé de tuer des gendarmes. Les armes qu’il posséde le
jour de l’insurrection seraient des armes en réparation, cf. ADDS 4M6.18-A : La Marianne : dossiers individuels
des accusés jugés par le tribunal de Bressuire [1856] et voir aussi MAITRON (Jean), première partie, op. cit.
1763 ADDS 4M6.18b. Affaire de la Marianne [1856].
1764 Ibid. Des peines allant d’une année à 15 mois de prison.
1765 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Léon Paillet.
383

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Paris où il est jugé. Le procureur général de la Seine affirme que Paillet aurait manipulé les
ouvriers locaux en leur faisant croire que le projet d’émeute visait à soutenir l’Empereur 1766 .
Neuf personnes sont condamnées dont cinq artisans et ouvriers. Ils purgent des peines allant
d’un mois de prison à deux années accompagnées d’une interdiction de droits civils et d’une
amende s’élevant généralement à cent francs.
Savariau
Alphonse
Tableau 13 : artisans et ouvriers condamnés en 1856 pour affiliation à la société
secrète La Militante :
Nom Profession Domicile Emprisonnement
? Ferblantier
Breton
Alphonse
Seguin
Auguste
Trouvé René
Menuisier Niort 2 ans 10 ans
Saint-Jeand’Angely
384
2 ans 5 ans
Corroyeur Niort 6 mois 5 ans
Peintre vitrier Niort 1 mois -
Contremaître d’un atelier de
chaussure
Niort 15 jours -
Suppression des
droits civils
Source : ADDS 4M13.3. Dossiers collectifs, tableaux, états de renseignements concernant les inculpés,
surveillés politiques. Opposition à l’Empire, amnistie, dossiers divers (1852-1859).
Les tracas des conjurés ne s’arrêtent pas une fois leurs peines purgées. Le ministère de
l’Intérieur a la faculté d’ordonner la transportation de l’individu libéré dans une colonie
pénitentiaire 1767 . Les pouvoirs publics se basent sur les antécédents politiques et pénaux pour
décider d’une telle mesure. En 1858, cette question se pose à propos du menuisier Savariau,
un des instigateurs du « complot de Niort » chez qui des armes et des munitions de guerre 1768
avaient été retrouvées.
La répression pénale en matière politique baisse très fortement d’intensité avec la III e
République. Les tragiques et sanglants événements parisiens de 1871 ne rencontrent aucun
écho dans le paisible Poitou. Signalons, pour l’anecdote, l’arrestation et la condamnation à un
mois de prison d’un maréchal de Faye-l’Abesse dans les Deux-Sèvres qui avait tenu en public
des propos favorables à la Commune 1769 .
1766 Rapport du procureur général du département de la Seine au préfet des Deux-Sèvres du 11 avril 1856, ADDS
4M6-17b. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports divers (1852-1856).
1767 Cf. décret du 8 décembre 1851.
1768 Des armes amassées par la Société d’Apollon.
1769 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 7 septembre 1871 et MAITRON (Jean), première partie, op. cit.,
v° Menjoulou.

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
A l’aube du XX e siècle, seuls les mouvements collectifs sont à l’origine des poursuites
à l’encontre d’ouvriers, en dehors des infractions de droit commun classiques. L’ordre public
est parfois troublé pendant les rassemblements ou les défilés par les débordements d’individus
emportés par leur enthousiasme, la fougue de leurs convictions politiques ou leur exécration
du régime en place. En 1873 un rassemblement à l’occasion d’une retraite en musique tourne
mal à Poitiers. Les forces de l’ordre procèdent à 46 arrestations et 13 condamnations frappant
en grande partie des ouvriers et des artisans de la ville. Les plus lourdes peines s’élèvent à un
mois de prison 1770 .
Ces cortèges sont souvent l’occasion d’exhiber des insignes et symboles prohibés par
la loi. Le drapeau rouge est toujours tapi dans l’ombre d’une ruelle prêt à être brandi, comme
c’est le cas, toujours en 1873, à Mirebeau mais aussi lors des grèves de boulangers en
décembre 1900 à Poitiers 1771 ou en septembre 1901 à Coulon près de Niort 1772 . Toutefois les
peines sont alors sans communes mesures avec celles subies par les condamnés des
générations précédentes. Désormais de simples et faibles amendes punissent ces actes
séditieux.
Le contingent d’ouvrier et surtout d’artisans condamnés est proportionnellement bien
plus grand que ce qu’il représente numériquement dans la population totale de la région, au
demeurant politiquement très calme. Ce sont le plus souvent des travailleurs urbains sensibles
aux enjeux sociaux de leur époque. Le nombre important de cordonniers poursuivis par la
justice dans le département des Deux-Sèvres l’illustre. Ils appartiennent à une élite citadine
politique au même titre que les individus exerçant des professions libérales, eux aussi
surveillés de très près par les autorités publiques. Au contraire dans les campagnes, seuls les
grands propriétaires terriens et les curés paraissent sensibles aux questions nationales quelles
soient politiques ou sociales.
Au fil du temps les poursuites pénales à l’encontre d’ouvriers changent de nature. On
ne les condamne plus pour des atteintes envers les corps constitués ou l’Etat lui-même mais
pour des violations aux règles encadrant les coalitions et les grèves, en particulier les atteintes
à la liberté du travail.
1770 Rapport de gendarmerie du 6 octobre 1873, ADV M4.80. Correspondances du préfet (1871-1881).
1771 L’Avenir de la Vienne, article du 7 décembre 1900.
1772 Rapport du commissaire de police de Niort au préfet des Deux-Sèvres du 25 septembre 1901, ADDS 4M6.27.
Mouvement social ; rapports divers [1900 ; 1903].
385

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
B- La sanction des coalitions et des grèves
Longtemps le fait pour des travailleurs de revendiquer de façon concerté et organisée
est prohibé par la loi, sans aucune nécessité de troubles à l’ordre public 1773 . Le seul fait de se
coaliser expose les ouvriers à des poursuites pénales.
Un chapelet de textes législatifs rappelle cette prohibition : la loi Le Chapellier des 14-17 juin
1791 ; la loi du 22 germinal an XI, aggravant les sanctions pénales ; les articles 414 à 416 du
Code pénal de 1810 reprenant la législation préexistante et frappant de peines sévères « toute
coalition entre ceux qui font travailler des ouvriers tendant à forcer injustement et
abusivement l’abaissement des salaires » et « toute coalition de la part des ouvriers pour
faire cesser en même temps de travailler, interdire le travail dans les ateliers, empêcher de
s’y rendre, etc.» ; la loi du 10 avril 1834 alourdit encore les sanctions pénales frappant les
associations de plus de vingt personnes.
Cette interdiction dure plus de 70 ans, jusqu’aux débuts de la période libérale du
second Empire. La loi du 25 mai 1864 efface le délit de coalition, sauf atteintes à la liberté du
travail se caractérisant par des voies de fait, des violences, des menaces ou par des manœuvres
frauduleuses. Des cas de figure souvent mis en avant par le patronat et tous ceux qui
s’opposent aux grévistes et à leurs mouvements 1774 .
a) Le délit de coalition
Vu la longueur de la période, très peu d’ouvriers semblent poursuivis et condamnés
pour s’être coalisés. Dans la très grande majorité des cas seuls les meneurs sont inquiétés, ce
qui suffit généralement à calmer les ardeurs militantes des autres grévistes. Toutefois il arrive
que les arrestations soient purement arbitraires. Les autorités laissent au hasard la tâche de
déterminer les personnes à appréhender 1775 .
En 1829 des ouvriers sont poursuivis pour coalition et sédition à Montmorillon et dans
son l’arrondissement. Une vingtaine de personnes sont inquiétées dont une grande proportion
1773
Pour de plus amples développements et détails consacrés au droit de coalition et de grève voir p.712 et s.
1774
Sur ce thème voir : OLSZAK (Norbert), Mouvement ouvrier et système judiciaire (1830-1960), thèse droit,
Strasbourg III, 1987, 961 p.
1775
Rapport du juge de paix au procureur du roi du 20 juin 1844 concernant la coalition des ouvriers maçons de
Saint-Fulgent en Vendée de juin 1844, cf. ADVd 3U1.62. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La
Roche-sur-Yon. Correspondances avec le procureur (1812-1850).
386

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
de femmes. Quelques ouvriers et artisans s’y distinguent. Un certain Bernard, dit Boutillon,
charpentier de son état, est considéré comme le meneur du mouvement. Le parquet du
procureur du roi le qualifie de turbulent, un homme que l’on remarque « toutes les fois qu’un
esprit de vertige révolutionnaire se faisait ressentir quelque part ». Ce Bernard s’est illustré
régulièrement depuis en 1791. Cette fois il est condamné lourdement puisqu’il écope de
quatre années de prisons. Cette même peine est infligée à un maçon et à un ouvrier taillandier,
tous deux de Montmorillon. Ces condamnations importantes visent à intimider les classes
populaires que le prix du blé et les taxes sur le pain agitent au plus haut point 1776 . Toutefois il
ne s’agit pas à proprement parler d’une coalition ouvrière mais plutôt d’une émeute
frumentaire encore assez fréquente à l’époque. Il faut patienter quelques années avant de
rencontrer de réelles coalitions ouvrières occasionnant poursuites et condamnations de leurs
membres.
La première coalition rencontrée est celle de quatorze garçons tailleurs d’habits de
Poitiers qui, en 1835, sont arrêtés après avoir cessé le travail afin d’obtenir des augmentations
de salaire. Treize d’entre eux sont condamnés par le tribunal correctionnel. Les peines vont
d’une journée de prison à un mois pour les principaux meneurs locaux d’un mouvement initié
à Paris et ayant des ramifications un peu partout en France 1777 .
En 1838 la verrerie de Faymoreau en Vendée subit la seule coalition de sa courte
histoire. Les verriers protestent contre la direction qui n’appliquerait pas les termes du contrat
de travail. Trois jeunes de 15 à 21 ans et deux fondeurs de verre sont arrêtés ainsi que la
femme de l’un d’eux, accusée d’avoir incité les ouvriers à se regrouper pour revendiquer tout
en ayant insulté les gendarmes. On prononce à leur encontre des peines de dix et quatorze
jours de prison 1778 .
Le secteur du bâtiment, grand employeur de main-d’œuvre, compte une grande part
des condamnés en la matière. En 1836 sept maçons niortais sont punis pour avoir tenté de
faire cesser le travail de leurs camarades 1779 . Trois ans plus tard, ce sont cinq maçons de
Parthenay qui subissent les foudres du tribunal correctionnel : de un à trois jours
1776 Rapport du parquet du procureur du roi du 29 juin 1829, ADV 2U 1501. Dossiers de Cour d’assise de la
Vienne [1829], ADV 2U 1502. Dossiers de cour d’assise de la Vienne [1830] et MAITRON (Jean), première
partie, op. cit., v° Bernard, Bouriaud et Dupuy.
1777 ADV M4.43. Circulaires et correspondances du préfet (1835-1836), ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves
[1836 ; 1899] et AGUET (Jean-Pierre), op. cit., p.132.
1778 REGOURD (Florence), L’embauche à la verrerie de Faymoreau…, op. cit., pp.17-18.
1779 Courrier du 18 septembre 1836, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
387

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
d’emprisonnement et des amendes 1780 . Des membres de la même corporation de métier sont
accusés de rébellion à Noirmoutier en mai 1840 1781 . En 1843, onze plâtriers poitevins sont
contraints de purger des peines de prison allant d’un mois à deux jours 1782 . L’année suivante
une douzaine de maçons de Montaigu en Vendée sont condamnés aux peines prévues par
l’article 415 du Code pénal pour avoir essayé d’obtenir une augmentation de salaire. Notons
que malgré ces condamnations les ouvriers obtiennent l’augmentation réclamée 1783 . Ces
douze hommes sont qualifiés de « moteurs » du mouvement tout comme les trois maçons de
Saint-Fulgent, en juin de la même année, qui, malgré l’absence attestée de troubles à l’ordre
public, vont subir une condamnation relativement lourde d’un mois de prison pour délit de
coalition 1784 . Un courroux judiciaire que subit également un maçon de Montmorillon en
1855 1785 . Deux ans plus tôt le procureur impérial demande au commissaire de police de
Poitiers d’arrêter et de mettre à la disposition de la justice les chefs des corporations
d’ouvriers en grève, en l’occurrence des couvreurs et des menuisiers 1786 .
L’avènement de Louis Napoléon Bonaparte et la radicalisation de son régime ne
semblent pas accentuer beaucoup plus la répression des coalitions, même si dans l’absolu tout
manifestant est potentiellement dangereux pour le pouvoir en place.
La population ouvrière des chantiers de chemin de fer, nombreuse sur le territoire de la
Vienne à cette époque, et ô combien turbulente, fait rarement l’objet de condamnation pénale
pour coalition. Les autorités ne poursuivent pas les fautifs et préfèrent les pousser à quitter le
département 1787 . En 1853 le ministère des Travaux publics pousse le préfet à plus de fermeté
afin d’éviter tout nouveau retard dans la construction de la ligne 1788 . Neuf terrassiers sont
arrêtés dans la foulée. Les impératifs stratégiques semblent l’emporter sur ceux inhérents au
maintien de l’ordre public.
1780
AGUET (Jean-Pierre), op. cit., pp.169-170.
1781
ADVd 3U3.362 tribunal de première instance des Sables-d’Olonne.
1782
AN BB 18 1414 7052, rapport du procureur général de Poitiers au garde des sceaux du 29 août 1843
1783
ADVd 3U1.641. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La Roche-sur-Yon. Dossiers de
procédure (1842-1846). Les ouvriers voulaient simplement l’augmentation salariale saisonnière d’usage chaque
année dans la profession.
1784
ADVd 3U1.62. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La Roche-sur-Yon. Correspondances
avec le procureur (1812-1850) et ADVd 3U1.641. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La Rochesur-Yon.
Dossiers de procédure (1842-1846).
1785
MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Sadoux.
1786
Rapport du commissaire de police de Poitiers au préfet de la Vienne du 27 juin 1853, ADV M4.65.
Correspondances du préfet (1853).
1787
C’est la cas lors des coalitions de terrassiers et de travailleurs de la pierre en avril et octobre 1851 dans la
Vienne, cf. ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer
(1851-1853).
1788
Missive du ministère des Travaux publics au préfet de la Vienne du 30 avril 1853, ADV M4.59.
Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
388

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Quelques arrestations et condamnations ponctuent néanmoins la période. Quinze et
vingt-et-un jours de prison pour deux ouvrier maréchaux de Châtellerault en 1851 1789 . Un an
plus tard ce sont les carriers de Chauvigny qui s’illustrent non seulement en se coalisant mais
aussi en se rebellant contre la gendarmerie. Deux individus sont poursuivis 1790 . En 1855, le
directeur général de la sûreté publique du ministère de l’Intérieur félicite le préfet de la
Vienne pour avoir fait interpeller sept ouvriers de diverses corporations de métiers de la ville
de Montmorillon. Il estime nécessaire d’arrêter les plus actifs même si aucune trace de
coalition concertée n’est apparente. Le directeur considère que la seule évocation d’un projet
de ce type suffit pour justifier des arrestations 1791 . En 1858, à Chauvigny, deux cordonniers
sont poursuivis après une grève ; le premier en tant que meneur du mouvement, le second,
pour des violences commises sous l’emprise de l’alcool pendant la cessation du travail 1792 .
Des troubles à l’ordre public ne sont pas nécessaires pour caractériser l’infraction de
coalition. D’éventuels désordres concomitants à la grève tombent sous le coup d’autres délits,
souvent ceux de coups volontaires, de sédition ou de rébellion contre des tenants de l’autorité.
Autant de délits annexes qui ne manquent pas d’alourdir les peines. En général les individus
poursuivis sont soit simplement arrêtés avant d’être relâchés plus tard 1793 , une fois l’envie de
se révolter disparue, soit condamnés à passer quelques jours derrière les barreaux. Le délit
apparaît comme mineur à l’esprit des autorités, en particulier dans les campagnes faiblement
industrialisées, où le risque de contagion est quasiment inexistant. En revanche les peines
s’alourdissent dans les villes plus importantes ou quand la personne inquiétée est connue pour
ses antécédents agités ou séditieux. Cette fois-ci le ou les condamnés purgent des peines allant
de quinze jours à un mois d’emprisonnement. Les sanctions s’alourdissent quand la violence
s’ajoute à la revendication ou à la grève, quand on se rebelle contre l’autorité du gendarme ou
du commissaire de police ou quand les pouvoirs publics veulent faire un exemple dissuasif
dans un contexte national ou local particulier. C’est le cas d’un ouvrier boulanger de
1789 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Carré et Grandin. L’ouvrier Carré est condamné pour le délit
de coalition mais aussi pour coups volontaires.
1790 ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1852).
1791 Lettre du ministère de l’Intérieur au préfet de la Vienne du 8 juin 1855, ADV M4.68. Correspondances du
préfet (1854-1856).
1792 ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859) et MAITRON (Jean), première partie, op. cit.,
v° Cotet.
1793 C’est le cas des terrassiers d’Aizenay après une tentative ratée de coalition et malgré le tire d’un coup de feu,
cf. ADVd 3U1.643. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La Roche-sur-Yon. Dossiers de
procédure (1848-1852). Même chose pour les terrassiers de l’Aiguillon qui protestent contre le fait d’être obligé
de se déplacer pour en fin de compte ne pas obtenir les emplois promis, ADVd 3U2.636. Tribunal de première
instance de Fontenay.
389

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Châtellerault qui subit une lourde peine de trois mois de prison pour avoir fomenté un
mouvement de grève en 1840 1794 .
Quant aux mouvements de grèves et de coalition se déroulant dans le textile choletais,
signalons que la plupart des condamnés sont issus du Maine-et-Loire et très rarement du
« rayon choletais » vendéen et deux-sévrien. Dans ces campagnes les tisserands suivent, avec
plus ou moins de bonne volonté, les mouvements initiés dans la capitale des Mauges.
Cette participation forcée aux mouvements revendicatifs des travailleurs textiles des caves se
retrouve toujours après 1864 malgré la légalisation de la grève.
b) L’intervention du juge pénal après la loi de 1864
La loi du 25 mai 1864 met fin à la prohibition des coalitions et des grèves ouvrières.
Toutefois celles-ci sont encadrées strictement. Les mouvements revendicatifs ne doivent
jamais entraver le sacro-saint principe de la liberté du travail. Aucune forme de violence n’a
sa place dans un mouvement de grève. Pourtant il est tentant pour les travailleurs mécontents
de faire pression sur leurs camarades continuant le travail pour accentuer la force de leurs
revendications. La frontière est mince entre discussions et pressions verbales, entre
manifestations et menaces, comme cela se produit à Niort en 1910 quand une soixantaine de
manifestants conspuent à la sortie des ateliers leurs camarades « renégats » qui ont décidé de
reprendre le travail 1795 . De même le commissaire de police de Châtellerault écarte l’infraction
d’atteinte à la liberté du travail après la visite de scieurs grévistes dans une scierie ou l’on
poursuit le travail. Il manque deux éléments pour caractériser l’infraction : l’intimidation et la
violence 1796 , violence contre les personnes ou bien encore sabotage contre les biens.
La relative augmentation et la banalisation des mouvements de grève à partir de la
toute fin du XIX e siècle ne semble pas occasionner une hausse proportionnelle du nombre de
délits liés aux pratiques revendicatives.
Signalons cependant que les sources administratives, mais aussi et surtout judiciaires,
sont souvent lacunaires en la matière. La région compte également peu de grève durant les
périodes où la sévérité est grande envers les travailleurs industriels et artisanaux, comme c’est
1794 MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Loudaut.
1795 TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.237.
1796 Rapport du commissaire de police de Châtellerault au sous-préfet de la ville du 14 juin 1911, ADV M12.142.
Grèves [1884 ; 1909].
390

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
le cas dans les années qui suivent la Commune alors que règne l’Ordre moral, puis quand la
République opportuniste n’éveille plus d’espoir dans le monde ouvrier 1797 .
Qui plus est des tentatives d’intimidation ou d’entrave au travail des non grévistes, des
jaunes, ne se soldent pas toujours par des poursuites pénales. C’est le cas lors de la grève des
bûcherons de la forêt de Chizé dans le département des Deux-Sèvres en décembre 1904. Les
travailleurs contrariés, mais paisibles, sillonnent non seulement la forêt pour rallier à leur
cause les indécis mais surtout ils s’opposent au travail de quelques-uns et s’en prennent à des
outils. Cette situation oblige la gendarmerie à intervenir. Toutefois aucune poursuite pénale ne
semble suivre. L’attitude contrite du président du syndicat local, qui n’hésite pas à rembourser
les outils perdus, et le calme habituel de cette population joue pour beaucoup dans l’absence
de sanctions ultérieures 1798 .
Cette absence de poursuites judiciaires semble constante dans les conflits du travail
touchant les tisserands du choletais et des alentours. Ici les exemples sont très nombreux
d’intimidation des ouvriers de la campagne par leurs collègues grévistes venus de la ville. Le
nombre considérable de personnes concernées explique en grande partie l’absence de
poursuites. Le maintien de l’ordre est prioritaire. Des arrestations pourraient mettre le feu aux
poudres d’une situation déjà tendue. Seuls des faits graves et pouvant être imputés à un faible
nombre d’individus sont punis par le juge. Ainsi en septembre 1904 plusieurs centaines de
travailleurs textiles en grève obtiennent la fermeture d’une blanchisserie à Saint Laurent sur
Sèvre 1799 . Un exemple semblable se produit également en 1910 au Puy Saint Bonnet où un
blanchisseur est contraint d’arrêter son activité 1800 .
Le même type de situation se rencontre à plusieurs reprises pendant les grèves
touchant les sardineries sablaises ou bien encore dans les houillères du bas Poitou. Ici on s’en
prend au matériel pour assurer le succès du mouvement revendicatif et empêcher le travail
d’éventuels réfractaires. L’omission est plus efficace que l’action. Les mineurs essaient
d’empêcher la vidange des puits risquant de s’inonder et menaçant la viabilité du site. De
même les maçons de Poitiers parviennent à faire cesser le travail sur des chantiers de non
1797 e e
SIROT (Stéphane), La grève en France. Une histoire sociale (XIX -XX siècle), Paris, 2002, p. 226
1798
Télégrammes d’un capitaine de gendarmerie en transport à Chizé des 23 et 24 décembre 1804, ADDS
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
1799
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
1800
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
391

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
grévistes proches de la ville en août 1899 sans subir de sanctions postérieures. Le harcèlement
a payé. Le nombre important de grévistes explique l’absence de poursuites 1801 .
Néanmoins les ouvriers trop motivés, trop véhéments envers leurs camardes ou trop
violents n’échappent pas toujours à la justice. En 1901, plusieurs procès-verbaux d’entrave à
la liberté du travail, une infraction à la loi du 25 mai 1864, sont dressés à l’encontre
d’ouvriers boulangers niortais en grève et voulant débaucher leurs camarades continuant le
travail 1802 . Toutefois ce délit et sa sanction apparaissent comme très rares dans la région. Les
rapports préfectoraux établis après les grèves n’en font jamais état tout comme la très grande
majorité des archives judiciaires.
Eu égard à son poids démographique relativement modeste la classe ouvrière poitevine
semble susciter un intérêt notable chez les tenants de l’ordre établi.
Bien entendu la surveillance ouvrière ne focalise pas constamment l’attention des
autorités, sauf peut être à Châtellerault et dans ses environs. La surveillance des mouvements
d’opposition au régime ou purement politiques, variant selon les époques et le pouvoir en
place, capte bien plus l’attention des pouvoirs publics. On surveille l’influence réactionnaire
et l’éventuel réveil chouan du côté du bocage, l’activité des républicains de Fontenay-le-
Comte à Poitiers en passant par la plaine niortaise ou le Thouarsais, ou bien encore la
survivance des réseaux bonapartistes au plus profond de la Vienne rurale.
A l’exception peut être de la décennie précédent la Grande Guerre, le monde ouvrier
semble souffrir d’une sorte de malédiction lui conférant dans les esprits de l’époque une
dangerosité quasi-intrinsèque. L’amalgame entre « les classes laborieuses et les classes
dangereuses » n’est pas qu’une réalité parisienne et ne concerne pas uniquement que la
première moitié du XIX e siècle 1803 . Le tumulte des émeutes lyonnaises, des événements
parisiens de 1848 ou de 1871, des grèves violentes de la III e République s’entend au plus
profond des campagnes, amplifié ou déformé par les notables conservateurs ou les curés du
village. Des épisodes ayant pourtant bien peu de conséquences locales. A cela s’ajoute la
mobilité de certains travailleurs et leur origine étrangère au département qui n’est pas toujours
bien perçue par les populations du crû.
1801 Rapport de police au préfet du 23 août 1899, ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
1802 Rapport du préfet sur la grève des ouvriers boulangers de Niort de septembre et octobre 1901, ADDS
11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
1803 CHEVALIER (Louis), op. cit., 562 p.
392

Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre établi
Un à priori qu’alimentent régulièrement les circulaires ministérielles envoyées aux
préfectures. Ces instructions ne s’appliquent bien souvent qu’à des réalités strictement
localisées et rarement à l’ensemble du territoire, particulièrement à ses composantes rurales.
Néanmoins ces consignes gouvernementales participent à alimenter soupçons et craintes à
l’égard de l’ouvrier. On en arrive, à la lecture de certains rapports rédigés par des
fonctionnaires ou des notables trop zélés, à croire qu’une commune révolutionnaire va
s’établir Châtellerault et que toute la région risque d’être mise à feu et à sang. Et pourtant,
combien sont-ils parmi les ouvriers poitevins à être véritablement imprégnés d’idées sociales
avancées ou de théories révolutionnaires ? Bien peu, car le travailleur industriel poitevin,
quand il ne se sent pas un simple artisan, n’est souvent qu’un paysan à peine sorti des champs,
un ouvrier de passage. Si son poids politique est réel dans certaines localités, son vote est loin
d’être extrême. La révolte de la Marianne éclate dans une région extrêmement rurale. Si
l’ouvrier est influencé ce n’est pas toujours par les forces de gauche. En Vendée les forces
réactionnaires pèsent bien plus sur l’ouvrier des bords de Sèvres que celles arborant le
drapeau rouge. Si son vote peut déplaire aux forces républicaines, il ne risque guère de
troubler l’ordre public.
Néanmoins les autorités préfèrent « prévenir que guérir », ce qui, en outre, relève de
leur rôle. Le maître mot de l’administration, quelle soit gouvernementale ou départementale,
est l’intimidation, ciblée sur certaines zones ou localités. On surveille et on le fait savoir. On
punit, mais rarement sévèrement, comme en témoignent les purges suivant le coup de force de
Louis-Napoléon Bonaparte où bien encore les rares poursuites pour cause de coalition.
L’ouvrier poitevin n’est pas particulièrement victime du pouvoir administratif et judiciaire, il
subit simplement les contraintes légales qui lui sont très défavorables depuis la Révolution.
Cette population ouvrière poitevine, que l’on craint, fréquemment plus à tord qu’à
raison, souffre indéniablement de sa condition et de ses conséquences matérielles. La question
sociale apparaît sur le devant de la scène, dans le Poitou comme les autres régions françaises.
Toutefois on peut se demander à quel niveau se situe le degré d’investissement des autorités
administratives poitevines quant à la volonté d’appliquer les quelques lois à vocations sociales
apparaissant timidement au fil du XIX e siècle et visant à améliorer le sort de la classe
ouvrière.
393

Seconde partie : une question sociale prégnante ?
« Nous ne nous alarmons ni des accroissances de la population, ni
de l’essor de l’industrie, ni du développement des grandes cités, ni
de l’inégalité des conditions, mais nous pensons que les nouvelles
circonstances sociales, nées des progrès de l’industrie, des richesses,
de l’avancement même de la civilisation, ont fait naître des
nécessités nouvelles, imposent à la société de nouveaux devoirs 1804 ».
Avec la nouvelle réalité économique et sociale s’imposant au XIX e siècle, les classes
dirigeantes comme l’Etat lui-même ne peuvent plus feindre d’ignorer les bouleversements
affectant une grande frange de la société. L’obligation de maintenir l’ordre public le
commande. Les principes humanistes l’ordonnent.
Si l’action contre le paupérisme et la dégradation manifeste des conditions de travail
est une priorité dans les quelques régions hautement industrialisées françaises, qu’en est-il
dans les zones rurales, tel le Poitou, où l’ouvrier et les difficultés inhérentes à sa condition
semblent marginaux ? Y prend-t-on la mesure des problèmes rencontrés quotidiennement par
l’ouvrier ? Comment les pouvoirs publics appliquent-ils les prémices de la législation
sociale ? Ses représentants osent-ils prendre des initiatives innovantes en la matière ou les
freinent-ils, accrochés à des principes d’un autre âge ?
Autant de questions qui se posent dans cette France rurale où le travailleur industriel n’est pas
à l’abri des bouleversements affectant le siècle. Là, comme dans les régions où la population
est entièrement soumise au « Léviathan industriel », l’existence est cadencée par le travail
(chapitre 1) et la vie quotidienne bien souvent une épreuve (chapitre 2).
1804 GERANDO (Joseph Marie de), De la bienfaisance publique, Paris, 1839, tome 1, p.65.
394

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
L’industrialisation et ses changements de modes de production modifient en
profondeur les traits qui caractérisaient jusqu’alors le monde du travail. Le temps devient un
critère prépondérant. L’époque est révolue où l’artisan s’afférait avec application autour de
son ouvrage et où le paysan vivait au rythme des saisons et des cycles biologiques de son
élevage. Désormais la rapidité d’exécution prime bien souvent sur la qualité impliquant un
savoir-faire précis et étendu. Le critère de productivité commence à prendre de plus en plus
d’importance. En outre la mécanisation des tâches ouvre aux femmes et aux enfants la porte
des ateliers.
Autant d’éléments qui permettent, d’une part, une hiérarchisation poussée et inégale des
salaires fondée sur des considérations de rendement et de sexe (section 1) et, d’autre part,
l’extension des journées de travail accaparant tout entière la vie des travailleurs industriels
(section 2).
Section 1 : A peine égale, salaire inégal
Le salaire, pierre angulaire de la revendication ouvrière 1805 , se caractérise au XIX e
siècle par son extrême diversité. Nombre de pratiques y sont associées, si bien qu’il est
nécessaire de définir le salaire de manière extensive tel que le droit du travail contemporain et
la jurisprudence le font également 1806 . A cette variété de modalités salariales s’ajoute une
grande disparité et inégalité de traitement entre les salariés (I). L’âge, le sexe, la
spécialisation, le rendement ou la zone géographique sont déterminants en la matière. Enfin il
est nécessaire d’appréhender si, malgré leurs différences, les salaires ouvriers sont réellement
rémunérateurs et suffisent à combler les besoins quotidiens du travailleur (II).
1805 Cf. infra p. 760.
1806 COUTURIER (Gérard), Droit du travail, les relations individuelles de travail, Paris, p.468 et s.
395

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
I- Des revenus disparates
Longtemps la rémunération du travail est marquée par une extrême diversité de formes
(A) et de taux (B) conséquences d’une économie en pleine mutation où des habitudes
anciennes côtoient de nouvelles pratiques, fruit de la révolution industrielle.
A- Les modalités salariales
Longtemps les rémunérations ne sont pas fixées obligatoirement en numéraire. Le
paiement en nature subsiste dans certaines professions et dans certains secteurs. Fréquemment
la productivité ou le rendement est pris en compte dans le règlement d’un salaire acquitté à
des moments variables et dépendant souvent d’aléas saisonniers et conjoncturels.
a) Nature des rémunérations
Le code actuel de la sécurité sociale affirme que le salaire est constitué de « toutes les
sommes versées au travailleur en contrepartie où à l’occasion du travail 1807 ». Ici on entend
toutes les sommes d’argent reçues en compensation d’une activité mais aussi les sommes
versées à l’employé « à l’occasion du travail » sans lien immédiat avec le travail fourni.
Les primes diverses appartiennent à cette catégorie. Elles visent à indemniser, à
récompenser où bien encore à discipliner l’ouvrier 1808 . Dans le bâtiment quand un maçon ou
un tailleur de pierres travaille loin de ses bases il réclame et obtient bien souvent des primes
de déplacement auxquelles s’ajoutent parfois des primes « de panier » destinées à couvrir les
frais de bouche du travailleur. Quant aux primes d’efficacité, comme le système de
« boni 1809 » apparaissant à partir des années 1890, elles récompensent l’ardeur et la
productivité d’une personne 1810 ou bien de l’ensemble des employés. Un usage qui se
rencontre particulièrement dans les industries d’extractions à l’image des carrières de pierres
1807 Art. L.242.1 C. sécur. Soc.
1808 Primes d’exactitude ou d’assiduité
1809 Le systèmes des « boni » décompose le salaire en deux parties : d’une part un taux fixe et d’autre part une
partie mobile fonction de l’habilité ou de l’efficacité de l’ouvrier, cf. DEWERPE (Alain), Le monde du travail…,
op. cit., p.104
1810 Dans ce cas précis la prime se rapproche d’un système de paiement à la tâche
396

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
ou des houillères du bas Poitou, à Faymoreau 1811 où à Saint-Laurs 1812 . Un mode de production
qu’on tente d’instaurer à la manufacture d’armes de Châtellerault aux alentours de 1911 1813 .
Toutefois la rémunération n’est pas obligatoirement monétaire 1814 , elle peut être
effectuée en nature, une pratique que l’on rencontre particulièrement dans les deux premiers
tiers du XIX e siècle. Mais on pratique que très rarement le paiement intégralement en nature.
La région ne compte pas d’exemples de mineurs payés exclusivement en denrées comme cela
a pu exister dans certains centres miniers 1815 . En revanche ce mode de paiement se rencontre
parfois dans le secteur de la fabrique à domicile où les tisserands à la cave sont rémunérés en
matières premières et en marchandises diverses.
Dans certaines professions il arrive que l’ouvrier soit nourri par son employeur,
particulièrement dans le monde artisanal et les métiers de bouche 1816 . Il s’agit là d’une
pratique qui s’inscrit dans la continuité des vieux métiers liés aux antiques traditions
compagnonniques. Ici l’ouvrier est quasiment assimilé à un apprenti, intégré à la famille du
maître.
L’exemple le plus marquant est celui des maréchaux-ferrants que l’on oblige à se loger
et à se nourrir chez leur patron. Cette situation perdure longtemps puisque la profession
combat encore cette pratique en 1910 lors d’une grève à Poitiers 1817 . Là, outre le manque à
gagner salarial, les maréchaux protestent contre leurs conditions de vie, l’absence de toute vie
familiale, ainsi que la dépendance et l’assujettissement envers le maître qu’implique ce type
d’organisation du travail 1818 . Etre payé en espèces sonnantes et trébuchantes c’est se
différencier du cocher et des employés de maison, c’est commencer à prendre conscience
d’appartenir à une classe sociale particulière.
1811
Voir la grève des mineurs de Faymoreau de janvier 1901 ou de mars 1908, ADVd 4M195. Conflits sociaux.
Grèves [1895 ; 1914].
1812
Prime de difficulté en cas de puits particulièrement difficile à exploiter, MONTOUX (Michel), op. cit., p.149
1813
Le Socialiste de la Vienne du 23 décembre 1911.
1814
Nous passerons sous silence les règlements en monnaie de compte pour ne parler que de ceux ayant cours
1815
Duveau cite l’exemple de Rancié dans l’Ariège, DUVEAU (Georges), op. cit., p.303.
1816
Quelques rapports cantonaux établis dans les Deux-Sèvres lors de l’enquête économique et sociale de 1848
le confirment, voir par exemple le canton de Saint-Varent in ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale
de 1848 (partie 2), op. cit., p.427.
1817
L’Avenir de la Vienne du 3 septembre 1910 et le rapport du préfet de la Vienne sur la grève des maréchaux
de Poitiers de septembre 1910, ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].
1818
Les ouvriers boulangers de Besançon partagent cette opinion en 1878 : « Nous ne voulons pas demeurer plus
longtemps dans un état de domesticité et de dépendance qui nous a créé une situation inférieure à celle des
ouvriers de tous les autres métiers », Le Rappel du 16 mars 1878 cité par PERROT (Michelle), Les ouvriers en
grève..., op. cit., p.279.
397

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
L’examen des salaires industriels du chef-lieu de département recensés dans des
rapports en vertu d’une circulaire du 24 septembre 1853 1819 illustre l’écart existant entre les
salaires d’un ouvrier nourri et non nourri par son employeur. En 1856 la différence
moyenne 1820 concernant les professions prises en compte dans l’enquête 1821 se situe entre 75
centimes et un 1F25. Une variation qui augmente très légèrement neuf années plus tard : elle
oscille entre 1F et 1F50. En 1874 la différence s’accroît encore, elle est de 1F25 à 1F75.
L’ouvrier nourri gagne alors un peu moins du double du salaire de son camarade qui
s’alimente par ses propres moyens 1822 .
La nourriture n’est pas l’unique moyen de paiement en nature 1823 . Les tisserands
peuvent recevoir des matières premières destinées à leur production personnelle. Les mineurs
des charbonnages reçoivent parfois du charbon en sus de leur rémunération en argent. Mais ils
n’ont pas toujours cette chance, la direction leur accordant parfois uniquement des prix
préférentiels sur le bock de houille 1824 .
Quelle que soit la forme que prend la rémunération celle-ci est fixée selon le
rendement ou simplement selon le temps passé à l’exécution des tâches demandées.
b) Un salaire au rendement ou au temps ?
Le XIX e siècle est marqué par plusieurs modes de paiement. Néanmoins c’est le travail
à la tâche ou aux pièces qui domine pendant une grande partie de la période. Cette forme de
rémunération, fondée sur la production et le rendement, implique par définition une grande
diversité de salaires à l’intérieur d’une seule profession, au sein d’une même fabrique.
L’habileté, la rapidité, le courage, l’abnégation, la résistance physique sont les qualités
permettant d’augmenter son revenu dans des proportions importantes.
Ce système salarial où la rémunération est liée à la production a la faveur du patronat.
Il serait l’un des meilleurs moyens de distinguer le bon du mauvais ouvrier, de séparer le bon
grain de l’ivraie. Au contraire le salaire horaire ne serait selon lui qu’un encouragement à la
1819
ADVd 10M20. Salaires industriels de La Roche-sur-Yon [1853 ; 1865] et ADVd 6M1089. Statistique
générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
1820
Il s’agit uniquement d’une appréciation globale fondée sur un nombre limité de salaires moyens d’une
précision incertaine.
1821
L’enquête regroupe des professions artisanales et industrielles, en particulier celles du secteur textile.
1822
On rejoint ici les observations de Duveau sous le second Empire, DUVEAU (Georges), Op. cit., p.303.
1823
Sur les économats patronaux voir PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., pp.280 à 282.
1824
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
398

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
paresse en traitant chaque travailleur de la même manière sans jamais récompenser le bon
ouvrier.
Les travaux à domicile constituent le secteur où ce mode de rétribution demeure usité
le plus longtemps. Là, loin des réglementations limitant le temps de travail, la couturière, la
brodeuse 1825 ou le tisserand se fatiguent de longues heures courbés sur leur ouvrage pour
augmenter toujours un peu plus un revenu qui ne dépend que d’eux-mêmes. En 1865 un très
bon tisserand du choletais peut tramer dix mètres dans sa journée pour un salaire de 4F – alors
que le salaire moyen d’un tisserand à La Roche-sur-Yon oscille entre 1F50 et 2F 1826 – ou
bien encore confectionner une quinzaine de mouchoirs payés 2F25 la douzaine. Des salaires
très convenables en contrepartie des journées harassantes de 14, 15 voire 17 heures de
travail 1827 .
Dans un premier temps le tisserand n’est payé qu’au nombre de pièces produites et non pas à
la coupe et au mètre ; le travailleur est alors livré à l’arbitraire du marchand fabricant qui
allonge sans cesse le nombre de pièces demandées. Cet état de fait est constaté par les
autorités. En 1849, la Chambre des arts et manufacture d’Angers fait connaître au préfet du
Maine-et-Loire un arrêté de son homologue de Seine Inférieure considérant comme abusif le
paiement à la pièce des tisserands en ordonnant aux fabricants un paiement au mètre de tissus
confectionné 1828 . C’est une modalité de paiement plus favorable même si les frais de
production demeurent le plus souvent à la charge du tisserand.
Terrible sweating-system où la famille est transformée en unité de production 1829 , où
chaque journée n’est qu’une succession ininterrompue de labeur, où seul le trop court
sommeil offre une échappatoire à la tyrannie quotidienne du métier à tisser.
Mais le paiement à la tâche ne s’applique pas uniquement aux secteurs industriels
organisés autour du travail en chambre. Outre le secteur du bâtiment 1830 et des carrières, le
1825
Selon Charles Poisson, « la broderie est souvent la dernière ressource de femmes devenues pauvres après
avoir connu l’aisance ». Pauvresses honteuses elles ne peuvent se résigner à prendre un métier, POISSON
(Charles), op. cit., p.54.
1826
ADVd 10M20. Salaires industriels de La Roche-sur-Yon [1853 ; 1865].
1827
Le mètre de toile de lin est payé 40 centimes, POPEREN (Maurice), op. cit., p.133, note 2.
1828
Ibid., p.24.
1829
Le sous-préfet de Fontenay-le-Comte note que les galochiers de la ville gagnent beaucoup moins depuis
qu’ils travaillent en ateliers car ils ne bénéficient plus de l’aide du reste de leur famille comme c’était cas quand
ils oeuvraient à domicile, lettre du sous préfet de Fontenay-le-Comte au préfet du 27 février 1911, ADVd
10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers ébénistes, galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs, employés de
banque [1911 ; 1931].
399

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
monde de l’atelier l’applique à l’image d’une grande partie de l’industrie du cuir 1831 , des
armuriers de la manufacture d’armes de Châtellerault, jusqu’à l’introduction massive des
machines, des verriers de Saint-Hilaire-des-Loges 1832 , de la chapellerie fontenaisienne ou
saint-maixentaise ou des bûcherons payés au fagot ou à la corde. En 1859 un chapelier de
Saint-Maixent peut gagner un tiers de salaire supplémentaire s’il est efficace 1833 .
Le monde des mines n’échappe pas au travail à la tâche où il est appliqué
parallèlement au salaire au temps. Le premier constitue la règle de rémunération des mineurs
du fonds, le second celle des employés au jour. Ce constat s’applique aussi bien à
Carmaux 1834 que dans le bas Poitou. A Saint-Laurs plus de la moitié des employés sont payés
« à l’avancement des travaux 1835 ». A Faymoreau ce mode de rémunération domine, les
travailleurs du fond étant numériquement majoritaires. Dans les puits on paye le mètre de
galerie percé, le nombre de wagonnets de charbon livré, la distance parcourue des
rouleurs 1836 , le mètre de rail posé, la quantité de cadre mis en place dans le boisage des
boyaux ou bien encore le nombre de wagons de remblai remplis. A la surface, les machinistes
des puits de Saint-Laurs sont pareillement rémunérés à la pièce puisqu’ils réclament
l’abandon de cette pratique en 1896. Un mode de paiement combiné à une échelle salariale
mobile, dont le taux est régulé par le prix de vente du charbon. Ce système est bien trop
aléatoire pour l’ouvrier et ne plait guère à l’ingénieur des Mines de la circonscription,
pourtant fervent adepte du travail aux pièces 1837 :
« Le travail aux pièces est, à mon avis, le meilleur mode
d’organisation du travail ; mais il faut que le prix, une foi donné, ne
puisse être changé pour le travail convenu. Si un ouvrier,
commençant un travail sur des bases déterminées apprend, après
1830 Le travail à la tâche concerne surtout les terrassiers car 90% des ouvriers du bâtiment sont payés au temps en
1893, cf. PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.274. Voir à propos des terrassiers de
Parthenay : ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.439. Voir aussi la
grève des terrassiers niortais d’avril 1912 où l’on réclame un paiement à l’heure à la place du paiement à la
tâche, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
1831 Citons par exemple les cordonniers et gantiers niortais en 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves
[1836 ; 1899] ou bien encore ceux de Poitiers en 1911, ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911], mais aussi la
tannerie et corroierie ainsi que la ganterie niortaise. Notons tout de même qu’une partie de ces activités sont
partagées entre le travail en atelier et en chambre.
1832 ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849], arrondissement de Fontenay-le-Comte.
1833 Le salaire des chapeliers oscille entre 2 et 3 francs, ADDS 4M6.21.
1834 TREMPÉ (Rolande), Les mineurs de Carmaux…, op. cit., pp.336 à 338.
1835 BRUNET (Michel), op. cit., p.34. Notons qu’à l’échelon national l’enquête de l’Office du travail de 1893
range les mines de houille dans les secteurs où le paiement au temps prédomine.
1836 Cf. grève des rouleurs de charbon de janvier 1908, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
1837 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899]. Notons que les machinistes de Carmaux sont payés à la
journée en 1902, voir le tableau des salaires in TREMPÉ (Rolande), Les mineurs de Carmaux…, op. cit., p.337.
400

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
l’achèvement de ce travail, que le prix convenu a été modifié, quelle
confiance voulez-vous qu’il ait en ses chefs ? Le droit de révision de
l’Ingénieur en chef ne doit pouvoir s’appliquer qu’à des travaux
semblables donnés ultérieurement ; mais un prix, une fois donné,
doit être considéré comme garanti ; et les modifications jugées
nécessaires par l’ingénieur ne doivent s’appliquer qu’à l’avenir, et
non au passé 1838 ».
Le salaire aux pièces ou à la tâche permet à l’ouvrier de gagner plus, néanmoins ce
mode de rémunération va être progressivement contesté à l’image des serruriers niortais en
1896 1839 , des ouvriers du bâtiment réclamant « la suppression absolue des travaux aux
pièces » lors de l’importante grève de l’été 1899 1840 et des charpentiers en 1908 1841 . Les
travailleurs finissent par préférer le salaire au temps 1842 , moins irrégulier et gage d’une plus
grande sécurité budgétaire. Les menuisiers en bâtiment de Lyon expriment clairement cette
aversion grandissante envers ce mode de rémunération :
« Le travail à la pièce est rejeté par nous parce qu’il offre trop de
déception, par cela trop d’irrégularité dans la perception du
salaire ; il a aussi le désagrément de produire à l’infini des
contestations entre patrons et ouvriers. Joignez à cela la perte de
temps pour faire établir un compte par un géomètre […].
Le travail à la journée […] c’est l’ordre et l’harmonie dans son
intérieur 1843 ».
Cependant ces considérations n’empêchent pas les ouvriers de reconnaître que le salaire doit
correspondre à la capacité de travail de chacun 1844 . Elles n’évitent pas non plus à la femme
d’être prisonnière des rémunérations à la tâche.
1838 Rapport de l’ingénieur des mines De Billy du sous-arrondissement minéralogique d’Angers du 11 mars 1896
au préfet des Deux-Sèvres, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
1839 Rapport du commissaire de police de Niort du 15 avril 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ;
1899].
1840 Selon l’organe de presse des groupes ouvriers républicains socialistes et anti-cléricaux : L’Avant-Garde, 20
août 1899.
1841 L’Avenir de la Vienne, 23 avril 1908.
1842 Toutefois certaines professions réclament toujours d’être payées à la pièce comme c’est le cas des
cordonniers niortais en mai 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
1843 Lettre de la Chambre syndicale des ouvriers menuisiers en bâtiment de Lyon publiée dans La Tribune des
Travailleurs du 25 février 1877.
1844 Les menuisiers et ébénistes poitevins réclament la fin du travail à la tâche tout en réclamant dans le même
temps des salaires horaires, variables « selon la force de l’ouvrier », s’échelonnant de 45centimes à 55 centimes.
401

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
La dénonciation du salaire à la pièce des années 1890 et l’évolution vers un salaire
fixe oblige le patronat à innover afin de toujours un peu plus stimuler l’ouvrier. C’est ainsi
que l’on met en place des systèmes de primes réintroduisant la notion de productivité
inhérente au travail aux pièces.
c) Le moment de la paie
La date des versements de la paie varie également en opposant encore une fois les
intérêts des patrons et des ouvriers. Les premiers préfèrent échelonner les paiements à la fois
pour des raisons de trésorerie, d’absentéisme, d’ordre et de sécurité 1845 . Les seconds essaient
d’obtenir un meilleur rythme de paie afin de faciliter leur vie quotidienne et de ne pas tomber
dans les affres de l’endettement.
En effet le patronat craint le fameux « Saint Lundi 1846 » où l’ouvrier fait bombance et
chôme au grand dam des élites industrielles, économiques, philanthropiques et moralisatrices.
Des entrepreneurs essayent de payer leurs employés en semaine, à midi 1847 ou par roulement
afin d’éviter la désertion massive des ateliers et les accidents causés par l’alcool. Cependant
l’ouvrier persiste à demander sa paie le samedi. C’est le cas des ouvriers du bâtiment de
Poitiers qui réclament le règlement de leur salaire le samedi soir 1848 . A la fin du XIX e siècle le
samedi est choisi comme date de paiement dans 47% des cas en province contre 85% à Paris.
Sous le second Empire, le salaire est généralement versé chaque semaine ou bien tous
les quinze jours 1849 . La paie mensuelle est exceptionnelle avant de devenir majoritaire à la fin
du XIX e siècle 1850 .
Toutefois on voudrait que le rythme des paiements s’accélère. En effet, beaucoup de
travailleurs estiment qu’une rémunération au mois est une des sources des maux de l’ouvrier
car elle oblige souvent celui-ci à demander un acompte à l’employeur. Cette pratique favorise
1845 La paie est longtemps associée à l’ivrognerie dans l’esprit des élites bien pensantes de l’époque.
1846 BECK (Robert), Apogée et déclin de la Saint Lundi dans la France du XIX e siècle, Revue d'histoire du XIX e
siècle, n°29, 2004.
1847
Ainsi on espère que le travailleur n’aura pas le temps de dépenser sa paie et qu’il la ramènera intacte à son
foyer, cf. LEVASSEUR (Emile), Histoire des classes ouvrières…, op. cit., p.719, note 1.
1848
L’avant garde du 20 août 1899.
1849
DUVEAU (Georges), op. cit., p.299.
1850
En province le paiement mensuel est pratiqué dans 42% des cas, cf. PERROT (Michelle), Les ouvriers en
grève..., op. cit., p.283.
402

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
l’endettement des travailleurs les moins prévoyants et limite la liberté de nombre d’entre eux
à cause, notemment, de la législation draconienne appliquée au livret ouvrier 1851 .
Des paiements moins espacés permettent de mieux vivre. L’ouvrier revendique sans
cesse un rapprochement du moment de la paie. Les travailleurs du bâtiment sont à l’avant-
garde de ce type de revendication à l’image des grévistes de Poitiers réclamant d’être payés
tous les 15 jours en 1899 1852 . Une demande identique est faite par les menuisiers du chef-lieu
de la Vienne neuf années plus tard. En 1901 les boulangers niortais ne veulent plus être
rémunérés mensuellement mais à la semaine 1853 , un usage qui se développe dans plus d’un
tiers des cas à la veille du XX e siècle 1854 .
Le salaire journalier est lui aussi beaucoup décrié. Il encouragerait le vice de la
boisson chez le travailleur peu sobre. Pourtant Duveau constate que cette pratique est courante
dans les ateliers parisiens en 1870 1855 . En 1897, à Cholet, les cotonniers travaillant en ateliers
sont rémunérés à la journée 1856 . Toutefois ce mode de rémunération de l’atelier des temps
anciens n’est pas assez défini et encadré pour une population cherchant toujours plus de
sécurité et de prévoyance. La journée est un concept variable changeant à chaque saison.
Cependant cela n’empêche pas les mineurs des gisements d’antimoine de Rochetrejoux en
Vendée de réclamer, sans succès, l’abandon du paiement à la tâche au profit d’une
rémunération à la journée 1857 .
En réalité c’est le salaire horaire qui est souhaité comme l’illustre l’exemple des
couvreurs de La Roche-sur-Yon voulant remplacer leur paiement journalier par une
rétribution horaire 1858 . Une manière d’introduire la notion nouvelle d’heures supplémentaires.
1851
Voir supra p.310 et s.
1852
L’Avant garde du 20 août 1899.
1853
Grèves des ouvriers boulangers de Niort de septembre-octobre 1901, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves
[1901 ; 1911].
1854
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.283.
1855
DUVEAU (Georges), op. cit., p.299.
1856
POPEREN (Maurice), op. cit., p.86.
1857
Rapport du préfet sur la grève dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux de mars 1912, ADVd 10M48.
Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
1858
ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
403

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
d) Des variations salariales saisonnières et conjoncturelles
Outre le paiement à la pièce, les rémunérations en nature ou les diverses primes mises
en place, le salaire varie également en fonction des saisons, de la disponibilité de la main-
d’œuvre ou de la conjoncture.
Il existe souvent un écart salarial très fort à l’intérieur d’une même profession en
fonction des périodes de l’année. Vingt-cinq centimes séparent le salaire moyen de l’ouvrier
charpentier de Loudun entre mai et octobre 1861 1859 . Le salaire du carrier oscille entre 3F
l’hiver et 4F l’été aux alentours de 1848 1860 . Un maçon de Beauvoir-sur-Mer près des Sables-
d’Olonne gagne 2F25 l’hiver et 2F40 l’été en 1909 1861 . Plus significative encore est
l’estimation faite dans la Vienne du salaire moyen ouvrier variant de 2F25 en mars 1867 à 3F
en juillet de la même année 1862 ou encore la comparaison établie en 1830 entre les salaires
d’hiver et d’été dans l’arrondissement extrêmement peu industrialisé de Civray. Ici le prix de
la journée varie de 50c à 1F25 selon la saison.
Tableau 14 : comparaison du prix de la journée de travail entre l’hiver et l’été
dans l’arrondissement de Civray en 1830 :
Profession
Saison
Hiver Eté
404
Ecart salarial
Coutelier 1F50 2F 50c
Serrurier 3F 3F -
Maçon 1F50 2F50 1F
Menuisier 1F50 2F75 1F25
Cordonnier 2F 2F50 50c
Tailleur d’habit 3F 3F50 50c
Source : ADV M10.24. Salaires des ouvriers (1830-1890).
Ces écarts sont en partie dus aux fluctuations de la main-d’œuvre liées au caractère
saisonnier des activités industrielles et agricoles. Certains secteurs artisanaux et industriels
accusent un déficit de bras lors des mois de printemps et d’été où les travaux agricoles les
accaparent, les salaires augmentent donc temporairement par le simple jeu de l’offre et de la
demande. Une circulaire ministérielle de février 1852 constate cet état de fait en rappelant par
la même au préfet le devoir d’impartialité inhérent à sa fonction.
1859 ADV M4.70. Correspondances du préfet (1860-1861).
1860 MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République…op. cit., p.148.
1861 ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
1862 ADV M4.72. Correspondances du préfet [1866-1870].

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
« L’autorité ne doit jamais s’immiscer dans les questions de salaire,
alors même que les parties intéressées lui demandent d’intervenir.
Le taux des salaires ne peut être déterminé par des règlements
administratifs. Le taux du salaire exprime toujours et nécessairement
le rapport qui existe entre l’offre et la demande ; le prix de la main
d’œuvre hausse dans le temps où l’industrie est active, parce
qu’alors il y a une grande demande de (…?) ; il baisse quand
l’industrie se ralentit, parce que le travail est plus offert que
demandé. Le niveau est donné par les circonstances, le caprice des
individus ou l’influence des autorités n’y change rien 1863 ».
Le chômage influe également sur le taux des rémunérations. Il va de soi qu’un secteur
d’activité où la main-d’oeuvre potentielle est numériquement importante incite les
employeurs à tirer les salaires vers le bas en faisant jouer la concurrence entre les travailleurs
ce que dénonce L’Eclaireur de la Vienne en 1891 : « Chaque jour on [le patronat] a bien soin
de répéter aux ouvriers qu’il y a un grand nombre d’inscrits qui attendent les places qui
pourraient être abandonnées 1864 ».
Les métiers dépendant du climat sont les plus touchées par le chômage structurel. Le
secteur du bâtiment en est le meilleur exemple. Les chantiers cessent lors de la mauvaise
saison, particulièrement décembre à février, mais aussi au printemps quand les pluies
interdisent de travailler en plein air 1865 . Les métiers nécessitant très peu de savoir-faire voient
donc leur rémunération baisser à cause de l’afflux de main-d’oeuvre venue du bâtiment,
même si certains travailleurs de ce secteur possèdent un savoir-faire, des « industries
particulières » pour reprendre l’expression employée par les rapporteurs thouarsais de
l’enquête économique et sociale de 1848 1866 .
Un phénomène identique se produit à Châtellerault quand la Manufacture licencie en
masse ses employés : l’armurier ne dispose pas d’outillages propres contrairement aux
ouvriers de la manufacture de Saint-Étienne, souvent cités en exemple. C‘est pourquoi il est
amené à postuler à des emplois très faiblement qualifiés de manœuvres ou de terrassiers.
1863 Circulaire du 2 février 1849 du ministère de l’Intérieur sur l’intervention des pouvoirs publics en matière de
salaires, ADV M4.52. Circulaires des ministres de la seconde République & du second Empire [1848-1851]
1864 L’Eclaireur de la Vienne du 9 août 1891.
1865 Les rapporteurs niortais de l’enquête économique et sociale de 1848 se plaignent de la proximité de la mer
source de pluies fréquentes dans le département.
1866 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p. 442.
405

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
L’afflux soudain de main-d’oeuvre provoque une chute généralisée des salaires dans tout le
secteur du bâtiment 1867 .
D’autres professions subissent d’importantes variations salariales du fait de difficultés
conjoncturelles occasionnant des risques importants de chômage. La crise quasi-
ininterrompue au XIX e siècle de la chamoiserie niortaise ou les graves difficultés rencontrées
par l’industrie textile du lin et du coton 1868 du rayon choletais expliquent la baisse des
rémunérations ou/et des tarifs.
Beaucoup de grèves sont provoquées dans le textile choletais pour obtenir simplement
le maintien des tarifs en vigueur, tarifs que les entrepreneurs tirent sans cesse vers le bas. En
janvier 1899 à Mortagne-sur-Sèvre le prix du mètre de travail a baissé de dix centimes et ce
malgré 35 jours de grèves 1869 . L’année précédente le sous-préfet de Cholet constatait qu’en
vingt ans le revenu des tisserands à la cave s’était effondré des deux tiers 1870 . En 1894, le
même sous-préfet pointait du doigt le chômage comme cause de la baisse des salaires :
« Les tisseurs de Cholet et d’Avesnes-les-Aubert 1871 sont sous la
dépendance du même patronat. Pour tous les salaires sont réduits au
minimum, en raison d’un chômage persistant, plus particulièrement
dans le tissage à la main 1872 ».
La définition large du salaire et sa variabilité, à la fois saisonnière, économique et
géographique, rend difficile une analyse extrêmement précise. Les pages qui suivent ont
seulement vocation à préciser un peu plus le portrait de l’ouvrier poitevin, ou plutôt des
catégories d’ouvriers poitevins, au travers de leurs salaires disparates et inégalitaires.
B- L’éventail des salaires
Etudier le salaire de l’ouvrier au XIX e siècle permet de connaître la place réelle
qu’occupe cette population sur le marché économique de l’époque. L’ouvrier industriel des
1867
Le salaire mensuel diminue de 25 à 15 francs.
1868
L’industrie textile locale souffre du traité de libre échange conclu avec l’Angleterre le 23 janvier 1860 et de
la raréfaction du coton américain, conséquence de la Guerre de sécession.
1869
Rapport du maire de Mortagne-sur-Sèvre du 5 janvier 1889, ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile
[1888 ; 1931].
1870
Rapport du sous-préfet de Cholet au préfet de Vendée du 20 octobre 1888, ADVd 10M50. Grèves dans
l’industrie textile [1888 ; 1931].
1871
Commune de l’arrondissement de Cambrai dans le département du Nord.
1872
POPEREN (Maurice), op. cit., p.80.
406

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
zones rurales est-il ce demi prolétaire échappant en parti à la paupérisation frappant ses
homologues citadins, comme peuvent le penser certains à l’époque ?
Les sources, nombreuses en la matière après 1848, issues d’enquêtes nationales et de
rapports réguliers des administrations départementales, répondent en partie à cette question.
Néanmoins les importantes disparités salariales et régionales qui existent dans le monde
ouvrier et artisanal rendent difficile la vision nette du niveau vie de la classe ouvrière
poitevine. Cette difficulté est accentuée par l’approximation de quelques rapports
préfectoraux ou par la volonté de donner une image positive de la circonscription sur laquelle
on est chargé d’enquêter 1873 . Les chiffres qui vont suivre sont plutôt à prendre comme des
indicateurs permettant d’approcher de la réalité quotidienne des travailleurs du secteur
industriel. Un monde où se côtoient nantis et nécessiteux, dans un siècle où les rémunérations
sont en hausse constante jusqu’à la Grande Guerre.
a) La hiérarchie salariale
Quelle est la hiérarchie salariale à l’intérieur des métiers industriels et artisanaux
appartenant au monde ouvrier ? Quelles professions peuvent être considérées comme
privilégiées et quelles autres comme misérables ?
L’étude des salaires masculins à plusieurs moments de la période étudiée, avec pour
point de départ 1848 1874 , révélera les différentes catégories existant à l’intérieur d’une même
classe sociale ainsi qu’une inégalité de traitement qui explique en grande partie les aspirations
distinctes au sein d’un monde ouvrier en réalité très hétérogène.
1. Aux alentours de 1848
L’examen des salaires entre 1844 et 1849 laisse apparaître un taux moyen journalier
situé entre 1F50 et 2F, vraisemblablement aux alentours de 1F70 1875 . Une estimation qui
correspond aux chiffres fournis au niveau national par les enquêtes et statistiques industrielles
encadrant cette période 1876 .
1873
Pour être exhaustif il faudrait se livrer à une étude approfondie nécessitant le calcul précis du salaire réel.
1874
Les sources consacrées aux salaires sont bien trop lacunaires avant les années 1840 pour que l’analyse soit
significative.
1875
Un taux inférieur moyen à celui estimé à 2F par Aubin et Bouveresse en 1848 au plan national, AUBIN
(Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.119.
1876
D’autres auteurs estiment le salaire moyen à 2F50 en 1845, POISSON (Charles), op. cit., p.116.
407

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
En effet le salaire moyen journalier de l’ouvrier vendéen est de 1F83 entre 1840 et
1844, puis de 1F73 en 1848 et 1852 1877 . Dans la Vienne, toujours en 1852, le salaire moyen
est de 1F74 et dans les Deux-Sèvres il est de 1F70 – 1F75 à Niort 1878 . Mais cette moyenne
cache de légères disparités entre les arrondissements et/ou les cantons souvent causées par
l’état d’avancement industriel ou l’importance de l’artisanat. Plus une région est rurale plus le
salaire est bas. Les témoignages faisant état de meilleurs revenus chez les ouvriers – exception
faite du textile – que chez les paysans sont légion. En 1848, le revenu journalier de l’ouvrier
agricole oscille entre 75 centimes et 1F25 selon les cantons et les saisons, l’été étant la
période des plus fortes rémunérations.
Tableau 15 : salaire moyen en Vendée et par arrondissement en 1848 :
Arrondissements Salaire moyen
Sables-d'Olonne 1F73
Fontenay le Comte 1F85
La Roche-sur-Yon 1F60
Source : REGOURD (Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.79.
Les salaires n’évoluent guère dans la première moitié du XIX e siècle. Au contraire le
salaire réel 1879 a plutôt tendance à baisser 1880 . Partout dans la Vienne, exception faite de
l’arrondissement de Châtellerault 1881 , l’administration et les rapporteurs de l’enquête de 1848
ne constatent aucun progrès des salaires depuis 1830
Cette faible progression autorise l’utilisation des nomenclatures préétablies afin de
cerner au mieux la hiérarchie salariale dense et compliquée telle qu’elle existe aux alentours
de 1848.
George Duveau, comme Levasseur 1882 avant lui, range le monde ouvrier et artisanal en
quatre groupes de salaires – malheureux (au salaire journalier inférieur à 2F50), normaux
(salaire allant de 2F50 à 320), heureux (de 3F20 à 4F) et privilégiés (rémunération supérieure
à 4F) – qu’il baptise selon le taux et le pouvoir d’achat qu’ils impliquent. Cet inventaire que
1877 Statistique générale de la France, industrie, t.IV, 1852.
1878 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., p.413.
1879 Le salaire réel est une estimation à valeur constante permettant de connaître l’évolution véritable du salaire et
par la même de connaître précisément le pouvoir d’achat de la catégorie salariale concernée.
1880 Les salaires réels moyen baissent d’environ 10% de 1810 à 1850, parfois plus durant les périodes de crise, cf.
DEWERPE (Alain), Le monde du travail…, op. cit., p.55 et 111. Pour une base 100 en 1900 le taux de salaire
passe de 73 en 1871 à 115 en 1913.
1881 Les salaires y auraient augmenté d’un quart entre 1830 et 1848. Le manque de main d’oeuvre causé par
l’embauche massive à la Manufacture d’arme n’y est certainement pas étranger.
1882 LEVASSEUR (Emile), Histoire des classes ouvrières..., op. cit., t.2, pp. 707-708.
408

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
l’auteur dresse pour l’année 1853 1883 nous semble également valable à propos de la période
précédente pour laquelle nous disposons de données relativement complètes. En effet à cette
date, l’augmentation du salaire nominal qui a lieu durant le second Empire n’est pas encore
effective. Et même si certains salaires ont pu bénéficier d’une légère augmentation entre 1848
et 1853, ces classifications clarifient nettement l’enchevêtrement salarial de l’époque.
La première catégorie, qualifiée de malheureuse, est de très loin celle comportant le
plus de professions, la quasi-totalité même, étant donné que la moyenne salariale ouvrière de
l’époque est très inférieure à 2F. Ce terme de « malheureux » est donc à nuancer dans la
mesure où le coût de la vie n’est pas le même partout en France. On vit mieux dans le Poitou
avec moins de 2F50 par jour qu’à Paris où dans certaines zones fortement urbanisées du pays.
C’est pourquoi le seuil maximum fixé pour appartenir à la catégorie « malheureuse » est de
2F.
C’est dans le secteur textile que les salaires sont les plus bas. Les fileurs sont les moins
biens lotis comparés aux tisserands. Les fileurs de laine et de coton des fabriques de Cugand,
pour l’année 1847 en Vendée 1884 , ou de Béruges et de Vouneuil-sous-Biard près de Poitiers en
1849, ne reçoivent qu’un franc, voire 1F20 1885 , chaque jour, alors que le tisserand d’étoffes de
laine de Béruges 1886 ou le tisserand lambda de la Vienne 1887 reçoit environ 1F50, soit un peu
plus que le salaire aux pièces journalier des tisserands du Bressuirais, 1F25 1888 , et bien plus
que les tisserands à la cave du nord de la Vendée (1F04) ou de Saint-Hilaire-des-Loges dans
l’arrondissement de Fontenay-le-Comte (98 centimes) 1889 . Ces rémunérations sont inférieures
à celles constatées par Duveau, selon lequel un fileur ordinaire travaillant le coton gagne
quotidiennement 1F75, un bon fileur 2F25 1890 . Les salaires des tisserands et fileurs vendéens
du rayon choletais ont chuté depuis 1844 d’après la Statistique de France 1891 et les rapports
1883
DUVEAU (Georges), op. cit., pp.304-305.
1884
ADVd 6M1231. Statistiques industrielles. Instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
1885
La moyenne en Vendée pour les ouvriers des fabriques textiles est légèrement plus élevée.
1886
ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
1887
ADV M10.124. Salaires des ouvriers (1830-1890).
1888
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.426.
1889
ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849].
1890
DUVEAU (Georges), op. cit., p.310.
1891
Statistique générale de la France. Industrie par commune en 1844, ADVd 6M1232. Statistiques de France.
Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849]. Des ouvriers de filatures de laine ou de lin de
Mortagne reçoivent jusqu’à 2F50 par jour.
409

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
alarmistes des autorités locales stigmatisant l’attitude des fabricants étrangers au pays 1892
tirant au maximum les salaires vers le bas 1893 . Le textile est en crise.
Les salaires varient également en fonction des matières travaillées. Les fileurs de lin
de Mortagne reçoivent chaque jour 2F50 en 1844, alors que leurs homologues travaillant la
laine n’obtiennent que 1F75 dans le même canton ou 2F dans l’arrondissement de Fontenay-
le-Comte à Loge-Fougereuse 1894 . Une réalité qui n’est pas la même dans la Vienne où l’on
gagne plus à travailler le coton ou la laine (de 1F50 à 2F) que le lin (1F50). Ici, comme dans
la plupart des régions de France, l’industrie linière est la plus pauvre des trois grandes
industries textiles. Une situation qui s’accentuera pendant le second Empire.
De même certaines techniques et certains savoir-faire sont mieux payés que d’autres. A
Cugand les ouvriers croisant la laine gagnent 50 centimes de moins que ceux qui la
cardent 1895 .
Les salariés du secteur du bâtiment sont très nombreux à recevoir environ 1F50 par
jour 1896 . C’est le lot quotidien du maçon dont le salaire baisse de 25 centimes l’hiver quand il
ne chôme pas trois mois par an. Ce qui diminue le salaire annuel et accentue la précarité.
Maçon et tisserand sont les deux professions pour lesquelles on parle d’indigence dans
l’enquête de 1848 consacrée à la Vendée 1897 .
Il est intéressant de constater que cette profession appartient chez Duveau à la catégorie
salariale intermédiaire. Le maçon poitevin serait-il exploité ou bien la situation du secteur
s’est-elle nettement améliorée dans le court laps de temps séparant les deux estimations ?
Notons tout de même que l’administration fixe le salaire moyen du maçon de la Vienne en
1847 à 2F. L’année suivante on l’estime à 1F75 aux Sables-D’Olonne.
Un grand écart existe entre l’appréciation du salaire moyen des charpentiers de la
Vienne (2F50) et celui des salaires constatés dans quelques cantons des Deux-Sèvres (environ
1F50). Toutefois ces différences, si elles ne sont pas dues à un gonflement volontaire des
chiffres par l’administration locale désirant présenter son département sous un aspect positif,
1892 Entrepreneurs de Cholet, Nantes ou Clisson.
1893 Lettre du maire de Cugand du 9 août 147, ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des
fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
1894 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
1895 1F50 contre 2F. Le cardage est une opération de filature destinée à épurer et démêler les fibres (bourre). Il
s’effectue à l’aide d’une carde.
1896 L’enquête de 1848 estime que le salaire moyen des ouvriers du bâtiment dans l’arrondissement de La Rochesur-Yon
est de 2F25 par jour, ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes
cantonales sur le travail agricole et industriel [1848 ; 1849].
1897 ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849].
410

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
se retrouvent également chez Duveau. L’auteur observe une grande différence de niveau de
vie selon les départements. Tantôt ceux-ci se rangent parmi les malheureux, tantôt ils se
situent dans la moyenne salariale nationale, le plus souvent ils peuvent même être considérés
comme heureux avec des salaires dépassant les 3F 1898 . Parfois maçons et charpentiers sont
nourris par leurs entrepreneurs comme c’est le cas dans le canton de Frontenay près de
Niort 1899 , ce qui n’apparaît pas, par définition, dans les enquêtes économiques et les rapports
administratifs.
L’élite salariale du bâtiment est constituée par les tailleurs de pierres, appartenant en
quelque sorte à « l’aristocratie du bâtiment », dont le salaire moyen dans la Vienne est de
2F50 ce qui les classe dans la catégorie qualifiée de « normale ».
Enfin, beaucoup plus surprenant est le salaire des terrassiers d’un chantier de chemin
de fer près de Ligugé qui reçoivent un des salaires les plus élevés de la région alors qu’en
général cette profession fait partie des plus pauvres, des plus « malheureuses » 1900 . Peut-être
cherche-t-on par là à discipliner cette main-d’œuvre connue pour son indiscipline ou bien
manque-t-on tout simplement de travailleurs ?
L’industrie céramique, au sens large, a les salaires parmi les plus bas du Poitou.
Généralement un potier ne gagne pas plus que 1F50 1901 par jour, parfois 1F25, à l’image des
potiers de Chaillé-sous-les-Ormeaux dans l’arrondissement de La Roche-sur-Yon. Le même
constat est valable pour les tuiliers, nombreux dans les campagnes.
A l’opposé les verriers de Faymoreau appartiennent à l’élite salariale régionale
puisqu’ils peuvent gagner jusqu’à 3F50, voire 4F par jour 1902 . Une population qualifiée
d’aisée par Cavoleau en 1843. 1903
Une grande disparité salariale caractérise la métallurgie 1904 . L’artisan coutelier
traditionnel des villes et villages de la région gagne peu, aux alentours de 1F50 par jour,
parfois seulement 1F comme à Civray 1905 . Au contraire le coutelier « industriel », celui des
1898
Notons que les chiffres que fournit Duveau datent du début des années 1860, période où le salaire nominal
du monde ouvrier et artisanal est en pleine expansion.
1899
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., p.414.
1900
DUVEAU (Georges), op. cit., p.307.
1901
Les potiers de Châtellerault et de Loudun arrivent à gagner 2F par jour.
1902
ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
Les maîtres verriers gagnent jusqu’à 11F par jour.
1903
CAVOLEAU (J.-A.) (annoté par de LA FONTENELLE DE VAUDORE (A.-D.)), op. cit., pp.649-650.
1904
A titre de comparaison voir l’exemple des forgerons du nivernais in THUILLIER (Guy), Les ouvriers des
forges nivernaises…, op. cit., pp.261-263.
1905
ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
411

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
ateliers ou des fabriques de Cenon ou de Naintré, reçoit quotidiennement 2F50, celui plus
traditionnel de Châtellerault 2F.
L’armurier travaillant à la manufacture de Châtellerault obtient lui aussi 2F par
jour 1906 , comme les maréchaux du département de la Vienne. Les fondeurs obtiennent
quotidiennement 2F35 à l’image des employés des forges du montmorillonais. Enfin l’élite
salariale est constituée par les sertisseurs de boites de conserve de l’arrondissement des
Sables-d’Olonne dont la paie peut atteindre 3F par jour 1907 .
Les industries d’extraction n’offrent pas de salaires bien élevés si on excepte, dans une
certaine mesure, ceux des mineurs des houillères du bas Poitou. En effet les chaufourniers
sont rarement rémunérés plus de 1F50 la journée toutefois dans l’arrondissement de
Châtellerault ou de Loudun ils peuvent recevoir 2F. Quant aux mineur ils font partie des rares
professions dont les salaires ont augmenté avant 1848. D’après le rapport de la Statistique de
France pour 1844 1908 le salaire des mineurs de houille oscille entre 1F50 et 2F10 1909 selon les
puits et les capacités de chaque travailleur rémunéré à la tâche.
Les professions du cuir et du bois sont légèrement privilégiées. Le salaire moyen des
ouvriers du cuir (tanneurs et cordonniers) peut être estimé à environ 2F en sachant qu’il existe
une grande différence de traitement chez les cordonniers en fonction de la qualité de la
chaussure produite. A Niort, le fabricant de pacotille, chaussure à bas prix vendue sur les
marchés, ne reçoit que 1F par jour alors que le fabricant de chaussure de luxe en gagne trois
fois plus 1910 .
Le même type d’écart existe dans les métiers du bois. Le salaire d’un menuisier peut
varier du simple au double 1911 : 1F25 à Frontenay près de Niort 1912 , 2F aux Sables-
d’Olonne 1913 et 2F50 généralement dans la Vienne. Une moyenne bien supérieure à celle des
Deux-Sèvres où elle est plutôt de 1F50. On peut faire la même observation chez les scieurs de
1906 On est loin des 50 centimes journalier dont parle Duveau, DUVEAU (Georges), op. cit., pp.309-310.
1907 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
1908 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
1909 Un maître mineur gagne 3F par jour cf. REGOURD (Florence), Le mouvement social à Faymoreau (XIX e -
XX e siècles), Recherches vendéennes, Le charbon en Vendée, Société d’émulation de la Vendée – Centre
vendéen de recherches historiques, La Roche-sur-Yon, 2003, n°10, p.67.
1910 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., p.413.
1911 Une variation que constate Duveau, DUVEAU (Georges), op. cit., p.305.
1912 Précisons qu’ici le menuisier est nourri par son employeur.
1913 ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849].
412

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
long où la rémunération journalière peut fluctuer de 1F25 à 3F dans le même arrondissement,
à l’image de celui de Bressuire 1914 , par exemple, dans la Vienne, leur salaire moyen est de 2F.
Enfin les charpentiers de marine des Sables-d’Olonne reçoivent 2F à 3F par jour. Ici
comme ailleurs le savoir-faire est récompensé.
Les ouvriers d’imprimeries – lithographes et typographes – ainsi que les papetiers ont
la plupart du temps des émoluments bien en dessus de la moyenne générale. Toutefois le taux
de rémunération est loin d’être fixe. Il dépend du degré d’urbanisation et d’activité
intellectuelle de l’arrondissement où l’établissement est installé. A Montmorillon l’ouvrier
typographe ne gagne que 1F75 contre 3F50 pour ses collègues les mieux payés de Poitiers. Le
salaire moyen de la profession oscille entre 2F dans la Vienne, sauf Poitiers et Loudun
(3F) 1915 , et 2F50 en Vendée à Luçon, comme à Fontenay-le-Comte ou La Roche-sur-Yon 1916 .
Les papetiers sont dans une situation moins enviable. Toutefois leurs rémunérations
sont supérieures à la moyenne, même si il existe de grandes disparités selon les régions et la
taille des ateliers. En effet, en 1844, le papetier de Tiffauges reçoit 2F par jours alors que celui
de Cugand, un peu plus au nord du département, seulement 1F60 1917 . De même le papetier de
Montmorillon gagne quotidiennement 1F75, celui de Châtellerault 2F et ceux de Poitiers
2F50.
Les travailleurs du luxe, orfèvres et bijoutiers, peuvent être pareillement considérés
comme des privilégiés ou du moins qualifiés « d’heureux » 1918 . Cependant ils échappent bien
souvent à l’idée que l’on peut se faire de l’ouvrier.
De même les rémunérations des employés des industries alimentaires varient
considérablement d’une profession à l’autre, même si la plupart du temps elles demeurent
proches de la moyenne.
L’examen des salaires aux alentours de 1848 pourrait laisser penser que la Vienne est
privilégiée par rapports aux départements des Deux-Sèvres et de la Vendée. Or la Statistique
générale de la France 1919 établie en 1852 contredit cette impression. En effet le salaire
masculin moyen le plus élevé est constaté en Vendée (1F83), loin devant les deux autres
1914
Voir les cantons de Bressuire et de Saint-Varent in ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de
1848 (partie 2), op. cit., pp. 426-427.
1915
ADV M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852).
1916
ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
1917
Ibid.
1918
Leurs salaires varient entre 2F et 3F par jour.
1919
Statistique générale de la France, industrie, t.IV, 1852.
413

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
départements 1920 . Toutefois les rémunérations sont encore loin de celles distribuées en
Charente Inférieure où le taux de salaire oscillerait autour de 2F15.
Si les salaires industriels et artisanaux sont manifestement moins élevés qu’ils peuvent
l’être sur le plan national, ils s’avèrent néanmoins plus conséquents que ceux rétribuant le
travail agricole, bien inférieurs aux moyennes départementales propres à l’industrie.
L’Enquête économique et sociale de 1848 en fournit moult exemples. Dans le canton
très rural de Melle un ouvrier gagne environ 1F25 contre seulement 25 centimes pour celui
occupé aux travaux agricoles 1921 . A Argenton-Château ou à Thouars, dans l’arrondissement
de Bressuire, 25 centimes séparent les salaires des deux catégories. Le journalier travaillant
dans les champs à Ménigoute, près de Parthenay, gagne au maximum 1F. Les ouvriers
agricoles du canton de Coulonges-sur-l’Autize, où se situe les houillères de Saint-Laurs,
gagnent quotidiennement 1F25 soit une somme inférieure aux mineurs locaux 1922 . En Vendée
le salaire des travailleurs des champs tourne autour de 1F50 l’été (1F25 l’hiver) 1923 soit un
écart de plus de 25 centimes avec la moyenne départementale du salaire ouvrier.
Un écart qui perdure puisqu’en 1864 le sous-préfet de Civray, arrondissement
profondément rural, considère les salaires ouvriers de sa circonscription comme étant
« extrêmement élevés » comparés à ceux de la population de la région. Le fonctionnaire
explique cette différence de traitement par le faible nombre de travailleurs industriels ou
artisanaux disponibles sur place entraînant une absence de concurrence qui autorise le
maintien de rémunérations proches de celles des grandes villes 1924 .
Les enquêtes cantonales de 1848, complétées par d’autres sources annexes, permettent
de dresser une hiérarchie salariale dont il ressort que le textile est le secteur où les
rémunérations sont les plus faibles. La hiérarchie salariale évoluera peu dans les décennies
suivantes.
1920
Le salaire moyen masculin est de 1F74 dans la Vienne et de 1F70 dans les Deux-Sèvres
1921
Les travailleurs agricoles sont fréquemment nourris par leurs employeurs
1922
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147
1923
ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849]
1924
Rapports de quinzaine du sous-préfet de l’arrondissement de Civray au préfet de la Vienne (1864), ADV
M4.71. Correspondances du préfet [1862-1865]
414

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
2. En 1880
En près de trente ans le salaire moyen de l’ouvrier a doublé dans les départements
constituant l’ancienne province du Poitou. En effet si on pouvait l’estimer à environ 1F70 en
1848, en 1880 il se situe approximativement entre 3F et 3F50.
A la même époque la hausse du salaire nominal de l’ouvrier français est conséquente :
elle st de 40% sous le second Empire 1925 . Une augmentation supérieure à celle des prix,
synonyme d’amélioration du niveau de vie. Cette évolution ne cesse pas avec les premières
heures de la III e République, bien au contraire, puisque le taux de salaire continue de
progresser nettement alors que les prix diminuent dans une plus grande proportion 1926 .
En 1880 la hiérarchie salariale établie en 1848 n’a guère été bouleversée même si
l’écart de rémunération entre professions paraît avoir nettement diminué 1927 . Toutefois cette
tendance est difficile à cerner précisément car les salaires varient beaucoup dans chaque
métier en fonction des localités ou de l’habilité des travailleurs, dans le cadre du travail aux
pièces.
Le textile est toujours le parent pauvre du monde industriel et ceci essentiellement à
cause du travail à domicile. En effet alors qu’un employé des ateliers de filature Blot de Saint-
Maixent gagne quotidiennement 4F50 1928 , ses homologues vendéens, filant aussi la laine, ne
sont rémunérés que 3F15. Une somme bien supérieure aux 2F25 et 2F50 versés
respectivement aux fileurs de coton et de chanvre du rayon choletais 1929 travaillant à domicile.
De même le salaire des tisserands varie en fonction de la matière et du mode de fabrication.
En Vendée, un tisserand de coton en atelier gagne quasiment deux tiers de plus que son
collègue tramant la laine 1930 .
1925
AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.161.
1926
MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), op. cit., p.162.
1927
Sur la réduction des écarts de salaire entre professions voir MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), op.
cit., pp.169-170.
1928 e
MARTIN (Jean Clément), Le travail des enfants dans l’industrie des Deux-Sèvres au XIX siècle, BSHS,
Niort, 1975, t.4, p.460. En 1873, la direction des établissements Blot explique pourquoi elle paie bien ses
employés : « Nous payons plus cher nos ouvriers que nos confrères ou plutôt nous les mettons à même de gagner
plus d’argent en exigeant d’eux un travail soutenu et en leur fournissant des machines bien en état et sagement
réglées. Nos ouvriers étant ceux du pays qui gagnent le plus n’ont aucune raison pour créer des conflits » cf.
ARCHES (Pierre), La filature de laine à Saint-Maixent au XIX e siècle et son fondateur Célestin Blot, op. cit.,
p.13.
1929
ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
1930
Le tisserand en coton gagne 3F40 par jour alors que celui travaillant la laine seulement 2F. Notons que
Fohlen estime que le salaire journalier des filateurs mécaniques en 1860 du rayon choletais est de 3F50 et celui
415

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Quant aux teinturiers cantonnés en atelier ils ne sont pas mieux lotis puisque leur
rémunération journalière oscille en Vendée entre 2F25 et 3F 1931 .
Tableau 16 : salaires de l’industrie textile en Deux-Sèvres et en Vendée (1879-
1880) :
Département Arrondissement Localité Profession Salaire
Vendée - - Tissage de laine 2F
Deux-Sèvres Niort Niort Teinturier 2F25 à 3F
Vendée - - Filature de coton 2F25
Vendée - - Filature de lin/chanvre 2F50
Vendée - - Fabrique de cordage 2F75
Vendée - - Filature de laine 3F15
Vendée - - Tissage de coton 3F40
Deux-Sèvres Niort Saint-Maixent Filature Blot 4F50
Sources : ADDS 10M17-1-E ; ADVd 6M1089 et 6M1243.
Tableau 17 : salaires du secteur du Bâtiment (1879-1880) :
Département Arrondissement Localité Profession Salaire
Deux-Sèvres Niort Niort Peintre 2F25 à 3F50
Deux-Sèvres Niort Niort Terrassier 2F50 à 4F
Deux-Sèvres Niort Niort Maçon 2F50 à 4F
Vienne Poitiers - Peintre 3F50
Vienne Poitiers - Couvreur 3F50
Vienne Poitiers - Maçon 3F60
Deux-Sèvres Niort Niort Tailleur de pierres 2F75 à 3F75
Vienne Poitiers - Tailleur de pierres 3F75
Vendée Fontenay-le-Comte Luçon Tailleur de pierres hiver 3F50 / été 4F
Vienne Poitiers - Charpentier 4F
Deux-Sèvres Niort Niort Charpentier 3F à 4F50
Sources : ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936] ; ADDS 10M17.1. Statistiques
industrielles et commerciales [1804 ; 1889] et ADV M10.124. Salaires des ouvriers (1830-1890).
Le bâtiment n’est toujours pas le secteur le plus rémunérateur. Toutefois il est difficile
d’établir un salaire moyen tant la plage des rémunérations est large. A Niort la rémunération
du maçon, comme celui du terrassier, peut varier entre 2F50 et 4F 1932 . A Poitiers son revenu
des blanchisseurs travaillant en atelier de 2F, cf. FOHLEN (Claude), L’industrie textile au temps du second
Empire, op. cit., p.168.
1931 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
1932 Ibid.
416

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
moyen journalier est estimé à 3F60 1933 , ce qui correspond aux chiffres fournis dans les Deux-
Sèvres. Les peintres comme les couvreurs se situent également dans la même fourchette.
Seuls les charpentiers et les tailleurs de pierres obtiennent des traitements moyens plus élevés
puisqu’un charpentier à Poitiers comme à Niort obtient 4F pour une journée de travail et un
tailleur de pierre 3F75 1934 .
L’industrie du cuir apparaît comme un des secteurs ayant le moins bénéficié de la
hausse salariale constatée lors de la « fête impériale » et au début des années 1870. Nombre
d’ouvriers reçoivent quotidiennement une maigre paie de 2F, ce qui est à peine plus que la
moyenne salariale relevée en 1848. Un cordonnier niortais n’obtient que 2F par jour ; un autre
4F s’il fabrique des produits de meilleure qualité 1935 . Même chose pour les selliers, bien que
les meilleurs d’entre eux gagnent jusqu’à 5F à Poitiers 1936 . Les revenus des tanneurs
s’échelonnent de 2F75 à Châtellerault, 3F25 à Poitiers et 4F en Vendée 1937 . Les chamoiseurs
et les gantiers demeurent au sommet de la hiérarchie salariale du secteur industriel du cuir
malgré les perpétuelles crises affectant la branche. Cependant l’activité s’exerçant à la pièce
les salaires fluctuent selon les individus : 2F50 à 3F pour les moins efficaces ; 4F25 à 4F50
pour les plus habiles.
Tableau 18 : salaires du secteur du cuir (1879-1880) :
Département Arrondissement Localité Profession Salaire
Vienne Châtellerault - Tanneur 2F75
Vienne Poitiers - Tanneur 3F25
Deux-Sèvres Niort Niort Sellier 2F à 3F75
Deux-Sèvres Niort Niort Tanneur 2F75 à 3F75
Deux-Sèvres Niort Niort Cordonnier 2F à 4F
Vendée - - Tanneur 4F
Deux-Sèvres Niort Niort Gantier 3F à 4F25 (1883)
Deux-Sèvres Niort Niort Chamoiseur 2F50 à 4F50 (1883)
Vienne Poitiers - Sellier 5F
Sources : ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880] ;
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889] et ADV M10.124. Salaires des ouvriers
(1830-1890).
L’industrie de la céramique, au sens large, appartient elle aussi aux catégories
bénéficiant des plus bas salaires. Les potiers comme les tuiliers du département de la Vienne
1933 ADV M10.124. Salaires des ouvriers (1830-1890).
1934 A Niort certains tailleurs de pierres ne sont payés qu 2F75 par jour.
1935 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
1936 ADV M10.124. Salaires des ouvriers (1830-1890)).
1937 ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
417

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
gagnent seulement 2F50 chaque jour 1938 , ceux de Vendée à peine plus. Seuls les verriers se
situent dans la moyenne régionale, aux alentours de 3F50.
Une grande disparité salariale existe aussi dans les métiers du bois et du fer. Les
maréchaux, serruriers et les charpentiers sont les moins fortunés avec des salaires à peine
moyen, voire fréquemment inférieurs à la moyenne particulièrement dans le cas des
maréchaux 1939 , bien loin de la rémunération des scieurs de long percevant jusqu’à 5F par jour
dans la Vienne 1940 et constituant par la même une des catégories les plus favorisées avec les
tourneurs sur métaux et les chaudronniers. Les couteliers, quant à eux, ont des traitements très
variables pouvant aller de 2F75 à 4F par jour.
Tableau 19 : salaires des secteurs du bois, de la céramique et du fer (1879-1880) :
Département Arrondissement Localité Profession Salaire
Deux-Sèvres Niort Niort Maréchal-ferrant 1F à 1F80 (nourris)
Deux-Sèvres Niort Niort Menuisier 2F à 3F50
Deux-Sèvres Niort Niort Serrurier 2F à 3F75
Vienne Châtellerault - Tuiliers 2F50 (manœuvre 2F25)
Vienne Poitiers - Tuiliers 2F50
Vienne Poitiers - Maréchal-ferrant 2F50
Vendée - - Tuiliers 3F
Deux-Sèvres Niort Niort Ebéniste 2F50 à 3F50
Vienne Poitiers - Serrurier 3F50
Vienne Poitiers - Coutelier 3F50
Deux-Sèvres Niort Niort Coutelier 2F75 à 4F
Vendée - - Scieur de long 3F50
Vienne Poitiers - Menuisier 3F50
Vienne Poitiers - Forgeron 3F50
Vendée - - Verrier (bouteilles) 3F50 et plus
Deux-Sèvres Niort Niort Forgeron 3F à 5F50
Deux-Sèvres Niort Niort Tourneur sur métaux 3F50 à 4F50
Deux-Sèvres Niort Niort Chaudronnier 3F à 5F
Vienne Châtellerault - Scieur de long 5F
Vienne Poitiers - Scieur de long 5F
Sources : ADDS 10M17-1-E ; ADV M10.123 et M10.124 ; ADVd 6M1089 et 6M1243.
Les industries d’extraction proposent des salaires s’inscrivant dans la moyenne
régionale. Les carriers et les mineurs des houillères ont des traitements oscillant généralement
autour de 3F50 1941 , en fonction de la capacité de travail et de la productivité de chacun
1938 ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
1939 Nombreux sont ceux encore nourris par leurs maîtres.
1940 Toutefois leur salaire moyen est beaucoup moins élevé en Vendée. Il est estimé à 3F50.
1941 ADDS 11M16.12.
418

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
puisque les rémunérations se font encore à la tâche. Un carrier de l’arrondissement de Niort
peut gagner quotidiennement 4F comme 2F75. De même à Faymoreau, en 1886, où un
mineur peut percevoir 60% de plus que son collègue s’il est efficace.
Quant aux chaufourniers, leur activité est toujours une des moins rémunératrices. Cependant
leur situation semble s’être améliorée depuis la seconde République, sauf cas particulier à
l’image de l’arrondissement de Poitiers où ils ne gagnent que 2F50 la journée 1942 .
Tableau 20 : salaires des industries d’extraction (1879-1880 et 1886) :
Département Arrondissement Localité Profession Salaire
Vienne Poitiers - Chaufournier 2F50
Vienne Châtellerault - Chaufournier 3F
Vendée - - Chaufournier 3F25
Deux-Sèvres Niort Niort
Saint-
Carrier 2F75 à 4F
Deux-Sèvres Niort Laurs Mineur 3F50 (3F25 à 4F en 1886)
Vendée Fontenay-le-Comte Faymoreau Mineur 3F à 5F (en 1886)
Sources : ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888) ; ADVd 6M1089.
Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880] ; ADDS 10M17.1. Statistiques
industrielles et commerciales [1804 ; 1889] ; ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887] et
AN F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887).
Dans le domaine des « industries liées aux sciences et aux lettres », telles que
l’administration les qualifie alors, on constate en 1880 deux réalités bien distinctes. D’un côté
les imprimeurs, lithographes comme typographes, apparaissent comme des privilégiés
notemment dans les centres urbains importants. Un imprimeur de Poitiers ou de Niort peut
gagner jusqu’à 5F50 voire 6F par jour 1943 , soit près de 2F de plus que dans les autres localités.
Mais ce statut salarial privilégié tend à disparaître dans les dernières années du XIX e
siècle 1944 .
De l’autre côté les papetiers sont dans une situation des plus précaires. Si ceux de
l’arrondissement de Poitiers gagnent 3F par jour 1945 , ce qui correspond à la moyenne basse
des salaires de la région, ceux des papeteries vendéennes sont extrêmement moins bien
1942
ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
1943
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
1944
Voir infra.
1945
3F50 pour un contremaître, cf. ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-
1888).
419

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
rémunérés puisqu’ils touchent journellement entre 2F 1946 et 2F75 1947 pour une moyenne
départementale évaluée à 2F10 1948 , soit à peine 50 centimes de plus qu’en 1848.
L’habillement rémunère plutôt bien. Un tailleur d’habit de Poitiers gagne en moyenne
3F75 par jour 1949 , celui de Niort entre 2F50 et 5F en fonction du travail fourni 1950 . Les
chapeliers sont encore mieux lotis. Ceux travaillant en atelier gagnent quotidiennement 4F par
jours en Vendée 1951 .
Ces salaires demeurent éloignés de ceux reçus par les ouvriers des industries
alimentaires. Ainsi les minotiers ne gagnent que 2F85, en Vendée 1952 , et 3F50 par jour dans
les arrondissements de Châtellerault et de Poitiers 1953 . Quant aux brasseurs, ceux de Niort
doivent se satisfaire d’une somme quotidienne comprise entre 2F25 et 3F 1954 .
Enfin les plus hauts salaires sont attribués aux sculpteurs qui, à Niort, peuvent gagner
journellement jusqu’à 6F25 1955 .
L’époque est à l’accélération de la mécanisation en atelier. Cette tendance permet aux
mécaniciens et autres ouvriers travaillant sur des machines d’obtenir de meilleures
rémunérations que leurs homologues travaillant à la main. Ces travailleurs font figure de
nouvelles élites industrielles à côté de certains artisans et compagnons. Les exemples des
salaires des chapeliers de Fontenay, des employés de la filature Blot de Saint-Maixent, des
couteliers de Cenon ou de Naintré ou bien des machinistes des houillères, les mieux payés des
ouvriers travaillant au jour autour des puits, l’attestent.
Le salaire ouvrier apparaît nettement plus élevé que les gages des domestiques. En
1874 ces derniers ne gagnent au maximum que 1F25 par jour, tout en étant nourris et
blanchis. C’est là un salaire inférieur à celui des maréchaux vivant chez leur maîtres.
1946
Concerne les papetiers de Tiffauges en 1883, ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ;
1889].
1947
Concerne les papetiers de Cugand et de la Verrie en 1880 et 1882, ibid.
1948
ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
1949
ADV M10.124. Salaires des ouvriers (1830-1890).
1950
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
1951
ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
1952
Ibid.
1953
ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
1954
ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
1955 Ibid.
420

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 21 : gage des domestiques masculin en 1874 :
Tâches
Gage Gage Gage
ordinaire maximum minimum
Attaché au service de la personne 0F80 1F 0F70
Service spécial de la personne (cochers etc.) 0F80 1F25 0F70
Source : ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
Une grande disparité salariale existe entre les régions, comme on l’a déjà évoqué. Le
facteur primordial expliquant ces différence semble être le degré d’urbanisation des
territoires. Plus il est rural plus les salaires industriels et artisanaux sont bas.
Dans les campagnes l’ouvrier n’a pas grand mal à obtenir une rémunération supérieure
à celle de la masse des travailleurs oeuvrant dans les champs. De plus les entrepreneurs n’ont
pas de scrupules à payer chichement des employés n’ayant pas encore rompu avec la terre et
dont l’activité industrielle est considérée comme une source de revenus complémentaires, à
l’image de ce qui se passe dans le textile
A cela s’ajoute le faible mouvement d’imitation au plus profond des campagnes
enclavées. Les ouvriers des arrondissements de Montmorillon, Civray, Melle ou d’une partie
des Sables-d’Olonne ne sont pas au fait des augmentations qui peuvent être accordées à
Poitiers, Châtellerault, Niort ou Fontenay-le-Comte. Le faible développement syndical en
milieu rural participe aussi à un état d’ignorance entretenu par les entrepreneurs locaux. Le
temps n’est pas encore à une harmonisation « horizontale » des salaires 1956 .
En ville, au contraire, le niveau de vie est bien plus élevé nécessitant des salaires plus
important pour couvrir les besoins vitaux propres à tout individu. La nourriture et surtout le
logement sont plus onéreux en milieu urbain. La très importante différence existant entre les
salaires parisiens et provinciaux en est la plus criante démonstration 1957 .
Si le nouveau siècle entérine une partie de l’ancienne hiérarchie salariale, il s’avère
que certaines professions anciennes, souffrant d’une crise structurelle, dégringolent le long de
l’échelle des rémunérations.
1956 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.268.
1957 De très nombreux auteurs abordent ce thème. Voir par exemple : DUVEAU (Georges), op. cit., p.319 et s.,
MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), op. cit., p.167 et s.
421

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
3. Avant la Grande Guerre
Passé 1900, il est difficile d’obtenir des relevés salariaux complets pour une année
dans les trois départements. C’est pourquoi 1910 sera choisie comme une année de référence.
Les salaires des années avoisinantes compléteront et affineront l’étude, les rémunérations
ayant peu augmenté durant la période 1958 .
Le salaire moyen d’un ouvrier tourne autour des 5F en 1911 et des 6F en 1914 dans le
département de la Vienne 1959 , qui reste un département doté d’une moyenne salariale
généralement un peu plus élevée que celle de ses voisins situés plus à l’ouest 1960 .
Le secteur textile occupe plus que jamais le bas de l’échelle salariale industrielle et
artisanale. C’est un secteur sinistré parmi tous les domaines d’activités existant dans la région.
En effet non seulement le taux de salaire n’a pas augmenté en près de trente ans mais bien
souvent il semble avoir diminué, particulièrement dans un rayon choletais en pleine mutation
où le textile doit se restructurer pour survivre.
Le temps du tissage à la main, chez soi, est définitivement révolu, à moins de le
pratiquer uniquement comme une simple activité de complément. La concurrence des ateliers
est trop vive 1961 . C’est ce constat amer que fait déjà le sous-préfet de l’arrondissement de
Cholet en octobre 1888 1962 en affirmant que le taux de salaire a chuté des deux tiers depuis 20
ans. On imagine bien que 20 années plus tard la situation s’est encore aggravée. Dans les
années 1910, l’heure de travail dans ce mode de production est estimée au maximum à 1F50
par jour 1963 , soit quasiment le taux de 1848 ! Trop peu pour 12 à 14 heures de travail où
parfois toute la famille s’active autour du métier. Les fabricants de mouchoirs ne sont pas
beaucoup mieux lotis puisque la douzaine est facturée 1F75 1964 , contre 2F25 en 1865, en
sachant qu’un bon ouvrier n’en confectionne qu’une quinzaine lors d’une harassante journée
de travail.
1958
Si les salaires continuent d’augmenter, c’est dans des proportions moins importantes que dans les dernières
décennies du siècle précédent.
1959
En 1911 le salaire horaire est de 50 centimes et de 60 centimes en 1914. La journée de travail est
généralement de dix heures. Les manœuvres gagnent respectivement pour les deux mêmes années 36 et 45
centimes, MARION (Jacques), op. cit., p.37.
1960
Ces chiffres paraissent néanmoins un peu élevés au regard des données que nous avons collectées.
1961
Sur l’agonie du travail textile à domicile dans le choletais, voir POISSON (Charles), op. cit., p.53.
1962
« Partout la machine a tué le bras. Les fabricants à la main ne peuvent lutter contre la concurrence des
tissages mécaniques qu’en diminuant la main d’œuvre » affirme le sous-préfet de Cholet au préfet de Vendée,
ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
1963
ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931] .
1964
ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
422

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Le même constat est valable à propos des tisserands travaillant sur des métiers
mécaniques installés dans des ateliers dont la situation salariale n’a pas évolué depuis 1880
quand elle ne s’est pas détériorée. Selon Maurice Poperen le salaire journalier d’un tisserand
oscille entre 2F et 3F de 1900 à 1914 1965 . Lors d’une grève survenue en 1910 dans le canton
de Mortagne, les tisserands rémunérés jusqu’alors entre 2F et 2F50 1966 réclament et
obtiennent une augmentation de 25 centimes, ce qui constitue une augmentation plutôt
conséquente montrant que le patronat a jusque là consciemment bloqué l’évolution salariale
de ses employés.
Dans le choletais, l’industrie de la chaussure bon marché a pris le relais du textile en
offrant des emplois à une population laborieuse nombreuse et en difficulté. On y offre des
salaires meilleurs que dans le textile bien qu’ils soient beaucoup moins élevés que ceux
fournis dans les autres localités concurrentes telles que Limoges, Fougères, Nancy ou Nîmes.
En effet les salaires oscillent entre 2F50 et 4F dans le rayon choletais alors qu’ils fluctuent
entre 4F et 7F ailleurs 1967 . Ces bas salaires sont également l’apanage des cordonniers
travaillant en atelier à Chauvigny qui ne sont pas mieux payés que leurs homologues du nord
de la Vendée pourtant réputés pour le faible coût de leur travail 1968 . Seuls les cordonniers des
fabriques de Poitiers et de sa banlieue sont un temps mieux rémunérés. En 1908 ceux de la
manufacture Raynaud et Biard gagnent quotidiennement 5F50. Toutefois, trois ans plus tard,
la manufacture en proie à des difficultés ne paie plus ses cordonniers que 3F50 à 4F 1969 .
Les cordonniers, malgré des salaires peu élevés, ne sont pas les plus malheureux des
travailleurs de l’industrie du cuir. La crise qui sévit dans la chamoiserie et la ganterie niortaise
a fait chuter les salaires des ouvriers du secteur d’activité. En 1910 un gantier ne reçoit plus
que 2F à 2F15 par douzaine de gants fabriqués 1970 . On peut imaginer qu’il n’en fabrique pas
beaucoup plus dans une journée, ce qui revient à dire que le salaire nominal, et encore plus le
salaire réel, a chuté de plus d’un tiers en trente ans ! Néanmoins tous les acteurs de la ganterie
niortaise ne sont pas aussi infortunés. Si un ponceur de peau gagne 3F à 3F75 par jour soit à
1965 POPEREN (Maurice), op. cit., p.8.
1966 ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
1967 CHÉNÉ (René), op. cit., pp.86-87.
1968 Avant leur grève d’août 1908 les cordonniers ne gagnent que 3F par jour. En octobre de la même année ils
obtiennent une augmentation de 50 centimes, ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].
1969 ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].
1970 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
423

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
peine plus que le salaire moyen de 1880, un coupeur de gants perçoit, quant à lui, 5F par
jour 1971 .
Tableau 22 : salaires de l’industrie du cuir aux alentours de 1910 :
Année Département Localité Profession salaire
1907 Deux-Sèvres Niort
Ponceur de
peaux
3F à 3F75
1908 Vienne Chauvigny
Cordonnier
(en atelier)
3F à 3F50
1908 Vienne Poitiers
Cordonnier
(en atelier)
5F50
1911 Vienne Poitiers
Cordonnier
(en atelier)
3F50 à 4F50 /
manœuvre :
2F50 à 3F
1909 Deux-Sèvres Niort Coupeur 5F
2F à 2F15 (par
1910 Deux-Sèvres Niort Gantier douzaine de
gants)
Avant
1914
Vendée
Rayon
choletais
Chaussure
(en atelier)
2F50 à 4F
Sources : ADDS 11M19.13.B et ADV M12.115.
Aux alentours de 1910 la situation salariale des ouvriers du bâtiment semble s’être
améliorée depuis 1880. Désormais elle se rapproche de la moyenne salariale régionale.
Toutefois de très importantes différences de rémunération perdurent entre les départements,
les arrondissements, les cantons et les villes. Des écarts parfois expliqués par des journées de
travail de durée inégale. L’examen des grèves de l’époque montre que l’on travaille sur les
chantiers de 10 à 12 heures suivant les villes ou les entrepreneurs 1972 .
De tous, le maçon de l’ouest vendéen apparaît comme le moins bien rémunéré 1973 . En
1911 ceux d’Aizenay – arrondissement de La Roche-sur-Yon – ou de la Mothe-Achard –
arrondissement des Sables-d’Olonne – ne gagnent que 2F75 par jour ce qui les poussent à
faire grève ; les premiers obtiennent une augmentation très conséquente de 1F09 tandis que
les seconds n’obtiennent que 25 centimes de mieux. L’importance des augmentations laisse à
penser que ces salaires très bas ne sont pas la norme. Là encore l’encavement des campagnes
maintien très bas les taux salariaux. De même, en 1912, les maçons de Saint-Jean-de-Monts,
sur la côte atlantique, ne sont payés dans un premier temps que 2F30 la journée, puis entre
2F50 et 2F80 après un mouvement de grève. Citons encore les maçons de Beauvoir-sur-mer
rétribués aux alentours de 2F40 en 1909. L’ouest vendéen n’a pas le monopole de ces bas
1971 Ibid.
1972 Voir infra pour ce qui concerne les heures de travail.
1973 Les salaires vendéens suivants proviennent de la série ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment
[1879 ; 1936].
424

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
salaires. Dans le nord-est de la Vendée, un maçon de Mortagne n’a que 3F à 3F30 de salaire
journalier en 1910en 1910.
En réalité on observe un mouvement généralisé de hausse des salaires dans le secteur
du bâtiment vendéen aux alentours des années 1910-1911. Les grèves s’y multiplient afin de
mettre à niveau des salaires manifestement trop bas en comparaison de ceux versés dans les
départements voisins. Ainsi les maçons, terrassiers et charpentiers de Fontenay-le-Comte
obtiennent une augmentation de 25 centimes en 1911, ceux des Sables et de La Roche-sur-
Yon obtiennent un salaire horaire augmenté de 8 centimes, passant respectivement de 40
centimes contre 32 centimes et de 37 à 45 centimes. Notons aussi que certaines de ces
augmentions conséquentes s’accompagnent d’une baisse d’une heure du temps de travail
passant le plus souvent de onze à dix heures. Un mouvement entamé dès 1908 à Niort 1974 .
Ailleurs le taux de salaire quotidien d’un maçon dépasse allégrement les 4F,
particulièrement en milieu urbanisé. On atteint 4F50 à Niort en 1908 1975 et surtout 5F50 à
Poitiers et 6F à Châtellerault pour dix heures de travail en 1911 1976 .
Les tailleurs de pierres demeurent l’élite salariale dans le monde du bâtiment, même si
l’écart entre leurs rémunérations et celles des autres professions du secteur a tendance à
diminuer. En 1908, les tailleurs de pierres niortais reçoivent même une paie identique à celle
de leurs collègues maçons 1977 . Ailleurs ils gagnent environ 50 centimes de plus par jour, bien
qu’à Poitiers ils puissent obtenir quotidiennement jusqu’à 7F50 1978 .
Les manœuvres, situés les plus bas sur l’échelle salariale du bâtiment, gagnent
généralement de cinq à dix centimes de moins de l’heure que les maçons, soit l’équivalant de
50 centimes à 1F sur une journée.
Enfin les charpentiers obtiennent des rétributions variables tantôt légèrement plus
élevées que les maçons, tantôt légèrement plus faibles. Quant aux terrassiers, le niveau de
leurs rémunérations s’intercale entre les manœuvres et les maçons.
A ces salaires de base s’ajoutent de plus en plus dans le courant de la première
décennie du XX e siècle des indemnités de déplacement ou des primes de panier pour les
ouvriers amenés à se déplacer sur des chantiers éloignés des localités où ils vivent. Ainsi en
1908 les plâtriers de Niort obtiennent une prime de panier de 60 centimes quand ils doivent
1974
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
1975
Ibid.
1976
ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911] et ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
1977
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
1978
ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911] et ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
425

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
aller travailler à la campagne 1979 . En 1911, les couvreurs yonnais bénéficient d’un surplus
salarial de 2F quand ils doivent se déplacer et dormir sur place 1980 . Même chose pour leurs
collègues maçons en avril 1912 1981 .
Le secteur des activités d’extraction offre des salaires oscillant autour de la
rémunération moyenne avec, là encore, des disparités selon les emplois et les régions. Si la
profession de carrier est très rémunératrice dans la Vienne, si l’ouvrier est efficace, avec une
paie journalière allant de 4F à 6F en 1908, voire 9F en 1913 à Chauvigny comme à
Jardres 1982 ; elle est beaucoup moins élevéeen Vendée puisque les carriers de Fenouiller près
des Sables-d’Olonne ne gagnent que 2F au maximum en 1908 1983 .
L’univers des mines de houille propose lui aussi des salaires disparates liés à la
pénibilité de la tâche effectuée. Les ouvriers au fond des puits sont les mieux rémunérés. En
1907 ceux de Saint-Laurs gagnent quotidiennement 4F20 1984 . Sept années plus tard ils
reçoivent 4F70 1985 alors que leurs homologues et voisins de Faymoreau obtiennent 20
centimes de plus chaque jour 1986 . A titre de comparaison les mineurs de Carmaux touchent
5F45 par jour en 1902 1987 . Eux aussi travaillent aux pièces.
Au jour les rétributions sont moins élevées. Les machinistes ne jouissent plus du
prestige d’actionner un engin à vapeur, comme cela pouvait être le cas trente ans auparavant.
Ils gagnent 3F en 1907 à Saint-Laurs 1988 et 4F à Faymoreau en 1914. Tout en bas de l’échelle
salariale il y a les manoeuvres chargés d’effectuer les tâches de maintenance à la surface. Ils
gagnent en 1914 entre 3F25 et 3F50 en 1914, soit un salaire inférieur à la paie moyenne de
l’époque.
1979
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 27 juin 1908.
1980
Grève des couvreurs de La Roche-sur-Yon de décembre 1911, ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du
bâtiment [1879 ; 1936].
1981
Ibid.
1982
ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911] et ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
1983
ADVd 10M47. Grèves dans les usines et carrières [1897 ; 1936].
1984
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
1985
MONTOUX (Michel), op. cit., pp.147-149.
1986
ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
1987
TREMPÉ (Rolande), Les mineurs de Carmaux…, op. cit., p.337.
1988
A Carmaux, en 1902, un machiniste reçoit 3F75 par jour et un chauffeur 3F25.
426

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 23 : salaires dans les industries d’extraction autour de 1910 :
Année Département Arrondissement Localité Profession Salaire
1907 Vienne Poitiers Migné Carrier 2F50 à 3F
1907 Deux-Sèvres Niort Saint-Laurs
Mineur
(machiniste)
3F
1907 Deux-Sèvres Niort Saint-Laurs Mineur 4F20
1907 Deux-Sèvres Niort Saint-Laurs
Mineur
(manœuvre)
2F75
1908 Vienne Montmorillon Chauvigny Carrier 4F à 6F
1911 Vendée Sables-d'Olonne Fenouiller Carrier
été : 2F
hiver : 1F75
5F à 9F
1913 Vienne Montmorillon Chauvigny Carrier (selon le
rendement)
5F à 9F
1913 Vienne Poitiers Jardres Carrier (selon le
rendement)
1914 Deux-Sèvres Niort Saint-Laurs
Mineur
(au jour)
3F50
1914 Deux-Sèvres Niort Saint-Laurs
Mineur
(au fond)
4F70
1914 Vendée Fontenay le Comte Faymoreau
Mineur
(au jour)
3F25
1914 Vendée Fontenay le Comte Faymoreau
Mineur
(machiniste)
4F
1914 Vendée Fontenay le Comte Faymoreau
Mineur
(au fond)
4F90
Sources : ADDS 11M19.13.B et C ; ADV M12.115 et M12.142 ; ADVd 10M47 et 10M48.
On constate dans le secteur des industries du bois un resserrement et une amélioration
du taux salarial de ses employés.
D’un côté les charpentiers de marine perdent leur statut de privilégiés comme c’était le
cas en 1848. Ils gagnent, selon les saisons, aux alentours de 4F70 en 1908 et de 5F six ans
plus tard 1989 . De l’autre côté les menuisiers voient le fruit de leur travail revalorisé.
Jusqu’alors on justifiait leurs faibles rémunérations par la possibilité qu’ils ont de pouvoir
travailler toute l’année contrairement aux professions du bâtiment obligées de s’arrêter
l’hiver 1990 . En 1910 les menuisiers de Poitiers obtiennent un salaire de 5F 1991 . L’année
suivante ceux de Châtellerault obtiennent même 5F50 1992 . Cependant, là encore, le
département de la Vienne apparaît comme plus privilégié que ses voisins. En effet, un
ébéniste installé à La Roche-sur-Yon en 1912 ne gagne que 3F par jour 1993 .
1989 ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
1990 Grève de mai/juin 1908, ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].
1991 Grève d’août/septembre 1910, ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].
1992 ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909] .
1993 ADVd 10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers ébénistes, galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs,
employés de banque [1911 ; 1931].
427

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
L’introduction du machinisme dans le travail du bois crée une nouvelle catégorie
d’ouvrier. Les ouvriers des scieries – scieurs et mécaniciens – sont rémunérés entre 4F25 et
5F25 pour les premiers et 4F25 et 4F75 pour les seconds, ils constituent une catégorie qui
apparaît un peu moins privilégiée que celle les anciens scieurs de long. Ces derniers
continuent de mettre en avant leur savoir-faire. Ils sont payés à la pièce à partir de tarifs
compliqués prenant en compte des facteurs divers tels que l’épaisseur des planches sciées ou
la nature du bois à travailler.
L’industrie métallurgique offre elle aussi des salaires proches de la moyenne
régionale : entre 4F et 4F50 pour un maréchal-ferrant de Poitiers 1994 , plus de 5F pou un
armurier de la manufacture d’armes de Châtellerault. Les rémunérations de ces derniers
varient en fonction de la date d’embauche. En août 1906 L’Echo de Châtellerault 1995 qualifie
le salaire des armuriers fraîchement engagés « d’insuffisant ». C’est sans doute un moyen
pour la direction de se préparer à de subites absences de commandes. Plus tard, en 1911,
l’administration de la manufacture d’armes essaie de réinstaurer dans ses murs un système de
rémunération au rendement appelé « travail au boni » 1996 et alloue une prime allant aux
ouvriers dépassant le minimum prévu : « le taux d’affûtage ». Cette pratique est redoutée des
travailleurs puisqu’elle amène à reconsidérer régulièrement le taux d’affûtage en cas de bons
résultats, ce qui aboutit à moyen terme à l’augmentation des cadences de travail.
L’imprimerie fournit une part des rémunérations les plus élevées. Un imprimeur
Vendéen est payé entre 5F et 6F50 dans les années 1910 1997 , une somme qui demeure
inférieure aux salaires de leurs homologues nantais recevant quotidiennement entre 6 et
7F70 1998 et dont les imprimeurs de Poitiers doivent s’approcher.
En 1880 l’ouvrier semblait gagner bien plus qu’un domestique. Trente ans plus tard le
constat semble être le même. En effet dans la Vienne rares sont les professions exerçant un
service à la personne ou utilisant leur force et leur habileté manuelle pour accomplir leur
1994
Les teneurs de pieds qui aident les maréchaux gagnent généralement 50 centimes de moins.
1995
L’Echo de Châtellerault du 31 août 1906.
1996
Le Socialiste de la Vienne du 23 décembre 1911.
1997
ADVd 10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers ébénistes, galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs,
employés de banque [1911 ; 1931].
1998
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.34.
428

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
tâche 1999 et atteindre le niveau du salaire moyen ouvrier du département. Ce constat demeure
quand bien même ces employés sont nourris par leur employeur.
Tableau 24 : salaires minimums des professions manuelles non industrielles et
non artisanales du département de la Vienne en 1912 :
Arrondissements Concierge Jardinier
Montmorillon -
Hiver :
3F50
Eté : 4F50
Châtellerault - 4F
Poitiers
75
centimes
Journalier
agricole
Hiver : 2F50
Eté : 3F50
3F
(+ 1F50 de
nourriture)
429
Professions
Homme de peine
et manoeuvre
Hiver : 2F50
Eté : 3F50
3F
Femme de
ménage
Hiver : 2F
Eté : 2F50
1F25
(+ 1F de
nourriture)
3F 3F25 3F25 2F
Civray - 5F 3F50 3F 2F50
Loudun - 4F 4F 4F 2F
Ouvrier
5F à 6F
Source : ADV M12.125. Conditions de travail dans les marchés [1910 ; 1917] ; Inspections du travail, personnel
[1891 ; 1912] ; travail des femmes et enfants dans l’industrie [1896 ; 1902].
En 1910 comme en 1880, les activités exercées dans un tissu urbain dense sont
toujours mieux rémunérées que celles effectuées en milieu rural. Toutefois certaines
transformations se sont opérées en trente années. Conduire ou mener une machine s’est
« démocratisé ». Cela ne fait plus appartenir à une élite donnant droit à un salaire élevé. Les
rémunérations des machinistes des houillères, des scieurs mécaniques ou des ouvriers de
fonderie dirigeant un laminoir se situent dans la moyenne générale de leur département. Ce ne
sont plus des salaires de privilégiés. A cela s’ajoute le déclin de certaines industries
traditionnelles entraînant par la même une chute des salaires des ouvriers qu’elles occupent.
La ganterie et chamoiserie niortaise sont concernées au plus haut point, ainsi que le textile du
rayon choletais. Cette dernière industrie concentre ses établissements tout en convertissant
peu à peu une partie de sa main-d’œuvre dans la chaussure bon marché.
1999 Hors du cadre artisanal ou industriel

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
S’il existe de grandes disparités entre les salaires des différents secteurs d’activités, les
différences sont encore plus marquées entre les rémunérations des deux sexes ainsi qu’entre
celles des travailleurs d’âges différents.
b) L’âge et le sexe, facteurs d’inégalités
L’ouvrier, qu’il soit un homme, jeune homme ou adolescent, représente l’écrasante
majorité du contingent ouvrier du Poitou, à l’exception notable du secteur textile où le
nombre de femmes employées est plus conséquent. Toutefois le travail des femmes, et à
fortiori celui des enfants, est perçu uniquement comme une activité de complément aussi bien
pour l’employeur que pour l’ouvrier du fait, croit-on, de leur faible capacité de travail. Cette
croyance justifie à elle seule des salaires bien plus bas que ceux versés aux hommes.
1. La rémunération du travail des femmes
Comme partout ailleurs en France, la femme travaillant dans les industries de
l’ancienne province du Poitou gagne beaucoup moins que les hommes, exerçant ou non les
mêmes professions. L’ouvrière oeuvrant pourtant à plein temps ne semble gagner qu’un demi
salaire. C’est là une discrimination salariale réelle qui semble basée avant tout sur une
conception du travail féminin considéré par tous les acteurs sociaux comme un travail
d’appoint, une occupation temporaire et subsidiaire.
1.1. Le salaire féminin, un demi salaire ?
En règle générale une ouvrière gagne moitié moins que son pendant masculin exerçant
le même type d’activité. Les exemples en la matière sont multiples. En 1826, les tisserands à
bras du canton de Mortagne gagnent exactement le double de leurs homologues féminins, que
ce soit à la cave ou en ateliers 2000 . En 1840 le conseil général de la Vienne estime que le
salaire moyen des travailleurs mâle du département est exactement le double de celui des
ouvrières 2001 . Quatre années plus tard, les employées des fabriques de laine croisée et cardée
de Cugand reçoivent des salaires journaliers moitié moins conséquents que ceux des employés
2000 Un homme gagne 30 centimes par jour s’il travail à domicile et 40 centimes si c’est en atelier, une femme 15
et 20 centimes, cf. ADVd 6M1231. Statistiques industrielles. Instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
2001 AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
430

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
du sexe opposé 2002 . En 1848 le salaire moyen des hommes du canton de la Châtaigneraie,
arrondissement de Fontenay-le-Comte, est estimé à environ 1F50 alors que la femme ne
gagne que 75 centimes 2003 .
Le phénomène se perpétue dans les décennies qui suivent. Dans les années 1880 c’est
le cas dans la tannerie poitevine, chez les tuiliers de la Vienne 2004 , les fileurs de chanvre et les
tisseurs de laine vendéens 2005 , les chapeliers de Fontenay et des Deux-Sèvres 2006 , les papetiers
des bords de Sèvre 2007 ou de Migné dans la Vienne 2008 et encore dans de nombreuses autres
professions. Le siècle nouveau ne met pas fin à cette pratique discriminatoire. En 1900 les
bonnetiers et gantiers de Poitiers gagnent le double des femmes partageant leurs tâches 2009 .
Toutefois cette discrimination salariale tend à s’amenuiser légèrement dans les années
précédant la Grande Guerre. Le développement du machinisme, nécessitant plus d’habileté
que de muscles, est un des facteurs expliquant ce rapprochement. Cependant la comparaison
directe est difficile à cause de la spécialisation du travail féminin dans la région où les
femmes sont de moins en moins confrontées aux hommes dans les ateliers, exception faite du
secteur textile, où effectivement les taux de salaire se rapprochent.
Ce rapprochement salarial est particulièrement vrai dans les domaines où la
rémunération est fondée sur la capacité de travail 2010 . Ici le sexe passe au second plan, seule la
production réelle est prise en compte. Il arrive qu’une femme puisse mener plusieurs métiers
aidée par son mari et ses enfants 2011 . En 1883 les tisseurs « à bras » de chanvre gagnent en
moyenne 2F75 et leurs compagnes 2F, soit 72% du salaire 2012 . Quatre années plus tôt, les
tisseurs de laine vendéens reçoivent un salaire estimé à 2F et leurs homologues féminines
1F50 2013 .
2002 Les ouvrières gagnent 75 (laine croisée) et 90 centimes (laine cardée), ADVd 6M1232. Statistiques de
France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
2003 ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849].
2004 ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
2005 ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880] et ADVd
6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 1889].
2006 ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 1889] et ADDS 10M17.1. Statistiques
industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
2007 Ibid.
2008 ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888).
2009 3F50 contre 1F75, ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
2010 LEROY-BEAULIEU (Paul), op. cit., pp.142-143.
2011 POISSON (Charles), op. cit., p.26.
2012 ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 1889].
2013 ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
431

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Mais cette réalité ne touche pas que le travail à domicile ou le travail « à bras ». En 1894 les
tisserands féminins d’une fabrique des Epesses gagnent 80% du salaire des hommes 2014 . En
1903, le salaire des tisserands de sexe féminin de Mortagne s’élève à 65% du salaire de leurs
homologues masculins, et 85% sept ans plus tard 2015 . En 1906, le salaire moyen journalier
féminin dans le textile choletais et angevin est estimé à 2F35 2016 . Une somme très proche de
ce que touche nombre d’homme, si on met de côté les grands ateliers urbains.
Enfin, certains autres secteurs d’activités offrent exceptionnellement des salaires
quasi-identiques aux deux sexes. C’est le cas chez les potiers de Montaigu en 1844 2017 ou chez
les gantiers des Deux-Sèvres en 1887 2018 .
A contrario il arrive également que la femme gagne beaucoup moins que la moitié du
salaire masculin. Ainsi, dans les temps éloignés du premier Empire, en 1812, les gantières
niortaises ne gagnent que 50 centimes soit trois fois moins que leurs homologues male 2019 ; un
constat toujours valable en 1839 2020 . En 1844 la papeterie de Tiffauges offre aux femmes des
salaires deux tiers inférieurs à celui des hommes de l’établissement industriel 2021 . Quatre ans
plus tard le salaire moyen journalier des ouvrières du canton de Fontenay-le-Comte est estimé
à 50 centimes, bien moins que celui offert à l’ouvrier industriel, soit 1F60 2022 . Un écart
semblable existe à la même époque dans le canton de Parthenay 2023 .
Après 1880 on trouve encore trace d’un tel écart salarial entre hommes et femmes au
sein des minoteries vendéennes, du tissage vendéen 2024 , mais aussi des papeteries et des
filatures de coton et de laine de Cugand 2025 ou de l’importante filature de laine de Saint-
Maixent. Ce dernier établissement ose payer ses ouvrières entre 1F25 et 1F75 alors qu’il
rémunère ses ouvriers aux alentours de 4F50 la journée. De même les fouleuses de la
2014
2F contre 2F50, ADVd 4M185. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires diverses.
Arrondissement de La Roche-sur-Yon (1894-1911).
2015
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.225.
2016
POISSON (Charles), op. cit., p.26.
2017
1F pour les femmes et 1F50 pour les hommes, ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation
des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
2018 Le salaire journalier est estimé pour les hommes entre 2F50 et 3F50 et pour les femmes entre 2F et 3F pour
une activité souvent exercée à domicile, ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ;
1889].
2019 ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
2020 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
2021 ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ; 1849].
2022 ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849].
2023 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.428.
2024 ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
2025 Les femmes gagnent 1F25 et les hommes 2F25, ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales
[1882 ; 1889].
432

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
chapellerie Gandriau de Fontenay-le-Comte sont rémunérées 1F40 alors que les hommes
effectuant la même tâche sont payés 3F par jour. On rémunère aux alentours de 1F10, au
maximum 1F50, les ouvrières d’une manufacture de chausson de tresse et de feutre bon
marché vendéenne, soit beaucoup moins que le salaire moyen 2026 . Enfin les compositrices
d’imprimerie perçoivent également de salaires inférieurs comparés à ceux de leurs collègues
masculins effectuant pourtant exactement la même tâche : de 1F50 à 2F50 par jour contre
3F50 pour les compositeurs dans une imprimerie yonnaise en 1900, chez un imprimeur ayant
tout de même le mérite d’avoir embauché des femmes malgré la vindicte de la profession.
Certains secteurs d’activité industrielle employant presque uniquement de la main-
d’œuvre féminine en profitent pour imposer des salaires très bas. Les conserveries de sardines
de la côte sablaise sont touchées au premier plan. Leurs rémunérations sont sans commune
mesure avec celles des ouvriers du département ou de l’arrondissement.
Tableau 25 : salaires féminins dans les conserveries de sardines de
l’arrondissement des Sables-D’Olonne (1844-1914) :
Localité Salaire Année
Sables-d'Olonne 30c à 70c 1844
Croix de vie 75c à 1F
20c de l'heure
1886
Ile d'Yeu
(on projette de le baisser à 15c) 1889
Sables-d'Olonne 20c de l'heure 1895
Sables-d'Olonne 15c de l'heure 1896
Sables-d'Olonne 20c à 25c (projet) de l'heure/ environ 2F la journée 1909
Sables-d'Olonne 20c de l'heure 1909
Sables-d'Olonne 20c à 25 l'heure de nuit 1914
Ile d'Yeu 20c de l'heure 1914
Sources : ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou manufactures [1839 ;
1849] ; ADVd 6M1241. Situation industrielle trimestrielle [1856 ; 1887] ; ADVd 10M2. Enquêtes de l’office du
travail : bureaux de placements, salaires et secours au chômage [1891 ; 1895] ; ADVd 10M45. Conflits du travail.
Instructions. Correspondances [1874 ; 1940] ; ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans les conserveries
[1889 ; 1927].
En 1909, le sous-préfet des Sables ne peut que reconnaître la légitimité de leur
mouvement de grève compte tenu du caractère dérisoire de leurs rémunérations. En 1886
comme en 1910 leur salaire ne représente qu’un tiers du traitement moyen de l’ouvrier
lambda 2027 alors qu’elles travaillent de nuit dans des conditions difficiles. Cette tache
2026 POISSON (Charles), op. cit., p.38.
2027 Cf. supra.
433

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
féminine est l’une des moins bien payée de la région avec celle effectuée par les surjeteuses
de gants niortaises 2028 .
Cette activité est exemplaire car elle cumule plusieurs facteurs justifiant de très bas
salaires : une main-d’œuvre féminine et abondante, très peu qualifiée, exerçant une activité
saisonnière considérée comme fournissant un salaire d’appoint à des femmes dont les maris
sont tous marins pêcheurs.
1.2. Les causes d’une discrimination
Une main-d’œuvre abondante est un moyen constant de pression patronale sur les
titulaires d’un emploi. Ceux-ci sont obligés d’accepter de faibles conditions de rémunération
sous peine d’être remplacés par une personne sans travail prête à tout accepter.
Cette situation s’amplifie dans le cas d’un travail féminin. L’opinion commune estime
que la femme, plus faible physiquement que l’homme, est moins efficace au travail 2029 ; c’est
là un argument qui justifie à lui seul les différences de traitement entre les deux sexes.
En outre, nombre de femmes sont sous-qualifiées. L’apprentissage leur est souvent
interdit. Elles exercent la plupart du temps des activités ne nécessitant pas de savoir-faire
complexes : des tâches simples, n’excluant pas l’habileté et la dextérité, exercées à domicile
ou en atelier. Ainsi se justifient les bas salaires féminins, d’autant plus que la concurrence
entre travailleuses est grande pour obtenir ces postes, ce qui fait chuter un peu plus encore les
salaires.
On considère également le travail féminin comme une activité d’appoint, fournissant
un salaire de « surérogation » 2030 . Les patrons et les ouvriers, syndicalistes ou non, estiment
que le travail d’une femme ne peut être que temporaire et qu’il est destiné à compléter un
salaire masculin. On estime que la femme qui travaille finira par rejoindre tôt où tard sa place
au sein du foyer familial. Cette vision sociale absout les décideurs économiques, ceux-là n’ont
dès lors aucun scrupule à renvoyer d’abord les ouvrières 2031 .
2028
En 1909 les sardinières gagnent environ 2F, les surjeteuses 1F50, cf. ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves
[1836 ; 1899].
2029
Certains affirment même que sa faiblesse physique diminue ses besoins et par la même ses revenus destinés à
les satisfaire, LEROY-BEAULIEU (Paul), op. cit., pp.130-131.
2030
POISSON (Charles), op. cit., p.117.
2031
Voir l’exemple de la manufacture de Jouy in REBÉRIOUX (Madeleine), « L’ouvrière », in ARON (Jean-
Paul) (dir.), Misérable et glorieuse, la femme du XIX e siècle, Paris, 1980, p.65.
434

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
En effet, l’ouvrière travaillant en atelier est généralement jeune et célibataire. En 1850,
82% des femmes travaillant dans les ateliers de la filature de coton et de la blanchisserie de
Biard sont célibataires ; il en est de même dans la filature de lin et de chanvre de Vivonne 2032 .
Le même constat peut être dressé en Vendée où 80% des femmes travaillant dans les dix
principales manufactures ne sont pas mariées 2033 . En 1911, la quasi totalité des femmes
travaillant à La Roche-sur-Yon sont célibataires 2034 .
Les syndicats 2035 voient d’un très mauvais œil cette main-d’oeuvre féminine entrant en
concurrence avec les travailleurs masculins, amplifiant la demande de travail et freinant, par
un effet mécanique, la hausse des salaires 2036 . Un délégué ouvrier à l’exposition de Londres
de 1862 le dit clairement « Ce n’est pas [...] un sexe que nous combattons, c’est un instrument
d’abaissement de salaire, c’est un travailleur à prix réduit 2037 ». Un syndicaliste angevin est
encore plus clair quand il affirme « qu’il n’est pas bon que la femme vienne faire concurrence
à l’homme sur le marché du travail. La place de la femme n’est pas à l’atelier, mais à la
maison ; veiller aux soins du ménage, à l’éducation des enfants voilà sa vraie mission 2038 ».
On ne veut pas augmenter les effectifs de l’armée de réserve du capitalisme. La volonté
d’exclure les ouvrières des métiers du livre, secteur à la pointe du mouvement syndical, en est
l’exemple le plus frappant 2039 . Keufer, le secrétaire de la Fédération des travailleurs du livre,
vient maintes fois à la Roche au début du XX e siècle afin d’inciter les ouvriers locaux à
interdire l’entrée des ateliers aux femmes 2040 . En 1891 le directeur de la manufacture d’armes
de Châtellerault renvoya toutes les femmes embauchées depuis peu sous la pression de la
2032
ADV M10.125. Situation de famille des ouvriers des manufactures.
2033
ADVd 6M1231. Statistiques industrielles. Instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
2034
GAUTRON (Muriel), op. cit., p.110.
2035
Sur les positions syndicales consacrées au travail des femmes voir BATTAGIOLA (Françoise), Histoire du
travail des femmes, Paris, 2000, pp.43-45 ; GUILBERT (Madeleine), La fonction des femmes dans l’industrie,
op. cit., p.45 et s. ; GUILBERT (Madeleine), La présence des femmes dans les professions et ses incidences sur
l’action syndicale avant 1914, MS, avril-juin, 1968, pp. 125-141 ; LE CROM (Jean-Pierre) (dir.), Les acteurs de
l’histoire du droit du travail, Rennes, 2004, pp.167-184 ; REBÉRIOUX (Madeleine), Le mouvement syndical et
les femmes jusqu’au Front populaire, Parcours engagés dans la France contemporaine, Paris, 1999, pp. 161-
188 ; SCHWEITZER (Sylvie), Les femmes ont toujours travaillé, une histoire du travail des femmes aux XIX e et
XX e siècle, op. cit., p. 122 et s. ; ZYLBERBERG-HOCQUARD (Marie-Hélène), Féminisme et syndicalisme en
France, Paris, 1978, 326 p.
2036
Un argument que réfute Charles Poisson dans sa thèse de 1906. Selon lui, les femmes exécutent rarement le
même travail que les hommes, POISSON (Charles), op. cit., p.130 et s.
2037
LEVASSEUR (Emile), Histoire des classes ouvrières..., op. cit., t.2, pp.720 note.
2038
POPEREN (Maurice), op. cit., pp.41-42.
2039
La CGT refuse jusqu’en 1919 de syndiquer les typotes, SCHWEITZER (Sylvie), Les femmes ont toujours
travaillé, une histoire du travail des femmes aux XIX e et XX e siècle, op. cit., p. 122 et REBÉRIOUX (Madeleine),
L’ouvrière, in ARON (Jean-Paul) (dir.), Misérable et glorieuse, la femme du XIX e siècle, op. cit., p.69
2040
REGOURD (Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.205.
435

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
presse socialiste locale et des syndicats 2041 . Pour beaucoup le travail féminin existe seulement
pour maintenir de faibles salaires masculins. C’est un moyen de pression constant sur les
ouvriers masculins qui voudraient revendiquer.
Au pire, la femme ne doit occuper que des emplois compatibles avec sa nature comme
peuvent l’être les travaux d’aiguilles. On avance des arguments moraux pour l’écarter des
ateliers. En réalité, revendiquer un salaire égal pour les deux sexes revient à mettre de côté les
femmes 2042 . En effet la société n’est pas encore prête à l’égalité et cette revendication est
vouée à l’échec. Le travail féminin bouleverse en profondeur les fondements de la société.
L’homme craint de perdre sa position dominante.
A l’opposé cette concurrence est souhaitée par de grand porte-drapeau du libéralisme.
Sous la Restauration le baron Dupin évoque les bénéfices économiques du travail des femmes
dont pourrait bénéficier une industrie nationale en pleine phase de développement et de
modernisation. Le machinisme est l’instrument qui va offrir aux femmes une compensation à
leur déficit physique.
« Sans doute on ne peut pas, avec des lois, attribuer aux femmes telle
ou telle branche des travaux industriels pour en priver le sexe
masculin. Mais par des instructions sagement combinées, on peut
répandre chez le sexe faible des connaissances et des talents qui
créeront la concurrence la plus avantageuse entre le travail de
l’homme et celui de la femme 2043 ».
Un autre des reproches majeurs faits à l’ouvrière par ses homologues masculins est sa grande
soumission. Une passivité « naturelle » que traduit son manque d’engagement syndical. Dans
ce cas précis, les sardinières de la cote sablaises font figure de contre exemple, à l’image de
leur grève de juin 1914 2044 , tout comme les gantières niortaises cessant le travail en 1909 2045 .
Ce sont des exceptions qui confirment la règle dans une région où le taux de syndicalisation
n’est que de 13,9% dans la Vienne et de 8,4% en Deux-Sèvres 2046 . Cette docilité encourage le
patronat à ne pas réduire les inégalités salariales entre hommes et femmes tout en essayant de
2041 BLONDELLE (Stéphanie), La manufacture d’armes de Châtellerault, les accidents du travail (1898-1938),
mémoire de maîtrise histoire, Poitiers, septembre 1996, p.19.
2042 Une conception soutenue par nombre de féministes, REBÉRIOUX (Madeleine), L’ouvrière, in ARON (Jean-
Paul) (dir.), Misérable et glorieuse, la femme du XIX e siècle, op. cit., p.66.
2043 DUPIN (Charles), Forces productives et commerciales de la France, Paris, 1827 p.97.
2044 ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
2045 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
2046 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.155 et
p.175.
436

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
compresser au maximum les rémunérations des dernières en sachant pertinemment quelles
courberont l’échine et continueront le travail avec sérieux et application. En revanche
l’obéissance des femmes va conduire les chefs d’établissements industriels à remplacer les
hommes râleurs, indisciplinés et revendicatifs par leur pendant du sexe opposé.
Les femmes ne sont pas les seules à souffrir d’une discrimination salariale. Le mineur
est lui aussi moins payé que l’ouvrier majeur.
2. Le salaire des enfants et des adolescents
Le salaire des enfants et des adolescents est beaucoup moins élevé que celui des
adultes. L’écart se fonde avant tout sur la force physique, la capacité de travail et la nature de
la tâche accomplie.
Les jeunes enfants sont généralement employés à des travaux subalternes, des emplois
de manœuvre ne nécessitant pas un savoir-faire complexe. Ils accomplissent des tâches
sensées ne pas requérir d’efforts conséquents et n’entraînant pas de graves conséquences en
cas d’étourderie inhérente à l’âge. Le plus souvent l’enfant aide ses parents au domicile ou
dans un atelier et fournit ainsi un travail d’appoint qualifié parfois d’apprentissage par le
patronat et l’administration 2047 .
Les tisserands à la cave mettent au travail leur progéniture afin qu’elle les aide dans
leur marathon quotidien qu’ils passent penchés sur le métier. Dans les ateliers les enfants
balaient, nettoient, aident aux réparations. Parfois on utilise leur dextérité et la petitesse de
leurs membres pour s’introduire dans les rouages des machines grippées ou bien encore pour
rattacher les fils brisés d’un métier mécanique. Ces emplois, qui ne sont pas dénués de danger,
restent avant tout des travaux exténuants pour des organismes fragiles et en pleine croissance.
A cette explication s’ajoute également celles déjà énoncées précédemment à propos du
travail féminin. Les enfants sont dociles. Ils n’exercent qu’un travail d’appoint destiné à aider
leur famille. C’est en quelque sorte un plus, financièrement non négligeable, accordé aux
familles dont ne peuvent disposer les travailleurs célibataires. Un bonus ne se discute pas, il
est à prendre ou à laisser. On ne revendique que très rarement afin d’obtenir l’augmentation
du salaire de sa progéniture.
2047 Cf. les réponses consacrées à l’apprentissage dans le questionnaire de l’Enquête économique et sociale de
1848, voir par exemple ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.416.
437

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Chez les enfants de moins de quinze ans le salaire oscille, en 1844 dans le Poitou,
entre un cinquième et un tiers de la rémunération d’un ouvrier 2048 , soit environ 60 centimes
par jour 2049 . La plupart d’entre eux sont employés dans l’industrie textile, particulièrement
dans les filatures vendéennes, et dans les papeteries. Cette proportion ne change guère en
1848. A Parthenay le salaire moyen masculin est de 2F, celui des mineurs seulement de 40
centimes, soit un cinquième, même chose à Niort 2050 . Cependant cet écart semble moins
faible dans les campagnes où le salaire des enfants est souvent proche de celui des femmes.
Reste à savoir si les réponses à l’enquête de 1848 ne mélangent pas travail artisanal, industriel
et agricole. Il arrive également que l’enfant soit uniquement considéré comme un
prolongement de ses parents ouvriers, une valeur ajoutée ne nécessitant pas un salaire
spécifique, comme on le précise dans le canton de Melle où les enfants qui travaillent –
jusqu’à douze ans – sont seulement nourris sans recevoir de salaire 2051 .
Les salaires enfantins augmentent légèrement au fil du temps. Dans les années 1880 on
peut considérer que le salaire moyen d’un enfant équivaut à un tiers de celui d’un travailleur
adulte, puis à 40% de celui-ci passé 1900.
Cette catégorie de travailleurs juvéniles âgés de huit à quinze ans souffre elle aussi une
discrimination salariale fondée sur le sexe. Cependant cette distinction entre garçons et filles
n’est aussi marquée que chez les adultes. Dans de nombreux cas les enfants des deux sexes
voient leur travail rémunéré de la même manière. C’est le cas notamment, dans les années
1880, chez les papetiers de Cugand, les chapeliers de Fontenay-le-Comte et dans de
nombreuses filatures vendéennes 2052 . Cependant il arrive que les filles reçoivent un salaire
inférieur à celui de leur camarade du sexe opposé, généralement cinq centimes de moins 2053 .
La différence salariale entre mineurs et adultes s’atténue avec l’âge. Les adolescents, à
la force de travail de plus en plus conséquente, obtiennent des salaires proches de celui des
ouvriers et bien souvent supérieurs à ceux obtenus par les ouvrières. On estime qu’un jeune
homme âgé de 15 à 21 ans serait plus fort et plus efficace qu’une femme. On peut même
s’étonner d’une différence salariale entre un jeune homme et un ouvrier car, passé 16 ans, le
2048 On atteint 40% chez les potiers des Herbiers dans l’arrondissement de La Roche-sur-Yon : 60 centimes pour
un salaire masculin de 1F50, ADVd 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques ou
manufactures [1839 ; 1849].
2049 Ce qui correspond aux chiffres fournis par Bouvier-Ajam concernant les enfants âgés de 13 à 16 ans pour la
période allant de 1830 à 1862, BOUVIER-AJAM (Maurice), op. cit., p.136.
2050 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2 & 3), op. cit., p. 412 et 428.
2051 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 1), op. cit., p.510.
2052 ADVd 6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 1889].
2053 ADVd 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880].
438

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
législateur, dès 1841, assimile l’enfant à l’adulte. Ne pas en tenir compte est un moyen pour le
patronat de faire des économies. Dans les années 1880 un jeune travailleur gagne 25 à 75
centimes de plus qu’une ouvrière adulte et 50 centimes à 1F de moins qu’un ouvrier
majeur 2054 . Bien entendu les deux sexes ne sont pas égaux quant au salaire dans cette
catégorie d’âge comme dans les autres. Toutefois l’écart est moins important dans cette
tranche d’âge qu’entre hommes et femmes adultes.
Si la moyenne des salaires nominaux des ouvriers du Poitou se situe bien en deçà de la
moyenne nationale et qu’il existe de grands écarts de rémunération à l’intérieur de chaque
profession, il semble néanmoins que l’ouvrier poitevin n’est pas plus mal loti que les paysans
qu’il côtoie. Au contraire son salaire est généralement plus élevé que celui des travailleurs des
champs, exception faite de certains secteurs d’activité « sinistrés » comme le textile
choletais 2055 .
Ces chiffres bruts traduisent une part de vérité sans pour autant la révéler
complètement. Pour cela il est nécessaire d’examiner le pouvoir d’achat de l’ouvrier afin de
mieux cerner le niveau de vie réel du travailleur industriel poitevin.
2054 Voir par exemple ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888) et ADVd
6M1243. Statistiques des industries principales [1882 ; 1889].
2055 Précisons qu’ici le tisserand est loin d’avoir coupé tout lien avec le monde rural.
439

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 26 : salaires suivant l’âge et le sexe dans divers secteurs industriels entre
1844 et 1889 :
Année Département Localité Profession
440
Salaire
masculin
Salaire
féminin
Salaire
d’un
mineur de
Salaire d’un
mineur de 15
ans
15 à 21 ans Garçon Fille
1844 Vendée
La Rochesur-Yon
Minoterie 3F50 - 3F 1F -
1879 Vendée - Tuilerie 3F - 2F50 1F25 -
1879 Vendée - Tannerie 4F - 3F50 1F25 -
1879 Vendée - Papeterie 2F10 1F 1F20 à 2F 75c 60c
1879 Vendée - Usine à gaz 3F20 1F 2F 1F -
1879 Vendée - Filature de coton 2F25 1F 1F50 75c 65c
1879 Vendée - Filature de laine 3F15 1F35 2F80 75c 65c
1879 Vendée -
Filature
lin/chanvre
de
2F50 1F30 1F75 75c 75c
1879 Vendée - Tissage de laine 2F 1F50 1F90 1F25 1F
1879 Vendée -
Chapellerie
atelier)
(en
4F 2F 3F75 2F 1F75
1882 Vendée Cugand Papeterie 2F75 1F25 2F25 80c 80c
1882 Vendée Cugand Filature de coton 2F75 1F25 2F25 80c 80c
1882 Vendée Cugand Filature de laine 2F75 1F25 2F25 80c 80c
1882 Vendée Mallièvre
Filature de coton
(à bras)
2F à 2F75 1F50 à 2F 1F50 à 2F
1F à
1F25
75c à
1F
1882 Deux-Sèvres Saint-Laurs Mine de houille 3F50 - 2F75 1F50 -
1883 Vendée
Fontenay le
Comte
Chapellerie
atelier)
(en
4F 2F 3F75 1F75 1F75
1883 Vendée
Loge-
Fougereuse
Filature de laine
(métier à bras)
3F 1F50 2F 1F 50c
Filature de
1883 Vendée La Verrie lin/chanvre/jute (à
bras)
3F50 1F60 1F20 à 2F 75c 75c
1884 Vendée
La Rochesur-Yon
Tuilerie 2F75 - 2F 1F25 -
1884 Vendée
La Rochesur-Yon
Tannerie 4F - 3F 1F25 -
1886 Vienne - Tuilerie 3F50 1F25 2F50 70c -
1886 Vienne - Tannerie 2F75 1F25 2F 1F50 1F
1886 Vienne - Minoterie 3F 1F75 2F 1F25 1F
1886 Vienne -
Filature
chanvre
de
3F 1F75 2F 1F25 1F
1887 Vendée
Loge-
Fougereuse
Filature de laine
(métier à bras)
2F50 1F50 2F 50c -
1887 Vendée - Filature de coton 2F50 - 1F75 1F -
1888 Vendée Cugand Papeterie 2F50 1F10 1F25 80c -
1888 Vendée Cugand Filature de coton 2F50 1F10 1F40 80c -
1888 Vendée Cugand Filature de laine 2F50 1F10 1F40 80c -
Filature de
1889 Vendée La Verrie lin/chanvre/jute (à
bras)
3F 1F60 2F 80c 80c
1889 Vendée La Verrie Papeterie 2F70 1F25 1F50 1F20 -
Sources : ADV M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-1888) ; ADVd 6M1089 Statistique
générale, statistique hospitalière, industrielle, agricole… [1873 ; 1880] ; ADVd 6M1243 Statistiques des industries
principales [1882 ; 1889] ; MONTOUX (Michel), op. cit., pp.147-149.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
II- La précarité de la paie
L’imaginaire collectif a imposé une certaine vision de l’ouvrier du XIX e siècle,
misérable et exploité, vivant chichement au jour le jour. Si cette représentation ne peut pas
être contestée dans les grandes régions industrielles et les centres urbains importants qu’en
est-il au juste dans une région majoritairement rurale ? Quel est le niveau de vie réel de
l’ouvrier poitevin, lui qui reçoit un salaire bien moins élevé que la majorité de ses semblables
établis dans d’autres régions de l’hexagone ?
On peut penser que les salaires des ouvriers ruraux sont en adéquation avec le coût de
la vie, bien moins onéreux dans les campagnes qu’à la ville. Un faible coût du travail
expliquant l’installation de fabriques à l’écart des villes.
Notons que l’appréciation du niveau de vie de l’ouvrier à partir des rapports
préfectoraux n’est pas aisée. Ce n’est manifestement pas une priorité des services de la
préfecture, comme s’en plaignent plusieurs fois les services centraux des ministères. Ces
derniers se bornent à des formules répétitives et lapidaires. Le plus souvent les salaires sont
jugés « suffisants » sans explications plus approfondies. Dans les années 1870, les rapports
mensuels portant sur l’activité industrielle des arrondissements des Deux-Sèvres indiquent
tous des rémunérations « suffisantes et stationnaires » quelle que soit la région et le secteur
d’activité concerné 2056 . Seuls les cas les plus extrêmes sont évoqués de manières plus
approfondis. Il faut des salaires manifestement insuffisants 2057 ou bien une totale absence
d’évolution des rémunérations sur une très longue période 2058 pour que les autorités en fassent
mention. Les risques d’atteinte à l’ordre public l’imposent.
Pour établir avec précision le niveau de vie des ouvriers poitevins, il serait nécessaire
d’établir avec exactitude le salaire réel, c’est-à-dire la rémunération tenant compte de
l’inflation. Le manque de données complètes et approfondies ainsi que l’importance de la
tâche nous empêchent de nous livrer avec précision et justesse à ces estimations. Cependant
d’autres s’y sont déjà essayés. Ainsi l’enquête de 1872 sur les conditions de travail décrit la
2056 Cf. ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
2057 Comme c’est le cas pour les tisserands des arrondissements de La Roche-sur-Yon ou de Bressuire.
2058 En 1847 un rapport de la préfecture de la Vienne fait état de la stagnation des salaires depuis 1830, ADV
M10.124. Salaires des ouvriers (1830-1890).
441

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Vendée comme appartenant à la catégorie des départements où le salaire réel diminue sous le
second Empire : les prix augmentant d’un tiers alors que le salaire nominal ne progresse
pas 2059
A l’échelle nationale, le pouvoir d’achat moyen des ouvriers s’élève au fil du temps.
Entre 1870 et 1914 on estime qu’il progresse de 50% 2060 . La période la plus faste se situe
entre 1873 et 1895 où le salaire réel augmente annuellement à un rythme de 1,33% 2061 .
Paradoxalement pour certaines catégories de travailleurs de la région, cette période
correspond à l’accentuation de leurs difficultés matérielles, tout particulièrement pour les
tisserands de la vallée de la Sèvre nantaise travaillant à domicile dont les revenus
s’effondrent (A).
Plus généralement et sur une plus longue période les budgets ouvriers traduisent la
précarité de la situation d’une grande partie des ouvriers dont le pouvoir d’achat et le
patrimoine varient en fonction de leur origine, de leur profession, de leur localisation et de
l’époque. Cette fragilité d’ensemble est masquée bien longtemps par les taux salariaux bruts
qui semblent faire du travailleur un privilégié parmi la masse des travailleurs des campagnes
(B).
En outre cette paie pas forcément rémunératrice n’est pas toujours régulière. Aux jours fériés
qui s’imposent s’ajoutent des périodes de chômage subi de moins conjoncturel et de plus en
plus structurel (C).
A- La misère des travailleurs textiles du rayon choletais
Les fileurs et autres tisserands du rayon choletais n’ont pas la vie facile. A toute
époque les témoignages abondent dans ce sens. Les autorités municipales et départementales
attirent sans cesse l’attention sur la situation des tisserands et fileurs vendéens n’ayant pas eu
l’opportunité de travailler pour les établissements d’envergure de la région 2062 .
En octobre 1839, la Chambre de commerce de Cholet affirme que les tisserands
deviennent de jour en jour plus misérables 2063 . Huit ans auparavant le préfet du Maine-et-
Loire dépeint un tableau encore plus sombre : « Ces malheureux, la plupart surchargés de
2059 Enquête de 1872, J.O., novembre 1875 p.9488, cité par DUVEAU (Georges), op. cit., pp.378-379
2060 AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.190.
2061 WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., Paris, 1993, t.1, p.388. Notons qu’au contraire les années précédant
immédiatement la Grande Guerre portent préjudice au revenu réel de l’ouvrier qui tend à baisser.
2062 Le maire de Mortagne estime que les employés des trois fabriques importantes de sa commune gagnent assez
pour « satisfaire aux exigences de la vie », Rapport du maire de Mortagne au préfet du 2 août 1847, ADVd
6M1231. Statistiques industrielles. Instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
2063 Chambre de commerce de Cholet, le 14 octobre 1839, cité par POPEREN (Maurice), op. cit., p.14.
442

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
familles nombreuses, sont sans moyen d’existence, sans pain. La misère est affreuse et fait des
progrès effrayants 2064 ». Au même moment, le procureur du roi parle « d’ouvriers décharnés »
et de « misérables qui manquent de tout 2065 ».
Plus tard, en 1847, on les dit dans une « gène complète » que même un travail assidu
ne peut dissiper 2066 . Leurs salaires sont jugés insuffisants, trop faibles pour élever une
famille 2067 . Les mêmes mots sont employés régulièrement pour qualifier la situation des
tisserands du rayon choletais. Le terme « insuffisant » est répété constamment pour qualifier
leurs salaires : lors de l’enquête économique et sociale de 1848 2068 , en octobre 1862, en juillet
1866, en mai 1886 par exemple 2069 . En 1882, un militant délégué de l’Union syndicale des
ouvriers du département du Maine-et-Loire, intervenant à Cholet, estime qu’il n’y a pas
« dans la nation française de salaires aussi dérisoires 2070 ».
En 1894 le commissaire spécial du département de Vendée qualifie de « critique » la
situation des tisserands du canton de Mortagne. Ces travailleurs à domicile sont obligés de
payer très cher leurs matières premières. Le fil que les commissionnaires choletais leur
fournissent étant de mauvaise qualité ils doivent en outre acheter une pâte pour l’empêcher de
casser. Des frais supplémentaires qui grèvent un budget déjà bien faible dans une région où
une journée de travail ne suffit pas à se payer une motte de beurre 2071 .
Maurice Poperen fournit quelques prix de denrées quotidiennes 2072 illustrant le niveau
de vie réel des ouvriers textiles vivant le long de la Sèvre nantaise. En 1832 le salaire
journalier des tisseurs de coton est d’environ 13 sous 2073 , c'est-à-dire environ 65 centimes et
celui d’un tisseur de lin de 21 sous, soit 1F05. Le kilo de pain de première qualité est évalué à
35 centimes et celui de deuxième qualité à 25 centimes. Le kilo de bœuf vaut 77 centimes et
2064 AD Maine-et-Loire 24M241.
2065 AD Maine-et-Loire 67M2.3.
2066 Rapport du maire de Mortagne au préfet du 2 août 1847, ADVd 6M1231. Statistiques industrielles.
Instructions, affaires générales [1806 ; 1850]. De la même manière le préfet juge leurs salaires « suffisamment
rémunérateurs » en 1872, ADVd 6M1242. Situation commerciale et industrielle mensuelle [1862 ; 1887].
2067 Lettre du maire de Cugand au préfet de Vendée du 9 août 1847, ADVd 6M1231. Statistiques industrielles.
Instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
2068 Ce constat concerne tous les tisserands du département de la Vendée, qu’ils soient de l’arrondissement de La
Roche-sur-Yon ou de celui de Fontenay-le-Comte, cf. ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du
25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail agricole et industriel [1848 ; 1849].
2069 ADVd 6M1242. Situation commerciale et industrielle mensuelle [1862 ; 1887].
2070 POPEREN (Maurice), op. cit., p.41.
2071 Le commissaire estime le prix d’une motte de beurre à 1F80 et le salaire journalier d’un tisserand à 1F75,
Rapport du commissaire spécial au préfet de Vendée sur le canton de Mortagne et ses ouvriers, ADVd 4M185.
Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires diverses. Arrondissement de La Roche-sur-Yon (1894-
1911).
2072 POPEREN (Maurice), op. cit., p.133, annexe 2.
2073 Un sou représente un vingtième de franc soit cinq centimes.
443

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
demi ; celui de veau, 62 centimes, et ceux de mouton et de porc 76 centimes et demi. Ainsi le
tisseur de coton doit payer plus du tiers de son salaire journalier pour se procurer du pain de
mauvaise qualité ; une rémunération insuffisante pour se procurer de la viande. Les repas sont
généralement constitués d’une soupe, d’une tartine de pain beurrée et d’un fruit du jardin.
Trente ans plus tard, en 1865, le pouvoir d’achat d’un tisserand semble s’être amélioré
à condition qu’il ne ménage pas sa peine. Mais surtout il apparaît que les prix ont augmenté
plus lentement que les salaires, ce qui compense la faiblesse des rémunérations du secteur. Un
ouvrier tissant le lin peut gagner jusqu’à 4F par jour, bien qu’à La Roche-sur-Yon le salaire
moyen du tisserand soit estimé à environ 2F 2074 . Un fabricant de mouchoir peut espérer
obtenir quant à lui plus de 2F30 par jour. Dans le même temps les six kilos de pain coûtent
1F, tout comme le kilo de bœuf. La même quantité de veau revient à 85 centimes, la douzaine
d’œufs à 25 centimes et le kilo de beurre à 1F20.
Toutefois cette amélioration ne va pas durer puisque les salaires des tisserands vont
considérablement chuter dans les décennies à venir pour devenir très inférieurs au salaire
moyen du département au début du XX e siècle.
Le pouvoir d’achat et le niveau de vie des travailleurs textile du rayon choletais sont
incontestablement très faibles comme l’attestent les témoins de l’époque. Qu’en est-il des
autres secteurs d’activité ?
B- Les budgets ouvriers
Dans les années 1840 le salaire journalier moyen de l’ouvrier du département de la
Vienne se situe entre 1F50 et 2F. Une somme quotidienne inférieure à celle perçue
généralement par l’ouvrier français. Néanmoins à en croire les délibérations du Conseil
général 2075 cette somme est largement suffisante pour vivre. En 1840, les conseillers généraux
estiment qu’un homme a besoin de 60 à 75c par jour pour vivre et une femme de 40c à 50c. A
les croire le travailleur industriel ne dépense que la moitié de ses revenus pour des besoins
vitaux, ce qui sous-entend que le reste de son salaire peut être mis de côté ou bien consommé
en débours de confort. Toutefois, dans le même temps, l’organe départemental se contredit
2074 ADVd 10M20. Salaires industriels de La Roche-sur-Yon [1853 ; 1865].
2075 Réponse à la circulaire ministérielle du 6 août 1840 sur les causes du paupérisme dans les départements, AM
POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
444

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
puisqu’il parle d’un paupérisme généralisé dans tout le département, causé par le bas prix des
salaires 2076 .
L’opinion du conseil général n’est pas isolée. L’Enquête sur l’alimentation sous la
monarchie de Juillet en arrive aux mêmes conclusions. Selon elle les dépenses fondamentales
représentent à peu près 45% du salaire annuel de l’ouvrier. Maurice Mathieu 2077 estime le
salaire annuel moyen à 476F 2078 et les dépenses minimales 2079 à 290F soit un reliquat de près
de 180F destiné aux économies et aux dépenses moins impérieuses.
L’Enquête économique et sociale de 1848 dépeint une réalité budgétaire beaucoup
moins confortable pour l’ouvrier poitevin.
a) Dans l’Enquête économique et sociale de 1848 2080
On vit mieux à la campagne qu’en ville, malgré des salaires moins élevés. A Melle on
estime les besoins annuels d’une famille citadine 2081 à 450F contre 370F à la campagne.
L’écart est un peu moins important pour un ouvrier seul (280F contre 220F). Dans
l’arrondissement de Parthenay les revenus annuels minimum pour vivre décemment oscillent
entre 120F et 300F pour un ouvrier seul et 280F et 600F pour une famille selon le degré de
ruralité du canton. Même constat dans l’arrondissement de Niort où les besoins d’une famille
sont évalués à 745F alors qu’ils ne sont que de 450F dans le canton de Beauvoir.
Mais avant tout l’Enquête de 1848 montre qu’il n’est pas aisé pour l’ouvrier de
subvenir à ses besoins vitaux.
Dans le canton de Melle, l’ouvrier urbain père de famille absorbe toute sa paie dans la
satisfaction des exigences fondamentales nécessaires à la survie. En effet on peut estimer son
revenu annuel à 438F alors qu’il doit dépenser 450F pour faire vivre son foyer. S’endetter est
une obligation afin de « joindre les deux bouts ». Il lui est impossible d’épargner afin de
prévoir d’éventuels coups du sort comme une hausse du prix du blé, à l’instar de celle se
2076
L’époque est à la lutte contre le paupérisme, sans que tous acteurs politiques ou sociaux de l’époque sachent
vraiment ce que cache cette notion. Seule la ville de Châtellerault échappe à ce constat car on précise qu’on y
lutte contre le paupérisme depuis 1838.
2077
MATHIEU (Maurice), La vie politique dans la Vienne sous la Seconde République…op. cit., p.149, note 128
2078
Pour un salaire moyen de 1F70 et 280 jours de travail.
2079
Dépenses alimentaires (223F) et loyer (70F).
2080
On se servira dans les développements suivant des articles de ARCHES (Pierre), L’enquête économique et
sociale de 1848…, op. cit. et de REGOURD (Florence), industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit.
2081
La famille est composée des deux parents et de deux enfants en bas âge.
445

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
produisant pendant l’hiver 1853-1854 2082 . Perdre son travail c’est à coup sûr sombrer dans la
misère.
Cette observation vaut pour tout le département des Deux-sèvres. Les rapporteurs de
l’enquête de 1848 font un constat identique dans les cantons de Bressuire ou de Saint-Varent.
Dans le premier des deux cantons il faut 500F à 700F pour vivre annuellement selon son
statut matrimonial. Or dans moult professions on ne gagne que 1F50 par jour et on ne travaille
que 300 jours 2083 , soit un salaire annuel de 450F insuffisant pour subvenir aux besoins
élémentaires de la vie. De même à Saint-Varent on estime les besoins annuels d’une famille à
596F et ses revenus à 600F. La thésaurisation apparaît encore une fois impossible. On
comprend pourquoi on prie pour que jamais le chômage ne survienne 2084 .
Tableau 27 : dépenses annuelles d’une famille ouvrière du canton de Saint-
Varent dans l’arrondissement de Bressuire en 1848 :
Poste budgétaire Somme dépensée annuellement
Logement 40F
Onze hectolitres de blé 176F
Vêtements 120F
Alimentation 150F
Menues dépenses 70F
Bois de feu 40F
TOTAL 596F
D’après ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2) : réponses des
arrondissements de Bressuire et de Parthenay, op. cit., p.430.
Aucune estimation du salaire minimum n’est fournie dans le canton de Parthenay. Les
rapporteurs y observent seulement que le revenu unique du chef de famille ne permet pas à
une famille de quatre personnes de vivre et que les femmes sont obligées de se livrer à la
mendicité, qui, selon eux, est « passée dans les mœurs ». Toutefois les mêmes enquêteurs
émettent une toute autre opinion quelques lignes plus loin. Là ils affirment que l’ouvrier peut
vivre heureux du fait du prix minime des choses dans le canton. Une seule condition à cela, ne
pas fréquenter les cabarets, « lieux pernicieux » où les jeux d’argent sont répandus.
2082 En 1854 le Poitou connaît une hausse du prix du blé de près de 50%, provoquant une forte agitation
populaire telle qu’on pouvait en connaître sous l’Ancien Régime. Aux Sables-d’Olonne les autorités craignent
des émeutes frumentaires visant à empêcher le chargement des grains.
2083 Encore s’agit-il d’une estimation plutôt haute.
2084 Dans les années 1840, au niveau national, on estime qu’il est nécessaire de dépenser 900F par an pour
subvenir aux besoins d’une famille de quatre personnes, une somme dont dispose très rarement l’ouvrier lambda,
cf. AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.119.
446

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Finalement une chose est certaine, c’est la piètre opinion qu’ont les élites locales,
abreuvées d’idées reçues, de la classe ouvrière du canton. Ce sentiment transparaît à nouveau
quand ces « biens pensants » affirment que nombre de jeunes ouvriers des deux sexes sont
mal nourris et mal logés mais jamais mal vêtus. Un indice, selon eux, traduisant les mœurs
légères chez les jeunes filles du canton ! Cette tendance privilégiant l’habillement par rapport
au logement est une constante que l’on retrouve un peu partout dans le pays et en aucun cas
un signe de dépravation morale. L’industrialisation opérée dans le secteur textile réduit le coût
des vêtements. Désormais chacun peut échapper tous les dimanches à sa condition de
prolétaire. Un rang social stigmatisé par son bleu de chauffe ou sa cotte que l’on revêt chaque
jour de la semaine.
L’insuffisance salariale est également constatée dans l’arrondissement de Niort,
obligeant de nombreux travailleurs à mendier. Un grand nombre d’ouvriers travaillant et
habitant dans le chef-lieu ne semblent pas disposer de revenus suffisants pour subvenir à leurs
besoins annuels. En effet, on estime le salaire nécessaire pour faire vivre une famille
constituée de quatre personnes à 745F par an alors que le salaire effectivement disponible
n’est que de 600F, ce qui couvre seulement les dépenses pour neuf mois de l’année 2085 . Cette
différence explique soit l’endettement des classes laborieuses, soit leur tendance à se livrer à
la mendicité qui, dit-on, « est permanente » à Niort 2086 .
Les mêmes observations sont valables pour le département de la Vendée. Là aussi le
salaire d’un ouvrier suffit à peine à couvrir ses besoins primordiaux. Le recours à la charité est
bien souvent un des seuls moyens de finir les mois. Au niveau départemental le budget moyen
annuel est estimé à 307F pour un homme seul et à 565F pour une famille type. Un ouvrier
gagnant le salaire moyen, soit environ 1F73, et travaillant 250 jours 2087 , gagne un peu plus de
430F par an, ce qui lui permet normalement de mettre quelque argent de côté.
2085 Le salaire moyen de l’ouvrier est de 1F75, celui de l’ouvrière de 25 centimes soit 790F pour 365 jours
travaillés. Or il est nécessaire de retrancher de cette somme les jours non travaillés pour cause de dimanche, fête
et chômage, ce qui donne un revenu annuel de 600F.
2086 Un constat similaire est dressé dans le canton de Prahecq.
2087 On travaille en Vendée entre 230 et 250 jours par an en 1848.
447

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 28 : budget annuel moyen d’un ouvrier vendéen en 1848 :
Poste budgétaire Somme dépensée
Loyer 32F
Nourriture 170F 2088
+ 50F pour beurre et sel
Entretien divers 55F
Total 307F
D’après REGOURD (Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.17.
Toutefois certaines professions sujettes à un chômage chronique ou ayant des salaires
bien en dessous de la moyenne départementale rencontrent, quant à elles, beaucoup plus de
difficultés à vivre décemment. On imagine sans peine un tisserand des bords de Sèvre,
travaillant à domicile et gagnant légèrement plus d’un franc par jour, ne pas parvenir à vivre
correctement sans avoir recours aux œuvres philanthropiques. Aux Herbiers cette catégorie de
travailleurs ne dispose, après s’être sustentée, que de 20 centimes par jour pour payer son
logement, son entretien et prévenir les jours fériés et chômés.
Au XIX e siècle les armuriers de la manufacture d’arme de Châtellerault représentent
l’archétype de l’ouvrier industriel poitevin. Ces travailleurs souvent mis en avant parviennent-
ils à mieux vivre que la masse des employés des autres industries régionales ?
b) Les armuriers châtelleraudais
L’armurier travaillant à la manufacture d’armes de Châtellerault est tantôt représenté
comme un privilégié 2089 , tantôt comme un nécessiteux. Déjà en 1864 le sous-préfet de
l’arrondissement affirme que « la situation des ouvriers est généralement satisfaisante
exceptée celle des ouvriers armuriers de Châtellerault », condamnés à chômer une partie de
la semaine 2090 . Au contraire, trois ans plus tard, le nombre d’ouvriers travaillant à la Manu est
2088 On mange très peu de viande en Vendée, bien moins que dans le reste du pays. Seule la viande de porc, le
plus souvent salée, est consommée. Mais avant tout ce sont des légumes, verts ou secs, que l’on mange.
2089 Le fleuron industriel de la région ne peut pas, officiellement, se permettre d’avoir des ouvriers pauvres.
2090 Rapport de quinzaine du sous-préfet de Châtellerault du 29 novembre 1864, ADV M4.71. Correspondances
du préfet [1862-1865].
448

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
jugé insuffisant. Une pénurie de main d’œuvre provoquant une hausse des salaires des
armuriers 2091 .
Tableau 29 : salaire moyen et prix moyen des denrées de base à Châtellerault en
1866-1867 :
Type de denrées Prix
Un kilo de viande
(bœuf, veau et mouton)
Un hectolitre de pomme de
terre
Pain
1ere qualité
2 e qualité
3 e qualité
1F50
6F
50
centimes
43
centimes
36
centimes
449
Salaire moyen de l’ouvrier châtelleraudais en
1866
Source : ADV M4.72. Correspondances du préfet [1866-1870].
3F50 à 4F
Néanmoins c’est à partir des années 1890 que les difficultés chroniques liées aux aléas
des commandes font de l’ouvrier de la Manu un travailleur en sursis. La presse, socialiste ou
non, dénonce régulièrement l’insuffisance des salaires. Les enjeux politiques locaux poussent
parfois à l’exagération afin de plaire à une population influente. Toutefois ces articles
démontrent que l’âge d’or de l’armurier châtelleraudais, fabriquant des fusils pour la Russie,
est bien terminé.
En 1889, un article affirme que le taux de salaire a chuté de 25 à 50% depuis 1830, ce
qui est manifestement très exagéré 2092 . En 1906, l’Echo de Châtellerault parle de salaires
insuffisants alors que la Manu embauche temporairement des ouvriers afin de faire face à de
nouvelles commandes. Le journal révèle que ces travailleurs, ayant plusieurs années de
service derrière eux, seraient payés au même tarif que les manœuvres 2093 .
2091 Rapport du sous-préfet de Châtellerault datés du 30 novembre 1867 et du 31 mai 1868, ADV M4.72.
Correspondances du préfet [1866-1870]. Une hausse des salaires allant de pair avec une hausse des prix
généralisée dans tout le département.
2092 L’Eclaireur de la Vienne du 14 avril 1889.
2093 L’Echo de Châtellerault du 31 août 1906. Le ministre de la Guerre va s’engager à les embaucher
définitivement si ces ouvriers travaillent plus de six mois, L’Echo de Châtellerault du 26 octobre 1906.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
1. Un faible patrimoine
Les contrats de mariage entre ouvriers de Châtellerault 2094 passés entre 1848 et 1889
décrivent une population ayant bien peu de patrimoine. La plupart du temps l’armurier se
marie sans rien, hormis quelques biens personnels que les notaires ne prennent pas la peine
d’évaluer. Rares sont ceux disposant de leurs propres outils ou bien encore d’économies,
placées à la caisse d’épargne ou dans de simples bas de laine. Une relative « indigence »
expliquée à la fois par leur jeune âge et par la modestie du niveau de vie de leurs géniteurs.
Leurs épouses, bien souvent couturières ou domestiques, sont un peu mieux loties. La plupart
d’entre elles sont dotées de biens mobiliers destinés à aménager leur futur logement.
Quelques-unes, comme celles travaillant dans l’habillement, réussissent à accumuler quelques
petites économies.
En revanche la propriété immobilière est exceptionnelle. Les jeunes mariés ne
disposent de ce type de bien uniquement quand leurs parents, le plus souvent ceux la future
épouse, sont propriétaires ou cultivateurs, ou quand celle-ci, a pu faire des économies en tant
que domestique avant son mariage 2095 .
Toutefois ce constat ne vaut que pour de jeunes travailleurs. L’âge aidant le patrimoine
augmente. Les contrats de mariage passés entre veufs l’illustrent clairement. La plupart
d’entre eux disposent d’économies et de biens mobiliers bien plus conséquents que lors de
leur premier mariage. Des immeubles s’ajoutent aussi à leur patrimoine, souvent hérités de
leur première union.
Ces biens sont rarement le fruit d’une thésaurisation. Ils sont le plus souvent issus de
la liquidation de la communauté faisant suite au décès d’un des conjoints et possédés en
indivision avec les enfants nés du premier mariage.
2094 Ces contrats de mariage concernent principalement des armuriers de la manufacture d’armes
2095 Un mode d’accès à la propriété répandu chez les mineurs de Carmaux, cf. TREMPÉ (Rolande), Les mineurs
de Carmaux…, op. cit., pp.273-274
450

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 30 : contrat de mariage et patrimoine d’ouvriers armuriers de
Châtellerault (1854-1878) :
(Les cases grisées correspondent aux ouvriers se remariant)
Année
Profession
Apports
(en plus des biens et effets personnels)
Epoux
Manœuvre à
Epouse Epoux Epouse
1854
la
manufacture
d’armes
Polisseuse
(veuve)
-
-
200F de mobilier
plusieurs biens immobiliers
(parfois en commun avec ses
400F de biens meubles
(deux
veuf)
fois
enfants)
1862
Manœuvre à
la
Manufacture
d’armes
(veuf)
Revendeuse Rien hormis ses biens personnels
-
-
-
2000F provenant d’une
créance non soldée
600F de biens mobiliers
400F de marchandises
- une créance de 750F
- 521F issu d’une
1865 Armurier Domestique Rien hormis ses biens personnels
donation en indivision
- 500F en bien
1869 Armurier Couturière Rien hormis ses biens personnels
-
-
immobiliers
600F de biens mobiliers
400F
1869 Armurier Aucune
-
-
donation de 1000F
1000F en biens mobiliers
-
-
600F
1400F
mobiliers
en biens
1871
Armurier
(veuf)
Aucune
(veuve)
Rien hormis ses biens personnels
Rien hormis ses biens personnels
et quelques meubles sans valeur
1871 Armurier Aucune Rien hormis ses biens personnels 1800F de bien mobiliers
- 1400F d’objets
1873 Armurier Aucune
Droits sur succession non liquidée
-
mobiliers
immeuble en dot et
643F
1873
Armurier
(veuf)
Domestique
(veuve)
Rien hormis ses biens personnels
-
-
créance de 730F
3367F en meubles et
économies
1875 Armurier Aucune
-
-
2200 en espèces
500F provenant de la Caisse
d’épargne
Un titre de rente sur l’Etat
français
1875
Armurier
(veuf)
Revendeuse
(veuve)
-
-
-
700F en biens mobiliers
2000F en espèce
une maison
367F de biens mobiliers
1875 Armurier Cuisinière Rien hormis ses biens personnels 738F de biens mobiliers
1877 Armurier Domestique
-
-
200F d’outils
700F en espèce
1400F de biens mobiliers
2236F dont
- 1500F de biens mobiliers
- 168F dus par la Manufacture - 1723F en biens
1878
Armurier
(veuf)
Domestique
(veuve)
- 77F placés
d’épargne
à la Caisse
-
mobiliers
5980F dont 4000F
Auxquels il faut soustraire la part du
fils dans la succession de sa défunte
mère
résultent d’une vente
1878
Armurier
(veuf)
Aucune
(veuve)
Objets mobiliers provenant
succession non liquidée
d’une Objets mobiliers provenant
d’une succession non liquidée
Source : ADV E4/18/637 à E4/18/822. Actes notariaux.
451

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
2. L’exemple d’une famille ouvrière de la manufacture d’armes
de Châtellerault en 1893
Le journal l’Eclaireur de l’Ouest en date du 5 février 1893 détaille les différents
postes budgétaires d’un armurier de la manufacture d’armes marié avec trois enfants en bas
âge. Une paternité récente constituant une des périodes les plus critiques pour les travailleurs
car non seulement elle augmente le nombre de bouches à nourrir mais elle supprime
également la manne apportée par le travail de la mère.
Les dépenses s’élèvent chaque année à 1713F soit 95% de son salaire quotidien estimé
à 5F en 1899 2096 . Une rémunération qui laisse très peu place à d’hypothétiques économies.
Cette impossibilité de thésauriser explique les grandes difficultés rencontrées par les ouvriers
de la manufacture lors des périodes de diminution d’activité. Il s’ensuit pour ces ouvriers des
phases de chômage massif pendant lesquelles ils n’ont plus aucune ressources pour subsister.
Cette absorption quasi-totale du salaire par les dépenses quotidienne et les crises à
répétition touchant le secteur d’activité de la fabrication d’arme laisse à penser également que
la pratique du crédit auprès des boutiquiers alentour doit être habituelle afin de faire face aux
dépenses imprévues.
Chaque augmentation soudaine des prix provoque le désarroi de l’ouvrier. En 1897, la valeur
des pommes de terre gagne 2F89 entre mai et juillet. De même le tarif du blé varie de manière
importante, en particulier à Châtellerault où les prix sont élevés. Des phases de hausse non
négligeables se succèdent de 1878 à 1882, de 1889 à 1893 et de 1897 à 1899, ponctuées par
des périodes de baisse 2097 . De tels épisodes provoquent une inflation globale grevant
profondément le budget du travailleur lambda.
Les frais de nourriture constituent les trois quarts des dépenses (76,5%) 2098 , loin
devant les frais d’habillement et de linge (13,7%) et ceux de logement (10,5%). Bien manger
est le seul luxe que peut s’offrir, de temps à autres, l’ouvrier.
2096 Rapport du juge de paix sur un accident du travail, ADV 4U3/139. Justice de paix, Châtellerault. Accidents
du travail : déclarations, certificats médicaux [1898 ; 1901].
2097 MARION (Jacques), op. cit., p.27 et s.
2098 Ce pourcentage est plus élevé que la moyenne établie aux alentours de 63% par Michelle Perrot dans les
années 1880 sur un échantillon de 15 familles issues des monographies des Ouvriers des Deux Mondes. Il atteint
la valeur extrême constatée (77,5%), PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.215.
452

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 31 : postes budgétaires d’un armurier de la manufacture d’armes de
Châtellerault en 1893 (en francs) :
Postes budgétaires Quotidien Annuel
Logement 0,5 180
Pain 1 360
Viande 0,4 144
Vin 0,7 252
Légume 0,2 72
Beurre 0,2 72
Lait 0,2 72
Epicerie 0,75 270
Bois et charbon 0,15 54
habillement 0,66 237
Impôts 0,033 12
TOTAL 4,793 1725
D’après L’Eclaireur de l’Ouest du 5 février 1893.
Le pain représente la plus grosse part des dépenses journalières (20%) et un tiers des
dépenses d’alimentation. On comprend pourquoi la hausse du prix de cette denrée est
surveillée de très près par les pouvoirs publics. Ces derniers craignent que l’on s’en prenne
aux boulangers « affameurs », aux spéculateurs, et finalement au gouvernement. Les troubles
frumentaires n’ont pas disparu avec la Révolution. Ils ont simplement changé de nature et
pourraient faire le jeu des forces d’opposition au pouvoir en place. Des boulangeries
coopératives sont ainsi créées pour tenter de contrôler le prix du pain.
L’épicerie et le vin représentent un cinquième des dépenses de nourriture, bien loin
devant la viande et les produits laitiers. Quant aux légumes, on peut penser que l’ouvrier les
cultive ce qui amoindrit ses frais en la matière.
Le pain reste donc l’élément fondamental de l’alimentation. L’armurier châtelleraudais
dépense plus dans ce poste budgétaire que la plupart des ouvriers des années 1880 2099 . Un
constat qui peut traduire un niveau de vie plutôt faible 2100 .
Le vin est un poste principal de dépenses. La famille châtelleraudaise concernée par
l’article s’alcoolise plus que la moyenne ouvrière établie par Michelle Perrot à hauteur de
15% des dépenses alimentaires 2101 . Le vin sert avant tout à se désaltérer. On en boit à table ou
en travaillant. C’est aussi un moyen par lequel s’entretient le lien social. On échappe
difficilement au rite de « la tournée » dans les cabarets. Un rituel auquel il ne faut pas déroger
2099 Le pain représente en moyenne 1/5 eme des dépenses de nourriture.
2100 Cependant on dépense ici autant en viande qu’ailleurs dans le pays.
2101 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.234.
453

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
sous peine d’être écarté du groupe. Boire est un fait social. Au final on peut comprendre qu’il
s’installe chez l’ouvrier un alcoolisme culturel, quotidien, intégrant socialement plus qu’il
n’exclut.
Figure 17 : pourcentage des dépenses de nourriture d’un armurier de la
manufacture d’armes de Châtellerault en 1893 :
beurre
6%
légume
6%
lait
6%
vin
20%
épicerie
22%
454
viande
12%
pain
28%
D’après L’Eclaireur de l’Ouest du 5 février 1893.
L’habillement, regroupant vêtements et linge de maison, représente le second poste de
dépenses. Même si l’on se situe en deçà de la moyenne issue des monographies d’ouvriers
étudiées ailleurs en France 2102 , cette seconde position montre non seulement l’évolution
positive du niveau de vie mais plus encore. La toilette n’est plus négligée. On rêve d’un bel
habit que l’on portera le dimanche à la place de sa sempiternelle blouse, du bleu de travail, de
la cotte ou de la casquette de tous les jours. Au final c’est un désir d’intégration que traduit
cette volonté d’apparence. Cependant une trop grande coquetterie est longtemps assimilée à
un vice chez nombre de bourgeois bien pensants.
Le logement apparaît comme un poste budgétaire relativement modeste. Toutefois
nous ne savons pas exactement dans quelles conditions vit la famille ouvrière en question,
bien qu’on puisse imaginer qu’elle soit installée dans le quartier du faubourg Châteauneuf où
2102 La moyenne sur les 15 familles issues des monographies est de 16,5% avec des minima et des maxima allant
de 8,5% à 30%.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
vit la majorité des employés de la manufacture. Cependant la situation du logement n’y est
pas idyllique à l’époque ; ainsi durant l’hiver 1890-1891, les rigueurs de la saison poussent la
manufacture d’armes à reloger certaines familles ouvrières à l’intérieur de l’établissement
dans de vieilles écuries.
c) Le niveau de vie moyen de l’ouvrier de la Vienne en 1913
L’enquête relative à la vie ouvrière et à la vie rurale de 1913 2103 fournit dix
descriptions détaillées de familles ouvrières de la Vienne, habitant Poitiers et Naintré, dans
l’arrondissement de Châtellerault.
Trois des quatre ouvriers de Poitiers travaillent dans le bâtiment : deux sont maçons et
l’autre cimentier. Le quatrième est brossier. Parmi ceux habitant Naintré quatre sont
couteliers, un est armurier à la manufacture et le dernier est charretier.
Dans huit de ces familles les femmes travaillent, la plupart du temps occupées à des emplois
que les rapporteurs qualifient « d’occasionnels ». Six sont employées dans le domaine de
l’habillement : elles sont brodeuses, lingères ou couturières. L’une des deux autres est
façonneuse de manches de couteau, un travail lui aussi occasionnel, et la seconde travaille à la
préparation de peaux d’oies.
Le salaire annuel moyen des ouvriers est légèrement supérieur à 1200 francs, et celui
du mois précédant l’enquête est d’environ 104 francs. Les femmes qui travaillent gagnent
annuellement aux alentours de 330 francs et mensuellement près de 33 francs, confirmant leur
activité d’appoint. On est loin des 2500 à 3000 francs gagnés chaque année par un employé de
commerce habitant Poitiers 2104 ou bien des 4500 à 7000 francs d’un sous-préfet 2105 .
Le loyer moyen se situe aux alentours de 120 francs par an, ce qui correspond à 8% du
salaire familial annuel disponible. Cependant des disparités importantes existent entre les
travailleurs. Deux des familles de couteliers de Naintré sont propriétaires de leurs habitations
héritées de leurs parents cultivateurs. Les rapporteurs affirment même que l’un des ces deux
ménage vivrait dans « l’aisance ». L’un des maçons de Poitiers paie 400 francs par an pour le
loyer d’une maison. A l’opposé un autre coutelier paie annuellement 100 francs pour un
2103 La commission d’étude chargée de mener l’enquête sur les conditions de la vie ouvrière et de la vie rurale est
instituée par le décret du 17 mai 1913. Les résultats figurent pour le département de la Vienne dans la liasse ADV
M10.126. Enquêtes relatives à la vie ouvrière et à la vie rurale (1913).
2104 Ibid.
2105 Salaire annuel établi en 1906, cf. KESSLER (Marie-Christine), Les grands corps de l’Etat, Paris, 1986,
pp.120-121. En 1909 un préfet reçoit un traitement compris entre 24000 et 18000 francs selon sa classe,
PELCRAN (Anne), op. cit., p.91.
455

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
appartement en sous-sol appartenant à la fabrique qui l’embauche. La taille et l’hygiène des
habitations varient considérablement d’un logement à l’autre.
Tableau 32 : exemple de familles ouvrières de Poitiers et de Châtellerault en
1913 :
Localité Profession
Epoux Epouse
Salaire
annuel
Dernier
salaire
mensuel
Poitiers Maçon 700F 65F
Profession Salaire
annuel
Préparatrice
de peau
d'oies
456
Dernier
salaire
mensuel
625F 75F
Poitiers Cimentier 1400F 120F Aucun - -
Poitiers Brossier 600F 50F Brossière 450F 40F
Nombre
d'enfants
3 enfants
(adolescents
et jeunes
adultes)
4 enfants
(adolescents)
Plusieurs
filles
Loyer
annuel
Poitiers Maçon 1694F 133F Lingère 300F 24F 2 enfants 400F
Naintré
Armurier à
la Manu
1440F 120F Brodeuse 125F 60F
1 fille de 4
ans
125F
Naintré Charretier 1400F 120F Aucun - - 7 enfants 100F
Naintré
Coutelier en
fabrique
1267F
927F
101F Aucun - - 5 enfants Propriétaire
Naintré
Coutelier en
fabrique
(n’a travaillé
que 280 jours
pour cause de
maladie)
94F Lingère
Façonne
240F 20F 3 enfants 100F
Naintré
Coutelier en
fabrique
1384F 112F
des
manches de
couteaux
180F 15F 1 enfant Propriétaire
Naintré
Coutelier en
fabrique
1500F 125F Couturière 336F 28F 1 enfant 120F
Source : ADV M10.126. Enquêtes relatives à la vie ouvrière et à la vie rurale (1913).
Ces ouvriers font très peu d’économies à l’exception, pour certains d’entre eux, d’une
somme destinée à leur retraite : 4% du salaire annuel 2106 pour l’un des couteliers, 18F pour un
autre, n’ayant pas pu travailler toute l’année pour cause de maladie 2107 .
Le salaire moyen en 1914 dans le Poitou est d’environ 6F. Comme en 1893 2108 , les
dépenses liées au pain représentent chez un des couteliers de Naintré environ 20% de son
salaire mensuel qui est de 101F. En effet les rapporteurs estiment la dépense hebdomadaire en
la matière à 4F90 soit 20F par mois.
2106 Soit environ 57F.
2107 Environ 2% du salaire annuel qu’il verse à une société de secours mutuels.
2108 Voir supra.
130F
125F
?

