Campus - Le Monde
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Emploi Dossier<br />
Bizutage social<br />
Recruter, un jeu d’enfant<br />
<strong>Le</strong>s stratégies de sélection des entreprises passent de plus en plus par le jeu, autant<br />
par souci de révéler des compétences chez les jeunes que de communiquer sur leur marque.<br />
Si vous pensez que décrocher un stage ou un<br />
emploi est un exercice fastidieux, détrompez-vous<br />
! Fini les longues heures à fignoler<br />
le CV parfait ou à rédiger des lettres de motivation<br />
transpirant le dynamisme et la rigueur<br />
intellectuelle. Un peu de chance et d’adresse au<br />
jeu peuvent désormais suffire. C’est du moins ce<br />
que laissait croire en novembre l’agence de communication<br />
H, une filiale du groupe Havas, qui<br />
sélectionnait ses futurs stagiaires sur un mode<br />
bien plus léger que le traditionnel face-à-face avec<br />
la DRH. «Exit les entretiens formatés : c’est un<br />
tournoi de poker que nous vous proposons pour<br />
départager les meilleurs d’entre vous », proclamait<br />
l’agence sur les visuels de présentation. Pendant<br />
six heures, une soixantaine de participants a<br />
donc affronté, cartes en main, les cadres de l’agence.<br />
Et les huit premiers rois du bluff sont repartis<br />
avec leur contrat de six mois de stage rémunéré<br />
1000 euros bruts mensuels. Jackpot !<br />
Sans nier s’être ainsi fait un bon coup de publicité,<br />
Elisabeth Billiemaz, la directrice de l’agence, se<br />
dit convaincue de la pertinence de cette approche<br />
ludique. Temps de rencontre plus long qu’un<br />
entretien, qualités multiples des joueurs de<br />
poker… et recrutement de jeunes anticonformistes,<br />
comme l’agence aime à se décrire. «Cette<br />
année, c’était le poker. Demain, ce pourrait être le<br />
badminton », explique la directrice. La démarche<br />
peut sembler étrange, recruter par le jeu n’en est<br />
pas moins un phénomène de plus en plus répandu.<br />
Notamment avec l’arrivée des serious games<br />
dans les entreprises. D’abord voués à la formation,<br />
ils sont aujourd’hui testés par plusieurs directions<br />
des ressources humaines de grands groupes<br />
comme vecteur de recrutement.<br />
Dans un premier temps, il s’agit de séduire les<br />
étudiants. La société Segula Technologies a ainsi<br />
lancé en janvier l’Affaire EF01, un jeu à destination<br />
des étudiants d’écoles d’ingénieurs. Dans<br />
cette enquête interactive, les joueurs deviennent<br />
des journalistes qui doivent découvrir les secrets<br />
de la monoplace électrique développée par la<br />
«On peut aujourd’hui simuler,<br />
transmettre des savoirs. Mais de<br />
là à en tirer des conséquences… »<br />
Loïc Normand, KTM Advance<br />
société en résolvant des énigmes. Ala clef, un<br />
ordinateur, un téléphone portable, mais aussi<br />
une demi-journée d’essai du bolide sur un circuit<br />
automobile. Dans la même veine, Thales avait<br />
lancé, dès 2009, Moonshield, un webgame qui<br />
mettait le joueur en situation de sauver la Terre<br />
menacée par un astéroïde en utilisant les technologies<br />
de la société. «Notre but était de rendre<br />
ces technologies sexy. Par contre, nous ne récupé-<br />
rons aucune donnée sur les candidats. Ils disposent<br />
juste d’un lien vers le site de recrutement »,<br />
explique Loïc Normand, responsable du projet<br />
chez le développeur du jeu, KTM Advance. <strong>Le</strong>s<br />
400 000 euros investis ont payé : 450 000 parties<br />
jouées, 20 000 téléchargements sur smartphone<br />
et plus de 100 000 visiteurs qui ont cliqué<br />
sur le lien vers la page de recrutement.<br />
Certaines entreprises vont plus loin et mettent<br />
en jeu des stages. C’est le cas de BNP Paribas avec<br />
Ace Manager, qui met en compétition des<br />
équipes étudiantes sur les métiers de la banque.<br />
Ou encore de Reveal, le jeu en ligne de L’Oréal<br />
sorti en janvier 2010. Conçu comme un outil de<br />
recrutement à part entière, le jeu permet à L’Oréal<br />
d’évaluer les compétences des participants dans<br />
divers domaines. <strong>Le</strong> groupe a l’ambition de recruter<br />
un tiers de ses 3000 stagiaires annuels par<br />
ce biais. Aujourd’hui, 120 ont été recrutés après y<br />
avoir joué. L’Oréal se flatte de pouvoir toucher<br />
bien plus de campus qu’avec des relations-écoles<br />
traditionnelles et de transcender les barrières des<br />
formations en permettant par exemple à un étudiant<br />
en sociologie de montrer ses capacités dans<br />
la recherche ou le marketing.<br />
De bien belles intentions. Mais les entreprises ne<br />
vont-elles pas trop loin en faisant de tout cela un<br />
jeu ? Qu’en est-il du respect des candidats ? «Moi<br />
je l’aurais carrément joué à la Fight Club»,ironise<br />
un bloggeur remonté contre l’opération poker de<br />
l’agence H. <strong>Le</strong> sérieux de la méthode fait également<br />
l’objet de critiques. Chez KTM Advance, Loïc Normand<br />
lui-même s’avoue gêné. «<strong>Le</strong>recrutement<br />
direct par le jeu est une tendance inquiétante. On<br />
peut aujourd’hui simuler, transmettre des savoirs.<br />
Mais de là à en tirer des conséquences… Un webgame<br />
peut toujours se faire pirater par exemple. »<br />
Pour L’Oréal, le jeu est au contraire un moyen de<br />
faire un premier tri dans le million de candidatures<br />
reçues chaque année. D’autant que, comme l’explique<br />
François de Wazières, directeur international<br />
du recrutement, «le jeu ne peut fonctionner<br />
qu’avec un relais dans la réalité ». Autrement dit,<br />
un bon vieil entretien avec un recruteur. Rangez<br />
vos souris, sortez vos CV, fini de jouer.<br />
Sébastien Dumoulin<br />
36 /<strong>Le</strong> <strong>Monde</strong> <strong>Campus</strong> mardi 29 mars 2011