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Emploi<br />

Branchés<br />

Entretien avec Vincent Fauchoux et Laurent Carrié,<br />

avocats au barreau de Paris<br />

«<strong>Le</strong>s gens n’ont pas conscience que<br />

les règles de droit s’appliquent aussi<br />

sur Internet et les réseaux sociaux »<br />

«<br />

<strong>Le</strong>s réseaux sociaux sont-ils<br />

des espaces publics ou<br />

privés ?<br />

Vincent Fauchoux Par nature, les<br />

réseaux sociaux sont des lieux<br />

publics : ce sont des outils de communication<br />

et d’expression, qui<br />

ont pour but de mettre des personnes<br />

en relation. Ils peuvent<br />

néanmoins devenir privés si les<br />

utilisateurs les paramètrent pour<br />

en restreindre l’accès. A l’occasion<br />

d’un litige, le caractère privé ou<br />

public d’une conversation sur un<br />

réseau social s’apprécie au cas par<br />

cas par les tribunaux. <strong>Le</strong>s juges<br />

observent si la communication<br />

était visible par une poignée de<br />

proches, de nombreux amis, des<br />

amis d’amis ou par tout le monde,<br />

ainsi que les liens qui unissent ces<br />

personnes, à savoir familiaux, amicaux<br />

ou professionnels.<br />

Qu’est-ce qui différencie une<br />

conversation sur un réseau social<br />

de celle que l’on pourrait tenir<br />

chez soi ou dans un café ?<br />

V. F. Une conversation sur un réseau<br />

social laisse une empreinte plus<br />

importante que lors d’une réunion<br />

chez soi. <strong>Le</strong>s délits sont amplifiés<br />

sur les réseaux sociaux, car les propos<br />

peuvent être diffusés à grande<br />

échelle. Ainsi, les critiques formulées<br />

à l’écrit par un salarié sur son<br />

entreprise peuvent facilement être<br />

rapportées à l’employeur par des<br />

collègues. La différence réside donc<br />

dans la preuve. Car l’entreprise qui<br />

veut licencier un salarié doit prouver<br />

l’existence de troubles pour justifier<br />

une faute. Malgré tout, même<br />

dans son salon, la liberté d’expression<br />

a des limites. <strong>Le</strong> salarié ne peut<br />

pas en abuser.<br />

Quelle est la réglementation<br />

existante en matière de droit<br />

d’expression des salariés ?<br />

Laurent Carrié La liberté d’expression<br />

est acquise au salarié selon l’article<br />

L-1121-1 du code du travail et l’arrêt<br />

Clavaud de la Cour de cassation<br />

du 28 avril 1988. Un employeur ne<br />

peut pas poursuivre un salarié pour<br />

des faits qui relèvent de sa vie privée,<br />

sauf si ces agissements engendrent<br />

des troubles objectifs sur l’entreprise.<br />

<strong>Le</strong>s salariés encourent un<br />

licenciement pour cause réelle et<br />

sérieuse et/ou des amendes dans<br />

trois cas : la diffamation, l’injure et<br />

les propos excessifs, qui recouvrent<br />

notamment les dénigrements ou<br />

dénonciations calomnieuses. Cette<br />

dernière catégorie, plus vaste, s’avère<br />

à l’appréciation du juge qui va<br />

estimer si le salarié a abusé de sa<br />

liberté d’expression.<br />

Vincent Fauchoux<br />

1991 Inscription au barreau de<br />

Paris. Puis associé du cabinet<br />

Deprez Guignot & Associés,<br />

spécialiste du droit des<br />

nouvelles technologies et de<br />

la propriété intellectuelle.<br />

2009 Publication de l’ouvrage<br />

<strong>Le</strong> Droit de l’Internet. Lois,<br />

contrats et usages (avec Pierre<br />

Deprez, <strong>Le</strong>xis Nexis).<br />

Laurent Carrié<br />

1994 Inscription au barreau<br />

de Paris. Associé du cabinet<br />

Deprez Guignot & Associés,<br />

spécialiste du droit social.<br />

2009 Médiateur.<br />

<strong>Le</strong>s réseaux sociaux, en étant à la<br />

frontière entre les sphères privée<br />

et publique, semblent bouleverser<br />

le code du travail. Existe-t-il<br />

un vide juridique ?<br />

V. F. Non, il n’y a pas de vide juridique.<br />

<strong>Le</strong> droit est parfaitement<br />

transposable et transposé à l’Internet<br />

et aux réseaux sociaux. Un vide<br />

juridique signifierait la liberté de<br />

faire ce que l’on veut sur les réseaux<br />

sociaux. Or le droit du travail et la<br />

liberté d’expression s’appliquent de<br />

la même façon. Il n’y a pas besoin de<br />

nouvelles règles de droit ou de nouveaux<br />

délits. La seule différence,<br />

c’est que, sur Internet, les gens n’ont<br />

pas conscience de l’existence de ce<br />

corpus juridique qui s’applique à<br />

leurs actes. Internet n’est pas un<br />

espace de non-droit.<br />

Comment les juges établissent-ils<br />

une limite entre vie privée et vie<br />

publique ?<br />

L. C. Ce n’est pas évident. Il faut<br />

trouver un équilibre entre les deux<br />

sphères, aussi bien à l’intérieur qu’à<br />

l’extérieur de l’entreprise. <strong>Le</strong>s salariés<br />

jouissent d’un espace privé à<br />

l’intérieur même de leur lieu de travail<br />

: les échanges de correspondances<br />

électroniques privées, par<br />

exemple, relèvent de leur sphère<br />

personnelle, et l’employeur ne peut<br />

pas leur adresser de reproches.<br />

Mais a contrario, à l’extérieur du<br />

travail, les salariés sont aussi soumis<br />

à certaines obligations et ne se<br />

trouvent pas déconnectés d’une<br />

exigence de loyauté envers leur<br />

entreprise. Ils doivent donc être<br />

prudents lorsqu’ils s’expriment sur<br />

les réseaux sociaux.<br />

Propos recueillis par<br />

Audrey Garric<br />

48 /<strong>Le</strong> <strong>Monde</strong> <strong>Campus</strong> mardi 29 mars 2011

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