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 33 : prix des denrées alimentaires dans les arrondissement de Poitiers et
de Châtellerault en 1913 :
Type de denrée Prix
Bœuf à pot au feu
1 kg de viande de boucherie
Mouton 2F60
1 litre de Vin 40 centimes à Châtellerault
50 centimes à Poitiers
Pain de 2 kg 35 centimes
1 litre de haricots secs 40 centimes
1 lapin 2F50
Une douzaine d’œufs 1F20
1 kg de beurre 3F
1 kg de sucre 70 centimes
Source : ADV M10.126. Enquêtes relatives à la vie ouvrière et à la vie rurale (1913).
Le régime alimentaire, tel qu’il est décrit dans l’enquête, apparaît plutôt varié en
comparaison des décennies précédentes. Le café au lait, accompagné de tartines de pain, est
de mise au petit déjeuner, la viande au déjeuner. Parfois du ragoût est servi à tous les repas,
comme c’est le cas chez le cimentier de Poitiers. On rencontre plus de diversité chez son
voisin du quartier de la Cueille 2109 où la viande est bouillie mais aussi cuisinée en sauce ou
rôtie. Le poisson n’est pas absent des menus, bien au contraire. L’armurier de Châtellerault en
consomme régulièrement tout comme un des maçons de Poitiers. Du fromage et un dessert, le
plus souvent un fruit, ponctuent les repas.
Si la situation salariale des ouvriers est précaire, sans être forcément misérable, c’est
que nombre d’entre eux doivent fréquemment faire face à des périodes de chômage.
Longtemps celui-ci est traditionnel et correspond aux aléas saisonniers qui affectent certains
métiers. Toutefois cette situation va se transformer Le travailleur sans emploi, longtemps
considéré comme un indigent parmi d’autres, va devenir à la fin du XIX e siècle un chômeur,
au sens moderne du terme, c’est-à-dire une victime accidentelle des nouveaux mécanismes
économiques et industriels qui s’imposent à l’époque.
Toutefois le chômage n’est pas toujours subi, il peut être nécessaire. C’est pourquoi
l’inspection du travail va intervenir en la matière afin d’assurer la bonne application de la
législation imposant le repos hebdomadaire aux travailleurs de toutes les catégories, ouvriers
comme employés.
2109 Un quartier de Poitiers.
457
2F

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
C- Chômage légal et chômage subi
Au XIX e siècle l’atelier est l’axe autour duquel s’articule entièrement la vie des
ouvriers. Néanmoins la plupart d’entre eux, à l’exception peut être de ceux et celles travaillant
à domicile, esclaves de leurs outils et d’une productivité minimale, échappent ponctuellement
à la discipline rigoureuse et quotidienne du monde du travail.
L’évasion est généralement hebdomadaire 2110 . On se repose le dimanche, jour du
Seigneur. Parfois on choisit le « Saint Lundi », auguste personnage inconnu du calendrier que
certains ouvriers 2111 fêtent régulièrement sans se soucier des récriminations patronales. On se
repose en famille, on se livre à quelques libations entre camarades au fond d’un cabaret
enfumé. Un repos contesté un temps avant que le législateur l’impose au début du XX e siècle.
Toutefois à côté des jours fériés traditionnels il y a des périodes plus longues sans
ouvrage qui s’imposent aux travailleurs. Certaines professions sont entièrement dépendantes
des caprices des éléments extérieurs. L’hiver ou la sécheresse empêchent maintes activités, du
bâtiment au textile. Le chômage est alors considéré comme une composante ordinaire du
métier. L’ouvrier ayant choisi de telles professions sait qu’il aura à gérer tôt ou tard des
périodes où l’environnement rend impossible l’exercice de sa spécialité.
Les évolutions techniques et économiques du monde industriel de la fin du XIX e siècle
vont bouleverser cette conception classique du chômage. De saisonnier il va devenir
accidentel. Dès lors il devient grandement dépendant des aléas conjoncturels et des mutations
profondes de l’économie.
a) Le repos hebdomadaire
« L’ouvrier, que la contagion de l’exemple, la continuité matérielle
ou morale, condamne à travailler sans observer le repos prescrit par
Dieu, abdique, par cela même, tous les besoins moraux et se voit
assimilé à une bête de somme ou à une machine 2112 .»
2110 Cf. BECK (Robert), Histoire du dimanche de 1700 à nos jours, Paris, 1997, 383 p. et BECK (Robert),
Apogée et déclin de la Saint Lundi dans la France du XIX e siècle, Revue d'histoire du XIX e siècle, n°29, 2004.
2111 Au milieu du XIX eme siècle, dans les Deux-Sèvres, le « Saint Lundi » se pratique assez régulièrement à Niort
alors qu’on l’ignore dans les campagnes, BRUNET (Michel), op. cit., p.20.
2112 Charles de Montalembert, catholique libéral, rapporteur en 1850 d’un projet de loi sur le repos
hebdomadaire.
458

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Depuis le 18 novembre 1814 la loi impose la sanctification du septième jour de la
semaine, journée que la parenthèse révolutionnaire avait fait disparaître 2113 . Un texte que la
vague anti-cléricale des années 1880 abrogera définitivement. C’est pourquoi le repos
dominical n’est pas évoqué dans la loi du 2 novembre 1892 2114 . On y parle seulement d’un
repos hebdomadaire pour les femmes et enfants sans préciser le jour.
Il s’avère qu’en pratique le dimanche demeure un jour de repos pour l’ensemble des
salariés 2115 , à l’exception notable des usines à feu continu et de petits ateliers de nature
familiale ou artisanale travaillant au rendement. Un respect du jour du Seigneur qui dépend du
degré de religiosité de chaque région 2116 . Dans la très catholique Vendée l’inspecteur du
travail Landois ne constate aucun travail le dimanche en 1884 2117 .
Encore une fois la différenciation entre le régime juridique des personnes considérées
comme les plus faibles et celui de l’ouvrier masculin lambda pose des problèmes pratiques.
Les ateliers à feu continu ou nécessitant un travail ininterrompu employant ensemble adultes,
femmes et mineurs doivent concilier les obligations légales et leurs impératifs de
production 2118 . C’est pourquoi quantité de dérogations leur sont accordées par les pouvoirs
publics. Ainsi nombre de papeteries peuvent fonctionner le dimanche. L’inspecteur Landois
en fait état dans un rapport de 1884 tout en critiquant l’inégalité dans l’octroi des dispenses. Il
trouve aberrant que le même type de passe-droit ne soit pas concédé aux imprimeries de la
région, activité nécessitant aussi un travail continuel 2119 . Le problème des dérogations
continuera de se poser après la loi de 1906.
En effet, il faut attendre le 13 juillet 1906 pour qu’à nouveau le repos hebdomadaire
soit pleinement rétabli en France. Un quasi-consensus permet l’élaboration de la loi une fois
2113
Une loi conséquence de l’article 6 de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 déclarant le catholicisme
religion d’Etat.
2114
Les lois du 22 mars 1841, du 22 février 1851 et du 19 mai 1874 interdisent de faire des travailler des enfants
et des femmes les dimanches et jours fériés.
2115
L’Office du travail estime que 80% des grandes entreprises accordent un repos hebdomadaire, AUBIN
(Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.229.
2116
Pierre Pierrard estime que l’observance du repos dominical tombe en désuétude dès les années 1830,
PIERRARD (Pierre), L’Eglise et les ouvriers en France (1840-1940), Paris, 1984, p.56. Un constat valant
certainement plus pour les contrées du nord et de l’est du pays que pour celles du Poitou.
2117 e
Rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois pour le 3 trimestre 1884 adressé au ministère du Commerce le
3 octobre 1884, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre
1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription
2118
Les enfants sont aussi fréquemment employés le dimanche au nettoyage des ateliers.
2119 e
Rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois pour le 3 trimestre 1884 adressé au ministère du Commerce le
3 octobre 1884, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre
1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
459

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
les querelles politico-religieuses apaisées. Catholiques 2120 et syndicalistes 2121 y sont
favorables. Quant aux libéraux, ils ne s’y opposent guère.
La loi de 1906 est la première loi transcendant les catégories professionnelles car elle
s’applique aux ouvriers comme aux employés, particulièrement ceux du commerce, catégorie
jusqu’alors oubliée par le législateur. Le texte n’établi pas une interdiction absolue du travail
dominical. Un artisan comme un commerçant peut ouvrir atelier et boutique mais il ne doit en
aucun cas employer des personnes liées par contrat de travail ou en situation d’apprentissage.
Les salariés doivent chômer. Tous les établissements industriels et commerciaux sont soumis
à cette loi, y compris les manufactures d’Etat, comme la manufacture nationale d’armes de
Châtellerault.
1. L’assentiment du monde industriel à la loi du 13 juillet
1906
L’application de cette nouvelle législation va dès lors occuper une grande partie de
l’emploi du temps des inspecteurs du travail. Le monde industriel, sauf rares exceptions, ne se
montre pas rétif à l’application du texte légal. Le repos hebdomadaire appartenant déjà depuis
bien longtemps aux mœurs industrielles françaises et poitevines. Dès octobre 1906 le
commissaire de police de Poitiers se félicite de la bonne volonté des parties : « malgré les
quelques divergences de vues qui se sont produites on peut dire, sans crainte de se tromper
que la loi du 13 juillet 1906 a été très bien accueillie à Poitiers par beaucoup de patrons et
par tous les ouvriers et employés […] Jusqu’à ce jour tout s’est passé dans le plus grand
calme 2122 ».
La majorité des infractions constatées dans l’industrie sont encore relatives aux
questions de temps de travail des mineurs. Même avant la Grande Guerre nombre de micro
ateliers ne possèdent toujours pas les documents légaux imposés par le législateur. Entre 1908
et 1912 près de la moitié des procès verbaux dressés par l’inspection du travail dans la Vienne
le sont à propos d’une mauvaise application de la loi de 1892. Les questions se rapportant au
2120 Il espère ainsi obtenir une reconstruction du noyau familial mis à mal par l’industrie.
2121 La CGT l’adopte au congrès de Tours de 1896. Les syndicats ouvriers de la région l’accueille avec
enthousiasme. Le Bulletin de la bourse du travail de Poitiers considère que « depuis le vote de la loi sur les
accidents du travail […], aucun projet intéressant les ouvriers n’a autant ému le monde du travail que la loi
assurant aux ouvriers et employés le droit au repos hebdomadaire », Bulletin de la bourse du travail de Poitiers,
1 er décembre 1906.
2122 Rapport du commissaire central de Poitiers sur l’application de la loi du 13 juillet 1906 au préfet (9 octobre
1906), ADV M12.107. Travail, repos hebdomadaire [1906 ; 1920].
460

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
repos hebdomadaire n’en constituent qu’un gros tiers alors que la loi n’a que quelques années
d’existence.
Figure 18 : proportion d’infractions aux lois du travail constatées dans le secteur
industriel entre 1908 et 1912 dans le département de la Vienne 2123 :
Temps de travail des
femmes et des mineurs
44%
Autres infractions
9%
461
Repos hebdomadaire
37%
Temps de travail masculin
10%
Source : ADV M12.77. Inspection du travail. PV. (1901 ; 1912).
Les établissements industriels importants semblent respecter scrupuleusement la
nouvelle loi. Ils sont absents des procès verbaux réprimant des infractions au texte de 1906.
L’inspecteur sanctionne de très petits ateliers de forme quasi-artisanale, exerçant parfois aussi
des activités commerciales. Ainsi moult cordonniers, maréchaux, couturières ou serruriers
subissent le courroux de l’administration en faisant travailler leurs employés le septième jour
de la semaine. Certains n’hésitent pas à calfeutrer leurs ateliers éclairés au gaz afin de faire
travailler leurs ouvriers toute la journée du dimanche sans que l’on puisse le constater de
l’extérieur 2124 .
Toutefois en 1911 très rares sont les secteurs d’activité industrielle à contester la loi.
En Vendée seuls les entrepreneurs du bâtiment se plaignent continuellement de la loi
imposant le repos hebdomadaire 2125 .
2123 La catégories « autres infractions » comprend celles relatives à la salubrité et à la dangerosité des ateliers et
les questions de salaires impayés. On compte au total 130 infractions.
2124 C’est le cas chez un tanneur et corroyeur de Poitiers en décembre 1906, lettre adressée au préfet de la Vienne
du 5 décembre 1906, ADV M12.107. Travail, repos hebdomadaire [1906 ; 1920].
2125 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.285.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
La masse des contrevenants est formée par les commerçants. Les bouchers, coiffeurs,
boulangers, tenanciers de débits de boisson et autres boutiquiers sont légion à franchir
l’interdit légal. L’existence de nombreuses foires et marchés se déroulant le dimanche
accentue la fraude car il s’agit du seul jour où ouvriers et habitants des campagnes peuvent s’y
rendre. C’est pourquoi, malgré la promulgation de la loi, la lutte des employés de commerce
entamée depuis les années 1890 afin d’obtenir un jour de repos se poursuit pendant de
longues années 2126 .
La loi de 1906 ne provoque pas de séismes dans le monde industriel comme ont pu le
faire ses devancières. L’intervention de l’Etat en matière sociale commence à être acceptée
par les industriels. En outre le repos dominical bouleverse peu les habitudes des entrepreneurs
qui le mettent en pratique depuis les années 1880. Beaucoup considère qu’un jour de repos est
une condition sine qua non si l’on veut demander plus à ses ouvriers et augmenter sa
productivité. L’acceptation est d’autant plus grande que le législateur prévoit de larges
possibilités de dérogation propres à certaines industries ou à certaines périodes d’activité plus
intense.
2. L’adaptabilité de la loi de la loi de 1906
Non seulement la loi du 13 juillet 1906 n’interdit pas toute activité le dimanche mais
elle prévoit également des exceptions au principe, « lorsqu’il est établi que le repos
simultané, le dimanche, de tout le personnel d’un établissement serait préjudiciable au public
ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement » 2127 . Plusieurs formes de
dérogations, provisoires ou permanentes, peuvent être accordées par arrêté préfectoral après
avis du conseil municipal, de la chambre de commerce et des syndicats concernés 2128 .
Un repos peut être alloué un autre jour que le dimanche, normalement le lundi suivant,
quand par exemple il est nécessaire de nettoyer l’atelier. Le travail peut être autorisé le
2126 Notons que lors des mouvements revendicatifs réclamant une loi sur le repos hebdomadaire les employés de
commerce, concernés au premier chef, n’ont jamais voulu s’unir aux ouvriers au sein de syndicats communs.
Pour le cas de Châtellerault cf. MARION (Jacques), op. cit., p.164 ; pour la région Poitou-Charentes voir
CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.735 et s.
2127 Article 2 de la loi du 13 juillet 1906.
2128 Les syndicats sont bien évidemment hostiles à toute dérogation à l’image de la chambre syndicale des
boulangers de La Roche-sur-Yon réclamant l’application stricte de la loi aux boulangers de la ville comme à
ceux des alentours. Ils réclament l’arrêt du travail du samedi midi au dimanche soir, aussi bien pour la
fabrication du pain que pour sa vente. Lettre adressée au préfet du 17 août 1906. ADVd 10M17. Repos
hebdomadaire dans divers secteurs d’activité ; dérogations [1906 ; 1937].
462

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
dimanche matin sous condition d’une journée de congés tous les 15 jours. Tout ou partie du
personnel peut être amené à travailler le dimanche sous condition d’obtenir des repos
compensatoires accordés par roulement, comme cela se produit dans les usines à feu continu.
Enfin des règles dérogatoires existent en fonction des spécificités de certaines activités
commerciales 2129 ou industrielles 2130 .
En revanche l’administration refuse que toute tâche de rangement et de classement de
marchandises soient effectuée le jour de repos 2131 .
D’innombrables demandes de dérogations assaillent l’administration, la plupart émises
par des commerçants. L’inspecteur départemental du travail donne des avis favorables dans la
majorité des cas où le jour de repos est seulement déplacé comme, par exemple, le vendredi à
la place du dimanche chez les boulangers. En revanche, l’inspecteur refuse toute demande
visant à déroger entièrement à la loi, peu importe que l’entreprise soit de très petite taille ou
familiale 2132 .
Pour certaines petites activités artisanales ne pas travailler le dernier jour de la
semaine provoque un manque à gagner conséquent. En Vendée les maréchaux-ferrants de
nombreux bourgs et villes 2133 du département réclament la possibilité de travailler le
dimanche car il s’agit du seul jour où les paysans locaux peuvent venir à la forge afin que l’on
s’occupe des fers de leurs chevaux. Ils demandent que leurs salariés travaillent soit en
roulement un dimanche sur deux, soit que l’on décale la journée de repos du dimanche midi
au lundi midi. Le préfet de Vendée estime ces demandes inutiles. Selon lui les cas évoqués
par les maréchaux correspondent à ceux prévus expressément par la loi de 1906 2134 . Aucune
autorisation spéciale n’est donc nécessaire, seul un triple préavis adressé à l’inspecteur du
travail suffit. On peut s’étonner de cette position préfectorale car on voit mal en quoi le travail
régulier des maréchaux le dimanche correspond aux trois cas que la loi prévoit : pour réparer
un accident déjà survenu, pour éviter un accident probable ou en cas de surcroît extraordinaire
2129
Particulièrement pour les activités alimentaires.
2130
Par exemple en cas de travaux de réparation urgents.
2131
Réponse de l’inspection du travail du 26 avril 1907, ADV M12.107. Travail, repos
hebdomadaire [1906 ; 1920].
2132
L’inspecteur départemental le précise au préfet de la Vienne à propos d’un bourrelier de Gençay (courrier du
25 juillet 1909), ADV M12.107. Travail, repos hebdomadaire [1906 ; 1920].
2133
Dont La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte.
2134
Réponse du préfet de Vendée au sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 7 juillet 1908, ADVd 10M16. Repos
hebdomadaire dans divers secteurs d’activité [1906 ; 1924].
463

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
de travail. Il s’avère que le représentant de l’Etat a sa propre définition du terme
« extraordinaire ».
Le pouvoir d’appréciation laissé au préfet est donc très important. Il crée d’importantes
disparités entre les départements ou les villes. Entre 1906 et 1907 le préfet des Deux-Sèvres
adopte deux attitudes diamétralement opposées. Il passe du refus systématique à toute
dérogation à leur acceptation systématique. Ce changement radical s’explique par une
décision du Conseil d’état ayant donné raison à une commerçante de Niort voulant travailler
le dimanche 2135 .
L’absence d’uniformité des dérogations à la loi est souvent mise en avant par les
entrepreneurs comme par les commerçants car elle est source de concurrence jugée déloyale.
L’inspection du travail fait parfois sienne cette argumentation ; ainsi en 1911 elle refuse en
bloc les demandes de dérogation de maréchaux de la Vienne en attirant l’attention « sur
l’inégalité de traitement qui frapperait les membres d’une même profession dans la même
région 2136 ». L’année suivante l’inspecteur du travail évoque à nouveau le thème de la
concurrence faussée et de l’inégalité de traitement subie par les ouvriers. L’égalité sera
rétablie par le retrait des trois dérogations que la préfecture a octroyées à des maréchaux du
département 2137 .
L’inspection du travail se montre inflexible. Les délais « d’acclimation » à la loi sont
strictement encadrés, souvent en attente de la promulgation d’un règlement d’administration
publique. Le ministre affirme sans ambages au préfet de la Vienne que « les mesures
provisoires n’engagent en rien l’avenir et que, dès l’apparition du règlement, toute
organisation qui ne serait pas conforme à ses prescriptions devra cesser sans délai, à la
réserve de celle que vous croiriez devoir autoriser par application des articles 8 et 9 de la loi
[du 13 juillet 1906] 2138 ».
Dès 1906 l’inspecteur refuse tout aménagement des horaires réclamé par les
boulangers de Poitiers. Il coupe court à toute discussion en affirmant à la fin de son courrier
2135 Décision du 1 er février 1907. La haute juridiction administrative se fonde sur l’existence d’un marché à Niort
le dimanche pour permettre aux commerçant et à leurs employés de travailler ce jour là. Courrier du préfet des
Deux-Sèvres au préfet de Vendée du 1 er mai 1907, ADVd 10M17. Repos hebdomadaire dans divers secteurs
d’activité ; dérogations [1906 ; 1937].
2136 Courrier du ministère du Travail du 13 janvier 1911, ADV M12.107. Travail, repos hebdomadaire [1906 ;
1920].
2137 Lettre de l’inspecteur du travail départemental au préfet de la Vienne du 6 avril 1912, ADV M12.107.
Travail, repos hebdomadaire [1906 ; 1920].
2138 Le ministre du Travail et de la prévoyance sociale répond au préfet de la Vienne (22 février 1907) à propos
d’une demande de travail par roulement les dimanches dans les minoteries de la Vienne, ADV M12.107. Travail,
repos hebdomadaire [1906 ; 1920].
464

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
que les boulangers de Tours ou de Châtellerault se passent d’ouvriers le dimanche, un exploit
que ceux de la capitale poitevine doivent pouvoir eux aussi réaliser 2139 .
Toutefois les représentants du ministère du Travail ne sont pas sourds aux desiderata
de certains industriels. Des délais d’adaptation circonscrits dans le temps sont accordés
immédiatement après la promulgation du texte de juillet 1906.
Parfois il est nécessaire de recruter du personnel supplémentaire ou de former celui
dont on dispose afin de mettre en place les roulements dominicaux. Une circulaire
ministérielle du 3 septembre 1906 2140 l’autorise « dès l’instant que l’établissement opérera
son recrutement d’une manière progressive et continue et fera le possible pour satisfaire
entièrement à la loi dans un délai raisonnable ». Ce cas de figure se rencontre par exemple
dans une brasserie/minoterie de Saulgé près de Montmorillon 2141 et dans les houillères
vendéennes de Faymoreau 2142 où la question est particulièrement sensible. En effet
l’établissement manque de machinistes de puits pour qu’ils puissent travailler en alternance
les dimanches 2143 . La direction juge fondamental ce poste, d’autant plus qu’il nécessite un réel
savoir-faire 2144 . L’administration répond favorablement à cette requête. Elle autorise à faire
travailler momentanément les machinistes en place tous les dimanches en attendant que l’on
en forme de nouveaux.
Certaines professions aux exigences particulières nécessitent l’adoption de règlements
d’application ultérieure, comme prévu à l’article 3 de la loi du 13 juillet. C’est le cas
notamment pour les activités à feu continu où la présence de personnel est toujours
nécessaire 2145 .
Des dérogations exceptionnelles 2146 permettent en outre à des fabriques de faire
travailler les jours fériés non seulement les ouvriers masculins mais aussi les femmes et les
2139 Lettre de l’inspecteur départemental du travail au préfet de la Vienne du 6 octobre 1906, ADV M12.107.
Travail, repos hebdomadaire [1906 ; 1920].
2140 ADVd 10M17. Repos hebdomadaire dans divers secteurs d’activité ; dérogations [1906 ; 1937].
2141 Lettre de l’inspecteur du travail de Poitiers au préfet de la Vienne du 8 novembre 1907, ADV M12.107.
Travail, repos hebdomadaire [1906 ; 1920].
2142 Lettres du directeur des mines de Faymoreau au préfet de septembre 1906, ADVd 10M17. Repos
hebdomadaire dans divers secteurs d’activité ; dérogations [1906 ; 1937].
2143 Les nécessités de la mine demandent un travail constant dans les puits afin d’en assurer la sécurité
(surveillance et conduite des appareils à vapeur ; traçage du gisement quand il est grisouteux ; évacuation des
eaux ; soins aux animaux etc.). Ces tâches ne demandent, le dimanche, que la présence d’une vingtaine
d’ouvriers sur un effectif total de 300 ouvriers.
2144 Selon la direction les individus en ayant la charge « tiennent au bout de leurs doigts la vie du personnel
circulant dans les puits ».
2145 Voir l’exemple d’un exploitant de four à chaux à Lhommaizé dans la Vienne en décembre 1906, ADV
M12.107. Travail, repos hebdomadaire [1906 ; 1920].
2146 L’article 52 du livre II du code du Travail et de la prévoyance sociale interdit l’emploi des femmes et des
enfants dans les établissements industriels les jours de fête reconnus par la loi.
465

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
enfants qu’elles emploient. Chaque année le travail est autorisé dans les conserveries de
sardines vendéennes le jour de la fête nationale. En 1914 le ministre du Travail et de la
prévoyance sociale réitère son agrément tout en rappelant les conditions justifiant l’entorse à
la règle. Les femmes et les enfants peuvent être employés le 14 juillet uniquement pour
continuer le traitement du poisson pris la veille, afin d’éviter sa détérioration. Cette tâche doit
prendre fin à midi et ne reprendre que le lendemain à la même heure, afin d’assurer au
personnel protégé un repos d’une durée égale à celle que le législateur a fixée. En réalité le
ministre se borne simplement à déplacer la journée de repos au grand dam des industriels et
des pêcheurs locaux. La période est si intense pour les ouvrières qu’il est nécessaire de leur
maintenir des moments de répit 2147 .
L’application du texte de 1906 montre bien que les temps changent. Désormais les
personnes en charge de l’inspection du travail ont les moyens d’imposer leurs vues. Le
ministère du Travail et de la prévoyance sociale créé en 1906 encadre efficacement
l’application d’une législation jusqu’alors laissée à elle-même. L’institution elle-même a
retenu les leçons du passé en essayant de limiter au maximum les exceptions légales ou
réglementaires qui finissent tôt ou tard par vider de sa substance toute législation.
Les périodes chômées ne sont pas que le fruit de pratiques institutionnalisées
religieuses ou étatiques. Le temps passé hors de l’atelier n’est pas toujours volontaire.
L’ouvrier est parfois contraint par des événements indépendants de sa propre personne à ne
pas travailler.
b) Le chômage subi
« Un homme n’est pas pauvre parce qu’il n’a rien mais parce qu’il ne travaille pas 2148 »
En France le mot « chômage » n’est pas employé dans son acception moderne avant
les années 1880, parallèlement à l’apparition du terme anglo-saxon unemployment désignant
« un chômage involontaire par manque de travail ». Jusqu’alors le vocable n’a pas de
2147 Lettre du ministre du Travail et de la prévoyance sociale au préfet de Vendée du 10 juillet 1914, ADVd
10M17. Repos hebdomadaire dans divers secteurs d’activité ; dérogations [1906 ; 1937].
2148 Montesquieu, De l’esprit des lois, Paris, édition de 1823, Oeuvres complètes, t.2, chapitre XXIX, p.40.
466

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
définition précise. Il désigne toute période sans travail quelle qu’en soit la cause (maladie,
accident, âge, conjoncture, saison, etc.) 2149 .
Ici le terme sera utilisé dans un sens plus restreint englobant à la fois les réalités
archaïques des deux premiers tiers du XIX e siècle et celles plus modernes des dernières
décennies 2150 . Cette conception exclue toute absence de travail volontaire – comme pour
l’indigent valide – ou imposée par l’Etat comme peut l’être le repos hebdomadaire. Le
chômage doit s’imposer à l’ouvrier avec une force inéluctable qui lui est étrangère.
C’est à ce titre que quatre formes de chômage 2151 peuvent être distinguées : saisonnier,
conjoncturel, technologique et structurel. Les trois premiers sont traditionnels. Le dernier est
une des conséquences de la métamorphose économique s’opérant à la fin du XIX e siècle.
Le chômage saisonnier est ancestral. C’est lui qui sévit chaque année avec les frimas
de l’hiver ou l’aridité de l’été, faisant cesser les travaux de construction ou empêchant le bon
fonctionnement des moteurs hydrauliques ou à vapeur 2152 . Cette réalité chronique est
alimentée par le besoin de main-d’œuvre dans les campagnes. Dans les années 1860 on
considère en France que 15% de la main-d’œuvre industrielle chôme pour travailler aux
champs ou dans les vignes 2153 .
Cependant de nouvelles industries apparaissant après 1850 occupent une petite part des
ouvriers momentanément sans ouvrage. C’est le cas par exemple des distilleries d’alcool de
betterave des Deux-Sèvres à l’activité uniquement hivernale pouvant offrir un labeur aux
terrassiers sans emploi.
Le chômage conjoncturel n’est pas lié au capitalisme triomphant du XIX e siècle. De
tout temps des matières premières manquent soudainement, des débouchés disparaissent 2154 ,
2149 Sur les questions de terminologie voir TOPALOV (Christian), Naissance du chômeur (1880-1910), Paris,
1994, p.24 et s. et 116 et s. Voir également MANSFIELD (Malcolm), SALAIS (Robert), WHITESIDE (Noël),
Aux sources du chômage : une comparaison interdisciplinaire entre la France et la Grande-Bretagne, Paris,
1994, 477 p.
2150 Les chômeurs sont recensés pour la première fois en 1896. Sur cette nouvelle catégorie de la population
active voir BAVEREZ (Nicolas), REYNAUD (Bénédicte), SALAIS (Robert), L’invention du chômage. Histoire
et transformation d’une catégorie en France des années 1890 aux années 1980, Paris, 1986, 267 p.
2151 On estime que touche en moyenne 15% de la population au XIX e siècle, avec des pics beaucoup plus
importants quand la conjoncture économique est mauvaise, cf. AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op.
cit., p.120.
2152 Nombre de minoteries sont contraintes à l’arrêt l’été faute d’énergie.
2153 MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), op. cit., p.73.
2154 La guerre de Sécession provoque à la fois un manque de peaux et la disparition de marchés en Amérique
pour la ganterie et la chamoiserie niortaise.
467

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
la surproduction sévit 2155 . Les modes se font et se défont au gré des époques. Et puis il y a les
guerres, les blocus et les épidémies de toutes sortes, autant de coups d’arrêts brutaux pour
l’économie. En 1851, le manque de commandes étrangères et étatiques explique l’arrêt des
chamoiseries et des ganteries niortaises pendant six mois 2156 .
Le chômage technologique est la conséquence de l’apparition de nouveaux procédés
de fabrication provoquant l’obsolescence des savoir-faire anciens. Au XIX e siècle la machine
à vapeur en est le plus bel exemple. Elle provoque la disparition de petits ateliers où l’on
travaille manuellement, comme à Saint-Maixent dans l’industrie du tricot ou à Niort dans la
confection de blouses 2157 .
Le chômage structurel se distingue des trois autres par son caractère résolument
moderne. Il est le fruit d’un système économique s’installant durablement à partir des années
1880, provoquant des crises d’un nouveau genre. Le chômage est « causé par des défauts
d’ajustement entre l’offre et la demande […] conséquence regrettable d’une libre
concurrence », pour reprendre l’analyse d’Alfred Marshall formulée en 1903 2158 . Les
dépressions nécessaires au réajustement du marché provoquent régulièrement des vagues de
chômage occasionnel que le redémarrage suivant doit compenser. L’économie obéit
désormais à des cycles de plus ou moins longue durée 2159 .
Le « chômeur structurel » n’est plus ce travailleur industriel « mal employé » occupé dans les
« sous-emplois » des décennies précédentes. C’est un salarié régulier, ne pratiquant plus la
pluriactivité, parfaitement intégré dans le processus de production, mais momentanément
privé de travail et qui en cherche.
Cette conception du chômeur inhérente à l’évolution industrielle et économique, s’imposant
réellement après la Grande Guerre, n’est pas celle qui prime dans l’esprit des élites politiques
et administratives du XIX e siècle. Longtemps le chômeur n’est qu’un pauvre comme les
autres. Le recours à l’atelier de charité en est une parfaite illustration.
2155
C’est le cas par exemple dans la ganterie niortaise en 1834 provoquant une vague de chômage important,
séance de la Chambre consultative des arts et manufacture de la ville de Niort du 4 juillet 1834, ADDS 10M17.1.
Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
2156
TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.47.
2157
BRUNET (Michel), op. cit., p.28.
2158
Cité par TOPALOV (Christian), op. cit., p.16.
2159
Le cycle long ou Kondratiev dure de 40 à 60 ans. Il se caractérise par deux phases : une ascendante (où
l’innovation et l’investissement est important) et une descendante synonyme de crise (trop forte offre, hausse des
prix, déclin de certaines activités dépassées). La grande dépression de la fin du XIX e siècle correspond à cette
phase descendante. A l’intérieur d’autre cycles de plus faibles importances à l’image du cycle Juglar ou « cycle
des affaires » dont la durée est d’une petite dizaine d’années. Celui-ci est motivé par des raisons conjoncturelles
influant sur le comportement des agents économiques.
468

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
1. L’atelier de charité, ou l’amalgame de l’ouvrier et de
l’indigent
Outre les expériences étrangères et celles de la fin de l’Ancien Régime 2160 , l’atelier de
charité trouve son origine théorique dans l’expérience révolutionnaire. Les Constitutions du 3
septembre 1791 et du 24 juin 1793 proclament la nécessité d’assister les pauvres en
fournissant aux valides du travail et des moyens de subsistance à ceux hors d’état de
travailler. Rares en 1800, les ateliers de charité se généralisent entre 1809 et 1812 2161 .
Ces ateliers regroupent toutes les personnes valides pouvant travailler, c’est-à-dire
autant des ouvriers sans emploi que des indigents sans profession déterminée, tous rangés
dans la catégorie hétéroclite de « pauvres capables » 2162 . L’ouvrier est donc confondu avec le
pauvre 2163 . Les deux termes deviennent même synonymes dans le vocabulaire de l’époque.
On délivre du travail comme on distribue du pain. On l’enferme au dépôt départemental de
mendicité, comme le vagabond, l’infirme ou le repris de justice, s’il a le malheur de demander
l’aumône. L’atelier de charité ne s’est pas encore départi de l’idée de punition que l’assistance
par le travail pouvait avoir sous l’Ancien Régime 2164 .
Le développement de la notion de paupérisme, apparaissant dans le deuxième quart du XIX e
siècle, va accentuer cette conception. « Travailleur sans travail, privé de ressource sans être
un pauvre, le chômeur est inassimilable par les catégories existantes 2165 ». L’ouvrier devient
un exclus comme les autres.
L’esprit charitable associé à l’idée libérale et chrétienne du salut par le travail n’est pas
l’unique moteur de l’institution. La volonté d’assurer l’ordre public commande hautement à la
mise en place de cette forme d’assistance. Dans l’esprit du temps, comme dans celui des
anciens, il n’y a rien de plus dangereux que des masses oisives, par définition influençables et
2160 Workhouses anglaises ou travaux de charité généralisés en 1774 par Turgot, cf. GUESLIN (André), Gens
pauvres, pauvres gens dans la France du XIX e siècle, Paris, 1998, p.253 et s.
2161 DAVIET (Jean-Pierre), op. cit., p.59.
2162 La notion de « pauvre valide » apparaît déjà dans l’ordonnance de 1351 de Jean le Bon sommant les
indigents valides de prendre métier ou de quitter Paris.
2163 Sous la Révolution la « classe ouvrière » est synonyme de classe du peuple, c'est-à-dire celle la plus basse
dans l’échelle sociale, TULARD (Jean) (dir.), op. cit., v° ouvrier.
2164 ROMAN (Diane), Le droit public face à la pauvreté, Paris, 2002, p.170 et s.
2165 TOPALOV (Christian), op. cit., p.195.
469

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
turbulentes 2166 . La mendicité est une « lèpre sociale qui en avilissant l’homme le dispose à
tous les crimes » affirme le préfet des Deux-Sèvres devant le conseil général en 1817 2167 .
La moindre disette ou l’agitateur politique habile peuvent provoquer charivaris,
émotions populaires ou émeutes violentes dans une population « facilement
impressionnable » comme la qualifie le préfet des Deux-Sèvres, Vernoy de Saint-Georges 2168 ,
en 1839 2169 . En 1830 un de ses prédécesseurs le dit clairement à propos des ouvriers de
l’ancienne Vendée militaire :
« Une grande portion de ce pays [les Deux-Sèvres] a fait partie de la
Vendée militaire. Même si en ce moment la classe malheureuse est
tranquille, il serait bien à craindre, si l’ouvrage venait à manquer
dans la mauvaise saison, que les malveillants ne profitassent de cet
état de misère instantanée (sic) pour pousser les journaliers sans
occupation à des désordres, qu’il importe de rendre impossible en
fournissant du travail partout où il sera nécessaire 2170 »
Ce sentiment est partagé par le sous-préfet de Parthenay en 1832 quand il souhaite que les
fonds accordés à l’arrondissement soit exclusivement utilisés pour venir en aide aux ouvriers
de Parthenay, les seuls à en avoir véritablement besoin selon lui. Le fonctionnaire estime
qu’en général les ateliers sont peu efficaces car « entrepris sans nécessité et toujours mal
exécutés » Pour lui la plupart des travaux mis en oeuvre n’ont pas de réelle utilité, ils ne
servent qu’à éviter des troubles à l’ordre public 2171 . Donner temporairement du travail au
chômeur c’est l’empêcher de saisir une arme en lui mettant une pelle ou une pioche dans les
mains. C’est aussi lui donner les moyens d’assurer le quotidien.
Enfin, chez certains, à l’image d’un procureur des Deux-Sèvres, la moralité exige de
faire travailler les miséreux afin de les empêcher d’étaler « au soleil leur misère et leur
2166 La mendicité est une des préoccupations majeures de l’administration des départements de la Vienne et des
Deux-Sèvres dans toute la première moitié du XIX e siècle, cf. PELCRAN (Anne), op. cit., p.400 et s.
2167 ADDS 1N7. Sessions du conseil général, procès verbaux des délibérations (1817).
2168 Voir la notice biographique in PELCRAN (Anne), op. cit., p.787.
2169 Rapport mensuel du préfet des Deux-Sèvres sur l’état du département de février 1839 à propos de la hausse
du prix du blé suscitant l’inquiétude des sous-préfets de Bressuire et de Parthenay. Les deux fonctionnaires
surveillent de très près les ouvriers employés par les ateliers de charité sur les routes des deux arrondissements,
ADDS 4M6.13. Chouannerie ; mouvement social ; rapports divers [1836 ; 1847].
2170 Lettre du préfet des Deux-Sèvres, Luce Solere, au ministre de l’Intérieur de décembre 1830, ADDS 3X57.
Ateliers de charité [1826 ; 1830]. Le sous-préfet sent bien que les campagnes sont agitées. L’avenir lui donnera
raison puisqu’en mai 1832 surviendra le soulèvement vendéen orchestré par la duchesse de Berry.
2171 Lettre du sous-préfet de Parthenay au préfet des Deux-Sèvres du 1 er janvier 1832, ADDS 3X58. Ateliers de
charité [1831 ; 1832].
470

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
paresse », ce qu’il qualifie avec grandiloquence de « caractère saillant de la race », symbole
d’une certaine catégorie d’ouvriers 2172 .
Créés sous l’Empire, les ateliers de charité perdurent sous la Restauration, comme
beaucoup d’institutions napoléoniennes, et s’épanouissent à la fin de la monarchie de Juillet.
Ils apparaissent assez tôt dans la Vienne et les Deux-Sèvres. Châtellerault en met en place dès
1806 comme l’atteste le budget municipal de l’époque 2173 . Ailleurs il faut attendre
l’avènement des monarchies censitaires. Si les fonds octroyés ne sont pas toujours
conséquents – en 1816 la maigre somme de 1200 francs est débloquée pour occuper les
ouvriers sur les chemins vicinaux du département des Deux-Sèvres 2174 – ils sont préconisés par
les représentants du nouveau régime. En 1817 le préfet des Deux-Sèvres les considère comme
le « moyen le plus convenable pour procurer du travail aux pauvres 2175 ». La monarchie de
retour, la charité, privée ou publique, retrouve ses lettres de noblesse. Les préfets de la
première moitié du siècle partagent généralement cette opinion. En 1830, celui de la Vienne
estime grâce à son expérience que la charité est le moyen le plus efficace pour aider l’ouvrier
privé de travail par l’hiver 2176 . En Vendée, les ateliers de charité se développent réellement
sous la monarchie de Juillet à La Roche-sur-Yon 2177 . Lors de la crise de 1847 la ville y
consacre la somme de 15000 francs 2178 .
Cette opinion favorable à l’institution d’aide aux chômeurs n’est pas partagée par tous.
Le conseil général, un des principaux bailleurs de fonds des œuvres sociales, est bien moins
enthousiaste que les représentants de l’Etat quant à l’efficacité des ateliers de charité.
2172
Lettre du procureur de la République en réponse à une demande faite par le procureur général de la Cour
d’appel de Poitiers concernant l’arrondissement de Parthenay en date du 4 décembre 1849, ADDS. 4M6.14a.
Révolution de 1848 ; proclamation de la République et adhésion des communes ; arbres de la Liberté ;
délivrance de drapeaux ; rapports divers (1848-1849).
2173
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal, budget prévisionnel de 1806.
2174
Courrier du préfet des Deux-Sèvres au maire de Niort du 6 janvier 1816. La somme allouée est insuffisante.
Le préfet fait appel aux prêtres afin qu’ils sollicitent la générosité de leurs ouailles (lettre du 5 janvier 1816)
ADDS 3X54. Ateliers de charité [1812 ; 1817].
2175
Courrier du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Intérieur du 31 décembre 1817, AN F/1cIII/Deux-
Sèvres/7. Comptes rendus administratifs (1790-1870).
2176
Missive du préfet de la Vienne aux sous-préfets et maire du 28 octobre 1830, RAA préfecture de la Vienne
(août 1830- décembre 1832).
2177
Quelques fonds supplémentaires sont débloqués comme en 1814 ou 1828, cf. CHAILLOUX (Cédric), La
politique municipale à La Roche-sur-Yon de 1804 à 1848 : la gestion d’une «ville nouvelle» et d’un chef-lieu,
mémoire de maîtrise histoire, Institut catholique d’études supérieures, La Roche-sur-Yon, 2000, p.150.
2178
CHAILLOUX (Cédric), op. cit., p.151.
471

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Dans la Vienne, on conserve un mauvais souvenir du dépôt de mendicité de Poitiers
où l’on a déjà tenté de mettre les pauvres au travail 2179 . En 1829 l’institution départementale
choisit d’établir le prix de la journée à un niveau inférieur à celui qu’offre les particuliers
« afin que l’atelier de charité devienne seulement une ressource et non un objet de préférence
et de calcul ». On craint encore et toujours le désoeuvrement du pauvre valide 2180 .
En 1832 un conseiller général, après avoir mis en doute l’importance de la pauvreté
dans la Vienne, trouve un remède à l’indigence ouvrière non pas dans le travail rémunéré sur
les routes mais dans la création de jardins destinés aux chômeurs et offrant l’accès à des
ressources nouvelles 2181 . La carotte et le chou, voilà, selon lui, les armes efficaces et
économiques contre l’indigence. Néanmoins il faudra faire appel à l’emprunt et à la charité
afin de donner du travail aux indigents de Poitiers en 1846 alors qu’une crise économique et
frumentaire secoue la France 2182 .
D’autres se montrent également sceptiques quant à l’efficacité de ce mode de secours.
En 1827 à Châtellerault on projette de ne plus reconduire les ateliers car la mendicité n’a pas
diminué en ville et que l’on doute de la qualité des travaux effectués 2183 . Le projet reste lettre
morte, et des crédits sont débloqués pour l’année suivante afin de « lutter contre la paresse »
selon les termes de l’époque.
En 1829 les conseils d’arrondissements de la Vienne critique la qualité des travaux
effectués sur les chantiers charitables. Un reproche que balaie le conseil général, pour une fois
favorable à l’institution 2184 , en rétorquant que l’argent y est bien mieux employé qu’en cas de
secours à domicile ou autre « aides improductives » 2185 .
En outre les ateliers de charité sont bien souvent accusés de provoquer une
concurrence déloyale. En 1857 un conseiller municipal poitevin affirme qu’ils portent
préjudice aux travaux des campagnes, non pas du fait des salaires, mais de la somme de
travail inférieure. C’est pourquoi l’édile augmentera la charge de travail demandée 2186 . Enfin
2179
AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865]. Réponse faite à un
questionnaire du ministère de l’Intérieur sur le paupérisme et la charité légale, circulaire du 6 août 1840.
2180
Délibération du conseil général de la Vienne du 3 septembre 1829, ADV N2. Rapports, procès-verbaux,
instructions, correspondances [1822 ; 1834].
2181
Le conseiller général illustre son propos par l’exemple des jardins ouvriers des faubourgs de Poitiers, ADV
N2. Rapports, procès-verbaux, instructions, correspondances [1822 ; 1834].
2182
Le maire de Poitiers entend donner du travail non seulement aux valides mais aussi aux invalides, aux
femmes et aux enfants dans le but de continuer le creusement du boulevard entrepris sous Blossac, MEMAIN
(René), La crise de 1845-1847…, op. cit., p.498.
2183
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 17 mai 1827.
2184
Les conseillers généraux aperçoivent les bienfaits que la construction de route, qui plus est à bas prix,
pourrait apporter au département, faiblement développé en matière de voies de communication.
2185
ADV N2. Rapports, procès-verbaux, instructions, correspondances [1822 ; 1834].
2186
AM POITIERS. Délibération du conseil municipal de Poitiers du 10 février 1857.
472

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
l’aide par le travail constituerait un encouragement à la paresse, ou du moins habituerait les
ouvriers à avoir trop facilement recours aux aides municipales sans épuiser tous les autres
moyens de trouver un emploi 2187 .
L’expérience républicaine et fraternelle de 1848 hisse l’institution au plus haut. La
création des ateliers nationaux parisiens doit servir d’exemple à la France entière. Les villes
de Poitiers et de Niort en mettent sur pied qu’elles financent difficilement. L’échec de la
démarche entame à tout jamais le crédit de l’atelier de charité, renforçant la « peur
bourgeoise » à leur égard 2188 . Néanmoins ils demeurent encore longtemps le meilleur moyen
que l’on ait trouvé pour remédier au chômage saisonnier ouvrier 2189 . Les politiques de grands
travaux du XX e siècle en témoignent tout comme les ateliers de secours perdurant jusqu’à la
Grande Guerre.
Les ateliers de charité sont établis chaque année lors des mois les plus rigoureux de
l’année, période pendant laquelle certaines professions ne peuvent pas s’exercer. En premier
figurent les métiers du bâtiment, tributaires des aléas climatiques. Ce secteur occupe les
effectifs ouvriers les plus importants comme les enquêtes statistiques de l’époque le
montrent 2190 . Le pouvoir ne peut pas laisser vagabonder une telle masse privée de ressources.
Trop d’agitateurs de toutes sortes sont embusqués, à l’affût, prêts à les manipuler. « Ouvrons
des ateliers où nos ouvriers seront désormais à l’abri des séductions et des mauvais
conseils » s’exclame le préfet de la Vienne devant le conseil général en novembre 1831 2191 .
Pendant les autres mois la situation des pauvres est jugée moins pénible d’autant que l’ouvrier
est censé pouvoir trouver de l’ouvrage dans les travaux agricoles des campagnes. Tant que
cette possibilité existe la conception moderne du chômeur a du mal à apparaître.
Les travaux de terrassement constituent l’essentiel de ce que l’on demande aux
ouvriers industriels et aux journaliers agricoles sans travail, ainsi qu’aux nécessiteux les
2187 Opinion du maire des Sables-d’Olonne in lettre du 14 juin 1895, ADVd 10M2. Enquêtes de l’office du
travail : bureaux de placements, salaires et secours au chômage [1891 ; 1895].
2188 GUESLIN (André), Gens pauvres, pauvres gens.., op. cit., p.257.
2189 L’article 8 du préambule de la Constitution du 4 novembre 1848 dispose : « La République […] doit, par une
assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les
limites de leurs ressources, soit en leur donnant, à défaut de famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de
travailler ».
2190 Voir supra p.181 et s.
2191 Session extraordinaire du conseil général de novembre 1831, RAA préfecture de la Vienne (août 1830-
décembre 1832).
473

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
accompagnant. La besogne simple, ne demande pas de savoir-faire particulier et peut
s’effectuer presque par tous les temps. Ainsi on terrasse, on démolit, on transporte des
tombereaux de terre pour construire, améliorer et entretenir des rues, routes départementales
et chemins vicinaux 2192 . D’autres tâches sont parfois exigées 2193 . En 1848 les employés de
l’atelier municipal de Niort rénovent la place de la Brèche et façonnent le futur jardin des
plantes 2194 . On répare des églises ou des presbytères comme dans plusieurs communes de
l’arrondissement de Bressuire en 1817 2195 ou l’on installe des canalisations publiques à
Poitiers en 1888 2196 ou bien plus tard à Loudun.
Un nombre important de communes créent des travaux destinés à occuper l’ouvrier
dépourvu de labeur. Aux alentours de 1819, déjà 18 villes et bourgades des Deux-Sèvres
emploient 470 personnes pendant quatre mois 2197 . Par la suite ce nombre va croissant. Sous la
monarchie de Juillet ces ateliers se multiplient dans chaque canton. Une commune un tantinet
importante dispose généralement de son chantier. C’est le cas en 1833 pour 19 d’entre elles
dans le seul arrondissement de Bressuire 2198 , soit environ un tiers des municipalités de la
circonscription.
Quelquefois les ateliers suivent le tracé d’un axe routier en rénovation ou en construction.
Ainsi en 1839 il y a près de 400 personnes à être employées dans les Deux-Sèvres sur la route
royale reliant Paris à Rochefort, un nombre encore insuffisant puisque l’ingénieur en chef des
Ponts et Chaussées estime que l’on peut y envoyer « tous les ouvriers qui se
présenteront » 2199 . En 1826 le préfet recense 15 ateliers dans l’arrondissement de Bressuire et
12 ateliers dans celui de Niort, tous correspondant à une route 2200 .
2192
En 1841 le préfet des Deux-Sèvres donne sa vision de l’utilité des chemins vicinaux de grande
communication (intéressant plusieurs communes). Selon lui ces voies sont nécessaires aux propriétaires et aux
cultivateurs. Jamais dans son courrier il ne mentionne l’industrie ou bien encore l’artisanat illustrant bien l’état
d’esprit qui prédomine à l’époque dans le Poitou vis-à-vis de l’industrialisation, Lettre du préfet des Deux-
Sèvres du 13 novembre 1841, ADDS 3X61. Ateliers de charité [1847]. Sur l’action préfectorale liée aux chemins
vicinaux des départements des Deux-Sèvres et de la Vienne voir PELCRAN (Anne), op. cit., p.442 et s.
2193
Une circulaire préfectorale du 19 septembre 1831 évoque la possibilité d’employer les ateliers de charité à
l’assèchement des marais ou à la construction de ponts remplaçant les bacs existants, comme sur la route royale
passant à Chauvigny ou à Lussac, RAA préfecture de la Vienne ( août 1830- décembre 1832).
2194
VINCK (Maurice), op. cit., p.62.
2195
ADDS 3X55. Ateliers de charité [1817 ; 1819].
2196
ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909] et ADV M4.82. Correspondances du préfet (1888).
2197
ADDS 3X55. Ateliers de charité [1817 ; 1819].
2198
Etat de la répartition des 2500F accordés par le gouvernement à titre de secours à l’arrondissement de
Bressuire pour l’année 1833, ADDS 3X59. Ateliers de charité [1833 ; 1838].
2199
Courrier du conducteur des Ponts et Chaussées à l’ingénieur des Mines du 7 janvier 1840, ADDS 3X60.
Ateliers de charité [1838 ; 1846].
2200
Répartition des fonds aux ateliers de charité en 1826 par arrondissement, ADDS 3X57. Ateliers de charité
[1826 ; 1830].
474

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 34 : état des ateliers de charité localisé le long de la route royale n°11
durant l’hiver 1839 :
Situation des Nombre d’ouvriers Nombre de journées travaillées Dépenses faites avant le
ateliers employés par jour
avant le 31 déc. 1839
31 déc. 1839
Niort 129 488 425F
Saint-Maixent 67 133 115F
Frontenay 110 505 474F
Mauzé 89 396 323F
TOTAL 395 1522 1339F
Source : ADDS 3X60. Ateliers de charité [1838 ; 1846].
L’institution est normalement financée par des crédits votés par les conseils
municipaux et généraux. Toutefois des aides exceptionnelles étatiques, comme les six
millions débloqués en 1848 destinés à l’exécution de travaux sur les voies de
communication 2201 , peuvent s’ajouter aux sommes départementales et municipales. Des
impôts extraordinaires – centimes additionnels votés par les communes touchées par
l’indigence 2202 –, bien souvent des souscriptions 2203 , parfois des emprunts 2204 ou des appels à
la charité privée 2205 , particulièrement dans la première moitié du XIX e siècle, complètent le
financement nécessaire à la mise en place et au bon fonctionnement des ateliers.
Cependant l’argent manque fréquemment l’hiver, particulièrement quand celui est
rigoureux et prolongé. Parfois le nombre de personnes concernées est tel qu’il est nécessaire
d’ouvrir des ateliers supplémentaires à ceux prévus et budgétés initialement 2206 . Néanmoins il
2201
Circulaire (n°57) du ministère de l’Intérieur en date du 23 septembre 1848, ADDS 3X62. Ateliers de charité
[1847 ; 1853]. Trois millions doivent provenir d’un impôt extraordinaire que les départements et les communes
sont autorisés à lever. Un autre exemple, en janvier 1839 le ministre des Travaux publics et du commerce octroie
la somme de 20 000F pour venir en aide aux ouvriers de Niort et les faire travailler sur la route royale numéro
11, courrier du 22 janvier 1839, ADDS 3X59. Ateliers de charité [1833 ; 1838].
2202
Comme en décembre 1829 où le conseil municipal de Poitiers vote cinq centimes additionnels, AM
POITIERS. Délibération du conseil municipal de Poitiers du 28 décembre 1829.
2203
En 1848 les souscriptions sont insuffisantes pour combler les besoins des 300 ouvriers employés dans les
ateliers nationaux de la ville de Niort dont les fonds s’épuisent. Cette situation oblige la municipalité à faire
appel à l’administration centrale afin qu’elle verse des fonds spéciaux qui s’ajouteront à l’emprunt auquel se
résigne la ville, cf. ADDS 3X62. Ateliers de charité [1847 ; 1853] et VINCK (Maurice), op. cit., pp.62-63. La
même année, dans la Vienne, le journal l’Abeille recueille 559 francs pour aider les chômeurs, SOUTHON
(André), Action politique et sociale de la préfecture de la Vienne (24 février 1848- 26 mai 1849), mémoire
lettres, Poitiers, 1927, p.58 et s. En 1886, la ville de Châtellerault fait encore appel au mode de la souscription
pour financer des ateliers de charité, AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 12 février
1886.
2204
En 1847 le conseil général de la Vienne emprunte par exemple la somme de 150000 francs destinés aux
routes départementales.
2205
En 1819, 2374F destinés aux ateliers de charité de Saint-Maixent sont issus de dons privés.
2206
En janvier 1832, le maire de Poitiers estime qu’il serait inhumain de ne pas ouvrir de nouveaux ateliers. Une
collecte est également organisée. AM POITIERS. Délibération du conseil municipal de Poitiers du 3 janvier
1832. Dans les premiers mois de l’année 1847 le nombre d’inscrits aux ateliers de charité de Poitiers double, la
disette s’ajoutant au chômage, cf. FAVREAU (Robert) (dir.), op. cit., p.305.
475

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
arrive que les crédits votés ne soient pas utilisés faute d’indigents et d’ouvriers à secourir. En
décembre 1835 le conseil municipal de Poitiers le constate et s’empresse d’annuler les
sommes prévues pour l’année suivante 2207 .
1825
1834
1838
1848
Tableau 35 : répartition des fonds octroyés par le conseil général des Deux-Sèvres
aux ateliers de charité du département en 1817 et 1848 :
1817
Arrondissement
Arrondissement
Arrondissement
Ensemble du
département
Bénéficiaire Somme
allouée
Arrondissement de
Melle
(Route Poitiers-
Saintes)
10000F
Ville de Niort 5000F
Ville de Saint-
Maixent
3000F
Autre 2000F
Bressuire 2077F
Parthenay 2026F
Niort 3425F
Melle 2472F
Bressuire 2350F
Parthenay 2300F
Niort 2800F
Melle 2640F
Bressuire 4648F
Parthenay 4637F
Niort 8795F
Melle 5920F
476
TOTAL
20000F
10000F
10000F
24000F
6538F
(somme allouée par le conseil général avant
toutes les aides exceptionnelles qui vont suivre
durant l’année 1848)
Sources : ADDS 3X55. Ateliers de charité [1817 ; 1819], ADDS 3X56. Ateliers de charité [1820 ; 1825], ADDS 3X59.
Ateliers de charité [1833 ; 1838] et ADDS 3X60. Ateliers de charité [1838 ; 1846].
La localisation des ateliers et les crédits qui leur sont alloués dépendent de trois
facteurs qu’il est nécessaire de combiner : la pauvreté endémique dans la commune, le canton
ou l’arrondissement, l’importance de la population ouvrière en difficulté et les nécessités en
matière de voirie. Ainsi, dans les Deux-Sèvres, pendant la première moitié du XIX e siècle,
Niort et ses alentours sont les mieux dotés, d’autant plus que les activités industrielles de la
ville souffrent d’itératives crises. Derrière le chef-lieu du département c’est l’arrondissement
de Melle qui est généralement bien nanti, alors qu’il s’agit de la région la moins
industrialisée, mais sûrement une des plus pauvres, des plus isolése, aux rares voies de
2207 AM POITIERS. Délibération du conseil municipal de Poitiers du 16 décembre 1835.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
communication. Certes, l’atelier de charité demeure bien un moyen de lutte contre
l’indigence, touchant une population bien plus large que le seul monde ouvrier.
La relative hétérogénéité des populations bénéficiant des faveurs de l’institution de
secours explique qu’on peut y constater parfois une certaine agitation, plus proche du simple
tohu-bohu que des désordres plus sérieux que peuvent provoquer les chantiers de chemin de
fer, à l’activité proche mais regroupant des individus provenant d’horizons beaucoup plus
larges.
En 1888 des chantiers de charité, occupant les « ouvriers les plus nécessiteux » de la
ville de Poitiers, sont mis en place afin de procéder à des travaux de canalisation des eaux de
la cité. Cependant les gelées de février combinées à l’épuisement momentané des crédits 2208
font cesser toute activité. Cet arrêt, combiné à la passivité municipale, pousse les ouvriers à
manifester pour hâter la réouverture des travaux. Des défilés n’ayant « donné lieu à aucun
désordre et [ayant] suscité plus d’étonnement que d’émotion 2209 » ont lieu en ville. Une
tension dans laquelle le préfet voit « certains indices permettant de croire que le parti
réactionnaire n’est pas entièrement étranger à cette manifestation 2210 ». Les élections
municipales approchent et certains voient dans la population employée sur les chantiers un
groupe aisément manipulable, pouvant avoir un réel impact sur l’opinion locale.
Cependant, dans le même temps, une seconde source de tension s’ajoute à la première.
Des ouvriers italiens qualifiés, spécialistes des « travaux de ciment », œuvrent sur lesdits
chantiers ce qui contrarie nombre d’ouvriers estimant qu’ils devraient être embauchés en
priorité comme le préconise l’administration. En effet une hiérarchie existe parmi les
éventuels bénéficiaires d’un travail de terrassier : les ouvriers domiciliés dans la commune ont
la priorité devant ceux des alentours qui eux-mêmes devancent les étrangers au
département 2211 .
L’amalgame entre l’ouvrier et l’indigent se poursuit avec le second Empire et perdure
encore sous la III e République jusque dans les années 1890. C’est à cette période qu’apparaît
la notion de chômeur, travailleur dépourvu temporairement de travail sans être forcément
2208
Ces crédits s’élèvent à 30000F. La mairie y ajoutera 4300F pour prolonger l’activité des chantiers jusqu’a
début mars.
2209
Rapport du préfet de la Vienne au ministre de l’Intérieur du 19 février 1888, ADV M4.82. Correspondances
du préfet (1888).
2210
Ibid.
2211
Rapport de police du commissaire central de Poitiers au préfet de la Vienne du 12 mars 1888, ADV M4.82.
Correspondances du préfet (1888).
477

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
misérable. En revanche si les mots et les concepts changent, le moyen d’action reste le même
puisque des ateliers de secours, encore souvent appelés « de charité », constituent selon
l’opinion de l’époque le meilleur remède – et souvent le seul – aux crises passagères frappant
l’emploi.
2. L’apparition du chômeur
Le discours de la fin des années 1880 marque nettement la différenciation de plus en
plus nette entre les vocables « chômeur » et « indigent ». Ainsi, en 1886, une souscription est
lancée par la municipalité de Châtellerault dont les fruits sont partagés entre les ouvriers sans
travail d’un côté et les personnes que l’on juge infortunées de l’autre 2212 .
Les ateliers de secours perdent leur caractère purement philanthropique et charitable.
En 1888 la municipalité de Poitiers finance le travail de près de 600 personnes. Cependant
arrivés au terme de la période prévue, les travaux cessent malgré les difficultés encore
patentes que rencontrent nombre de ces ouvriers sans emploi. Cette décision est motivée par
un souci d’efficacité et d’utilité qui n’existait pas auparavant : « la ville ne peut pas procurer
du travail pour procurer du travail. Elle doit consulter et ses besoins et ses ressources et ne
faire faire que des choses présentant une utilité réelle, mais non pas organiser des ateliers
nationaux 2213 ».
En 1895, le préfet de Vendée distingue clairement, dans son rapport adressé au
ministre du Commerce et de l’industrie, travaux de secours destinés à remédier à un chômage
collectif et ateliers hivernaux traditionnels, occupant indigents, vieillards et travailleurs
pauvres 2214 .
Le pouvoir en place craint également une certaine charité municipale, à l’heure de
l’anti-cléricalisme d’Etat. Ainsi, en Vendée, certaines municipalités conservatrices sont
accusées d’entretenir une véritable une clientèle tout en excluant de leurs aumônes leurs
opposants politiques. Le sous-préfet des Sables-d’Olonne le constate notemment en mars
1903 à propos du chef-lieu d’arrondissement et des communes de l’Ile-d’Yeu et de
Noirmoutier lors de la crise frappant le secteur halieutique vendéen 2215 .
2212
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 12 février 1886.
2213
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 16 février 1888.
2214
ADVd 10M2. Enquêtes de l’office du travail : bureaux de placements, salaires et secours au chômage
[1891 ; 1895].
2215
Rapport du sous-préfet des Sables-d'Olonne au préfet de Vendée du 28 mars 1903, ADVD 10M34. Secours
aux ouvriers victimes du chômage et aux marins pêcheurs victimes de la crise sardinière [1903 ; 1904].
478

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
2.1. L’assistance par le travail
Fournir directement du travail aux ouvriers sans emploi demeure toujours aux yeux
des autorités le moyen le plus efficace et le plus simple de venir en aide aux chômeurs 2216 .
Des ateliers destinés aux ouvriers chômeurs s’ajoutent aux ateliers de charité classiques. Il est
toujours question de travaux de voirie, bien souvent intra muros, mais aussi de mise en place
de canalisations d’eau ou de construction d’usines à gaz.
Dans le même temps les conseils généraux financent beaucoup moins cette forme
d’action sociale 2217 . Seules les villes importantes, au nombre relativement conséquent et
suffisant de travailleurs sans emploi, peuvent les organiser, parfois aidées par l’Etat.
L’enquête statistique portant sur les travaux de secours en cas de chômage 2218 révèle
que pendant les années 1896, 1897 et 1898 aucune ville des Deux-Sèvres ayant des revenus
de plus de 100000F n’en a organisé 2219 alors que le chef-lieu, Niort, employait 305 personnes
en 1890 à l’empierrement des chemins et à la construction de la nouvelle école de dessin 2220 .
Au contraire trois villes de la Vienne (Poitiers, Loudun et Châtellerault) et les quatre
plus grandes agglomérations de Vendée 2221 portent secours aux chômeurs dans les dernières
années du XIX e siècle. Sur trois ans, les communes vendéennes ont dépensé 132113F et celles
de la Vienne 53334F. Toutefois une très grande part de cette aide revient à la seule ville des
Sables-d’Olonne (92040F) où la pêche et ses industries annexes sont en grande difficulté.
2216 Les syndicats ont la même conception mais manquent de moyens. Rares sont les exemples existants. Citons
tout de même la carrière corporative de la corporation Sainte-Radegonde, cf. CANTAMESSA (Laurent), Les
débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.574 et s.
2217 En 1899 le conseil général de Vendée ne vote aucun crédit pour financer les ateliers de charité du
département, lettre de la préfecture au ministre du Commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes de
mars 1899, ADVd 10M33. Secours contre le chômage : travaux effectués par les municipalités [1896 ; 1921].
Même chose en 1900.
2218 ADV M12.109. Chômage industriel et agricole [1899 ; 1912] et ADDS 11M19.8. Chômage, états
récapitulatif, rapports. On dénombre 33 départements qui n’ont pas organisé de travaux de secours de 1896 à
1898 dont les Deux-Sèvres. Aucun travaux n’y ont été organisés, soit parce que les communes sont trop pauvres
et ne disposent pas de fonds pour mettre en place lesdits travaux (c’est le cas de la Lozère) ; soit parce que les
communes aides directement les ouvriers en difficulté (comme en Loire-Inférieure) ; soit parce que le
département connaît peu de chômage à cause de son activité économique normale (cf. Saône-et-Loire ; Somme ;
Vosges) ou de l’existence de grands travaux qui occupent beaucoup de main d’œuvre (cf. Lot) ou d’ateliers de
charité (Cf. Charente ; Dordogne).
2219 Les ateliers de charité ne sont pas concernés.
2220 TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.220.
2221 Seize autres villes de Vendée ont aussi mis en place des ateliers de charité. Des bourgs de la Vienne l’on fait
aussi mais les dépenses sont minimes et ne correspondent pas toujours à de véritables secours pour cause de
chômage, ce qui doit être le cas également pour le département des Deux-Sèvres.
479

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Le chômeur doit s’inscrire à la mairie de sa ville et fournir des renseignements sur ses
charges de famille et sur les moyens dont il dispose afin de bénéficier des travaux de
secours 2222 . En outre il est nécessaire de résider depuis six mois dans la commune 2223 . On veut
éviter les déplacements de population voulant profiter des aides d’une cité voisine.
A l’échelle d’un département le nombre de personnes inscrites aux travaux de
secours 2224 apparaît très faible, baissant constamment jusqu’à la Grande Guerre 2225 même si
en Vendée le nombre de journées payées aux chômeurs demeure relativement constant. Dans
ce département ils sont à peine plus de 500 en 1899 et 600 en 1901, beaucoup moins par la
suite. Le désenclavement des zones régionales offre des alternatives plus variées aux ouvriers
momentanément sans emploi. L’aide charitable ou les travaux des champs ne sont plus les
seuls recours. En Vendée les travailleurs du bâtiment s’en vont quérir leur ordinaire sur les
docks de La Rochelle ou de Nantes, une solution plus difficilement envisageable pour les
travailleurs des deux autres départements poitevins.
Dans la Vienne le nombre de chômeurs inscrits est un peu plus important et reste
constant sur la période allant de 1899 à 1914. Toutefois ces chiffres ne sont guère importants
au regard de la population globale du département. Ces médiocres effectifs ne poussent pas
l’Etat à subventionner la lutte contre le chômage dans la région. C’est pourquoi, en 1909, le
ministère du Travail et de la Prévoyance sociale n’accorde aucun crédit à la Vendée sur les
600000F votés par l’Etat 2226 .
2222 Lettre du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 6 février 1899, ADV M12.109. Chômage
industriel et agricole [1899 ; 1912] et ADDS 11M19.8. Chômage, états récapitulatif, rapports.
2223 ADV M12.109. Chômage industriel et agricole [1899 ; 1912] et ADDS 11M19.8. Chômage, états
récapitulatif, rapports.
2224 Le nombre de personnes employées par les travaux de secours varie au gré de la saison hivernale. Aux
Sables-d’Olonne en 1894 il oscille entre 80 et 200 en fonction des semaines, ADVd 10M2. Enquêtes de l’office
du travail : bureaux de placements, salaires et secours au chômage [1891 ; 1895].
2225 Nous étudierons les départements de la Vienne et de la Vendée uniquement, fautes d’informations suffisantes
concernant les Deux-Sèvres.
2226 Lettre du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale au préfet de Vendée du 30 mars 1909, ADVd
10M33. Secours contre le chômage : travaux effectués par les municipalités [1896 ; 1921]. On peut penser
qu’une même décision est prise pour les Deux-Sèvres et la Vienne.
480

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 36 : travaux de secours aux chômeurs alloués dans les communes
principales de Vendée (1899-1914) :
Année Communes Dépenses Chômeurs inscrits Chômeurs employés Nombre de journées
La Roche-sur-Yon 4500F 25 10 2200
Fontenay-le-Comte 1998F 80 80 1260
1899 Les Sables-d'Olonne 34920F 153 153 19342
Luçon 2794F 66 66 1230
1901
1908
1910
1912
1913
1914
+ 5 autres communes 3146F 253 212 1767
TOTAL 47159F 577 521 25799
La Roche-sur-Yon 4846F 95 40 2423
Fontenay-le-Comte 1997F 83 83 1028
Les Sables-d'Olonne 33685F 228 226 18207
Luçon 11337F 131 131 7988
+ 6 autres communes 2462F ? 162 ?
TOTAL 54328F ? 642 29646
La Roche-sur-Yon 150F 0 0 0
Fontenay-le-Comte 2122F 63 63 1348
Les Sables-d'Olonne 26871F 98 87 13760
Luçon 7754F 98 98 5687
+ 3 autres communes 2179F 61 61 1193
TOTAL 39076F 320 309 21988
La Roche-sur-Yon 150F 0 0 0
Fontenay-le-Comte 1672F 47 47 1087
Les Sables-d'Olonne 30146F 124 124 ?
Luçon 945F 36 36 416
+ 2 autres communes 2326F 23 23 ?
TOTAL 35239F 230 230 ?
Fontenay-le-Comte 2494F 40 40 1559
Les Sables-d'Olonne 16883F 124 124 ?
+ 1 autre commune 1200F 38 38 480
TOTAL 20577F 202 202 ?
Fontenay-le-Comte 2716F 49 49 1611
+ 1 autre commune 1200F 30 30 480
TOTAL 3916F 79 79 2091
Fontenay-le-Comte 2637F 38 38 1581
Les Sables-d'Olonne 1782F 22 22 792
+ 1 autre commune 1200F 30 30 480
TOTAL 5619F 80 80 2853
Source : ADVd 10M33. Secours contre le chômage : travaux effectués par les municipalités [1896 ; 1921].
Pendant la première décennie du XIX e siècle la ville des Sables-d’Olonne a la plus
grande part des chômeurs du département de la Vendée. Cette période marque la fin du
monopole français de la sardine et les premières difficultés d’une pêche désormais
concurrencée par les poissons en boites venus d’Espagne et du Portugal. Les sommes
débloquées dans ce chef-lieu des bords de mer sont beaucoup plus importantes que dans les
autres localités où de tels travaux sont institués. Elles représentent les trois quarts des crédits
totaux alloués en Vendée en 1899, et environ les deux tiers en 1901 et 1908. Ailleurs, soit les
481

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
ateliers de secours ne sont plus financés, comme à La Roche-sur-Yon, soit la municipalité se
borne à voter la même somme chaque année comme à Fontenay-le-Comte.
Somme allouée (en francs)
40000
35000
30000
25000
20000
15000
10000
5000
Figure 19 : évolutions des sommes allouées au travaux de secours aux Sablesd’Olonne
et à Fontenay-le-Comte entre 1899 et 1914 :
0
1899 1901 1908 1910 1912 1913 1914
Sables d'Olonne Fontenay
Source : ADVd 10M33. Secours contre le chômage : travaux effectués par les municipalités [1896 ; 1921].
Dans la Vienne deux localités concentrent la grande majorité des chômeurs inscrits.
Poitiers en compte le plus grand nombre, entre 600 et 250 sur la période allant de 1900 à
1913, soit bien plus que le maximum constaté dans tout le département de la Vendée. La ville
est une capitale régionale ne pouvant pas toujours fournir du travail à tous ses ouvriers,
artisans et employés, parfois venus des campagnes. Châtellerault est la seconde ville du
département occupant le plus grand au nombre de travailleurs sans emploi dans ses ateliers de
secours. Cependant les chiffres fournis sont bien en deçà de ce que l’on peut attendre d’une
période où les licenciements massifs se succèdent à la manufacture nationale d’armes de la
ville. Les mesures d’aide au retour bénéficiant aux ouvriers originaires d’autres contrées n’y
sont certainement pas étrangères. Néanmoins le pic est atteint en 1903 – 216 chômeurs –
année où l’existence de la « Manu » est gravement remise en question. Partout ailleurs le
chômage semble anecdotique.
Dans la Vienne, les chômeurs employés sur les chantiers de secours sont rassemblés
par équipe et travaillent par roulement, huit heures par jour, six jours par semaine. La totalité
482

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
sont des hommes, venant généralement du bâtiment ou du monde agricole, voire de tous les
secteurs d’activité comme c’est le cas à Poitiers en 1913 2227 .
Les femmes sont exclues des travaux de terrassement, physiquement trop pénibles. En
outre la mixité est considérée comme source de troubles et d’immoralité. De plus les femmes
sans travail de la région sont rarement occupées à des travaux textiles comme cela peut être le
cas à Paris dans le cadre de « filatures des indigents » fondée en 1793 2228 , alors que ce type
d’institution semble avoir été mis en place à La Roche-sur-Yon avant 1848 2229 .
Aucune limite d’âge n’est exigée pour y être embauché 2230 . En 1912 à Poitiers on
trouve des terrassiers âgés de 18 à 80 ans. Cependant la majorité des personnes employées
cette année là (57%) dépasse 50 ans et près de la moitié ont entre 50 et 70 ans 2231 , une
proportion qui laisse à penser que ces ouvriers sont ceux qui n’ont pas pu trouver de travail
dans les autres secteurs d’activité qu’ils soient industriels, artisanaux ou agricoles. L’âge, une
santé fragile, des charges de familles sont fréquemment les causes d’une inscription aux
ateliers de secours qui, au final, ne regroupent qu’une faible part des effectifs travaillant dans
le secteur du bâtiment, principal employeur de main-d’œuvre de la région.
Les salaires versés aux ouvriers secourus sont inférieurs à ceux des travailleurs
exerçant une activité semblable dans le secteur privé. Sauf exceptions, la somme payée
représente la moitié du salaire normal d’un terrassier ou d’un manœuvre du bâtiment, soit un
demi salaire moyen 2232 . A Melle on les nomme « la malgagne 2233 ».
2227
ADV M12.109. Chômage industriel et agricole [1899 ; 1912] et ADDS 11M19.8. Chômage, états
récapitulatif, rapports.
2228
GUESLIN (André), Gens pauvres, pauvres gens.., op. cit., p.256.
2229
CHAILLOUX (Cédric), op. cit., p.150.
2230
La ville de Poitiers emploie alors 276 personnes dans ses ateliers de secours aux chômeurs.
2231
ADV M12.109. Chômage industriel et agricole [1899 ; 1912] et ADDS 11M19.8. Chômage, états
récapitulatif, rapports.
2232 Cf. supra p.422.
2233 BRUNET (Michel), op. cit., p.79.
483

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 37 : travaux de secours aux chômeurs alloués dans les communes
principales de la Vienne (1899-1913) :
Année Ville
Nombre de chômeurs
inscrits
Nombre de chômeurs occupés
Par ville TOTAL
Poitiers 558 458
1899
Loudun
Châtellerault
Poitiers
26
150
26
140
624
(du 7 janvier au 2
mars)
593 477
1900
-
1901
Loudun
Montmorillon
Châtellerault
Chauvigny
24
aucun
?
?
24
60
10
571
Civray
Poitiers
Aucun
(du 28 décembre au 28
février)
529 410
Loudun ? 16
1903
Montmorillon
Châtellerault
?
?
66
216
708
Civray Aucun
Poitiers
(du 3 janvier au 28
février)
495
400
Loudun 12 12
1904 Montmorillon
Châtellerault
?
?
74
156
642
Civray Aucun
Poitiers
(du 26 janvier au 29
février)
391
308
1907
-
1908
Loudun
Montmorillon
Châtellerault
Chauvigny
14
?
?
?
14
38
137
10
507
Civray Aucun
Poitiers 356 302
1909
-
1910
Loudun
Montmorillon
Châtellerault
Civray
12
Aucun
64
Aucun
12
64
378
Poitiers 276 242
Loudun 10 10
Montmorillon 1 1
1912 Châtellerault 50 45
298
Civray Aucun ?
Poitiers 250 ?
Loudun 7 ?
Montmorillon ? ?
277
1913 Châtellerault 20 ?
(inscrits)
Civray Aucun ?
Source : ADV M12.109. Chômage industriel et agricole [1899 ; 1912] et ADDS 11M19.8. Chômage, états récapitulatif,
rapports.
484

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 38 : salaire journalier moyen de l’ouvrier employé dans un atelier de
secours (1895-1914) :
Année Département Ville
1886 Vienne Châtellerault
1895 Vendée
La Roche-sur-
Yon
Salaire journalier moyen dans un
atelier de charité
Extraction de cailloux : 65 centimes
le m 3
Triage de cailloux : 1F10
Cassage de cailloux : 1F75
2F25
1895 Vendée Luçon 1F70
1895 Vendée
1896-
1898
1896-
1898
1896-
1898
1900-
1901
1900-
1901
1907-
1908
1907-
1908
1907-
1908
Sablesd’Olonne
Vienne Poitiers
1F50 à 2F -
1F50 (mineurs de 21 ans et vieillards)
à 1F75
Vienne Châtellerault 1F50 -
Vienne Loudun
Vienne Poitiers
1F75à 2F20 (travail sur canalisation)
Terrassement : 3F le m 3
Spécialistes : 2F25
Terrassiers/journaliers : 2F
Mineur : 1F75
Vienne Châtellerault 1F50 -
Vienne
1910 Vendée
1910 Vendée
Poitiers
Spécialistes : 2F25
Terrassiers/journaliers : 2F
Mineur : 1F75
Vienne Loudun De 2F40 à 3F
Vienne Châtellerault 1F50
Fontenay-le-
Comte
Les Sablesd'Olonne
1F50 à 2F
A la tâche
1910 Vendée Sainte Hermine 1F50 à 2F25
1910 Vendée
1912 Vienne
Chaillé-les-
Marais
Poitiers
2F50
Spécialistes : 2F25
Terrassiers/journaliers : 2F
Mineur : 1F75
1912 Vienne Loudun De 2F40 à 3F -
1913 Vienne Poitiers
1914 Vendée
1914 Vendée
1914 Vendée
Fontenay-le-
Comte
Les Sablesd'Olonne
Chaillé-les-
Marais
1F75 pour les moins de 18 ans à 2F25
pour les spécialistes
2F pour les terrassiers.
1F75 à 2F
2F à 2F50
2F50 -
485
Salaire journalier moyen d’un
terrassier/ manœuvre du bâtiment
3F
(salaire moyen dans la Vienne toutes
professions confondues)
2F50 pour 12 heures de travail
(La Roche-sur-Yon)
3F
(Niort)
2F75 à 3F60 pour 12 heures de
travail
(La Roche-sur-Yon)
-
4F20 pour 12 heures de travail
(Poitiers en 1899)
-
3F80 pour 12 heures de travail
(Niort)
4F pour 10 heures de travail
(Châtellerault en 1906)
3F50 à 3F70 pour 10 heures de
travail
2F50 à 4F
(Vendée 1911)
3F50 à 4F50
(Poitiers)
4F50
(Niort)
Sources : ADDS 3X56, ADDS 3X60, ADDS 11M19.8, ADDS 11M8-2-A, ADDS 11M19-13 B et C, ADVd 10M2, ADVd
10M33, ADVd 10M51, ADV M4-59, ADV M12.109, ADV M10-23, ADV M12-113, ADV M12.114, ADV M12-115, ADV
M12.142 et AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 21 mai 1886.
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Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
On ne perd jamais de vue que les ateliers de charité ou de secours ne demeurent qu’un
expédient. On ne veut en aucun cas concurrencer d’autres secteurs d’activités en offrant des
salaires élevés. On ne souhaite pas non plus que certains s’y complaisent. Travailler dans de
tels ateliers doit demeurer l’ultime recours afin d’éviter la mendicité.
Toutefois la hiérarchie salariale y est identique à celles des autres secteurs d’activité.
L’ouvrier spécialisé, comme le cimentier, est mieux payé que le simple terrassier si sa
spécialisation lui est nécessaire dans le cadre des ateliers de secours. Les jeunes travailleurs,
comme parfois les plus âgés, sont moins rémunérés car nombres de travaux sont rétribués
selon le rendement de chacun. Là comme ailleurs seul un ouvrier dans la fleur de l’âge est
complètement efficace. Parfois la situation personnelle est aussi prise en compte dans la
fixation du salaire. Ainsi en 1829 le salaire d’un individu père de famille est augmenté de
deux sous par personne à charge 2234 .
Il existe à côté des ateliers de secours d’autres formes d’actions, permanentes ou
exceptionnelles, afin d’aider les ouvriers victimes du chômages.
2.2. D’autres moyens de lutte contre le chômage
Devant l’émergence du chômage et du chômeur, l’Etat envisage de nouveaux moyens
d’action et de lutte parmi lesquels figurent les organismes de placement. Une loi du 14 mars
1904 oblige les villes de plus de 10000 habitants à ouvrir un bureau de placement gratuit et
les communes plus petites à tenir à la mairie un registre d’offres et de demandes de travail 2235 .
Ce service s’ajoute non seulement aux services proposés par les bourses du travail 2236 , les
syndicats, les œuvres de bienfaisance ou religieuses mais aussi à ceux fournis par les
organismes privés et payants réglementés par un décret du 25 mars 1852 2237 . Ces derniers font
l’objet de vives critiques que les contrôles municipaux n’atténuent guère 2238 . On leur reproche
2234
Délibération du conseil général de la Vienne du 3 septembre 1829, ADV N2. Rapports, procès-verbaux,
instructions, correspondances [1822 ; 1834].
2235
Jusqu’alors les communes en avaient la possibilité et non l’obligation.
2236
Voir concernant le rôle des bourses du travail du Poitou Charente dans le placement des travailleurs :
CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.566 et s.
2237
L’article 1 stipule que nul ne peut « tenir un bureau de placement payant sous quelque titre et pour quelque
profession, place et emploi que ce soit sans une permission spéciale délivrée par l’autorité municipale ». La
mairie est également chargée de la surveillance des bureaux de placement et de la fixation des tarifs demandés
par le gérant. En outre l’autorité municipale peut retirer la permission d’exercice dans divers cas prévus par la
loi. Le texte de 1904 prévoit la possible fermeture des bureaux de placement privé par les municipalités sous
condition d’une juste indemnité.
2238
AM POITIERS. B.58. Bureaux de placements (1810-1868)
486

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
des tarifs abusifs 2239 , d’encourager la précarité de l’emploi et de marchander le travail 2240 . Des
circulaires ministérielles constatent également les excès commis par les bureaux de placement
privés et commandent aux préfets d’agir pour en limiter les abus 2241 .
Dans le Poitou les bureaux municipaux de placement gratuit n’ont guère de succès.
Avant 1904 peu de communes en établissent spontanément. A Poitiers, en 1886, un tableau
destiné à recevoir les offres et les demandes d’emploi est installé à la mairie à l’initiative du
conseil des prud’hommes 2242 . En 1891 un registre du même type est déposé à l’hôtel de ville
de Châtellerault. La même année le préfet de Vendée n’en dénombre qu’un seul dans son
département 2243 , situé aux Sables-d’Olonne. Ce bureau, comme la plupart des autres, concerne
avant tout la domesticité et bien peu l’ouvrier 2244 .
Après la loi du 14 mars 1904, six villes des trois départements de l’ancienne province
du Poitou sont obligées de mettre en place un bureau de placement : Poitiers 2245 , Niort 2246 ,
Châtellerault 2247 , La Roche-sur-Yon 2248 , Les Sables-d’olonne 2249 et Fontenay-le-Comte 2250 .
Les deux premières villes citées obéissent à l’injonction légale tout en confiant la gestion de
2239 Dans les années 1890 les tarifs aux Sables-d’Olonne sont de 1 franc l’inscription et deux francs le placement.
A Châtellerault les deux sont à un franc. A Poitiers l’inscription reste à un franc mais la somme a payer en cas de
placement est généralement égale à 2% du salaire reçu, ADV M12.577 & M12.578. Bureaux de placement et
ADVd 10M37. Bureaux de placement municipaux et privés [1893 ; 1929].
2240 Voir par exemple AMBLARD (R.), L’application de la loi du 14 mars 1904 sur les bureaux de placement,
thèse droit, Paris, 1909, p 23 et s., THUARD (Emile), Le placement des ouvriers, et domestiques en France et à
l’étranger, thèse droit, Caen, 1904, p.170 et s. En 1904, dans la Vienne, on parle même de traite des blanches
pour le placement de femmes à l’étranger, ADV M12.577 & M12.578. Bureaux de placement.
2241 Voir par exemple une circulaire du ministère de l’Intérieur du 25 mai 1893, ADV M12.577 & M12.578.
Bureaux de placement.
2242 L’Avenir de la Vienne du 1 er mai 1886.
2243 Il est le seul organisme de placement gratuit. Les rares syndicats et sociétés de secours mutuels de Vendée
n’organisent pas ce travail dans le département.
2244 Rapport du préfet de la Vendée du 17 décembre 1891, ADVd 10M2. Enquêtes de l’office du travail : bureaux
de placements, salaires et secours au chômage [1891 ; 1895]. Le fonctionnaire précise qu’il y a cinq offres par
jour pour une demande d’emploi. Le placement coûte trois francs (un franc d’inscription et deux francs de
placement). De même à Poitiers comme à Châtellerault les trois ou quatre bureaux de placement existant à la fin
du XIX e siècle ne s’occupent que de domestiques. Une seule exception concerne la profession de boulanger. A
partir de 1900 leur nombre augmente mais sans plus s’intéresser au monde ouvrier cf. ADV M12.577 &
M12.578. Bureaux de placement. En 1899 le préfet de Vendée dénombre trois bureaux dans son département
(deux dans le chef-lieu et un autre aux Sables) « dont le but principal est de procurer des emplois aux
domestiques », lettre du préfet de Vendée au ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes du
28 décembre 1899, ADVd 10M37. Bureaux de placement municipaux et privés [1893 ; 1929].
2245 39886 habitants en 1901 et 41242 en 1911.
2246 23897 habitants en 191 et 23329 en 1911.
2247 18260 habitants en 1911.
2248 14885 habitants en 1911.
2249 12244 habitants en 1910 et 14005 en 1911.
2250 10512 habitants en 1901 et 10379 en 1911.
487

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
l’institution aux bourses du travail 2251 . La loi de 1904 est même à l’origine de la bourse du
travail de Châtellerault 2252 .
En Vendée deux bureaux semblent exister à La Roche-sur-Yon et aux Sables-
d’Olonne 2253 . Cependant la lettre du préfet qui en fait état, sème le doute quant à leur
réalité 2254 . En effet il apparaît que la mairie du chef-lieu de département ne met à la
disposition des chercheurs d’emploi que des registres recevant offres et demandes. Quant au
bureau des Sables-d’Olonne, si le préfet se félicite de son bon fonctionnement il n’en est pas
de même de la part du maire de la cité de la côte atlantique qui met en doute son efficacité ;
les patrons préférent s’adresser aux organismes des grandes villes voisines.
« Un des plus grands obstacles au développement du bureau de
placement municipal des Sables est que les ouvriers venant chercher
du travail trouvent rarement à s’embaucher immédiatement et ne
séjournent pas. Aussi, quand les patrons, ayant vu la liste des
demandes publiées dans les journaux locaux, viennent à la mairie,
les ouvriers inscrits sont déjà partis et ils préfèrent s’adresser à
Nantes dans les bureaux des syndicats.
Dans ces conditions le placement des ouvriers est très
difficile et ne peut donner des résultats appréciables, sauf en ce qui
concerne les domestiques, bien que le bureau municipal soit
concurrencé… 2255 ».
En 1910 la Vendée compte cinq bureaux municipaux de placement, trois à La Roche-sur-Yon
et deux aux Sables-d’Olonne. Les villes de Fontenay-le-Comte et de Luçon se contentent de
tenir des registres 2256 .
2251 La gestion des organismes de placement par les bourses du travail n’a pas que des avantages. Certains
ouvriers et plus encore certains patrons demeurent réticents à s’adresser à une organisation syndicale et préfèrent
toujours utiliser les services de bureaux payants. En 1912 certains qualifient encore la bourse du travail de
Châtellerault de « foyer d’agitation révolutionnaire », cf. La Démocratie du 7 avril 1912.
2252 Le Mémorial du Poitou du 5 juillet 1911.
2253 Celui des Sables serait en place depuis le 1 er janvier 1905.
2254 Lettre du préfet au ministre du Travail et de la Prévoyance sociale du 7 février 1911, ADVd 10M37. Bureaux
de placement municipaux et privés [1893 ; 1929].
2255 ADVd 10M37. Bureaux de placement municipaux et privés [1893 ; 1929].
2256 Le préfet signale tout de même l’existence d’un bureau de placement payant mis en place par une société de
secours mutuels de Fontenay-le-Comte, « la familiale », lettre du préfet de Vendée au président du conseil,
ministre de l’Intérieur et des Cultes du 13 avril 1910, ADVd 10M37. Bureaux de placement municipaux et privés
[1893 ; 1929].
488

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
La loi de 1904 est très mal exécutée par les mairies. Une circulaire ministérielle de
l’année 1910 constate qu’une ville sur deux de plus de 10000 habitants a réellement créé un
bureau de placement gratuit 2257 . Néanmoins la situation est loin d’être idyllique dans les villes
respectant l’obligation légale. Là le placement est jugé peu efficace, ne concurrençant pas le
placement payant 2258 . Cette inefficacité est le fruit de la mauvaise volonté des municipalités.
Celles-ci ne voient dans cette institution qu’une charge budgétaire supplémentaire.
Plus tard aucune ville des trois départements poitevins ne figure parmi les 25 bureaux
municipaux de placement gratuit subventionnés par l’Etat en 1911 et 1912 dans 18
départements et 22 communes 2259 . L’absence de centres industriels majeurs explique
l’hésitation des municipalités à organiser un service de placement dans le Poitou.
Néanmoins les bureaux de placement existants sont relativement efficaces même s’ils
ne bénéficient guère au monde ouvrier. Les domestiques, très nombreux à Poitiers, les métiers
non qualifiés et certaines professions artisanales ou commerçantes, comme des coiffeurs ou
des boulangers, profitent de cette institution. A Poitiers 2260 la bourse du travail enregistre
annuellement, en 1906 et 1907, environ 2500 demandes d’emploi, 2000 offres et 1500
placements 2261 . En revanche celle de Châtellerault a des résultats bien plus modestes. En 1913
elle gère 126 offres d’emplois pour 186 demandes et en satisfait 93 2262 . Au Sables-d’Olonne
la quasi-totalité des placements effectués en 1910 porte sur des professions de service et de
domestiques.
2257 Circulaire du 14 mars 1910 relative à l’application de l’article 4 de la loi du 14 mars 1904 (article 85 du
Code du travail), ADVd 10M37. Bureaux de placement municipaux et privés [1893 ; 1929].
2258 Le ministre cite seulement quatre exceptions : Bordeaux, Lyon, Grenoble et Nice.
2259 Le bureau municipal de placement gratuit le plus proche se situe à Angoulême, rapport du 4 septembre 1913
sur les subventions aux bureaux municipaux de placement gratuit pour les années 1911 et 1912 et lettre du préfet
de Vendée au ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale du 18 mars 1912, ADVd 10M37. Bureaux de
placement municipaux et privés [1893 ; 1929].
2260 Poitiers est une cité où une population aisée réside. Les rentiers, les propriétaires, les professions libérales,
les magistrats ou les universitaires font travailler de nombreux domestiques. En 1911, 1966 domestiques y
travaillent, REBIERE-POUYADE (M.-C), Etude de la population de Poitiers en 1911, maîtrise, Poitiers, 1977,
p 52.
2261 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.561.
2262 51 de ces placements concernent des manœuvres, des domestiques et des bonnes, rapport du maire de
Châtellerault au sous-préfet du 14 janvier 1914, ADV M12.577 & M12.578. Bureaux de placement.
489

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 39 : statistiques des placements effectués aux Sables-d'Olonne en 1910 :
Professions
Demandes de travail par
ouvriers/employés
Demandes de
travail par les
490
patrons
Placements
effectués à
demeure
Placements
effectués à la
journée
Bonnes à tout faire 40 52 30 -
Femmes de journée 24 8 6
Femmes
chambre
de
6 2 2 -
Cuisinières 6 5 4 -
Bonnes d’enfant 5 1 1 -
Nourrices 3 -
Garçons de café ou
garçons d’hôtel
13 3 3 -
Valets de chambre 10 1 1 -
Hommes de peine,
manœuvres
8 1 1 -
Jardiniers 3 - -
Bouchers 3 - -
Cochers 8 1 1 -
Employés
commerce
de
4 - - -
Employés
bureau
de
3 - - -
Employés
magasin
de
2 - - -
Boulangers 2 1 1 -
Charpentiers 1 2 - -
Mécaniciens 1 - - -
Cordonniers - 1 - -
Pâtissiers - 1 - -
Source : ADVd 10M37. Bureaux de placement municipaux et privés [1893 ; 1929].
Il n’est pas dans les mœurs industrielles ou artisanales de faire appel à de tels organismes. Le
compagnonnage, puis d’autres formes d’organisation plus immédiates ont la préférence des
travailleurs comme des patrons. Le placement direct, sans intermédiaire, est extrêmement
fréquent, particulièrement dans les petits centres urbains.
Quand le chômage frappe brutalement une ville il est parfois nécessaire d’élaborer des
mesures exceptionnelles afin d’aider l’ouvrier en difficulté et d’éviter que son désespoir ne se
manifeste violemment dans les rues.
Châtellerault et Les Sables-d’Olonne, deux cités grandement dépendantes d’une seule
activité économique se voient contraintes d’établir des formes extraordinaires de secours à
leurs ouvriers subitement sans emploi. C’est ainsi qu’on finance le rapatriement et le
déplacement des personnes licenciées ou que l’on nomme des comités de secours aux
chômeurs.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Une fois la commande russe épuisée fin 1895 les périodes de chômage massifs vont se
succéder à la manufacture nationale de Châtellerault 2263 . La plupart du temps les ouvriers
concernés, les derniers arrivés ou parfois les plus âgés 2264 , sont prévenus à l’avance afin qu’ils
puissent trouver un travail de substitution bien souvent éloigné de la spécialité du travailleur.
Le mode de production mis en place à la « Manu » les a poussés à une spécialisation extrême
les obligeant, en cas de licenciement, à se rabattre sur des emplois non qualifiés. Bien souvent
ils se retrouvent manœuvres, journaliers ou terrassiers, métiers précaires s’interrompant
l’hiver. Par conséquent la municipalité se voit contrainte d’allouer des crédits en morte-saison
afin d’aider les ouvriers renvoyés 2265 . Mais ces sommes sont souvent insuffisantes pour
donner du travail à tous les chômeurs. C’est pourquoi le conseil municipal décide en 1895
d’aider financièrement le retour des travailleurs non originaires de la ville ou des campagnes
environnantes. Plusieurs milliers de francs sont débloqués afin de permettre aux ouvriers et
leurs familles de se rendre dans les villes où ils trouveraient du travail. Ainsi, près de 1271
personnes sont déjà parties en novembre 1895 2266 . En 1902 80 ouvriers choisis par la direction
parmi 200 licenciés doivent être envoyés à Lyon dans un autre établissement dépendant du
ministère de la Guerre 2267 . En 1908 le transport gratuit est accordé aux anciens ouvriers de la
manufacture en plus d’une indemnité de cent francs.
Toutefois ces mesures d’aide au retour ne sont pas aussi efficaces que les autorités le
souhaiteraient. En effet, nombre d’armuriers renvoyés reste en ville dans l’hypothétique
espoir d’être réembauchés quand la manufacture bénéficiera de nouvelles commandes. Cette
attitude, assez répandue, engendre des effets pervers pour la ville puisque ses ouvriers
chômeurs entrent en concurrence avec tous ceux vivant habituellement de travaux non
qualifiés. L’afflux de main d’oeuvre provoquet mécaniquement une baisse des salaires et une
aggravation de la situation générale de beaucoup de familles de Châtellerault.
2263 De 1894 à 1896 le nombre d’ouvriers employés par la « Manu » passe d’environ 7000 à 1300. Le travail
manque tellement qu’on ne travaille plus que neuf heures par jour en bénéficiant d’une demi-journée de repos le
samedi. On projette même de renvoyer tous les ouvriers âgés de plus de 55 ans. Voir les articles suivants : Le
Dimanche du 13 septembre 1896, Le Réveil du Poitou du 17 octobre et du 31 octobre 1896. On réitère ce type de
mesures à chaque crise.
2264 Les pères de familles nombreuses sont généralement les derniers à être licenciés.
2265 En 1894 le gouvernement prévoit une indemnité de 250 francs pour les ouvriers ayant 25 années de services
licenciés contre leur gré. Le journal l’Eclaireur s’y oppose et réclame une indemnité proportionnelle au temps
passé dans l’entreprise, rapport mensuel du sous-préfet de Châtellerault du 29 avril 1894 au préfet de la Vienne,
ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de l’instruction publique, mort de Sadi Carnot ;
mort d’Alexandre III (1894). En 1902 on octroie aux ouvriers licenciés une somme de 100 francs et trois
journées de salaire par années de travail, cf. L’Echo de Châtellerault du 8 août 1902.
2266 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 25 mai, 24 août et 9 novembre 1895.
2267 L’Echo de Châtellerault du 14 août 1902.
491

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Bien vite les autorités sont dépassées par les vagues successives de licenciements et
tentent de trouver des solutions d’urgence. En 1903 la sous-préfecture convoque les ouvriers
sans travail pour leur indiquer qu’ils peuvent trouver de l’ouvrage à Paris où l’on construit le
Métropolitain ou sur les chantiers de chemin de fer Guéret-La Châtre 2268 . Chaque diminution
d’effectif fait craindre des répercussions politiques. On craint le renforcement des forces de
gauche. Tant est si bien que certains candidats promettent d’hypothétiques commandes pour
espérer être élus 2269 .
En 1903 et 1904 une crise importante secoue l’industrie sardinière vendéenne. La
préfecture organise alors sept comités cantonaux 2270 de secours aux ouvriers et aux marins
pêcheurs, ainsi qu’à leurs femmes, travaillant souvent dans les sardineries de la côte. Chacun
d’entre eux est constitué d’un conseiller général, de conseillers d’arrondissement et des
maires des communes Ces comités doivent distribuer les fonds débloqués par l’Etat 2271 .
Généralement chaque personne aidée touche dix francs voire quinze pour les plus
nécessiteuses 2272 .
L’Etat comme les collectivités territoriales n’est pas seul à vouloir soulager les
victimes du chômage. Les ouvriers eux-mêmes s’y emploient au travers de leurs organisations
syndicales ou corporatives, un type de secours que l’Etat a longtemps interdit aux sociétés de
secours mutuel par peur de la création de caisses de soutien à des mouvements de grève 2273 .
Ainsi le syndicat lithographique de Poitiers verse 1F50 par jour à ses membres privés de
travail 2274 . De même la Corporation Sainte-Radegonde de Poitiers prévoit d’allouer la somme
journalière de 2F à ses membres accidentellement sans travail 2275 ou victimes de chômage
saisonnier, là encore sous strictes conditions 2276 .
2268 Le Mémorial du Poitou du 3 juin 1903 et L’Echo de Châtellerault du 12 juin 1903.
2269 L’Echo de Châtellerault du 14 février 1908. Une méthode qui n’a guère changé depuis…
2270 Ces comités sont ceux des Sables-d'Olonne, de Saint Gilles, de Beauvoir, de Saint Jean de Monts, de
Moutier, de Noirmoutier et de l’Ile-d’Yeu.
2271 Plusieurs dizaines de milliers de francs.
2272 ADVd 10M34. Secours aux ouvriers victimes du chômage et aux marins pêcheurs victimes de la crise
sardinière [1903 ; 1904].
2273 Cf. infra p.685 et s.
2274 Seulement pour vingt jours par an, ADV M12.54. Syndicats professionnels, chambres syndicales, sociétés
coopératives (1891-1906).
2275 Après un délai de carence de trois jours et pour un maximum de 30F par an.
2276 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.597.
492

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Au début du XX e siècle, le chômeur apparaît bien moins dangereux aux yeux des
autorités que l’indigent des décennies précédentes. Cette personne relativement stable
socialement et professionnellement semblerait moins encline à s’emporter ou à se laisser
charmer par des discours de rébellion. Un caractère d’autant plus vrai que ce type précis de
population est numériquement faible comme en témoignent les chiffres disponibles pour le
département de la Vienne ou les recensements nationaux 2277 .
Longtemps, l’ouvrier poitevin, comme beaucoup de ses semblables en France, ne
dispose que de rémunérations à peine suffisantes pour couvrir ses besoins les plus
élémentaires. Un salaire moyen permet à peine de vivre décemment sans possibilité
d’économiser. Chaque imprévu qu’il soit de nature économique, climatique ou personnel est
un vrai drame et oblige à faire appel aux œuvres charitables. Bien longtemps il est
inenvisageable d’économiser pour ses vieux jours. L’incertitude du lendemain est le pain
quotidien du travailleur.
Cette situation semble bien plus prégnante en milieu urbain où le coût de la vie est
plus élevé qu’à la campagne. Toutefois les ouvriers ruraux sont loin d’être des privilégiés à
l’image des tisserands misérables du rayon choletais. De même pour les travailleurs
industriels des campagnes malgré ce que pense une grande partie de l’opinion. Leur salaire
moyen a beau être légèrement supérieur à celui perçu par l’ouvrier agricole ils ne vivent pas
mieux pour autant. D’autres dépenses que ne subit pas le paysan, grèvent leurs budgets : frais
de nourriture quand ils n’ont pas le temps de cultiver un jardin, frais de logement quand ils ne
possèdent pas leur demeure.
Cependant, l’unique consultation des chiffres bruts indique que l’ouvrier vit
chichement, mais rarement misérablement. Ce sentiment émane fréquemment des rapports
préfectoraux et peut expliquer pourquoi le traitement des problèmes sociaux de la classe
ouvrière n’apparaît pas toujours prioritaire aux yeux des pouvoirs publics de ces contrées.
Mais il est nécessaire d’approfondir cette impression. L’application locale des lois sociales se
développant progressivement au XIX e siècle offre la possibilité de se faire une idée plus
précise de la place qu’occuperait l’ouvrier dans l’esprit des autorités publiques de l’époque.
2277 La proportion de chômeur dans la population active oscille aux alentours de 1% entre 1896 (première année
où l’on recense cette catégorie) et 1911, cf. MARCHAND (Olivier), THELOT (Claude), op. cit., p.77.
493

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Section 2 : De longues journées de travail
Qu’il trime dans une cave humide et exiguë, dans un grand atelier aéré et bruyant ou
sur un chantier écrasé de soleil, pour l’ouvrier les murs qui peuvent l’entourer ne sont rien
comparés au temps qui passe. La durée du jour conditionne les horaires de travail, quand
aucune lampe ne vient le prolonger. Dans ce cas la résistance physique et la volonté
deviennent les seuls moyens de lutter contre le sommeil. Quelles que soient les circonstances
un unique objectif motive le travailleur, gagner suffisamment pour subvenir chichement à ses
besoins et à ceux de sa famille. De son côté l’entrepreneur, en quête constante de productivité
et de profits, cherche à repousser, puis à maintenir, les limites quotidiennes et hebdomadaires
travaillées.
La journée est semblable à une bataille menée contre la fatigue et le temps qui passe
afin de porter haut les couleurs de son patron honni ou révéré. Une lutte qui n’épargne pas les
enfants et les femmes, otages de leur obéissance pour les uns et de leur (supposée) faiblesse
pour les autres. Cet âpre conflit fait tant de victimes que l’Etat lui-même, entité régalienne et
libérale, s’est vu contraint d’intervenir (I), tandis que l’intervention législative met du temps
avant d’être réellement efficace (II).
I- Un temps douloureusement plein
L’avènement de l’ère industrielle et son cortège de nouvelles techniques dévoreuses de
main-d’œuvre changent profondément les habitudes séculaires du monde du travail. Les
fabriques artisanales laissent place peu à peu à des ateliers où trônent d’infatigables machines
autour desquelles s’affairent jour et nuit des travailleurs de tous âges et de tout sexe. Un
« nouveau monde industriel », pour reprendre l’expression de Fourier est façonné, où
l’homme n’est plus qu’un rouage parmi tant d’autres. L’efficacité est portée au pinacle. Le
savoir-faire n’est plus essentiel. Les gestes sont simplifiés. Désormais ce sont les capacités
physiques de résistance ou d’agilité qui priment.
494

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Dans un tel univers, en particulier dans le secteur textile, on trouve vite une utilité aux
femmes comme aux jeunes enfants 2278 , parfois embauchés dès six ans ou sept ans comme cela
se produit dans le Maine-et-Loire ou huit ans en Vendée 2279 . La petite taille, l’agilité et la
souplesse, l’inconscience des dangers et la docilité de ces derniers vont vite être exploités,
d’autant plus qu’on peut les rémunérer très faiblement avec la bénédiction des parents 2280 .
Pareil à des rouages ou à des pièces de machinerie, on va les intégrer au processus productif.
Ils font équipe avec les adultes qu’ils doivent seconder ou surveillent le bon fonctionnement
d’une machine jusqu’à 16 heures par jour. Tantôt ils doivent pousser des chariots au fond des
mines dans d’étroites galeries, tantôt ils se glissent au plus profond des engrenages afin d’y
retirer un corps étranger bloquant le mécanisme. Ils travaillent sur des machines à dévider
assis sur des tabourets trop hauts pour eux afin qu’il ne leur vienne pas l’envie de quitter le
poste 2281 . Ils sont chargés d’attacher les fils brisés sous les métiers à tisser en marche, de
nettoyer les bobines encrassées, de nettoyer les ateliers ou de porter les briques et les tuiles
venant d’être cuites. Les temps ne sont plus aux jeux et à l’insouciance dans ces ateliers
bruyants, à l’humidité et la chaleur étouffante et aux courants d’air glacés. Une nouvelle
industrie naît, le législateur doit s’y adapter comme l’affirme le baron Charles Dupin 2282 .
La grande industrie n’a pas le monopole de l’exploitation infantile. Les petits ateliers
citadins ou campagnards, bien souvent familiaux, tirent encore plus parti du potentiel
économique du travailleur mineur. On a peu de scrupule à faire travailler son enfant dès cinq
ans 2283 . Les tisserands à domicile victimes du sweating system imposent l’aide de leur
progéniture lors de leurs très longues journées de travail pouvant atteindre 16 à 17 heures.
2278 Entre 1839 et 1845 on estime que le nombre d’enfants représente 15% des effectifs ouvriers occupés dans la
métallurgie, les mines et les usines textiles, ces dernières occupant à elles seules 200 000 à 250 000 enfants, cf.
GUIN (Yannick), Au cœur du libéralisme : la loi du 22 mars 1841…, op. cit., p.30.
2279 Ages d’embauches fournis par l’enquête ministérielle de 1837, préparatoire à la loi de 1841, cité par
SANDRIN (Jean), Enfants trouvés, enfants ouvriers (XVII e - XIX e siècles), Paris, 1982, 255 pp. 103-104. Ces
jeunes enfants travaillent quotidiennement de 12 à 14 heures.
2280 Cf. supra.
2281 DEWERPE (Alain), Le monde du travail…, op. cit., p.57.
2282 Cette « nouvelle industrie » se caractérise par une faible organisation des travailleurs et par la mécanisation
de la production sous l’effet des « sciences appliquées », DEFALVARD (Hervé), La dérive de l’institution
libérale du travail à l’aune des acteurs de la loi de 1841, in LE CROM (Jean-Pierre) (dir.), Les acteurs de
l’histoire du droit du travail, Rennes, 2004, p.113.
2283 En 1878 la commission locale chargée de surveiller le travail des enfants à Saint Gilles et Croix de vie
parlent encore d’enfants de 5 à 6 ans travaillant dans les usines de conserves alimentaires de la côte, rapport du
27 avril 1878, ADVd 10M10. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 [1875 ;
1891].
495

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
La présence de ces êtres faibles à l’intérieur d’univers hostiles et dangereux aussi bien
physiquement que moralement pousse quelques médecins et hygiénistes 2284 à alerter l’opinion
publique. En 1840 les travaux d’Eugène Buret 2285 et du docteur Louis-René Villermé 2286 ,
mandaté par l’Académie des sciences morales, font sensation. Les descriptions édifiantes du
médecin sur les conditions de travail et de vie dans les ateliers révoltent une partie de la
bourgeoisie et des classes dirigeantes. Les enfants subissent de véritables tortures physiques
dont leurs corps porteront à vie les stigmates. En 1848 les rapporteurs de l’enquête
économique et sociale constate « l’air souffrant et rachitique » des enfants des filatures de
laine mécanique de Parthenay 2287 .Une situation en soi révoltante mais dont les conséquences
dépassent le cadre de la simple humanité.
Avoir une jeunesse maladive revient à hypothéquer le recrutement militaire nécessaire
à la future défense de la nation 2288 . Un constat d’autant plus inquiétant que nos voisins
redoutés, comme l’Angleterre ou la Prusse, ont déjà adopté des lois visant à protéger
l’enfance industrielle 2289 .
La nation est mise en danger militairement mais aussi démographiquement et
économiquement. Faire entrer trop tôt l’enfance dans les ateliers revient à engager la force de
travail et l’aptitude des futurs ouvriers sur les épaules desquels reposeront la richesse et la
prospérité du pays.
« Je vous prie de remarquer que la loi [du 22 mars 1841] sera
favorable à l’industrie en ce sens qu’elle tend à régénérer la classe
ouvrière, à former des jeunes hommes valides et robustes, capables
2284
Citons par exemple l’enquête du docteur Guépin sur la misère populaire dans les quartiers de Nantes
effectuée en 1835. Voir aussi RIGAUDAS-WEISS (Hilde), op. cit., Paris, p.21 et s.
2285
BURET (Eugène), De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, Paris, 1840, (reprint
Paris, 1979, 2 vol.).
2286
VILLERMÉ (Louis-René), Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures
de coton, de laine et de soie, Paris, 1840, 2 vol. Villermé est ancien chirurgien de la Grande Armée de 1802 à
1814. Il abandonne la médecine en 1818 pour se consacrer à la question sociale naissante. Il est élu membre de
l’Académie de médecine en 1823 et de l’Académie des sciences morales et politiques en 1832. Pour de plus
amples renseignements biographiques voir Docteur VALENTIN, Louis-René Villermé et son temps (1782-1863),
Paris, 1993, 312 p.
2287
Notons que, selon eux, les enfants ne sont faibles qu’en apparence et ne sont pas « plus sujet aux maladies
que les autres », cf. ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.467.
2288
SUEUR (Philippe), op. cit., pp 493-508. En 1840 le ministre de la Guerre s’en émeut en parlant
« d’abâtardissement partiel de la race dans les grands centres d’industrie ». En 1837 sur mille conscrits 498
sont réformés dans le département de la Seine Inférieure et 445 dans celui du Nord. Cf. CHARLOT (Bernard),
FIGEAT (Madeleine), Histoire de la formation des ouvriers 1789-1984, Paris, 1985, p.65.
2289
Ce sont les lois anglaises de 1802, 1819 et 1833 et la loi prussienne de 1839.
496

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
de supporter, dans le reste de la vie, les fatigues d’un long travail :
c’est semer pour récolter 2290 »
Cette dégénérescence des futures générations n’est pas, aux yeux des hygiénistes de
l’époque, uniquement physique, elle est aussi morale. Ils rejoignent en cela les thèses des
catholiques sociaux parmi lesquels Villeneuve-Bargemont et son Économie politique
chrétienne parue en 1834. Le travail perd son caractère salvateur et devient corrupteur. On
dénonce la promiscuité des ateliers, foyers de débauche et d’immoralité. L’enfant y est
dévergondé et l’ouvrière y compromettrait son honneur en s’adonnant parfois à ce que l’on
nomme le « cinquième quart de journée » 2291 . Charles de Montalembert dénonce une enfance
sans instruction « moralement abrutie, intellectuellement hébétée, physiquement énervée et
initiée à tout ce qu’il y a de déplorable dans la dépravation humaine 2292 ». « Ouvrière, mot
impie ! 2293 » s’écrie le poète.
Ce sentiment de révolte et d’urgence est partagé également par la mouvance
protestante. Les industriels cotonniers mulhousiens sont les premiers à vouloir diminuer
réellement les tourments de la jeunesse employée dans les usines du pays 2294 . La société
industrielle de Mulhouse présente un rapport sur ce thème dès le 30 novembre 1827 2295 .
La proposition reste en suspens pendant plus d’une décennie avant que le
gouvernement ne cède 2296 . Longtemps ses représentants minimisent l’importance des abus
subis par l’enfance au travail. Une circulaire adressée aux Chambres consultatives et aux
Chambres de commerce de juillet 1837 illustre cette incrédulité de l’institution ministérielle.
2290 Baron Dupin lors des débats à la chambre des députés, Moniteur universel, séance du 6 mars, p.432
2291 A Niort on parle de couturière responsable de petits ateliers jouant les entremetteuses. De plus nombre de
notables et fonctionnaires y entretiennent de jeunes ouvrières comme maîtresses. Un rapport de police niortais
cite parmi d’autres le surintendant militaire de la ville, le colonel de gendarmerie ou bien encore le substitut du
procureur, cf. BRUNET (Michel), op. cit., pp.63-64.
2292 Cité par DEWERPE (Alain), Le monde du travail…, op. cit., p.82.
2293 « L’ouvrière ! Mot impie, sordide, qu’aucune langue n’eut jamais, qu’aucun temps n’aurait compris avant
cet âge de fer, et qui balancerait à lui seul tous nos prétendus progrès » s’insurge Michelet dans la Femme en
1860.
2294 Peut être cherchent-ils en outre à diminuer la concurrence des centres textiles plus importants où l’on fait
travailler de très nombreux enfant, c’est pourquoi l’on veut des règles uniformes appliquées sur tout le territoire.
2295 Elle souhaite la limitation de l’âge d’entrée des enfants dans les ateliers et la baisse de la durée du travail.
Ces entrepreneurs philanthropes entendent imposer une loi en prenant comme référence les modèles anglais et
prussiens. Ils estiment également qu’une telle législation entraînerait une moralisation de la classe ouvrière. Le
jeune enfant aura le temps de s’instruire et suivre une éducation religieuse. Voir HORDERN (Francis), Les
industriels alsaciens et la loi de 1841 sur le travail des enfants, Revue d’Alsace, n°109, 1983.
2296 Sur l’opinion des notables quant à une éventuelle loi sur le travail des enfants et sur la question sociale plus
généralement voir TUDESQ (André Jean), Les grands notables en France (1840-1849), Paris, 1964, t.2, pp.566-
606.
497

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Si on ne nie pas l’existence d’excès, l’Etat tient à en diminuer l’ampleur et à distinguer la
France de l’Angleterre.
« En France, j’aime à le reconnaître, les plaintes de ce genre n’ont
jamais été aussi unanimes ni aussi graves quelques hommes,
quelques conseils généraux ont cru devoir, de loin en loin, appeler
l’attention du gouvernement sur cette question ; mais on a jamais
cité, il faut le dire, aucun fait qui donnât à penser que les abus
auxquels l’Angleterre avait eu à remédier se soient produits en
France 2297 »
La question dépasse le simple cadre du travail des enfants car elle met en jeu les sacro-
saints principes libéraux de l’époque, principes farouchement défendus à l’Assemblée. Le
droit privé contractuel se heurte violemment à un nouveau droit objectif. L’Etat n’est censé
être qu’un simple régulateur n’ayant pas à s’immiscer dans la sphère privée. Si on accepte
l’adoption d’un texte faisant appel aux principes moraux de chacun, on refuse
catégoriquement toute loi impérative qui irait à l’encontre de la liberté de l’industrie, violerait
le sanctuaire sacré de l’établissement industriel, image de la maison paternelle 2298 .
Certains apôtres du libéralisme comprennent également qu’un texte normatif consacré
uniquement aux enfants serait un précédant fâcheux ouvrant la porte à de futurs textes aux
champs d’applications bien plus large ; ce serait un premier pas vers l’organisation du
travail 2299 . En outre une telle loi bafouerait l’autorité paternelle, ferait disparaître un salaire
d’appoint non négligeable et livrerait les enfants à eux-mêmes, vagabondant au lieu de
travailler et de s’éduquer au contact de leurs aînés.
Finalement après 14 mois de débats et bien des modifications 2300 , une loi est
promulguée le 22 mars 1841 par le gouvernement Guizot. Il s’agit non seulement du premier
texte législatif de nature sociale 2301 mais aussi de la première marche menant à un Etat
moderne, éthique et interventionniste. C’est une première étape vers une protection toujours
2297
Circulaire du ministère des Travaux publics, de l’Agriculture et du commerce du 31 juillet 1837, ADVd
10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2298
Voir le discours de Gay-Lussac, Le Moniteur universel séance du 10 mars 1840.
2299
GUIN (Yannick), Au cœur du libéralisme : la loi du 22 mars 1841..., op. cit., pp.29-41.
2300
SUEUR (Philippe), op. cit., pp 493-508.
2301
Auparavant seul un décret impérial de 1813 interdit le travail des enfants de moins de dix ans dans les mines
et carrières.
498

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
plus large de certaines catégories de travailleurs (A), catégories dont l’ouvrier masculin est
très longtemps exclu (B).
A- Le législateur au secours des enfants et des femmes
La protection des travailleurs considérés comme les plus faibles va se développer par
paliers successifs au fil de la seconde moitié du XIX e siècle en de longues étapes qui
traduiront l’évolution des mentalités françaises 2302 .
a) La loi du 22 mars 1841, un texte d’exception
Le texte du 22 mars ne concerne que les enfants de moins de 16 ans. L’âge minimal
d’embauche est fixé à 8 ans, un âge où l’on considère, le ministre du commerce en tête 2303 ,
que l’on peut commencer un apprentissage tout en évitant de céder aux sirènes du
vagabondage. La durée journalière du travail est établie à huit heures pour les enfants âgés de
8 à 12 ans et à douze heures pour les adolescents de 12 à 16 ans, sans prolongation possible.
La journée doit être entrecoupée d’une période de repos. L’embauche d’un mineur de 16 ans
est prohibée le dimanche et les jours fériés reconnus légalement. Le travail de nuit 2304 est
interdit aux mineurs de moins de 13 ans. Enfin un enfant de moins de 12 ans ne peut être
embauché que s’il fréquente une école ; cette obligation disparaît par la suite si l’enfant
possède un certificat d’instruction primaire élémentaire fourni par la mairie.
Outre le fait que seule l’enfance est protégée, et non la femme, la loi de 1841 souffre
dès sa genèse d’un champ d’application restreint qui en limite la portée. Les listes des ateliers
et usines tombant sous le coup de la loi de 1841 dressées par les administrations des
départements des Deux-sèvres, de la Vendée et de la Vienne montrent la très faible influence
locale du texte sur le sort de l’enfance au travail.
2302 Voir BARRAU (Patrick), HORDERN (Francis), op. cit., 232 p. Voir également OLSZAK (Norbert),
Histoire du droit du travail, Paris, 1999, p.48 et s.
2303 WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., Paris, 1993, t.1, p.114.
2304 La période de nuit va de 9 heures du soir à 5 heures du matin.
499

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 40 : nombre total d’établissements industriels soumis au régime de la loi
du 22 mars 1841par département :
Année Deux-sèvres Vendée Vienne
1842 - - 4
1843 - 7 -
1848 - 9 -
1850 - - 4
1853 3 - -
1858 3 - -
1865 - 13 -
1867 10 - -
1869 8 - -
1870 8 12 -
1873 - - 12
Sources : ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures ; ADVd 10M8. Travail des enfants dans les
industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847] ; ADVd 10M9.Travail des enfants dans les
industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873] ; ADDS 11M19.5. Travail des enfants et MARTIN
(Jean Clément), Le travail des enfants…, op. cit.
En effet tous les établissements industriels ou artisanaux ne sont pas soumis à la
nouvelle législation. Seuls les « manufactures, usines et ateliers à moteur mécanique ou à feu
continu 2305 » sont concernés, sans qu’aucune définition ne soit donnée. Les chantiers en plein
air, les entreprises dépourvues de machine à vapeur sont exclus du champ d’application de la
loi. Une exclusion valant aussi pour les ateliers familiaux ou artisanaux puisque la loi ne
s’applique, en l’absence de « moteur mécanique » qu’aux établissements employant plus de
vingt personnes.
Cette restriction fondamentale ôte le bénéfice de la protection étatique à une multitude
d’enfants, tout particulièrement dans les régions faiblement industrialisées comme peut l’être
l’ancienne province du Poitou où les ateliers de taille importante ne sont pas légion ; tout au
plus une trentaine dans les trois départements réunis. Le secteur d’activité textile y est
surreprésenté, autour de Poitiers 2306 , de Niort et de Parthenay 2307 et dans le rayon choletais
vendéen 2308 . Il s’y ajoute seulement deux papeteries vendéennes, deux coutelleries à Cenon,
une fabrique de crins frisés niortaise et la verrerie de Faymoreau.
Mais la manufacture d’armes de Châtellerault est exclue de ces statistiques du fait de
son statut particulier, bien qu’on y emploie des moteurs mécaniques ou des techniques à feu
continu. L’Etat ne veut pas que des éléments étrangers, membres de commissions de
surveillance ou appartenant au service des mines, pénètrent à l’intérieur de ses usines
2305 Le texte de loi y ajoute les dépendances desdits établissements.
2306 Les filatures de Biard, Béruges et Vivonne.
2307 La fabrique de gilet de Parthenay et les filatures de Saint-Maixent, Largeasse, Azay-sur-Thouet, Châtillonsur-Thouet,
mais aussi celle de la Mothe-Saint-Héray.
2308 Les filatures de Cugand, Tiffauges, Mortagne, des Epesses et de Loge-Fougereuse.
500

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
d’armement. Fin XIX e un contrôleur des manufactures d’Etat, dépendant du ministère de la
Guerre et de la Marine se charge des inspections. Pourtant des enfants, le plus souvent âgés de
12 à 16 ans, y travaillent régulièrement. Ils sont 147 en 1842, 54 en 1851 et 95 en 1871 2309 .
La loi de 1841 protège chaque année tout au plus 500 à 600 enfants dans les trois
départements composant anciennement la province du Poitou, un nombre qui représente à
peine 1,5% des effectifs ouvriers régionaux recensés dans la grande industrie en 1866 2310 .
Une grande majorité de ces jeunes travailleurs a plus de douze ans 2311 .
Si le nombre d’enfants protégés augmente légèrement au fil du temps du fait de la plus
grande quantité d’établissements à moteur mécaniques ou à feu continu, l’effectif de jeunes
ouvriers âgés de moins de douze ans diminue entre 1842 et 1873. Les mentalités des
entrepreneurs évoluent sous l’impulsion de la loi, pourtant extrêmement peu coercitive. En
outre la faiblesse de cette catégorie de main d’œuvre enfantine est peut être due au caractère
quasi familial des entreprises en question où le personnel ne change guère. Dans les ateliers
l’enfant vieillit à son poste sans qu’il soit toujours nécessaire de le remplacer par de plus
jeunes.
Nombre d’enfants aidant leurs parents à domicile ou oeuvrant dans de petits
établissements sont donc abandonnés à leur sort par le législateur. A l’échelle nationale, le
baron Dupin estime, en 1848, que seuls 80000 jeunes travailleurs bénéficient des faveurs de la
loi alors que l’industrie française emploie près de 240000 enfants de moins de 16 ans. Dans le
Poitou l’Enquête économique et sociale de 1848 recense 316 individus de moins de 16 ans
parmi les ouvriers du canton de la Châtaigneraie en Vendée, 383 dans celui de Mortagne-sur-
Sèvre 2312 , plus de 200 filles dans la ganterie niortaise et 200 garçons dans le secteur du
bâtiment de la même ville 2313 . En 1826, la majorité des employés des tanneries de
l’arrondissement de Fontenay-le-Comte sont des enfants 2314 .
2309
ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures.
2310
Voir supra, p.81. Il est en revanche très difficile de connaître avec précision ce que représente ce nombre
d’enfants par rapport à l’effectif de jeunes travailleurs employés dans la totalité de l’industrie poitevine. Nombre
d’ateliers familiaux emploie des enfants sans qu’ils soient recensés.
2311
En revanche il est difficile de chiffrer le nombre total d’enfants employés dans l’industrie poitevine dans son
ensemble. Les données en la matière manquent.
2312
ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848).
2313
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 3), op. cit., p.397.
2314
Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 21 juin 1826, ADVd 6M1231. Statistiques industrielles.
Instructions, affaires générales [1806 ; 1850].
501

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Les environnements familiaux ne sont pas plus favorables aux jeunes enfants que de
grands ateliers. Les journées y sont souvent plus longues et les conditions de travail plus
ardues, à l’image des petits ateliers du choletais ou bien des fabriques de blouse niortaises 2315 .
Tableau 41 : nombre d’enfants concernés par la loi du 22 mars 1841 par
établissements (1842-1873) :
Département Année
Etablissements concernés
Nombre Activité
Ouvriers
adultes
De 8 à 12
ans
Enfants
De 12 à 16
ans
TOTAL
1853 3 Filature ? 19 33 52
1858 3 Filature ? 13 58 71
Deux-Sèvres 1867 13 Filature
Fabrique de
gilets
Chapellerie
? 55 207 262
1842 3 Filature
Papeterie
260 55 24 79
1843 7 Filature
Papeterie
932 34 152 186
1845 2 Filature
Verrerie
? 2 28 30
1851 4 Filature
? 8 62 70
Vendée
Verrerie
1854 3 Filature
Verrerie
? 0 78 78
1865 12 Filature
Fabrique de
tissus
Papeterie
Verrerie
650 environ 21 128 149
1870 12 Filature
Papeterie
Verrerie
471 14 88 102
1842 3 Filature 610 22 76 98
1850 4 Filature
330 23 5 28
Vienne
Coutellerie
1873 12 Filature
Coutellerie
? ? ? 164
Sources : ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures ; ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries.
Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847] ; ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi
du 22 mars 1841 [1848 ; 1873] ; ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
Le législateur va tenter de pallier cette protection limitée à une catégorie trop restreinte
de travailleurs en adoptant un nouveau texte le 19 mai 1874. Une loi voulue par la jeune
république conservatrice afin de tenter d’amadouer un monde ouvrier ostracisé depuis les
tristes événements de la Commune de Paris.
2315 Un rapport de la chambre consultative des arts et métiers de Niort du 16 juillet 1853 estime à plus de 1000 le
nombre de femmes et de petites filles occupées à coudre et à broder les blouses, ADDS 10M17.1. Statistiques
industrielles et commerciales [1804 ; 1889].
502

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
b) Un texte intermédiaire, la loi du 19 mai 1874 sur le travail des
enfants et des filles mineures
Contrairement à la loi de 1841 ne réglementant que les usines et manufactures, le texte
du 19 mai 1874 élargit son champ d’application à tous les établissements industriels sans
distinction. Seul le cadre familial échappe encore au législateur. L’autorité du pater familias
ne doit pas être mise en cause. Son bon sens doit lui dicter une conduite raisonnable envers sa
descendance.
La protection étatique des jeunes travailleurs mise en place en 1874 élargit
considérablement le champ d’intervention légal. On passe dans le Poitou de quelques dizaines
d’établissements industriels à plusieurs centaines. Entre 1876 et 1883 l’inspection chargée du
travail des enfants et des filles mineures de la 10 e circonscription, englobant les départements
poitevins, visite annuellement entre 400 et 900 établissements répartis dans huit
départements 2316 , soit 4% du nombre total d’établissements visités en France en 1876 et à
peine 2% en 1883 2317 .
L’âge minimum d’admission au travail industriel est désormais fixé à 12 ans, sauf
dans certains cas particuliers où des enfants de 10 à 12 ans peuvent être employés à condition
de ne travailler qu’à mi-temps, c’est-à-dire six heures par jour entrecoupées d’un repos. La
durée quotidienne de travail reste, elle, fixée à 12 heures.
Cette loi « intermédiaire », visant à remédier aux carences de la précédente mais dont
les propres faiblesses 2318 provoqueront la loi de 1892, apporte deux innovations de premier
rang. Tout d’abord elle crée pour la première fois un corps d’inspecteurs chargés de contrôler
son application. Ensuite elle distingue les catégories de travailleurs en fonction de leur âge,
mais aussi selon leur sexe. On demeure un enfant jusqu’à 16 ans, âge à partir duquel
l’adolescent mâle est considéré comme adulte. Au contraire « la jeune fille mineure » va être
2316 La 10 e circonscription comprend les départements de la Vendée, d’Indre-et-Loire, de la Vienne, de la Haute-
Vienne, de la Charente, de la Charente Inférieure, de la Creuse et des Deux-Sèvres. L’inspecteur divisionnaire de
cette circonscription réside à Limoges. A partir de 1885 le nombre de circonscriptions augmente. La Vendée est
intégrée à la Bretagne, c’est-à-dire à la 12 e circonscription centrée autour de Nantes, et la Vienne et les Deuxsèvres
à la 13 e .
2317 On est loin des 31270 établissements visités dans le seul département de la Seine en 1886, ou des 2272,1691
et 1023 visites effectuées la même année en Gironde, dans le Nord ou dans le Maine-et-Loire. Rapport sur
l’application de la loi du 19 mai 1874 et de la loi du 9 septembre 1848 durant l’année 1886, ADVd 10M10.
Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 [1875 ; 1891].
2318 En matière de contrôle et d’inadéquation avec la loi de 1882 sur l’instruction primaire obligatoire.
503

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
protégée jusqu’à ses 21 ans. Ce statut dissymétrique nouveau suscite bien des polémiques et
débats idéologiques 2319 et aboutira à la protection plus générale des femmes en 1892 2320 . Ainsi
tout travail de nuit est prohibé pour les enfants de sexe masculin jusqu’à 16 ans et pour les
filles mineures.
Tableau 42 : établissements visité par le service de l’inspection du travail des
enfants et des filles mineures entre 1876 et 1883 :
Circonscription 1876 1877 1878 1879 1880 1881 1882 1883
1. Paris 508 988 955 16212 15454 16696 24451 24756
2. Orléans 822 1231 1246 1429 1811 2392 2974 2665
3. Nevers 626 422 218 110 398 223 370 434
4. Nancy 408 412 422 379 406 374 409 437
5. Reims 523 316 656 751 805 1365 1522 1771
6. Lille 1264 1470 1506 1595 1593 2310 2060 2171
7. Rouen 863 1329 1370 1412 2664 3615 2834 3521
8. Lisieux 749 806 895 945 984 1071 1033 1228
9. Nantes 231 247 314 328 165 255 476 530
10. Limoges 408 513 552 354 554 702 770 865
11. Bordeaux 747 726 765 1119 1234 1558 2218 1559
12. Toulouse 1026 2041 2013 2776 2808 2809 3379 3686
13. Nîmes 615 966 724 831 683 594 645 541
14. Marseille 329 313 236 463 422 485 432 414
15. Lyon 862 1334 1822 1184 1946 2318 2741 3039
TOTAL 10041 13114 13694 29888 31927 36767 46314 47617
Extrait du rapport annuel de la Commission supérieure du travail des enfants et des filles mineures dans l’industrie
pour l’année 1883, ADVd 10M10. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874
[1875 ; 1891].
Le nombre de personnes légalement protégées est donc lui aussi bien plus considérable
que sous le régime juridique précédent. L’inspecteur chargé du contrôle de la bonne
application de la loi recense annuellement dans sa circonscription entre 3000 et 5000 enfants
et filles mineures dans les seuls établissements visités entre 1876 à 1883. Un nombre inférieur
à la totalité des effectifs auxquels le texte législatif s’applique puisque l’inspection ne peut pas
contrôler chaque année tous les établissements industriels et artisanaux situés dans son
ressort. Toutefois, là encore, la dixième circonscription ne représente qu’à peine plus de 2%
du nombre total de visite effectuées dans le pays entre 1876 et 1883.
2319 Voir BORDEAUX (Michèle), Nouvelle et périmée, la loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et des
filles mineures employés dans l’industrie, in LE CROM (Jean-Pierre) (dir.), Deux siècles de droit du travail.
L’histoire par les lois, Paris, 1998, pp.45-59, et AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.223 et s..
Sur les arguments des opposants au travail féminin voir également supra p. 434 et s.
2320 Déjà le texte de 1874 interdit aux femmes tout travail souterrain dans les mines, minières et carrières.
504

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 43 : nombre d’enfants et de filles mineures rencontrés dans les
établissements visités entre 1876 et 1883 :
Circonscription 1876 1877 1878 1879 1880 1881 1882 1883
1. Paris 3350 2985 3546 37852 39860 32711 42957 39484
2. Orléans 3452 5041 5824 6542 8094 9845 12468 10316
3. Nevers 6201 5464 5232 3921 6553 2415 6278 6772
4. Nancy 4127 5403 4033 3750 4526 4291 4223 7971
5. Reims 4716 1738 4064 5329 7867 7228 6807 9443
6. Lille 31983 31120 30608 29634 31712 35996 33222 37176
7. Rouen 14337 17512 13248 19422 21858 34537 34122 37053
8. Lisieux 6727 6523 5178 4432 7398 6441 5720 6083
9. Nantes 6729 6447 4863 5132 3218 4000 4513 4780
10. Limoges 3100 3362 3776 3523 4299 4573 5116 4851
11. Bordeaux 4086 4038 4127 3142 2394 2199 2918 2075
12. Toulouse 3854 5158 3776 3523 4770 4452 4978 4384
13. Nîmes 6381 4491 5832 7321 7640 9217 12003 10799
14. Marseille 3775 3918 4002 7794 6321 7647 5141 5667
15. Lyon 16644 15163 15422 9631 16338 19634 23443 26147
TOTAL 119462 118363 113531 150948 172848 185186 203909 213001
Extrait du rapport annuel de la Commission supérieure du travail des enfants et des filles mineures dans
l’industrie pour l’année 1883, ADVd 10M10. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi
du 19 mai 1874 [1875 ; 1891].
En 1886, on compte environ 1449 enfants et filles mineures recensés dans les trois
départements constituants l’ancienne province du Poitou pour 684 établissements visités ; soit
une moyenne de deux enfants ou filles mineures par usine ou atelier. Cependant cette
moyenne est bien plus élevée en Vendée (4,6) qu’en Deux-Sèvres (1,35) ou dans la Vienne
(2,1). Cette différence traduit l’existence d’une activité industrielle plus conséquente,
particulièrement dans le textile ou les conserves de poisson. En 1875, l’ingénieur en chef des
Ponts et chaussées estime que le nombre de filles mineures et d’enfants est « assez élevé »
dans la vallée de la Sèvre nantaise et que près de 300 enfants travaillent dans les conserveries
de sardines pendant les quatre mois estivaux de l’année 2321 .
En comparaison avec les autres départements de leurs propres circonscriptions, la Vendée, La
Vienne ou les Deux-sèvres sont les moins pourvus en main d’œuvre enfantine. Dans la 12 e
circonscription la Vendée compte 512 enfants et filles mineures dans les établissements
visités en 1886 contre 1972 dans le Finistère ou 1465 en Loire-Inférieure. Même chose dans
la 13 e circonscription où les Deux-Sèvres et la Vienne font pâle figure avec leurs 443 et 494
enfants et jeunes filles mineures par rapport au Maine-et-Loire (1730), avec son textile et ses
ardoisières 2322 , ou bien encore à l’Indre-et-Loire (918). Ces chiffres sont très éloignés des
33286 ouvriers protégés du département du Nord, mais bien plus élevés que ceux constatés
2321 Lettre de l’ingénieur en chef des pont et chaussées du département en date du 1 er février 1875, ADVd 10M11.
Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 ; commissions locales [1874 ; 1885].
2322 Sur l’enfance au travail dans le département du Maine-et-Loire voir TARON (Patrick), op. cit., 864 p.
505

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
dans nombre de départements du sud-ouest de la France, comme ceux des Landes ou des
Hautes-Pyrénées.
Cette faiblesse relative du nombre d’enfants est due en partie à la méfiance des
industriels envers un type de main d’œuvre jugée peu fiable 2323 . L’inspecteur divisionnaire de
la douzième circonscription en témoigne dans un courrier de janvier 1886 2324 .
« Les cinq autres départements de la Vendée et de la Bretagne [il
met de côté la Loire-Inférieure] donnent (sic) peu d’apprentis. On ne
paraît pas aimer leur concours. Je ne pense pas que ce soit la
crainte de la loi, puisque la majorité des industriels m’a paru les
ignorer encore. On se plaindrait plus justement du défaut de
discipline des enfants, même des habitudes d’ivrognerie [?], capital
de la Bretagne qu’ils contracteraient de bonne heure ».
Il ajoute que nombre d’industriels sont même favorables à l’augmentation de l’âge minimum
d’embauche. Certains vont jusqu’à proposer l’âge de 15 ans. Une opinion qui offusque
l’inspecteur qui voit avant tout l’intérêt des parents : « Ignore-t-on que la classe ouvrière peu
fortunée et généralement chargée de famille a besoin de faire travailler les enfants aussitôt
l’instruction primaire élémentaire acquise ». Il estime en outre que des enfants de 13 à 14 ans
ne seront plus aptes « à prendre les habitudes du travail et de la soumission » nécessaires au
bon fonctionnement de l’atelier. Il termine sa missive en indiquant que l’âge doit dépendre de
l’entrepreneur qui choisira des enfants plus âgés s’il estime qu’il y a intérêt, par exemple pour
exécuter des travaux de force. Les plus jeunes quant à eux sont suffisamment capables pour
mener à bien des tâches de manœuvres ou d’aides.
2323 Sur la spécificité du travail des enfants dans les régions peu industrialisées voir LECOMTE
(Catherine), Contrôle de l’administration départementale sur le travail des enfants au XIX e siècle..., op. cit., pp.
551-569.
2324 Rapport de l’inspecteur divisionnaire de la 12 e circonscription du 1 er janvier 1886, AN F12/4750 Application
de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
506

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 44 : rapport sur l’application de la loi du 19 mai 1874 et de la loi du 9
septembre 1848 durant l’année 1886 :
Circonscription Départements
Ets Filles mineures Enfants Enfants
visités 16 à 21 ans 10 à 12 ans 12 à 16 ans Total
N°1 Seine 31270 14926 100 23136 34533
N°8 Nord 1691 16462 321 16473 33286
Côtes-du-Nord 86 161 1 297 459
Finistère 191 806 21 1145 1972
N°12 Ille-et-Vilaine 125 144 2 327 473
Loire-Inférieure 319 451 13 1001 1465
Morbihan 103 205 7 403 615
Vendée 110 254 14 244 512
Indre-et-Loire 379 292 4 622 918
Maine-et-Loire 1023 550 22 1158 1730
N°13
Sarthe 406 227 28 420 675
Deux-Sèvres 365 194 12 288 494
Vienne 209 181 0 262 443
Charente 128 328 8 453 789
Charente Inférieure 60 5 0 138 143
Corrèze 56 269 2 218 489
N°14
Creuse 116 268 0 218 486
Dordogne 90 97 1 202 300
Lot 82 110 0 205 315
Haute Vienne 382 514 0 728 1242
Gironde
Gers
2272 427 5 1303 1735
N°15
Landes 123 3 0 60 63
Lot-et-Garonne 514 40 0 163 203
Basses-Pyrénées 393 204 0 241 445
Hautes-Pyrénées 194 22 0 73 95
Ain 103 831 0 552 1383
N°20
Rhône 669 2079 8 1890 3977
Savoie 30 259 0 101 360
Haute-Savoie 54 199 0 174 373
Allier 203 189 12 1048 1249
N°21
Loire 1021 4727 92 5650 10469
Haute-Loire 147 486 1 570 1057
Puy-de-Dôme 1631 856 24 926 1806
D’après le rapport relatif à l’application des lois du 19 mai 1874 et du 9 septembre 1848 durant l’année 1886, ADVd 10M10.
Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 [1875 ; 1891].
Cette faiblesse numérique du nombre d’enfants explique en partie que les
départements poitevins soient parfois laissés de côté par ceux chargés de faire appliquer la loi.
Dans la 12 e circonscription l’inspecteur divisionnaire établi à Nantes préfère se consacrer aux
nombreuses industries de Loire-Inférieure ou du Finistère. Le même constat vaut pour le
Maine-et-Loire dans la 13 e circonscription.
La loi du 19 mai 1874 apparaît bien vite comme un texte de transition ayant permis
l’évolution en douceur vers une meilleure protection des travailleurs les plus faibles et
507

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
l’apparition d’un véritable droit du travail. Elle a préparé les esprits à une réglementation
générale du travail féminin et a mis en place les bases du futur corps des inspecteurs du
travail. Cependant le manque d’ambition du texte, l’insuffisance de moyens, le caractère
mixte de l’inspection 2325 , combinés à la nécessité de s’adapter à la loi du 28 mars 1882 sur
l’enseignement primaire obligatoire, oblige le législateur à intervenir de nouveau en 1892.
c) La loi du 2 novembre 1892, l’aboutissement du processus ?
La loi du 2 novembre 1892, adoptée après une très longue gestation et de vifs débats
parlementaires, marque un nouveau pallier dans le processus de la protection légale du
travailleur : un véritable droit objectif est créé. Désormais la femme adulte est protégée
comme l’est déjà l’enfant ou la jeune fille mineure, une protection nouvelle qui paraît moins
évidente aux contemporains que celle touchant à l’enfance ou à l’adolescence 2326 . En effet,
certains considèrent que protéger la femme revient à nier sa liberté, à la placer sous une tutelle
supplémentaire s’ajoutant à celle déjà exercée par son mari. C’est aussi intervenir dans des
contrats conclus entre majeurs capables et raisonnables. La femme a conscience de la portée
de ses actes contrairement à l’enfant. C’est encore une fois outrepasser le rôle normal de
l’Etat. Et c’est enfin la dernière marche avant une protection générale accordée à toute la
classe ouvrière, avant le couronnement d’un droit social, jugé inquisitoire et liberticide.
Toutefois cette protection nouvelle obéit aux mêmes préoccupations que celles ayant
dictées les lois de 1841 et 1874. Loin d’être une mesure de pure humanité ou de galanterie le
texte de 1892 vise à nouveau la sauvegarde des générations futures. La femme comme la
jeune fille sont les mères de demain. La femme se livrant à des travaux trop pénibles peut
enfanter une progéniture fragile voire débile, rachitique ou mort-née. On craint comme Albert
de Mun un phénomène de dénatalité affaiblissant le pays tout entier. Cette crainte justifie la
réduction de la journée de travail de la femme adulte à onze heures 2327 . Les femmes, comme
les filles mineures et les adolescents, obtiennent un repos hebdomadaire, des jours fériés et la
prohibition du travail de nuit.
2325 Voir infra.
2326 Sur le débat consacré à la protection du travail féminin voir VIET (Vincent), Entre protection légale et droit
collectif : la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les
établissements industriels, in LE CROM (Jean-Pierre) (dir.), Deux siècles de droit du travail. L’histoire par les
lois, Paris, 1998, pp.73-87.
2327 Il faudra attendre une loi du 27 novembre 1909 pour que la femme enceinte bénéficie d’une protection
particulière, c'est-à-dire la possibilité de suspendre le contrat de travail pendant huit semaines, complétée par une
autre loi du 17 juin 1913 instituant un repos obligatoire de quatre semaines après la naissance.
508

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Ainsi le libéralisme juridique « ne concevant la société qu’atomisée, comme une
juxtaposition d’individus, sans lien entre eux et soumis à leur seule volonté », est en passe de
céder la place au solidarisme affirmant l’existence d’un « lien social né du concours des
actions individuelles, [d’]une interdépendance qui doit fonder une nouvelle éthique des droits
et des devoirs » 2328 . Une ère nouvelle apparaît, perdurant jusqu’à notre époque, même si
actuellement ses fondements vacillent sous les coups portés par ses détracteurs inquiets des
nouveaux enjeux sociaux et économiques du XXI e siècle.
Les jeunes travailleurs voient leur régime s’améliorer encore par rapport à la loi
précédente. La nécessité de se conformer aux dispositions de la loi du 28 mars 1882 2329 ,
maintes fois mis en avant et exigées par les inspecteurs du travail 2330 , change l’âge minimum
d’embauche, passant de douze à treize ans. Le temps de travail journalier diminue également :
dix heures pour les enfants de moins de seize ans et onze heures pour ceux âgés de seize à
dix-huit ans, avec un maximum de soixante heures par semaines.
Le nombre d’enfants et d’adolescents à protéger n’évolue guère dans un premier temps
en Vendée où l’on en dénombre 734 pour l’année 1893, un chiffre proche de celui fourni sous
le régime légal précédent. Au contraire on constate une véritable augmentation des effectifs
dans la Vienne par rapport à la période antérieure. Cependant quelle que soit la région les
effets combinés des lois de 1882 et de 1892 font disparaître définitivement le jeune enfant des
ateliers.
Néanmoins la tâche de l’inspecteur du travail n’est pas facilitée par la loi de 1892, bien
au contraire. Désormais il doit ajouter à ses tournées d’inspections tous les établissements
industriels où des femmes travaillent, ce qui augmente considérablement la difficulté de sa
mission.
2328 VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.166.
2329 Cette loi impose la scolarité obligatoire de six à treize ans.
2330 Voir infra.
509

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 45 : nombre d’enfants dans les manufactures de la Vienne en 1893 :
Arrondissement Nombre d’enfants
Poitiers
344
Dont 232 à Poitiers
Châtellerault
442
dont 339 à Châtellerault et 61 à Naintré
Montmorillon 54
Loudun 45
Civray 3
TOTAL 888
Sources : ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures et MORILLON (Laurence),
L’application de la législation protectrice des enfants ouvriers dans la Vienne, mémoire de
D.E.A droit, Poitiers, 1995, p.77.
Tableau 46 : enfants de 12 à 18 ans protégés par la loi de 1892 en Vendée en
1893 :
Arrondissements
La Roche-sur-Yon Sables-d’Olonne Fontenay-le-Comte
227 302 205
dont dont dont
Cugand Mortagne La Les SablesCroixIle- Luçon Fontenay Faymoreau
Verrie Herbiers d’Olonnede-Vied’Yeu 101 41 24 23 146 130 ? 85 61 41
Sources préfectorales, cf. document d’histoire régionale, Vendée, archives départementales, service éducatif, bulletins n° 28-
29, 1978/1979, le travail des enfants au XIX e siècle en Vendée, II. 1874-1912, Nantes, C.R.D.P, 1979, n.p., document 59.
Tableau 47 : nombre d’enfants de 12 à 18 ans employés dans les établissements
industriels de la ville des Sables-d'Olonne au 1 er avril 1893 :
Activités Nombre
Marchands divers et épiciers 24
Menuisiers 13
Usines à briquettes et sardines 11
Tailleurs d’habits et couturières 22
Charpentiers 27
Maréchaux, forgerons, serruriers, mécaniciens, chaudronniers 13
Divers 13
TOTAL 146
Source : ADVd 10M12. Travail des femmes et des enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ;
1936].
En 1891 on recense plus de 15000 femmes 2331 travaillant dans la grande et la petite
industrie des trois départements du Poitou. La Vendée compte à elle seule près de 7300
femmes, ce qui, ajouté aux effectifs des autres départements de la 12 e circonscription dont la
Loire-Inférieure ou le Finistère, représente énormément plus que les seuls enfants jusqu’alors
objets des préoccupations du législateur. La tâche est rendue encore plus ardue par les
2331 3628 dans les Deux-Sèvres, 4269 dans la Vienne et 7268 en Vendée.
510

