MASSACRE À SEGUIN! - Haiti Liberte
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Massacre à Seguin!<br />
Par Kim Ives<br />
Cette tuerie de paysans a été rapportée et photographiée par Claudy<br />
Bélizaire de l’Institut de Référence pour Journalisme et Communication<br />
(RIJC), basé à Jacmel<br />
Le régime de Martelly tue des paysans<br />
sans armes dans une autre expulsion<br />
controversée<br />
La police haïtienne a tué par balles<br />
quatre personnes et a détruit sept<br />
maisons dans une tentative de déloger<br />
140 familles paysannes d’un parc situé<br />
au sommet d’une montagne rurale où<br />
ils ont vécu et cultivé depuis ces 70<br />
dernières années.<br />
La confrontation sanglante,<br />
qui a eu lieu exactement 25 ans jour<br />
pour jour après un infâme massacre<br />
en 1987 de paysans près de la ville du<br />
nord-ouest de Jean-Rabel, a enflammé<br />
la population du département du sudest<br />
et a redoublé les accusations que<br />
le gouvernement du président Michel<br />
Martelly est en train de ressusciter les<br />
tactiques répressives des dictatures<br />
duvaliéristes et néo-duvaliériste qui ont<br />
régné en Haïti, et marqué le pays il y a<br />
deux décennies.<br />
L’incident a été rapporté et photographié<br />
par Claudy Bélizaire de l’Institut<br />
de Référence pour Journalisme et<br />
Communication (RIJC), basé à Jacmel.<br />
Ses photos de cadavres ensanglantés et<br />
de maisons brûlées dans Galette Sèche /<br />
Seguin, une localité reculée voisine des<br />
pics de certaines des plus hautes montagnes<br />
d’Haïti, ont fait sensation sur<br />
Internet, Twitter et Facebook. Entretemps,<br />
les grands médias ont largement<br />
ignoré l’histoire à ce jour.<br />
« Un commando composé de 36<br />
agents de l’Unité Départementale du<br />
Maintien de l’Ordre (UDMO), dirigée<br />
par le Directeur départemental de la<br />
PNH [Police Nationale Haïtienne],<br />
accompagné du Délégué Départemental<br />
du Sud-Est, du Commissaire du<br />
gouvernement et un juge de Paix, se<br />
sont rendus à Seguin [Commune de<br />
Marigot] plus précisément au Parc La<br />
Visite, à bord de 6 véhicules et d’une<br />
ambulance de la Croix Rouge Haïtienne,<br />
pour lancer une opération visant à<br />
faire déguerpir les 140 familles, qui<br />
occupaient illégalement [depuis 1942<br />
!], une partie de ce Parc, » a rapporté<br />
le RIJC.<br />
« Furieuse de ce débarquement<br />
musclé et armé, la population locale a<br />
affronté les forces de l’ordre et lancé<br />
des pierres; selon des témoignages<br />
l’opération a duré 2 heures. De<br />
nombreux coups de feu ont été tirés<br />
contre les protestataires et... 5 policiers<br />
[auraient été] blessés, » d’après le<br />
RIJC. « Le corps de 4 victimes ont été<br />
retrouvés et identifiés [Désir Enoz - 32<br />
ans, Nicolas David - 28 ans, Robinson<br />
Volcin – 22 ans et Désir Aleis - 18<br />
ans], 4 enfants sont portés disparus, 3<br />
maisons complètement détruites par le<br />
feu et 4 autres saccagées, 3 bœufs ont<br />
été abattus.»<br />
« Pourtant, le jour suivant ce<br />
dramatique incident, Ovilma Sagesse,<br />
Directeur de la police du Sud-Est,<br />
s›inscrivait en faux contre ces déclarations,<br />
affirmant que seulement 5<br />
policiers avaient été blessés par les occupants<br />
du Parc. “ Face à l›agressivité<br />
de ces individus, nous avons dû suspendre<br />
l›opération pour éviter qu›il<br />
y ait des victimes...” Les corps des<br />
victimes au Parc La Visite, attestent<br />
pourtant le contraire... »<br />
Par téléphone, Claudy Bélizaire a<br />
dit à Haïti Liberté que la situation dans<br />
la région reste très tendue et la population<br />
très en colère. « La population a<br />
brûlé à peu près 100 hectares de forêt<br />
en pin en réponse à l’intervention des<br />
autorités, » Bélizaire nous a rapporté.<br />
