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les nouvelles d'Archimède #43 - Espace culture de l'université de ...

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« Il n’y aura plus <strong>de</strong> livres, le siècle prochain. C’est trop long<br />

<strong>de</strong> lire, quand le succès est <strong>de</strong> gagner du temps » 8 . Du sophiste,<br />

il aurait donc la maîtrise <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> langage, le parti<br />

pris du sensible et l’accueil <strong>de</strong> l’événement. Ses adversaires<br />

ou ses interlocuteurs incontournab<strong>les</strong> dans l’histoire <strong>de</strong> la<br />

philosophie seraient donc Platon ou Hegel. Philosopher,<br />

c’est toujours se situer par rapport à ces <strong>de</strong>ux-là. Sophiste, le<br />

philosophe peut être aussi avocat, voire procureur, dès lors<br />

qu’il a affaire au juste.<br />

La position classique du problème du juste est celle d’Aristote<br />

9 qui place le juste au sommet <strong>de</strong> l’ordre pratique, distinct<br />

<strong>de</strong> l’ordre théorique (la connaissance). Position reprise<br />

dans <strong>les</strong> mêmes termes par John Rawls 10 : « La justice est la<br />

première vertu <strong>de</strong>s institutions socia<strong>les</strong> comme la vérité l’est<br />

<strong>de</strong>s théories. » Autrement dit, le juste comman<strong>de</strong> l’action,<br />

le vrai comman<strong>de</strong> la connaissance. Les difficultés apparaissent<br />

lorsqu’on hypostasie le Juste et le Vrai, à côté du Beau<br />

et du Bien, en universaux. Dans ce cas, celui où nous <strong>de</strong>vons<br />

nous expliquer avec Platon, le juste est juste parce qu’il<br />

est vrai : « Platon pense que, si on a une vue ‘juste’ (c’està-dire<br />

vraie) <strong>de</strong> l’être, à ce moment-là on peut retranscrire<br />

cette vue dans l’organisation sociale, avec <strong>de</strong>s intermédiaires<br />

certes (la psyché par exemple), mais, néanmoins, le modèle<br />

reste la distribution même <strong>de</strong> l’être, il faut que la société<br />

répète pour elle-même cette distribution qui sera aussi bien<br />

distribution <strong>de</strong> capacités, <strong>de</strong> responsabilités, <strong>de</strong>s valeurs, <strong>de</strong>s<br />

biens, <strong>de</strong>s femmes et ainsi <strong>de</strong> suite » 11 . Le juste ne peut être<br />

dérivé du vrai. Le <strong>de</strong>voir-être ne dépend pas <strong>de</strong> l’être, la<br />

justice n’est pas la transcription ou la sanction d’une ontologie.<br />

L’accord avec Levinas est ici profond, explicite et<br />

revendiqué. En termes techniques, le <strong>de</strong>scriptif ne fon<strong>de</strong> pas<br />

le prescriptif. Contre Platon, Lyotard établit l’hétérogénéité<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux ordres et dénonce le rabattement du second sur<br />

le premier. Mieux même, face au discours apophantique<br />

(ou propositionnel), Lyotard, comme Levinas, réhabilite la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> et la prière. Non pas celle que je serais tenté <strong>de</strong><br />

faire pour qu’ « on » me ren<strong>de</strong> justice, mais celle que je<br />

suis requis d’écouter dans la rencontre d’autrui réclamant<br />

justice. Leçon adressée à la philosophie politique : « toute<br />

politique implique la prescription <strong>de</strong> faire autre chose que<br />

8 Ibid.<br />

9 Éthique à Nicomaque, livre V.<br />

10 Théorie <strong>de</strong> la justice.<br />

11 Au juste, p. 47.<br />

ce qui est » 12 . Adresse aussi à tous <strong>les</strong> philosophes, <strong>de</strong> Platon<br />

à Marx et ses discip<strong>les</strong> : on ne dérive pas le juste du vrai,<br />

la bonne société à venir <strong>de</strong> l’analyse « scientifique » <strong>de</strong> la<br />

société actuelle. Non pas qu’elle soit inutile mais, entre le<br />

régime du vrai et le régime du juste, il y a hétérogénéité.<br />

Le danger totalitaire est dans la fusion <strong>de</strong>s hétérogènes. Il<br />

n’y a pas une instance (Dieu, le Parti) qui me comman<strong>de</strong><br />

au nom <strong>de</strong> l’être. Tout ordre est à la <strong>de</strong>uxième personne : le<br />

récepteur, le <strong>de</strong>stinataire, c’est moi. Du côté <strong>de</strong> la référence, le<br />

discours théorique (« voilà comment <strong>les</strong> choses se passent, je<br />

vais vous expliquer le mécanisme d’extraction <strong>de</strong> la plus-value<br />

») reste entièrement dans le <strong>de</strong>scriptif. Un discours centré<br />

sur la référence, et non sur le <strong>de</strong>stinataire, finit toujours dans<br />

l’abstraction anonyme ou la terreur. Le projet <strong>de</strong> Lyotard<br />

était donc <strong>de</strong> penser la justice débarrassée du poids <strong>de</strong> l’être<br />

et <strong>de</strong> la vérité : « Il me semble que dans la justice, pour autant<br />

que la justice renvoie à du prescriptif, et elle y renvoie nécessairement,<br />

il y a un usage du langage qui est foncièrement<br />

différent <strong>de</strong> celui qui est son usage théorique » 13 .<br />

Le Différend se présente comme la mise à l’épreuve réciproque<br />

<strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> langage et du prescriptif. En avançant<br />

le concept <strong>de</strong> phrase et d’enchaînement <strong>de</strong> phrases, Lyotard<br />

franchit un pas décisif. Il réaffirme l’hétérogénéité <strong>de</strong>s régimes<br />

<strong>de</strong> phrase, <strong>de</strong> leurs règ<strong>les</strong> d’usage : dans l’enseignement,<br />

l’exercice <strong>de</strong> la justice, la pratique artistique, la relation<br />

amoureuse, etc. Rien ne peut ramener ces jeux à l’unité d’un<br />

langage. Ce qui arrive, c’est la phrase. Ce qui me manque,<br />

c’est la réponse à la question : comment enchaîner sur cette<br />

phrase ? « Le différend est l’état instable et l’instant du langage<br />

où quelque chose doit pouvoir être mis en phrases, ne<br />

peut pas l’être encore. Cet état comporte le silence qui est<br />

une phrase négative, mais il en appelle aussi à <strong>de</strong>s phrases<br />

possib<strong>les</strong> en principe » 14 . Silence, celui <strong>de</strong>s rescapés. Phrase<br />

à venir, jusqu’ici bloquée : « comment enchaîner après Auschwitz<br />

? ». « Le silence ne signale pas quelle est l’instance<br />

niée, il signale qu’une ou <strong>de</strong>s instances sont niées, et l’on<br />

peut entendre : 1) que la situation en question (le cas) n’est<br />

pas l’affaire du <strong>de</strong>stinataire (il n’a pas la compétence, ou il<br />

ne mérite pas qu’on lui en parle) ou 2) qu’elle n’a pas eu lieu<br />

(c’est ce qu’entend Faurisson) ou 3) qu’il n’y a rien à en dire<br />

(elle est insensée, inexprimable) ou 4) que ce n’est pas l’af-<br />

12 Ibid., p. 48.<br />

13 Ibid., p. 49.<br />

14 Ibid.<br />

libres propos / LNA#49<br />

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