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
innombrables ateliers de couture ou de confection de petites tailles disséminés çà et là au sein
des bourgs et des villes. En 1891 le seul domaine de l’habillement et de la toilette compte
2494 femmes dans les Deux-Sèvres, 3594 dans la Vienne et 4575 en Vendée 2332 , des
départements où l’inspecteur divisionnaire est souvent seul à exercer son labeur sans le
secours d’inspecteurs départementaux ou de commissions ah hoc 2333 .
La loi de 1892 fixe des durées quotidiennes de travail différentes selon le sexe ou l’âge
de l’ouvrier, compliquant encore un peu plus un domaine où déjà le temps de travail
masculin, faiblement réglementé, souffre d’une grande variabilité, selon les régions, les
secteurs d’activité ou les entreprises.
B- Une durée de travail immuable pour les hommes ?
Longtemps le législateur n’est pas intervenu en matière de temps de travail masculin,
exception faite du décret du 2 mars et de la loi du 9 septembre 1848. L’homme, pense-t-on,
est sujet de droit plein et entier. Il n’a pas à être protégé dans ses rapports contractuels.
Toutefois certains abus criants poussent le législateur à intervenir avec moult précautions et
dans des cas très précis et constituent de timides encouragements qui incitent les travailleurs
eux-mêmes, hors du cadre législatif, à imposer à leurs employeurs une diminution du temps
passé à travailler.
a) Un timide cheminement législatif
En France, depuis la loi du 9 septembre 1848 2334 la durée journalière maximale du
travail masculin est fixée à douze heures 2335 . Toutefois ce texte ne s’applique qu’aux
« manufactures et usines », c’est-à-dire aux établissements à feu continu, à moteur mécanique
ou ayant plus de vingt employés, excluant par là même les travaux en plein air, artisanaux ou
familiaux, secteurs où l’on travaille plus longtemps avec parfois de grandes amplitudes
saisonnières. En sus de cette limitation des décrets ultérieurs vont ajouter à la confusion en
2332
Cf. supra.
2333
Voir infra.
2334
La loi du 9 septembre abroge le décret (non appliquée) du 2 mars 1848 fixant la durée de la journée de travail
à dix heures à Paris et à onze heures en province.
2335
Auparavant on calculait qu’entre 1843 et 1847 l’ouvrier travaille en moyenne 15 heures 30 par jour,
BOUVIER-AJAM (Maurice), op. cit., p.126
511

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
octroyant des dérogations au principe 2336 . Cette durée de douze heures ne prend généralement
pas en compte les pauses et les travaux préparatoires. De plus un décret du 17 mai 1851 va
exclure certaines activités du champ d’application de la loi de 1848.
Les lois de 1874 et de 1892 finissent de compliquer la tâche des employeurs comme
des inspecteurs du travail dans les ateliers mixtes. En effet, des établissements rassemblent
plusieurs catégories de personnel aux horaires différents : jeunes enfants de moins de douze
ans travaillant à mi-temps et adultes travaillant douze heures après 1874, enfant travaillant dix
heures, femmes onze heures et hommes douze après 1892. Cette situation provoque de
nombreuses et compréhensibles entorses à la législation du travail, comme lorsque
l’entrepreneur fixe le temps de travail arbitrairement à onze heures pour toutes les catégories
d’ouvriers ou bien encore lorsque des parents font travailler leurs enfants une à deux heures
de plus afin de ne pas les laisser livrés à eux même dans les rues.
Ces inconvénients poussent le législateur à s’interroger sur une nouvelle
réglementation du temps de travail. Mais là, plus qu’ailleurs encore, nombreux sont ceux qui
s’opposent à toute protection de l’ouvrier adulte masculin. Et cette fois-ci, contrairement au
travail enfantin ou féminin, les libéraux sont rejoint par des républicains plus modérés.
Ces opposants mettent en avant deux arguments principaux 2337 . Tout d’abord étendre
la protection aux ouvriers reviendrait, selon eux, à créer une protection collective généralisée
à toute une classe particulière de la société et par la même accepter l’existence d’une classe
ouvrière recomposée 2338 , « un collectif conscient de ses droits résultant de sa contribution au
bien être de la société 2339 », une reconnaissance collective qu’on assimile à du socialisme
d’état.
Ensuite cette protection souhaitée irait à l’encontre des bases démocratiques de la
République. Si on accepte de protéger l’enfant et la femme c’est qu’ils sont tout deux
considérés comme faibles, incapables ou inférieurs juridiquement. Un état de fait justifiant
des dispositions contraires aux principes généraux du Code civil. Il en va tout autrement de
l’homme, qui avant d’être un ouvrier est, depuis 1848, un citoyen responsable jouissant d’une
2336 Par exemple un décret du 31 janvier 1866 permet de prolonger d’une heure par jour durant 90 jours, du 1 er
mai au 1 er septembre, la durée du travail dans les filatures de soie, DUVEAU (Georges), op. cit., p.238.
2337
Voir notamment les développements in VIET (Vincent), La formation de l’identité des inspecteurs du travail
(1874-1914), in ROBERT (Jean-louis) (dir.), Inspecteurs et inspections du travail sous la III e et IV e République,
Paris, 1998, pp.42-51.
2338
Décomposé jusqu’alors par les lois du travail reconnaissait le travailleur selon son sexe ou son âge mais
jamais en tant que tel.
2339
VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.191.
512

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
égalité juridique et d’une liberté contractuelle libre et entière. En outre les ouvriers sont à
même de défendre leurs intérêts collectifs depuis la loi du 21 mars 1884 autorisant les
organisations syndicales. Le protéger viendrait à en faire un citoyen de seconde zone,
l’exclure de la communauté nationale. Si la femme et l’enfant sont protégés c’est qu’ils n’ont
pas accès au suffrage universel. La République ne peut pas « à la fois libérer et protéger ».
A ces raisons « théoriques » s’ajoutent des justifications économiques 2340 . Diminuer le
temps de travail pénaliserait l’industrie française aux dépens de la concurrence étrangère aux
horaires libres. Une loi scléroserait le tissu économique national en bridant toute latitude des
entrepreneurs pour faire face à d’éventuels aléas conjoncturels comme une hausse subite des
commandes.
Ces d’arguments multiples n’empêchent pas les « interventionnistes », rangés derrière
le ministre du Commerce Alexandre Millerand, d’obtenir gain de cause, au nom des notions
de productivité, d’intérêt général, de justice, de dignité, d’humanité et toujours dans un souci
de « conservation de la race » que le Léviathan industriel fragilise. La loi du 30 mars 1900 ne
concerne que les établissements mixtes 2341 faisant travailler à la fois des femmes ou des
enfants et des ouvriers adultes Ces derniers bénéficient des mêmes avantages en terme de
réglementation de durée du travail que les employés protégés. Dans un premier temps tous
travaillent onze heures. Toutefois la loi prévoit qu’au bout de deux ans, en avril 1902, la durée
de travail passe à dix heures et demie, puis à dix heures quatre années plus tard, en avril 1904.
Cette législation propre aux établissements mixtes incite les ouvriers masculins dans
leur ensemble à réclamer à leur patrons une baisse du temps de travail, une revendication qui
sera de mieux en mieux acceptée au fil du temps.
b) La diminution factuelle du temps de travail
L’ouvrier qui s’organise et se regroupe à la fin du XIX e siècle gagne une écoute dont il
ne disposait pas auparavant. Il lui est désormais possible de tenter d’imposer des diminutions
de la durée journalière de travail de la même manière qu’il cherche à obtenir des
revalorisations salariales. Ce phénomène que va être amplifier par le législateur qui impose, le
30 mars 1900, une baisse progressive du temps de travail. L’Etat vient de montrer l’exemple.
Une brèche est ouverte et nombre de salariés vont s’y engouffrer.
2340 Notons que les mêmes arguments raisonnent encore actuellement à propos des 35 heures.
2341 Cette loi ne concerne pas le travail à domicile.
513

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
1. Des mentalités en mutation
Douze heures de travail quotidien constituent la norme dans les ateliers poitevins au
XIX e siècle et pendant une bonne partie de la première décennie du siècle suivant.
Après 1848 2342 et avant 1900 la quasi-totalité des petites industries de nature artisanale
font travailler leurs employés une demi-journée. Seuls les domaines d’activité où le travail à
la pièce prime, souvent exercés à domicile, dépassent cette durée journalière de travail. La
lumière fixe la limite au-delà de laquelle il n’est plus possible de pratiquer son activité. Le
tisserand à la cave du rayon choletais œuvre parfois jusqu’à 17 heures par jour 2343 , les
chapeliers des Deux-Sèvres ou de Vendée s’activent quotidiennement quinze heures les mois
de novembre et de décembre aux alentours de 1880 2344 . De même les ouvriers de surface des
mines de houille de Saint-Laurs restent à leurs postes jusqu’à quatorze heures par jour
l’été 2345 . En 1894, les mineurs travaillant au fond des puits de houille travaillent douze heures
par jour – descente à sept heures et remontée à dix-neuf heures – pour seulement huit heures
d’extraction.
Ainsi les secteurs aux prises avec les affres climatiques et la diminution de la longueur
des jours offrent annuellement bien plus de flexibilité. C’est le cas tout particulièrement du
bâtiment, mais aussi des charpentiers de marine de la côte vendéenne 2346 . Si la norme est de
travailler douze heures l’été, il en va autrement à la morte saison. A cette époque de l’année le
maçon est tenu de rester sur les chantiers pendant huit à dix heures quand il n’est pas contraint
de chômer.
2342
Les beaux jours du printemps de la Révolution et de ses rêves fraternels de progrès sociaux, que traduisent
les nombreuses pétitions locales, sont révolus.
2343
POPEREN (Maurice), op. cit., p.133.
2344
AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2345
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147.
2346
ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers [1897 ; 1936].
514

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 48 : exemples de durée quotidienne du travail dans divers secteurs
industriels et artisanaux entre 1848 et 1898 :
Année Département Localité Secteur d’activité Temps de travail
1848 Vendée Mortagne Textile 11h
1848 Deux-Sèvres Saint-Laurs Mines 12h au fond / 10 à 14h au jour selon les saisons
1872 Deux-Sèvres Parthenay - 12h
1880 Vendée La Roche-sur-Yon - 12h
1882 Vendée La Roche-sur-Yon Serrurerie 12h
1882 Deux-Sèvres - Chapellerie jusqu'à 15h (en novembre et décembre)
1882 Vendée - Chapellerie jusqu'à 15h (en novembre et décembre)
1882 Deux-Sèvres Saint-Laurs Mines 10h
1887 Deux-Sèvres - Brasserie 12h
1887 Deux-Sèvres - Huilerie 12h
1887 Deux-Sèvres - Bâtiment 12h
1887 Deux-Sèvres - Plomberie 10h
1887 Deux-Sèvres - Bois 12h
1887 Deux-Sèvres - Cuir et peaux 12h
1887 Deux-Sèvres - Imprimerie 12h
1887 Deux-Sèvres - Textile 12h
1887 Deux-Sèvres - Métallurgie 12h
1889 Deux-Sèvres - Brasserie 12h
1889 Deux-Sèvres Niort Bâtiment 12h
1889 Deux-Sèvres - Scierie 12h
1889 Deux-Sèvres - Menuiserie 12h
1889 Deux-Sèvres - Cuir et peaux 12h
1889 Deux-Sèvres - Imprimerie 12h
1889 Deux-Sèvres - Carrières 12h
1889 Deux-Sèvres - Mines 12h
1889 Deux-Sèvres - Textile 12h
1889 Deux-Sèvres - Chapellerie 12h
1894 Vendée Faymoreau Mines 12h au fond (8 heures d’extraction)
1894 Vendée La Roche-sur-Yon Couvreur
Manufacture
10h en été (12h avant la grève)
1895 Vienne Châtellerault
d’armes 10h
1895 Deux-Sèvres Niort Mouleur 11h
1895 Deux-Sèvres Saint-Jouin Cordonnerie 11h
1896 Deux-Sèvres Niort Couverture 12h
1896 Deux-Sèvres Saint-Maixent Bonneterie 10h
1896 Deux-Sèvres Niort Serrurerie 11h
1896 Deux-Sèvres Niort Bâtiment 11h en été (12h avant la grève)
1897 Vendée Sables-d'Olonne Bâtiment
Charpenterie de
9 à 12h (selon la saison)
1897 Vendée Sables-d'Olonne marine 9h à 10h (selon la saison)
1898 Deux-Sèvres Parthenay Maçonnerie 8h à 12h (selon la saison)
1898 Vendée La Roche-sur-Yon Maçonnnerie 8 à 12h (selon la saison)
Sources : AN F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887), AN F12/4746. Application de la
loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888], ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du
22 mars 1841 [1848 ; 1873], ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940], ADVd 10M51.
Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936], ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers
[1897 ; 1936], ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889], ADDS 11M8.2. B. Syndicats
515

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
professionnels : correspondances, rapports, listes [1884 ; 1900], ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899] et
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147, ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit.
Toutefois quelques branches de l’industrie, les plus modernes et les mieux organisées,
diminuent très tôt le temps de travail de leurs employés. Dès 1848, certains ateliers textiles de
Mortagne ne font travailler leurs employés que onze heures par jour 2347 . La journée des
armuriers de la manufacture de Châtellerault ne dure que dix heures dès 1895 2348 . Même
constat chez les bonnetiers de Saint-Maixent une année plus tard 2349 . Notons que ces secteurs,
particulièrement le textile, emploient également une main-d’œuvre travaillant à domicile, ce
qui les place aux deux extrémités de l’échelle horaire.
Des diminutions de la journée de travail commencent à poindre dans des secteurs
moins en pointe. Les ouvriers du bâtiment niortais obtiennent de leurs entrepreneurs de ne
plus travailler que onze heures en 1896 2350 tout comme les serruriers de la ville 2351 .
2. La loi Millerand-Colliard
La loi du 30 mars 1900 ouvre une brèche dans les mentalités des travailleurs comme
des employeurs. Le législateur ne peut manquer d’ignorer que l’ouvrier lambda va chercher à
travailler moins en s’appuyant sur la législation propre aux établissements mixtes, regroupant
adultes, femmes et enfant, et en brandissant le principe d’égalité. De surcroît le travailleur
conçoit de plus en plus facilement qu’une diminution du temps de travail n’est pas synonyme
de baisse des rémunérations et ose revendiquer en la matière.
La législation propre au temps de travail progresse lentement, par contagion, en
procédant par touches successives. La jeune fille s’ajoute à l’enfant, la femme aux
adolescents, l’homme est voué tôt ou tard à en bénéficier lui aussi. Bien avant 1900, les
libéraux, hostiles à la loi de 1841, avaient déjà prédit et craint cette extension inéluctable de la
question sociale. Néanmoins aucun texte de loi avant 1919 2352 ne généralise la diminution du
temps travail pour les ouvriers adultes travaillant hors la présence d’enfants ou de femmes.
2347
ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2348
ADV M12.110. Grèves, coalitions, contrats d’apprentissage [1892 ; 1906]. Parfois les armuriers travaillent
douze heures pour satisfaire certaines commandes, cf. L’Eclaireur de la Vienne du 5 mai 1889.
2349
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
2350
Les syndicats réclamaient dix heures, ADDS 11M8.2. B. Syndicats professionnels : correspondances,
rapports, listes [1884 ; 1900].
2351
Ici la Fédération syndicale s’opposait à la revendication des serruriers niortais réclamant une journée de dix
heures, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
2352
La loi du 23 avril 1919 limite à huit heures par jour le temps de travail journalier effectif sans diminution
salariales.
516

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Mais en pratique on constate qu’après 1900 de nombreux mouvements sociaux ont pour
objectif premier ou secondaire d’obtenir une réduction de la durée journalière de travail.
Certains mouvement sociaux, comme celui concernant certaines professions du secteur
du bâtiment à Poitiers 2353 ou les doleurs niortais 2354 , réclament dès 1899 la journée de dix
heures. La préparation de la loi de 1900 doit influencer d’ores et déjà les esprits des
syndicalistes les plus avancés.
La loi promulguée, certains secteurs d’activité obtiennent rapidement une diminution
du temps de travail quotidien. Les professions les plus développées économiquement ou
celles dont l’organisation syndicale nationale ou régionale est la plus avancée mènent le
mouvement aboutissant à des journées plus courtes. Les imprimeurs et typographes de La
Roche-sur-Yon obtiennent la journée de dix heures trente dès 1900 2355 ; puis, à partir de 1906,
ils ne travaillent plus que neuf heures. Une évolution identique se produit dans les mines
poitevines où le travail effectué « au fond » passe à dix heures aux alentours de 1903 avant
que la loi du 29 juin 1905 n’impose la journée de huit heures 2356 .
Les gantiers niortais ou les cordonniers de Chauvigny obtiennent eux aussi de
travailler respectivement huit heures et neuf heures par jours 2357 , des métiers où le travail à la
pièce est toujours de mise. En 1913, on ne travaille que huit heures et demie à la manufacture
d’armes de Châtellerault 2358 . Cet abaissement du temps de travail n’a pas que des visées
sociales. Les difficultés économiques rencontrées par la mine de Saint-Laurs ou bien la
manufacture nationale et le chômage chronique en découlant l’explique en partie. La direction
de l’établissement d’Etat est amené à diminuer le temps de travail afin de faire durer plus
longtemps les commandes et de retarder un nouveau plan social menaçant de faire vaciller la
ville de Châtellerault tout entière. Dès 1902, la presse locale évoque la possibilité de travailler
seulement huit heures à la Manu 2359 .
2353 Les plâtriers obtiennent de travailler dix heures par jours alors que les couvreurs refusent de passer de douze
à onze heures de travail, ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902].
2354 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
2355 ADVd 4M194. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires sociales. Rapports. Correspondance.
Coupure de presse. Surveillance des syndicats professionnels (1893-1914).
2356 Dix heures en surface, ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de
charbon de Faymoreau [1896 ; 1930] et ADDS 11M19.13.C. Conflits et grèves [1902 ; 1931].
2357 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911] et ADV M12.115 Grèves [1908 ; 1911].
2358 ADV M10.126. Enquêtes relatives à la vie ouvrière et à la vie rurale (1913).
2359 L’Echo de Châtellerault du 26 décembre 1902 et le Mémorial du Poitou du 27 décembre.
517

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 49 : évolution de la durée quotidienne du travail dans l’imprimerie
poitevine (1900-1914) :
Profession Année Département Localité Durée journalière de travail
Imprimerie
1900 Vendée La Roche-sur-Yon 10h30
Typographe
1906 Vienne Châtellerault
9h
Imprimerie 1906 Vienne Poitiers 9h
Imprimerie
1911 Vendée La Roche-sur-Yon 9h
Imprimerie 1913 Vendée - 9h
Sources : AN F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887), AN F12/4746. Application de la
loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888], ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du
22 mars 1841 [1848 ; 1873], ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940], ADVd 10M51.
Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936], ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers
[1897 ; 1936], ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889], ADDS 11M8.2. B. Syndicats
professionnels : correspondances, rapports, listes [1884 ; 1900], ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899] et
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147, ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit.
Tableau 50 : évolution de la durée quotidienne du travail dans les mines de
houille poitevines (1903-1914) :
Profession Année Département Localité Durée journalière de travail
Mineur 1903 Deux-Sèvres Saint-Laurs 10h
Mineur 1905 Deux-Sèvres Saint-Laurs 8h au fond
Mineur 1907 Deux-Sèvres Saint-Laurs 9h
Mineur 1908 Deux-Sèvres Saint-Laurs 8h
Mineur 1912 Vendée Rochetroux 8h
Mineur 1914 Deux-Sèvres Saint-Laurs 8h/10h en surface
Mineur 1914 Vendée Faymoreau 8h/10h en surface
Sources : AN F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887), AN F12/4746. Application de la
loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888], ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du
22 mars 1841 [1848 ; 1873], ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940], ADVd 10M51.
Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936], ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers
[1897 ; 1936], ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889], ADDS 11M8.2. B. Syndicats
professionnels : correspondances, rapports, listes [1884 ; 1900], ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899] et
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147, ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit.
Le bâtiment est le fer de lance des secteurs plus traditionnels en matière de temps de
travail. Bien vite, dès 1906, le maçon, le tailleur de pierres ou le charpentier de Châtellerault
ou de Niort parviennent à ne plus travailler que dix heures par jour en été.
518

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 51 : évolution de la durée quotidienne du travail dans le secteur du
bâtiment poitevin (1899-1914) :
Profession Année Département Localité Durée journalière de travail
Bâtiment 1899 Vienne Poitiers 12h
Plâtrier 1899 Vienne Poitiers 10h
Couvreur 1899 Vienne Poitiers 12h
Charpentier 1904 Vienne Châtellerault 12h
Bâtiment 1905 Deux-Sèvres Thouars 12h
Bâtiment 1906 Vienne Châtellerault 10h
Cimentier 1906 Vienne Poitiers 11h
Maçon 1906 Deux-Sèvres (Arrondissement de Parthenay) 11h
Bâtiment 1908 Deux-Sèvres Niort 10h
Plâtrier 1910 Vienne Poitiers 10h
Maçon 1910 Vendée Mortagne 11h
Maçon 1910 Vendée Luçon 11h
Zingueur 1911 Vienne Poitiers 8h à 10h selon la saison
Couvreur 1911 Vienne Poitiers 8h à 10h selon la saison
Bâtiment 1911 Vienne Poitiers 8h à 10h selon la saison
Maçon 1911 Vienne Montmorillon 10h
Bâtiment 1911 Vendée Aizenay 12h
Bâtiment 1911 Vendée Fontenay-le-Comte
11h
parfois 12h pour tailleurs de pierres
Terrassier 1912 Deux-Sèvres Niort 12h
Zingueur 1912 Deux-Sèvres Thouars 11h
Bâtiment 1912 Vendée La Roche-sur-Yon 11h l’été
Maçon 1913 Vienne Poitiers 12h hiver/11h été
Maçon 1913 Vienne Poitiers 11h hiver/ 7h été
Sources : AN F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887), AN F12/4746. Application de la
loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888], ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du
22 mars 1841 [1848 ; 1873], ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940], ADVd 10M51.
Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936], ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers
[1897 ; 1936], ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889], ADDS 11M8.2. B. Syndicats
professionnels : correspondances, rapports, listes [1884 ; 1900], ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899] et
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147, ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit.
Tableau 52 : exemples de durées quotidiennes du travail dans le secteur du cuir
poitevin (1899-1910) :
Profession Année Département Localité Durée journalière de travail
Doleur 1899 Deux-Sèvres Niort 10h
Cuir et peaux 1908 Deux-Sèvres Niort 12h (travail à la pièce)
Cordonnier 1908 Vienne Poitiers 10h
Cordonnier 1908 Vienne Chauvigny 8h
Gantier 1910 Deux-Sèvres Niort 9h (travail à la pièce)
Sources : AN F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887), AN F12/4746. Application de la
loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888], ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du
22 mars 1841 [1848 ; 1873], ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940], ADVd 10M51.
Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936], ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers
[1897 ; 1936], ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889], ADDS 11M8.2. B. Syndicats
professionnels : correspondances, rapports, listes [1884 ; 1900], ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899] et
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147, ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit.
519

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 53 : exemples de durées quotidiennes du travail dans le secteur
métallurgique (1903-1914) :
Profession Année Département Localité Durée journalière de travail
Ferblantier 1904 Vienne Poitiers 10h
Charron 1904 Vienne Poitiers 11h
Forgeron 1904 Vienne Poitiers 11h
Fondeur 1905 Vienne Poitiers 10h
Maréchal 1906 Vienne Châtellerault 12h
Ferblantier 1906 Vienne Poitiers 10h
Maréchal 1910 Vienne Poitiers 10h
Armurier à la Manufacture 1913 Vienne Châtellerault 8h30
Coutelier 1913 Vienne (Arrondissement de Châtellerault) 11h
Coutelier 1913 Vienne Naintré 11h
Sources : AN F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887), AN F12/4746. Application de la
loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888], ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du
22 mars 1841 [1848 ; 1873], ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940], ADVd 10M51.
Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936], ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers
[1897 ; 1936], ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889], ADDS 11M8.2. B. Syndicats
professionnels : correspondances, rapports, listes [1884 ; 1900], ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899] et
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147, ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit.
Tableau 54 : exemples de durées quotidiennes du travail dans divers secteurs
d’activité industriels et artisanaux (1901-1914) :
Profession Année Département Localité Durée journalière de travail
Bonnetier 1901 Vienne Poitiers 11h
Brossier 1906 Vienne Poitiers 10h
Menuiserie 1906 Vienne Châtellerault 10h
Papetier 1906 Vienne Poitiers 9h
Boulanger 1906 Deux-Sèvres Niort 12h
Bijoutier 1907 Deux-Sèvres Niort 12h
Carrier 1908 Vienne Migné 10h
Menuiserie 1908 Deux-Sèvres Niort 10h
Menuiserie 1910 Vienne Poitiers 10h
Blanchisserie 1910 Deux-Sèvres (Arrondissement de Bressuire) 10h
Tissage mécanique 1910 Vendée Mortagne 10h
Carrier 1911 Vendée (Arrondissement des Sables-d’olonne) 10h
Galochier 1911 Vendée Fontenay-le-Comte 10h
Tissage mécanique 1914 Vendée Les Epesses 10h
Sources : AN F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887), AN F12/4746. Application de la
loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, ADVd 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888], ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du
22 mars 1841 [1848 ; 1873], ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940], ADVd 10M51.
Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936], ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers
[1897 ; 1936], ADDS 10M17.1. Statistiques industrielles et commerciales [1804 ; 1889], ADDS 11M8.2. B. Syndicats
professionnels : correspondances, rapports, listes [1884 ; 1900], ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899] et
MONTOUX (Michel), op. cit., p.147, ARCHES (Pierre), Une ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit.
La plupart des baisses de la durée du temps de travail ont lieu principalement dans les
centres urbains les plus importants, dans les villes et les gros bourgs où le syndicalisme s’est
développé un tantinet, ou, du moins, où l’information économique et sociale a pénétré. Il est
520

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
sans conteste plus difficile pour des maçons ou des cordonniers perdus au fond des
campagnes d’imposer à leur employeur de travailler moins, qui plus est, sans perte de salaire.
Seuls l’importance numérique des effectifs et le poids économique d’un secteur d’activité
combinés à un mouvement syndical organisé permettent aux ouvriers d’imposer des
diminutions de temps du travail en dehors des contraintes légales.
La pensée syndicale met en avant la diminution du temps de travail. Le temps libre est
perçu comme un moyen de développer l’éducation de la classe ouvrière. Le livre, voilà l’outil
d’émancipation.
« Les industriels savent très bien que du jour où leurs ouvriers, le
travail terminé, pourront s’occuper de leurs intérêts, la question
sociale aura avancé d’un très grand pas et la suppression du salariat
sera bien prête d’être un fait accompli 2360 .»
En 1906 nombreux sont les conflits sociaux axés autour de cette question d’autant plus que la
CGT défend depuis mai la journée de huit heures. Dans la région c’est le mouvement des
ouvriers du secteur du bâtiment châtelleraudais qui apparaît comme le plus significatif en la
matière.
Si les textes législatifs concernant le temps de travail masculin sont rares, les organes
chargés de contrôler leur application le sont encore plus pendant la quasi-totalité du XIX e
siècle. En effet les systèmes d’inspection, qui se mettent en place à partir de 1841 se
focalisent avant tout sur le travail des plus faibles sans être réellement efficace. Cette
incapacité réduit à néant la portée des premiers textes légiférant en matière de travail
industriel.
II- Des textes législatifs difficilement recevables
La principale faiblesse des premières lois en matière de travail, outre le champ
d’application limité de celle de 1841, réside dans la mauvaise organisation ou le manque de
cohésion des organes destinés à contrôler la bonne exécution des textes normatifs (A).
A ce problème structurel s’ajoute la mauvaise volonté de la très grande majorité des acteurs –
entrepreneurs, juges, administration communale, préfectorale ou ministérielle – intervenant
2360 Bulletin de la bourse du Travail de Poitiers, 1 er mai 1904, cité par MARION (Jacques), op. cit., p.166.
521

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
dans la procédure prévue par le législateur. Un univers hostile où les hommes de l’inspection
du travail se débattent et tentent d’agir efficacement (B).
A- Des organes de contrôle défaillants
Seul face à l’adversité, l’inspecteur du travail doit composer avec un milieu local où la
solidarité des élites s’ajoute à une certaine incapacité, symbolisée par les commissions locales
d’inspection 2361 .
a) Une mission difficile
Le fonctionnement extrêmement chaotique des commissions, alors dépourvues de
moyens, chargées de seconder l’inspection du travail et la quasi-absence de subordonnés à
l’échelon départemental ne facilitent pas la tâche des personnes chargées de l’inspection du
travail des individus jugés faibles. C’est pourquoi l’inspecteur divisionnaire doit accomplir
une masse de travail importante mais peu valorisée.
Si la loi de 1841 ne touche dans le Poitou, comme dans bien des régions françaises,
qu’un faible nombre d’établissements industriels que l’on recense sans problème, il en va tout
autrement à partir de 1874, date de l’élargissement de la protection de l’enfance au travail.
L’existence de nombreux ateliers, souvent de petites tailles et dispersés dans les villes, bourgs
et campagnes, demeure souvent inconnue pour l’administration. A l’inspecteur de les
découvrir pendant ses tournées longues et onéreuses. A ce travail d’investigation mené par
l’inspecteur s’ajoute celui de la vérification.
1. L’impéritie des commissions d’inspection poitevines
L’évolution législative opérée de 1841 à 1892 n’ose jamais faire totalement disparaître
les commissions locales. L’intervention de l’Etat dans les affaires sociales semble
constamment perçue comme une intrusion qu’il faut compenser par la participation et la
consultation des élites du cru, jamais promptes à abandonner leurs conceptions anciennes du
rôle étatique.
2361 Sur la difficile mission d’inspection en milieu peu industrialisé voir LECOMTE (Catherine), Contrôle de
l’administration départementale sur le travail des enfants au XIX e siècle…, op. cit., pp. 551-569.
522

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
1.1. La loi de 1841 et les commissions de surveillance du
travail des enfants
Avant la loi de 1874 l’organe chargé de l’inspection du travail est mal défini. L’article
10 de la loi de 1841 se borne à affirmer que « le gouvernement établira des inspections pour
surveiller et assurer l’exécution de la présente loi » sans donner de plus amples instructions.
Afin de pallier cette lacune, l’administration va mettre en place, sans consécration légale 2362 ,
des commissions bénévoles confiées à des notables et nommés par le préfet sur proposition du
conseil général.
Les membres de ces commissions sont censés pouvoir pénétrer dans les établissements
industriels tombant sous le coup de la loi et s’y faire présenter enfants et registres. En cas
d’infraction constatée un procès verbal, valant simple témoignage, pourra être dressé.
La faible valeur du constat d’inobservation de la loi ajoutée au manque de légitimité de la
commission elle-même mettent déjà en péril la bonne application du texte législatif. La
gratuité de l’inspection la condamne presque irrémédiablement à rester lettre morte, d’autant
plus que cette caractéristique impose le choix d’élites aux affinités nombreuses avec les
entrepreneurs locaux.
Les départements de l’ancienne province du Poitou comptent quelques-unes de ces
commissions mises en place là où l’administration préfectorale est obligée d’en établir, c'est-
à-dire dans les zones considérées un tant soit peu industrialisées.
Dès 1841 deux organes de ce type sont mis en place dans le département de la Vendée, dans
les arrondissements de Bourbon-Vendée et dans celui de Fontenay-le-Comte. Dans
l’arrondissement fontenaisien, la commission semble avoir une activité encore plus éphémère
que sa consoeur qui, elle, parvient à fonctionner quelques années.
2362 Une circulaire du 25 mars 1841 émanant du ministre du Commerce Cunin-Gridaine conseille aux préfets de
mettre en place des commissions composées de notables locaux, et particulièrement d’anciens magistrats, d’élus,
ou d’ex-médecins et industriels.
523

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 55 : composition des commissions de surveillance du travail des enfants
en 1841 dans le département de la Vendée :
Arrondissement de Fontenay-le-Comte Arrondissement de Bourbon-Vendée
Nom Profession Domicile
Mosnay Maire
Barrion
Docteur en
médecine et
membre du
Conseil
d’arrondisse
Mouilleronen-Pareds
Date de
nomination
524
Nom Profession Domicile
Date de
nomination
11/10/1841 Blanchard Propriétaire Cugand 11/10/1841
11/10/1841 Daguet
Propriétaire
Ancien
maire
Ancien
fabricant
Cugand 11/10/1841
Chaigneau
ment
Maire de
Vouvant
11/10/1841 Breux
Officier de
santé
Cugand 11/10/1841
Bouilland Médecin 11/10/1841 Proud
Prêtre
desservant
Propriétaire
Docteur en
médecine
Cugand 11/10/1841
Arnault la
Fauconnière
Propriétaire 11/10/1841 Hulin
Membre du
conseil
d’arrondisse
ment de
Mortagne
Mortagne 11/10/1841
? Propriétaire 11/10/1841 Boutillier Propriétaire 11/10/1841
Brossard
Ancien juge
de paix
11/10/1841 Giraud
Ancien
notaire
11/10/1841
Bailly
Membre du
conseil
général
Payré-sur-
Vendée
11/10/1841
+ 1 autre membre
Pineau Médecin 11/10/1841 Sources : Arrêté ministériel de nomination des membres des
De Chantreau Ancien
sous-préfet
Faymoreau 11/10/1841 commissions de surveillance du travail des enfants du 11
octobre 1841, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les
industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ;
1847]
Dans la Vienne deux commissions sont également mises en place dès 1841 dans les
deux seuls arrondissements où se trouvent des établissements industriels concernés par la loi
Dans un premier la Chambre consultative du commerce de Poitiers estime pourtant qu’une
seule serait suffisante.
En 1859, deux commissions existent également dans les Deux-Sèvres, la première
chargée de l’arrondissement de Niort, la seconde de celui de Parthenay 2363 . La majorité de
leurs membres respectifs sont nommés le 9 septembre 1853. Aucune autre ne l’est avant cette
date. Soit le préfet met en place pour la première fois de telles commissions sous l’impulsion
2363 Une troisième commission éphémère aurait existé à Melle, cf. MARTIN (Jean Clément), Le travail des
enfants dans l’industrie des Deux-Sèvres…, op. cit., p. 450.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
de l’administration du second Empire, ce qui parait peu probable 2364 , soit les premières du
genre n’ont eu qu’une existence fugace, comme dans beaucoup d’autres départements, et, dès
lors, il est nécessaire de réorganiser totalement l’institution.
Tableau 56 : composition des commissions de surveillance du travail des enfants
en 1841 dans le département de la Vienne :
Arrondissement de Poitiers Arrondissement de Châtellerault
Nom
Bazire
Profession
Président du
Domicile
Date de
nomination
11/11/1841
Nom
Joanny
Profession
Président du
Domicile
Date de
nomination
11/11/1841
Justin Tribunal de
Tribunal de
commerce
commerce de
Nicolas
de Poitiers
Conseiller Biard 11/11/1841 De La
Châtellerault
Propriétaire 11/11/1841
auditeur à la
cour
Propriétaire
Massardière
Brossard Médecin 11/11/1841 Lerpinière Médecin
Membre du
conseil
général
11/11/1841
Bellot
Martineau
Maire
Maire
Vivonne
Béruges
11/11/1841
11/11/1841
Rissière Avocat 11/11/1841
D’après MORILLON (Laurence), op. cit., pp.21-22
Ces commissions sont composées de notables locaux où les propriétaires et les
médecins sont majoritaires. Les premiers constituent une part importante de l’élite locale. La
présence des seconds indique le caractère sanitaire que l’on donne à la loi de 1841. Dans
l’esprit des autorités le texte du 22 mars ne vise pas à réguler le travail mais à protéger la
santé des plus jeunes. Cette présence de médecins va faire pénétrer la notion d’hygiène à
l’intérieur des ateliers, préparant le futur champ d’action des inspecteurs du travail.
Les maires et les prêtres constituent les secondes catégories les plus représentées dans
l’institution. Ces deux personnalités emblématiques du bourg y jouissent d’une autorité
naturelle inhérente à leur fonction.
Cependant si on trouve des maires dans toutes les commissions, il en va autrement des
religieux. Pas de traces de ceux-là dans la Vienne. On leur préfère des membres du conseil
général ou du tribunal de commerce. En revanche ils sont nombreux dans la commission
niortaise dans laquelle ils représentent un quart des membres. Un arrondissement pourtant
2364 Toutefois les changements constants de préfets des Deux-Sèvres entre 1848 et 1852 (cf. PELCRAN (Anne),
op. cit., t.3) expliquent peut être cette absence de commission. L’un de ces fonctionnaires, Claude Green de
Saint-Marsault, une fois en place en Seine-et-Oise appliquera avec zèle la législation votée en 1841. A partir de
1854 il remanie les commissions locales qu’il juge trop conciliantes, cf. LECOMTE (Catherine), Contrôle de
l’administration départementale sur le travail des enfants au XIX e siècle..., op. cit., pp. 551-569.
525

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
moins catholique que celui de Parthenay ou que ceux de Vendée. Le faible nombre de prêtres
dans les commissions vendéennes peut étonner. Il traduit certainement la méfiance de
l’administration envers l’église catholique très – trop ? – influente dans les zones où
l’industrie s’est développée 2365 .
Tableau 57 : composition des commissions de surveillance du travail des enfants
en 1859 dans les Deux-Sèvres :
Arrondissement de Niort Arrondissement de Parthenay
Nom
Bazire
Frappier
(Eugène)
Profession
Médecin
Propriétaire
Domicile
Niort
Niort
Date de
nomination
09/09/1853
09/09/1853
Nom
Ganne
Albert
Profession
Propriétaire
Médecin
Domicile
Parthenay
Parthenay
Date de
nomination
09/09/1853
09/09/1853
Rabier
Proust
Prêtre
Aumônier
Niort
Niort
09/09/1853
09/09/1853
Ganne
Rivasseau
Médecin
Juge
Parthenay
Parthenay
09/09/1853
09/09/1853
Vincent- Banquier Saint- 09/09/1853 Cochard Archiprêtre Parthenay 09/09/1853
Carry
Maixent
Rondeau Médecin Saint-
Maixent
09/09/1853 Bonnain Médecin ? 09/09/1853
Dugué Prêtre Saint- 09/09/1853 Chevalier Maire La Chapelle 09/09/1853
(vice
Maixent
Saint
président de
la
commission)
Laurent
Jeudy Desservant Nanteuil 09/09/1853 Alix Notaire Secondigny 15/05/1857
Grenier Prêtre Mauzé 09/09/1853 Mougnier Médecin Secondigny 15/05/1857
Dubois Propriétaire Mauzé 09/09/1853 Redien
(?)
Maire Secondigny 15/05/1857
Cazé Percepteur Louvigné 15/05/1857
Berton Inspecteur Niort 25/01/1859
(secrétaire) des enfants
assistés
Chantala Inspecteur
d’académie
Niort 22/02/1859 Source : ADDS 11M19.5. Travail des enfants
Dalavault Conseiller Niort 11/12/1860
(président) de
préfecture
La compassion et le zèle des religieux peuvent déplaire aux industriels. Leur
nomination peut être de nature à « porter ombrage à l’industrie où à éveiller les justes
susceptibilité des chefs d’établissements » pour reprendre les instructions d’une circulaire
adressée aux préfets le 25 mars 1841 2366 . Ainsi en 1844, Daguet, membre de la commission de
l’arrondissement de La Roche-sur-Yon, ancien maire de Cugand et ex-fabricant, se plaint au
préfet de l’attitude trop diligente du curé local lors d’une visite d’inspection. Le ministre du
culte aurait eu une altercation avec l’industriel visité, avant de l’accabler dans un rapport
2365 Des zones où la Petite Eglise est également influente.
2366 GUIN (Yannick), Au cœur du libéralisme : la loi du 22 mars 1841..., op. cit., p.38.
526

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
occasionnant un procès – une rareté – pour violation de la loi de 1841, une initiative prise
contre l’avis des autres membres de la commission. Daguet exprime son mécontentement
dans plusieurs missives adressées au préfet de la Vendée. Il y somme le représentant de l’Etat
de remplacer l’ecclésiastique par un entrepreneur de la région, « pour le bien général de nos
beaux établissements », sous peine de la démission de tous les autres membres 2367 .
Figure 20 : répartition professionnelle des membres des commissions de
surveillance du travail des enfants mises en place après la loi du 22 mars 1841
dans des départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de Vendée (1841-1859):
Conseillers généraux ou
d'arrondissement
9%
Magistrats
7%
Médecins
20%
Maires
13%
527
Fonctionnaires
11%
Propriétaires
20%
Religieux
13%
Professions libérales autre
que médecin
7%
Sources : ADDS 11M19.5. Travail des enfants, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du
22 mars 1841 [1837 ; 1847] et MORILLON (Laurence), op. cit., pp.21-22.
L’activité de ces commissions est très faible. Cette mission quasi-philanthropique ne
peut pas occuper une grande place dans l’emploi du temps des notables commissionnés. Un
président du tribunal de commerce, un médecin, un banquier ou un inspecteur d’académie a
peu de temps à dédier à cette tâche. Les autres, maires, propriétaires ou retraités, semblent
avoir plus de temps à consacrer à cette mission. Dans un rapport de 1853 le maire de Vivonne
informe le préfet de la Vienne qu’il a dû se rendre seul à une inspection malgré la convocation
envoyée aux autres membres de la commission 2368 . Trois années auparavant le maire de
2367 Lettre de l’inspecteur Daguet de la commune de Cugand au préfet du 29 octobre 1844, ADVd 10M8. Travail
des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2368 MORILLON (Laurence), op. cit., p.23.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Cugand signale au préfet qu’un des membres a démissionné au prétexte qu’on lui demandait
trop souvent de procéder à des inspections 2369 . Quoiqu’il en soit les liens forts tissés
localement entre eux et les industriels les empêchent d’être réellement impartiaux 2370 .
Cette faiblesse des contrôles et l’absence de sanction s’expliquent partiellement par le
choix de membres peu concernés voire opposés au texte de loi. L’inspecteur de Cugand,
Daguet, est de ceux-là. D’abord en septembre 1841, il pose au préfet la condition d’une
application graduelle de la loi sous peine de refuser d’appartenir à la commission. Dans le
même courrier on apprend qu’il est « tous les jours [depuis 12 ans] dans les beaux
établissements de M. Cheguillaume et C ie », une des principales filatures de laine de
Cugand 2371 . Un gage d’impartialité !
Trois ans plus tard il ose louer la situation des enfants employés dans cette même
filature tout en attaquant l’établissement concurrent, coupable à ses yeux de moins bien traiter
ses jeunes travailleurs 2372 . Il prend soin de ne pas préciser que ce dernier établissement est
dirigé par le maire de la commune, et, accessoirement, son adversaire politique 2373 . Une
opposition de personnes qui explique certainement ce zèle soudain de la part du sieur Daguet.
En effet il est très critique envers les mesures éditées en 1841 qui, selon lui, sont
« préjudiciables à tous ces infortunés enfants travaillant dans les manufactures 2374 ». Il estime
qu’il est inutile d’envoyer les jeunes enfants à l’école car ils sont trop nombreux et que les
cours sont trop onéreux pour leurs parents. Il poursuit en affirmant que l’enfant ne travaillant
pas se livre « à toute sorte de tapinage(sic) » occasionnant un « désordre bien plus grand ».
La réduction du temps de travail réduit les salaires et pousserait les enfants à mendier 2375 .
Dans un autre rapport le même Daguet va jusqu’à demander au préfet de Vendée
l’autorisation de violer la loi ! Il aimerait que le représentant de l’Etat autorise les enfants de
2369 Rapport du 17 novembre 1850 du maire de Cugand au préfet de Vendée, ADVd 10M9.Travail des enfants
dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2370 Voir infra. Nombre d’individus refusent la proposition du préfet d’appartenir à la commission au prétexte
qu’ils sont trop intimes avec les industriels qu’ils devront surveiller, cf. ADVd 10M8. Travail des enfants dans
les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2371 Lettre du sieur Daguet au préfet de Vendée du 7 septembre 1841, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les
industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2372 Lettre du 26 janvier 1844, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22
mars 1841 [1837 ; 1847].
2373 Daguet est l’ancien maire de la commune.
2374 Rapport du 23 mars 1844, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22
mars 1841 [1837 ; 1847].
2375 L’enfant ouvrier laissé à lui-même et mendiant dans les rues est un lieu commun de la littérature de l’époque.
528

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
moins de douze ans à travailler douze heures par jour afin de gagner plus d’argent pour leurs
parents, « ce qui ne nuirait en rien au développement et à la force du corps [des enfants] 2376 ».
D’autres exemples illustrent cette opposition à la loi de la part de certains membres
des commissions. En 1845 un des inspecteurs refuse d’exprimer son avis à propos du travail
d’une dizaine d’enfants employés à la filature de Loge-Fougereuse en affirmant que « chacun
est admis à juger s’ils travaillent trop ». Il poursuit son exposé en affirmant que la confiance
qu’il a en l’entrepreneur dispense toute application de la loi 2377 . Un bien bel exemple de
contrôle probe et rigoureux !
Passées les dix premières années, la loi de 1841 devient lettre morte. Les commissions
ne se réunissent plus, les contrôles ne sont plus effectués. Les inspecteurs décédés ne sont pas
remplacés 2378 . Le manque de moyen est patent. Pourtant le préfet de Vendée continue
d’affirmer régulièrement au ministre de l’Agriculture et du Commerce que la commission de
Cugand « où se trouve le plus grand nombre des établissements manufacturiers du
département remplit sa mission avec zèle ». Une commission zélée car elle a le seul mérite
d’exister encore contrairement à celle Mortagne dissoute de fait, faute de membres 2379 .
En effet, nombre de commissions disparaissent corps et âmes dans les années 1850 2380 ,
malgré quelques tentatives de les réanimer ponctuellement comme en 1853 dans les Deux-
Sèvres. Les préfets de la fin du second Empire et ceux du début de la troisième République le
disent sans ambages. En Vendée le représentant de l’Etat constate que les commissions
d’inspection n’ont jamais fonctionné d’une façon régulière, 2381 et que les rares informations
qu’il possède lui sont fournies par les maires 2382 . Même constat chez son collègue des Deux-
2376 Rapport de la commission de Cugand du 22 mai 1845, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries.
Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847]. En réalité Daguet demande au préfet d’entériner un état de
fait : les enfants de moins de douze ans travaillent déjà douze heures par jour en 1844.
2377 Questionnaire du 30 décembre 1845 relatif à l’application de la loi du 22 mars 1841 : filature de Loge-
Fougereuse, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ;
1847].
2378 Rapport du 17 novembre 1850 du maire de Cugand au préfet de Vendée, ADVd 10M9.Travail des enfants
dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2379 Le préfet propose de reformer la commission avec quatre membres du conseil municipal, cf. rapport du
préfet en date du 28 octobre 1849 adressé au ministre de l’Agriculture et du commerce, ADVd 10M9.Travail des
enfants dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2380 Peut-être que des membres des commissions croient, comme dans le département du Tarn en 1849, que la
Révolution de 1848 a mis fin à leurs fonctions, CAZALS (Rémy), Les inspecteurs du travail dans le Tarn
jusqu’en 1914, in ROBERT (Jean-louis) (dir.), Inspecteurs et inspections du travail…,op. cit., p.104.
2381 Lettre du préfet du 26 juin 1867 au ministre de l’Agriculture et du commerce en réponse à une circulaire du
27 avril 1867 relative à l’application de la loi du 22 mars 1841, ADVd 10M9.Travail des enfants dans les
industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2382 Le préfet ajoute que ces commissions sont inutiles car « la population des fabriques et des usines est
naturellement paisible et n’a qu’à se louer de la conduite des patrons à son égard », Rapport du préfet au
529

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Sèvres en 1867 : celui-ci estime que les commissions du département n’ont pas fonctionné,
que l’exécution de la loi de 1841 est très difficile à mettre en œuvre dans les Deux-Sèvres car
elle « est envisagée comme une loi d’exception » n’inspirant « pas l’intérêt qu’elle
mérite » 2383 .
Si le régime d’inspection est modifié par un décret du 7 décembre 1868, attribuant
cette charge à l’ingénieur des Mines 2384 . Pour autant la mesure ne sonne pas le glas des
commissions locales qui réapparaissent en 1874.
1.2. La réorganisation inefficace des commissions locales
d’inspection
La loi du 19 mai 1874 instaure un système mixte mêlant fonctionnaires rémunérés et
commissions endogènes de notables bénévoles 2385 . Deux institutions dont les compétences
hiérarchiques et territoriales sont concurrentes.
Le législateur plutôt conservateur des débuts de la III e République n’a pas voulu ou
n’a pas osé aller au bout du processus de réformation de la protection des travailleurs
vulnérables. Il a conservé les acteurs politiques ou économiques locaux dans le nouveau
modèle destiné à faire appliquer la protection des enfants et des filles mineurs. On veut
ménager les susceptibilités des élites car la société n’est pas encore prête à la seule
intervention d’agents étatiques dans le monde du travail.
Ces commissions doivent être créées de préférence dans chaque arrondissement, voire
dans des zones géographiques moins étendues comme un bassin industriel important 2386 . Elles
sont composées de cinq à sept personnes, plus ou moins compétentes 2387 , nommées par le
préfet à partir de listes arrêtées par les conseils généraux. Signe que l’on veut concilier à la
fois les pouvoirs centraux et locaux.
ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics du 24 juin 1865, ADVd 10M1. Exécution des lois
du régime industriel. Rapports. Etats statistiques des livrets d’ouvriers [1851 ; 1888].
2383
Rapport du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Agriculture et du commerce du 20 mars 1867, ADDS
11M19.5. Travail des enfants.
2384
Les inspecteurs de l’enseignement jouent également un rôle en la matière.
2385
La loi de 1874 met également en place une Commission supérieure destinée à veiller à l’application
uniforme de la loi et à dresser les listes de candidats au poste d’inspecteur divisionnaire.
2386
Ce sont les conseils généraux qui déterminent le nombre et la localisation des commissions.
2387
Ces commissions doivent comporter autant que possible un ingénieur de l’Etat, un inspecteur de l’instruction
primaire et un ingénieur des mines quant il s’agit d’une région primaire.
530

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Ces notables, pour la plupart, doivent veiller à la bonne exécution de la loi, en fournissant
leurs rapports et leurs réflexions directement à la préfecture et également aider les inspecteurs
en leur indiquant les établissements à visiter en priorité. Pour mener à bien leur tâche les
commissionnaires disposent d’un droit de visite des ateliers concurrent de celui des
inspecteurs. Leur rôle est avant tout de nature « morale », mal défini juridiquement et
disposant de peu de moyens de contrainte. La bonne marche de l’institution ne dépend que de
la rigueur, des compétences et du bon vouloir de ses membres.
Tableau 58 : composition professionnelle des commissions locales vendéennes
chargées de l’inspection du travail des enfants mineurs et des filles mineures dans
l’industrie au 3 janvier 1885 :
Circonscriptions Professions
Conseiller général, sénateur & professeur
Arrondissement de La Roche-sur-Yon
(excepté le canton de Mortagne)
Canton de Mortagne
Arrondissement de Fontenay-le-Comte
Arrondissement des Sables-d'Olonne
(exceptés les cantons de Saint-Gilles et de
l’Ile-d’Yeu)
Canton de Saint-Gilles
Canton de l’Ile-d’Yeu
Curé de Cugand
Inspecteur primaire de l’arrondissement de La Roche-sur-Yon
531
Maire de Montaigu
Ingénieur ordinaire des Mines de La Roche-sur-Yon
Conseiller général, député et médecin
Un maire
(démissionnaire : à remplacer)
Un curé
Un maire
Inspecteur primaire de l’arrondissement de La Roche-sur-Yon
Ingénieur ordinaire de La Roche-sur-Yon
Ingénieur ordinaire des Mines de Fontenay-le-Comte
Principal du collège de Fontenay-le-Comte
Docteur en médecine
Propriétaire, ex président de la Société de secours mutuel de
Fontenay-le-Comte
Négociant à Fontenay-le-Comte
Conseiller général
Architecte
Maire des Sables-d'Olonne
(démissionnaire : à remplacer)
L’ingénieur des Ponts et Chaussées
Inspecteur primaire
Le curé de la Chaume
Médecin
Le maire de Croix de Vie
Le curé de Croix de vie
Ingénieur ordinaire
Inspecteur primaire
Le juge de paix
Maire de l’Ile d’Yeu
Curé de Joinville
Conducteur des ponts et chaussées
Un juge de paix
?
Source : ADVd 10M11. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 ; commissions
locales [1874 ; 1885].

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
La loi de 1874 provoque la création d’un nombre important de commissions dans deux
des trois départements poitevins. Seule la Vienne fait exception. Une seule y est créée
localisée à Poitiers. Dans le département de la Vendée on en compte six : deux dans
l’arrondissement de La Roche-sur-Yon, une dans celui de Fontenay-le-Comte et trois dans la
circonscription des Sables-d'Olonne. Leurs membres sont nommés en 1880, soit six longues
années après la promulgation de loi. Ces commissions sont réparties en fonction des zones
d’activités industrielles et de la présence d’enfants et de femmes au travail, comme c’est le
cas dans les conserveries de la côte atlantique. Quant au département des Deux-Sèvres, il en
compte cinq correspondant à chacun des arrondissements. Celui de Niort est divisé en deux :
d’un côté le chef-lieu, de l’autre la région de Saint-Maixent. Ici, contrairement à celles de
Vendée, les commissions semblent avoir été constituées et leurs membres nommés dès 1875.
Les membres de ces nouvelles commissions ne sont plus issus du même milieu que
leurs prédécesseurs occupant une fonction identique lors des décennies antérieures. Le notable
local, propriétaire ou exerçant une profession libérale, n’est plus majoritaire. Ces
personnalités ls ne représentent que 11% des 74 individus recensés appartenant à ces
commissions dans les départements des Deux-Sèvres et de la Vendée. De même plus aucun
conseiller général n’y est nommé.
L’institution est dominée par les membres de l’administration. Cette présence
constitue certainement, aux yeux du gouvernement, le gage d’une meilleure application de la
loi par des agents oeuvrant déjà pour l’Etat, un choix destiné à diminuer le poids des
connivences locales.
Cependant cette prédominance administrative à l’intérieur des commissions n’est pas
exempte de défauts. Les individus qui la composent ont peu de temps à consacrer à cette
nouvelle tâche qu’elles ont été contraintes d’accepter 2388 . De plus certaines d’entre elles
appartiennent à plusieurs commissions comme l’illustrent les exemples de l’inspecteur
primaire ou l’ingénieur ordinaire des Mines de La Roche-sur-Yon. En 1877, l’inspecteur
divisionnaire Blaise stigmatise l’absentéisme au sein de la commission de Saint-Maixent dû
2388 C’est le cas de l’ingénieur des mines qui refuse la fonction le 11 mars 1875 mais dont la présence est attestée
dans la commission de Niort en 1882, cf. ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
532

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
au fait que tous ses membres 2389 sont des fonctionnaires établis à Niort. Un éloignement
géographique expliquant, selon lui, qu’ils ne répondent jamais aux convocations 2390 .
Circonscriptions
Commission de Niort
(les deux cantons de
Niort et ceux de
Coulonges, Frontenay,
Mauzé et Beauvoir)
Commission de Saint-
Maixent
(les deux cantons de
Saint-Maixent et ceux
de Champdeniers et
Prahecq)
Commission de
Bressuire
Tableau 59 : composition professionnelle des commissions locales chargées de
l’inspection du travail des enfants mineurs et des filles mineures dans l’industrie
en 1875, 1882 et 1884 dans les Deux-Sèvres :
1875
Professions des membres
1882 1884
Inspecteur d’académie
Inspecteur d’académie
Agent voyer de l’arrondissement
Ingénieur en chef des Ponts et chaussées
Ingénieur ordinaire des mines de la région
(il s’excusera par la suite)
Maire de Niort
Inspecteur des enfants assistés
Maire de Saint-Laurs
Ingénieur ordinaire des Pont et chaussées de
l’arrondissement sud à Niort
Inspecteur de l’enseignement primaire à
Niort
Le maire de Saint-Maixent
(il refusera par la suite)
Garran de Balran (?), conseiller général
(il refusera par la suite)
533
Ingénieur en chef du service de
navigation
Ingénieur en chef des Ponts et chaussées
Ingénieur ordinaire des mines de la
région
Maire de Niort
Inspecteur des enfants assistés
Maire de Frontenay-Rohan-Rohan
(remplace le maire de Saint-Laurs qui a
refusé)
Ingénieur ordinaire des Ponts et
chaussées de l’arrondissement sud à
Niort
Inspecteur de l’enseignement primaire à
Niort
Maire de Saint-Maixent
Agent voyer de l’arrondissement
Sous-inspecteur des enfants assistés. Sous-inspecteur des enfants assistés
Conducteur des Pont et chaussées à
Bressuire
Inspecteur de l’enseignement primaire à
Bressuire
Conducteur des Pont et chaussées à
Bressuire
Inspecteur de l’enseignement primaire à
Bressuire
Juge de paix à Bressuire Le maire de Bressuire
Delisle, conseiller général
Maire d’Argenton-Château
Descharneaux, ex-contrôleur des
contributions directes à Bressuire
Inspecteur de l’enseignement primaire à
Melle
Propriétaire
Maire de Thouars
Agent voyer d’arrondissement
Conducteur des Ponts et chaussées
2389 Exception faite du maire de Saint-Maixent.
2390 Rapport du commissaire divisionnaire Blaise de mai 1877, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le
travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 10 e circonscription.

Commission de Melle
Commission de
Parthenay
Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Notaire
Minotier à Chef-Boutonne
534
Inspecteur primaire
Maire de Melle
Ingénieur ordinaire de l’arrondissement nord Maire de la Mothe-Saint-Héray
à Parthenay Maire de Sauzé-Vaussais
Inspecteur de l’enseignement primaire à
Parthenay
Paul Taudière, maire de Parthenay
Maire de Largeasse
Bonnet, ancien négociant
(il refusera car il vit désormais à La
Rochelle)
Inspecteur de l’enseignement primaire à
Parthenay
Agent voyer d’arrondissement
Ingénieur ordinaire des Ponts et
chaussées
Maire de Mazières
Maire de Saint-Loup
Maire de Thénezay
Inspecteur de
l’enseignement
primaire à
Parthenay
Premier adjoint au
maire de Parthenay
Ingénieur ordinaire
des Ponts et
chaussées
Maire de
Secondigny
Propriétaire de
Parthenay
Sources : Arrêtés préfectoraux du 22 février 1875 et du 6 juin 1882, ADDS 11M19.5. Travail des enfants et AN F12/4752.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
Une solution originale est retenue par la préfecture afin de pallier l’absentéisme et
l’inefficacité des commissions d’inspections. Le représentant de l’Etat fait appel massivement
aux maires des contrées industrielles, en particulier ceux des chefs-lieux de canton. En 1882
trois maires intègrent simultanément la commission de Melle en remplacement de notables
locaux pour remédier à leur inefficience. En 1875 le préfet des Deux-Sèvres tente à maintes
reprises de forcer la main des maire de Parthenay et de Champdeniers afin qu’ils intègrent les
organes locaux d’inspection, en vain 2391 .
2391 Le préfet estime normal que le maire de Parthenay intègre la commission de l’arrondissement eu égard à la
présence d’industries en ville, Courrier du 20 mars 1875, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Figure 21 : situations professionnelles de 74 membres des commissions
d’inspection du travail des enfants et des filles mineures mises en place après la
loi du 19 mai 1874 dans des départements des Deux-Sèvres, de la Vendée :
Titulaire d'un mandat électif
local ou national
7%
Magistrats
7%
Maires
26%
Enseignants
Commerçants
4%
Médecins
4%
3% Propriétaires
4%
535
Religieux
5%
Professions libérales autre
que médecin
3%
Membres de l'administration
37%
Sources : ADVd 10M11. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 ; commissions locales
[1874 ; 1885], ADDS 11M19.5. Travail des enfants et AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants
et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e
circonscription.
Mais le choix des maires est loin d’être la panacée. Leur fonction leur impose d’avoir
des relations étroites avec les industriels locaux dont ils doivent ménager les susceptibilités.
Les accointances ne sont pas rares. Le jeu politique local impose d’obtenir le soutien des
notables locaux, particulièrement depuis la loi de 1884 modifiant les conditions d’élection du
premier magistrat de la ville. Autant de raisons qui font que les maires ont bien souvent les
mains liées en matière d’application des lois du travail.
Les nouvelles commissions vont à nouveau se caractériser par leur inefficacité,
provoquée par un sentiment d’inutilité. Nombre de rapports et de courriers s’en font l’écho,
qu’ils émanent de l’administration préfectorale, du ministère du Commerce ou des inspecteurs
divisionnaires du travail en charge des départements poitevins.
Certaines commissions n’existent plus dans les faits faute de membre. En mai 1878 le
sous-préfet des Sables-d’Olonne découvre que les commissions instituées dans le département
portant sur le travail des enfants « fonctionnent irrégulièrement et que plusieurs des membres

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
qui les composent sont décédés ou ont quitté le département » 2392 . D’autres commissions sont
constituées sans jamais avoir d’activité réelle. Le sous-préfet des Sables-d’Olonne en fait
l’amer constat en décembre 1875 :
« Il résulte de ces documents [rapports des commissions] que la
commission de l’Ile d’Yeu a seule fonctionné, que celle des Sables
s’est bornée jusqu’à ce jour à constituer son bureau et que celle de
Croix de Vie n’a pas donné signe de vie. Cela est d’autant plus
regrettable que la loi du 19 mai 1874 répond à un besoin réel dans
ce pays. En effet, pendant l’été les classes sont vides, surtout les
classes des filles, et l’instruction des enfants à fort à souffrir de cet
état de chose 2393 ».
Même remarque à Melle où la commission d’inspection du travail est jugée superflue par le
sous-préfet à cause de la rareté des fabriques employant des enfants dans l’arrondissement 2394 .
Quelques mois plus tard il tente vainement de réunir les membres de l’organe de contrôle.
Mais leur nombre est insuffisant pour qu’ils puissent délibérer 2395 .
Ces constats d’insuffisance concernent tout autant les arrondissements
industriellement plus développés. Les inspecteurs divisionnaires du travail s’en émeuvent
auprès du ministère. L’inspecteur Blaise se lamente auprès du préfet des Deux-Sèvres du
« manque absolu des commissions locales 2396 » ou bien qu’elles soient « restées dans le
domaine de la théorie sans jamais entrer dans celui de la pratique 2397 ». « Les commissions
locales continuent de ne donner aucun signe d’existence » se plaint l’inspecteur Landois au
quatrième trimestre 1883 en parlant de l’ensemble de la 10 e circonscription 2398 . Un an
auparavant le même fonctionnaire demandait la création desdites commissions faute de
2392 Lettre au préfet de Vendée du 22 mai 1878, ADVd 10M11. Travail des enfants dans les industries : exécution
de la loi du 19 mai 1874 ; commissions locales [1874 ; 1885].
2393 Courrier du 30 décembre 1875 du sous-préfet des Sables-d'Olonne au préfet de Vendée, ADVd 10M11.
Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 ; commissions locales [1874 ; 1885].
2394 Le sous-préfet de Melle au préfet des Deux-Sèvres du 4 avril 1876 en réponse à une missive du ministère de
l’Agriculture et du commerce, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2395 Lettre du sous-préfet de Melle du 12 décembre 1876, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2396 Lettre de l’inspecteur divisionnaire Blaise au préfet des Deux-Sèvres du 4 juillet 1878, ADDS 11M19.5.
Travail des enfants.
2397 Lettre de l’inspecteur divisionnaire du travail au préfet des Deux-Sèvres du 18 décembre 1880, ADDS
11M19.5. Travail des enfants.
2398 Analyse du rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois par le ministère du Commerce au 4 e trimestre 1883,
AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription. A cette époque cette
circonscription comporte les trois départements poitevins.
536

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
nominations d’inspecteurs départementaux afin d’obtenir de l’aide dans sa tâche ardue 2399 .
Cette absence perdure jusqu’en 1892, année où l’inspecteur divisionnaire de la 13 e
circonscription, comprenant la Vienne et les Deux-Sèvres, affirme à nouveau et sans
ambages que « les commissions locales ne fonctionnent pas » 2400 .
L’activité est exercée à titre gratuit, néanmoins les conseils généraux doivent la
défrayer. Mais les sommes sont dérisoires. Dans la Vienne le montant s’élève à 150 francs par
commission 2401 . Pire encore un arrêté préfectoral de septembre 1882 ne débloque qu’un crédit
de 120 francs pour payer l’ensemble des dépenses des six commissions 2402 .
Inutiles et bien peu efficaces dans la région les commissions locales sont remplacées
en 1892 par des commissions départementales du travail au rôle et aux compétences
totalement redéfinis, abandonnant leur fonction de contrôle au profit d’une mission de conseil.
1.3. Les commissions départementales consultatives
L’article 24 de la loi du 2 novembre 1892 met en place des commissions
départementales chargées « de présenter, sur l’exécution de la loi et les améliorations dont
elle serait susceptible, des rapports transmis au ministre et communiqué à la commission
supérieure 2403 ». C’est là un organe de dialogue entre le monde du travail et l’administration.
Ces institutions doivent être mises en place dans chaque département 2404 par le conseil
général. Sont membres de droit, à l’intérieur de leurs propres circonscriptions, les inspecteurs
divisionnaires et départementaux, les président et vice-président du conseil des prud’hommes
du chef-lieu ou du principal centre industriel du département ainsi que l’ingénieur des Mines.
2399 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois du 11 décembre 1882, AN F12/4746. Application de la loi de
1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2400 Rapport de l’inspecteur divisionnaire du 9 octobre 1892 au ministre du Commerce et de l’Industrie, AN
F12/4753. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2401 Lettre du 1 er octobre 1878 du préfet de la Vienne à l’inspecteur divisionnaire Blaise à Limoges. La même
somme est votée par le conseil général en 1884 comme en 1885, AN F12/4752. Application de la loi de 1874
sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2402 Arrêté préfectoral du 26 septembre 1882, ADVd 10M11. Travail des enfants dans les industries : exécution
de la loi du 19 mai 1874 ; commissions locales [1874 ; 1885].
2403 Article 24 de la loi du 2 novembre 1892. La commission supérieure (art. 22) est chargée de veiller à
l’application de la loi, d’émettre des avis sur d’éventuelles modifications et de fixer les conditions d’accès au
concours d’inspecteur divisionnaire du travail.
2404 Il peut y en avoir plusieurs par département selon l’importance des centres industriels.
537

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Des comités de patronage sont aussi institués afin de veiller spécialement à la protection des
apprentis et des enfants employés dans l’industrie tout en s’assurant du développement de leur
instruction professionnelle 2405 .
Outre le caractère uniquement consultatif de ces commissions, la principale nouveauté
réside dans leur composition. Le nouveau texte de loi est l’occasion pour l’ouvrier 2406 de faire
son apparition dans la sphère chargée d’appliquer le droit du travail aux côtés des
fonctionnaires et des notables locaux.
Cependant ces nouveaux organes mettent du temps avant de devenir une réalité dans le
Poitou. Les commissions départementales du travail se constituent tardivement – en 1895
dans la Vienne et les Deux-Sèvres, en 1896 en Vendée 2407 – en réaction à une circulaire
ministérielle enjoignant aux conseils généraux de les mettre en place 2408 . Une fois mises en
place elles ne se réunissent pas pour autant dans les années suivantes comme dans beaucoup
d’autres régions de France. En 1899 le préfet de Vendée juge même ces commissions inutiles
dans un département où, selon lui, « les inspecteurs du travail peuvent suffire à assurer
l’exécution des règlements 2409 ».
Les premières commissions ressemblent à leurs devancières issues de la loi de 1874.
Les conseils généraux privilégient leurs membres à côté des membres de droit que le
législateur impose. Les ouvriers n’y sont pas encore représentés.
L’exemple vendéen est frappant. La composition de la commission départementale
avant 1900 montre que les mentalités n’ont guère changé depuis 1841. Le conseil général n’a
pas mesuré l’évolution du droit du travail. Il en est resté à une conception philanthropique et
paternaliste. La présence de médecins et d’industriels l’atteste. On en est encore à des
considérations purement hygiénistes. Les conseillers ne pensent qu’à sauvegarder alors que
2405 Article 25 de la loi du 2 novembre 1892.
2406 Les conseils généraux confient très souvent cette tâche aux syndicalistes, cf. VIET (Vincent), Les voltigeurs
de la République…, op. cit., pp.328-329 et CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-
Charentes (1884-1914), op. cit., p.779 et s. La pratique veut qu’un ouvrier soit présent soit en tant que président
du Conseil des prud’hommes soit en tant que vice-président, voir BOUVERESSE (Jacques), Des élections
malgré tout : l’histoire mouvementée des conseils de prud’hommes, in KRYNEN (Jacques) (dir.), L’élection des
juges. Etude historique française et contemporaine, Paris, 1999, pp.165 à 221.
2407 Lettre du préfet de Vendée au ministre du Commerce et de l’Industrie du 21 octobre 1897, ADVd 10M13.
Travail des femmes et des enfants dans l’industrie. Exécution de la loi du 2 novembre 1892 : commission
départementale du travail et comité de patronage [1893 ; 1938].
2408 Circulaire du ministère du Commerce et de l’Industrie du 14 novembre 1895.
2409 Courrier du préfet de Vendée au ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes de
février 1899, ADVd 10M13. Travail des femmes et des enfants dans l’industrie. Exécution de la loi du 2
novembre 1892 : commission départementale du travail et comité de patronage [1893 ; 1938].
538

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
les temps sont à l’amélioration de la condition ouvrière dans son ensemble. Le droit a succédé
à la morale ici aussi.
En sus on peut s’étonner de la présence parmi ces derniers du chapelier de Fontenay-
le-Comte Gandriau. Ce chef d’établissement a déjà subi par le passé les foudres et le courroux
des inspecteurs du travail pour son inertie caractérisée à faire respecter les dispositions légales
du texte de 1874 2410 . La collusion des élites aux dépens des travailleurs reste une réalité même
si elle est moins flagrante que par le passé. Les commissions sont encore considérées comme
« la chose » des conseils généraux, un moyen pour les industriels et leurs proches de noyauter
l’inspection du travail et de calmer ses ardeurs 2411 .
Tableau 60 : composition de la commission départementale du travail en Vendée
en 1896 :
Membres de droit
Membres nommés par le
conseil général
6 élus
2 médecins
3 industriels
Nom Profession
Lieu de
résidence
Liénard Ingénieur des Mines Angers
Giroud
Inspecteur divisionnaire du travail dans
l’industrie
Nantes
Valant
Inspecteur départemental du travail dans
Nantes
539
l’industrie
Bourgeois Conseiller général La Verrerie
Deshaye Conseiller général Luçon
Bourmaud Conseiller général les Moutiers
Guillemé Maire de La Roche-sur-Yon
Leroy
Alexis
Angeard
La Roche-sur-
Yon
Conseiller d’arrondissement Challans
Médecin
Audé Médecin
Gandriau Industriel (chapellerie)
Fonteneau
Industriel
Mareuil
Fontenay-le-
Comte
Fontenay-le-
Comte
Mallièvre
Giret Industriel et maire des Sables
Les Sablesd’Olonne
Lasne (?) Ingénieur en chef des Ponts et chaussées
La Roche-sur-
Yon
Le Balle Inspecteur d’académie
La Roche-sur-
Yon
Péquin Président de la chambre de commerce Cugand
Source : AN F22/ 472. Travail des femmes et des enfants. Commission départementale du travail. Deux-Sèvres, Vendée,
Vienne (1872-1938).
2410 AN F12/4746 et 4747. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848
sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2411 Cf. VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., pp.82-83.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
La nomination d’Alexandre Millerand au ministère du Commerce en 1899 relance
l’institution dont il attribue l’échec à l’absence dans ses rangs de représentants ouvriers 2412 .
Les assemblées départementales lui répondent favorablement. Dans la Vienne, le conseil
général choisit deux représentants, un patron et un ouvrier, pour chacun des Conseils des
prud’hommes de Poitiers et de Châtellerault auxquels s’ajoutent deux représentants désignés
par les syndicats de ces villes 2413 . En Vendée des dirigeants de chambres syndicales des
secteurs du bâtiment, du livre, des mines et du textile entrent dans la commission
départementale, aux dépens des industriels 2414 .
Tableau 61 : membres ouvriers de la commission départementale du travail en
Vendée nommés en 1900 :
Nom Organisation syndicale Localité
Boureau (typographe) Président de l’union des travailleurs du livre La Roche-sur-
Yon
Ferdinand Chauvin Vice président de la chambre syndicale des La Roche-surouvriers
du bâtiment du canton de La Roche-sur-
Yon
Yon
Pierre Barbin Président de la chambre syndicale des ouvriers
mineurs
Thomas Louis Président de la chambre syndicale des ouvriers
tisserands et parties similaires
540
Date de
nomination
Avril 1900
Avril 1900
Faymoreau Avril 1900
Saint-Laurentsur-Sèvre
Avril 1900
Source : AN F12/4746 et 4747. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
Dans le Poitou cette réorganisation n’entraîne pas pour autant un sursaut d’activité.
Une fois le bureau constitué en 1900 les commissions des Deux-Sèvres et de la Vienne ne se
réunissent plus avant 1903. Les conseils généraux ont peu d’intérêt pour cette institution dans
laquelle ils doivent voir avant tout une charge financière de plus grevant le budget
départemental. Entre 1900 et 1903 le nombre de conseillers généraux dans la commission de
la Vienne est passé de six à deux. L’un d’entre eux est même absent lors de la seule réunion
ayant eu lieu en trois ans.
2412 Circulaire du 17 août 1899 « relative à l’organisation des commissions départementale ».
2413 ADV M12-150. Commission départementale du travail 1905-1922.
2414 Rapport de la commission départementale du travail au préfet de Vendée (session d’août 1905), ADVd
10M13. Travail des femmes et des enfants dans l’industrie. Exécution de la loi du 2 novembre 1892 :
commission départementale du travail et comité de patronage [1893 ; 1938].

Membres
nommés
Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 62 : composition de la commission départementale du travail de la
Vienne en 1900 :
Membres de droit
Conseil des
prud’hommes
Mai 1900
Nom Fonction
Contrôleur des Mines
Inspecteur divisionnaire du travail
Inspecteur départemental du travail
Président du conseil des prud’hommes de Poitiers
Vice président du conseil des prud’hommes de Poitiers
Bussereau Membre du conseil des prud’hommes de Châtellerault (patron)
Cassin Membre du conseil des prud’hommes de Châtellerault (ouvrier)
Vignault Membre du conseil des prud’hommes de Poitiers (patron)
(4) Guillon Membre du conseil des prud’hommes de Poitiers (ouvrier)
Représentants
syndicaux
(4) Poirier
Elus
(6)
Berthès Représentant du syndicat du bâtiment de Poitiers
Carillon Représentant du syndicat de l’imprimerie de Poitiers
Abenoist Représentant du syndicat ouvrier de l’Union amicale de Châtellerault
Représentant de la Chambre syndicale des ouvriers et employés libres de
la manufacture d’armes de Châtellerault
6 conseillers généraux
Source : Arrêté préfectoral du 7 mai 1900 portant nomination des membres de la commission départementale du travail, AN F12/4746 et
4747. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
Toutefois les réunions sont légèrement plus nombreuses et régulières à partir de 1903. On vise
au minimum une périodicité annuelle. La commission de la Vienne fonctionne régulièrement
jusqu’en 1906 avant de cesser ses activités sept années, jusqu’en 1913.
Le rôle octroyé aux commissions est purement consultatif. Plus aucun droit de visite
ne leur est concédé. Elles sont chargées d’émettre des vœux et des observations transmis au
ministre du Commerce et de l’Industrie puis communiqués à la Commission supérieure,
organe également instaurée par la loi de 1892 2415 . Elles participent ainsi à l’effort étatique
visant à améliorer et à développer le droit du travail, tout en ménageant les susceptibilités des
élus auxquels l’inspection du travail échappe désormais.
Le temps de travail constitue son principal cheval de bataille : volonté d’élargissement
des prérogatives de la commission à tous les textes législatifs propres au travail, extension du
domaine d’application de la loi du 30 mars 1900, semaine anglaise 2416 .
2415
La Commission supérieure doit réfléchir à l’harmonisation et à l’organisation des lois du travail présentes et
à venir.
2416
Voir la séance de la commission départementale du travail de Vendée du 15 mars 1913, ADVd 10M13.
Travail des femmes et des enfants dans l’industrie. Exécution de la loi du 2 novembre 1892 : commission
départementale du travail et comité de patronage [1893 ; 1938].
541

Membres
nommés
Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 63 : composition de la commission départementale du travail de la
Vienne en 1903 :
Membres de droit
Administration
préfectorale
(1)
Elus
(2)
Conseil des
prud’hommes
(6)
Représentants
syndicaux et
ouvriers
(8)
Novembre 1903
Nom Fonction
Ravaudet
Contrôleur des Mines
Despaux Inspecteur divisionnaire du travail
Aubertie
Inspecteur départemental du travail
Vignaud
Prévost
Trigand-
Geneste
Richard
Iszenar
(absent)
Leclerc
Président du conseil des prud’hommes de Poitiers (patron)
Vice-président du conseil des prud’hommes de Poitiers
Secrétaire général de la préfecture
Conseiller général
Conseiller général
Délégué du conseil des prud’hommes de Poitiers (un patron)
Deschamps Délégué du conseil des prud’hommes de Poitiers (un patron)
Thébault
Délégué du conseil des prud’hommes de Châtellerault
Lambert
Délégué du conseil des prud’hommes de Châtellerault
Carillon Représentant du syndicat de l’imprimerie de Poitiers
Berthes Représentant du syndicat du bâtiment de Poitiers
Limousin Membre ouvrier (Poitiers)
Degeune Membre ouvrier (Poitiers)
Thilloy Membre ouvrier (Châtellerault)
Abenoist Représentant du syndicat ouvrier de l’Union amicale de Châtellerault
Poirier
Représentant de la Chambre syndicale des ouvriers et employés
libres de la manufacture d’armes de Châtellerault
Gillet Membre ouvrier (Châtellerault)
Source : Procès verbal de la réunion de la commission départementale du travail du 21 novembre 1903 à la préfecture de la
Vienne, AN F12/4746 et 4747. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
A la commission des Deux-Sèvres les thèses libérales prédominent aux dépens des
inspirations ouvrières 2417 . Ses membres ne remettent pas en cause la loi de 1900 mais
cherchent à en limiter la portée par une généralisation des dérogations. Il en va différemment
dans la commission du département de la Vienne où les représentants ouvriers sont nombreux
et influents à partir de 1903, date de la réactivation de l’institution. On y retrouve les
personnalités ouvrières de la région, syndicales et politiques, à l’exemple de Berthes ou de
Limousin 2418 , des leaders à la personnalité marquée qui imposent nombre de leurs vues à la
commission. Le procès verbal de la séance du 21 novembre 1903 illustre bien cette
2417 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.783.
2418 Voir supra p.248 et s.
542

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
prédominance 2419 . Les membres ouvriers mènent les débats et font accepter un grand nombres
de leurs propositions 2420 .
A ces commissions départementales s’ajoutent des comités de patronage dont
l’influence n’a guère marqué la région. Leur mission de sensibilisation de la jeunesse aux
questions morales, d’hygiène, d’épargne ou de sécurité au travail n’est pas menée avec zèle et
efficacité. Les rapports du préfet de Vendée adressés au ministère chaque année
témoignent 2421 de la disparition des six comités de ce type créés dans le département 2422 . Le
représentant de l’Etat impute cet échec au faible degré d’industrialisation du département qui
n’est pas favorable à une vraie prise de conscience en la matière 2423 .
Dans la Vienne deux comités naissent à Poitiers et à Châtellerault en 1893. Ils comportent
sept membres, cinq nommés par le conseil général et deux par le conseil des prud’hommes.
Toutefois en 1899 ils ne se sont toujours pas réunis 2424 .
L’impéritie des commissions, associée le plus souvent à l’absence d’inspecteurs
départementaux, laisse l’inspecteur divisionnaire bien isolé comme seule incarnation du droit
du travail.
2. De la solitude de l’inspecteur du travail
La fonction d’inspecteur du travail est la création essentielle de la loi du 19 mai 1874.
Quinze inspecteurs divisionnaires rémunérés par l’Etat 2425 sont répartis dans autant de
2419 Procès verbal de la réunion de la commission départementale du travail du 21 novembre 1903 à la préfecture
de la Vienne, AN F22/ 472. Travail des femmes et des enfants. Commission départementale du travail. Deux-
Sèvres, Vendée, Vienne (1872-1938).
2420 La commission accepte l’extension des compétences de la commission départementale du travail à toutes les
questions concernant le travail et pas seulement la loi de 1892, la restriction des dérogations à la loi, la création
d’une commission permanente chargée d’élaborer des rapports et de préparer les décisions de la commission
départementale du travail, composée d’un conseiller général, de deux patrons, des ouvriers Limousin et
Degennes et de l’inspecteur départemental du travail.
2421 AN F22/ 472. Travail des femmes et des enfants. Commission départementale du travail. Deux-Sèvres,
Vendée, Vienne (1872-1938).
2422 Les comités de patronage correspondent aux zones géographiques des commissions du travail du
département de Vendée.
2423 Lettre du préfet de Vendée au ministre du Commerce et de l’Industrie du 21 octobre 1897, ADVd 10M13.
Travail des femmes et des enfants dans l’industrie. Exécution de la loi du 2 novembre 1892 : commission
départementale du travail et comité de patronage [1893 ; 1938].
2424 Rapport du préfet de la Vienne au ministère du Commerce et de l’Industrie du 28 février 1899, AN F22/ 472.
Travail des femmes et des enfants. Commission départementale du travail. Deux-Sèvres, Vendée, Vienne (1872-
1938.
2425 Ils sont nommés par le gouvernement sur une liste dressée par la Commissions supérieure du travail.
543

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
circonscriptions sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et des préfets. Ils doivent diriger à
leur tour des inspecteurs départementaux choisis et rétribués par les conseils généraux.
Cependant ce n’est pas la loi de 1874 qui met fin au contrôle collégial, un décret du 7
décembre 1868 confie déjà cette mission aux ingénieurs des Mines. La nécessité de confier
cette tâche à des agents exogènes au milieu industriel se fait sentir afin de redonner un
semblant d’efficacité à la loi de 1841.
Cette réorganisation redynamise quelque peu une inspection moribonde 2426 . Dans un
premier temps les rapports des ingénieurs chargés du département des Deux-Sèvres sont
« détaillés, précis, ils envisagent toutes les activités des enfants, cherchent à décrire les
entreprises et le travail qui s’y effectue 2427 ». Cependant ce zèle, réel ou supposé, ne dure
qu’un temps et ne va jamais au-delà de la simple statistique. Les rapports se bornent le plus
souvent à établir des listes de travailleurs, classés par catégories d’âge, des établissements
industriels tombant sous le coup de la loi de 1841 2428 . Les enfants travaillant en usine sont
recensés, les infractions, le plus souvent formelles, sont constatées mais aucun industriel
fautif n’est châtié. On se borne à l’avertir. En février 1871, l’inspecteur des Mines d’Angers
affirme même qu’« il n’existe nulle part d’abus ayant un caractère blâmable 2429 » afin de
justifier l’absence de sanction. Dans le même temps les instances préfectorales se satisfont
très bien de l’action des ingénieurs des Mines en matière de travail des enfants. Le préfet de
Vendée suggère seulement au ministre la nécessité de lui adjoindre du personnel afin de le
seconder dans sa mission 2430 , une doléance qui ne trouvera aucun écho en 1874.
2.1. L’absence d’inspection départementale
La loi de 1874 crée pour toute la France quinze inspecteurs divisionnaires chargés de
contrôler sa bonne application. Un nombre très peu élevé quand on connaît l’ampleur du
2426
Le préfet des Deux-Sèvres va même jusqu’à estimer que le décret du 18 décembre 1868 dissout les
commissions locales d’inspection alors que le texte ne les supprime pas, lettre du préfet au ministre de
l’Agriculture et du commerce du 31 mars 1870 relative à l’application de la loi de 1841, ADDS 11M19.5. Travail
des enfants.
2427
MARTIN (Jean Clément), Le travail des enfants dans l’industrie des Deux-Sèvres…,op. cit., p. 452.
2428
Cf. rapport de l’ingénieur des Mines consacré au département de la Vienne du 10 octobre 1873, ADV
M12.63. Travail des enfants dans les manufactures.
2429
Rapport du 18 février 1871, l’inspecteur des mines d’Angers, ADDS 11M19.5. Travail des enfants. Voir
aussi TARON (Patrick), op. cit., 864 p.
2430
Lettre du préfet de Vendée du 8 février 1870, ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution
de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
544

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
travail à effectuer auprès d’environ 18000 établissements. On a déjà oublié qu’une
soixantaine d’ingénieurs des Mines avait failli avant eux.
De 1874 à 1885 les trois départements composant l’ancienne Province du Poitou
appartiennent à la 10 e circonscription englobant aussi les deux départements des Charentes, et
ceux de l’Indre-et-Loire, de la Haute-Vienne et de la Creuse. Un décret du 17 mars 1885,
augmentant le nombre de circonscriptions à 21, va séparer la Vendée des deux autres
départements poitevins. D’un côté la Vienne et les Deux-Sèvres rejoignent la 13 e
circonscription la Sarthe, l’Indre-et-Loire le du Maine-et-Loire. De l’autre côté la Vendée est
agrégée aux cinq départements bretons à l’intérieur de la 12 e .
Les inspecteurs comptent bien peu d’aide dans ces vastes territoires qu’ils ont sous
leur responsabilité. Les commissions sont quasi inopérantes et aucun poste d’inspecteur
départemental n’y voit le jour malgré les suppliques et les demandes préfectorales 2431 . Les
conseils généraux s’y refusent. Ils se justifient derrière le caractère facultatif du poste et en
mettant en avant la faiblesse de l’industrie poitevine. Certes celle-ci est moins développée que
dans d’autres régions. Toutefois l’organe départemental tient avant tout à ne pas créer un
poste budgétaire supplémentaire estimant que la charge en revient à l’Etat. Le conseil général
de la Vienne ajourne plusieurs fois cette épineuse question, tant et si bien que le préfet estime
qu’il s’agit d’une fin de non recevoir 2432 ., le Conseil préférant voter d’infimes crédits aux
timides commissions locales 2433 . Cependant les départements poitevins ne sont pas des cas
isolés. En 1892 l’inspecteur divisionnaire informe le ministre du Commerce et de l’Industrie
qu’il n’y a aucun inspecteur départemental dans toute la 13 e circonscription 2434 .
Cette absence d’inspecteurs départementaux n’est pas absolue. Le département des
Deux-Sèvres en est pourvu théoriquement pendant quelques années. Le poste est crée par le
2431 Voir par exemple le rapport du commissaire divisionnaire de la 10 e circonscription en date 11 décembre
1882, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, ou bien encore les
rapports du préfet de Vendée in AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle
de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e
circonscription. On, constate la même chose dans le département voisin du Maine-et-Loire, cf. TARON
(Patrick), op. cit., p.583 et s.
2432 Lettre du 5 août 1878 du préfet de la Vienne à l’inspecteur divisionnaire Blaise, AN F12/4752. Application
de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2433 Généralement le crédit alloué est de 150 francs alors que le traitement d’un inspecteur se situe aux alentours
de 4000 francs, frais compris, cf. courrier du préfet des Deux-Sèvres à la direction du Commerce intérieur du 23
janvier 1886, AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848
sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2434 Rapport de l’inspecteur divisionnaire du 9 octobre 1892 au ministre du Commerce et de l’Industrie, AN
F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
545

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
conseil général à la fin de l’année 1878 2435 . La personne choisie est chef de bureau à la
préfecture des Deux-Sèvres 2436 . Un emploi qui va être la cause principale de l’échec de la
mission du nouvel inspecteur. En effet d’une part son travail habituel l’accapare énormément
ce qui ne l’autorise guère à oeuvrer à l’application de la loi de 1874, et, d’autre part, sa
subordination de fait au préfet l’empêche d’être réellement efficace quand il parvient à faire
des inspections. Finalement il apparaît avant tout comme la créature du préfet 2437 offrant à ce
dernier son œil sur les agissements de l’inspecteur divisionnaire dont le zèle peut parfois
mettre en péril les intérêts locaux d’une République en voie de consolidation 2438 , si bien que
dès le début des années 1880 l’inspecteur départemental Largeau cesse de donner signe de
vie.
En revanche des inspecteurs départementaux vont être créés après l’adoption de la loi
de 1892 rationalisant le système d’inspection. Le recrutement des inspecteurs s’effectue sur
concours. Une véritable hiérarchie se met en place, débarrassée des jeux de pouvoir locaux
souvent initiés par les conseils généraux. L’inspecteur est un fonctionnaire, intégré dans un
système centralisé et cohérent.
De nouvelles circonscriptions sont mises en place après la diminution du nombre
d’inspecteurs divisionnaires 2439 . La Vienne trouve place dans la 2 e aux côtés de l’Allier, du
Cher, de la Creuse, de l’Indre et l’Indre et Loire, du Loiret, du Loir-et-Cher et de la Haute-
Vienne. Quant aux Deux-Sèvres et à la Vendée ils rejoignent la 7 e circonscription regroupant
les Côtes-du-Nord, le Finistère, l’île-et-Vilaine, le Morbihan, la Sarthe, la Mayenne, le Maine-
et-Loire et la Loire-Inférieure.
En 1892 quatre des neuf départements de la 2 e circonscription et six des dix
départements de la 7 e circonscription ne comptent aucun inspecteur départemental résidant.
En 1892 tous les départements poitevins sont dans ce cas 2440 . Ce nombre augmentera au fil
des années suivantes par des décrets du 10 avril 1902, du 19 mars 1908 et du 6 août 1911.
2435 Lettre du préfet des Deux-Sèvres à l’inspecteur divisionnaire de la 10 e circonscription de Limoges du 2
octobre 1878, AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre
1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2436 Un certain Largeau.
2437 Voir infra. Le préfet d’alors se nome Henri Cotelle, cf. sa notice biographique in PELCRAN (Anne), op. cit.,
p.809.
2438 Pour de plus amples développements sur les relations houleuses entre l’inspection du travail et le corps
préfectoral voir infra.
2439 Le nombre d’inspecteurs divisionnaires passe de 21 à 11.
2440 CHETCUTI (Claude), LE NOEL (Marcel), Effectifs et organisation territoriale de l’Inspection du travail
(1892-1975), in ROBERT (Jean-louis) (dir.), Inspecteurs et inspections du travail, op. Cit., p.236 et 238.
546

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
En outre les inspecteurs départementaux semblent peu au fait des usages industriels et
des techniques qui sont appliqués. En effet la liste des candidats à ce poste dans la Vienne,
établie en 1901, ne compte aucun technicien. Leur origine professionnelle est variée même si
la majorité des postulants sont issus du monde de l’enseignement 2441 . Un tiers d’entre eux
sont des femmes. La fonction apparaît comme une échappatoire à une situation précaire.
Tableau 64 : liste des candidats au poste d’inspecteur départemental du travail en
mars 1901 :
Profession Age
Lieu de
résidence
Observation de l’administration
1 Professeur de philosophie 27 - -
2
Clerc de notaire de
Loudun
- Loudun Situation aisée
3 Professeur de collège - Loudun -
« …n’ayant aucune fortune mais des charges de
4 Agent voyer - Châtellerault familles et il cherche une meilleur situation que celle
qu’il occupe dans le service vicinal »
5 Voyageur de commerce - Charroux -
6 Instituteur - Charroux -
un habitant de Poitiers dont le rapport du commissaire
7 ? - Poitiers
central est mauvais. Ce dernier le qualifie de
réactionnaire et rappelle qu’il a été rapatrié il y a peu
d’Angers où il vagabondait
8 Instituteur 33 Poitiers -
9
Une femme titulaire d’un
brevet supérieur.
Une femme, fille du
- Poitiers
Cette femme est séparée de son mari (un tapissier) qui
garde ses 3 filles. Sa moralité est jugé bonne.
10
directeur de l’école
supérieur de garçons de
Poitiers
Une femme, fille d’un
- Poitiers Elle est jugée « bien sous tous égards »
11
professeur de lycée de
Tours.
- Mirebeau Elle vit dans la gêne avec sa mère qui est veuve
12
Une femme comptable de
Poitiers
- Poitiers
547
Fille de marchand de légumes. Elle a travaillé
auparavant dans une imprimerie
Source : ADV M12.116. Accidents du travail, hospitalisation, prix de journée [1905].
2441 Voir également REID (Donald), L’identité sociale de l’inspecteur du travail, 1892-1940, MS, Paris, n° 170,
janvier-mars 1995, pp 39-59.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
2.2. La lourde tâche de l’inspecteur divisionnaire du travail
En 1874, le manque de prestige de l’institution nouvelle ne facilite pas la tâche des
personnes en charge de l’inspection. Aucune d’entre elles ne sort d’une grande école d’Etat
spécialisée ou n’a passé un concours difficile lui octroyant une certaine autorité. Il demeure
encore quelques temps une sorte de notable républicain 2442 . L’inspecteur doit faire ses preuves
sur le terrain, un milieu hostile à plus d’un titre qu’il doit défricher à l’aide d’un « sabre en
bois ». Il est fréquemment perçu comme l’empêcheur de tourner en rond s’immisçant dans les
affaires privées des industriels. Il est l’étranger au pays venant se mêler d’affaires locales. Il
est aussi le représentant d’une République pas toujours bien acceptée comme c’est le cas dans
une grande partie du bocage vendéen. Du temps, de la patience et de la volonté sont
nécessaires pour espérer se faire accepter et faire reconnaître l’utilité de la fonction.
Tableau 65 : inspecteurs divisionnaires en charge des départements poitevins de
1874 à 1891:
Circonscription
10 e
Limoges
(comprend les
trois départements
poitevins)
12 e
Nantes
(comprend la
Vendée)
13 e
Angers
(comprend les
Deux-Sèvres et la
Vienne)
1
8
7
5
1
8
7
6
1
8
7
7
1
8
7
8
1879
548
1
8
8
0
1
8
8
1
1
8
8
2
Blaise Hegelbacher Landois
D’après VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., pp.105-106 2443 .
1
8
8
3
1
8
8
4
1
8
8
5
1
8
8
6
1
8
8
9
1
8
9
0
1891
Landois Valant
Giroud
Le corps d’inspection mis en place est alors peu renommé et non secondé et ses
membres doivent couvrir de larges zones géographiques dans un grand Ouest faiblement
pourvu en routes et en lignes de chemin de fer.
2442 REID (Donald), L’identité sociale…, op. cit., p.42.
2443 Voir aussi VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p. 70 et s. ainsi que CAZALS
(Rémy), Les inspecteurs du travail dans le Tarn jusqu’en 1914, in ROBERT (Jean-louis) (dir.), Inspecteurs et
inspections du travail…,op. cit., p.109 et s. pour quelques portraits biographiques d’inspecteurs du travail.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Les inspecteurs divisionnaires résident dans le chef-lieu de circonscription qui peut se trouver
fort éloigné de certains des départements appartenant à leur aire de compétence 2444 . En 1874
le fonctionnaire en charge des départements poitevins réside logiquement à Limoges, ville la
plus industrielle de cette division administrative mais loin d’être au centre de la 10 e
circonscription. En 1885 l’inspecteur divisionnaire de la 12 e circonscription est installé à
Nantes, une ville proche de la Vendée mais bien au sud de tous les autres départements
bretons composant le reste de la circonscription. Au contraire la cité d’Angers occupe, à
quelque chose près, une position centrale dans la 13 e circonscription, entre Pays de Loire et
Poitou.
Cette situation géographique oblige les responsables de l’inspection du travail à
planifier rigoureusement leurs tournées d’autant plus que les défraiements reçus sont
modestes ou irréguliers. Il faut compter avec les moyens de transports locaux obligeant à
emprunter des circuits bien définis, laissant de côté les ateliers des localités les plus modestes,
les moins bien desservis. Ces inspections pâtissent en outre du manque de renseignements
portant sur l’industrie locale dont peut disposer l’inspecteur 2445 . Celui-ci doit donc privilégier
les grands établissements avant de partir à la recherche des plus petits dans les faubourgs des
villes ou au plus profond de la campagne. Pour cela il doit combiner enquêtes de terrain et
recoupements minutieux afin de tenter d’en oublier le moins possible, une manière d’opérer
bien souvent aléatoire, où la chance à sa part, et pouvant bouleverser l’itinéraire initial des
tournées. Ainsi, au quatrième trimestre 1889, Landois, l’inspecteur de la 12 e circonscription,
effectue un périple dans toute la Bretagne 2446 .
Parfois, la tournée d’inspection est centrée sur une seule activité comme c’est le cas le
long du littoral atlantique avec les conserveries de poissons et de légumes. En juillet 1892,
l’inspecteur Valant visite les usines du Finistère, du Morbihan et de Vendée, département où
il séjourne six jours 2447 . Là, il y inspecte 22 établissements uniquement consacrés au poisson
2444
Généralement le lieu de résidence de l’inspecteur divisionnaire correspond aux cités les plus industrialisées
de la circonscription.
2445
Les commissions locales qui devraient en avoir la charge semblent bien peu actives en la matière.
2446
Dans un premier temps il visite Nantes, Saint-Nazaire et ses alentours. Puis, il rejoint le Finistère et ses
conserveries de poisson : Douarnenez, Brest, Camaret, Lambezellec, Landerneau. Il s’enfonce ensuite dans les
terres jusqu’à Guingamp en passant par Morlaix. Ensuite il parvient jusqu’aux bords de la Manche, à Saint-
Brieuc. Puis il revient à Nantes via Pontivy et Lorient. Etat des établissements visités au 4 e trimestre 1889, AN
F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
2447
Tournée de l’inspecteur Valant dans les usines de conserves de poissons et légumes en 1892, AN F12/4750
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
549

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
et 117 dans l’ensemble de sa tournée côtière 2448 . Près de 2000 jeunes filles sont concernées et
plus de 300 enfants.
Certaines zones sont donc oubliées des inspections. On les juge trop peu
industrialisées ou bien trop éloignées de l’itinéraire de tournée. Par exemple, en 1884
l’inspecteur Landois, en charge de la 10 e circonscription, informe le ministère du Commerce
qu’il a visité le département de la Vienne à l’exception de l’arrondissement de Loudun 2449 . Il
considère cette zone comme faiblement industrialisée, mal desservie et trop éloignée de son
lieu de résidence.
Chaque année le nombre des visites augmente. Le recensement des établissements
industriels s’affine au gré des tournées, où l’inspecteur découvre sans cesse de nouveaux
établissements, et des renseignements fournis par l’administration. Cependant de grandes
variations existent entre les circonscriptions causées par le degré d’industrialisation des
départements qui les composent 2450 . On effectue dix fois plus de visites dans le département
de la Seine, où les établissements industriels sont très nombreux et géographiquement très
condensés, que dans la 13 e circonscription 2451 . Toutefois l’inspecteur de cette zone effectue
plus du double d’inspections que son homologue de la 12 e entre 1887 et 1889. Le département
du Maine-et-Loire compte à lui seul presque autant de visites que l’ensemble de la
circonscription voisine 2452 .
Même dans les circonscriptions les moins manufacturières la charge de travail d’un
inspecteur du travail consciencieux et non secondé, est énorme. L’inspecteur Giroud contrôle
plus de 2000 établissements par an, entre 1887 et 1889, soit une moyenne de plus de six par
jour. Les visites de nuit sont éprouvantes, d’autant plus qu’il faut souvent ruser pour tenter de
surprendre l’entrepreneur fautif. Une tâche ardue car il ne peut compter que sur lui-même. Ne
disposant pas de pouvoir réglementaire il ne peut rien imposer à l’autorité administrative ou
aux industriels par voie de circulaire. Cependant, le nombre de visites n’est pas le seul critère
pour juger l’intensité du travail des inspecteurs. En effet, comme le précise l’un d’entre eux,
2448 61 dans le Finistère et 34 dans le Morbihan.
2449 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois adressé au ministère du Commerce en date du 24 décembre
1884, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2450 Une industrialisation allant souvent de pair avec la concentration des activités ce qui ne manque pas de
faciliter la tâche de l’inspecteur en lui évitant de longs trajets et les recherches locales d’ateliers dispersés.
2451 Cf. tableau 44 p.507.
2452 Voir aussi TARON (Patrick), op. cit., p.574.
550

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
le temps consacré aux grands ateliers est bien plus important que celui dédié à ceux de plus
petites tailles 2453 .
Tableau 66 : établissements industriels visités en 1887,1888 et 1889 par les
inspecteurs divisionnaires des 12 e et 13 e circonscriptions :
Circonscriptions Départements
Nombre d’établissements visités par année
1887 1888 1889
Loire-Inférieure 319 341 294
Ile-et-Vilaine 125 142 188
12
Côtes-du-Nord
Morbihan
86
103
67
136
106
182
Finistère
Vendée
191
110
223
104
299
145
e
(Inspecteur
Landois)
Chef-lieu : Nantes
13 e
(Inspecteur
Giroud)
Chef-lieu : Angers
TOTAL 934 1013 1214
Sarthe 471 606 405
Maine-et-Loire 805 732 758
Indre et Loire 508 467 415
Deux-Sèvres 317 338 316
Vienne 198 242 278
TOTAL 2299 2385 2173
Sources : AN F/12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription et AN F12/4752.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
A l’intérieur des circonscriptions, les départements poitevins représentent les zones où
l’inspection est la moins dense. Entre 1887 et 1889 la Vendée occupe 11% des visites
d’établissements industriels effectuées par l’inspecteur Landois, soit beaucoup moins que
celles faites en Loire-Inférieure ou dans le Finistère. Deux zones où le fonctionnaire
accomplit la moitié de son travail de vérification.
Un constat semblable peut être dressé dans la 13 e circonscription sur la même période de
temps. Là, l’activité textile d’Indre-et-Loire les ardoisières du Maine-et-Loire occupent
majoritairement l’emploi du temps de l’inspecteur Giroud. Les départements de la Vienne et
des Deux-Sèvres ne représentent à eux deux qu’un quart des visites qu’il effectue de 1887 à
1889.
2453 AN F/12/4740. Rapport annuel de l’inspecteur divisionnaire Blaise (7 e circonscription).
551

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Figure 22 : pourcentage de visite de l’inspecteur divisionnaire par département
dans la 12 e circonscription de 1887 à 1889 :
Finistère
22%
Morbihan
13%
Vendée
11%
Côtes du Nord
8%
552
Loire Inférieure
32%
Ile et Vilaine
14%
Source : AN F12/4750. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
L’inspecteur se déplace rarement sans raison. Giroud, le fonctionnaire en charge de la
13 e circonscription, estime que 73% de ses visites faites en 1888 sont utiles et 82% l’année
suivante 2454 .
A ces visites « simples » s’ajoutent des contre visites afin de s’assurer que les
entrepreneurs fautifs s’est mis en conformité avec la loi. Celles-ci sont peu nombreuses en
comparaison des inspections primitives : 79 en 1888 et 93 en 1889 dont 57 dans les Deux-
Sèvres 2455 . Ces chiffres peuvent indiquer soit un respect assez important de la législation par
les industriels soit une faible sévérité des inspecteurs. En outre, un délai important existe entre
les visites « primitives » et les contre visites. L’inspection ne pouvant pas se déplacer
spécialement pour les effectuer, elles se font lors des tournées « normales ».
2454
Le vocable « utile » est employé pour un établissement industriel assujetti aux lois du travail que l’inspecteur
est chargé de faire appliquer.
2455
AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Figure 23 : pourcentage de visite de l’inspecteur divisionnaire par département
dans la 13 e circonscription de 1887 à 1889 :
Deux-Sèvres
14%
Indre et Loire
20%
Vienne
11%
553
Sarthe
21%
Maine-et-Loire
34%
Source : AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
La loi de 1892 augmente encore le domaine d’intervention de l’inspection du
travail 2456 et par la même la charge de travail d’un inspecteur divisionnaire rarement
épaulé 2457 . Une enquête de 1897 estime à 3321 le nombre d’établissements industriels ou
artisanaux soumis à l’inspection du travail dans le seul département de la Vendée 2458 . La
quantité de travail augmente sans cesse car il doit faire appliquer les lois sociales successives.
En outre l’institution finit par gagner en prestige, ce qui provoque une augmentation du
nombre de procès-verbaux et d’actions en justice 2459 . Le manque d’unité des circonscriptions
accroît la difficulté. Si la 7 e forme plutôt un ensemble cohérent constitué de la Bretagne et de
ses marches (Vendée, Deux-Sèvres, Mayenne, Sarthe et Maine-et-Loire) il en va tout
autrement de la 12 e . Celle-ci n’a aucune harmonie d’ensemble, « alignant sans cohérence, des
2456 La tâche sera encore plus grande dans les décennies suivantes avec la multiplication des lois sociales
réglementant entre autre la journée de travail masculin ou le repos hebdomadaire. Une succession de texte
obligeant les inspecteurs à délaisser les lois anciennes au profit des nouvelles, voir à ce sujet VIET (Vincent),
Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.271.
2457 Les inspecteurs divisionnaires disposent rarement d’un bureau et d’une secrétaire, la plupart du temps ils
travaillent chez eux aidé par leurs femmes dans les tâches de secrétariat, cf. REID (Donald), Les inspecteurs du
travail pendant l’âge d’or : origine sociale, recrutement, carrière, in ROBERT (Jean-louis) (dir.), Inspecteurs et
inspections du travail …, op. cit., pp.118-119.
2458 Dans 277 communes, ADVd 10M6. Etablissements soumis à l’inspection du travail (1897).
2459 Voir infra.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
départements 2460 disparates voués à la pluriactivité 2461 ». La tâche des inspecteurs demeure
encore plus ardue pour ceux nommés à l’intérieur de zones rurales à l’image de l’Ouest et du
Centre Ouest de la France. Les déplacements y sont plus longs et plus compliqués, ne
manquant pas de grever des salaires que les indemnités de tournées forfaitaires ne parviennent
pas toujours à couvrir. Cet inconvénient explique l’adoption d’itinéraires formatés – connus
des industriels – qui suivent les grands axes de communication, et la moindre fréquence
d’inspections imprévues. Cette situation fait dire à un inspecteur du travail en 1906 qu’ils sont
l’unique « catégorie de citoyens n’ayant aucun droit au repos hebdomadaire 2462 ».
L’inspection du travail met du temps à faire sa place dans l’environnement industriel
local. Un des moyens les plus simples pour parvenir à compenser le manque de prestige de
l’institution consiste à se faire accepter des élites ou à y puiser ses propres membres. Un
moyen simple mais guère efficace risquant de paralyser le bras armé de la législation sociale.
b) Une connivence des élites
La période primitive du contrôle du travail des enfants est marquée par une relative
complaisance à l’égard des entrepreneurs. L’industriel appartient aux notables locaux que
l’Etat et ses représentants se doivent de ménager pour des raisons d’idéologie économique et
juridique afin qu’ils apportent leur soutien au pouvoir en place. Cette attitude est présente
aussi bien au sommet de l’Etat qu’au niveau des commissions chargées de contrôler les
ateliers disséminés dans les campagnes.
Malgré la possibilité de sanctionner les patrons fautifs 2463 , l’Etat et ses représentant s’y
refusent ou du moins y sont fortement réticents. La prévention doit constamment prévaloir sur
une hypothétique punition qui semble être considérée comme relevant véritablement de
l’exception. La circulaire du 25 mars 1841 consacrée à l’application de la loi du 22 mars 2464
montre déjà la voie que doivent suivre les personnes chargées d’une mission de contrôle.
Ceux-là doivent être avant tout des pédagogues devant faire pénétrer de nouveaux principes
dans le monde industriel comme dans la classe ouvrière. Ils sont présentés comme des sages
2460
Cher, Indre, Vienne, Indre-et-Loire, Loiret, Loir et Cher, Allier, Creuse et Haute Vienne.
2461
VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.217.
2462
Cité par REID (Donald), op. cit., p.46.
2463
Articles 11 et 12 de la loi 22 mars 1841.
2464
Circulaire du 25 mars 1841 émanant du ministère l’Agriculture et du commerce, ADVd 10M7. Travail des
enfants. Lois, décrets, instructions [1841 ; 1937].
554

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
dont la parole et la force des arguments combinés à leur aura sociale doit suffire à convaincre
le plus grand nombre. Il ne s’agit aucunement de « porter ombrage à l’industrie ou à éveiller
les justes susceptibilités des chefs d’établissements ». Même si des circulaires ultérieures
insistent pour que les préfets, clef du dispositif, veillent à une meilleure application de la loi
de 1841, on sent bien que l’Etat et ses représentants souhaitent avant tout ne pas heurter le
monde de l’industrie et la classe ouvrière, chez qui la nouvelle législation implique un
manque à gagner certain. A cela s’ajoute le poids électoral de l’industriel à l’intérieur du
régime contesté de Louis-Philippe. Parmi les deux cent mille électeurs censitaires, les
fabricants représentent un contrepoids non négligeable vis-à-vis d’une aristocratie terrienne
incertaine quant à son soutien au régime de Juillet.
Un sentiment identique habite les autorités après la réorganisation de l’inspection en
1874. L’idée de modération est omniprésente au sein des instructions ministérielles. Cette fois
la cause est plus politique que sociale. L’application trop ferme de la loi pourrait éloigner
nombre d’industriels de la toute jeune République menacée par les monarchistes. Par
conséquent, et encore une fois, on demande aux inspecteurs de faire œuvre de finesse. Ils
doivent s’assurer avant tout du bon affichage des textes, puis multiplier les visites, les
avertissements et les sommations afin de repousser au plus tard toutes actions répressives et
judicaires. On se doute que l’industriel récalcitrant ne se sent pas contraint et pressé d’obéir.
Cette relation entre pouvoir et élites est très forte à l’échelon local. Dès 1841, la
composition des premières commissions 2465 d’inspection fait planer un doute sur l’objectivité
des personnes choisies par les préfets et les conseils généraux, une institution de notables par
excellence. Les deux tiers des membres des commissions poitevines sont des figures
départementales : propriétaires, professions libérales, maires, membres des conseils généraux
et d’arrondissement. Dans les commissions, ces notables côtoient régulièrement les industriels
dont les établissements sont visés par la loi de 1841. Des rapports très proches peuvent les
unir. Ici comme dans le Tarn, « des liens de parentés plus ou moins intimes, plus ou moins
puissants, existent presque inévitablement entre les chefs d’ateliers et les personnes aptes à
exercer les fonctions d’inspecteur 2466 ». Des liens intimes auxquels s’ajoutent des intérêts
économiques et électoraux.
2465 Voir supra p.499 et 523.
2466 CAZALS (Rémy), Les inspecteurs du travail dans le Tarn jusqu’en 1914, in ROBERT (Jean-louis) (dir.),
Inspecteurs et inspections du travail…,op. cit., p.103.
555

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Cette promiscuité relationnelle explique les termes élogieux employés dans des
rapports aux conclusions contradictoires rédigés par les commissions vendéennes à propos
des ateliers qu’elles contrôlent. En septembre 1842, celle de Bourbon-Vendée ne constate
« aucun abus » nonobstant le non respect de la loi. Les industriels peu respectueux de la
légalité sont même félicités. Le compte rendu va jusqu’à rendre « justice aux directeurs de ces
établissements, qui par une surveillance active, y maintient le plus bel ordre ». pour
finalement demander que la loi, dont ils doivent pourtant veiller à la bonne exécution, ne soit
pas appliquée !
« Nous demandons donc, et cela dans l’intérêt des familles à qui
appartiennent ces enfants, plus que dans l’intérêt des chefs
d’établissements qui sauraient facilement s’en passer, que les choses
soient maintenues dans l’état où elles sont 2467 ».
Les liens personnels faussent manifestement toute tentative d’inspection objective. En 1845,
et plusieurs fois par la suite, un membre de l’inspection situé à Cugand répète que « la
confiance qu’il porte en l’entrepreneur dispense de toute application de ladite loi » 2468 .
Certains des « inspecteurs » nommés sont eux-mêmes des industriels ou l’ont été par
le passé. Un certain Blanchard est membre de la commission locale de Cugand tout en y
dirigeant une papeterie 2469 , un établissement visé par les articles de la loi du 22 mars. Cette
situation ne manque pas de poser problème quand un autre membre de la même commission
décide d’inspecter ladite papeterie. Une visite, suivie d’un procès-verbal accusateur, qui
provoque l’indignation et la menace de démission des autres membres locaux de la
commission. Ces derniers sont indignés qu’un des leurs s’en prenne à un des « bienfaiteurs de
la commune ». L’un d’eux, ancien maire et fabricant comme il se plaît à se présenter, va
encore plus loin en proposant au préfet de Vendée que l’inspecteur fautif, en l’occurrence un
prêtre, soit remplacé par un entrepreneur de la région, « pour le bien général de nos beaux
2467 Rapport de la commission de Bourbon-Vendée du 15 septembre 1842 sur l’application de la loi du 22 mars
1841 dans les manufactures de Cugand, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi
du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2468 Questionnaire en date du 30 décembre 1845 relatif à l’application de la loi de 1841 concernant la filature de
Loge-Fougereuse, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841
[1837 ; 1847].
2469 ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
556

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
établissements » selon sa propre conclusion 2470 . Cette même personne, qui apparaît comme
l’inspecteur le plus influent de la commission, qualifie déjà quelques mois plus tôt la loi de
1841 de « préjudiciable à tous les infortunés enfants travaillant des les manufactures » car
elle occasionne vagabondage, mendicité et désordre 2471 . Des arguments que l’on retrouve
souvent à l’époque chez les opposants à la nouvelle législation mais qu’il est tout de même
étonnant d’entendre de la bouche même d’une personne chargée d’en contrôler l’application.
Néanmoins, cela ne l’empêche pas de se targuer de mieux faire son travail que ses
homologues du Maine-et-Loire et de Loire-Inférieure – peut-être plus zélés ? –, et d’affirmer
que les fabricants locaux sont absolument irréprochables...
Cette opinion valorisant coûte que coûte l’industriel et leurs établissements est reprise
par les préfets eux-mêmes. Les représentant de l’Etat se cantonnent à recopier les rapports qui
leur sont fournis et à les transmettre au ministère sans jamais émettre le moindre doute. Cette
manière de faire marque un désintérêt certain pour la législation du travail. C’est ainsi qu’en
Vendée on apprend en 1844, tout comme en 1846 ou 1847, que la loi du 22 mars 1841 est
parfaitement appliquée dans tout le département. Un état de fait dont ne s’étonne même pas le
ministre 2472 ! En 1846, le préfet de Vendée affirme que les enfants qui travaillent dans le
département sont traités avec « humanité et douceur 2473 », une façon détournée de dire que la
loi y est inutile, reprenant en cela l’opinion des membres des commissions. La même type de
conclusion est reprise également dans le département de la Vienne en 1853 où le préfet
évoque « les meilleures intentions […] pleine de bienveillance » des chefs de manufacture du
département 2474 . Outre l’âge des enfants, l’instruction minimale et les obligations formelles
semblent totalement oubliées par les autorités. Des rapports contemporains ou ultérieurs
prouvent qu’aucune de ces exigences n’est remplie quand le représentant de l’Etat écrit ces
lignes. En 1866 le sous-préfet de Parthenay va même jusqu’à avancer l’absence de litige en
justice comme preuve de la parfaite application de la loi dans son arrondissement. Cet
2470
Lettre du 29 octobre 1844 de l’inspecteur Dagnet (commune de Cugand) au préfet de Vendée, ADVd 10M8.
Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2471
Rapport du 23 mars 1844 de Dagnet, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la
loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2472
Courrier du ministère de l’Agriculture et du commerce du 31 décembre 1844 au préfet, ADVd 10M8. Travail
des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2473
Rapport du préfet de Vendée au ministre de l’Agriculture et du commerce du 26 novembre 1846, ADVd
10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2474
Rapport du préfet de la Vienne du 14 septembre 1853, ADV M12.63. Travail des enfants dans les
manufactures.
557

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
argument a peu de valeur puisqu’il ne doit pas ignorer que les commissions d’inspection
fonctionnent à peine dans le département 2475 et que leur mission est avant tout préventive.
D’ailleurs, l’année suivante, le préfet de Vendée conteste le caractère répressif de la loi
estimant qu’il serait nécessaire de le remplacer par un système d’encouragement comme celui
qui serait employé dans l’agriculture. Pour lui le système répressif n’incite pas la mise à jour
des infractions mais plutôt leurs dissimulations 2476 . Cette position, qui se défend, n’incite
guère le représentant de l’Etat à dynamiser l’inspection du travail de son département.
Plus tard, après 1882, l’inspecteur départemental Largeau, qui n’est qu’une créature du préfet
des Deux-Sèvres, s’étonne et se plaint de l’attitude zélée du nouvel inspecteur divisionnaire
Landois. Ce dernier, contrairement à son prédécesseur, est accusé de manquer de tact avec les
industriels car il dresse des procès verbaux. Largeau informe le ministère de cette attitude en
s’étonnant que Landois veuille faire des exemples des cas d’infractions répétées 2477 .
Certains inspecteurs nommés après 1874 tiennent parfois des propos semblables aux
arguments avancés par le patronat. En 1886, l’inspecteur divisionnaire Landois, celui là même
dont on a critiqué le zèle dix ans plus tôt, s’oppose aux conclusions d’une enquête sur le
travail effectuée dans la 12 e circonscription. L’étude propose que l’on fixe à 15 ans l’âge
minimum de travail. L’inspecteur avance deux arguments justifiant son désaccord. L’un est
économique ; l’enfant est une source de revenus pour ses parents. L’autre tient plus à
l’organisation du travail. Selon lui il faut que les jeunes travailleurs soient aptes « à prendre
les habitudes du travail et de la soumission » le plus tôt possible, c’est-à-dire à l’âge de 12
ans une fois la première communion 2478 effectuée et l’instruction primaire élémentaire
acquise, comme le prescrivent les loi de 1874 et celle de Jules Ferry en 1882. En outre il
estime que seul l’entrepreneur doit décider de l’âge des travailleurs qu’il emploie en fonction
des postes auxquels ils sont occupés 2479 . Un an plus tard, le même inspecteur défend les
2475 Rapport du sous-préfet de Parthenay du 3 avril 1866, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2476 Lettre du préfet de Vendée du 26 juin 1867 au ministre de l’Agriculture et du commerce, ADVd
10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2477 Réponse de l’inspecteur départemental Largeau à une demande de renseignements ministériels concernant
l’inspecteur divisionnaire Landois du 25 janvier 1882, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2478 Chez beaucoup d’ouvriers, et pas seulement dans le Poitou, l’âge de la première communion marque l’entrée
dans le monde du travail, PIERRARD (Pierre), L’Eglise..., op. cit., p.69.
2479 Rapport du 1 er janvier 1886 de l’inspecteur divisionnaire Landois de la 12 e circonscription au ministre du
Commerce, AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848
sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
558

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
dérogations demandées par des conserveries de sardines afin d’employer des enfants de 10 à
12 ans, un travail pourtant difficile, effectué de nuit 2480 .
L’évolution de la conception de l’enfance au travail évolue selon les époques. Landois
apparaît à sa prise de fonction dans les Deux-Sèvres comme un pourfendeur du patronat alors
que dix ans plus tard il s’oppose au renforcement de la loi protectrice des plus faibles au
travail, même si ses propos semblent plus marqués par le pragmatisme que par l’idéologie.
Les refontes du système d’inspection sous la III e République tendent à faire disparaître
les connivences existant entre les notables locaux et les personnes en charge de l’inspection
du travail 2481 . La mise en place d’un concours d’entrée après 1892 et le sentiment d’appartenir
à un corps de l’Etat à part entière octroient aux inspecteurs une légitimité leur garantissant une
véritable indépendance à l’encontre des entrepreneurs comme des pouvoirs administratifs ou
politiques locaux.
En attendant que l’institution se pérennise et s’impose véritablement, elle doit subir les
assauts de nombreuses forces voyant dans son action un frein à leurs intérêts immédiats ou
futurs.
B- L’inspecteur et son sabre de bois
Comme un voilier dans la tempête l’inspecteur du travail doit longtemps lutter
ardemment contre l’adversité. Assaillie de toutes parts, l’institution parvient peu ou prou à
maintenir le cap en parvenant lentement à mieux faire appliquer la loi.
a) Le travail des enfants, un bienfait social ?
L’idée d’une inspection du travail et de son utilité met du temps à pénétrer les
mentalités des acteurs du jeu économique et politique. C’est pourquoi, longtemps, les
individus en charge de cette fonction doivent affronter, dans le Poitou comme ailleurs, une
hostilité quasiment généralisée. Il va de soi que le patronat s’oppose à toute mesure atténuant
sa liberté d’entreprendre et portant atteinte à son pouvoir dans l’atelier. Cependant, son
2480 Rapport de 1887 de l’inspecteur divisionnaire Landois de la 12 e circonscription au ministre du Commerce,
AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
2481 A partir de 1901, des ouvrier sont nommés inspecteurs adjoints, puis les modalités du concours d’entrée à
l’inspection du travail vont changer pour permettre aux individus issus du monde ouvrier d’y avoir accès, voir
par exemple REID (Donald), op. cit., pp.42-43.
559

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
mécontentement est partagé par la classe ouvrière voyant en la baisse de revenu la principale
conséquence de la limitation du travail des enfants. Ajoutons à cela l’indifférence des notables
aux lois du travail que traduisent les difficultés faites par les maires pour délivrer les registres
que le texte légal exige. Toutefois, la réaction la plus surprenante est la méfiance, voire
parfois l’hostilité, des administrations préfectorale et judiciaire à l’encontre des inspecteurs
chargés de mettre en application la nouvelle législation.
1. La résistance patronale
Le patronat est le premier à s’ériger contre la législation du travail des mineurs, même
si initialement il en contrôle l’application et qu’il en est à l’origine 2482 . Cette loi nouvelle est
perçue comme la première pierre d’un futur édifice social bien plus important. Les lois du
travail lui paraissent « plus dangereuses encore que les grèves, plus menaçantes pour
l’autorité qu’ils entendent exercer sans contrôle sur les choses et les personnes 2483 ». Si les
patrons goûtent peu aux discours philanthropiques et hygiénistes faisant d’eux des portraits
peu élogieux, parfois justifiés 2484 , ils avancent bien souvent d’autres arguments afin d’étayer
leur ressentiment : le caractère privé de l’établissement industriel qui s’oppose à l’Etat et à ses
droits, et l’inadéquation de la loi avec la réalité économique s’imposant à tout industriel.
Autant de « tracasseries 2485 » qui nuisent à la bonne marche de l’industrie.
En mars 1870, le préfet des Deux-Sèvres considère que l’échec des commissions
locales est dû en partie à la répugnance des industriels à laisser des « étrangers » pénétrer dans
leurs locaux 2486 , lieux appartenant à la sphère privée jusqu’alors inviolable et sacrée. Nombre
de rapports d’inspecteurs du travail attestent de ce type de difficultés notamment dans les
premières années qui suivent la loi de 1874, alors que l’inspection est une institution
2482 « Peu de région, en dehors de celle du Nord, ont manifesté une opposition de principe à la réglementation du
travail des enfants. Provoquée par des manufacturiers eux-mêmes, cette loi ne les satisfait pas entièrement, mais
en dépit de leurs craintes, ils restent pratiquement les maîtres de son application », TUDESQ (André Jean), op.
cit. , p.586.
2483 DESROYS DU ROURE (H.), Le règlement d’atelier et le contrat de travail, thèse droit, Paris, 1910, p.143
2484 A l’image de l’entrepreneur en chapellerie de Saint-Maixent, Gandriau, violant à de multiples reprises les
lois du travail, dont les propos emplis de mauvaise foi enlèvent toute crédibilité à cet ancien membre d’une des
commissions locales du travail.
2485 Expression présente dans une lettre du sous-préfet des Sables-d'Olonne adressée au préfet de Vendée en date
du 8 juillet 1901, ADVd 10M12. Travail des femmes et des enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2
novembre 1892 [1892 ; 1936].
2486 Le préfet parle également du remplacement de la main d’œuvre enfantine par l’emploi de jeunes femmes, cf.
lettre du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Agriculture et du commerce du 31 mars 1870 relative à
l’application de la loi de 1841, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
560

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
méconnue et sans réelle force de persuasion. Les fonctionnaires, seulement munis d’une carte
attestant leur fonction, sont souvent les malvenus dans les petits ateliers de campagne, où la
loi récente est mal connue ou incomprise.
Toutefois l’argument de la propriété intouchable ne dure qu’un temps. Les
représentants de l’Etat finissent par imposer leur présence entre les murs des ateliers.
L’argumentaire patronal est contraint de se déplacer sur le terrain de l’opportunité de la loi et
de son inadéquation avec la réalité quotidienne de l’entreprise.
Les raisons invoquées par les entrepreneurs afin d’obtenir des autorités des
dérogations à l’application des lois du travail indiquent clairement ce que les entrepreneurs
peuvent reprocher au législateur.
L’absence de pénibilité du travail des enfants, voire son caractère récréatif, constitue
l’un des premiers arguments avancés 2487 . Le jeune travailleur ou l’ouvrière juvénile sont
censés ne jamais travailler à des postes difficiles mettant à mal leur santé. Fréquemment, ils
surveillent des machines ou nettoient l’atelier. En 1873 l’ingénieur des Mines estime que les
enfants employés généralement dans la Vienne sont occupés à des postes « peu fatigants » et
« appropriés à leurs forces » 2488 . En 1871, l’industriel Bardet-Blot, de la filature du même
nom, affirme avec aplomb que « le travail industriel n’a aucune influence sur la mortalité et
l’aspect physique des enfants 2489 ». Les occupations de l’enfance industrielle sont même
considérées comme des jeux. Une idée omniprésente au milieu du XIX e siècle et qui perdure
encore bien plus tard. Le maire de l’Ile-d’Yeu fait sien cette idée en 1897. L’édile, porte-
parole des conserveries de sardines de sa commune, estime que le travail des enfants dans les
usines de conserves, consistant à frotter des boites en fer avec de la sciure de bois, n’est qu’un
amusement fort peu fatigant, qui plus est coupé de repos et n’ayant jamais occasionné une
quelconque plainte 2490 . L’emploi de jeunes ouvriers est, selon lui, un bienfait pour toute la
société. L’enfant s’amuse. Le patron dispose d’une main-d’œuvre malléable et peu onéreuse.
2487
On retrouve ici un thème déjà émis pour combattre le projet de loi débouchant sur le texte de 1841 : « le
travail est la meilleure des gymnastiques […] pour favoriser le développement physique » affirme l’un d’entre
eux. Un autre tente de prouver que l’effort intellectuel est bien plus dangereux pou un enfant que le travail
physique. Autant d’arguments où la mauvaise foi et le cynisme rivalisent avec une grande ignorance de la réalité
du travail en atelier. Cf. SANDRIN (Jean), op. cit., pp.122-123.
2488
Rapport de l’ingénieur des Mines au préfet de la Vienne du 10 octobre 1873, ADV M12.63. Travail des
enfants dans les manufactures.
2489
MARTIN (Jean Clément), Le travail des enfants…, op. cit., p.466.
2490
Lettre du maire de l’Ile d’Yeu au préfet de Vendée du 5 juin 1897, ADVd 10M12. Travail des femmes et des
enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ; 1936].
561

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Les parents obtiennent un surplus de salaire non négligeable et sont déchargés quelques
heures de la garde de leur progéniture qui ne vagabonde plus dans les rues au grand
soulagement du maire. Le travail enfantin serait à l’en croire un véritable bienfait social.
L’emploi de jeunes travailleurs offre aussi une meilleure flexibilité du travail. Le
maire de l’Ile-d’Yeu évoque également cet argument à propos des sardineries de la côte
vendéenne 2491 . Ici l’activité est saisonnière 2492 et la quantité de travail est entièrement
dépendante du produit de la pêche. Si bien que les besoins en main-d’œuvre varient en
fonction des arrivages de poisson. Cette incertitude fait de l’ouvrier juvénile la meilleure
solution à d’éventuels afflux de sardines. En effet, les jeunes constituent la seule main-
d’œuvre supplémentaire disponible en bord de mer ou sur les îles côtières ; les pères étant
pêcheurs et les mères déjà employées des sardineries. Limiter le travail des adolescents est
perçu comme un frein à la vie économique de la région, voire comme un danger potentiel
pour l’activité sardinière toute entière puisqu’un poisson non conditionné à temps est
définitivement perdu. C’est pourquoi des dérogations exorbitantes du droit du travail sont
régulièrement demandées afin de permettre aux plus jeunes de travailler de nuit dans les
sardineries de l’Ile-d’Yeu, requêtes soutenues par le sous-préfet des Sables-d’Olonne 2493 et
l’inspecteur divisionnaire Valant., tous deux considèrent, en effet, que la loi n’est pas
adaptée à la variation des pêches 2494 .
En outre, certaines industries se sont organisées autour du travail enfantin si bien que
des tâches sont désormais impossibles sans les petites mains des enfants. Des machines sont
même étudiées pour n’être confiées qu’à des ouvriers juvéniles.
Le travail à mi-temps pose de gros problèmes d’organisation à l’intérieur des usines.
Cette mesure, instaurée par la loi du 19 mai 1874 2495 pour les enfants mineurs de quinze ans
dépourvus d’un certificat d’instruction primaire élémentaire, est destinée à libérer du temps
afin qu’ils acquièrent un enseignement de base. L’article 9 de la loi oblige les industriels à
revoir la manière d’organiser le travail dans leurs ateliers où l’enfant fait équipe avec l’adulte.
En effet, le jeune travailleur concerné par le texte ne peut travailler que la moitié du temps de
l’adulte qu’il seconde. Cette situation laisse trois alternatives à l’entrepreneur : il peut
2491 Ibid.
2492 L’activité est saisonnière et nocturne.
2493 Lettre du sous-préfet des Sables-d'Olonne au préfet de Vendée du 8 juillet 1901, ADVd 10M12. Travail des
femmes et des enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ; 1936].
2494 Rapport du 30 septembre 1892 de l’inspecteur divisionnaire Valant au ministre du Commerce, AN F12/4750
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
2495 Article 9.
562

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
embaucher un enfant supplémentaire par poste ; il peut employer uniquement des enfants
pourvus dudit certificat, la fraude étant toujours possible ; enfin il peut renoncer à employer
des enfants, ce qui provoque un manque à gagner pour les parents. C’est ce dernier cas de
figure que constatent les inspecteurs divisionnaires des 10 e et 12 e circonscriptions 2496 . Ces
derniers vont même jusqu’à s’inquiéter de cette tendance. Beaucoup des enfants renvoyés
vagabondent plutôt que de suivre un quelconque enseignement ou de s’occuper aux travaux
des champs. Les fonctionnaires concluent qu’il serait préférable d’abroger l’article 9 de la loi
dans l’intérêt des enfants afin qu’ils soient à nouveau encadrés et beaucoup moins laissés à
eux-mêmes. Bien des années plus tôt, l’inspecteur Blaise a lui aussi critiqué 2497 cette
disposition estimant qu’elle était néfaste pour l’industrie comme pour les enfants. En effet, le
salaire des jeunes ouvriers, déjà très bas, est divisé par deux par l’application de l’article 9, ce
qui poussent les parents à faire travailler leurs enfants dans les campagnes où la loi de 1874
ne s’applique pas, provoquant par la même un déficit de main-d’œuvre disponible dans
l’industrie.
Les nouvelles lois réglementant le travail sont également accusées par le patronat de
mettre en péril l’activité exercée et de favoriser une concurrence inégale entre établissements
du même secteur à l’échelon régional comme international. A leurs yeux cette concurrence est
due soit aux différences de régimes législatifs auxquels sont soumises les entreprises – feu
continu, seuil arbitraire des vingt employés etc. –, soit à l’inégale application des textes de loi
dans une même zone géographique. L’inspecteur Blaise s’en fait l’écho en 1877 à propos des
établissements textiles de Saint-Maixent 2498 . Le fonctionnaire constate que beaucoup
d’enfants quittent les ateliers respectant la loi pour leurs concurrents en infraction où les deux
heures d’écoles 2499 sont remplacées par du temps travaillé synonyme de salaire plus
importants. C’est là un cas particulier où, une fois n’est pas coutume, nombre de patrons
désirent l’application de la législation comme garantie des lois du marché et de son équité.
2496 Rapports de l’inspecteur divisionnaire de la 10 e circonscription du 11 décembre 1882 et de l’inspecteur
divisionnaire de la 12 e circonscription du 1 er janvier 1886 adressé au ministre du Commerce, AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription et AN F12/4750 Application de la loi de
1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
2497 Rapport de l’inspecteur divisionnaire de la 10 e circonscription du 4 novembre 1879, AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2498 Rapport de l’inspecteur divisionnaire de la 10 e circonscription du 4 novembre 1879, AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2499 Article 8 de la loi du 19 mai 1874.
563

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
A en croire le patronat l’apprentissage serait également victime des lois réglementant
le travail. Désormais prendre un apprenti serait source d’ennuis et de responsabilités
supplémentaires. Il n’est plus question de se contenter de le loger et de le nourrir, il faut le
payer. Toutefois, le salaire n’étant pas élevé le jeune devient alors une charge pour ses parents
qui le retire sans préavis de son apprentissage afin de lui faire faire un travail à part entière.
D’où une insécurité juridique planant constamment au-dessus des ateliers formant des
apprentis. De plus, l’apprentissage est parfois un moyen pour le patronat de contourner la loi.
Il s’en sert afin d’embaucher de jeunes enfants sous prétexte de formation alors qu’aucun
enseignement n’est prodigué, si on excepte les gestes basiques nécessaires au travail en usine.
Cette confusion est même entretenue par certains inspecteurs du travail. En 1886 celui de la
12 e circonscription utilise le terme apprenti comme un synonyme d’ouvrier juvénile 2500 . Une
erreur terminologique révélatrice du flou juridique qui entoure les deux notions.
L’argumentation patronale ne porte pas uniquement sur le travail des enfants et des
femmes. Les textes réglementant le travail des ouvriers adultes font eux aussi l’objet de l’ire
des entrepreneurs. Selon certains d’entre eux limiter le temps de travail a des conséquences
néfastes. Le propriétaire d’une papeterie située à Tiffauges en Vendée en fait état en 1872 2501
alors qu’il demande une dérogation afin de faire travailler ses ouvriers de deux à quatre heures
supplémentaires par jour. Selon lui modérer le temps de travail revient à favoriser la paresse
ou bien à augmenter les risques d’accidents. En effet, il constate que ses ouvriers
appartiennent à deux catégories quand ils ne travaillent pas. Les uns se livreraient à
l’ivrognerie. Les autres passeraient leur temps libre à travailler dans leurs champs et
arriveraient fatigués à la papeterie 2502 occasionnant une productivité moindre et des accidents
plus nombreux. Cette argumentation ne convainc pas l’administration et la dérogation est
refusée.
2500 Rapport du 1 er janvier 1886 au ministre du Commerce, AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le
travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 12 e circonscription.
2501 Date à laquelle le temps de travail journalier est de douze heures. Lettre du préfet de Vendée du 25 juin 1872
au propriétaire d’une papeterie de Tiffauges, ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries : exécution de
la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2502 Les directions des mines de Saint-Laurs et de Faymoreau dressent un constat identique concernant la
pluriactivité des ouvriers occasionnant fatigue et accidents, cf. supra p.201.
564

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Cependant le discours sur l’inadéquation des heures travaillées avec les obligations
industrielles perdure jusqu’à la Grande Guerre 2503 . Beaucoup, parmi lesquels des inspecteurs
du travail, estiment qu’il serait nécessaire d’atténuer la rigidité de la loi en fonction des
circonstances et du type d’activité. C’est ainsi qu’on réclame une durée maximale du travail
extensible dans les industries où le temps de travail est par nature aléatoire, où le chômage
intervient parfois, où la force motrice varie 2504 , où les commandes fluctuent. C’est dans cette
optique que le conseil municipal des Sables-d’Olonne adresse une demande au ministère du
Commerce et de l’industrie qui prépare la future loi sur le travail de 1892 2505 . Le maire et ses
conseillers veulent obtenir une dérogation expresse permettant le travail de nuit des femmes
mineures dans les conserveries de poisson. Ils mettent en avant le caractère fluctuant de la
pêche obligeant les jeunes filles a toujours devoir être disponible pour traiter le plus
rapidement possible le poisson. Or, la législation de l’époque oblige à demander une
autorisation ministérielle pouvant être révoquée à tout moment, même à des périodes où la
présence d’ouvrières dans les ateliers est indispensable. C’est pourquoi la municipalité
sollicite de mettre fin à cet aléa pouvant entraver la bonne marche des fabriques de conserves
de la côte en prévoyant expressément cette exception à la prohibition du travail de nuit.
Il va de soi que l’opposition patronale se traduit souvent par une mauvaise application
de la loi. Les cas de récidives sont très fréquents, d’autant plus que les amendes encourues
sont très peu élevées. Citons le cas d’un certain Noiraud, apprêteur de soies de porcs des
alentours de Niort, ayant reçu chaque année pendant huit ans un avertissement pour non
respect de la loi du 19 mai 1874. L’inspecteur divisionnaire Giraud s’en émeut et estime qu’il
serait temps de le sanctionner, d’autant plus qu’un des concurrents locaux de Noiraud a été
poursuivi par le tribunal correctionnel de Niort deux fois dans le même laps de temps pour des
faits identiques 2506 . Cet exemple illustre bien la fronde patronale et l’argument qui fait de
l’application partielle de la loi un facteur de concurrence déloyale.
2503
La question est toujours d’actualité comme le montre les vifs débats que suscitent l’efficacité économique
des 35 heures.
2504
Comme c’est le cas avec le débit des rivières.
2505
Délibération du conseil municipal des Sables-d’Olonne du 10 août 1888, cf. lettre du ministère du
Commerce et de l’Industrie au préfet de Vendée du 5 octobre 1888, ADVd 10M10. Travail des enfants dans les
industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 [1875 ; 1891].
2506
Lettre de l’inspecteur divisionnaire Gustave GIRAUD adressée au ministre du Commerce le 30 juin 1888,
AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
565

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Cette résistance patronale s’effectue souvent avec la complicité parentale. L’utilité des
premières lois sociales n’est pas toujours comprise à l’intérieur des familles ouvrières.
2. Une atteinte à l’autorité parentale
L’opposition parentale aux lois du travail et à leurs effets constitue un argument
répandu chez les entrepreneurs afin de justifier leur propre inobservation des dispositions
légales. En 1869 l’ingénieur des mines d’Angers le dit sans faux-fuyant 2507 quand il constate
l’absence quasi-totale d’instruction parmi les enfants des ateliers qu’il contrôle. Selon lui les
patrons s’en moquent et se cachent derrière la mauvaise volonté des enfants et de leurs
parents.
Il y a pourtant une part de vérité dans l’affirmation patronale. Les parents voient d’un
mauvais œil l’intervention de l’Etat en matière sociale qui porte atteinte à leur propre autorité.
Une ingérence arbitraire synonyme d’une baisse des rémunérations. Un enfant qui ne travaille
plus c’est une source de revenu qui disparaît. Les esprits du temps ont tardé avant d’accepter
l’idée que l’on pouvait maintenir son salaire tout en obtenant une diminution des heures de
travail.
Le préfet de Vendée défend cette opinion en 1867. Il estime que la faible éducation
des enfants employés par l’industrie est rarement imputable aux patrons. Au contraire ces
derniers y seraient favorables mais se heurteraient aux refus ou aux réserves parentales 2508 .
Cette opinion révèle une vision bien angélique de l’opinion patronale qui ne doit pas masquer
les réticences des parents. Toutefois rares sont les infractions constatées dans les
départements poitevins directement imputables aux parents. Certains d’entre eux ajoutent les
problèmes de garde des enfants au grief économique. Le décalage horaire entre la journée des
adultes et celle des mineurs favoriserait le vagabondage, voire le chapardage ou la mendicité.
Libérés de la surveillance de leurs pères et mères avec qui ils travaillent habituellement les
adolescents pourraient se livrer à la satisfaction de leurs turbulents instincts.
Si on comprend aisément l’hostilité ou la réticence du patronat et d’une partie du
monde ouvrier à l’égard d’une législation sociale novatrice, il est plus difficile de concevoir le
manque de collaboration à la cause du droit social de l’administration qu’elle soit judiciaire,
2507 Rapport de l’ingénieur des Mines d’Angers du 9 juillet 1869, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2508 Rapport du préfet de Vendée au ministre de l’Agriculture et du commerce du 20 mars 1867, ADVd 10M12.
Travail des femmes et des enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ; 1936].
566

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
départementale ou communale. Une solidarité de classe et des raisons idéologiques
conduisent nombre de notables à atténuer la portée des lois réglementant le travail des
ouvriers.
3. L’indifférence municipale
Certains maires n’hésitent pas à prendre parti sans détours pour les industriels de leur
commune. La solidarité de classe, les enjeux électoraux et l’importance de l’emploi local
expliquent le plus souvent cette attitude. Le maire de l’Ile-d’Yeu, dont l’intervention a déjà
été évoquée ci-dessus, en est un bon exemple.
Toutefois le fond de la pensée des maires et leur possible opposition frontale n’est pas
ce qui gêne le plus l’inspection du travail, malgré l’évocation de cas de documents
antidatés 2509 ou bien accordés par complaisance. Le manque de sérieux, la méconnaissance de
la législation du travail et des obligations inhérentes à leurs responsabilités municipales créent
beaucoup plus de difficultés. Les inspecteurs en place se plaignent constamment des lacunes
en matière de certificat d’instruction et de livret consignant divers renseignements propres à
chaque enfant ouvrier 2510 .
Tout d’abord certaines mairies ne possèdent pas toujours de documents à distribuer.
C’est le cas dès 1842 dans les mairies de l’arrondissement de Poitiers 2511 . Les entrepreneurs
eux-mêmes se plaignent de l’absence de livret d’enfants dans les mairies, les imprimés ne leur
étant pas parvenus. L’inspecteur divisionnaire en charge de la 12 e en 1886, estime même que
cet argument constitue l’excuse la plus souvent citée par les industriels 2512 . A cela s’ajoute la
confusion opérée par les édiles entre livrets d’enfants et livrets ouvriers. La confusion est
principalement due au fait que certains maires se voient obligés de payer afin d’obtenir ces
documents. C’est pour éviter ces frais qu’il leur arrive de les remplacer par des livrets
2509 L’inspecteur divisionnaire Giraud soupçonne le maire de Frontenay Rohan-Rohan près de Niort d’avoir
antidaté des certificats de scolarité concernant ses jeunes employés afin d’aider un industriel local, apprêteur de
soies de porc, multirécidiviste en manque de pièces justificatives, AN F12/4752. Application de la loi de 1874
sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2510 Articles 9 et 10 de la loi du 19 mai 1874.
2511 ADV M12.63. Travail des enfants dans les manufactures.
2512 Rapport du 1 er janvier 1886 au ministre du Commerce, AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le
travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 12 e circonscription.
567

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
ouvriers. Un document où l’âge des enfants n’apparaît pas, ce qui pose un problème de taille
aux inspecteurs du travail 2513 .
D’autres maires refusent purement et simplement d’octroyer le document estimant
qu’il ne leur appartient pas de contrôler la réalité de l’instruction primaire suivie par les
ouvriers juvéniles. Selon eux cette tâche revient à l’instituteur ou à l’inspecteur
d’académie 2514 .
Quand il ne s’agit pas d’un refus pur et simple, il arrive que les maires n’effectuent pas
les contrôles nécessaires au bon accomplissement de leur mission. Des certificats de scolarité
sont remplis sur simple déclaration verbale des intéressés, sans aucun document attestant de la
réalité de l’âge ou du niveau d’éducation. En 1908, soit seize années après la loi de 1892, le
ministère du Travail demande encore aux maires d’accomplir cette tâche avec plus de sérieux
et plus de rigueur, c’est dire si la législation du travail met du temps à entrer dans les
mœurs 2515 .
Pourtant le problème principal posé par les mairies semble être l’absence de gratuité
des documents obligatoires imposés par la loi. Ces frais n’incitent guère parents et
entrepreneurs à se munir desdites pièces. Des circulaires préfectorales rappellent à l’ordre
plusieurs fois les municipalités à ce sujet. En 1843, le préfet remémore aux maires que les
certificats constatant l’âge des enfants ne doivent pas être délivrés sur un papier timbré 2516 . De
même, en 1875, un texte de même nature indique que tout certificat de naissance pour un
enfant ayant vu le jour dans une autre commune nécessaire à la délivrance d’un livret doit être
effectué sur papier libre afin d’éviter toute dépense inutile 2517 . D’autres insertions au recueil
des actes administratifs sont effectuées par la suite, comme en janvier 1899 2518 . Il s’agit
encore et toujours de tenter de faire respecter par les maires les obligations issues des lois sur
le travail industriel. Mais l’initiative reste lettre morte comme le constate le ministère de
2513 e
Analyse du rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois par le ministère du Commerce au 4 trimestre 1883,
AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2514 e
Rapport de l’inspecteur divisionnaire de la 10 circonscription du 11 décembre 1882, AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2515
Circulaire du 14 avril 1908 émanant du ministère du Travail et de la prévoyance sociale, ADVd 10M12.
Travail des femmes et des enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ; 1936]
2516
Circulaire préfectorale du 11 novembre 1843 relative à la loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants, RAA
préfecture de la Vienne (1842-1855).
2517
Circulaire préfectorale du 20 octobre 1875 relative au travail des enfants et des filles mineures dans
l’industrie, RAA préfecture de la Vienne (1871-1880).
2518
Lettre de l’inspecteur divisionnaire du 22 janvier 1899, ADVd 10M12. Travail des femmes et des enfants
dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ; 1936].
568

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
l’Industrie un an plus tard à propos des municipalités de La Roche-sur-Yon 2519 et de Croix de
Vie 2520 .
Les municipalités se cachent bien souvent derrière l’ignorance – réelle ou pas – de la
loi. En réalité les maires voient fréquemment dans ces nouvelles obligations des dépenses
supplémentaires grevant leur budget et un travail fastidieux.
Si la réticence municipale à l’encontre des lois du travail peut se comprendre eu égard
à la proximité pouvant exister entre maires et entrepreneurs, elle est plus difficilement
concevable quand elle est le fait du monde judiciaire.
4. Un pouvoir judiciaire clément et partisan
Les lois sociales nées dans le cadre du travail industriel bouleversent la vision libérale
et civiliste qui inspire la société française du XIX e siècle. Le monde judiciaire étant par
essence conservateur, il faut du temps avant qu’il accepte une législation innovante ébranlant
l’édifice de granit napoléonien.
Le régime de la loi de 1841 sur le travail des enfants n’encombre pas les tribunaux.
Une seule décision de justice fait jurisprudence entre 1841 et 1860 2521 .
Ensuite nombre de décisions judiciaires prises dans le ressort poitevin, en application
des lois sur le travail des mineurs, surprennent. Les attendus de ces jugements dénotent, au
mieux, une indifférence à un nouveau droit social balbutiant, au pire, une volonté partisane de
nuire à l’application d’un nouveau texte de loi. Cette attitude explique en partie la rareté des
procès-verbaux avant la loi du 2 novembre 1892.
2519 La municipalité de La Roche-sur-Yon est soupçonnée de complaisance avec les industriels locaux par
l’inspecteur de la 7 e circonscription. La mairie ne respecterait pas le délai de 48 heures pour déclarer tout
accident du travail survenu dans la commune, empêchant par la même toute intervention de l’inspection du
travail, cf. lettre de l’inspecteur du travail industriel de la 7 e circonscription au préfet du 7 juillet 1900, ADVd
10M12. Travail des femmes et des enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ;
1936].
2520 Lettre du ministère de l’Industrie au préfet de Vendée du 28 février 1900, ADVd 10M12. Travail des femmes
et des enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ; 1936].
2521 C. Cass. crim. 14 mai 1846, voir GUIN (Yannick), Au cœur du libéralisme : la loi du 22 mars 1841 relative
au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers, in LE CROM (Jean-Pierre) (dir.), Deux
siècles de droit du travail. L’histoire par les lois, op. cit., p.39.
569

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
En 1883, l’inspecteur divisionnaire Landois constate l’indulgence constante des
tribunaux à l’égard des industriels fautifs. Une passivité si importante que le fonctionnaire
estime nécessaire de leur faire connaître expressément la jurisprudence en la matière afin
qu’ils ne feignent plus l’ignorance.
« Les tribunaux se montrent toujours d’une trop grande indulgence
pour la répression des contraventions relevées par les procès-
verbaux de l’inspecteur. M. Landois croit que pour éclairer les juges
de province, il serait bon d’adresser aux procureurs de la république
un exemplaire du recueil des jugements rendus par le tribunal
correctionnel de la Seine, en matière de contraventions à la loi du 19
mai 1874 2522 ».
L’initiative reste lettre morte. Les parquets demeurent réticents à poursuivre 2523 . Les décisions
de justice favorables aux entrepreneurs établies sur des justifications factuelles peu fondées ou
l’interprétation restrictive de la jurisprudence continuent d’être prises. Le Poitou, comme
nombre de régions, n’y déroge pas 2524 et offre des exemples probants de la connivence
judiciaire envers les entrepreneurs contrevenants.
Le parquet n’hésite pas à classer des affaires de violations manifestes et répétées de la
loi de 1874. Ainsi en 1887 un fabricant de chaussures à semelles de bois des Herbiers, en
Vendée, emploie deux enfants sans certificat d’instruction travaillant la journée entière. En
outre, l’établissement ne possède pas de registre spécial d’inscription et aucune loi et
règlement n’y sont affichés. Deux éléments justifient la décision du procureur. Il estime d’une
part que l’infraction est « insuffisamment caractérisée » 2525 et d’autre part que l’industriel
fautif s’est depuis conformé à la loi après l’intervention du juge de paix. Cette dernière
affirmation est manifestement fausse puisque le même industriel sera à nouveau poursuivi
2522 Analyse du rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois par le ministère du Commerce au 4 e trimestre 1883,
AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2523 En 1891 le garde des sceaux, le futur président de la République Armand Fallières, rappelle encore à l’ordre
les procureurs généraux afin qu’ils poursuivent davantage les entrepreneurs fautifs, voir DUMAS (Jean-
Philippe), « Vous allez faire détester la République ! » (L’inspection de 1874 à 1892, in ROBERT (Jean-louis)
(dir.), Inspecteurs et inspections du travail op. cit., p.38 note 13.
2524 VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., pp.107-108.
2525 Courrier du parquet de la Cour d’assise de Vendée du 26 avril 1887, AN F12/4750 Application de la loi de
1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
570

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
pour les mêmes faits deux années plus tard 2526 . Mais le plus grave est que le parquet remet en
cause les compétences et la probité de l’inspecteur divisionnaire 2527 . Il affirme qu’en « réalité
les enfants employés […] avaient plus de 12 ans et avaient acquis l’un et l’autre l’instruction
primaire élémentaire ». Une attitude qui choque et attriste l’inspecteur du travail 2528 : « A ma
grande déconvenue le PV a été classé par Monsieur le Procureur de la république de La
Roche-sur-Yon sans information ni avis, avant que je n’en fusse enquis ». L’inspecteur estime
que cette décision porte « atteinte à la loi de 1874 et au prestige des fonctions de
l’inspection », d’où une protestation près la Cour d’appel qui classe elle aussi l’affaire. Le
fonctionnaire furieux étaie ses propos en fournissant au ministre moult documents attestant de
sa bonne foi, tout en concluant sa missive en insistant sur les difficultés qu’il rencontre
quotidiennement pour mener à bien sa mission.
Certains jugements sont d’une partialité évidente comme l’illustrent certains procès
faits à des petits entrepreneurs de Parthenay. En 1891, un menuisier de la ville n’est pas
condamné 2529 alors qu’il emploie un enfant de 14 ans travaillant plus de 10 heures par jour,
sans livret et sans que la loi ne soit affichée. Le juge estime que l’infraction n’existe pas. Il
fonde sa décision sur le fait qu’aucun contrat de travail n’est signé entre l’artisan et
l’adolescent, ce qui le fait échapper à la loi de 1874. Le magistrat estime que le jeune ouvrier
ne faisait qu’un essai dans la menuiserie afin de savoir si la profession lui convenait 2530 . Le
même argument, c’est-à-dire l’absence de contrat de travail ou d’apprentissage, est également
utilisé en faveur d’une couturière de la capitale de la Gâtine poitevine 2531 .
Toujours en 1891 l’inspecteur divisionnaire Giraud fait état d’un autre cas concernant deux
apprentis employés sans certificat d’instruction primaire, ni livret, travaillant 12 heures par
jours, sans registre et sans affichage de la loi. Le juge s’est à nouveau abstenu de condamner
l’employeur estimant que les enfants dépourvus de contrat de travail étaient uniquement
2526 L’affaire sera encore classée sans suite AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants
et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e
circonscription. Dans ce cas on ne peut pas parler de récidive. Celle-ci n’existe uniquement que si un acte fautif
de même nature a lieu dans les 12 mois précédents (article 26 al.3 de la loi du 19 mai 1874).
2527 Lettre du 17 mai 1887.
2528 Missive de l’inspecteur divisionnaire adressée au ministère du Commerce et de l’Industrie du 22 mai 1887,
AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
2529 Il est seulement condamné à 1 franc d’amende pour défaut d’affichage.
2530 Procès correctionnel du 29 mai 1891, AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants
et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e
circonscription.
2531 Décision du 25 mai 1891, AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de
septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
571

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
présents dans l’atelier pour regarder les adultes travailler 2532 ! Le paravent d’un simulacre
d’apprentissage est souvent un moyen de détourner la loi afin d’embaucher des enfants sans
contrainte 2533 .
Dans d’autres cas, les tribunaux trouvent des circonstances atténuantes 2534 aux
entrepreneurs fautifs comme l’absence d’antécédent à l’instar du jugement d’un serrurier
mécanicien devant le tribunal de Niort le 20 avril 1891 condamné à cinq amendes de deux
francs avec sursis 2535 . En théorie cette pratique ne devrait pas être possible. Même
correctionnalisée, la faute devrait être sanctionnée comme une contravention, c'est-à-dire par
sa seule matérialité, excluant par la même les excuses de bonne foi et les circonstances
atténuantes 2536 .
En outre, certains juges ne suivent pas la jurisprudence de la Cour de cassation optant
pour un cumul des amendes. En effet, la Cour exige qu’un patron employant des enfants
illégalement soit condamné à un nombre d’amendes égal à la quantité d’infractions commises
pour chacun des enfants. Malgré cela le tribunal correctionnel de Poitiers condamne une
couturière de la ville uniquement en fonction du nombre d’enfants illicitement employés, soit
19 amendes de deux francs correspondant aux quatre enfants de 12 à 15 ans, aux trois de 15 à
16 ans et aux onze filles mineures occupés dans l’atelier 2537 . Une conception permettant de
diminuer considérablement le montant des peines pécuniaires prononcées.
Ajoutons à cela des amendes extrêmement faibles 2538 qui manquent totalement de
pouvoir de dissuasion.
2532 Lettre de l’inspecteur divisionnaire d’Angers au ministre du Commerce du 10 mai 1891, AN F12/4752.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2533 ROBERT (François), L’industriel et l’inspecteur du travail : une collaboration paradoxale – législation et
respect des obligations d’enregistrement relatives au contrôle de l’embauche (1892-1945), in ROBERT (Jeanlouis)
(dir.), Inspecteurs et inspections du travail sous la III e et IV e République, op. cit., p.211.
2534 Article 463 du code pénal.
2535 AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2536 BORDEAUX (Michèle), Nouvelle et périmée, la loi du 19 mai 1874…, op. cit., p.53.
2537 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Giraud au ministre du Commerce du 16 juillet 1899, AN F12/4752.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2538 Les contrevenants sanctionnés en correctionnelle doivent s’acquitter d’une amende comprise entre 16 et 50
francs et 50 à 200 francs en cas de récidive. Or, à l’échelon national, le montant moyen desdites amendes s’élève
aux alentours de 35 francs entre 1886 et 1891, cf. VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit.,
p.108, et quelque soit le nombre d’infractions commises le maximum s’élève à 300 francs en cas d’infraction à la
protection et à 1000 francs pour des infractions à l’inspection, cf. BORDEAUX (Michèle), Nouvelle et périmée,
la loi du 19 mai 1874…, op. cit., p.54.
572

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Un juge de paix de La Roche-sur-Yon explique la clémence judiciaire envers les
industriels de la région par l’absence de gravité des infractions constatées et l’inadéquation de
la loi avec la réalité des contrées faiblement industrialisées 2539 . Selon lui l’inspecteur devrait
ne relever que quelques infractions et se contenter d’avertir. En outre il se plaint d’être obligé
d’appliquer la loi en se disant lié par la elle. Un comble pour un juge ! Il étaie son propos par
l’exemple du jeune apprenti menuisier nettoyant l’atelier le dimanche, auquel le patron donne
en contrepartie des déchets de bois afin de chauffer sa famille.
Cette situation est décourageante pour les inspecteurs du travail, rien ne les motive à
rédiger des procès-verbaux. Ce découragement est accentué par le manque de soutien de
certains représentants de l’administration, au premier rang desquels figurent quelques préfets.
5. Le manque de soutien de l’administration
Les inspecteurs du travail doivent parfois lutter contre les propres représentants de
l’Etat, son administration et en premier lieu contre le corps préfectoral 2540 . Ce dernier ne
semble pas vouloir prendre conscience de l’importance et des enjeux liés à la législation du
travail. Les nombreux rapports préfectoraux antérieurs à 1868, moment où l’inspection des
Mines est chargée du contrôle de la bonne application des lois du travail, l’indiquent. Presque
toujours la loi semble appliquée. Une vision extrêmement faussée de la réalité qui traduit
l’indifférence de l’administration départementale à la protection des travailleurs.
L’électoralisme constitue la première cause de réticence envers les lois sociales. Les
préfets craignent que l’action contraignante menée par les agents de l’inspection du travail
n’aliène une partie des industriels à la cause républicaine encore incertaine. Les instructions
ministérielles constantes après 1874 prônant l’action préventive plutôt que répressive vont
dans ce sens. On certes faire accepter la loi nouvelle mais surtout on ne veut pas faire détester
la République balbutiante. Ce souci est particulièrement prégnant dans l’Ouest de la France
où existent maints bastions conservateurs et réactionnaires à l’image du bocage vendéen.
2539 Lettre du juge de paix de La Roche-sur-Yon en date du 12 juillet 1899, AN F12/4752. Application de la loi
de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2540 Cf. LECOMTE (Catherine), L’action du préfet de Seine-et-Oise sur le travail des enfants au XIX e siècle,
Revue d’histoire de Versailles et des Yvelines, t.78, 1994, pp. 63-97, voir également PELCRAN (Anne), op. cit.,
p.428 et s. concernant le rôle préfectoral dans l’application des lois sur le travail des enfants.
573

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Les périodes d’élections où l’appareil préfectoral joue à plein pour mettre en valeur la
République ne sont pas propices au contrôle des établissements industriels. En 1885, Landois
s’abstient d’engager des poursuites afin de ne pas porter préjudice aux républicains pour les
élections à venir 2541 . Plus tard, en juillet 1901 le sous-préfet des Sables-d’Olonne s’inquiète
auprès de son supérieur résidant à La Roche-sur-Yon des « tracasseries » occasionnées aux
entrepreneurs locaux par l’inspecteur du travail qui pourraient faire le jeu des forces
d’opposition aux prochaines élections cantonales.
« A la veille des élections cantonales ces mesures ont semblé
vexatoires à beaucoup de nos amis qui sont venus, de leur côté, se
plaindre amèrement à moi.
Je leur ai promis de porter ces faits à votre connaissance et
d’insister auprès de vous, car j’estime, comme eux, que ces
incidents, très habilement exploités par les réactionnaires, sont de
nature à causer un préjudice très sensible au candidat
républicain 2542 ».
Le sous-préfet poursuit sa missive en allant jusqu’à demander expressément au préfet
d’ajourner les poursuites à venir.
A contrario, il arrive que l’inspection du travail soit utilisée comme arme politique. En
1890 un commissaire spécial rédige un rapport à charge à l’encontre d’un certain Brimaud,
considéré comme le chef du parti réactionnaire de Chauvigny qui posséde une usine où sont
employés des enfants. Il aurait violé à plusieurs reprises la loi de 1874. Le commissaire
demande à ce que le procureur de la République soit saisi 2543 .
Des conflits plus directs peuvent opposer inspecteurs divisionnaires du travail et
préfecture. Parfois l’inspecteur se borne à rappeler au représentant de l’Etat dans les
départements qu’il n’est pas de son ressort d’autoriser ou de tolérer des violations aux lois
régissant les établissements industriels, comme le fait l’inspecteur du travail au préfet de
Vendée en 1897 2544 .
2541 VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République. L’inspection du travail en France jusqu’en 1914, t.1 et 2,
Paris, 1994, p.102. En 1885 le nombre de procès verbaux baisse de 45% par rapport à 1884.
2542 Lettre du sous-préfet des Sables-d'Olonne au préfet de Vendée du 8 juillet 1901, ADVd 10M12. Travail des
femmes et des enfants dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ; 1936].
2543 Rapport du commissaire spécial du 29 janvier 1890, ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891).
2544 Lettre de l’inspecteur du travail au préfet du 16 juin 1897, ADVd 10M12. Travail des femmes et des enfants
dans l’industrie : exécution de la loi du 2 novembre 1892 [1892 ; 1936].
574

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
De temps à autres l’affrontement est plus vif et dénote un véritable détachement du
corps préfectoral pour l’inspection du travail. C’est le cas dans les Deux-Sèvres dans la
dernière moitié des années 1870. Fait unique dans le Poitou, le département possède son
propre inspecteur. La personne choisie par le conseil général n’est autre que le chef de bureau
de la préfecture, le dénommé Largeau. Son double rôle va détériorer les relations entre les
deux institutions. En effet Largeau apparaît rapidement comme le cheval de Troie du préfet au
sein de l’inspection du travail. Le représentant de l’Etat n’entend pas abandonner la moindre
part d’influence qu’il possède sur son subordonné en ne différenciant pas les deux fonctions
qu’il exerce. Dès la nomination, le préfet précise avec insistance que l’inspecteur
divisionnaire Landois ne doit pas s’adresser directement à l’inspecteur Largeau mais le faire
par son intermédiaire, une décision en contradiction avec l’article 21 de la loi du 19 mai 1874.
« Toutefois, je crois devoir vous faire remarquer que cet emploi a
un caractère essentiellement départemental et, qu’à ce titre, il est
entièrement confié à ma direction [celle du préfet]. Nos relations,
par conséquent, n’éprouveront aucun changement en ce sens que
vous continuerez à m’adresser directement votre
correspondance 2545 »
Une véritable valse de courriers s’opère alors entre Niort, Paris et Limoges, chef-lieu de la 10 e
circonscription. Chacun des protagonistes essaie d’obtenir les faveurs du ministre en
dénigrant l’adversaire.
Landois s’aperçoit rapidement que l’inspecteur départemental n’effectue pas son
travail. Ses inspections sont rares. La visite des tuileries de Montalembert en août 1879 relève
de l’exception 2546 . Il s’interroge à diverses reprises 2547 sur l’activité réelle de son subordonné.
Il en arrive même, comme en décembre 1880, à se demander si Largeau réside toujours à
2545 Lettre du préfet des Deux-Sèvres à l’inspecteur divisionnaire de la 10 e circonscription du 2 octobre 1878, AN
F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription
2546 ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2547 C’est le cas en 1880, 1881 ou 1883, année où le ministère constate que « l’inspecteur départemental des
Deux-Sèvres continue toujours à s’abstenir de communiquer avec l’inspecteur divisionnaire », AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
575

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Niort et s’il y exerce toujours ses fonctions à la préfecture 2548 . Et quand celui-ci répond
l’inspecteur divisionnaire constate les lacunes des inspections effectuées 2549 .
De son côté Largeau se défend. Il met en avant le manque de temps que lui laissent ses
fonctions exercées à l’intérieur de la préfecture ; fonctions ne cessant d’augmenter. Le 22
décembre 1880 l’inspecteur départemental informe Landois qu’il est à la fois secrétaire au
bureau du préfet mais aussi en charge de l’assistance publique 2550 ce qui l’oblige à un travail
de bureau conséquent empêchant tout déplacement 2551 . Cette situation intenable pousse
l’inspecteur divisionnaire à sommer l’inspecteur Largeau de choisir entre toutes ses
missions 2552 . Bien souvent les seules réponses de Largeau et de la préfecture consistent à
critiquer l’action de l’inspecteur Landois. L’inspecteur départemental le dépeint comme un
dirigiste, sans tact avec les industriels qu’il veut punir coûte que coûte 2553 . Un portrait peu
élogieux que le préfet ne manque pas d’enlaidir un peu plus 2554 . Selon lui Landois n’est pas si
zélé qu’il le dit puisqu’il visite rarement le département des Deux-Sèvres. Il ajoute que
l’inspecteur divisionnaire précédent ne s’est jamais plaint d’un manque d’activité de
l’inspecteur départemental. Et, qu’enfin, il aurait bafoué les « convenances hiérarchiques » en
voulant diriger l’action de l’inspecteur départemental sans en référer au préfet. L’inspection
départementale deux sévrienne ne se relèvera pas de cette discorde.
Deux circulaires ministérielles de novembre 1893 mettent clairement fin à ce genre de
dissension. Ces textes exigent des préfets de ne plus s’adresser aux inspecteurs
départementaux mais de faire leurs éventuelles remarques seulement à leurs supérieurs
chapotant les circonscriptions. De même, le ministre demande aux inspecteurs
départementaux de n’avoir plus qu’un seul interlocuteur en la personne de l’inspecteur
divisionnaire 2555 . On veut éviter que les préfets – voire les conseils généraux – filtrent les
informations qu’ils reçoivent afin de ne pas les transmettre à l’administration centrale.
2548
Lettre de l’inspecteur divisionnaire du travail au préfet des Deux-Sèvres du 18 décembre 1880, ADDS
11M19.5. Travail des enfants.
2549
Rapport de l’inspecteur départemental Largeau à l’inspecteur divisionnaire Landois du 20 décembre 1880,
ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2550
ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2551
Auparavant il effectuait ses inspections dans le cadre des déplacements liés à ses autres attributions
2552
Lettre du 8 décembre 1881, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2553
Réponse de l’inspecteur départemental Largeau à une demande de renseignements du ministère à propos de
l’inspecteur divisionnaire Landois datée du 25 janvier 1882, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2554
Courrier du 14 février 1882 adressé au ministère, AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail
des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail
de la 13 e circonscription.
2555
Circulaires des 24 et 25 novembre 1893 adressées aux préfets et aux inspecteurs divisionnaires du travail,
ADVd 10M5. Inspection du travail dans l’industrie [1892 ; 1920].
576