Ce chiffre vient de Frantz Pierre-Louis,<br />
secrétaire général de la délégation du<br />
sud-est.<br />
L›agronome Arcène Bastien,<br />
directeur départemental de<br />
l›Environnement du Sud-Est, dans les<br />
remarques qu’il a faites au Nouvelliste,<br />
a nié tout acte de violence des policiers<br />
contre les paysans vivant dans le parc<br />
La Visite, affirmant qu’« une trentaine<br />
de policiers qui accompagnaient une<br />
délégation de la Protection civile ont<br />
dû faire marche arrière, face à la colère<br />
de la population ». Il a essayé aussi de<br />
soulever le spectre d’un complot, affirmant<br />
au journal que « des fauteurs de<br />
trouble avaient infiltré la population et<br />
l›a dressée contre la délégation ».<br />
Il semble, quand même, que ceux<br />
qui ont manifesté contre le déguerpissement<br />
des 140 familles ainsi que les<br />
victimes été tuées par balles n’étaient<br />
en aucune façon armés. « Ils n’avaient<br />
pas d’armes, ils lançaient des pierres »,<br />
nous a rapporté Bélizaire.<br />
Récemment le sénateur Moïse<br />
Jean-Charles a accusé le gouvernement<br />
et les grands propriétaires terriens dans<br />
le nord d›Haïti de commencer également<br />
à exproprier des paysans de leurs<br />
terres. Après la chute de la dictature<br />
des Duvalier en 1986, les paysans ont<br />
récupéré de nombreux terrains qui leur<br />
avaient été volés ainsi qu’à l›Etat pendant<br />
des décennies par les grandons,<br />
Des maisons brûlées au Parc la visite<br />
comme on appelle les grands propriétaires<br />
terriens d›Haïti. « Aujourd’hui,<br />
avec l’accession de Martelly au pouvoir,<br />
tous les grannèg, grandons qui avaient<br />
accaparé des terres dans la région de<br />
Milot, se sont rassemblés autour de<br />
Martelly. Aujourd’hui, ils détiennent le<br />
pouvoir, et ils ont commencé à nous<br />
attaquer », a déclaré le sénateur, qui<br />
était un leader du Mouvement Paysan<br />
de Milot dans les années 80, dans<br />
une longue interview accordée à Haïti<br />
Liberté (voir Haïti Liberté, Vol. 5, No.<br />
51, le 4 juillet 2012).<br />
Le 23 juillet 1987, des grandons<br />
près de Jean-Rabel ont massacré au<br />
moins 139 paysans affiliés à l’organisation<br />
paysanne Tèt Kole Ayisyen<br />
Tipeyizan, au moyen de fusils et de<br />
machettes. Puis, le grandon Nikol Poitevien<br />
est allé à la télévision haïtienne<br />
quelques jours plus tard faisant une déclaration<br />
restée célèbre : « nous avons<br />
tué 1042 communistes. »<br />
Dans une longue déclaration sur<br />
cet anniversaire, Tèt Kole a émis l’accusation<br />
que « les criminels marchent<br />
toujours libres au sein de notre société,<br />
nageant dans la corruption de l’Etat<br />
sans aucune inquiétude » et a dénoncé<br />
le gouvernement du président Martelly<br />
et de son Premier ministre Laurent Lamothe<br />
qui sont en train d’entreprendre<br />
la « liquidation » d’Haïti.<br />
Dans Le Nouvelliste, le commentateur<br />
Roberson Alphonse a caractérisé<br />
la tuerie à Seguin comme « un fiasco »<br />
et un « dommage » mais a argumenté<br />
que « dans le fond, les efforts pour récupérer<br />
cette aire protégée et réhabiliter<br />
les espaces boisés réduits en peau de<br />
chagrin sont nécessaires » et même «<br />
indispensables, compte tenu de la biodiversité<br />
du parc, mis en danger depuis<br />
des années par les cultures sarclées<br />
des occupants et la coupe non régulée<br />
d’arbres pour l’usage domestique. »<br />
Dans son reportage, Bélizaire<br />
explique: « Après plusieurs heures de<br />
discussions avec les policiers cantonnés<br />
dans le sous-commissariat de la zone,<br />
des leaders de la communauté et des<br />
familles de victimes et voisins éplorés,<br />
un Comité de quatre membres a été<br />
constitué, sous la direction des Affaires<br />
