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Portraits de résistants - PCF Bassin d'Arcachon

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L’hôpital dont il <strong>de</strong>vint le mé<strong>de</strong>cin directeur en 1943, tout en <strong>de</strong>meurant dans la<br />

clan<strong>de</strong>stinité, fut certainement pour Lucien Bonnafé le lieu et le moment où se<br />

cristallisèrent ce que seront désormais les axes majeurs <strong>de</strong> ses combats théoriques et<br />

politiques. « Sur ces hauteurs, écrit-il, s’activèrent <strong>de</strong>s résistances en tous genres : contre la<br />

plus inhumaine <strong>de</strong>s occupations… contre les malfaçons <strong>de</strong>s esprits… contre les inhumanités<br />

en tous genres, asilaires entre autres. » La résistance à l’occupation nazie s’organisa hors et<br />

dans l’hôpital, en accueillant d’abord un certain nombre <strong>de</strong> combattants contre l’occupant<br />

qui vinrent s’y réfugier, tels le philosophe Georges Canguilhem, le poète Paul Éluard,<br />

lorsqu’il fallut que « la poésie prît le maquis », pour ne citer que les plus connus <strong>de</strong> ce<br />

cortège <strong>de</strong> proscrits. Une autre façon <strong>de</strong> résister à l’oppresseur se fit jour, sous la forme <strong>de</strong> la<br />

communauté humaine <strong>de</strong> soignés et <strong>de</strong> soignants qui aussitôt s’organisa, ce qui eut d’abord<br />

pour conséquence que tout le mon<strong>de</strong> put survivre à ces temps <strong>de</strong> disette, mais où surtout se<br />

révéla avec évi<strong>de</strong>nce la profon<strong>de</strong> et commune humanité <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s soignants. Alors<br />

que l’Allemagne nazie avait conçu et mis en œuvre un programme d’extermination « <strong>de</strong>s<br />

vies indignes d’être vécues », en France, sous le régime <strong>de</strong> Vichy, 45 000 personnes<br />

moururent <strong>de</strong> faim dans les hôpitaux psychiatriques, comme par inadvertance.<br />

« C’est le champ même <strong>de</strong> la folie comme événement humain qui a d’abord été nié, avant<br />

l’organisation <strong>de</strong>s assassinats », écrivait le psychiatre catalan François Tosquelles, qui,<br />

fuyant le franquisme, avait lui aussi trouvé refuge à Saint-Alban. La rencontre <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

hommes fut un événement d’importance, car tous <strong>de</strong>ux dénonçant la misère <strong>de</strong> la pratique<br />

aliéniste, qui consistait essentiellement, en les enfermant, à protéger la société <strong>de</strong> ses fous,<br />

développèrent, dans le cadre <strong>de</strong> la Société du Gévaudan, créée pour la circonstance, une<br />

autre forme <strong>de</strong> résistance : le travail <strong>de</strong> la pensée. Tous <strong>de</strong>ux s’étaient bien rendu compte<br />

que la folie était en quelque sorte une coproduction du mala<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la société, qu’un certain<br />

nombre <strong>de</strong> symptômes attribués à une pathologie particulière étaient <strong>de</strong> fait induits et<br />

provoqués par un contexte institutionnel, un certain regard pseudo-scientifique, <strong>de</strong>s<br />

positions théorico-idéologiques déterminant un certain rapport à l’autre. De cette lutte<br />

contre l’asile, dans sa version la plus sombre, et <strong>de</strong> cette considération <strong>de</strong> la folie comme<br />

une possibilité proprement humaine, naquit d’un côté le mouvement <strong>de</strong> psychothérapie<br />

institutionnelle et <strong>de</strong> l’autre la psychiatrie <strong>de</strong> secteur, vouée à développer une pratique<br />

psychiatrique « désenclavée », hors les murs, et dont Lucien Bonnafé fut un défenseur<br />

acharné. La folie étant plutôt un moment critique dans l’aventure <strong>de</strong> toute une vie, cela<br />

suppose un accompagnement, mais aussi, et cela est plus original, un travail avec<br />

l’environnement puisque l’on ne peut dissocier le trouble mental du grouillement<br />

d’interactions au milieu <strong>de</strong>squelles il apparaît.<br />

Les volontés actuelles qui veulent confondre folie et dangerosité et contraindre la<br />

psychiatrie à un contrôle social pur et simple laissent à penser que la voie ouverte par<br />

Lucien Bonnafé, notamment celle d’une psychiatrie populaire visant à « changer la façon<br />

commune <strong>de</strong> penser », la folie entre autres, reste encore à parcourir.<br />

Lucien Bonnafé ne cessa dès lors d’être lui-même : résistant au dogmatisme et à<br />

l’orthodoxie, il fut et reste le combattant <strong>de</strong>s « nains du jour noyés dans leur sourire béat».<br />

Patrick Faugeras est également directeur 
<strong>de</strong> collection aux Éditions Érès.<br />

Patrick Faugeras

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