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Les inspecteurs d’Académie et leurs subalternes apparaissent également aux côtés des
préfets dans la liste des fonctionnaires ne facilitant pas le labeur mal aisé des inspecteurs du
travail.
Malgré la volonté affichée par les instituteurs d’appliquer rigoureusement la
législation, il apparaît que nombreux sont les maîtres d’école à ne pas respecter
scrupuleusement la loi. Certains d’entre eux, et « surtout les institutrices (sic) », n’hésitent
pas à délivrer des certificats de complaisance aux patrons employant de jeunes enfants 2556 ,
comme le constate un inspecteur divisionnaire dans les campagnes de la 10 e circonscription
durant l’année 1882.
A cela s’ajoute la difficile cohabitation 2557 entre la loi du 28 mars 1882, portant sur
l’instruction primaire obligatoire, et la loi du 19 mai 1874, imposant elle aussi aux jeunes
ouvriers un enseignement de base (article 8). Les deux textes imposent un âge différent pour
la fin de l’instruction primaire : 12 ans dans le cadre de la loi de 1874 et 13 ans dans celui du
texte de 1882. Cette contradiction impose une interprétation sur laquelle les ministères eux-
mêmes s’opposent. D’un côté les tenants de l’application stricte des deux textes. La loi de
1874 faisant exception à la règle édictée en 1882. De l’autre côté ceux qui pensent qu’un texte
plus récent s’impose nécessairement aux œuvres législatives antérieures. Une conception dans
laquelle l’article 9 serait caduc. Loi de 1892 réglera ce problème en mettant en adéquation les
lois du travail et celles de l’instruction primaire.
En attendant l’opposition perdure sur le terrain. Dans la 10 e circonscription, l’inspecteur
d’académie paralyse l’application de la loi de 1874. En 1884, l’inspecteur divisionnaire se
plaint de cette attitude auprès du préfet des Deux-Sèvres. Cette posture autorise certains
instituteurs à refuser de délivrer le certificat demandé par le très contesté article 9 2558 .
Quelques mois plus tard Landois livre le fond de sa pensée sur ce sujet au ministre du
2556 Rapport du l’inspecteur divisionnaire du travail du 11 décembre 1882, AN F12/4746. Application de la loi de
1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2557 Si l’application des deux lois n’est pas aisée du fait de certaines dispositions contraires, leurs effets combinés
permettent d’accélérer la limitation du travail des enfants.
2558 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois pour le 4 e trimestre 1884 adressé au ministère du Commerce
en date du 24 décembre 1884, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle
de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e
circonscription. Signalons que le préfet ne fournit aucune interprétation à l’inspecteur qui doit à nouveau se
débrouiller seul.
577

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Commerce. Il s’estime le mieux placé afin de promouvoir l’instruction obligatoire car, ajoute-
t-il, il dispose d’un pouvoir de « sanctions réelles » 2559 …
D’autres administrations hésitent à collaborer avec l’inspection du travail. En 1886 le
garde mine de La Roche-sur-Yon obéit à ses supérieurs en ne répondant pas positivement à
une requête de l’inspecteur divisionnaire du travail voulant qu’il visite les puits des houillères
de Faymoreau. Une attitude qui ne manque pas d’étonner l’inspecteur 2560 .
Longtemps livré à lui-même dans univers inamical l’inspecteur du travail réussit
progressivement à imposer le respect des lois du travail à tous les acteurs locaux qu’ils
appartiennent au monde industriel, judiciaire ou administratif.
b) La répression des infractions
Malgré tous les obstacles rencontrés l’inspection parvient au fil du temps à accentuer
son action et à imposer une réelle répression des infractions constatées. Lentement le règne de
la tolérance 2561 , inefficace mais voulu à tous les échelons de l’Etat, cède la place à une
véritable répression, des sanctions que l’inspection doit imposer dans un premier temps. Ainsi
si l’inspecteur divisionnaire Blaise privilégie le dialogue avec les entrepreneurs, son
successeur, Landois, ose sanctionner certaines infractions flagrantes afin d’en faire des
exemples dissuasifs.
Il est possible de décomposer les infractions aux trois lois réglementant le travail des
plus jeunes en deux catégories. Les unes concernent les violations touchant au « fond » de la
loi, c'est-à-dire celles touchant à l’âge d’embauche et aux horaires de travail. Les autres
portent sur le non respect des obligations formelles imposées par les différents textes
successifs.
2559 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Landois pour le 3 e trimestre 1884 adressé au ministère du Commerce
en date du 3 octobre 1884, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de
septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2560 « La réponse m’a paru singulière alors que la Commission supérieure parle dans le rapport de 1884 de la
nécessité d’intervention des ingénieurs des mines », rapport du 1 er janvier 1886 adressé au ministre du
Commerce, AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848
sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
2561 « La tolérance doit être considérée comme une faveur, une indulgence accordée à la bonne foi et au bon
vouloir de l’industriel qui fait des efforts sincères pour l’accomplissement de ses devoirs. C’est un
encouragement à l’application de la loi », TALLON (E.), Manuel pratique et commentaire de la loi du 19 mai
1874 sur le travail des enfants, Paris, 1885, pp.388-389.
578

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
1. Sous le régime de la loi du 22 mars 1841
Les dispositions relatives à l’âge d’embauche et aux heures travaillées semblent
relativement bien suivies avant 1874 à en croire les rapports préfectoraux toujours sujets à
caution. Toutefois, un certain délai est nécessaire au changement des habitudes. En 1843 la
durée légale n’est pas respectée dans une filature de laine de Mortagne. Seize enfants y sont
employés 2562 . A l’époque ceux de moins de 12 ans travaillent plus de 8 heures et les autres 13
heures 2563 . De même les enfants mineurs de 12 ans travaillent une heure de trop à la papeterie
de Tiffauges en Vendée 2564 .
Le faible nombre d’établissements touchés par la loi de 1841, la défaillance des
contrôles et leur partialité l’expliquent en grande partie. Un dernier point que le préfet de
Vendée évoque à mots couverts en 1848 quand il parle d’une inspection « peut être pas aussi
active et aussi complète qu’il serait désiré » 2565 . Notons qu’à l’époque, comme longtemps par
la suite, les inspections sont généralement effectuées à dates fixes ce qui ne manque pas de
faciliter la tâche des industriels, ce que déplore le ministère 2566 .
Malgré leur inconsistance, les commissions d’inspection interviennent parfois
réellement dans l’intérêt des enfants qu’elles doivent protéger. Ces cas exceptionnels
semblent confirmer la règle. Ainsi, en mai 1848, la commission de Mortagne en Vendée
estime nécessaire d’arrêter le travail d’un jeune ouvrier, âgé pourtant de plus douze ans.
L’organe de contrôle estime qu’il est « d’une faiblesse susceptible de ne pouvoir supporter un
travail trop assidu ». On demande des aménagements afin de faciliter son travail et de ne pas
porter atteinte à sa santé 2567 . Un mois plus tôt la même commission constate également que
trois enfants de moins de 16 ans travaillent plus de 12 heures par jour dans une filature de
Mortagne. Elle obtient de l’industriel la promesse d’y remédier 2568 . La présence d’un prêtre
dans la commission est certainement pour beaucoup dans ces actions salutaires.
2562 Procès verbal de la commission d’inspection du travail des enfants du canton de Mortagne du 22 novembre
1843, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847]
2563 On en dénombre 16 au total.
2564 Procès verbal de la commission d’inspection du travail des enfants du canton de Mortagne du 22 novembre
1843, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2565 Rapport du préfet en date du 17 mai 1848 au ministre de l’Agriculture et du commerce, ADVd 10M9.Travail
des enfants dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873]. Bien plus tard, en 1867, le
préfet en place parle de commissions d’inspection fonctionnant irrégulièrement, inertes et tièdes.
2566 Lettre du ministère de l’Agriculture et du commerce datée du 4 juillet 1849, ADVd 10M9.Travail des enfants
dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2567 Rapport de la commission de Mortagne du 8 mai 1848, ADVd 10M9.Travail des enfants dans les industries :
exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
2568 Rapport du 16 avril 1849 de la commission de Mortagne sur le travail des enfants, ADVd 10M9.Travail des
enfants dans les industries : exécution de la loi du 22 mars 1841 [1848 ; 1873].
579

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Le contrôle des questions d’âges et de temps de travail est facilité par l’évolution des
habitudes industrielles. Les « tracasseries » légales ajoutées à certaines pratiques religieuses
locales 2569 poussent les entrepreneurs à ne quasiment plus embaucher d’enfants de moins de
12 ans. Il n’est pas dans les mœurs vendéennes de travailler les dimanches et jours fériés. En
outre on n’hésite pas à perfectionner ses machines pour qu’elles puissent être utilisées par des
adultes afin de ne plus tomber sous le coup de la loi 2570 .
Toutefois cette bonne application des mesures non formelles est à nuancer car les
dérogations accordées par les pouvoirs publics sont nombreuses en comparaison du nombre
total d’établissements poitevins visés par la loi de 1841 2571 . Les verreries sont en bonne place
parmi les entreprises bénéficiant de ce genre de passe-droit. Celle de Puy de Serre, dans la
commune de Faymoreau en Vendée, reçoit l’autorisation de faire travailler des enfants de
moins de 13 ans de nuit comme les jours fériés en dérogation de l’article 13 de la loi 2572 . Le
temps de travail de jour comme de nuit est ici subordonné aux fontes effectuées.
Généralement les papeteries elles aussi bénéficient d’un tel régime de faveur en raison des
contraintes de production inhérentes à l’activité. D’autres types d’activités comme le textile
bénéficient de la compréhension du ministère. Le secteur textile en fait partie. Ainsi la filature
de laine de Cugand emploie 18 enfants dont 15 ont entre 8 et 12 ans. Leurs journées de labeur
comptent 12 heures entrecoupées de deux repos d’une heure. Le travail dominical et nocturne
est permis exceptionnellement, quand l’eau des écluses, nécessaire au processus de
production, le commande 2573 . Le travail dominical enfantin est parfois toléré sans aucune
raison majeure, du moment qu’il n’est pas régulier. Ainsi le nettoyage des ateliers est parfois
2569
En Vendée la communion solennelle, effectuée aux alentours de 12 ans, marque l’âge limite à partir duquel
on fait travailler les enfants, rapport du commissaire divisionnaire Blaise du 1 er juillet 1877, AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2570
Lettre d’un ancien membre de la commission du travail de Moncoutant du 4 mars 1870 adressée au souspréfet
de Bressuire, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2571
Les établissements gérés par l’Etat à l’instar de la manufacture d’armes de Châtellerault échappent à la
législation commune du travail.
2572
Quatorze enfants âgés de 12 à 16 ans travaillent dans la verrerie. La dérogation est accordée par le ministre
du Commerce le 2 février 1844, cf. questionnaire du 5 octobre 1845 relatif à l’application de la loi du 22 mars
1841 : verrerie de Puy de Serre, commune de Faymoreau, ADVd 10M8. Travail des enfants dans les industries.
Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
2573
Rapport de la commission de Bourbon-Vendée du 15 septembre 1842, ADVd 10M8. Travail des enfants dans
les industries. Exécution de la loi du 22 mars 1841 [1837 ; 1847].
580

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
autorisé. Un rapport de juillet 1853 fait aussi état de cette pratique dans les filatures de
l’arrondissement de Parthenay 2574 .
L’irrespect des formes voulues par le texte du 22 mars 1841 n’est pratiquement jamais
sanctionné bien que généralisé. La plupart des rapports font état de l’absence de livret ou de
certificat d’instruction. Cela n’empêche pas les autorités compétentes de s’enorgueillir du bon
respect de la législation.
2. Au temps de la loi du 19 mai 1874
L’élargissement du champ d’application des lois régissant le travail complique la tâche
du corps d’inspection qui en a la charge. La mission est encore plus difficile dans les
campagnes du fait de la dispersion des établissements industriels et de la faible prise de
conscience sociale des entrepreneurs. L’inspecteur divisionnaire de la 10 e circonscription le
constate en 1877.
« Dans ces contrées plus agricoles qu’industrielles, la loi semble
plus difficile à appliquer, la négligence y est plus grande, et les
industriels se plaignent tous de la peine qu’ils ont à pouvoir réunir
quelques enfants 2575 ».
En dehors des innombrables et modestes ateliers ruraux disséminés dans les bourgades
et les villages, certains secteurs d’activité sont particulièrement difficiles à inspecter à l’image
des conserveries de sardines, un domaine où l’activité est saisonnière et la main-d’œuvre
difficilement contrôlable. Longtemps le personnel n’y est pas fixe. Il varie à chaque pêche.
Cette situation empêche la tenue de registres ou la vérification de livrets. Le sous-préfet des
Sables-d’Olonne le constate en 1875. Il affirme alors que si la loi devait être appliquée
rigoureusement les contraventions seraient multiples.
Toutefois, cette caractéristique des conserveries de la côte atlantique tend à disparaître.
En juillet 1877 l’inspecteur divisionnaire Blaise se félicite qu’une grande part des effectifs
employés aux Sables-d’Olonne se soit fixé, ce qui va lui permettre de remplir sa mission. En
2574
Liste des établissements entrant dans le champ d’application de la loi de 1841 dressée en juillet 1853, ADDS
11M19.5. Travail des enfants.
2575
Rapport de l’inspecteur divisionnaire Blaise de mai 1877, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le
travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 10 e circonscription.
581

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
revanche, au même moment, la situation n’évolue pas à Croix de Vie comme à l’Ile-
d’Yeu 2576 . Le contrôle des usines de mise en conserves de sardines – et parfois de légumes –
occupe une bonne place dans l’emploi du temps de l’inspecteur du travail. Celui-ci effectue
des tournées estivales qui vont de Brest aux Sables-d’Olonne. L’inspecteur Valant visite 117
établissements de ce type durant l’été 1892. La Vendée l’occupe du 18 au 23 juillet. A cette
époque la législation propre aux registres de travailleurs mineurs et à l’affichage des lois et
règlements y est parfaitement respectée.
Les manquements aux articles 9, 10 et 11 de la loi de 1874 propres aux obligations
d’inscription, d’affichage ou d’instruction constituent la très grande majorité des infractions
constatées dans les trois départements poitevins. Ces documents servent au contrôle régulier
du respect de la législation par les entrepreneurs. Ils constituent en outre des pièces
justificatives et des moyens de preuve en cas de conflit en justice.
Si ces entorses à la loi sont constatées, elles ne font pas toujours l’objet de procès
verbaux et encore moins de poursuites judiciaires. C’est là un phénomène particulièrement
prégnant jusqu’à la fin des années 1880.
2.1. Le contrôle des obligations formelles à l’intérieur des
ateliers
L’obligation d’affichage des lois et règlements du travail constitue une de ces
contraintes légales. Cette obligation symbolise pour le patronat l’intrusion de l’Etat dans la
sphère privée, l’atteinte à son autorité et au principe de subordination de ses employés, autant
de raisons expliquant la réticence au placardage de tels documents.
2576 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Blaise du 1 er juillet 1877 (10 e circonscription), AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
582

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 67 : respect de l’obligation d’affichage des lois et règlements dans les
départements poitevins de 1885 à 1889 :
Année
&
Circonscription
1885
Départements
10 e 2577 TOTAL
1886
e 2578
12
1887
12 e
1887
583
Affichage des lois et règlements
Nombre
d’établissements
visités en règle
(en %)
Nombre
d’établissements
visités en infraction
(en %)
Vendée 60% 40%
Vienne
Deux-Sèvres 68% 32%
pour la circonscription toute entière
66% 44%
Vendée 44,50% 55,50%
TOTAL
pour la circonscription toute entière
35% 65%
Vendée 50% 50%
TOTAL
pour la circonscription toute entière
42% 58%
Deux-Sèvres 13,50% 86,50%
Vienne 28,50% 71,50%
13 e 2579 TOTAL
1888
pour la circonscription toute entière
22,50% 77,50%
Deux-Sèvres 36% 64%
Vienne 30% 70%
13 e TOTAL
pour la circonscription toute entière
46% 54%
1889
Vendée 48% 52%
12 e
TOTAL
pour la circonscription toute entière
54% 46%
1889
Deux-Sèvres
Vienne
64%
55%
36%
45%
13 e TOTAL
pour la circonscription toute entière
72% 28%
Sources : AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription, AN F12/4752. Application de la loi de
1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 13 e circonscription.
Les rapports annuels dressés par les inspecteurs divisionnaires montrent une assez
grande disparité concernant le respect de l’obligation d’affichage. En Vendée, un peu plus
d’un établissement sur deux n’obéit pas à la prescription légale. Cette proportion reste stable
entre 1886 et 1889 alors que dans le même temps on constate une baisse significative de ce
type d’infractions dans l’ensemble de la 12 e circonscription. Ici le travail de l’inspection a fait
2577 La 10 e circonscription comprend jusqu’à la réforme de 1885 les départements de la Vendée, d’Indre-et-Loire,
de la Vienne, de la Haute-Vienne, de la Charente, de la Charente Inférieure, de la Creuse et des Deux-Sèvres. La
Haute-Vienne constitue le département le plus industrialisé des huit. Après 1885 cette circonscription comprend
les départements de l’Oise et ses voisins.
2578 La 12 e circonscription comprend à partir de 1885 les départements bretons de la Loire-Inférieure, de l’Ille-et-
Vilaine, des Côtes du Nord, du Finistère, du Morbihan auxquels s’ajoute la Vendée.
2579 La 13 e circonscription comprend à partir de 1885 les départements de la Sarthe, du Maine-et-Loire, des
Deux-Sèvres et de la Vienne.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
son œuvre, particulièrement dans les grands centres industriels de Loire-Inférieure et dans les
petits ateliers des fins fonds de la Bretagne.
Figure 24 : infractions à l’obligation d’affichage dans les établissements
industriels visités par l’inspecteur divisionnaire du travail en Vendée et dans la
12 e circonscription entre 1886 et 1889 (en %) :
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
1886 1887 1889
Vendée Ensemble de la 12eme circonscription
Source : AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
Figure 25 : infractions à l’obligation d’affichage dans les établissements
industriels visités par l’inspecteur divisionnaire du travail dans la Vienne et les
Deux-Sèvres et dans la 13 e circonscription entre 1886 et 1889 (en %) :
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
1885 1887 1889
Deux-Sèvres Vienne Ensemble de la 12eme circonscription
Source : AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
584

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Au contraire dans la 13 e circonscription le défaut d’affichage varie considérablement – d’à
peine un tiers à près de 90% des ateliers – en fonction de l’itinéraire des tournées d’inspection
et de la nature des établissements industriels contrôlés. Cependant, au fil du temps, la Vienne
comme les Deux-Sèvres apparaissent comme « les moins bon élèves » de la circonscription.
Les ateliers où s’activent des enfants doivent afficher, en plus des lois et des
règlements, des registres où figure la liste des employés de moins de 18 ans ce qui constitue
un moyen d’assurer la conformité de l’embauche à la législation. Ce document doit
comprendre les noms, prénoms, domicile, lieu de naissance de l’enfant et le temps pendant
lequel il a suivi un enseignement primaire. Les entrepreneurs y ajoutent les dates d’embauche
et de fin de contrat.
Tableau 68 : pourcentages d’établissements dépourvus de livrets de mineurs de
moins de 18 ans lors des inspections effectuées entre 1885 et 1889 :
1885 1886 1887 1888 1889
Vendée 46% 57% 53% - 59,50%
Vienne - - 78% 72% 47%
Deux-Sèvres 32% - 87,50% 66% 38%
Ensemble de la 10 e circonscription 44% - - - -
Ensemble de la 12 e circonscription - 72% 64,50% - 51,50%
Ensemble de la 13 e circonscription - - 81,50% 56% 31%
Sources : AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription, AN F12/4750 Application de la loi de
1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 12 e circonscription, AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de
septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
La tenue d’un registre spécial consacré au travail des enfants apparaît très peu respectée dans
un premier temps. En 1887 plus de 80% des établissements contrôlés en sont dépourvus dans
la 13 e circonscription, les deux tiers dans la 12 e . Cependant les choses changent rapidement
dans les années suivantes. En 1889 seuls la moitié et le tiers des ateliers industriels visités
respectivement dans la 12 e et 13 e circonscription sont en infraction, une tendance semblable à
ce qui est constaté dans les seuls départements de la Vienne et des Deux-Sèvres. A contrario
la Vendée n’évolue guère en la matière ; entre 1885 et 1889 la moitié des usines et fabriques
visitées sont dépourvues de ce document. Cette évolution rapide vers une plus grande
conformité avec la loi peut s’expliquer par la fourniture de livrets et d’affiches par les
585

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
inspecteurs eux-mêmes lors de leurs visites car il semble qu’il faille attendre la fin des années
1890 pour que les procès verbaux aient des suites en la matière.
En dehors des documents que doivent posséder chaque atelier l’inspection du travail
doit également veiller à la réalité de l’instruction censée être ou avoir été prodiguée aux
jeunes travailleurs.
2.2. La surveillance de la réalité de l’instruction de la
jeunesse ouvrière
Depuis la loi du 22 mars 1841 l’inspecteur du travail doit avant tout contrôler le
niveau d’instruction des enfants employés dans l’industrie. Cette obligation est rarement
suivie d’effet dans le Poitou. La loi du 19 mai 1874 reprend et développe cette exigence. Le
législateur désire briser la chape d’ignorance enfermant la jeunesse ouvrière tout en espérant
la rallier à la cause républicaine, loin du chant des sirènes socialistes, révolutionnaires ou
conservatrices.
L’article 8 de la loi de 1874 impose que tout enfant mineur de 12 ans fréquente une
école. Deux heures d’instruction journalière minimum doivent être suivies par l’enfant sur ses
moments libres. Les établissements industriels doivent également organiser des cours au sein
d’écoles spéciales afin d’assurer cette instruction minimale.
L’article 9, quant à lui, oblige tout enfant de moins 15 ans dépourvu d’instruction de
suivre des cours afin d’obtenir un certificat. Les adolescents concernés par cette mesure
doivent travailler à mi-temps, c'est-à-dire six heures par jour, afin d’y parvenir. Cette
disposition pose un problème majeur aux industriels. Elle brise le rythme du travail, annihile
les automatismes d’équipe existant entre adultes et enfants et oblige à multiplier les
embauches de jeunes travailleurs – au risque de ne pas trouver de main-d’œuvre – afin de
pallier la perte horaire. Dans le Poitou comme ailleurs les inspecteurs constatent
régulièrement sur le terrain la défiance du patronat à l’égard d’une telle mesure désorganisant
les ateliers. Cet article se révèle si gênant qu’il pousserait les industriels à ne plus engager
d’enfants de 12 à 16 ans à en croire l’inspecteur divisionnaire de la 10 e circonscription 2580 .
2580 Rapport de l’inspecteur divisionnaire de la 10 e circonscription du 11 décembre 1882, AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
586

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Cette décision peut apparaître de prime abord comme bénéfique à l’enfance. Néanmoins cela
semble loin d’être le cas. En effet, l’inspecteur divisionnaire Landois, de la 12 e
circonscription, reprend en 1886 les propos tenus sept ans auparavant par son homologue de
la 10 e circonscription 2581 . Les enfants travaillant à mi-temps – ou au chômage à cause de cette
disposition – courent le risque d’être envoyés par leurs parents dans les campagnes afin d’y
être embauchés aux travaux ruraux 2582 , et dans ce cas jeune travailleur ne bénéficierait plus de
la protection légale octroyée par le texte de 1874. Non seulement il ne serait plus tenu de
suivre un enseignement mais, en outre, il serait susceptible d’être employé bien plus que les
douze heures réglementaires. En définitive on reproche à la loi d’avoir voulu imposer trop de
contraintes risquant de provoquer des effets contraires à ceux initialement escomptés.
Le travail à mi-temps alimente une bonne partie du contentieux propre aux lois du
travail dans la 13 e circonscription. En 1890, un propriétaire de scierie mécanique de
Montmorillon est condamné après un grave accident survenu dans son atelier. Cet homme,
ouvertement opposé à la loi, emploie régulièrement à plein temps sept enfants et adolescents
ne suivant pas de cours ou bien dépourvus de certificat attestant d’une quelconque instruction
préalable 2583 . L’année précédente le tribunal correctionnel de Poitiers juge une affaire
similaire concernant un atelier de couture 2584 . En 1888, quatre jugements portent sur le non
respect du travail à mi-temps d’enfants dépourvus de certificat attestant de leur instruction.
Trois d’entre eux se déroulent le même jour devant le tribunal de Niort 2585 . Les industriels
sont condamnés à quelques amendes d’un montant de deux francs chacune.
2581 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Blaise (10 e circonscription) du 4 novembre 1879, AN F12/4746.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription et Rapport de l’inspecteur Landois (12 e
circonscription) du 1 er janvier 1886 au ministre du Commerce, AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le
travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 12 e circonscription.
2582 On évoque également l’éternel risque du vagabondage.
2583 Rapport de l’inspecteur divisionnaire d’Angers au ministre du Commerce et de l’industrie du 25 août 1890 et
procès devant le tribunal correctionnel de Montmorillon du 16 juin 1890, AN F12/4752. Application de la loi de
1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2584 Rapport de l’inspecteur Giraud au ministre du Commerce du 16 juillet 1899 et procès devant le tribunal
correctionnel de Poitiers du 16 juillet 1899, AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants
et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e
circonscription.
2585 Ils concernent un menuisier, un fabricant de crin et une couturière. Procès devant le tribunal correctionnel de
Niort en date du 30 avril 1888, AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle
de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e
circonscription.
587

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Contrairement aux obligations d’affichage, les contraintes légales liées à l’instruction
mettent plus de temps à pénétrer les mœurs industrielles – et les habitudes des enseignants 2586 .
Outre les complications « inter administrations » inhérentes aux contradictions existantes
entre la loi de 1874 et celle du 28 mars 1882, nombre d’industriels ou de petits patrons ne
comprennent pas la nécessité d’obliger des enfants de plus de 13 ans à suivre des cours non
obligatoires pour le reste de la population.
A la fin des années 1880 la 12 e comme la 13 e circonscription ont un taux d’enfants
âgés de 12 à 15 ans possédant un certificat d’instruction, dans les établissements visités, bien
inférieur à la moyenne nationale qui est de 63,5% en 1885. En effet jamais ce taux ne dépasse
50% entre 1886 et 1889 dans la circonscription englobant Vendée et Bretagne et il le dépasse
de peu en 1889 dans la 13 e circonscription (54,5%).
Parmi les trois départements poitevins, seule la Vienne dépasse régulièrement la
moyenne de sa propre circonscription pour atteindre les 62% en 1889. Les Deux-Sèvres et la
Vendée ont quant à eux un taux d’enfants pourvus du livret bien inférieur. Il dépasse de peu le
tiers en 1887 et se situe juste en dessous de 50% en 1889. Ces chiffres montrent que la loi de
1874 n’a pas réussi à s’imposer malgré ses quinze années d’existence. Le choix de la
conciliation n’a pas porté ses fruits.
Tableau 69 : instruction des enfants âgés de 12 à 15 ans travaillant dans les
établissements industriels vendéens visités par l’inspection en 1886, 1887 et 1889 :
Enfants de 12 à 15 ans
Sans certificat
Ayant le certificat
Allant à l'école
Ne fréquentant pas
l'école
1886 31% 1,6% 67%
1887 30% 20% 50%
1889 46,5% 20% 33,50%
Source : AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre
1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
2586 La loi bouleverse aussi les habitudes des enseignants. En 1880 l’inspecteur du travail se plaint du manque de
collaboration des soeurs dirigeant les écoles de jeunes filles vendéennes. Les jeunes ouvrières ont très rarement
des certificats d’instruction, cf. lettre de l’inspecteur divisionnaire du travail des enfants de mars 1880 au préfet
de Vendée, ADVd 10M10. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 [1875 ;
1891].
588

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 70 : instruction des enfants âgés de 12 à 15 ans travaillant dans les
établissements industriels de la 12 e circonscription visités par l’inspection en
1886, 1887 et 1889 :
Enfants de 12 à 15 ans
Sans certificat
Ayant le certificat
Allant à l'école
Ne fréquentant pas
l’école
1886 32% 23% 45%
1887 49% 15% 36%
1889 40% 29% 31%
Source : AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre
1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
Le taux d’enfants scolarisés à posteriori, afin de pallier un manque antérieur
d’éducation, est encore plus édifiant. A peine un tiers des enfants dépourvus de certificat
suivent l’école dans la 12 e circonscription en 1886 et la moitié d’entre eux trois ans plus tard.
La situation est encore pire dans la 13 e . En 1887, à peine plus d’un dixième des jeunes
travailleurs dépourvus d’instruction suivent l’école, la moitié de cette catégorie deux années
après.
Les départements poitevins sont encore moins bien lotis si on les compare aux
moyennes pourtant très faibles de leurs circonscriptions respectives. En Vendée à peine 2%
des enfants inspectés sans livret d’instruction suivent des cours en 1886. Cette situation,
désolante, évolue positivement puisque, trois années après, ces ouvriers juvéniles non instruits
sont 60% à tenter de combler leurs manques de connaissances. Cette évolution positive ne
semble pas concerner les départements de la Vienne et des Deux-Sèvres où le taux de
scolarisation des enfants de plus de douze ans sans instruction antérieure est extrêmement
modeste à la fin des années 1880 puisqu’elle oscille entre zéro et 20%.
Tableau 71 : instruction des enfants âgés de 12 à 15 ans travaillant dans les
établissements industriels des départements de la Vienne et des Deux-Sèvres
visités par l’inspection en 1887 et 1889 :
Année Départements Ayant le certificat
d’instruction
Enfants de 12 à 15 ans
Sans certificat d’instruction
Ne fréquentant pas
Allant à l'école
l'école
1887 Deux-Sèvres 32% 0 68%
1887 Vienne 57,5% 0 42,5%
1889 Deux-Sèvres 48% 1% 51%
1889 Vienne 62% 8% 30%
Source : AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre
1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
589

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 72 : instruction des enfants âgés de 12 à 15 ans travaillant dans les
établissements industriels de la 13 e circonscription visités par l’inspection en 1887
et 1889 :
Année Ayant le certificat
d’instruction
Enfants de 12 à 15 ans
Sans certificat d’instruction
Ne fréquentant pas
Allant à l'école
l’école
1887 39% 8% 53%
1889 54,50% 16,50% 29%
Source : AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre
1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
Les chiffres précédents font apparaître sans ambiguïté que l’éducation est loin d’être
perçue comme une nécessité dans l’univers industriel poitevin. Le constat est peu étonnant au
regard de la simple protection de l’enfance au travail qui, elle aussi, est loin d’y avoir pénétrée
les mentalités. Exiger une diffusion rapide de l’enseignement dans l’industrie est
manifestement irréaliste, et d’autant plus dans une région aux industries modestes faiblement
concentrées, « refuges des enfants incultes 2587 ».
Un des problèmes principaux, outre la mauvaise volonté patronale ou parentale 2588 ,
réside à la fois dans l’absence d’écoles offrant une éventuelle instruction des jeunes
ouvriers 2589 , et dans des emplois du temps empêchant de fréquenter les établissements mis en
place après la loi Guizot du 28 juin 1833.
Les écoles de fabriques sont extrêmement rares dans la région avant la loi de 1882 qui
les remplace par des écoles publiques. D’ailleurs quand elles existent elles sont rarement
pérennisées. En 1877, l’inspecteur Blaise en visite quelques-unes mises en place dans les
filatures de Saint-Maixent et de Châtillon-sur-Thouet. Il fait également état de la volonté
émise par la papeterie d’Iteuil de fonder ce type de classe dans les semaines à venir. Le même
projet est annoncé dans plusieurs filatures établies le long de la Sèvres nantaise où l’une
d’entre elles existe déjà où l’on instruit 18 enfants 2590 .
Ces belles intentions sont rarement traduites dans les actes ou alors de manière bien
éphémère. Une seule école de fabrique ou cours spécial est comptabilisée lors des visites
effectuées en 1884 dans les trois départements poitevins. La même année on en compte onze
2587 VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.120.
2588 Certains parents ne comprennent pas pourquoi ils devraient payer pour que leurs enfants soient assis.
2589 La loi Guizot de 1833 oblige théoriquement toutes les communes à ouvrir une classe de garçons.
2590 Rapport de l’inspecteur Blaise (10 e circonscription) de février, mai et juillet 1877, AN F12/4746. Application
de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
590

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
en Charente, quatre en Haute-Vienne, ou 91 dans le Nord 2591 . L’inspecteur Giraud,
responsable de la 13 e circonscription n’en dénombre aucune en 1887 dans les départements
des Deux-Sèvres et de la Vienne 2592 . Plus tard, en 1892, l’inspecteur en poste ne compte
qu’une seule école industrielle dans toute la 12 e circonscription 2593 .
Si les écoles de ce type sont rares elles font aussi l’objet de critiques quant à leur
efficacité, même si quelques inspecteurs affirment qu’elles sont préférables aux écoles
communales pour la discipline qui y règne, semblable à celle des ateliers eux-mêmes.
Beaucoup constatent que les enfants qui y étudient sont fatigués par leurs journées de travail
ce qui les rend passifs ou turbulents 2594 . En 1880, la filature Blot de Saint-Maixent
s’enorgueillit de disposer de sa propre école. Pourtant l’inspecteur constate qu’il fait travailler
ses jeunes ouvriers de moins de 12 ans bien plus que ce que la loi préconise 2595 , ce qui les
rend inaptes à la réflexion. Ailleurs l’enseignement dispensé est faible ou mal organisé. A la
filature de Salles, dans l’arrondissement de Melle, les enfants – où beaucoup embauchent dès
10 ans – n’ont pour prendre leurs repas et fréquenter l’école qu’une heure le matin et une
heure le soir. Une situation rendant « impossible d’apprendre les matières élémentaires que
tout citoyen devrait connaître 2596 ».
Parfois ce sont les prêtres qui se lamentent de la création de ces écoles qui leur enlèvent leurs
enfants et les éloignent du sentiment religieux. Le curé de Faymoreau est l’un d’eux quand il
critique l’école mise en place aux houillères. Ce type de querelles religieuses n’incitent pas à
créer de telles écoles particulièrement au cœur de cette Vendée si catholique.
2591 Le département du Nord compte 7% des établissements industriels visités dotés d’école de fabrique, état
statistique par département, visites effectuées en 1884 par les inspecteurs du travail des enfants, ADDS 11M19.5.
Travail des enfants.
2592 Inspections pour l’année 1887 dans la 13 e circonscription, inspecteur GIROUD. L’année suivante le travail
de l’inspecteur portera ses fruits car une école de fabrique est fondée dans les Deux-Sèvres et quatre dans la
Vienne, cf. Inspections pour l’année 1887 dans la 13 e circonscription, inspecteur GIROUD, AN F12/4752.
Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes.
Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2593 AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription.
2594 Rapport de l’inspecteur divisionnaire du 11 décembre 1882, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur
le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs
du travail de la 10 e circonscription.
2595 Procès verbaux de l’inspecteur divisionnaire Landois du 9 mars 1880, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
2596 Rapport du sous-préfet de Melle du 16 février 1880, ADDS 11M19.5. Travail des enfants.
591

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Finalement ces cours internes aux fabriques apparaissent bien souvent comme « des
paravents peu dispendieux, déployés à seule fin de bénéficier de tolérances sur la durée du
travail 2597 ».
L’absence de cours dans les ateliers oblige l’enfant en quête de savoir à se déplacer
dans les écoles ordinaires. La soif d’apprendre doit être conséquente pour surmonter les
obstacles auxquels le jeune ouvrier doit faire face.
Avant 1882 les écoles ne sont pas légions et, surtout, elles sont rarement gratuites 2598 .
C’est une des carences de la loi Guizot de juin 1833 qui empêche l’enfant d’avoir accès au
minimum d’instruction. L’inspecteur divisionnaire en fait état en 1880 à propos des centaines
de jeunes filles de 12 à 15 ans employées dans les conserveries de sardines de la côte
atlantique vendéenne. Le fonctionnaire déplore l’absence d’école gratuite de jeunes filles à
Croix de Vie. Il insiste dans, son rapport au préfet, sur la pauvreté des populations maritimes
n’ayant pas « toujours l’esprit de l’épargne pour les mauvais jours ». Cette situation exclue
ces filles « illettrées » de certaine forme de savoir 2599 et fait apparaître l’instruction comme un
véritable luxe 2600 . Notons que l’inspecteur primaire des Sables-d’Olonne conteste le sombre
constat établi par l’inspecteur du travail en affirmant que « seules les familles indifférentes »
n’envoient pas leur progéniture à l’école (privée), dont le coût est financé par les industriels
locaux 2601 . Encore une fois la parole de ceux chargés d’appliquer les lois du travail est mise
en doute 2602 .
Gratuites ou pas toutes les communes, bourgs ou hameaux ne disposent pas forcément
d’une école à proximité. L’enfant consciencieux, dont les parents aspirent au respect de la loi,
doit alors faire l’effort de se déplacer pour recevoir la sacro-sainte instruction. Certaines
fabriques vendéennes de la Sèvres nantaise sont localisées à plus de cinq kilomètres de l’école
communale. Cette situation oblige ces ateliers à confier, sur place, un semblant d’instruction à
2597 VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.125. Voir également LECOMTE
(Catherine), Contrôle de l’administration départementale sur le travail des enfants au XIX e siècle…, op. cit., pp.
551-569.
2598 On parle alors de « taxe d’écolage ». Rapport de l’inspecteur divisionnaire Blaise du 1 er juillet 1877, AN
F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2599 En revanche, une école gratuite pour garçon est créée par la municipalité.
2600 Courrier de l’inspecteur divisionnaire du travail des enfants de Limoges au préfet de Vendée du 16 novembre
1880, ADVd 10M10. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 [1875 ; 1891].
Notons qu’il arrive que des patrons paient l’éducation de certains jeunes ouvriers dans les école privées des
environs.
2601 Lettre de l’inspecteur primaire des Sables-d’Olonne du 12 décembre 1880, ADVd 10M10. Travail des
enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874 [1875 ; 1891].
2602 Cette passe d’armes illustre certainement aussi le conflit permanent existant en Vendée entre les tenants
d’une République laïque et ceux défendant les institutions religieuses et patronales.
592

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
un commis 2603 . De même, en 1877, l’école la plus proche des puits de houille de Saint-
Laurs 2604 se trouve à plus de trois kilomètres 2605 . Ces longs trajets donnent raison aux
nombreux parents qui voient avant tout l’obligation d’instruction comme une source de
fatigue supplémentaire.
Peu d’arguments jouent en faveur de l’instruction chez les principaux protagonistes du
monde industriel. Les jeunes ouvriers la perçoivent comme une exigence supplémentaire
s’ajoutant à un quotidien déjà très contraignant. L’enseignement est synonyme de manque à
gagner, voire de dépenses supplémentaires, d’harassement ou de brimades. La multiplication
des écoles publiques après 1882 permet aux jeunes travailleurs industriels de côtoyer les
autres enfants de leurs âges. Toutefois cette proximité nouvelle accentue les différences.
L’ouvrier mal fagoté dans ses habits malpropres ne suit souvent qu’une partie des cours. Il est
vite dépassé par ses camarades et souffre d’apparaître idiot à leurs yeux. Cette situation
provoque jalousie et révolte et accentue un peu plus le rejet de l’école, arme cardinale de la
conquête républicaine. Il faudra du temps afin qu’elle soit considérée par tous, ouvriers et
paysans, comme le principal moyen d’ascension sociale.
2.3. Une répression exceptionnelle
Longtemps après la promulgation de la loi de 1874 la conciliation demeure le credo du
ministère et l’avertissement, son arme, afin d’imposer les lois réglementant le travail des
enfants et des filles mineures. L’Etat ne veut pas s’aliéner le patronat. Les inspecteurs
ménagent le microcosme industriel afin de se faire accepter. Les juges défendent à la fois
ardemment les principes libéraux chers au siècle et leurs semblables de la bourgeoisie locale
Une situation décourageante pour les agents chargés de faire appliquer la législation du
travail.
2603 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Blaise du 1 er juillet 1877, AN F12/4746. Application de la loi de 1874
sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription.
2604 8 enfants y travaillent.
2605 Rapport de l’inspecteur divisionnaire Blaise de mai 1877, AN F12/4746. Application de la loi de 1874 sur le
travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 10 e circonscription.
593

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 73 : nombre procès verbaux dressés et d’établissements industriels
visités par les inspecteurs du travail entre 1885 et 1889 dans les 12 e et 13 e
circonscription :
Circonscription Départements
12 e
13 e
1885 2606
1886 1887 1888 1889
Loire-
Inférieure
- 0 2 - 5
Ile et Vilaine - 0 0 - 1
Cotes du Nord - 0 934 0 1013 - - 1
Morbihan - 0 visites 0 visites - 2
Finistère - 1 0 - 1
Vendée - 2 1 - 2
TOTAL - 3
3
-
12
Deux-Sèvres 1 1 4 1
Maine-et- 1 - 1 3 2
Loire
- 2299 2385
Sarthe 0 - 0 visites 1 visites 3
Vienne 0 - 1 0 1
Indre et Loire 1 - 1 1 1
TOTAL 3 -
4
9
8
594
1214
visites
2173
visites
Sources : AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail
des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription et AN F12/4752. Application de la loi de
1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 13 e circonscription.
Le nombre de procès verbaux dressés illustre cet état d’esprit. Entre 1875 et avril 1885
les inspecteurs qui se succèdent dans la 10 e circonscription dressent en tout et pour tout 29
procès verbaux, soit le plus faible total dans toute la France 2607 . Par la suite, entre 1885 et
1889, le nombre de procès verbaux établis annuellement ne s’élève jamais à plus d’une
dizaine dans l’ensemble des circonscriptions auxquelles appartiennent les départements
poitevins, ce qui représente un nombre très faible au regard de la quantité d’établissements
industriels visités chaque année, des ateliers où l’on sait que les diverses formalités légales ne
sont pas respectées. L’ampleur de la tâche à accomplir semble écraser les inspecteurs.
D’autant plus que le patronat apprend à ruser pour mettre en échec les tentatives de flagrant
délit. Il est fréquent de cacher les enfants quand l’inspecteur paraît comme le fait l’usinier
Brimaud de Chauvigny en janvier 1890 2608 .
Si les avertissements prédominent ils n’ont guère de portée s’ils ne sont pas suivis de
contre-visites. Or, celles-ci sont peu nombreuses. On en dénombre 79 en 1888 et 93 en 1889
2606 Les trois départements poitevins appartiennent encore à la 10 e circonscription.
2607 VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.105 et 107.
2608 Rapport du commissaire spécial du 29 janvier 1890, ADV M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891).

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
dans l’ensemble de la 13 e circonscription, soit à peine 4% du total de visites effectuées ces
années là. En 1891 le taux de contre-visites est même nul 2609 !
En outre, ces contre-visites sont localisées le plus souvent en un seul département : en 1888
73 ont uniquement lieu dans le Maine-et-Loire 2610 , même chose l’année suivante où 57 des 93
contre-visites se déroulent dans les Deux-Sèvres 2611 . Cette manière de procéder par roulement
est bien peu protectrice des jeunes ouvriers et ouvrières puisqu’il faut attendre plusieurs
années dans de grandes circonscriptions pour espérer une contre-visite. Ce laps de temps fait
courir la prescription et les enfants ont eu le temps de grandir et de subir les affres du travail
industriel.
La carence en procès-verbaux ne peut aboutir qu’à des condamnations
exceptionnelles. En effet, les rapports de l’inspection doivent ensuite subir le filtre judiciaire
où la clémence de juges s’ajoute à la mansuétude des procureurs. En outre il arrive que la
plainte soit retirée si l’entrepreneur satisfait rapidement aux obligations légales qu’il
méconnaissait. Un tel cas se produit par exemple dans une filature de laine de Châtillon-sur-
Sèvre en 1885 2612 .
Toutefois, des condamnations sont tout de même prononcées à l’encontre des
entrepreneurs ne respectant pas les lois du travail. La condition de récidive apparaît nécessaire
sans être cependant toujours suffisante. Il y a récidive quand une nouvelle infraction aux lois
du travail et à ses règlements d’exécution est commise dans les 12 mois suivant la précédente
faute 2613 . Cependant l’écart entre les visites et les contre-visites dépasse fréquemment une
année, ce qui rend impossible le constat de la récidive. Les sanctions frappent le plus souvent
des établissements de petite taille. A ce titre nombre de couturières sont poursuivies 2614 . Peut-
être pensent-elles que leur activité très souvent exercée en chambre échappe au champ
d’application de la loi de 1874 ? L’article 463 du Code pénal relatif aux circonstances
atténuantes autorise les juges à alléger le poids des sanctions et à accorder des sursis. Les
amendes imposées ne sont jamais très élevées : généralement quelques francs par infraction,
au total une dizaine de francs au maximum. L’habitude prise par le juge de ne prendre en
2609 0% dans la 12 e circonscription et 0,3% dans la 13 e .
2610 Sur ces inspections voir TARON (Patrick), op. cit., pp.574-575.
2611 AN F12/4752. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le
travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 13 e circonscription.
2612 Violation des articles 3, 9, 10 et 14 de la loi du 19 ami 1874, AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur
le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs
du travail de la 12 e circonscription.
2613 Article 26 alinéa 3.
2614 Elles sont plus de 20000 en 1891 dans l’ensemble des trois départements poitevins, voir supra p.186 et s.
595

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
compte uniquement que le nombre d’enfants illégalement employés et non pas la fréquence
des infractions diminue sensiblement la quantité et le montant des amendes.
Si la mission est difficile l’inspection du travail parvient graduellement à s’imposer et
à accomplir toujours mieux son devoir.
3. La loi du 2 novembre 1892, une protection réelle et efficace
L’élargissement du champ d’intervention de l’inspection du travail, opéré au travers
des lois 2615 , règlements et autres arrêtés ministériels 2616 qui se succèdent à partir de 1892, va
de pair avec la refonte et la restructuration du service. Désormais l’Etat tente réellement de se
donner les moyens d’appliquer sa propre législation. Le « sabre en bois » des inspecteurs se
fait plus dur et plus tranchant.
Toutefois, l’effort ne semble pas réparti uniformément sur tout le territoire. La
persistance du faible nombre d’inspecteurs départementaux oblige les inspecteurs
divisionnaires à se multiplier à l’intérieur des zones rurales du Centre Ouest. Mais activité
n’est pas synonyme d’efficacité 2617 . Ainsi les circonscriptions auxquelles appartiennent les
départements poitevins 2618 sont parmi celles où la proportion d’établissements industriels
2615 Comme par exemple les lois sur l’hygiène et la sécurité 12 juin 1893 étendue aux employés le 11 juillet
1903, ou bien encore celles sur le travail masculin du 30 mars 1900, sur la protection de la maternité du 27
novembre 1909 et du 17 juin 1913, sur les travaux interdits aux femmes ou aux enfants du 28 décembre 1909
2616 Voir par exemple l’arrêté ministériel du 31 juillet 1894 fixant les charges maximales que peuvent porter ou
pousser les enfants mineurs :
- 5 kg pour les ouvrières de moins de 16 ans
- 10 kg pour les garçons de moins de 14 ans et les filles âgées entre 16 et
18 ans
- 15 kg pour les garçons de 14 à 18 ans
Concernant les wagonnets sur voie ferrée :
- 150 kg pour les ouvrières de moins de 16 ans
- 300 kg pour les garçons de moins de 14 ans et les filles âgées entre 16 et
18 ans
- 500 kg pour les garçons de 14 à 18 ans
Pour les brouettes : (ne concerne que les enfants de 14 à 18 ans) : 40 kg
A propos des voitures à 3 ou 4 roues que l’on pousse :
- 35 kg pour les ouvrières de moins de 16 ans et les garçons de moins de
14 ans
- 50 kg pour les filles âgées entre 16 et 18 ans
- 60 kg pour les garçons de 14 à 18 ans
Concernant les charrettes à bras : 130 kg pour les garçons de 14 à 18 ans
Cf. ADV 10M122. Statistiques industrielles [1839 ; 1852] & ADV M4.71. Correspondances du préfet [1862-
1865].
2617 La loi de 1892 ne met pas fin à la critique de l’inspection du travail, cf. ARIES (Paul), Inspection du travail
et inspection ouvrière dans le discours syndical, de la genèse de l’institution à l’entre-deux guerres, in ROBERT
(Jean-louis) (dir.), Inspecteurs et inspections du travail sous la III e et IV e République, op. cit., p.55
2618 La Vienne appartient désormais à la 2 e circonscription et la Vendée et les Deux-Sèvres à la 7 e
596

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
visités est la plus faible avec celles du Sud-Ouest et de Normandie. Le modeste degré
d’industrialisation et de concentration des établissements industriels, la densité urbaine
limitée font perdre beaucoup de temps aux services d’inspection dans tout l’Ouest de la
France. Tous les ateliers ne sont pas recensés et nombre d’entre eux ne recevront jamais la
visite d’un inspecteur.
Tableau 74 : proportion des établissements visités par rapport au nombre total
(estimé) des établissements soumis aux lois du travail :
Circonscription Moyenne
1894-1903
1 ere
(Paris)
2 e
(Châteauroux puis Limoges)
5 e
(Lille)
6 e
(Rouen)
7 e
(Nantes)
8 e
(Bordeaux)
597
Moyenne
1903-1912
83% 46%
32% 21%
34% 46%
24% 22%
23% 23%
19% 13%
D’après le graphique in VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.265.
Les difficultés logistiques et le coût des déplacements obligent encore les inspecteurs à
s’assurer de la présence des industriels lors de leurs visites. C’est pourquoi ils limitent les
tournées surprises propices aux flagrants délits. En 1900, la commission départementale du
travail de la Vienne s’émeut que l’itinéraire des inspecteurs soit connu à l’avance par les
industriels 2619 .
Peu avant la Grande Guerre l’inspection du travail connaît une activité sans commune
mesure avec celle constatée sous le régime quasi unique de la loi de 1874. En 1913 le
domaine a connu une intensification législative sans précédent. Le travail des femmes et des
enfants, c’est-à-dire la protection des plus faibles, n’est plus l’unique objet de préoccupation
des inspecteurs. Le repos hebdomadaire, le temps de travail féminin et masculin,
2619 Séance de la commission départementale du travail de la Vienne du 4 août 1900, AN F22/ 472. Travail des
femmes et des enfants. Commission départementale du travail. Deux-Sèvres, Vendée, Vienne (1872-1938).

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
l’amélioration des conditions de travail appartiennent désormais à la sphère de compétences
des membres du récent ministère du Travail. Ce développement des domaines d’intervention
explique en grande partie l’augmentation considérable du nombre d’ateliers visités. Leur
nombre progresse de 91% de 1894 à 1913 2620 . En 1913, un seul inspecteur départemental
contrôle en un an presque autant d’établissements industriels qu’un inspecteur divisionnaire à
la fin des années 1880, soit, au total, environ dix fois plus d’inspections à l’intérieur d’une
seule circonscription de l’Ouest de la France.
Le nombre de contre-visites est beaucoup plus important et apparaît quasiment
systématique en cas de manquements aux obligations légales. A cela s’ajoutent les inspections
de l’inspecteur divisionnaire à la fois responsable de la circonscription mais aussi en charge
de certaines sections dépourvues de personnel départemental.
Tableau 75 : nombre de visites et de contre-visites effectuées par les membres de
l’inspection du travail en 1913 :
Circonscription Section Inspecteurs
départementaux De
2 e
7 e
Visites Contre-
De Total visites
jour nuit
1 Morin 1681 4 1685 101 103
2 Bouffartique 1458 3 1461 57 44
3 Ambertie 1291 5 1296 50 52
4 Desvaux 1480 9 1489 184 62
5 Pallaud (?) 1061 1 1062 460 133
6 Borie 1074 12 1086 133 105
7 Costes 1524 0 1524 168 88
TOTAL 9569 34 9603 1153 587
1 Genet 1617 11 1628 70 32
2 Lambestre 1802 15 1817 138 22
3 Grillet 1537 20 1557 106 14
4 Rochard 1665 22 1687 170 29
5 Chatelard (?) 1611 30 1641 172 70
6 Aupetit 1522 15 1537 177 21
7 Bécret 1683 10 1693 75 42
8 Messac (?) 1684 10 1694 101 96
9 Bécam 1020 5 1025 297 3
TOTAL 14141 138 14279 1306 329
598
Contre-visites de
l’inspecteur
divisionnaire
Source : AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
La quantité de procès-verbaux rédigés annuellement est considérable en comparaison
de la petite dizaine constatée de 1886 à 1889 dans les 12 e et 13 e circonscriptions de l’époque.
En 1913 on en dénombre 424 et 653 dans les 2 e et 7 e circonscriptions.
2620 VIET (Vincent), La formation de l’identité des inspecteurs du travail (1874-1914), in ROBERT (Jean-louis)
(dir.), Inspecteurs et inspections du travail sous la III e et IV e République, op. cit., p.49.

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Ces nombreux procès-verbaux trouvent de surcroît audience auprès de l’autorité
judiciaire. Cette même année entre 85% et 91% des constats d’infractions débouchent sur une
condamnation dans les subdivisions territoriales qui nous intéressent. Les classements sans
suite et les acquittements sont extrêmement rares. La défiance des juges envers le corps de
l’inspection du travail appartient à un temps révolu, même si dans les zones les plus rurales
quelques voix s’élèvent encore contre la législation. En 1899, le juge de paix de La Roche-
sur-Yon campe sur ses positions rétrogrades. Il estime que la loi n’est pas adaptée aux petits
ateliers des villes peu ouvrières et que l’inspecteur doit se cantonner dans un rôle de
conciliateur afin d’éviter au juge, lié par la loi, la charge de prononcer des condamnations 2621 .
La grande majorité des infractions relevées en 1913 ne concerne pas la protection des
enfants ou des femmes, même si elle demeure majoritaire dans l’industrie proprement dite. La
question du repos hebdomadaire accapare une très importante part du temps de l’inspection
du travail. Dans ce domaine le secteur industriel est moins représenté que le petit artisanat et
les activités de nature commerciale. Le contrôle du temps de travail des personnes dites
faibles constitue le troisième domaine derrière les questions de sécurité et d’hygiène. Enfin,
les obligations formelles représentent la dernière matière d’infraction. Un grand changement
par rapport à la période précédente.
Certaines pratiques habituelles sous le régime de la loi de 1874 perdurent pourtant
quelques années après l’adoption du nouveau texte de loi. En 1900 le ministère du Commerce
et de l’industrie informe le préfet de Vendée que l’inspecteur divisionnaire a constaté qu’une
vingtaine de communes du département ne possède aucun livret dans leurs mairies en
infraction de l’article 10 de la loi du 2 novembre 2622 . Quelques mois plus tôt un autre courrier
émanant de la même autorité s’étonne que la mairie de La Roche-sur-Yon ne délivre de livrets
qu’aux apprentis en oubliant les jeunes ouvriers 2623 .
2621
Le juge de paix de La Roche-sur-Yon au préfet de Vendée, le 12 juillet 1899, ADVd 10M5. Inspection du
travail dans l’industrie [1892 ; 1920].
2622
Lettre du ministère du Commerce et de l’Industrie, inspection du travail, du 7 septembre 1900 au préfet de
Vendée, ADV 10M122. Statistiques industrielles [1839 ; 1852] & ADV M4.71. Correspondances du préfet
[1862-1865].
2623
Lettre du ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes au préfet de Vendée du 28
septembre 1899, ADV 10M122. Statistiques industrielles [1839 ; 1852] & ADV M4.71. Correspondances du
préfet [1862-1865].
599

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
D’autres procédés municipaux sont plus graves encore. En 1908, soit 16 ans après la
promulgation de la loi, une circulaire évoque la délivrance de livrets par des maires à des
enfants de moins de 13 ans sur simples déclarations verbales 2624 .
Figure 26 : suites données aux procès-verbaux dressés en 1913 par les inspecteurs
du travail dans la 2 e circonscription :
0%
12%
3%
PV suivis de condamnation (totale ou partielle) Acquittement En instance Classement sans suite
Figure 27 : suites données aux procès-verbaux dressés en 1913 par les inspecteurs
du travail dans la 7 e circonscription :
5%
2%
2%
PV suivis de condamnation (totale ou partielle) Acquittement En instance Classés
600
91%
85%
Source : AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
2624 Circulaire du 14 avril 1908 du Ministère du Travail et de la Prévoyance Sociale, ADV 10M122. Statistiques
industrielles [1839 ; 1852] & ADV M4.71. Correspondances du préfet [1862-1865]. Notons que les
départements poitevins ne sont peut être pas concernés

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Cependant la proportion de procès-verbaux dressés dans les domaines du travail de
nuit ou propres au travail des enfants et des femmes augmente en comparaison du nombre de
manquements constatés mais non poursuivis. Il est loin le temps où la conciliation régnait en
la matière. Les esprits ont eu le temps d’appréhender la législation protectrice des plus jeunes
au travail. La loi de 1892 a déjà 21 ans et le premier texte fondateur remonte à 65 ans.
Désormais, l’Etat peut se montrer sévère. La société n’accepte plus l’exploitation des moins
forts. Les combats se déplacent sur d’autres champs de batailles où les mentalités sont à
conquérir comme c’est le cas dans le domaine du repos hebdomadaire, de la protection de la
femme enceinte ou de la journée de 8 heures.
Figure 28 : nature des infractions relevées en 1913 dans les 2 e et 7 e
circonscriptions :
400
350
300
250
200
150
100
50
Durée du travail des enfants et des femmes
0
70
Age d’admission
29
Travail de nuit
19
Repos hebdomadaire :
370
Hygiène et sécurité des travailleurs
601
144 146
Affichage et état trimestriel
Livret, registre, extrait de naissance
56
Machines non protégées
96
Affiche et registre
Source : AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
112

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Figure 29 : nature des procès-verbaux dressés en 1913 dans les 2 e et 7 e
circonscriptions :
1400
1200
1000
800
600
400
200
Durée du travail des enfants et des femmes
0
330
Age d’admission
37
Travail de nuit
459
Repos hebdomadaire :
1211
Hygiène et sécurité des travailleurs
602
272
Affichage et état trimestriel
288
Livret, registre, extrait de naissance
90
Machines non protégées
238
Affiche et registre
Source : AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
Parmi les secteurs d’activité les plus sanctionnés seules les industries du textile et du
vêtement le sont principalement à propos de la non application des lois relatives au travail des
femmes et des enfants. Comme sous le régime de 1874 les petits ateliers de confection
regroupant quelques couturières, brodeuses, dentellières ou modistes se trouvent bien souvent
en dehors du cadre imposé par le législateur. Dans les autres domaines, l’alimentation 2625 – le
plus sanctionné –, la construction ou les activités commerciales de proximité, la plupart des
fautes commises violent les règles du repos hebdomadaire 2626 .
2625 On rencontre ici aussi un fort pourcentage de contravention se rapportant aux lois protectrices des plus
faibles et à celles concernant le travail de nuit (boulangerie), particulièrement dans la 2 e circonscription
2626 Voir infra p. 459 et s.
136

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
Tableau 76 : secteurs d’activité les plus sanctionnés par l’inspection du travail en
1913 dans les 2 e et 7 e circonscriptions :
Secteur d’activité Nombre de contraventions par circonscription
2 e 7 e
Travail des étoffes
Vêtements
198 215
Alimentation 194 1046
Travail des métaux ordinaires 152 444
Commerces divers 121 334
Métallurgie 103 -
Terrassement
Construction en pierres
- 304
Source : AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
Mieux contrôlée, mieux respectée la loi du 2 novembre 1892 n’est plus contestée.
Néanmoins de rares secteurs d’activité dérogent parfois à ces exigences. Aucune dérogation à
la loi de 1892 et à ses dispositions relatives au travail nocturne des femmes et des enfants
n’est mise en place dans la 2 e circonscription, subdivision à laquelle appartient le département
de la Vienne. Il en va autrement dans la 7 e – en Vendée – où les conserveries de légumes et de
poissons obtiennent des autorisations temporaires afin de fonctionner de nuit. La côte
atlantique du département est bordée de 25 établissements de ce type en 1909 occupant plus
de 2000 femmes 2627 . Ainsi, la nature de l’activité fortement dépendante de la pêche et de ses
aléas ainsi que le manque de main-d’œuvre dans une région où la plupart des hommes sont
marins obligent à mettre en place un régime particulier.
Longtemps le droit du travail est resté partiellement ineffectif. L’application régulière
et rigoureuse des lois réglementant le travail a pris plus d’une soixantaine d’année dans les
départements poitevins, un laps de temps où, localement, le respect de la législation dépend
presque tout entier de la personnalité des inspecteurs divisionnaires en place et du rapport de
force qu’ils entretiennent avec les élites politiques et industrielles et avec les autorités
judiciaires ou administratives.
L’observance des lois sociales varie d’une région à l’autre en fonction de la culture
industrielle de chacune d’entre elles. Moins l’industrie est développée moins sont respectées
les règles édictées pour réguler ses excès. Le petit entrepreneur des campagnes a plus de mal
que celui des régions hautement industrialisées à saisir les enjeux induits par le travail des
plus jeunes et des plus faibles. Sa vision du problème est moins globale, plus immédiate. En
2627 Voir supra p.65. Au total on compte en 1913 neuf établissements de conserves de légumes, occupant 485
mineurs de moins de 18 ans et 5033 femmes, et cent conserveries de poisson employant 9731 mineurs et 52655
femmes, cf. AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
603

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
outre il met du temps à accepter l’immixtion de l’Etat dans ses affaires, au sein
d’établissements bien souvent gérés de manière familiale.
La période de consolidation du corps de l’inspection du travail s’accompagne d’une
modification sensible du rôle même de l’inspecteur. Celui-ci chargé de contrôler les
personnes, particulièrement les femmes et les enfants, va s’intéresser aux ateliers dans leur
globalité. Ils marchent ainsi dans les pas des hygiénistes de la première moitié du XIX e siècle.
Les rapports intègrent petit à petit des remarques, techniques ou indignées, sur la salubrité, les
conditions de travail ou la sécurité des machines, autant de domaines consacrés par le
législateur dès la loi de 1874 en son article 14 2628 . Au contrôle et à la conciliation l’inspecteur
du travail ajoute la prévention, un concept juridique innovant pour l’époque. Cette conception
est couronnée par la loi du 12 juin 1893 « concernant l’hygiène et la sécurité des
travailleurs », un texte qui s’applique cette fois à tous, aux hommes comme aux femmes et
aux enfants.
La stricte application des rares lois sociales destinées à protéger les travailleurs les
plus faibles au XIX e siècle semble loin d’être parmi les priorités des autorités poitevines. Les
consignes ministérielles en la matière ne l’y encouragent guère. Cependant ce constat local
recoupe également une réalité nationale.
Tant que l’ouvrier reste sagement entre les murs de son usine, son sort importe peu. Il
ne risque pas d’y être une menace pour l’ordre public. Au contraire, c’est l’action des
inspecteurs du travail, pourtant très précautionneux et peu sévères, qui suscite la méfiance de
l’administration comme des notables. Ces derniers se sentent mis à l’index par l’activité
d’inspection stigmatisant certains d’entre eux et par la mise à l’écart progressive des
commissions de surveillance constamment et véritablement inefficaces. L’inspecteur du
travail déjà submergé par le labeur doit en plus composer avec un environnement hostile ou,
du moins, bien peu coopératif. Les préfets comme les maires supportent mal cette intrusion
dans leur sphère d’autorité. L’inspecteur est fréquemment perçu comme un agent extérieur se
mêlant d’affaires locales, voire parfois comme une sorte de « moralisateur ».
Néanmoins, ce contrôle finira par porter ses fruits et les lois par modifier
profondément les habitudes industrielles. Dès 1900 des ouvriers parviennent à obtenir des
diminutions de leur temps de travail sans soutien législatif. De même la loi du 13 juillet 1906
2628 Jusqu’ici rares sont les dispositions légales prévue afin d’assurer la protection physique des ouvriers. On peut
citer la loi du 22 avril 1810 sur les établissements dangereux pour le voisinage, le décret du 3 janvier 1813
consacré aux travaux dans les mines ou bien encore l’ordonnance du 22 mai 1843 sur la protection des machines.
604

Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail
ne bouleverse pas les habitudes industrielles où le repos hebdomadaire est déjà entré dans les
moeurs.
La vie de l’ouvrier est axée autour de son travail, exercé en atelier ou à domicile, et
occupant la majeure partie de son temps. Cette pénible réalité pourrait être acceptable si le
travailleur industriel vivait toujours décemment dans un environnement salubre. Or, non
seulement il gagne à peine ce qui est nécessaire pour subvenir à ses besoins mais en outre il
lui arrive d’être contraint de vivre et de travailler quotidiennement dans des environnements
éprouvants.
605

Chapitre 2 : L’épreuve du quotidien
Bien souvent le cadre de vie de l’ouvrier est marqué par une grande promiscuité au
sein des ateliers ou des habitations, par le vacarme assourdissant des machines, par la
surveillance tatillonne des contremaîtres, par l’air méphitique des ateliers ou par les
atmosphères confinées et viciées de leurs pauvres logements.
Ce sombre tableau n’est pas qu’une image d’Epinal. Cette réalité ne touche pas
uniquement que les villes anglaises, les faubourgs parisiens et les grands centres industriels
français du Nord et de l’Est de la France. Si on ne meurt pas sous les plafonds de pierres – ou
de bois – des caves et des baraques poitevines, niortaises ou bocagères 2629 on y suffoque
fréquemment, entassés dans de petites pièces mal aérées. Tristes havres pour l’ouvrier que ces
habitats insalubres au sortir d’une harassante et mortifiante journée de labeur passée à suer
dans des hangars ouverts aux quatre vents soumis aux appétits voraces des machines et à la
menace sourde d’un environnement nocif ; un environnement découvert par les enquêteurs de
la monarchie de Juillet et dénoncé de plus en plus par les inspecteurs du travail. Ceux-là
sortent d’eux-mêmes du seul cadre du temps de travail et de la protection des faibles pour
contrôler l’espace industriel tout entier. Ces initiatives personnelles sont finalement
couronnées par le législateur le 12 juin 1893 avec l’adoption d’un texte portant sur l’hygiène
et la sécurité des travailleurs. Théoriquement l’ouvrier, qu’il soit faible ou non, a le droit
désormais d’exiger de travailler en sécurité.
Ces conditions de vie et de travail incontestablement éprouvantes (section 1) obligent
les ouvriers à faire preuve de solidarité à l’intérieur d’une classe sociale en formation
(section 2).
2629 Exception faite des épidémies comme celle du cholera qui frappe Poitiers en 1832.
606

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Section 1 : Des conditions de vie et de travail éprouvantes
Si quelqu’un, au XIX e siècle, doit gagner son pain à la sueur de son front 2630 , avec peu
d’espoir de jours meilleurs, c’est bien l’ouvrier. Cependant la dure réalité des uns ne constitue
pas forcément celle des autres. Les composants de la classe ouvrière sont très hétérogènes
dans la France de l’époque. De nombreux travaux de plein air ou exercés dans de petits
ateliers ne sont guère différents du savoir-faire artisanal séculaire. Certes le travail peut être
ardu mais il n’est pas infernal. De même dans beaucoup de bourgs et villages poitevins
l’ouvrier ne se différencie guère de son voisin paysan. Il vit modestement dans des conditions
relativement supportables comme une grande partie de cette France rurale que la Révolution
industrielle atteint à peine.
Toutefois les départements Poitevins n’ignorent pas totalement les maux journaliers
ressentis par l’ouvrier. Il peut subir lui aussi un environnement immédiat insalubre et
oppressant aux conséquences parfois graves sur sa santé et son physique (I). Simplement ces
maux sont beaucoup plus localisés et exceptionnels que dans les régions fortement
industrialisées.
La précarité flagrante de la classe ouvrière impose aux religieux et philanthropes de venir à
son secours. Toutefois, cette aide bien souvent nécessaire place l’ouvrier dans une situation de
dépendance. C’est pour sortir de ce schéma que l’entraide mutuelle va se développer (II).
I- Un environnement insalubre et oppressant
La notion de salubrité n’est pas aisément définissable 2631 . Elle varie en fonction des
époques ou des auteurs, médecins, hygiénistes, juristes ou urbanistes. La loi de 1850 sur le
logement est très imprécise en la matière. On y parle seulement de conditions susceptibles
« de porter atteinte à la vie ou à la santé des habitants ». Le logement insalubre est un foyer
2630 Genèse, chapitre 3, verset 19.
2631 FIJALKOW (Yankel), La notion d'insalubrité. Un processus de rationalisation, 1850-1902, Revue d'histoire
du XIX e siècle, 2000, n°20/21. Cf. aussi BORGETTO (Michel), La législation française de lutte contre les
logements insalubres (1850-1902) : éléments d’une problématique, communication lors du colloque
international organisé par la Faculté de Droit, d’économie et de gestion de l’Université d’Orléans les 5, 6 et 7
octobre 1995 sur « La ville en Occident du Moyen Age à nos jours. Pouvoirs, administration, finances ».
607

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
d’infections et d’épidémies que le surpeuplement amplifie. Le premier objectif des autorités
est d’éviter la création d’îlots infectieux en plein cœur des villes.
Bien souvent des considérations morales s’ajoutent à celles purement hygiéniques. On fustige
la promiscuité ou l’absence d’intimité. La notion moderne de « confort » est encore loin.
Quelque soit l’étendue des critères adoptés un constat s’impose : l’ouvrier est fréquemment
mal logé (A).
En outre, cette notion de salubrité concerne aussi les ateliers que fréquentent les
ouvriers. Là, elle est très longtemps considérée uniquement d’un point de vue extérieur aux
établissements industriels. Une fabrique est insalubre quand elle gène le voisinage. Les
travailleurs sont considérés uniquement comme des agents de l’infection rarement comme des
victimes. Pourtant leurs conditions de travail sont rarement faciles, d’autant que la discipline a
tendance à s’accentuer dans les ateliers (B) où la menace d’accident ou de maladie semble
planer constamment (C).
A- Un mal logé
Pendant de longues années le logement ne semble pas représenter une priorité chez
l’ouvrier poitevin. Se loger ne semble pas être un réel problème en milieu rural. En revanche,
c’en est un pour les ouvriers venant de contrées extérieures à la région ou amenés à s’y
déplacer. La concentration de travailleurs – avec ou sans famille – autour d’un pôle d’activité
ou dans les faubourgs d’une ville pose des problèmes identiques, bien qu’à une échelle
moindre, à ceux que l’on peut rencontrer à Lille ou à Mulhouse.
Pour le travailleur industriel des deux premiers tiers du XIX e siècle l’habitat et son
hygiène n’a pas la primauté. « La nécessité de la salubrité, même la plus vulgaire, est loin
d’être comprise par toutes les personnes de la classe ouvrière » affirme, stupéfait, le
rapporteur de la Commission des logements insalubres de Niort en 1853 2632 . Le bas niveau de
vie oblige à consacrer son salaire en priorité aux dépenses d’alimentation, accessoirement
d’habillement. On ne dédie qu’une part relativement modeste au loyer qui n’est pas un des
postes principaux de dépenses 2633 . L’important est seulement d’avoir un toit au-dessus de la
tête. En effet, les longues journées de travail éloignent l’ouvrier de sa maison ou de son garni.
2632 Commission des logements insalubres de Niort, rapport présenté au conseil municipal de Niort par la
commission des logements insalubres concernant l’enquête faite par cette commission pendant les mois de juin
et juillet 1853, MSSDDS, t.XVIII, 1855, p.168.
2633 Voir supra p.455.
608

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Chez soi on ne fait que dormir à l’exception notable des tisserands à domicile ayant
transformé leur logis en atelier familial.
Néanmoins, tout n’est pas qu’une question d’argent. L’ouvrier semble se moquer de
son cadre de vie. Ainsi à Niort, en 1853, certains d’entre eux paient des loyers plus chers que
la moyenne pour des logements dans un état extrêmement déplorable, ce que ne comprennent
pas les rapporteurs communaux chargés des logements insalubres.
« Et cependant certains locataires se résignent à habiter et à
conserver pendant plusieurs années ces logements incommodes,
malsains, et, avec cela, onéreux ; se faisant ainsi victimes de la
cupidité des propriétaires, soit par insouciance, ou par incurie, ou
par ignorance, ou par habitude 2634 ».
Cependant le sentiment du travailleur à l’égard de son logement importe peu aux yeux
des pouvoirs publics. Ceux-ci doivent intervenir afin de lutter contre l’insalubrité vecteur de
maladie, obéissant ainsi au mouvement hygiéniste qui se développe dans le deuxième tiers du
XIX e siècle.
a) Ouvriers et insalubrité, un rapport de causalité ?
La question du logement, son absence ou son insalubrité, ne se pose pas partout dans
les départements poitevins. La plupart des ouvriers des bourgs et des campagnes disposent
d’un logement relativement décent, semblable à celui du reste de la population. Seuls ceux
exerçant des activités particulières, habitant en ville ou dont l’industrie les oblige à se
regrouper, sont touchés par les difficultés inhérentes au logement.
Dans les campagnes peu de choses différencient l’ouvrier de l’artisan ou du paysan.
Quand il n’est pas propriétaire de sa maison il ne souffre guère du prix des loyers
généralement peu élevés. Néanmoins, dans le rayon choletais vendéen, la profession de
tisserand exercée à domicile semble bien plus mal lotie que les autres. Ce travailleur œuvre
continuellement du lever au coucher du soleil dans des caves dont la lumière n’émane que
d’une minuscule fenêtre, orientée au midi, percée au ras du sol. Le travail s’effectue dans des
2634 Commission des logements insalubres de Niort, rapport présenté au conseil municipal de Niort par la
commission des logements insalubres concernant l’enquête faite par cette commission pendant les mois de juin
et juillet 1853, MSSDDS, t.XVIII, 1855, p.168.
609

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
sous-sols de terre battue afin de maintenir une humidité nécessaire pour rendre le fil moins
cassant. Aucune aération n’existe afin de chasser les remugles d’une activité humaine
ininterrompue, « un air si peu vital » pour reprendre l’expression des rapporteurs de l’enquête
de 1848 à propos des tisserands de Châtillon-sur-Sèvre 2635 . Au-dessus de la cave bien souvent
une seule pièce aux murs imprégnés de salpêtre où s’entasse la famille quand elle ne travaille
pas à l’étage inférieur 2636 .
Ce qui différencie fondamentalement le tisserand du paysan des alentours ce n’est pas
l’habitation elle-même mais plutôt l’usage du logement. D’un côté, il y a un véritable atelier à
l’atmosphère confinée et moite et, de l’autre, une maison aérée où l’on entre uniquement pour
manger et dormir après avoir travaillé aux champs.
Illustration 19 : maison de tisserand à Saint-Léger-sous-Cholet :
Le véritable problème des campagnes propres au logement ouvrier porte sur
l’hébergement des travailleurs étrangers à la région. Cette question touche les activités
industrielles installées à l’écart des villes pour lesquelles il est souvent nécessaire, dans un
premier temps, de faire appel à des travailleurs aguerris venus d’autres contrées, comme l’ont
fait les houillères du bas Poitou, la verrerie de Faymoreau, et certains établissements textiles
2635 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.466.
2636 POISSON (Charles), op. cit., p.53.
610

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
importants 2637 . Cet afflux soudain de bras dans des contrées sans infrastructures oblige les
industriels à trouver des moyens de loger leurs employés, généralement seuls, parfois en
famille.
Dans les villes le problème réside dans la concentration d’un nombre important de
personnes dans certains quartiers urbains aux logements anciens et vétustes non adaptés à une
population nombreuse et laborieuse.
Les autorités locales associent bien souvent ouvriers et insalubrité 2638 . Dans le second
tiers du XIX e siècle l’idée d’une classe ouvrière paupérisée, vivant dans des conditions de vie
déplorables, pénètre profondément dans les esprits, même au cœur des régions faiblement
industrialisées. En 1853, le sous-préfet de Parthenay avertit le maire d’Airvault afin que sa
commune prenne des mesures de lutte contre l’insalubrité causée par la présence d’ouvrier
dans ses murs. Leur seule existence devrait obligatoirement aller de pair avec des logements
« où règne une infection permanente 2639 ». Cet amalgame perdure dans les esprits de
l’administration préfectorale du département des Deux-Sèvres puisque six ans plus tard c’est
le sous-préfet de Bressuire qui lie ouvrier et insalubrité. « Niort, Saint-Maixent et Parthenay
renferment une très nombreuse population ouvrière dont les logements laissent
considérablement à désirer sous le rapport de la salubrité 2640 », écrit le fonctionnaire en 1859
à propos de lieux n’appartenant même pas à sa circonscription administrative. En 1869, les
problèmes de santé et de salubrité sont au cœur des préoccupations des châtelleraudais. Une
conférence consacrée à l’hygiène prononcée par un attaché à la faculté de médecine de
Poitiers est jugée « salutaire pour tous les ouvriers de la ville » par les conseillers
municipaux 2641 .
Cependant l’existence d’ouvriers n’est pas uniquement synonyme d’insalubrité. Les
bourgades et les villes n’ayant aucune activité industrielle prégnante ou une urbanisation
importante ne sont pas concernées à l’image de La Roche-sur-Yon où les ouvriers sont
employés dans de petites structures quasi-artisanales et dans des secteurs traditionnels comme
celui du bâtiment, où nombre de maçons vivent pourtant misérablement. En 1859, le préfet de
Vendée estime inutile les commissions municipales issues de la loi de 1850 sur les logements
2637
C’est le cas également pour la manufacture d’armes de Châtellerault dans ses premières décennies
d’existence.
2638
Voir à ce sujet le lien entre les petites cités métallurgiques de la Nièvre, la salubrité et la fièvre typhoïde in
THUILLIER (Guy), Les ouvriers des forges nivernaises…, op. cit., pp.432-435.
2639
Courrier du sous-préfet de Parthenay du 7 mars 1853, ADDS 6M23.2. Logements insalubres.
2640
Rapport sur l’assainissement des logements insalubres dans l’arrondissement de Bressuire en 1859, ADDS
6M23.2. Logements insalubres.
2641
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 18 décembre 1869.
611

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
insalubres car les mesures prises après l’épidémie de cholera de 1849 ont suffi à régler
dramatiquement le problème 2642 , et ce d’autant plus que les villes du département sont peu
populeuses 2643 . En 1908, seules trois maisons sont considérées comme malsaines par la
municipalité.
Il y a peu de localités qui sont touchées par de réels problèmes de salubrité. Parmi
elles on peut citer Niort et plus tardivement Poitiers. Les problèmes d’hygiène collective
précaire sont inhérents au regroupement d’un grand nombre d’individus dans une même zone
où l’on dénombre une proportion d’ouvriers importante. Les chamoiseurs, gantiers,
corroyeurs et autres professionnels du cuir sont nombreux à Niort 2644 , alors qu’à Poitiers ce
sont plutôt des travailleurs proches du petit artisanat occupés dans des métiers nécessaires à la
vie d’une capitale régionale. Ici la population est regroupée dans les quartiers des basses
pentes du plateau, de la Grand rue, de Montierneuf, de la Tranchée 2645 ou des faubourgs
comme ceux de la Cueille 2646 ou de Montbernage. Châtellerault a aussi son lot de rues et
d’habitations malsaines, localisées dans le faubourg de Châteauneuf, tout comme Parthenay et
Saint-Maixent où quelques activités industrielles provoquent une relative agglomération
d’une population industrieuse. Si Parthenay conserve longtemps une organisation quasi-
médiévale en quartiers regroupant des spécialités artisanales, des faubourgs commencent à s’y
créer dans le courant du XIX e siècle. Là se regroupent les ouvriers les plus modestes et les
moins qualifiés arrivés récemment des campagnes environnantes 2647 .
Autant de villes où les descriptions de rues ou d’habitations se ressemblent. Les
rapports des commissions d’hygiène emploient tous les mêmes mots : promiscuité, humidité,
manque de lumière et d’aération, trop grande proximité avec les latrines ou avec des tas
d’immondices ou de fumier, paillasses informes, vermine. Que l’on soit à Niort ou à Poitiers,
les fenêtres sont trop rares ou trop petites 2648 sur les façades de maisonnettes. Les eaux
pluviales ou ménagères stagnent au beau milieu des cours ou de petits corridors disposés
2642
Cette épidémie fait également de nombreuses victimes à Niort.
2643
Lettre du préfet de Vendée au ministre des Travaux publics du 10 mars 1859, ADVd 5M18. Logements
insalubres [1850 ; 1911].
2644
Des professions aux activités insalubres auxquelles s’ajoutent la présence d’un abattoir « dans la partie la
plus centrale de la ville » comme le déplore le rapporteur des comptes d’une séance du conseil municipal de
Niort en juin 1850, TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.15.
2645
Les métiers de la pierre s’y regroupent.
2646
Concerne particulièrement les travailleurs de l’habillement.
2647
ROBIN (René), Parthenay. Etude de géographie urbaine, Revue du Bas Poitou, Fontenay-le-Comte, tiré à
part, n° 5-6, 1958, 78 p.
2648
C’est une des conséquences de l’impôt sur les portes et fenêtres.
612

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
perpendiculairement aux rues principales, et dont les pavés ne sont jamais léchés par les
rayons du soleil. Les habitations trop anciennes et trop basses, sont enfoncées en dessous du
niveau de la voie publique où l’humidité règne en maître. Parfois les murs ou les charpentes
sont proches de l’écroulement. Les logements trop petits empêchent toute intimité vis-à-vis de
ses enfants ou du voisinage. A Niort en 1859, des familles nombreuses n’ont qu’une chambre
pour se loger 2649 . On est parfois obligé de coucher vieillards et enfants dans un même lit.
Ces descriptions évoquent celles connues des grandes villes industrielles : Lille,
Roubaix, Rouen ou Saint-Étienne, bien qu’ici le problème ne touche que quelques centaines
de personnes et non pas des dizaines de milliers 2650 .
A Châtellerault les quartiers anciens aux maisons agglomérées et aux ruelles étroites
ne sont pas adaptés à l’afflux de nouveaux habitants venus travailler à la manufacture
d’armes. Ils se transforment rapidement en cloaques nauséabonds « dont le défaut d’air et
l’insalubrité de celui qu’on y respire compromettent gravement la santé de la nombreuse
population que recèle ces quartiers 2651 ». Des impasses seraient même de véritables foyers
d’infections et certaines rues obligent le passant « à marcher dans des eaux corrompues et
bourbeuses 2652 », une situation qu’aggrave un peu plus la spéculation des propriétaires de
logement, ces « vautours » dépeints par la littérature populaire 2653 . Beaucoup de logements
restent vides alors que des familles entières sont à la rue ou s’entassent dans quelques mètres
carrés. A partir de 1887 les loyers quadruplent en quatre ans 2654 profitant de l’essor
considérable de l’activité de la « Manu ».
A Poitiers il faut que les maladies sévissent pour que le conseil municipal prenne en
compte les problèmes d’hygiène et de salubrité affectant la classe populeuse. En 1884 et en
1892 le cholera et la dysenterie contraignent les édiles à se soucier des conditions d’habitation
de leurs concitoyens les plus modestes. Ils découvrent alors des cours remplies d’immondices
où les fosses d’aisances répandent leurs miasmes dans les rues, les cours et à l’intérieur même
des habitations. Ils visitent également des logements de quinze mètres carrés où « un homme
2649
Rapport de la commission d’assainissement des logements insalubres de l’arrondissement de Niort du 4 avril
1859, ADDS 6M23.2. Logements insalubres.
2650
Voir par exemple DUVEAU (Georges), op. cit., p.351 à propos de Lille, SANDRIN (Jean), op. cit.,
p.144 et s. ou encore les mémoires d’un ouvrier : MICHAUD (René), J’avais vingt ans, un jeune ouvrier au
début du siècle, Paris, 1967, 290 p., ainsi que les descriptions de Villermé ou de Blanqui.
2651
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 30 janvier 1840.
2652
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 7 décembre 1868.
2653
Voir par exemple les caricatures de Daumier in ARMINGEAT (Jacqueline) (dir.), Honorée Daumier,
locataires et propriétaires, Paris, 1992, 132 p.
2654
L’Eclaireur de la Vienne du 10 juillet 1887.
613

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
peut à peine se tenir debout » et où vivent cinq personnes dont deux sérieusement malades. Ils
rencontrent un couple habitant une sordide masure ne disposant que d’un seul lit, et dont les
cinq enfants en bas âges dorment à tour de rôle à l’hospice des incurables afin de s’y faire
traiter de la teigne 2655 .
Illustration 20 : cour des Poissonneaux dans le faubourg de Châteauneuf à
Châtellerault (1987) :
Source : Cheminées, 150 ans d’histoire de la Manufacture d’armes de Châtellerault, op. cit., p.28.
2655 AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 24 février 1894.
614

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
La commission en charge de l’assainissement de la ville de Niort dénombre une petite
cinquantaine de logements insalubres, dont certains sont prêts à s’écrouler 2656 . Elle dénonce là
aussi les puisards engorgés, les murs sans fenêtre, l’absence de fosses d’aisances et même la
présence d’animaux de ferme dans certains logis.
A Parthenay les rapporteurs de l’enquête économique et sociale de 1848 craignent que
la situation déplorable du logement local des ouvriers ne fasse le lit du cholera si par malheur
il parvenait dans le bocage poitevin.
Les plus faibles des villes de Poitiers, de Niort et de Châtellerault n’échappent pas
davantage aux maladies. La capitale des Deux-Sèvres est frappées par le choléra en 1830 et en
1849. En 1890, le journal socialiste l’Eclaireur de la Vienne parle du « déplorable état
sanitaire de Châtellerault, véritable foyer d’épidémie 2657 ». La ville des bords de Vienne
souffre en 1871 d’une épidémie de variole emportant 211 ouvriers 2658 et en 1886 de la
rougeole frappent 138 enfants dont 18 succombent 2659 . Déjà, en 1883, on constatait que « les
premiers cas [de rougeole] se sont d’abord déclarés dans les faubourgs ouvriers de
Châtellerault, à Châteauneuf, et dans les bâtiments de la manufacture, au mois d’octobre ».
La même année le typhus apporte également son lot de malheurs avant que la dysenterie
touche la ville en, 1890 2660 .
Face à ce problème réel d’absence d’habitat ou d’insalubrité des logements, les
autorités comme le patronat vont employer localement des solutions semblables à celles mises
en place dans le reste du pays.
b) Vers l’amélioration des conditions de vie
On tente d’améliorer le logement ouvrier à deux niveaux. A l’échelle municipale, on
instaure dans les années 1850 des commissions chargées de contrôler la salubrité des quartiers
populeux tout en effectuant des travaux d’urbanisme importants. Quant aux entreprises, elles
essaient de fournir un habitat aux ouvriers soit en les logeant directement dans les murs de la
fabrique soit en facilitant ou en finançant la construction de cités ouvrières.
2656 Commission des logements insalubres de Niort, Rapport présenté au conseil municipal de Niort par la
commission des logements insalubres concernant l’enquête faite par cette commission pendant les mois de juin
et juillet 1853, op. cit., pp.157-181 et ADDS 6M23.2. Logements insalubres.
2657 L’Eclaireur de la Vienne du 12 janvier 1890.
2658 Des cas de variole sont encore signalés en juin 1887. On parle de défaut de vaccination chez les plus pauvres,
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 1 er juin 1887.
2659 MURPHY (Gwenaël), op. cit., p.89.
2660 HEMERY (Yvonne), op. cit., p.88 et s.
615

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
1. Les politiques municipales de salubrité
Le mouvement hygiéniste qui se développe dans la première moitié du XIX e siècle va
influencer la mise en place d’une législation visant à lutter contre l’insalubrité de certains
quartiers urbains, foyers de bactéries et de microbes 2661 . C’est ainsi que la loi du 13 avril 1850
sur les logements insalubres est votée après de longs débats. Ce nouveau texte instaure des
commissions municipales ayant le pouvoir de condamner des logements jugés malsains ou
dangereux et d’en exproprier les habitants 2662 .
Les commissions ne sont pas formées partout dans la région. Quand elles le sont, on
peut douter légitimement de leur efficacité. La propriété privée est encore sacrée et la loi y
porte atteinte.
A Poitiers la mission de la commission s’achève un an après sa création. Le conseil
municipal se contente de charger un médecin du bureau de bienfaisance de signaler
d’éventuels logements insalubres 2663 . Il faudra attendre 1892 pour que la ville nomme un
inspecteur chargé de la question assez proche de l’hygiène publique 2664 . Il reste en place
jusqu’en 1898 2665 , temps pendant lequel la municipalité met en place un service de balayage
des rues et de fourniture d’eau potable à la population 2666 .
Niort instaure également une commission qui rédige un rapport détaillé en août 1853
quant à la salubrité des logements du chef-lieu des Deux-Sèvres 2667 . Les membres de l’organe
municipal visitent 150 habitations dont 49 sont jugées insalubres. Douze d’entre-elles sont
considérées inhabitables et insusceptibles d’être assainies. En plus de condamner certains
taudis à la démolition, la commission propose des modèles de logements pouvant être loués à
la classe ouvrière pour un loyer à peine supérieur à celui généralement payé 2668 . Cependant le
2661
La tuberculose peut être considéré comme « le mal du siècle ».
2662
En outre, le texte exonère d’impôt pour cinq ans les ouvertures pratiquées sur les façades d’habitations
insalubres. Sur l’élaboration de la loi du 22 avril 1850 voir DREYFUS (Ferdinand), L’assistance sous la seconde
république, Paris, 1907, p.164 et s.
2663
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 15 mai 1851 et du 26 avril 1852.
2664 er
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 1 octobre 1892.
2665
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 8 août 1898.
2666
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 20 octobre 1894.
2667
Commission des logements insalubres de Niort, rapport présenté au conseil municipal de Niort par la
commission des logements insalubres concernant l’enquête faite par cette commission pendant les mois de juin
et juillet 1853, op. cit., pp.157-181.
2668
C'est-à-dire 30 francs contre 26F38 en moyenne. Des logements à prix modiques dont certains, à la Société
statistique, n’hésitent pas à douter leur faisabilité.
616

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
rapport n’a guère de suite. Un intervenant l’exprime sans ambages devant la Société
statistique de la ville :
« La question des logements insalubres semble avoir perdu de
l’intérêt qui, pendant plusieurs années, s’y est attaché ; elle a été
délaissée […] et aujourd’hui elle s’efface devant une autre question
de même nature et encore plus importante ; je veux parler de la
question des aliments salubres et à bon marché 2669 ».
Malgré tout la commission propose quelques solutions comme l’immunité à l’impôt portant
sur les portes et fenêtres pour les logements occupés par des ouvriers. Une mesure qui reste
un vœu pieux, jusqu’en 1926, année de sa suppression.
La commission de Parthenay est beaucoup moins active. Etonnamment elle voit plutôt
d’éventuels effets néfastes à une amélioration des conditions d’habitation du travailleur :
« Si l’existence de la famille du pauvre dépend toute entière de la
santé et du travail de son chef, ce serait peut être un danger pour lui
de pousser les précautions conservatrices de son bien être au point
que leur douceur servit à amollir son courage et sa force 2670 »
Cette opinion rejoint celle émise par la direction des mines de Saint-Laurs. Ces tenants d’une
pensée utilitariste voyant les travailleurs comme de simples exécutants estiment que plus le
travail et la vie sont durs, plus la volonté de s’en sortir est importante et plus la masse de
travail effectuée l’est également. C’est pour cela que l’ouvrier doit être maintenu dans sa
condition inférieure et précaire. Il doit vouloir s’en sortir mais jamais y parvenir ou alors
difficilement.
En revanche les problèmes d’hygiène et de confort de vie semblent mieux pris en
compte à Châtellerault. Ce souci apparaît dès 1840 quand la manufacture d’armes se
développe et attire des ouvriers étrangers à la région. Le conseil municipal projette alors de
mieux contrôler les constructions futures afin de couvrir le faubourg de Châteauneuf
2669 Commission des logements insalubres de Niort, rapport présenté au conseil municipal de Niort par la
commission des logements insalubres concernant l’enquête faite par cette commission pendant les mois de juin
et juillet 1853, op. cit., p.170.
2670 ADDS 6M23.2. Logements insalubres.
617

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
« d’habitations saines et aérées 2671 ». Pour cela on propose de modifier le plan de la ville afin
de limiter le nombre d’impasses et de ruelles propices aux lieux fangeux 2672 . Cependant les
actes vont se révéler moins ambitieux que le projet. Une seule rue est creusée pour
désenclaver et aérer le quartier. Et rien n’est fait pour assainir les nombreuses impasses
privées. Ces dernières sont à nouveau accusées en 1869 par la commission municipale de
salubrité, créée en 1851 2673 , d’être des sources majeures d’infections. Mais là encore la
municipalité ne fait rien 2674 . En 1868 on projette de prolonger l’aqueduc de la ville jusqu’à la
grande rue de Châteauneuf pour parvenir à vider certaines cours « malpropres 2675 ». De même
en 1875 on revient sur le problème des eaux stagnantes des cours de Châteauneuf 2676 . Mais là
encore le caractère privé de ces lieux fait échouer tout projet de percement de nouvelles voies
et de système d’écoulement des eaux 2677 . La mairie ne peut que prendre un arrêté interdisant
les mares d’eau stagnantes à l’intérieur de la ville. Entre temps on se félicite tout de même du
rôle joué par la commission de salubrité qui aurait poussé les propriétaires des logements mis
à l’index « à exécuter amiablement les assainissements utiles 2678 ».
C’est en 1887 qu’un grand débat agite la commune. On réclame la construction d’un
pont reliant la manufacture d’armes au quartier ouvrier situé sur l’autre rive de la Vienne 2679 .
Ce projet d’envergure est destiné à assainir le faubourg de Châteauneuf et à remédier à
l’inflation des loyers touchant les logements de la rive gauche de la Vienne source de
promiscuité et de maladie.
« Il existe de nombreux logements non loués par suite des exigences
des propriétaires et il y a des familles obligées, par suite des ces
exigences, d’habiter dans de véritables taudis, foyers permanents de
typhus et de rhumatismes, ou bien de vivre dans la plus complète
promiscuité, ne pouvant avoir qu’une seule chambre où mangent et
dorment parents et enfants 2680 ».
2671 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 28 janvier 1840. On qualifie alors le
faubourg « d’emplacement heureux pour y fixer la population ».
2672 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 30 janvier 1840.
2673 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 22 mars 1851.
2674 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 4 septembre 1869.
2675 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 7 décembre 1868.
2676 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 10 avril 1875.
2677 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 19 mai 1875.
2678 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 12 mars 1859.
2679 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 19 novembre 1887.
2680 L’Eclaireur de la Vienne du 10 juillet 1887.
618

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
La municipalité peu fortunée et n’obtenant aucune aide repousse constamment le
projet qui revient chaque année à l’ordre du jour. En 1889 un conseiller municipal rappelle à
nouveau le projet tout en déplorant qu’un « grand nombre de [ses] concitoyens habitent des
bouges infects qui leurs sont loués à des prix scandaleux » tout en estimant que « des
pourceaux sont mieux logés que ces gens là ». Il poursuit en démontrant que de telles
conditions de vie sont à la fois un foyer de contagion mais aussi un foyer révolutionnaire 2681 ;
un dernier argument fort mais pourtant insuffisant.
La question du Pont sur la Vienne réapparaît en 1892 alors qu’une nouvelle crise du
logement frappe la ville et que des familles d’armuriers se retrouvent à la rue. Cette fois c’est
le directeur de la manufacture d’armes qui le réclame 2682 en estimant qu’un tel ouvrage
permettrait de faciliter l’accès à la manufacture, de désengorger Châteauneuf et de créer un
nouveau quartier ouvrier sur la rive droite 2683 . Après des séances tapageuses le conseil
municipal 2684 décide enfin d’emprunter afin de réunir les fonds nécessaires au projet. Les
épidémies récentes marquent encore les esprits. Le pont sera achevé en 1900 2685 .
Illustration 21 : le pont sur la vienne et la manufacture d’armes de Châtellerault :
2681 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 25 février 1889.
2682 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 22 octobre 1892.
2683 On projette même de construire une cité ouvrière, voire pour certains un familistère sur le modèle de celui de
l’usine Godin à Guise construit en 1865, cf. PINEAU (Philippe), De Guise à Châtellerault : traces et soucis du
familistère, Cheminées, 150 ans d’histoire de la Manufacture d’armes de Châtellerault, n°2, Châtellerault, 1987,
pp.23-35.
2684 On craint que le pont ne favorise trop les communes alentours, particulièrement celle de Naintré.
2685 Il s’agit du premier pont entièrement en béton armé construit en France.
619

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le rôle du pouvoir local en matière de logement ouvrier se limite généralement à
tenter d’assurer un minimum de salubrité afin de diminuer les risques d’épidémies. Les temps
ne sont pas encore à des politiques étatiques ou locales destinées à favoriser ou à améliorer
l’accès des travailleurs au logement. Cependant certains entrepreneurs, paternalistes ou
simplement pragmatiques, vont œuvrer pour offrir à leur propre main-d’œuvre un toit décent
et abordable.
2. Les initiatives patronales
Certaines activités nécessitant des compétences précises obligent les entrepreneurs
investissant dans ces secteurs à faire appel à une main-d’oeuvre qualifiée exogène au Poitou.
Les verreries, la fabrication d’armes de guerres ou les houillères ne trouvent pas sur place
d’ouvriers expérimentés capables d’encadrer les travailleurs locaux disponibles mais
débutants. Il est donc nécessaire pour les attirer puis pour les retenir de leur fournir un
logement, parfois au beau milieu de l’enceinte industrielle, parfois en dehors dans de
véritables petites cités ouvrières.
Plusieurs vagues de « peuplement ouvrier » se succèdent à Châtellerault au gré de
l’évolution de la manufacture d’armes. Dans un premier temps une quarantaine d’alsaciens
venus de Klingenthal sont logés dans des bâtiments prévus spécialement à cet effet dans la
partie nord de la manufacture 2686 . D’autres logements s’y ajouteront afin d’héberger les
ouvriers spécialisés dans les armes à feu 2687 . Ainsi, ces « chambrées » accueillent les
travailleurs célibataires obligés de quitter leur Alsace natale. Plus tard, fin 1890, la
manufacture héberge entre ses murs, dans une ancienne écurie, quelques-uns de ses ouvriers,
et leurs familles, mis à la rue en plein hiver par la grave crise touchant le logement
châtelleraudais 2688 .
Cependant ce « logement interne » à l’établissement industriel semblable à un
casernement est plutôt rare dans la région. L’absence d’établissements de grande envergure
n’incite pas à créer ce genre de dortoir.
En revanche, certains métiers, encore imprégnés d’une tradition corporatiste
millénaire, vont perpétuer quasiment jusqu’à la Grande Guerre l’hébergement de l’ouvrier par
2686 GUILLON (André), MEUNIER (Paul), op. cit., p.11.
2687 Voir le plan de la manufacture in BOUTIN (Clovis), op. cit., p.17.
2688 MARION (Jacques), op. cit., p.36.
620

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
le maître. En 1910 les maréchaux de Poitiers se plaignent encore de la survivance de cette
tradition qu’ils comparent à de l’esclavage :
« L’ouvrier maréchal, lui, n’a rien de tout cela [l’auteur parle de la
vie de famille]. Nourri chez le patron c’est à peine s’il a le temps de
prendre ses repas, vite il faut se remettre au travail. Couché chez le
patron dans de mauvaises chambres, presque toujours mal tenues,
mal propres, manquant d’air et de lumière : ce régime est une des
dernière formes de l’esclavage. L’ouvrier maréchal est le plus mal
payé de tous les travailleurs, et cependant nous ne sommes pas
nombreux dans nos corporations, à peine de quoi satisfaire aux
besoins du métier 2689 ».
Les cités ouvrières construites ou encouragées par le patronat sont plus fréquentes.
Souvent de petites tailles elles sont adaptées à l’échelle des fabriques où travaillent ses
habitants.
Cette forme de logement de la main-d’œuvre semble avoir les faveurs de toutes les
composantes du monde industriel.
Le patronat, animé de sentiments paternels, y voit un bon moyen de « sédentariser » ou du
moins de stabiliser un personnel mouvant en raison de sa grande spécialisation, lui permettant
de multiplier les ateliers, ou de sa ruralité, le poussant à préférer les travaux des champs à
ceux des ateliers. Une fois installé entre les quatre murs d’une maison adossée à son usine,
l’ouvrier n’a pas souvent d’autre alternative que d’y rester. Peut-être doit-il la rembourser ?
Peut-être se sent-il redevable envers un patron lui ayant permis d’accéder à la propriété ou du
moins à un logement décent ?
En effet le travailleur voit lui aussi des avantages à la création de telles cités. On peut s’y
installer en famille ou en fonder une, projet impossible quand on vit dans un dortoir. Grâce à
elles l’ouvrier peut échapper à la spéculation immobilière gonflant immodérément les loyers.
Il peut aussi diminuer les temps de trajet entre l’usine et son domicile.
Toutefois ce type d’organisation de l’habitat est plutôt destiné aux ouvriers étrangers à
la région. Les autochtones rompent difficilement avec leurs racines rurales et préfèrent
2689 L’Avenir de la Vienne du 3 septembre 1910.
621

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
continuer de vivre dans leurs villages, sans avoir la désagréable sensation d’être parqués et
soumis à la main mise du patron comme aux servitudes de voisinages 2690 .
C’est ainsi que quelques cités ouvrières apparaissent dans la région, particulièrement
dans la Vienne où il est nécessaire de concentrer une main-d’œuvre éparpillée 2691 . A la
filature de chanvre et de lin de Ligugé on créé en 1870 une cité ouvrière composée de 27
maisons afin de rassembler à proximité des ateliers une grande partie des presque 350
ouvriers habitant les nombreuses communes alentour localisées dans un rayon de 10 à 20
kilomètres. En 1905, on y compte 38 maisons avec jardin. Les dernières y sont construites
après l’acquisition de nouveaux terrains 2692 et sont encore habitées de nos jours. De même, à
Naintré, les couteliers de la société Pagé logent dans des habitations construites par leur
patron en 1867 en même temps que l’usine nouvelle 2693 . Le loyer annuel s’élève 100
francs 2694 . Il s’agit d’un bon moyen pour que les ouvriers quittent définitivement Châtellerault
et ses opportunités d’emplois offerts sa manufacture, si préjudiciables à la coutellerie
traditionnelle.
Cette volonté patronale de fixer une population itinérante 2695 se rencontre tout autant
en Vendée et plus particulièrement à Faymoreau où les mines et la verrerie drainent des
ouvriers des quatre coins de France. En 1842, 27 logements « casernes » sont construits pour
les verriers. Ici contrairement aux cités ouvrières de la Vienne, les ouvriers sont logés
gratuitement, un signe que l’on désire ardemment les attirer et les fixer en terre vendéenne.
Quant aux mineurs, ils louent des logements construits sur des parcelles achetées à vil prix par
la direction des mines 2696 . En 1874, on compte 32 corons de ce type à Faymoreau avant une
nouvelle vague de construction sept ans plus tard. A Épagne, le mineur fait construire sa
maison sur un terrain fourni par la direction, payée par des retenues salariales mensuelles
2690 Voir à ce sujet l’exemple des cités ouvrières de Mulhouse, REYBAUD (Louis), Etudes sur le régime des
manufactures, conditions des ouvriers en soie, Paris, 1859, p.76.
2691 Tous les établissements industriels n’ont pas cette politique. A la filature de Biard la plupart des célibataires
sont locataires de petits logements d’une pièce ou logent chez l’habitant, MEUNIER (R.-A), La filature de coton
et fabrique de bonneterie de Biard de 1825 à 1862, op. cit., 1977, p.142.
2692 MIELCZAREK (Willy), La filature de Ligugé, monographie d’un centre industriel, op. cit., p.128.
2693 PAGE (Camille), op. cit., p.624.
2694 MARION (Jacques), op. cit., p.36. Pour l’étude du budget des couteliers des alentours de Châtellerault voir
supra p.450 et s.
2695 C’est le cas particulièrement des verriers qui travaillent par campagne durant neuf mois. Concernant les
mineurs en milieu rural voir également TREMPÉ (Rolande), Les mineurs de Carmaux…, op. cit., p.259 et s.
2696 ADVd 4M191. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon.
622

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
allant de 10 à 50 francs 2697 . Il va de soi que l’ouvrier est alors contraint de rester sur place tant
qu’il n’a pas remboursé le prix de sa maison. Perdre son emploi c’est perdre son logement.
Cependant longtemps l’ouvrier préfère cela à la location. Il a ainsi le sentiment « d’être chez
lui », d’être un propriétaire quand bien même il ne fait que louer son lieu d’habitation.
Le bassin houiller vendéen constitue l’exemple le plus abouti de cité ouvrière dans le
Poitou 2698 et l’un des rares endroits dans la région où le logement contribue à former le
sentiment d’appartenance à une classe particulière de la société. Ici l’employeur y organise
toute la vie de l’ouvrier. La volonté de s’assurer une main-d’œuvre stable s’additionne à
l’esprit de patronage propre à la mentalité vendéenne, proche de celle des protestants de l’Est
de la France 2699 . En effet, aux logements s’ajoutent plusieurs services 2700 dont les
responsables des houillères facilitent l’implantation en fournissant les terrains adéquats et en
assurant leur entretien ultérieur.
Illustration 22 : corons de Faymoreau :
2697 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.163. On suit l’exemple des
grandes cités ouvrières mulhousiennes telles les cités Dollfus ou Dornach.
2698 Sur le développement des cités ouvrières et l’accession à la propriété voir par exemple DUVEAU (Georges),
op. cit., p.359 et s., BOUVIER-AJAM (Maurice), op. cit., p.144 et s. ou bien encore WILLARD (Claude) (dir.),
op. cit., Paris, 1993, t.1, p.392 et s.
2699 A l’image des Koechlin, Dollfuss ou Schlumberger.
2700 Ecoles, bureau de poste, mairie, chauffage a prix préférentiel.
623

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
A ces services s’ajoute la présence de jardins aux abords des maisons composant les
cités ouvrières. Souvent individuels ils peuvent être collectifs comme à Niort. Là, en 1908,
l’Association catholique répartit entre les ouvriers nécessiteux deux ares de terres sur les
bords de Sèvre afin qu’ils améliorent le quotidien de leur famille tout en restant loin des
cabarets aux funestes influences 2701 . Le jardin est considéré par certains, en particulier dans
les milieux catholiques 2702 , comme un des meilleurs remèdes aux maux de la classe ouvrière.
Outre les fruits et légumes qu’il fournit, bons pour la santé, l’ouvrier y est au grand air, loin
de l’atmosphère viciée et stressante de l’atelier. Il s’y livre à un exercice physique salutaire et
réparateur. Il y fait également l’apprentissage de la propriété privée qu’il sera désormais
moins enclin à contester.
Plus tard la loi Siegfried du 30 novembre 1894 sur les habitations bon marché et la loi
Strauss du 12 avril 1906 astreignent les communes d’intervenir dans le domaine du logement
social. Elles traduisent la volonté étatique d’intervenir en matière de logement et de ne plus
laisser l’initiative qu’au patronat, toujours suspecté de vouloir trop encadrer ses employés 2703 .
Même bien logés nombre d’ouvriers doivent composer avec des conditions de travail
éprouvantes les faisant ressembler à des réprouvés cheminant parmi les élus.
B- L’ouvrier : le Sisyphe des temps modernes
« Debout les damnés de la Terre ». Cette phrase résonne en tête du poème d’Eugène
Pottier 2704 écrit en 1888 et transcrit bien ce que peuvent ressentir de nombreux d’ouvriers
obligés chaque jour à retourner travailler dans des ateliers aux atmosphères délétères,
enchaînés sur leurs métiers ou esclaves d’infatigables machines. Avec le machinisme le temps
de travail devient un temps plein et atteint une intensité inconnue jusqu’alors. Certaines
descriptions font de l’usine « un enfer de l’ennui » ou du tisserand à la cave un galérien
attaché à son métier comme à une rame, oeuvrant sans cesse dans l’espoir de gagner quelques
centimes supplémentaires. Les ateliers sont dépeints comme des bagnes desquels on ne
2701 TEXIER (André), Essai d’histoire municipale de Niort (1848-1914), op. cit., p.224.
2702 Les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul font figure de référence en la matière puisqu’elles fournissent des
lopins de terre aux ouvriers dès 1837, cf. DEWERPE (Alain), Le monde du travail…, op. cit., p.123.
2703 Un projet d’habitations à bon marché échoue à Thouars en 1903, cf. rapport du commissaire de police de
Thouars au préfet du 27 avril 1903, ADDS 4M6.27.Mouvement social ; rapports divers [1898 ; 1903].
2704 Le poème, écrit pendant la Commune de Paris, devient, une fois mis en musique par Pierre Degeyter,
L’International, hymne des révolutionnaires de tout pays.
624

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
s’échappe pas et dont les contremaîtres seraient les gardes-chiourmes. Ces descriptions
emphatiques du travail industriel utilisent un champ lexical propre à l’univers carcéral mêlant
peine et routine tout en traduisant une réalité constatée dans beaucoup de grands centres
industriels. Mais qu’en est-il dans des zones plus rurales ? Y trouve-t-on là aussi des
exemples de conditions de travail éprouvantes rendant encore plus pénibles les déjà longues
journées de labeur ?
Même si une grande partie des ouvriers du Poitou travaillent de manière traditionnelle
et artisanale, il y a également des secteurs d’activités industrielles marqués par l’insalubrité
des ateliers et la discipline sévère qui y régne.
a) L’atelier, domaine malsain de l’épuisement
Au XIX e siècle les conditions de travail se détériorent sous l’impact des nouvelles
techniques de production et d’organisation des ateliers. C’est le début de la course à la
productivité. La force physique, de tout temps nécessaire, est indispensable mais désormais
s’y ajoute une variable supplémentaire et capitale qui est l’endurance. Celle-ci doit être
physique. Le travail à la pièce, le fonctionnement continu des machines obligent l’ouvrier à
effectuer impérieusement des gestes réguliers. Elle doit être également mentale. Du courage
est nécessaire afin de demeurer stoïque dans ces atmosphères méphitiques et inconfortables.
Certains travaux impliquent une répétition d’efforts physiques épuisants. C’est le cas
par exemple des étireurs de peaux ou des travailleurs du bâtiment. En 1912, des terrassiers de
Niort se mettent en grève à cause de la dureté du sol les obligeant à travailler beaucoup plus
péniblement afin de conserver leurs salaires, payés à la quantité de gravats déblayés 2705 .
Nombre de métiers s’exercent debout, dans des positions inconfortables. Les bonnetières, à
l’image de celles de Saint-Maixent, ne doivent actionner leurs métiers circulaires que dans
une position verticale. On porte les stigmates de son métier. Longtemps les fileurs comme les
couturières s’échinant journellement sur leurs machines à coudre ont le dos voûté et les
genoux abîmés 2706 .
D’autres professions exigent peu de force physique mais plus de régularité. Dans les
grands ateliers textiles ce sont souvent les femmes qui sont chargées de ces tâches répétitives
2705 ADDS 11M19.13.C. Conflits et grèves [1902 ; 1931].
2706 En 1872 certaines lingères du Pas-de-Calais, ayant commencé à travailler à l’âge de 14 ans, sont considérées
comme « devenues impropres au travail » une fois l’âge de 45 ans atteint. AN C3018. Enquête parlementaire de
1872. Réponse de Cadart-Buirette, de Saint-Omer, cité par PIERRARD (Pierre), L’Eglise…op. cit., p.50.
625

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
et monotones, sources de fatigues physiques et mentales. A Parthenay, les enfants des
filatures mécaniques apparaissent souffrants et rachitiques, les vêtements imprégnés d’huile
grasse à l’odeur repoussante 2707 .
L’aération est un des problèmes majeurs rencontrés dans les ateliers. Parfois l’air
manque faute d’ouvertures suffisantes comme dans les filatures établies le long du Thouet
près de Parthenay. L’un des premiers gestes des inspecteurs du travail arrivant dans un atelier
est bien souvent celui d’ouvrir les fenêtres afin de renouveler l’air confiné stagnant dans les
pièces qu’il visite 2708 . L’exemple des usines niortaises où l’on travaille les soies de porc est
édifiant. Là, « la fermentation dégage des odeurs nauséabondes, dangereuses pour la santé
des ouvriers et même celle des voisins » 2709 . On imagine sans peine les difficultés rencontrées
à travailler des journées entières, imprégné des exhalaisons putrides émanant de déchets
d’animaux en décomposition. On y évoque même des dangers de contagion. L’environnement
des fondeurs de suif niortais est lui aussi extrêmement fétide. Même les locaux de la
manufacture d’armes de Châtellerault sont jugés très mal aérés au début du XX e siècle. Les
exigences de l’article 5 du décret du 29 avril 1904, c’est-à-dire la présence d’un minimum de
7m 3 d’air par personne, ne sont pas respectées 2710 . Les filatures de lin, nombreuses dans la
région, sont désignées pour leur saleté, la chaleur et l’odeur nauséabonde qui y règnent 2711 .
Les potiers et les tuiliers passent des journées entières à chauffer leurs fours ce qui « influe
sur leur santé 2712 ». La métallurgie oblige également à supporter des températures étouffantes.
Nombre d’armuriers de la manufactures ont des problèmes de vue causés par la trop grande
promiscuité avec le feu des forges asséchant et abîmant les yeux. La menace d’incendie est
toujours présente 2713 . Quant aux poussières de toutes sortes elles virevoltent dans
l’atmosphère et s’infiltrent dans les poumons comme dans les pores de la peau. Des maux
dont se plaignent aussi les plâtriers.
2707 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.467.
2708 PERROT (Michelle), Les ouvriers, l’habitat et la ville au XIX e siècle, La question du logement et le
mouvement ouvrier français, Paris, 1981, p.27.
2709 BRUNET (Michel), op. cit., p.22. Les établissements Noirot auraient amélioré les conditions de travail de
leurs ouvriers en construisant en 1855 de nouveaux ateliers, mieux aérés. Toutefois, en 1870, les fabriques de
soie niortaises sont les seuls établissements qualifiés d’insalubres par l’ingénieur des mines, cf. MARTIN (Jean
Clément), Le travail des enfants…, op. cit., p.461.
2710 BLONDELLE (Stéphanie), op. cit., p.103.
2711 DUVEAU (Georges), op. cit., p.287.
2712 ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2), op. cit., p.466.
2713 Cf. lettre du sous-préfet de Châtellerault au préfet du 5 novembre 1840, ADV M4.47. Correspondances du
préfet (1840).
626

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Ailleurs des hangars sont ouverts à tous les vents été comme hiver. Des courants d’air
enveloppent des corps en sueur, source de fluxions de poitrine, affaiblissant les poumons, et
constituant un terreau propice à la phtisie galopante.
L’humidité est aussi une ennemie favorisant les pathologies. La mégisserie réclame le
lavage des peaux à grandes eaux obligeant à rester des journées entières les pieds dans des
flaques malpropres. Les sardinières de la côte vendéenne doivent des nuits durant nettoyer à
l’eau froide, saler, étêter et saumurer les sardines dans une atmosphère ruisselante nimbée de
l’odeur de poisson et la peau corrodée par le sel. Et puis il y a l’huile bouillante, nécessaire à
la cuisson, cause de brûlures graves. Les risques sont grands car il faut travailler vite : le
poisson n’attend pas. En 1914, on parle d’ouvrières surmenées à propos des employées des
conserveries 2714 .
Loin des contrées hautement industrialisées et de la rationalisation des ateliers, les
entrepreneurs locaux n’ont pas toujours conscience des contraintes inhérentes aux différentes
professions. Bien souvent les pièces ne sont pas adaptées à l’activité exercée. L’espace est
rare. On est amené à fabriquer des chaussures sous des combles ou à forger des grosses pièces
de ferronnerie dans quelques dizaines de mètres carrés.
Le travail physique, l’humidité, l’absence d’aération ou l’exiguïté du lieu de travail
sont autant de facteurs réunis dans la seule activité minière qui en fait un des travaux les plus
pénibles 2715 . Avant 1900, les mineurs du fond passent 12 heures dans l’obscurité de galeries
étroites et inclinées, mal aérées, à la chaleur étouffante (parfois jusqu’à 50 degrés), où l’eau
s’infiltre sans cesse obligeant à travailler les pieds dans la boue. Des puits aux parois friables
dans lesquelles on descend fréquemment par une simple échelle que l’on qualifie parfois de
« sans repos », descente ou ascension vertigineuse de près de 50 mètres 2716 qu’il faut faire
coûte que coûte malgré la fatigue ou une nuit difficile, sans penser au « mauvais air », le
grisou, monstre tapi au plus profond des houillères, que l’on signale à Faymoreau dès les
années 1850 2717 , ce qui oblige à utiliser des lampes de sécurité. Des conditions de travail
extrêmement difficiles pour les mineurs adultes devenant véritablement effroyables pour les
2714 ADVd 10M17. Repos hebdomadaire dans divers secteurs d’activité ; dérogations [1906 ; 1937].
2715 Voir notamment la description des mines de Saint-Laurs en 1889, publiée dans Le Mémorial des Deux-
Sèvres du 4 mai 1889, et TREMPÉ (Rolande), Travail à la mine et vieillissement des mineurs, MS, n°124, juilletsept.
1983, p 131-152.
2716 Dans un des puits de Saint-Laurs, une benne mue par une machine descend les mineurs jusqu’à une
profondeur de 120 mètres. Ensuite ils doivent effectuer les 60 derniers mètres en descendant par des échelles, Le
Mémorial des Deux-Sèvres du 4 mai 1889.
2717 Sur les conditions de travail dans les mines vendéennes voir HURIER (Damien), L’exploitation des mines de
Faymoreau (1827-1958), op. cit., pp.66-67 et LERMITE (Jean-Louis), op. cit., p. 96.
627

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
quelques enfants et adolescents qui sont également employés au fond jusqu’en 1892, une
pénibilité et des plaintes que ne comprend pas le paysan du voisinage. Celui-ci se borne à
comparer son revenu au salaire supérieur des mineurs 2718 qui, plus est, ne subit pas les affres
climatiques inhérentes au travail en plein air !
Les conditions de travail de l’ouvrier peuvent être éprouvantes même en pleine
campagne. On l’a vu, le tisserand à domicile travaille dans sa cave au sol en terre, humide,
froide et sombre jusqu’à 17 heures par jour, quand les commandes affluent chez le fabricant.
Dans les Deux-Sèvres beaucoup de rapports rédigés lors de l’enquête économique et sociale
de 1848 insistent sur l’insalubrité des lieux de travail des tisserands 2719 . De plus, toute la
famille est « mise à contribution ». La femme fabrique des calicots ou des mouchoirs « dont
la confection exige le coup de balancier le moins vigoureux » et les enfants dévident les
écheveaux ou bien préparent les navettes dès six ans avant d’apprendre à lancer 2720 . Pousser la
navette d’un métier à tisser des journées entières éprouve profondément les épaules, les reins,
l’estomac ou la poitrine. Des douleurs accentuées par la moiteur environnante nécessaire au
travail du fil. Toujours à domicile, les piqueuses, brodeuses et couturières des bourgs et des
villes des dernières décennies du XIX e siècle, s’abîment continuellement les yeux à travailler
tard dans la nuit à la lumière vacillante d’une flamme de bougie.
Longtemps le cadre professionnel de l’ouvrier est ignoré des autorités quand il n’a
aucun effet sur l’environnement extérieur à l’atelier. Outre les autorisations délivrées pour
l’ouverture d’un établissement exerçant une activité insalubre 2721 , des enquêtes de commodo
et incommodo sont effectuées afin de constater l’existence d’éventuelles nuisances – fumées,
mauvaises odeurs, détritus – pouvant gêner le voisinage. L’insalubrité doit être contingentée à
l’usine elle-même. En aucun cas ses miasmes ne doivent rejaillir en dehors. Pénétrer dans
l’enceinte industrielle est longtemps considéré comme une atteinte à la propriété privée. Cette
fois-ci même la protection de l’enfance au travail ne peut pas servir d’alibi à ces visites.
Pourtant quelques textes normatifs commandent d’inspecter l’intérieur des fabriques
afin d’y contrôler la salubrité. En 1849, dans la Vienne, un arrêté préfectoral place parmi les
2718
Longtemps les mineurs de Faymoreau gagnent un salaire journalier supérieur à beaucoup d’autres
professions de la région.
2719
Citons les rapports rédigés à Frontenay, à Beauvoir, Bressuire, Châtillon-sur-Sèvres ou Parthenay in
ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de 1848 (partie 2 & 3) , op. cit., pp. 465-467 & 454-455.
2720
SION (Jules), Les paysans de la Normandie orientale, Paris, 1909, 544 p. cité par LEFRANC (Georges),
Histoire du travail et des travailleurs, op. cit., p.244.
2721
Elles sont nécessaires, entre autres, pour ouvrir une tannerie, une fabrique de chandelles ou des fours à
chaux.
628

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
tâches des commissions d’hygiène publique l’amélioration des « conditions sanitaires des
populations industrielles et agricoles » et le maintien de la « salubrité des ateliers » 2722 . En
1860, une circulaire du ministère du commerce du 16 août, met en garde contre l’utilisation
d’un produit destiné à la teinture de certaines étoffes 2723 , les préfets devant veiller à ce que
l’on n’en fasse pas usage. Mais, régulièrement, des notes ministérielles insistent sur le
manque de zèle des membres des commissions de salubrité départementale : seulement une
vingtaine font parvenir des rapports réguliers sur le sujet et celles du Poitou n’en font pas
partie 2724 .
Il faut attendre le développement d’une véritable inspection du travail pour que la
question des conditions de travail et d’hygiène commence à être évoquée, voire sanctionnée,
dans les établissements industriels sous couvert, dans un premier temps, du contrôle du travail
des enfants et des filles mineures. Peu à peu la nature de l’inspection du travail change,
passant d’une protection des faibles à un contrôle de l’atelier tout entier. La prévention
s’ajoute à la sanction, préparant la loi du 12 juin 1893 relative à l’hygiène et à la sécurité des
travailleurs. Ce texte s’applique à l’ensemble des établissements industriels sans considération
quant à l’âge ou au sexe des personnes y travaillant.
En plus d’un travail éprouvant exercé souvent dans des conditions difficiles, l’ouvrier
doit faire face au renforcement de la discipline. Les règlements intérieurs appliqués par des
contremaîtres zélés et la simplification toujours plus grande des tâches effectuées alimentent
le sentiment d’infériorité que peut être amené à ressentir le travailleur industriel.
2722
ADV M5.26. Police sanitaire et industrielle, conseils d’hygiène et de salubrité (1832-1877). Arrêté du préfet
de la Vienne d’avril 1849, article 8, 6 e et 7 e .
2723
ADV M5.26. Police sanitaire et industrielle, conseils d’hygiène et de salubrité (1832-1877). Circulaire du 16
août 1861 du ministère de l’Agriculture, du commerce et des travaux publics.
2724
ADV M5.26. Police sanitaire et industrielle, conseils d’hygiène et de salubrité (1832-1877). Voir par
exemple la circulaire du 15 mars 1869 émanant du ministère du Commerce.
629

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
b) L’atelier, un univers carcéral ?
« Brusquement déracinés, dépossédés et asservis à la machine, les
nouveaux ouvriers, privés de responsabilité et d’initiatives, sont
bien, au cœur même de l’usine, des exclus. Avec la fierté et la joie de
leur tâche, ils ont perdu le sentiment de leur propre utilité 2725 ».
Les transformations du monde industriel avec ses contraintes technologiques et
économiques imposent un nouveau mode d’organisation du travail. Les ateliers anciens,
ouverts sur l’extérieur, cèdent progressivement leur place à des univers cloisonnés, faisant
penser à des couvents, à des casernes voire même à des bagnes 2726 , rythmés par les
mouvements mécaniques des machines et la sonnerie des cloches déterminant précisément le
temps de travail 2727 . Désormais l’ouvrier a l’impression que de véritables chaînes l’attachent à
son établi ou à sa machine, remplaçant par la même les « fils invisibles » qui jadis retenaient
l’ouvrier proto-industriel aux marchands fabricants.
La modernité a fait pénétrer la discipline dans l’usine. Il est loin le temps du sublime,
ce travailleur libre et gouailleur vivant sans retenue. Un bon ouvrier est d’abord discipliné. La
vie d’usine est perçue comme une succession de contraintes que compilent des règlements
intérieurs drastiques sanctionnés, la plupart du temps par des amendes, des retenues sur
salaire ou par le renvoi pur et simple 2728 . La sécurité des ateliers rend indispensables certaines
mesures impopulaires auprès des ouvriers : l’alcool ou certains vêtements trop amples sont
interdits tout comme le fait de s’assoupir ou de s’asseoir ; les déplacements sont limités ; le
silence est souvent demandé afin de favoriser la concentration et d’éviter des erreurs de
fabrication ou des accidents du travail. Autant de mesures, souvent raisonnables, comparées à
certaines autres beaucoup plus coercitives qui infantilisent l’ouvrier.
L’amende contribue quelquefois au financement de la société de secours mutuel des
ouvriers qu’elle punit 2729 , une méthode destinée à mieux faire accepter la sanction. Il faudra
2725
AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.119.
2726
Voir DEWERPE (Alain) , Le monde du travail…, op.cit., pp. 105-106.
2727
Sur la transformation de la conception de l’espace et du temps chez l’ouvrier voir LE GOFF (Jacques), op.
cit., p.26 et s.
2728
Sur les sanctions possibles voir par exemple DUVEAU (Georges), op. cit., p.259.
2729
HURIER (Damien), Les mines de Faymoreau, histoire d’un site industriel dans le bocage vendéen (1827-
1958), op. cit., p.58.
630

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
attendre une loi du 5 février 1932 pour qu’on limite l’usage des sanctions pécuniaires au sein
du monde industriel.
En revanche, la nature juridique des règlements intérieurs demeure floue 2730 . Cette
manifestation du « pouvoir réglementaire » du chef d’entreprise fixe, aujourd’hui, les mesures
applicables obligatoirement en matière d’hygiène et de sécurité dans l’atelier et les règles
générales et permanentes relatives à la discipline 2731 . Au XIX e siècle ces règlements peuvent
avoir une portée plus large – parler est parfois interdit – sans que l’Etat n’ait son mot à dire 2732
dans une convention ratifiée par deux parties capables et consentantes. La seule signature du
contrat de travail par l’ouvrier vaut acceptation des termes du règlement d’atelier – ce qui fait
dire longtemps à la Cour de cassation qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion 2733 –, même si
l’ouvrier est rarement informé à l’embauche des règles auxquelles il devra se soumettre dans
le cadre de son travail. Sensé être un accord bilatéral implicite il n’est, en fait, que la
manifestation unilatérale de la volonté de l’employeur, conséquence de son pouvoir de
direction. L’entrepreneur est donc investi, de fait, d’un véritable pouvoir normatif 2734
l’autorisant à établir unilatéralement des « règles générales et permanentes 2735 ».
Le contremaître, bras armé du patron, est honni, lui que l’on considère comme un
traître à la cause, particulièrement depuis que la fonction n’est plus attribuée à
l’ancienneté 2736 . Le travail à la tâche dont il est chargé de constater l’efficacité accentue
encore un peu plus cet antagonisme. La violence, sourde ou manifeste, s’insinue dans les
ateliers.
2730 Concernant la nature actuelle du règlement intérieur et les controverses qu’elle suscite voir notamment
DOCKES (Emmanuel), Droit du Travail, Paris, 2008, p.125 et s.
2731 Art.L.122-34 C. trav.
2732 Les tentatives de réglementation du règlement d’atelier sont vaines à l’image du projet de loi Ferroul en
1890. Il faut attendre une loi du 4 août 1982 pour qu’enfin le règlement intérieur soit doté d’un régime légal
complet et contraignant.
2733 Cass. civ., 14 février 1866, Paris frères c. dame Julliard. Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de Cassation de
faire naître et de développer la notion de contrat d’adhésion, cf. OLSZAK (Norbert), « Porter des sabots à
l’atelier nuit gravement au salaire (Note sous Cass. civ., 14 février 1866, Paris frères c. dame Julliard) », Revue
de droit du travail, n° 1, juin 2006, pp. 29-30 et OLSZAK (Norbert), « Porter des sabots à l’atelier nuit
gravement au salaire (Cass. civ., 14 février 1866, Paris frères c. dame Julliard) », Mélanges Maryse Carlin, Paris,
La Mémoire du Droit, 2008, pp. 657-668.
2734 Une seconde justification s’appuie sur la théorie institutionnelle de l’entreprise voulant que « toute institution
engendre spontanément son droit » octroyant par la même à l’entrepreneur le rôle du législateur, cf.
COUTURIER (Gérard), Droit du travail, les relations collectives du travail, op. cit., p.6 et 55.
2735 COUTURIER (Gérard), Droit du travail, les relations collectives du travail, op. cit., p.54.
2736 La législation impériale propre aux mines interdit la nomination d’un mineur « maître mineur » s’il n’a pas
déjà trois ans de métier.
631

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Sous le second Empire il n’est pas rare de corriger les enfants employés dans les filatures à
coups de verges ou de « taloches » 2737 . Plus tard, plusieurs grèves sont provoquées pour
protester contre les abus du contremaître 2738 , cerbères de l’ère industrielle. Les mineurs de
Saint-Laurs et de Faymoreau s’en prennent plusieurs fois aux porions qui les encadrent, allant
jusqu’à les menacer de mort. On leur reproche une attitude hautaine, des propos agressifs, des
conduites violentes et des ordres dangereux. On retrouve des critiques semblables ailleurs,
aussi bien chez les fondeurs de Saint-Florent près de Niort, chez les cordonniers d’un
établissement important de Poitiers ou à la manufacture d’armes de Châtellerault 2739 , la
« Manu » où l’on réclame en 1889 l’institution d’une commission élue, représentant le
personnel, afin de traiter des litiges opposant contrôleurs et ouvriers 2740 .
Plus encore que l’attitude adoptée par le chef d’équipe c’est le reniement de sa
condition d’ouvrier qu’on lui reproche et qui le fait haïr par principe. Mais, ce qui semble pire
encore, ce n’est pas l’attitude condescendante ou méprisante du contremaître c’est son
incapacité, son absence de savoir-faire, sa distance quant à la réalité du métier. L’ouvrier aime
à revendiquer son habileté et ses connaissances, même si la mécanisation les a mis à mal.
C’est dans cet esprit que les armuriers de la Manufacture de Châtellerault dénoncent
l’incompétence des officiers qui les encadrent en janvier 1911 2741 .
Il va de soi qu’avec de telles conditions de travail la santé et l’intégrité physique de
certains ouvriers sont menacées.
C- L’ouvrier et ses stigmates
Pour de nombreux contemporains la santé est le plus précieux bien de l’ouvrier au
XIX e siècle, un capital dépensé un peu plus chaque jour passé à travailler dans des conditions
éreintantes et malsaines propices aux maladies et lésions en tous genres (A). Malgré cela le
sort peut s’acharner un peu plus en profitant de la fatigue ou d’un moment d’inattention pour
broyer un membre ou provoquer une chute mortelle (B). Accidents et maladies, des plaies
supplémentaires, s’abattent sur le peuple maudit des ateliers.
2737
Rapport de juillet 1853 concernant le travail des enfants dans l’arrondissement de Parthenay, ADDS
11M19.5. Travail des enfants.
2738
Voir infra p.767 et s.
2739
Le Mémorial du Poitou du 31 août 1907. On peut douter de la véracité de l’accusation car l’article insiste
beaucoup sur les origines allemandes (en réalité alsacienne) du contremaître incriminé.
2740
L’Eclaireur de la Vienne du 22 décembre 1889.
2741 Le Socialiste de la Vienne du 7 janvier 1911.
632

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
a) Les maladies du travail ou la dégénérescence de la race
Si un concept semble rassembler au milieu du XIX e siècle des courants d’idée
antagonistes c’est bien celui voulant que le progrès industriel, et son cortège de
transformations sociales et économiques, mette en péril l’avenir même de la société. Cette
conception traduit bien la gravité de la situation vécue par les classes laborieuses alors que
l’époque est à la vénération des sciences de tous ordres. Le vivier des armées est menacé
d’épuisement. L’espérance de vie régresse. A Lille 70% des habitants des quartiers ouvriers
meurent avant d’atteindre l’âge de quarante ans 2742 . Sous le second Empire les ouvriers
métallurgistes sont usés et déformés au bout de 20 ans de travail 2743 .
Toutefois ce souci de la santé des ouvriers n’est pas apparu subitement avec la vague
hygiéniste et philanthropique née sous la monarchie de Juillet. Dès 1809, le ministère de
l’Intérieur s’inquiète du sort des ouvriers de l’Empire, dont les bras sont nécessaires à l’effort
de guerre napoléonien. Une enquête est diligentée auprès des préfets pour mieux connaître les
maux touchant les populations laborieuses. Le but étant « d’atténuer les effets pernicieux de
certaines professions [...] cependant nécessaires à l’existence de la société 2744 ». Déjà
l’ouvrier semble maudit et condamné à souffrir pour le bien de tous.
1. Des pathologies diverses
En 1809, les « pathologies du travail » constatées dans le département des Deux-
Sèvres sont déjà extrêmement variées, alors que l’industrie en est encore à ses balbutiements.
Le développement du machinisme et de l’industrialisation, allant de pair avec une réelle
insalubrité, va aggraver encore un peu plus l’état de santé des travailleurs. Toutefois, les
pathologies restent identiques à l’image de celles rencontrées dans les enquêtes des décennies
suivantes comme celle de 1848 2745 . Seule l’importance numérique des personnes touchées
augmente au fil du temps et de l’industrialisation.
2742 AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.120.
2743 POULOT (Denis), Le Sublime, Paris, 1870, p.52 cité par DUVEAU (Georges), op. cit., p.274.
2744 ADDS 10M10. Statistiques des maladies particulières aux ouvriers [1809].
2745 Voir REGOURD (Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.87.
633

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Des substances toxiques empoisonnent certains ouvriers à petit feu. Les peintres, les
vitriers ou bien encore les doreurs ou les blanchisseurs souffrent de coliques 2746 et de
saturnisme causés par les matières âpres et corrosives qu’ils utilisent comme le mercure, le
plomb ou le sulfate de chaud. Les teinturiers sont dans le même cas. Les teintures qu’ils
utilisent à base de cuivre, de zinc ou d’urine produisent des vapeurs irritantes mettant à mal le
système lymphatique, cause d’apparitions scrofuleuses. Les teinturiers de la basse ville de
Parthenay en sont les premières victimes 2747 . Les racleurs et ponceurs de peaux inhalent
continuellement des poussières cause de bronchites chroniques favorisant la phtisie
tuberculeuse. Le plomb et l’antimoine des caractères d’imprimerie provoquent des diarrhées,
des hémorragies internes et des paralysies chez les compositeurs et les presseurs. Le
saturnisme frappe les potiers et les chaufourniers
D’autres professions souffrent de l’humidité constante dans laquelle elles sont
exercées. Les rhumatismes, les maladies et les infections de la peau accablent les tanneurs
comme les corroyeurs et les chamoiseurs.
Les forts contrastes thermiques portent également atteinte aux teinturiers, serruriers,
forgerons et chaudronniers, travaillant dans de véritables étuves qui contrastent avec la
froideur de l’extérieur. On affirme même que le feu ardent des forges attaque le système
nerveux des individus qui les servent. Ces hommes souffriraient de pathologies mentales
caractérisées par de « sombres humeurs ».
Les travaux exécutés en plein air l’hiver provoquent leurs cortéges de fièvres, de
dysenteries, d’angines ou de pleurésies. L’été, l’insolation guette le maçon, le tailleur de
pierres ou le charpentier, d’ores et déjà condamnés à être perclus de rhumatismes dans leurs
vieux jours.
Les positions de travail inconfortables maintenues des heures durant ont également des
conséquences affectant durablement la santé. Outre les problèmes de dos, la position courbée
des tailleurs de peaux ou des tisserands entraîne une compression des organes abdominaux
affectant de nombreuses fonctions vitales. Se maintenir debout ou à genoux, comme les
piqueuses de gants ou les couturières, affecte la circulation du sang en causant varices et
anévrismes.
2746
On les nomme coliques du Poitou ou coliques des peintres, cf. ADDS 10M10. Statistiques des maladies
particulières aux ouvriers [1809].
2747
Le préfet Dupin parle d’écrouelles causées par les teintures dues aux vapeurs alcalines dégagées par l’urine
dont il est fait usage, cf. POIGNAT (Maurice), Huit siècles d’artisanat et d’industrie textiles en Gâtine, op. cit.,
p.11.
634

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
A tout cela s’ajoutent les efforts violents occasionnant hernies, problèmes musculaires
en tous genres et fatigue généralisée, un terreau où germent facilement toutes sortes
d’infections et de maladies comme les méningites, la typhoïde et bien entendu la terrible
tuberculose, fléau du siècle.
Les mines constituent un univers éminemment difficile où la pénibilité du travail n’est
pas l’unique cause de souffrance de ceux qui osent y descendre. Non seulement ceux-là sont
marqués physiquement 2748 , mais ils souffrent aussi profondément dans leur chair.
L’absorption continue de la poussière de charbon se déposant au fond des poumons cause la
tristement célèbre silicose 2749 . Ce mal provoque des dégâts irréversibles aux poumons sources
de grande fatigue et de complications : le cœur en souffre et s’épuise et la tuberculose s’y
niche.
La silicose, c'est-à-dire, les lésions pulmonaires causées par les poussières de silice,
n’affecte pas que les employés des mines. Le docteur Desayvre constate sa présence dans
l’enquête qu’il effectue à la manufacture d’armes de Châtellerault, publiée en 1856 2750 .
Effectuée sur cinq ans, en collaboration avec le docteur de Mascarel et le professeur Malapert
de l’Ecole de médecine de Poitiers, l’étude fournit l’examen des pathologies rencontrées à
chaque poste de travail.
2. L’exemple des armuriers de la manufacture d’armes de
Châtellerault
Le médecin poitevin constate que l’œil est un des organes les plus touchés 2751 . La vue
de presque la totalité des ouvriers est malmenée. Pour certains, c’est la conséquence d’une
fatigue engendrée par l’éclairage artificiel ou la faute à un travail qu’il faut effectuer avec
minutie et concentration à l’image des limeurs de sous garde ou des platineurs. Pour d’autres
des projections de paillettes de fer ardentes entraînent des brûlures de la cornée, très
douloureuses bien que souvent superficielles. La proximité des flammes dans les forges
assèche les yeux qui larmoient sans cesse à l’image des canonniers qui « roulent le feu et
2748
« On ne voit pas de mineurs devenir gras, ils sont en général de petite taille et voûtés » déclare le directeur
de la mine de Saint-Laurs en 1889, ADV J740. Don du doyen René Savatier. Œuvres catholiques.
2749 eme
Il s’agit de la plus ancienne pneumopathie connue car on la décrit déjà au XVI siècle. On la « découvre »
officiellement en 1855 en Allemagne et elle est définitivement diagnostiquée à partir de 1914.
2750
Docteur DESAYVRE, Etude sur les maladies des ouvriers de la manufacture d’armes de Châtellerault,
Paris, 1856.
2751
Les forgerons du nivernais souffrent avant tout de fièvres et de problèmes pulmonaires, cf. THUILLIER
(Guy), Les ouvriers des forges nivernaises…, op. cit., pp.249-260.
635

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
forment le canon ». Leur tête est constamment à 60 centimètres des foyers incandescents.
Cette promiscuité avec le feu provoque à la longue 2752 la formation de pellicules blanchâtres
sur les yeux brouillant fortement la vision mais ne faisant pas perdre la vue : « en fait aucun
ouvrier n’a perdu totalement la vue : ils s’arrêtent avant et distinguent bien les personnes
(sic) ». Desayvre estime qu’aucun traitement n’est possible en l’espèce. Les lunettes,
généralement trop fortes, ne font qu’empirer les choses.
A cela s’ajoutent les très nombreux platineurs 2753 dont la vue est gênée par de nombreux corps
flottants devant leurs yeux, un symptôme qui survient après 25 ans de travail obligeant le
travailleur à s’arrêter ou bien à porter lesdites lunettes si peu efficaces.
Armes à
feu
Armes
blanches
Tableau 77 : pathologies des ouvriers de la manufacture d’armes de Châtellerault
en 1856 selon l’étude du docteur Desayvre :
Profession Exposition
continue
au feu
Projection
de paillets
de fer
Problèmes rencontrés et pathologies
Problèmes
occulaires Silicose
636
Absorption
de
substances
toxiques
Maladies
de
poitrine
Problème
articulaire
Mousquetier X X
Canonnier X X X X X
Forgeron de
baguette
X X
Forgeur de
platine
X X X X X
Platineur X
Trempeur X X
Forgeur
Limeur
X
Limeur de
garniture
X
Monteur de
bois de fusil
X
Forgeur de
lames de
sabres
X
Trempeur X
Aiguiseur X X X
Fondeur X X
Monteur de
sabre
X
Forgeur de
lance/
baïonnette
X X X X X
Limeur de
lance/
baïonnette
X
D’après Docteur DESAYVRE, Etude sur les maladies des ouvriers de la manufacture d’armes de Châtellerault,
Paris, 1856.
2752 Après vingt années de service selon le médecin.
2753 A cette époque ils sont environ 150.

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Les poumons souffrent également. L’exposition à un feu continu combinée aux
courants d’airs sur des corps trempés de sueur ou par l’eau nécessaire à certaines tâches 2754
provoque nombre de bronchites ou de pneumonies débouchant parfois sur la tuberculose, une
maladie terrible que le médecin estime pourtant très rare parmi les armuriers. Vingt-deux
d’entre eux sont quand même frappés de phtisie pulmonaire en 1900, 9 en 1909 et 8 en
1910 2755 . Toutefois aucun lien n’est établi entre ces cas de maladie et le travail proprement
dit. L’insalubrité des logements et l’alcoolisme sont cités comme les principaux éléments
favorisant la pathologie.
Mais la plus grave des affections pulmonaires frappe les aiguiseurs. Le frottement des
lames sur les meules provoque la suspension dans l’air de particules de silices que l’ouvrier
inhale à longueur de journées. La silicose évolue en trois étapes, la dernière conduisant
fréquemment à une issue fatale. Trois ouvriers en sont morts pendant les cinq années que dure
l’enquête. La première phase est constituée par l’intrusion de poussières dans les poumons. La
deuxième est l’altération des tissus pulmonaires par cette poussière et la troisième se
caractérise par la formation de « cavernes » dans les poumons. Afin d’atténuer les effets
terribles de cette maladie, le docteur Desayvre propose quelques mesures à l’efficacité
relative. Il préconise d’arrêter tout travail d’aiguisage après 20 ans de service, d’utiliser des
ventilateurs pour dissiper les nuages de poussières et d’interdire aux ouvriers de parler ou
d’ouvrir la bouche pendant le travail. Leur interdire de respirer eut été plus efficace !
L’utilisation de substances toxiques et de certains métaux – cuivre, zinc, étain –
provoque de véritables empoisonnements appelés « coliques de cuivre ». Ces substances,
inhalées, avalées ou absorbées au travers des pores de la peau lors des travaux d’usinage
provoquent diarrhées, vomissements, constipations, troubles du système nerveux, des
muscles, de la vue, de l’odorat ou du goût. Les malades se reconnaissent à leurs gencives
verdâtres et les médecins semblent totalement dépourvus devant cette pathologie. Seule
l’absorption de lait et une réelle division des tâches afin de minimiser les risques trouvent
grâce à leurs yeux. Plus tard, on préconisera des bains afin de débarrasser la peau de l’oxyde
de plomb qui s’y est déposé durant la journée de travail.
Ces troubles gastro-intestinaux perdurent bien longtemps après l’enquête. Des rapports
sanitaires des années 1893 et 1900 en font toujours état 2756 .
2754
L’aiguisage nécessite une eau abondante afin de refroidir les meules et de limiter la suspension de particules.
2755
BLONDELLE (Stéphanie), op. cit., p.47.
2756
Cité par BLONDELLE (Stéphanie), op. cit., p.45.
637

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Quelquefois malade, souvent fatigué, de plus en plus oppressé, l’ouvrier est rarement
placé dans les meilleures conditions pour éviter les pièges qu’il côtoie quotidiennement dans
son travail.
b) L’incessante menace de l’accident 2757
La destinée, la volonté divine, la mauvaise fortune, l’imprudence, le manque
d’expérience sont autant de causes, réelles ou supposées, d’accidents. Cependant la révolution
industrielle du XIX e siècle change cette vision ancestrale fondée principalement sur le hasard.
La mécanisation et la concentration d’individus dans un même lieu augmentent
considérablement la probabilité d’accidents 2758 faisant apparaître l’ouvrier aux yeux de
l’opinion comme un handicapé en sursis. La société est choquée par cet état de fait comme
elle l’a été quelques années auparavant par les conditions de travail et de vie de cette même
catégorie sociale. A Manchester, Engels confie l’impression qu’il a de vivre au milieu d’une
armée revenant de campagne tellement il voit d’accidentés du travail dans les rues. Bien
entendu on est loin de telles visions à propos de la grande France rurale à laquelle le Poitou
appartient
1. Une prise en compte tardive
Le nombre d’accidents du travail frappant des ouvriers augmente régulièrement en
France même si longtemps les statistiques les sous-estiment. Entre juillet 1847 et juin 1855 on
ne dénombre que 377 accidents dans tout le pays 2759 , soit moins de quatre accidents par mois.
Nombre de petites blessures ne sont pas déclarées. Elles font partie du métier. L’ouvrier n’en
fait pas un drame et fait preuve de fatalisme.
De même, les inspecteurs du travail en place dans le Poitou ne dénombrent chaque
année que de très rares accidents du travail propres aux personnes protégées par la loi du 19
mai 1874. Il semble que seuls les plus graves lui soient signalés, les autres lui étant
dissimulés. Ce n’est que bien plus tard qu’il en apprend l’existence par voie de presse ou lors
de ses visites d’établissements. Plus tard, alors que la loi du 8 avril 1898 est en discussion au
2757 Nous porterons notre étude essentiellement sur les départements de la Vienne et de la Vendée car les
archives départementales des Deux-Sèvres sont particulièrement lacunaires en la matière. La quasi-totalité des
liasses se rapportant aux accidents du travail concernent la période qui suit la Première guerre mondiale.
2758 Les chances d’accidents double avec la mécanisation. Elles sont même multipliées par cinq dans le secteur
du bois, cf. HESSE (Jean-Philippe), Le nouveau tarif des corps laborieux : la loi du 8 avril 1898 concernant les
responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, in LE CROM (Jean-Pierre) (dir.),
Deux siècles de droit du travail. L’histoire par les lois, Paris, 1998, p.90.
2759 VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.139.
638

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Parlement, le ministre du Commerce et de l’industrie s’étonne auprès du préfet de Vendée du
très faible nombre d’accidents du travail déclarés en Vendée comme l’exige l’article 15 de la
loi du 2 novembre 1892 2760 . En effet, en 1895, on ne dénombre que 31 accidents dans le
département contre 1080 en Loire-Inférieure la même année 2761 . En 1899 le préfet s’enquiert
auprès de ses sous-préfets des accidents survenus dans les communes de leur ressort afin
d’accorder d’éventuels secours aux victimes. Seuls deux cas sont évoqués, l’un à Poitiers et
l’autre à Châtellerault 2762 .
Tableau 78 : accidents du travail d’enfants et de filles mineurs dans les
circonscriptions auxquelles appartiennent les départements poitevins (1885-
1889):
Année Circonscription Nombre d’accidents
1876 10 e 0
1877 10 e 0
1878 10 e 3
1879 10 e 0
1880 10 e 1
1881 10 e 3
1882 10 e 0
1883 10 e 3
1885 10 e 2
12 e
1887
13
9
e
3
12 e
1888
13
0
e
3
12 e
1889
13
0
e
1
Source : AN F12/4750 Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des
adultes. Correspondances des inspecteurs du travail de la 12 e circonscription et AN F12/4752. Application de la loi de 1874
sur le travail des enfants et de celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du travail
de la 13 e circonscription et ADVd 10M10. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi du 19 mai 1874
[1875 ; 1891].
En 1900, l’inspection du travail suspecte les municipalités de dissimuler les accidents
survenants dans leurs communes. L’inspecteur de la 7 e circonscription est surpris du délai
existant entre la date d’accidents et leur déclaration par la mairie de La Roche-sur-Yon et
demande au préfet d’intervenir. Il accuse cette municipalité de complaisance envers les
entrepreneurs locaux. En effet, tout retard dans la constatation des faits diminue les chances
d’apporter les preuves de la responsabilité des industriels voir même de la réalité des
2760 L’article 15 de la loi du 2 novembre 1892 rend obligatoire une déclaration en cas d’incapacité de travail
minimum de 3 jours ainsi que pour les mineurs de 18 ans. Pour les adultes, la déclaration est possible mais pas
obligatoire selon le préfet de la Vienne, Circulaire du 25 juillet 1893 relative à la déclaration des accidents du
travail, RAA préfecture de la Vienne (1881-1899).
2761 Lettre du ministère du Commerce et de l’industrie du 23 mai 1897 au préfet de Vendée, ADVd 10M26.
Accidents du travail ; législation ; instructions ; correspondances [1881 ; 1927].
2762 ADV M12.89. Affaires diverses relatives aux accidents du travail [1896 ; 1906].
639

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
accidents survenus 2763 . Notons que les habitudes ont la vie dure puisque normalement, en
vertu de la loi de 1898, les entrepreneurs ne peuvent plus s’exonérer de leur responsabilité
envers leurs salariés accidentés, sauf cas de faute graves ou inexcusables. Toutefois diminuer
le nombre de preuves c’est aussi pour lui un bon moyen pour diminuer le montant de
l’indemnité qu’il devra acquitter.
Longtemps, la responsabilité des entrepreneurs n’est pas engagée sauf dans de très
rares cas relevant de l’exception. En octobre 1851, un entrepreneur de travaux publics de la
Vienne est condamné à 400 francs d’amendes à la suite du décès d’un de ses employés. Les
bons antécédents de l’employeur condamné lui permettent d’obtenir des circonstances
atténuantes. Malgré cela le ministre de l’Intérieur s’en félicite et réitère au procureur sa
volonté de lutter contre la négligence et l’incurie de certains patrons insuffisamment
précautionneux 2764 .
Mais cette exigence ministérielle de sévérité s’oppose à la dure réalité juridique.
Jusqu’en 1898 la responsabilité d’un patron en cas d’accident survenu à l’un de ses
subalternes pendant l’exercice de son travail ne peut être engagée que si une faute lui est
imputable. L’imprudence de la victime, même minime, les cas fortuits comme l’explosion
d’une chaudière, ou les cas de force majeure lui ôtent toute responsabilité. On se réfère à
l’article 1382 du Code civil imposant que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à
autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Ici point de
responsabilité contractuelle, le droit objectif s’applique. Par conséquent l’ouvrier accidenté,
ou ses ayant droits, doit prouver l’éventuelle faute du patron afin d’obtenir un
dédommagement. La preuve est généralement difficile à apporter, pour de simples raisons
matérielles ou parce que les témoins sont rares ou silencieux. Les procédures sont longues et
coûteuses, favorisant les actions dilatoires. Quant à la victime une action en justice est
généralement synonyme d’une perte d’emploi. Quitte à être privé d’indemnités autant ne pas
ester en justice et garder son travail.
Malgré les tentatives doctrinales et jurisprudentielles 2765 tentant d’échafauder des
théories juridiques plus favorables à l’ouvrier accidenté il faut attendre l’intervention du
législateur pour qu’il puisse recevoir une protection plus complète. La loi du 9 avril 1898
2763
ADV 10M122. Statistiques industrielles [1839 ; 1852] & ADV M4.71. Correspondances du préfet [1862-
1865].
2764
Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet de Vienne du 18 octobre 1851 et courrier du procureur de la
République en date du 7 novembre 1851, ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier-septembre 1851).
2765
HESSE (Jean-Philippe), Le nouveau tarif des corps laborieux…, op. cit., pp.91-92.
640

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
remplace la notion de responsabilité par celle de risque, une innovation juridique capitale
donnant une véritable autonomie au droit social 2766 . Le contrat de louage se transforme en
contrat de travail moderne. Désormais l’accident n’est que la réalisation d’un risque inhérent à
l’exercice d’un métier. La faute de quiconque, patron comme ouvrier, n’est plus nécessaire 2767
à l’indemnisation. L’entrepreneur est seul responsable car il a donné naissance à un risque en
mettant en place et en organisant le travail dans son entreprise, un risque dont il tire bénéfice.
L’indemnisation est désormais fixée proportionnellement à la gravité des blessures.
En outre, la loi de 1898, en reconnaissant la dangerosité des activités industrielles et
les risques encourus par les travailleurs, oblige les pouvoirs publics à intervenir dans les cas
où les indemnités perçues sont faibles ou inexistantes. C’est le cas aux premières heures du
texte quand l’assurance n’est pas encore répandue dans tous les ateliers. Désormais, l’ouvrier
est considéré comme une victime d’un coup du sort ou d’un environnement qui le dépasse.
Ainsi, l’Etat est amené à octroyer des pensions à des accidentés du travail quand celles
versées par les entrepreneurs et leurs assurances sont manifestement insuffisantes. En 1899 un
crédit de 100000F est débloqué à l’échelle nationale. C’est à ce titre que le préfet de Vendée
est saisi d’une dizaine de cas où l’on sollicite l’aide étatique 2768 . Ces requêtes font apparaître
l’insuffisance de certaines indemnisations. Si une journalière, mère de trois enfants, reçoit
7000F en « compensation » de la mort de son mari, ou qu’une autre veuve de mineur reçoit
mensuellement 30F, ce que le préfet estime suffisant dans les deux cas, d’autres sont moins
bien lotis. Un mécanicien, veuf, père de trois enfants et ayant sa vieille mère à charge, n’a
reçu de sa compagnie que 250F soit un cinquième de son salaire annuel. Quelques-uns n’ont
même pas la chance d’être indemnisés à l’image d’un journalier carrier en incapacité totale de
travail, qui plus est père d’une jeune fille épileptique. Le préfet demande qu’on lui verse
1000F ce qui revient, dans ce cas précis, à lui verser l’équivalent de plusieurs années de
salaires.
En sus le préfet est amené à fixer le prix de l’assistance médicale et de la journée
d’hôpital 2769 que doivent payer les patrons en cas d’accident d’un de leurs ouvriers. On veut
éviter que l’on gonfle artificiellement ces dépenses obligatoires. Ces sommes varient en
fonction des villes et de leurs établissements hospitaliers. En 1905, l’assistance médicale
2766 Sur l’avènement de la notion juridique de risque et les bouleversements qu’elle implique voir EWALD
(François), Histoire de l’état providence, Paris, 1996, p.185 et s. Voir aussi CABOUAT (Jules), Traité des
accidents du travail. Exposé du système de responsabilité et d’indemnisation établi par la loi du 9 avril 1898,
Paris, 1898, 2 volumes, 858 p.
2767 A l’exception de la faute inexcusable.
2768 ADDS 10M30. Accidentés du travail. Rentes et allocations [1899 ; 1940].
2769 On se base sur un barème national.
641

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
gratuite à domicile varie entre 1F à Lusignan et 2F25 à Mirebeau en passant 1F85 à
Châtellerault et 2F08 à Poitiers. Quant à la journée d’hôpital elle oscille entre 2F25 à Loudun
et Mirebeau et 3F12 à Poitiers 2770 .
2. Des activités risquées
Aucun secteur industriel ne peut garantir à ses salariés un emploi exempt de risques.
Les accidents du travail peuvent être classés en deux catégories 2771 .
D’un côté ceux causés dans l’exercice même du travail : le couvreur tombant d’un toit
ou passant au travers d’une toiture, le mineur victime d’un éboulis, le scieur mécanique se
coupant un doigt, l’armurier ébarbant une pièce de métal recevant un éclat dans l’œil, le
maréchal blessé par la ruade d’un cheval. De l’autre ceux qui ne sont pas une conséquence du
travail productif mais qui ont pour cadre le lieu de travail à l’image de ce terrassier trouvant la
mort dans un éboulis provoqué par le passage d’un train 2772 . Généralement ce genre
d’accidents a lieu lors des manipulations d’entretien des machines, d’un changement de
courroie d’un moteur en marche ou pendant le nettoyage d’une lame de scie encore en
mouvement 2773 .
En outre certaines professions sont plus exposées que d’autres. L’éventualité d’un
accident en fait partie intégrante. Le danger est accepté avec fatalisme. Quand un ouvrier se
blesse, on parle « des risques du métier », on plaint sa famille avant de se remettre
normalement à la tâche.
Dans le Poitou, comme ailleurs, quelques activités apparaissent comme singulièrement
dangereuses. D’un côté les métiers traditionnellement à risque et de l’autre ceux que la
mécanisation a rendu bien plus périlleux que par le passé.
2770
ADV M12.116. Accidents du travail, hospitalisation, prix de journée [1905] et ADV M12.489. Accidents du
travail. instructions et correspondances [1893 ; 1940].
2771
VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.151.
2772
Accident du 31 mai 1899, tranchée de Lavaud, ADV M12.89. Affaires diverses relatives aux accidents du
travail [1896 ; 1906].
2773
Accident dans une scierie de Jazeneuil du 8 février 1901, ADV M12.89. Affaires diverses relatives aux
accidents du travail [1896 ; 1906].
642

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Les premiers visent particulièrement les industries du bâtiment, de terrassement 2774 et
celle propres à l’extraction de ressources géologiques. Le secteur du bâtiment regroupe à lui
seul environ 15% des accidents survenus dans les 2 e et 7 e circonscription de l’inspection du
travail au deuxième semestre 1913 2775 .
La maîtrise de la gravité constitue le problème majeur rencontré par l’ouvrier
travaillant sur les chantiers de construction ou dans les carrières. Les chutes sont légions tout
comme celles de matières premières, les écroulements de murs durant leurs phases
d’édification ou les éboulements de remblais sur les chantiers de chemins de fer 2776 . En mai
1900, à Blanzay dans le sud de la Vienne, un carrier trouve la mort et un autre se blesse
gravement en chutant après avoir voulu déplacer un treuil. Le contrôleur des mines estime
nécessaire de poursuivre l’entrepreneur pour imprudence 2777 . A Luçon un terrassier est écrasé
par un tombereau 2778 , deux exemples parmi tant d’autres. Les membres inférieurs sont les plus
souvent touchés. On ne compte pas les pieds écrasés et les contusions ou les entailles aux
jambes. Les chutes touchent bien souvent la tête, les cotes, les bras ou les poignets. Quant aux
tailleurs de pierres, outre les blessures aux mains, ce sont les yeux qui souffrent, meurtris par
des éclats de roches, ce qui constitue une blessure courante comme l’explique en 1898
l’ingénieur des mines à propos d’un ouvrier victime plusieurs fois d’un tel accident à quelques
semaines d’intervalle 2779 .
Les activités d’extraction sont pareillement au panthéon des secteurs les plus
dangereux. Les carrières ont régulièrement leur lot de blessés, particulièrement quand elles
sont souterraines comme c’est le cas à Migné (tuffeau) ou à Antoigné (calcaire). Les galeries
mal étayées risquent de s’ébouler, les chutes de pierres ou les éclats de rochers brisés
menacent constamment le carrier. Les explosifs 2780 ne sont pas toujours maîtrisés comme dans
2774 En 1855 le commissaire spécial évoque la très grande fréquence des accidents sur les chantiers de chemin de
fer établis sur la commune de Lusignan, ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856). Le manque
d’organisation mais aussi l’indiscipline et le goût pour l’alcool des terrassiers n’y sont peut être pas étrangers.
2775 AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
2776 Cf. les avis de déclaration d’accidents du travail in ADV M12.89. Affaires diverses relatives aux accidents du
travail [1896 ; 1906].
2777 Rapport du contrôleur des mines du 3 mai 1900, ADV M12.89. Affaires diverses relatives aux accidents du
travail [1896 ; 1906].
2778 ADVd 10M27. Accidents du travail : tableaux des accidents dans les établissements agricoles et industriels
[1883 ; 1889].
2779 Accident survenus à la carrières de Lésigny en juin et août 1898, ADV M12.89. Affaires diverses relatives
aux accidents du travail [1896 ; 1906].
2780 C’est en 1881 qu’on commence à utiliser la dynamite dans les mines de houille de Saint-Laurs.
643

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
une carrière de Poiré-sur-Vie en Vendée où une charge explose inopinément pendant sa
préparation brûlant l’artificier au visage 2781 .
Les mines demeurent l’un des secteurs plus dangereux. Le mineur poitevin vit avec la
menace de l’éboulement pouvant faire d’un simple tunnel sa dernière demeure. A Saint-Laurs
les témoignages abondent sur la dangerosité des galeries mal boisées faisant presque du
grisou 2782 un problème secondaire. En 75 ans, une trentaine de mineurs trouvent la mort dans
les houillères des Deux-Sèvres 2783 . Sous le second Empire sept accidents mortels on lieu en
douze ans obligeant le préfet des Deux-Sèvres à intervenir en personne. En 1858 Félix
Lowasy de Loys de Loinville 2784 constate un « défaut de précaution et de surveillance » du
directeur à propos de plusieurs accidents ayant fait trois morts et quatre blessés en 1856. Une
dangerosité avérée, et vérifiée par l’administration, que nient farouchement la direction et
l’inspection des mines. Mais la crainte d’être renvoyé d’un travail lucratif, le paiement à la
tâche – au mètre foré par exemple –, provoque l’augmentation de la quantité de travail
quotidiennement abattu aux dépens des travaux d’entretien et de boisement indispensables à
la sécurisation des souterrains 2785 .
La question est tout aussi prégnante à Faymoreau. Là, sur 140 accidents 33 d’entre eux sont
mortels en 49 ans, entre 1845 et 1894 2786 . Outre les éboulements – un puit y est fermé en 1872
à cause de leur trop grande fréquence –, les chutes y sont nombreuses, fréquemment causées
par des systèmes de descente et de montée archaïques : échelles sans paliers intermédiaires de
repos, treuilles actionnés à bras d’hommes ou par la force animale, remontée des mineurs
hissés dans des cuffats 2787 remplis de charbon. En octobre 1855, un câble usé cède sous le
poids des mineurs les précipitant dans une chute mortelle 2788 . Cet événement tragique pousse
2781 Accident du 29 septembre 1885, ADVd 10M27. Accidents du travail : tableaux des accidents dans les
établissements agricoles et industriels [1883 ; 1889].
2782 C’est en 1868 qu’on décèle pour la première fois du méthane dans les puits de Saint-Laurs, obligeant les
mineurs à utiliser des lampes de sécurité. Le grisou est détecté à Faymoreau en 1863.
2783 MONTOUX (Michel), op. cit., p.152.
2784 Félix Lowasy de Loys de Loinville est préfet des Deux-Sèvres du 15 décembre 1856 au 14 juillet 1860. Il est
auparavant sous-intendant et commissaire du roi en Afrique (1830), puis il multiplie les postes de sous-préfet. Il
finit sa carrière au ministère de la Guerre à Versailles, cf. PELCRAN (Anne), op. cit., p.797.
2785 BRUNET (Michel), op. cit., pp.24-27. Le boisement doit avoir lieu tous les 80 centimètres pour que la
galerie soit véritablement sécurisée, cf. MONTOUX (Michel), op. cit., p.132.
2786 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.613.
2787 Tonneau métallique assez grand pour contenir 3 à 4 personnes relié à la surface par un câble et permettant de
descendre dans les puits de mines.
2788 LERMITE (Jean-Louis), op. cit., p. 96.
644

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
le préfet à intervenir en prenant un arrêté imposant la descente au moyen d’échelles
inclinées 2789 .
Tableau 79 : accidents déclarés dans les 2 e et 7 e circonscriptions au deuxième
trimestre 1913 2790 :
Catégories professionnelles
Source : AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
2789 Arrêté du 24 octobre 1855, ADVd S.595. Mines et carrières (1835-1880).
2790 La Vienne appartient à la 2 e circonscription avec l’Allier, le Cher, la Creuse, l’Indre, l’Indre et Loire, le
Loiret, Loir-et-Cher, et la Haute-Vienne. La Vendée et les Deux-Sèvres appartiennent quant à eux à la 7 e
circonscription avec les Cotes-du-Nord, Le Finistère, l’île-et-Vilaine, le Morbihan, la Sarthe, la Mayenne, le
Maine-et-Loire et Loire-Inférieure.
2791 Les circonscriptions auxquelles appartiennent les départements poitevins sont parmi celles où il y a le moins
d’accidents. Au deuxième trimestre 1913, 3% des accidents concernent la 2 e circonscription et 7% la 7 e
circonscription.
Circonscription Nombre d’accidents au 2 e trimestre 1913
1 ere
39727
4 e
13869
5 e
22122
6 e
14195
8 e
6887
9 e
3648
10 e
8162
11 e
12825
TOTAL 121435
645
Nombre d’accidents par circonscription 2791
Pêche 0 9
Forêt agriculture 24 54
Industries extractives 2 6
Industries de l’alimentation 240 430
Industries chimiques 116 296
Caoutchouc, papier, carton 113 87
Industrie du livre 51 64
Industrie textile 35 223
Travail des étoffes, vêtements 31 30
Travail des pailles, plumes, crins 1 7
Cuirs et peaux 135 192
Industrie du bois 256 543
Métallurgie 55 847
Travail des métaux 841 2041
Taille des pierres précieuses 0 5
Taille et polissage des pierres 14 60
Terrassement, construction en pierre 518 1350
Travail des pierres et terre au feu 304 60
Manutention 4 675
Transports 456 729
Commerces divers 374 712
Commerce forain, spectacle agence 1 2
Banque, assurance … 0 0
Professions libérales 3 11
Soins personnels, service domestique 7 11
Service de l’Etat, des départements, des communes 79 168
TOTAL 3660 8612
2 e
7 e

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Aux ensevelissements et aux chutes s’ajoutent l’asphyxie où la noyade quand par malheur un
terrain insuffisamment sondé libère du gaz ou de l’eau lors de son percement, comme cela se
produit à Chantonnay le 22 mars 1860 2792 . En 1913, on dénombre 895 accidents dans
l’arrondissement minéralogique de Poitiers propres aux industries extractives 2793 ; 29 d’entre
eux sont mortels ; 17 entraînent une incapacité permanente et 848 une incapacité temporaire
de plus de huit jours. Plus d’un quart des accidents sont causés par des chutes de matières ou
d’objets. Les explosifs, quant à eux, font deux morts.
La mécanisation intervenue dans beaucoup de professions tout au long du XIX e siècle
a augmenté le nombre d’accidents. La présence de machines multiplie par deux la probabilité
de souffrir d’une blessure sur son lieu de travail, voire par cinq dans le secteur des scieries
mécaniques. 6% des accidents survenus dans la 7 e circonscription concernent l’industrie du
bois au deuxième trimestre 1913 2794 .
Les courroies, les engrenages et tout autre système d’entraînement des machines à
vapeur sont de véritables prédateurs de l’ouvrier. Les mains sont les premières happées par les
rouages. Aucun secteur industriel n’y échappe. Dès qu’un atelier se mécanise le danger y
pénètre à l’image du secteur textile. En revanche dans les cantons où l’industrialisation est
faible, limitant la présence de machines, la très grande majorité des accidents sont peu graves,
entraînant tout ou plus une incapacité d’une dizaine de jours 2795 .
Les exemples des dangers de la mécanisation sont nombreux. Tous les corps de
métiers sont soumis à ce risque, pas uniquement ceux utilisant directement une machine. Le
simple fait de se déplacer dans des ateliers exigus peut se révéler périlleux, à l’image, en
1885, de ce manœuvre d’une usine de briquette des Sables-d’Olonne qui est happé par une
courroie de transmission lui broyant la jambe 2796 . La même année un papetier de Cugand
2792
BAUDON (Marcel), BRUSSEAU (Luc), GODARD (Gaston), VINCENDEAU (Jean), La houille à
Chantonnay, Recherches vendéennes, Le charbon en Vendée, Société d’émulation de la Vendée – Centre
vendéen de recherches historiques, La Roche-sur-Yon, 2003, n°10, p.135.
2793
AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail. L’arrondissement minéralogique de Poitiers
regroupe 12 départements dont les trois poitevins, le Maine-et-Loire, le Limousin et quelques départements du
centre de la France.
2794
Une tendance que réfute certains auteurs cf. GIBAUD (Bernard), De la mutualité à la sécurité sociale,
conflits et convergences, Paris, 1986, p.73.
2795
Voir par exemple les déclarations d’accidents faites au juge de paix du canton de Mauzé-sur-le-Mignon pour
les années 1909, 1910 et 1912, ADDS 4U1099. Justice de paix. Mauzé-sur-le-Mignon. Accidents du travail
[1909 ; 1910 ; 1912].
2796
Accident du 28 novembre 1884, ADVd 10M27. Accidents du travail : tableaux des accidents dans les
établissements agricoles et industriels [1883 ; 1889].
646