Civiles de la Minustah…, un intermédiaire<br />
a été désigné par la population,<br />
afin de discuter avec les autorités tels<br />
que : Nadège Excellus, représentante<br />
des femmes victimes, Estinvil Sainvilus<br />
(ASEC), Jean Dais, leader communautaire,<br />
et Pierre Félix, membre d’une<br />
organisation de la zone. Des négociations<br />
qui n’ont pas abouti. Notons<br />
que depuis ce grave incident, aucun<br />
représentant de l’État ne s’est présenté<br />
à Seguin où des barricades ont été<br />
érigées par la population, en signe de<br />
protestation. Le seul élément connu se<br />
rapportant à cette négociation, était<br />
une enveloppe de 50,000 Gourdes<br />
[environ $1,250] promise à chaque<br />
famille (50% avant leur départ, 50<br />
% après). Toutefois, cette offre, qui ne<br />
propose aucun lieu de relocalisation a<br />
été rejetée par les familles concernées,<br />
qui estiment cette somme insuffisante<br />
pour leur permettre d’acheter un terrain,<br />
trouver un lopin de terre agricole<br />
fertile et se reloger. »<br />
Le Parc La Visite est l’un des trois<br />
parcs nationaux d’Haïti et possède l’un<br />
des dernières forêts de pins restants,<br />
dans un pays qui est déboisé à 98%. Il<br />
a souffert de l’exploitation forestière et<br />
de défrichement non autorisés au cours<br />
des dernières décennies, ce qui a affecté<br />
les bassins d’eau versants des villes<br />
de Port-au-Prince et de Jacmel.<br />
Cependant, la violence pour déraciner<br />
les familles du parc est similaire à<br />
l’éviction des familles du bidonville de<br />
Jalousie de Pétion-Ville, une acte également<br />
défendu comme un impératif<br />
environnemental.<br />
« Nous pouvons facilement<br />
comprendre la nécessité de défendre<br />
l’environnement en Haïti, mais tout<br />
déménagement doit être fait de façon<br />
équitable avec une compensation<br />
adéquate en planification afin que les<br />
Carnaval des fleurs<br />
Un pouvoir obsédé par les<br />
réjouissances populaires<br />
et jouissives<br />
Champ de Mars est à la fête, depuis trois jours, met hors d’état de penser<br />
à ces morts innocents, les morts-vivants, les survivants, qui souffrent, ont<br />
souffert, de ce tremblement de terre, dans l’indifférence d’un pouvoir myope<br />
Par Jacques NESI<br />
Le champ de Mars aurait pu<br />
s’identifier comme le point de départ<br />
à la construction d’une mémoire nationale,<br />
celle que pourraient habiter tous<br />
les damnés du séisme du 12 janvier<br />
Martelly et ses sbires, parmi eux Roro Nelson à droite avec le maillot blanc<br />
personnes déplacées soient capables<br />
de trouver de nouvelles maisons pour<br />
ne pas être laissées sans abri », a dit<br />
Ronald Joseph, un résident de Jalousie,<br />
à Haïti Liberté. De nombreux habitants<br />
du bidonville se plaignent que les résidents<br />
riches vivant aussi, comme à Jalousie,<br />
sur la montagne connue comme<br />
le Morne Calvaire ne sont pas ciblés<br />
d›expulsion.<br />
La situation à Seguin est devenue<br />
si tendue que la force d›occupation<br />
militaire des Nations Unies s›est sentie<br />
obligée de faire une déclaration pour<br />
se distancier de l›action du gouvernement<br />
Martelly: « La Mission des<br />
Nations Unies pour la Stabilisation en<br />
Haïti (MINUSTAH) est préoccupée par<br />
2010,les déracinés , les gueux et les<br />
misérables de circonstances, les sinistrés<br />
de cette colère volcanique, fulgurante<br />
et dévastatrice. Le champ de Mars<br />
aurait pu devenir ce lieu devenu musée,<br />
cathédrale des pleurs, ce lieu devenu institution<br />
sociale majeure, projetée comme<br />
antidote à l’incapacité d’élucidation<br />
des disparus, cherchant à assurer la<br />
contrepartie de cette proliférante politique<br />
de la banalisation des victimes du<br />
