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LNA#49 / à lire 22 Histoire de la thermodynamique classique, de Carnot à Gibbs * * Robert Locqueneux, Paris, éd. Belin, 2008. Tous les historiens des Sciences connaissent les ouvrages de Robert Locqueneux, notamment son Histoire de la physique 1 , sa Préhistoire et Histoire de la thermodynamique classique 2 , son Ampère, encyclopédiste et métaphysicien 3 qui vient de paraître, ainsi que son Henri Bouasse, un regard sur l’enseignement et la recherche 4 . Ce sont des œuvres admirables, savantes, riches et concises à la fois. C’est donc avec un réel bonheur que nous verrons paraître prochainement « Une histoire de la thermodynamique classique, de Carnot à Gibbs », que vont lire avec empressement et profit les enseignants de physique – qui pourront éclairer les connaissances actuelles à la lumière des problématiques développées dans le passé –, mais aussi les historiens des Sciences et des Techniques et le public cultivé. L ’histoire des sciences peut-être présentée de trois manières différentes dans les livres. Les uns sélectionnent les épisodes qui semblent conduire à notre science contemporaine et en font une suite d’éléments classés de manière chronologique qui mènent à un savoir achevé : le nôtre. D’autres énumèrent comme un catalogue les prétendues opinions des uns et des autres, sans que le sens des travaux énoncés apparaisse. C’est à la troisième catégorie qu’appartient l’ouvrage de Robert Locqueneux. Celui-ci nous y fait accéder à son immense culture en nous donnant les grilles intellectuelles qui permettent, à chaque époque, d’interpréter les phénomènes où le chaud et le froid sont impliqués. Il peint les contextes, les présupposés, les œuvres des hommes et les intègre dans leurs visions du monde : elles donnent naissance à des systèmes physiques continûment remis en causes. Ainsi, l’auteur prend-il en compte, dans les œuvres de Clausius, Boltzmann et quelques autres, la part qui substitue à l’éternel retour des choses – caractéristique de la vision laplacienne du monde – l’idée de la mort annoncée de l’univers. Il souligne la place prise par la thermodynamique dans l’énergétique d’Ostwald, laquelle prétend rendre compte de tous les domaines de l’activité humaine ; il montre l’implication scientiste de certains acteurs de cette histoire. 1 Que sais-je, éd. PUF. 2 Cahiers d’histoire et de philosophie des Sciences. 3 EDP Sciences. 4 Albert Blanchard. Par Bernard MAIttE Professeur d’histoire des sciences et d’épistémologie à l’Université de Lille 1 La science est ainsi présentée comme œuvre diverse et collective, comme pensée vivante sur le monde. Pour nous faire comprendre ces problématiques où les frontières de nos actuelles disciplines n’existent pas, où les sens des mots attachés aux concepts diffèrent, Robert Locqueneux a choisi de nous donner des textes significatifs de la manière dont on peut, tout au long du XIX ème siècle, raisonnablement et contradictoirement, se représenter les phénomènes où le chaud et le froid interviennent. Ces textes sont insérés dans l’histoire elle-même, la complètent, l’illustrent, montrent l’incidence du discours scientifique sur la façon de penser du temps, de même que la façon de penser du temps agit sur le discours scientifique. Au milieu du XIX ème siècle, nul ne fait de la physique sans avoir recours à l’analyse mathématique : ce serait trahir la pensée des auteurs qui ont élaboré les thermodynamiques phénoménologique et statistique que de donner leurs textes sans leur formalisme mathématique. L’auteur nous permet donc d’entrer dans ce qu’il a été convenu d’appeler la « physique mathématique », mais c’est son grand mérite de l’avoir fait de telle manière que le lecteur plus intéressé par l’histoire des idées que par l’histoire de la physique puisse enjamber les formules citées sans vergogne. En voulant ainsi donner idée de l’état des connaissances en physique aux différents moments de cette histoire, Robert Locqueneux met en scène des conflits et montre que diverses interprétations peuvent parfois être faites d’un même phénomène, sans que les connaissances du temps permettent de les départager. Il décrit à égalité les différentes tendances qui s’affrontent en une époque : celles qui rétrospectivement ont marqué l’évolution vers nos modernes théories, celles qui ont conduit à une impasse, celles qui ont été oubliées, celles qui se sont révélées – beaucoup plus tard – fécondes... Cette manière de faire nous incite à beaucoup de modestie, d’une part parce que l’on peut se rendre compte que la pertinence d’une recherche ne se mesure pas à l’aune de sa mathématisation, ensuite parce que nous découvrons que les recherches les plus contemporaines pourraient gagner en épaisseur et en fécondité en reformulant d’anciennes questions, en se nourrissant aux sources des auteurs du passé. L’auteur n’a pas voulu terminer son ouvrage sur l’établissement des thermodynamiques phénoménologique et statistique, dont les formalisations mathématiques restent en grande partie les nôtres, la clarté des exposés en moins : il montre le rôle central qu’elles ont joué dans la crise de la
physique aux environs de 1900, alors que beaucoup de physiciens pensaient que la physique était achevée, comme déjà avant eux d’autres avaient pu penser de même... La physique actuelle bénéficie elle aussi d’une présentation consensuelle ; elle fait chaque jour preuve de sa fécondité. Est-elle pour autant garantie contre toute remise en cause ? Le livre de Robert Locqueneux permet de suggérer que nos connaissances en physique nous font percevoir certains phénomènes d’une manière telle que nous ne puissions les utiliser pour rechercher d’autres formalisations ou, peut-être, une autre physique fondée sur d’autres principes... Ainsi est-il pertinent de se demander si ce livre magistral, qui nous présente l’histoire de la thermodynamique classique, constitue une leçon d’histoire ou une leçon de physique. Il faut lire et relire ce récit de l’invention des thermodynamiques. La leçon de physique que nous donne Robert Locqueneux nous répète que notre science, si dogmatisée, n’est pas achevée et ne saurait épuiser le réel. La leçon d’histoire nous montre que l’évolution des idées en physique est toujours faite, à toute époque, de continuités et de ruptures, mais surtout de tensions contraires. Ludwig Boltzmann Sadi Carnot à lire / LNA#49 23
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