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
meurt après que les pans de sa blouse se sont pris dans un arbre de transmission. Trois ans
auparavant un autre papetier est amputé dans les mêmes circonstances 2797 .
L’accident est pris avec fatalisme par l’ouvrier comme le patron. Celui-ci ne fait pas
toujours grand cas de ses employés. Le sort des petites ouvrières de Fontenay-le-Comte
travaillant à la chapellerie Gandriau l’illustre. En 1889 une petite fille d’une douzaine
d’années voit sa main gauche coupée par un engrenage de cardeuse 2798 . Six ans plus tôt une
fille de 14 ans avait les doigts écrasés pour avoir tenter de nettoyer un engin en marche.
L’année suivante une jeune fille de 15 ans y trouve la mort 2799 .
La quantité d’accidents augmente encore quand les outils mécaniques utilisés sont
dangereux par essence et que leur utilisation demande beaucoup de précautions. Les scies
actionnées à la vapeur, les machines d’usinage, les fraiseuses, les laminoirs, les marteaux-
pilons font moult victimes, comme en juin 1899 où un ouvrier de la manufacture d’armes de
Châtellerault meurt écrasé par une machine à forger 2800 . En 1913 le secteur métallurgique
ajouté aux activités travaillant les métaux ordinaires cause dans un seul trimestre un tiers des
accidents dans la 7 e circonscription et un quart dans la 2 e .
« La Manu » est sans conteste l’établissement industriel où les machines-outils sont les
plus nombreuses dans le Poitou. De 9 en 1857 2801 on passe à 959 appareils en 1879, année de
la fabrication du fusil Chassepot, 2802 puis 6458 en 1905 2803 . Cela, combiné au nombre très
important d’ouvriers, fait du fleuron industriel poitevin une source considérable d’accidents
du travail. Les tours confondent bien souvent les membres des ouvriers avec des plaques de
métal qu’ils percent, coupent ou écrasent. D’autres salariés reçoivent des éclats de métal ou
des outils dans les yeux ou simplement chutent lourdement et se brisent quelques os.
2797
Accidents du 2 novembre 1882 et du 29 janvier 1885, ADVd 10M27. Accidents du travail : tableaux des
accidents dans les établissements agricoles et industriels [1883 ; 1889].
2798
La Vendée du 10 août 1883.
2799 er
Accidents du travail survenus en Vendée dans le 1 trimestre 1884, ADVd 10M27. Accidents du travail :
tableaux des accidents dans les établissements agricoles et industriels [1883 ; 1889].
2800
Rapport du sous-préfet de Châtellerault de juin 1899, ADV M12.89. Affaires diverses relatives aux accidents
du travail [1896 ; 1906].
2801
Soit autant que dans tout l’arrondissement de Niort, dont trois sont utilisées à la mine de Saint-Laurs, cf.
MONTOUX (Michel), op. cit., p.127.
2802 BOUTIN (Clovis), op. cit., pp.15-16.
2803 BLONDELLE (Stéphanie), op. cit., p.94.
647

Illustration 23 : le fusil chassepot :
Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Entre 1907 et 1913, 573 accidents sont déclarés – soit environ 82 accidents par an –,
pour un effectif moyen sur la période d’environ 1485 ouvriers, sans pour autant compter sur
les blessures 2804 bénignes nécessitant simplement la pose de pansements et dont le nombre est
chaque années dix fois supérieur à celui des accidents plus graves 2805 .
Dans les années précédentes, entre 1898 et 1907 2806 , 487 déclarations d’accidents du
travail sont transmises par les maires à la justice de paix du canton de Châtellerault, soit une
moyenne de un par semaine. Le juge doit être informé dans les 48 heures de tout accident
ayant entraîné une incapacité de travail. La déclaration est ensuite transmise à l’inspecteur du
travail et le cas échant, en cas d’incapacité permanente, au juge de paix qui mènera une
enquête contradictoire 2807 .
Dans ces cas précis le juge de proximité est informé non seulement des accidents graves,
comme le veut la loi, mais aussi des accidents plus bénins n’entraînant pas ou simplement une
courte incapacité de travail.
2804 Plaies aux doigts, brûlures, coupures.
2805 BLONDELLE (Stéphanie), op. cit., p.17.
2806 Les chiffres de l’année 1904 manquent.
2807 Cf. titre II de la loi du 9 avril 1898.
648

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Figure 30 : accidents industriels et artisanaux déclarés devant le juge de paix du
canton de Châtellerault entre 1898 et 1907 (1904 exclu) :
68
45
33
8 7 7 4
649
306
Manufacture nationale d'armes
Professions divers (domestiques,
charretier, imprimeurs, ferblantier etc.)
Gare de Chemin de fer
Bâtiment
Scieries
Entreprises de coutellerie
Serruries
Carrières
Source : ADV 4U3.139 à 4U3.144.Justice de paix, accidents du travail.
La manufacture d’armes est de très loin la source majeure d’accidents dans le canton
de Châtellerault. 63% des déclarations parvenues jusqu’au juge de paix entre 1898 et 1907 en
proviennent. La direction de l’établissement d’Etat ne respect jamais le délai de 48 heures
imparti pour informer le maire des tragiques événements survenus dans ses locaux. En
moyenne il faut attendre huit jours pour que déclaration soit faite. En outre, les dirigeants de
« la Manu » fournissent rarement les certificats médicaux. L’encadrement de la manufacture
et les médecins commissionnés veulent manifestement s’assurer de la réalité et de la gravité
des blessures constatées avant toute déclaration. On veut limiter les indemnités que des
diagnostics trop rapides pourraient augmenter car le texte de 1898 impose de se fonder sur
l’appréciation du degré d’invalidité des victimes pour fixer toute réparation. Désormais la
controverse judicaire s’est déplacée du terrain de la responsabilité à celui de la fixation du
taux d’invalidité.
S’il paraît évident que le nombre d’accidents est très important à la manufacture, il
semble tout de même que les autres secteurs soient sous-représentés. Dans les premières
années qui suivent la promulgation de la loi de 1898, beaucoup de petits entrepreneurs des

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
campagnes, particulièrement dans le bâtiment, ne sont pas assurés 2808 ou ne sont pas
familiarisés avec les nouvelles dispositions légales. Enfin les blessures les plus bénignes sont
rarement rapportées aux maires, ce qui peut expliquer l’apparent faible nombre d’accidents
chez les carriers ou les couteliers. A l’opposé les chemins de fer semblent bien plus
« légalistes » compte tenu du nombre relativement important d’accidents déclarés concernant
les employés de la gare de Châtellerault 2809 .
3. Des torts partagés
La moyenne d’âge des ouvriers accidentés à Châtellerault, dont le juge de paix a eu
connaissance 2810 , est de 40 ans. Le poids des années semble bien plus préjudiciable que
l’inexpérience. L’ouvrier est bien moins alerte après 20 années de labeur. Il est fatigué, usé et
plus susceptible de commettre une erreur pouvant porter préjudice à son intégrité physique
comme à celles de ses camarades.
La faute ouvrière constitue l’argument majeur que les entrepreneurs utilisent constamment
avant 1898 afin de se dédouaner de toute responsabilité dans les accidents survenant dans
leurs ateliers. Les travailleurs sont infantilisés en plus d’être rarement indemnisés. Ils seraient
imprudents et refuseraient toutes consignes, ce qui n’est pas toujours faux car les contraintes
de sécurité sont fréquemment assimilées, comme les autres mentions du règlement intérieur, à
des atteintes à la liberté. On aime travailler à sa façon. Le travail est déjà assez pénible en soi,
on ne veut pas d’autres contraintes. Les tailleurs de pierres ou les limeurs d’armes sont
réfractaires aux lunettes protectrices 2811 ou au port du masque. Entre 1884 et 1885 sur 23
accidents comptabilisés par la préfecture de Vendée 2812 16 seraient imputables à l’imprudence
des victimes 2813 . Cependant il n’est pas raisonnable d’en faire l’unique cause d’accident. En
fait l’attitude ouvrière se combine fréquemment avec des installations bien peu sûres.
Les patrons et les contremaîtres ont aussi une part de responsabilité dans les blessures
et morts violentes survenant dans leurs usines. Dans le cas des 23 accidents graves déjà cités
2808
FARCY (Jean-Claude), Les risques du métier, accidents du travail dans un arrondissement de Paris en 1912,
Recherches contemporaines, Paris, Université Paris X, 2001, n°6, p.97.
2809
Les accidents déclarés à la gare sont rarement graves, de simples contusions la plupart du temps
2810
On dispose de l’âge d’environ 400 d’entre eux.
2811
En 1907, les projections de corps étrangers dans les yeux constituent un quart des accidents survenus à la
manufacture d’armes de Châtellerault.
2812
En vertu d’une circulaire ministérielle du 7 août 1883.
2813
ADVd 10M27. Accidents du travail : tableaux des accidents dans les établissements agricoles et industriels
[1883 ; 1889].
650

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
on mentionne plusieurs fois un défaut de surveillance ou d’encadrement des employés, quand
ce n’est pas purement et simplement l’existence de machines dépourvues de protection ou la
présence de zones dangereuses à l’intérieur même des ateliers. Sécuriser une machine ou un
puits coûte de l’argent. Les entrepreneurs repoussent au plus tard ce type de dépenses. La
sécurisation des ateliers n’est pas une priorité. Mieux vaut se convaincre et convaincre
l’autorité publique que seule l’imprudence ouvrière est cause d’accidents.
En 1853, un commissaire de police vendéen, dépêché à Saint-Laurs après une série
d’accidents, apprend, à demi-mot, que jamais la direction des mines et leurs ingénieurs ne
descendent au fond des puits pour y contrôler l’état des galeries et des systèmes y donnant
accès. Les mineurs sont livrés à eux-mêmes et ne peuvent s’en plaindre, sous peine de perdre
leur travail. Ce rapport reste lettre morte puisque la direction des houillères continue par la
suite (en 1866, 1876, 1889) de faire porter systématiquement aux victimes la responsabilité
des accidents 2814 .
La création de délégués ouvriers à la sécurité créés dans les mines par la loi du 8 juillet
1890 tente de remédier au problème. Elus par leurs pairs, ils sont chargés de constater l’état
des travaux et de contrôler la sécurité des puits. La première élection de ce type a lieu à
Faymoreau en 1891. Mais le faible nombre de visites annuelles d’inspection et son influence
minime auprès de la direction traduisent l’impuissance à réellement améliorer la sécurité 2815 .
En 1889, 17 ouvriers de l’atelier de bronzage de la manufacture de Châtellerault
tombent dans les bains en moins d’un mois. Ce nombre est si important qu’il est difficile
d’accuser d’imprudence l’ensemble de ces 17 personnes. Manifestement, un véritable
problème de sécurité se pose. La presse de gauche le souligne. L’Eclaireur de la Vienne parle
des mauvaises installations de la manufacture et de la grande fatigue de ses employés due à
des horaires trop lourds 2816 . En 1905, une inspection du contrôleur des manufactures d’Etat
confirme l’opinion émise par les journaux locaux. La manufacture accuserait un retard
conséquent sur les autres établissements du même type. On parle même de mesures de
sécurité « défectueuses ». Les ateliers ne sont pas adaptés à l’outillage. Les espaces entre les
machines ne sont pas assez larges, les mouvements continuels des ouvriers amplifient les
risques, les organes dangereux des machines ne sont pas protégés et aucun système de
débrayage d’urgence n’est installé. Près des deux tiers des 6458 machines installées en 1905
2814 MONTOUX (Michel), op. cit., pp.152-153.
2815 ADVd S609. Mines et carrières.
2816 L’Eclaireur de la Vienne du 29 décembre 1889. Pourtant les employés de la manufacture d’armes ne
travaillent déjà que dix heures par jour.
651

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
n’ont aucun système protégeant ceux qui les actionnent 2817 . La direction ne nie aucunement
ces constatations. Simplement elle prétexte un manque d’argent nécessaire à la construction
de nouveaux bâtiments plus adaptés à l’évolution des techniques de production.
Cette absence de protection touche aussi au plus haut point le secteur du bâtiment.
Nombre de chutes ne sont dues qu’à l’utilisation d’échafaudages volants défaillants ou à leur
défaut de garde-corps 2818 . De même, en 1855, le commissaire spécial dépêché auprès des
chantiers de chemin de fer près de Lusignan s’inquiète du mauvais état des appareils servant
au terrassement, particulièrement ceux de levage. Il est lui-même témoin de chutes de blocs
de pierres dues à des bris de palan 2819 .
Le développement de l’inspection du travail à partir de la loi de 1874 et le
renforcement des prérogatives des inspecteurs vont permettre le développement de la notion
de prévention à l’intérieur des ateliers. Même avant la loi du 12 juin 1893 relative à l’hygiène
et à la sécurité, certains inspecteurs du travail vont profiter de leurs visites de contrôle pour
sensibiliser les entrepreneurs aux questions de protection des travailleurs 2820 . Le texte de 1893
va imposer l’isolement et la protection des systèmes mécaniques dangereux (bielles,
courroies, engrenages), des machines-outils à instruments tranchants (scie, poinçonneuse) et
la clôture des puits, trappes et autres ouvertures 2821 .
L’inspecteur du travail en charge du département de la Vienne dresse une quinzaine de
procès verbaux et entre 30 et 40 contravention relatives aux accidents du travail chaque
trimestre de l’année 1913 2822 . Ces nombres se situe dans la moyenne de la circonscription 2823
mais restent bien inférieurs aux données nationales.
Les membres de la classe ouvrière peuvent être amenés à ressentir un sentiment
d’abandon au sein d’une société qui les livre à eux-mêmes une grande partie du siècle. Cet
état de fait les pousse à s’entraider afin d’espérer obtenir l’amélioration de leur vie
quotidienne.
2817
BLONDELLE (Stéphanie), op. cit., p.91 et s.
2818
Cf. les accidents survenus sur chantiers de construction vendéens en 1895 in ADVd 10M5. Inspection du
travail dans l’industrie [1892 ; 1920].
2819
Rapport au préfet de la Vienne du 4 novembre 1855, ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
2820
VIET (Vincent), Les voltigeurs de la République…, op. cit., p.148 et s.
2821
Un texte complété par les décrets du 29 avril 1904 et du 10 juillet 1913.
2822
AN F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail.
2823
Toutefois l’activité de l’inspecteur est plus importante dans les départements les plus industrialisés de sa
circonscription : le Loiret et la Haute-Vienne.
652

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
II- De l’assistance à la mutualité
L’apparition du nouveau concept social de « paupérisme » semble plonger tout un pan
de la société dans les profondeurs de la déchéance sociale. Cette notion, venue d’Angleterre,
apparaît en France durant la monarchie de Juillet 2824 et traduit l’existence d’une misère d’un
type nouveau frappant une part importante de la population, causée par les changements
économiques et industriels du temps. La misère occasionnelle, accidentelle et individuelle
millénaire laisse place à une pauvreté collective, forcée, inéluctable : un fléau qui s’abat sur
un groupe d’individus salariés sans distinction de mérite, d’âge ou de capacité. L’ouvrier a
des ressources mais elles sont insuffisantes pour vivre décemment.
Cette situation nouvelle interroge les contemporains pour lesquels le progrès ne peut
être que bénéfique. Il parait évident qu’il est nécessaire d’agir. Le temps n’est plus tout à fait
au « laisser faire » et au « laisser passer » 2825 . La simple humanité commande d’aider les
classes les moins aisées. L’ordre public également : la misère est mère de révolte. C’est
pourquoi les élites vont dépasser la simple charité pour endosser le costume de tuteur afin de
guider le peuple laborieux vers une certaine félicité (A). Un chemin qui passe par la
prévoyance et l’épargne mais que les travailleurs voudront bien vite arpenter seuls, affranchis
du regard bienveillant mais sévère de leurs maîtres (B).
A- Un ouvrier secouru et encadré
Le paupérisme n’est pas dans le Poitou cette calamité existant dans d’autres régions
françaises. Ici les foyers de pauvreté massive inhérents à l’industrialisation sont extrêmement
localisés 2826 . En 1840, le conseil général de la Vienne affirme que la pauvreté du département
n’est pas due à l’industrialisation mais au contraire « au défaut d’industries locales ».
2824 Selon Robert Castel le terme apparaît pour la première fois dans un journal légitimiste, La Quotidienne, peu
après la révolte des canuts lyonnais de 1831, CASTEL (Robert), Les métamorphoses de la question sociale : une
chronique du salariat, Paris, 1995, p.246.
2825 Voir par exemple sur l’évolution de la pensée économique à propos de l’assistance : CLÉMENT (Alain), Le
rôle des économistes dans la politique d’assistance aux pauvres (XVI e -XX e siècle), BHSS, Paris, 2001, n°41,
pp.24-46.
2826 Même si le préfet de la Vienne Germain Boulle affirme en mai 1831 qu’un tiers des habitants du
département sont pauvres, « des habitants invétérés de fainéantise depuis longtemps entretenus par un système
vicieux de secours rendant la situation de ces malheureux plus affligeante ici que partout ailleurs » dit-t-il
devant le conseil général, ADV N2. Rapports, procès-verbaux, instructions, correspondances [1822 ; 1834].
653

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Toutefois, des traces de cette « nouvelle pauvreté » seraient entrevues dans les
arrondissements de Montmorillon et de Châtellerault où elle serait « moins héréditaire 2827 ».
Cette « mutation sociale » se rencontre dans des sites où une certaine concentration
démographique s’ajoute aux activités manufacturières à l’image de quelques quartiers de
Châtellerault, de Poitiers, de Niort, de Saint-Maixent ou de Parthenay. Dans cette dernière cité
plus de 25% de la population reçoit ou réclame l’aumône en 1855 2828 . Seule la Vendée
choletaise et ses tisserands échappent à la combinaison de ces deux critères. Ailleurs la notion
ne s’applique pas. L’ouvrier n’est qu’un travailleur parmi d’autres, parfois un artisan salarié,
parfois un paysan ayant diversifié, de gré ou de force, ses sources de revenus et
traditionnellement pauvre.
Néanmoins, quelle que soit la réalité du terrain, le concept est très présent dans les
esprits de l’époque.
L’optimisme libéral de l’époque est grandement mis à mal 2829 . « La misère des classes
ouvrières est devenue la question de l’époque actuelle 2830 » affirme le vicomte Villeneuve-
Bargemont 2831 , héraut catholique de la question sociale sous le règne de Louis-Philippe. Les
élites poitevines prennent conscience, elles aussi, de la question. Il suffit pour s’en convaincre
de constater comment le pauvre et l’ouvrier sont deux termes synonymes dans le vocabulaire
administratif du moment 2832 alors que la réalité n’est pas si tranchée.
En outre, pour beaucoup, le paupérisme traduit non seulement une misère matérielle
mais aussi une déchéance morale qu’il est nécessaire d’endiguer. L’ouvrier fait peur. Lui et sa
famille sont même comparés à des barbares menaçant l’Occident comme jadis les nomades
des steppes caucasiennes.
Autant la charité est vilipendée car, impuissante, elle favoriserait l’oisiveté tout en
portant atteinte au dogme du travail source de salut social, autant la bienfaisance est
encouragée 2833 . La charité, profondément chrétienne et personnelle, s’enrichit d’un intérêt
2827
AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865]. Réponse faite à un
questionnaire du ministère de l’Intérieur sur le paupérisme et la charité légale, circulaire du 6 août 1840.
2828
Soit 1338 personnes sur 5046 habitants, BRUNET (Michel), op. cit., p.60.
2829
CASTEL (Robert), op. cit., p.230.
2830
VILLENEUVE-BARGEMONT (Alban de), Economie politique chrétienne ou recherches sur la nature et
les causes du paupérisme, en France et en Europe et sur les moyens de le soulager, Paris, 1834, 1 er volume, p.29
2831
Alban de Villeneuve-Bargemont est un des premiers hommes de son temps à mettre en avant la question
sociale en France à l’Assemblée. Il est en outre un des instigateurs de la loi de 1841 sur le travail des enfants
avec le comte de Montalembert.
2832
Cf. supra p.469. Voir aussi pour un constat identique à l’échelon national, SASSIER (Philippe), Du bon
usage des pauvres. Histoire d’un thème politique (XVI e -XX e ), Paris, 1990, p.201 et s.
2833
ROMAN (Diane), op. cit., p.51 et s.
654

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
social. Les élites se font un devoir d’encadrer les plus faibles afin non seulement d’améliorer
quelque peu leur condition mais surtout de les ramener dans le droit chemin, en particulier de
celui de la prévoyance. Le patronage se développe à l’image de la Société de Saint-Vincent-
de-Paul 2834 , le paternalisme patronal également.
L’Etat, quant à lui, demeure longtemps en retrait. Le libéralisme économique des
années de monarchie censitaire le lui commande. L’assistance organisée est honnie car on la
considère comme une cause de déséquilibre économique et comme un germe de misère et de
désordre. Toutefois, indépendamment de la parenthèse sociale de la révolution de 1848, le
pouvoir étatique va intervenir de plus en plus dans le domaine du secours social dont les
ouvriers sont les principaux bénéficiaires, une immixtion destinée à favoriser la prévoyance,
mère de toutes les vertus, tout en accentuant un peu plus le contrôle exercé sur les classes
laborieuses.
a) L’expédient de la générosité
Dans la première moitié du XIX e siècle, et dans la droite ligne du XVIII e , on juge vain
de vouloir mettre fin à la pauvreté, considérée comme naturelle et dans l’ordre du monde.
Seul le vagabondage et la mendicité, sources de désordre sont combattus. D’ailleurs la Vienne
et les Deux-Sèvres apparaissent comme deux départements particulièrement affectés par ce
problème 2835 , cette « lèpre sociale 2836 » comme le nomme le préfet des Deux-Sèvres.
Toutefois le pauvre a également une certaine utilité sociale et économique. Son rôle
est exemplaire contre l’oisiveté, mère de tous les vices et obstacle majeur à la production de
richesses. Il faut des désirs inassouvis pour que la machine économique continue d’avancer.
L’industrialisation ne change rien à la donne. Les fortunes augmentant, l’écart entre riches et
pauvres perdure naturellement. En outre, le pauvre est parfois considéré comme un membre
de « l’armée de réserve » nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme.
Mais cette conception est bouleversée par le paupérisme et l’on a du mal à le
comprendre. Une misère de grande échelle ne peut être que le signe d’un dysfonctionnement
2834 e
BREJON de LAVERGNEE (Matthieu), La Société de Saint-Vincent-de-Paul à Paris au XIX siècle (1833-
1871), thèse histoire, Paris, 2006, 1065 p.
2835
Cf. PELCRAN (Anne), op. cit., p.400 et s.
2836
ADDS 1N7, rapport du préfet des Deux-Sèvres au conseil général, session de 1819.
655

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
économique. Elle est forcément contre-nature car contre-productive 2837 et contraire aux lois
intrinsèques du marché mises en avant par Adam Smith.
La première moitié du XIX e apparaît comme une période où l’assistance, inévitable,
est fondée sur un mélange de préceptes religieux et de dogmes libéraux où la charité
domine 2838 , qu’elle soit privée ou institutionnalisée. Cette pratique est destinée à des
catégories précises de pauvres incapables et respectables que l’on souhaite « socialiser ».
1. Une charité bien ordonnée
La vision chrétienne et médiévale du « pauvre du Christ » perdure longtemps au plus
profond de l’inconscient collectif malgré sa stigmatisation croissante sous l’Ancien
Régime 2839 . Il demeure encore celui détenant « les clefs du ciel » chez nombre d’esprits
religieux, charitables et bienfaisants. Aider le pauvre est le moyen le plus sûr pour le nanti de
racheter ses pêchés 2840 . Il est courant dans le Poitou de prodiguer l’aumône. On donne une
piécette au mendiant à la sortie des églises. On va visiter l’indigent chez lui. Parfois, on lui
donne rendez-vous à jour fixe devant son propre domicile : un « mode d’assistance
profondément enraciné dans les moeurs du pays » comme l’affirme, en avril 1862, Joseph
Lorette le préfet des Deux-Sèvres 2841 .
La charité et l’assistance demeurent longtemps le domaine réservé de l’Eglise, de ses
institutions et de ses fidèles. Le Poitou est très loin d’y échapper. Partout les prêtres et les
religieux sont très actifs pour tenter de soulager leurs ouailles. Déjà présente à Poitiers, la
Société Saint-Vincent-de-Paul s’installe à Châtellerault en 1857 soutenue par de très
nombreux notables de la ville, ce qui, au passage, ne manque pas d’inquiéter le sous-
2837
PROCACCI (Giovanna), Gouverner la misère. La question sociale en France (1789-1848), Paris, 1993,
p.207 et s.
2838
Voir la critique virulente de Clemenceau à l’encontre de la charité et de l’assistance dans deux articles
extraits de la Question sociale dans « Comment Clemenceau voyait la charité et l’assistance en 1885 », BHSS,
Paris, 2003, n°47, pp.274-279, ici p.275 :
« L’Assistance publique consiste à prendre aux pauvres, par l’impôt, pour rendre aux pauvres ce
qu’on lui a pris, déduction faite des frais de perception et d’administration. Il n’y a de sûrement
secourus que les employés. […] Quant à la charité privée, elle est viciée dans son essence, parce
qu’on en fait une des formes de la propagande religieuse ».
2839
GUESLIN (André), Gens pauvres, pauvres gens.., op. cit., p.139 et s. Voir aussi MBONGO (Pascal) (dir.),
La générosité publique : dons, mécènes, entre droit et politique, Actes du colloque organisé par la faculté de
droit et de sciences sociales de Poitiers le 13 janvier 2006, Paris, 2006, 248 p.
2840
Pour nombre de docteurs de l’Eglise, dont Grégoire de Nazianze, la charité est la vertu la plus proche de
Dieu, cf. ROMAN (Diane), op. cit., p.28.
2841
BRUNET (Michel), op. cit., p.67. Une pratique favorisant la mendicité contre laquelle lutte sans cesse la
préfecture.
656

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
préfet 2842 . Le fonctionnaire craint l’influence conservatrice sur les masses ouvrières de la cité.
La même société s’installe en Vendée dans la dernière décennie du second Empire 2843 . Elle
désire « empêcher les jeunes apprentis et les jeunes ouvriers de vagabonder le dimanche, de
substituer à des récréations coupables ou dangereuses, des plaisirs pures et des instructions
utiles […] de transmettre aux enfants d’ouvriers les traditions de la morale et de la
religion 2844 ». Le second Empire perpétue ce rôle séculaire de l’Eglise. Le décret du 26 mars
1852, propre aux sociétés de secours mutuels, accorde un rôle important aux prêtres dans la
promotion et la mise en place de ces institutions. L’avènement de la III e République n’y
change pas grand-chose malgré l’anticléricalisme de la période. « Vous avez le parlement,
nous avons le terrain » affirme le comte d’Haussonville 2845 . En 1885 ce sont les Filles de la
Sagesse qui distribuent gratuitement des médicaments aux familles ouvrières du faubourg de
Châteauneuf à Châtellerault 2846 .
« Hors de l’Eglise, point de salut », un aphorisme que pourrait faire sien l’évêque de
Poitiers, Mgr Pie, quand il s’oppose en 1854 à l’idée de toute charité administrative 2847 . Selon
lui il s’agit d’un domaine réservé aux institutions religieuses et à l’initiative privée. En sus, le
futur cardinal ultramontain ne doit pas ignorer qu’il s’agit d’un bon moyen de propagande
légitimiste. Ce dernier point ne manque pas de poser problème aux pouvoirs de moins en
moins enclins à s’agenouiller devant l’autel. En 1862, déjà, le préfet de la Vienne s’émeut de
l’influence que tentent d’exercer les milieux royalistes sur le monde ouvrier. Selon lui
« l’esprit clérical et légitimiste, qui protège le paupérisme dans un intérêt de clientèle
politique, trouve, dans la Vienne, des éléments puissants de succès en raison des
communautés religieuses dont le nombre dépasse toute proportion 2848 ».
2842
Lettre du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne du 15 janvier 1857, ADV M4.69.
Correspondances du préfet (1857-1859). Institution fondée à Paris en avril 1833 par, entre autre, Frédéric
Ozanam. Elle projette d’aider les plus démunis en prenant pour modèle Saint Vincent de Paul réputé pour être le
« père de la charité », cf. DUROSELLE (Jean-Baptiste), op. cit., p.549 et s. On note l’autorisation en septembre
1878 d’une société philanthropique de Saint-Vincent-de-Paul à Pleumartin dans l’arrondissement de
Châtellerault ; peut-être est-ce la même ? cf. ADV 4X29. Sociétés de secours mutuels.
2843
REGOURD (Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.592.
2844
Lettre du maire de Poitiers au préfet de la Vienne du 13 avril 1852, ADV M12.22. Situation industrielle du
département.
2845 e
BEC (Colette), Assistance et République. La recherche d’un nouveau contrat social sous la III République,
Paris, 1994, p.42. Paul Gabriel d’Haussonville, académicien et soutien actif du gouvernement d’ordre moral
d’Albert de Broglie lors de la crise politique du 16 mai 1877.
2846
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 10 février 1885.
2847
Rapport de l’inspecteur des établissements de bienfaisance au préfet des Deux-Sèvres, ADDS 4M6.17.
Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la Vénus (1855) ; rapports divers (1852-1856).
2848
AN F/1cIII/Vienne/9. Correspondance et diverses (1790-1870).
657

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Les célébrations de tous ordres sont l’occasion pour les hommes au pouvoir de se
livrer à la charité, loin de tout système de bienfaisance ou d’assistance organisé par l’Etat,
dans le prolongement des traditions d’Ancien Régime, pratiques courantes sous les régimes
monarchiques. Ainsi, en 1838, le préfet demande aux sous-préfets et aux maires de soulager
les maux des plus déshérités à l’occasion de la fête du roi 2849 . De même en juillet 1847,
devant la cherté des grains, une partie des sommes destinées à célébrer l’avènement de Louis-
Philippe sont attribuées à des actes de bienfaisance et de charité 2850 . La venue du prince-
président dans la Vienne en 1852 ou bien la naissance du prince impérial en 1856 sont
l’occasion d’un don de 3400 francs à divers organismes charitables du département 2851 ou de
l’octroi d’une subvention nationale de 500000 francs accordée aux sociétés de secours
mutuels afin de constituer des fonds de retraite 2852 .
Pendant longtemps les représentants de l’Etat et des municipalités n’hésitent pas à
faire appel à la charité quand un besoin d’argent se fait sentir. Les crises frumentaires en sont
souvent l’occasion. En 1853, la ville de Loudun souhaite compléter un emprunt contracté
« dans le but de venir en aide aux ouvriers nécessiteux à l’occasion de la cherté du grain »,
par un appel à l’aumône qui « s’exerce toujours avec fruit à Loudun » 2853 . Plus tôt, en 1830, le
préfet de la Vienne lui-même demande de pratiquer des quêtes à domicile aux municipalités
dépourvues de fonds pour venir en aide à leurs propres pauvres 2854 .
Le mauvais pauvre s’oppose au bon, l’oisif à celui qui est contraint de ne pas
travailler. « Que si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange point aussi » affirme
Saint-Paul 2855 . L’ouvrier frappé de chômage, accidenté ou percevant un salaire manifestement
insuffisant pour lui et sa famille, sous condition de mener une vie saine, loin des cabarets,
2849
Circulaire du préfet de la Vienne du 11 avril 1838, RAA de la préfecture de la Vienne de 1833 à 1842.
2850
Circulaire du 6 juillet 1847 du ministère de l’Intérieur, ADV M4.50 : Correspondances du préfet (1845-
1847).
2851
Missive de la maison du Président de la République en date du 18 oct. 1852 au préfet de la Vienne, ADV
M4.63. Correspondances du préfet, voyage du Président de la République à Poitiers, surveillance des opposants
(Octobre /décembre 1852). Les 3400 francs sont répartis entre les sœurs de la Miséricorde (500F), les dames
carmélites (500F pour leur chapelle), la salle d’asile de Lussac (400F) et 200F pour les anciens militaires.
2852
Circulaire préfectorale du 13 juin 1856 adressée aux présidents des sociétés de secours mutuels approuvées
du département de la Vienne, RAA de la préfecture de la Vienne de 1856 à 1870.
2853
Lettre adressée au préfet de la Vienne du 18 novembre 1853, ADV M4.65. Correspondances du préfet
(1853).
2854
RAA préfecture de la Vienne (1828 – 1830).
2855
Seconde épître de saint Paul aux Thessaloniciens, chapitre 3, verset 10.
658

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
appartient à la catégorie respectable, celle du « pauvre honteux » ou « méritant » 2856 . Parmi
les 9796 nécessiteux de l’arrondissement de Parthenay 3028 sont en état de travailler sans en
avoir la possibilité 2857 . Ces personnes sont jugées dignes d’être aidées. C’est dans cette
optique que des particuliers lèguent tout ou partie de leurs biens à des infortunés, rarement
directement, mais plutôt par l’intermédiaire de dons à des sociétés philanthropiques ou aux
représentants de l’Etat chargé ensuite d’utiliser au mieux les fonds versés. Bien souvent les
bénéficiaires doivent répondre à des conditions strictes. On ne teste qu’en faveur d’ouvriers
moralement irréprochables ou manifestement incapables de travailler. Ainsi, en 1878 le
département de la Vienne est chargé par le légataire de distribuer une rente annuelle :
« La rente sera allouée chaque année, à la fête de Noël, à un certain
nombre d’ouvriers nécessiteux, d’ailleurs méritants par leur
moralité, et autant que possible résidant dans leurs familles
également nécessiteuses. Chacun des anciens ouvriers devant avoir
une part de la rente, aura au moins soixante années d’âge 2858 ».
Cette conception dépassant le modèle médiéval du pauvre, se rencontre tout au long du siècle.
Le rapporteur d’une commission municipale de Châtellerault l’exprime clairement en 1886 :
« Il y a des malheureux qui ne réclament rien et qui souffrent en
silence. Il y a des ouvriers sans travail, sans ressources, qui ne
veulent point de l’aumône et qui, même très souvent, cachent leur
position. Ce sont là des situations intéressantes et des misères qu’il
faut soulager 2859 ».
Cet indigent « intéressant » peut bénéficier de la charité directe, nécessairement individuelle
et facultative, ou indirecte par l’intermédiaire d’institutions mises en place au niveau
municipal 2860 , si tant est qu’il ait osé s’inscrire sur les registres des bureaux de
bienfaisance 2861 .
2856 A la fin du XIX e siècle l’opinion se généralise que la pauvreté n’est pas toujours causée par une attitude
individuelle blâmable : la vieillesse, les bas salaires ou l’irrégularité des emplois sont tout aussi responsables cf.
les analyses de BOOTH (Charles), Life and labour of people in London, Londres, 1902, 4 vol.
2857 BRUNET (Michel), op. cit., p.60.
2858 Circulaire préfectorale du 28 mai 1878, RAA de la préfecture de la Vienne de 1871 à 1880.
2859 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 12 février 1886. Voir à ce propos MARTIN
(Jean-Baptiste), La fin des mauvais pauvres. De l’assistance à l’assurance, Seyssel, 1983, 197 p.
2860 Voir MAREC (Yannick), Bienfaisance communale et protection sociale à Rouen, Paris, 2002, 662 p.
2861 Le Comité des ouvriers sans travail de Châtellerault le constate en février 1886, AM CHATELLERAULT.
Délibérations du conseil municipal du 9 février 1886.
659

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
2. La bienfaisance municipale et départementale
Créés par la loi du 7 frimaire an V, les bureaux de bienfaisance 2862 constituent, avec
l’hôpital, la pierre angulaire du système d’assistance laïc et municipal aux plus démunis.
L’indigent doit s’y inscrire afin d’y recevoir des secours. L’aide s’exerce de préférence à
domicile et en nature 2863 , moyen jugé efficace et peu coûteux. Il s’en crée dans les communes
les plus importantes. On en dénombre 58 en Vendée en 1848 2864 .
Cependant il ne s’agit aucunement d’une institution sociale, au sens moderne du terme. La
révolution de 1848 n’a pas encore eu lieu. Aucun droit n’est encore reconnu à l’individu
contre la société 2865 . Seuls les devoirs humanitaires et le maintien de l’ordre commandent
l’intervention des pouvoirs publics. En définitive, peu de choses différencient ces bureaux des
autres modes de charité si ce n’est leur meilleure organisation. A Parthenay, ce sont des
dames patronnesses qui s’en occupent et le produit de leurs travaux d’aiguilles apporte
quelques fonds supplémentaires à l’organisme charitable.
L’institution est financée par des subventions municipales 2866 ou départementales,
parfois étatiques 2867 , des dons ou des legs de personnes charitables et par diverses collectes,
souscriptions, loteries ou billets d’entrées à des bals ou des représentations théâtrales 2868 ,
voire les reliquats de dépenses non effectuées par d’autres institutions 2869 . Dans les dernières
décennies du XIX e siècle chaque mois de novembre est l’occasion pour le conseil municipal
de Châtellerault de voter la mise en place d’une souscription pour les pauvres 2870 . Avant 1848,
Bourbon en Vendée est contrainte de faire appel à une souscription annuelle pour venir en
aide à ses miséreux 2871 .
2862
Créés par la loi du 7 frimaire an V, les bureaux de bienfaisance doivent être mis en place dans chaque
commune.
2863
Contrairement aux workhouses anglaises.
2864
REGOURD (Florence), Industries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.86.
2865
BORGETTO (Michel), LAFORE (Robert), Droit de l’aide et de l’action sociale, Paris, 2002, p.19.
2866
Par exemple celui de Châtellerault reçoit une somme de 100 francs en janvier 1891 ou de 1500 francs en
mars 1895, AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal.
2867
En 1875, l’Etat verse la somme de 4000 francs pour venir en aide aux bureaux de bienfaisance du
département des Deux-Sèvres.
2868
Ces manifestations festives et caritatives apparaissent en 1841 à Châtellerault. En 1875, une représentation
théâtrale remplace les bals, avant qu’une souscription y mette fin en 1881. A Poitiers, il faut attendre 1885, pour
que le premier bal de bienfaisance voit le jour. Il est vite remplacé par une subvention.
2869
En mai 1886, 816F non utilisés par les ateliers de charité de la ville de Châtellerault sont reversés au budget
du bureau de bienfaisance, AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 21 mai 1886.
2870
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal.
2871 CHAILLOUX (Cédric), op. cit., p.150.
660

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
En cas de crise, les bureaux de bienfaisance se trouvent en première ligne pour la
distribution des secours du fait de la connaissance qu’ils ont des indigents et du lien qu’ils
entretiennent avec les municipalités.
L’assistance s’emploie à soulager la misère par des aides en nature, par des
distribuions de linges, de meubles ou de denrées alimentaires. Dans le département poitevin
c’est le pain, ou des tickets permettant d’en obtenir à moindre prix, qui est le plus souvent
distribué. Cette pratique traverse le siècle, couplée aux taxes locales destinées à limiter la
hausse de son prix. En 1832, à Poitiers, on distribue du blé aux personnes en difficultés 2872 . Le
9 juin 1834, en réponse à une circulaire ministérielle du 15 avril 1834, le conseil municipal de
Châtellerault décide de conserver la taxe sur le pain qui existe en ville 2873 . Sous le second
Empire, la cité distribue régulièrement du pain aux indigents 2874 . Lors de la crise frumentaire
des années 1845-1847, la mairie de Châtellerault s’inquiète du sort de 400 familles ouvrières
vivant dans ses murs. Elle finance et fait distribuer des bons offrant du pain à prix réduit, alors
que la municipalité de Poitiers est contrainte de faire appel à la charité publique, le maire
voulant même se charger lui-même de recueillir les dons 2875 . Ces distributions perdurent à
Poitiers jusqu’en 1897 malgré les critiques, les conseillers municipaux estiment que les
travailleurs méritent mieux que l’aumône et que « l’établissement de taxes est préjudiciable
aux intérêts de la classe ouvrière » 2876 . En 1848, à Niort, le maire provisoire, achète au nom
de la ville du blé et créer des bons de pain pour assurer un prix préférentiel aux pauvres. Une
initiative désavouée par le ministre de l’Intérieur qui lui reproche de dérégler la
concurrence 2877 .
Outre le pain les médicaments sont aussi distribués gratuitement aux plus démunis
comme à partir de 1889 à Poitiers et de1890 à Châtellerault 2878 . La loi du 15 juillet 1893 sur
l’assistance médicale gratuite consacre ensuite cette pratique.
Cependant il n’est pas aisé de différencier l’ouvrier de l’indigent. Les bureaux de
bienfaisance ne répertorient pas les personnes qu’ils aident. Et puis la misère ne correspond
2872 AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 26 mars 1832.
2873 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 9 juin 1834.
2874 C’est le cas en 1853, 1855, 1856, 1861.
2875 MEMAIN (René), La crise de 1845-1847 dans la Vienne (première partie), BSAO, 4 e série, Poitiers, t.V,
deuxième trimestre 1960, p. 498. De très nombreuses souscriptions sont ouvertes à l’image de la quête patronnée
par la municipalité de Civray qui rapporte 3000 francs.
2876 AM POITIERS. Délibération du conseil municipal du 17 septembre 1897.
2877 TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit.
2878 AM POITIERS. Délibération du conseil municipal du 19 juin 1889 et AM CHATELLERAULT. Délibérations
du conseil municipal du 26 octobre 1888 et du 1 er avril 1889.
661

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
pas systématiquement aux zones peuplées d’ouvriers à l’image de ce que l’on peut constater
en Vendée. L’enquête économique et sociale de 1848 2879 révèle que les cantons où le plus fort
pourcentage de la population est secouru par les bureaux de bienfaisance ne sont pas les plus
industrieux. Ici ce sont les zones rurales les moins développées, marécageuses et proches de la
mer 2880 , qui comptent plus de 15% de personnes aidées. La proportion atteint même plus de
30% sur l’île de Noirmoutier. Les zones localisées le long de la Sèvre nantaise vivant de
l’industrie textile comptent légèrement plus de miséreux que la moyenne départementale
(entre 10 et 15%) sans être les plus démunies. Ce pourcentage est encore inférieur dans le
canton de Montaigu où se trouve pourtant le bourg de Cugand. Ces données apportent un
bémol au paupérisme de la classe ouvrière poitevine dans sa généralité. Les travailleurs du
textile représentent environ 6% des personnes aidées dans toute la Vendée, loin derrière les
journaliers agricoles (près de 55%). Ceux-là sont partout extrêmement démunis. Les
arrondissements de Civray, de Montmorillon, de Bressuire ou de Melle l’illustrent aussi.
Cependant la relative faiblesse numérique de l’industrie explique grandement l’écart entre les
deux types de travailleurs. Enfin, dans les Deux-Sèvres, il est intéressant de constater que les
enquêteurs de 1848 insistent généralement plus sur les difficultés rencontrées par certaines
catégories d’ouvriers que sur celles pesant sur le monde agricole 2881 .
A Châtellerault les périodes où la manufacture d’armes rencontre des difficultés
l’obligeant à licencier une partie de son personnel coïncident logiquement avec
l’augmentation du nombre d’indigents inscrits auprès des services municipaux. On passe ainsi
de 650 personnes en avril 1891 à 1087 en septembre 1897 2882 , période correspondant à la fin
de la commande de fusils russes.
Des fourneaux économiques sont également mis en place à Niort et à Saint-Maixent.
Ces cantines bon marché sont encouragées par le préfet des Deux-Sèvres. Le président du
tribunal de première instance de Niort est élogieux à l’égard de l’institution. Celle-ci convie
l’ouvrier laborieux « à venir s’asseoir à la table […] dressée pour lui », lui « qui tient à
l’honneur de vivre sans aumône » 2883 . Mais l’expérience échoue : l’ouvrier ayant justement
l’impression de venir à une soupe populaire.
2879 REGOURD (Florence), ndustries et ouvriers vendéens en 1848…, op. cit., p.82 et s.
2880 Les cantons de Saint-Jean-de-Monts, Challans ou Saint-Gilles.
2881 On peut penser que les élites ont du mal à accepter le déclin des fleurons industriels et artisanaux du
département (textile, mégisserie, chamoiserie, ganterie, métallurgie).
2882 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal.
2883 Discours prononcé le jour de l’assemblée générale de l’Association alimentaire de Niort le 6 février 1857,
cité par BRUNET (Michel), op. cit., p.78.
662

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le XIX e siècle avançant la simple charité est de plus en plus critiquée. Trop archaïque
et trop assimilée à l’Ancien Régime et à la Restauration, elle est jugée inefficace 2884 dans une
France nimbée de sacro-saints principes libéraux politiques et économiques. L’aide doit être
efficace. Il faut soulager et améliorer, passer de la « charité aveugle » à la « charité éclairée ».
Pour cela, le pauvre, l’ouvrier en difficulté, doivent être encouragés et encadrés. Il leur faut de
bons capitaines afin de pouvoir quitter les sombres rivages de la misère où règnent la passivité
et l’imprévoyance.
b) Philanthropie et devoirs des notables
Le paupérisme et l’apparition de nouvelles doctrines sociales prônant de « dangereux »
discours égalitaristes obligent la noblesse comme la bourgeoisie à intensifier et à rationaliser
leurs actions envers les plus défavorisés 2885 . C’est l’âge d’or du patronage 2886 , issu de la
tradition chrétienne, catholique ou protestante. Les classes privilégiées doivent soutenir les
plus faibles afin qu’ils puissent profiter des opportunités de réussite offertes par le régime. Le
travail est la vertu mise avant. Il doit conduire tout droit au salut moral et à l’enrichissement.
L’épargne est sacralisée 2887 . Encadrer les plus démunis est à la fois un devoir moral mais aussi
économique. « Soyez sobres, économes, laborieux, vertueux et nous, vos aînés dans la vertu et
la richesse, nous vous paierons de nos deniers l’intérêt des vertus que nous vous prêchons »,
s’exclame Lamartine 2888 . Le préfet de la Vienne s’inscrit dans cette démarche dans un
discours prononcé devant le conseil général en novembre 1831. Il estime que l’administration
doit pourvoir non seulement à l’existence des pauvres mais aussi « à l’amélioration de leur
sort », « car l’homme généreux ne doit pas borner ses soins à empêcher que son semblable ne
périsse de misère, il doit chercher encore à le faire entrer le plus avant possible en
participation des aisances de la vie ». C’est le devoir social des élites. Plus loin, il ajoute
2884
En 1893, 40% des communes françaises possèdent un bureau de bienfaisance, BORGETTO (Michel),
LAFORE (Robert), Droit…, op. cit., p.21.
2885
Ce concept va de pair avec le suffrage censitaire où les individus les plus concernés par le sort de la nation
président à la destinée de tous.
2886
Sur l’âge d’or du patronage contre-révolutionnaire voir PIERRARD (Pierre), L’Eglise…op. cit., p.173 et s.
2887
L’épargne est également considérée comme un moyen de pacification sociale car elle permet, à terme,
l’accès à la propriété. La mentalité conservatrice prendra le pas sur les idéaux révolutionnaires.
2888
Discours du 3 février 1835, La France parlementaire, t.2, p.109 cité par DREYFUS (Ferdinand), op. cit,
pp.23-24.
663

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
qu’aider son prochain c’est aussi « un gage de sécurité et de repos » 2889 . Le maintien de
l’ordre public demeure l’objectif principal derrière les oripeaux philanthropiques.
On aspire non seulement à soulager les souffrances des plus déshérités, mais aussi, et
surtout, à rapprocher des classes sociales de plus en plus éloignées les unes des autres 2890 . Le
patronage est vu comme un moyen de cohésion sociale 2891 visant à rompre l’isolement
ouvrier. Sous le second Empire on désir « équilibrer l’influence des classes supérieures avec
celle des masses 2892 ». C’est également une « école d’apprentissage des responsabilités
sociales 2893 ».
En outre cette tutelle est un moyen de mieux contenir d’éventuels élans
révolutionnaires et socialistes 2894 d’une classe aspirant à plus de considération 2895 . La
communauté de fonds oblige ses membres à se surveiller afin que personne ne puisse les
détourner à des fins autres que sociales, sans succomber aux « charlatans d’égalité » comme
l’écrit le baron Charles Dupin en 1833 2896 . Celui-ci, célèbre apôtre des valeurs bourgeoises de
la révolution de Juillet, élève sur un piédestal la philanthropie, sorte de corne d’abondance
distribuant les bienfaits dans son entourage.
1. Des initiatives mutualistes sous tutelle
La présence de membres bienfaiteurs est une nécessité pour nombre d’ouvriers afin
que leurs groupements d’entraide se transforment véritablement en institution de prévoyance.
En effet, les premières sociétés de secours mutuels disposent rarement de fonds leur
permettant d’aller au-delà de la simple entraide immédiate, de nature confraternelle ou
compagnonnique 2897 . L’adjonction de philanthropes issus de milieux aisés assure une certaine
aisance qui autorise ces organismes à dépasser une conception instantanée de la solidarité
pour se projeter dans un futur plus lointain propre à la prévoyance. C’est là une nécessité est
2889 ADV N2. Rapports, procès-verbaux, instructions, correspondances [1822 ; 1834].
2890 C’est aussi un moyen de rapprochement des nantis entre eux par l’intermédiaire des réunions
philanthropiques ou des traditionnels bals de charité.
2891 Ce souci de rapprocher les classes sociales est encore plus vrai après le divorce sanglant de 1848 entre le
monde ouvrier et la bourgeoisie.
2892 GIRARD (Louis), Problèmes politiques et constitutionnels du second Empire, Paris, 1965, p.112.
2893 GIBAUD (Bernard), op. cit., p.19.
2894 DUROSELLE (Jean-Baptiste), op. cit., p.512. En outre, la promotion des sociétés de secours mutuels sous le
second Empire rompt une grande partie des liens qui unissent jusque là le mouvement ouvrier et le mutualisme
2895 Cette volonté de promotion de ses sociétés de secours mutuels dans un but de contrôle est déjà présent à la
fin du le 1 er Empire, cf. RADELET (Michel), Mutualisme et syndicalisme, ruptures et convergences de l’Ancien
régime à nos jours, Paris, 1991, p.35.
2896 DUPIN (Charles), Discours…, op. cit., p.33.
2897 HATZFELD (Henri), Du paupérisme à la sécurité sociale 1850-1940, Nancy, 1989, p.201.
664

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
d’autant plus grande que la gestion n’est pas le fort des ouvriers sociétaires contrairement aux
gens de biens plus habitués à la gestion d’une comptabilité ou d’un budget.
Dans un premier temps la tutelle des notables apparaît comme un mal nécessaire à la
mise en place d’un mutualisme réellement efficace et bénéfique au monde ouvrier. Ce
patronage est d’abord purement philanthropique, voire charitable. La morale chrétienne y tient
une très grande place. Sous le second Empire cette tutelle s’institutionnalise avec
l’intervention directe de l’Etat dans la promotion des sociétés de secours mutuels.
Mais le recours à cette tutelle n’est pas toujours accepté par l’ouvrier. En 1874 un
projet de statut d’une société de secours mutuels des ouvriers chapeliers, fouleurs et
apprêteurs de Saint-Maixent refuse les membres honoraires, ce qui les met en porte-à-faux
avec le texte du décret du 26 mars 1856, comme ne manque pas de le rappeler Maurice
Ravinel, préfet des Deux-Sèvres 2898 .
1.1. Le paternalisme des premières heures
Dans les premières décennies du XIX e siècle des sociétés philanthropiques vont se
former un peu partout en France sur le modèle de celle fondée à Paris en 1800 2899 .
Les départements poitevins sont loin d’être les plus précoces en la matière malgré
l’envie de certains zélateurs des valeurs monarchiques traditionnelles de rétablir les
corporations ou les confréries 2900 , cadres et soutiens du travailleur 2901 . Les premières sociétés
philanthropiques « multiprofessionnelles » en sont inspirées tout comme elles le sont par les
principes chrétiens 2902 . On désire développer « des sociétés vraiment fraternelles où, par une
sorte de pacte de famille, des individus d’une même classe s’assurent mutuellement des
ressources contre le malheur et la vieillesse 2903 ».
2898
Examen par la préfecture des Deux-Sèvres du projet de société de secours mutuels de Saint-Maixent, lettre
adressée au maire de la ville le 16 janvier 1874, ADDS 11M8.1. Syndicats professionnels : correspondances,
rapports, listes [1848 ; 1884].
2899
Œuvre non confessionnelle, ses fondateurs sont d’horizons diverses : le duc de La Rochefoucault-Liancourt,
le banquier Delessert, le vicomte de Montmorency, le baron d’Empire Gérando. Il s’agit en réalité d’une
refondation. La première Société philanthropique parisienne a été créée en 1780 sous le patronage de Louis XVI.
2900
Les confréries sont de simples sociétés d’entraide à caractère religieux. A propos des guildes et des
confréries, « premières institutions de prévoyance », voir RADELET (Michel), op. cit., p.22 à 29.
2901
Délibération du conseil général de la Vienne du 5 août 1826, ADV N2. Rapports, procès-verbaux,
instructions, correspondances [1822 ; 1834].
2902
DUROSELLE (Jean-Baptiste), op. cit., p.517 et s.
2903
Définition fournie par la Société philanthropique de Paris, citée in COTTEREAU (Alain), Prévoyance des
uns, imprévoyance des autres. Questions sur les cultures ouvrières face aux principes de l’assurance mutuelle au
XIX e siècle, Prévenir, 1984, n°9, p.58.
665

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Ces sociétés d’assistance mutuelle sont ici le pur produit de la monarchie de Juillet 2904 .
Dans le Poitou toutes apparaissent à cette époque : quatre dans la Vienne et dix dans les
Deux-Sèvres. Elles ne sont en rien des sociétés revendicatives 2905 .
La Société philanthropique de Poitiers est crée en 1832, celle de Niort en 1837,
regroupant maints ouvriers de la pelleterie, et celle de Saint-Maixent en 1839. Une seconde
vague de création déferle après 1840. Elle concerne les villes et bourgades principales de la
Vienne et des Deux-Sèvres 2906 . En 1848, « Les Philanthropiques », un club des travailleurs
républicains fonde la Société philanthropique et de secours mutuel de Chauvigny 2907 .
Parallèlement les premières sociétés de secours mutuels apparaissent alors en Vendée,
à Cugand en 1841, à Fontenay-le-Comte en 1843, à Bourbon-Vendée en 1845 2908 ou dans les
houillères de Faymoreau. Ici la philanthropie semble avoir déjà laissé la place à une véritable
mutualité ou à l’exercice du paternalisme d’entreprise. En effet, si les sociétés de la Vienne ou
des Deux-Sèvres regroupent un ensemble hétéroclite de professions, ouvrières ou
commerciales 2909 , certaines en Vendée sont propres à une activité ou bien à même à une
entreprise. C’est le cas chez les fileurs de l’établissement Péquin à Cugand, chez des
cordonniers de La Roche ou chez les mineurs de Faymoreau. Ce caractère original traduit soit
une plus grande conscience de classe chez les ouvriers vendéens que chez leurs voisins
poitevins, soit un paternalisme d’entreprise plus précoce.
2904 On en dénombre pour l’ensemble du territoire 180 sous l’Empire, 475 sous la Restauration et 1295 pendant
la monarchie de Juillet, cf. GIBAUD (Bernard), op. cit., p.19.
2905 Voir à ce titre DELBREL (Yann), La mutualité à Bordeaux à travers les sociétés de secours mutuels, thèse
droit, Bordeaux, 2002, 609 p. et sur la création de la Caisse de secours mutuels de Bordeaux et le patronage de la
bourgeoisie locale voir particulièrement les pages 115 et s.
2906 Vivonne (1840), Châtellerault et Parthenay (1841), Montmorillon et Civray (1842), Melle (1843), La
Mothe-Saint-Héray, Thénezay, Bressuire, Lezay.
2907 JOUTEAU (Pol), Chauvigny, les Chauvinois, Poitiers, 1993, p.118.
2908 Lors de l’enquête économique et sociale de 1848, on parle d’échec à propos de la société de secours mutuels
de La Roche-sur-Yon dû à des cotisations trop élevées, ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret
du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail agricole et industriel [1848 ; 1849], arrondissement de
Napoléon Vendée.
2909 Celles de Parthenay a été fondée par des militaires, ARCHES (Pierre), L’enquête économique et sociale de
1848 (partie 2), op. cit., p.448.
666

Communes
Niort
Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Tableau 80 : sociétés philanthropiques et de secours mutuels des Deux-Sèvres en
1852 :
Dénomination
Philanthropique
Secours mutuels, la
« Société des ouvriers »
Professions
Ancien militaires,
commerçants et ouvriers de
toutes professions
Ancien militaires,
commerçants et ouvriers de
toutes professions
667
Nombre de
sociétaire
Date
d’autorisation
880 1837
678 1839
Saint-Maixent Philanthropique Toutes professions 242 1838
Saint-
Symphorien
Melle
Lezay
La Mothe-
Saint-Héray
Saint Martin de
Melle
Secours mutuels Toutes professions 286 1850
Philanthropique et de
secours mutuels
Philanthropique et de
secours mutuels
Philanthropique et de
secours mutuels
Parthenay Philanthropique
Bressuire Philanthropique
Thouars Philanthropique
Toutes professions 151 1843
Toutes professions 15 1846
Ancien militaire,
commerçants et ouvriers
120 environ 1842
Secours mutuels Tous les habitants (sic) 56 1850
Ancien militaire,
commerçants, ouvriers
Ancien militaire,
commerçants, ouvriers
Ancien militaire,
commerçants, ouvriers
Source : ADDS 4X2. Société de secours mutuels. Membres de bureaux et affaires diverses [1849 ; 1909].
111 1841
159 1846
225 1846 (?)
Tableau 81 : sociétés philanthropiques et de secours mutuels de la Vienne en
1843:
Appellation Lieux Professions
Date de
création
Date
d’autorisation
Nombre de
sociétaire
Philanthropique Civray Diverses 1842 1842 39
Philanthropique
Philanthropique
Châtellerault Diverses 1841 1842 50
et de secours
mutuels
Poitiers Diverses 1840 1840 531
Philanthropique Montmorillon Diverses 1841 1842 92
Source : ADV 4X3. Sociétés de secours mutuels. Enquêtes et statistiques.
La très grande majorité de ces sociétés philanthropiques ou de secours mutuels
combinent mutualité et patronage. Les personnalités locales se font un devoir d’encadrer les
initiatives des travailleurs visant à développer l’entraide, la prévoyance et la morale 2910 .
Même si la presse affirme parfois que les ouvriers en sont à l’origine, les notables ne sont
jamais loin. C’est le cas à Poitiers, où, en réalité, deux magistrats locaux ont permis la
2910 L’épigraphe de la Société philanthropique de Poitiers : « Etre bon père, bon époux, citoyen probe, c’est la
base d’une bonne société »

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
création de la Société Philanthropique 2911 . Celle de Niort, « moderne et progressiste » par
opposition à « la société des ouvriers » plus cléricale, est crée par Henri Giraud ancien maire
de la ville et futur député de Melle de 1876 à 1887 2912 . Ces membres honoraires s’ajoutent
aux membres cotisants par leurs donations sans qu’ils puissent bénéficier en contrepartie des
sommes versées à la caisse commune.
Le recours aux membres honoraires vise à résoudre le manque de fonds, un des
problèmes majeurs de la mutualité. Les seules cotisations ouvrières – que l’on ne veut pas
rendre obligatoires – ne suffisent pas à faire fonctionner les caisses de secours mutuels,
d’autant plus que le chômage frappe régulièrement chaque saison. Le patronage par des gens
de biens apparaît comme la solution la plus simple afin de remédier aux difficultés de
financement tout en reconstituant un lien social entre des classes qui se perdent de vue.
Néanmoins, cette tutelle n’a pas que des avantages car elle rend l’ouvrier dépendant des
sommes versées par les bienfaiteurs. Le préfet de la Vienne s’en fait l’écho en juin 1856 après
avoir constaté que « beaucoup d’association sont encore éloignées du moment où les
cotisations des membres participants suffiront pour assurer les secours aux malades, premier
et principal objet de l’institution » 2913 . Les sociétés de secours mutuels ne peuvent espérer
perdurer qu’en assurant leur autosuffisance financière.
Les conseils généraux aident également les institutions de prévoyance ouvrière à
l’image de celui de la Vienne en 1844 2914 . Trois années plus tard une commission encourage à
nouveau ces dons : « de toutes les sommes que vous consacrez depuis longtemps à des
encouragements aux institutions bienfaisantes, nulles ne reçoivent un emploi plus convenable
que celles qui vont accroître les ressources destinées à soulager des ouvriers malades et à
donner des pensions à leurs veuves et orphelins ». Une somme de cent francs est allouée à
chacune desdites sociétés, à titre d’encouragement, et sans ce soucier des éventuelles
2911 Coupure de presse sans titre, ADV 4X67. Sociétés de secours mutuels et philanthropiques de Poitiers
2912 TALLONNEAU (Paul), La mutualité niortaise et le second Empire, BSHSDS, 3 e série, Niort, 1984, t.18,
p.259 et s. Giraud est le fondateur du journal La Mutualité
2913 Circulaire préfectorale du 13 juin 1856 adressée aux présidents des sociétés de secours mutuels approuvées
du département de la Vienne, RAA de la préfecture de la Vienne de 1856 à 1870
2914 Séance du 3 septembre 1844 du conseil général de la Vienne AM POITIERS CO268. Délibérations du
conseil général de la Vienne [1840 ; 1865] : 300F sont versés à la société de médecine de Poitiers, 300F à la
société philanthropique de Poitiers, 200F à la celle de Châtellerault, 150F à celle de Montmorillon et 150F à
celle de Civray
668

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
ressources déjà disponibles pour chacune d’entre elles 2915 (celle de Poitiers disposant alors
d’une bonne santé financière 2916 ).
Le catholique social Armand de Melun est un des principaux instigateurs de la
politique d’incitation au mutualisme qu’il va soutenir auprès de Louis Napoléon
Bonaparte 2917 . Le futur empereur va s’y convertir et va les encourager sous l’égide des
notables 2918 . Désormais, l’Etat lui-même va promouvoir énergiquement les sociétés
philanthropiques et de secours mutuels qui, en contrepartie, doivent se plier à des exigences
strictes.
1.2. Le second Empire social
Le second Empire est par nombre d’aspect un régime « paternel » où l’Etat doit jouer
un rôle majeur dans la résolution de la question sociale 2919 . L’Extinction du paupérisme publié
en 1844 en témoigne. A défaut de pouvoir mettre en place « un socialisme d’Etat » Louis
Napoléon Bonaparte s’appuie sur des pratiques plus libérales et chrétiennes 2920 au premier
rang desquelles il y a le « patronage » destiné à encadrer un mouvement mutualisme. L’Etat
impérial se veut être un tuteur sévère et bienveillant. En 1860, le préfet de la Vienne qualifie
les sociétés de secours mutuels de « plus puissant moyen d’assistance et certainement, le plus
digne de l’ouvrier laborieux 2921 ».
A partir du décret de 1852 la mutualité oscille entre la pauvreté, inhérente à la liberté,
et une certaine aisance permise par l’approbation administrative et la tutelle des gens de biens.
C’est cette dernière forme l’emporte 2922 dans la plupart des régions françaises 2923 .
2915 Séance du 7 septembre 1847, AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ;
1865].
2916 Une bonne santé financière due au grand nombre de sociétaires et de membres honoraires en cette ville de
notables.
2917 Sur le rôle des catholiques dans le développement de la mutualité et le rôle par leur chef de file Armand de
Melun voir DUROSELLE (Jean-Baptiste), op. cit., p.498 et s. et DREYFUS (Ferdinand), op. cit., p.96 et s.
2918 DUROSELLE (Jean-Baptiste), op. cit., p.657 et s.
2919 Il s’agit également pour l’empereur de ne pas laisser l’initiative aux catholiques ultramontains.
2920 C’est l’époque de « l’alliance du corps de garde et de la sacristie » selon l’expression de La Lanterne,
journal d’opposition au second Empire fondé en mai 1868 par Henri Rochefort.
2921 Discours du préfet de la Vienne devant le conseil général de la Vienne (1860).
2922 Voir infra tableaux n°83,84 et 86.
2923 Fin 1869 plus des deux tiers des sociétés de secours mutuels françaises sont approuvées, cf. GUESLIN
(André), L’invention de l’économie sociale : le XIX e français, Paris, 1987, p.219. En revanche la proportion est
inverse dans le bordelais, cf. DELBREL (Yann), La mutualité à Bordeaux…, op. cit., p.150 et s.
669

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le nombre de bienfaiteurs, comme celui des sociétés d’entraide de travailleurs,
s’accroît considérablement sous le régime de Napoléon III. Nombreuses sont les personnes
habitant les villes importantes, exerçant des professions libérales et commerçantes, qui leur
distribuent une obole. La présence de ces hommes de biens est destinée à neutraliser le danger
inhérent au principe de l’association. En faire partie est un acte de sociabilité et un devoir
politique. En 1867, la Société philanthropique de Poitiers compte 53 membres honoraires au
premier rang desquels figurent les préfets de la Vienne et du Rhône, le maire de Poitiers et de
nombreux membres du conseil municipal ainsi que moult notables de la ville 2924 . En 1854, le
ministre de l’Intérieur s’ajoute à la liste 2925 . A Niort, la société de secours mutuels compte
25% de membres honoraires – et même 50% à la fin du second Empire – parmi l’ensemble de
ses sociétaires 2926 . Un rapport supérieur à la moyenne nationale constatée à la fin de
l’Empire 2927 . Toutefois, une fois la République installée, ce pourcentage chute. Il n’est que de
13% en 1879 pour l’ensemble du département 2928 . En Vendée, les membres honoraires
composent 15% de l’effectif des effectifs des sociétés de secours mutuels du département
durant au 31 décembre 1865 2929 et 20% cinq années plus tard 2930 .
En outre, la direction des sociétés de secours mutuels n’est pas exercée par des
ouvriers ou d’autres membres des classes populaires mais par des personnalités locales 2931 .
Ces dernières, souvent à l’aise financièrement, sont nommées jusqu’en 1870 par
l’administration. L’influence du préfet est extrêmement importante car c’est lui qui fournit au
ministre de l’Intérieur une liste de trois candidats classés par ordre de préférence. Opposants
au régime, passez votre chemin.
Le décret du 26 mars 1852 créant les sociétés municipales à l’initiative des maires et
des curés explique également cette prédominance des notables à l’intérieur des sociétés des
villes secondaires ou peu industrialisées. Ainsi, en 1865, c’est le candidat officiel de
2924 Compte rendu de la Société philanthropique de Poitiers du second semestre 1867, ADV 4X67. Sociétés de
secours mutuels et philanthropiques de Poitiers.
2925 ADV 4X67. Sociétés de secours mutuels et philanthropiques de Poitiers.
2926 TALLONNEAU (Paul), op. cit., p.260.
2927 GIBAUD (Bernard), op. cit., p.39 et DELBREL (Yann), La mutualité à Bordeaux…, op. cit., p.157. Le
pourcentage de membres honoraires par rapport à l’effectif total oscille aux alentours de 10% dans l’ensemble de
la France.
2928 ADDS 4X3. Sociétés de secours mutuels. Statistiques et situations financières [1876 ; 1879] & [1902 ;
1903]. Le même pourcentage est valable pour l’ensemble du pays en 1870, cf. rapport sur les opérations des
sociétés de secours mutuels en 1870, ADV 4X1. Sociétés de secours mutuels. Correspondances du préfet.
2929 Soit 494 membres honoraires pour 2667 membres bénéficiaires, ADVd 24X31. Société de secours mutuels.
Comptes rendus [1865 ; 1870].
2930 ADDS 24X32. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
2931 En 1862, au niveau national, les notables représentent 80% des présidents de sociétés de secours mutuels, cf.
LAURENT (Emile), Le paupérisme et les associations des prévoyance, Paris, 1865, tome 1, p.375.
670

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
l’empereur qui est choisi comme président de la société de secours mutuels de
Montmorillon 2932 . Dans les Deux-Sèvres, les maires et les conseillers municipaux, généraux
ou d’arrondissement sont légions à la tête des organismes de mutualité tout comme les
magistrats. En 1870 tous les présidents sortants sont réélus après avis favorable du préfet 2933 .
Ils ont bien servi le pouvoir en place.
Toutefois, il existe quelques sociétés mixtes, créées sur le modèle corporatif à l’image
de la Confrérie de Saint Crépin regroupant maître et ouvriers cordonniers de Niort fondée en
janvier 1869 2934 .
Un encadrement qui touche avant tout les sociétés approuvées parrainées
expressément par le pouvoir et non pas les sociétés seulement autorisées. Celles-ci réussissent
à perdurer malgré les tracasseries administratives voire, mais beaucoup plus rarement,
policières.
En effet les sociétés de secours mutuels sont soumises à un régime juridique
particulier les divisant en trois catégories. Depuis la loi du 15 juillet 1850 2935 elles peuvent
être déclarées, sur leur demande, d’utilité publique. Un statut offrant des avantages non
négligeables comme la possibilité de recevoir des dons et des legs, d’obtenir un taux
avantageux pour les sommes déposées à la Caisse des dépôts ou bien encore l’obtention
gratuite de locaux. Quant aux autres, libérées depuis 1848, elles demeurent simplement
autorisées – elles sont dites « libres » – et sont soumises à un contrôle très strict de
l’administration. Un troisième statut ne tarde pas à apparaître. Le décret organique du 26 mars
1852 établit l’approbation par le régime de certaines sociétés de secours mutuels. Celles
demeurant « libres » sont dès lors entièrement à la merci des autorités publiques. Ce décret
« sert principalement à distinguer les sociétés approuvées des sociétés antérieurement
autorisées, et à interdire ces dernières sous des prétextes variés et futiles 2936 ».
2932
Rapport du sous-préfet de Montmorillon du 2 avril 1865, ADV M4.71. Correspondances du préfet [1862-
1865].
2933
Un décret du 27 octobre 1870 permettra aux sociétaires d’élire eux même leurs présidents.
2934
Liste des sociétés de la ville de Niort au 30 décembre 1880, ADDS 11M8.1. Syndicats professionnels :
correspondances, rapports, listes [1848 ; 1884].
2935
Voir à propos du « fiasco » de la législation républicaine sur les sociétés de secours mutuels, GIBAUD
(Bernard), op. cit., p.29 et s.
2936
BOUVIER-AJAM (Maurice), op. cit., p.124.
671

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Tableau 82 : décret du ministère de l’Intérieur du 22 janvier 1870 portant
nomination de présidents de société de secours mutuels (décret conforme à l’avis
du préfet du département) :
Lieux d’établissement de la société de secours
mutuels/ philanthropique
Nom Qualité
Président
sortant
Niort Giraud Président du tribunal civil x
Saint-Maixent
Reversé
Imprimeur
&
greffier de la justice de paix
Propriétaire
x
Parthenay
Chadoceau
(?)
&
membre du conseil
municipal
x
Lezay
M. Bourceir
(?)
Notaire x
Thouars
Loury
Propriétaire
&
membre du conseil général
x
Saint Romans les Malles
Chagot Docteur en médecine x
Mauzé
Chef Boutonne Perrain
672
?
Maire
&
suppléant du juge de paix
Propriétaire
&
membre du conseil
d’arrondissement
(?) Bardonnet Propriétaire x
Coulonges Grimault Percepteur x
Champdeniers Amarc Maire x
Source : ADDS 4X2. Société de secours mutuels. Membres de bureaux et affaires diverses [1849 ; 1909].
Toutefois, le succès de ce patronage officiel varie selon les zones, en fonction de
l’influence du bonapartisme. Très bien implanté dans une grande partie de la Vienne, il l’est
beaucoup moins dans le nord des Deux-Sèvres et de la Vendée. Une réalité qui n’empêche pas
le nouveau préfet de la Vienne, Nicolas Mercier Lacombe 2937 , de trouver les sociétés de
secours du département faiblement développées en comparaison du Var où il était en fonction
auparavant 2938 . En 1860, seules cinq auraient vu le jour depuis le décret de 1852 2939 . Un
nombre que le représentant de l’Etat juge insuffisant le poussant à demander au conseil
général le vote d’une somme de 1200 francs afin de promouvoir et développer les institutions
2937
Ce préfet reste en place à peine sept mois. Il est nommé ensuite en Loire-Inférieure. PELCRAN (Anne), op.
cit., p.756.
2938
La faiblesse de l’industrie et sa concentration explique certainement ce modeste développement.
2939
Le préfet semble fortement exagérer. En effet, il ressort d’une liste des sociétés philanthropiques et de
secours mutuels dressée par la préfecture en 1891 qu’il y a eu une petite dizaine de crées entre 1852 et 1860, en
sachant que cette liste ne répertorie que les sociétés qui existent encore en 1891, d’autre ont pu disparaître
depuis, cf. ADDS 4X3. Sociétés de secours mutuels. Statistiques et situations financières [1876 ; 1879] &
[1902 ; 1903].
x
x

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
de prévoyance mutuelle 2940 . En 1863, une nouvelle circulaire préfectorale déplore la faible
application du décret de 1852 dans les communes du département 2941 . Une plainte qui
provoque la création d’une douzaine de sociétés supplémentaires jusqu’en 1870 2942 .
En 1855, le préfet des Deux-Sèvres se plaint de la difficulté qu’il rencontre à trouver
des membres honoraires :
« La création des société de secours mutuels dans les communes de
mon département rencontre de nombreuses difficultés. Les obstacles
ne consistent pas précisément dans les charges qui doivent peser sur
les budgets municipaux et dont le chiffre peu élevé ne peut paralyser
la création des sociétés de cette nature ; ils proviennent surtout de ce
que les populations n’en comprennent pas encore les bienfaits. De
là, l’impossibilité de trouver des membres honoraires et de membres
participants. Aussi, l’appel que j’ai fait aux communes pour
l’organisation des sociétés, accueilli d’abord avec empressement par
plusieurs d’entre elles, a-t-il échoué devant la difficulté de former un
noyau de membres suffisant pour alimenter la caisse 2943 ».
En 1859, le préfet de Vendée est face aux mêmes difficultés. Le fonctionnaire insiste sur le
goût d’indépendance des ces organisations où, dit-il, les administrations municipales restent
étrangères à leur gestion. C’est pourquoi il s’oppose à la mise en place d’une commission
d’encouragement que le ministère de l’Intérieur veut établir 2944 . Un tel organe serait mal
perçu. Il irait « à l’encontre des susceptibilités » et conduirait « au désordre et à la dissolution
des sociétés ». Imposer l’institution conduirait selon lui à la condamner par avance 2945 . Même
position chez le préfet des Deux-Sèvres qui s’oppose également à la mise en place d’une telle
commission qui serait ressentie « comme un organisme de contrôle » même par le sociétés
reconnues par l’Etat 2946 . De même, le conseil général des Deux-Sèvres ne vote aucune
subvention en faveur des sociétés de secours mutuels du département alors qu’une circulaire
2940 Session de 1860, AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
2941 Circulaire préfectorale du 8 octobre 1863, RAA de la préfecture de la Vienne de 1856 à 1870.
2942 Là encore nous nous basons sur des chiffres fournis en 1891, des sociétés ont pu disparaître depuis, ADDS
4X3. Sociétés de secours mutuels. Statistiques et situations financières [1876 ; 1879] & [1902 ; 1903].
2943 Courrier adressé au ministre de l’Intérieur du 18 juillet 1855, ADDS 4X1. Société de secours mutuels.
Instructions [1850 ; 1912].
2944 Une commission locale certainement calquée sur le modèle de la commission supérieure d’encouragement
créée par l’article 19 du décret du 26 mars 1852.
2945 Lettre du préfet de Vendée au ministre de l’Intérieur du 5 juillet 1859, ADVd 29X1. Société de secours
mutuels. Tableaux récapitulatifs [1857 ; 1862].
2946 Courrier du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Intérieur du 28 juin 1859, ADDS 4X1. Société de secours
mutuels. Instructions [1850 ; 1912].
673

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
du 15 juillet 1858 leur demande de créer un poste budgétaire consacré à cette dépense 2947 .
Malgré tout 25 sociétés d’entraides naissent en Vendée sous le second Empire 2948 , un nombre
supérieur à celui de la Vienne.
Toutefois, on demeure très loin de l’objectif gouvernemental d’une société par
commune et ce malgré les incitations préfectorales constantes, l’obligation de justifier les
refus 2949 et les encouragements financiers de l’Etat et des conseils généraux 2950 . Le coût trop
élevé des cotisations expliquerait cet échec à en croire le préfet de Vendée 2951 .
Cette tutelle ne prend pas fin avec l’effondrement du second Empire. En 1871, le
préfet de la vienne reçoit un livret de bienfaiteur en contrepartie d’un don d’un montant de
200 francs effectué au profit de la Société philanthropique de Poitiers 2952 .
En sus, des sociétés de secours continuent de naître dans les premières décennies de la
III e République au gré de mésententes personnelles ou des aléas politiques. Hors des grandes
villes l’initiative en revient toujours aux notables locaux (conseiller, maire), tantôt cléricaux
tantôt laïcs. Ainsi la petite commune de Vix en Vendée compte, un temps, deux sociétés,
l’une républicaine et l’autre conservatrice 2953 .
De même, à partir des années 1910, les libéraux comme les catholiques vendéens incitent à la
création de sociétés de secours mutuels afin de promouvoir leurs doctrines. L’Union centrale
mutualiste, auxquelles 34 sociétés du département sont fédérées, s’allient à l’Union des
sociétés de secours mutuel de l’Ouest afin de combattre « l’influence gouvernementale et
maçonnique » auprès des classes laborieuses 2954 .
La thèse solidariste, défendue par Léon Bourgeois, se développant à la toute fin du
XIX e siècle, va également promouvoir le rôle de l’Etat, et des notables d’une certaine façon,
dans la solidarité nécessaire et naturelle entre les classes et les individus d’une même société.
2947
Lettre du préfet de Vendée au ministre de l’Intérieur du 30 mai 1861, ADVd 29X1. Société de secours
mutuels. Tableaux récapitulatifs [1857 ; 1862].
2948
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.610.
2949
Circulaire préfectorale adressée aux maires des communes des Deux-Sèvres du 6 octobre 1863, ADDS 4X1.
Société de secours mutuels. Instructions [1850 ; 1912].
2950
Par exemple, dans la Vienne, une somme de 1200 francs est votée par le conseil général en 1857 et 1858. En
outre il débloque 100 francs pour la fourniture des imprimés et des locaux nécessaires à l’établissement de
société de secours mutuels en cas d’insuffisance de ressources communales, AM POITIERS CO268.
Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
2951
Lettre du préfet de Vendée au ministre de l’Intérieur du 5 juillet 1859, ADVd 29X1. Société de secours
mutuels. Tableaux récapitulatifs [1857 ; 1862].
2952
ADV 4X67. Sociétés de secours mutuels et philanthropiques de Poitiers.
2953
L’Avenir et L’Indicateur du 22 septembre 1886.
2954
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.260.
674

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Cette obligation est désormais juridique en plus d’être morale et ouvre une troisième voie
entre libéralisme et socialisme 2955 .
L’encadrement « paternel » des ouvriers par les élites ne s’arrête pas aux sociétés de
secours mutuels. Nombres d’institutions, souvent d’inspirations religieuses, apportent soutien
et encouragement aux classes laborieuses.
2. Les autres formes de patronages
A côté des sociétés de secours mutuels d’autres institutions sont mises en place
jusqu’à la fin du siècle afin d’encourager le goût de l’effort chez les plus jeunes et d’améliorer
certains aspects de la vie quotidienne des travailleurs. Des initiatives prises par des notables
bien implantés localement ou par des institutions religieuses, voire par le pouvoir lui-même.
La Société de prêts de l’enfance au travail dite du « Prince Impérial » naît en 1862 2956 .
Elle s’inscrit parfaitement dans la droite ligne du paternalisme impérial cher à Napoléon III.
Cette société, présidée par l’Impératrice, est destinée à promouvoir la solidarité entre les
classes d’âge du milieu ouvrier, afin « que le jeune âge » vienne au secours de « l’âge viril
dénué de ressources ». En outre, elle a pour objectif de « combler une lacune » en ajoutant
une dernière étape « à la chaîne de sollicitudes sociales qui protègent l’ouvrier depuis ses
premiers jours jusqu’à sa dernière heure, l’ensemble des associations et des établissements
de bienfaisance qui doivent tant à l’heureuse intervention de l’Empereur et de
l’Impératrice » 2957 . Dans ce but, on invite les jeunes ouvriers de moins de 18 ans, ceux « qui
débutent dans la vie et qui profitent du labeur d’autrui », à verser 10 centimes par semaine ou
5,20 francs par an à la caisse des prêts de l’enfance au travail. Ces sommes, couplées à celles
versées par les membres fondateurs et d’autres donateurs, sont réservées « soit à faire des
prêts destinés à faciliter l’achat des instruments, outils, ustensiles et autres objets mobiliers
ou matières premières nécessaire au travail, soit à venir en aide, pour des besoins accidentels
et temporaires, à des familles laborieuses 2958 ».
2955
ROMAN (Diane), op. cit., p.70 et s. et BORGETTO (Michel), LAFORE (Robert), Droit…, op. cit., p.22.
2956
Circulaire préfectorale du 12 mai 1862 relative la Société du Prince Impériale, RAA de la préfecture de la
Vienne de 1856 à 1870.
2957
Circulaire du 2 octobre 1862, RAA de la préfecture de la Vienne de 1856 à 1870.
2958
Circulaire préfectorale du 12 mai 1862 relative à la Société du Prince Impérial, RAA de la préfecture de la
Vienne de 1856 à 1870.
675

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Des comités locaux doivent se constituer. Ils sont censés être chapeautés par des notables
locaux, « habituellement en relation avec les familles laborieuses », tels que des
manufacturiers, des marchands, des chefs d’ateliers, des membres des conseils des
prud’hommes et des sociétés de secours mutuels. L’objectif étant de fournir aux comités des
renseignements précis sur la réalité des personnes qui se présentent pour obtenir des prêts. A
ces personnes s’ajoutent des dames patronnesses chargées de provoquer et de recueillir les
cotisations 2959 . C’est dans cet esprit que des comités locaux de l’enfance au travail fleurissent
dans toute la Vienne. On peut citer ceux de Châtellerault, Poitiers sud, Lusignan, Saint-julien-
l’ars, Loudun, Moncontour ou Civray. En 1863 2960 , d’autres communes réclament leur mise
en place comme à Mirebeau ou à Biard. Le mouvement semble généralisé dans le
département même si on peut se demander s’il s’est véritablement pérennisé.
Quand l’initiative n’appartient pas à l’Etat ou à ses représentants, ce sont fréquemment
les établissements religieux – comme la congrégation des Filles de la Sagesse dans la
Vienne –, parfois en collaboration avec les services municipaux ou départementaux, qui
agissent en faveur des ouvriers et de leurs familles. Le cas de la petite enfance illustre cette
collaboration que l’anticléricalisme des dernières décennies du XIX e siècle va mettre à mal.
2.1. L’aide à la petite enfance et la jeunesse
C’est à partir des années 1830 que l’Etat fait la promotion des salles d’asile, dans le
prolongement de la loi « Guizot » du 28 juin 1833 sur l’enseignement primaire.
Les salles d’asile 2961 sont destinées à « la garde et la surveillance des enfants qui
appartiennent aux personnes peu fortunées 2962 ». Les préfets vantent les mérites de ces
institutions, refuges mettant les enfants à l’abri des « dangers auxquels leur âge les expose »
et protections contre le « vice et la corruption, suites trop ordinaire de l’abandon pendant les
premières années » 2963 . C’est l’époque où l’avilissement guetterait l’ouvrier dès son plus
jeune âge à en croire les moralistes 2964 . La salle d’asile est donc une institution charitable 2965 à
2959
Circulaire du 3 juin 1862, RAA de la préfecture de la Vienne de 1856 à 1870.
2960
ADV 3X6. Œuvres sociales diverses. Société du Prince Impérial : prêts de l’enfance au travail. Demandes au
préfet de la Vienne du 21 février et du 8 novembre 1863.
2961 e
Voir particulièrement LUC (Jean-Noël), L’invention du jeune enfant au XIX siècle. De la salle d’asile à
l’école maternelle, Paris, 1997, 511 p.
2962
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 29 mars 1833.
2963
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 5 août 1840.
2964
Et cela d’autant plus qu’on estime que l’ouvrière ne remplit pas son rôle de mère : l’ouvrière cesse « d’être
femme et d’être mère » s’indigne Jules Simon in SIMON (Jules), L’ouvrière, Paris, 1861, 338 p.
676

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
vocation moralisatrice et évangélisatrice 2966 bien plus qu’un lieu réelle d’éducation comme
elle tentera de le devenir plus tard. C’est également un moyen de préserver l’ordre public
contre le vagabondage des jeunes enfants turbulents et chapardeurs. C’est enfin un bon moyen
de modeler de futurs travailleurs dociles tout en libérant une main-d’œuvre féminine bon
marché.
La municipalité de Poitiers évoque cette institution dès 1833, mais il faut attendre
1840 pour que le conseil général débloque une somme de 1800 francs pour la création d’une
telle salle dans la capitale poitevine. Leur nombre augmente dans les années suivantes. En
1846, on en dénombre quatre : un asile dit « modèle », un à la Tranchée et deux autres à
Montbernage et à la Cueille 2967 . Ce nombre est manifestement insuffisant car on continue d’y
refuser des enfants. En 1855 Poitiers compte six salles d’asiles 2968 dont quatre sont tenus par
les religieuses de la Sagesse.
La Roche-sur-Yon et Niort sont plus précoces en la matière puisque les deux villes en
disposent d’une depuis 1838 2969 . D’autres suivent à Saint-Maixent, Bressuire, Thouars ou
Melle. En revanche, en 1850, Parthenay n’est toujours pas doté d’une salle d’asile malgré le
vote de 10000 francs destinée à sa mise en place 2970 .
La question des salles d’asile est soulevée en 1841 à Châtellerault, cité où le conseil
municipal déplore un nombre trop important de décès en bas âge 2971 . Le maire se tourne,
malgré quelques réticences 2972 , vers la congrégation religieuse des Filles de la Sagesse pour
réaliser son projet. Un ordre 2973 qui s’occupe déjà d’une institution semblable à Poitiers, dans
le quartier de Montbernage. Fin 1850 le développement du faubourg de Châteauneuf lié à
2965
LUC (Jean-Noël), op. cit., p.13.
2966
Un rôle d’éducation religieuse qui cesse en 1881, année où le terme d’enseignement moral est le seul
employé dans les textes relatifs aux écoles maternelles, cf. LUC (Jean-Noël), op. cit., p.20.
2967
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 13 février 1846. Le budget municipal se réparti ainsi :
l’asile modèle reçoit une somme de 1800 francs, l'asile de la Tranchée 900 francs et les asiles de Montbernage et
de la Cueille sont aidés à auteur de 700 francs Ce budget se maintiendra dans cet ordre de grandeur une bonne
partie du siècle.
2968
Quatre publiques et deux privées.
2969
CHAILLOUX (Cédric), op. cit., p.171.
2970
Séance du conseil d’arrondissement du 22 juillet 1850, ADDS 2N8. Dans les années 1860, le conseil général
de la Vienne fournit annuellement une subvention de 600 francs pour les salles d’asile du département, AM
POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
2971
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 10 février 1841.
2972
Malgré tout on juge leur action utile « quel que soit le motif secret qui pourrait le dicter », AM
CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 21 août 1841.
2973
Les religieuses de la sagesse entrent en 1801 à l’Hôpital général Poitiers puis à l’Hôtel Dieu de la ville en
1803, cf. FAVREAU (Robert) (dir.), op. cit., p.323.
677

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
celui de la manufacture d’armes oblige les conseillers municipaux à solliciter une aide du
gouvernement 2974 . L’année suivante, une somme de 5 000 francs est accordée 2975 .
Le 21 mars 1855, un décret impérial impose une contribution mensuelle due par toutes
les familles dont les enfants fréquentent les salles d’asiles 2976 . Poitiers et Châtellerault vont
alors adopter deux politiques différentes. Paradoxalement la ville des bords de Vienne, la plus
industrielle, où le nombre d’ouvriers est plus conséquent choisit d’appliquer à la lettre le
texte. On y dresse une liste d’enfants dont les parents peuvent payer ladite rétribution
mensuelle d’un franc 2977 . Au contraire, la mairie de Poitiers décide que l’accès aux salles
d’asile doit rester gratuit, le budget de la commune pourvoyant aux dépenses 2978 .
Les salles d’asiles sont vites victimes de leur succès et de leur utilité. En 1859, le
département de la Vienne en compte 28. L’inspecteur d’académie de Poitiers parle d’un
« excellent exemple » pour les huit autres départements que compte l’académie 2979 . En 1860,
les deux salles de Châtellerault s’occupent de près de 700 enfants. Quatre plus tard, le seul
asile de Châteauneuf accueille plus de 500 enfants 2980 . Cet essor poussent Les Sœurs de la
Sagesse à s’endetter auprès de la mairie afin de financer elles-mêmes un agrandissement.
Chaque année, une somme de 200 francs sera remboursée à la commune pour couvrir la
nouvelle acquisition 2981 .
L’avènement de la République et la promotion de l’école qui l’accompagne fait passer
les salles d’asile au second plan, ce qui n’empêche pas, en 1882, le conseil municipal de
Poitiers de maintenir le caractère d’établissement public à ces institutions s’occupant de la
jeune enfance 2982 .
Servant « d’intermédiaire entre les Sociétés de charité maternelles et les asiles 2983 »,
les crèches n’ont pas connu dans la région un très grand développement au grand dam des
2974
Notons que le conseil municipal fait sa demande en date du 2 décembre 1850 anniversaire du couronnement
de l’oncle du président Bonaparte.
2975
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 21 août 1851.
2976
Communication de l’inspecteur d’Académie de Poitiers. AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil
municipal du 8 août 1855.
2977
On dénombre ainsi 34 enfants à l’asile Saint-Jacques et 40 à Châteauneuf dont les parents peuvent payer
cette contribution, AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 18 avril 1856.
2978
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 22 mai 1857.
2979
AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
2980
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 23 octobre 1864.
2981
AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 16 août 1861.
2982
AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 8 mai 1182.
2983
ADV 3X13. Crèches. Circulaire du 14 mai 1849 du ministère de l’intérieur.
678

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
autorités qui tentent de les promouvoir 2984 . Toutefois, là encore ce sont les congrégations
religieuses qui se chargent de cette tache sous l’égide des femmes de la haute société,
inspirées par l’impératrice elle-même. Dans les années 1840, Poitiers et Châtellerault
bénéficient de l’action de sociétés de charité maternelle 2985 , celles de Saint-Jean Baptiste et
celle de Saint-Jacques 2986 . Ces œuvres, où les considérations morales sont prégnantes,
interdisent certaines filles mères et concubines de bénéficier de leur sollicitude.
L’éducation des ouvriers jeunes ou moins jeunes passe également par des cours dits
d’adultes suivis après les heures de travail. Soutenus par les municipalités, ils sont
fréquemment mis en place par des institutions religieuses.
Après quelques balbutiements dans les années 1830 2987 , les classes d’adultes se
développent réellement au milieu du second Empire. En 1854, le conseil général de la Vienne
soutient la classe d’adultes châtelleraudaise tenue par les frères de l’instruction chrétienne et
comptant 130 élèves 2988 . Sept ans plus tard, on compte cinq classes de ce type à Châtellerault.
Trois pour les hommes et deux pour les femmes 2989 . En 1869, il y a dans ces cinq classes 555
élèvent qui suivent des cours de novembre à mars 2990 . A Poitiers, la même année, on affirme
que les cours sont « suivis avec empressement » 2991 . La fin du régime impérial provoque une
remise en cause des bienfaits et de l’efficacité de ces classes sans pour autant qu’elles
disparaissent. En 1873, un rapport explique que les progrès des élèves adultes châtelleraudais
sont nuls et que leur assiduité fait défaut. Le conseil municipal, estimant qu’il ne peut pas les
supprimer, prévoit tout de même d’obliger les « élèves » à payer une somme de un franc pour
s’inscrire à ces cours. On cherche non seulement à compenser les dépenses de la commune
mais aussi à encourager l’assiduité 2992 . La tentative échoue. Toutefois, en 1881, quatre
nouvelles classes sont ouvertes à la demande expresse de la population. Quelques années plus
tard il n’en reste plus que deux, toutes situées dans le faubourg ouvrier de Châteauneuf. Leur
2984 En 1849, une circulaire met en place les crèches pour compléter les institutions existantes en France en
faveur de l’enfance. Ces crèches doivent permettre « de recevoir le nouveau-né pendant que sa mère travaille, de
le garder et de le soigner, sans altérer les liens de famille ». Une autre circulaire de 1862 constate qu’elles
fonctionnent dans trop peu de départements et que peu de personnes ont compris l’intérêt des crèches.
Circulaires du 14 mai 1849 du ministère de l’intérieur, ADV. 3X13 et ADV. 6X6. Œuvres sociales diverses.
2985 La première société de charité maternelle est crée en France en 1788 sur le modèle de la Société
philanthropique dont elle suivra l’évolution, GUESLIN (André), Gens pauvres, pauvres gens.., op. cit., p.217.
2986 ADV. 3X13. Crèches.
2987 Fin 1835, une classe d’adultes voit le jour à Poitiers et semble vivoter pendant 30 ans. AM POITIERS.
Délibérations du conseil municipal du 23 décembre 1835 et du 9 janvier 1836.
2988 AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
2989 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 28 février 1867.
2990 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 5 juin 1869.
2991 AM POITIERS. Délibérations du conseil municipal du 5 juin 1869.
2992 AM CHATELLERAULT. Délibérations du conseil municipal du 29 juillet 1873.
679

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
existence est remise en cause chaque année par le conseil municipal. Au contraire, la
municipalité de Poitiers laisse totalement l’initiative aux religieux 2993 . La capitale poitevine en
compte quatre jusqu’à la fin du XIX e siècle.
Quelques œuvres religieuses s’occupent également d’éducation professionnelle à
l’image de l’ouvroir des Sœurs Saint-Charles à Montmorillon visant à « apprendre à
travailler aux jeunes filles, à leur donner de l’ouvrage, à les soustraire à la misère et à
l’oisiveté et leur enseigner la morale et la religion 2994 ». Il s’agit d’un établissement de jour où
les jeunes filles doivent travailler en silence de sept heures du matin à sept heures et demie du
soir tout en recevant des cours (sic) de lecture et de catéchisme 2995 .
A la fin XIX e siècle des institutions d’obédience catholique aux objectifs plus larges
vont se développer afin d’encadrer, de moraliser et d’aider la classe ouvrière.
2.2. Les cercles catholiques
Comme précédemment évoqué 2996 les cercles catholiques se développent dans le
Poitou dans les premières années de la III e République. Quinze de ces cercles apparaissent en
Vendée entre 1873 et 1900 dont dix dans les trois premières années. Nombreux en Vendée et
dans le nord Deux-Sèvres, ils se mettent en place également dans les trois principales villes de
la Vienne. Faisant de l’encadrement de la classe ouvrière 2997 une de leurs priorités, ils désirent
moraliser cette population dont les repères sont jugés faussés par les doctrines socialistes. Les
disciples d’Albert de Mun souhaitent sauvegarder la foi et propager un idéal contre-
révolutionnaire en favorisant l’instruction et les vertus du travail auprès de la classe ouvrière.
L’évêque de Vendée l’explique au préfet du département en 1871, période, selon lui, « où les
émissaires de l’Internationale secondés par une presse subversive de tout ordre, de toute
autorité, de toute moralité, travaillent nos populations 2998 ».
Ces associations sont généralement patronnées par des notables locaux comme Adrien
Creuzé à Châtellerault, le marquis de Moussac à Montmorillon, ou le Comte de Bejarry,
2993
C’est le cas en 1887 avec l’Ecole chrétienne de la prévôté, AM POITIERS. Délibérations du conseil
municipal du 23 mai 1887.
2994
ADV. 3X6. Œuvres sociales diverses.
2995
En matière d’apprentissage, on peut encore rappeler l’existence de colonies agricoles comme celle des
Bradières dans le canton de Saint-julien-l’ars, ADV. 3X6. Œuvres sociales diverses.
2996
Sur leur création voir supra p 265.
2997
Dans les faits les cercles catholiques attirent principalement des ouvriers issus de l’artisanat.
2998
Lettre de l’évêque de Luçon au préfet de Vendée, ADVd 4M123. Cercles et associations.
680

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
sénateur de Vendée, et par les autorités religieuses, notamment Mgr Pie, évêque de Poitiers et
ardant ultramontain 2999 .
La figure du chanoine de Villeneuve se détache particulièrement à Châtellerault 3000 . Après de
brillantes études cet aristocrate consacre sa vie à prêcher la parole du christ auprès des
ouvriers de la cité coutelière du nord de la Vienne. En 1895, il fonde avec sa propre fortune
un cercle catholique, basé sur des principes corporatistes et paternalistes. On y propose au
travailleur moult activités culturelles et services de prévoyance comme une société de secours
mutuels. A cela s’ajoutent des activités d’enseignement et d’apprentissage. Une école privée
est ouverte par de vieux ouvriers et un cours est mis en place à l’intérieur de la manufacture
nationale d’armes afin de former de jeunes gens à des métiers de l’armement dont « la
Manu » manque 3001 .
Outre la propagation et la défense de la foi, ces cercles désirent regrouper les ouvriers
afin de les instruire 3002 , de leur offrir des loisirs honnêtes et de leur « apprendre » à respecter
leur travail et leur patron en évitant les conflits, en soumettant cette relation « aux lois de la
justice 3003 ». Les statuts du cercle de Fontenay-le-Comte l’expriment clairement : « Apprendre
à honorer le travail et l’atelier […] en marchant sur les traces de Jésus ouvrier et des saints
patrons du labeur manuel 3004 ».
Ces organisations catholiques ainsi que les syndicats mixtes qui s’inscrivent dans leur
continuité essaient également de promouvoir l’esprit mutualiste. C’est dans ce cadre qu’elles
prévoient parfois des moyens destinés à compenser les effets du chômage. La corporation
Sainte-Radegonde, c'est-à-dire le syndicat mixte des arts et métiers du bâtiment, accorde deux
francs par jour ouvrable à tout ouvrier au chômage à partir du troisième jour d’inactivité 3005 .
En 1891 et 1892, une petite vingtaine de personnes en bénéficie. Mais surtout les membres du
patronat appartenant à ce groupement s’engagent à essayer de fournir du travail aux ouvriers
qui en sont dépourvus. Un sentiment paternel doit les habiter dans ces cercles que l’on
compare à une famille. Cette solidarité confraternelle s’applique à l’intérieur de toute la
2999
Même si celui-ci garde ses distances avec le parti royaliste.
3000
Arthur Edmond Vallet de Villeneuve est originaire de d’Indre où il naît en 1865. Descendant d’une illustre
famille, sa grand tante n’est autre que la baronne Dudevant alias George Sand) et sa mère est issue de
l’aristocratie impériale. Il meurt en 1937. Cf. GUILLON (André), MEUNIER (Paul), op. cit., p.33.
3001
GUILLON (André), MEUNIER (Paul), op. cit., p.34.
3002
Des institutions comme « l’œuvre des journaux de la veille » sont mises en place. Celle-ci consiste à obliger
tout sociétaire à offrir ses propres journaux de la veille à des ouvriers.
3003
Syndicat professionnel mixte des arts et métiers du bâtiment, MARION (Jacques), op. cit., p.104.
3004
ADVd 4M115. Cercles et associations.
3005
Pour une durée maximale de 15 jours ou une somme de 30 francs.
681

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
communauté catholique d’une ville. Ainsi en 1891 les fourneaux économiques mis en place
par la Société Saint-Vincent-de-Paul emploient des membres sans travail de la Corporation
Sainte Radegonde.
Ce patronage, puisant ses origines dans la religion ou dans la tradition
compagnonnique, vit ses dernières heures à l’aube du XX e siècle. Combattu par la République
qui y voit un des derniers bastions monarchistes et cléricale cette conception ne disparaît pour
autant du monde du travail. Le pouvoir tutélaire exercé sur le travailleur se transforme pour
s’incarner uniquement dans la figure patronale. L’ancienne morale chrétienne se combine
alors aux nécessités impérieuses pesant sur les industriels 3006 aboutissant au paternalisme,
dont certains caractères apparaissent dans les politiques de logement de l’ouvrier ou pendant
certains mouvements revendicatifs 3007 .
Cependant le patronat est très loin de former un corps uni. On peut passer du patron,
personnage tutélaire et bienfaisant, telle Madame Bailly aux mines de Faymoreau, au
directeur froid et distant, en passant par le maître artisan que peu de choses distinguent de ses
ouvriers. Certains rejettent en bloc tout rapprochement autre que professionnel avec leurs
ouvriers à l’image du directeur des mines de Saint-Laurs en 1889. Celui-ci affirme ne rien
faire pour améliorer la situation des ouvriers et de leurs familles. Pour lui l’amélioration des
conditions de vie pousse immanquablement le travailleur à revendiquer. « Les usines qui sont
le plus à l’abri des grèves, sont celles où l’ouvrier est habitué à ne gagner qu’un faible
salaire et celles où on lui procure le moins de bien être 3008 », soutient-il.
Infantilisé ou méprisé l’ouvrier cherche à présider à sa destinée par fierté ou par
simple souci d’efficacité. Poussés en cela par les discours appelant les travailleurs à se
prendre en main par plus d’entraide et de prévoyance, des sociétés de secours mutuels et des
organismes coopératifs se développent. Ceux-ci s’affranchissent lentement de la tutelle
financière et morale des élites pour constituer un moyen efficace d’amélioration des
conditions générales de vie tout favorisant l’émergence d’un réel esprit de classe.
3006
Comme la nécessité de disposer d’une main-d’œuvre fixe et moins volatile.
3007
Cf. supra p.620 et infra p.789.
3008
ADV J740. Don du doyen René Savatier. Œuvres catholiques. Questionnaire adressé par Foujot au comte de
Grimoüard, à l’occasion de l’assemblée du Poitou lors du « contre centenaire » de 1789 organisé par l’Œuvre des
cercles catholiques d’ouvriers, cité par CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-
Charentes (1884-1914), op. cit., p.108.
682

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
B- Une volonté d’indépendance
Lentement la classe ouvrière prend conscience de ses spécificités et des bienfaits que
l’union permettrait d’accomplir. Siècle des utopies, le XIX e offre maints exemples de théories
politiques, sociales et philosophiques fondées sur la contestation de la propriété privée. Ainsi
naissent des idéaux communautaires où le travailleur s’affranchit de ses maîtres et trace son
propre chemin. Le rêve coopératif et celui plus réaliste du mutualisme, cher à Proudhon,
peuvent alors tenter de se réaliser.
a) L’idéal mutualiste
Si la prévoyance est mère de toutes les vertus et que le mutualisme porte
indiscutablement ses fruits, les sociétés de secours mutuels, sont, en revanche, fréquemment
suspectées d’abriter des organes de résistances, ayant des visées révolutionnaires ou
simplement une organisation interne destinée à soutenir des mouvements revendicatifs,
coalitions ou grèves.
1. Des sociétés de secours sous surveillance
Les groupements d’inspiration mutualiste n’échappent pas au climat de suspicion
pesant sur une bonne partie du XIX e siècle. Jusqu’à la chute de Napoléon III, ces groupements
d’ouvriers suscitent au plus haut point la méfiance des autorités. Baignant dans une quasi
clandestinité et visant par définition à collecter des fonds, les sociétés de secours mutuels
peuvent être facilement confondues avec des sociétés secrètes, de propagande politique ou de
résistance destinées au soutien des coalitions. L’exemple des canuts lyonnais renforce et
confirme cette opinion 3009 . Soumises normalement au régime de l’autorisation
gouvernementale, en vertu de l’article 291 du Code pénal prohibant toute association de plus
de 20 personnes, les sociétés de secours mutuels font l’objet d’une surveillance zélée des
pouvoirs publics comme l’illustre une circulaire de 1812 3010 .
3009 HATZFELD (Henri), op. cit., pp.195-196.
3010 Circulaire du 31 octobre 1818 adressée au baron Mallarmé, préfet de la Vienne, ADV 4X1. Sociétés de
secours mutuels. Correspondances du préfet.
683

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Dès les premières années d’existence de la Société philanthropique de Poitiers, ses
membres se défendent de toute implication politique 3011 . Cette précision témoigne de la
défiance qui existe envers ces associations même si beaucoup de notables locaux font partie
des bienfaiteurs de la société de la capitale poitevine.
En 1846, le ministère de l’Intérieur s’intéresse à la Société philanthropique de Châtellerault. Il
craint qu’elle se détourne de ses buts sociaux « pour ne s’occuper que de communisme 3012 ».
Le préfet n’y croit pas et rassure le ministre en mettant en avant les statuts qu’on lui a fournis.
Une bien faible preuve tant il est évident que d’éventuelles activités politiques n’allaient pas
être déclarées au grand jour.
Cette défiance est parfois atténuée par certaines consignes ministérielles. Ainsi, en
1834, il est précisé que les sociétés industrielles, littéraires, de bienfaisance ou de secours
« très communes chez les ouvriers » et ayant pour but « le soulagement des pauvres, le
secours entre les ouvriers » ne doivent pas faire l’objet de la vigilance de l’administration 3013 .
L’intermède français du printemps des peuples assure momentanément la liberté
d’association. Le décret du 28 juillet 1848 supprime tout contrôle ministériel ou administratif.
Les associations mutualistes sont alors libres de se former sans contrainte. Mais là, comme
ailleurs, l’élan fraternel ne dure que l’espace d’une saison. Déjà la loi du 15 juillet 1850
hiérarchise les sociétés de prévoyance. Certaines sont reconnues d’utilité publique, ce qui leur
octroie des avantages juridiques et économiques tout en accentuant la main mise de l’Etat sur
leur fonctionnement. Mieux connues, elles peuvent être mieux contrôlées. Quant aux autres,
leur existence soumise au droit commun les laisse entièrement soumise à la bonne volonté des
autorités. Outre l’obligation qui leur est faite de fournir annuellement leurs comptes au
contrôle préfectoral elles peuvent être librement dissoutes par le gouvernement 3014 . Le seul
fait de rester libre est perçu comme un indice d’insoumission et de rébellion 3015 . Toutefois le
texte n’a guère d’influence dans les faits. Seules neuf sociétés choisissent ce nouveau
statut 3016 . La liberté prime encore.
3011 Rapport de 1837, ADV 4X67. Sociétés de secours mutuels et philanthropiques de Poitiers.
3012 Missive du ministère de l’Intérieur au préfet de la Vienne du 28 décembre 1846, ADV M4.50 :
Correspondances du préfet (1845-1847).
3013 Circulaire d’application du 29 avril 1934 concernant la loi du 10 avril 1834 relative aux associations, ADDS
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3014 C’est le Conseil d’état qui se charge de prononcer la dissolution en vertu de l’article 12 de la loi du 15 juillet
1850.
3015 ADV 4X1. Sociétés de secours mutuels. Correspondances du préfet.
3016 DELBREL (Yann), La mutualité à Bordeaux…op. cit., p.146.
684

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Puis l’Empire paraît et avec lui le temps de l’approbation étatique des sociétés de
secours mutuels définies par le décret du 25 et 26 mars 1852. Le premier abroge le décret du
28 juillet 1848. Le second octroie aux préfets la charge de les approuver et de les contrôler.
Les maires et les prêtres doivent susciter leur mise en place dans les municipalités et les
conseillers généraux les subventionner. Un bon moyen pour l’Empereur et son administration
de contrôler au plus près les associations mutualistes afin d’atténuer leur potentiel de
nuisance, réel ou supposé 3017 . C’est dans cette optique que l’on insiste pour que ces sociétés
s’organisent par circonscription, ville ou quartier et non par métiers afin d’éviter la
reformation des anciennes corporations. En effet, il est plus facile pour des ouvriers d’une
même profession de revendiquer et de se coaliser que pour des individus proches
géographiquement mais n’ayant pas les mêmes occupations et intérêts.
L’Etat étend les pouvoirs préfectoraux en la matière. Une circulaire du 28 octobre
1852 abroge l’article 12 de la loi de juillet 1850. Désormais, il revient au préfet de dissoudre
les sociétés, à l’exception de celles reconnues d’utilité publique, sans passer par le Conseil
d’état mais après seulement en avoir informé son autorité de tutelle 3018 .
L’opinion des membres de chaque société est connue des services préfectoraux. A
Loudun, sous le second Empire, deux d’entre elles s’opposent. D’un côté celle de Saint Laon,
composée, selon le sous-préfet, « d’ouvriers légitimistes et de dignitaires », et de l’autre celle
de la ville de Loudun constituée « d’ouvrier constitutionnalistes, non républicains » avec un
président « républicain mais non socialiste » 3019 .
Dans l’ancienne province du Poitou les sociétés de secours mutuels suspectes sont
plutôt rares même si elles peuvent être considérées, ici comme ailleurs, comme des moyens
efficaces de propagande, ne serait-ce qu’en raison de l’état de faiblesse des malades ou des
accidentés qu’elles peuvent secourir 3020 .
Dans les campagnes les sociétés de prévoyance pâtissent d’une mauvaise réputation.
On en fait des foyers de désordre, des nids de révolutionnaires que l’on surveille de très près à
l’image du juge de paix de Saint-Savin, terriblement inquiet de la création d’un tel organisme
dans sa bourgade. L’homme zélé et très profondément dévoué au régime de Napoléon III fait
état de ses inquiétudes dans une lettre adressée au préfet le 1 er avril 1850 :
3017 Plus généralement le droit d’association est plus strict. On revient sur les acquis de 1848.
3018 ADDS 4X1. Société de secours mutuels. Instructions [1850 ; 1912].
3019 ADV 4X66. Sociétés de secours mutuels de Loudun. Les deux sociétés fusionnent en 1873.
3020 ADV. 4X22.Société de secours mutuels de Châtellerault. Lettre du maire de Châtellerault du 11 octobre
1851.
685

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
« Il est à craindre que ces sortes de sociétés ne finissent par prendre
un caractère politique. […] Dans tous les cas, et quoiqu’il advienne,
je suis trop ami de l’ordre et pénétré de mes devoirs pour ne pas
surveiller le mouvement moral que pourrait faire l’association à
Saint-Savin, et pour ne pas en donner immédiatement connaissance
aux autorités administratives et judiciaires supérieures 3021 ».
Ailleurs, la surveillance est liée aux enjeux de politique locale. A Saint-Georges, dans la
Vienne, le juge de paix estime que la pétition mise en place afin de former une société de
secours mutuels est faite dans le seul but « de constater qu’il existe une opposition à l’autorité
municipale […] en prévision des prochaines élections ». Il parle même d’une « main
invisible » poussant des ouvriers « lâches et turbulents » 3022 .
Sauf exceptions, seules les sociétés de la ville de Châtellerault semblent régulièrement
et sérieusement suspectées d’avoir des objectifs politiques ou revendicatifs.
A Fontenay-le-Comte, l’organe de prévoyance des chapeliers joue un rôle majeur dans
la coalition de 1859 et la grève de 1874 en versant une aide financière aux ouvriers ayant
cessé le travail 3023 . C’est une véritable institution de résistance, tout comme celle formée sous
le second Empire à Chauvigny par les ouvriers du bâtiment et les carriers 3024 . De même, dans
les années 1830, une société philanthropique niortaise, plus ou moins secrète, entretient des
relations avec la Société des droits de l’homme 3025 . En 1897, la police saisit à Niort, les
papiers d’associations ouvrières ayant pour objectif « d’obliger les chefs d’ateliers à payer le
prix de façon qui leur devraient être imposé 3026 ».
Dès 1851, la Société Philanthropique de Châtellerault est considérée par le sous-préfet
comme un « foyer d’insurrection ». Son nouveau président 3027 est jugé comme un
« démagogue fort exalté ». L’un des sociétaires est même condamné pour propos séditieux :
l’amende est payée par la société d’entraide. Toutefois, les preuves pouvant étayer ces
soupçons sont biens minces malgré les allégations du fonctionnaire ; le préfet ne jugeant pas
une éventuelle dissolution d’une « nécessité absolue ». Cette décision n’arrête pas pour autant
3021
ADV. 4X30. Sociétés de secours mutuels.
3022
Lettre du juge de paix de Saint-Georges au préfet de la Vienne du 4 février 1870, ADV. 4X30. Sociétés de
secours mutuels.
3023
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.611.
3024
JOUTEAU (Pol), op. cit., p.125.
3025
ADDS 11M19.13 A. Conflits et grèves.
3026
TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit.
3027
Le président en question est un maître de musique nommé André.
686

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
le sous-préfet qui persiste en abreuvant son supérieur de rapports destinés à prouver la
dangerosité du président « aux détestables doctrines socialistes » coupable de propagande
jusqu’au chevet des malades. Néanmoins, il finira par abandonner, estimant finalement
qu’une dissolution ne provoquerait que la création d’une nouvelle société libre encore moins
contrôlable 3028 .
La Société de Prévoyance et de secours mutuels des Ouvriers de la Manufacture
bénéficie de moins de mansuétude. Cet organisme créé en 1849, autorisé en 1850, est dissout
en janvier 1852 3029 . Une fermeté extraordinaire dans la région s’expliquant par le caractère
hautement sensible de la manufacture d’armes et les enjeux politiques locaux. En effet, le
sous-préfet s’est inquiété à plusieurs reprises de ne pas pouvoir dresser de liste des membres
de la société de prévoyance. Selon lui, elle compterait « beaucoup d’individus étrangers au
service de la manufacture » et ceux y travaillant y seraient « fort mal notés » 3030 . En réalité
elle comprend simplement des individus ayant voté contre le prince président lors du
plébiscite des 20 et 21 décembre 1851. Une attitude suffisante pour faire des membres de la
société un « contingent assuré à l’armée du désordre 3031 ». Cette opinion est renforcée par la
démission du premier président qui, parait-il, « a remarqué dans les réunions une tendance à
se livrer à des discussions politiques ». L’administration estime également que le président de
fait 3032 est le cabaretier qui prête son local aux réunions, local où l’on trouve des journaux
d’opposition illégaux 3033 . Un homme, ancien armurier rayé des cadres, qui n’offrirait
« aucune garantie sur le rapport de l’ordre et de la moralité 3034 ». Le maire de Châtellerault
alimente lui aussi la suspicion à l’égard de la Société de prévoyance. Celle-ci se livrerait
forcément à des activités politiques prohibées. Il étaie ses soupçons en se basant à la fois sur
la présence aux réunions d’individus ne travaillant pas à la manufacture et sur le prix de la
cotisation fixée à 28 centimes par mois. Une somme jugée trop faible pour alimenter
raisonnablement une caisse de secours. L’institution de prévoyance ne serait qu’une
couverture à des activités politiques.
3028
ADV. 4X22.Société de secours mutuels de Châtellerault.
3029
Lettre du commissaire de police de Châtellerault du 25 janvier 1852. Chacun des 270 membres a reçu 8F10
émanant du partage du fond de réserve, ADV. 4X22.Société de secours mutuels de Châtellerault.
3030
ADV. 4X22.Société de secours mutuels de Châtellerault.
3031
ADV. 4X22.Société de secours mutuels de Châtellerault. Note du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la
Vienne du 9 janvier 1852.
3032
Et ex vice-président.
3033
Une circulaire du ministère de l’Intérieur du 15 mars 1850 précise que les sociétés de secours mutuels de
doivent pas : être affiliées entre elles, être abonnées à des journaux politiques et qu’on y lise des écrits politiques
en réunion, ADDS 4X1. Société de secours mutuels. Instructions [1850 ; 1912].
3034
Le cabaretier Pierrot Hélin a également purgé une peine de six mois d’emprisonnement à la maison d’arrêt
de Châtellerault. Il a été condamné le 31 juillet 1848 pour attroupement, voies de fait et avoir empêché des
citoyens d’accomplir leurs devoirs civiques.
687

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Cette méfiance à l’égard des institutions de prévoyance d’inspiration mutualiste ne
s’arrête pas avec la fin du second Empire même si cette suspicion baisse d’intensité dans les
premières années de la III e République. Le souci majeur des autorités porte sur leur
présidence, fruit d’une élection depuis un décret du 27 octobre 1870.
C’est encore la ville de Châtellerault qui est dans l’œil du cyclone. En 1872, le
président de la Société de secours mutuels 3035 est considéré par le sous-préfet comme un
individu méconnaissant notoirement le gouvernement en place. Il s’oppose pêle-mêle à
Gambetta et à la loi de 1870 sur la libre élection des présidents de société de secours
mutuels 3036 . Le préfet de la Vienne doit intervenir afin de régler le différend opposant le
président, nostalgique de Bonaparte, et ses propres sociétaires (ils sont près de 700) désirant
ardemment choisir une nouvelle direction.
Si le ministère de l’Intérieur et l’administration préfectorale contrôlent attentivement
la couleur politique et la supposée dangerosité des sociétaires, leur principale tâche consiste
avant tout à examiner la conformité des statuts qui leur sont fournis. Obliger la modification
d’un ou de plusieurs articles apparaît comme « la sanction » la plus courante dans une région
peu prompte à s’enflammer socialement. Les secours aux chômeurs expressément prévus sont
systématiquement refusés. Les pouvoirs publics craignent trop la mise en place de fonds de
réserve destinés à couvrir le manque à gagner des ouvriers en cas de coalitions. Les exemples
sont multiples où le ministre de l’Intérieur exige la modification des statuts pour cette raison.
Notons que les ouvriers continuent malgré tout de prévoir cette clause tout au long du XIX e
siècle jusqu’à l’avènement du syndicalisme. C’est le cas, par exemple, à propos des statuts de
la Société de Secours Mutuels, Corporation Ouvrière de Poitiers en 1883 3037 où le ministère
de l’Intérieur a exigé qu’il soit clairement mentionné l’absence de secours pour cause de
chômage 3038 . Même chose en 1874 à Saint-Maixent. Dans ce cas le préfet des Deux-Sèvres
indique clairement que si les sociétaires persistent dans leur intention de venir en aide aux
3035
Pingault est un industriel local qui dirige une manufacture de coutellerie de table et une usine hydraulique.
3036
ADV. 4X22.Société de secours mutuels de Châtellerault. Lettre du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la
Vienne du 10 septembre 1872.
3037
ADV. 4X68. Sociétés de secours mutuels de Poitiers.
3038
Lettre du ministère de l’Intérieur au préfet de la Vienne du 13 septembre 1883, ADV. 4X68. Sociétés de
secours mutuels de Poitiers.
688

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
indigents et aux sans emploi ils se placeraient en dehors du cadre du décret du 26 mars 1856
ce qui soumettrait la société à une autorisation spéciale et toujours révocable 3039 .
A ce contrôle de légalité s’ajoute celui des libéralités reçues par lesdites sociétés. En
cas de dons ou de legs les préfets doivent examiner la réalité du consentement des parties,
l’état financier des successeurs et la présence éventuelle de conditions formulées par le
légataire 3040
Les sociétés de résistance, visant à soutenir financièrement des coalitions, semblent
rares dans le Poitou, tout comme les coalitions elles-mêmes 3041 . Quant aux véritables sociétés
révolutionnaires, outre leur rareté, elles préfèrent rester secrètes pour fomenter dans l’ombre
leurs noirs projets plutôt que d’attirer d’une quelconque façon l’attention des autorités,
particulièrement soupçonneuses dans ces départements où toute manifestation politique paraît
suspecte.
Les sociétés de secours mutuels poitevines semblent donc se cantonner à leur seul rôle
mutualiste. Le nombre très fiable de dissolution en témoigne. Seuls les statuts sont contrôlés
et soumis à des changements rédactionnels afin que les sociétés finissent pas être approuvées.
Surveillé, encouragé, mais peu bridé, le tissu mutualiste développé sous l’empire constitue
pour la suite un terreau favorable à l’éclosion d’institutions aux visées purement sociales.
2. La société de secours mutuel, « le plus puissant moyen
d’assistance, le plus digne de l’ouvrier 3042 »
Si le second Empire a permis la multiplication des sociétés de secours mutuels, le
relatif manque d’efficacité des caisses d’épargne 3043 y a également contribué. L’ouvrier
poitevin est réticent à y placer ses économies comme le constate le conseil général de la
Vienne en 1840 3044 . En Vendée cette réserve envers l’institution de prévoyance est même
considérée par l’administration comme de l’irresponsabilité. Avant 1848, à La Roche-sur-
3039 Examen par la préfecture des Deux-Sèvres du projet de société de secours mutuels de Saint-Maixent, lettre
adressée au maire de la ville le 16 janvier 1874, ADDS 11M8.1. Syndicats professionnels : correspondances,
rapports, listes [1848 ; 1884].
3040 A.D.V. 4X22.Société de secours mutuels de Châtellerault. Avis en date du 22 mai 1882 émanant du sous
préfet de Châtellerault sur un legs à la Société de Prévoyance et à la Société des Retraités de la Manufacture.
3041 Voir infra p.715.
3042 Discours du préfet de la Vienne devant le conseil Général de la Vienne (1860).
3043 La Caisse d’Epargne de Paris est fondée en 1818 par le duc de La Rochefoucauld-Liancourt et Benjamin
Delessert. Elle est dans un premier temps réservé aux ouvriers.
3044 Réponse à la circulaire ministérielle du 6 août 1840 sur les causes du paupérisme dans les départements, AM
POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
689

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Yon, la caisse d’épargne ne compte que 6% d’ouvriers et d’employés. Plus de la moitié des
dépositaires sont des militaires 3045 . L’ouvrier urbain craint de voir disparaître ses économies ;
celui un peu plus aisé des campagnes rêve plutôt de terre que de livret.
En outre, les sommes déposées sont généralement faibles car la majeure partie du salaire est
affectée aux dépenses quotidiennes. Le travailleur industriel isolé ne peut pas thésauriser
suffisamment pour faire oeuvre utile ou bien alors à très long terme. Ses besoins sont
immédiats et seule une mise en commun des économies peut permettre de disposer d’une
caisse de secours réellement fructueuse. A cela s’ajoute la nature facultative des versements
aux caisses d’épargne. Une « libre disposition des fonds [qui] se prête trop à l’entraînement
ou à la dissipation 3046 ». Il est trop rentant de retirer ses placements au moindre besoin
d’argent.
Néanmoins, en 1848, le département des Deux-Sèvres compte trois caisses d’épargne
créées à Melle en 1834 et à Niort et Bressuire en 1835, période où l’Etat les reconnaît d’utilité
publique tout en leur garantissant les fonds placés 3047 . En revanche, aucune institution de ce
genre à Parthenay ou à Saint-Maixent, deux cités où les ouvriers sont en nombre conséquent.
En Vendée, sous le règne de Louis-Philippe, les cités de La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-
Comte possèdent de telles caisses, fondées respectivement en 1835 et 1836. En 1865, il y
quatre caisses d’épargne dans le département de la Vienne, à Poitiers, Châtellerault, Civray et
Montmorillon, la dernière créée. A l’époque on y dénombre 6377 livrets, soit un pour 55
habitants 3048 . Cette moyenne a tendance à baisser légèrement d’années en années 3049 . Six
années plus tard le département en compte une de plus à Loudun ainsi que de nombreuses
succursales dans de nombreux bourgs afin de remédier à l’éloignement des caisses d’épargne
principales.
3045
CHAILLOUX (Cédric), op. cit., p.137.
3046
DREYFUS (Ferdinand), op. cit, p.186.
3047
Sous la monarchie de Juillet le nombre de caisses d’épargne passe de 13 à 359, DREYFUS (Ferdinand), op.
cit., p.12.
3048
AM POITIERS CO268. Délibérations du conseil général de la Vienne [1840 ; 1865].
3049
Le pourcentage est très légèrement inférieur à celui fourni par Duveau dans son ouvrage. L’auteur compte
2,1% de livrets dans toute la population française, alors que dans la Vienne le rapport est de 1,8%, cf. DUVEAU
(Georges), op. cit., p.403.
690

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
2.1. L’essor des sociétés d’entraide et de prévoyance
Le second Empire a favorisé l’éclosion des sociétés de secours mutuels partout en
France. En 1891, une liste de 53 sociétés autorisées est dressée dans la Vienne, on en
dénombre plus d’une vingtaine créées sous le second Empire 3050 , sans compter sur celles qui
ont pu disparaître ensuite.
Cependant, cet essor de la mutualité a été façonné selon les vues de l’empereur. Dans la
région les sociétés d’entraide sont très majoritairement approuvées. Là, comme ailleurs 3051 ,
l’administration a eu raison du plus grand nombre des sociétés uniquement autorisées. Dans
les Deux-Sèvres on en dénombre quatre pour 23 sociétés approuvées dans les mois qui
précédent la défaite de Sedan. Après 1900 le même département compte une quarantaine de
sociétés approuvées pour dix libres 3052 . Même situation en Vendée où en 1870 le département
ne compte que quatre sociétés libres regroupant 193 personnes contre 23 approuvées 3053 .
En outre, ces sociétés numériquement majoritaires sont généralement communales,
rarement professionnelles. Les consignes impériales ont porté leurs fruits. Les corporations de
métiers ne sont pas réapparues par le biais du mutualisme. Même constat en Vendée dix ans
plus tard, même si dans le laps de temps deux sociétés de chapeliers sont apparues.
Tableau 83 : liste des société de secours mutuels uniquement autorisées du
département de la Vendée en 1870 :
Désignation Siège
Société de secours
mutuels
Date Profession
Membres
Fondation Approbation
Honoraires Hommes Femmes
Cugand 1841 1841 (textile ?) 5 113 -
Idem Napoléon 1845 1851 Cordonniers - 21 -
Idem
Mareuil 1846 - - 36
Idem
(sapeurs pompiers)
Montaigu 1856 1856 Pompiers - 23 -
Source : ADVd 24X1. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1870 ; 1871].
L’ouvrier en tant que tel ne semble pas avoir pleinement profité de l’élan mutualiste
impulsé par Louis Napoléon Bonaparte. Les sociétés regroupant uniquement des professions
3050 ADV 4X3. Sociétés de secours mutuels. Enquêtes et statistiques.
3051 Un rapport national sur les sociétés de secours mutuels en 1870 montre qu’il y a trois fois plus de membres
actifs dans les sociétés approuvées que dans celles autorisées, ADV 4X1. Sociétés de secours mutuels.
Correspondances du préfet.
3052 ADDS 4X4. Société de secours mutuels. Statistiques et situations financières [1904 ; 1908].
3053 ADVd 24X1. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1870 ; 1871] et ADVd 24X32. Société de secours
mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
691

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
industrielles sont rares 3054 . Ce sont avant tout les professions libérales, les fonctionnaires,
agents de l’Etat et les employés communaux qui profitent du développement de la mutualité
initié sous le second Empire. En 1896, on ne compte dans la Vienne que treize sociétés de
secours mutuels propres au monde ouvrier 3055 . Douze d’entre elles sont localisées dans le seul
arrondissement de Châtellerault et sont très souvent liées à la métallurgie. Citons, par
exemple, celle des retraités de la manufacture d’armes compte 181 membres lors de sa
création en 1870, puis 407 en 1891 3056 .
3054
Citons en 1866 la Société civile d’épargne et de crédit mutuel de Saint-Laurent-sur-Sèvres regroupe des
tisserands. En revanche la Société de prévoyance de Châtellerault, fondée en 1870 essentiellement par des
ouvriers et artisans se veut « généraliste ». Ses statuts (art.2) indiquent qu’elle est ouverte non seulement aux
« ouvriers pouvant vivre honorablement de leur travail », mais aussi aux employés de l’administration publique
et aux propriétaires, ADV. 4X22. Société de secours mutuels de Châtellerault.
3055
Classées dans la catégorie 1 conformément à la circulaire ministérielle du 25 mai 1896, ADV 4X1. Sociétés
de secours mutuels. Correspondances du préfet.
3056
ADDS 4X3. Sociétés de secours mutuels. Statistiques et situations financières [1876 ; 1879] & [1902 ;
1903].
692

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Tableau 84 : liste des société de secours mutuels approuvées du département de
la Vendée en 1869 :
Désignation Siège
Date
Fondation Approbation
Profession
Honoraires
Membres
Hommes Femmes
Société de secours
mutuels
Fontenay-le-
Comte
1843 1860 Diverses 115 359 -
Idem Napoléon 1849 1852 Idem 54 431 -
Idem Montaigu 1853 1853 Idem 4 36 -
Idem
(sapeurs pompiers)
Les Sablesd'Olonne
1854 1855 Pompiers 42 -
Idem
Idem
Cugand 1855 1855 Idem 14 118 -
(dames et
demoiselles)
Montaigu 1856 1856 Diverses 20
Idem
(ouvriers et marins)
Les Sablesd'Olonne
1858 1858 Idem 24 224 -
Idem
Société de
prévoyance et de
Challans 1859 1859 Idem 17 122 -
secours mutuels des
médecins du
département
Napoléon 1860 1860 Médecins 55 -
Société de secours
mutuels
Luçon 1860 1861 Diverses 74 221 -
Idem Chantonnay 1861 1861 Idem 38 74 -
Idem Les Essarts 1863 1864 Idem 34 91 -
Idem
Sainte
Hermine
1863 1864 Idem 26 168 -
Idem
Chaillé les
marais
- 1864 Idem 25 89 -
Idem
(sapeurs pompiers)
Napoléon - 1865 Pompiers 44 -
Idem Les Herbiers - 1865 Idem 28 173 -
Idem
La Chaize-le-
Vicomte
- 1865 Idem 29 98 -
Idem
La
Châtaigneraie
- 1866 Idem 44 121 -
Idem Bournezeau - 1866 Idem 17 50 -
Idem Pouzauges - 1866 Idem 17 79 -
Idem
(instituteurs)
Napoléon 1866 1866 Instituteurs 139 182 34
Idem Tiffauges 1867 1867 Idem 8 75 -
Idem Rocheservière 1868 1868 Idem 9 30 -
TOTAL 23 714 2932 54
Source : ADVd 24X32. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
Parmi les neuf sociétés d’entraide que compte Niort en janvier 1884 3057 , cinq
regroupent des professions particulières : cordonniers, coiffeurs, tailleurs d’habits et
mouleurs. Deux d’entre elles sont proches du modèle corporatif ou confraternel 3058 .
Néanmoins 80% des sociétaires niortais sont regroupés dans deux organismes
« généralistes » : la Société de Secours Mutuel 3059 et la Société Philanthropique 3060 . Ces deux
3057 ADDS 11M8.1. Syndicats professionnels : correspondances, rapports, listes [1848 ; 1884].
3058 la Confrérie de saint Crépin regroupe 102 personnes maîtres comme ouvriers cordonniers, et la société Saint
Louis réunit dizaine de coiffeurs.
3059 802 sociétaires.
3060 1705 membres.
693

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
institutions sont parmi les plus importantes du Poitou 3061 avec la Société Philanthropique de
Poitiers 3062 , celle de Châtellerault 3063 , celle de Civray 3064 et celle des cantonniers vicinaux de
la Vienne 3065 . Au 1 er janvier 1904 sur la quarantaine de sociétés recensées dans l’ensemble du
département des Deux-Sèvres seules cinq ne sont composées que d’ouvriers ou ne sont
propres qu’à certains de ses métiers 3066 .
Tableau 85 : classement par catégories de sociétés de secours mutuels, autres que
municipales, du département de la Vienne en 1896 :
Catégories Arrondissement
1
(« professions s’exerçant
sur le sol, sur la mer et
sur les matières
premières »)
2
(habitation, habillement,
alimentation)
3
(professions libérales,
administrations, retraité,
artistes…)
Nombre
de
sociétés
694
Nombre de
membres
Châtellerault 12 892
Poitiers 1
43
Professions concernées
Appartiennent essentiellement à
la métallurgie
Habillement
Châtellerault 1 185 Retraités de l’Etat
Poitiers
et département de
la Vienne
6 1330
Source : ADV 4X1. Sociétés de secours mutuels. Correspondances du préfet.
Médecins ; cantonniers vicinaux
(871 personnes) ; instituteurs ;
anciens combattants des
colonies ; anciens des chemins de
fer
A partir des années 1880 on assiste à une seconde vague de créations de sociétés
d’entraide et de prévoyance, presque toutes municipales, rarement spécifiques à des
professions particulières. Une vingtaine d’entre elles apparaissent entre 1880 et 1891 dans la
Vienne 3067 , date à laquelle le département compte moins de 10 000 sociétaires. Ces derniers
sont répartis 3068 dans 66 sociétés dont 20 seulement autorisées. L’arrondissement de
3061 e
Niort deviendra au XX siècle une des capitales de la mutualité française.
3062
873 adhérents en 1891.
3063
697 sociétaires.
3064
727 adhérents. La présence mutualiste dans cette cité illustre bien qu’il n’y pas forcément corrélation entre le
développement des sociétés de secours mutuels et le monde ouvrier.
3065
844 sociétaires.
3066
ADDS 4X4. Société de secours mutuels. Statistiques et situations financières [1904 ; 1908].
3067
ADV 4X3. Sociétés de secours mutuels. Enquêtes et statistiques.
3068 En 1897.

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Châtellerault compte 40% des ces institutions 3069 . Les armuriers de Châtellerault créent à eux
seuls six sociétés de secours mutuels entre 1888 et 1895 regroupant près de 300 membres 3070 .
Tableau 86 : état récapitulatif des sociétés de secours mutuels approuvées du
département des Deux-Sèvres pour l’année 1879 :
Désignation Siège
Année
d’approbation
Profession
Membres
Honoraires Hommes Femmes
Philanthropique Niort 1854 Diverses 124 796 836
Idem Saint-Maixent 1856 Idem 70 298
Société de secours
mutuels
Parthenay 1854 Idem 69 190 169
Philanthropique Melle 1854 Idem 56 118
Société de secours
mutuels
La Mothe-Saint-
Héray
1857 Idem 33 219
Philanthropique Bressuire 1856 Idem 47 140 152
Société de secours
mutuels
Lezay 1858 Idem 10 50
philanthropique Thouars 1853 Idem 87 182 192
Société de secours
mutuels
Saint Romans 1854 Idem 16 39 11
Idem Pamproux 1853 Idem 12 41
Idem Chef-Boutonne 1854 Idem 54 166
Idem Mauzé 1855 Idem 7 101 15
Idem Breloux 1857 Idem 19 67 59
Prévoyance des
médecins
Niort 1860 Idem 54
Société de secours
mutuels
Châtillon 1861
Anciens
militaires
9 72
Idem Champdeniers 1864 Diverses 25 110
Idem Coulonges 1864 Idem 13 144
Instituteurs Niort 1867 Instituteurs 33 240 24
Société de secours
mutuels
Les Aubiers 1874 Diverse 5 39
Idem
Neuil-sous-les-
Aubiers
1876 Idem 26
Idem Saint-Maixent 1877 Chapeliers 4 24
Idem Sauzé-Vaussais 1878 Diverses 34 88
Idem Niort 1878 Chapeliers 18
Idem Niort 1879 Chapeliers
TOTAL 24 727 3222 1458
Source : ADDS 4X3. Sociétés de secours mutuels. Statistiques et situations financières [1876 ; 1879] & [1902 ; 1903].
Le département des Deux-Sèvres est bien mieux loti. L’ensemble du département
compte 20288 sociétaires en 1908 répartis dans 113 institutions approuvées 3071 dont onze sont
localisées à Niort. Elles sont avant tout des organismes départementaux propres à des
3069
Poitiers, chef-lieu et siège de l’administration en compte 18, Montmorillon 11 et Civray et Loudun
respectivement 7 et 3, ADV 4X3. Sociétés de secours mutuels. Enquêtes et statistiques.
3070
Un nombre de membre relativement faible en comparaison avec les effectifs globaux de la Manu, cf.
MARION (Jacques), op. cit., p.113.
3071
Etat récapitulatif des société de secours mutuels approuvées en 1908 dans le département des Deux-Sèvres,
ADDS 4X2. Société de secours mutuels. Membres de bureaux et affaires diverses [1849 ; 1909].
695

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
professions libérales ou administratives au sens large du terme 3072 . La caisse de secours créée
par la bourse du travail de Niort en 1897 relève de l’exception 3073 .
En Vendée 136 sociétés approuvées ou autorisées naissent entre 1871 et 1901 3074 .
L’une d’elle apparaît à Mortagne-sur-Sèvre sous l’égide de la Chambre syndicale du rayon
industriel de Cholet, alors que le Cercle catholique Saint Léonard parraine en 1888 à Evrunes
le syndicat de prévoyance des tisserands à la main. Les typographes Yonnais se dotent
également d’un organisme de secours à l’initiative des figures syndicales de la ville.
Reflet du monde du travail poitevin de l’époque, les sociétés d’entraide sont
majoritairement composées d’hommes. Ceux là sont deux fois plus nombreux que les femmes
en 1879 dans le département des Deux-Sèvres. Une proportion qui semble cependant moins
déséquilibrée que dans d’autres départements.
Quelques rares initiatives se démarquent en l’espèce. Montaigu, en Vendée, dispose d’une
société de secours mutuels de « dames et demoiselles » fondée et approuvée en 1856 3075 ,
comme la ville de Loudun entre 1864 et 1870 3076 .
Les sociétés de secours mutuels se développent de concert à partir 1852, mais qu’en
est-il de leurs modes de fonctionnement et d’organisation ?
2.2. L’économie mutualiste
D’inspiration religieuse ou laïque la mutualité doit obéir à des règles strictes afin de
gagner un crédit dont elle ne dispose pas toujours auprès des autorités. C’est pourquoi les
institutions qui s’en réclament doivent fixer strictement les modalités d’adhésions afin d’être
viables et efficaces. Accepter n’importe qui n’importe comment ruinerait tout équilibre
financier et relationnel. En outre, des préceptes moraux doivent y régner comme ils
présidaient jadis dans les cercles compagnonniques. Sans cela aucun secours efficace ne
pourrait être rendu aux sociétaires.
3072 Le corps des pompiers est particulièrement présent en la matière avec trois sociétés.
3073 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.586.
3074 ADVd 24X2 à 24X30. Société de secours mutuels. Comptes rendus.
3075 ADVd 24X31. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
3076 ADV 4X66. Sociétés de secours mutuels de Loudun.
696

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• Les obligations des sociétaires
Une bonne santé est fréquemment nécessaire afin d’être accepté dans une société de
secours mutuel. On ne doit souffrir d’aucune maladie incurable ou d’une quelconque
infirmité. Généralement il ne faut pas avoir été malade dans les mois précédents
l’inscription 3077 et une visite médicale est obligatoire 3078 . Cependant, certains statuts passent
sous silence cette condition. La société de secours mutuel des chapeliers de Saint-Maixent
précise que tous les membres de la profession peuvent être admis sans distinction. Cette
disposition heurte la préfecture d’autant plus que les sociétaires souhaitent accueillir des
chapeliers indigents ou chômeurs 3079 .
Il est nécessaire d’être dans la force de l’âge pour être accepté. C'est-à-dire entre son
année de majorité et environ 40 ans, âge où le travail industriel commence à peser lourdement
sur la santé.
A Niort, en 1831, un corroyeur ou un chamoiseur ne doit pas dépasser 30 ans pour
adhérer à leur organisme d’entraide 3080 . Pour être sociétaire de la société philanthropique de
Poitiers il faut avoir entre 22 et 40 ans ; entre 21 et 45 ans à Châtellerault comme l’indiquent
les statuts de la Métallurgie, société des armuriers de la manufacture d’armes 3081 . Plus on
avance dans le siècle et plus cet âge recule. L’amélioration des conditions de travail y est pour
beaucoup. Les mineurs y ont parfois accès, dès 18 ans, sous la condition de disposer d’une
autorisation parentale 3082 . On accepte même des enfants de 12 ans à la Caisse de prévoyance
et de panification de Saint-Laurs 3083
Des clauses stipulent des obligations de résidence plus ou moins longues selon les
institutions d’entraide. L’étranger à la cité n’est pas accepté. Il faut appartenir à la
communauté. Seuls quelques corps de métiers aux traditions compagnonniques marquées
acceptent des travailleurs de passage à l’image des chapeliers de Saint-Maixent. A Poitiers, la
société philanthropique demande deux années de domicile dans la cité pictave. La société
3077
ADV 4X3. Sociétés de secours mutuels. Enquêtes et statistiques.
3078
ADV 4X67. Sociétés de secours mutuels et philanthropiques de Poitiers.
3079
Statuts de la société des chapeliers et fouleurs de Saint-Maixent rédigé en 1874, ADDS 11M8.1. Syndicats
professionnels : correspondances, rapports, listes [1848 ; 1884].
3080
ADDS 4X30. Statuts et règlements de sociétés charitables ou de bienfaisance.
3081
ADV 4X64. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault.
3082
C’est le cas, par exemple, de la société de secours mutuels L’Egalité à Châtellerault, ADV 4X64. Sociétés de
secours mutuels de Châtellerault.
3083
Article 6 des statuts, ADDS 4X29. Statuts ou règlement des caisses de prévoyance ou de maladie.
697

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Saint-Vincent-de-Paul de Pleumartin est plus souple. Six mois de résidence suffisent 3084 .
Deux mois de travail sont préalablement demandés aux mineurs de Faymoreau afin d’être
acceptés dans la société de prévoyance.
Ce sentiment communautaire transparaît sous deux aspects.
Tout d’abord, on limite le nombre de sociétaires : cent personnes par exemple à la
Métallurgie de Châtellerault 3085 . On veut à la fois sauvegarder des liens forts entre membres et
ne pas perdre pas le contrôle de l’institution.
La majorité des sociétés, souvent philanthropiques ou communales, sont ouvertes à
toutes les professions sans distinction 3086 . D’autres sont réservées au monde ouvrier sans
préférence de métiers à l’image des la Prévoyante 3087 de Châtellerault ou de la société
philanthropique de la Trimouille acceptant ouvriers et journaliers agricoles 3088 . Enfin,
certaines sociétés sont réservées à des professions particulières à l’image des métiers du
bâtiment des grandes villes. Mais, c’est surtout le cas quand l’organe d’entraide est fondé à
l’intérieur d’un établissement industriel 3089 comme chez les mineurs de Faymoreau et de
Saint-Laurs, les armuriers de la manufacture d’armes de Châtellerault.
Parfois les critères d’adhésions sont encore plus précis. Le niveau hiérarchique est pris
en compte. En 1891 une Union Fraternelle regroupe les chefs d’ateliers de la Manu 3090 .
La protection cessant avec l’activité exercée, les retraités se regroupent à leur tour afin
de se préserver des aléas de la vie. Créée en 1870, la société de secours mutuels des retraités
de la manufacture d’arme de Châtellerault accueille non seulement ceux de la Manu mais
« les autres retraités de l’Etat domiciliés dans la commune » 3091 .
La qualité de sociétaire est normalement réservée à des personnes disposant de
revenus modestes. La Société philanthropique et de secours mutuels de la ville de Poitiers les
limite à 800 francs de rente annuelle. Les individus aisés ne peuvent être que membres
honoraires. Une circulaire ministérielle de décembre 1897 va dans ce sens.
3084 ADV 4X29. Sociétés de secours mutuels.
3085 ADV 4X64. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault.
3086 Voir les statuts de la Société de Prévoyance de Châtellerault acceptant propriétaires, fonctionnaires et
ouvriers, ADV. 4X22. Société de secours mutuels de Châtellerault.
3087 Elle est fondée en 1888, ADV 4X64. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault.
3088 Les journaliers agricoles sont nombreux autour de Montmorillon, ADV. 4X30. Sociétés de secours mutuels.
3089 L’exemple des chapeliers de Saint-Maixent, réunis autour de la chapellerie locale mais dont l’institution de
prévoyance est ouverte à tous les membres de la profession, fait figure de contre-exemple.
3090 Elle est dissoute en 1904, ADV 4X64. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault.
3091 Article 1 du statut, ADV 4X64. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault.
698

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
« Si les rangs des mutualistes sont ouverts à tous les travailleurs de
situation, précaire ou modeste, il n’est pas juste que des gens aisés,
qui ont le moyen de payer, le cas échéant, les médecins au tarif de
leur clientèle ordinaire obtiennent gratuitement, en versant une
cotisation mineure, les visites médicales, médicaments […] Les
sociétés ont été crées surtout pour les laborieux qui vivent de leur
salaire 3092 »
Etre sociétaire c’est donc s’acquitter d’un droit d’entrée et d’une cotisation mensuelle.
Un domaine où les règles en vigueur sont très variables.
Le droit d’entrée varie de 1 à 20 francs en fonction des époques ou de l’âge, du sexe,
de l’ancienneté des sociétaires ou du nombre de membres. Dix francs pour les ouvriers et les
marins des Sables-d’Olonne, cinq francs pour les tisserands de Tiffauges en 1869 3093 et trois
francs pour les maçons et tailleurs de pierres de Poitiers la même année 3094 . A Mortagne-sur-
Sèvre les liens étroits existant entre la société de prévoyance et la Chambre syndicale du
rayon industriel de Cholet permettent d’exiger des cotisations extrêmement faibles s’élevant à
un franc par mois.
Des différences de traitement existent parfois entre les adhérents originels et ceux
rejoignant la société ultérieurement. Les premiers payant moins cher leur inscription 3095 . Les
nouveaux membres de la société de secours mutuels des chapeliers de Saint-Maixent doivent
verser une double cotisation. Il sont alors considérés comme des « novices » pendant treize
semaines 3096 . Un terme traduisant encore une fois le caractère corporatiste de cette institution.
Parfois le droit d’entrée n’est autre qu’une première cotisation comme dans les vieilles
sociétés philanthropiques de la Vienne. Les femmes ont parfois le privilège d’en être
exemptées. Bien souvent la somme varie en fonction de l’âge du sociétaire. Le risque, propre
au domaine de l’assurance, est pris en compte. A la Société Philanthropique de Saint-Vincent-
de-Paul de Pleumartin cette somme oscille entre cinq francs, pour un individu âgé de 16 à 30
ans, puis augmente d’un franc par tranche de dix ans jusqu’à l’âge limite de cinquante
3092 Circulaire du 1 er décembre 1897, ADV 4X1. Sociétés de secours mutuels. Correspondances du préfet.
3093 ADVd 24X32. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
3094 ADV. 4X68. Sociétés de secours mutuels de Poitiers.
3095 Un francs contre deux francs, statuts de la caisse de prévoyance et de panification de Saint-Laurs, ADDS
4X29. Statuts ou règlement des caisses de prévoyance ou de maladie.
3096 Article 10 des statuts, ADDS 11M8.1. Syndicats professionnels : correspondances, rapports, listes [1848 ;
1884].
699

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
ans 3097 . En 1842, maintes sociétés philanthropiques des Deux-sèvres ont des droits d’entrées
allant de cinq à quinze francs 3098 . La société de secours mutuel de Fontenay-le-Comte
demande jusqu’à 25 francs en 1869 3099 . La Société de bienfaisance des ouvriers chamoiseurs,
mégissiers, tanneurs et corroyeurs de la ville de Niort fondée en 1831 possède un système
encore plus original où les individus adhérant dans les trois premiers mois ne paieront que
trois francs. Ensuite un système graduel est mis en place : dix francs pour quelqu’un âgé de
moins de vingt ans, douze francs en dessous de 25 puis cinquante centimes par année
supplémentaire 3100 .
Quant aux cotisations, généralement mensuelles, elles s’élèvent à environ un franc soit
l’équivalent d’un demi ou d’un quart de salaire journalier selon l’époque ou le métier exercé.
Les femmes ne paient parfois qu’une moitié de cotisation 3101 comme c’est le cas à Luçon ou
chez les sardinières des Sables-d’Olonne 3102 . Des cotisations trop élevées causent parfois la
fin d’une société comme cela se produit en 1848 pour le premier organisme d’entraide mis en
place à La Roche-sur-Yon 3103 . La société de Prévoyance et de Secours mutuels des ouvriers
de la manufacture fixe une cotisation bien plus faible 3104 . Ce montant peu élevé attire
l’attention des autorités qui la soupçonne d’être une société politique déguisée. De plus, des
délais, de quelques mois 3105 , sont fréquemment accordés pour rembourser les retards de
cotisations.
Ces sommes sont complétées par des subventions municipales, départementales,
étatiques, voire des dons de membres honoraires ou les éventuels bénéfices engendrés par des
fêtes ou des tombolas
Dans les sociétés propres à un établissement industriel, les amendes sanctionnant des
manquements au règlement intérieur peuvent être versées à la caisse mutuelle des ouvriers,
particulièrement quand la direction s’occupe de l’administrer. C’est le cas aux houillères de
Faymoreau où il existe une caisse de secours qui, dès 1839, est financée par un vingtième des
3097
ADV 4X29. Sociétés de secours mutuels. Article 65 des statuts de la Société de secours mutuels dite
philanthropique de Saint-Vincent de Paul située à Pleumartin dans la Vienne.
3098
ADDS 4X2. Société de secours mutuels. Membres de bureaux et affaires diverses [1849 ; 1909].
3099
ADVd 24X32. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
3100
Articles 21 et 22 des statuts, ADDS 4X30. Statuts et règlements de sociétés charitables ou de bienfaisance.
3101
Elles qui ne gagnent qu’un demi salaire.
3102
ADVd 24X32. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
3103
ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes cantonales sur le travail
agricole et industriel [1848 ; 1849], arrondissement de Napoléon Vendée.
3104
25 centimes. ADV 4X22. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault. Statuts de la société de Prévoyance et
de Secours mutuels des ouvriers de la manufacture (1849).
3105
ADV 4X67. Sociétés de secours mutuels et philanthropiques de Poitiers (première partie). Statuts de la
Société Philanthropique et de Secours mutuels de Poitiers.
700

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
salaires des ouvriers et par les amendes qu’ils paient 3106 . Un système identique est mis en
place à la manufacture d’armes de Châtellerault où une « caisse de secours » est destinée à
indemniser les ouvriers victimes d’accidents du travail 3107 . Une institution qui se transforme à
partir de 1900 en société de secours mutuels. On abandonne les retenues sur salaire
obligatoires qui l’alimentaient jusqu’alors 3108 . En effet, jusqu’à cette date, « La Masse » est
alimentée par le prélèvement mensuel de 6F40 sur le salaire jusqu’au dépôt de la somme de
30 francs, puis par un versement de 1F40. L’éventuel bénéficiaire de soins ou de secours
pécuniaires devant ensuite reconstituer la masse initiale de 30 francs 3109 . Ces sociétés sont
contrôlées par la direction, ce que regrettent nombre d’ouvriers voyant en elles un moyen de
pression idéal 3110 . En effet, tout défaut de préavis avant une démission équivaut à perdre le
montant placé. Ce problème est la cause de la première grève des mineurs de Faymoreau fin
1895 où « tout ouvrier ou employé qui quitte volontairement ou non le service de la mine […]
ne peut demander restitution des versements faits par lui à la caisse 3111 ».
Un mode de cotisation plus original préside à la caisse de secours créée sous l’égide de
la bourse du travail de Niort. Ici la caisse est alimentée par les syndicats affiliés. Ceux-ci
devant verser une cotisation d’un montant de 60 centimes par an et par membre 3112 .
A ces conditions matérielles s’ajoutent des considérations morales. Le postulant doit
avoir de bonnes mœurs et ne doit pas avoir été pénalement condamné. Des conditions
d’autant plus importantes que les membres d’institutions approuvées ont la faculté de se
prévaloir de leur diplôme de mutualiste comme d’un livret ouvrier. Pour cela, le maire doit
s’assurer des antécédents de la personne souhaitant s’en prévaloir 3113 . Pour le pouvoir, les
sociétés de secours mutuels constituent aussi un instrument de moralisation des classes
laborieuses.
3106
HURIER (Damien), Les mines de Faymoreau, histoire d’un site industriel dans le bocage vendéen (1827-
195, op. cit., p.58.
3107
Cette caisse est obligatoire dans toutes les manufactures d’Etat.
3108
BLONDELLE (Stéphanie), op. cit., p.64.
3109
MARION (Jacques), op. cit., p.111.
3110
L’Eclaireur de la Vienne du 29 avril 1890.
3111
Article 14 des statuts de la société de secours mutuel des mineurs de Faymoreau.
3112
CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.587.
3113
Note du préfet de la Vienne adressée aux maires du département du 23 mars 1855, ADV 4X1. Sociétés de
secours mutuels. Correspondances du préfet.
701

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• L’expression d’une solidarité
Le rôle primordial des sociétés de secours mutuels consiste à fournir des palliatifs aux
épreuves pouvant frapper le travailleur : maladies, accidents du travail ou décès.
Le premier d’entre elles est l’impossibilité physique d’accomplir son métier, causée
par une maladie ou un accident 3114 . Un handicap, perpétuel ou ponctuel, constaté par un
médecin, empêchant de gagner un salaire et conduisant à plus ou moins long terme à la
mendicité.
La plupart des institutions mutualistes prévoient le versement d’une indemnité
journalière afin de compenser – légèrement – la perte salariale. Celle-ci oscille entre un franc
et quatre francs 3115 selon les zones géographiques et les périodes. En Vendée, en 1869, elles
vont de 50 centimes 3116 à 1F25 selon les organismes 3117 . En 1848 la caisse des houillères de
Faymoreau offre 60 à 75 centimes par jour, soit un peu moins d’un demi salaire. En cas de
maladie un « délai carence » est parfois observé. Il est de quatre jours dans quelques sociétés
châtelleraudaises à la fin du XIX e siècle 3118 comme aux houillères de Faymoreau. Les
dimanches et les jours fériés sont également exclus comme c’est le cas à La Métallurgique de
Châtellerault 3119 . La caisse de secours de la bourse du travail de Niort offre un viatique de 50
centimes par jours pendant trois mois, avec possibilité de proroger ce délai sur avis d’une
commission. En outre, ce type d’indemnités se transforme parfois en pensions viagères quand
le mal apparaît permanent ou incurable. En 1831, un travailleur du cuir niortais admis à
l’hospice de la ville doit recevoir annuellement une somme de 24 francs, payable par
trimestre 3120 .
A ces indemnités s’ajoute fréquemment la fourniture gratuite de soins et de
médicaments aux sociétaires. C’est à ce titre que la caisse mise en place à la manufacture
d’armes de Châtellerault paie des médecins afin d’évaluer la gravité de la maladie/de
3114 La maladie ne doit pas être honteuse ou vénérienne et l’accident doit généralement avoir un rapport avec
l’activité professionnelle. Quant à l’aide en cas de chômage, elle est normalement interdite par les pouvoirs
publics. Pourtant, en 1848, les rapporteurs de l’enquête économique et sociale à La Roche-sur-Yon réclament ce
type de service, cf. ADVd 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848). Enquêtes
cantonales sur le travail agricole et industriel [1848 ; 1849], arrondissement de Napoléon Vendée.
3115 L’indemnité de 4 francs concerne la société de secours des chefs d’ateliers de la manufacture d’armes de
Châtellerault.
3116 25 centimes pour la société de secours mutuels féminine de Montaigu.
3117 ADVd 24X32. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
3118 ADV 4X64. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault.
3119 Ibid.
3120 ADDS 4X30. Statuts et règlements de sociétés charitables ou de bienfaisance. En 1848, le salaire moyen
journalier d’un ouvrier niortais est de 1F75.
702

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
l’accident et pour qu’ils se rendent au domicile des ouvriers secourus 3121 . Ce fonctionnement
déplait aux ouvriers comme à leurs syndicats. Ils craignent une entente entre les médecins
choisis et la direction aux dépens des travailleurs et militent pour un choix plus libre 3122 .
Il arrive que l’aide soit fournie en nature. Les statuts de la caisse de bienfaisance des
ouvriers chamoiseurs, mégissiers, tanneurs et corroyeurs prévoient des viatiques de tout
genre 3123 . La Caisse de prévoyance et de panification de Saint-Laurs délivre gratuitement du
pain à ses sociétaires en cas de maladie constatée par certificat médical ou d’une blessure
résultant de l’activité professionnelle. Toutefois, un délai de carence de onze jours est imposé
et la distribution ne peut pas dépasser 90 jours. Les veuves de sociétaires décédés en profitent
également pendant 3 mois à compter du décès 3124 . La caisse de secours de la bourse du travail
niortaise accorde des secours sous forme de bons valables chez certains commerçant ou à la
coopérative qu’elle a elle-même fondée. En effet certaines organisations syndicales jouent
aussi le rôle d’organisme de secours à l’image des syndicats du livre de La Roche-sur-Yon ou
de Fontenay-le-Comte ou de ceux du bâtiment de Luçon comme du Chef-lieu de Vendée.
Généralement le second rôle des sociétés d’entraide mutuelle est de pourvoir aux
dépenses et aux conséquences du décès d’un sociétaire. Il s’agit avant tout d’offrir au défunt
des funérailles décentes et honorables, et, le cas échéant, d’assurer à ses proches de quoi
subvenir à leurs besoins quotidiens. Dans les premiers temps ce service est une des raisons
principales d’affiliation aux sociétés de secours mutuels 3125 . En 1848, aux houillères de
Faymoreau, la veuve d’un mineur, comme l’infirme, reçoit quotidiennement 50 centimes
augmentés de 25 centimes par enfant à charge 3126 . Fin XIX e , les pensions accordées aux
veuves dans les sociétés de Châtellerault oscillent entre 30 et 150 francs. Ces montants très
faibles permettent difficilement de survivre, en comparaison du revenu annuel d’un armurier
de la ville 3127 . L’aide à la veuve est quelquefois conditionnée par l’état de sa situation
matérielle et l’ancienneté de la personne décédée. En 1869, les sociétés vendéennes exigent
3121 Uniquement les ouvriers civils et non les militaires.
3122 BLONDELLE (Stéphanie), op. cit., p.70 et s.
3123 ADDS 4X30. Statuts et règlements de sociétés charitables ou de bienfaisance.
3124 Article 10 des statuts de la caisse de prévoyance et de panification de Saint-Laurs, ADDS 4X29. Statuts ou
règlement des caisses de prévoyance ou de maladie. L’article 22 règle les modalités de la distribution en
fonction de la situation familiale du sociétaire dans le besoin :
- célibataire ou veuf sans enfant : 750g de pain par jour
- marié sans enfant : 1500 g
- marié avec enfant : 1500 g + 500g par enfant (ces enfants qui doivent être âgés
entre 3 et 12 ans pour bénéficier des avantages de la société)
3125 PERROT (Michelle), Mutualité et mouvement ouvrier au XIX e siècle, Prévenir, 1981, n°4, p.8.
3126 ADVd 6M1919. Enquête cantonale de 1848. Canton de Saint-Hilaire-des-Loges.
3127 Ce revenu annuel est de 1725 francs en 1893 voir supra p.452 et s.
703

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
entre 10 et 15 ans de cotisation 3128 . Plus tard, à Faymoreau, l’ouvrier décédé doit avoir deux
ans de mines au minimum afin que ses proches (veuves ou descendants) aient droit à une
pension.
Parmi ces pensions il y a celles propres aux retraites 3129 . Un décret du 26 avril 1856
autorise les sociétés approuvées à cotiser en leur nom à un fond spécial de retraite dont les
seuls revenus fourniront les futures pensions. Une subvention exceptionnelle de 500 000
francs est débloquée par le régime impérial afin de constituer un fonds permanent « au profit
des vieillards ». Huit sociétés du département de la Vienne en bénéficient. Elles reçoivent
chacune la maigre somme de quatre francs par adhérents.
Tableau 87 : subventions attribuées aux sociétés de secours mutuels approuvées
de la Vienne afin de constituer des fonds de retraite :
Localité Somme versée Estimation du nombre de sociétaires
Biard 248 F 62
Châtellerault 1352 F 338
Couhé 272 F 68
l’Ile Jourdain 368 F 92
Loudun 512 F 128
Lusignan 560 F 140
Mirebeau 600 F 150
Montmorillon 712 F 178
D’après une circulaire préfectorale du 13 juin 1856 adressée aux présidents des Sociétés de secours mutuels
approuvées du département, RAA de la préfecture de la Vienne de 1856 à 1870.
Selon le décret du 26 avril 3130 , les fonds de retraite se composent des sommes que l’organisme
d’entraide juge possible d’y affecter sur son capital de réserve, de la subvention allouée par
l’état et des dons et legs faits à la société, spécialement destinés à cet effet. En outre, des
conditions strictes sont établies afin d’en être bénéficiaire: il faut être sociétaire depuis dix
années minimum et être âgé de plus de 50 ans sans dépasser les 60 ans.
La fin du XIX e siècle est marquée par le développement de l’assistance aux vieillards.
En 1902, le ministère lui-même en fait la remarque au préfet des Deux-Sèvres. A cette date, le
3128 ADVd 24X32. Société de secours mutuels. Comptes rendus [1865 ; 1870].
3129 En 1850, la création d’une caisse nationale des retraites pour la vieillesse interdit aux sociétés de secours
mutuels de promettre des pensions de vieillesse. On estime alors qu’il s’agit d’un type de promesse difficilement
tenable sur le long terme eu égard à la faiblesse des fonds possédés par chaque société d’entraides.
3130 Ibid.
704

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
département des Deux-Sèvres compte 24 sociétés de secours mutuels ayant pour but exclusif
ou principal de fournir à ses membres une allocation de retraite. L’appui syndical met à
disposition plus de fonds à l’image de la société d’entraide de Mortagne qui offre secours et
pensions vieillesses. De même, dans la Vienne en 1880, le président de l’Union Fédérative de
Poitiers est à l’origine d’une société de Prévoyance de l’Avenir dont le but est de favoriser les
retraites. Quatre ans plus tard une antenne s’ouvre à la manufacture d’armes de Châtellerault
comptant vite plusieurs centaines de membres 3131 .
Tableau 88 : sociétés de secours mutuels des Deux-Sèvres ayant pour but exclusif
ou principal de fournir à ses membres une allocation de retraite (1902) :
Désignation / professions particulières Siège
Nombre de membres
Honoraires Hommes Femmes Enfants
Société de secours mutuels Argenton le château 26 97
Société de secours mutuels ? 25 76
Société de secours mutuels
Société de secours mutuels
Bouillé
Breloux
16
45
73
95 98 97
Société philanthropique Bressuire 60 180 196
Société de secours mutuels Champdeniers 19 216
Anciens miliaires Châtillon 51 149
Société philanthropique Chef-Boutonne 39 130
Société de secours mutuels Coulonges 36 198
Société de secours mutuels Echiré 27 105
Société de secours mutuels La Mothe-Saint-Héray 44 215
Société philanthropique Lezay 14 60
Société philanthropique Limalonges 21 46
Société philanthropique Mauzé 29 144 50
Société philanthropique Melle 97 156 74
Instituteurs Niort 74 321 192
Société philanthropique Niort 175 410 458 550
Tailleurs Niort 14
Sapeurs pompiers Niort 322 71
Société de secours mutuels Pamproux 6 50
Société philanthropique Parthenay 153 246 280 267
Travailleurs divers Saint Gelais 16 90
Mineurs Saint-Laurs 90
Société philanthropique Saint-Maixent 56 242
Source : ADDS 4X2. Société de secours mutuels. Membres de bureaux et affaires diverses [1849 ; 1909].
3131 MARION (Jacques), op. cit., p.54 et 113. En 1894, les ouvriers libres de la manufacture demandent au
ministre de la Guerre de leur accorder une pension de retraite sur le modèle des ouvriers des magasins
d’habillement des campements, rapport mensuel du sous-préfet de Châtellerault du 30 juin 1894 au préfet de la
Vienne, ADV M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de l’instruction publique, mort de Sadi
Carnot ; mort d’Alexandre III (1894) .
705

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Les retraités eux-mêmes se regroupent par type de profession précédemment exercée. Ainsi
les anciens de la manufacture d’armes de Châtellerault reçoivent, à partir de 1870, des
pensions comprises entre 300 francs et 600 francs 3132 .
D’autres services s’ajoutent parfois aux préoccupations fondamentales liées à la santé.
Ainsi la mutualité niortaise 3133 met en place non seulement des bibliothèques mais aussi un
organisme appelé « lingerie », fournissant moult accessoires dont les travailleurs les plus
pauvres peuvent manquer : lit, béquille, fauteuil, baignoires. Des œuvres, comme celles en
faveur d’orphelins, voit aussi le jour.
L’affiliation à une société de secours mutuel implique des droits mais aussi des
devoirs. Les mots « entraides » et « secours mutuels » ne doivent pas rester purement formels.
Certaines des ces institutions font office d’organismes de placement aux travailleurs
sans emplois. La Société de Prévoyance des tailleurs de pierres de Poitiers impose aux
entrepreneurs de maçonnerie membres honoraires de faire leur possible afin de fournir du
travail aux membres actifs qui en sont dépourvus 3134 .
Des obligations de sociabilité s’imposent également aux sociétaires. Une véritable
solidarité uni les sociétaires les uns aux autres comme étaient unis les membres des confréries
de l’époque médiévale ou sous l’Ancien Régime. On doit rendre hommage aux mutualistes
décédés lors de ses obsèques. On procède à la levée du corps, on prononce une allocution et
on l’accompagne jusqu’à sa dernière demeure. La mort d’un membre affecte toute la société
d’entraide. De la même manière beaucoup de statuts obligent à veiller les malades. Les
membres de la société de bienfaisance des ouvriers du cuir niortais prévoient ce cas de figure.
Toutes les 24 heures deux membres doivent se relayer au chevet du camarade en souffrance.
Il est même précisé que « les sentiments d’humanité sont tels chez les sociétaires, qu’aucun
d’eux ne manquera, ou de répondre à l’appel, ou de se faire remplacer par un autre
souscripteur, en cas d’empêchement pour lui même 3135 ». Manquer à cette obligation est une
faute grave passible de l’exclusion de la société.
3132
A.D.V. 4X64. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault. Statuts de société de Secours mutuels des
Retraités de la Manufacture d’armes de Châtellerault. 1870.
3133
TALLONNEAU (Paul), op. cit., p.260.
3134
ADV. 4X68. Sociétés de secours mutuels de Poitiers. Statuts de la société dite de Prévoyance entre les
maçons et tailleurs de pierres de Poitiers.
3135
Article 13 des statuts de la société, ADDS 4X30. Statuts et règlements de sociétés charitables ou de
bienfaisance.
706