duvaliérisme. Champ de Mars est à la<br />
fête, depuis trois jours, met hors d’état<br />
de penser à ces morts innocents, les<br />
morts-vivants, les survivants, qui souffrent,<br />
ont souffert, de ce tremblement<br />
de terre, dans l’indifférence d’un pouvoir<br />
myope, obnubilé par la désignation<br />
de son gendre au pouvoir.<br />
Hélas ! Champ de Mars, incubateur<br />
de transgressions, devient<br />
aujourd’hui, durant les trois jours<br />
(29,30,31 Juillet) le lieu de glorification<br />
de la fête, comme mode d’action<br />
politique. Champ de Mars rompt avec<br />
le deuil. Le choix du lieu par le roi Martelly<br />
témoigne de l’emprise de la vie sur<br />
la déchéance. Le projet de commémorer<br />
son triomphe dicté par la domination<br />
vassalisante des ambassades est une<br />
illustration de ce qu’est ce régime, présidentialiste,<br />
à tendance monarchique<br />
: le roi décide de son carnaval, en dehors<br />
de toute discussion, avec sa cour,<br />
ses pages, ses thuriféraires et l’impose<br />
à la société haïtienne, qu’elle y soit favorable<br />
ou pas. Le roi est nostalgique<br />
de ses déhanchements à se déboiter<br />
les lombes, de ses coups de reins, de<br />
ses tenues excentriques-mini-jupe et<br />
soutien-gorge- dégoulinant ses propos<br />
grotesques sur une foule qui se bousculait,<br />
s’agglutinait, pour voir le machin<br />
que le chanteur mima d’exhiber. Cette<br />
décision de trois jours de carnaval, dans<br />
un pays en proie aux difficultés les plus<br />
cruciales, a quelque chose de délirant.<br />
Cette décision procède de la mobilisation<br />
des ressources de l’Etat, met en<br />
selle ce qui préfigure la définition d’une<br />
politique culturelle sous Martelly.<br />
Le « carnaval des fleurs »prétend<br />
faire une croix sur la misère physique<br />
des citoyens à laquelle Martelly a promis<br />
de s’opposer, à renforts de propagande,<br />
et de marketing. Le pouvoir en<br />
place croit ainsi dissimuler ses échecs,<br />
en pratiquant le déni de la réalité.<br />
Le « carnaval des fleurs » est<br />
également le déploiement d’un pouvoir<br />
sur scènes, comme écrivait Georges<br />
Balandier. Le pouvoir a une forme de<br />
« jeu dramatique » ;le pouvoir est une<br />
sorte de théâtre, il structure la société<br />
à travers l’organisation des appareils<br />
de commandement par le recours aux<br />
règles dramatiques. Sous Martelly, les<br />
revendications salariales des enseignants,<br />
les difficultés du gouvernement<br />
haïtien à réaliser les prochaines<br />
consultations électorales, en dehors de<br />
l’assistance financière internationale,<br />
la faible dotation budgétaire consacrée<br />
à l’Université du Nord (don de la république<br />
dominicaine) , l’insécurité….<br />
sont secondaires, elles sont reléguées<br />
au rang d’accessoires. Ce qui<br />
compte, ce sont des réjouissances, qui<br />
tendent à contrecarrer les révoltes,<br />
Suite à la page (14)<br />
les rapports faisant état de la mort d’au<br />
moins quatre citoyens haïtiens et de<br />
plusieurs blessés, dans des circonstances<br />
non encore élucidées, au cours d’une<br />
opération d’expulsion forcée, conduite<br />
par des agents de la police nationale<br />
dans le Parc La Visite », a fait savoir<br />
la note de presse. « Une équipe<br />
multidisciplinaire des Nations Unies a<br />
été déployée sur le terrain pour collecter<br />
les informations afin de contribuer à<br />
établir les faits. La MINUSTAH rappelle<br />
que l’expulsion forcée sans alternative<br />
à un logement convenable est contraire<br />
aux instruments internationaux relatifs<br />
aux droits de l’homme, et notamment<br />
au Pacte international relatif aux droits<br />
économiques, sociaux et culturels ».<br />
4<br />
<strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times<br />
Vol. 6, No. 3 • Du 1er au 7 Août 2012