Apollo Magazine # 6

A. M. Quelle semble être la place du père par rapport aux générations
de nos parents ?
E. A. Quand j’étais jeune pédiatre, les pères déposaient « Madame et
Bébé » et restaient attendre dans la voiture. Dix ans plus tard, les pères
entraient dans la salle d’attente, s’asseyaient et prenaient le journal en
attendant que ça passe… Aujourd’hui, ils entrent devant Madame,
arborant le nouveau-né sur leur épaule, et c’est souvent Papa qui
égrène la « petite liste » des questions, depuis le calibre des tétines au
bon outil pour couper les ongles…
Ainsi, le père veut jouer un rôle au quotidien dès les premiers mois,
un rôle charnel, de peau à peau, du porte-bébé au biberon. Ensuite,
soyons honnête, c’est plus souvent maman qui conduit l’enfant malade,
nos logiciels sur lequel nous notons l’accompagnant le prouve ! Mais
le père refait surface plus souvent qu’autrefois, et, bien sûr, dès qu’il y a
maladie grave, conflit de couple…
Edwige Antier,
Pédiatre et diplômée
en psychopathologie
A. M. La théorie Freudienne part du principe que la mère est « toute
puissante » aux yeux de l’enfant dans le couple parental.
E. A. Cette théorie était valable jusque dans les années 70. Aujourd’hui
l’homme dans le couple s’octroie une place de père totalement bouleversée,
beaucoup plus présente et chaleureuse : cela peut-il changer les
rôles et les rapports des enfant aux parents ?
L’enfant est si faible et si dépendant ! Il arrive sur cette
planète comme E.T. et en cherche les codes pour les
cent ans qu’il aura à y vivre. Pour les découvrir, il a
besoin de ce que nous appelons sa « sécurité affective
de base ». Classiquement, ce sont des bras enveloppants,
un regard bienveillant, le lait qui nourrit, le
bercement pour dormir, la chanson pour distraire.
Celle (ou celui) qui assure le mieux cette base est tout
puissant. Si le père est présent, protège et répond aux
signaux ténus envoyés par l’enfant, il est puissant,
parfois plus qu’une mère déprimée ou absente.
A. M. Les rôles de chacun dans la famille sont maintenant
interchangeable : Maman conduit la voiture
et travaille, papa fait la cuisine et passe l’aspirateur. Comment l’enfant
perçoit-il cette nouvelle distribution ?
E. A. En Suède, où les pères peuvent prendre le deuxième semestre du
congé de mater-paternité, leur arrêt de 6 mois pour s’occuper de leur
enfant est « bien vu » dans leur entreprise (c’est ce que me disaient
3 pères de chez Erickson, ingénieurs payés 80 % de leur salaire, car on
estime que s’occuper d’un jeune enfant les humanise et qu’ils seront
meilleurs acteurs professionnels ensuite !) Une réelle complicité nait
entre l’enfant et le père qui s’occupe de lui en première ligne. Et une
plus grande empathie avec la mère aussi. L’un de ces pères me disaient :
« Enfin ! Tout de même… La mère prend les 6 premiers mois car en
Suède, toutes les mamans allaitent. Moi, je prend les 6 mois suivants,
quand ma fille crapahute et touche à tout. Le soir, quand ma femme
« Aujourd’hui
l’homme
dans le couple
s’octroie une place
de père totalement
bouleversée »
rentre, elle ne comprend pas que je suis crevé ! » Un père qui partage
les attentions nécessaires à l’enfant comprendra mieux sa femme ! L’enfant
grandit bien quand il sait ses deux parents solidaires.
A. M. On constate maintenant que les pères manifestent
plus facilement l’affection envers leurs
enfants, filles ou garçons : qu’est-ce que ce nouveau
comportement va apporter aux enfants d’aujourd’hui
?
E. A. Oui, ils s’autorisent les sentiments, la compassion.
On a le droit d’avoir du chagrin, l’enfant se sent
compris. Cela sème les bases de confiance pour toute
la vie, et l’on peut espérer que vont évoluer les études
qui montrent que les jeunes adultes confient plus leurs
soucis à leur mère qu’à leur père…
A. M. Quel est l’élément principal à retenir pour un
être un « bon père »
E. A. Respecter l’enfant, comprendre qu’il est plein développement: il
a besoin d’être accompagné dans toutes ses découvertes, cela demande
de la patience. Mais le père ne doit pas rêver de se substituer à la mère,
pour lui prendre sa « toute puissance », par exemple en refusant qu’elle
donne le sein pour qu’il puisse donner le biberon. Il y a tant à faire
pour s’occuper d’un enfant autre que donner le lait !
A. M. L’archétype du père « sévère, frustrant et punissant » est-il
définitivement aux oubliettes ?
E. A. Le discours sur « l’autorité » qu’on attend des pères doit être
subtile : l’enfant a besoin d’un guide, pas d’un chef ! « Tu vas voir,
quand ton père va rentrer ce soir ! » non, merci ! Vous connaissez mon
combat contre « la fessée » et tous les châtiments corporels…
189