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Les sociétés de secours mutuels ou philanthropiques souffrent dès leur origine d’un
manque de capitaux. En 1856 une circulaire préfectorale, conseillant d’utiliser les fonds
provenant des sommes fournies par les membres honoraires aux caisses de retraites, précise
que cette répartition ne doit pas être automatique. Le texte affirme que « beaucoup
d’associations sont encore éloignées du moment où les cotisations des membres participant
suffiront pour assurer les secours aux malades, premier et principal objet de
l’institution » 3136 .
Mise à part certaines pratiques festives bien rares dans la région 3137 , une grande part
du capital est absorbée par les secours versés. En 1842, la société Philanthropique de
Châtellerault reverse plus de 98% des fonds qu’elle reçoit 3138 . En 1890 la même institution
accuse un déficit dû à l’octroie de rentes viagères à ses membres. Un problème que ne peut
résoudre la société car son capital est insuffisant pour couvrir les pertes. La Caisse des dépôts
et consignations 3139 indique un capital disponible de 639 francs alors qu’une somme de 2500
francs seraient nécessaire afin de pourvoir aux engagements prévus. On remédie finalement
au problème en réinjectant le capital du fond de vieillesse, normalement bloqué, dans celui de
la société. Seules les subventions, ou plus aléatoirement des legs et donations 3140 , parviennent
à rétablir l’équilibre des premières institutions mutualistes.
A côté du manque pur et simple de capitaux, le problème de la maîtrise des dépenses
de santé apparaît dès la fin du XIX e siècle. On reproche souvent aux médecins d’abuser
d’ordonnances médicales. En outre, l’Etat désapprouve l’admission dans les sociétés de
membres dont la fortune doit normalement leur permettre de se soigner seuls 3141 .
3136 Circulaire préfectorale du 13 juin 1856 adressée aux présidents des Sociétés de secours mutuels approuvées
du département, RAA de la préfecture de la Vienne de 1856 à 1870.
3137 Comme l’habitude prise par certaines sociétés de dépenser l’argent restant à la fin d’un exercice dans des
repas et libations honorant le saint patron ou la nouvelle année. Des pratiques encore marquées du sceau du
compagnonnage.
3138 Soit 498 francs sur un capital de 508 francs, ADV 4X3. Sociétés de secours mutuels. Enquêtes et statistiques.
3139 Institution financière publique créée en 1816 afin de rétablir la confiance dans les finances publiques mises à
mal pendant la Révolution et l’Empire. Elle est chargée de gérer les fonds d’épargne en 1837, les régimes de
retraite en 1850 et les organismes de prévoyance liés à la maladie ou aux accidents professionnels en 1868.
3140 Voir particulièrement ADV. 4X22. Société de secours mutuels de Châtellerault.
3141 ADV 4X1. Sociétés de secours mutuels. Correspondances du préfet (1812-1940). Circulaire du ministère de
l’intérieur du 1 er décembre 1897.
707

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le mutualisme est la première et la principale forme choisie par les ouvriers afin de
tenter de prendre en main leur propre destinée. L’action coopérative en est une autre. Un
mode d’action visant à l’affranchissement total de la classe ouvrière 3142 .
b) Le rêve coopératif
Les coopératives ouvrières de production sont au premier plan de l’idée que l’on peut
se faire d’une société idéale sans patrons, sans liens de subordination, sans prélèvement d’une
part des richesses produites et favorisant l’amélioration des conditions de travail. Une
coopérative regroupant des ouvriers menuisiers pictaves voit le jour en 1890. C’est le pendant
« rouge » de la corporation Sainte-Radegonde, le syndicat mixte des arts et métiers du
bâtiment. Le bâtiment constitue le secteur d’activité où ce type d’organisation productif est le
plus nombreux. Des exemples existent à La Roche-sur-Yon en 1897 ou aux Sables-d’Olonne
en 1902 et 1907, une ville où les charpentiers de navire tente à leurs tours l’expérience un an
plus tard. Les tisseurs à main de la Sèvres Nantaises s’essaient également à l’expérience
« collectiviste » par l’intermédiaire de L’Espérance des Tisserands fondée en 1894 à Evrunes
et Saint-Laurent-sur-Sèvres 3143 .
Les mouvements revendicatifs et leur lot de licenciements sont aussi l’occasion pour
les ouvriers sans travail de s’unir entre eux. C’est ainsi qu’une ganterie coopérative est mise
en place à Niort en 1910.
Autant d’initiatives bien souvent éphémères.
Mais, c’est avant tout les coopératives de consommation destinée à l’achat de denrées
au meilleurs prix qui se développent dans le Poitou 3144 . L’objectif recherché, au-delà des
simples avantages pécuniaires, serait d’atteindre « l’affranchissement complet des
travailleurs, la suppression du salariat et de la propriété individuelle 3145 », ou, du moins, un
moyen de préparer l’émancipation des travailleurs
La première vague de création a lieu dans le secteur de la boulangerie. Un domaine
hautement sensible puisque le pain représente, quelque soit l’époque, la principale dépense
3142 Affranchissement si profond que les syndicats eux-mêmes en arrivent à assimiler les membres de
coopératives de productions à des patrons, cf. CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-
Charentes (1884-1914), op. cit., p.469.
3143 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., 1981, p.260.
3144 Voir à titre de comparaison : GAUTIER (Robert), Les coopératives de consommation dans le mouvement
ouvrier de la Basse Loire jusqu'aux années 1960, Rennes, Université de Rennes 2, 1995, 267 p.
3145 L’Eclaireur de la Vienne du 31 avril 1889.
708

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
alimentaire 3146 . Pendant une vingtaine d’années la cité de Châtellerault bénéficie d’une
boulangerie coopérative 3147 . Cependant, ses déficits chroniques ont raison d’elle en 1891.
Quelques années plus tard, en 1897, un établissement du même genre naît à Poitiers : L’Union
ouvrière poitevine, dont l’initiative revient en grande partie aux syndicalistes de la ville 3148 .
En 1881, on dénombre dans le département des Deux-Sèvres quatre coopératives boulangères
ou de panification. Elles se situent à Niort, Melle, Bressuire et Thouars. Fondées dans les
années 1867-1868, elles regroupent près de 1100 personnes 3149 . A celles-ci s’ajoutent cinq
autres institutions du même genre dans de petits bourgs du département 3150 .
En 1896 et en 1907, la bourse du travail de Niort est à l’origine d’une boulangerie coopérative
destinée à lutter contre la hausse du prix des farines. Réservée dans un premier temps aux
syndiqués elle ouvre ses portes ensuite à tous pour des raisons économiques 3151 . La tentative,
de 1907 est une réussite jusqu’à la Grande Guerre 3152 .
Outre les initiatives laitières des Deux-Sèvres 3153 , nombre de coopératives dépassent le
seul secteur de la boulangerie pour toucher aux domaines plus larges de l’épicerie ou de
l’habillement. A partir de 1886, la société coopérative des ouvriers de la manufacture d’armes
de Châtellerault fournit pain, épicerie et habillement à près de 1000 membres en 1899 3154 .
Huit ans plus tard, en 1894, une seconde institution du même genre naît dans la même
ville 3155 . En Vendée citons parmi d’autres la Ruche Yonnaise ou celle de Faymoreau. Dans les
années précédant la Grande guerre ce département compte 9612 adhérents à des coopératives
de consommation.
Il est de coutume de dire que les associations d’entraide ouvrière occupent une place
importante dans les prémices du mouvement ouvrier français. Une influence que la politique
impériale à l’égard des sociétés de secours mutuel va tendre à faire disparaître 3156 . En
l’occurrence, le mutualisme poitevin, de tout temps encadré par les élites, ne semble guère
être sorti de sa vocation première d’entraide. De même, la présence d’organisation de
3146
Cf. supra p.445 et s.
3147
Elle est créée en mars 1870.
3148
L’Avenir de la Vienne du 9 février 1898.
3149
ADDS 11M8.1. Syndicats professionnels : correspondances, rapports, listes [1848 ; 1884].
3150
Accusé de réception du ministère du Commerce du 12 avril 1883. On y apprend qu’il existe des sociétés
coopératives à Usseau, Saint Hilaire la Palud, Vallans, Vanneau et Deyrançon, ADDS 11M8.1. Syndicats
professionnels : correspondances, rapports, listes [1848 ; 1884].
3151
L’Echo des Deux-Sèvres du 6 novembre 1897, voir aussi CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du
syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.614.
3152
ADDS 9M2.
3153
CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.135.
3154
MARION (Jacques), op. cit., pp.115-116.
3155
L’Economie Ouvrière, coopérative de consommation et d’alimentation, Ibid.
3156
Voir par exemple RADELET (Michel), op. cit., p. 49 et s.
709

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
prévoyance n’entraîne pas systématiquement la création de syndicat une fois l’option ouverte
par le législateur en 1884. C’est le cas par exemple à Chauvigny où les cordonniers comme
les carriers demeurent longtemps réuni dans des sociétés de secours sans pour autant se
constituer en syndicat. Les carriers atteindront l’année 1905 pour le faire 3157 . Au contraire, on
observe chez les mineurs de Faymoreau une continuité entre les deux institutions.
Néanmoins, si le lien est rarement direct entre prévoyance et syndicalisme, la nécessité
de se réunir afin de peser d’un poids plus important dans le jeu social les rapproche. Les
idéaux mutualistes et coopératifs, où les travailleur se replient sur eux-mêmes, échouent à
améliorer en profondeur leurs conditions de vie et de travail. Les ouvriers doivent alors
affronter leur environnement en revendiquant. Un mode d’action peu naturel dans le Poitou
dont seul le temps et l’évolution des mentalités ouvrières vont provoquer l’éclosion.
3157 CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., pp.126-
127.
710

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Section 2 : L’éclosion des revendications
La prise de conscience ouvrière de constituer un groupe social particulier aux attentes
originales et la reconnaissance étatique du droit de grève et des syndicats permettent
l’éclosion parmi les travailleurs de mouvements revendicatifs. Cette faculté inconnue
jusqu’alors met plusieurs décennies à s’ancrer dans les mentalités des classes laborieuses
aussi bien au niveau national que sur le plan local (I). Néanmoins, avec le temps, des
revendications spécifiques se dégagent afin de faire face aux enjeux économiques, politiques
ou sociaux qui s’imposent à tous. Cette évolution inédite oblige l’autorité administrative,
garante de l’ordre publique, à s’adapter à ce nouveau mode de régulation social mal accepté
par les élites et le patronat (II).
I- De la coalition à la grève
Longtemps au XIX e siècle le législateur a refusé à l’ouvrier la faculté de se coaliser,
c'est-à-dire de se réunir entre gens de même métier ou profession afin de refuser un travail ou
un service 3158 . Le législateur révolutionnaire ne fait que reprendre à son compte cette
prohibition ancienne existant déjà sous l’Ancien Régime 3159 . La loi Le Chapellier des 14-17
juin 1791 prohibe les coalitions en les sanctionnant pénalement. La Révolution désir
supprimer les corps intermédiaires dans l’Etat afin que seul subsistent l’intérêt général et
l’intérêt particulier. Une entente entre citoyens d’une même profession en vu d’imposer des
conditions de travail ou de rémunération est jugée inconstitutionnelle. On craint de raviver la
flamme des anciens compagnonnages tant décriés 3160 .
Un texte en date du 22 germinal an XI va aggraver un peu plus les sanctions pénales
en la matière tout en n’incriminant pas de la même manière les coalitions patronales et
ouvrières. Les premières sont mises en cause seulement si elles sont jugées injustes ou
3158 D’après COUTURIER (Gérard), Droit du travail, les relations collectives du travail, op. cit., p.362.
3159 Déjà les ordonnances de Villers-cotterêts d’août 1539 et les Lettres patentes du 2 janvier 1729 interdisent
tout type de coalitions. On interdit alors aux ouvriers de « cabaler » entre eux, cf. LEFRANC (Georges), Grèves
d’hier et d’aujourd’hui, Paris, 1970, p.20 et s.
3160 Pour plus de détails voir AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.92 et s.
711

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
abusives alors que les secondes sont réprimées systématiquement quelles que soient leurs
justifications 3161 .
« On préfère tolérer les agissements des employeurs et ne pas les
ébruiter, car on estime que les patrons n’ont pas intérêt à
compromettre la richesse et la prospérité de la nation, tandis que les
ouvriers ne représentent que des éléments de désordre social et
d’agitation politique 3162 ».
Le Code pénal de 1810, dans ses articles 414 à 416, reprend la législation antérieure.
L’article 415 met en cause les coalitions qui ont pour but de « faire cesser en même temps de
travailler, interdire le travail dans un atelier, empêcher de s’y rendre et d’y rester avant ou
après certaines heures et en général pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux ». Le
sort juridique des mouvements revendicatifs est scellé pour un demi siècle.
Néanmoins des grèves surgissent çà et là à partir des années 1830, à l’image des
mineurs d’Anzin en 1833 ou des porcelainiers de Limoges en 1837. En 1840, la crise
économique les multiplie. Mais, à chaque fois, elles sont brisées par la force armée 3163 ,
comme l’est la révolte des canuts lyonnais qui n’exigent pourtant à l’origine qu’une simple
modification du « tarif » salarial 3164 . Ces tragiques événements provoquent l’adoption de la loi
du 10 avril 1834 alourdissant les sanctions pénales pour toute association de plus de vingt
personnes. Entre 1825 et 1848, dans tout le pays, 1251 coalitions sont réprimées et 7248
prévenus poursuivis, dont plus près des deux tiers sont condamnés à des peines
d’emprisonnement 3165 . « Toutes ententes même transitoires entre prolétaires semblent un
crime, un attentat à la tranquillité publique, un outrage à l’autorité patronale 3166 »
3161
Les coalitions ouvrières sont passibles d’une peine d’emprisonnement de trois mois et les coalitions
patronales d’une amende 1000 à 3000 francs. Toutefois, si les coalitions sont condamnées il arrive qu’on les
trouve justifiées à l’image de l’Empereur Napoléon lui-même qui en 1806 aurait déclaré à propos d’une grève du
bâtiment parisien portant sur leurs horaires de travail : « Le temps des ouvriers est leur seule propriété, ils ont
raison de chercher à le vendre le plus cher possible », voir TULARD (Jean) (dir.), op. cit., v° ouvrier.
3162
DOLLÉANS (Édouard), DEHOVE (Gérard), Histoire du travail en France, mouvement ouvrier et
législation sociale, Paris, 1953, t.1, p.163.
3163
AGUET (Jean-Pierre), op. cit., 408 p.
3164
En 1831, on dénombre 200 tués et 500 blessés. Le président du conseil des ministres, Casimir Perrier,
commente la révolte en affirmant qu’il « faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remèdes pour eux que
dans la patience et la résignation ». Un programme qui ne satisfait pas les ouvriers lyonnais puisqu’ils se
révoltent à nouveau en 1834.
3165
1897 personnes acquittées, 63 condamnées à peines d’emprisonnement supérieures à 1 an, 4391 à des peines
inférieures à 1 an et 701 à payer une amende, cf. DAMOUR (Louis), op. cit., p.19 note 2.
3166
LOUIS (Paul), L’ouvrier devant l’Etat, Paris, 1904, p.177.
712

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le statu quo va prendre fin durant la période libérale du second Empire. Napoléon III
suit l’exemple anglais 3167 en promulguant 3168 la loi du 25 mai 1864 qui efface le délit de
coalition. Seules les atteintes à la liberté du travail demeurent 3169 , infractions pour lesquelles
les peines sont aggravées. Dépénalisées 3170 , les grèves ne sont pas pour autant acceptées par
tous. Des drames surviennent encore 3171 . Quoiqu’il en soit la grève n’est plus illicite malgré la
méfiance des autorités administratives et l’évidente réticence patronale à laquelle s’ajoute la
jurisprudence restrictive de la Cour de cassation. Celle-ci considère toute grève comme une
rupture unilatérale du contrat de travail 3172 . Un ouvrier ayant cessé le travail pour revendiquer
ne peut retrouver son poste qu’à la condition qu’il soit réembauché 3173 . En outre le gréviste
peut être condamné au paiement d’indemnités de préavis et de rupture abusive 3174 .
La définition de la grève varie considérablement selon les opinions et courants de
pensée. Certains auteurs estimes qu’il s’agit d’une « tentative collective de révision du contrat
de travail 3175 ». D’autres insistent sur l’aspect contraignant du mouvement collectif. Ainsi,
Charles Gide parle d’un « moyen de contrainte exercé par l’une des parties sur l’autre pour
la forcer à modifier les conditions de travail 3176 ». Enfin il y a les opposants ne voyant en la
grève qu’un moyen illégitime et violent : un « chantage » selon de La Tour du Pin parle 3177 .
3167
Cette dépénalisation du fait de grève s’inscrit dans un contexte européen convergent. Le délit de coalition
disparaît en Belgique en 1866, en Prusse en 1869 (en 1871 pour le II eme Reich), en 1872 pour les Pays-Bas et le
Luxembourg en 1879 cf. SIROT (Stéphane), op. cit., p.27.
3168
Ce texte législatif est également dit d’Emile Ollivier du nom de son rapporteur, député au Corps législatif.
L’avocat Emile Ollivier (1825-1913) rallie le camp bonapartiste durant la période libérale du second Empire
après l’avoir combattu en tant que Républicain. Il dirige même le dernier gouvernement de Napoléon III avant
que la défaite de Sedan ne mette fin à ses tentatives de réforme. En 1870, il entre à l’Académie Française. Ses
tentatives de retour dans la vie politique après 1873 sont un échec.
3169
Ces violations à la liberté du travail sont les voies de fait, les violences, les menaces ou les manœuvres
frauduleuses.
3170
Le législateur reconnaît la faculté de faire grève et non le droit de grève lui-même. Cette possibilité offerte
aux salariés est rigoureusement encadrée par la stricte limitation du droit de réunion et des organisations
professionnelles.
3171
Le sang coule dans les bassins houillers stéphanois ou avéronnais en 1869.
3172
Un arrêt de la Cour de cassation de 1907 est explicite en la matière : « L’ouvrier qui se met en grève rend
impossible, par son fait volontaire, la continuation de l’exécution du contrat de travail qui le liait à son patron ;
que cet acte, s’il ne lui est pas interdit par la loi pénale, n’en constitue pas moins de sa part, quels que soient les
motifs auxquels il obéit, une rupture caractérisée dudit contrat » cf. Cass. Civ. 15 mai 1907, D., 1907, I, 369.
3173
COUTURIER (Gérard), Droit du travail, les relations collectives du travail, op. cit., p.364. Cette situation
cessera d’abord en 1946 où le Préambule de la Constitution reconnaît pour le première fois le droit de grève puis
par la loi du 11 février 1950 qui stipule qu’une grève ne rompt pas le contrat de travail sauf faute lourde
imputable au salarié.
3174
Loi du 27 décembre 1890 qui modifie l’article 1780 du Code civil.
3175
Définition de Fournière in Revue Socialiste, avril 1907, p.237 cité par DAMOUR (Louis), op. cit., p.31
3176
GIDE (Charles), Le droit de grève : leçons professées à l’Ecole de Hautes études sociales, Paris, 1909, p.31.
3177 Cité par DAMOUR (Louis), op. cit., p.31.
713

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Dans l’ancienne province du Poitou comme ailleurs les revendications ouvrières (B)
exprimées au travers des coalitions ou des grèves se sont développées très timidement au fil
du XIX e siècle pour se banaliser dans les deux dernières décennies jusqu’à la Grande Guerre
(A).
A- Vers la banalisation
a) Des coalitions rares et ciblées
Etudier les coalitions 3178 n’est pas une tâche aisée, en particulier dans des
départements réputés ruraux où l’ouvrier pèse peu sur les enjeux locaux. En effet, bien
souvent il est difficile de distinguer les émotions populaires fortuites, souvent liées à des
préoccupations alimentaires, des troubles aux arrières pensées politiques et des manifestations
aux revendications purement liées au monde du travail. Toutefois, l’ordre public est troublé et
fréquemment des ouvriers y ont leur part de responsabilité.
Etre exhaustif en la matière paraît difficile. Le terme même de « coalition » regroupe
de multiples réalités. Pour cela, il faudrait éplucher les archives judiciaires et les journaux
locaux sur une très longue période. Malgré tout, il est possible de dégager une tendance quant
à la survenance et aux caractères des coalitions qui ont pu se dérouler dans les départements
poitevins où l’ouvrier est peu enclin à se manifester à l’exception notable du « rayon
choletais ».
1. Le faible esprit revendicatif de l’ouvrier poitevin
Trois temps se dégagent dans le « mouvement revendicatif » poitevin avant la loi de
1864 : l’apparition des premiers conflits sous Louis-Philippe, leur interruption à partir de la
Deuxième République et leur retour pendant la période libérale du second Empire.
1.1. L’avènement des coalitions ouvrières
Rares sont les mouvements de rebellions ouvrières antérieurs à la monarchie de Juillet.
En 1829, à Montmorillon, des ouvriers se distinguent lors d’une manifestation contre la taxe
3178 Pour un inventaire des coalitions poitevines voir annexe 16.
714

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
sur le blé 3179 . Ils défilent et chahutent en compagnie de femmes tout en tenant des propos
favorables aux thèses républicaines. Toutefois, plus qu’une coalition il s’agit d’une émotion
populaire spontanée, très loin d’un mouvement revendicatif aux buts précis. Cela n’empêche
pas de sanctionner les fauteurs de troubles afin « d’intimider les classes populaires de la
région sérieusement agitée par la cherté des grains » 3180 .
C’est en avril 1835 que l’on remarque une des premières véritables coalitions
ouvrières poitevine. Elle touche le secteur de l’habillement et, dans un premier temps, les
tailleurs d’habit de la ville de Poitiers. Une lettre du ministère de l’Intérieur 3181 parle de la
cessation du travail des garçons tailleurs de la ville depuis plus de 15 jours pour obtenir une
augmentation de deux francs 3182 . Le problème est que cette initiative s’inscrit dans un plus
vaste mouvement touchant tout l’Ouest de la France après avoir débuté à Paris en 1832 où
s’ébaucha un réseau d’associations de tailleurs d’habits 3183 . Le mouvement pictave échoue par
la combinaison de mesures coercitives, en particulier par l’action prompte du commissaire de
police de la ville 3184 , et la mise en place d’une commission mixte de conciliation 3185 : une
initiative qui montre que la répression n’est pas la seule option de l’autorité public en ces
temps de prohibition absolue des coalitions.
Cependant ce mouvement ressurgit en février 1837 à Niort, toujours dans le cadre de ce projet
de coalition générale regroupant les tailleurs d’habits des villes de l’Ouest de la France. Une
missive du préfet de Gironde au préfet des Deux-Sèvres 3186 mentionne l’existence d’un réseau
de sociétés philanthropiques de garçons tailleurs visant à imposer aux chefs d’ateliers une
revalorisation salariale. Le ministre de l’Intérieur confirme l’existence de correspondances
entre des sociétés de Bordeaux, Angers, Saumur, Rennes, La Rochelle, Rochefort, Cognac et
Niort 3187 . Les meneurs, soupçonnés de sympathies républicaines, souhaitent organiser un
mouvement solidaire généralisé afin d’éviter les déplacements d’ouvriers d’une ville à l’autre
3179
MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Bernard et Bouriaud. Les dossiers de la Cour d’assise
signalent la présence d’un certain Mathurin Gand, maçon à Lussac-les-Châteaux, et d’un charpentier local,
Bernard, cf. ADV 2U 1501. Dossiers de Cour d’assise de la Vienne [1829].
3180
Un autre soubresaut séditieux agite Montmorillon un an plus tard toujours à propos du prix du pain. On
trouve deux maçons parmi les manifestants dont les rangs comptent beaucoup de femmes, cf. ADV 2U 1502.
Dossiers de Cour d’assise de la Vienne [1830].
3181
Lettre du ministère de l’Intérieur au conseiller de préfecture de la Vienne en date du 23 avril 1835, ADV
M4.43. Circulaires et correspondances du préfet (1835-1836).
3182
Sur un salaire à la pièce s’élevant à dix francs.
3183
AGUET (Jean-Pierre), op. cit., pp.132 et s.
3184
Celui-ci veut éviter une propagation du mouvement revendicatif chez les cordonniers et les charpentiers de
Poitiers.
3185
DEWERPE (Alain), Le monde du travail…, op. cit., p.76.
3186
Courrier du 28 février, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1832-1899].
3187
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1832-1899].
715

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
pour ne pas fournir de la main d’œuvre aux patrons d’ateliers en grève. Privés de main-
d’oeuvre les entrepreneurs seraient obligés de satisfaire aux revendications de leurs salariés.
Des visites domiciliaires sont effectuées chez les membres de l’association philanthropique
niortaise. On y saisit divers pamphlets, brochures et sommes d’argent attestant de l’existence
du projet. Des arrestations suivent et l’affaire est jointe à celles de Rochefort, La Rochelle,
Saintes et Saint-Jean-d’Angely, toutes du ressort du procureur général de Poitiers. Le tribunal
Saintes se charge des sanctions : 46 personnes sont condamnées sur 49 accusées 3188 . Ce
réseau constituerait « incontestablement une des preuves les plus intéressantes d’une prise de
conscience de classe parmi les groupes ouvriers français 3189 ».
La deuxième moitié des années 1830 semble marquer l’éclosion des mouvements
revendicatifs notamment dans le département des Deux-Sèvres. En septembre 1836, les
maçons de Niort cessent le travail par solidarité avec sept des leurs déjà arrêtés pour avoir
essayé de faire cesser le travail à leur collègues. La tentative est « complètement
réprimée 3190 ». Cet évènement se déroule au même moment qu’un mouvement de même
nature à Nantes, alors un des plus grands centres industriels français. Une coïncidence
troublante qui laisse envisager une possible concertation clandestine ou du moins un effet de
mimétisme entre maçons deux-sévriens et nantais. La même année, une manifestation
d’ouvriers chargés de la construction d’un pont agite la ville de Thouars. On s’y plaint, au son
du tambour et rangé derrière le drapeau rouge, de ne pas être assez payés. Le commissaire
local demande l’intervention de la troupe 3191 .
Le premier véritable mouvement revendicatif vendéen, hors du rayon choletais, peut
être mis à l’actif des verriers de Faymoreau 3192 qui se plaignent, en novembre 1838, du non
respect patronal des termes de leurs contrats de travail. La situation sur place est tendue. On
hésite pas à manifester le bâton à la main. Les autorités administratives, judiciaires et
policières prennent l’affaire très au sérieux et se transportent tour à tour sur place. Il en résulte
3188
Pour de plus amples détails sur cette coalition organisée à grande échelle voir AGUET (Jean-Pierre), op. cit.,
pp.132 à 140.
3189
AGUET (Jean-Pierre), op. cit., p.140.
3190
Lettre maréchal de camp de la douzième subdivision militaire des Deux-Sèvres adressée au préfet datée 18
septembre, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1832-1899].
3191
Rapport du commissaire de police de Thouars du 19 octobre 1836, ADDS 4M6.13 Chouannerie ; mouvement
social ; rapports divers [1836 ; 1847].
3192
REGOURD (Florence), L’embauche à la verrerie de Faymoreau…, op. cit., pp.17-18.
716

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
quelques arrestations suivies de légères condamnations, sans que la direction change sa façon
de faire à propos des contrats de travail 3193 .
A partir ce cette date, on y dénombre neuf coalitions étrangères au monde textile 3194 . La
première se déroule en mai 1840 à Noirmoutier chez les tailleurs de pierres et maçons locaux.
Le terme de « rébellions » est employé par les autorités, une accusation juridiquement grave
et assez rare pour être signalée. Quatre ans plus tard, c’est au tour des maçons de Montaigu et
de Chavagnes (Saint Fulgent) 3195 . Les premiers obtiennent une augmentation de leurs salaires
malgré douze inculpations, les seconds n’ont pas cette chance et retournent au travail aux
conditions antérieures.
Par la suite quelques coalitions éclatent sporadiquement.
En 1839 des rumeurs courent le long des rives de la Sèvre et parlent de grève chez les
menuisiers niortais sans pour autant qu’elles soient attestées par les faits 3196 . En revanche, une
grève éclate en juillet de la même année à Parthenay parmi des ouvriers maçons occupés à la
construction d’une caserne. Leurs revendications salariales repoussées par l’entrepreneur les
conduit à quitter le chantier. La justice intervient et arrête les principaux meneurs.
L’intervention est efficace puisque le travail reprend quelques jours plus tard 3197 . A Mauzé la
présence du préfet fait avorter une manifestation ouvrière influencée par les émeutes
frumentaires survenues à La Rochelle 3198 .
Un an plus tard, en 1840, les ouvriers boulangers de Châtellerault fomentent une
grève. Là encore des sanctions pénales sont prises 3199 .
Puis c’est au tour des ouvriers plâtriers et plafonneurs de Poitiers de se coaliser pour
tenter de faire accepter l’augmentation de leurs salaires 3200 . Ils parcourent les ateliers pour
empêcher les ouvriers de travailler afin d’enchérir les travaux et d’obliger la signature
d’engament à des prix déterminés. Une façon de faire manifestement illégale et pourtant jugée
3193
Une attitude qui persistera jusqu’à la fermeture des portes de la verrerie.
3194
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., pp.563 et s.
3195
ADVd 3U1.62. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La Roche-sur-Yon. Correspondances
avec le procureur (1812-1850) et ADVd 3U1.641. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La Rochesur-Yon.
Dossiers de procédure (1842-1846).
3196
TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit.
3197
AGUET (Jean-Pierre), op. cit., pp.169-170.
3198
Rapport mensuel du préfet sur l’état du département en date de février 1839, ADDS 4M6.13 Chouannerie ;
mouvement social ; rapports divers [1836 ; 1847].
3199
MAITRON (Jean), Première partie, op. cit., v° Loudaut.
3200
Rapport du commissaire de police de Poitiers au préfet de la Vienne du 9 août 1843, ADV M4.49.
Correspondances du préfet (1843-1844).
717

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
sans gravité par les autorités, même si la justice intervient in fine. On semble moins sévère à
Poitiers que dans le reste de l’ancienne province.
En juin 1846, des terrassiers occupés sur le chantier de chemin de fer de Port-de-Pile,
au nord de Châtellerault, protestent contre leur entrepreneur qui ne payerait pas le prix
convenu. Malgré des heurts entre direction et ouvriers – la cour de la maison de l’entrepreneur
est envahie et sa personne verbalement prise à partie –, l’intervention de la gendarmerie
rétablit le calme et la paie est distribuée normalement 3201 .
1.2. La relative interruption des coalitions sous la II eme
République
En 1848, seuls les terrassiers d’Aizenay tentent de se coaliser, et sans grand succès, dans
le département de la Vendée 3202 . Même constat dans la Vienne où l’on relève peu de traces
d’agitation lors des événements de 1848, tout comme sous la Deuxième République. Seuls
quelques troubles surviennent inévitablement sur les chantiers de chemin de fer à Port de Pile,
en mai 1848 3203 , et dans un des faubourgs de Poitiers, en mai 1849, où des ouvriers s’en
prennent à des « propriétaires ». Le préfet y remédie en envoyant quelques gendarmes afin
d’inspirer « une crainte salutaire 3204 ».
En revanche, le monde ouvrier deux-sévrien 3205 ne manque pas de s’associer à la
communion nationale et aux espoirs qu’elle suscite 3206 . Cependant, à de très rares exceptions
près, on ne peut pas parler de coalitions avec grèves et arrêt de travail. On parle plutôt de
pétitions destinées à faire entendre les revendications de certaines « corporations » du
département 3207 . En mars, les tailleurs d’habits 3208 , les maçons et les tailleurs de pierres 3209
niortais adressent leurs vœux aux représentants du gouvernement provisoire tout en
demandant une revalorisation de leurs salaires. Les ouvriers du bâtiment réclament une
3201
ADV M4.50 : Correspondances du préfet (1845-1847).
3202
ADVd 3U1.643. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La Roche-sur-Yon. Dossiers de
procédure (1848-1852).
3203
ADV M4.54. Correspondances du préfet (1848).
3204
ADV M4.56. Correspondances du préfet (premier semestre 1849).
3205
Même si le Nord du département ne partage pas l’enthousiasme républicain du reste des Deux-Sèvres.
3206 er
Le 1 mai 1848 est marqué par un rassemblement de 150 à 200 maçons et terrassiers de la commune de
Parthenay et des alentours (Châtillon, la Peyratte etc.). Ils parcourent la vieille ville derrière le drapeau tricolore,
ADDS 4 M6.14 b. Révolution de 1848 ; proclamation de la République et adhésion des communes ; arbres de la
Liberté ; délivrance de drapeaux ; rapports divers (1848-1849).
3207
Cf. TOUL (Yves), Les origines du mouvement ouvrier…, op. cit., p.383-348, VINCK (Maurice), op. cit., pp
253-385, MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Deux-Sèvres et ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves
[1832-1899].
3208
On compte 46 signataires parmi les tailleurs d’habits.
3209 On compte dix délégués signataires.
718

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
augmentation journalière de 25 centimes tout en refusant une diminution des heures
travaillées que le gouvernement souhaite instaurer. Dans le même temps, une députation
d’ouvriers chamoiseurs se plaint de difficultés relationnelles survenues entre eux et leurs
chefs d’ateliers.
Si les ouvriers de Niort en restent à des doléances respectueuses, ceux de Saint-Maixent se
montrent autrement plus véhéments. Les ouvriers tailleurs de la ville se plaignent de la
concurrence déloyale qui leur est faite par des ouvriers militaires 3210 :
« Les soussignés Maîtres et ouvriers tailleurs de la ville de
Saint-Maixent ont l’honneur d’exposer à MM les membres de la
commission que la concurrence illégale que leur fait le tailleur du
dépôt de Remonte, qui, en touchant sa solde de brigadier de vétéran,
et les accessoires ; en employant des militaires ouvriers qui
travaillent à un prix très réduit en raison de l’entretien, dont ils sont
pourvus par l’Etat, et cela au détriment des ouvriers du corps
presque tous pères de famille.
Qu’en raison de ces circonstances, ils ne peuvent entreprendre les
fournitures et effets de gardes nationaux et autres par suite du
rabais considérable que ledit tailleur du dépôt de Remonte offre
n’ayant pas les mêmes charges qu’eux, étant en activité de service et
salarié par l’Etat.
Qu’il en résulte :
1) que cela porte un préjudice notable à leur industrie
2) qu’ils ne peuvent employer leurs ouvriers, et qu’ils sont
forcés de les congédier ; qu’un pareil état de chose ne peut
subsister, puisqu’il serait en hostilité permanente avec les actes du
gouvernement qui an pour but de détruire la concurrence et surtout
celle illégale.
Ils supplient donc MM les membres de la commission d’y mettre un
terme en faisant inviter par qui de droit ledit tailleur à ne s’occuper
que d’effets militaires ayant rapport à l’équipement du dépôt 3211 ».
Le même jour le président de la commission industrielle provisoire de l’arrondissement de
Niort adresse au citoyen commissaire du gouvernement un autre courrier où il relate un projet
3210 Adresse du 16 mars 1848 transmise par le président de la commission industrielle provisoire au citoyen
commissaire du gouvernement le 20 mars 1848, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1832-1899].
3211 Vingt signatures suivent cet acte.
719

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
de coalition des ouvriers menuisiers de Saint-Maixent. Une délégation de vingt d’entre eux
sollicite auprès du maire l’approbation par les autorités de leur augmentation de salaire et leur
réduction des horaires de travail accordées par 17 maîtres menuisiers de la cité. Une initiative
que repousse le président de la commission industrielle. Celui-ci leur demande d’attendre le
vote d’une nouvelle législation. Malgré l’accord entre patrons et ouvriers la menace d’une
grève plane sur Saint-Maixent 3212 . Et certaines vont éclater ça et là comme l’atteste un appel
aux ouvriers lancé par Désiré Maichain, le commissaire du gouvernement provisoire 3213 , dans
lequel il exhorte les classes laborieuses à faire preuve « de courage et de patience » sans céder
aux sirènes fallacieuses qui les poussent à cesser le travail 3214 .
Après ces quelques soubresauts revendicatifs, la population ouvrière du département
des Deux-Sèvres entre dans une phase léthargique qui ne prendra fin qu’une fois le droit de
grève dépénalisé. Un calme qui contraste avec la relative agitation des départements voisins
sous le second Empire.
1.3. Le réveil des ouvriers coalisés sous le second Empire
A l’exception des Deux-Sèvres, le nombre de coalitions poitevines augmente sous le
second Empire. S’agit-il d’un véritable développement revendicatif ? Ou plutôt de
l’illustration d’une police étatique constamment sur le qui-vive et prompte à intervenir
rapidement à la moindre agitation sociale ? Certainement un peu des deux 3215 .
Dès 1851 le monde ouvrier de la Vienne s’agite. Une coalition d’ouvriers maréchaux-
ferrants est réprimée à Châtellerault 3216 , suivis en avril de la même année par les terrassiers
des chantiers de chemins de fer qui se mettent en grève 3217 : ils sont 200 à réclamer une
augmentation de salaire. Malgré l’importance du conflit, le commissaire spécial ne condamne
pas les ouvriers. Il est le premier à estimer que la procédure de paiement qui est dénoncée ici
3212
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1832-1899].
3213
Désiré Maichain, députe républicain des Deux-Sèvres sous la monarchie de Juillet, est nommé commissaire
du gouvernement provisoire par Ledru-Rollin. Il remplace temporairement le préfet, Vernoy de Saint-Georges,
qui a quitté Niort après s’être rallié à la République. Sur les fonctions et le rôle des commissaires provisoires voir
SAUTEL (Gérard), HAROUEL (Jean-Louis), op. cit., p.411.
3214
VINCK (Maurice), op. cit., p.32.
3215
Deux facteurs auxquels il faut ajouter la construction des lignes de chemin de fer facteurs aggravant en la
matière.
3216
MAITRON (Jean), première partie, op. cit., v° Grandin.
3217
ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
720

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
est viciée par les « chefs de bricole » qui détournent à leurs profits une partie de l’argent. Une
position reprise par le procureur général du parquet de Poitiers qui finira par estimer les torts
partagés.
A peine le temps d’inaugurer la ligne Tours-Poitiers le 1 er juillet qu’un nouvel arrêt de
travail survient en octobre 1851 de la part des tailleurs de pierres occupés à la construction
d’un pont ferroviaire. Le préfet choisit de ne pas poursuivre cette initiative afin de ne pas
aggraver les tensions existantes au sein d’une population notoirement dissipée. Pas de
sanction mais l’obligation pour les coaliser de quitter le département après que leurs comptes
aient été soldés. Cette manière d’opérer est saluée par le ministre de l’Intérieur 3218 . Une
attitude beaucoup moins conciliante est adoptée en 1853 à propos d’un mouvement
revendicatif éclatant à Ligugé sur le tracé de la future ligne Poitiers-Angoulême où une
centaine d’ouvriers réclament une augmentation de salaire. Les autorités préfectorales
interviennent sans délai en écrouant les meneurs du mouvement 3219 .
En 1852, après une nouvelle grève sur un des chantiers ferroviaires du
département 3220 , c’est au tour des ouvriers carriers de Chauvigny d’être en désaccord avec
leur direction sur la somme qui leur est payée au mètre cube de pierre déblayée. Deux carriers
sont inquiétés par la justice malgré les négociations avec la direction, et les ouvriers non
signataires sont renvoyés chez eux 3221 . En juin de la même année, les ouvriers charpentiers et
couvreurs de la ville se coalisent à leur tour. Leurs chefs subissent eux aussi les foudres
administratives et judiciaires 3222 .
Deux ans plus tard, en juin 1855, le préfet met fin à une tentative de coalition touchant
diverses corporations d’ouvriers de la ville de Montmorillon. L’initiative semble avoir été
prise par des maçons, dont cinq arrêtés et condamnés. Des charpentiers sont aussi soupçonnés
avant de bénéficier d’un non lieu pour « coalition non avérée » 3223 .
Au même moment à Poitiers, les ouvriers charpentiers, déçus du sort de leur coalition,
quittent la ville pour se rendre sur les chantiers de chemin de fer près de Lusignan où ils
pensent trouver du travail 3224 .
3218 Ibid. Lettre du 18 octobre adressée au préfet de la Vienne.
3219 ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
3220 Ibid. Cette fois-ci on réclame le paiement de salaires en retard et encore une fois la situation sur place est très
tendue.
3221 ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1852).
3222 ADV M4.65. Correspondances du préfet (1853).
3223 ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856) & MAITRON (Jean), première partie, op. cit.,
v° Sadoux.
3224 L’ordre public n’aurait pas été troublé, cf. lettre du commissaire central adressé au préfet de la Vienne, ADV
M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
721

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
A côté des chantiers de chemin de fer le secteur du bâtiment est sans conteste la source
principale de mouvements revendicatifs avant la fin du délit de coalition. L’exemple vendéen
de 1855 l’illustre. Cette année là des maçons de Pouzauges, puis de Mortagne, Montaigu et La
Roche-sur-Yon se rebellent en liaison avec les mouvements existant simultanément à Angers
ou en Loire-Inférieure 3225 . Un an après, 86 représentants du même corps de métiers se
coalisent aux Sables-d’Olonne pour obtenir une hausse de salaire. Une solution très originale
est trouvée puisqu’un règlement est établi après l’accord survenu entre entrepreneurs et
ouvriers. Un véritable contrat collectif est conclu. Il fixe à la fois le prix de la journée, le
rythme de la paie, la nature du salaire et la durée du travail. Cette conclusion paisible est
désapprouvée par le sous-préfet car il s’agirait, pour lui, d’un précédent fâcheux qui pourrait
inciter d’autre corps de métiers à se coaliser 3226 . Toutefois, c’est encore la voix de la
conciliation qui est choisie quand les cordonniers de Fontenay se coalisent en mai 1856. Cette
fois le commissaire central se félicite de l’attitude de toutes les parties au conflit : « Des
concessions réciproques entre patrons et ouvriers et la bienveillante et paternelle intervention
des autorités ont amené ce résultat sans qu’il y ait eu la moindre manifestation coupable 3227 ».
C’est à Chauvigny que l’on constate la dernière coalition de la période dans le
département de la Vienne. Elle est l’œuvre des cordonniers de la ville et survient en juin
1858 3228 . Une augmentation de leur salaire de 25 centimes par paire de souliers produite est
réclamée. Les maîtres acceptent la demande et la grève ne dure que 24 heures. Néanmoins
l’accord n’est pas appliqué le dimanche suivant, jour de la paie. La grève reprend sans
trouble : les cordonniers se contentent de rester chez eux. Le mouvement finira par s’étioler ;
seuls quelques ouvriers réussissent à s’entendre avec leurs maîtres. Toutefois, malgré
l’absence totale de troubles, les deux meneurs du mouvement sont poursuivis par les autorités.
Un conflit du travail plus original survient aux mois d’août et septembre 1859 quand
des ouvriers chapeliers de Fontenay-le-Comte s’opposent au travail à la pièce et à la
mécanisation de leurs tâches. On peut y déceler une influence compagnonnique certaine.
Enfin, la période se conclut par un mouvement de mécontentement d’ouvriers
terrassiers près de l’Aiguillon. Ces hommes, pour la plupart cultivateurs, sont appelés à se
3225
GUIN (Yannick), Le mouvement nantais. Essai sur le syndicalisme d’action directe à Nantes et à Saint-
Nazaire, Paris, 1976, pp.205-206.
3226
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.566.
3227
Ibid.
3228
ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859) et MAITRON (Jean), première partie, op. cit.,
v° Cotet.
722

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
déplacer sur les chantiers pour ensuite ne pas y être embauchés, d’où leur mouvement
d’humeur se concluant par des poursuites ultérieures et un non lieu.
La Vendée ouvrière a une « préhistoire revendicative » relativement plus agitée que
les Deux-Sèvres et la Vienne. La proximité de la ville textile de Cholet explique cette
multiplication des conflits sociaux dans le monde rural nord Vendéen.
2. Le cas spécifique du « rayon choletais »
L’industrie textile choletaise subit un nombre assez conséquent de coalitions entre
1830 et 1864 3229 . Elles touchent, la plupart du temps, tout le rayon choletais, c'est-à-dire
Cholet, ses alentours et sa frange vendéenne et deux-sévrienne.
Si la première grève de 1831 semble n’affecter qu’une minorité d’ateliers, suite au non
respect par les fabricants des aunes 3230 réglementaires constaté par les vérificateurs des poids
et mesures, celle de septembre 1836 touche tout le bassin textile de la région. La grève
survient en réaction à une nouvelle baisse des tarifs et s’inspire de l’exemple contemporain
des cordiers nantais. L’administration réagit de façon « prompte et complète » selon les dires
du ministre de l’Intérieur Gasparin. Les services de préfectures, les tribunaux, l’armée et la
garde nationale agissent de concert et font cesser les troubles.
Toujours en septembre, mais en 1840, les tisserands de Mortagne en Vendée se joignent à un
mouvement plus général ayant débuté chez les teinturiers et apprêteurs de la capitale des
Mauges. Là encore, la baisse des tarifs est au cœur des préoccupations. En octobre, des
tisserands vendéens se regroupent et marchent sur Cholet pour y rejoindre leurs compagnons
grévistes. Ils s’arrêtent aux portes de la ville en apprenant les hausses de salaire promises par
des fabricants. La présence de troupes postées à toutes les issues de la ville y est aussi pour
beaucoup. L’administration, sur la demande exprès du ministre de l’Intérieur, agit avec
fermeté même si les témoignages de sollicitude abondent envers la classe ouvrière : le
substitut du procureur comme le commissaire de police s’accordent sur l’état de misère
patente et profonde de cette catégorie de la population.
Un autre mouvement échoue au début du printemps 1841 sans que l’on puisse dire si des
vendéens y participent. En revanche, 3000 tisserands se réunissent à Cholet en juillet 1844 et
3229 Voir POPEREN (Maurice), op. cit., pp.11 à 39.
3230 Ancienne mesure de longueur valant 1,188 mètres.
723

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
obtiennent l’amélioration de leurs rémunérations. Parmi eux près de 150 coalisés d’Évrunes et
de Mortagne 3231 .
Par la suite, d’autres mouvements secouent la région jusqu’en 1864. Il semblerait que ces
coalitions ne touchent pas tout le rayon choletais. Elles se focalisent plutôt sur son centre. Les
bourgs de sa lointaine périphérie, comme ceux de Vendée, n’y participent peu ou pas.
Néanmoins il paraît certain que les tisserands vendéens subissent lors de ces troubles
l’influence et les pressions de leurs homologues des Mauges, comme c’est le cas lors des
mouvements revendicatifs de la fin du XIX e siècle 3232 .
Hormis le cas particulier des tisserands vendéens, les ouvriers poitevins du bâtiment et
ceux occupés aux travaux de construction des lignes de chemins de fer sont les plus fervents à
braver la loi prohibant les coalitions. Ces groupes réunissent généralement des ouvriers peu
qualifiés exerçant un travail saisonnier. La nécessité d’exécuter les travaux dans des délais
brefs, l’offre de travail importante de ces secteurs d’activité, et l’embauche toujours possible
dans les travaux agricoles, leurs donnent un poids important dans le jeu d’influence qui les
oppose aux entrepreneurs. A cela s’ajoute la présence dans ces corps de métiers de personnes
étrangères au département vecteurs d’idées nouvelles prêtent à germer dans les esprits
autochtones. L’exemple des tailleurs de pierre encore très influencés par un mode de
fonctionnement compagnonnique l’atteste. Les chantiers de chemins de fer sont souvent
présentés comme des bouillons de culture où cohabitent terrassiers locaux et étrangers à la
région. Ces personnes sans attaches peuvent se permettre de provoquer les autorités
contrairement à d’autres professions moins enclines à le faire pour des raisons économiques,
familiales, politiques ou judiciaires. La loi du 25 mai 1864 va changer lentement cette réalité.
b) La montée en puissance
Très progressivement le monde ouvrier découvre et use de cette liberté nouvelle
offerte par le législateur. Toutefois, même à l’échelle nationale, l’ouvrier le fait avec
parcimonie : les quatre cinquièmes des établissements de plus de quatre salariés sont
3231
ADVd 3U1.62. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La Roche-sur-Yon. Correspondances
avec le procureur (1812-1850).
3232
Les ouvriers de Cholet et de ses alentours se coalisent deux fois en février et juillet 1846, une autre fois en
septembre 1849 et une encore en 1860 On évite de peu d’autres coalitions en 1851, 1852 et 1855.
724

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
socialement calmes entre 1871 et 1890 et le taux de grévistes ne représente que de 5% des
effectifs salariés entre 1910 et 1914 3233 .
Entre 1864 et 1914, il y a près de 190 conflits du travail 3234 dans les trois
départements poitevins. Ce moyen d’action met du temps à s’installer dans l’esprit de la
classe ouvrière à l’échelle régionale comme à l’échelle nationale. On ne compte que 14
mouvements revendicatifs dans le Poitou entre 1864 et 1884, date à laquelle les syndicats
professionnels sont officiellement reconnus 3235 . Puis, dans une seconde période qui s’étend de
1884 au début du XX e siècle, 39 mouvements éclatent. Enfin, dès l’aube du siècle nouveau et
jusqu’à la Grande Guerre, on assiste à une relative banalisation de la grève puisque durant
cette phase, 125 actions revendicatives éclatent. Le nombre de grèves et mouvements
assimilés est multiplié par trois. Ces chiffres sont loin de ceux des régions hautement
industrielles mais qui s’inscrivent tout de même dans la dynamique nationale.
1. L’ère des soubresauts (1864-1884)
Pendant ces 20 ans la moyenne annuelle des mouvements sociaux est très faible 3236 .
Cette faiblesse se retrouve au niveau national. La fin du second Empire est marquée par
l’apathie du monde ouvrier qui se méfie du pouvoir en place et n’a aucune confiance dans la
loi de 1864, texte longtemps méconnu dans les campagnes. Un entrepreneur de Châtillon-sur-
Thouet affirme, neuf ans après la promulgation du texte, que « toute la législation sur ces
matières n’est pas connue de l’ouvrier dans le pays 3237 ». Puis, le monde ouvrier est victime
du « syndrome de la Commune » qui le condamne à la discrétion pendant près d’une
décennie. La question sociale est apparemment niée. Les grèves sont assimilées trop souvent à
des complots politiques ourdis par l’étranger ou comme la conséquence inévitable d’une
forme de dégénérescence d’un groupe social. L’Ordre moral règne. Il faut attendre 1878 pour
constater un démarrage véritable du nombre de grèves en France 3238 .
3233 CHARLE (Christophe), Histoire sociale de la France au XIX e siècle, Paris, 1991, p.306,
3234 Grèves ou menaces d’arrêts de travail,
3235 La loi du 21 mars 1884 reconnaît juridiquement les syndicats. Toutefois, la portée de cette loi est à
relativiser ; des associations professionnelles existent avant ce texte et suscitent longtemps la méfiance du monde
du travail.
3236 Une quinzaine de mouvements de grève ont été recensés.
3237 Témoignage du filateur Blot-Bardet, maire de Châtillon-sur-Thouet rapporté par ARCHES (Pierre), Une
ville et son maire, Parthenay en 1872, op. cit., p.131.
3238 Période de l’avènement de la République opportuniste.
725

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Néanmoins, au niveau local comme national, on constate immédiatement après la
parution de la loi de 1864 une augmentation, brève mais significative, du nombre de
mouvements revendicatifs lié à l’espoir que fait naître ce texte législatif « stimulant et
libérateur 3239 ». Sur quatorze différents collectifs recensés dans les trois départements entre
1864 et 1884, huit ont lieu avant la chute de Napoléon III. Le « pouvoir libérateur de la loi »
pousse certaines professions à revendiquer 3240 à l’image des carriers de Loudun en février
1865. Là, 300 ouvriers seraient prêts à cesser le travail à en croire l’administration
préfectorale contrainte d’intervenir 3241 . En août et septembre 1865, une grève touche le monde
du tissage choletais 3242 . Deux ans plus tard, c’est à Châtellerault que retentissent les échos des
revendications d’ouvriers grévistes. Cet été là, les carrossiers, les sabotiers et les charrons 3243
cessent le travail. Le sous-préfet de l’arrondissement signale la légalité de l’événement et
l’absence de troubles. Cependant, il met en exergue le développement des idées de grèves et
de coalitions qui germent de plus en plus dans l’esprit de la classe ouvrière. Il est intéressant
de noter qu’à la même époque un chantier de la compagnie des chemins de fer d’Orléans est
établi dans le nord de l’arrondissement, à Port de Piles. Le sous-préfet laisse d’ailleurs croire
à un lien de causalité entre les grèves Châtelleraudaises et celle affectant le chantier où une
trentaine de charpentiers quittent le département sans raison apparente 3244 . En septembre, c’est
toujours à Châtellerault qu’une cinquantaine de menuisiers mettent leurs outils au repos pour
réclamer à leurs patrons une hausse de salaire 3245 . Enfin, ce même été, une grève est signalée
chez les sabotiers de Civray, un des très rares mouvements revendicatifs de cet
arrondissement 3246 . Toujours à Châtellerault les ouvriers boulangers de la ville se rebellent
mais échouent en avril 1868 3247 .
Le département de la Vienne semble détenir le monopole de la grève. Peut être les
autorités, pour des raisons de convenance, passent-elles sous silence les quelques soubresauts
3239
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.74.
3240
WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.179.
3241
Une intervention dont on ne connaît guère la teneur. ADV M4.71. Correspondances du préfet (1862-1865).
3242
Il n’est pas avéré que les tisserands de la Vendée et les Deux-Sèvres y participent, POPEREN (Maurice),
op. cit., pp.33-35.
3243
Ici, comme ailleurs en France, les vieux métiers, trop longtemps brimés profitent de l’occasion que la loi de
1864 leur offre pour tenter de faire enfin entendre leurs revendications depuis si longtemps ressassées
3244
Lettre du sous-préfet de Châtellerault au préfet de la Vienne en date du 14 août 1867, ADV M4.72.
Correspondances du préfet (1866-1870).
3245
ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870).
3246 Ibid.
3247 Ibid.
726

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
qui peuvent se produire ça et là dans leurs départements 3248 ? Peut-être appliquent-elles à la
lettre le credo libéral de non intervention en matière économique ? Peut être n’y a t-il pas
réellement de grèves ? Quoi qu’il en soit la population ouvrière de Châtellerault est déjà
organisée et plus ouverte que d’autres aux débats sociaux même si les ouvriers de la
Manufacture sont à l’écart, contraints par le statut particulier de l’entité qui les embauche.
Peu de grèves dans les débuts de la III e République. Les déflagrations de la commune
parisienne résonnent encore sur tout le territoire et les temps ne sont pas aux revendications,
trop souvent assimilées à l’expression d’opinions politiques.
En outre, l’administration semble négliger le quotidien « comme le démontre entre 1871 et
1878 l’extrême irrégularité des rapports sur les coalitions, et ne s’attachent qu’aux grands
conflits […], hantés par les spectres de la Commune et de l’Internationale 3249 ». Si les grèves
sont rares, les sources les relatant le sont tout autant.
Dans la région, ce n’est qu’en décembre 1874 qu’une grève est signalée par le
commandant de gendarmerie de Fontenay-le-Comte qui rapporte, le 21 décembre 1874
l’échec d’un mouvement provoqué par les 200 ouvriers de l’usine de Chapeaux Gandriau 3250 .
L’année suivante, c’est encore le rayon choletais qui est secoué par l’un des derniers spasmes
du modèle archaïque du « tissage à la cave ».
En août et septembre 1876, un différent salarial oppose 500 ouvriers carriers et tailleurs de
pierres niortais à leurs patrons 3251 . En réalité, la grève est évitée, la conciliation a triomphé,
tout comme elle triomphera un an plus tard chez les menuisiers de la même cité 3252 .
Quelques années après, en juin 1879, ce sont à nouveau des tailleurs de pierres, à Luçon, qui
réclament une hausse de salaire. Celle-ci leur est refusée et il sont sommés de reprendre le
travail sous peine d’être remplacés par de la main d’œuvre venue de La Rochelle 3253 . L’effet
est immédiat.
Les entrepreneurs du bâtiment adoptent la même attitude en mars 1880 à Fontenay-le-Comte.
Cette fois-ci, les maçons et tailleurs de pierres locaux pétitionnent pour obtenir l’abandon de
mesures relatives aux heures de repas 3254 .
3248 Nombreuses sont les circulaires ministérielles à se plaindre du manque de zèle des préfectures dans leur rôle
d’observateur des conflits sociaux, en particulier depuis la circulaire du 12 juillet 1878. Cf. circulaire du 3 juillet
1885, RAA préfecture de la Vienne (1881-1899).
3249 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.33.
3250 ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
3251 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1832-1899].
3252 ADDS 11M19.1. Artisans, employés, ouvriers et apprentis : listes, états, livrets, contrats, correspondance.
3253 ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3254 Ibid.
727

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
La dernière grève de la période survient chez les ouvriers serruriers de La Roche-sur-Yon. Ils
revendiquent, comme ailleurs en France, une diminution d’une heure de leurs temps de travail
et le doublement de leur prime de déplacement 3255 . Ils sollicitent l’intercession du préfet qui
s’y refuse afin d’éviter tout précédent fâcheux. Le temps n’est pas encore à la médiation
préfectorale.
2. L’appropriation d’une liberté nouvelle (1884-1899)
Au début des années 1880, une impulsion nouvelle est donnée à la mobilisation
collective du monde ouvrier. La République est consolidée, le mouvement socialiste façonne
une nouvelle culture politique changeant la donne sociale et la liberté syndicale est reconnue.
Cette période établit les fondements de l’édifice revendicatif des classes populaires qui atteint
son apogée au début du siècle suivant. La grève étend son rayon d’action « comme une marée
irrésistible 3256 ». Seule la conjoncture économique morose jusqu’en 1896 freine le
mouvement. L’ouvrier réfléchit avant de mettre son emploi en jeu 3257 . La prospérité de retour,
le nombre de grèves s’amplifie.
L’application de la loi du 27 décembre 1892 relative à la conciliation et à l’arbitrage
en cas de grève a multiplié les sources relatant les conflits sociaux, ne serait-ce que par la
rédaction par chaque préfet de procès verbaux de conciliation détaillés. Cependant, il demeure
délicat d’appréhender les phases antérieures à la grève : menaces, préavis et négociations. Ces
étapes non conflictuelles échappent au contrôle des autorités, sauf dans certains secteurs
sensibles faisant l’objet d’une surveillance constante.
Dans le Poitou, sur 40 grèves et mouvements assimilés 34 se déroulent à partir des
années 1894. En 1884, les préfets de Vendée, des Deux-Sèvres et de la Vienne soulignent que
« les relations entre entrepreneurs et ouvriers sont bonnes et faciles 3258 » ce qu’ils peuvent
plus difficilement affirmer en 1896, année où le nombre de mouvements sociaux est le plus
important dans le Poitou comme en France. On en dénombre alors douze, soit un tiers des
élans revendicatifs poitevins compris entre 1884 et 1899.
3255
Ils réclament une journée de 11 heures et une prime de 1F50 cf. ADVd 10M45. Conflits du travail.
Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
3256
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.59.
3257
Une dépression économique sévit en France de 1875 à 1895.
3258
Situation industrielle du département de la Vendée au deuxième trimestre 1884, ADVd 6M1241. Situation
industrielle trimestrielle [1856 ; 1887].
728

14
12
10
8
6
4
2
0
Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Figure 31 : nombre de grèves entre 1884 et 1899 :
1
2
1 1
729
2
4
12
5 5
Années 1884 1885 1886 1887 1888 1889 1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898
Sources : ADDS, ADV et ADVd.
La disparité est forte entre les départements. La Vienne ne compte que six conflits
contre 17 dans les Deux-sèvres et 20 en Vendée. Cette différence s’explique par le type
d’industries existant dans la Vienne : des activités anciennes et artisanales, en perte de vitesse
et par la manufacture d’arme au statut particulier interdisant aux ouvriers de revendiquer en
cessant le travail 3259 .
L’examen du nombre de grèves par secteur d’activité ne révèle aucune surprise. Le
bâtiment domine, comme ailleurs en France, avec plus d’un tiers des mouvements sociaux 3260 .
Ce secteur est aussi celui où l’expansion est la plus forte 3261 . Le textile et l’habillement se
partagent 14% des grèves de la période surtout dans le rayon choletais. Là encore, la
rémanence des conflits est conforme au modèle national. Le textile est bien un « secteur clef
de l’agitation ouvrière 3262 ». Suivent les industries du cuir et de la cordonnerie, localisées à
Niort, les conserveries de poisson de la côte atlantique vendéennes et les mines des
charbonnages du bas Poitou.
3259
Toutefois, on frôle la grève dans l’atelier de bronzage de la Manufacture. La direction accepte une faible
augmentation tout en rappelant aux ouvriers le statut particulier de l’établissement, cf. L’Eclaireur de la Vienne
du 25 février 1894.
3260
16 grèves sur un total de 45.
3261
WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.321.
3262
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.58.
9

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Figure 32 : proportion de grèves par département (1884-1899) :
Vienne
14%
Vendée
46%
Figure 33 : grèves par type d’industries (1884-1899) :
2
2
4
5
6
6
730
4
Deux-Sèvres
40%
Sources : ADDS, ADV et ADVd.
16
Sources : ADDS, ADV et ADVd.
Bâtiment
Mine
Textile et
habillement
Cuir et
cordonnerie
Menuiserie
Construction
navale
conserverie de
poisson
Industries
diverses

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• Le secteur du bâtiment
Le premier conflit social du recensé dans la période 1884-1899 est le fait des
terrassiers occupés à la construction de la ligne de chemin de fer Civray-Le Blanc en 1887 3263 .
Sept années plus tard, une dizaine d’ouvriers couvreurs de La Roche-sur-Yon cessent le
travail et obtiennent satisfaction, une entente dont se félicite le préfet 3264 . La même
corporation s’illustre les années suivantes et particulièrement en 1896 où une vingtaine
d’ouvriers couvreurs niortais Niort cessent le travail 3265 profitant de la création de la bourse
du Travail pour se constituer en syndicat et revendiquer une hausse de salaire. Les patrons
ripostent en menaçant d’embaucher des ouvriers extérieurs au chef-lieu. Cette menace
n’émeut guère les grévistes occupés à travailler à leur compte ou sur d’autres chantiers 3266 . En
outre, ils bénéficient de l’aides de 23 syndicats de toute la France : Niort, Saint-Maixent,
Marseille, Tours, Paris, Béziers, Saint-Étienne, Nantes et Limoges, et de la bourse du Travail
d’Angers qui aurait fournit deux francs par jour aux grévistes 3267 . Le différent finira par
prendre fin prend fin après arbitrage et concessions mutuelles.
En mars et avril 1896, une grève plus importante secoue La Roche-sur-Yon où les
ouvriers maçons de la ville protestent contre l’obstination de quelques-uns des entrepreneurs à
ne pas vouloir appliquer des tarifs négociés l’année précédente 3268 . En avril la grève est quasi-
générale chez les ouvriers maçons – 143 ouvriers cessent le travail sur cinq chantiers – alors
que les trois entrepreneurs respectant les tarifs restent à l’écart du conflit 3269 . Malgré la
détermination des travailleurs et l’appui de la Fédération du bâtiment de Nantes le
mouvement s’essouffle. Des désaccords internes opposent les membres de la Chambre
Syndicale des ouvriers du bâtiment. Le mouvement échoue après la décision du juge de paix
de ne pas octroyer de force obligatoire à l’accord objet du litige. Pour les ouvriers, on fait fi
du parrainage préfectoral 3270 .
3263
Le conflit a lieu près de Civray, cf. L’Eclaireur de la Vienne du 23 janvier 1887.
3264
La grève dure trois jours et se termine par des concessions de part et d’autre relatives au salaire, à la
réduction du temps de travail estival et à la suppression de la rémunération à la journée au profit du travail à
l’heure, ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3265
En avril 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3266
Notamment à la construction d’un cirque.
3267
Rapport du commissaire de police de Niort du 8 avril 1896, Ibid.
3268
Tarifs déjà négociés suite à une grève, ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3269
Parmi eux se trouve Benjamin Guillet, un candidat déclaré aux prochaines élections municipales…
3270
Rapport du commissaire spécial du 19 avril 1896, ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ;
1936].
731

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Après une tentative des tailleurs de pierres du deuxième canton des Deux-Sèvres en
mai 1896 3271 , ce sont les ouvriers maçons et terrassiers des Sables-d’Olonne qui prennent le
relais en mars 1897. Une centaine d’entre eux cessent le travail avec l’appui de la fédération
parisienne. Après diverses interventions, ils finissent par reprendre le travail moyennant une
très légère augmentation 3272 .
L’année 1898 est marquée par quatre mouvements revendicatifs 3273 . Celui des ouvriers
maçons, charpentiers et zingueurs de Bressuire qui essaient d’obtenir un changement de leur
mode de rémunération et l’augmentation de leurs salaires 3274 . L’affaire est portée devant le
tribunal de paix avant que le maire de Bressuire n’intervienne pour éviter que le conflit
s’étende. L’initiative se solde par un échec, les patrons ayant finalement gain de cause.
La période se termine par quatre autres conflits dont trois se déroulent à Poitiers en
1899 3275 . Pendant cinq semaines, du mois d’août à septembre 3276 , 300 plâtriers, couvreurs et
maçons, sur les 353 que compte la ville 3277 , se mobilisent en vain. L’intimidation des non
grévistes de Poitiers et des environs, que l’on doit protéger par la force publique 3278 , la tenue
de propos véhéments 3279 , la durée du mouvement et les dissensions entre professions finissent
par avoir raison de la détermination des uns et des autres.
3271
Ils adressent une requête au juge de paix pour qu’il intercède auprès de leurs employeurs afin d’obtenir un
nombre égal d’heures de travail été comme hiver, cf. rapport du commissaire de police de Niort au préfet du 17
mai 1896, Ibid.
3272
ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936] & ADVd 10M47. Grèves dans les usines et
carrières [1897 ; 1936].
3273
130 ouvriers maçons et manœuvres embauchés dans 9 établissements de La Roche-sur-Yon et de Saint
André d’Ornay cessent le travail. Le juge de paix intervient et une faible augmentation leur est accordée, cf.
ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936]. En mai, c’est au tour des charpentiers de Poitiers
de menacer de faire grève (ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909]). En août, 150 ouvriers maçons employés par
dix entreprises de Parthenay cessent le travail. Ils obtiennent une petite augmentation de leur rétribution, cf.
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3274
Fin février 1898, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3275
Le quatrième éclate à Aizenay en Vendée en mai 1899 et se conclue par un échec malgré une tentative de
conciliation des instances municipales Rapport du maire d’Aizenay au préfet du 28 juin 1899, ADVd 10M45.
Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
3276
Du 7 août et se termine le 14 septembre.
3277
Ils sont employés par 28 entrepreneurs sur 43 chantiers Rapport du commissaire central du 5 août, ADV
M12.113. Grèves [1894 ; 1902]. Quatorze entrepreneurs sont confrontés à la grève de leurs ouvriers.
3278
L’Avenir de la Vienne, article du 6 septembre 1899 : quatre ouvriers qualifiés de « renégats » travaillent sur
un chantier sous la protection dune demi-douzaine de gendarmes.
3279
ADV M12.113. Grèves [1894-1902] et l’Avenir de la Vienne, article du 6 septembre 1899 : Dardant, le
président du comité de grève parle des non grévistes comme « des gens dont on ne peut pas parler sans avoir la
nausée » et « crache à la face des patrons les insanités qu’ils veulent lancer sur nous ».
732

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• Le textile et l’habillement
Le premier des conflits du textile se produit en 1887 dans un climat très tendu de
concurrence entre tissage à la cave et tissage mécanique. En octobre, les tisserands du rayon
choletais rejoignent le mouvement de mécontentement des ouvriers de la ville de Cholet 3280 .
Dans les campagnes vendéennes des bords de Sèvre, à Évrunes comme à Mortagne, le tarif de
1883 n’est plus appliqué par les entrepreneurs : la douzaine de mouchoirs est payée dix
centimes de moins que le prévoient les accords 3281 . Très vite, près de 3000 ouvriers sont
impliqués. Une solidarité ouvrière sans précédent dans la région se met en place et oblige un
grand nombre de patrons à accepter de nouvelles concessions. Néanmoins, les dirigeants
vendéens, à l’origine du conflit, continuent de vouloir une baisse des tarifs. Les tisserands
poursuivent le mouvement tout en demandant un accord englobant aussi bien l’industrie du fil
que celle du coton. Une demande irréaliste concernant deux productions différentes. La grève
s’essouffle et des dissensions finissent par naître, notemment dans les campagnes. Un
nouveau syndicat, le « syndicat jaune 3282 », est créé. Il se déclare apolitique et défend
particulièrement les tisseurs à la main. Finalement, une grande partie du patronat – marchands
fabricants et fabricants – vont accepter d’appliquer les nouveaux tarifs par peur de
comparaître devant les prud’hommes et d’être condamnés à des indemnités pour rupture de
contrat.
L’accalmie est de courte durée puisqu’en septembre 1888 150 tisseurs de Mortagne et
d’Évrunes rejoignent la grève générale décidée une nouvelle fois à Cholet 3283 . Les autorités
craignent l’intervention de grévistes « exaltés » venus de Cholet pour débaucher les nombreux
tisserands à domicile disséminés dans les campagnes. Ceux-là vont rejoindre le mouvement,
sûrement plus par crainte de représailles que par conviction et esprit de solidarité 3284 . La
campagne est alors traversée par des troupes plus ou moins pacifiques 3285 de grévistes
3280 POPEREN (Maurice), op. cit., p.53 et s.
3281 Déjà, en 1884, les industriels vendéens des Epesses paient leurs ouvriers en dessous des tarifs normaux ce
qui n’avait pas manqué de créer de vives tensions dans la région.
3282 Syndicats qui trouvent souvent leur origine dans une initiative patronale. Ils s’opposent à la lutte des classes
et prônent au contraire leur collaboration. Ils sont souvent dirigés par d’anciens dissidents syndicaux ayant
appartenus à la CGT, le « syndicat rouge ». Voir WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., pp. 347-349.
3283 ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
3284 « Les tisserands des Epesses et d’Évrunes, même, on rejoint, dans la lutte, leurs camarades de Mortagne et,
devant l’ampleur et la cohésion de la grève, le syndicat jaune s’est vu contraint, pour ne pas perdre toute
autorité, de rallier le mouvement, au moins momentanément », POPEREN (Maurice), op. cit., p.64.
3285 On rapport tout de même des cas de détérioration de métiers appartenant à des tisserands non grévistes.
733

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
choletais venant visiter leurs compagnons ruraux et s’assurer de leur soutien 3286 . La
gendarmerie est mobilisée même si la situation n’est pas aussi alarmante que l’expose le
maire d’Évrunes, un magistrat conservateur rangé aux côtés du patronat 3287 . La solidarité
ouvrière permet au mouvement de durer un temps. Le « syndicat rouge » accorde un franc par
jour à chaque gréviste. Mais, les tisserands finissent par manquer de ressources. Un
affrontement éclate à Évrunes entre les membres de la chambre syndicale choletaise et les
membres de la nouvelle chambre syndicale de prévoyance, présentée par les syndicalistes
comme un repère de « fougueux cléricaux » et « d’ardents réactionnaires ». La surexcitation
monte et des altercations sont évitées de justesse à Mortagne. Le 7 octobre le préfet envoie sur
place huit gendarmes pour maintenir l’ordre et la liberté du travail. A Évrunes, les tisserands
reprennent tous le travail. Dans le même temps le mouvement se politise un peu plus. Le
préfet de Vendée est accusé par le patronat et les conservateurs de prendre parti après des
secours accordés à des ouvriers en grève 3288 . Pour le président de la société de secours
mutuels de Mortagne 3289 , et leader local de la grève, l’administration est effectivement avec
les grévistes. Malgré tout, l’autorité préfectorale parvient à obtenir la signature d’un tarif le 17
mars 1888, date de la fin de la grève. A bout de souffle les tisserands n’ont pas pu
véritablement imposer leurs conditions. Le maire de Mortagne constate qu’après 35 jours de
grève, le prix du mètre de tissu confectionné a en réalité baissé de dix centimes. Ce conflit
marque la fin d’une époque comme en témoigne le sous-préfet de Cholet le 20 octobre
1888 dans un rapport digne d’une épitaphe :
« La grève a cessé faute de subsides […] mais une résistance plus
longue aurait-elle servi leurs intérêts ? Je ne le crois pas. Je me suis
procuré les tarifs des autres centres industriels où l’on travaille le
coton […] partout le salaire des tisserands à la main est dérisoire ;
partout la machine a tué le bras. Les fabricants à la main ne peuvent
lutter contre la concurrence des tissages mécaniques qu’en
diminuant la main d’œuvre ; c’est ainsi que le salaire des tisserands
à la cave à baissé des 2/3 depuis 20 ans 3290 ».
3286
Un rapport de gendarmerie du 2 octobre affirme que sans la pression des grévistes choletais beaucoup de
tisserands vendéens reprendraient le travail, cf. ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
3287
Un membre de la chambre syndicale de Cholet le dépeint comme un ennemi acharné des institutions de la
III e République.
3288
Un article du journal La Vendée dépeint le préfet comme un fauteur de troubles qui encourage la grève.
3289
Un certain Théophile Lucas.
3290
ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
734

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
La vallée de la Sèvre nantaise retrouve son calme pendant de longues années. Les
conflits du travail ont laissé des plaies dans les deux camps. Une décennie passera avant qu’à
nouveau les esprits s’échauffent. Désormais la tranquille campagne vendéenne ne sera plus
que spectatrice, comme lors du conflit des cotonniers choletais qui frappe exclusivement les
plus importantes entreprises de la ville, en 1897 3291 .
Deux autres conflits du travail touchent le textile en dehors du rayon choletais.
Le premier est celui des bonnetiers d’une des trois bonneteries de Saint-Maixent en
août 1896. Onze ouvriers sur 45 s’insurgent après le renvoi d’un ouvrier syndiqué 3292 . 8
d’entre eux subissent les foudres de la direction et sont congédiés. Les autres reprennent le
travail en affirmant, soumis, que « le syndicat les avait mis dans une mauvaise voie » 3293 .
Le second touche des teinturiers des Deux-Sèvres en novembre 1899, mouvement que
le préfet et ses subalternes se gardent de confirmer au ministre du Commerce et de
l’industrie 3294 .
• L’industrie du cuir
Cinq différents collectifs secouent ce secteur. Ils sont tous localisés à Niort et dans sa
périphérie où la chamoiserie, et l’industrie du cuir plus généralement, sont en difficulté.
L’ouvrier se bat pour défendre ses pratiques désormais obsolètes.
En 1896, les cordonniers du chef-lieu et de Saint-Jouin-sous-Châtillon 3295 sont les
premiers à revendiquer 3296 . Si les revendications des ouvriers niortais sont classiques 3297 celles
des cordonniers de Saint-Jouin sont plus originales : si les 34 employés qualifiés de
l’établissement Damelan 3298 souhaitent le renvoi des contremaîtres ils ne veulent surtout pas
produire d’articles bons marchés. Non seulement ce type de production leur occasionne une
perte salariale de 20 à 25%, due à la suppression du tarif, mais aussi elle porte atteinte à leur
savoir-faire et à leur reconnaissance sociale. Ce mouvement échoue et quatre ouvriers sont
congédiés 3299 . Un sentiment amer mêlant déception et regrets règne alors chez les ouvriers.
3291
POPEREN (Maurice), op. cit., p.86 et s.
3292
Il ne sera pas réintégré.
3293
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3294
Ibid.
3295
Cette commune fusionne avec celle de Châtillon sur Sèvre en février 1865.
3296
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3297
Modifications du règlement intérieur, paiement à la pièce et légère augmentation de salaire.
3298
La fabrique emploierait près de 300 personnes dont un très grand nombre travaille à la pièce à domicile.
3299
Un autre ne se représente pas lors de la reprise du travail.
735

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Les ouvriers niortais du cuir retournent à l’offensive trois ans plus tard 3300 . En janvier
1899, les doleurs 3301 de la ville se mettent en grève, puis, en mars, vient le tour des corroyeurs
de la tannerie Pallardy. Là encore c’est l’échec 3302 .
Toutefois, les autorités sont bien plus préoccupées par le mouvement d’août des
ouvriers gantiers 3303 . Une quarantaine d’entre eux récuse le changement de mode de
production qui substitue des métiers à cinq branches aux anciens métiers à trois branches. Ce
perfectionnement provoque un ralentissement de la production préjudiciable aux revenus des
ouvriers travaillant à la pièce et dont les salaires ont déjà baissé depuis une précédente
innovation technique survenue 18 mois auparavant 3304 . Pour compenser ce manque à gagner
l’entrepreneur accepte une légère augmentation salariale. Néanmoins, le patron ne se résigne à
négocier qu’après l’échec de l’épreuve de force : menaces de renvoi des grévistes et de leur
famille, embauche de nouveaux ouvriers après le jour de paie. Cette attitude pousse la
chambre syndicale à riposter par l’intermédiaire de placards apposés sur les murs de la ville
où on peut lire la mise à l’index de l’entrepreneur voué aux gémonies. La bourse du travail
accuse la direction de vouloir affamer ses employés et de pourrir la grève. On en appelle à
l’altruisme préfectoral 3305 . Les doleurs de l’entreprise se montrent solidaires de leurs
camarades et cessent le travail en menaçant de quitter définitivement les ateliers. Ce conflit
violent ne fait pas tache d’huile au grand soulagement des autorités niortaises. Celles-ci
bénissent la morte saison où l’ouvrier pense plus à survivre qu’à revendiquer.
• Les conserves de sardines
Quatre grèves secouent les conserveries de sardines de la côte vendéenne entre 1884 et
1899. Ces conflits du travail, bien que relativement peu nombreux, occupent une place
importante dans l’esprit des autorités du département. En effet, ces grèves touchent
directement ou indirectement un nombre très considérable de personnes vivant de la pêche et
peuvent paralyser l’économie de la région.
3300 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3301 Les doleurs s’occupent d’amincir la peau de chamois.
3302 Ils veulent obtenir une modification des heures de débauches lors du passage des horaires d’hiver à ceux
d’été. Ils échouent dans leur tentative et continueront de travailler onze heures quarante-cinq par jour.
3303 Quelques doleurs se joignent au mouvement et réclament une augmentation de salaire.
3304 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 10 août 1899.
3305 Lettre du président de la bourse du travail de Niort au préfet des Deux-Sèvres du 22 août 1899.
736

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
En juin 1889, le préfet constate « la grande misère » à l’Ile d’Yeu 3306 . Le port n’ayant
pas été approfondi l’activité économique est en déclin. De plus, les directions des
conserveries veulent diminuer le salaire horaire de leurs ouvrières. C’est pourquoi 200 d’entre
elles, sur les 250 que comptent les trois usines de l’île, s’y opposent en arrêtant le travail, avec
le soutien de leurs maris marins pour qui la fermeture des usines est synonyme de
lourdes pertes car le poisson se gâte vite.
Le calme règne ensuite jusqu’en juillet 1896, date où les quinze soudeurs de boîtes de
conserves de l’Ile d’Yeu cessent le travail par solidarité avec leurs homologues bretons 3307 .
Cette initiative n’est pas du goût des marins locaux qui craignent à nouveau que leur pêche ne
trouve pas preneur. La tension est palpable entre les femmes de marins qui apprêtent le
poisson dans les usines et les quelques soudeurs qui profitent de leur position privilégiée dans
la chaîne de production pour bloquer le processus de fabrication. Dans le même temps, à
Croix-de-Vie, le cours du poisson s’effondre 3308 . La sardine est abondante mais de petite
taille. Les industriels n’en veulent pas. Les femmes de marins pêcheurs cessent à leur tour le
travail par solidarité avec leurs maris en grève 3309 . Il s’en suit un bras de fer entre les
directions des cinq usines locales et leurs employés. L’unité affichée dans un premier temps
par les industriels ne tarde pas à s’effriter devant la perspective de voir perdre le poisson non
confit. Néanmoins deux d’entre eux menacent de fermer leurs usines pour se rabattre sur
celles qu’ils possèdent en Bretagne tout en regrettant l’attitude laxiste des autorités
préfectorales. L’administration est encore une fois tiraillée entre les divers intérêts qui
s’affrontent : pour les grévistes le sous-préfet est trop passif et c’est pourquoi ils en appellent
au préfet lui-même. Un contexte difficile faisant la part belle aux rumeurs On en arrive à
demander la troupe, une requête que le commissaire spécial juge non fondée 3310 . En fin de
compte, les industriels adoptent un tarif un peu plus avantageux pour les marins et la situation
va s’apaiser.
Enfin, en 1897, les soudeurs boîtiers d’une des usines des Sables-d’Olonne cessent à
leur tour le travail, provoquant à nouveau des tensions entre marins, leurs femmes, les boîtiers
et direction.
3306
Lettre au ministre de l’Intérieur, ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et des conserveries [1889 ;
1927].
3307
Ibid.
3308
Le mille de sardine passe de neuf à quatre francs.
3309
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3310
Rapport du commissaire spécial au préfet de la Vendée du 10 juillet 1896, Ibid.
737

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• Les charbonnages du bas Poitou
C’est avec la création d’une chambre syndicale des mineurs à Faymoreau et à Saint-
Laurs à la fin du XIX e siècle qu’un état d’esprit revendicatif s’installe dans les houillères.
En novembre 1895 le nouveau syndicat veut rendre autonome la caisse de secours
mutuel des mineurs en application de la loi du 29 juin 1894 consacrée aux caisses de
retraites 3311 . Ce projet déplait à la direction qui perdrait tout contrôle sur la société de secours.
Le licenciement de quinze ouvriers sous prétexte de surproduction finit de mettre le feu aux
poudres et déclenche la protestation. Même des femmes de mineur s’en mêlent le bâton à la
main.
En mai 1896, la chambre syndicale des mineurs de Faymoreau revendique une
augmentation de salaire et fixe un ultimatum de trois jours à la direction 3312 . Le maire de la
commune s’en offusque. Selon lui le temps n’est pas à la revendication mais à la lutte contre
la concurrence du charbon anglais.
Cette passe d’arme est plutôt anecdotique en comparaison de la grève qui touche les
mines de Saint-Laurs aux mois de février et de mars 1896. La question des caisses de retraite
combinée à une baisse importante du pouvoir d’achat est ici aussi au cœur des revendications
qui raisonnent jusqu’au plus profond des puits du bassin houiller. L’étincelle est produite par
le projet de licenciement d’une trentaine de mineurs – la plupart syndiqués – pour compenser
le retour à une semaine de six jours afin de réduire les frais d’exploitation de la mine 3313 . Le
14 février la grève est déclarée 3314 . Les grévistes bénéficient du soutien du syndicat voisin de
Faymoreau, mais aussi de l’aide des mineurs d’Anzin dans le Nord, des employés des
chemins de fer ou de diverses organisations syndicales angevines ou niortaises. Une
souscription nationale est même lancée. Sur place la tension monte rapidement 3315 . La
direction craint l’inondation de ses puits, désertés par ses machinistes chargés de les vider.
Certains d’entre eux sont réquisitionnés. La gendarmerie intervient 3316 . Le préfet est une
nouvelle fois sous le feu croisé parties qui s’opposent. Les uns l’accusent de faire le jeu des
3311
Cette volonté d’autonomie se retrouve dans d’autres centres houillers, cf. TREMPÉ (Rolande), Les mineurs
de Carmaux…, op. cit., pp. 586 à 607.
3312
ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
3313
MONTOUX (Michel), op. cit., pp.161-163 & REGOURD (Florence), La première grève des mineurs de
Saint-Laurs (1896), BSHSDS, deuxième série, Niort, t.13, 1980, pp. 58-59.
3314
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves.
3315
L’affaire est d’une telle importance que la direction départementale des postes et télégraphes a accéléré les
transmissions entre Niort et Saint-Laurs en supprimant l’intermédiaire de Coulonges.
3316
Télégramme du préfet au ministre de l’Intérieur du 10 mars 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves.
738

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
grévistes en se souciant ouvertement de leur sort, les autres de jouer simplement sont rôle de
garant de l’ordre public 3317 . Il faut dire que la situation est extrêmement tendue. Certaines
scènes font immanquablement penser à Germinal, en particulier quand une centaine de
femmes de mineurs exaspérées manifestent bien plus violemment que leurs maris. Deux
gendarmes venus pour les calmer sont accueillis à coup de pierres et c’est le sabre au clair
qu’ils se dégagent afin de « terrifier les manifestantes ». Une troupe à pied est dépêchée sur
les lieux pour rétablir le calme. Devant la gravité de la situation le préfet doit se transporter
sur place pour calmer les esprits. Finalement, les ouvriers perdent le combat, certains d’entre
eux sont même licenciés.
L’accalmie dure deux ans avant que les petites cités ouvrières du bassin houiller du
bas Poitou soient secouées par une nouvelle grève, en juillet 1898. Cette fois les mineurs se
plaignent des agissement violents et risqués d’un des contremaîtres de Faymoreau 3318 . Le
consensus est quasi général contre le chef d’équipe : 235 ouvriers sur 252 se mettent en grève.
On veut obtenir son départ, mais aussi une modification du régime des amendes et une
augmentation de 25 centimes pour tout le personnel. Cette fois, il n’y a aucun débordement
même si encore la direction n’entend pas les revendications. Pourtant les tentatives de
conciliation ne manquent pas. Tout ce que la région compte de personnalités politiques,
judiciaires ou administratives défilent dans le petit village de Vendée.
Désormais la grève est un levier parmi d’autres utilisé par les ouvriers pour modifier
leur condition. Ce n’est plus forcément une arme révolutionnaire qui menace l’ordre public.
Les acteurs du monde du travail le savent, et ils vont s’en servir.
3. L’effervescence (1900-1914)
Le nombre de grèves augmente considérablement dans la région avec le siècle
nouveau et triple par rapport à la période précédente : 128 contre 38 auparavant. C’est le
temps d’une timide concentration industrielle, une condition sine qua non pour entamer un
processus significatif de revendication. Michelle Perrot le constate : « l’accumulation
3317 Voir infra p. 830 et s. pour de plus amples développements consacrés aux événements se déroulant pendant
la grève et pour l’analyse du rôle tenu par les autorités préfectorales durant le conflit.
3318 Un certain Desjardins qui aurait demandé, entre autre, de descendre dans les puits sans attendre que toutes
les charges explosives aient été déclenchées, ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
739

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
primitive d’une population ouvrière précède son entrée dans la lutte, les deux faits ne sont
pas synchroniques, mais successifs 3319 ».
25
20
15
10
5
0
Figure 34 : nombre de grèves entre 1900 et 1914 :
5
6
2
3
9
8
12
6
1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909 1910 1911 1912 1913 1914
740
14
5
12
22
16
Sources : ADDS, ADV et ADVd.
La tendance régionale s’aligne sur la tendance nationale. Depuis la fin de la décennie
1890, la France est en plein essor économique, les bénéfices s’accentuent et l’embauche
redémarre. Cette embellie s’accompagne d’une contrepartie sociale ; l’ouvrier plus confiant
en l’avenir ose revendiquer. A ces explications purement conjoncturelles s’ajoutent des causes
plus structurelles comme une meilleure organisation du monde ouvrier où la spontanéité et
l’improvisation ont moins leurs places.
Le premier pic revendicatif est atteint en 1906, ce qui correspond à une première
tentative de grève générale voulue par la CGT. Cette date est le point de départ d’années
riches en conflits du travail, dont l’apogée se situe en 1911 3320 où 22 mouvements sociaux
éclatent un peu partout dans les trois départements.
Les grèves ne touchent pas avec autant d’intensité la Vienne, les Deux-Sèvres ou la
Vendée. Contrairement à la période précédente, la Vienne n’est plus tenue à l’écart. La
réorganisation du mouvement ouvrier du département lors de la première décennie du XX e
3319 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.57.
3320 Au niveau national l’apogée se situe en 1910 avec 1502 grèves même si 1911 suit de très près avec 1471
mouvement sociaux.
7
6

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
l’explique en grande partie 3321 . Quarante conflits s’y déroulent contre 35 dans le département
des Deux-Sèvres qui souffre de la diminution de son activité industrielle dans les domaines en
perte de vitesse de la chamoiserie, du cuir et du textile.
Figure 35 : proportion de grèves par département (1900-1914) :
Vienne
30%
741
Deux-Sèvres
26%
Vendée
44%
Sources : ADDS, ADV et ADVd.
La Vendée fait figure de zone turbulente avec près de soixante conflits du travail. La présence
d’activités économiques traditionnellement portées à la revendication – extraction minière,
conserverie de poisson, bâtiment lié au développement de La Roche-sur-Yon – et le déclin
inéluctable de l’industrie textile expliquent en grande partie la vivacité de la flamme
revendicative vendéenne.
Les métiers du bâtiment sont à l’origine de plus d’un tiers des conflits du travail se
déroulant dans le Poitou entre 1900 et 1910. Ce nombre enfle encore si on y ajoute les grèves
des terrassiers, généralement associés par les autorités aux métiers du bâtiment. Un constat
local qui rejoint une réalité nationale : le secteur de la pierre et de la construction représente
25% des grèves survenue entre 1896 et 1914 dans tout le pays 3322 .
3321 Voir les développements in CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes
(1884-1914), op. cit., p.114 et s.
3322 WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.321.

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
La deuxième place ne revient plus au textile. Le secteur de l’extraction minière le
dépasse avec 15% des différents recensés contre seulement 10% au textile qui représente
pourtant 22,5% des grèves au niveau du pays tout entier 3323 . Cette situation est due d’une part
à l’essor du bassin houiller de Faymoreau en Vendée et d’autre part à la crise qui secoue le
textile local obligeant à une concentration des entreprises dans la périphérie immédiate de
Cholet au détriment du rayon choletais.
Dans le même temps, le nombre d’arrêts de travail revendicatifs se maintient dans
industrie du cuir, pourtant en régression en terme d’importance économique, et dans celle des
conserveries de poisson de la côte atlantique vendéenne.
En sus, la grève apparaît dans de nouveaux secteurs comme l’imprimerie, la
boulangerie ou la menuiserie 3324 . Enfin d’autres domaines d’activité subissent des grèves
épisodiques à l’image des bûcherons, tuiliers, charpentiers de marine, fondeurs ou papetiers.
Figure 36 : grèves par type d’industries (1900-1914) :
26
5
5
3323 Ibid.
3324 La menuiserie est parfois apparentée au secteur du bâtiment.
4
17
4
6
6
9
10
742
43
Sources : ADDS, ADV et ADVd.
Cuir
Bâtiment
Textile & habillemement
Menuiserie
Boulangerie
Conserverie de poisson
Carrière
Imprimerie
Divers
Terrasier
Mines

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• Le bâtiment
Sur les 43 conflits du travail recensés 3325 dans ce secteur huit se déroulent dans le
département des Deux-Sèvres 3326 , 14 ont lieu dans celui de la Vienne et 21 en Vendée. Le
développement de certaines villes, principalement des chefs-lieux, l’explique pour beaucoup :
la moitié des conflits du secteur se déroule à Poitiers dans la Vienne 3327 et à La Roche-sur-
Yon 3328 en Vendée 3329 . Ces conflits se caractérisent fréquemment par l’ampleur des effectifs
de grévistes concernés.
Si à Thouars, le préfet qualifie le mouvement de 35 ouvriers du bâtiment de
« mutinerie » en avril 1905 3330 , il en est autrement des revendications des 250 à 300 ouvriers
du bâtiment niortais qui parviennent à convaincre la vingtaine d’entrepreneurs de la cité en
février 1908 3331 .
Un autre mouvement conséquent touche cinq ans plus tard les maçons des Sables-
d’Olonne. Pendant presque un mois près de 300 ouvriers 3332 cessent le travail à la fin de
l’hiver afin d’obtenir une augmentation de leurs rémunérations. Le préfet met en avant les
conséquences néfastes du mouvement pour tout l’arrondissement 3333 .Mais, avant tout, et
comme souvent, le mouvement de mécontentement est l’occasion d’organiser un syndicat
professionnel 3334 qui ne résiste pas toujours aux périodes d’accalmie sociale.
En avril 1912, près de 130 charpentiers et maçons employés par 16 entrepreneurs 3335
de La Roche-sur-Yon cessent le travail de concert. Ils parviennent à être augmentés 3336 .
Généralement le calme règne pendant les mouvements revendicatifs. Les ouvriers ne
s’intéressent guère aux enjeux politiques. S’ils revendiquent c’est pour défendre leurs intérêts
spécifiques et non pour défiler dans les rues. Personne ne souhaite l’affrontement idéologique
3325 La profession de maçons est la plus représentées parmi les grévistes.
3326
Voir annexe 17.
3327
Voir annexe 18.
3328
Sa population passant de 6186 âmes en 1851 à 14885 en 1911, cf. GAUTRON (Muriel), op. cit., p.28.
3329
Voir annexe 19.
3330
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3331
Ibid. Ces grévistes se composent d’une centaine de maçons, de 60 tailleurs de pierres, 30 carriers, 30
terrassiers et 30 manœuvres.
3332 300 ouvriers grévistes sur les 338 employés par les 12 entrepreneurs de la ville. Une centaine d’entre eux
travaillent à leur compte durant la grève.
3333 ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3334 Un syndicat de maçons, de tailleurs de pierres et de manœuvres.
3335 Des chiffres qui donnent une image assez précise de la petite taille des entreprises du secteur du bâtiment
local.
3336 ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
743

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
à l’image de la grève des ouvriers du bâtiment de Châtellerault en avril 1911 où un ouvrier
désirant arborer le drapeau rouge est vite convaincu d’y renoncer par ses camarades 3337 .
Néanmoins, en Vendée, le préfet souligne de temps à autre l’influence cléricale que peuvent
subir les ouvriers comme c’est le cas des maçons de Beauvoir-sur-Mer en Vendée lors d’une
grève survenue en septembre 1909.
Là, comme ailleurs, certaines professions tentent de profiter de leur savoir-faire pour
imposer leurs conditions. Toutefois les temps change. Les techniques ont évoluées et les
régions sont moins enclavées. Désormais la compétence et l’habilité des ouvriers pèse
beaucoup moins dans la balance : en 1912 aucun architecte ne retient les tailleurs de granit de
qui menacent de quitter La Roche-sur-Yon 3338 .
• Les houillères
L’extraction minière est en deuxième position dans le nombre des mouvements
sociaux survenus dans le Poitou 1900 et 1914. Cependant, le nombre de grèves « active » est
bien plus faible que les chiffres ne le laissent apparaître. Sur les 17 mouvements recensés 3339 ,
la moitié ne sont que des menaces de grèves suivies de négociations, sans arrêt de travail. Il
est dans l’intérêt de tous d’éviter le conflit ouvert. L’arrêt du travail dans les mines peut avoir
de très lourdes conséquences à la fois pour l’état des puits exploités et la pérennité de
l’exploitation, pour la santé financière de l’entreprise, pour le maintien du niveau de vie des
mineurs, pour l’ordre public. Cela, combiné aux antagonismes « politico-religieux » de la
région, explique la véhémence des mouvements sociaux dans les houillères.
En octobre 1900, les mineurs de Faymoreau en Vendée manifestent violemment pour
obtenir le licenciement d’un des contremaîtres qu’ils jugent trop sévère. La direction s’y
refuse. Après avoir prit à parti le porion, les mineurs obtiennent sa démission après
l’intercession des autorités locales et départementales. Un concert de louanges envers la
République raisonne alors dans les rues de Faymoreau 3340 .
3337 ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
3338 Ou grisonniers.
3339 Voir annexe 20.
3340 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914] ; ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de
Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930] et un article du journal Le patriote d’octobre
1900.
744

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Mais les tensions ne disparaissent pas. Quelques mois plus tard, la direction souhaite
accorder une prime aux mineurs qui s’engage à ne plus faire grève 3341 . La chambre syndicale
s’y oppose et menace de cesser le travail. Le sous-préfet tente de mettre en place un organe de
conciliation 3342 où les mineurs pourraient régulièrement faire part de leurs doléances face à
une direction « au mauvais esprit » comme se plaît à écrire le fonctionnaire 3343 . Aucun arrêt
de travail n’est décrété et les antagonismes se calment quelques temps… jusqu’à un projet de
grève générale des syndicats miniers français auquel les mineurs de Faymoreau se rallient
début mai 3344 .
Après des mouvements d’humeurs liés aux primes et aux salaires 3345 un nouveau
conflit opposant direction et mineurs éclate en 1906. Cette fois on prend la défense de
l’ingénieur en second de l’exploitation que la direction a fait démissionner 3346 . Le climat se
tend à nouveau particulièrement quand le représentant syndical se range du côté des patrons.
Le changement de direction à la tête des mines de Saint-Laurs occasionne coup sur
coup deux grèves en décembre 1907 et janvier 1908. Les salaires et la discipline sont encore à
l’ordre du jour, mais à chaque fois les mineurs se heurtent à un refus catégorique et le travail
est repris aux conditions antérieures 3347 .
Puis, en 1910, l’application d’une nouvelle loi 3348 réglementant et diminuant les
horaires de travail des ouvriers travaillant au fond des puits soulève des protestations dans
tout le bassin houiller du bas Poitou 3349 . La pause d’une heure aux tréfonds des puits n’est pas
acceptée. Les mineurs parviennent à imposer un aménagement de l’horaire, avec une pause
divisée en deux demi-heures, et une compensation financière pour les piquiers déjà employés
sur le site.
3341 Un rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 5 janvier 1901 parle d’une gratification de 15000 francs
accordée aux ouvriers, soit cinq francs pour les ouvriers de plus de 18 ans et deux francs cinquante pour les plus
jeunes. Elle est destinée à remplacer une précédente prime qui a été ôtée aux mineurs après l’arrêt de travail
d’octobre 1900,. En 1902, le problème des primes ressurgit à Faymoreau. Le sous-préfet règle à nouveau le
litige. La direction tentera par la suite d’en supprimer les deux tiers en mars 1908. Le problème ressurgit encore
en 1912, cf. ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de
Faymoreau [1896 ; 1930].
3342 Voir Infra, la partie consacrée à l’action de l’administration préfectorale dans les grèves et plus
particulièrement le passage consacré à la grève des mineurs de Saint-Laurs de 1896.
3343 Ibid.
3344 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3345 Comme en 1902 à Saint-Laurs, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3346 ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930]. Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte au préfet du 18 avril 1906.
3347 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3348 La loi du 29 juin 1905 qui instaure la journée de 8 heures pour les ouvriers du fond dans les mines.
3349 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911] & ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de
Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
745

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Toutefois, c’est en août 1912 que la mésentente entre ouvriers et direction des mines
de Faymoreau semble atteindre son paroxysme. Là encore c’est l’attitude patronale jugée
sévère et vexatoire qui est fustigée 3350 . Soutenus par le préfet, qui en informe le ministre de
l’Intérieur, les grévistes ne parviennent à faire céder le conseil d’administration. 17
gendarmes interviennent et l’armée est appelée pour vider les puits que les ouvriers ont
inondé. Une situation d’autant plus grave que les mineurs de Saint-Laurs ont eux aussi cessé
le travail 3351 .
En 1913, l’attitude d’un maître mineur vendéen est à nouveau stigmatisée par les
ouvriers, alors que leurs homologues deux-sévriens réclament encore une hausse de
salaire 3352 .
• Le textile et l’habillement
Le rayon choletais vendéen et deux-sévrien est surreprésenté dans ce secteur : seules
trois grèves y sont étrangères. La première est le fait des blanchisseurs de Poitiers en 1904 3353 ,
et les deux autres des chapeliers de Fontenay-le-Comte 3354 en Vendée, en 1905 et 1911 3355 .
L’année 1904 marque pour Cholet et sa périphérie économique le réveil de l’agitation
sociale. Deux mille personnes manifestent dans la capitale des Mauges qui doit faire face à un
mouvement de grèves s’étendant à « toutes les agglomérations de la Vendée et des Deux-
sèvres où existe une implantation textile 3356 ». Le canton de Mortagne en Vendée et la région
de la Chapelle-Largeau dans les Deux-sèvres sont particulièrement concernés. Il y près de
1400 grévistes à Mortagne et dans ses environs 3357 . La situation économique difficile des
tisserands, le chômage qui les guette et surtout l’application non homogène des tarifs négociés
en 1896 expliquent l’ampleur du mouvement. A nouveau, nombreux sont les ouvriers textiles
de Cholet à battre la campagne pour rallier à leur cause, de gré ou de force, leurs homologues
3350 ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
3351 Ils luttent pour réclamer le congédiement d’un chef mineur brutal, cf. Le Mémorial des Deux-Sèvres du 9
juillet 1912.
3352 ADDS 11M19.13.C. Conflits et grèves [1902 ; 1931].
3353 ADV M12.110. Grèves, coalitions, contrats d’apprentissage [1892 ; 1906].
3354 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914] & ADVd 10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers
ébénistes, galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs, employés de banque [1911 ; 1931].
3355 Ce conflit du travail concerne plus particulièrement une dizaine de garnisseuses de chapeaux d’une des deux
usines de Fontenay-le-Comte.
3356 POPEREN (Maurice), op. cit., p.99.
3357 On dénombre près de 1200 tisseurs et 200 blanchisseurs, cf. ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ;
1914] et voir aussi ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
746

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
ruraux. Le plus souvent ces cortèges imposants 3358 se déplacent dans le calme. Parfois on ne
peut pas éviter quelques insultes et quelques gifles et gestes d’humeur.
Une grève est dure à assumer pour les tisserands pauvres des bourgs et villages vendéens.
« Le chômage fait souffrir bien des familles » s’exclame l’informateur du commissaire
spécial 3359 . Le juge de paix du canton de Mortagne défend lui aussi les ouvriers de son canton
pour qui la grève est plus subie que voulue : seule la pression ouvrière choletaise les oblige à
ne pas travailler 3360 .
Six ans plus tard un autre mouvement d’ampleur secoue la région choletaise. Le préfet
du Maine-et-Loire en avise son homologue des Deux-Sèvres et l’avertit que des ouvriers
choletais pourraient venir encore dans les campagnes pour « chasser le renards » c'est-à-dire
pour débaucher tisserands et blanchisseurs non grévistes 3361 . En Vendée plus de 1500
tisserands sont en grèves auxquels s’ajoutent les blanchisseurs contraints de cesser le travail.
Des régiments de gendarmeries sont déployés dans les bourgs 3362 afin d’assurer la liberté du
travail fortement mise à mal. La Carmagnole est même entonnée dans les rues du bourg de
Mortagne. Toutefois, l’entente entre travailleurs de la ville et travailleurs de la campagne ne
dure pas. La belle solidarité du début de conflit se fissure rapidement. Désormais le divorce
est consommé entre ouvriers mécaniques, socialement engagé, et ouvriers à main, peu
concernés par la lutte des classes 3363 . Le préfet Vendée le constate en prédisant une imminente
disparition du travail à domicile au profit d’un travail en ateliers mieux contrôlé et plus
efficace 3364 .
3358 Environ 500 grévistes venus de Cholet se rendent à Saint-Laurent sur Sèvre où il sont rejoints par près de
300 ouvriers des bords de Sèvre.
3359 Note du 28 octobre 1904.
3360 Rapport du de paix du canton de Mortagne-sur-Sèvre au commissaire spécial en date du 2 janvier 1905, cf.
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3361 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911]. Grève de l’industrie textile de Cholet et de Puy Saint
Bonnet.
3362 Les gendarmes doivent parfois protéger les convois de textile allant des campagnes aux fabriques
choletaises.
3363 Les ouvriers à ouvrages mécaniques obtiennent en moyenne une augmentation de 25 centimes (parfois 50
(pour les hommes) et 0F35 (pour les femmes) à Mortagne dans certaines spécialité. Les ouvriers à main
n’obtiennent rien bien qu’il soit prévu une revalorisation de leurs salaires au mois d’août suivant.
3364 Rapport du préfet sur la grève des tisseurs mécaniques et à la main de septembre, octobre et novembre 1910.
ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931]. Sur cette grève voir aussi ADVd 4M195. Conflits
sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
747

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• L’industrie du cuir
La plupart des grèves du secteur se déroulent à Niort et ses alentours où il ne se passe
pas une année sans un conflit social à partir de 1905 3365 , signe d’une industrie en difficulté et
d’ouvriers sur la défensive. Cette année là, les gantiers se battent pour obtenir un tarif unique.
L’année suivante, ils luttent contre les projets de division du travail, synonymes selon le
syndicat de baisse salariale 3366 . Un an plus tard, une soixantaine de ponceurs de peaux
paralysent toute la filière de la chamoiserie en bénéficiant de l’aide financière des syndicats
frères de Grenoble, Bressuire, Mazamet ou Paris.
En 1909, les piqueuses 3367 , surjetteuses 3368 et brodeuses 3369 défendent leurs salaires
que la direction souhaite diminuer après avoir augmenté la rémunération des gantiers 3370 . Les
maris rejoignent leurs femmes dans le conflit ce qui fait reculer les entrepreneurs. Cependant
l’accalmie est de courte durée puisqu’en avril les mêmes antagonismes réapparaissent.
Finalement les patrons acceptent un nouveau tarif, identique à la ville comme à la campagne,
en se réservant le droit de reprendre les ouvriers qui leur conviennent. Toutefois, une partie du
dénouement se poursuit devant les tribunaux : certains entrepreneurs n’appliquent le nouveau
tarif qu’aux ouvrières syndiquées ! Cette question du tarif ressurgit une dernière fois en juin
1910 à l’initiative de 50 employées de la maison Beaujet frères. 18 semaines de conflits ne
suffisent pas à mettre à mal l’intransigeance patronale, amplifiée par une situation
économique difficile 3371 . La grève est un échec 3372 . Désormais plus rien n’oblige les
entrepreneurs à appliquer les tarifs négociés antérieurement.
Si Niort est toujours la capitale du cuir dans la région, la cordonnerie tend à se
développer dans la Vienne, occasionnant par la même quelques conflits du travail. C’est le cas
à Chauvigny en 1908 3373 où l’on soupçonne le patronat local de lock-out 3374 . De même les
3365 Pour l’ensemble de ces mouvements cf. ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911] et annexe 22
3366 Le commissaire de police de la ville de Niort fournit une explication originale au maintient du statu quo entre
ouvrier et patrons pendant la grève. Il explique que les gantiers niortais ont reçu une très grosse commande de
gants d’Angleterre (4 à 6000 douzaines de paire de gants). Dans le même temps, les peaux nécessaires à cette
industrie ont enchérit très fortement. En l’absence de stocks, les gantiers doivent faire venir ces peaux à des prix
prohibitifs qui anéantissent tout espoir de bénéfice. La grève tomberait à poing nommé pour résilier ledit contrat
en prétextant un cas de force majeur.
3367 Ouvrière chargée de confectionner la plus grande partie du gant.
3368 Ouvrière chargée de fabriquer le dessus du gant.
3369 Ouvrière chargée de finir le gant.
3370 Peut-être pense-t-on pouvoir compenser le manque à gagner au détriment de ces femmes souvent humbles et
discrètes ?
3371 La situation économique du gant de cuir niortais est rendue délicate par la chute des ventes en Angleterre.
Edouard VII vient de mourir. Ce deuil impose le port de gants de tissu noir.
3372 Le travail est repris le 17 octobre 1910.
3373 ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911] et DUGUET (Jean), Petite histoire de Chauvigny, op. cit., p.96.
748

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
cordonniers de la fabrique Raynaud près de Poitiers tentent d’imposer leurs revendications à
plusieurs reprises 3375 . La première fois en avril 1908 quand quatre ouvriers coupeurs prennent
l’initiative de demander une augmentation et la seconde fois en juin 1911 quand 35 ouvriers
des 42 employés tentent encore d’obtenir une revalorisation de leurs émoluments ainsi que le
licenciement d’un des contremaîtres. La direction ne cède jamais et préfère congédier les
grévistes.
• Les conserveries de poissons 3376
Les conserveries de poisson de la côte atlantique vendéennes appartiennent aux
industries que les autorités jugent sensibles. Les revendications de quelques soudeurs,
opposés à la modernisation de leur travail et solidaire entre eux, peuvent paralyser presque
entièrement l’industrie de la pêche et occasionner des troubles importants chez les pêcheurs,
toujours prompts à manifester le mécontentement.
En juillet 1908, l’annonce de l’installation de machines à souder dans la plupart des
conserveries des côtes bretonnes et vendéennes provoque l’ire des « boîtiers » et du syndicat
nantais. Les autorités de Vendée craignent que 250 grévistes mettent au chômage plus de
1500 personnes. Finalement seuls les ouvriers boîtiers de deux usines franchiront le pas 3377 .
Toutefois la question resurgit l’année suivante 3378 quand les ouvriers sablais protestent contre
la mesure de lock-out décidée par les entrepreneurs de Concarneau et de Douarnenez à
l’encontre de leurs collègues bretons. Là-bas, les machines ont été brisées et la troupe est
intervenue. La profession rejette l’emploi des machines à sertir 3379 dont l’usage est justifié par
les sardiniers pour faire face à la concurrence internationale 3380 . Trois des douze usines
installées aux Sables désirent se mécaniser et leurs ouvriers s’y opposent 3381 . Le préfet est
obligé de faire appel aux gendarmes afin de protéger les bâtiments et les convois amenant les
3374
« Cessation momentanée d’activité d’une entreprise décidée par la direction au cours d’un conflit social. Il
peut être préventif ou répondre à une grève en cours », définition tirée de DEWERPE (Alain), Le monde du
travail…, op. cit., p.171
3375
ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911]
3376
Pour le tableau des grèves concernant ce secteur voir annexe 23
3377
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914]
3378
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914] et ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans
les conserveries [1889 ; 1927]
3379
Ces machines à sertir ou sertisseuses ferment automatiquement les boites de conserves. Le gain de temps est
considérable par rapport au sertissage manuel. Bien entendu les pêcheurs locaux se félicitent de cette innovation
qui permet de traiter chaque jour une plus grande quantité de poisson
3380
Lettre du syndicat des fabricants de conserves au préfet datée du 15 février 1909, cf. ADVd 10M58. Grèves
des marins pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927]
3381
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914]. Les fabriques concernées seraient les établissements
Lechat, Basset et Ramell, soit trois fabriques sur les 25 que compte l’arrondissement.
749

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
machines 3382 . De plus la question des rémunérations des ouvrières se greffe au luddisme 3383
des ouvriers boîtiers. Le manque de main d’œuvre sur le littoral oblige à faire appel à des
femmes venues de Bretagne, logées dans une nouvelle usine 3384 où les salaires sont plus
rémunérateurs. Une situation qui pousse le reste de la profession à exiger une augmentation
salariale. Encore une fois, la pêche abondante risque d’être perdue comme le craignent les
marins pécheurs 3385 . Le cocktail est explosif 3386 . Toutefois des dissensions importantes
mettent à mal la volonté des grévistes. Le 20 juillet le mouvement cesse.
Après un bref mouvement en 1911 3387 , les ouvrières chargées de traiter le poisson
réclament à nouveau haut et fort une augmentation de salaire en juin 1914 et le manifestent
dans les rues. Des portes d’usines sont brisées. Les concessions patronales sont rejetées et les
conserveries doivent être fermées en attendant la venue des patrons nantais eux-mêmes.
Encore une fois la situation est préoccupante : 1500 pêcheurs et 700 sardinières sont prêts à se
répandre en ville 3388 .
• Les autres professions et secteurs d’activités
La relative banalisation des mouvements sociaux est notable dans beaucoup de
secteurs artisanaux comme peut l’être la boulangerie 3389 . Des grèves éclatent généralement
dans les villes importantes où les ouvriers boulangers disséminés dans de nombreux petits
établissements peuvent s’unir et peser dans le jeu revendicatif. Les syndicats agissent dans la
ville elle-même tout en essayant d’initier des mouvements sociaux dans les cités voisines.
Après une menace de grève en 1901, les ouvriers boulangers de Poitiers se décident à franchir
3382 Le délégué local de la CGT s’oppose au projet de destruction des machines fomenter par certains sertisseurs.
Il affirme « ne pas être un anarchiste », cf. REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940),
op. cit., p.516.
3383 Le luddisme se définit comme une réaction contre le progrès technique où l’on accuse les machines d’être
responsables de tous les malheurs. Ce mouvement a débuté en Angleterre dans les années 1780 à 1820. Ce terme
trouve son origine du nom d’un ouvrier anglais, Ned Ludd. Désormais on étend ce terme à toute révolte ouvrière
destructrice de machines. Cf. FOHLEN (Claude), Le travail au XIX e siècle, op. cit., p.34 et DEWERPE (Claude),
Le monde du travail…, op. cit., p.83. En France des émeutes provoquées par l’introduction de machines dans
l’industrie textile surviennent dès 1809 à Vienne, TULARD (Jean) (dir.), op. cit., v° ouvrier.
3384 L’établissement Béziers.
3385 L’appréhension des pécheurs est accentuée par l’arrivée de bateaux à moteurs chargés de remorquer les
bateaux de pêche. Cette technique nouvelle permet des gains de productivité qui laissent craindre une baisse du
prix de la sardine. Ce sera une des causes de la grève de 1912.
3386 Le préfet prévoit d’en appeler à la troupe en cas de violence opposant pécheurs et ouvriers sertisseurs.
3387 ADVd 10M59. Crise sardinière ; grèves des sardiniers ; conflit avec les usiniers et les pêcheurs bretons
[1908 ; 1924]. Les pêcheurs mécontents de l’Ile-d’Yeu chahutent violemment les hommes de troupe venus sur
place pour les contenir. Le maire est alors obligé de procéder à des sommations pour calmer les ardeurs des
grévistes.
3388 ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
3389 Cf. annexe 24.
750

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
le pas en décembre 1905 3390 , la même année qu’à La Roche-sur-Yon 3391 . A Niort, des grèves
éclatent en 1901 et octobre 1906 3392 . Huit ans plus tard c’est au tour des boulangers de la ville
de Châtellerault de cesser le travail. Autant de conflits qui marquent la population dont le pain
est la base essentielle de l’alimentation.
Les manifestations d’humeur des menuisiers et ébénistes se font aussi plus
nombreuses 3393 . On en comptabilise six dans la période, toutes entre 1906 et 1914. Ces
mouvements sont souvent très courts et touchent des micro entreprises artisanales. L’exemple
niortais d’avril 1908 l’illustre : 65 ouvriers embauchés chez quinze patrons cessent le travail
pendant une journée et obtiennent gain de cause 3394 . En août 1910, ils sont 130 grévistes
employés par 21 entrepreneurs 3395 .
Les cinq grèves de terrassiers 3396 se déroulent toutes entre mars 1912 et décembre
1913. Le temps de la construction des lignes de chemin de fer est loin maintenant. La
première a lieu à Châtellerault où une vingtaine d’hommes employés par le concessionnaire
des tramways de la ville cesse le travail 3397 . En avril 1912, 17 terrassiers niortais occupés sur
un chantier de réfection de canalisations d’eau revendiquent une augmentation de leurs
rémunérations 3398 . Enfin, entre juillet et décembre 1913, de nombreux manoeuvres vendéens
stoppent leurs travaux les chantiers communaux du département 3399 .
D’autres secteurs sont touchés par la grève de manière moins récurrente pour un total
d’environ 35 conflits du travail 3400 . La majorité d’entre eux représentent des épiphénomènes
ponctuels n’ayant pas ou peu d’influence sur l’environnement économique ou social.
Mais, quelques conflits se démarquent à l’intérieur de cette sorte de « ventre mou » du
mouvement social. En décembre 1904, près de 200 bûcherons deux-sévriens de la forêt de
Chizé se mettent en grève et pressent les non grévistes de les rejoindre en volant leurs outils.
La gendarmerie intervient pour assurer le principe légal de liberté du travail. Face à des
3390
ADV M12.110. Grèves, coalitions, contrats d’apprentissage [1892 ; 1906] et L’Avenir de la Vienne des 6, 11
et 12 septembre 1905. Le conflit dure du 3 au 11 décembre et concerne 96 grévistes. De nombreuses
manifestations se déroulent dans le chef-lieu de la Vienne dans un climat tendu.
3391
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3392
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3393
Tableau des grèves à l’annexe 25.
3394
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3395
ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911].
3396
Voir annexe 26.
3397
Toutefois, le sous-préfet estime que cet arrêt est l’œuvre de la direction qui souhaite éviter tout espèce de
troubles avec ses employés, ADV M12.142. Grèves [1906 ; 1907]. Lettre du sous-préfet de Châtellerault
adressée au préfet de la Vienne en date du 26 avril 1912.
3398
ADDS 11M19.13.C. Conflits et grèves [1902 ; 1931].
3399
ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
3400
Les grèves concernant les carrières et l’imprimerie ont été comptabilisée ici, cf. annexe 27.
751

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
débordements plutôt isolés et dans un conflit purement conjoncturel et apolitique, le président
du syndicat des bûcherons décide de rembourser les outils perdus pour ne pas s’attirer les
foudres des garants de l’ordre public 3401 .
Un autre conflit original se déroule à Cugand en décembre 1908 3402 où les ouvriers
manifestent contre la fermeture de la papeterie qui les emploie 3403 , solidairement avec une
direction qui supporte de plus en plus mal les procès verbaux et les amendes accusant
l’établissement industriel de pollution. Le patron menace de fermer la papeterie si
l’acharnement administratif et judiciaire se poursuit. La direction autorise l’arrêt de travail et
le défilé qui suit dans les rues de Mortagne, le chef-lieu de canton. Le préfet promet
d’intervenir et de concilier le respect de la loi et les intérêts économiques et sociaux.
En mars 1911, les fabricants de galoches vendéens de Fontenay-le-Comte cherchent à
faire disparaître le travail à domicile au profit du travail en atelier en obligeant leurs ouvriers à
venir eux-mêmes livrer la marchandise produite, ce qui occasionne la perte d’une demie
journée de travail. En revanche, une augmentation du salaire à la pièce leur est proposée s’ils
viennent travailler sur place. Les galochiers s’y opposent. Ils voient, comme le sous-préfet lui-
même 3404 , une hausse de la rémunération purement factice puisque la production
diminuera 3405 . La grève leur permettra de maintenir momentanément le statu quo...
Toujours en 1911, les typographes de La Roche-sur-Yon, travailleurs à la pointe du
combat social, veulent imposer par la force le respect des lois sur le travail des femmes et des
enfants en demandant que les imprimés de l’administration soient réservés aux imprimeries
qui se conforment à la loi 3406 .
Si le recours à la grève a tendance à se développer dans le monde ouvrier poitevin à
l’aube du XX e siècle, certains caractères plus archaïques demeures, au premier desquels figure
leur caractère printanier.
3401 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3402 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3403 La papeterie emploierait près de 600 personnes.
3404 Rapport du sous-préfet de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte adressé au préfet en date du 27 février
1911, ADVd 10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers ébénistes, galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs,
employés de banque [1911 ; 1931].
3405 Le temps de travail baissera et on ne peut plus bénéficier de l’aide de sa famille en quittant le domicile.
3406 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
752

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
c) La prédominance des grèves de printemps
Les grèves sont majoritairement saisonnières en France jusqu’aux alentours des années
1930. Elles se déroulent principalement au printemps 3407 . Les mois d’avril, de mai et de juin
réunissent plus d’un tiers des grèves. Le maximum est atteint généralement au mois de mai,
tout particulièrement avant 1900 3408 . Ici point de « rendez-vous social » au mois d’octobre
comme il est de coutume au XX e siècle.
Même constat dans les départements constituant anciennement la province du Poitou.
Près de la moitié des grèves y surviennent entre mars et août, dont un tiers au printemps, avec
un pic au mois d’avril, ce qui correspond à la période ou s’effectuent les travaux des champs.
Le dynamisme printanier et la demande de main d’œuvre des campagnes incitent les
ouvriers à tenter le coup de force à l’encontre de leurs patrons tout en évitant de mettre en
péril leur situation économique. Ils savent qu’ils pourront travailler dans les champs pendant
que cessera l’activité de leurs fabriques ou de leurs ateliers.
Nombre de grèves
30
25
20
15
10
5
0
Figure 37 : répartition mensuelle des grèves survenues dans l’ancienne province
du Poitou entre 1864 et 1914 :
Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre
Sources : ADDS, ADV et ADVd.
3407 Chez les mineurs de Carmaux les grèves se regroupent avant 1914 dans la période février-mars et au début
de l’été parallèlement à l’activité agricole, TREMPÉ (Rolande), Les mineurs de Carmaux…, op. cit., p.631
3408 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.103
753

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
L’arrêt momentané du travail au printemps en arrive à être considéré comme un
événement normal. Une grève « quasi-coutumière » que l’ouvrier des campagnes ne considère
pas comme une cessation volontaire pouvant mettre en péril son contrat de travail.
Le printemps correspond tout d’abord à la reprise du travail dans les professions
exercées à l’extérieur et dépendantes des conditions climatiques. Le secteur du bâtiment est
principalement concerné. La reprise des chantiers renforce le poids des revendications des
travailleurs. Un compte à rebours commence pour les entrepreneurs. Tout retard sur le cahier
des charges leur est préjudiciable. Les ouvriers le savent et tentent d’en profiter. Ajoutons que
cette période est traditionnellement celle des augmentations de salaires pour les maçons et
professions apparentées. C’est l’époque où l’on renégocie les contrats de travail, les primes de
bouche ou de panier et celles de déplacement. C’est pourquoi le secteur du bâtiment est
fréquemment considéré comme la « locomotive » des mouvements.
Figure 38 : pourcentage de grèves par saison dans les départements poitevins
entre 1864 et 1914
28%
14%
754
34%
24%
Hiver Printemps Eté Automne
Sources : ADDS, ADV et ADVd.
La période correspond donc à celle où de nombreuses tâches agricoles s’exécutent,
offrant aux grévistes de quoi subvenir à leurs besoins pendant qu’ils chôment et revendiquent.
Fini les restrictions et le repli sur soi hivernal. Au début du printemps la nature reprend ses
droits. Il est nécessaire d’épandre la fumure animale, de tailler les vignes, de tondre les
moutons. Puis vient le temps de la fenaison fin mai début juin. Enfin, l’été est synonyme de

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
moisson et de battage des blés, autant d’activités nécessitant une main-d’œuvre conséquente.
Ces travaux sont la plupart du temps synonymes de fêtes dans les campagnes, festivités
propres à un groupe social auquel beaucoup d’ouvriers industriels estiment encore appartenir.
Les mouvements revendicatifs les plus longs ont lieux durant les beaux jours,
généralement aux mois de mai, juin et juillet, périodes des moissons. L’offre conséquente de
travail rallonge la durée des conflits collectifs du travail et renforce le poids des
revendications ouvrières. L’exemple de la grève des ouvriers du bâtiment de Poitiers l’atteste.
Près de 300 maçons, tailleurs de pierres et terrassiers cessent le travail pendant plus d’un
mois, du 5 août au 13 septembre 1899. Durant ce laps de temps nombre d’entre eux vont
travailler à la campagne. Certains versent même la moitié de ce salaire glané dans les champs
aux grévistes restés en ville 3409 . La veille de la fin du mouvement on comptabilise encore près
d’une centaine d’individus occupés à travailler la terre 3410 .
Les rapports préfectoraux et les procès verbaux de conciliation signalent régulièrement
des grévistes travaillant à la campagne alors que leur profession ou leurs ateliers sont en
grève. Cette attitude déplaît aux autorités puisqu’elle fait durer la grève en faisant perdurer les
risques de troubles à l’ordre public 3411 . Parmi les nombreux exemples, citons la grève des
ouvriers cordonniers de Saint-Jouin-sous-Châtillon dans les Deux-Sèvres du mois de juillet
1896 où le préfet signale que les grévistes ont vécu sur leurs ressources personnelles : certains
ayant travaillé dans les champs – comme autrefois – alors que d’autres se sont établis à leur
compte ou ont quitté la commune 3412 . En janvier 1905, toujours dans les Deux-Sèvres, les
bûcherons du canton de Brioux travaillent dans les champs pendant la grève pour compléter
l’aide financière syndicale reçue 3413 . En juin de l’année suivante les maçons de Bressuire
menacent leurs patrons de les abandonner et d’aller gagner leur vie à la campagne 3414 . En
3409
Rapport de police du 17 août 1899, ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902]. Le rapport préfectoral établi après
la grève évoque un tiers de gréviste ayant travaillé à la campagne pendant le mouvement.
3410
Le patriote du Poitou du 11 et 12 septembre 1899.
3411
Alors que le risque de trouble diminue quand l’ouvrier gréviste est occupé à une autre tâche. Dans les
champs il est moins enclin à défiler.
3412
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3413
Les patrons font la sourde oreille aux revendications des bûcherons. Ils embauchent des ouvriers agricoles
pour remplacer les grévistes, qui eux-mêmes travaillent dans les campagnes, ADDS 11M19.13.B. Conflits et
grèves [1901 ; 1911].
3414
Grève des maçons de Bressuire de juin 1906 : rapport de gendarmerie du 21 juin 1906, ADDS 11M19.13.C.
Conflits et grèves [1902 ; 1931].
755

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
mars 1912, les travailleurs du bâtiment de Thouars sautent le pas, quittent leurs chantiers et se
joignent aux paysans dans les travaux des champs 3415 .
Seuls les tisserands du rayon choletais et les mineurs des houillères du bas Poitou font
figure d’exception. En effet, les grèves du textile ont tendance à se développer au mois de
septembre, période à laquelle expirent les tarifs anciens. La renégociation de nouveaux
barèmes, ajouté au renouvellement des chambres syndicales et au fait que le travailleur textile
fait partie intégrante du monde rurale expliquent cette particularité. Quant aux houillères, elles
subissent un nombre significatif de grèves à l’automne ou pendant l’hiver, périodes où la
demande de charbon est forte 3416 . Les mineurs y voient à juste titre un bon moyen de pression
sur la direction.
L’hétérogénéité des conflits sociaux dans le temps ou dans l’espace n’empêche pas la
présence d’un dénominateur commun, la revendication, pierre angulaire de tout mouvement
de grève.
B- Les doléances ouvrières
Avant tout il faut noter que les doléances précèdent la grève elle-même et que dans
bien des cas elles ne débouchent pas sur la cessation du travail. A l’époque une grève n’est
pas concevable sans revendication, sauf rares cas d’ignorance ou de « coup de sang »
spontané. L’ouvrier se doit de motiver son arrêt de travail par des causes immédiates, ici point
de grèves pour des motifs abstraits ou purement politiques.
Le souhait de voir s’améliorer sa vie au quotidien constitue la première préoccupation
revendicative du monde ouvrier qui ignore longtemps les enjeux nationaux trop éloignés de
ses tracas journaliers. Le salaire est la meilleure expression de ce sentiment : « jusqu’en 1911,
plus deux tiers des grèves sont provoquées par une demande d’augmentation 3417 ». Il obnubile
sans cesse l’esprit des travailleurs qu’ils veuillent le défendre ou l’augmenter. Le salaire c’est
le revenu dans son intégralité, c’est le « pivot de la psychologie ouvrière 3418 ».
3415
Procès verbal de conciliation du préfet des Deux-Sèvres, ADDS 11M19.13.C. Conflits et grèves [1902 ;
1931].
3416
A cela s’ajoute les risques d’infiltrations d’eau plus important à la morte saison que pendant les beaux jours,
risque qui nécessite un dénouement rapide du conflit.
3417
WILLARD (Claude) (dir.), op. cit., p.329.
3418
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.251
756

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
La volonté de modifier la durée du travail s’associe aux exigences salariales car c’est
souvent un moyen indirect de revaloriser sa rémunération par l’intermédiaire d’heures
supplémentaires ou autres aménagements de ce type. Le repos, et bien entendu les loisirs,
passent bien après le désir d’améliorer une situation matérielle souvent précaire. Néanmoins,
l’apparition d’organisations syndicales puissantes va donner à la lutte pour la diminution du
temps de travail une importance plus grande au fil du temps et en particulier à partir des
années 1900, comme le montre les mouvements sociaux des années 1902 et 1906.
Les soucis d’organisation du travail et de discipline d’atelier suivent dans l’ordre des
revendications ouvrières. Çà et là on lutte contre les règlements intérieurs draconiens ou bien
encore contre le contremaître despote. Bien plus rares sont les mouvements qui touchent à la
défense de l’emploi, à la protection d’institutions de secours ou bien encore aux questions
syndicales et autres actions de solidarités ouvrières.
Ce qui est vrai au niveau du pays est également vrai à l’échelle des trois départements
des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne, mais dans une proportion encore plus grande.
Ici, près de 85 % des conflits du travail portent sur la question des salaires. Les travailleurs
tentent à chaque occasion d’augmenter leurs revenus même quand ce ne pas l’objet principal
de la lutte.
Tableau 89 : revendications ouvrières dans les départements des Deux-Sèvres,
Vendée et Vienne [1864-1914] :
Revendications Nombre total de grèves
Revendications salariales (salaires, primes, tarifs etc.) 160
Horaires et durée temps de travail 27
Organisation et réglementation du travail 20
Réintégration d’ouvrier et solidarité ouvrière ou syndicale 16
Mésentente avec un supérieur 10
Conditions de travail et hygiène 4
Luddisme 4
Problème de couverture sociale / retenues sur salaire 4
Défense de l’entreprise et de l’outil de travail 2
Inconnues 45
Nombre total de revendications 292
Les doléances associées à la durée du temps de travail, à la modification des horaires
ou à l’organisation de la vie professionnelle suivent de très loin les questions salariales. Plus
rares encore sont les réclamations liées à la difficile cohabitation entre ouvriers et supérieurs
757
190

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
hiérarchiques, que l’on souhaite la tête d’un contremaître où la réintégration d’un collègue de
travail. Enfin, il arrive plus exceptionnellement que l’on cesse le travail pour obtenir de
meilleures conditions de labeur ou pour lutter contre la modernisation des moyens de
production, ces « satanées machines » souvent exécrées par l’ouvrier.
a) Les salaires
La question salariale hante sans relâche le monde du travail 3419 . Entre les années 1874
et 1938, près de 74 % des revendications en France y font allusion, 71% de 1870 à 1890 3420 .
Cette prédominance est autant marquée dans les trois départements étudiés, puisque la
question du salaire revient dans près de 85 % des conflits sociaux survenus entre 1830 et
1914. Cette question représente près de 55% de l’ensemble des revendications 3421 . Les trois
quarts des conflits portés devant les prud’hommes à Poitiers portent sur cette question 3422 .
Le faible développement d’industries organisées et sa cohorte d’ouvriers ouverts aux
problèmes sociaux de leur époque explique en partie cet état de fait, tout comme la pauvreté
réelle d’une classe ouvrière qu’elle soit rurale, dans le textile, ou bien urbaine, à l’instar des
sardinières ou des ouvriers du bâtiment dépourvus de qualifications. Ce type de population se
rencontre tout particulièrement en Vendée où le problème de la rémunération est évoqué dans
près de 80 % des grèves rencontrées, contre 60 % dans les Deux-Sèvres et 52 % dans la
Vienne. A cela s’ajoute le désir de promotion social des ouvriers artisans dont le salaire est un
indice matériel. Enfin ces revendications sont parfois le seul mode d’expression de
frustrations ou de malaises plus profonds que peuvent ressentir les travailleurs 3423 .
Sur les 158 conflits du travail où la question de la rétribution intervient, plus de 130
d’entre eux placent le salaire comme principale doléance.
Près des deux tiers de ces conflits salariaux se définissent par leur caractère offensif.
3419
La question salariale est toujours prééminente dans les grèves bien après la Seconde guerre mondiale, cf.
CAIRE (Guy), La grève ouvrière, Paris, 1978, p.175.
3420
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.132. Entre 1848 et 1914, 62% des revendications
ouvrières de la région lyonnaise font référence aux salaires, cf. LEQUIN (Yves), op. cit., t.2, p.45.
3421
Cette valeur plus faible qu’au niveau nationale pâtit de la quarantaine de grèves dont les revendications nous
demeurent inconnues.
3422
86% à Châtellerault, ADV M12.143. Conseil des prud’hommes de Poitiers (1908).
3423
CAIRE (Guy), op. cit., pp.174 et s.
758

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
1. La prépondérance des grèves offensives
On entend par grève offensive la volonté des grévistes d’obtenir par la lutte un
avantage nouveau ou une amélioration de leur sort en comparaison de leur situation
ancienne 3424 . Ce type de grève se retrouve plus particulièrement dans le groupe des ouvriers
professionnels relativement bien situés dans l’échelle salariale et travaillant dans de petits
établissements artisanaux, et dans une période de bonne santé de l’économie. Les sardinières
sablaises au travail saisonnier et faiblement rémunérateur estiment ne pas pouvoir cesser le
travail avant d’avoir amassé un pécule suffisant. La grève n’est pas possible sans
ressource 3425 .
Le monde du bâtiment répond en partie positivement à ces critères 3426 , il n’est donc
pas étonnant que la quasi-totalité des grèves salariales du secteur revêtent ce caractère. La
plupart d’entre elles visent l’obtention d’une augmentation de salaire pure et simple. Ces
métiers sont encore influencés par les « anciennes pratiques de fixation des prix au début de
chaque campagne 3427 ».
Cette revendication de base est parfois accompagnée de demandes salariales annexes.
On tente de conquérir des indemnités de déplacement pour les ouvriers travaillant loin de
leurs foyers. A ce titre les charpentiers de Poitiers demandent en août 1910 le paiement d’un
voyage tous les 15 jours pour ceux d’entre eux travaillant hors la ville 3428 . Les maçons de
Poitiers en 1901 3429 et ceux de Luçon en 1901 réclament une indemnité de transport pour aller
travailler sur les chantiers situés à plus de cinq kilomètres de la ville 3430 , même chose chez les
plâtriers niortais en juin 1908 3431 . En 1876, les peintres de Poitiers obtiennent une
augmentation de leurs salaires s’adaptant à la longueur de leurs déplacements et à leurs frais
de bouches éventuels 3432 . D’autres fois, les maçons, tailleurs de pierres et autres manœuvres
essaient d’obtenir le changement de leur mode de rémunération, par un paiement à l’heure et
3424
La grève défensive se définit à contrario par la volonté pour le gréviste d’obtenir le maintien de sa situation
mise en péril par la conjoncture économique, par une décision patronale ou tout autres facteurs de détérioration
des conditions de vie ou de travail de l’ouvrier.
3425
Rapport du sous-préfet de l’arrondissement des Sables-d’Olonne du 17 mai 1909, ADVd 10M58. Grèves des
marins pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927].
3426
Si on met de coté les terrassiers et manœuvres.
3427
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.378.
3428
L’Avenir de la Vienne du 28 août 1910.
3429
Le Républicain de la Vienne du 18 août 1899.
3430
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3431
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 27 juin 1908.
3432
Procès verbal du commissaire de police du 25 juin 1876. ADV M12.22. Situation industrielle du
département.
759

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
non plus à la journée ; ou bien encore par la mise en place d’un tarif unique pour tous les
membres locaux d’une même profession sans distinction d’employeurs ou de talents. Il y a
aussi la volonté d’obtenir un salaire identique été comme hiver, comme que le réclament les
tailleurs de pierres de la ville de Niort en mai 1896 3433 , ou bien encore la volonté d’obtenir un
recul de la date marquant le début de la période hivernale synonyme de baisse salariale.
Le bâtiment n’a pas le monopole des grèves offensives. Elles sont largement
majoritaires dans les secteurs de la boulangerie, des métiers du bois – menuisiers, charpentiers
de marine, ébénistes, sabotiers ou bûcherons –, du cuir (exception faite des gantiers et
chamoiseurs niortais), parmi les carriers et diverses autres professions semi artisanales et
souvent de petites envergures, voire familiales. Là aussi l’augmentation de salaire, au temps
ou à la pièce, s’accompagne d’autres vœux. En 1912, les ouvriers des mines d’antimoine de
Rochetrejoux réclament l’abandon du travail payé à la tâche pour un paiement quotidien 3434 .
Les boulangers niortais réclament par deux fois, en 1901 et 1906, des paiements
hebdomadaires plutôt que mensuels 3435 . On lutte également pour obtenir la mise en place de
tarifs uniques et de salaires minimums fixés sur une rémunération que l’on espère voir
augmenter. Cette volonté d’égalité et d’homogénéité, qui n’est pas toujours monnaie courante,
se rencontre par exemple chez les mineurs de Saint-Laurs en 1908 3436 ou bien encore chez les
carriers de Chauvigny en 1913 3437 . On réclame également le paiement majoré des heures
supplémentaires 3438 .
Contrairement aux grèves offensives, très généralisées, les grèves défensives touchent
des catégories d’ouvriers bien plus spécifiques.
2. La spécificité des grèves défensives
Michelle Perrot 3439 décrit ces formes de revendication comme subites, brèves, parfois
violentes, localisées à un établissement (souvent de taille importante), et le plus fréquente
dans des périodes de crises économiques. L’auteur constate que ce type de mouvement social
est l’apanage du textile, puisque 52% des conflits qui éclatent en France entre 1871 et 1890
3433
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3434
ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
3435
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3436
Ibid.
3437
ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
3438
Ibid. Grève des employés de la fonderie Thomas à Châtellerault en juin et juillet 1911.
3439
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.122.
760

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
dans ce secteur d’activité sont de nature défensive. Les vieux métiers du cuir et de la peau
suivent avec 34%.
Cette réalité nationale se retrouve à l’échelle régionale. Une dizaine de conflits
défensifs secouent le microcosme du tissu choletais vendéen et cela dès les années 1836, 1841
et 1846, sous l’ère de la prohibition des coalitions 3440 . Déjà, le tisserand en cave lutte contre la
baisse des tarifs qu’envisagent ses commanditaires. Un conflit constant où le tisserand,
souvent impécunieux, ne se bat pas pour améliorer sa condition mais très souvent pour
maintenir des revenus qui stagnent depuis des années ou – rarement – majorés par leurs
employeurs sous la contrainte de travailleurs unis. Une fois l’unité ouvrière disparue et les
braises du conflit précédent refroidies, le patronat, surtout celui « commandant » aux
campagnes localisées dans la lointaine périphérie de Cholet, essaie à nouveau d’imposer ses
conditions salariales en passant outre les accords conclus antérieurement. C’est ce qui se
produit en 1875, 1885, 1887, 1888 et 1904. Une manière pour les entrepreneurs de mettre un
terme à un mode d’organisation du travail dépassé qui subit de plein fouet la crise textile de la
fin du XIX e siècle.
L’industrie du cuir, en particulier la ganterie et la chamoiserie niortaise, est elle aussi
organisée de manière archaïque et subie son lot de grèves défensives. Le salaire à la pièce et
le travail en chambre facilitent la concurrence entre ouvriers au profit des commanditaires. La
crise qui fragilise la profession pousse à la baisse des tarifs, ce que le chamoiseur ou la
gantière tentent plus ou moins vainement de combattre. Les grèves des années 1905, 1907,
1909 et 1910 en témoignent 3441 . Quand on ne se bat pas pour défendre directement ses
revenus, on lutte contre la machine qui fait craindre une baisse de la production manuelle et
par conséquent une diminution des salaires 3442 .
De même, les conflits défensifs du travail sont multiples dans les houillères du bas
Poitou, même si les revendications salariales sont souvent secondaires dans l’esprit des
mineurs avant 1914. En 1896, les machinistes des mines de Saint-Laurs réclament la fin du
travail aux pièces et un tarif fixe tout en souhaitant une augmentation de salaire. Une initiative
prise après avoir consulté des syndicats de Valencienne 3443 . En 1898, ceux de Faymoreau
cessent le travail pour obtenir la suppression des amendes, très nombreuses et qui mettent à
mal leurs revenus 3444 . Puis les mineurs luttent pour l’obtention de primes promises par la
3440 AGUET (Jean-Pierre), op. cit., pp. 254 et 337.
3441 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3442 Ibid. cf. grève des gantiers niortais d’août 1899.
3443 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3444 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
761

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
direction. Celle-ci traîne les pieds et invoque toujours de nouvelles conditions pour les rendre
caduques. Ce problème, qui surgit en 1901, existe toujours l’année suivante et réapparaît en
1908 3445 .
D’autres professions, moins bien organisées et aux effectifs moins nombreux, luttent
elles aussi pour défendre leurs revenus. Ainsi, on se bat contre certaines retenues sur salaire
jugées abusives. En 1897 et 1899, les charpentiers de marine des Sables-d’Olonne souhaitent
voir diminuer la part consacrée aux assurances prélevée sur leurs salaires 3446 . En 1907, les
carriers de Migné dans la Vienne ne veulent plus être obligés de louer leurs outils à la
direction 3447 .
Cette réalité touchent parfois, mais plus rarement, le monde du bâtiment. Les ouvriers
poitevins de ce secteur réclament en 1899, en plus de la traditionnelle augmentation, un
salaire minimum obligatoire pour les travaux entrepris dans le cadre de chantiers
départementaux ou communaux. Ils obtiennent satisfaction sur ce point 3448 . Ils veulent mettre
fin à la pratique du marchandage 3449 qui persiste dans leur profession. Cette revendication
ressurgit onze ans plus tard chez les menuisiers et ébénistes de Poitiers 3450 .
Dans nombre de cas il est frappant de noter que le taux de salaire demandé constitue
une simple base de négociation à laquelle l’entrepreneur peut déroger en fonction de critères
diverses comme la capacités et l’habileté des différents ouvriers qu’il emploie ou les aléas de
la conjoncture économique. En 1910, les ouvriers menuisiers et ébénistes de la ville de
Poitiers réclament la fixation d’un salaire moyen. En aucun cas ils ne remettent en cause de
possibles aménagements futurs liés aux compétences et talents des ouvriers employés 3451 . En
1911, les couvreurs du chef lieu de la Vienne précise cette notion de compétence dans
l’énoncé de leurs revendications 3452 . Le même constat chez les terrassiers employés à la
construction du tramway de Châtellerault en 1912. Leurs patrons acceptent l’augmentation
des rémunérations en distinguant deux catégories d’ouvriers : d’un côté ceux aux capacités
3445
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914] & ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine
de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
3446
ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers [1897 ; 1936].
3447
ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911].
3448
Cette revendication s’appuie sur un décret du 10 août émanant du ministère du Commerce et de l’industrie,
cf. L’Avenir de la Vienne du 1 er et 3 septembre 1899.
3449
Forme de contrat par lequel un sous-entrepreneur s’engage (envers un entrepreneur) à faire exécuter un
travail par des personnes payées et dirigées par lui.
3450
L’Avenir de la Vienne du 19 et 20 septembre 1910.
3451
L’Avenir de la Vienne du 28 et 29 août 1910.
3452 ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911].
762

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
physiques ou professionnelles normales, augmentés de 45 centimes ; de l’autre les terrassiers
aux capacités moindres dont le revenu est revalorisé de 38 centimes.
On trouve assez fréquemment aux côtés des revendications salariales des doléances
portant sur le temps de travail, dont l’influence est importante sur le revenu et la vie
quotidienne des travailleurs.
b) Le temps de travail
L’espoir de modifier le temps travaillé ou bien encore les horaires de présence aux
l’ateliers se retrouve dans 14% des grèves étudiées dans les départements poitevins, soit
quasiment la même moyenne qu’au niveau national 3453 .
La très grande majorité de ces prétentions accompagne des demandes de hausse de
salaire, à l’occasion de grèves presque toujours offensives. Néanmoins, il existe de rares
exemples de grèves défensives en la matière, en particulier chez les mineurs des houillères du
bas Poitou. En 1896, les mineurs réclament le maintien de la semaine de cinq jours pour éviter
le licenciement d’une trentaine d’entre eux justifié par une direction qui souhaite les faire
travailler une journée de plus par semaine 3454 . En 1903, la direction des puits de Saint-Laurs
craint une grève après l’annonce d’une suppression d’un jour de travail chaque semaine, mais
l’annonce du caractère provisoire de cette mesure calme les esprits 3455 . Quatre ans plus tard,
les mêmes ouvriers refusent de décaler leurs horaires de travail d’une demi-heure. Ils veulent
continuer de débaucher à trois heures de l’après-midi et non à trois heures et demie. Ils
cèderont après négociations 3456 . Puis, en 1910, les mineurs de Saint-Laurs comme de
Faymoreau s’opposent à l’application de la loi du 29 juin 1905 qui instaure la journée de 8
heures pour les ouvriers travaillant au fond des puits et qui selon eux désorganise leur
travail 3457 . Ici encore, il semble que la rémunération passe avant les conditions de travail et sa
pénibilité. Un aménagement ponctuel de la loi permet de satisfaire en partie les grévistes.
3453 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.263.
3454 MONTOUX (Michel), op. cit., p.161 et Le Mémorial des Deux-Sèvres du 27 févier 1896. Les mineurs vont
jusqu’à proposer de travailler quatre jours et demi pour permettre à tous de conserver leur emploi.
3455 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3456 Ibid.
3457 Ibid.
763

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le reste des grèves où la durée du travail entre en jeu sont de natures offensives. Le
travailleur cherche à profiter de l’élan social national pour obtenir une diminution du temps
travaillé comme l’atteste la période où ces conflits surgissent ; 13 des 19 grèves qui
revendiquent des journées de travail plus courtes ont lieu à partir de 1900, et plus
particulièrement après 1905. Les lois de 1892, sur le travail des enfants et des femmes ; de
mars 1900 légiférant sur le temps de travail dans les « ateliers mixtes » ; de 1905, à propos de
la journée de travail dans les mines ; ou bien encore celle de 1906, consacrée au repos
hebdomadaire, ont changé les mentalités ouvrières. Désormais, le travailleur ose revendiquer
en la matière même quand ils n’entrent pas dans les cas de figure légalement prévus.
Néanmoins, dès mars 1848, une pétition des menuisiers de Saint-Maixent réclame une
diminution de leurs heures travaillées. Quatre ans plus tard, les tisserands de Cholet se
plaignent de la non application de la loi de 1841 sur le travail des enfants et d’être obligé de
travailler 13 heures par jours 3458 . Bien plus tard, en 1894, les couvreurs de La Roche-sur-Yon
désirent et obtiennent une baisse de leurs heures de travail estival qui jusqu’alors est de 12
heures contre 9 heures l’hiver 3459 .
A partir du début du XX e siècle, le travailleur, fort d’un soutien étatique et législatif,
essaie de diminuer d’une heure son temps passé au travail. Certaines fois, il s’agit de passer
de douze heures à onze heures comme le tentent, presque toujours avec succès, les maçons de
Châtillon-sur-Sèvre en 1906 3460 et ceux de Mortagne en 1910 3461 , ou bien encore les zingueurs
de Thouars en 1912 3462 . Cependant, la majeure partie des revendications sollicite des journées
de travail de 10 heures accompagnées d’une hausse des rémunérations, l’ouvrier laissant
quelquefois le choix à son employeur d’y préférer une augmentation de salaire pure et simple.
Ainsi, en février 1908, les ouvriers du bâtiment niortais cessent le travail pour obtenir soit une
augmentation salariale de 25% tout en conservant une journée de 11 heures soit le passage à
une journée de 10 heures avec une augmentation de 30%. Les patrons choisissent la seconde
option tout en négociant l’augmentation des salaires 3463 . Idem, la même année, chez les
menuisiers, les ébénistes et les couvreurs de Niort, ces derniers obtenant de travailler 10
heures par jour et une promesse d’augmentation prochaine alors qu’ils réclamaient une
augmentation de 25% 3464 . En 1905, des ouvriers gantiers de la commune de Saint-Florent près
3458 Ce conflit ne semble pas s’être étendu aux campagnes vendéennes qui composent le rayon choletais.
3459 ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3460 ADDS 11M19.13.C. Conflits et grèves [1902 ; 1931].
3461 ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3462 ADDS 11M19.13.C. Conflits et grèves [1902 ; 1931].
3463 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3464 Ibid.
764

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
de Niort demandent et obtiennent une journée de travail de neuf heures trente en plus d’une
unification du tarif appliqué à la fabrication de certains produits 3465 . Quant aux imprimeurs de
Poitiers et de Châtellerault ils obtiennent la journée de neuf heures dès mai 1906.
La durée du travail ne constitue pas la seule doléance ouvrière dans le domaine de
l’organisation du travail, d’autres aspects de la vie quotidienne au travail poussent
épisodiquement les travailleurs à revendiquer.
c) Discipline intérieure et condition de travail
Les problèmes d’organisation du travail, de défense de l’emploi et des conditions dans
lesquelles le travailleur est amené à exercer son métier représentent près de 18% des grèves
recensées, et près de 12% du total des revendications, soit des moyennes relativement plus
élevées que les chiffres nationaux.
Ce sont les ouvriers employés dans le secteur textile qui se manifestent le plus en la
matière. Ce type de préoccupation y apparaît dans six conflits du travail. Suivent les mines
(cinq) et le travail du cuir (quatre).
Les causes de contrariété et de cessation de travail sont multiples. Dès 1833, un
mouvement de mécontentement agite les tisserands à la cave du rayon choletais quand ils
s’aperçoivent que les fabricants les trompent volontairement en utilisant des aunes de 30 à 40
millimètres supérieurs à la longueur réglementaire 3466 ! Il arrive que l’on cesse le travail pour
obtenir une modification des horaires de repas 3467 , parce que l’ouvrier à domicile refuse de
venir livrer sa marchandise, prétextant une perte de temps préjudiciable à son revenu 3468 , ou
bien encore parce l’on ne veut plus être interdit d’accès aux ateliers après un retard minime à
l’embauche 3469 . D’autres fois on proteste pour ne plus être obligé de se nourrir et d’habiter
chez son maître, comme le réclament des maréchaux-ferrants de Poitiers en 1910 3470 . Des
3465 Ibid. Cet accord n’est pas ratifié par tous les patrons concernés.
3466 POPEREN (Maurice), op. cit., p.16.
3467 C’est le cas des travailleurs du bâtiment de Fontenay-le-Comte en 1880 et des cordonniers de Niort en 1896 ;
ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936] et ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ;
1899].
3468 Revendications des galochiers de Fontenay-le-Comte en mars 1911 ; cf. ADVd 10M64. Grèves des fondeurs,
ouvriers ébénistes, galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs, employés de banque [1911 ; 1931].
3469 Grèves des ouvriers cordonniers de Saint-Jouin-sous-Châtillon, juillet 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et
grèves [1836 ; 1899].
3470 ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911].
765

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
machinistes employés dans les houillères de Saint-Laurs essaient d’imposer à la direction le
recrutement privilégié des fils de mineurs à la retraite 3471 .
Parfois, les doléances portent sur la production elle-même. Les cordonniers qualifiés
de Saint-Jouin-sous-Châtillon dans les Deux-sèvres refusent de fabriquer des articles bon
marché qu’ils appellent « camelotes » 3472 . En 1906, les gantiers niortais réfutent une clause
d’un nouveau règlement qui réserve à la direction le droit de donner la finition des gants à un
personnel spécialisé 3473 . Les carriers de Migné dans la Vienne aspirent à voir réduire la
surface de taille de trois centimètres pour chaque face pierre extraite 3474 .
De temps à autre, les travailleurs se plaignent de leurs outils de travail, soit parce
qu’ils désirent en changer, comme c’est le cas, en 1914, des tisseurs des Epesses en
Vendée 3475 , soit parce que le patronat souhaite faire conduire plusieurs métiers à tisser par un
nombre moindre d’ouvriers 3476 .
Cependant, quelques revendications émergent de cette liste de prétentions hétéroclites.
On trouve d’une part les doléances liées à la discipline sur les lieux de travail, et d’autre part,
des requêtes qui touchent à la pénibilité et à l’hygiène des ateliers.
Les problèmes de discipline à l’intérieur des établissements industriels reposent sur les
relations difficiles que peuvent entretenir ouvriers et supérieurs hiérarchiques. Le
développement de la mécanisation et l’augmentation de la taille des ateliers supposent « une
multiplication des échelons hiérarchiques 3477 » et par conséquent un plus grand risque de
mésententes entre simple ouvrier et contremaître, « le traître » qui s’est rangé du côté du
patron et qui applique le règlement intérieur, le « droit du maître 3478 ».
Sur dix conflits en la matière, sept ont pour but d’obtenir la démission de leur chef
d’atelier, contremaître ou directeur des travaux. Les grèves qui surviennent à Cholet et dans
ses alentours en 1887 relèvent de l’exception. On y réclame, parmi bien d’autres
3471
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3472
Ibid.
3473
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3474
ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911].
3475
Les tisseurs souhaitent changer de métier à tisser, ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ;
1931].
3476
Conflit du travail survenu à Mortagne-sur-Sèvre en 1910. Les tisserands se plaignent également de la non
application par les entrepreneurs de diverses lois sociales, en particulier le fait d’imposer aux ouvrières des
heures supplémentaires à domicile, ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3477
CHARLE (Christophe), op. cit., p.310.
3478 LE GOFF (Jacques), op. cit., p.35.
766

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
revendications, la suppression totale du régime des amendes, sans s’en prendre à une
personne particulière 3479 .
C’est dans le monde des mines que les tensions sont les plus vives entre simples
mineurs et porions 3480 . Ce constat vaut aussi bien pour les Charbonnages du bas Poitou que
pour le pays tout entier. En France, près de 22% des conflits avec les cadres se déroulent dans
les mines entre 1871 et 1890 3481 . La rigoureuse discipline du travail nécessaire au fond des
puits est mal comprise, d’autant plus qu’elle est assurée par des contremaître tout-puissants
abusant parfois de leurs prérogatives. Tout cela « développe […] des sentiments de rancœur et
de révolte. Porions et maître mineurs sont souvent détestés des ouvriers qui leur reprochent
d’être partiaux et incompétents 3482 ».
Lors de la longue grève des mineurs de Saint-Laurs en 1896 des maîtres mineurs sont
soupçonnés d’avoir molesté un gréviste 3483 . En 1898, les mineurs de Faymoreau dénoncent les
agissements dangereux d’un des contremaîtres dont ils réclament le renvoi. On lui reproche de
menacer physiquement les ouvriers, de les exposer à des risques importants – les mineurs
auraient été obligés de descendre dans les puits alors que des charges explosives étaient en
place – et d’avoir institué un système d’amende inique 3484 . La direction de la mine ne consent
pas à ce renvoi. Il faut attendre une nouvelle grève, en octobre 1900, pour que le porion
incriminé soit renvoyé après que sa vie et celle de sa famille aient été directement
menacées 3485 . Cette violence rappelle les événements tragiques survenus à Decazeville, dans
l’Aveyron, en 1886 quand les mineurs en colère prennent à parti un de leurs ingénieurs qu’ils
finissent par lyncher 3486 . En février 1908, des remarques véhémentes du conducteur des
travaux des mines de Saint-Laurs provoquent une nouvelle grève 3487 . Les mêmes mineurs qui
réclament la tête d’un de leurs chefs quatre années plus tard. En 1913, ceux de Faymoreau se
plaignent de l’attitude d’un des chefs mineurs qui les aurait obligés à travailler dans une partie
3479 POPEREN (Maurice), op. cit., p.53.
3480 Contremaître dans une mine de houille. Porion signifie « poireau » en picard et fait référence à leur position
sur les chantiers.
3481 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.299.
3482 TREMPÉ (Rolande), Les mineurs de Carmaux…, op. cit., p.202.
3483 La rixe s’est terminée par la fracture d’une épaule du mineur gréviste, cf. Le Mémorial des Deux-Sèvres du
27 février 1896.
3484 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3485 Ibid. Le fuyard pourchassé ne trouve son salut que dans le refuge que lui offre la directrice de l’établissement
houiller.
3486 L’ingénieur Watrin est assassiné par une foule déchaînée en janvier 1886. Le terme « watriner » devient dès
lors un mot d’ordre symbole de lutte et de libération du monde ouvrier contre certains cadres souvent assimilés à
des gardes-chiourmes au sein d’un bagne.
3487 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grève [1901 ; 1911].
767

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
de la mine reconnue grisouteuse. Des menaces verbales sont à nouveau proférées à l’encontre
du contremaître 3488 .
Bien entendu les mines n’ont pas le monopole des tensions hiérarchiques et des grèves
de « dignité ». En 1895, neuf mouleurs d’une fonderie située à Saint-Florent, près de Niort, se
mettent en grève après une mésentente avec leur contremaître. Le cadre est défendu par la
direction et les ouvriers courroucés sont congédiés. En 1896, c’est au tour des cordonniers de
Saint-Jouin-sous-Châtillon dans les Deux-Sèvres de cesser leur travail pour réclamer en partie
le renvoi d’un des contremaîtres 3489 . Tout comme c’est le cas des cordonniers de la maison
Raynaud de Poitiers qui cessent le travail afin d’obtenir le congédiement de la contremaîtresse
de l’atelier piqûre « dont l’insolence et l’arrogance ne connaissent pas de limite contre les
ouvrières qui sont sous ses ordres 3490 ». Une requête vaine puisque l’établissement, en
difficulté, ne reprendra pas les grévistes et en profitera pour diminuer son activité.
Un cas plus particulier se déroule à Poitiers en 1904 dans une usine de mécanique
poitevine où les ouvriers cessent le travail pour protester contre la réembauche comme simple
manœuvre d’un ancien contremaître qui leur avait fait subir par le passé « des vexations sans
nombre » 3491 . On ne veut pas côtoyer «le « traître ».
En août 1912, les tôliers de l’atelier Aurioux à Châtellerault cessent le travail pour
protester contre l’attitude méprisante de leur patron auquel ils adressent l’avertissement
suivant :
« Monsieur Aurioux,
Par esprit de solidarité tous les ouvriers de l’usine de M.
Aurioux ont décidé une grève de 24 heures pour protester contre les
agissements et les paroles malhonnêtes que M. le patron emploie à
l’égard de ses ouvriers.
A l’avenir nous prévenons M. Aurioux que chaque fois qu’il
manquera d’égards envers l’un de ses ouvriers, tous les camarades se
feront un devoir de solidarité de faire une nouvelle grève de 24 heures
et plus si cela est nécessaire pour bien démontrer à M. Aurioux que les
ouvriers ont droit au même respect de Messieurs les patrons
Dura lex sed lex 3492 ».
3488
ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
3489
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3490
ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911] & L’Avenir de la Vienne du 16 juin 1911.
3491
L’Avenir de la Vienne du 22 mai 1904.
3492
Le Socialiste de la Vienne du 10 août 1912.
768

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Une mise en garde qui n’est pas prise au sérieux par l’entrepreneur qui ferme son usine une
journée de plus et part prendre des bains de mer en famille. Mais son attitude hautaine cesse
quand il prend conscience de la réelle motivation de ses employés soutenus financièrement
par de nombreuses chambres syndicales. Des négociations suivront.
Toutefois les tensions entre ouvriers et supérieurs hiérarchiques ne débouchent pas
toujours sur une grève. Un article de l’Eclaireur de la Vienne 3493 fait état en 1898 du
sentiment d’injustice régnant parmi les employés de la manufacture nationale d’armes de
Châtellerault qui reprochent à leurs surveillants et contremaîtres leur trop grande sévérité. On
y parle d’amendes pour des retards infimes, de mises à pied pour cause de maladie ou bien
encore d’injures.
Bien plus rares sont les revendications portant sur la pénibilité des tâches et l’hygiène
sur les lieux de travail. On en recense quatre en tout et pour tout entre 1864 et 1914. Cette
même rareté se retrouve au niveau national : seulement onze revendications de ce type entre
1871 et 1890 sur un total de 4560 3494 .
Restent quelques cas isolés comme celui des teinturiers d’une usine des Deux-Sèvres
qui auraient cessé le travail en novembre 1899 pour protester contre les mauvaises conditions
d’hygiènes régnant dans les ateliers. Ce conflit du travail reste cependant hypothétique 3495 . En
1911, c’est au tour des ouvriers fondeurs grévistes de l’établissement Thomas de Châtellerault
de se plaindre, entre autres revendications, de la non application par la direction des lois sur
l’hygiène 3496 . Entre temps, en 1907, les typographes niortais de l’imprimerie Martin arrêtent
leur activité pour se plaindre de la pénibilité de leur tâche. Le déchiffrage des brouillons est
fatigant et leur fait perdre un temps précieux qu’ils souhaitent compenser par une
augmentation de salaire 3497 . En 1910, les mineurs des puits de Faymoreau menacent de cesser
le travail à cause du mauvais état des galeries qui les rend dangereuses 3498 .
Au-delà des conditions de travail ou de vie, dépendantes des salaires et des horaires,
l’ouvrier peut également cesser le travail par solidarité envers ses compagnons proches
3493 L’Eclaireur de la Vienne du 4 décembre 1898.
3494 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.261.
3495 Le préfet est informé de cette grève par le ministère du Commerce. L’enquête qu’il mène ensuite auprès de
ses sous-préfets ne donne rien. Courrier du ministère du Commerce, de l’industrie et de l’inspection du travail du
16 novembre 1899, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3496 ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
3497 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3498 ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
769

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
licenciés ou pour défendre la cause de camarades en lutte, souvent parce que des organisations
syndicales les y ont incités.
d) La solidarité ouvrière et syndicale
Les grèves solidaires représentent 5,5% des revendications rencontrées et se
rencontrent dans 8,5% des conflits du travail.
En premier lieu il y a les grèves mises en place pour obtenir la réintégration d’un
ouvrier renvoyé. Un exemple qui se rencontre plusieurs fois dans le secteur de la chaussure
bon marché du côté de Cholet et de sa région 3499 .
A partir de 1884, il arrive que des ouvriers soient congédiés par le seul fait
d’appartenir à des organisations syndicales. En juin 1911, une dizaine d’employés syndiqués
de deux scieries de Châtellerault sont renvoyés après la création du syndicat 3500 . Au même
moment et dans la même ville deux ouvriers fondeurs appartenant au conseil d’administration
de l’union des syndicats de la ville sont licenciés du fait de leur appartenance à cette
institution. La même chose se produit une décennie plus tôt, en 1896, quand un bonnetier
syndiqué de Saint-Maixent est renvoyé de son travail. La grève qui suit fait long feu.
L’ouvrier n’est pas réintégré et les grévistes solidaires finissent par regretter leur action en
accusant le syndicat de les avoir mis sur une mauvaise voie 3501 .
Il existe quelques rares exemples de grèves visant la réintégration d’un supérieur
hiérarchique. En mai 1904, des mécaniciens de Poitiers cessent le travail pour obtenir la
réintégration d’un contremaître. Celui-ci sera repris mais simplement en tant qu’ouvrier 3502 .
Deux ans plus tard les mineurs des houillères de Faymoreau réclament le retour de l’ingénieur
des Mines en second, bien aimé du personnel 3503 .
La réintégration d’un collègue fait parti des revendications des mineurs de Saint-Laurs en
1910 qui obtiennent satisfaction 3504 . Il arrive aussi qu’un mouvement revendicatif essaie à la
fois d’obtenir la réintégration d’un ouvrier mis à la porte mais aussi de se montrer solidaire
envers d’autres professions. C’est ce qui se produit chez les gantiers niortais en 1910 quand
les hommes cessent le travail non seulement pour obtenir le retour d’un collègue accusé de
3499
CHĒNĒ (René), op. cit., p.90.
3500
ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
3501
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3502
ADV M12.110. Grèves, coalitions, contrats d’apprentissage [1892 ; 1906].
3503
ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
3504
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 28 mai 1910.
770

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
malfaçon mais aussi par solidarité avec les gantières dont la situation professionnelle est
préoccupante 3505 .
En plus de cette solidarité « de proximité », circonscrite à une même entreprise, il
existe une solidarité à plus grande échelle soit interprofessionnelle soit propre à une seule
profession. Déjà, en 1836, des maçons niortais cessent le travail afin de protester contre la
condamnation de sept d’entre eux pour une grève précédente. L’initiative est réprimée par les
autorités, d’autant plus qu’à cette époque un mouvement clandestin d’ampleur nationale tente
d’organiser les professions du bâtiment autour des tailleurs de pierres et de fomenter une
coalition générale 3506 . En 1901, nombreux sont les maçons de Luçon à cesser le travail « par
camaraderie » avec les premiers grévistes meneurs du mouvement, comme le souligne le
commissaire de police de la ville 3507 .
Cette solidarité professionnelle se retrouve aussi dans la plupart des grèves de
tisserands du rayon choletais où l’on cesse le travail – sous l’influence certaine du syndicat
choletais – pour soutenir les grévistes de Cholet qu’ils soient eux aussi de simples tisserands
comme en 1888 ou des tisseurs mécaniques comme en 1910 3508 .
Plusieurs fois, et particulièrement en juillet 1909, les boîtiers des usines de conserves
de sardines de la côte vendéenne arrêtent de travailler pour soutenir leurs homologues bretons
engagés dans une lutte acharnée contre leur direction. Cette solidarité n’est pas purement
gratuite. Nombre d’établissements vendéens appartiennent à des entrepreneurs nantais ou
bretons et les changements auxquels s’opposent les soudeurs du Morbihan et du Finistère sont
appelés à se produire en Vendée à court ou à moyen terme 3509 . Enfin, toujours dans le secteur
de l’emboîtement de la sardine, citons le cas d’une grève des sardinières de Croix-de-Vie en
soutien à leurs maris marin pêcheurs en difficulté après l’effondrement du cours du
poisson 3510 . Une attitude que le maire de Saint-Gilles justifie. Pour lui les pécheurs agissent
« comme chefs de familles ». A ce titre ils ont « le droit d’empêcher leurs femmes et leurs
enfants d’aller travailler dans les usines » 3511 .
3505
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3506
Voir supra p.716 et s.
3507
Rapport du commissaire de police de Luçon au commissaire spécial du 8 mai 1901, ADVd 4M195. Conflits
sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3508
ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
3509
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914] & ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans
les conserveries [1889 ; 1927].
3510
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3511
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit. , p.215.
771

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Ce n’est certainement pas le fruit du hasard si parmi les professions où joue la
solidarité on retrouve des maçons, des tailleurs de pierres et les soudeurs des conserveries
sablaises. Les premiers exercent un métier profondément marqué par les traditions
corporatistes. Les seconds appartiennent à une sorte « d’élite ouvrière » qui peut, par
l’avantage que lui procure son savoir faire, s’offrir le luxe d’arrêter le travail pour des motifs
moins immédiats que d’autres ouvriers. Un des périls les plus importants pour ce corps de
métiers est l’introduction de machines dans les ateliers. Le luddisme appartient au groupe de
revendications que l’on peut qualifier de subsidiaires, eu égard à leur faible fréquence
comparée à celle des grands thèmes revendicatifs déjà abordés ci-dessus.
Notons enfin l’absence de ce type de revendications chez les ouvriers mineurs 3512 une
population pourtant consciente des enjeux sociaux et politiques de l’époque. Leurs doléances
se focalisent essentiellement sur l’amélioration de leurs conditions de travail au quotidien.
e) Les revendications subsidiaires
C’est revendications dites « subsidiaires », c'est-à-dire les doléances rarement
évoquées par le monde ouvriers régional, peuvent être regroupées en trois groupes : la lutte
contre le machinisme, les questions de couverture sociale et la défense de l’outil de travail.
L’opposition au machinisme n’est pas une revendication majeure du monde ouvrier.
Michelle Perrot ne recense sur le plan national que huit revendications de ce type sur un total
de 4560 doléances entre 1871 et 1890 3513 . Dans les départements des Deux-Sèvres, de la
Vendée et de la Vienne, quatre conflits de ce genre sont constatés entre 1864 et 1914, dont
deux dans le seul secteur des conserveries de poisson. En 1908 et 1909, les soudeurs de boites
de conserve s’opposent au projet d’installation de machines à souder dans les usines de
sardines de la côte bretonne et atlantique 3514 . Malgré le rappel sonné par le syndicat nantais
seuls deux établissements voient leurs activités cesser pour cause de grève en 1908. L’année
suivante, le problème revient sur la table des négociations. Une grève préventive est décidée
pour soutenir les collègues boîtiers de Bretagne qui s’opposent violemment aux machines.
Deux autres conflits liés au machinisme retentissent dans la région bien avant cette
date. En 1859, les chapeliers de Fontenay-le-Comte s’opposent au travail aux pièces effectué
sur des machines. L’influence corporatiste y est certaine : les tenants de l’orthodoxie du
3512 Si on fait exception du conflit de février 1914 où la grève est décidée lors du Conseil national de la
fédération des travailleurs du sous-sol. ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3513 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.261.
3514 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
772

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
métier ne voient pas d’un très bon œil les évolutions techniques qui peuvent mettre à bas tous
les repères d’une profession au fonctionnement suranné. Plus tard, en août 1899, des doleurs
et gantiers niortais s’opposent sans succès à l’arrivée de métiers à cinq branches (ou ridelle),
en remplacement de leurs vieux métiers à trois branches, leur occasionnant une baisse
salariale due à une baisse de la production.
Quelques conflits du travail portent plus particulièrement sur la question des
assurances, dont l’ouvrier ne comprend pas toujours l’intérêt. Par deux fois les charpentiers de
marine des Sables-d’Olonne se distinguent en la matière 3515 . En avril 1898, ils réclament la
suppression de la retenue de 2% sur leurs salaires, retenue consacrée au paiement de
l’assurance sur les accidents du travail en vertu de la loi du 9 avril 1898 3516 . Le patronat
accepte une réduction d’un point, néanmoins, un an plus tard, les charpentiers réitèrent leur
demande de suppression totale de la retenue sur salaire. Les deux parties au conflit finissent
par se mettre d’accord sur un prélèvement d’un centime par heure. La bourse du travail de la
ville de Niort soulève déjà cette question en 1896 quand elle tente d’organiser une grève
générale regroupant diverses corporations de métiers du chef-lieu d’arrondissement 3517 . Cette
question des assurances est également mise en avant par les entrepreneurs du bâtiment
poitevin, en 1899, pour justifier leur incapacité à augmenter les salaires de leurs ouvriers 3518 .
Plus tard, en 1904, les ferblantiers d’une fabrique de Poitiers réclament à leur tour la
suppression de la retenue sur salaire destinée à l’assurance payée par leur patron 3519 .
Il est rare de trouver des exemples de revendications qui expriment le souci des
travailleurs de défendre l’entreprise pour laquelle ils travaillent. C’est pourtant le cas en
décembre 1908 quand les papetiers de Cugand se mobilisent solidairement avec leur direction
pour tenter d’éviter la fermeture de leur outil de travail. Leur usine trop polluante est menacée
de fermeture, la justice ayant condamnée à plusieurs reprises les responsables de la papeterie
pour non respect des normes sanitaires. L’avenir de la fabrique est menacée : les patrons
évoquent une possible fermeture de l’établissement 3520 . Un peu plus tard, en 1910, le
personnel des mines de Faymoreau menace – selon la direction – de cesser le travail pour
3515
ADVd 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers [1897 ; 1936].
3516
La loi du 9 avril 1898 reconnaît la responsabilité sans faute de l’employeur qui peut s’assurer pour y faire
face.
3517
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 26 avril 1896.
3518
L’Avenir de la Vienne en date du 6 septembre 1899.
3519
L’Avenir de la Vienne en date du 27 avril 1904.
3520
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
773

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
protester contre la volonté supposée du conseil d’administration de fermer la mine. Les
mineurs reprochent aux administrateurs et directeurs leur mauvaise gestion d’un établissement
qui pourrait être très prospère. On se demande même si cette piètre gestion ne serait pas
volontaire afin de justifier de futurs licenciements 3521 .
En définitive l’étude des doléances ouvrières montre que la population ouvrière locale
est peu sensible aux grands enjeux sociaux de l’époque, bien trop éloignés de leurs
préoccupations immédiates. Les revendications salariales et professionnelles prennent
largement le pas sur les revendications politiques. Le plus souvent, l’ouvrier artisan des villes
et des bourgades se soucie guère d’améliorer le sort de la classe ouvrière. Il veut plutôt
obtenir une valorisation de sa position sociale, avec comme objectif à plus ou moins long
terme d’intégrer la classe moyenne en devenant lui-même un entrepreneur.
écouté.
Toutefois si l’ouvrier revendique, c’est pour être entendu à défaut d’être toujours
II- L’écho des revendications ouvrières
L’ouvrier n’est pas seul dans le jeu revendicatif. Le patronat constitue son
interlocuteur et partenaire principal. L’Etat et ses représentants s’intègrent à cet ensemble au
fil du temps en y jouant tout d’abord un rôle d’arbitre théoriquement impartial avant de
prendre part aux tractations et négociations entre employeurs et employés.
A- La réplique patronale
L’attitude patronale face à la grève est une chose difficile à appréhender dans sa
globalité. Le plus souvent on ne la connaît que dans le cadre d’une situation conflictuelle et
nécessairement arbitraire, avec des sources « dissymétriques » focalisées sur l’ouvrier et non
pas sur son adversaire. Le plus souvent le patron reste muet et discret alors que les grévistes
prennent la parole, emportés par leurs fougues, leurs passions ou leurs désespoirs 3522 . C’est
pourquoi les modes de réponse patronale à la grève qui vont être dégagés ne représentent pas
3521
ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
3522
Pour de plus amples développements sur les difficultés d’approche des réaction patronales face à la grève,
voir PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., pp.659-660.
774

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
une vision complète de la réalité des opinions des entrepreneurs mais plutôt une étude des
opinions et des réactions les plus saillantes émises le plus souvent dans un contexte de vives
tensions sociales.
Certaines décisions patronales sont parfois à l’origine du mécontentement ouvrier. Les
périodes de crises économiques, comme celle survenue à la fin du XIX e siècle, obligent le
patronat à réagir souvent au détriment des employés.
Pour maintenir à flot son établissement l’entrepreneur de l’époque cherche à diminuer
les coûts de production en s’en prenant aux salaires, une des rares variables sur laquelle il
peut agir. La non application des tarifs dans le textile choletais par les patrons fabricants en
est une des meilleures illustrations. D’ailleurs le monde du travail à domicile est avec celui
des chantiers de chemin de fer les deux secteurs où l’arbitraire patronal est le plus patent 3523 .
Néanmoins, les entrepreneurs ne peuvent pas s’en prendre toujours aux salaires. La
baisse de leurs taux est même jugée par quelques-uns comme « malsaine » et « dangereuse ».
Cette opinion relève du dogme pour certains ou de simples calculs économiques pour
d’autres 3524 . C’est pourquoi on préfère alors diminuer la production 3525 ou bien changer la
durée du travail. C’est ce qui se produit à Saint-Laurs en 1896 quand la direction licencie une
trentaine d’ouvriers en faisant passer la semaine de travail de cinq à six jours 3526 . En avril
1889, la direction de la Manufacture d’armes de Châtellerault décide de d’augmenter de deux
heures la durée de la journée travaillée. Elle motive sa décision par « l’obligation
d’augmenter le rendement journalier de la manufacture de Châtellerault en fusils
terminés 3527 ». Au contraire, les difficultés rencontrées par les houillères de Saint-Laurs en
1903, obligent la direction à diminuer d’une journée la semaine de travail des ouvriers 3528 .
Enfin le licenciement constitue la dernière alternative qui reste à une entreprise en difficulté,
avec une préférence marquée pour le renvoi d’ouvriers syndiqués 3529 .
Voilà, en amont de la grève, quelques causes de revendication ouvrières causées par
des décisions de leurs dirigeants. Une fois le travail arrêté dans l’usine ou l’atelier, il reste à
3523
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.154.
3524
Une baisse des salaires est souvent synonyme de baisse de la consommation.
3525
Les travailleurs à domicile sont les premiers touchés par ce type de mesure. Il est facile pour le fabricant de
ne plus fournir de matière première aux ouvriers en chambre, ces tisserands considérés comme de simples
artisans dont on loue seulement le savoir-faire.
3526
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 27 février 1896.
3527
L’Eclaireur de la Vienne du 5 mai 1889.
3528
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3529 Voir supra.
775

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
essayer d’analyser comment réagit le corps patronal dans cette situation de conflit. L’ouvrier
obtient-il satisfaction ? Sommes-nous devant des entrepreneurs bornés ou au contraire
constructifs et de bonne volonté ? Et quels sont les moyens dont ils usent pour lutter contre
leurs propres ouvriers ?
a) Le dénouement des mouvements revendicatifs
Parfois précédée de négociations ou de préavis 3530 , la grève est souvent l’unique
solution que l’ouvrier trouve pour entamer le dialogue avec son employeur 3531 , même si
parfois « les revendications ouvrières ne sont qu’une pression collective sur le patron plutôt
qu’une grève à proprement parler 3532 ». L’importance et l’intensité de ce dialogue varie
suivant les dogmes sociaux, politiques et économiques de chaque époque ; suivant la situation
géographique ; suivant la taille de l’entreprise, la nature artisanale ou industrielle de
l’établissement et les relations plus ou moins paternelles qui peuvent lier les parties au conflit.
Avant la loi de 1864, la conclusion des grèves ou des coalitions est souvent sans
surprise puisqu’elles sont interdites. Les gardiens de l’ordre public interviennent pour mettre
fin aux troubles avec plus ou moins de véhémence selon le climat politique qui règne à ce
moment là en France et dans la région. Les dirigeants se retranchent derrière le paravent de
l’illégalité de ce type d’action ouvrière. Les ouvriers tentent de se faire entendre avant de bien
vite rentrer dans le rang. Toutefois, il arrive que les ouvriers obtiennent satisfaction malgré les
poursuites administratives ou judiciaires dont ils font l’objet. En 1844, les entrepreneurs en
bâtiment de Montaigu en Vendée donnent satisfaction à leurs ouvriers maçons et manœuvres
alors que douze d’entre eux sont inculpés du délit de coalition 3533 . Les cordonniers, qu’ils
soient de Poitiers en 1856 ou de Chauvigny en 1858, obtiennent eux aussi satisfaction malgré
3530 Les diverses sources consacrées aux grèves sont souvent très lacunaires quant aux moments qui les
précèdent. Néanmoins, on s’aperçoit que très souvent les ouvriers retardent au maximum la cessation du travail
en accordant des délais supplémentaires à leur patron dont ils attendent la réponse. La grève est perçue comme la
dernière des extrémités. Cette phase permet aux patrons de gagner du temps et de tester la motivation de ses
employés sans aucun préjudice pour lui ou pour son entreprise.
Les négociations préalables concernent, dans un premier temps, les secteurs d’activités où existe à la fois une
véritable tradition d’action collective et un lien personnel entre maîtres et ouvriers, comme c’est le cas dans le
petit artisanat urbain. Par la suite ce sont les professions fortement syndicalisées qui tentent de mettre en place
régulièrement des négociations préalables.
3531 CAIRE (Guy), op. cit., p.199.
3532 CHÉNÉ (René), op. cit., p.90.
3533 Voir supra p.388.
776

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
le caractère répréhensible de leur forme d’action 3534 ; même chose dans pour les carriers de
Chauvigny en 1852 3535 ou pour les maçons des Sables-d’Olonne quatre ans plus tard.
Néanmoins, il y a plus de variété à propos du devenir des revendications une fois le
délit de coalition disparu. Dans la période allant de 1864 à 1914, environ 191 mouvements
revendicatifs ouvriers ont été recensés, dont une vingtaine ne débouchent pas sur une grève
proprement dite. Il reste donc près de 170 conflits « ouverts » dans lesquels le patronat a dû
prendre position. Si on soustrait à ce nombre les 39 conflits dont les sources n’évoquent pas le
dénouement, il reste 132 grèves dont on connaît la conclusion.
L’analyse de ces grèves révèle qu’un petit tiers des grèves se termine par un échec
pour les ouvriers, c'est-à-dire par l’absence totale de réponse positive à leurs revendications.
Ce taux est certainement en deçà de la réalité. En effet, on peut penser que les conflits
sociaux, dont les autorités ne rapportent pas la manière par laquelle ils ont été résolus, se sont
terminés négativement pour les ouvriers, par une reprise pure et simple du travail sans autres
formes de cérémonies. Cet état de fait peut être accentué encore par la faible durée de
certaines grèves ou bien encore le faible contingent de personnes impliquées, ce qui n’incite
pas les autorités à beaucoup de rigueur ou de zèle dans leurs rapports 3536 .
Restent deux autres tiers de grèves qui aboutissent à un résultat positif pour les
ouvriers. A l’échelle nationale le constat est similaire, mais dans une proportion moindre.
Michelle Perrot observe que « cette tendance à céder (en tout ou en partie) l’emporte très
légèrement 3537 ».
Les revendications portant sur une diminution du temps de travail sont acceptées dans
la presque totalité des cas. Ce type de doléances se développe à partir des années 1905. Le
petit patron artisan sent qu’il ne peut plus aller à l’encontre du progrès social et de la
diminution du temps de travail, même si son établissement n’appartient pas au champ
d’application des textes légaux. La loi Millerand-Colliard du 30 mars 1900 qui limite la
3534
ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856) & ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-
1859).
3535
ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvier-septembre 1852).
3536
Une circulaire du ministère du Commerce et de l’industrie du 4 juillet 1894 reproche aux préfets les lacunes
de leurs rapports quant aux grèves de très courte durée ou n’affectant qu’un très petit nombre de personnes, cf.
ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
3537
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.666.
777

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
journée de travail à onze heures dans les « ateliers mixtes 3538 », tout en prévoyant un passage
à dix heures en avril 1904, a fait évoluer les mentalités des dirigeants, soumis, pour la plupart
d’entre eux, aux seules dispositions du décret-loi du 9 septembre 1848 limitant à douze heures
la journée de travail de l’ouvrier masculin adulte 3539 .
Parfois, des compromis originaux sont adoptés. En 1905, les tuiliers de Saint-Hilaire-
la-Palud dans les Deux-Sèvres n’obtiennent pas une diminution de leur temps de travail mais
deux heures de repos par jour 3540 , ce qui revient à allonger la durée de présence sur leur lieu
de travail.
Pour ce qui est des revendications salariales les ouvriers obtiennent la plupart du
temps une augmentation inférieure à celle qu’ils réclament, souvent moitié moins. On peut
penser qu’ils appliquent ici les règles du marchandage qui veulent que l’on demande
beaucoup pour obtenir un peu moins. L’augmentation peut être décalée ou échelonnée dans le
temps comme cela se pratique souvent dans le secteur du bâtiment. L’entrepreneur ne peut pas
changer ses tarifs propres aux travaux en cours au moment du conflit. Mais une fois ceux-ci
terminés, il peut répercuter la hausse des salaires de ses ouvriers sur les chantiers à venir pour
lesquels il ne s’est pas encore engagé.
Toutefois, certaines augmentations relèvent plus de l’effet d’annonce que de la réalité.
En 1865 les tisserand et blanchisseurs du rayon choletais vendéen réussissent à obtenir une
augmentation et une uniformisation des tarifs de leurs produits. Mais deux mois après le sous-
préfet de Cholet constate que « les tisserands sont soumis aux mêmes prix de façon qu’avant
la grève 3541 ».
D’autres aléas tempèrent l’enthousiasme des ouvriers vainqueurs. Le patron peut
accepter une augmentation en précisant qu’elle peut varier en fonction des aptitudes ou du
rendement 3542 de ses employés ce qui lui laisse une grande marge d’appréciation pour atténuer
les effets de la hausse. Cette idée d’inégalité de traitement chez les ouvriers est ancrée dans
les mentalités des entrepreneurs. En 1920, René Chéné, un entrepreneur de l’industrie de la
chaussure dans le rayon choletais, fait l’éloge de cette forme de division du travail qui permet
3538
Ateliers où se côtoient ouvriers adultes, femmes et enfants.
3539
Les textes diminuant les heures de travail concernent les ateliers mixtes et non pas les établissements faisant
travailler exclusivement des adultes masculins.
3540
ADDS 11M19.13.C. Conflits et grèves [1902 ; 1931].
3541
POPEREN (Maurice), op. cit., p.35.
3542
Voir les grèves des terrassiers de Châtellerault et des carriers de Chauvigny en 1913, cf. ADV M12.142.
Grèves [1884 ; 1909] ou bien celle des bûcherons de la forêt de Chizé en décembre 1904, cf. ADDS
11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
778

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
« d’employer chacun selon ses facultés », en particulier les femmes et les enfants 3543 . Il arrive
également qu’un patron accepte de réintégrer des ouvriers renvoyés sous réserve de la bonne
santé de l’entreprise, dont il est le seul apte à juger 3544 . Autant de manœuvres qui amènent à
penser que certains d’entre eux « laissent passer l’orage » et attendent le retour du calme pour
imposer leurs conditions.
Parfois, seule une partie des ouvriers grévistes obtient satisfaction. C’est ce qui se
produit quelquefois quand la grève touche plusieurs établissements d’un même corps de
métier où l’on réclame une unification du tarif. En 1905, les gantiers de Saint-Florent près de
Niort 3545 , ont des fortunes diverses. D’aucuns obtiennent une augmentation de leurs
rémunérations et une légère baisse de la durée du travail, d’autres se heurtent au refus de
toutes concessions de leur hiérarchie.
Enfin, quelquefois, des ouvriers voient leurs revendications acceptées sans pour autant
qu’ils en profitent puisque leurs patrons les ont licenciés. Il s’agit des employés les plus
véhéments pendant la grève, le plus souvent les meneurs. La direction de la fabrique ou de
l’atelier obtient le calme et la reprise du travail par ses concessions et tente de s’assurer la
tranquillité de ses employés à long terme en se séparant des éléments les moins dociles, sous
différents prétextes comme le manque de respect, les menaces ou la violence. Des cas où le
Rubicon semble avoir été franchi, où la cohabitation n’est plus possible dans le cadre
professionnel, où la confiance mutuelle a disparu. Une sorte de transaction s’opère alors entre
la majorité des ouvriers et leurs dirigeants : on se sépare de quelques-uns mais on améliore la
situation du plus grand nombre. Ces cas de figure se rencontrent dans le milieu du bâtiment,
par exemple à La Roche-sur-Yon en 1894 chez les couvreurs ou en 1912 chez les maçons 3546 .
Néanmoins, certains de ces ouvriers « sacrifiés » bénéficient d’aménagements facilitant leur
reclassement. En 1896, des mineurs de Saint-Laurs 3547 profitent de secours de route pris en
charge par la direction pour se rendre sur des sites d’embauches potentielles, quand l’autorité
préfectorale ne se charge pas elle-même d’intercéder en leur faveur.
Le nombre de conflits du travail qui aboutissent à un résultat positif pour les ouvriers
indique un corps patronal pas absolument fermé aux idées de progrès social et au bien être de
ses employés. Bien entendu, on peut arguer que les patrons ne cèdent pas de bon cœur mais
3543 CHÉNÉ (René), op. cit., p.70.
3544 C’est le cas lors de la grève à la scierie Paffenhoff, à Châtellerault, en juin 1911. Voir ADV M12.142. Grèves
[1884 ; 1909] et L’Avenir de la Vienne du 12 & 13 juin 1911.
3545 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3546 ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3547 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
779

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
qu’ils y sont contraints s’ils veulent faire perdurer leur entreprise. Il n’est pas aisé de lire dans
leurs pensées. Il ne s’agit pas de leur faire un procès d’intention. Constatons simplement que
le sort des ouvriers s’améliore lentement.
En revanche, les arguments patronaux sont beaucoup plus explicites quand il s’agit de
refuser les revendications ouvrières, d’autant plus qu’ils ont parfois des autorités locales pour
interlocuteurs et qu’ils doivent se justifier.
b) Les arguments du refus
Plusieurs constantes se retrouvent dans le discours des patrons s’opposant aux
revendications de leurs employés. D’aucuns ont des a priori négatifs. Selon eux, le seul fait de
revendiquer est purement et simplement synonyme de rébellion, de manque de respect. Céder
est un aveu de faiblesse. D’autres craignent la formation de précédents qui pourraient leur
nuire ultérieurement. Souvent, on ne veut pas entendre parler des représentants syndicaux ou
des chambres syndicales, des institutions considérées comme manipulatrices et aux arrière-
pensées politiques. Nombre de ces réactions s’expliquent par un paternalisme sous-jacent.
Enfin, il y a les arguments liés à la conjoncture économique ou à l’état de santé de
l’entreprise.
1. Les discours patronaux d’opposition à la grève
Outre le discours patronal simpliste voulant que les grévistes ne soient que des
fainéants, argument évoqué par exemple lors de la grande grève du secteur du bâtiment 3548 , il
existe des justifications plus étoffées au refus patronal des revendications ouvrières et de leur
mode de manifestation.
1.1. La grève, une marque d’irrespect de la hiérarchie
Cet argument est un des plus anciens avec les motifs purement économiques.
S’opposer à son patron, c’est un peu s’opposer à l’ordre établi ; c’est remettre en cause la
propriété – « être maître chez soi » – et l’image paternelle et bienveillante du maître ; c’est
introduire le désordre dans les villes et les campagnes ; c’est ébranler la hiérarchie qu’elle soit
3548 « A la tête du mouvement sont, nous a-t-on assuré, des ouvriers qui n’ont pas un goût immodéré pour le
travail » s’exclame un rédacteur du journal conservateur le Courrier de la Vienne le 7 septembre 1899.
780

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
compagnonnique avant 1789 ou économique par la suite ; c’est mettre à mal le lien de
subordination, élément constitutif de tout contrat de travail. « La grève c’est la guerre » pour
reprendre une expression d’un journal du nivernais 3549 . Autant d’éléments modelant l’état
d’esprit patronal au XIX e siècle.
Ce besoin d’ordre et de discipline se renforce avec l’organisation de plus en plus
scientifique des ateliers, où l’on commence à rechercher plus de productivité, et l’apparition
de règlements intérieurs drastiques qui supportent de moins en moins l’expression des
doléances et du malaise ouvrier.
A cela s’ajoute l’idée libérale d’une industrie civilisatrice devant discipliner une
société encore rurale déboussolée et émergeant à peine des ténèbres du passé 3550 .
L’examen des réponses patronales aux revendications faîtes par les ouvriers des
départements poitevins illustre ces thèmes.
En 1851, on peut comprendre l’attitude d’un entrepreneur de chantier de chemin de fer
qui refuse par principe toutes demandes des terrassiers parce qu’ils se seraient conduits de
« façon inconvenante 3551 ». Ce n’est pas encore le temps de la négociation. En revanche,
qu’en 1905, une grève d’ouvriers du bâtiment de la ville de Thouars soit qualifiée par le
patron et le préfet de « mutinerie » est plus frappant 3552 . Cette expression traduit le
développement d’un sentiment d’incompréhension entre maîtres et ouvriers.
L’industrialisation aidant, le patron se coupe de ses employés en se réfugiant derrière « le
prestige de la distance 3553 ». La direction des houillères de Faymoreau se sent
personnellement mise en cause par l’arrêt de travail de ses salariés en 1912. Un rapport
télégraphique du préfet de Vendée en date du 7 août le souligne en affirmant que les ouvriers
désirent avant tout un changement de direction plutôt qu’une augmentation des salaires. A
cela le conseil d’administration répond de façon agressive et catégorique comme le constate le
préfet lui-même qui ne manque pas de s’en inquiéter 3554 . Déjà, deux ans plus tôt, la chambre
syndicale des mineurs de Faymoreau mettait en cause les compétences de la direction et sa
3549 L’Impartial du 8 avril 1870 à propos de la grève des forges de Fourchambault dans la Nièvre : « la grève,
c’est la guerre. Mais jamais la guerre n’a résolu une question sociale. Les luttes appartiennent aux époques de
despotismes et de barbarie », cité par THUILLIER (Guy), Les ouvriers des forges nivernaises…,op. cit.,
pp.323-324.
3550 LE GOFF (Jacques), op. cit., p.31 et s.
3551 ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853)
3552 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3553 REYBAUD (Louis), Etudes sur le régime des manufactures, conditions des ouvriers en soie, op. cit., p.27.
3554 ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930] et ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914] pour le rapport du préfet de Vendée au
Ministre de l’Intérieur du 7 août 1912.
781

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
volonté réelle de faire prospérer la mine. Quelques années avant, lors de la grève aux mines
de Saint-Laurs en 1896, la direction affirme qu’elle « ne peut admettre le principe de
concession » 3555 . Ne pas accéder aux revendications est une question de principe, céder un
aveu de faiblesse. Ailleurs, le conseil d’administration d’une scierie châtelleraudaise se dit
« blessé dans sa dignité » par la grève de ses salariés 3556 . En 1906 les entrepreneurs gantiers
niortais refusent de se rendre à la réunion de conciliation du juge de paix en invoquant
l’attitude déplaisante que certains ouvriers auraient eu à leur égard 3557 . En 1911, les maîtres
maçons sablais exigent, préalablement à la reprise de toutes négociations, la publication d’une
lettre du sous-préfet de l’arrondissement qui exprime les regrets ouvriers à propos d’un
incident survenu quelques jours plus tôt 3558 .
Les ouvriers sont souvent présentés comme irresponsables, agissant sur un coup de
tête ou sous l’influence de quelques-uns, souvent des représentants syndicaux. L’ingénieur
des Mines de Saint-Laurs excuse les ouvriers et leur fait dire que leur colère n’est fondée que
sur de faibles raisons 3559 . Un blanchisseur de l’arrondissement de Bressuire demande
l’intervention des gendarmes pour le protéger contre « le sabotage inévitable » des tisserands
grévistes venus de Cholet 3560 .
L’ultime réaction du patron qui se sent bafoué par ses employés est le licenciement, ou
plutôt la non réintégration des ouvriers grévistes, si on se réfère à la jurisprudence de la Cour
de cassation de l’époque qui proclame que faire grève c’est rompre son contrat de travail. Le
sieur Raynaud, fabricant de chaussure près de Poitiers, le rappel en 1911 :
« Ma décision à la suite de ces incidents est nette : Par lettre, en date
de vendredi soir, j’ai prévenu les grévistes qu’ils pouvaient se
présenter samedi après-midi pour recevoir paiement de ce que je
leur dois. Je considère que la grève a rompu notre contrat de travail,
3555 Rapport du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Intérieur du 22 février 1896 à propos de l’échec d’une
tentative de médiation du député Disleau, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3556 ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
3557 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3558 ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3559 Grèves des mineurs de Saint-Laurs en 1908 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3560 Rapport de gendarmerie du commandant en chef de l’arrondissement de Bressuire du 18 octobre 1910,
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
782

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
et comme le délai de huit jours n’a pas été observé je fais mes
réserves quant à l’indemnité que je pourrai leurs réclamer 3561 ».
Il y a quelque chose de quasi-militaire dans cette soumission et cette discipline parfois voulue
par le patron. Un état d’esprit qui se retrouve bien entendu à la manufacture nationale d’armes
de Châtellerault, un établissement soumis à un statut spécial et dont l’encadrement appartient
à l’armée. Ici la grève n’est pas possible. Le lieutenant-colonel directeur le rappelle sans
ambages alors qu’une rumeur de grève circule dans l’atelier de bronzage 3562 . Bien qu’il
consente à une petite augmentation du salaire des ouvriers bronzeurs, il insiste sur le fait qu’il
n’y a pas eu de négociation. Il finit par faire un parallèle avec l’armée en comparant le renvoi
pur et simple au conseil de guerre pour qui ose provoquer l’arrêt de l’usine.
Sans aller aussi loin que cet officier supérieur, et en revenant dans l’industrie et
l’artisanat soumis à un régime de droit commun, on peut ressentir ce sentiment chez des
entrepreneurs, véritables lieutenants-colonels aux petits pieds. En effet parfois des grèves se
terminent mal pour certains ouvriers qui perdent leur travail même si l’issue du conflit est
favorable au plus grand nombre d’entre eux. Le patron désire se séparer d’employés en qui il
n’a plus confiance pour cause de divergences d’opinion, de tensions politiques ou d’attitude
pendant une grève. Une réaction patronale parfaitement légale puisque la cessation d’activité
rompt le contrat de travail et que patron n’a aucune obligation de réintégrer les grévistes. Le
lien de confiance est rompu, le travail en commun n’est plus possible. En 1899, seulement 12
corroyeurs et tanneurs niortais retrouvent leur emploi sur les 23 qui ont cessé le travail 3563 .
Leur employeur justifie ces mises à l’écart par la baisse des activités de l’atelier. Il est sûr que
l’activité fut moindre pendant la grève ! Trois ans plus tôt, huit bonnetiers de Saint-Maixent
sont congédiés définitivement après avoir été remplacés pendant la grève 3564 . Même chose en
1895 quand neuf mouleurs niortais ne sont pas réintégrés dans l’entreprise, remplacés par des
collègues venus des Sables, de Bordeaux ou Ploërmel 3565 . En mai 1904 l’ouvrier à l’initiative
de la grève des ouvriers du bâtiment de Fontenay-le-Comte est renvoyé en raison de ses
activités syndicales 3566 . En janvier 1908, c’est au tour de deux mineurs de Saint-Laurs d’être
licenciés après la grève 3567 , ou encore sept menuisiers et ébénistes la même année à Niort 3568 .
3561
Extrait d’une déclaration publiée dans L’Avenir de la Vienne le 18 juin 1911.
3562
L’Eclaireur de la Vienne du 25 février 1894.
3563
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3564
Ibid.
3565
Ibid.
3566
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.651.
3567
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3568 Ibid.
783

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
En 1911, les typographes de l’imprimerie Hamonet de La Roche-sur-Yon sont licenciés et
remplacés par ouvriers venus de Saumur 3569 . Ces exemples parmi d’autres ne prennent pas en
compte les licenciements ultérieurs sous d’autres prétextes comme l’ivresse, le retard ou bien
même sans justification réelle. Autant de licenciements qui sonnent comme des
avertissements aux ouvriers encore en place.
Plus grave encore sont les accords entre patrons travaillant dans le même secteur
d’activité qui s’entendent pour n’offrir aucune possibilité d’embauche ultérieure à l’ouvrier
licencié, comme cela a pu se rencontrer dans le monde du bâtiment, du textile ou bien des
conserves de poisson. Ces précédents sont fortement dissuasifs et font réfléchir lors
d’éventuels conflits futurs.
Ces sanctions « post-grèves » peuvent être également de nature financière comme
l’illustre la suppression des primes d’intéressement accordées aux mineurs de Faymoreau
après le conflit qui les opposent à la direction en janvier 1901 ou bien encore en 1912 3570 .
Il est intéressant de noter que ces conflits se rencontrent fréquemment dans des
activités anciennes et artisanales, comme la ganterie ou la bonneterie, où le lien personnel et
hiérarchique est traditionnellement fort. Des activités décadentes qui, comme c’est souvent le
cas ailleurs dans l’Ouest de la France, peuvent être dirigées par « des despotes de village,
essoufflés et aigres, offensés de voir se rebeller une main d’œuvre jusque-là docile 3571 ».
Le refus de négocier et d’accepter les revendications ouvrières peut être également
justifié par le rejet de toutes interventions intermédiaires entre dirigeants et ouvriers.
1.2. Le refus de l’intermédiaire syndical
Nombre de patrons sont réticents à l’intervention d’organisations et de personnes
étrangères à l’atelier ou à l’usine dans le processus revendicatif 3572 . Recevoir des délégués
syndicaux c’est légitimer l’organisation qu’ils représentent. Voilà une cause majeure de
conflit et de blocage.
3569 Le Publicateur du 28 mai 1911 et ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914]
3570 ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914]
3571 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p.676
3572 Sur le rôle des syndicats dans les grèves concernant le Poitou Charente voir CANTAMESSA (Laurent), Les
débuts du syndicalisme en Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.845 et s.
784

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Beaucoup de patrons sont des libéraux pour qui l’idée qu’un corps intermédiaire
s’interposant dans les rapports individuels de travail n’est pas acceptable.
Les syndicats et les bourses du travail sont perçus comme des institutions pouvant
mettre en péril la prospérité de toute une industrie. Leur pouvoir nuirait à celui des donneurs
d’ordre, tout entier responsables de la bonne santé des établissements qu’ils dirigent 3573 . On
les considère également comme des groupements subversifs aux arrières pensées politiques,
alors que bien souvent ils ne se forment que le temps du mouvement revendicatif et périclitent
par la suite 3574 . Lors de la grève du bâtiment de Poitiers en 1899 les meneurs syndicaux
poitevins sont accusés par le patronat de mener une grève purement politique au détriment des
intérêts réels des ouvriers. On les soupçonne même de toucher de l’argent pour poursuivre le
conflit 3575 . Un article du journal L’Avenir de la Vienne de mai 1906 relate la réunion à Paris
de la confédération patronales des métiers mécaniques qui condamne toute revendication
ouvrière au motif que « le mouvement actuel n’est pas un mouvement d’ordre économique
mais un mouvement révolutionnaire 3576 ». Signalons à leur décharge que, cette année là, la
CGT fomente sa première tentative de grève générale.
L’attitude des entrepreneurs envers leurs salariés syndiqués est plus significative 3577 .
En 1909, une gantière niortaise, Bethe Poplineau, souhaite former un syndicat pour défendre
les intérêts ouvriers mis à mal. Il est formé peu de temps après mais elle est congédiée dans la
foulée 3578 . La chambre syndicale est accusée de tyrannie par un rédacteur du Mémorial des
Deux-Sèvres. Elle ne se soucieraient pas des revendications des gantières mais agirait dans
son propre intérêt pour démontrer sa force 3579 . Il y a aussi l’exemple de la vague de
licenciements pour motifs syndicaux qui touchent des ateliers châtelleraudais en juin 1911 3580 .
Une dizaine de scieurs de long impliqués dans la création d’un syndicat sont congédiés pour
3573 DEZES (M.-G.), LUNN (K.), McIvor (A.), TENFELDE (K.), Patronat et syndicats à la fin du XIX e siècle en
Allemagne, France et Grande-Bretagne in ROBERT (Jean-Louis), BOLL (Friedhelm), PROST (Antoine) (dir.),
L’invention des syndicalismes. Le syndicalisme en Europe occidentale à la fin du XIX e siècle, Paris, , 1997, p
255-268.
3574 D’où l’expression de « syndicats couloirs », cf. CANTAMESSA (Laurent), Les débuts du syndicalisme en
Poitou-Charentes (1884-1914), op. cit., p.92.
3575 Rapport de police du 9 septembre 1899, ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902] et L’Avenir de la Vienne du 3
septembre 1899.
3576 L’Avenir de la Vienne du 19 mai 1906.
3577 Cette situation perdure malgré la loi du 27 décembre 1890 qui autorise les ouvriers à poursuivre les patrons
qui les licencient pour appartenance syndicale. Mais, pour cela, il faut prouver que la syndicalisation est la seule
motif du licenciement.
3578 Rapport du commissaire de police de Niort du 22 décembre 1908, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves
[1901 ; 1911].
3579 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 24 avril 1909.
3580 ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909].
785

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
ce seul motif, tout comme un duo de fondeurs appartenant au conseil d’administration de
l’union des syndicats de la ville. La même année l’intégralité des grévistes typographes d’une
imprimerie de La Roche-sur-Yon est remplacée par des collègues non syndiqués venus de
l’imprimerie centrale de l’Ouest située à Saumur 3581 . Les meneurs du mouvement yonnais
sont dépeints comme proches des thèses anarchistes dont ils favoriseraient la propagande sur
place 3582 . De même, le syndicat mis sur pied par les ouvriers de l’usine textile de Ligugé 3583
est obligé d’arrêter son activité moins d’un an après sa création suites aux pressions lourdes et
constantes exercée par la direction sur ses membres. Leurs dirigeant sont les premiers à être
mis à la porte 3584 . On voit dans ces travailleurs syndiqués des meneurs agissant en sous-mains,
d’une manière occulte et visant à manipuler une population laborieuse crédule.
Le boycott de certaines réunions de conciliation obéit également à cette logique de
refus des organes représentatifs ouvriers car les syndicats et les bourses du travail sont
presque toujours à l’initiative des ces rencontres placées sous l’égide du juge de paix. Des
communiqués et des courriers insistent d’ailleurs sur la volonté syndicale d’apaisement
comme pour mieux tordre le cou aux idées reçues et couper l’herbe sous le pied des patrons
qui peuvent être amenés à agiter le spectre révolutionnaire lors des grèves. Le secrétaire
général de la bourse du travail de Niort l’exprime en mai 1896 dans une lettre au préfet :
« Considérant que les bourses du travail d’une part, les syndicats d’une autre sont créés dans
le but de défendre les intérêts des ouvriers et d’éviter les conflits violents… 3585 ». Peu de temps
auparavant les entrepreneurs concernés n’avaient pas répondu à l’invitation de constituer un
comité d’arbitrage.
Parfois des conflits du travail sont réglés malgré le rejet de l’intervention des
organisations ouvrières. En 1910, les patrons de l’industrie textile mécanique du canton de
Mortagne en Vendée refusent de reconnaître le syndicat. La négociation s’opère à l’échelle de
chaque atelier, entre les directions et leurs propres ouvriers 3586 .
3581 Le Publicateur du 28 mai 1911.
3582 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.505.
3583 Ce syndicat voit le jour en 1907 et compte 120 membres.
3584 ADV M12.95. Etats des syndicats professionnels, feuilles signalétiques des syndicats dissous (1903-1908).
3585 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3586 ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
786

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
De temps à autre, le patronat arrive à inoculer à ses ouvriers en grève sa méfiance des
instances représentatives ouvrières. En 1896 les bonnetiers de Saint-Maixent reprennent le
travail en déclarant que « le syndicat les a mis dans une mauvaise voie » 3587 .
Cependant, il arrive que les chefs d’entreprises fassent involontairement le jeu des
syndicats. L’augmentation acquise par les seules gantières syndiquées aux dépends de leurs
consoeurs non grévistes l’illustre bien 3588 . Il va de soi qu’elles cesseront toutes le travail à la
prochaine grève.
En dehors de ces considérations purement politiques ou idéologiques, le refus patronal
des intermédiaires peut être parfois analysé comme l’expression d’un paternalisme latent.
1.3. L’expression d’un paternalisme sous-jacent
Cette conception des relations au travail, issue de l’Ancien Régime, se retrouve chez
nombre de patrons, en particulier dans le monde artisanal des bourgs et des campagnes où il
existe une « faible distance sociale » entre l’artisan et ses compagnons et apprentis 3589 . Les
maîtres souhaitent un contact direct et individuel avec chacun de leurs employés. Ils désirent
négocier face à face à la manière d’un père qui pense faire entendre raison à ses enfants
turbulents ou d’un maître qui raisonne son élève. Cette attitude est typique de celle du petit
patron ou de l’artisan qui n’accepte pas et ne comprend pas toujours le recours à un
intermédiaire syndical, lui qui a pu être un ouvrier par le passé. Il y voit comme une trahison,
comme la rupture d’un lien personnel. Le catholique social Charles de Montenon 3590 exprime
cette conception quand il refuse de qualifier de « patrons » les maîtres d’industries qui ne
sont, selon lui, que de simples travailleurs partageant la tâche de leurs ouvriers 3591 . René
Chéné, fabricant de chaussure près de Cholet, fait lui aussi allusion à ce lien privilégié quand
il remarque la très grande rareté des grèves dans son secteur d’activité. Il explique cela par
« un personnel [qui] est né dans le village où le contact perpétuel, les mêmes besoins et les
3587 Procès verbal de conciliation concernant la grève des bonnetiers de Saint-Maixent d’août 1896, ADDS
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3588 Rapport de gendarmerie du 27 mai 1909, grève des gantières niortaises, ADDS 11M19.13.B. Conflits et
grèves [1901 ; 1911].
3589 LE GOFF (Jacques), op. cit., p.34.
3590 Charles de Montenon, comte de Grimoüard, est le secrétaire de l’Œuvre des cercles ouvriers pour la province
du Poitou.
3591 « Dieu merci, dans notre Poitou, nous ne connaissons que dans une mesure restreinte la grande industrie, et,
pour la plupart, nos patrons sont des hommes de métier, travaillant de leurs mains, et avec l’ouvrier », cf.
Bulletin des Corporations Chrétiennes de Poitiers, juillet-août 1892.
787

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
mêmes aspirations, les mêmes tendances religieuses font des patrons et des ouvriers de
véritables camarades 3592 ». Pour lui la grève est le fruit du syndicalisme. En 1899, lors de la
grève du bâtiment à Poitiers, un maître artisan reconnaît le bien fondé des revendications
salariales d’un de ses ouvriers tout en regrettant qu’il ne soit pas venu le lui demander
personnellement. Selon ce patron la grève, qu’il qualifie de générale, n’est qu’une occasion de
« fainéanter » et le refus des propositions patronales ne sert que le dessein des meneurs
membres de la bourse du travail 3593 . Ce genre d’opinion perdure longtemps dans le monde
artisanal. En 1912, un petit menuisier yonnais n’accepte de recevoir ses ouvriers grévistes
qu’individuellement 3594 . Les entrepreneurs savent bien qu’à titre individuel le simple ouvrier
ne pèse pas lourd face à eux, face à leur influence sociale et leurs arguments, qu’ils soient
économiques ou parfois même sentimentaux.
Ce « paternalisme de proximité » existant dans le monde artisanal laisse place à un
paternalisme plus classique dans les établissements de taille plus importante comme dans les
charbonnages du bas Poitou. Un contexte minier où le paternalisme se révèle « autoritaire »
et « tentaculaire » 3595 , c'est-à-dire qu’il tend à s’immiscer dans tous les domaines de la vie de
l’ouvrier. A Faymoreau on cherche à modeler l’ouvrier – étranger à la région dans un premier
temps – selon les mœurs du pays et les impératifs d’une profession dure et exigeante. Le
phénomène est accentué par l’éloignement des houillères du Poitou de tout centre urbain
important qui provoque la création d’une petite communauté entièrement dépendante de la
compagnie 3596 .
Au début du XX e siècle, Madame Bailly, qui est à la tête des mines vendéennes,
apparaît comme une figure tutélaire susceptible de résoudre tous les problèmes pouvant
préoccuper ses employés. Quand en 1900 les mineurs réclament le départ d’un des
contremaîtres, ils se rendent calmement chez elle pour lui exposer leurs griefs. Un journal
local relate l’événement en insistant sur le bon accueil qu’elle fait à ses employés, « ses
enfants », qu’elle parvient à calmer par ses paroles apaisantes 3597 , avant d’être acclamée. La
3592 CHÉNÉ (René), op. cit., p.89.
3593 L’Avenir de la Vienne du 3 septembre 1899.
3594 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.501.
3595 Voir l’article de DEBRABANT (François-Xavier), Syndicats, patronat et administration dans les houillères
françaises au XIX e et XX e siècle : changement de siècle, changement de rapport de force, in LE CROM (Jean-
Pierre) (dir.), Les acteurs de l’histoire du droit du travail, op. cit., p.341.
3596 Ce phénomène se rencontre dans les nombreux centres houillers ruraux français (Carmaux etc.), cf.
DEBRABANT (François-Xavier), op. cit., in LE CROM (Jean-Pierre) (dir.), Les acteurs de l’histoire du droit du
travail, op. cit., p.342.
3597 Le Patriote, octobre 1900.
788

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
patronne incarne ici la sagesse face à la fougue des travailleurs qui la respecte comme on
respecte un ancien, un sage ou une mère. Plus tard, en 1908, la direction des mines de Saint-
Laurs, bien plus autoritaire, se dit « mécontente » de l’attitude des ouvriers ; une attitude qui
justifie à elle seule le refus de leurs revendications 3598 . Les ouvriers qui se conduisent mal
doivent être punis comme un gronde un enfant. Les changements intervenant à la tête des
houillères vendéennes – devenues une société anonyme en 1910 3599 –, rompent le lien qui
pouvait exister entre mineurs et direction. L’ingénieur directeur n’a pas le poids et l’aura de
ses prédécesseurs et le conseil d’administration parisien n’est aux yeux des ouvriers qu’une
entité nébuleuse et lointaine obnubilée par le profit. Le lien filial existant entre dirigeants et
subordonnés est rompu.
De même à Ligugé, Hambis est à la fois patron de la filature locale et maire de la
commune, élu par ses propres ouvriers. Un figure tutélaire, éminemment paternelle,
expliquant les difficultés rencontrées par la bourse du travail de Poitiers afin d’y favoriser la
création d’un syndicat de son vivant. Une fois décédé et remplacé par un conseil
d’administration, la distance entre ouvrier et patron réapparaît tout comme le syndicalisme.
A côté des arguments quasi-idéologiques et politiques on rencontre fréquemment des
justifications de nature économiques.
1.4. Les impératifs conjoncturels et économiques
L’ouvrier est le premier à souffrir des aléas de l’économie du pays ou du secteur
d’activité qui l’emploie, des difficultés qui le poussent à revendiquer. La majorité des grèves
défensives se déroulent pendant les périodes de crises économiques. De l’autre côté, les
patrons doivent eux aussi gérer au mieux leurs ateliers et fabriques d’où des intérêts
antagonistes avec ceux de leurs employés.
Il est évident que la santé financière de l’entreprise est un argument très souvent mis
en avant pour refuser aux ouvriers la hausse de salaire qu’ils réclament. Les nombreux
exemples contemporains l’illustrent chaque jour.
3598 Grèves des mineurs de Saint-Laurs de 1908, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3599 HURIER (Damien), L’exploitation des mines de Faymoreau (1827-1958), op. cit., p.45.
789

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le développement de la concurrence est un autre argument. En 1865, le maréchal
commandant la région de Tours se désespère de l’accord conclu entre patrons et tisserands
dans le rayon choletais. Il considère les demandes ouvrières exagérées eu égard aux traités de
commerce de l’époque. Selon lui, ces nouveaux tarifs mettent « dans la plus fâcheuse
position » les industries locales 3600 . Bien plus tard, en 1896, le maire de Faymoreau relaye
l’opinion de la direction des mines en affirmant que la grève qui les touche est
particulièrement mal venue dans le contexte de concurrence provoqué par le charbon
anglais 3601 . Même constat à Saint-Laurs où l’on vilipende le système de droits de douane alors
en place 3602 . En mars 1899, un maître tanneur niortais justifie les licenciements survenus dans
son établissement par la baisse de son activité 3603 . Il dénonce la concurrence étrangère des
gants en fil de soie 3604 . En 1909, le syndicat des fabricants de conserves de la cote atlantique
s’indigne contre l’hostilité obtuse des ouvriers français au machinisme, le seul moyen de
résistance à la concurrence étrangère 3605 . C’est l’époque de l’arrivée sur le marché des
conserves espagnoles et portugaises.
Les questions de rentabilité du travail constituent également un moyen de résistance
aux revendications ouvrières. Le travail aux pièces est défendu par le patronat malgré
l’opposition des travailleurs qui désirent sa disparition. Quand le travail est rémunéré à
l’heure ou à la journée et qu’on réclame l’augmentation des tarifs, les entrepreneurs tentent de
tempérer cette forme paiement par une rétribution selon les capacités de chacun ou par la
distribution de primes aux plus méritants. Le travail à la tâche influence toujours les esprits.
Les maîtres carriers de Chauvigny affirment en juin 1858 que « celui qui est considéré comme
un bon ouvrier doit nécessairement être mieux payé que celui travaille mal 3606 ». En 1896, la
direction des houillères de Saint-Laurs souhaite rémunérer ses employés aux pièces en suivant
une échelle salariale mobile dont le taux est régulé par le prix de vente du charbon 3607 . Un
système qui sera adopté par les dirigeants de la mine en se basant sur l’expérience anglaise
3600
POPEREN (Maurice), op. cit., pp.34-35.
3601
ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau
[1896 ; 1930].
3602
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 27 février 1896.
3603
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3604
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 17 août 1899.
3605
Lettre du syndicat des fabricants de conserves au préfet de Vendée du 15 février 1909, ADVd 10M58. Grèves
des marins pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927].
3606
Rapport d’un chef d’escadron de gendarmerie lors de la grève des carriers de Chauvigny, 10 juin 1858, cf.
ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859).
3607
Lettre du préfet des Deux-Sèvres à l’administrateur délégué des mines de Saint-Laurs du 5 mars 1896, ADDS
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
790

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
jugée très satisfaisante 3608 , malgré les critiques de l’ingénieur des Mines reprochant la trop
grande incertitude de ce mode de paiement 3609 . Lors de la grève des ouvriers bressuirais du
bâtiment, en 1898, un patron accepte une augmentation seulement pour ses ouvriers les plus
méritants 3610 . Dans le même secteur d’activité en 1899 à Poitiers, les maîtres artisans
proposent des fourchettes d’augmentation. Cette offre est refusée par les grévistes qui
craignent une fois le travail repris une augmentation des salaires se situant dans la fourchette
la plus basse 3611 . En 1913, la direction des carrières de Chauvigny propose une hausse des
salaires différente selon chaque ouvrier. Une façon de diviser l’unité des grévistes. Les
carriers s’y opposent.
Néanmoins, cet argument fait parfois mouche comme l’atteste la réaction des
menuisiers et ébénistes de Poitiers en 1910. Ces derniers ne remettent pas en cause la fixation
d’un salaire moyen tempéré par la suite en fonction des capacités de chacun 3612 . Ce qu’ils
veulent avant tout c’est un accord sur l’augmentation de ce salaire moyen. Un même type
d’accord est conclu dans le secteur de la boulangerie yonnaise en mai 1905. L’augmentation
est accordée mais selon les mérites de chacun 3613 .
Un cas particulier lié à la rentabilité survient en 1910 chez les gantiers niortais. Le
commissaire de police de la ville souligne la coïncidence entre la grève et l’impossibilité de
satisfaire une grosse commande anglaise en raison du prix prohibitif des matières premières.
La grève des ouvriers arrive donc à point nommé pour résilier la commande en justifiant
d’une cause de force majeure. Le commissaire ne manque pas de sous-entendre que la grève
n’est pas fortuite et que la direction n’y est pas étrangère 3614 .
Certains dirigeants refusent les revendications de leurs ouvriers quand elles peuvent
nuire à l’égalité et à leur compétitivité vis-à-vis de leurs homologues locaux. La hausse des
salaires doit être la même partout. Aucun patron ne doit jouer les francs-tireurs sous peine de
faire capoter toute la négociation entamée dans le secteur d’activité. C’est le cas en 1905 chez
les gantiers niortais où cinq entrepreneurs acceptent sans réserves les revendications ouvrières
3608
Lettre du ministère du Commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes, Office du travail, du 16 avril
1896 adressée au préfet des Deux-Sèvres, Ibid.
3609
Rapport de l’ingénieur des mines De Billy du sous-arrondissement minéralogique d’Angers du 11 mars 1896
au préfet des Deux-Sèvres, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3610
Rapport du commissaire de Bressuire du 27 février 1898, Ibid.
3611
L’Avenir de la Vienne du 6 septembre 1899.
3612
L’Avenir de la Vienne du 29 août 1910.
3613
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3614
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
791

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
alors que deux d’entre eux les subordonnent à l’acceptation du dernier patron récalcitrant 3615 .
Un cas similaire se produit quatre ans plus tard chez ces mêmes gantiers niortais. Le fabricant
de gants Plantiveau accepte d’augmenter ses ouvrières – qui vivent toutes en ville – à la seule
condition que ses homologues adoptent le même tarif pour toutes les femmes qu’ils emploient
qu’elles viennent de Niort ou des campagnes environnantes 3616 : la main d’œuvre des
campagnes est moins chère dans ce monde archaïque du travail à domicile. Même chose dans
un conflit du travail touchant les mouleurs de deux établissements de Poitiers. Ici aussi les
concessions futures d’un des patrons sont subordonnées à l’acceptation de son homologue. En
attendant sa réponse les ouvriers se mettent en grève 3617 .
Une fois l’opposition patronale justifiée, plusieurs méthodes sont employées pour
lutter contre le mécontentement des travailleurs.
2. Les formes d’opposition patronale à la grève
Le patronat veut éviter à tout prix de céder trop facilement, ce qui constituerait un
aveu de faiblesse et un fâcheux précédent, comme l’indique un membre de la préfecture, dans
une note manuscrite relative à la grève des ouvriers serruriers yonnais en 1882 3618 , où l’on
craint que céder dans cas particulier risque de faire tâche d’huile auprès de tous les ouvriers
désireux d’augmenter leurs salaires. Même analyse chez le confiseur de sardines Parmentier
de Noirmoutier qui craint de léser ses intérêts futurs par le seul fait de recevoir les
ouvriers 3619 .
Il existe un large panel de possibilités afin de s’opposer aux revendications des
travailleurs : de l’ignorance à la sanction, symbolisée par le licenciement, en passant par la
volonté de diviser les grévistes en suscitant des reprises partielles du travail.
2.1. Ignorer les grévistes
La première attitude consiste à feindre l’indifférence, à ignorer les revendications de
ses employés. Une illustration frappante en 1911, où les ouvriers de la scierie Brunet de
3615
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 9 févier 1905.
3616
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 24 avril 1909.
3617
L’Avenir de la Vienne du 25 et 26 septembre 1905.
3618
Note manuscrite datée du 31 juillet 1882, ADVd 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances
[1874 ; 1940].
3619
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.502.
792

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Châtellerault présentent leurs doléances sur un papier que le patron ne manque pas de
bouchonner immédiatement devant eux 3620 . Un an auparavant les ouvriers plâtriers de Poitiers
se plaignent du silence de leurs chefs 3621 . Bien avant, en 1888, le sous-préfet de
l’arrondissement de Cholet stigmatise l’attitude des patrons du textile local en notant qu’ils
sont « bien résolus depuis longtemps à ne faire aucune concession », malgré la situation
manifestement alarmante des tisserands à la cave 3622 .
Cette attitude fréquemment hautaine laisse sous-entendre une volonté patronale soit de
diviser les grévistes en décourageant l’ouvrier docile avant toute décision d’arrêt de travail, à
l’image des chamoiseurs, corroyeuses et tanneurs niortais ajournant leur mouvement faute de
réponse 3623 ; soit d’aboutir à un conflit ouvert où d’autres modes de pression peuvent être
utilisés comme la menace de renvoi justifiée par la rupture du contrat de travail lié à la
cessation de l’activité.
2.2. Faire traîner les choses
Ensuite, il s’agit de faire traîner les choses en longueur en espérant un essoufflement
du mouvement et une asphyxie salariale des ouvriers. C’est la méthode la plus usitée par le
patronat : une manière de tester la motivation des grévistes. Les propos tenus par un
entrepreneur du bâtiment Châtelleraudais lors de la grève du secteur d’avril 1911 sont on ne
peut plus clairs : « maintenant mon travail peut attendre quelques jours et comme les ouvriers
ne tiendront pas longtemps nous continuerons comme précédemment » 3624 . Un de ses
confrères locaux, propriétaire d’une scierie, va dans le même sens un an plus tard quand il se
vante de gagner 40 000 francs par an ce qui l’autorise à attendre quelques mois avant de
rouvrir ses ateliers 3625 . Les exemples de ce type sont innombrables. Les longues grèves du
textile nord vendéen et deux-sévrien tout comme les celles des houillères du bas Poitou
l’illustrent. En 1896, l’ingénieur directeur des Mines de Saint-Laurs et l’administrateur
délégué, résidant en Saône-et-Loire, ne cessent de se renvoyer la balle, si bien que le député
3620
Rapport du commissaire de Châtellerault au sous-préfet daté du 14 juin 1911, ADV M12.142. Grèves
[1884 ; 1909].
3621
L’Avenir de la Vienne du 16 septembre 1910. A cette date ces ouvriers ne sont pas encore en grève, ils s’y
mettent quelques jour plus tard.
3622
Rapport du sous-préfet de l’arrondissement de Cholet au préfet de la Vendée du 20 octobre 1888, ADVd
10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
3623
Grève des ouvriers du cuir de Niort en 1908, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3624
Le Socialiste de la Vienne du 22 avril 1911.
3625 Le Socialiste de la Vienne du 24 août 1912.
793

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Disleau ne sait pas à qui s’adresser pour jouer son rôle de médiateur 3626 . Le Mémorial des
Deux-Sèvres dénonce à son tour les procédés légaux mais « odieux et malhonnêtes » utilisés
par la direction pour pourrir la grève et contraindre les ouvriers aux abois à reprendre le
travail 3627 .
2.3. Refuser par principe toutes concessions et toutes
négociations
En 1897, le refus des patrons du secteur du bâtiment sablais à toute concession oblige
les maçons locaux grévistes à quitter la ville et à chercher de nouveaux chantiers 3628 . En 1901,
les maîtres boulangers de Niort refusent par trois fois l’invitation à la négociation de la
Chambre syndicale, si bien que les ouvriers reprennent leur travail en ordre dispersé 3629 . La
grève de ces mêmes boulangers en 1906 dure trop longtemps pour certains d’entre eux qui
acceptent de reprendre le travail aux anciennes conditions. Ce constat pousse les grévistes
restants à accepter les propositions patronales sous peine de ne rien obtenir 3630 .
A partir de 1892, ce refus se traduit par le boycott des réunions de conciliation
organisées sous l’arbitrage du juge de paix – voire du maire, ou du préfet – comme l’illustre
l’exemple des patrons niortais en 1908 3631 ; ou par la présence de représentants patronaux
venus seulement par déférence envers l’autorité judiciaire ou administrative et non pour
entamer une quelconque négociation. Très souvent, les patrons oublient plus ou moins
volontairement de répondre dans le délai de trois jours qu’il leur est imparti par la loi. Le
commissaire de police de Niort l’explique au préfet dans un courrier du 18 août 1899 où il fait
état du refus de « tout arbitrage et de toute espèce de conciliation » de la part du gantier venu
à la réunion d’arbitrage 3632 . Même attitude chez les maréchaux-ferrants de Châtellerault en
juillet 1906, dont quelques se seraient présentés fortement avinés chez le juge de paix 3633 !
Le refus de toute négociation est souvent le moyen choisi dans les industries où les
ouvriers en grève sont numériquement faibles. C’est le cas chez les boulangers niortais en
1901 et 1906 où chaque patron n’a qu’un ou deux ouvriers sous ses ordres tout comme chez
3626 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 5 mars 1896 voir aussi Infra p. 849 et s.
3627 Mémorial des Deux-Sèvres du 5 mars 1896.
3628 Rapport de gendarmerie du 11 mars 1897, ADVd 10M47. Grèves dans les usines et carrières [1897 ; 1936].
3629 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 1 er et 3 octobre 1901.
3630 Le Républicain de l’Ouest du 18 octobre 1906.
3631 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 28 avril et 20 juin 1908.
3632 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3633 L’Eclaireur de la Vienne du 29 juillet 1906. Cette remarque est à prendre au conditionnel compte tenu du
peu d’affinité entre ce journal républicain à tendance socialiste et le patronat.
794

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
les couturières d’Argenton-Château en 1901 3634 . A Thouars, l’attitude butée de certains
maîtres maçons pousse même quelques ouvriers à changer de métier 3635 . En 1896, au
commencement de la grève des mineurs de Saint-Laurs, la direction affirme refuser
catégoriquement toutes les revendications des futurs grévistes tout en avouant ne pas encore
les connaître 3636 .
Les entrepreneurs peuvent aussi s’organiser entre eux en ignorant les grévistes. En
1901, les maçons de Luçon s’unissent pour finir les chantiers en cours avec leur personnel
n’ayant pas cessé le travail 3637 .
2.4. Céder sur l’accessoire
Une autre méthode consiste à accepter les revendications accessoires tout en refusant
la principale. Une façon de montrer la bonne volonté patronale aux autorités et aux ouvriers
indécis qui peuvent être amenés à reprendre plus vite le travail. La grève des plâtriers
poitevins de 1910 en est une bonne illustration 3638 . Leurs dirigeants acceptent les demandes
portant sur la réglementation d’atelier, les indemnités de déplacement ou les modifications
des horaires de travail sans céder sur la question des salaires. Même chose, la même année, à
propos du mouvement des menuisiers 3639 . La question des salaires est celle qui fâche d’autant
plus que c’est celle qui est la plus souvent soulevée.
Il arrive que cette attitude soit renforcée par des pressions insidieuses sur les grévistes.
La venue des gendarmes souhaitée par la direction lors des conflits survenus dans les bassins
houillers de Saint-Laurs et de Faymoreau n’est pas qu’un moyen d’assurer la sécurité des
puits, c’est aussi une façon d’impressionner le gréviste.
2.5. Menacer de licenciement ou de « lock-out »
Puis vient le temps des ultimatums. Des patrons donnent un délai de quelques jours à
leurs employés pour reprendre le travail sous peine d’être remplacés par des non grévistes ou
des personnes étrangères à la commune. Cet argument est très souvent employé dans les
3634
ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3635
Grève des ouvriers en bâtiment de Thouars d’avril 1905, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ;
1911].
3636
Courrier du 31 janvier 1896 de l’ingénieur directeur des houillères adressé au préfet des Deux-Sèvres, ADDS
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3637
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3638
L’Avenir de la Vienne du 19 et 20 décembre 1910.
3639
L’Avenir de la Vienne du4 septembre 1910.
795

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
secteurs d’activité où la main-d’œuvre disponible est importante comme dans le bâtiment. Un
exemple parmi tant d’autres, en avril 1896 : les maîtres couvreurs menacent leurs ouvriers
« d’employer des ouvriers du dehors 3640 ».
D’autres secteurs connaissent ce genre de d’intimidation, en particulier dans le monde
du petit artisanat. Un cimentier donne huit jours à ses employés pour reprendre le travail sous
peine d’être remplacés 3641 . Selon un rapport du commissaire de police local un entrepreneur
gantier niortais menace les futurs grévistes de son atelier de se « constituer un nouveau
personnel » 3642 . Un maître typographe fait de même en 1911 à La Roche-sur-Yon 3643 . Une
menace à ne pas prendre à la légère car « chômer c’est ne pouvoir travailler et par conséquent
ne pouvoir vivre 3644 ». Dans certains cas un licenciement fait perdre certains droits et les
sommes versées aux caisses de secours.
Quelquefois, ces paroles sont traduites en actes. Les ouvriers sont congédiés
momentanément. Pour avoir quémandés une hausse de salaire les terrassiers d’un chantier de
chemin de fer de la Vienne sont remplacés une journée par des ouvriers locaux. Une étrange
valse des effectifs s’en suit car les terrassiers sont à nouveau embauchés le jour suivant 3645 . En
1895, les mouleurs niortais grévistes sont remplacés momentanément par des manœuvres que
l’on forme au moulage bon an mal an 3646 . En 1898, un maçon de Bressuire refuse
d’augmenter le salaire de ses employés au stade des revendications, avant qu’ils cessent le
travail : « je refuse de vous augmenter, passez à la caisse 3647 ». En 1905, les bûcherons de la
forêt de Chizé sont remplacés pendant leur grève par des ouvriers agricoles 3648 . Cinq ans plus
tard, tous les grévistes d’un atelier de fabrication de gants de Niort sont congédiés pendant la
grève. Néanmoins ceux d’entre eux qui demanderont par la suite à être réintégrés le seront 3649 .
En 1906, un patron gantier s’engage à reprendre ses anciens ouvriers à la place de ceux
engagés pendant la grève 3650 . En 1912, les architectes yonnais ne s’embarrassent pas de
3640 Lettre du préfet des Deux-Sèvres au ministre du Commerce du 14 avril 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et
grèves [1836 ; 1899].
3641 L’Avenir de la Vienne du 25 et 26 mai 1906.
3642 Rapport du commissaire de police de Niort le 8 août 1899, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ;
1899].
3643 Grève des typographes Yonnais de mai et juin 1911, ADVd 10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers ébénistes,
galochiers, chapeliers, papetiers, imprimeurs, employés de banque [1911 ; 1931].
3644 HATZFELD (Henri), op. cit., p.188.
3645 Rapport du commissaire spécial des chemins de fer du 16/17 avril 1851, ADV M4.59. Correspondances du
préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
3646 ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3647 Rapport du sous-préfet de Bressuire du 21 février 1898, Ibid.
3648 ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3649 Ibid.
3650 Rapport du commissaire de police de Niort au préfet du 5 avril 1906, ADDS 4M6.28.A.Mouvement social ;
rapports divers [1904 ; 1913].
796

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
négociations avec les tailleurs de pierres contrariés : ils recherchent purement et simplement
de nouveaux grisonniers travaillant à l’ancien prix 3651 .
Parfois, on va jusqu’à menacer de s’en prendre aux proches des grévistes. En 1899 les
maîtres gantiers niortais menacent de renvoyer non seulement les ouvriers en grève mais aussi
tous les membres de leur famille qui se trouvent employés dans la chamoiserie 3652 .
Une autre forme de menace pèse sur les ouvriers en grève : la fermeture de l’usine ou
de l’atelier, le lock-out. En 1880, à Fontenay-le-Comte, des entrepreneurs du bâtiment
annoncent vouloir fermer leurs chantiers si les tailleurs de pierres qu’ils emploient continuent
leur mouvement revendicatif 3653 . Même chose en 1911 chez les maçons de la Mothe-
Achard 3654 et dans une scierie châtelleraudaise 3655 , ainsi qu’à la fabrique de chaussure
Raynaud à Biard la même année 3656 . Deux derniers cas où les établissements sont frappés de
graves difficultés économiques. Toutefois, c’est dans le secteur des conserveries de sardines
que la menace de lock-out patronal est la plus prégnante. En 1909, quelques confiseurs sablais
s’y résignent, « plus par mimétisme et solidarité 3657 » avec ceux de Douarnenez et
Concarneau. Le sous-préfet des Sables-d’Olonne anticipe cette menace bien réelle en
imaginant un plan d’action faisant appel à l’armée 3658 .
Une fois la grève terminée il reste les éventuelles représailles contre les ouvriers les
plus véhéments, indisciplinés ou engagés politiquement 3659 . Ces sanctions font office
d’avertissements adressés aux autres ouvriers.
En définitive, les réactions patronales apparaissent modérées, sauf rares exceptions.
Les patrons défendent leurs intérêts tout en cédant assez souvent aux revendications ouvrières
portant sur le salaire ou la diminution du temps de travail. On est loin des propos tenus en
1841 lors d’un procès de charpentiers grévistes où l’avocat du roi présente le maître artisan
3651
Grève des tailleurs de pierres de La Roche-sur-Yon de Février 1912, ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du
bâtiment [1879 ; 1936].
3652
Procès verbal de conciliation concernant la grève des gantiers niortais d’août 1899, ADDS 11M19.13.A.
Conflits et grèves [1836 ; 1899] et Le Mémorial des Deux-Sèvres du 17 août 1899.
3653
ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3654
Ibid.
3655 er
ADV M12.142. Grèves [1884 ; 1909] et Le Socialiste de la Vienne du 1 juillet 1911.
3656
ADV M12.115. Grèves [1908 ; 1911] et L’Avenir de la Vienne du 18 juin 1911.
3657
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.508.
3658
Rapport au préfet du 19 juillet 1909, ADVd 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans les conserveries
[1889 ; 1927].
3659 Voir supra.
797

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
comme une victime, soumis aux embarras financiers et pécuniaires et comme un aventurier
luttant contre les éléments économiques. Un discours qui se termine par une sentence qui se
veut définitive : « l’opprimé ce n’est pas l’ouvrier, c’est le maître 3660 ».
D’abord source de désordre puis de progrès social, la grève ne laisse jamais
indifférente les autorités.
B- Les autorités publiques : témoins engagés
L’administration préfectorale suit d’un œil attentif, sévère ou bienveillant, les
mouvements revendicatifs de la classe ouvrière, source de conflit et de désordre. Après elle,
les juges de paix sont amenés à intervenir dans le règlement des conflits sociaux comme le
prévoit la loi du 27 décembre 1892. Enfin, les autorités municipales se situent en premier
ligne et interviennent régulièrement pour tenter de faire entendre raison aux parties aux
conflits auxquels se mêlent parfois les élites politiques locales et départementales.
a) Le préfet au cœur du conflit
L’administration étatique, et au premier chef l’autorité préfectorale, obéit par
définition aux principes politiques qui inspirent le régime en place.
Longtemps, au XIX e siècle, le dogme libéral, fruit de la Révolution française,
s’impose. L’Etat libéral se doit d’être un Etat minimaliste, voir « minimalitaire 3661 ».
L’autorité publique ne serait vouée, à la longue, qu’à une seule mission : « la répressions des
actes nuisibles » comme l’affirme l’économiste Dunoyer 3662 . Pour Bastiat, « L’Etat est la
force commune instituée […] pour garantir à chacun le sien et faire régner la justice et la
sécurité 3663 ». Une doctrine qui exclut l’Etat du monde économique où le marché s’autorégule
naturellement par la concurrence, le jeu de l’offre et de la demande. Le contrat, la libre
rencontre de deux volontés, est la règle. Toute intervention extérieure au marché fausserait
l’équilibre général. L’entité étatique n’a qu’une seule obligation : assurer les fonctions
3660 Extrait du réquisitoire de l’avocat du roi Anspach lors d’un procès d’ouvriers charpentiers en date du 23 août
1841 cité par LEFRANC (Georges), Grèves d’hier et d’aujourd’hui, op. cit., p.27.
3661 Par opposition aux régimes totalitaires. Néologisme employé par Georges LESCUYER à propos de la théorie
libérale de Benjamin Constant, cf. LESCUYER (Georges), op. cit., p.368.
3662 DUNOYER (Charles), Oeuvres complètes, De la Liberté, Paris, 1870-1884, t.1, p.300.
3663 BASTIAT (Frédéric), Œuvres complètes, Petits pamphlet, l’Etat, Paris, 1862-1864, t.4, pp.340-341.
798

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
régaliennes et plus particulièrement veiller au respect des libertés individuelles, dont la liberté
du travail fait parti.
Ces idées apparaissent clairement dans les textes législatifs et les circulaires qui
guident les autorités départementales. Sous la monarchie de Juillet, les préfets reçoivent des
consignes strictes du gouvernement. Ils doivent fermement maintenir l’ordre et surtout ne pas
s’immiscer dans les rapports entre ouvriers et patrons. Une attitude qui, dans la plupart des
cas, profite aux maîtres et manufacturiers 3664 . Une circulaire de septembre 1840 est on ne peut
plus claire à ce propos. Le ministre fait état des nombreuses coalitions survenues à Paris et
demande aux préfets de dissoudre toutes les coalitions et de livrer leurs auteurs à la justice
pour éviter toute propagation du mouvement revendicatif. Il faut « étouffer dans leurs
premiers germes ces ferments d’agitations » 3665 .
Plus tard, en 1849, le credo libéral est encore exprimé par une circulaire du ministre de la
l’Intérieur adressée aux préfets relative à la conduite à tenir en cas de grève 3666 : « L’autorité
ne doit jamais s’immiscer dans les questions de salaire, alors même que les parties
intéressées solliciteraient son intervention. Le taux de salaire exprime toujours et
nécessairement le rapport qui existe entre l’offre et la demande ». L’autorité doit s’efforcer
de « faire comprendre aux ouvriers ces vérités élémentaires » en leur parlant d’abord « le
langage de la raison et de la sympathie pour être ensuite plus fort en leur parlant le langage
sévère de la loi ». Plus loin encore le ministre précise aux préfets : « Vous faire l’homme de
l’ouvrier ou celui du maître, ce serait suivre une route pleine de périls et assumer la
responsabilité la plus grave ».
Le second Empire et son évolution finale moins autoritaire et plus sociale, à partir de
1864 3667 nuance un peu les choses. « Napoléon III s’écarte de l’orthodoxie libérale 3668 » en
prônant un Etat fort et actif, qui stimule, motive et régule. On revient sur certaines
conséquences fondamentales du libéralisme politique ; le délit de coalition est effacé en 1864,
les associations professionnelles sont reconnues plus ou moins officiellement, la parole du
maître n’est plus reconnue comme preuve quand il s’agit de statuer sur les clauses d’un
3664
Article de GUIN (Yannick), Au cœur du libéralisme : la loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants
employés dans les manufactures, usines ou ateliers , in LE CROM (Jean-Pierre) (dir.), Deux siècles de droit du
travail. L’histoire par les lois, Paris, 1998, p.30.
3665
Circulaire du ministère de l’Intérieur du 4 septembre 1840, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ;
1899].
3666
Circulaire du Ministre de l’Intérieur aux préfets en date du 2 février 1849, ADV M4.53. Circulaires des
ministres du second Empire (1852-4 décembre 1870).
3667
Ou de 1867 selon les auteurs.
3668
AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.158.
799

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
contrat de travail 3669 . Cette conception de l’Etat teintée de sociale ne peut manquer d’avoir des
conséquences sur l’attitude des préfets lors des coalitions et des grèves. Une circulaire de
1852 rappelle la neutralité de l’Etat et des ses organes à propos des questions salariales tout en
admettant l’intervention préfectorale « par voie de conseil ». Toutefois l’Etat doit toujours
assurer prioritairement l’ordre et la sécurité publique afin que « l’intérêt réciproque des
ouvriers et des maîtres soient librement débattus » 3670 .
Quant aux préfets eux mêmes, clef de voûte du système, ils sont les fruits de leur
époque. Ce sont des notables pas prêts à remettre en cause le principe de non
interventionnisme étatique qui va perdurer encore près de deux décennies. Enfin, il ne faut pas
oublier que la priorité absolue est le maintien de l’ordre.
La Troisième république va lentement adopter une nouvelle conception du rôle de
l’Etat dans les rapports sociaux. La consolidation du régime va permettre aux républicains
d’atténuer les conséquences des principes libéraux. La loi de conciliation et d’arbitrage de
1892 et la création en 1906 du ministère du Travail et de la prévoyance social sont
révélatrices d’une nouvelle philosophie économique et sociale.
Le renouvellement des membres de l’administration préfectorale, choisis parmi la
moyenne bourgeoisie rompt en partie le lien de connivence qui pouvait exister entre les élites
patronales et administratives. Ces hommes nouveaux ne sont plus liés par les théories du
passé ; ils sont aptes à appliquer les nouvelles directives d’un régime qui ne veut plus être un
gendarme sourd aux plaintes et aux revendications du corps social. En février 1884, quelques
semaines avant la loi autorisant les syndicats, la circulaire du ministre de l’intérieur Waldeck-
Rousseau invite les préfets à intervenir dans le jeu social sans, toutefois, préciser les formes
de l’intervention 3671 .
« L’administration ne saurait donc voir, dans les grèves, que la mise
en pratique d’un droit à la coalition, et elle méconnaîtrait ses
devoirs si elle songeait à entraver la manifestation.
Toutefois, ce serait une erreur de croire qu’elle dût y assister
impassible et indifférente, pourvu que l’ordre et la tranquillité ne
fussent point menacés. Dans la plupart des cas, au contraire,
Monsieur le préfet, votre intervention peut amener les meilleurs
3669
Abrogation de l’article 1781 du Code civil.
3670
Circulaire du ministère de la Police Générale du 9 septembre 1852, ADV M4.53. Circulaires des ministres
du second Empire (1852-4 décembre 1870).
3671
Circulaire concernant les grèves du 27 février 1884, ADDS 11M19.13.G : conflits et grèves [1890 ; 1940].
800

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
résultats si elle se produit avec tout la circonspection et toute la
réserve que comporte votre situation de représentant de l’Etat »
Bien entendu cette nouvelle « compétence » préfectorale n’efface pas le rôle de garant de
l’ordre public dévolu à l’institution administrative. Le même texte le rappelle en précisant que
la seule force à utiliser dans les conflits du travail est la gendarmerie et que le recours à
l’armée ne doit être fait qu’en dernière extrémité. Enfin, un post-scriptum à ce texte énonce
l’obligation de collaboration du patronat avec l’administration qui doit informer le préfet et
ses subalternes de leurs projets économiques relatifs au salaire ou à l’organisation du travail.
Néanmoins, le degré d’intervention préfectoral dans les conflits du travail demeure
extrêmement flou. En 1892, le ministre des Travaux publics rappelle, à propos d’une grève
des mineurs de Carmaux, que, dans les mines, l’Etat régit mais ne gouverne pas, dépourvu de
moyen pour faire respecter la loi 3672 .
En 1906, un télégramme 3673 rappelle aux préfets que leur mission est « de sauvegarder
également la liberté du travail et la liberté légale de la grève » et qu’ils doivent à tout prix
éviter les « errements anciens » où « des troupes d’infanterie ou de cavalerie apparaissaient
sur les lieux de la grève à titre préventif ». Cette précision se rencontre dans de nombreuses
circulaires ultérieures où on en arrive à définir les cas où la forme armée peut être amenée à
intervenir, c'est-à-dire quand est compromis « l’exécution d’un service ayant un caractère
d’intérêt général et de première nécessité » ou bien « un service urgent d’alimentation » 3674 .
Mais, l’efficacité de cette nouvelle mission dépend de la bonne volonté préfectorale. En 1913,
le Ministre de l’Intérieur rappelle encore que le préfet doit jouer un « rôle de régulateur »
entre les « deux forces solidaires » du capital et du travail. Il doit offrir une « médiation
officieuse » qui doit le cas échéant conduire à un arbitrage légal, le tout « dans un esprit de
liberté et de justice sociale » 3675 .
En cas de grève le préfet joue deux rôles. Tout d’abord celui, primitif et fondamental,
de protecteur de l’ordre public ; ensuite une fonction nouvelle de médiateur, de plus en plus
3672 Nous sommes ici dans le cadre particulier du domaine minier régi par la loi de 1810. Cf. TREMPÉ
(Rolande), Arbitrage et secteur houiller in FORTUNET (Françoise) (dir.), Un siècle de régulation pacifique des
conflits collectifs du travail, Dijon, 2001, p.77.
3673 Télégramme codé du ministère de l’Intérieur aux préfets du 16 avril 1906, ADDS 11M19.13.G : conflits et
grèves [1890 ; 1940].
3674 Circulaire du ministère de l’Intérieur du 25 novembre 1910, ADDS 11M19.13.G : conflits et
grèves [1890 ; 1940].
3675 Circulaire du ministère de l’Intérieur du 25 juin 1913, ADDS 11M19.13.G : conflits et grèves [1890 ; 1940].
801

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
actif à l’intérieur des conflits sociaux. Ces deux cas ne manquent pas d’apparaître dans les
trois départements étudiés.
1. Le garant de l’ordre public
Les grèves et coalitions sont sources de désordre car elles agitent les couches
moyennes et inférieures de la société. Le préfet et ses sous-préfets doivent les circonscrire et
veiller à ce qu’elles ne dégénèrent pas. C’est leur rôle primordial.
Néanmoins la tolérance étatique aux mouvements revendicatifs et à l’humeur du
monde ouvrier varie selon les époques. L’intervention des forces de l’ordre est quasi-
systématique jusqu’en 1864 et la fin du délit de coalition, plus épisodique par la suite 3676 .
1.1. La répression des coalitions avant la loi de 1864
Peu importe si les revendications des travailleurs sont fondées, il faut faire cesser le
trouble. Le seul fait de revendiquer en groupe est répréhensible. Toutefois, l’autorité
préfectorale préfère minimiser la répression par des actions préventives et limitées « afin
d’éviter la confrontation directe et l’utilisation de la violence 3677 ».
Une de ces premières mesures préventives consiste à impressionner les mécontents par
une démonstration de force. En 1831, les tisserands à la cave du choletais découvrent qu’ils
sont bernés par les fabricants. Ils protestent. Le ministre de l’Intérieur réagit en alertant le
général Sabre (sic) qui dispose d’une force armée imposante. Il lui demande d’intervenir avec
« impartialité, fermeté et célérité d’exécution » si de nouveaux troubles surviennent 3678 . Cela
ne manque pas de calmer les ouvriers trompés.
Nombreuses sont les coalitions synonymes d’arrestation. La gendarmerie intervient
régulièrement tout ciblant précisément les personnes à mettre hors d’état de nuire. On n’en
veut pas au quidam mais aux meneurs et aux principaux acteurs des mouvements séditieux.
C’est le cas en 1835 lors d’une coalition de tailleurs d’habit de Poitiers où le ministre de
l’Intérieur se félicite de la sévérité mise en œuvre, un exemple pour les autres
3676 Pour la liste des interventions préfectorale dans les mouvements sociaux voir annexe 28.
3677 EBEL (Edouard), Les préfets et le maintien de l’ordre en France au XIX e siècle, Paris, 1999, p.190.
3678 POPEREN (Maurice), op. cit., p.16.
802

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
corporations 3679 . L’année suivante un maréchal de camp se vante auprès du préfet des Deux-
Sèvres d’avoir « complètement réprimée » une coalition d’ouvriers maçons de Niort dont
quelques-uns ont été arrêtés 3680 . Sept années plus tard, les meneurs des plafonneurs de Poitiers
sont arrêtés dans un cabaret. La liste de leurs camarades signataires est récupérée dans les
latrines 3681 . En juin 1842, une douzaine de maçons de Montaigu en Vendée sont inculpés pour
s’être coalisés afin de réclamer l’augmentation habituelle à cette époque de l’année.
Cette « chasse » aux têtes pensantes, initiée sous le Premier Empire, est la règle tout au
long du XIX e siècle. Une circulaire du 9 septembre 1852 rappelle aux policiers de rechercher
les instigateurs des mouvements de grèves et de livrer à la justice « ceux qui provoquent les
ouvriers » 3682 . L’administration des débuts du second Empire craint l’ouvrier qui peut être un
agent d’opposition au régime. En 1851, le préfet de la Vienne demande au ministre de
l’Intérieur l’augmentation de la garnison de Châtellerault, une ville à la population « au
mauvais esprit » qui a mis du temps à retrouver son calme depuis février 1848 3683 . En 1852,
deux carriers travaillant à Chauvigny sont inquiétés par les autorités. La coalition qu’ils
dirigeaient est assimilée à une rébellion contre la gendarmerie et l’autorité 3684 . Trois ans après,
sept ouvriers sont arrêtés sur ordre du préfet après une tentative de grève regroupant plusieurs
corporations de la ville de Montmorillon. Cette action répressive ne se base pas sur des
preuves d’une action concertée ; il s’agit plus d’effaroucher la population laborieuse de la cité
en arrêtant des personnes connues pour leurs accointances envers les forces d’opposition au
régime 3685 . En 1858, les cordonniers de Chauvigny cessent le travail dans l’espoir d’obtenir
une revalorisation de leur paie. Les gendarmes présents sur place constate le calme des
ouvriers ce qui n’empêche pas l’arrestation des meneurs présumés 3686 . Ces trois exemples se
situent dans l’arrondissement de Montmorillon qualifié pourtant par son sous-préfet « d’un
des plus paisibles de France » en mars 1853. Ici une intervention rapide de l’autorité et
quelques arrestations suffisent à calmer les timides ardeurs des travailleurs 3687 . Même chose, à
Poitiers en 1853, où le commissaire constate que l’ordre n’a été en aucun cas troublé par la
3679
Lettre du cabinet du secrétaire d’Etat du ministère de l’Intérieur au conseillé de préfecture de la Vienne du
23 avril 1835, ADV M4.43. Circulaires et correspondances du préfet (1835-1836).
3680
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3681
ADV M4.49. Correspondances du préfet (1843-1844).
3682
Circulaire du ministre de la Police générale du 9 septembre 1852 in EBEL (Edouard), op. cit., p.192.
3683
Missive du préfet de la Vienne adressée au ministre de l’Intérieur du 16 avril 1851, ADV M4.59.
Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851) ; police des chemins de fer (1851-1853).
3684
ADV M4.61. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1852).
3685
Lettre du ministre de l’Intérieur eu préfet de la Vienne du 8 juin 1855, ADV M4.68. Correspondances du
préfet (1854-1856).
3686
ADV M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859).
3687
ADV M4.65. Correspondances du préfet (1853).
803

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
grève des couvreurs et menuisiers de la ville, ce qui ne suffit pas à empêcher l’arrestation des
chefs des corporations mises en cause 3688 .
Cette époque est aussi celle du développement du chemin de fer et de ses chantiers de
construction. Ces travaux ne doivent souffrir du moindre retard eu égard aux intérêts
économiques et stratégiques en jeu. L’activité est sous surveillance constante de
l’administration. On va jusqu’à créer un poste de gendarmerie provisoire à Ligugé tant on
craint d’éventuels débordements 3689 . Le sous-préfet de l’arrondissement de Civray se plaint du
transfert d’hommes des casernes de Civray et de Gençay au profit de celle de Couhé, une
commune située sur le tracé de la future voie ferrée 3690 .
Les grèves y sont réprimées même si on a l’impression d’une sévérité moindre. Ici, on
préfère renvoyer les ouvriers dans leurs foyers « pour diluer la présence ouvrière dans les
campagnes 3691 » plutôt que de procéder à des arrestations. En effet, ces chantiers sont
composés d’une population flottante difficile à impressionner car souvent sans attaches
locales. C’est pourquoi la gendarmerie intervient régulièrement pour ramèner le calme sans
pour autant procéder à des arrestations. Pourtant, les actions des ouvriers grévistes dépassent
en virulence ce que l’on connaît ailleurs. En 1846, un entrepreneur est pris à parti et la cour de
sa maison envahie. Les gendarmes, aidés du maire, doivent s’y prendre à deux fois pour
évacuer la maison et protéger l’entrepreneur. Mais, une fois le calme revenu, on procède
normalement au paiement des ouvriers. Seul un individu est signalé au préfet 3692 . Plus tard, en
1851, le ministre de l’Intérieur approuve l’action du préfet qui a préféré obliger les ouvriers
grévistes occupés à construire un pont de chemin de fer à quitter le département plutôt que
d’en poursuivre certains 3693 .
Cependant, il convient de tempérer la sévérité affichée des autorités. La presque
totalité des coalitions rencontrées sont considérées en définitive comme des délits mineurs qui
troublent bien peu l’ordre public. L’administration se doit d’agir par souci d’exemplarité mais
sans excès. Parfois même elle se montre ostensiblement conciliatrice. En 1860, en Haute-
3688 Ibid. rapport du commissaire de police de Poitiers du 27 juin 1853.
3689 Lettre du chef d’escadron de la gendarmerie de la Vienne au préfet du département, 17 janvier 1854, ADV
M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
3690 Rapport du 9 novembre 1851, ADV M4.59. Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851).
3691 EBEL (Edouard), op. cit., p.191.
3692 Rapport de gendarmerie du 11 juin 1846 au préfet de la Vienne, ADV M4.50 : Correspondances du préfet
(1845-1847).
3693 Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet de Vienne en date du 18 octobre 1851, ADV M4.59.
Correspondances du préfet (janvier - septembre 1851).
804

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Vienne, elle intervient en faveur de menuisiers et de tisserands en conflit avec leurs
patrons 3694 .
La loi du 25 mai 1864 oblige les préfets et leurs subalternes à changer leur vision de la
coalition. La grève n’est plus prohibée, elle ne trouble plus par elle-même l’ordre public.
Désormais l’intervention des forces de l’ordre dans ce domaine est subordonnée à des actes de
violences contre les personnes ou les biens et à tous actes visant à restreindre la liberté du
travail. Dorénavant la répression est l’exception. L’autorité ne peut plus intervenir a priori ou
sur simple demande du patronat comme cela pouvait être le cas auparavant.
1.2. L’intervention de la force publique dans les grèves
Selon Michelle Perrot 20% des conflits du travail entre 1871 et 1890 aboutissent à
l’intervention des forces de l’ordre. La très grande majorité des ces grèves à problèmes se
déroulent dans le cadre de sociétés anonymes et concentrées, dirigées par le grand patronat, au
contraire de l’entreprise familial ou de petite taille chez qui il est rare que la gendarmerie et
l’armée interviennent.
Les trois départements étudiés comptent peu d’exemples de ces grandes entreprises.
Les conflits tendus où la force publique est aux aguets touche des secteurs d’activités très
spécifiques : les houillères du bas Poitou, le textile du rayon choletais ou bien encore le
monde des conserveries de poisson des côtes sablaises ; des domaines où les effectifs ouvriers
conséquents représentent une menace en cas de débordements et où les entrepreneurs
jouissent d’une influence certaine sur les autorités.
• Les atteintes à la liberté du travail
Les atteintes à la liberté du travail sont les premières causes qui poussent l’autorité
préfectorale à agir. Il est tentant pour les grévistes de menacer 3695 leurs collègues qui
poursuivent le travail. Un secteur d’activité ou une entreprise entièrement paralysée procure
plus de poids au mouvement revendicatif et donne moins d’arguments aux patrons quant à
l’opportunité des revendications. L’apparence de l’unité et de l’unanimité est recherchée par
les ouvriers.
3694 AN BB 30 , 378, Limoges, 10 avril 1860 cité in DUVEAU (Georges), op. cit., p.391.
3695 Ces menaces restent verbales dans la presque totalité des cas.
805

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Nombre d’exemples d’interventions de la force publique l’illustrent. En 1904, les
gendarmes empêchent les bûcherons de la forêt de Chizé de s’emparer des outils de leurs
camarades non grévistes 3696 . Le 1 er mai 1906, les autorités craignent la venue à Saint-Maixent
de typographes de Niort et de Parthenay dans le dessein d’obliger leurs camarades à quitter le
travail « même par la force si besoin est » 3697 . Le contexte national est à la grève générale. Le
sous-préfet augmente le nombre des rondes de police, en précisant qu’il ne veut surtout pas
avoir recours à l’armée, source de tapage 3698 .
Toutefois le plus grand nombre d’exemples en la matière se trouvent dans les activités
ayant dépassées le simple cadre artisanal de la boutique. Les activités regroupant un grand
nombre d’ouvriers sur une zone géographique étendue, ou ne se limitant pas à un seul
établissement, sont propices à ce type de débordement. L’archaïque mais organisée filière
textile du microcosme choletais, avec son lot de tisserands à domicile, d’ouvriers mécaniques,
de fabricants et de gros entrepreneurs dispersés dans les bourgs et les campagnes, est la plus
familière de ce genre d’action ouvrière. Ces mouvements qui s’échelonnent dans le temps
suivent toujours un schéma identique. Dans un premier temps des manifestations regroupant
des ouvriers de la ville se déroulent dans les campagnes. On veut impressionner l’ouvrier
local pour l’inciter à cesser le travail. Le nombre important de manifestant empêche les
pouvoirs publics d’intervenir. Dans un second temps, les non grévistes, et ils sont nombreux,
demandent protection aux autorités. Celles-ci répondent timidement à cet appel : la dispersion
géographique des travailleurs empêchant toutes mesures de protection efficaces. Au final, le
travail cesse faute de protection – et de volonté ? – publique. La filière est bloquée, la grève
est quasi-générale et les affrontements évités.
La grève des tisserands vendéens de Mortagne et d’Evrunes de 1888 est une bonne
illustration des antagonismes qui peuvent exister entre ouvriers grévistes et non grévistes,
autant de tensions que l’administration tente d’amoindrir et de contenir. En septembre 1888,
un lieutenant de gendarmerie fait part au préfet de ses inquiétudes à propos d’éventuelles
représailles d’ouvriers choletais « exaltés » contre la vingtaine de tisserand non grévistes de la
commune d’Evrunes. Il exprime sa crainte de voir les choletais se ruer dans les caves et y
détruire les métiers des tisserands non solidaires du mouvement. Son inquiétude est d’autant
plus grande qu’il se rend compte que les ouvriers menacés sont disséminés partout dans la
région et les villages environnants, ce qui rend impossible leur protection par la force
3696
Rapport d’un capitaine de gendarmerie en transport à Chizé du 23 décembre 1904, ADDS 11M19.13.B.
Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3697
ADDS 4M6.28.A. Mouvement social ; rapports divers [1904 ; 1913].
3698
Les militaires sont qualifiés de « mauvaises têtes » ou de … « parisiens » !
806

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
publique 3699 . Deux jours plus tard, le préfet constate que les grévistes ont réussi à influencer
leurs camarades rétifs. Il avoue par la même n’avoir pas pu assurer le principe de liberté du
travail 3700 . La grève perdure et les tisserands des campagnes vendéennes restent en grève sous
l’influence constante des représentants syndicaux choletais qui battent la campagne et
décourager les éventuels « déserteurs ». Le maire d’Evrunes s’alarme de cette atteinte
manifeste à la loi 3701 . Il demande « l’appui de l’autorité » pour permettre à ceux qui désirent
travailler de le faire en toute sécurité. Cependant, le problème reste entier pour les autorités :
comment protéger efficacement une population disséminée et qui n’exprime pas clairement sa
volonté, de peur des représailles. Les rapports de gendarmerie qualifient d’alarmants et de
pessimistes les propos du maire qui ne manque pas de souligner les carences de l’Etat
républicain. Toutefois, les gendarmes sont d’accord sur le fait que sans la pression choletaise
nombre de tisserands locaux cesseraient la grève 3702 . Il faut attendre quelques jours pour que
le préfet clôt la polémique 3703 en estimant que la présence de gendarmes ne ferait qu’aggraver
la situation. Néanmoins, il demande au maire de lui signaler toute reprise du travail pour
qu’éventuellement ces tisserands bénéficient de l’hypothétique protection de l’Etat. Dans la
commune voisine de Mortagne on passe tout près d’un conflit ouvert entre tisserands locaux
et ouvriers choletais. Mais ici la présence de gendarmes a été dissuasive. Les maires des
communes touchées demandent le doublement des brigades de gendarmerie présentes sur les
lieux devant l’état de « grande surexcitation » des deux partis 3704 . Le préfet répond
favorablement à l’appel en envoyant sur place quatre gendarmes à cheval et quatre à pieds
pour maintenir l’ordre et la liberté du travail. La grève cessera une dizaine de jours plus tard
faute de subsides. L’attitude préfectorale est critiquée et il est vrai car il est vrai que la liberté
du travail a été manifestement bafouée.
Rien ne change en 1904. Les blanchisseurs de Mortagne et de Saint-Laurent subissent
la pression massive de près de 800 manifestants venus manifester de la ville de Cholet et des
alentours. Les autorités se contentent de surveiller les manifestants sans intervenir, d’autant
plus que les blanchisseurs ont beau être contre la grève, leur position en aval de la filière
3699 Rapport de gendarmerie du 17 septembre 1888, ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
3700 Courrier du préfet de Vendée au ministre de l’Intérieur du 19 septembre 1888, Ibid.
3701 Lettre du maire d’Evrunes au préfet de Vendée du 29 septembre 1888, Ibid.
3702 Rapport de gendarmerie du 1 er et 2 octobre 1888, Ibid.
3703 Lettre du préfet de Vendée au maire d’Evrunes du 4 octobre 1888 ; Ibid.
3704 Télégramme du maire de Mortagne-sur-Sèvre au préfet de Vendée du 7 octobre, Ibid.
807

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
textile les oblige à cesser leur activité 3705 . Faire cesser les pressions ne ferait qu’envenimer les
choses.
Six années plus tard, la même problématique se pose à nouveau aux tenants de la force
publique du rayon choletais. Le commandant en chef de la gendarmerie de l’arrondissement
de Bressuire 3706 s’inquiète de la situation d’un blanchisseur du Puy-Saint-Bonnet, dans le
Maine-et-Loire, contraint d’arrêter son activité sous la pression des ouvriers grévistes de
Cholet. L’entrepreneur pense néanmoins se remettre au travail sous la protection de six
gendarmes afin de le protéger contre « le sabotage inévitable ». On va même jusqu’à protéger
les convois de tissus qui circulent dans les campagnes pour rejoindre la ville. Néanmoins, le
blanchisseur est contraint de céder aux menaces des grévistes, malgré les précautions prises.
Pour sa part, le préfet des Deux-Sèvres estime que les blanchisseurs de son département ne
sont pas en grève mais plutôt qu’ils sont les victimes d’un chômage forcé provoqué par « le
boycottage des ouvriers de Cholet » 3707 contre lequel il ne peur rien. Les autorités
préfectorales ne parviennent pas à assurer la liberté du travail aux personnes non désireuse de
se mettre en grève. La pression des grévistes est trop importante et les ateliers trop dispersés.
Les autorités hésitent à déployer des forces de l’ordre malgré de flagrantes violations de la loi.
On estime qu’un déploiement de gendarmes ne ferait qu’énerver les ouvriers locaux, déjà
victimes des pressions de leurs camarades choletais 3708 .
A l’évidence, les préfets peinent à assurer le respect du principe de liberté du travail
lors des grèves qui surviennent dans le monde éparpillé des nombreux tisserands à domicile.
L’autorité préfectorale est partagée entre deux missions : assurer le libre exercice du métier de
chacun ou bien éviter que l’ordre public ne soit troublé. Entre deux maux on préfère le
moindre. La liberté du travail est souvent sacrifiée sur l’autel de la paix et de la sécurité
publique.
3705
Missive émanant du correspondant du commissaire spécial à Saint Laurent sur Sèvre du 28 octobre 1904,
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3706
Rapport de gendarmerie du 18 octobre 1910, ADDS 11M19.13.B. Conflits et grèves [1901 ; 1911].
3707
Rapport du préfet d’octobre 1910, Ibid.
3708
Rapport de gendarmerie du 25 octobre 1910 concernant la situation à Mortagne, ADVd 10M50. Grèves dans
l’industrie textile [1888 ; 1931].
808

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• Les risques de violences, de débordements,
d’émeutes ou de destructions des outils de travail
Ces risques de débordements et de destructions sont évoqués presque
systématiquement par toutes les parties lors de chaque conflit du travail survenant dans les
houillères du bas Poitou où dans les sardineries du littoral vendéen.
Dans les mines, chaque grève est un moyen d’extérioriser les frustrations liées à la
difficulté du travail et à la discipline rigoureuse qui s’y applique. Cette colère met en danger
le patrimoine minier, même si souvent le péril réel est largement amplifié par la direction.
L’entretien des puits miniers est au centre des préoccupations. Ne pas les vider peut avoir des
conséquences catastrophiques pour l’exploitation. Les mineurs disposent en l’espèce d’un fort
moyen de pression qui paralyse les houillères, renforce leurs revendications en imposant un
règlement rapide du conflit. La direction doit être consciente que la recherche d’un
pourrissement de la grève pourrait conduire à des détériorations fortement préjudiciables.
Toutefois, l’autorité publique ne peut pas rester passive. Elle se doit d’intervenir pour assurer
l’intégrité physique des personnes et des biens, d’autant plus que les houillères sont parmi les
secteurs stratégiques et économiquement prioritaires de l’époque. Ainsi en 1896, à Saint-
Laurs, le préfet est contraint de faire protéger les puits et les personnes chargées d’épuiser
l’eau qui s’accumule dans les galeries inactives depuis le début de la grève 3709 . La menace
d’effondrement y est prise très au sérieux. En 1908, c’est au tour des puits de Faymoreau de
voir surgir la gendarmerie 3710 qui tente de les protéger de la fureur des grévistes privés de
leurs primes et échauffés par l’attitude peu coopératrice de la direction. Cependant, les huit
malheureux gendarmes ne pèsent pas lourd face aux 300 mineurs menaçants. L’ingénieur est
finalement contraint de négocier 3711 .
Quatre ans plus tard, les gendarmes sont à nouveau de retour autour des puits de
Faymoreau 3712 . Le préfet de Vendée y a envoyé 17 hommes pour canaliser des mineurs
bruyants mais non violents. En outre, le ministre de l’Intérieur donne son aval à une
3709
ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899]. Voir Infra pour de plus amples développements sur les
interventions préfectorales au cours de la grève des mineurs de Saint-Laurs de février mars 1896.
3710
Rapport anonyme du 3 mars 1908, ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3711
Il justifiera après coup sa faiblesse passagère par la peur qu’il a ressentie pour les femmes présentes sur les
lieux.
3712
Rapports du 7 et 12 août 1912 du préfet de Vendée au ministre de l’Intérieur, ADVd 10M48. Grèves dans les
mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
809

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
éventuelle réquisition de l’armée pour vider l’eau des galeries 3713 . Mais ce cas de figure ne se
produira pas.
Le monde des mines n’est pas le seul où les grèves peuvent parfois mettre en danger
l’ordre public et la sécurité des biens et des personnes. Les conserveries de sardines
vendéenne subissent elles aussi des conflits du travail extrêmement tendus axés autour du
développement du machinisme. Des antagonismes divers s’y additionnent et rendent la
situation explosive.
La grève des soudeurs de boite des Sables-d’Olonne de 1909 montre parfaitement cet
enchevêtrement d’intérêts qui coexistent alors dans le monde de la sardine sablaise et
atlantique. Le luddisme des boîtiers s’oppose au désir des pêcheurs d’écouler le produit de
leurs pêches, des marins déjà inquiets par l’arrivée de bateau à moteur concurrents. Entre ces
deux parties s’en ajoute une troisième, celle des femmes travaillant aux conserveries. Celles-
ci veulent revaloriser leurs salaires tout en s’inquiétant du sort de leurs maris sardiniers. Le
tout dans un contexte général difficile marqué par le saccage d’établissements bretons du
même type. Le patronat local presse l’autorité publique à intervenir afin d’assurer la
protection des sites et des convois acheminant les nouvelles machines 3714 . Le sous-préfet
réquisitionne six gendarmes pour protéger les trois usines sablaises voulant se moderniser,
déjà protégées chacune par un policier 3715 . Un nombre faible car ces hommes peuvent être
également appelés à intervenir à Croix de Vie si le besoin se fait sentir. La protection apparaît
plutôt symbolique. On espère que les boîtiers locaux n’oseront pas franchir le pas en s’en
prenant aux gardiens de l’ordre public, représentant de l’Etat. Cependant, dans le même
temps, les gendarmes sont consignés dans leurs casernes, prêts à intervenir 3716 .
La tension monte encore d’un cran quand les quelques sertisseurs et boîtiers locaux cessent le
travail en solidarité avec leurs homologues bretons victimes d’un lock-out patronal. Dès lors,
les autorités craignent un conflit généralisés opposant sertisseurs et marins qui ne peuvent
plus écouler leurs marchandises. Le sous-préfet établit des projections alarmistes ( et
fantaisistes) : il projette de faire appel à la force armée 3717 : 300 fantassins et 50 cavaliers
seraient nécessaires aux Sables-d’Olonne, 60 fantassins à Croix de Vie, 30 à l’Herbaudière et
3713 Télégramme émanant du ministère de l’Intérieur du 13 août 1912, Ibid. L’armée n’est pas appelée pour
rétablir l’ordre. Néanmoins son intervention peut entrer dans le cadre du rétablissement d’un service d’intérêt
général ou de première nécessité qu’évoquent les circulaires ministérielles de l’époque
3714 Lettre du syndicat des fabricants de conserves au préfet du 15 février 1909, ADVd 10M58. Grèves des
marins pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927]
3715 Lettre du commandant de la compagnie de gendarmerie de Vendée au préfet du 15 juillet 1909, Ibid.
3716 Rapport du sous-préfet des Sables-d’Olonne du 16 juillet 1909, Ibid.
3717 Rapport du sous-préfet des Sables-d’Olonne au préfet du 19 juillet 1909, Ibid.
810

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
10 à Fromentine qui s’ajoutent aux deux compagnies présentes à demeure à l’Ile-d’Yeu. Il
craint même le sabotage de la ligne télégraphique reliant cette île au continent. Tout cela
restera à l’état de conjectures puisque la grève des soudeurs prend fin quelques jours plus tard.
Au final, ces événements montrent encore une fois les difficultés que rencontre
l’autorité publique à gérer et à appréhender ce type de crise. On mise sur l’esprit responsable
des parties en espérant ne pas avoir à intervenir.
• De rares interventions de la force
L’autorité préfectorale fait appel à la force publique avec parcimonie dans les grèves
qui touchent la région. L’administration respecte en cela les directives qu’elle reçoit du
ministère de l’Intérieur 3718 . En outre, le préfet se doit de garder une position neutre. A lui de
faire la part des choses entre la réalité et les vœux de patrons qui voient la force publique
comme un allié et un moyen de pression sur les grévistes.
En 1896, le commissaire spécial dépêché dans l’arrondissement des Sables-d’Olonne
estime exagérés les appels à l’intervention de la force publique (voir militaire) émanant des
patrons confiseurs locaux 3719 . La situation est certes tendue : Les sardinières sont solidaires de
leurs maris pêcheurs mécontents, néanmoins rien, selon le commissaire, ne justifie un
éventuel recours à la troupe, réservée à des cas extrêmes de désordre. D’autant plus qu’on se
méfie des soldats qui peuvent fraterniser aisément avec l’ouvrier. Le déroulement ultérieur
des événements lui donnera raison.
Ce pessimiste est toujours présent treize années plus tard quand le sous-préfet des
Sables-d’Olonne estime avoir besoin de plus de 450 hommes d’armes en cas d’aggravation de
la grève des boîtiers de 1909 3720 , alors que celle-ci cesse peu de temps après.
L’appel des patrons au secours de la force publique est surtout un moyen
d’impressionner les grévistes lambda. A partir des années 1900, la direction des charbonnages
du bas Poitou fait appel aux forces de l’ordre de façon quasi systématiquement en cas de
grève. On y fait preuve d’un alarmisme constant, voir calculé, qui agace les représentants de
l’Etat.
3718 Voir supra.
3719 Rapports du commissaire spécial de juillet et août 1896, ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ;
1914].
3720 Voir supra.
811

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
En 1901, lors du conflit qui oppose mineurs et porions, le directeur Fayet réclame au
préfet qu’un détachement de gendarmes à cheval se tienne prêt à intervenir à Faymoreau car il
craint les réactions qui suivront la décision à venir du conseil d’administration de
l’exploitation minière. Cette attitude méfiante envers les travailleurs contraste nettement avec
celle du sous-préfet qui note « la pleine confiance en l’administration préfectorale » des
grévistes, au demeurant très calme 3721 . Le représentant de l’Etat dans l’arrondissement ne voit
aucune raison de s’alarmer et d’envenimer les choses, comme le fait la direction dont le
mauvais esprit contrastant avec le bon esprit des ouvriers 3722 .
En 1910, le sous-préfet de Fontenay-le-Comte se plaint à nouveau de l’attitude
alarmiste constante du sieur Fayet, le directeur des mines de Faymoreau. Celui-ci ne manque
pas une occasion d’avertir l’administration d’hypothétiques grèves de ses ouvriers. Le
représentant de l’Etat affirme que Fayet « est coutumier de ce genre de rumeur » 3723 . Voilà un
moyen pour la direction de maintenir sous pression les autorités et surtout ses employés qui
croient que la gendarmerie est sur le qui-vive. En l’occurrence, le sous-préfet mobilise la
gendarmerie malgré ses doutes. Encore une fois l’avenir lui donne raison. La grève n’a pas
lieu.
Toutefois, les doléances patronales ne restent pas toujours lettres mortes. En 1913,
alors que des tensions agitent ouvriers et maîtres mineurs, la direction demande
l’établissement à Faymoreau même d’une brigade de gendarmerie. Changement d’attitude à la
sous-préfecture. L’idée plait au sous-préfet car cette présence serait dissuasive et éviterait « la
mise à exécution de certaines menaces jusqu’alors restée verbales 3724 ». Il est clair qu’ici la
préoccupation du maintien de l’ordre rejoint l’intérêt des maîtres de décourager les grévistes.
En définitive, l’administration préfectorale suit attentivement le déroulement des
grèves comme la fonction l’exige, mais sans pour autant user ou abuser de ses prérogatives de
puissance publique. La force armée intervient très peu et son usage est presque toujours
défensif. On tente de protéger un droit ou un atelier. Le préfet et ses subalternes se cantonnent
dans un rôle d’observateurs, voire de temporisateurs.
3721
Lettre de l’ingénieur directeur des mines de Faymoreau au capitaine de gendarmerie du 7 janvier 1901 et
rapport du sous-préfet de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte au préfet de Vendée du 16 janvier 1901, ADVd
10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ;
1930].
3722
Rapport du sous-préfet de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte au préfet du 20 janvier 1901, Ibid.
3723
Rapport du sous-préfet de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte au préfet de Vendée du 15 décembre
1910, Ibid.
3724 er
Rapport du sous-préfet de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte au préfet du 1 août 1913, Ibid.
812

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Certains conflits du travail important montrent également que les représentants de
l’Etat ne sont pas toujours bien préparés à la gestion des crises ouvrières. On compte sur le
bon esprit qui règne chez les ouvriers de la région et leur sens des responsabilités.
Les exemples précédents nous dépeignent une administration préfectorale assez neutre
qui ne répond pas systématiquement aux appels du patronat. Bien entendu, cette neutralité
varie en fonction des personnes en place. De temps à autre des voix discordantes se font
entendre. En 1901 un commissaire spécial dépêché à Luçon prend fait et cause pour les
maîtres maçons en affirmant qu’une grève est un bon moyen « pour éliminer les ouvriers
médiocres et paresseux 3725 ».
Avec le temps le préfet observateur, temporisateur, simple garant de l’ordre public va
se transformer en un véritable médiateur. Il va outrepasser sa fonction primitive pour devenir
parfois un acteur à part entière du jeu social.
2. Le régulateur des conflits sociaux
Le préfet médiateur n’est pas l’exemple le plus répandu. Nombreux sont ceux qui
« préfèrent aux tracas de l’arbitrage et de l’enquête, le confort de l’abstention », voire parfois
qui se comportent comme les alliés du patronat 3726 . D’aucuns même s’opposent à cette
nouvelle conception du rôle préfectoral. Les principes anciens ont la vie dure.
Néanmoins, ce nouveau rôle social pénètre doucement dans les mentalités des
membres de l’administration, aidé en cela par les consignes ministérielles prônant un rôle
actif.
L’intervention directe de l’autorité préfectorale pendant les grèves intervient en deux
temps. Tout d’abord, le préfet se limite à jouer qu’un rôle d’intermédiaire. Il essaie de renouer
le dialogue souvent rompu entre ouvriers et leurs dirigeants. A ce stade, il se contente de
favoriser le contact entre les deux partis en profitant de son statut respecté par tous. Ensuite, il
endosse le costume de conciliateur, de médiateur, en s’efforçant de trouver lui-même un
compromis afin de mettre fin aux conflits sociaux en cours.
3725 Rapport du commissaire spécial au préfet de Vendée concernant une grève du bâtiment à Luçon, ADVd
4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3726 PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., pp.708-709.
813

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Certains préfets locaux suivent en cela l’exemple de leur homologue Gabriel Alapetite,
préfet du Pas-de-Calais 3727 , qui est l’instigateur en novembre 1891 d’une des toutes premières
conventions entre ouvriers en grèves et entrepreneurs, en l’occurrence le Comité des
houillères du Pas-de-Calais 3728 . Cette intervention directe de l’administration ouvre une
nouvelle ère dans les conflits sociaux. La grève n’est plus un conflit opposant deux forces
antagonistes mais un moyen d’entamer des négociations sous l’égide de l’administration.
Désormais « les relations sociales impliquent trois partenaires, les ouvriers, les patrons et
l’Etat [dont] l’intervention peut faire pencher la balance dans le sens de la paix sociale 3729 ».
En effet ne perdons pas de vue que l’entremise préfectorale vise autant la justice sociale que
le maintien de l’ordre public qui reste la priorité, même si on use de moyens détournés pour y
parvenir. L’Etat et ses préfets sont pragmatiques, rarement philanthropes.
Cette nouvelle prérogative suppose la neutralité de l’administration et de ses
représentants. Un médiateur se doit d’être juste et impartial. Toutefois, dans certains cas, le
préfet et ses subalternes se laissent aller à des prises de positions favorables aux ouvriers
grévistes. La notion de justice sociale tend à supplanter la seule préoccupation du maintien de
l’ordre.
2.1. Un médiateur social
Le rôle de médiateur de l’autorité administrative dans les conflits sociaux n’est pas
une absolue nouveauté due aux idées progressistes de la III e République. Déjà quelques
préfets du second Empire servent de « contrepoids à l’omnipotence patronale 3730 ». Leur
action est officieuse mais efficace, et cela malgré la volonté de combattre les mouvements
sociaux prônée par le ministre de l’Intérieur Pinard après 1867 3731 .
Mais, déjà en 1856, le commissaire central de la ville de Poitiers annonce la fin de la
grève des cordonniers de la cité en louant « la bienveillante et paternelle intervention des
autorités 3732 ». Ces interventions teintées de paternalisme se situent dans la droite ligne
impériale libérale. L’administration intervient discrètement pour conseiller les acteurs
sociaux. Le sous-préfet de l’arrondissement de Châtellerault le remarque quand il dit n’être
3727
Gabriel Alapetite débute comme sous-préfet de Loudun (1880-1883) où il lutte ardemment contre le
bonapartiste Soubeyran. Il sera plus tard résident de France à Tunis.
3728
MICHEL (Joël), Ordre public et agitation ouvrière : l’habileté du préfet Alapetite, MS, Paris, n° 164, juilletseptembre
1993, pp 7-25.
3729
MICHEL (Joël), op. cit., p.8.
3730
PERROT (Michelle), Les ouvriers en grève..., op. cit., p. 704.
3731
EBEL (Edouard), op. cit., p.195.
3732
ADV M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856).
814

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
intervenu que pour faire « des remarques toutes paternelles » tout en laissant les partis libres
de décider du dénouement du conflit 3733 .
La consolidation de la III e République suscite de grands espoirs dans le monde
ouvrier. Les grèves deviennent l’occasion de les exprimer. L’ouvrier gréviste sollicite
l’intervention des représentants étatiques en pensant que les préceptes républicains feront
pencher la balance en sa faveur. Cependant, ces espoirs sont souvent déçus. La neutralité des
pouvoirs publics reste la règle et l’intervention l’exception. Les défilés au rythme de la
Marseillaise et les références à l’idéal républicain ne poussent pas pour autant
l’administration à intervenir. Le préfet et ses représentants agissent seulement afin d’inciter
les parties au conflit à négocier. Le prestige et l’autorité morale de la puissance préfectorale
pousse les protagonistes à être plus conciliants, et tout particulièrement le patronat. En effet,
quant l’ordre public n’est pas en menacé et que la grève se passe calmement, l’appel lancé
envers l’administration émane presque toujours des ouvriers et des instances qui les
représentent. Un sous-préfet qui accepte de se déplacer sur requête ouvrière donne plus de
poids à leurs revendications sans qu’il y ait pour autant d’intervention sur le fond. En 1896,
alors qu’une menace de grève plane sur les puits de mine de Faymoreau, la chambre syndicale
des mineurs souhaite recevoir le préfet lors de sa visite prochaine pour lui exposer le bien
fondé de leur demande de hausse de salaire 3734 . Une visite interprétée comme un soutien. Cet
éventuel risque de récupération ultérieure constitue la raison majeure pour laquelle
l’administration intervient peu. Elle ne veut en aucun cas cautionner les mouvements sociaux.
En juillet 1882, le préfet de Vendée rejette la demande d’aide des ouvriers serruriers de La
Roche-sur-Yon souhaitant une intervention en leur faveur afin d’obtenir une augmentation de
salaire : une initiative toute « démocratique 3735 » selon eux que le préfet refuse. Il craint
« l’effet boule de neige » qu’une telle initiative pourrait avoir auprès des autres professions de
la ville.
L’intervention franche du préfet de Vendée et du sous-préfet de Cholet dans le conflit
des tisserands du rayon choletais de 1888 relève encore de l’exception quand il oblige les
3733 Rapport du sous-préfet de l’arrondissement de Châtellerault au préfet de la Vienne du 1 er août 1867 relatif à
des grèves de carrossiers et de sabotiers de la ville, ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870).
3734 Lettre de la chambre syndicale des mineurs de Faymoreau au préfet de Vendée du 19 février 1896, ADVd
10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ;
1930].
3735 Revendication des ouvriers serruriers de la ville de La Roche-sur-Yon du 11 juillet 1882, ADVd 10M45.
Conflits du travail. Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
815

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
grévistes et les entrepreneurs à se rencontrer afin de les contraindre à s’entendre 3736 . Le 20
octobre, le sous-préfet se félicite auprès du préfet de Vendée d’avoir bataillé pour obtenir un
tarif sans condition malgré « des patrons bien résolus à ne faire aucune condition » 3737 . Cette
initiative prise par l’administration du Maine-et-Loire témoigne d’une évolution des
mentalités plus prompte dans ce département plus souvent confronté à des conflits sociaux.
L’administration des départements moins « industriels », comme le sont ceux du Poitou,
semblent pour leur part se cantonner plus longtemps à leur rôle traditionnel de garant de
l’ordre. D’ailleurs, en 1904, lors d’une nouvelle grève des tisserands vendéens c’est encore le
sous-préfet de Cholet qui intervient 3738 .
En fait, il faut attendre les dernières années du XIX e siècle pour constater une plus
grande fréquence des interventions des autorités administratives dans le règlement des conflits
du travail, soit une dizaine d’années environ après la circulaire Waldeck-Rousseau de 1884.
Cependant, l’autorité publique n’intervient pas de la même manière dans les tous les secteurs
d’activité. La médiation préfectorale porte plus particulièrement sur quelques professions
jugées sensibles à cause soit du nombre d’ouvriers concernés, soit de leurs degrés
d’organisation et de motivation. Intervenir c’est calmer les esprits, c’est avant tout assurer le
maintien de l’ordre public.
bâtiment.
Deux domaines d’activités sont plus particulièrement affectés : les houillères et le
• Les houillères 3739
Le caractère hautement sensible de l’activité charbonnière, « pain de l’industrie »,
explique en grande partie l’intervention préfectorale médiane entre mineurs et direction. Les
charbonnages constituent également un secteur juridiquement spécifique. Depuis une loi de
1791, les mines sont « à la disposition de la Nation », l’Etat étant propriétaire du sous-sol et
des richesses qu’il peut recéler. Plus tard, la loi du 21 avril 1810, concédant à titre perpétuel
l’exploitation des mines de charbon réserve un droit d’ingérence et de contrôle à l’Etat. Outre
les pouvoirs accordés à l’ingénieur des mines, les préfets, premiers représentants de l’Etat,
3736
Lettre du maire d’Evrunes en date du 5 octobre 1888, ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ;
1931].
3737
ADVd 10M50. Grèves dans l’industrie textile [1888 ; 1931].
3738
Rapport du préfet de Vendée concernant la grève des tisserands de la région de Mortagne de septembre
novembre 1904, ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3739
Voir TREMPÉ (Rolande), Arbitrage et secteur houiller…, op. cit., pp.63-83.
816

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
sont appelés à intervenir plus régulièrement dans l’industrie houillère que dans les autres
secteurs industriels. C’est pourquoi les Charbonnages du Poitou constituent un de ces secteurs
de prédilection de l’intervention « sociale » des préfets.
En décembre 1895, Le Libéral félicite le préfet de son intervention pendant la grève
des mineurs de Faymoreau : « Jusqu’à ce jour, pas un des préfets qui se sont succédés à la
Roche ne s’était intéressé à un tel degré à cette classe de travailleurs 3740 ». Le mouvement de
1896 des mineurs de Saint-Laurs l’illustre aussi très bien 3741 .
L’administration y intervient le plus souvent directement pour tenter d’infléchir les
antagonismes importants qui s’y manifestent. C’est le cas dans les conflits opposant mineurs
et porions. En 1900, un « vieux mineur » remercie le préfet et le sous-préfet de leur action
ayant permis l’éviction du très contesté contremaître Desjardin 3742 . Même chose en 1913
quand le sous-préfet de Fontenay-le-Comte propose à la direction des mines de Faymoreau la
mutation dans un autre établissement d’un porion mal aimé 3743 .
Les problèmes de discipline intérieur et son lot de débordement et de menaces
verbales et physiques ne constituent pas les seules occasions de médiations préfectorales.
Chaque mouvement social dans les mines oblige le préfet et ses subalternes à s’interposer
entre les parties. En 1910, c’est le secrétaire général de la préfecture des Deux-sèvres qui
suppléer le préfet, absent du département, en venant à Saint-Laurs tenter de résoudre une
grève portant sur l’application de la loi du 20 juin 1905 3744 .
Toutefois très souvent la médiation reste officieuse. Le préfet essaie d’influencer les
parties sans assumer une fonction d’arbitre. Il doit garder une apparence de neutralité ne
serait-ce que pour des raisons de politiques locales. En janvier 1910, le sous-préfet de
Fontenay tranche un conflit latent en faveur des mineurs – qui « ne demandent que des choses
raisonnables », tout en rappelant « que sa fonction ne lui permet pas de jouer réellement le
rôle d’arbitre » 3745 .
3740
ADVd 4M194. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires sociales. Rapports. Correspondance.
Coupure de presse. Surveillance des syndicats professionnels (1893-1914).
3741
Voir Infra la partie spécifiquement consacrée à cette grève.
3742
Article du Patriote d’octobre 1900, ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3743
Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 12 septembre 1913, ADVd 10M45. Conflits du travail.
Instructions. Correspondances [1874 ; 1940].
3744
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 6 septembre 1910.
3745
Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 18 janvier 1910 au préfet de Vendée, ADVd 10M48. Grèves
dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
817

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Les vieux principes ont la vie dure, les nombreuses circulaires en la matière le
montrent bien. D’ailleurs, la demande d’autorisation faite en 1912 au préfet par le sous-préfet
de Fontenay-le-Comte, afin de savoir s’il doit ou non jouer un rôle de médiateur dans la grève
qui frappe les mines de Faymoreau, montre bien que cette fonction d’acteur social actif n’est
pas encore automatique et reste exceptionnelle 3746 . Cette requête n’est pas dénuée d’arrières
pensées comme le montre le contenu d’un télégramme codé adressé au préfet de Vendée en
août 1912 où le sous-préfet parle de « manœuvrer » les ouvriers. La notion de maintien de
l’ordre est toujours primordiale.
Au fil du temps, l’aura préfectorale ne semble plus suffire à modifier le cours des
grèves minières. Début 1900, le bassin houiller de Faymoreau est dirigé par un conseil
d’administration parisien qui ne tremble pas devant les représentants locaux de la République.
Le sous-préfet, impuissant, doit faire appel à un député et à un conseiller général comme
médiateur 3747 . Deux ans plus tard, le représentant de l’Etat dans l’arrondissement de
Fontenay-le-Comte déplore son impuissance à résoudre le conflit du travail qui secoue une
nouvelle fois Faymoreau puisque la grève est de nature nationale 3748 .
Toutefois, l’administration ne se cantonne pas à intervenir ponctuellement pour
raisonner mineurs et responsables. A partir de 1901, àe Faymoreau, le sous-préfet tente de
mettre en place un système régulier de représentation des mineurs. Chaque mois, quatre
d’entre eux doivent présenter leurs doléances à la direction en présence d’un témoin
représentant l’autorité préfectorale. Si les ouvriers acceptent volontiers ce projet la direction
s’y résout avec réticence 3749 . Cette organe de conciliation intervient un an plus tard. Il permet
d’éviter une nouvelle grève reposant sur l’épineuse question des primes. La chambre
syndicale accepte de se ranger derrière l’opinion préfectorale qui leur demande d’accepter la
proposition patronale pourtant jugée bien faible. En fait, les débat semblent réellement menés
par le sous-préfet qui rédige lui-même l’accord 3750 , une sorte de convention collective à
l’image de celle conclue à Arras par le préfet Alapetite en 1891 3751 . Cette forme
d’intervention reste exceptionnelle jusqu’en 1936.
3746 Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 29 juillet 1912 au préfet de Vendée, Ibid.
3747 Télégramme codé du sous-préfet de Fontenay-le-Comte au préfet de Vendée du 17 août, Ibid.
3748 Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 9 mars 1914 au préfet de Vendée, Ibid
3749 Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 20 janvier 1901 au préfet de Vendée, Ibid.
3750 Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte du 10 février 1902 au préfet de Vendée, Ibid.
3751 Cf. supra et voir également CAIRE (Guy), op. cit., p.41.
818

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• Le bâtiment
Les grèves qui surviennent dans le secteur du bâtiment poussent également
l’administration préfectorale à endosser le costume de médiateur.
C’est ainsi qu’en août et septembre 1899, à Poitiers, le préfet multiplie les efforts pour
résoudre le litige qui opposent près de 300 maçons, tailleurs de pierres et manœuvres aux
entrepreneurs locaux. Les propos de part et d’autres sont véhéments, la situation est tendue,
l’ordre public menacé. Le préfet doit intervenir avant que la situation ne dégénère. D’autant
plus que le maire de la ville est absent quand le mouvement débute. Le représentant de l’Etat
« s’occupe activement d’amener une entente 3752 » et, pour cela, il reçoit tous les jours les
délégués patronaux et ouvriers, sans pour autant obtenir de résultats concrets. Le préfet va
même jusqu’à se rendre auprès du préfet d’Indre-et-Loire pour examiner avec lui les
conditions qui lui avaient permis de régler un cas similaire à Tours 3753 . Malgré ces efforts le
conflit perdure et c’est Girardin, le maire de Poitiers, qui prendra le relais. Une certaine
culpabilité explique peut être aussi la promptitude de l’intervention de l’administration
préfectorale. En effet, les entrepreneurs locaux motivent leurs refus d’augmenter leurs
ouvriers par le refus antérieur de l’architecte du département de revaloriser les salaires des
personnes employées sur les chantiers départementaux ; un refus qui aurait été commandé par
le préfet lui-même 3754 .
En 1911, le préfet de Vendée convoque les maîtres couvreurs yonnais pour les inciter
à répondre positivement aux doléances de leurs employés portant sur les indemnités de
déplacement alors que le sous-préfet des Sables-d’Olonne s’emploie activement à dénouer le
conflit secouant la maçonnerie locale 3755 .
Souvent l’intervention préfectorale est préventive. On fait appel à lui pour éviter une
grève longue et préjudiciables à tous.
En mai 1898 les ouvriers charpentiers de Poitiers requièrent l’arbitrage préfectoral
avant le déclenchement du conflit. Une lettre est rédigée où la déférence est de mise. On y
place de grands espoirs en l’Etat et ses représentants tout en faisant preuve d’une évidente
bonne volonté :
3752
Le Courrier de la Vienne du 14 & 15 août 1899.
3753
Le Journal de l’Ouest du 15 août 1899.
3754
Lettre des entrepreneurs poitevins au préfet de la Vienne du 8 avril 1899, ADV M12.113. Grèves [1894 ;
1902].
3755
ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
819

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
« Les soussignés, tous charpentiers, habitant la ville de
Poitiers, ont l’honneur de vous soumettre les revendications des
membres de la Chambre Syndicale en raison de leur situation qui
s’aggrave de jour en jour. Ils osent espérer, Monsieur le Préfet, que
vous voudrez bien accorder votre bienveillance habituelle.
Les prix actuels étant de 40 centimes de l’heure, ils
demandent à ce que ces prix soient portés à 50 au minimum.
Ils ne veulent pas de grève, qui serait préjudiciable à tout le
monde ; ils donneront aux patrons la facilité d’entreprendre les
nouveaux travaux de l’année.
Ils demandent donc que le salaire ne soit augmenté que dans
le courant du mois de mai ou le premier juin prochain au plus tard.
Le numéraire du salaire à la fin de l’année ne se porte pas à
2 francs 50 par jour ; vous pouvez vous rendre compte comme nous
pouvons élever nos familles.
Ils sont avec respect, Monsieur le Préfet, vos très dévoués
administrés 3756 ».
Cette intervention en amont des grèves et plus aisée dans le secteur du bâtiment car les
litiges portent régulièrement sur l’application de tarifs conclus antérieurement dont il est aisé
de constater la réelle application.
Néanmoins, ces médiations sont parfois contestées. Lors de la grève des maçons
yonnais de 1896 le préfet intervient préventivement à la demande des grévistes. Il obtient un
accord après avoir mis en demeure les maîtres maçons d’appliquer les salaires négociés
ultérieurement et manifestement pas appliqués 3757 . La grève tarde à se déclarer. La plupart
des ouvriers ont confiance dans l’initiative préfectorale et dans les recours engagés auprès du
juge de paix. Ils tombent des nues, quelques semaines plus tard quand le juge de paix
considère l’accord passé entre patrons et ouvrier sous l’égide du préfet comme nul et sans
valeur 3758 . Le rôle social des représentants de l’Etat met du temps à pénétrer les mentalités.
Ces médiations de l’autorité publiques concernent aussi d’autres secteurs d’activités.
En 1904 le patron et les ouvriers ferblantiers d’une fabrique d’ustensiles ménagers de Poitiers
3756
Lettre des charpentiers de Poitiers au préfet de la Vienne de mai 1898, ADV M12.142.
Grèves [1884 ; 1909].
3757
Lettre du commissaire spécial au ministre de l’Intérieur du 27 mars 1896, ADVd 10M51. Grèves des
ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3758
Rapport du commissaire spécial du 19 avril 1896, Ibid.
820

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
trouvent un accord en présence du préfet de la Vienne, Gaston Joliet, qu’ils ont choisi eux-
mêmes comme arbitre. L’Avenir de la Vienne 3759 relate cet événement et parle de « sentence
préfectorale » ce qui laisse penser que le préfet a joué plus qu’un rôle d’arbitre. Il a usé de son
prestige pour imposer une solution dans un conflit de faible importance touchant un petit
établissement employant peu de personnes. En 1897, les déchargeurs de charbon et
manœuvres des usines de briquettes des Sables-d’Olonne et de son arrondissement sollicitent
et obtiennent l’intervention du sous-préfet comme médiateur dans le conflit qui les opposent à
leurs dirigeants 3760 .
Cependant, ce sont les secteurs occupant beaucoup d’ouvriers qui focalisent l’attention
préfectorale, de manière plus ou moins affichée. En 1898, les pécheurs de Croix de Vie
regrettent l’attitude trop effacée du sous-préfet dans la grève affectant les conserves de
sardines. Ces regrets montrent bien qu’en d’autres lieux et d’autres temps l’autorité
administrative ne se cache plus derrière les anciens principes de neutralité et joue un rôle actif
dans le règlement des grèves. Un an plus tard, le secrétaire général de la préfecture des Deux-
Sèvres intervient dans une grève provoquée par une quarantaine de gantiers niortais en août
1899. L’intervention d’un subalterne est un indice que le préfet lui-même ne veut pas
intervenir directement et officiellement. Mieux vaut agir dans l’ombre
Le corps préfectoral intervient relativement peu : dans près de 18% des cas et presque
toujours quand l’intervention préalable du juge de paix échoue. Les sous-préfets 3761 et le
secrétaire général de préfecture, dans les arrondissements où est situé le chef-lieu
d’arrondissement, sont en première ligne, le préfet n’intervenant que dans les cas les plus
difficiles. L’autorité préfectorale se doit d’intervenir quand le mouvement revendicatif se
prolonge dans le temps 3762 et/ou qu’il touche un nombre important de personnes. En revanche,
son intervention, nimbée du prestige inhérent à la fonction, résout fréquemment les conflits.
Une grande disparité géographique apparaît. Sur les 32 interventions recensées, 21
concernent la Vendée. Ce déséquilibre s’explique en partie par la nature des industries de ce
département (houillères, sardineries et bâtiment). Le préfet intervient dans les grèves qui
secouent des secteurs à haut potentiel de risques pour l’ordre public – de par la présence
d’organisations syndicale très structurées ou à cause du nombre et de la motivation des
3759
L’Avenir de la Vienne du 29 avril 1904.
3760
ADVd 10M47. Grèves dans les usines et carrières [1897 ; 1936] L’accord conclu sera rejeté par la suite.
3761
Les sous-préfets des arrondissements de Vendée sont en première ligne dans 19% des interventions avant
1914.
3762
En Vendée, l’autorité préfectorale intervient dans 53% des cas quand les grèves durent plus de 7 jours.
821

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
personnes en grève – comme le sont les mines (neuf interventions), les conserveries, le monde
du bâtiment ou du textile, dans une région très sensible politiquement pour le pouvoir en
place. L’autorité municipale y est également moins sollicitée comme elle peut l’être dans les
villes de Niort ou de Poitiers, peut être parce qu’elles sont plus réfractaires aux idées
républicaines et que l’ouvrier n’appartient pas à leur électorat de prédilection.
Ce nouveau rôle de médiateur endossé par les représentants de l’Etat est parfois mal
compris par le patronat plus habitué à les voir abonder en leur sens. Une incompréhension
amplifiée parfois par de nettes prises de position en faveur des ouvriers grévistes.
2.2. L’atténuation du principe de neutralité
La neutralité préfectorale n’est pas toujours absolue. Parfois, l’administration dépasse
le cadre de la médiation. Des préfets, des sous-préfets ou des commissaires n’hésitent pas à
prendre parti en faveur des ouvriers qui revendiquent. « Il ne faut pas s’imaginer les relations
entre les préfets et les ouvriers comme la rencontre de deux mondes hermétiques et
systématiquement hostiles quoique les préoccupations d’ordre public aient été primordiales
aux yeux des préfets 3763 ».
Quelques exemples l’illustrent déjà avant le triomphe définitif de la République en
particulier quand les coalisés agissent pour combattre des situations manifestement iniques.
En 1851, le commissaire spécial des chemins de fer 3764 donne en grande partie raison aux
ouvriers grévistes dont la procédure de paiement est viciée. Payés par acomptes, leurs salaires
sont remis aux chefs de bricole – souvent logeurs ou cantiniers – qui en profitent pour leur
imposer des dépenses injustifiées. Le procureur général du parquet de Poitiers se ralliera par
la suite à cette opinion et ne poursuivra pas les ouvriers.
Plus tard, le sous-préfet de Châtellerault rédige des rapports emplis de mansuétude à
l’égard des ouvriers qui se coalisent dans son arrondissement en 1867 3765 . Le caractère
laborieux de la population locale, la faible gravité des actions menées, la personnalité du sous-
préfet lui-même et le paternalisme inhérent aux dernières années du second Empire expliquent
en grande parti ces prises de positions nuancées.
3763 EBEL (Edouard), op. cit., p.193.
3764 Rapport du commissaire spécial des chemins de fer du 16/17 avril 1851.
3765 ADV M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870).
822

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Une fois la République définitivement installée, le corps préfectoral va intervenir de
plus en plus dans le jeu social et revendicatif départemental. Cependant, cette intervention
directe des représentants de l’Etat dans les conflits sociaux met du temps à être acceptée par
une frange importante de la population et tout particulièrement dans les régions où la
République est mal acceptée comme en Vendée et dans une grande part du nord des Deux-
Sèvres. La tempête qui s’abat sur le député Disleau, arbitre mandaté par le préfet des Deux-
Sèvres lors de la grève des mineurs de Saint-Laurs survenue en 1896, en est une
illustration 3766 .
• Un corps préfectoral parfois suspecté d’encourager
la grève
En 1888, l’intervention du préfet de Vendée et du sous-préfet de Cholet dans la grève
des tisserands de Mortagne et d’Evrunes illustre encore mieux l’incompréhension que peut
ressentir une partie de la société devant cette nouvelle forme d’intervention des agents de
l’Etat. La grève est souvent considérée comme un trouble public, or, désormais, le préfet et
ses agents ne cherchent plus à y mettre fin le plus tôt possible. L’Etat encouragerait même les
grèves puisque ses représentants acceptent de négocier avec les rebelles.
Nombres de journaux hostiles aux républicains relaient cette opinion. La Vendée 3767 ,
journal catholique et monarchiste, estime que le préfet, « ce pacificateur d’un nouveau
genre », encourage les débordements des ouvriers de Mortagne alors que dans le même temps
les démarches du maire d’Evrunes ont permis de maintenir le calme grâce à « quelques bon
gendarmes » dont « l’œil paternel » a rendu possible la reprise du travail. Ce journal poursuit
en rapportant les propos du préfet qui aurait affirmé vouloir employer toute son influence à
faire triompher les grévistes. Il aurait, en outre, demandé à être inscrit sur la liste de
souscription, établie par les grévistes, pour une somme de 300 francs, un acte considéré
comme une caution au mouvement. Selon les rédacteurs, le préfet est loin de sa fonction qui
est de faire entendre la voix de la raison à ceux qui s’en écartent. Un constat non dénué de
visées politiques puisque l’article se termine par une critique du gouvernement et du ministre
de l’Intérieur.
3766 Voir Infra p.830.
3767 La Vendée d’octobre 1888.
823

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
L’Anjou 3768 critique également l’attitude préfectorale. La gazette ne comprend pas que le
préfet ne considère pas comme un délit le fait de siffler et de crier sous les fenêtres des non
grévistes. C’est pour lui une atteinte manifeste au principe de liberté du travail. Le journal
craint que l’Etat n’intervienne qu’une fois constaté des coups et des blessures. Telle est « la
jurisprudence choletaise » ironise-t-il. On reproche aussi au préfet de Vendée de s’étonner
que certains tisserands travaillent. Il irait même jusqu’à les inciter à cesser leur activité. En
réalité le préfet sait pertinemment qu’il n’a pas les moyens humains pour protéger tous ceux
qui ne veulent pas suivre le mouvement social venu de Cholet ; une grève suivie par tous
calmerait les esprits et éviterait la survenue de rixes entre grévistes et non grévistes. Enfin, le
rédacteur accuse le préfet, l’Etat et la République de manifester « le plus grand dédain pour
les patrons qui ne veulent pas faire vivre leurs ouvriers à ne rien faire ».
• Le constat de situations manifestement iniques
A partir de 1884, la volonté étatique de promouvoir une administration médiatrice
explique des prises de positions favorables aux ouvriers. L’autorité ne peut pas toujours rester
insensible à des situations où l’évidence du bien fondé des revendications est patente.
En mars 1896, le préfet de Vendée se dit prêt à recevoir les maîtres maçons pour les
mettre en demeure d’appliquer une hausse des salaires négociée lors d’une précédente
grève 3769 , d’autant plus que les maçons mécontents sont manifestement opposés à cesser le
travail ; la grève étant considérée comme le dernier recours. La même année, le commissaire
de police de Saint-Maixent loue le « vif désir d’arrangement » des menuisiers locaux et de la
chambre syndicale comparé à l’obstination bornée des maîtres artisans 3770 .
A Poitiers, trois années plus tard, Berthes 3771 , un des meneurs de la grève du bâtiment
rapporte des propos du préfet qui attestent d’un soutien réel de l’administration envers les
grévistes. Le représentant de l’Etat aurait qualifié les ouvriers de « gens de cœur » et rappelé
que son intention n’était pas de porter préjudice à ceux qui réclament leurs droits 3772 .
Toujours en 1899, un maître gantier qui affirmait la grève terminée après le congédiement des
3768
L’Anjou du 12 octobre 1888.
3769
Rapport du commissaire de police de La Roche-sur-Yon du 27 mars 1896, ADVd 10M51. Grèves des
ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3770
Rapport du commissaire de police de Saint-Maixent du 20 mai 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves
[1836 ; 1899].
3771
Berthes est alors conseillé municipal de Poitiers et membre de la bourse du travail.
3772
Le journal de l’Ouest du 15 août 1899.
824

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
grévistes accepte de les réembaucher le lendemain d’une entrevue avec le secrétaire général
de la préfecture des Deux-Sèvres 3773 .
En 1909, le sous-préfet des Sables-d’Olonne prend part au conflit. Il expose au préfet de
Vendée son opinion quant à la demande d’augmentation de salaire des sardinières qu’il estime
justifiée pour ces femmes qui travaillent de nuit et dont le salaire « est vraiment bien
minime » 3774 . Au même moment, à Niort, le préfet joue un rôle déterminant dans le règlement
de la grève qui paralyse une partie de l’industrie du gant de la ville. Un rédacteur du
Mémorial des Deux-Sèvres loue l’initiative du préfet Aubanel 3775 « dont les paroles et les
sages conseils n’ont pas été étrangers à la conclusion de la paix » 3776 .
Un an plus tard c’est au tour du sous-préfet de Fontenay-le-Comte d’estimer que les mineurs
de Faymoreau « ne demandent que des choses raisonnables » 3777 . En 1912 il blâme
publiquement les gendarmes qui se sont introduits dans la salle de délibération de la chambre
syndicale 3778 . Même chose, en 1911, quand le sous-préfet des Sables explique au préfet que la
surexcitation des carriers grévistes de Fenouiller n’enlève rien à leurs prétentions « nullement
exagérées » 3779 .
En outre, les membres de l’administration qu’ils soient commissaires ou sous-préfets,
ne manquent pas de critiquer l’attitude fermée du patronat.
• La critique des positions patronales
Ce constat est particulièrement vrai dans le département de la Vendée où les tenants de
la République ont fort à faire face à des forces réactionnaires bien implantées comme le
déplore le sous-préfet de Cholet lors de la grève des tisserands de Mortagne en 1888 3780 .
3773 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 31 août 1899.
3774 Rapport du sous-préfet des Sables-d'Olonne au préfet du 17 mai 1909, ADVd 10M58. Grèves des marins
pêcheurs et dans les conserveries [1889 ; 1927].
3775 Jean-Louis Aubanel (1864-1950). Diplômé de la faculté de droit de Montpellier, ancien avocat au barreau de
Paris de1886 à 1889 et préfet de l’Aude en 1906, il devient préfet des Deux-Sèvres en 1907 et le demeure
jusqu’en 1911. Il finit sa carrière comme secrétaire général de la Seine. Voir la notice biographique in
PELCRAN (Anne), op. cit., p.818.
3776 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 6 mai 1909.
3777 Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte au préfet de Vendée du 18 janvier 1910, ADVd 10M48. Grèves
dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
3778 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., pp.367-368.
3779 Rapport du sous-préfet des Sables-d’Olonne du 6 janvier 1911, ADVd 10M47. Grèves dans les usines et
carrières [1897 ; 1936].
3780 Lettre du sous-préfet de Cholet au préfet de Vendée du 20 octobre 1888, ADVd 10M50. Grèves dans
l’industrie textile [1888 ; 1931].
825

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
En 1895, le commissaire spécial de La Roche-sur-Yon juge comme « vraiment
révoltante » l’attitude des patrons maçons 3781 .
Quelques temps après, en janvier 1901, le sous-préfet de Fontenay fustige « le
mauvais esprit » de la direction des mines de Faymoreau. L’ingénieur directeur Fayet est tout
particulièrement visé. Dans le même temps, il loue le très « bon état d’esprit des
mineurs » 3782 . Précisons que les uns sont conservateurs et les autres plutôt républicains. Même
chose en 1912 où le préfet de Vendée blâme les propos agressifs de la direction des houillères
vendéennes 3783 .
Le sous-préfet des Sables-d’Olonne établit le même constat d’intransigeance patronale
en 1911 lors de la grève du bâtiment sablais 3784 . Cette inflexibilité s’accentue au fil du conflit
quand les revendications passent au second plan derrière les excuses réclamées par les
entrepreneurs locaux. Les ouvriers s’y refusant, c’est le sous-préfet lui-même qui les présente
en leurs noms. Toutefois, son rapport lève toute ambiguïté à propos des véritables fautifs. A
ses yeux il n’y a pas de doute que ce sont les patrons qui ont causé la rupture des
négociations. Il met particulièrement à l’index l’un d’entre qui s’en ait pris violemment au
président du syndicat des ouvriers.
Cette attitude bienveillante envers le monde ouvrier n’est pas absolue en particulier
dans les contrées peu habituées aux agitations sociales où les grèves sont jugées plus
sévèrement. Le commissaire de Luçon, en Vendée, n’exprime aucune sympathie pour les
maçons grévistes de sa ville en 1908. Bien au contraire il affirme que la grève n’est qu’un
moyen « pour éliminer les ouvriers médiocres et paresseux » 3785 . En 1911, le sous-préfet de
Fontenay assimile avec cynisme la grève à un simple renouvellement de personnel 3786 . Un an
plus tard, préfet des Deux-Sèvres, Rang des Adrets 3787 , n’intervient pas directement dans la
3781
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.367.
3782
Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte au préfet du 20 janvier 1901, ADVd 10M48. Grèves dans les
mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
3783
Rapport télégraphique du préfet de Vendée au ministre de l’Intérieur du 7 août 1912, Ibid.
3784
Rapports du 4 et 6 mars 1911, ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ; 1936].
3785
Rapport du commissaire de police de Luçon au commissaire spécial du 10 mai 1901, ADVd 4M195. Conflits
sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3786
Grève des typographes de Fontenay-le-Comte.
3787
Auguste Rang des Adrets (1863-1924). Ancien avocat à la cour d’appel de Paris et chef de cabinet du
ministre de l’Intérieur, il devient préfet des Deux-Sèvres en octobre 1911. Il le demeure jusqu’en janvier 1920.
Voir la notice biographique in PELCRAN (Anne), op. cit., p.819.
826

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
grève qui touche la mine de Saint-Laurs. Il conseille à la délégation venue le voir de saisir le
juge de paix compétent 3788 .
Cependant gardons à l’esprit que le premier souci de l’administration est de garantir
l’ordre public quelle que soit la méthode : « l’attitude des préfets à l’égard des classes
laborieuses est ambiguë, ils se rendent bien compte des difficultés que rencontrent les
ouvriers dans leur vie quotidienne mais se méfient en même temps des troubles qu’ils peuvent
occasionner 3789 ».
Au fil du temps la coercition laisse place à la médiation avec plus ou moins de latitude
selon les régions et les opinions des personnes en place. La grève des mineurs de Saint-Laurs
de 1896 résume à elle seule l’ambivalence des membres du corps préfectoral partagés entre la
manière forte nécessaire et la médiation indispensable dans un soucis constant de maintien de
l’ordre plus que d’équité sociale.
2.3. Un exemple de la gamme d’intervention préfectorale :
la grève des houillères de Saint-Laurs de 1896
Le renvoi d’une trentaine de mineurs syndiqués et la volonté d’augmenter la semaine
de travail d’une journée combiné à la question de l’application la loi du 29 juin 1894 sur la
caisse des retraites de l’Etat provoque la grève des mineurs de Saint-Laurs le 8 février
1896 3790 . Le conflit prend fin plus d’un mois après, le 17 mars, période durant laquelle un bras
de fer s’engage entre une direction campant sur ses positions et des ouvriers remontés. Dans
ce contexte de passions exacerbées, l’administration se doit d’intervenir pour éviter tous
débordements préjudiciables à l’ordre public, à l’intérêt économique du département et aux
mineurs eux-mêmes.
3788
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 11 juillet 1912. Cette délégation comprend le maire de Saint-Laurs et des
mineurs.
3789
EBEL (Edouard), op. cit., p.194.
3790
Les informations concernant ce passage sont toutes issues de la côte ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves
[1836 ; 1899].
827

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
• La premier devoir : maintenir l’ordre
Le souci du préfet, qui n’hésite pas à intervenir lui-même, est avant tout de préserver
l’outil de travail. Les puits sont mis en péril par l’abandon dont ils font l’objet. L’eau s’infiltre
et les inonde. Un effondrement est à craindre.
Dans un premier temps les machinistes grévistes souhaitent coopérer à l’épuisement
de l’eau dans les galeries 3791 . La direction se méfie de cette initiative d’autant plus que des
femmes de mineurs se sont rendues coupables d’avoir éteint les feux nécessaires à
l’exhaure 3792 . Le 11 mars, l’ingénieur demande alors au préfet d’assurer la protection nuit et
jour des hommes qui se chargeront de cette tâche 3793 . Six gendarmes sont disposés à tous les
points sensibles du site. Ils recevront plus tard le renfort de trois brigades des bourgs
alentours 3794 . On évoque même la possibilité de réquisitionner machinistes et chauffeurs pour
procéder à l’épuisement des puits en vertu de l’article 50 de la loi du 21 avril 1810 et du 27
juillet 1880 3795 . Le 12 mars le préfet prend un arrêté prévenant la population de ne point
interférer dans l’opération en cours.
« Le préfet des Deux-Sèvres informe les habitants de la commune de
Saint-Laurs que conformément aux instructions de M. le ministre des
Travaux publics, l’épuisement des eaux et les réparations
nécessaires aux galeries des trois puits de la concessions houillère
de Saint-Laurs commenceront aujourd’hui.
Le préfet rappelle aux habitants les dispositions des articles
414 et 416 du Code pénal ainsi conçus :
Art. 414_ Art. 416.
En conséquence quiconque, homme ou femme, tentera par menaces,
violences, voies de fait ou attroupement tumultueux, de s’opposer
aux travaux sus indiqués, commettrait le délit d’atteinte à la liberté
du travail seront immédiatement traduit par M. le procureur de
la République devant le tribunal correctionnel et frappé des peines
ci-dessus relatées.
3791 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 29 février 1896
3792 Le pompage de l’eau et son évacuation à l’extérieur des puits est appeler « exhaure » dans le jargon minier
3793 Missive de la direction des houillères de Saint-Laurs au préfet du 11 mars 1896
3794 Les brigades de La Chapelle-Thibault, Coulonges et l’Absie
3795 Rapport d’un ingénieur des mines (n°656) du sous arrondissement minéralogique d’Angers du 11 mars 1896
au préfet de Vendée
828

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le préfet rappel en outre aux habitants de Saint-Laurs
qu’aux termes de l’article 106 de la loi municipale de 1884, […]
En conséquence, tous dommages causés par attroupement
soit aux propriétés soit au personnes seraient payés par les habitants
de la commune qui verraient ainsi augmenter la charge de leurs
impôts.
Le préfet engage la population de Saint-Laurs à ne pas
renouveler la manifestation tumultueuse de lundi dernier, ce qui
obligerait la force publique installée en permanence à Saint-Laurs à
assurer par une répression sévère le maintien de l’ordre public ».
L’arrêté mentionne les manifestations qui se déroulées quelques jours auparavant. Le
préfet note « l’irritation latente » des grévistes et en fait part au ministre de l’Intérieur qui
prend le conflit très au sérieux 3796 .
Télégramme du ministre de l’Intérieur au préfet de Vendée :
« je vous recommande de me tenir exactement informé des événements
de Saint-Laurs et de prendre après vous être entendu au besoin avec
votre collègue de la Vendée toutes les mesures nécessaires pour
prévenir et réprimer au besoin les désordres possibles. Ayez soin de
concentrer sur les lieux forces de gendarmerie suffisantes pour assurer
le maintient de l’ordre empêcher tout acte de violence contre le
personnel et la direction de la mine et imposer par leur importance à
la population en grève très surexcitée en ce moment à la suite échec
négociations tentées par vous 3797 ».
Ces précautions ne sont pas exagérées au regard des événements qui viennent de se
dérouler. Fin février, les femmes de mineur manifestent violemment au contraire des leur
maris dont le préfet loue le calme 3798 . Ces femmes se répandent aux quatre coins de la mine.
Une partie d’entre elles envahit la propriété du directeur, le conspue avant de lui demander
audience. D’autres s’introduisent dans un puits où elles éteignent les foyers de la chaufferie
nécessaire à l’exhaure des eaux. Deux gendarmes sont même accueillis à coup de pierres et ne
3796 L’affaire est d’une telle importance que la direction départementale des postes et télégraphes a accéléré les
transmissions entre Niort et Saint-Laurs en supprimant l’intermédiaire de Coulonges, lettre de ladite direction du
27 février 1896.
3797 Télégramme du début mars 1896.
3798 Même si le commissaire spécial rapporte une vive altercation entre un porion et une dizaine de mineurs
venus récupérer leurs affaires à la mine, télégramme du commissaire spécial au préfet du 26 février 1896.
829

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
doivent leur salut qu’à leurs sabres qu’ils brandissent en avant. Il faudra attendre
l’intervention de troupes à pied pour que les mégères soient dispersées. Face à cette situation
quasi-insurrectionnelle, le préfet des Deux-Sèvres se voit dans l’obligation de se transporter
lui-même sur les lieux et de s’y montrer d’une extrême sévérité. Il menace d’arrestation
immédiate et de poursuites correctionnelles tous nouveaux désordres 3799 . Il somme ensuite les
mineurs de ne plus s’opposer par la force à l’épuisement des puits et de constituer des équipes
pour s’y employer.
Illustration 24 : tonne à eau servant à puiser l’eau des galeries (Saint-Laurs) :
Source : MONTOUX (Michel), op. cit., p.124.
La sévérité affichée par le préfet, tout à fait compréhensible dans ce contexte, s’avère
tempérée par certains de ses propos. Tout d’abord, son rapport adressé au ministre de
l’Intérieur dédramatise la gravité de la manifestation tout en estimant nécessaire de créer sur
place un poste permanent de gendarmerie et d’y maintenir deux brigades complètes le temps
des troubles 3800 . Il intervient également auprès de la direction pour la dissuader de rendre aux
ouvriers leurs livrets de travail comme elle en avait l’intention. Une décision ne manquerait
pas de mettre davantage le feu aux poudres 3801 . Ensuite, et surtout, il propose d’essayer de
reclasser les mineurs licenciés. Le préfet a très bien compris que la direction des mines ne fera
aucune concession sur ce point précis. L’échec des très nombreuses médiations préfectorales,
3799
Rapport du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Intérieur, direction de la sûreté générale, du 28 février
1896.
3800
Télégramme du préfet à la direction de la sûreté générale du ministère de l’Intérieur du 27 février 1896. Les
deux brigades sont déjà sur place, aucun autre renfort n’est jugé nécessaire.
3801
Missive du préfet au directeur des mines du 20 février 1896.
830

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
du juge de paix mais aussi celles municipales ou arbitrales du député républicain Disleau l’a
clairement fait apparaître 3802 .
Une fois l’ordre assuré le préfet tente de régler le conflit en ménageant des ouvriers
déjà bien éprouvés et en essayant de remédier un tant soit peu à leurs problèmes.
• La seconde mission : apaiser les antagonismes et
régler le conflit
Le préfet refuse, dans un premier temps, d’accorder des secours aux grévistes en
rappelant le principe de neutralité de l’Etat 3803 : le gouvernement n’a pas à « intervenir dans
les conflits entre patrons et ouvriers » et que des secours octroyés en ce moment
« prendraient le caractère d’un encouragement à la grève ». Néanmoins, il admet que des
aides seront nécessaires une fois le conflit achevé :
« La situation des mineurs en grève va en s’aggravant tous les jours,
leurs très faibles ressources s’épuisant rapidement. Aussi dès que la
grève sera terminée j’estime qu’il y aura lieu de venir largement en
aide à une population laborieuse, très calme, et dont l’attitude
absolument correcte jusqu’ici mérite toute la sollicitude du
gouvernement ».
Une opinion exprimée le 20 février soit quelques jours avant les débordements déjà évoqués,
toutefois, cela l’empêche pas de faire même constat un mois plus tard. Selon lui « la misère la
plus complète règne dans les 200 ménages d’ouvriers qui ont souffert d’une grève de 6
semaines. Les 200 ménages représentent environ 1000 personnes de tous âges qui ne
toucheront aucun salaire avant le 15 avril, la reprise du travail ayant eu lieu le 15 mars 3804 ».
L’autorité préfectorale est tiraillée entre le principe de neutralité de l’administration et le
constat d’une situation inique accentué par la bonne foi manifeste d’ouvriers confiants en la
3802 Le préfet rapporte l’échec de la tentative d’arbitrage opérée par le député Disleau. La direction ne peut
« admettre le principe de concession » et affirme que cette résolution est irrévocable, rapport du préfet au
ministre du 22 février 1896.
3803 Rapport du préfet des Deux-Sèvres au ministre de l’Intérieur du 20 février 1896.
3804 Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur du 23 mars 1896.
831

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
République, comme l’atteste la lettre de la Chambre syndicale des ouvriers mineurs de
Faymoreau adressée au ministère des Travaux publics 3805 .
Néanmoins, le préfet ne peut entreprendre d’actions favorables aux mineurs de peur
d’être accusé d’avaliser la grève, d’autant plus que l’intervention du député républicain a
déplacé le conflit sur le plan politique. Le préfet ne doit pas fournir trop d’arguments aux
adversaires du régime. Résultat, il doit attendre la reprise du travail pour agir avec plus de
liberté. Il prendra alors deux mesures : l’aide à la réembauche des ouvriers congédiés et
l’assistance financière aux mineurs les plus indigents.
Le 11 avril le nouveau ministre de l’Intérieur autorise le préfet à accorder des
transports gratuits aux ouvriers qui doivent se déplacer pour rejoindre un travail qui leur est
assuré 3806 . Dans le même temps, le préfet recommande des mineurs locaux sans travail à des
compagnies houillères du Nord et du Pas-de-Calais situées à Ostricourt, dans l’arrondissement
de Lille, et à Drocourt, dans l’arrondissement d’Arras. Le préfet du Pas-de-Calais en fait état
en précisant que les sept mineurs retenus 3807 par les compagnies doivent se présenter
immédiatement sur place. Il ajoute que ces deux établissements sont les plus difficiles et les
moins rémunérés de la région. Des sommes d’argent sont transmises aux maires pour assurer
le transport des ouvriers, de leur famille et de leur mobilier. Le préfet intercède également
auprès du directeur des mines de Montrelais et Monzeil en Loire-Inférieure pour une famille
souhaitant se rapprocher de leur village natal.
Le préfet est assailli de demandes de reclassement dans des secteurs d’activités divers
et variés. Les mineurs souhaitent se reconvertir et peu importent s’ils quittent leur spécialité.
L’un d’entre eux souhaite se faire embaucher dans les chemins de fer, et sollicite
l’intervention préfectorale pour lui épargner la conscription. D’autres réclament une place
d’aide infirmier à l’hôpital hospice de Niort ou bien encore un poste de cocher ou de garçon
de chambre. Autant de professions que les mineurs occupaient avant d’être employés à la
mine. Le préfet s’emploie à satisfaire ces demandes. Il prospecte dans un large rayon en
faisant jouer ses relations personnelles 3808 . Ainsi, il trouve une place de manœuvre dans une
3805 Lettre du 11 février 1896.
3806 Lettre du 11 avril 1896 du ministre de l’Intérieur au préfet des Deux-Sèvres.
3807 Une note du 30 mars adressée au préfet dresse le portrait des sept hommes choisis : un homme de 46 ans et
ses trois fils âgés de 21, 19 et 14 ans auxquels s’ajoutent trois autres hommes de 34, 24, 30 ans.
3808 Le directeur des mines de Montrelais et Monzeuil répond par l’affirmative à la requête préfectorale dans une
lettre du 13 mars 1896 où il rappelle les marques de sympathie que le préfet, alors sous-préfet de la Flèche, lui
avait donné quand il dirigeait les mines de Sablé.
832

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
usine de briquette à La Rochelle 3809 et une autre dans les ardoisières d’Avrillé près
d’Angers 3810 .
Toutefois, cette sollicitude a des limites. Dans un courrier en date du 4 mai 1896,
l’ouvrier Thibault demande au préfet de s’occuper réellement du travail qui lui a été promis
car l’attente le fait passer pour un fainéant aux yeux de ses camarades.
Simultanément, l’Etat tente d’aider les mineurs les plus pauvres dont la grève a
accentué encore la misère. Le préfet estime cette aide comme « pleinement justifiée par leur
misère et par la correction de leur attitude pendant la grève ». Des impératifs politiques se
greffent aux motivations philanthropiques : « [les mineurs] ont montré dans le représentant
du gouvernement de la République une confiance qu’il serait, à mon avis, injuste et
impolitique, de ne pas justifier en remédiant promptement dans la mesure possible à la misère
qui les étreint 3811 ».
Le maire est chargé d’établir une liste des ouvriers indigents de la commune, une tâche
effectuée en collaboration avec les dirigeants de la mine. Au total 142 personnes sont
recensées, uniquement des hommes chef de famille.
Tableau 90 : situation matérielle des ouvriers des mines classés par état de
fortune au 27 mars 1896 :
Etat de fortune Nombre de personnes concernées Aide prévue
Extrême misère 7 20 francs
Misère 10 15 francs
Très nécessiteux 30 10 francs
833
(trois d’entre eux reçoivent 15 francs)
Nécessiteux 64 -
Peu nécessiteux 31 -
D’après un rapport du préfet au ministre de l’Intérieur du 23 mars 1896, ADDS 11M19.13.A.
Cette liste fait l’objet de critiques de la part des membres du conseil de la chambre syndicale.
On l’a dit mal dressée, incomplète et favorisant des personnes à l’abri du besoin. Les veuves
ayant des familles nombreuses sont également oubliées par le maire. On prie le préfet d’y
3809
Lettre du préfet des Deux-Sèvres au maire de Saint-Laurs du 13 mars 1896.
3810
Lettre en date du 16 mars 1896 émanant des ardoisières de la Renaissance à Avrillé adressée au préfet des
Deux-Sèvres.
3811
Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur du 23 mars 1896.

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
remédier 3812 . Des secours arrivent tout de même. Le 11 avril le ministre de l’Intérieur met à la
disposition du préfet une somme de mille francs prélevée sur les fonds d’extrêmes misères du
ministère et sur ceux de l’assistance publique. Dix jours plus tard, une allocation de 500
francs est débloquée pour aider les ouvriers nécessiteux de Saint-Laurs victimes du
chômage 3813 . Trois semaines plus tard la somme allouée n’est plus que de 285 francs répartis
entre 27 chômeurs 3814 soit l’équivalent de quelques jours de travail. Au fur et à mesure que la
pression retombe l’aide diminue.
Ce conflit illustre bien l’ambivalence de l’autorité préfectorale qui doit sans cesse
jongler entre les recommandations étatiques et les forces en présence à l’échelle locale. Le
préfet doit ménager toutes les susceptibilités pour atteindre son objectif principal qui est le
maintien de l’ordre public mais aussi la promotion de la République. Toutes ses actions vont
dans ce sens qu’elles aient des formes autoritaires ou sociales plus ou moins accentuées selon
la personnalité des tenants de l’autorité.
En amont de l’intervention de l’autorité préfectorale il y a le juge de paix dont la
conciliation peut intervenir dans les grèves depuis une loi du 27 décembre 1892.
b) La conciliation judiciaire
La loi du 27 décembre 1892 relative à « la conciliation et l’arbitrage facultatif en
matière de différends collectifs entre patrons et ouvriers ou employés » symbolise la volonté
d’apaisement social du pouvoir républicain. Le texte donne la faculté aux parties de faire
appel au juge de paix comme conciliateur, avant ou pendant la grève, ou bien à un arbitre
différent en cas d’échec de la conciliation. Le juge peut également s’autosaisir une fois la
grève déclenchée 3815 . Rien n’est imposé. L’initiative est libre et l’éventuel accord soumis à
aucune force exécutoire, mis à part un engagement moral.
3812
Lettre des membres du conseil de la chambre syndicale des ouvriers mineurs de Saint-Laurs au préfet des
Deux-Sèvres du 7 avril 1896.
3813
Courrier du ministère de l’Intérieur, direction de l’Assistance et de l’Hygiène Publique au préfet des Deux-
Sèvres du 22 avril 1896.
3814
Etat justificatif du 15 mai 1896 de l’emploi des 285 francs accordés aux ouvriers de Saint-Laurs victimes du
chômage : 27 ouvriers ont reçu 10 francs et un autre 15 francs.
3815
AUBIN (Gérard), BOUVERESSE (Jacques), op. cit., p.202, voir aussi LIEBAULT (Nathalie), Le juge de
paix face au droit du travail in PETIT (Jacques-Guy) (dir.), Une justice de proximité : la justice de paix (1790-
1958), Paris, 2003, pp.165-180.
834

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le juge intervient dans plus d’un tiers 3816 des grèves recensées dans les trois
départements entre 1893 et 1914 3817 , soit dix points de plus que pour l’ensemble du pays 3818 .
Les professions urbaines organisées autour d’une chambre syndicale sont les plus
enclines à user de ce droit ; 60% des conciliations se déroulent dans les villes importantes des
trois départements : onze à Niort, huit à Châtellerault, six à Poitiers, trois à La Roche-sur-Yon
et deux aux Sables-d’Olonne. La sous représentation du département de la Vendée s’explique
peut-être par le caractère rural prononcé d’une grande partie du département et par le manque
de confiance que peuvent avoir les ouvriers dans les notables locaux fréquemment hostiles à
la République. Dans les campagnes on préfère négocier directement sans aucun intermédiaire.
Le secteur des houillères fait figure d’exception puisque les juges de paix y interviennent huit
fois avant 1914 : quatre fois à Saint-Laurs et quatre à Faymoreau.
Environ 45% des grèves où est intervenu le magistrat se terminent par un résultat
positif pour les grévistes, soit directement après cette intervention, soit après l’intervention
d’un autre arbitre. Il s’agit souvent de conflits de faible intensité où les parties ne sont pas
férocement opposées, où l’accord est déjà à portée de main. L’exemple de la grève des
menuisiers et ébénistes niortais de 1908 l’illustre bien. Devant le juge de paix, un accord est
trouvé dans l’heure entre ouvriers et patrons, tous venus « avec les meilleures intentions » 3819 .
Dans les autres cas la médiation a au moins le mérite de calmer les esprits même si son
efficacité est mise en doute 3820 , tout comme son adaptation au mode de conflit ouvrier.
Dans la presque totalité des exemples ce sont les ouvriers qui font appel à la médiation
du magistrat de leur canton. Rares sont les exemples d’une saisie conjointe du juge. Le préfet,
qui peut être appelé en début de grève à intervenir, pousse constamment les parties au conflit
à se réunir en présence du juge de paix avant tout arbitrage de sa part, comme le prévoit la loi
de 1892. C’est le cas en 1912 quand une délégation de mineurs vient prendre conseil auprès
du préfet des Deux-Sèvres 3821 .
3816
Le pourcentage réel doit être supérieur compte tenu du manque d’informations qui concernent certaines
grèves.
3817
Soit 45 interventions sur 169 conflits du travail entre 1893 et 1914.
3818
BADULESCO (N.), Le rôle du législateur dans la résolution des conflits collectifs du travail, Paris, 1922,
p.89 et DAMOUR (Louis), op. cit., p.110.
3819
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 28 avril 1908.
3820
On constate l’inefficacité des médiations du juge de paix dans les conflits du travail à Saint-Laurs : « comme
d’habitude la médiation du juge de paix reste sans effet », cf. MONTOUX (Michel), op. cit., p.165.
3821
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 11 juillet 1912.
835

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Conformément aux dispositions légales les patrons sont convoqués nommément et doivent
répondre dans un délai de trois jours s’ils veulent que la conciliation ait lieu.
Convocation des maîtres charrons et forgerons de Poitiers par le
juge de paix Giraud du canton sud de Poitiers du 25 mai 1904
« Le juge de paix du canton sud de Poitiers
Vu la loi du 27 décembre 1892
Vu la déclaration à lui faite ce jourd’hui, 25 mai 1904, par
Messieurs… [Liste des ouvriers délégués et des maîtres charrons en
question]
Attendu que la cessation du travail a eu lieu ce matin ; que les
ouvriers susnommés, choisis par la chambre syndicale, et agissant en
cette qualité, nous ont demandé aujourd’hui même, de convoquer, en
vertu de l’article 1 er de la loi susvisé, le comité de conciliation prévu
par ladite loi, et, si besoin est par la suite, le Conseil d’arbitrage ; que
les délégués ci-dessus dénommés doivent représenter les grévistes au
comité de conciliation.
En conséquence, le juge de paix, soussigné, invite Messieurs les
patrons ci-dessus désignés à lui faire connaître, dans les trois jours,
leur acceptation ou leur refus de recourir à la conciliation et à
l’arbitrage réclamé par les ouvriers charrons forgerons.
En cas d’acceptation, les patrons auront également à faire connaître
au Juge de paix les noms, prénoms, qualité et domicile des délégués
qui auraient été choisis, sans que le nombre de ces délégués puissent
être supérieur à cinq ».
Comme déjà évoqué précédemment nombre de patrons estiment la grève illégitime et
sont peu enclins à la négociation. « L’entrepreneur a le sentiment qu’à partir du moment où il
consent à discuter, il perd la direction de son entreprise 3822 ». Très fréquemment le patron ou
les patrons ne répondent pas à l’invitation qu’ils reçoivent dans le délai imparti de trois jours.
Ils prétextent un manque de temps pour se réunir et pour nommer les représentants
nécessaires à l’accomplissement de la procédure, ou bien encore le retard ou l’absence du
courrier destiné à les prévenir. Parfois le refus est explicite et s’exprime dans une lettre. Le
corps préfectoral parvient plus efficacement à contraindre les parties de se rencontrer. Le
représentant de l’Etat use du prestige inhérent à sa fonction afin de compenser sa
3822 ANDRÉANI (Edgard), Grèves et fluctuations : la France de 1890 à 1914, Paris, 1968, p.75.
836

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
méconnaissance des questions professionnelles, une ignorance fréquemment adressé au juge
de paix 3823 , un magistrat auquel il est également fait le reproche d’intervenir trop tard et de
manière facultative.
Cette méfiance patronale est parfois accentuée par l’attitude du juge lui-même qui est
perçu comme un allié des grévistes. Une conciliation qui aboutit à une solution satisfaisante
pour les ouvriers voit les journaux républicains, progressistes ou socialistes adresser des
concerts de louanges et de félicitations au juge cantonal, comme, par exemple, en décembre
1905 lors de la grève des boulangers de Poitiers 3824 ou bien encore en avril 1910 quand Le
Socialiste de la Vienne loue « le doigté » et « l’impartialité » du magistrat, extrêmement
apprécié par la gent ouvrière de l’arrondissement de Châtellerault 3825 .
Il arrive que le juge sorte réellement de sa neutralité et puisse être suspecté de
partialité. Il sort alors de la réserve inhérente à sa fonction. A Challans en Vendée, lors de la
grève des journaliers de 1911, l’autorité judiciaire cantonale n’hésite pas à stigmatiser la
morgue et le mépris des patrons tout en compatissant à la misère ouvrière 3826 . Ailleurs le juge
est à la fois appelée comme médiateur tout en ayant été saisi sur le plan judiciaire par les
parties. Un double emploi qui altère la neutralité du magistrat. C’est ce qui se produit à
Bressuire en 1898 où le juge donne gain de cause aux trois ouvriers maçons licenciés et
condamne l’entrepreneur fautif à leur verser une indemnité de cinq francs chacun, quelques
temps après avoir tenté de jouer son rôle de médiateur dans la grève qui les opposaient 3827 .
Ailleurs, ce sont les bonnes relations affichées entre syndicat et juge qui peuvent
rebuter le patronat. A Châtellerault, en mai 1906, les rédacteurs de L’Eclaireur de la Vienne,
un journal républicain à tendance socialiste, ne tarissent pas d’éloge à l’égard de l’institution
cantonale et de son représentant. Le magistrat Lombard est vivement félicité pour son action
prompte et efficace dans la grève des menuisiers et ébénistes de la ville. L’auteur de l’article
n’hésite pas à le qualifier de « sympathique » 3828 . Un mois plus tard le même Lombard est à
nouveau complimenté pour son intervention grandement favorable aux ouvriers
boulangers 3829 . En juillet le départ du juge est évoqué avec peine. Des rumeurs bien vite
3823
LARGIER (Eugène), Le juge de paix et les lois sociales, thèse droit, Montpellier, 1922, p.60 et OLSZAK
(Norbert), op. cit., p.230.
3824
L’Avenir de la Vienne du 11 et 12 décembre 1905.
3825
Le Socialiste de la Vienne du 29 avril 1911.
3826
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.367.
3827
Rapport du commissaire de Bressuire du 21 février et du sous-préfet de Bressuire du 7 mars, ADDS
11M19.13.A. Conflits et grèves [1836 ; 1899].
3828 L’Eclaireur de la Vienne du 20 mai 1906.
3829 L’Eclaireur de la Vienne du 10 juin 1906.
837

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
démenties par le journal qui réitère encore une fois ses éloges à son égard, ce « bon juge »,
encore une fois si « sympathique ». 3830
L’échec de la conciliation n’est pas pour autant synonyme d’échec définitif des
négociations. Une seconde phase débute où un arbitre doit être désigné par les parties en
conflit. En 1895, le choix des ouvriers mouleurs niortais se porte sur un patron plâtrier
fumiste et un maître brasseur (M. Anselme), alors que leurs deux patrons optent pour un
ancien négociant et un mécanicien (qui refusera par la suite) 3831 . Il est frappant de constater
que les ouvriers désignent deux patrons et aucun représentant syndical ou politique. Notons
qu’auparavant le juge de paix avait tenté une dernière initiative personnelle auprès des deux
patrons qui n’avaient pas pu trouver une position commune 3832 . En fin de compte la grève
cesse sans accord. Un autre comité d’arbitrage doit être désigné un an plus tard avant le
déclenchement de la grève des couvreurs de la ville de Niort. C’est toujours le maître brasseur
Anselme et le secrétaire général de la bourse du travail (M. Galizot) qui obtiennent les faveurs
ouvrières 3833 . Cette intervention échoue faute de réponse patronale et la grève se
déclenche 3834 .
Le comité d’arbitrage est parfois évoqué avant même que le juge de paix intervienne
directement, ce qui laisse supposer que les parties, ou certaines d’entre elles, ont peu
confiance dans l’action du magistrat. Le Républicain de l’Ouest 3835 ne s’en cache pas et
évoque la nécessité d’un arbitrage ultérieur alors que la conciliation n’est pas encore
commencée entre les ouvriers ponceurs de peaux et leurs patrons niortais en 1907.
Dans de très nombreux cas le litige est soumis à l’arbitrage des autorités. Le préfet est
sollicité. Les maires des villes importantes interviennent régulièrement dans les conflits du
travail secouant leur ville. Dans des cas exceptionnels, on fait appel aux députés, en
particulier dans les grèves aux enjeux économiques et sociaux importants.
3830
L’Eclaireur de la Vienne du 8 juillet 1906.
3831
Rapport du préfet des Deux-Sèvres au ministre du 2 août 1895, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves
[1836 ; 1899].
3832
Rapport du juge de paix au préfet du 12 août 1895, Ibid.
3833
Rapport du commissaire de police de Niort au préfet du 16 avril 1896, Ibid.
3834
« Considérant que le Comité général a fait tout son possible pour arriver à ce résultat en convoquant les
patrons à venir se concilier avec leurs ouvriers à la bourse du travail devant monsieur le juge de paix du
premier canton de Niort, ayant en troisième lieu offert, par l’intermédiaire de M. le juge de pax de constituer un
comité d’arbitrage, les patrons n’ayant pas daigner répondre à cette invitation, la Chambre Syndicale des
Ouvriers Couvreurs, d’accord avec le comité général à décidé de se mettre en grève ». Extrait d’une lettre du
secrétaire général de la bourse du travail de Niort au préfet du 10 avril 1896, Ibid.
3835
Le Républicain de l’Ouest du 6 avril 1907.
838

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Le prestige et les responsabilités associés à ces fonctions laissent supposer aux parties en
présence une relative neutralité et une réelle modération. Ces interventions prestigieuses
obligent les patrons à reprendre des discussions jusqu’alors rompue. La lettre de l’ingénieur
des Mines de Saint-Laurs au préfet des Deux-Sèvres le démontre 3836 .
« J’ai pris connaissance de votre lettre du 11 courant par laquelle
vous nous demander de consentir à faire examiner la situation actuelle
par des arbitres.
Malgré le refus d’arbitrage que nous avons opposé à M le juge de
paix, nous voulons bien pour vous être agréable, consentir à cette
nouvelle tentative, étant bien entendu que nous ne seront nullement
tenus d’accepter comme exécutoire la décision des arbitres.
Dans ces conditions nous confions le mandat d’unique arbitre à M le
député Disleau ».
c) Les médiations des élus
L’autorité municipale est en première ligne quand des conflits sociaux secouent sa
commune. Sous la III e République, du fait de leur récente élection par le conseil municipale,
les maires « acquièrent une légitimité et une autonomie qui profitent à leur autorité 3837 ». Ils
ont plus de poids pour intervenir dans les grèves, en particulier celles qui peuvent nuire à
l’équilibre social et économique de leur cité.
Parfois le maire est concurrencé par l’intervention de notables départementaux
(parlementaires ou conseillers généraux) qui usent de leur prestige pour tenter de régler des
conflits du travail particulièrement tendus ou sensibles politiquement comme c’est le cas en
1912 où douze personnes interviennent dans la grève des mineurs de Faymoreau 3838 . Une
bonne manière de gagner, de rassurer ou de satisfaire son électorat.
3836
Lettre de l’ingénieur directeur de la mine de Saint-Laurs au préfet des Deux-Sèvres du 12 février 1896,
Ibid.
3837
BURDEAU (François), op. cit., p.237.
3838
On compte l’intervention du préfet, du sous-préfet, du maire, du juge de paix, du commissaire spécial, du
député, du sénateur, du conseiller général et du ministre de l’Intérieur.
839

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
1. Les interventions municipales
Les maires interviennent dans près de 25% 3839 des conflits du travail recensés entre
1864 et 1914 3840 .
Auparavant, il arrive que les maires interviennent pour tenter de mettre fin aux
coalitions prohibées dans un souci de maintien de l’ordre. C’est le cas dans les bourgs
vendéens du rayon choletais où les antagonismes sont forts et où il semble nécessaire de
rappeler aux tisserands les articles du Code pénal qui leur interdisent de se coaliser 3841 .
L’administration municipale ne doit pas s’immiscer plus loin. A la fin du second Empire, des
maires sont rappelés à l’ordre par le préfet pour avoir autorisé de leur propre chef des
réunions de grévistes 3842 . L’autorité municipale intervient également pour calmer les
tumultueux terrassiers des chantiers de chemin de fer qui se multiplient dans la Vienne au
milieu du XIX e siècle. En juin 1846, le maire d’Ormes, dans l’arrondissement de
Châtellerault, est obligé d’intervenir sur le chantier de Port-de-Pile, revêtu de ses marques de
distinction, pour protéger un entrepreneur mal aimé et évacuer de sa demeure la foule
excitée 3843 .
C’est à partir des années 1890 que le nombre de ces interventions devient réellement
significatif, en correspondance avec l’augmentation du nombre de grèves. A cela s’ajoute une
plus grande liberté municipale depuis l’adoption de la loi du 5 avril 1884 qui consacre
l’élection à bulletins secrets du maire et de ses adjoints par le conseil municipale, lui-même
élu au suffrage universel. Désormais le premier magistrat de la ville n’est plus une simple
courroie de transmission préfectorale mais dispose de prérogatives étendues et d’un pouvoir
politique réel qu’il doit entretenir, en particulier quand la population laborieuse constitue une
grande part de l’électorat local.
L’intervention peut être directe, le maire agit comme médiateur ou comme arbitre si
on fait appel à lui après l’échec de la médiation du juge de paix, ou bien encore indirecte par
la mise à disposition d’un local neutre propice aux négociations entre patrons et ouvriers.
3839 Soit 46 intervention recensées sur 190 conflits du travail.
3840 Voir annexe 29 pour la liste des interventions municipales.
3841 POPEREN (Maurice), op. cit., p.29.
3842 Grève de tisserands en 1870.
3843 Rapport de gendarmerie du 11 juin 1846 au préfet de la Vienne, ADV M4.50 : Correspondances du préfet
(1845-1847).
840

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
L’année 1894 marque le début véritable dans la région du recours à l’autorité
municipale comme arbitre des conflits du travail. Une pratique qui croit au fil du temps
parallèlement à la multiplication des mouvements revendicatifs. Le pic est atteint en 1911
avec neuf interventions.
La moitié des interventions municipale ont lieu dans les villes importantes de la région
et en particulier à Poitiers où les maires interviennent 8 fois entre 1884 et 1914. Ce nombre
supérieur au nombre de médiations du juge de paix au même moment indique que les maires
n’attendent pas d’être appelé comme arbitre pour agir, ils devancent le juge.
Dans les autres villes majeures des trois départements ces interventions sont bien plus
mesurées. On oscille entre deux et trois dans la même période même si ces chiffres paraissent
extrêmement en deçà de la réalité 3844 . A Niort où la municipalité intervient trois fois d’autres
personnes sont choisies comme arbitre après l’échec de la médiation préalable. Les secrétaires
syndicaux, de la bourse du travail ou le maître brasseur Anselme semblent compter plus de
faveurs ouvrières que le premier magistrat de la cité 3845 .
Le maire intervient le plus souvent dans les conflits qu’il juge important, où l’ordre
public est en jeu, et préfère laisser les autres litiges aux bons soins du juge de paix. Le
Socialiste de la Vienne déplore cette attitude en juillet 1911 où la municipalité est accusée de
« délaisser » une grève dite partielle qui ne touche qu’un établissement, une fonderie de faible
envergure 3846 .
L’autorité municipale intervient fréquemment dans les conflits du travail propre au
bâtiment. On comptabilise 19 interventions dans ce secteur sensible regroupant un nombre
d’ouvriers important, bien organisés fréquemment concentrés dans des chantiers intra muros.
Un lien particulier unit le monde du bâtiment et les municipalités par l’entremise des
adjudications de travaux publics. Dans la grève qui secoue Poitiers en septembre 1899, les
grévistes réclament une hausse de leurs paies dans le cadre des chantiers municipaux où l’on
demande l’application d’un décret fixant des salaires minimums. Une raison de plus pour que
3844 Le nombre de ces interventions municipales doit être bien plus élevé mais elles ne figurent pas toujours dans
les rapports de conciliation établis par la préfecture après chaque grève. Florence Regourd estime dans sa thèse
que les maires de La Roche-sur-Yon, des Sables-d’Olonne et de Fontenay-le-Comte sont souvent appelés comme
arbitres, REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.364.
3845 Voir supra.
3846 Le Socialiste de la Vienne du 15 juillet 1911.
841

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Girardin, le maire radical de Poitiers joue un rôle central dans le règlement d’un conflit 3847
touchant plus de 300 maçons et autres spécialistes du bâtiment 3848 . Les ouvriers comme les
patrons incitent le premier magistrat de la ville à trouver une solution. D’autant plus qu’un des
leaders du mouvement – Jean Berthes – appartient lui-même au conseil municipal tout en
étant membre de la bourse du travail. Celui-ci en profite pour faire pression sur le maire qui,
lui-même, rappelle à Berthes les responsabilités inhérentes à sa fonction. Cette double
casquette donne des arguments au patronat qui affirme haut et fort voir dans la grève qu’une
manœuvre politique au profit de la bourse du travail et aux dépends des intérêts réels des
ouvriers 3849 . Plus tard, les grévistes s’étonnent auprès du maire des mesures d’ordre prises à
leur encontre. Le maire s’en dédouane, affirme y être étranger et accuse le commissaire de
police 3850 . Un moyen de garder une certaine neutralité nécessaire à son rôle d’arbitre. Ce
semblant de naïveté semble être la marque de fabrique de Girardin qui affirmait ne pas avoir
connaissance de la grève quelques jours après son déclenchement 3851 . Toutefois, la
municipalité n’est pas totalement neutre dans l’affaire. En effet, si le conseil refuse de voter
une subvention aux grévistes 3852 , chaque conseiller verse à titre individuel 40 francs en faveur
des ouvriers mécontents. L’ouvrier est un électeur potentiel qu’il est nécessaire de
ménager 3853 . Le prestige de la fonction permet au maire d’organiser des réunions de
conciliations auxquelles participe le patronat comme leurs employés. Aucun des
entrepreneurs touchés par la grève ne boycottent la réunion présidée par la maire 3854 alors que
le climat est tendu. Un vrai exploit à la lumière des autres conflits sociaux étudiés. Plus tard,
le maire, qui constate l’essoufflement du conflit, incite les grévistes à accepter les
propositions patronales : « vous n’avez rien voulu rabattre de vos prétentions » ; il parle au
nom du bon sens et rappelle la responsabilité des grévistes vis-à-vis de leurs familles qui
« même avec une augmentation ne rattraperont pas le mois perdu » 3855 .
Citons également la grève du bâtiment d’avril 1911 à Châtellerault où les grévistes
bénéficient de l’appui de l’adjoint au maire Kleber, « l’apôtre de la concorde en même temps
que l’ardent défenseur des intérêts ouvriers » selon Le Socialiste de la Vienne 3856 . Une grève
3847
Le préfet également voir supra
3848
Le syndicat du bâtiment compte près de 350 syndiqués
3849
L’Avenir de la Vienne du 3 septembre 1899
3850
Le journal de l’Ouest du 5 septembre 1899 et L’Avenir de la Vienne du 7 septembre 1899
3851
Le journal de l’Ouest du 15 août 1899
3852
La proposition est refusée par 11 voix contre 7
3853
MARION (Jacques), op. cit., p.137
3854
L’Avenir de la Vienne du 6 septembre 1899 : 18 patrons sont présents alors que le préfet compte 14
entreprises touchées sur les 28 de la ville cf. ADV M12.113. Grèves [1894 ; 1902]
3855
L’Avenir de la Vienne du 9 septembre 1899
3856 Le Socialiste de la Vienne du 29 avril 1911
842

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
dont le dénouement est favorable aux ouvriers, ceux-là ne manqueront pas de féliciter le maire
pour son action impartiale 3857 .
Les maires des communes rurales où sont établies des mines de houille sont appelés à
intervenir dans les conflits du travail qui éclatent régulièrement. Contrairement aux grandes
villes ou aux plus grands bourgs, la mine constitue la préoccupation principale de ces
municipalités. Les mineurs représentent une grande part de la population et de l’électorat. Il
faut aussi amadouer ces habitants pour éviter les débordements, quand l’ordre public est
troublé et que le premier magistrat du village se retrouve en première ligne pour calmer les
esprits surchauffés. De Chantreau, le maire de Faymoreau pendant 51 ans, intervient
constamment en cas de tensions aux mines en se rangeant systématiquement du côté des
mineurs 3858 , ses électeurs. L’Avenir et l’indicateur stigmatise cette attitude dans un article du
1 er mai 1896 : « les électeurs de Faymoreau seraient bien naïfs s’ils se laissaient prendre aux
flatteries et aux manœuvres de M. de Chantreau […] Là, ce sont les membre du syndicat que
l’on cherche à enrôler ». Plus tard, en janvier 1910, Fayet, directeur des houillères se plaint
encore de l’attitude du maire auprès du sous-préfet de Fontenay-le-Comte : « il n’y a pas
d’occasion où M. le maire n’ait pas cherché à nous susciter des difficultés » 3859 .
Un comportement semblable se retrouve chez le voisin de Saint-Laurs. Lors de la grève de
1896 qui secoue cette commune, son maire refuse de rendre aux grévistes leurs livrets
ouvriers comme l’a réclamé le directeur Foujol 3860 et participe activement au reclassement des
mineurs licenciés comme intermédiaire du préfet sur le terrain.
Cette attitude favorable aux ouvriers que l’on rencontre chez les maires des communes
minières est loin d’être la règle dans les communes rurales où le tissage est répandu dans les
campagnes, en particulier dans la frange deux-sévrienne et vendéenne du rayon choletais. Les
maires locaux y sont imprégnés d’idées conservatrices et réactionnaires. Ils voient d’un très
mauvais œil les mouvements sociaux qui trouvent leurs origines à Cholet, un foyer
révolutionnaire prêt à embraser les campagnes alentours. Leur souci unique est le maintien de
l’ordre. En 1888, le maire d’Evrunes ne cesse de réclamer l’appui de l’autorité préfectorale
3857
Ibid.
3858
REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.358.
3859
Lettre du 15 janvier 1910, ADVd 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de
charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
3860
Télégramme du maire de Saint-Laurs au préfet des Deux-Sèvres daté du 21 février, ADDS 11M19.13.A.
Conflits et grèves [1836 ; 1899].
843

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
pour rétablir l’ordre et assurer aux non grévistes la poursuite du travail 3861 . Une initiative
imitée par son homologue de Mortagne-sur-Sèvre. Les deux édiles veulent le transport de
gendarmes sur place. Cette requête est refusée par le préfet de Vendée qui a peur d’aggraver
encore un peu plus la situation. Dans le même temps, les gendarmes eux-mêmes qualifient
d’alarmiste les propos du maire d’Evrunes 3862 , cet « ennemi acharné des institutions » selon
un membre de la chambre syndicale de Cholet 3863 .
Ces maires n’interviennent pas dans ces conflits qui semblent les dépasser et sur
lesquels ils n’ont aucune prise car les négociations se déroulent à Cholet. La tranquillité
semble être leur seul mot d’ordre, d’autant plus que les tisserands, disséminés un peu partout
dans les villages et hameaux des environs, constituent un électorat aux idées conservatrices
fortement ancrées. L’influence de l’Eglise y est très importante. Les mouvements de grèves
sont plus souvent porteurs de contraintes que d’espoirs. Assurer la paix, c’est s’assurer les
votes.
Toutefois, cette attitude s’atténue légèrement avec le temps. En juin 1906, le maire de
La Chapelle-Largeau demande au préfet de venir en aide aux 36 grévistes de sa commune, des
tisserands à la main au « minime salaire » 3864 . Mais nous sommes encore loin d’une réelle
intervention dans le mécanisme revendicatif tel que nous le rencontrons dans les villes
importantes des trois départements.
Ce comportement qui veut que l’on recherche la paix sociale avant toute chose n’est
pas l’apanage des petits bourgs ruraux aux élites conservatrices. En avril 1905, le maire de
Thouars, sollicité par les ouvriers du bâtiment, leur demande de reprendre le travail quitte à
faire valoir leurs droits ultérieurement 3865 . Ils le feront, mais, seulement, sept ans plus tard.
La notion de confiance, qui va très souvent de pair avec les opinions politiques des
parties, est fondamentale dans l’exercice du rôle d’arbitre par les maires. En 1895, les
menuisiers de Saint-Maixent refusent l’intervention du maire et de ses adjoints parce qu’ils
sont fraîchement élus 3866 . La même année les mouleurs niortais fustigent le conseil municipal
3861
Lettres du maire d’Evrunes au préfet du 29 septembre et 3 et 7 octobre 1888, ADVd 10M50. Grèves dans
l’industrie textile [1888 ; 1931].
3862 er
Rapport de gendarmerie du 1 octobre 1888, Ibid.
3863
Lettre du 7 octobre 1888, Ibid.
3864
Courrier du maire de La Chapelle-Largeau au préfet des Deux-Sèvres du 26 juin, ADDS 11M19.13.C.
Conflits et grèves [1902 ; 1931].
3865
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 8 avril 1905.
3866
Rapport du commissaire de police de Saint-Maixent du 20 mai 1896, ADDS 11M19.13.A. Conflits et grèves
[1836 ; 1899].
844

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
de la ville pour son absence d’aide dans leur grève et lui rappelle que les élections
approchent : « les ouvriers devront se souvenir, l’année prochaine, à l’occasion des élections
municipales, de l’attitude du conseil municipal et les travailleurs devront voter pour les
travailleurs, et les bourgeois pour les bourgeois ». Un autre exemple illustre bien l’impact
que peut avoir l’attitude adoptée pendant une grève sur une carrière politique. En avril 1896, à
La Roche-sur-Yon, des policiers font pression au nom du commissaire de police sur le
président de la chambre syndicale pour qu’il ne cite pas les entrepreneurs mis au pilori par les
maçons grévistes, car cela pourrait bénéficier à un autre patron (Benjamin Guillet) qui lui
respect les engagements antérieurs. Guillet souhaite se présenter aux prochaines élections
municipales, un projet qui ne semble pas au goût du pouvoir en place à La Roche-sur-Yon. Le
commissaire spécial regrette cette initiative policière 3867 .
En 1911, le maire de La Roche-sur-Yon intervient pour inciter quatre patrons imprimeurs à
reprendre leurs ouvriers grévistes licenciés « au nom du comité républicain » 3868 . Il ne veut
pas que cette grève fasse le jeu des opposants politiques conservateurs.
Les desseins politiques apparaissent fondamentaux dans les interventions arbitrales
des maires et de leurs conseillers. La connivence d’opinion et la volonté de satisfaire, de façon
plus ou moins spectaculaire, un électorat local explique la plupart du temps la fréquence des
interventions municipales constructives dans les conflits sociaux, comme cela est le cas à
Châtellerault, à Niort ou à Poitiers, où les maires obtiennent des résultats probants, souvent
favorables aux ouvriers. Des travailleurs sans poids politique ont peu de chances de voir le
premier magistrat de leur ville intercéder efficacement en leur faveur, tout au plus il
interviendra pour assurer la paix publique. Ces visées politiques sont encore bien plus
flagrantes quand interviennent des députés et autres notables locaux.
2. Les médiations occasionnelles des autres élites
politiques départementales
Le rôle de médiateur des élites politiques, et plus particulièrement des parlementaires,
dans les conflits du travail reste longtemps exceptionnel. Il faut attendre les dernières années
qui précèdent la Première guerre mondiale pour voir plus souvent des députés, des sénateurs
3867
Rapport du commissaire spécial du 12 avril 1896, ADVd 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment [1879 ;
1936].
3868
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
845

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
ou des conseillers généraux tenter des médiations entre grévistes et patronat. Il n’y a rien à
gagner à se mêler à ce genre de lutte dans des régions où l’électorat ouvrier ne pèse guère.
Même le camp républicain reste longtemps méfiant vis-à-vis des travailleurs fauteurs de
troubles.
La grève des mineurs de Saint-Laurs de 1896 fait figure de contre-exemple. En effet,
le député républicain Disleau y joue un rôle important. Cette médiation a mis du temps à être
acceptée par une direction aux sympathies monarchiques qui refuse dans un premier temps
toute concession 3869 . Néanmoins, elle y est contrainte par la tournure que prennent les
événements et l’obstination des grévistes. Bien vite, le député va se servir de cette grève
comme d’une tribune pour se présenter comme le défenseur des travailleurs et renforcer son
implantation politique. Il obtient rapidement quelques concessions salariales, mais n’obtient
pas la réintégration des ouvriers licenciés, le véritable nœud du problème. La volonté des
grévistes de partager le temps de travail n’est pas prise au sérieux par le directeur 3870 .
D’ailleurs le député lui-même n’est pas considéré avec beaucoup d’égards par la direction de
la mine. Si le directeur Foujol est présent pour le rencontrer, l’administrateur, lui, n’a pas pris
la peine de se déplacer et reste dans sa propriété de Saône-et-Loire. Un problème de taille car
aucune décision ne peut être prise sans lui et chaque proposition doit lui être transmise, d’où
des pourparlers qui traînent en longueur et un député qui perd chaque jour de sa crédibilité.
Disleau se plaint de cette attitude et le fait savoir par voix de presse et d’affichage. Un article
paru dans le Mémorial des Deux-Sèvres stigmatise la mauvaise volonté patronale. Le journal
abonde dans ce sens en dénonçant le procédé « légal mais odieux » de pourrissement de la
grève destiné à faire fléchir des ouvriers aux abois 3871 . Disleau fait même placarder sur place
une lettre ouverte à la direction :
« Monsieur l’administrateur,
Je reçois seulement ce matin la réponse à la communication que
j’avais eu l’honneur de vous faire au nom des ouvriers grévistes de
Saint-Laurs.
Ils attendent cette réponse avec une impatience que vous ne semblez
pas partager, si j’en juge par la tranquillité avec laquelle vous
demeurez éloigné de Saint-Laurs, tout en alléguant pourtant que vos
3869 Les actions du juge de paix et du préfet ont échoué. Sur l’opposition patronale dans les mines à toute
médiation voir TREMPÉ (Rolande), Arbitrage et secteur houiller…, op. cit., p.70
3870 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 29 février 1896
3871 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 5 mars 1896
846

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
établissements seraient menacés à chaque instant par les violences des
ouvriers grévistes.
Ceux-ci auront demain votre réponse ; à eux seuls appartient de
faire connaître l’impression qu’ils doivent éprouver.
Mais vous me permettrez de vous exprimer personnellement et en
quelques mots la douloureuse surprise que me cause votre
intransigeance soutenue.
Si le sort des grèves est justiciable de l’opinion, comme on l’a dit,
celle-ci devrait triompher, car il est impossible que l’opinion ne
condamne pas votre obstination à ne rien céder.
[Le député évoque ensuite les revendications des grévistes 3872 ]
M. le maire de Saint-Laurs a entendu comme moi, ces déclarations,
et il sera étonné comme moi de voir que vous ne paraissez aucunement
disposé à suivre cette voie, qui pouvait, elle aussi, préparer la
conciliation.
J’avais cru, je l’ai écrit, que l’entretien de vendredi dernier avait
marqué quelque détente dans les dispositions de votre administration.
Votre lettre me prouve que je m’étais trompé. Le plus grave est
qu’elle confirmera tout le monde dans ce sentiment que votre attitude
est absolument excessive. Personne ne comprendra comment vous
persistez à ne rien entendre sur les deux seuls points qui font le
conflit ; et je me demande si on ne cherchera pas ailleurs les raisons
de votre obstination.
Vous savez que la grève de Saint-Laurs a fait l’objet de
communications déjà nombreuses à la presse. Vous ne trouverez pas
mauvais que je publie ma lettre. Le jugement de l’opinion hâtera, je
l’espère, la solution du conflit.
Veuillez agréez, Monsieur l’Administrateur, l’expression de mes
sentiments les plus distingués.»
Ces initiatives poussent les adversaires du député à l’accuser d’inciter à la grève et
d’exacerber les antagonismes. L’administrateur lui reproche sa violence 3873 et un journal
monarchiste en vient même à rappeler les propos du procureur de la République de Toulouse
à l’encontre des journaux et députés qui avaient excité les grévistes de Carmaux lors d’un
3872 Voir supra p.830 pour le descriptif de la grève des mineurs de Saint-Laurs de 1896.
3873 Le Mémorial des Deux-Sèvres du 10 mars 1896.
847

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
procès intenté contre eux 3874 . En définitive, cette intervention a peu servi les intérêts des
ouvriers mais a fait beaucoup pour le député et ses visées politiques qui a pu asseoir un peu
plus sa popularité auprès des mineurs en se targuant d’être leur défenseur face à une direction
et un environnement hostile 3875 .
Les élus prennent part à des conflits qui, souvent, relèvent de l’exception soit par
l’intensité du mouvement soit par la nature même de la grève comme c’est le cas en 1908
quand les ouvriers d’une papeterie de Cugand cessent le travail pour protester contre les
mesures d’hygiènes imposées par l’Etat à leur entreprise. Un conseiller général et des
candidats républicains au sénat se joignent aux maires locaux et aux ouvriers dans le cortège
de protestation 3876 .
Les houillères sont l’objet principal de l’intérêt de ces élites, à l’image de Saint-Laurs
en 1896. Un domaine d’activité où les grèves ont un fort retentissement politique d’autant
plus que les sites sont enclavés dans des régions conservatrices et réactionnaires. Les ouvriers
voient en ces personnes des hommes de confiance en qui ils peuvent fonder quelques espoirs.
En 1900, le conseiller général Pineau, aidé par le juge de paix, intervient pour calmer les
esprits surchauffés des mineurs qui s’opposent à la direction à propos du sort du contremaître
détesté Dujardin 3877 .
En septembre 1910, les grévistes de Saint-Laurs reçoivent la visite et le soutien spontané du
conseiller général Jean 3878 . Cette initiative n’est pas du tout appréciée par le juge de paix du
canton qui doit y voir, à la fois, une immixtion dans ses prérogatives et une politisation du
conflit qui ne lui sied guère.
Deux ans plus tard, c’est au tour du député Veillat 3879 d’intervenir à Faymoreau. Celui-ci est
familier du site puisqu’il en fait un de ses lieux privilégié de déplacement. En 1910, il réserve
65% de ses visites aux populations houillères et 57% en 1914. Cet engouement exacerbé pour
la classe ouvrière lui vaudra de perdre les élections de 1914 3880 . En attendant, les autorités ont
parfois recours à son influence (et à celle conseiller général Constantin 3881 ). En 1912, le sous-
préfet fait appel à Veillat qui se présente comme « le défenseur et l’ami des prolétaires ».
3874
Revue de l’Ouest du 7 mars 1896.
3875
MONTOUX (Michel), op. cit., p.164.
3876
ADVd 4M195. Conflits sociaux. Grèves [1895 ; 1914].
3877
Ibid.
3878
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 6 septembre 1910.
3879
Il est député de la première circonscription de Fontenay élu en 1910 comme républicain démocrate.
3880
Il se déplace aussi beaucoup auprès des ouvriers de la Châtaigneraie.
3881 Un républicain de gauche.
848

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
Malheureusement pour lui, sur place, il ne trouve aucun interlocuteur à qui parler 3882 . Il n’est
manifestement pas l’ami du patronat !
Les charbonnages du Poitou n’ont pas le monopole de type d’intervention. En
septembre 1910, le sénateur Poulle intervient dans la longue grève des menuisiers et ébénistes
de Poitiers. Cette intervention aurait été requise par les ouvriers même si ces derniers le
réfutent 3883 . En fait, il participe aux négociations entre ouvriers, municipalité et préfecture,
visant à l’application d’une loi du travail permettant d’introduire dans les cahiers des charges
des travaux publics départementaux une clause rendant obligatoire le paiement du salaire
normal 3884 . Ce principe sera accepté plus tard par le préfet comme par la municipalité.
A ces interventions s’ajoutent également celles d’autres autorités extérieures. C’est le
cas de l’ingénieur des mines intervenant à Saint-Laurs en 1908, après l’échec du juge de
paix 3885 .
Si le Poitou est loin d’être un précurseur et un fer de lance en matière de mouvements
sociaux, « l’exception choletaise » mise à part, la revendication s’installe lentement dans
l’esprit des travailleurs parallèlement à la reconnaissance étatique de la question sociale et au
développement des institutions syndicales plutôt tardive dans la région.
Toutefois, si on retrouve l’ensemble des caractères nationaux des grèves à l’échelle
poitevine, ceux-ci se caractérisent tout de même par la faiblesse des thèmes nationaux propres
au sentiment de classe émergeant à l’époque et par l’omniprésence des revendications
« primaires », notamment salariales.
Néanmoins, la grève devient un moyen efficace de progrès social, en devançant le
législateur qui joue un rôle d’inspirateur à partir de la fin des années 1890, comme le montre
la réduction des heures travaillées obtenues après un mouvement revendicatif.
En outre, même si le maintien de l’ordre public demeure l’absolue priorité,
l’administration intervient de plus en plus dans le jeu revendicatif, soit pour imposer une
concertation soit, plus rarement, pour régler elle-même le conflit. Toutefois, ces interventions
sont plutôt ciblées à des domaines sensibles tels que ceux du bâtiment, des mines, ou des
3882 Rapport du sous-préfet de Fontenay-le-Comte au préfet de Vendée du 16 août 1912, ADVd 10M48. Grèves
dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les mines de charbon de Faymoreau [1896 ; 1930].
3883 L’Avenir de la Vienne du 5 septembre 1910.
3884 L’Avenir de la Vienne du 19 et 20 septembre 1910.
3885 ADDS 11M19.13.B : conflits et grèves.
849

Chapitre 2 : l’épreuve du quotidien
conserveries de poisson. De plus, les pouvoirs publics sont contraints d’intervenir quand les
mouvements sociaux commencent à durer : en Vendée 53% de leur intervention ont lieu
quand la grève dépasse les 7 jours 3886 . Enfin, l’intervention des autorités est plus fréquente
quand des organisations syndicales sont actives au sein des grèves et jouent un rôle
d’interlocutrices privilégiées. L’intercession préfectorale, voire municipale, est plus
fréquemment couronnée de succès en comparaison de l’action beaucoup plus ordinaire du
juge de paix, tout d’abord parce qu’elle est postérieure à celle du magistrat cantonale et
surtout parce qu’elle est nimbée d’un prestige et d’un pouvoir que le juge ne possède pas.
3886 REGOURD (Florence), Grèves et ouvriers vendéens (1840-1940), op. cit., p.369.
850

CONCLUSION
Au fil des pages de cette enquête s’est esquissé une image contrastée de l’ouvrier du
XIX e siècle à la fois méconnu et craint des autorités publiques.
Le travailleur industriel semble être en proie à un a priori défavorable qui le poursuit
perpétuellement. L’administration s’en méfie à toute occasion, fréquemment sous l’influence
des consignes ministérielles qui transposent à l’ensemble de la France une réalité et des
enjeux propres aux régions fortement industrialisées. Une telle défiance est manifestement
exagérée dans les régions où les ouvriers industriels constituent une population marginale. En
dépit de la révolution industrielle peu se sentent concernés par les grands enjeux sociaux de
l’époque. Les attaches sont loin d’être rompues avec le monde rural ou artisanal. Le sentiment
d’appartenir à une catégorie sociale originale demeure vague. Les combats collectifs passent
au second plan derrière le rêve de devenir propriétaire d’un petit lopin de terre ou de posséder
son propre atelier, ou celui, plus simple, d’améliorer son quotidien ; la prépondérance des
revendications purement salariales lors des grèves l’atteste.
Le nomadisme inhérent à certains métiers, les remuants chantiers de chemin de fer, le
rare sentiment de classe propre à certaines professions, l’existence circonscrite d’ouvriers
politiquement investis et influents ou les frasques provocatrices de quelques-uns sont autant
d’exceptions qui suffisent à raviver régulièrement les braises de la méfiance dans tous les
rouages de la machine administrative.
Cette crainte est manifestement exagérée même dans les localités les plus avancées
socialement et politiquement comme peut l’être la ville de Châtellerault. Une cité, quoi qu’on
en dise sur place, où l’ouvrier n’est guère sensible aux discours les plus enflammés car il est
avant tout républicain. Le catholicisme social y trouve également des partisans, signe du très
relatif extrémisme politique des travailleurs locaux. Plus tard, au tournant des deux siècles, si
les ouvriers de la cité se convertissent au socialisme ils sont plus réformistes que
révolutionnaires. Malgré cela, la présence intra muros d’une manufacture d’armes exacerbe
l’appréhension des autorités publiques à l’encontre des populations laborieuses pourtant bien
plus dociles que celles de ses voisines de Limoges, d’Angoulême ou de Nantes.
851

Mais en dehors du strict maintien de l’ordre, l’ouvrier semble ignoré en tant que tel par
les pouvoirs publics poitevins. Il disparaît alors au beau milieu des masses rurales majoritaires
parmi lesquelles il fait parfois même figure de privilégié. Les enquêtes statistiques de la
première moitié du XIX e nous dépeignent des travailleurs industriels vivant mieux que leurs
homologues agricoles. En effet, dans un premier temps, les salaires ouvriers semblent plus
élevés que ceux perçus par les journaliers, domestiques et métayers travaillant dans les
champs. La forte demande d’ouvriers et d’artisans dans les campagnes où ils sont rares
explique dans un premier temps cette différence. Cependant, la quantité de main-d’œuvre
augmentant et le niveau de qualification requis diminuant, les salaires ouvriers stagnent pour
rejoindre celui de l’employé de ferme, qui lui est nourri de surcroît. De même, on ne tient pas
souvent compte de la différence importante de niveau de vie entre les villes, leurs faubourgs
et la campagne profonde. Le seul écart des taux de salaire bruts suffit généralement aux
autorités pour conclure que les travailleurs industriels et artisanaux vivent correctement. En
dehors des périodes de crise et chômage massif, il faut une situation matérielle
indubitablement difficile pour que l’on s’alarme du sort des ouvriers dans les préfectures à
l’image des rapports rédigés à propos des tisserands à la cave du rayon choletais. Là encore le
spectre du désordre planant sur la misère le commande.
Il est paradoxal de constater que les rapports officiels considèrent que l’ouvrier vit
convenablement alors que dans le même temps il est secouru en tant que pauvre, catégorie
sociale avec laquelle il est souvent confondu. Cependant, il va de soi qu’à l’époque il vaut
mieux aider un pauvre qu’un ouvrier car le citer en tant que tel serait déjà un pas vers la
reconnaissance de sa condition particulière, idée à laquelle on se refuse catégoriquement.
Cette façon de faire pourrait rapprocher, mutatis mutandis, de la situation actuelle que vivent
certains travailleurs, sauf qu’en l’occurrence les dénominations sont inversées : désormais
mieux vaut parler de travailleurs précaires que de pauvres. Et pourtant certains constats
propres aux premières heures de l’époque industrielle s’avèrent encore d’une redoutable
actualité : « la précarisation et l’intermittence des revenus favorisent la disparition de la
frontière entre pauvres et travailleurs 3887 » affirme Alain Clément à propos des centres textiles
du Nord de l’Angleterre à la fin du XVIII e siècle.
La misère en elle-même importe peu à une administration imprégnée des idéaux
libéraux propres à l’époque quand l’ordre public n’est pas menacé. On préfère laisser le soin
3887 CLÉMENT (Alain), Le rôle des économistes dans la politique d’assistance aux pauvres (XVI e -XX e siècle),
BHSS, Paris, 2001, n°41, p.31.
852

aux institutions charitables ou philanthropiques de soulager les maux des plus nécessiteux
dans le prolongement des pratiques de l’Ancien Régime. En outre, les enjeux sociaux passent
au second plan des préoccupations étatiques en dehors des grands centres où l’industrie se
concentre. La mission fondamentale pour le gouvernement tient moins à ce que
l’administration fasse bien son travail mais à ce qu’elle soit soumise idéologiquement et
politiquement au pouvoir et au Prince 3888 .
Cependant, l’Etat, à défaut de mener localement une réelle action sociale, joue
forcément un rôle de catalyseur en montrant la voie à suivre par l’intermédiaire de sa
législation. Le mouvement général de réduction du temps de travail qui s’opère à partir des
années 1900 est initié « par imitation » de la loi Millerand-Colliard, texte portant uniquement
sur les ateliers mixtes.
Au surplus les particularités de l’administration préfectorale de ces départements –
préfets jeunes débutant une carrière dans la Vienne ou en fin de parcours dans les Deux-
Sèvres –expliquent partiellement le peu d’implication ou d’intérêt dans la valorisation du tissu
économique et social des contrées qu’ils administrent : le maintien de l’ordre et la lutte contre
l’opposition politique demeurent toujours la priorité absolue 3889 . Enfin, les préfets, quels
qu’ils soient, doivent être à l’image de leur département. S’il est rural, il doivent privilégier
les enjeux ruraux défendus par les grands notables généralement propriétaires terriens. Le sort
des ouvriers passe forcément au second plan.
Néanmoins, le portrait de l’ouvrier poitevin du XIX e siècle possède de multiples
facettes en raison notamment du large panel d’activités qui y sont développées : de l’artisan
pur et simple au travailleur industriel de la Manu en passant par l’ouvrier des campagnes –
oeuvrant en atelier ou à domicile – ou le mineur des houillères. Cette diversité dans l’unité se
traduit par des attentes et des préoccupations différentes selon les départements ou les villes,
autant de lieux où les enjeux politiques, sociaux, démographiques voire religieux diffèrent.
Cette hétérogénéité explique en grande partie l’attitude parfois contrastée des pouvoirs
publics à l’égard ou à l’encontre de la classe ouvrière, du moins celle que l’on présente
comme telle.
3888
Voir l’analyse d’Anne Pelcran dans sa thèse consacrée aux Deux-Sèvres et à la Vienne, PELCRAN (Anne),
op. cit.
3889
Le préfet de la Vienne Alphonse Levert, en poste de 1860 à 1864, se consacre uniquement à la lutte contre
les forces cléricales pictaves alors, qu’une foi nommé dans le Pas-de-Calais, il s’investit personnellement dans la
construction des lignes de chemin de fer locales, cf. PELCRAN (Anne), op. cit., p.662 et notice
biographique p.757.
853

Ces caractères perdureront longtemps après la Grande Guerre dans les houillères du
bas Poitou, à la manufacture d’armes de Châtellerault, dans les confiseries sablaises et surtout
dans les campagnes du nord de la Vendée et des Deux-Sèvres où les modes anciens de
production se perpétuent, même si la notion d’ouvrier va définitivement se simplifier. Au
XX eme siècle, il est uniquement un salarié qui concourt directement à la production. Les
frontières floues de jadis entre l’artisanat et le monde industriel disparaissent. Le monde de
l’usine se sépare de celui de l’atelier. Le travailleur à domicile, qui demeure exceptionnels
dans certains secteurs comme celui de la confection, n’est plus confondu depuis longtemps
avec un maître artisan.
Diffuse au XIX e siècle, l’industrie poitevine le reste jusqu’à nos jours. Le caractère
rural prédomine encore : le taux d’urbanisation des Deux-Sèvres est de 52,4%, soit plus de 20
points de moins qu’au plan national 3890 ; la Vendée est le cinquième département agricole de
France, 7,6% de sa population active appartient au secteur primaire 3891 et 77% de sa superficie
est utilisée à des fins agricoles 3892 ; dans la Vienne 12% des emplois sont occupés dans
l’agriculture et un actif sur deux en dépend 3893 .
A côté d’un artisanat encore assez développé – le bâtiment représente 44% des
entreprises vendéennes 3894 – des oasis industrielles parsèment, comme par le passé, le
territoire qui constituait l’ancienne province du Poitou. Châtellerault et sa proche région
demeure un centre important où l’on compte encore maintes activités liées aux domaines
mécaniques ou aéronautiques 3895 . Quelques grands groupes sont aussi installés à Poitiers tels
Schlumberger, Michelin ou Dassault. En revanche on ne compte que trois entreprises de plus
de 300 salariés dans tout l’arrondissement de Montmorillon 3896 .
Dans les Deux-Sèvres quelques centres d’activités émergent particulièrement dans le Nord du
département, là où s’étendait jadis « le rayon choletais ». C’est ici par exemple qu’est établi le
3890 Taux d’urbanisation national : 74,4%, source : préfecture des Deux-Sèvres [en ligne] http://www.deuxsevres.pref.gouv.fr/
(consulté le mercredi 19 mars 2008).
3891 La Vendée occupe les premiers rangs nationaux en matière d’élevage de bovin, lapins ou de canards à rôtir.
3892 Source : préfecture de Vendée [en ligne] http://www.vendee.pref.gouv.fr/intpref85/index.asp (consulté le 19
mars 2008).
3893 Source : préfecture de la Vienne [en ligne] http://www.vienne.pref.gouv.fr/ (consulté le 19 mars 2008).
3894 Source : préfecture de Vendée [en ligne] http://www.vendee.pref.gouv.fr/intpref85/index.asp (consulté le 19
mars 2008).
3895 Citons parmi les compagnies les plus importantes : Valéo, Magneti Marelli, Thales, Fenwick, Snecma.
3896 Parmi lesquelles la fabrique de porcelaine de Chauvigny Deshoulières.
854

carrossier Heuliez 3897 . Ajoutons aussi plus au Sud, à Niort, les établissements Rougier,
spécialiste du bois tropical 3898 , ou bien encore l’industrie chimique à Melle.
Un constat identique peut être fait en Vendée même si le tissu industriel semble plus resserré
avec un maillage plus important de PME-PMI 3899 . L’agro-alimentaire y tient une place
majeure autour d’entreprise « phare » comme Fleury-Michon ou Sodebo. Les conserveries
perdurent à l’image des établissements Gendreau ou Vif argent de Saint-Gilles-Croix-de-Vie.
Dans la continuité du textile choletais la confection est le troisième secteur d’activité du
département. Enfin, en plus du secteur de l’ameublement ou de la mécanique, il y a la
construction navale qui fait de la Vendée le premier pôle mondial de la construction de
plaisance.
Enfin l’étude montre l’importance du mouvement revendicatif dans l’amélioration de
la vie de l’ouvrier. Ici point de grands enjeux nationaux ou de lutte des classes, l’ouvrier reste
à l’échelle de son atelier et se bat seulement pour son pain quotidien. Le droit de grève, une
fois « domestiqué », devient, dans la plupart des cas, un moyen efficace de faire progresser
son pouvoir d’achat ou d’obtenir une diminution du temps de travail, sans l’appuie du
législateur dont les textes font figure de source d’inspiration.
Cependant, certains obstacles aux progrès sociaux demeurent intemporels. Si la
législation a beaucoup changé et a permis de faire évolué les mentalités certaines formes de
résistances perdurent. A côté du patronat mettant en avant certains impératifs économiques,
qui ont désormais tout entier absorbé les anciennes justifications idéologiques voire
juridiques, on s’aperçoit que les bénéficiaires eux-mêmes des lois sociales peuvent s’y
opposer. Il est fréquent de constater qu’une une grande part des ouvriers considère les
avancées sociales – limitation du travail des enfants, diminution du temps de travail,
assurance obligatoire – comme des handicaps synonymes de perte salariale. Cette attitude n’a
pas disparu notamment dans les périodes où l’activité économique est en récession :
l’exemple actuel l’atteste dans ces moments de concurrence acharnée sur le marché mondial
et de flambée des prix des matières premières. Quelque soit l’époque quand les temps
deviennent ardus, les préoccupations purement économiques ou salariales prennent le pas sur
les éventuels progrès sociaux. Des avancées qu’une minorité a dû maintenir contre vents et
3897
A Cerizay à l’ouest de l’arrondissement de Bressuire.
3898
Niort vit avant tout d’une activité tertiaire importante centrée autour du mutualisme qui en fait la capitale
française du secteur.
3899
La Vendée a la plus forte densité artisanale de la région des Pays de la Loire (16,1% pour 1000 habitants),
Source : préfecture de Vendée [en ligne] http://www.vendee.pref.gouv.fr/intpref85/index.asp (consulté le 19
mars 2008).
855

marées afin, qu’avec le temps, elles finissent par être acceptées et reconnues comme
absolument nécessaires.
856

Tables des matières
TABLE DES MATIÈRES
Sommaire…………………………………………………………………………………………....... 8
Introduction……………………………………………………………………………………… 9
Première partie : L’avènement d’une réalité
ouvrière [1814-1914]……………………………………………………………....... 39
Chapitre 1 : La lente évolution d’une population
particulière……………………………………………………………………………………... 40
Section 1 : Des professions fruits de la modernité............................................... 40
I- Les activités industrielles poitevines post révolutionnaires............................ 41
A- Les sites de populations ouvrières……………………………………………. 41
a) Châtellerault et les ouvriers de la Manufacture d’armes………………. 42
1. De l’origine à la maturité………………………………………………………... 42
2. L’âge d’or de la « Manu ».................................................................................... 46
b) Le bas Poitou et ses mineurs………………………………………………... 48
1. L’attribution des concessions…………………………………………………… 49
2. Une exploitation difficile………………………………………………………... 52
3. Les verriers de Faymoreau……………………………………………………… 55
4. Un contingent ouvrier soumis aux aléas de la production………………………. 56
B- Les nouvelles professions………………………………………………………. 59
a) Les sardinières et boîtiers des conserveries vendéennes………………. 59
1. L’innovation capitale d’un confiseur nantais…………........................................ 59
2. L’essor de la sardine en conserve……………………………………………….. 61
b) A l’origine de l’industrie de la chaussure choletaise…………………… 67
c) Les brossiers………………………………………………………………….… 70
1. Les fabriques et filatures de crins……………………………………………….. 70
2. Les fabriques de brosses et de pinceaux………………………………………… 71
d) La naissance des métiers agro-alimentaires……………………………… 72
1. Les huiliers……………………………………………………………………… 72
2. Les sucriers ……………………………………………………………………... 74
e) Les industries chimiques……………………………………………………... 76
f) La brève et folle aventure automobile niortaise………………………..... 77
II- Les caractères de la « grande industrie » poitevine……………………………. 80
A- La suprématie contestée du secteur textile………………………………….. 81
B- Une faible concentration industrielle………………………………………… 85
C- Le textile, archétype du modèle proto-industriel………………………….. 88
a) Une activité aux racines régionales profondes…………………………... 88
b) Les principaux foyers d’activités ………...………………………………... 92
1. Les ateliers et fabriques clairsemées……………………………………………. 94
1.1 Les fileurs et tisseurs des fabriques et usines proches des capitales
urbaines………………………………………………………………………… 94
1.2 La Gâtine poitevine un vieux cœur textile fatigué………………………… 102
857

Tables des matières
2. Les tisserands de la vallée de la Sèvre nantaise………………………………… 108
2.1. Les grandes fabriques choletaises…………………………………………. 109
2.2 Un modèle de proto-industrie contemporaine…………………………….. 114
2.3 Les fondements de l’industrialisation du bocage vendéen ……………….. 121
2.4 Fabriques et ateliers textiles du val de Sèvre vendéen …………………… 124
Section 2 : Des professions émergeant d’un océan de ruralité…………... 128
I- Du savoir-faire artisanal à la production industrielle……………………... 128
A- Des activités aux racines ancestrales………………………………………… 129
a) Les travailleurs du cuir……………………………………………………….. 129
1. Chamoiseurs et gantiers niortais……………………………………………........ 129
1.1. Une industrie sensible au marché …………................................................ 131
1.2. La famille Main, une grande lignée de la chamoiserie et de la ganterie….. 135
1.3. Les industries résiduelles………………………………………………….. 137
2. Tanneurs, corroyeurs et cordonniers……………………………………………. 138
b) Les travailleurs du métal……………………………………………………... 140
1. Couteliers châtelleraudais……………………………………………………….. 141
1.1. Un artisanat ancien et réputé………………………………………………. 141
1.2. Les ateliers de coutellerie modernes………………………………………. 144
2. Forgerons poitevins……………………………………………………………... 149
2.1. La forge de la Peyratte…………………………………………………….. 150
2.2. Les forges du montmorillonais……………………………………………. 153
c) Permanence et essor du travail de la terre et de ses ressources :
potiers, verriers, tuiliers et chaufourniers………………………………… 157
1. Potiers, faïenciers et porcelainiers………………………………………………. 157
1.1. La faïence à Parthenay…………………………………………………….. 159
1.2. La céramique et la porcelaine chauvinoise………………………………... 160
2. Tuiliers, briquetiers et chaufourniers……………………………………………. 163
d) Les charpentiers de marine sablais………………………………................ 167
e) Les ouvriers du livre ………………………………………………………….. 170
1. L’imprimerie poitevine …………………………………………………………. 170
2. La fabrication du papier………………………………………………………… 176
f) Les chapeliers ………………………………………………………………...... 178
g) Les carriers ……………………………………………………………………... 180
B- La primauté du bâtiment et de l’habillement dans la petite industrie…. 181
a) La construction, une source importante d’emplois …………………….. 181
b) « La toilette », apanage de la main-d’œuvre féminine………………... 184
1. « A l’homme, le bois et le métal. A la femme, le tissu et le vêtement »………. 186
2. Une main-d’oeuvre féminine rare dans l’ensemble de l’industrie et de
l’artisanat………………………………………………………………………... 188
II- L’ouvrier des campagnes ou la quête désuète d’harmonie avec la terre ….. 195
A- Des travailleurs textiles profondément enracinés à leur terroir ………... 196
B- L’attirance du monde rural pour l’industrie………………………………… 200
C- La terre, un palliatif au chômage……………………………………………… 203
858

Tables des matières
Chapitre 2 : Une « classe » laborieuse sous l’œil de l’ordre
établi………………………………………………………………………………………………… 210
Section 1 : Un univers sensible aux idées nouvelles…………………………... 210
I- L’ouvrier et les scrutins nationaux sous la Deuxième République………… 212
A- La désillusion d’avril 1848…………………………………………………….. 218
a) Les forces de gauche en présence………………………………………….. 221
b) Des revendications sociales sans être révolutionnaires………………... 224
c) Le scrutin du 21 avril 1848………………………………………………….. 226
B- L’ouvrier mis à l’écart du jeu politique……………………………............... 229
a) Les élections présidentielles du 10 décembre 1848…………………….. 233
1. Des ouvriers confrontés à un choix difficile…………………………................. 233
2. Le triomphe bonapartiste et l’échec patent de l’extrême gauche……………….. 236
b) Les élections législatives du 13 mai 1849………………………………... 238
II- L’ouvrier et le jeu politique sous la III e République…………………………… 248
A- Le profil politique de l’ouvrier poitevin…………………………………….. 250
a) Une défiance envers le socialisme…………………………………………. 254
b) La modération politique…………………………............................................ 260
c) L’influence du catholicisme social………………………………………… 265
d) L’aversion pour la rébellion et la violence………………………………. 269
1. Les retombées de la Commune de Paris………………………………………… 269
2. La terreur anarchiste de la Belle Epoque………………………………………... 272
B- Du rêve à la réalité de l’élection………………………………………………. 277
a) Les élections municipales……………………………………………………. 278
b) Les élections législatives................................................................................... 286
Section 2 : La police ouvrière……………………………………………………………. 294
I- Un milieu sous surveillance………………………………………………………… 294
A- Des mesures systématiques de contrôle…………………...………………… 295
a) Un monde ouvrier suspect par essence……………………………………. 295
1. Les professions sujettes au désordre et à la rébellion…………………………… 298
2. Le nomadisme ouvrier…………………………………………………………... 301
2.1. Les restrictions aux déplacements des travailleurs………………………... 307
2.2. Le livret ouvrier…………………………………………………………… 310
3. Le rôle des commissaires spéciaux des chemins de fer…………………………. 316
b) Les villes ouvrières à risques ……………………………………………….. 320
1. Châtellerault…………………………………………………………………….. 320
2. Les villes préfectures……………………............................................................. 331
2.1. Niort……………………………………………………………………….. 332
2.2. Poitiers…………………………………………………………………….. 335
2.3. La Roche-sur-Yon………………………………………………………… 339
3. Les bourgs………………………………………………………………………. 340
3.1. Parthenay………………………………………………………………….. 339
3.2. Mauzé-sur-le-Mignon……………………………………………………... 342
3.3. Chauvigny……………………………………………………………......... 343
B- La surveillance exceptionnelle du monde ouvrier………………………… 345
a) Les turbulents chantiers de chemin de fer………………………………... 345
1. Une invasion barbare............................................................................................. 346
2. L’intervention de l’autorité publique sur les chantiers de chemin de fer……….. 351
b) Des tentatives insurrectionnelles …………………………………………... 354
1. La Marianne à Thouars......................................................................................... 358
859

Tables des matières
2. Le démantèlement d’une société secrète aux Sables-d’Olonne………………… 360
c) La hantise du 1 er mai………………………………………………………….. 364
II- La répression judiciaire……………………………………………………………… 369
1. Poursuites et condamnations d’ouvriers…………………………………...... 369
a) La traque aux propos séditieux……………………………………………... 369
b) Le châtiment des proscrits après le 2 décembre 1851………………….. 375
c) Des conjurations matées ……………………………………………………... 382
2. La sanction des coalitions et des grèves…………………………………….. 386
a) Le délit de coalition…………………………………………………………… 386
b) L’intervention du juge pénal après la loi de 1864……………………..... 390
Seconde partie : Une question sociale prégnante ?........... 394
Chapitre 1 : Une existence cadencée par le travail………………… 395
Section 1 : A peine égale, salaire inégal……………………………………………... 395
I- Des revenus disparates………………………………………………………………. 396
A- Les modalités salariales………………………………………………………… 396
a) Nature des rémunérations……………………………………………………. 396
b) Un salaire au rendement ou au temps ?........................................................ 398
c) Le moment de la paie…………………………………………………………. 402
d) Des variations salariales saisonnières et conjoncturelles ……………... 404
B- L’éventail des salaires…………………………………………………………... 406
a) La hiérarchie salariale ………………………………………………………... 407
1. Aux alentours de 1848……………………………………………………........... 407
2. En 1880………………………………………………………………………..... 415
3. Avant la Grande Guerre………………………………………………………… 422
b) L’âge et le sexe, facteurs d’inégalités……………………………………... 430
1. La rémunération du travail des femmes………………………………… 430
1.1 Le salaire féminin, un demi salaire ?............................................................ 430
1.2 Les causes d’une discrimination…………………………………………... 434
2. Le salaire des enfants et des adolescents……………………………….. 437
II- La précarité de la paie................................................................................................... 441
A- La misère des travailleurs textiles du rayon choletais……………………. 442
B- Les budgets ouvriers ……………………………………………………………. 444
a) Dans l’Enquête économique et sociale de 1848………………………. 445
b) Les armuriers châtelleraudais……………………………………………….. 448
1. Un faible patrimoine……………………………………………………….. 450
2. L’exemple d’une famille ouvrière de la manufacture d’armes de
Châtellerault en 1893…………………………………………………….… 452
c) Le niveau de vie moyen de l’ouvrier de la Vienne en 1913………... 455
C- Chômage légal et chômage subi………………………………………………. 458
a) Le repos hebdomadaire………………………………………………………. 458
1. L’assentiment du monde industriel à la loi du 13 juillet 1906........................ 460
2. L’adaptabilité de la loi de 1906…………………………………………….. 462
b) Le chômage subi……………………………………………………………….. 466
1. L’atelier de charité, ou l’amalgame de l’ouvrier et de l’indigent…………. 469
2. L’apparition du chômeur………………………………………………….. 478
2.1. L’assistance par le travail…………………………………………….. 479
860

Tables des matières
2.2. D’autres moyens de lutte contre le chômage…………………………. 486
Section 2 : De longues journées de travail……………………………………….. 494
I- Un temps douloureusement plein …………………………………………………. 494
A- Le législateur au secours des enfants et des femmes…………………… 499
a) La loi du 22 mars 1841, un texte d’exception…………………………. 499
b) Un texte intermédiaire, la loi du 19 mai 1874 sur le travail des
enfants et des filles mineures……………………………………………... 503
c) La loi du 2 novembre 1892, l’aboutissement du processus ?............. 508
B- Une durée de travail immuable pour les hommes ? ……………………. 511
a) Un timide cheminement législatif………………………………………... 511
b) La diminution factuelle du temps de travail…………………………… 513
1. Des mentalités en mutation………………………………………………… 514
2. La loi Millerand-Colliard…………………………………………………... 516
II- Des textes législatifs difficilement recevables…………………………….......... 521
A- Des organes de contrôle défaillants……………………............................... 522
a) Une mission difficile……………………………………………………….. 522
1. L’impéritie des commissions d’inspection poitevines…………………….. 522
1.1. La loi de 1841 et les commissions de surveillance du travail des
enfants………………………………………………………………… 523
1.2. La réorganisation inefficace des commissions locales d’inspection…. 530
1.3. Les commissions départementales consultatives……………………... 537
2. De la solitude de l’inspecteur du travail…………………………………... 543
2.1. L’absence d’inspection départementale……………………………… 544
2.2. La lourde tâche de l’inspecteur divisionnaire du travail……………... 548
b) Une connivence des élites…………………………………………………. 554
B- L’inspecteur et son sabre de bois…………………………………………... 559
a) Le travail des enfants, un bienfait social ?............................................... 559
1. La résistance patronale……………………………………………………. 560
2. Une atteinte à l’autorité parentale ………………………………………… 566
3. L’indifférence municipale………………………………………………… 567
4. Un pouvoir judiciaire clément et partisan…………………………………. 569
5. Un manque de soutien de l’administration………………………………... 573
b) La répression des infractions……………………………………………… 578
1. Sous le régime de la loi du 22 mars 1841………………………………….. 579
2. Au temps de la loi du 19 mai 1874………………………………………… 581
2.1. Le contrôle des obligations formelles à l’intérieur des ateliers………. 582
2.2. La surveillance de la réalité de l’instruction de la jeunesse ouvrière… 586
2.3. Une répression exceptionnelle……………………………………….. 593
3. La loi du 2 novembre 1892, une protection réelle et efficace…………….. 596
Chapitre 2 : L’épreuve du quotidien………………………………………… 606
Section 1 : Des conditions de vie et de travail éprouvantes……………….. 607
I- Un environnement insalubre et oppressant……………………………………… 607
A- Un mal logé…………………………………………………………...................... 608
a) Ouvriers et insalubrité, un rapport de causalité ?...................................... 609
b) Vers l’amélioration des conditions de vie………………………………... 615
1. Les politiques municipales de salubrité…………………………………………. 616
2. Les initiatives patronales………………………………………………………... 620
B- L’ouvrier : le Sisyphe des temps modernes………………………………… 624
a) L’atelier, domaine malsain de l’épuisement……………………………... 625
861

Tables des matières
b) L’atelier, un univers carcéral ?........................................................................ 630
C- L’ouvrier et ses stigmates………………………………………………………. 632
a) Les maladies professionnelles ou la dégénérescence de la race……... 633
1. Des pathologies diverses………………………………………................... 633
2. L’exemple des armuriers de la manufacture d’armes de
Châtellerault………………………………………………………………….. 635
b) L’incessante menace de l’accident…………………………………………. 638
1. Une prise en compte tardive ……………………………………………… 638
2. Des activités risquées………………………………………………………. 642
3. Des torts partagés……………………………………………………………. 650
II- De l’assistance à la mutualité………………………………………………….. 653
A- Un ouvrier secouru et encadré………………………………………………. 653
a) L’expédient de la générosité……………………………………………… 655
1. Une charité bien ordonnée………………………………………………… 656
2. La bienfaisance municipale et départementale……………………………. 660
b) Philanthropie et devoir des notables………………………………………………. 663
1. Des initiatives mutualistes sous tutelle………………………………………….. 664
1.1. Le paternalisme des premières heures…………………………………….. 665
1.2. Le second Empire sociale……………………………………………........ 669
2. Les autres formes de patronages…………………………………………........... 675
2.1. L’aide à la petite enfance et à la jeunesse………………………………… 676
2.2. Les cercles catholiques……………………………………………………. 680
B- Une volonté d’indépendance ……………………………………………….. 683
a) L’idéal mutualiste…………………………………………………………….... 683
1. Des sociétés de secours sous surveillance………………………………………. 683
2. La société de secours mutuels, « le plus puissant moyen d’assistance, le plus
digne de l’ouvrier »……………………………………………………………... 689
2.1. L’essor des sociétés d’entraide et de prévoyance………………................. 691
2.2. L’économie mutualiste……………………………………………………. 696
b) Le rêve coopératif……………………………………………………………... 708
Section 2 : L’éclosion des revendications…………………………………………... 711
I- De la coalition à la grève……………………………………………………………. 711
A- Vers la banalisation………………………………………………........................ 714
a) Des coalitions rares et ciblée………………………………………………... 714
1. Le faible esprit revendicatif de l’ouvrier poitevin………………………………. 714
1.1. L’avènement des coalitions ouvrières…………………………………….. 714
1.2. La relative interruption des coalitions sous la II eme République………....... 718
1.3. Le réveil des ouvriers coalisés sous le second Empire…………………… 720
2. Le cas spécifique du « rayon choletais »………………………………………... 723
b) La montée en puissance……………………..................................................... 724
1. L’ère des soubresauts (1864-1884)……………………………………………... 725
2. L’appropriation d’une liberté nouvelle (1884-1899)……………………………. 728
3. L’effervescence (1900-1914)…………………………………………………… 739
c) La prédominance des grèves de printemps……………………………….. 753
B- Les doléances ouvrières………………………………………………………… 756
a) Les salaires……………………………………………….................................... 758
1. La prépondérance des grèves offensives………………………………………... 759
2. La spécificité des grèves défensives…………………………………………….. 760
b) Le temps de travail…………………………………………………………….. 763
c) Discipline intérieure et conditions de travail…………………….............. 765
d) La solidarité ouvrière et syndicale…………………………………………. 770
862

Tables des matières
e) Les revendications subsidiaires……………………………………………... 772
II- L’écho des revendications ouvrières…………………………………… 774
A- La réplique patronale……………………………………………………………. 774
a) Le dénouement des mouvements revendicatifs………………………….. 776
b) Les arguments du refus……………………………………………………….. 780
1. Les discours patronaux d’opposition à la grève…………………………............ 780
1.1. La grève, une marque d’irrespect de la hiérarchie………………………… 780
1.2. Le refus de l’intermédiaire syndical……………………………………… 784
1.3. L’expression d’un paternalisme sous-jacent…………………………......... 787
1.4. Les impératifs conjoncturels et économiques……………………………... 789
2. Les formes de résistance patronale……………………………............................ 792
2.1. Ignorer les grévistes……………………………………………………...... 792
2.2. Faire traîner en longueur…………………………………………………... 793
2.3. Refuser par principe toutes concessions et toutes négociations…………... 794
2.4. Céder sur l’accessoire……………………………………………………... 795
2.5. Menacer de licenciement ou de « lock-out »……………………………… 795
B- Les autorités publiques : témoins engagés …………………………………. 798
a) Le préfet au cœur du conflit……………………………………………………….. 798
1. Le garant de l’ordre public……………………………………………………… 802
1.1. La répression des coalitions avant la loi de 1864……………………......... 802
1.2. L’intervention de la force publique dans les grèves………………………. 805
2. Le régulateur des conflits sociaux………………………………………............. 813
2.1. Un médiateur social ………………………………………………………. 814
2.2. L’atténuation du principe de neutralité……………………………………. 822
2.3. Un exemple de la gamme d’intervention administrative : la grève des
houillères de Saint-Laurs de 1896……………………………………........ 827
b) La conciliation judiciaire…………………………………………………….. 834
c) Les médiations des élus………………………………………………………. 839
1. Les interventions municipales…………………………………………………... 840
2. Les médiations occasionnelles des autres élites politiques départementales…… 845
Conclusion………………………………………………………………………………………… 851
Table des matières……………………………………………………………………....................... 857
Annexes……………………………………………………………………………………………….. 864
Tables
• Figures………………………………………………………………………………... 889
• Tableaux……………………………………………………………………………… 890
• Cartes…………………………………………………………………………………. 893
• Illustrations…………………………………………………………………………... 893
Sources manuscrites……………………………………………………………………………….... 894
Bibliographie…………………………………………………………………………………………. 910
863

POPULATION
Annexes
ANNEXES
Annexe 1 : répartition de la population par secteurs d’activité et départements
selon les conclusions des recensements de 1866 :
450000
400000
350000
300000
250000
200000
150000
100000
50000
0
403440
259227
95541
333500
217354
864
71137
325733
198749
75428
12199 8885 10753
Vendée Deux-Sèvres Vienne
Total Agriculture Industrie Commerce
Sources : ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866], ADVd 6M1100. Etats statistiques
quinquennaux du département [1866 ; 1926], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du
département [1806 ; 1896].

EFFECTIFS
EFFECTIFS
50000
45000
40000
35000
30000
25000
20000
15000
10000
5000
Annexes
Annexe 2 : répartition de la population industrielle du département de la Vendée
selon les données brutes du recensement de 1866 :
0
40000
35000
30000
25000
20000
15000
10000
5271
3359
3014
11644
20572
6906
865
6158
33636
25843
10265
Grande industrie Petite industrie Total
Patrons Ouvriers des deux sexes Familles Total
Source : ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1926].
Annexe 3 : répartition de la population industrielle du département des Deux-
Sèvres selon les données brutes du recensement de 1866 :
5000
0
2510
2734
2961
8205
10842
8053
8965
27860
13352
10787
Grande industrie Petite industrie Total
Patrons Ouvriers des deux sexes Familles Total
9172
11926
Sources : ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866].
45280
36065

EFFECTIFS
EFFECTIFS
40000
35000
30000
25000
20000
15000
10000
Annexes
Annexe 4 : répartition de la population industrielle du département de la Vienne
selon les données brutes du recensement de 1866 3900 :
5000
0
80000
70000
60000
50000
40000
30000
20000
10000
1728
2680
3109
7517
9759
11177
866
7681
28617
11487
13857
Grande industrie Petite industrie Total
Patrons Ouvriers des deux sexes Familles Total
10790
36134
Sources : ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
Annexe 5 : répartition de la population industrielle du département de la Vendée
selon les données brutes du recensement de 1891 :
0
5561
6170
18450
30333
8685
8878
23787
41526
14246
152 176 328
15048
Grande industrie Petite industrie Total
Patrons Employés Ouvriers Familles Total
Source : ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du département [1866 ; 1896].
3900 On a ajouté ici aux activités normales de la grande industrie les activités de guerre, dénomination sous
laquelle figure la fabrique d’armes à feu et d’armes blanches de Châtellerault.
42237
71859

EFFECTIFS
EFFECTIFS
Annexes
Annexe 6 : répartition de la population industrielle du département des Deux-
Sèvres selon les données brutes du recensement de 1891 :
60000
50000
40000
30000
20000
10000
0
5553
4678
27754
17274 17003
6408
867
4951
28546
11961
249 184 433
Grande industrie Petite industrie Total
Patrons Employés Ouvriers Familles Total
9629
34277
Source : ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891].
Annexe 7 : répartition de la population industrielle du département de la Vienne
selon les données brutes du recensement de 1891 3901 :
70000
60000
50000
40000
30000
20000
10000
0
3687
23330
33523
6386 6578 6104
16481
29490
10265
120 327 447
12490
Grande industrie Petite industrie Total
Patrons Employés Ouvriers Familles Total
Sources : ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
3901 Ibid.
39811
56300
63013

Annexes
Annexe 8 : répartition de la population active industrielle des trois départements
en 1866 :
Petite industrie
79%
868
Grande industrie
21%
Sources : ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866], ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1926], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
EFFECTIFS
Annexe 9 : répartition de la population active industrielle et artisanale des trois
départements en 1866 par grands types d’activités 3902 :
30000
25000
20000
15000
10000
5000
0
Patrons Ouvriers Patrons Ouvriers Patrons Ouvriers
Vendée Vienne Deux-Sèvres
Petite industrie 20572 6906 9759 11177 10842 8053
Grande industrie 5271 3359 1728 2680 2510 2734
Sources : ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866], ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1926], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
3902 La population patronale et ouvrière comprend les personnes des deux sexes.

EFFECTIFS
Annexes
Annexe 10 : comparaison de la population patronale et ouvrière des trois
départements en 1866 :
30000
25000
20000
15000
10000
5000
0
25843
11487
13352
869
10265
13857
Patronat Ouvriers
Vendée Vienne Deux-Sèvres
Sources : ADDS 7M4-2. Dénombrement de la population [1831-1866], ADVd 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1926], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
Annexe 11 : répartition de la population active industrielle des trois
départements en 1891 :
Petite industrie
57%
Grande industrie
43%
Sources : ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891], ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1896], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
10781

EFFECTIFS
Annexes
Annexe 12 : répartition de la population active industrielle et artisanale des trois
départements en 1891 par grands types d’activités 3903 :
16000
14000
12000
10000
8000
6000
4000
2000
0
Patrons Ouvriers Employés Patrons Ouvriers Employés Patrons Ouvriers Employés
Vendée Vienne Deux-Sèvres
Petite industrie 8685 8878 176 6578 6104 327 6408 4951 184
Grande industrie 5561 6170 152 3687 6386 120 5553 4678 249
Sources : ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891], ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1896], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
EFFECTIFS
Annexe 13 : comparaison de la population patronale et ouvrière des trois
départements en 1891 :
16000
14000
12000
10000
8000
6000
4000
2000
0
14246
10265
11961
15048
870
12490
9629
Patronat Ouvriers Employés
Vendée Vienne Deux-Sèvres
Sources : ADDS 7M4.7. Dénombrement de la population [1891], ADVd 6M1101. Etats statistiques quinquennaux du
département [1866 ; 1896], ADV 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du département [1806 ; 1896].
3903 La population patronale et ouvrière comprend les personnes des deux sexes.
328
447
433

Annexes
Annexe 14 : populations dans les principales villes des départements Poitevins
entre 1806 et 1911 :
D’après le site Cassini dédié aux communes de France, [en ligne] http://Cassini.ehess.fr (page consultée en
novembre 2007).
Annexe 15 : définitions des étoffes :
Etoffes Définitions
Agnelin Peau d’agneau mégissée à laquelle on a laissé la laine
Anglaise Gros galon de fil ou de soie dont on garnit les étoffes pour meubles
Augustin Sorte d’étoffe de soie
Bure Grosse étoffe de laine de coloration brune
Cadisé Se dit en Poitou d’une espèce de droguet croisé et drapé
Calmouck
Camelot
Département Ville
Deux-Sèvres
Vendée
Vienne
Etoffe de laine de bonne qualité, teinte en diverses couleurs et habillant les hommes. Ce tissu apparaît à la fin
de l’Ancien Régime et disparaît au milieu du XIX e siècle.
Etoffe qui fut primitivement de poil de chameau, puis de chèvre et enfin de laine. Ce tissu tondu s’emploie
pour les vêtements de femmes. Le camelot de soie existe aussi en plus précieux.
Campe Sorte de droguet croisé et drapé fabriqué dans le Poitou
871
Population par ville
1806 1851 1911
Niort 15066 18727 23775
Parthenay 3527 5046 7544
Melle 1181 2700 2568
Bressuire 1033 2705 5274
Saint-Maixent 4111 4121 5651
La Roche-sur-Yon 857 7498 14885
Sables-d’Olonne 5723 5983 14005
Fontenay-le-Comte 6615 7884 10379
Luçon 2963 4810 6759
Poitiers 21465 29277 41242
Châtellerault 8970 12433 18260
Montmorillon 3313 5228 4944
Loudun 5128 4557 4781
Mirebeau 1633 2732 2507
Civray 1487 2260 2515
Lusignan 2519 2534 2123
Chauvigny 1651 1875 2632

Annexes
Canizé Tissu en laine de qualité secondaire, au tissage assez lâche. On le nomme parfois sergette
Coutil Toile serrée, lisse ou façonnée pour envelopper des matelas, des coussins ou des garnitures de lit
Crépon
Sorte d’étoffe de laine ou de soie, non croisée, à chaîne torse et trame simple, frisée comme le crêpe, mais
beaucoup plus épaisse. Le crépon se tisse ordinairement en blanc et se teint en différentes couleurs, en
particulier le noir. Son principal emploi est l’habillement des ecclésiastiques et la confection des robes de
palais
Dauphine Espèce de serge
Drap
Droguet
Etoffe de laine pure, en générale d’excellente qualité et très résistante. Il existe différentes qualité de draps :
fins, surfins, entrefins.
Tissu ordinaire, tramé de laine sur chaîne de coton ou de fil. Ses couleurs habituelles, bleues et noires, forment
des rayures. Utilisé à la confection de jupes ou de tabliers. Le droguet blanc est utilisé seulement pour doubler
les vêtements.
Espagnolette Espèce de droguet ou de ratine fine
Etaim Partie la plus fine de la laine cardée
Etamine
Petite étoffe mince, non croisée. Tissu léger où la laine est mêlée de soie. La couleur varie du brun (Fontenay-
le-Comte) au noir intense (Le Mans). Cette étoffe est généralement réservée aux riches costumes féminins.
Flanelle Etoffe légère de laine, à tissu simple ou croisé, et faite avec du fil de laine peignée ou cardée
Fleuret Etoffe de laine faite avec la soie des cocons de rebut
Frison Sorte d’étoffe de laine, commune et étroite, fabriquée dans le Poitou
Futaine Etoffe croisée dont la chaîne est en fil et la trame en coton.
Indienne Toile de coton légère, blanche, puis colorée par impression
Molleton
Panne
Ressemble en tout point au serge, mais n’est jamais teinte en brun et est réservée à la confection des cotillons
de dessous
Sorte d’étoffe de soie, de coton, de fil, de laine, de poil de chèvre, fabriquée à peu près comme le velours, mais
dont les poils sont plus longs et moins serrés.
Pinchinat Grosse étoffe de laine non croisée ou croisée. Petit drap
Serge
Etoffe légère de laine croisée, manufacturé sur un métier à quatre marches, et qui se fabrique comme le satin.
Etoffe généralement blanche, bleu ciel ou brune, elle sert à faire des gilets ou des pantalons aux hommes et des
jupes pour les femmes.
Tiretaine Sorte de droguet grossier, moitié laine, moitié fil.
Toile
Trolle Draps
Le plus souvent de lin, mais aussi de chanvre, pour les usages les plus humbles. Sert aussi bien à l’habillement
qu’à divers usages domestiques.
Voile Etoffe très fine de soie ou de coton
Source : FOURNIER (Sylvie), Les tisserands et le milieu textile à Parthenay (1750-1788), Les cahiers de la
recherche en Gâtine, janvier 1996, t.2, pp.64 à 71.
872

Périodes
Restauration
Et
Monarchie de
Juillet
Révolution de
1848 et
Deuxième
République
Annexes
Annexe 16 : coalitions touchant les trois départements de l'ancienne province du
Poitou au XIX e siècle :
Secteurs
d’activité
Département localité Date Type de coalition
- Vienne Montmorillon 1829 Manifestation
Bâtiment Vienne Poitiers Avril 1835
cordonniers Vienne Poitiers Avril 1835
873
Menace de
coalition
Menace de
coalition
Habillement Vienne Poitiers Avril 1835 Grève
Textile Vendée Rayon choletais 1836 Grève
Bâtiment Deux-Sèvres Niort Septembre 1836 Grève
Bâtiment Deux-sèvres Thouars Octobre 1836 Manifestation
Habillement Deux-sèvres Niort 1837
Menace de
coalition générale
Verriers Vendée Faymoreau Novembre 1838 Grève
Divers Deux-Sèvres Mauzé Février 1839 Manifestation
Menuisiers Deux-sèvres Niort Février 1839
Menace de
coalition
Bâtiment Deux-Sèvres Parthenay Juillet 1839 Grève
- Deux-Sèvres - 1840
Menace de
coalition générale
Boulangers Vienne Châtellerault Mai 1840 Grève
Bâtiment Vendée Noirmoutier Mai 1840 Grève
Textile Vendée Rayon choletais
Septembre - octobre
1840
Grève
Bâtiment Vienne Poitiers Août 1843 Grève
Textile Vendée Rayon choletais Janvier - juillet 1844 Grève
Bâtiment Vendée Montaigu Juin 1844 Grève
Bâtiment Vendée Chavagnes Juin 1844 Grève
Chantiers de
chemin de fer
Vienne - Juin 1846 Grève
Terrassiers Vendée Aizenay 1848 Grève
- Deux-Sèvres - 1848 Grèves
Menuisiers Deux-Sèvres Parthenay Mars 1848
Menace de
coalition
Bâtiment Deux-sèvres Niort Mars 1848 Pétition
Menuisiers Deux-sèvres Saint-Maixent Mars 1848
Pétition et menace
de coalition
Habillement Deux-Sèvres Niort Mars 1848 Pétition

Révolution de
1848 et
Deuxième
République
Second Empire
(jusqu’en 1864)
TOTAL
Chantiers de
chemin de fer
Vienne
Annexes
Port de Pile
874
Mai 1848 Manifestation
Bâtiment Deux-Sèvres Parthenay 1 er mai 1848 Manifestation
Chantiers de
chemin de fer
Maréchaux-
ferrants
Chantiers de
chemin de fer
Vienne Poitiers Mai 1849 Manifestation
Vienne Châtellerault 1851 Grève
Vienne - Avril 1851 Grève
Textile Vendée Rayon choletais Mai 1851
Chantiers de
chemin de fer
Menace de
coalition
Vienne - Octobre 1851 grève
Textile Vendée Rayon choletais Mars 1852
Menace de
coalition
Carriers Vienne Chauvigny Mars 1852 Grève
Chantiers de
chemin de fer
Chantiers de
chemin de fer
Vienne - Avril 1852 Grève
Vienne - Avril 1853 Grève
Bâtiment Vienne Poitiers Juin 1853 Grève
Bâtiment Vienne Montmorillon 1855 Grève
Bâtiment Vienne Poitiers 1855 Grève
Textile Vendée Rayon choletais 1855
Menace de
coalition
Bâtiment Vendée Pouzauges Mai 1855 Grève
Ouvriers divers Vienne Montmorillon Juin 1855
Bâtiment Vendée
Mortagne sur
Sèvre
Menace de
coalition
Juin 1855 Grève
Bâtiment Vendée Montaigu Juin 1855 Grève
Bâtiment Vendée
La Roche-sur-
Yon
Juin 1855 Grève
Cordonniers Vienne Poitiers Mai 1856 Grève
Bâtiment Vendée
Les Sables-
d’Olonne
Mai 1856 Grève
Cordonniers Vienne Chauvigny Juin 1858 Grève
Chapeliers Vendée
terrassiers Vendée
51 coalitions
dont :
Deux-Sèvres :
13
-
Fontenay-le-
Comte
Aiguillon-sur-
Mer
Août - septembre 1859 Grève
Novembre 1863 Grève
Restauration et
Monarchie de Juillet :
Grèves : 32
Menaces de

Bâtiment : 18
Textile et
habillement : 9
Chantiers de
chemin de fer : 7
Vendée : 18
Vienne : 21
Annexes
875
21
Révolution de 1848 et
deuxième République :
16
second Empire : 15
coalition : 10
Manifestation : 6
Pétitions : 3
Sources : ADV M4.43, M4.49, M4.50, M4.59, M4.61, M4.65, M4.68, M4.69 ; ADDS 11M19.13.A et MAITRON (Jean),
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français : première partie [1789-1864], op. cit., TOUL (Yves), Les
origines du mouvement ouvrier…, op. cit., POPEREN (Maurice), op. cit., REGOURD (Florence), Industries et ouvriers
vendéens en 1848…, op. cit..
Annexe 17 : grèves dans le secteur du bâtiment survenues dans les Deux-Sèvres
[1900-1914] :
Année Mois Localité Profession Revendications Résultat
1905 Avril Thouars Bâtiment Salaire Echec
1906 Avril
1908
Juin Bressuire Maçons Salaire Echec
Châtillon
sur sèvre Maçons
Février Niort Bâtiment
Mai-
juin Niort Couvreurs
Juin Niort Plâtriers
Janviers Thouars Bâtiment
Salaire
Temps de travail Réussite
Salaire
Temps de travail Réussite
Salaire
Temps de travail Réussite
Salaire
Temps de travail
Organisation du
travail Réussite
Salaire
Temps de travail Réussite
1912 Mars Thouars Bâtiment - -
Total
Sources : ADDS 11 M 19-13 B et ADDS 11 M
19-13 C.
Salaire : 7
Temps de
travail : 5
Organisation du
travail : 1
Réussites : 5
Echecs : 2

Total
Annexes
Annexe 18 : grèves dans le secteur du bâtiment survenues dans la Vienne [1900-
1914] :
Année Mois Localité Profession Type Revendications Résultat
1900
Août Poitiers Couvreurs Grève - -
Août Poitiers Plâtriers Grève - -
Septembre Poitiers Bâtiment Grève - -
1904 Mars Châtellerault Charpentiers Grève
1906
1909 -
876
Salaire
Mai Poitiers Cimentiers Grève - -
Mai Châtellerault Maçons Grève - -
La Roche-Posay
(arrondissement
de Châtellerault)
1910 Octobre Poitiers Plâtriers Grève
1911
1914 -
Avril Châtellerault
Maçons Menace de grève - -
Bâtiment
(toutes les
professions du
secteur sont
représentées)
Grève
- Poitiers Couvreurs Grève
Salaire
Salaire
Salaire
-
Réussite
Concessions
mutuelles
Concessions
mutuelles
- Montmorillon Maçons Grève - -
Mai Poitiers Bâtiment Grève
Juin Poitiers Zingueurs Grève
La Trimouille
(arrondissement
de Montmorillon)
Sources : ADV M12.110 et ADV M12.115.
Maçons Menace de grève
Menaces de
grèves : 2
Grèves : 10
Salaire
Salaire
-
Salaires : 6
Concessions
mutuelles
Réussite
-
Réussites : 5

Annexes
Annexe 19 : grèves dans le secteur du bâtiment survenues en Vendée [1900-1914]:
Année Mois Localité Profession Type Revendications Résultat
1901 Mai Luçon Maçons Grève Salaire Echec
1903 - Fontenay-le-Comte Charpentiers Grève
1904 - Fontenay-le-Comte Bâtiment Grève
1905 Mai Montaigu Maçons Grève
1905
-
1910
1907 Avril
- La Roche-sur-Yon Charpentiers Menace
- La Roche-sur-Yon Menuisiers
Saint Gilles Croix de
vie
877
grève
Menace
grève
Maçons Grève
Mode de
rémunération
Mode de
rémunération
Salaire
Temps de travail
Salaire -
Salaire -
Salaire
Temps de travail
1909 Septembre Beauvoir sur mer Maçons Grève Salaire Réussite
1910
1911
1912
Mai Mortagne sur Sèvre Maçons Grève
Salaire
Temps de travail
Juillet Luçon Bâtiment Grève Salaire
-
-
-
Concessions
mutuelles
Concessions
mutuelles
Février La Mothe-Achard Maçons Grève Salaire Réussite
Février -
mars
Sables-d'Olonne Maçons Grève Salaire Réussite
Mars Aizenay Bâtiment Grève Salaire Réussite
Mars Fontenay-le-Comte Bâtiment Grève Salaire Réussite
Décembre La Roche-sur-Yon Couvreurs Grève Salaire Réussite
Février La Roche-sur-Yon
Tailleurs de
pierres
Grève Salaire Echec
Février La Roche-sur-Yon Peintres Grève Salaire Réussite
Mars Saint Jean de Mont Maçons Grève Salaire Réussite
Avril La Roche-sur-Yon Maçons Grève Salaire Réussite
Avril La Roche-sur-Yon Charpentiers Grève Salaire Réussite
1913 Mars Rocheservière (?) Maçons Grève Salaire Réussite
Total
Sources : ADVd 10M51 ; ADVd 4M195.
Grèves : 19
Menaces de
grèves : 2
Salaires : 19
Modes de
rémunération : 2
Temps de
travail : 3
Réussites :
13
Echecs : 2

Année
Annexes
Annexe 20 : grèves dans le bassin houiller du bas Poitou [1900-1914] :
Mois Département Site
Type de
conflit
878
Revendications Résultat
1900 Octobre Vendée Faymoreau Grève Conflit avec un contremaître Réussite
1901
1902
Janvier Vendée Faymoreau
Avril -
mai
Menace de
grève
Vendée Faymoreau Grève
Février Vendée Faymoreau
Août Deux-Sèvres Saint-Laurs
1903 Octobre Deux-Sèvres Saint-Laurs
1906 Avril Vendée Faymoreau
Menace de
grève
Menace de
grève
Menace de
grève
Menace de
grève
1907 Décembre Deux-Sèvres Saint-Laurs Grève
1908
1910
1912
1913
1914
Primes subordonnées à l’absence
de grèves
Primes subordonnées à l’absence
de grèves et mouvement national
Primes
Concessions
mutuelles
-
Concessions
mutuelles
Salaire Echec
Suppression d'un jour de travail Echec
Réintégration d’un employé
Salaire
Modification des horaires de
travail
Echec
Janvier Deux-Sèvres Saint-Laurs Grève Salaire Echec
Mars Vendée Faymoreau Grève Primes -
Août -
septembre
Deux-Sèvres Saint-Laurs Grève
- Vendée Faymoreau
Mars Vendée
Juillet -
août
Rochetrejoux
(mine
d’antimoine)
Menace de
grève
Modification des horaires de
travail (loi du 20 juin 1905)
Réintégration d’un ouvrier
Modification des horaires de
travail (loi du 20 juin 1905)
Craintes quant à l’avenir de la
mine
Grève Salaire à la journée
Réussite
Réussite
Concessions
mutuelles
Deux-Sèvres Saint-Laurs Grève Conflit avec un contremaître -
Août Vendée Faymoreau Grève
Juillet -
septembre
Février -
mars
Sources : ADDS
11M19.13C ADVd
10 M4,10M48,
4M195.
Vendée Faymoreau
Deux-Sèvres
Deux-
&
Vendée
Sèvres : 7
Vendée : 11
Saint-Laurs
&
Faymoreau
Menace de
grève
- Grèves : 10
Salaire / prime
Opposition à la direction
Echec ?
Conflit avec un contremaître -
Grève Salaire Echec
Menaces de
grèves : 7
Salaires et primes (10) ; conflits
avec supérieur (4) ; horaires et
temps de travail (4) ; réintégration
d’ouvriers (1)
Réussites :
6
Echecs : 6

Annexes
Annexe 21 : grèves dans le secteur du textile et de l’habillement [1900-1914] :
Année Mois Département Site Profession Revendications Résultat
1901 Février Deux-Sèvres
1904
Argenton-
Château
879
Couturiers Temps de travail Echec
Novembre Vienne Poitiers Blanchisseurs Salaire -
Septembre
- novembre Deux-Sèvres
Septembre
- novembre
Vendée
1905 Janvier Vendée
1906 Juin Deux-Sèvres
Septembre
- octobre
1910 Septembre
-novembre
Deux-Sèvres
Vendée
1911 Mars -avril Vendée
Rayon de
Cholet
La Chapelle-
Largeau
Rayon
choletais
Canton de
Mortagne
Fontenay-le-
Comte
La Chapelle-
Largeau
Rayon
choletais
Canton de
Mortagne sur
Sèvre
Fontenay-le-
Comte
Tisserands
Tisserands
Application du tarif
de 1896
Application du tarif
de 1896
Concessions
mutuelles
Concessions
mutuelles
Chapelier Salaire -
Tisserands Salaire -
Filière textile - -
Filière textile
1914 Avril Vendée les Epesses Filière textile
Total
Sources :
ADV M12.110 ;
ADDS 11M19-13 B
et C ; ADVd 4M195
; ADVd 10M50 ;
ADVd 10M64.
Deux-Sèvres :
4
Vendée : 5
Vienne : 1
-
Salaire Conditions
de travail
Solidarité ouvrière
Concessions
mutuelles
Chapeliers Salaire Echec
Filière textile : 7
Couturiers : 1
Chapelier : 2
Organisation du
travail
Salaire et tarif : 6
Organisation du
travail : 1
Temps de travail : 1
Conditions de
travail : 1
Solidarité ouvrière :
1
Echec
Réussites : 3
Echecs : 3

Annexes
Annexe 22 : grèves dans le secteur du cuir [1900-1914] :
Année Mois Département Site Profession Revendications Résultat
1905 Février Deux-Sèvres Niort Gantiers Salaire
1906 Mars Deux-Sèvres Niort Gantiers
1907 Avril Deux-Sèvres Niort
880
Ponceurs de
peaux
Règlement
intérieur
Concessions
mutuelles
Echec
Salaire Réussite
Avril Vienne Poitiers Cordonniers Salaire Echec
Août Vienne Chauvigny Cordonniers Salaire Réussite
1908 Novembre Deux-Sèvres Niort
1909
1910
Janvier –
février
&
Avril - mai
Juin -
juillet
Chamoiseurs
Tanneurs
Corroyeurs
Deux-Sèvres Niort Gantières Salaire féminin
Deux-Sèvres Niort Gantiers
1911 Juin Vienne Poitiers Cordonniers
Total
Sources :
ADDS 11M19-13 B
et C ; ADV M12.115.
Deux-Sèvres :
6
Vienne : 3
-
Cordonniers :
3
Gantiers et
chamoiseurs :
6
Salaire Echec
Salaire
Tarifs payés aux
gantières
Salaire
Mésentente avec
un contremaître
Salaires et tarifs :
8
Mésentente avec
un supérieur : 1
Règlement
intérieur : 1
Concessions
mutuelles
Echec
Echec
Réussites : 4
Echecs : 5

Annexes
Annexe 23 : grèves dans les conserveries de poisson [1900-1914] :
Année Mois Département Site Profession Revendications Résultat
1908
1909
1911
1914
Total
Juillet Vendée Sables-d’Olonne
Juillet Vendée
Arrondissement
des Sables-
d’Olonne
Juin Vendée Sables-d’Olonne
Juin Vendée Sables-d’Olonne
881
Soudeurs de
conserves Luddisme -
Soudeurs de
conserves
Soudeurs de
Luddisme
Solidarité
ouvrière -
conserves Salaire Réussite
ouvrières des
Sources : ADVd 4M195 ; ADVd 10M45 ; ADVd 10M58 ; ADVd 10M59.
Annexe 24 : grèves des boulangers [1900-1914] :
conserveries Salaire -
Salaire : 2
Luddisme : 2
Solidarité
ouvrière : 2
Année Mois Département Site Type Revendications Résultat
1901 Septembre
- Vienne Poitiers
– octobre
Menace
de grève
- -
Deux-Sèvres Niort Grève Salaire Echec
Réussite :
La Roche-
Concessions
Mai Vendée
Grève Salaire
sur-Yon
mutuelles
1905
Décembre Vienne Poitiers Grève Salaire -
1906
Juin Vienne Châtellerault Grève - -
Octobre Deux-Sèvres Niort Grève Salaire Echec
1914 - Vienne Châtellerault Grève - -
Total
Sources :
ADDS 11M19-13 B ;
ADVd 4M195.
Deux-Sèvres : 2
Vendée : 1
Vienne : 4
-
Grèves :
6
Menaces
de
grèves : 1
Salaires : 4
1
Réussite : 1
Echecs : 2

Annexes
Annexe 25 : grèves des menuisiers et ébénistes [1900-1914] :
Année Mois Département Site Profession Revendications Résultat
1906 Mai Vienne Châtellerault Menuisiers - -
Avril Deux-Sèvres Niort
882
Menuisiers
Ebénistes
1908 Mai – juin Vienne Poitiers Menuisiers
1910
1912
Total
Août -
septembre
Sources :
ADDS 11M19-13B ;
ADV M12-115;
ADVd 10M64.
Avril Vendée
Mai Vendée
Salaire
Temps de travail
Salaire
Mode de
paiement
Réussite
Vienne Poitiers Menuisiers - -
Deux-Sèvres :
1
Vendée : 2
Vienne : 3
La Roche-sur-
Yon
La Roche-sur-
Yon
- -
Annexe 26 : grèves de terrassiers [1900-1914] :
Ebénistes Salaire Echec
Menuisiers - -
Salaire : 3
Temps de
travail : 1
Année Mois Département Site Revendications Résultat
1912
Mars Vienne Châtellerault Salaire
Avril Deux-Sèvres Niort Salaire
-
Echec : 1
Concessions
mutuelles
Concessions
mutuelles
Juillet Vendée Luçon Salaire Echec
Août Vendée
1913 Décembre Vendée
Total
Sources :
ADDS 11M19-13C
ADV M12.142
ADVd 10M45.
Deux-Sèvres :
1
Vendée : 3
Vienne : 1
La Roche-sur-
Yon
La Roche-sur-
Yon
- Salaires : 5
Salaire Echec
Salaire Réussite
Echecs : 2
Réussites : 3
Réussite : 1

Annexes
Annexe 27 : grèves diverses [1900-1914] :
Année Date Département Site Type Profession Revendications Résultat
1900 Mai Vendée Cugand Grève Papetiers
1903
1904
1905 à
1913
1904-
1905
1905
1906
Octobre –
novembre
883
Salaire
Primes
Réussite
Deux-Sèvres Parthenay Grève Bûcherons Salaire Réussite
Avril Vienne Poitiers Grève Ferblantiers Salaire
Augmentation et
fin des retenues
sur salaire
Mai Vienne Poitiers Grève Mécaniciens Réintégration Réintégration
Mai Vienne Poitiers Grève
-
Décembre
- janvier
Vendée et
Maine-et-Loire
Rayon
choletais
Charrons/
Forgerons
Grève Chaussure
Salaire -
Salaire
et/ou Réintégration
d'ouvriers
Deux-Sèvres Chizé Grève Bûcherons Salaire
Mai Deux-Sèvres
Saint Hilaire la
Palud
Septembre Vienne Poitiers Grève
Mai Vienne Châtellerault Grève
Concessions
mutuelles dans
les deux tiers des
cas
Résultats
différents selon
les ouvriers
Grève Tuiliers Temps de travail Réussite
Mouleur /
Fondeur
Maréchaux-
ferrants
Temps de travail -
- -
Juin Vienne Châtellerault Grève Imprimeur Temps de travail Réussite
Juin Vienne Poitiers Grève Imprimeur Temps de travail Réussite
Avril Deux-Sèvres Niort Grève Bijoutiers Salaire Echec
Novembre Deux-Sèvres Niort Grève Typographes Salaire -
1907 Décembre Vienne Migné Grève Carriers
1908
Salaire
Organisation du
travail
Concessions
mutuelles
Avril Vienne Migné Grève Carriers Salaire Echec
Juin Deux-Sèvres Niort
Menace
de grève
Charrons
Forgerons
Voituriers
Décembre Vendée Cugand Grève Papetiers
Salaire
Temps de travail
Problème lié à la
pollution provoquée
par l’usine
1909 Mai Vendée Croix de Vie Grève Mareyeuses Salaire Réussite
-
-

1910
1911
Annexes
Juin Vendée Noirmoutier Grève Porteur de sel
- Vendée
Fontenay-le-
Comte
- Vienne Poitiers Grève
- Vendée
La Roche-sur-
Yon
884
Salaire Organisation
du travail
Concessions
mutuelles
Grève Typographes - -
Grève
Maréchaux-
ferrants
Ouvriers du
chemin de fer
Salaire
Organisation du
travail
Temps de travail
Réussite
Salaire Echec
- Vendée Challans Grève Journaliers - -
Janvier Vendée Fenouillé Grève Carriers Salaire Echec
Mars Vendée
Mai Vendée
Mai –juin Vendée
Fontenay-le-
Comte
La Roche-sur-
Yon
La Roche-sur-
Yon
Grève Galochiers
Grève Typographes
Grève
Typographes &
Lithographes
Juin Vienne Châtellerault Grève Scieurs de long
Juin -
juillet
Vienne Châtellerault Grève Fonderie
Juillet Vendée Blanzy Grève
Juillet Vienne Poitiers Grève
Briquetiers en
charbon
Maréchaux-
ferrants
1912 Août Vienne Châtellerault Grève Tôliers
1913 Juin -
1913 Vendée
juillet
1914 Janvier Vendée
Fontenay-le-
Comte
Organisation du
travail
Salaire
Demande auprès de
l’administration
Salaire
Loi du travail
Salaire
Réintégration
Salaire
Temps de travail
Conditions de
travail
Réintégration
Concessions
mutuelles :
abandon du
travail à
domicile
-
Concessions
mutuelles
Concessions
mutuelles
Concessions
mutuelles
Salaire Réussite
Salaire Echec
Salaire
Attitude patronale
Réussite
Grève Scieurs de long - -
Vienne Chauvigny Grève Carriers Salaire
Sables-
d'Olonne
Menace
de grève
Charpentiers de
marine
Concessions
mutuelles
Salaire Réussite

Total
Deux-Sèvres : 6
Vendée : 15
Vienne : 15
-
Annexes
Grèves :
34
Menaces
de
grèves : 2
885
-
Salaires : 23
Attitude patronale :
1
Temps de travail : 6
Conditions de
travail : 5
Réintégration : 4
Autre : 2
Réussites : 20
Echecs : 5
Sources : ADDS 11M19-13 B ; ADDS 11M19-13 C ; ADV M12-110; ADV M12-115 ; ADV M12-142; ADVd 4M185 ; ADVd
4M195 ; ADVd 10M45 ; ADVd 10M47; ADVd 10M57 ; ADV 10M58 ; ADV 10M64.
Annexe 28 : interventions de l’autorité préfectorale dans les grèves [1864-1914]:
Date Département Lieu Profession Autorité concernée Dénouement de la grève
1867 été Vienne Châtellerault Carrossiers Administration -
1867 été Vienne Châtellerault Sabotiers Administration -
1882
juillet
1888
septembre
octobre
1896
février
mars
1896
mars
1896
mars avril
1896
juillet
1897
mars
1897
mars
Vendée La Roche-sur-Yon Serruriers
Vendée Mortagne-sur-Sèvre Textile
Pétition auprès du
préfet
Sous-préfet de Cholet
Préfet de Vendée
Echec
Echec
Deux-Sèvres Saint-Laurs Mineurs Préfet Concessions mutuelles
Vendée Faymoreau Mineurs
Sollicitation auprès du
préfet
Vendée La Roche-sur-Yon Maçons Préfet 3904 -
Vendée Croix de Vie
Usines de
conserves
Sous-préfet
Préfet
Vendée Sables-d'Olonne Bâtiment Sous-préfet Succès
Vendée Sables-d'Olonne
Usine de
briquettes
1898 mai Vienne Poitiers Charpentiers
1898
juillet
Sous-préfet Concessions mutuelles
Demande d’arbitrage
au préfet
Vendée Faymoreau Mineurs Sous-préfet -
1899 août Deux-Sèvres Niort Gantiers
1900
octobre
Vendée Faymoreau Mineurs
Secrétaire général de
la préfecture
Préfet
Sous-préfet
-
-
-
Succès
Succès
3904 La mention « préfet » fait référence à son intervention directe ou bien à celle du secrétaire général de la
préfecture

1902
février
Annexes
Vendée Faymoreau Mineurs Sous-préfet -
1904 avril Vienne Poitiers Ferblantier
1904
septembre
1905
décembre
1908 mai
juin
1909
janvier
février et
avril mai
886
Secrétaire général de
la préfecture
Préfet
Succès
Vendée Mortagne-sur-Sèvre Textile Sous-préfet Concessions mutuelles
Vienne Poitiers Boulangers Préfet -
Vienne Poitiers Menuisiers Préfet -
Deux-Sèvres Niort Gantiers Préfet Concessions mutuelles
1910 Vendée Faymoreau Mineurs Sous-préfet Préfet Succès
1910 juin Vendée Noirmoutier Porteur de sel Sous-préfet Concessions mutuelles
1910 août
sept
1911
février
mars
1911 mai
juin
1911
juillet
1911
décembre
Deux-Sèvres Saint-Laurs Mineurs Préfet Succès
Vendée Sables-d'Olonne Maçons Sous-préfet Succès
Vendée La Roche-sur-Yon
Vendée Blanzy
Typographes et
Lithographes
Briquetiers en
charbon
Préfet Concessions mutuelles
Préfet
Succès
Vendée La Roche-sur-Yon Couvreurs Préfet Succès
1912 avril Vendée La Roche-sur-Yon Maçons Préfet Succès
1912 avril Vendée La Roche-sur-Yon Charpentiers Préfet Succès
1912 mai Vendée La Roche-sur-Yon Menuisiers Préfet -
1912
juillet
Deux-Sèvres Saint-Laurs Mineurs Préfet -
1912 août Vendée Faymoreau Mineurs
TOTAL :
Deux-Sèvres : 5
Vendée : 21
Vienne : 6
Source: ADDS, ADV, ADVd.
Sous-préfet
Préfet
Echecs : 3
Succès : 16
Echec

Annexes
Annexe 29: interventions municipales dans les grèves [1884-1914] :
Département Municipalité Date Secteur d’activité
Vendée
Vendée
Vendée
Fontenay-le-
Comte
Mortagne-sur-
Sèvre
La Roche-sur-
Yon
1880 mars Bâtiment
1888 septembre octobre Textile
1894 janvier Couvreurs
Vendée Faymoreau 1895 novembre Mineurs
Vendée
La Roche-sur-
Yon
1895 Maçons
Deux-Sèvres Saint-Laurs 1896 février mars Mineurs
Vendée Faymoreau 1896 mars Mineurs
Vendée Sables-d'Olonne 1897 avril Charpentiers de marine
Vendée Sables-d’Olonne 1897 mars Usine de briquettes / dockers
Vendée Sables-d'Olonne 1897 mars Bâtiment
Deux-Sèvres Bressuire 1898 février mars Bâtiment
Vendée Faymoreau 1898 juillet Mineurs
Vendée Aizenay 1899 juin Maçons
Vienne Poitiers 1899 août septembre Plâtriers
Vienne Poitiers 1899 août septembre Couvreurs
Vienne Poitiers 1899 août septembre Maçons
Vendée Faymoreau 1900 octobre Mineurs
Vendée Faymoreau 1901 janvier Mineurs
Deux-Sèvres Thouars 1905 avril Bâtiment
Vendée Montaigu 1905 mai Maçons
Vienne Poitiers 1905 décembre Boulangers
Deux-Sèvres
La Chapelle-
Largeau
1906 juin Tisserands
Deux-Sèvres Bressuire 1906 juin Maçons
Deux-Sèvres Niort 1906 mars Gantiers
Deux-Sèvres Niort 1906 octobre Boulangers
Deux-Sèvres Niort 1907 avril Bijoutiers
Vendée Faymoreau 1908 mars Mineurs
Vendée Cugand 1908 décembre Papetiers
Vendée Faymoreau 1910 Mineurs
Vienne Poitiers 1910 août septembre Menuisiers
Vendée Luçon 1910 juillet Bâtiment
Vendée Faymoreau 1910 décembre Mineurs
Vienne Montmorillon 1911 Maçons
Vienne Poitiers 1911 Couvreurs
Vienne Poitiers 1911 Bâtiment
Vendée Sables-d'Olonne 1911 février mars Maçons
887

Annexes
Vienne Châtellerault 1911 avril Bâtiment
Vienne Châtellerault 1911 juin Scieries
Vienne Poitiers 1911 juin Zingueurs
Vendée
La Roche-sur-
Yon
1911 mai juin Typographes et lithographes
Vendée Aizenay 1911 mars Bâtiment
Vendée Faymoreau 1912 août Mineurs
Vienne Châtellerault 1912 août Tôliers
Deux-Sèvres Thouars 1912 janviers Zingueurs
Deux-Sèvres Saint-Laurs 1912 juillet août Mineurs
Vendée Faymoreau 1913 juillet septembre Mineurs
888
Sources : ADDS, ADV et ADVd.

Tables
FIGURES
Figure 1 : évolution des effectifs des houillères de Faymoreau et de Saint-Laurs : .............................................. 58
Figure 2 : population vivant de la grande industrie en 1866 :............................................................................... 81
Figure 3 : population vivant de la grande industrie en 1891 :............................................................................... 83
Figure 4 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande industrie vendéenne en 1866 :... 85
Figure 5 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande industrie deux-sévrienne en 1866 :
..................................................................................................................................................................... 86
Figure 6 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande industrie de la Vienne en 1866 : 86
Figure 7 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande industrie vendéenne en 1891 :... 87
Figure 8 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande industrie deux-sévrienne en 1891 :
..................................................................................................................................................................... 87
Figure 9 : répartition de la population entre patrons et ouvriers dans la grande industrie de la Vienne en 1891 : 87
Figure 10 : population vivant de la petite industrie en 1866 :............................................................................. 182
Figure 11 : population vivant de la petite industrie en 1891 :............................................................................. 183
Figure 12 : proportion de patronnes et d’ouvrières dans le secteur de l’habillement et de la toilette en 1891 :.. 187
Figure 13 : pourcentage de travailleurs féminins dans la population active totale de la grande industrie des trois
départements en 1866 et 1891 : ................................................................................................................. 189
Figure 14: pourcentage de travailleurs féminins dans la population active totale de la grande industrie des trois
départements en 1866 et 1891 : ................................................................................................................. 190
Figure 15 : répartition des actifs féminins par industries en 1891 : .................................................................... 192
Figure 16 : pourcentage de femmes et d’hommes dans les familles industrielles des trois départements réunis en
1866 et 1891 :............................................................................................................................................ 193
Figure 17 : pourcentage des dépenses de nourriture d’un armurier de la manufacture d’armes de Châtellerault en
1893 :......................................................................................................................................................... 454
Figure 18 : proportion d’infractions aux lois du travail constatées dans le secteur industriel entre 1908 et 1912
dans le département de la Vienne : ............................................................................................................ 461
Figure 19 : évolutions des sommes allouées au travaux de secours aux Sables-d’Olonne et à Fontenay-le-Comte
entre 1899 et 1914 : ................................................................................................................................... 482
Figure 20 : répartition professionnelle des membres des commissions de surveillance du travail des enfants mises
en place après la loi du 22 mars 1841 dans des départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de Vendée
(1841-1859):.............................................................................................................................................. 527
Figure 21 : situations professionnelles de 74 membres des commissions d’inspection du travail des enfants et des
filles mineures mises en place après la loi du 19 mai 1874 dans des départements des Deux-Sèvres, de la
Vendée :..................................................................................................................................................... 535
Figure 22 : pourcentage de visite de l’inspecteur divisionnaire par département dans la 12 e circonscription de
1887 à 1889 : ............................................................................................................................................. 552
Figure 23 : pourcentage de visite de l’inspecteur divisionnaire par département dans la 13 e circonscription de
1887 à 1889 : ............................................................................................................................................. 553
Figure 24 : infractions à l’obligation d’affichage dans les établissements industriels visités par l’inspecteur
divisionnaire du travail en Vendée et dans la 12 e circonscription entre 1886 et 1889 (en %) :................. 584
Figure 25 : infractions à l’obligation d’affichage dans les établissements industriels visités par l’inspecteur
divisionnaire du travail dans la Vienne et les Deux-Sèvres et dans la 13 e circonscription entre 1886 et 1889
(en %) : ...................................................................................................................................................... 584
Figure 26 : suites données aux procès-verbaux dressés en 1913 par les inspecteurs du travail dans la 2 e
circonscription :......................................................................................................................................... 600
Figure 27 : suites données aux procès-verbaux dressés en 1913 par les inspecteurs du travail dans la 7 e
circonscription :......................................................................................................................................... 600
Figure 28 : nature des infractions relevées en 1913 dans les 2 e et 7 e circonscriptions :...................................... 601
Figure 29 : nature des procès-verbaux dressés en 1913 dans les 2 e et 7 e circonscriptions : ................................ 602
Figure 30 : accidents industriels et artisanaux déclarés devant le juge de paix du canton de Châtellerault entre
1898 et 1907 (1904 exclu) :....................................................................................................................... 649
Figure 31 : nombre de grèves entre 1884 et 1899 :............................................................................................. 729
Figure 32 : proportion de grèves par département (1884-1899) :........................................................................ 730
Figure 33 : grèves par type d’industries (1884-1899) : ....................................................................................... 730
889

Tables
Figure 34 : nombre de grèves entre 1900 et 1914 :............................................................................................. 740
Figure 35 : proportion de grèves par département (1900-1914) :........................................................................ 741
Figure 36 : grèves par type d’industries (1900-1914) : ....................................................................................... 742
Figure 37 : répartition mensuelle des grèves survenues dans l’ancienne province du Poitou entre 1864 et 1914 :
................................................................................................................................................................... 753
Figure 38 : pourcentage de grèves par saison dans les départements poitevins entre 1864 et 1914 ................... 754
TABLEAUX
Tableau 1 : liste des usines de conserves de l'arrondissement des Sables-d’Olonne en août 1909 :..................... 65
Tableau 2 : l’industrie textile dans la statistique industrielle de l’arrondissement de Parthenay au premier janvier
1827 :......................................................................................................................................................... 103
Tableau 3 : liste des personnes considérées comme hostiles au second Empire dans l’arrondissement de Poitiers
en 1852 : .................................................................................................................................................... 245
Tableau 4 : cantons « républicains de principe » dans les Deux-Sèvres et en Vendée de 1876 à 1910 :........... 253
Tableau 5 : ouvriers inscrits dans la liste des anarchistes du département de Vendée en 1895 : ........................ 275
Tableau 6 : passeport intérieurs et secours de route délivrés pour l’année 1842 : .............................................. 303
Tableau 7 : état nominatif des passeports et visa de passeports d’indigents avec secours de route, ou moyen de
transport pendant l’année 1869 : ............................................................................................................... 305
Tableau 8 : nombre de livrets ouvriers distribués dans les départements des Deux-Sèvres et de Vendée pour
l’année 1882 : ............................................................................................................................................ 315
Tableau 9 : liste des ouvriers de la manufacture d’armes de Châtellerault à éloigner de la ville en janvier 1852 :
................................................................................................................................................................... 324
Tableau 10 : ouvriers jugés par la Cour d’assise du département de la Vienne pour délits politiques entre 1849 et
1851 :......................................................................................................................................................... 373
Tableau 11 : individus poursuivis après l’émeute du 3 décembre 1851 à Niort et à Mauzé : ............................. 377
Tableau 12 : ouvriers condamnés par la commission mixte des Deux-Sèvres en 1852 : .................................... 379
Tableau 13 : artisans et ouvriers condamnés en 1856 pour affiliation à la société secrète La Militante :........... 384
Tableau 14 : comparaison du prix de la journée de travail entre l’hiver et l’été dans l’arrondissement de Civray
en 1830 : .................................................................................................................................................... 404
Tableau 15 : salaire moyen en Vendée et par arrondissement en 1848 :............................................................. 408
Tableau 16 : salaires de l’industrie textile en Deux-Sèvres et en Vendée (1879-1880) :.................................... 416
Tableau 17 : salaires du secteur du Bâtiment (1879-1880) :............................................................................... 416
Tableau 18 : salaires du secteur du cuir (1879-1880) : ....................................................................................... 417
Tableau 19 : salaires des secteurs du bois, de la céramique et du fer (1879-1880) :........................................... 418
Tableau 20 : salaires des industries d’extraction (1879-1880 et 1886) : ............................................................. 419
Tableau 21 : gage des domestiques masculin en 1874 :...................................................................................... 421
Tableau 22 : salaires de l’industrie du cuir aux alentours de 1910 : ................................................................... 424
Tableau 23 : salaires dans les industries d’extraction autour de 1910 :............................................................... 427
Tableau 24 : salaires minimums des professions manuelles non industrielles et non artisanales du département de
la Vienne en 1912 :.................................................................................................................................... 429
Tableau 25 : salaires féminins dans les conserveries de sardines de l’arrondissement des Sables-D’Olonne (1844-
1914) :........................................................................................................................................................ 433
Tableau 26 : salaires suivant l’âge et le sexe dans divers secteurs industriels entre 1844 et 1889 : ................... 440
Tableau 27 : dépenses annuelles d’une famille ouvrière du canton de Saint-Varent dans l’arrondissement de
Bressuire en 1848 : .................................................................................................................................... 446
Tableau 28 : budget annuel moyen d’un ouvrier vendéen en 1848 :................................................................... 448
Tableau 29 : salaire moyen et prix moyen des denrées de base à Châtellerault en 1866-1867 :......................... 449
Tableau 30 : contrat de mariage et patrimoine d’ouvriers armuriers de Châtellerault (1854-1878) : ................. 451
Tableau 31 : postes budgétaires d’un armurier de la manufacture d’armes de Châtellerault en 1893 (en francs) :
................................................................................................................................................................... 453
890

Tables
Tableau 32 : exemple de familles ouvrières de Poitiers et de Châtellerault en 1913 : ........................................ 456
Tableau 33 : prix des denrées alimentaires dans les arrondissement de Poitiers et de Châtellerault en 1913 :... 457
Tableau 34 : état des ateliers de charité localisé le long de la route royale n°11 durant l’hiver 1839 :............... 475
Tableau 35 : répartition des fonds octroyés par le conseil général des Deux-Sèvres aux ateliers de charité du
département en 1817 et 1848 :................................................................................................................... 476
Tableau 36 : travaux de secours aux chômeurs alloués dans les communes principales de Vendée (1899-1914) :
................................................................................................................................................................... 481
Tableau 37 : travaux de secours aux chômeurs alloués dans les communes principales de la Vienne (1899-1913) :
................................................................................................................................................................... 484
Tableau 38 : salaire journalier moyen de l’ouvrier employé dans un atelier de secours (1895-1914) :.............. 485
Tableau 39 : statistiques des placements effectués aux Sables-d'Olonne en 1910 :............................................ 490
Tableau 40 : nombre total d’établissements industriels soumis au régime de la loi du 22 mars 1841par
département : ............................................................................................................................................. 500
Tableau 41 : nombre d’enfants concernés par la loi du 22 mars 1841 par établissements (1842-1873) :........... 502
Tableau 42 : établissements visité par le service de l’inspection du travail des enfants et des filles mineures entre
1876 et 1883 :............................................................................................................................................ 504
Tableau 43 : nombre d’enfants et de filles mineures rencontrés dans les établissements visités entre 1876 et
1883 :......................................................................................................................................................... 505
Tableau 44 : rapport sur l’application de la loi du 19 mai 1874 et de la loi du 9 septembre 1848 durant l’année
1886 :......................................................................................................................................................... 507
Tableau 45 : nombre d’enfants dans les manufactures de la Vienne en 1893 :................................................... 510
Tableau 46 : enfants de 12 à 18 ans protégés par la loi de 1892 en Vendée en 1893 :........................................ 510
Tableau 47 : nombre d’enfants de 12 à 18 ans employés dans les établissements industriels de la ville des Sablesd'Olonne
au 1 er avril 1893 : ....................................................................................................................... 510
Tableau 48 : exemples de durée quotidienne du travail dans divers secteurs industriels et artisanaux entre 1848 et
1898 :......................................................................................................................................................... 515
Tableau 49 : évolution de la durée quotidienne du travail dans l’imprimerie poitevine (1900-1914) : .............. 518
Tableau 50 : évolution de la durée quotidienne du travail dans les mines de houille poitevines (1903-1914) : . 518
Tableau 51 : évolution de la durée quotidienne du travail dans le secteur du bâtiment poitevin (1899-1914) : . 519
Tableau 52 : exemples de durées quotidiennes du travail dans le secteur du cuir poitevin (1899-1910) :.......... 519
Tableau 53 : exemples de durées quotidiennes du travail dans le secteur métallurgique (1903-1914) :............. 520
Tableau 54 : exemples de durées quotidiennes du travail dans divers secteurs d’activité industriels et artisanaux
(1901-1914) :............................................................................................................................................. 520
Tableau 55 : composition des commissions de surveillance du travail des enfants en 1841 dans le département de
la Vendée :................................................................................................................................................. 524
Tableau 56 : composition des commissions de surveillance du travail des enfants en 1841 dans le département de
la Vienne : ................................................................................................................................................. 525
Tableau 57 : composition des commissions de surveillance du travail des enfants en 1859 dans les Deux-Sèvres :
................................................................................................................................................................... 526
Tableau 58 : composition professionnelle des commissions locales vendéennes chargées de l’inspection du
travail des enfants mineurs et des filles mineures dans l’industrie au 3 janvier 1885 : ............................. 531
Tableau 59 : composition professionnelle des commissions locales chargées de l’inspection du travail des enfants
mineurs et des filles mineures dans l’industrie en 1875, 1882 et 1884 dans les Deux-Sèvres : ................ 533
Tableau 60 : composition de la commission départementale du travail en Vendée en 1896 : ............................ 539
Tableau 61 : membres ouvriers de la commission départementale du travail en Vendée nommés en 1900 :..... 540
Tableau 62 : composition de la commission départementale du travail de la Vienne en 1900 : ......................... 541
Tableau 63 : composition de la commission départementale du travail de la Vienne en 1903 : ......................... 542
Tableau 64 : liste des candidats au poste d’inspecteur départemental du travail en mars 1901 :........................ 547
Tableau 65 : inspecteurs divisionnaires en charge des départements poitevins de 1874 à 1891:........................ 548
Tableau 66 : établissements industriels visités en 1887,1888 et 1889 par les inspecteurs divisionnaires des 12 e et
13 e circonscriptions : ................................................................................................................................. 551
Tableau 67 : respect de l’obligation d’affichage des lois et règlements dans les départements poitevins de 1885 à
1889 :......................................................................................................................................................... 583
Tableau 68 : pourcentages d’établissements dépourvus de livrets de mineurs de moins de 18 ans lors des
inspections effectuées entre 1885 et 1889 : ............................................................................................... 585
Tableau 69 : instruction des enfants âgés de 12 à 15 ans travaillant dans les établissements industriels vendéens
visités par l’inspection en 1886, 1887 et 1889 : ........................................................................................ 588
Tableau 70 : instruction des enfants âgés de 12 à 15 ans travaillant dans les établissements industriels de la 12 e
circonscription visités par l’inspection en 1886, 1887 et 1889 :................................................................ 589
891

Tables
Tableau 71 : instruction des enfants âgés de 12 à 15 ans travaillant dans les établissements industriels des
départements de la Vienne et des Deux-Sèvres visités par l’inspection en 1887 et 1889 :........................ 589
Tableau 72 : instruction des enfants âgés de 12 à 15 ans travaillant dans les établissements industriels de la 13 e
circonscription visités par l’inspection en 1887 et 1889 :.......................................................................... 590
Tableau 73 : nombre procès verbaux dressés et d’établissements industriels visités par les inspecteurs du travail
entre 1885 et 1889 dans les 12 e et 13 e circonscription :............................................................................. 594
Tableau 74 : proportion des établissements visités par rapport au nombre total (estimé) des établissements
soumis aux lois du travail : ........................................................................................................................ 597
Tableau 75 : nombre de visites et de contre-visites effectuées par les membres de l’inspection du travail en
1913 :......................................................................................................................................................... 598
Tableau 76 : secteurs d’activité les plus sanctionnés par l’inspection du travail en 1913 dans les 2 e et 7 e
circonscriptions : ....................................................................................................................................... 603
Tableau 77 : pathologies des ouvriers de la manufacture d’armes de Châtellerault en 1856 selon l’étude du
docteur Desayvre :..................................................................................................................................... 636
Tableau 78 : accidents du travail d’enfants et de filles mineurs dans les circonscriptions auxquelles appartiennent
les départements poitevins (1885-1889):................................................................................................... 639
Tableau 79 : accidents déclarés dans les 2 e et 7 e circonscriptions au deuxième trimestre 1913 :........................ 645
Tableau 80 : sociétés philanthropiques et de secours mutuels des Deux-Sèvres en 1852 :................................. 667
Tableau 81 : sociétés philanthropiques et de secours mutuels de la Vienne en 1843: ........................................ 667
Tableau 82 : décret du ministère de l’Intérieur du 22 janvier 1870 portant nomination de présidents de société de
secours mutuels (décret conforme à l’avis du préfet du département) : .................................................... 672
Tableau 83 : liste des société de secours mutuels uniquement autorisées du département de la Vendée en 1870 :
................................................................................................................................................................... 691
Tableau 84 : liste des société de secours mutuels approuvées du département de la Vendée en 1869 : ............ 693
Tableau 85 : classement par catégories de sociétés de secours mutuels, autres que municipales, du département
de la Vienne en 1896 :............................................................................................................................... 694
Tableau 86 : état récapitulatif des sociétés de secours mutuels approuvées du département des Deux-Sèvres pour
l’année 1879 : ............................................................................................................................................ 695
Tableau 87 : subventions attribuées aux sociétés de secours mutuels approuvées de la Vienne afin de constituer
des fonds de retraite :................................................................................................................................. 704
Tableau 88 : sociétés de secours mutuels des Deux-Sèvres ayant pour but exclusif ou principal de fournir à ses
membres une allocation de retraite (1902) : .............................................................................................. 705
Tableau 89 : revendications ouvrières dans les départements des Deux-Sèvres, Vendée et Vienne [1864-1914] :
................................................................................................................................................................... 757
Tableau 90 : situation matérielle des ouvriers des mines classés par état de fortune au 27 mars 1896 :............. 833
892

Tables
CARTES
Carte 1 : départements composant l’ancienne province du Poitou et ses préfectures et sous-préfectures : ......... 17
Carte 2 : houillères du Bas Poitou :...................................................................................................................... 51
Carte 3 : fabriques de conserves de l’arrondissement des Sables-d’Olonne en 1909 : ........................................ 63
Carte 4 : exemples de localités du rayon choletais accueillant des usines de chaussure au début du XX e siècle :68
Carte 5 : fabriques textiles de l’arrondissement de Poitiers au XIX e siècle : ....................................................... 95
Carte 6 : principales fabriques textiles de la Gâtine et du sud Deux-Sèvres au XIX e siècles :.......................... 107
Carte 7 : principales localités du rayon textile choletais poitevin : .................................................................... 113
Carte 8 : fabriques et ateliers de coutellerie de l’arrondissement de Châtellerault : .......................................... 146
Carte 9 : localisation de la forge de la Meilleraye à La Peyratte :...................................................................... 152
Carte 10 : forges du montmorillonais :............................................................................................................... 154
Carte 11 : centres majeurs de fabrication de faïence poitevine au XIX e siècle : ................................................ 161
Carte 12 : principales papeteries poitevines au XIX e siècle : ............................................................................. 177
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Illustration 1 : la manufacture à ses débuts : ......................................................................................................... 43
Illustration 2 : Vue d’ensemble de la manufacture en 1840 :................................................................................ 44
Illustration 3 : machine à fabriquer des bois de fusil : .......................................................................................... 45
Illustration 4 : Puits Saint-Laurent à Saint-Laurs :................................................................................................ 52
Illustration 5 : déjeuner des femmes d’une usine de sardines de Croix-de-Vie (date indéterminée) : .................. 66
Illustration 6 : Distillerie de Melle incendiée le 9 mai 1908 :............................................................................... 76
Illustration 7 : publicité pour les automobiles Barré : ........................................................................................... 78
Illustration 8 : tisseur lyonnais travaillant à domicile : ......................................................................................... 93
Illustration 9 : filature de Saint-Maixent :........................................................................................................... 101
Illustration 10 : filature Blot à Pompairain :........................................................................................................ 104
Illustration 11 : métier à tisser Jacquard : ........................................................................................................... 112
Illustration 12 : vieille fileuse niortaise :............................................................................................................. 119
Illustration 13 : opération de lavage des peaux en 1920 : ................................................................................... 133
Illustration 14 : doleur :....................................................................................................................................... 134
Illustration 15 : mégissiers à la tâche : ................................................................................................................ 136
Illustration 16 : vendeuse de couteaux châtelleraudaise proposant sa marchandise aux voyageurs (1820) :...... 143
Illustration 17 : machine à forger les lames : ...................................................................................................... 147
Illustration 18 : fours à chaux de saint Pompain dans les Deux-Sèvres :............................................................ 165
Illustration 19 : maison de tisserand à Saint-Léger-sous-Cholet :....................................................................... 610
Illustration 20 : cour des Poissonneaux dans le faubourg de Châteauneuf à Châtellerault (1987) :.................... 614
Illustration 21 : le pont sur la vienne et la manufacture d’armes de Châtellerault : ............................................ 619
Illustration 22 : corons de Faymoreau :............................................................................................................... 623
Illustration 23 : le fusil chassepot :...................................................................................................................... 648
Illustration 24 : tonne à eau servant à puiser l’eau des galeries (Saint-Laurs) : .................................................. 830
893

Série BB : Justice
Sources manuscrites
SOURCES MANUSCRITES
*****
ARCHIVES NATIONALES
• BB18/1937. Grèves dans le ressort de la Cour d’appel de Poitiers
• BB30/364. Troubles postérieurs à la révolution de 1848 ; correspondances et
rapports (1848-1850)
• BB30/417. Affaire de la Marianne
Série F/1cIII : Esprit public et élections
• AN F/1cIII/Deux-Sèvres/7. Comptes rendus administratifs (1790-1870)
• AN F/1cIII/Vienne/9. Correspondance et diverses (1790-1870)
Série F7 : Police générale
• F7/6772. Situation politique des départements. Rapports des préfets. Classement
départemental. Deux-Sèvres. Vendée (1815-1830)
• F7/12734. Situation politique et économique dans les départements, Deux-Sèvres,
Vendée et Vienne (1900-1910)
• F7/12750. Situation politique et économique dans les départements, Vienne
(1901-1928)
Série F12 : Commerce et industrie
• F12/4539. Situation industrielle des départements. Deux-Sèvres (1869-1887)
• F12/4545. Situation industrielle des départements. Vendée (1872-1887)
• F12/4546. Situation industrielle des départements. Vienne (1874-1887)
• F12/4730. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de
septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances. Contraventions.
Accidents. Documents généraux.
• F12/4733. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de celle de
septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des inspecteurs du
travail de la 2 e circonscription
• F12/4740 & 4741. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de
celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 7 e circonscription
• F12/4746 & 4747. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de
celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 10 e circonscription
• F12/4750 & 4751. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de
celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 12 e circonscription
894

Sources manuscrites
• F12/4752 & 4753. Application de la loi de 1874 sur le travail des enfants et de
celle de septembre 1848 sur le travail des adultes. Correspondances des
inspecteurs du travail de la 13 e circonscription
Série F22 : Travail et sécurité sociale
• F22/471 & 472. Travail des femmes et des enfants : commission départementale
du travail. Deux-Sèvres, Vendée, Vienne (1872-1938)
• F22/564. Rapports mensuels des inspecteurs du travail
*****
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES
*****
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DES DEUX-SÈVRES
Série M : Administration générale et économie
Série 3M : Élections
• 3M11/19a. Elections des représentants du peuple à l’Assemblée
Nationale : recueil des actes administratifs, instructions, liste
nominative de candidats, correspondance (1849)
• 3M11/19b. Elections des représentants du peuple à l’Assemblée
Nationale : procès-verbal de recensement des votes,
correspondance (1849)
• 3M11/20. Elections législatives : procès-verbaux des votes,
affiches, correspondances (1852-1860)
• 3M11/21. Elections législatives : rapports, circulaires, affiches,
articles de journaux, correspondances (1824-1863)
• 3M11/24. Elections législatives du 20 février 1876 : circulaires,
PV de recensement des votes, professions de foi, affiches,
correspondance (1876)
• 3M11/26a. Elections législatives du 4 septembre 1881 :
circulaires, liste de candidats, affiches, extraits de journaux,
correspondance (1881)
• 3M11/28b. Elections législatives : PV de recensement des votes,
relevé numérique des électeurs inscrits dans les tableaux de
rectification, affiches, profession de foi, correspondance (1889)
• 3M11/31. Elections législatives : PV de recensement des votes,
relevé numérique des électeurs inscrits dans les tableaux de
rectification, affiches, profession de foi, correspondance (1900-
1902)
• 3M11/32. Elections législatives : PV de recensement des votes,
relevé numérique des électeurs inscrits dans les tableaux de
rectification, affiches, profession de foi, correspondance (1906)
895

Sources manuscrites
Série 4M : Police et sûreté générale :
• 4M2. Commissaires spéciaux (1908 ; 1938)
• 4M3. Commissaires spéciaux de surveillance administrative des
chemins de fer :
• 4M6.1. Troubles dans le nord du département ; retour des
immigrés ; rapports divers (an VIII ; 1804)
• 4M6.9. Voyage de la duchesse de Berry ; chouannerie ; rapports
divers (1832)
• 4M6.12. Chouannerie ; rapports divers (1836 ; 1837)
• 4M6.13. Chouannerie ; mouvement social ; rapports divers (1836 ;
1847)
• 4M6.14 a. Révolution de 1848 ; proclamation de la République et
adhésion des communes ; arbres de la Liberté ; délivrance de
drapeaux ; rapports divers (1848-1849)
• 4M6.14 b. Révolution de 1848 ; proclamation de la République et
adhésion des communes ; arbres de la Liberté ; délivrance de
drapeaux ; rapports divers (1848-1849)
• 4M6-17 a. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la
Vénus (1855) ; rapports divers (1852-1856)
• 4M6-17 b. Commissions mixtes ; drapeaux (1853) ; affaire de la
Vénus (1855) ; rapports divers (1852-1856)
• 4M6.18 a. Affaire de la Marianne. Dossiers individuels des
accusés jugés par le tribunal de Bressuire (1856)
• 4M6.18 b. Affaire de la Marianne (1856)
• 4M6.19. Rapports divers (1856)
• 4M6.20. Attentat d’Orsini ; rapports divers (1858)
• 4M6.23. Guerre de 1870 ; suites de la Commune ; affaire de
Parthenay (1871) ; affaires divers (1870 ; 1872)
• 4M6.26. Boulangisme ; assassinant du président de la république
(1894) ; troubles à Parthenay (1898) ; mouvement social : rapports
divers (1886 ; 1899)
• 4M6.27. Mouvement social ; rapports divers (1900 ; 1903)
• 4M6.28 a. Mouvement social ; rapports divers (1904 ; 1913)
• 4M6.28 b. Mouvement social ; rapports divers (1904 ; 1913)
• 4M11/1 à 5. Rapports de police et de gendarmerie :
correspondances politique concernant les congrès et réunions
publiques et privées (1829-1914)
• 4M12/1 à 4. Rapport de police et de gendarmerie ;
correspondances politiques concernant les sociétés et les
cercles (1827-1913)
• 4M13/1 à 4. Dossiers collectifs, tableaux, états de renseignements
concernant les inculpés, surveillés politiques (1815-1859)
• 4M15/1 à 6. Dossiers individuels concernant les inculpés,
condamnés et surveillés politiques (1815-1925)
• 4M16. Dossiers collectifs, états concernant les anarchistes ;
anarchistes terroristes (1854-1893)
• 4M17/1 à 11. Dossiers individuels, correspondance concernant les
anarchistes
896

Sources manuscrites
Série 6M : hygiène et santé publique
Série 7M : Population
Série 10M : Statistiques
• 6M23.2. Logements insalubres
• 6M23.4. Insalubrité
• 6M23.9. Insalubrité
• 7M4-2. Dénombrement de la population : bulletin des lois,
tableaux (1831-1866)
• 7M4-6 a/b. Dénombrement de la population : états (1886)
• 7M4-7 : Dénombrement de la population : états (1891)
• 10M10. Statistiques des maladies particulières aux ouvriers (1809)
• 10M17.1 A à E. Statistiques industrielles et commerciales (1804 -
1889)
• 10M17.2. Tribunal de commerce de Melle : tableau des faillites,
correspondances (1836 ; 1853)
Série 11M : Industrie, commerce, travail
• 11M8.1. Syndicats professionnels : correspondances, rapports,
listes (1848 ; 1884)
• 11M8.2. A & B. Syndicats professionnels : correspondances,
rapports, listes (1884 ; 1900)
• 11M8.3.A. Chambre syndicale des ouvriers et des professionnels :
correspondances, minutes, états (1900 ; 1914)
• 11M8.3.B. Syndicats professionnels patronaux et ouvriers : états,
statistiques (1907 ; 1913)
• 11M16.1. Organisation et développement du commerce et de
l’industrie : alimentation
• 11M16.2. Organisation et développement du commerce et de
l’industrie : fabrication d’armes & adjudication
• 11M16 et s. Organisation et développement du commerce et de
l’industrie
• 11M19.1. Artisans, employés, ouvriers et apprentis : listes, états,
livrets, contrats, correspondance (années 1880 et s.)
• 11M19.2. Production ; états et correspondance (1810, 1811)
• 11M19.3. Salaires
• 11M19.5. Travail des enfants
• 11M19.6. Heures de travail
• 11M19.8. Chômage ; état récapitulatifs, rapports
• 11M19.13. Conflits et grèves
Boite A (1832-1899)
Boite B (1901 ; 1911)
Boite C (1902 ; 1931)
Boite F (1901 ; 1941)
Boite G (1890 ; 1940)
897

Sources manuscrites
Série 1N : Conseil général et commission départementale
Série U : Justice
Série 2U : Cour d’assises
Série 4U : Justices de paix
• 1N136. Sessions du conseil général, procès verbaux des
délibérations. (an VIII-1914)
• Série 2U232. Dossiers de procédure de Cour d’assise. Affiliation à
une société secrète. (1 er et 2 nd semestre 1858)
• 2U267. Dossiers de procédure de Cour d’assise. Excitation à la
haine et au mépris des citoyens les uns envers les autres et
apologie de faits qualifiés de crimes par la loi (2-5 septembre
1872)
• 4U972. Justice de paix. Niort. PV de conciliation et de non
conciliation (1847-1891)
• 4U1099. Justice de paix. Mauzé-le-Mignon. Accidents du travail
(1909 ; 1910 ; 1912)
Série X : Assistance et prévoyance sociale
Série 3X : Assistance sociale
• 3X54. Ateliers de charité (1812-1817)
• 3X55. Ateliers de charité (1817-1819)
• 3X56. Ateliers de charité (1820-1825)
• 3X57. Ateliers de charité (1826-1830)
• 3X58. Ateliers de charité (1831-1832)
• 3X59. Ateliers de charité (1833-1838)
• 3X60. Ateliers de charité (1838-1846)
• 3X61. Ateliers de charité (1847)
• 3X62. Ateliers de charité (1847-1853)
• 3X63. Ateliers de charité par communes de L’Absie à La Ronde
(1853-1854)
• 3X64. Ateliers de charité par communes de Saint-Amand à
Xaintray et affaires générales (1853 ; 1854)
Série 4X : Prévoyance sociale
• 4X1. Société de secours mutuels. Instructions (1850-1912)
• 4X2. Société de secours mutuels. Membres de bureaux et affaires
diverses (1849 ; 1909)
• 4X3. Société de secours mutuels. Statistiques et situations
financières (1876-1879) & (1902-1903)
• 4X4. Société de secours mutuels. Statistiques et situations
financières (1904-1908)
• 4X5. Société de secours mutuels. Statistiques et situations
financières (1909-1916)
898

Sources manuscrites
• 4X29. Statuts ou règlement des caisses de prévoyance ou de
maladie :
Concerne notemment les mines de Saint-Laurs
• 4X30. Statuts et règlements de sociétés charitables ou de
bienfaisance
*****
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE VENDÉE
Série M : Administration générale
Série 1M : Fonds du cabinet du préfet
Série 3M : Élections
• 1M427. Attentat contre le roi et sa famille (1835-1846)
• 3M153. Renouvellement quinquennal des conseillers municipaux.
Procès verbaux (1865)
• 3M154. Registre des conseillers municipaux élus (1865)
• 3M216-245. Elections législatives. Instructions. Correspondances.
Professions de foi. Procès verbaux
Série 4M : Police et sûreté générale :
• 4M26 à 4M28. Rapports journaliers du commissaire de police de
La Roche-sur-Yon (1893-1904)
• 4M30 à 4M37. Arrêtés municipaux
• 4M156. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Instructions
du préfet (189-1916)
• 4M177. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Anarchistes
et antimilitaristes (1893-1915)
• 4M181. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Députés
Dossiers individuels (1896-1902)
• 4M182. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon.
• 4M184. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires
diverses. Arrondissement de Fontenay-le-Comte (1896-1902)
• 4M185. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires
diverses. Arrondissement de La Roche-sur-Yon (1894-1911)
• 4M186. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires
diverses. Arrondissement des Sables-d’Olonne (1896-1911)
• 4M191. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon
• 4M194. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires
sociales. Rapports. Correspondance. Coupure de presse.
Surveillance des syndicats professionnels (1893-1914)
• 4M195. Commissariat spécial de La Roche-sur-Yon. Affaires
sociales. Conflits sociaux. Grèves (1895-1914)
• 4M395. Agitation républicaine. Emblèmes, propos séditieux.
« Association républicaine de l’Ouest » (1836-1946)
• 4M396. Coup d’Etat du 2 décembre 1851. Mesures de répression.
Instruction. Correspondance. Etat des condamnés (1852-1855)
899

Sources manuscrites
• 4M397. Condamnés politiques. Dossiers individuels (1852-1855)
• 4M400. Surveillance des suspects (1852-1867)
• 4M401. Société secrète de la Chaume. Surveillance
démantèlement (1856)
• 4M402. Commune de Paris : insurgés. Instructions. Rapports.
Dépêches (1871)
• 4M404. Commune de Paris : passeports individuels après mise en
liberté (1871-1872)
• 4M408. Réunion, manifestations et propagande des partis et
groupements politiques (1887-1929)
• 4M411 à 4M134. Cercles et associations
• 4M414. Manifestations ouvrières du 1 er mai (1892 ; 1940)
• 4M415. Réunions et manifestations syndicales et professionnelles
(1889-1919)
Série 5M : Hygiène et santé publique
• 5M18. Logements insalubres (1850-1911)
Série 6M : Population, affaires économiques et statistiques
• Série 6M1. Population, état civil : instructions, circulaires (an
VIII-1936)
• 6M1089. Statistique générale, statistique hospitalière, industrielle,
agricole… (1873-1880)
• 6M1090. Enquête sur la vie ouvrière et rurale (1913)
• 6M1100. Etats statistiques quinquennaux du département (1866-
1926)
• 6M1101. Etats statistiques quinquennaux d’arrondissement
(1866 ; 1896)
• 6M 1102. Etats statistiques cantonaux (1891)
• 6M1123. Etat des statistiques cantonales des professions.
Arrondissement de Fontenay-le-Comte (1891)
• 6M1124. Etat des statistiques cantonales des professions.
Arrondissement de La Roche-sur-Yon (1891)
• 6M1125. Etat des statistiques cantonales des professions.
Arrondissement des Sables-d'Olonne : statistiques communales
(1891)
• 6M1231. Statistiques industrielles ; instructions, affaires
générales (1806-1850)
• 6M1232. Statistiques de France. Industrie, situation des fabriques
ou manufactures (1839-1849)
• 6M1233 à 1236. Etat numérique par commune (1848)
• 6M1237. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848).
Instructions ; correspondance relative aux commissions cantonales
d’enquête (1848-1849)
• 6M1238. Enquête industrielle et agricole (décret du 25 mai 1848).
Enquêtes cantonales sur le travail agricole et industriel (1848-
1849)
• Série 6M1240. Dénombrement décennal de l’industrie (1861)
• 6M1241. Situation industrielle trimestrielle (1856-1887)
900

Sources manuscrites
• 6M1242. Situation commerciale et industrielle mensuelle (1862-
1887)
• 6M1243. Statistiques des industries principales (1882-889)
Série 10M : Travail et main-d’œuvre
• 10M1. Exécution des lois du régime industriel. Rapports. Etats
statistiques des livrets d’ouvriers (1851-1888)
• 10M2. Enquêtes de l’office du travail (1891-1895)
• 10M5. Inspection du travail dans l’industrie (1892-1920)
• 10M6. Etablissements soumis à l’inspection du travail (1897)
• 10M7. Travail des enfants. Lois, décrets, instructions (1841-1937)
• 10M8. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi
du 22 mars 1841 (1837-1847)
• 10M9. Travail des enfants dans les industries : exécution de la loi
du 22 mars 1841 (1848-1873)
• 10M10. Travail des enfants dans les industries : exécution de la
loi du 19 mai 1874 (1875-1891)
• 10M11. Travail des enfants dans les industries : exécution de la
loi du 19 mai 1874 ; commissions locales (1874-1885)
• 10M12. Travail des femmes et des enfants dans l’industrie :
exécution de la loi du 2 novembre 1892 (1892-1936)
• 10M13. Travail des femmes et des enfants dans l’industrie :
exécution de la loi du 2 novembre 1892 : commissions
départementales du travail et comités de patronage (1892-1936)
• 10M14 : Durée de la journée du travail. Journée de 8 heures.
Semaine de 40 heures. Instructions. Applications (1905-1939)
• 10M15. Repos hebdomadaire, circulaires et généralités (1814-
1935)
• 10M16. Repos hebdomadaire dans divers secteurs d’activité
(1906-1924)
• 10M17. Repos hebdomadaire dans divers secteurs d’activité ;
dérogations (1906-1937)
• 10M20. Salaires industriels de La Roche-sur-Yon (1853-1865)
• 10M26. Accidents du travail ; législation ; instructions ;
correspondances (1881-1927)
• 10M27. Tableaux des accidents du travail dans les établissements
industriels et agricoles (1883-1889)
• 10M28. Accidents du travail ; caisses d’assurances ; médecins
examinateurs ; rapports des commissions des caisses nationales
d’assurances (1893-1926)10M30. Accidentés du travail. Rentes et
allocations (1899-1940)
• 10M33. Secours contre le chômage ; travaux effectués par les
municipalités (1896-1921)
• 10M34. Secours aux ouvriers victimes du chômage et aux marins
pêcheurs victimes de la crise sardinière (1903-1904)
• 10M37. Bureaux de placement municipaux et privés (1893-1929)
• 10M45. Conflits du travail. Instructions. Correspondances (1874-
1940)
• 10M47. Grèves dans les usines et carrières (1897-1936)
• 10M48. Grèves dans les mines d’antimoine de Rochetrejoux et les
mines de charbon de Faymoreau (1896-1930)
• 10M50. Grèves dans l’industrie textile (1888-1931)
901

Et aussi :
Sources manuscrites
• 10M51. Grèves des ouvriers du bâtiment (1879-1936)
• 10M56. Grèves dans les ports : charpentiers de navires et dockers
(1897-1936)
• 10M57. Grève des porteurs de sel (1910-1911)
• 10M58. Grèves des marins pêcheurs et dans les conserveries
(1889-1927)
• 10M59. Crise sardinière. Grèves des sardiniers. Conflits avec les
usiniers et les pêcheurs bretons (1908-1924)
• 10M64. Grèves des fondeurs, ouvriers ébénistes, galochiers,
chapeliers, papetiers, imprimeurs, employés de banque (1911-
1931)
• 10M65. Syndicats professionnels. Enquêtes ; statistiques ;
correspondances (1878-1939)
• 10M66. Syndicats dissous (1882-1938)
• 10M67. Coopératives. Instructions. Documentation (1906-1939)
• 10M68. Coopératives. Statuts. Membres. Correspondance (1882-
1938)
Document d’histoire régionale, vendée, archives départementales, service éducatif, bulletins n° 28-29,
1978/1979, le travail des enfants au XIX e siècle en Vendée, II. 1874-1912, Nantes, C.R.D.P, 1979, n.p.
Doc. 45 : Nombre d’enfants travaillant dans les principales fabriques de
Vendée (1841 ; 1877)
Doc. 53 : salaires journaliers moyens des enfants en 1886 et 1887
Doc. 54 : salaires des enfants dans une douzaine de fabriques vendéennes de
1880 à 1887
Doc. 58 : liste des enfants de 12 à 18 ans employés dans l’industrie dans les
communes signalées par l’inspecteur départementales comme étant les
principaux centres industriels en 1893
Doc. 59 : nombre total d’enfants et de filles mineures par arrondissement
(1871 ; 1893)
Série S : Mines et carrières :
Série U : Justice
• S 595. Mines et carrières (1835-1880)
• S 596. Mines et carrières (1835-1880)
• S 601. Mines et carrières. Personnels, accidents, circulaires,
enquêtes (1810-1872)
• S 609. Mines et carrières
• 3U1.62. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La
Roche-sur-Yon. Correspondances avec le procureur (1812-1850)
• 3U1.63. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La
Roche-sur-Yon. Correspondances avec le procureur (1851-1870)
• 3U1.641. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La
Roche-sur-Yon. Dossiers de procédure (1842-1846)
• 3U1.643. Tribunal de première instance de Montaigu puis de La
Roche-sur-Yon. Dossiers de procédure (1848-1852)
• 3U 2 626. Tribunal de première instance de Fontenay-le-Comte
• 3U3 562 : Tribunal de première instance des Sables-d’Olonne
902

Sources manuscrites
Série X : Bienfaisance, assistance et prévoyance sociale
• 24X1. Société de secours mutuels. Comptes rendus (1870-1871)
• 24X2 à 24X30. Société de secours mutuels. Comptes rendus
• 24X5/1. Société de secours mutuels. Comptes rendus (1880-1881)
• 24X31. Société de secours mutuels. Comptes rendus (1865-870)
• 24X32. Société de secours mutuels. Comptes rendus (1865-1870)
• 26X1. Enquêtes sur les sociétés de secours mutuels (1901)
• 29X1. Tableaux récapitulatifs (1857-1862)
Séances du conseil général du département de la Vendée (recueils imprimés)
*****
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA VIENNE
Série E : Etat civil
Série E4 : Notaires et autres officiers ministériels
• E4 /18 /670 répertoire du notaire de Châtellerault A. Sabourin
(septembre 1846 ; mars 1863)
• E4 /18 /768 répertoire du notaire de Châtellerault A. Sabourin
(mars 1863 ; avril 1875)
• E4 /18 /769 répertoire du notaire Sabourin du notaire A. Sabourin
(avril 1875 ; octobre 1883)
• Contrats de mariage : notaire Sabourin, Châtellerault (nov.1846février
1879) :
E4 /18 / 637 à E4 /18 /733
• Contrats de mariage : notaire Caillard, Châtellerault (septembre
1889-avril 1891) :
E4 /18 / 806 à E4 /18 /822
Série 9E : Registres paroissiaux et d’état civil
• 9E 79/67 Châtellerault, mariage, 1815
• 9E 79/70 Châtellerault, mariage, 1816
• 9E 79/73 Châtellerault, mariage, 1817
• 9E 79/76 Châtellerault, mariage, 1818
• 9E 79/79 Châtellerault, mariage, 1819
• 9E 79/82 Châtellerault, mariage, 1820
• 9E 79/175 Châtellerault, mariage, 1850
• 9E 79/178 Châtellerault, mariage, 1851
• 9E 79/181 Châtellerault, mariage, 1852
• 9E 79/184 Châtellerault, mariage, 1853
• 9E 79/293 Châtellerault, mariage, 1889
• 9E 79/296 Châtellerault, mariage, 1890
903

Sources manuscrites
• 9E 79/299 Châtellerault, mariage, 1891
• 9E 79/302 Châtellerault, mariage, 1892
• 9E 79/305 Châtellerault, mariage, 1893
Série F : Fonds divers se rattachant aux archives civiles
Série J : Archives d’origine privée
• F.77. Notes du Doyen Boissonnade
• F.83. Notes du Doyen Boissonnade
• J740. Don du doyen René Savatier. Œuvres catholiques
Série M : Administration générale et économie
Série M3 : Élections
Série M4 : Police générale
• 3M6.19. Elections de 1848 à l’assemblée constituante
• 3M6.21. Election de 1849 à l’assemblée législative
• 3M6.26. Elections générales au corps législatif, en exécution d’un
décret impérial du 27 avril 1869 (23-24 mai 1869)
• 3M6.28. Préparation de l’élection de l’assemblée constituante du
16 octobre 1870 fixée par la délégation de Tours (décret du 30
septembre), puis ajournée (sept.-oct. 1870)
• 3M6.29. Election à l’assemblée nationale du 8 février 1871
• 3M6.31. Renseignements sur les députés de la Vienne demandés
par le gouvernement (1873)
• 3M6.32. Election d’un député à l’assemblée nationale suite au
décès du baron Laurenceau (1 er mars 1874)
• 3M6.33. Election de février 1876
• 3M6.34. Election du 14 octobre 1877 à la chambre des députés
• 3M6.39. Election à la chambre des députés de 1889
• 3M6.43. Election à la chambre de député de 1893
• 3M6.46. Election à la chambre des députés de mai 1898
• M3.12. Elections du 6 (et 13) mai 1888
• M4.4. Circulaires et correspondances du préfet (ans XI-XII)
• M4.7. Circulaires et correspondances du préfet (an XIV-1806)
• M4.8. Circulaires et correspondances du préfet (1807)
• M4.11. Circulaires et correspondances du préfet (1811)
• M4.41. Correspondances du préfet (1830-1831)
• M4.42. Correspondances du préfet (1832-1834)
• M4.43. Correspondances du préfet (1835-1836)
• M4.44. Correspondances du préfet (1837)
• M4.45. Correspondances du préfet (1838)
• M4.46. Correspondances du préfet (1839)
• M4.47. Correspondances du préfet (1840)
• M4.48. Correspondances du préfet (1841-1842)
904

Sources manuscrites
• M4.49. Correspondances du préfet (1843-1844)
• M4.50. Correspondances du préfet (1845-1847)
• M4.51. Livrets ouvriers
• M4.52. Circulaires des ministres de la Deuxième République et du
second Empire
• M4.53. Circulaires des ministres du second Empire (1852-1870)
• M4.54. Correspondances du préfet (1848)
• M4.56. Correspondances du préfet (premier semestre 1849)
• M4.57. Correspondances du préfet (second semestre 1849)
• M4.58. Correspondances du préfet (1850)
• M4.59. Correspondances du préfet (janvier-septembre 1851)
• M4.60. Correspondances du préfet (octobre-décembre 1851)
• M4.61. Correspondances du préfet (janvier-septembre 1852)
• M4.63. Correspondances du préfet, voyage du président de la
République à Poitiers, surveillance des opposants (Octobredécembre
1852)
• M4.65. Correspondances du préfet (1853)
• M4.68. Correspondances du préfet (1854-1856)
• M4.69. Correspondances du préfet (1857-1859)
• M4.70. Correspondances du préfet (1860-1861)
• M4.71. Correspondances du préfet (1862-1865)
• M4.72. Correspondances du préfet (1866-1870)
• M4.74. Dossiers individuels d’internés politiques (1852-1859)
• M4.78. Circulaires des ministres de la troisième République
(1870-1915)
• M4.80. Correspondances du préfet (1871-1881)
• M4.81. Correspondances du préfet (1882-1887)
• M4.82. Correspondances du préfet (1888)
• M4.83. Correspondances du préfet (1889-1891)
• M4.84. Correspondances du préfet ; voyage de Sadi Carnot et
d’une escadre russe (1892-1893)
• M4.85. Correspondances du préfet ; voyage du ministre de
l’éducation ; mort de Sadi Carnot ; mort d’Alexandre III (1894)
• M4.86. Correspondances du préfet ; voyage du ministre du
commerce ; voyage de Félix Faure ; Voyage de l’empereur
Nicolas II (1895-1896)
• M4.88. Correspondances du préfet (1897-1898)
• M4.89. Correspondances du préfet (1899-1900)
• M4.91. Correspondances du préfet (1901)
• M4.92. Correspondances du préfet (1902 ; 1903)
• M4.226. 1 er Mai (1890-1909)
• M4.236. Etablissements et révisions des contrôles (1893-1904)
• M4.237. Saisies de journaux, brochures, affiches anarchistes et
antimilitaristes (1886-1906)
Série M5 : Santé publique et salubrité
• M5.13. Etablissements insalubres (1811-1848)
• M5.15. Etablissements insalubres. Arrondissements de
Châtellerault et de Civray (jusqu’en 1857)
• M5.23. Etablissements insalubres (1867-1868)
905

Série 8M : Population
Série M10 : Statistiques
Sources manuscrites
• M5.26 et M5.26 bis. Police sanitaire et industrielle, conseils
d’hygiène et de salubrité (1832-1877)
• M5.27. Etablissements insalubres (1879-1882)
• 8M2.2 à 8M2.21. Dénombrements de la population du
département (1806 à 1896)
• M10.24. Salaires des ouvriers (1830-1890)
• M10.122. Statistiques industrielles (1839-1852)
• M10.123. Statistiques sommaires des industries principales (1873-
1888)
• M10.124. Salaires des ouvriers (1830-1890)
• M10.125. Situation de famille des ouvriers des manufactures
• M10.126. Enquêtes relatives à la vie ouvrière et à la vie rurale
(1913)
• M10.127. Etat statistiques des syndicats professionnels (1911)
Série M12 : Industrie, commerce, poids et mesures, travail
• M12.22. Situation industrielle du département
• M12.41. Société coopératives, banques populaires, sociétés de
crédit (1885-1890)
• M12.53. Syndicats professionnels, chambres syndicales, sociétés
coopératives (1891-1898)
• M12.54. Syndicats professionnels, chambres syndicales, sociétés
coopératives (1891-1906)
• M12.63. Travail des enfants dans les manufactures
• M12.77. Inspection du travail. PV. (1901-1912)
• M12.84. Retraites ouvrières, circulaires (1911-1915)
• M12.85. Syndicats professionnels (notice) (1903-1911)
• M12.89. Affaires diverses relatives aux accidents du travail
(1896-1906)
• M12.95. Etat des syndicats professionnels, feuilles signalétiques
des syndicats dissous (1903-1908)
• M12.107. Travail, repos hebdomadaire (1906-1920)
• M12.108. Révision des salaires, condition du travail dans les
marchés (1900-1910)
• M12.109. Chômage industriel et agricole (1899-1912)
• M12.110. Grèves, coalitions, contrats d’apprentissage (1892-
1906)
• M12.113. Grèves (1894-1902)
• M12.114. Grèves et coalitions (1903-1906)
• M12.115. Grèves (1908-1911)
• M12.116. Accidents du travail, hospitalisation, prix de journée
(1905)
• M12.118. Prud’hommes (divers) (1894-1909)
• M12.124. Inspecteurs du travail, renseignements sur les candidats
(1901 ; 1919)
906

Série N : Conseil général
Série U : Justice
Série 2U : Cour d’assises
Sources manuscrites
• M12.125. Conditions de travail dans les marchés (1910-1917).
Inspections du travail, personnel (1891-1912).Travail des femmes
et enfants dans l’industrie (1896-1902)
• M12.131. Syndicats ouvriers : affaires diverses (1905 ; 1921)
• M12.138. Repos hebdomadaire, fermetures obligatoires (1907-
1925)
• M12.142. Grèves (1884…)
• M12.143. Conseil des prud’hommes de Poitiers (1908)
• M12.149. Repos hebdomadaire (arrêtés) (1907…)
• M12-150. Commission départementale du travail 1905-1922
• M12.469. Repos hebdomadaire. Circulaires, instructions (1906-
1940)
• M12.470. Main d’œuvre. Travail des femmes et des enfants dans
l’industrie, emploi des enfants dans les théâtres, comité de
patronage (1892-1937) & emploi de travailleurs étrangers (1932-
1939)
• M12.489. Accidents du travail. Instructions et correspondances
(1893-1940)
• M12.577 et M12.578. Bureaux de placement
• N1. Rapports, procès-verbaux, instructions, correspondances (an
8-1821)
• N2. Rapports, procès-verbaux, instructions, correspondances
(1822-1834)
• N3. Conseil général. Rapports des préfets, instructions,
correspondances (1835-1841)
• 2U 1501. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1829)
• 2U 1502. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1830)
• 2U 1506. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1831)
• 2U 1507. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1831)
• 2U 1511. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1832)
• 2U 1512. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1832)
• 2U 1516. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1834)
• 2U 1535. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1838)
• 2U 1507. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1840)
• 2U 1587. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1848)2U 1594
à 1598. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne : affaire des
troubles de Limoges (1849)
• 2U 1599. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1850)
• 2U 1604. Dossiers de Cour d’assises de la Vienne (1851)
907

Série 4U : Justices de paix
Sources manuscrites
• 4U3/139. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
déclaration, certificats médicaux (1898-1901)
• 4U3/140. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
déclaration, certificats médicaux (1902)
• 4U3/141. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
déclaration, certificats médicaux (1903)
• 4U3/142. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
déclaration, certificats médicaux (1905)
• 4U3/143. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
déclaration, certificats médicaux (1906)
• 4U3/144. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
déclaration, certificats médicaux (1907)
• 4U3/145. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
déclaration, certificats médicaux (1908)
• 4U3/146. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
déclaration, certificats médicaux (1909)
• 4U3/153. Justice de paix, Châtellerault. Accidents du travail :
enquêtes : procès verbaux (1906-1937)
Série X : Assistance et prévoyance sociale
Série 2X : Bureaux de bienfaisance, d’assistance et de charité
Série 3X : Assistance
• 2X1. Bureaux de bienfaisance
• 3X4. Dépenses d’assistance
• 3X6. Œuvres sociales diverses
• 3X13. Crèches
Série 4X : Prévoyance sociale
• 4X1. Sociétés de secours mutuels. Correspondances du préfet
(1812-1940)
• 4X3. Sociétés de secours mutuels. Enquêtes et statistiques
• 4X22. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault
• 4X30. Sociétés de secours mutuels
• 4X64. Sociétés de secours mutuels de Châtellerault
• 4X66. Sociétés de secours mutuels de Loudun
• 4X67. Sociétés de secours mutuels et philanthropiques de Poitiers
• 4X68. Sociétés de secours mutuels de Poitiers
Recueil des actes administratifs de la préfecture de la Vienne (1815-1899)
*****
908

Sources manuscrites
ARCHIVES MUNICIPALES
Archives municipales de Poitiers
*****
Délibérations du conseil municipal de l’an VIII au 19 décembre 1899
B.58. Bureaux de placements (1810-1868)
CO268 : délibérations du conseil général de la Vienne
I.264. Industries commerciales et manufacturières du département
(1816-1821)
Archives municipales de Châtellerault
Délibérations du conseil municipal de l’an XII au 28 novembre 1898
*****
909

Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
*****
SOURCES IMPRIMÉES GÉNÉRALES
*****
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l’habillement, Paris, 1906, 313 p.
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comparatives sur le régime et les ressources des différentes industries, Paris, 1860, 2 vol.
AULARD (François Alphonse), L’état de la France en l’an 8 et l’an 9, Paris, 1897, 157 p.
AUZEBY E., L’ouvrière devant les lois du travail et de la prévoyance sociale, thèse droit,
Montpellier, 1911, 183 p.
BARTHELEMY (H.), Traité élémentaire de droit administratif, Paris, 1910, 992 p.
BASTIAT (Frédéric), Œuvres complètes, Paris, 1862-1864, 5 vol.
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BLANQUI (Adolphe), Les classes ouvrières en France pendant l’année 1848, Paris, 1849, 255 p.
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BOUQUET (Louis), la réglementation du travail. Le travail des enfants, des filles mineures et des
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BURET (Eugène), De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, Paris, 1840,
(reprint Paris, 1979, 2 vol.)
CABOUAT (Jules), Traité des accidents du travail. Exposé du système de responsabilité et
d’indemnisation établi par la loi du 9 avril 1898, Paris, 1898, 2 volumes, 858 p.
CABOUAT (Jules), La loi du 9 avril 1898 sur la responsabilité des accidents du travail. Examen
pratique de doctrine et de jurisprudence, Revue trimestrielle de droit civil, 1905, n°4, pp.183-200
CAIRE (César), La législation sur le travail industriel des femmes et des enfants, thèse droit, Caen,
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DESROYS du ROURE (H.), Le règlement d’atelier et le contrat de travail, thèse droit, Paris, 1910,
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Quelle peut-être la place de l’ouvrier dans le Poitou du XIX e siècle, région archétype d’une France en
miniature, majoritairement conservatrice et rurale ? Quelle perception peut avoir l’autorité publique d’une
population marginale noyée dans un océan de ruralité à une époque de bouleversements économiques, sociaux et
politiques majeurs ?
Loin des centres industriels du nord et de l’est de la France, le monde ouvrier poitevin demeure très
hétérogène, fruit d’une tradition artisanale ancienne plus qu’enfant de la révolution industrielle. Victime d’a
priori nationaux l’ouvrier est parfois perçu comme un individu turbulent, voire dangereux pour l’ordre public, ou
bien comme un privilégié au regard des masses paysannes, ou, au contraire, comme un simple pauvre sans
spécificités propres.
Le développement du suffrage universel et la prise de conscience sociale des gouvernants permettent à
la population industrielle locale de faire entendre sa voix, à défaut d’être toujours écouté. Politiquement faible,
l’ouvrier possède néanmoins quelques bastions précisément localisés où il peut exercer une influence non
négligeable.
Cependant sa modération politique et sa modeste importance numérique ne sont pas suffisantes pour que
l’ouvrier soit prioritaire dans l’esprit des autorités publiques. D’autres enjeux locaux priment sur la prise en
compte des aspirations d’une catégorie sociale minoritaire. L’application d’une législation sociale, qui émerge
dans la seconde moitié du siècle, se fait sans zèle malgré le besoin réel d’une intervention étatique au sein des
ateliers.
Pour faire face aux difficultés d’une vie quotidienne éprouvante il reste la solidarité et la revendication
active. L’entraide mutuelle, fille de la philanthropie, permet d’entrevoir le futur d’un œil moins sombre. Quant à
la grève elle met du temps avant d’entrer dans les mœurs bien qu’elle apparaisse souvent comme un réel moyen
de progrès social.
Dispersé dans les campagnes l’ouvrier doit redoubler d’effort pour faire reconnaître sa spécificité par
une administration préoccupée par l’ordre publique et les combats politiques et idéologiques de son époque.
Mots clés : Ouvrier – Industrie – Administration – Politique – Vie locale – Lois sociales – Mutualisme – Grèves
What can the place of the worker be in the 19 th century Poitou, archetypal region of a miniature France,
predominantly conservative and rural? What way can the public authority perceive a population living on the
margins of society, drowned in an ocean of ruralism in a period of major economic, social and political
upheavals ?
Far from the industrial centres of the North and East of France, the Poitou labour force remains very
heterogeneous, fruit of an ancient craft tradition rather than child of the industrial revolution. Victim of national
a priori, the worker is sometimes seen as unruly and even dangerous for law and order, or as a privileged person
in the eyes of the agricultural masses, or on the contrary, as a mere poor man with no specific characteristics.
The development of the universal suffrage and the social awareness of the rulers, allow the local
industrial population to make itself heard, even if not always carefully listened to. Though politically weak, the
worker masters a few bastions precisely located in areas where he can carry some influence.
However, his political moderation and his small population are not sufficient enough for the worker to
have priority in the mind of public authorities. Other local stakes prevail over the aspirations of a minority social
group. A social legislation, emerging in the second half of the century, is implemented with no zeal, despite the
real need for a state intervention in the workshops.
To face the difficulties of a testing daily life, there is solidarity and active claims. Mutual support, child
of philanthropy, allows the worker to view the future in a less unfavourable light. As for the strike, it takes time
before it has become a normal practice, even if it is often seen as an effective means of social progress.
Scattered in the countrysides, the worker must step up to make his specificity be acknowledged by an
administration mainly preoccupied with law and order, and the political and ideological fights of its time.
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