Campus - Le Monde
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Emploi<br />
Job-trotters<br />
Entretien avec Jean-Luc Cerdin, professeur en management<br />
à l’EssecBusiness School<br />
«Il faut expliquer aux recruteurs<br />
les compétences acquises à l’étranger »<br />
«<br />
Comment expliquer l’exode<br />
des diplômés des grandes<br />
écoles ?<br />
Aujourd’hui, les personnes qui décident<br />
de s’expatrier sont de plus en<br />
plus nombreuses, et ce quel que soit<br />
leur âge. Mais les jeunes restent bien<br />
entendu les plus mobiles, car ils ont<br />
moins de contraintes que leurs<br />
aînés. <strong>Le</strong>s motivations au départ<br />
sont très variables. Certains veulent<br />
aller travailler dans les grandes<br />
places financières que sont New<br />
York, Singapour ou Londres ;<br />
d’autres souhaitent partir pour des<br />
raisons personnelles : on peut tomber<br />
amoureux d’un pays, d’un<br />
étranger ou d’une étrangère ! La<br />
dimension internationale des cursus<br />
en grande école joue un rôle<br />
important, tout comme la meilleure<br />
maîtrise des langues étrangères par<br />
les étudiants et l’amélioration des<br />
moyens de communication. Sans<br />
oublier la contribution d’Erasmus<br />
et la mondialisation du marché du<br />
travail : les chasseurs de talents<br />
n’ont plus de frontières. <strong>Le</strong>s recruteurs<br />
étrangers viennent trouver<br />
des diplômés français, et viceversa.<br />
Comment se préparer au départ ?<br />
Il convient de bien réfléchir préalablement.<br />
On part pour découvrir un<br />
pays et une culture, pas pour fuir<br />
ses problèmes. Il faut faire preuve<br />
de réalisme, ne pas croire au mythe<br />
d’un lieu où tout est extraordinaire.<br />
Certains candidats à l’expatriation<br />
n’ont qu’une mauvaise connaissance<br />
du pays visé. Au Brésil, par<br />
exemple, la criminalité est importante.<br />
Au Mexique aussi. Ensuite, il<br />
s’agit de limiter le choc culturel. Partir<br />
en Espagne ou partir au Laos, ce<br />
n’est pas la même chose. Il faut donc<br />
se renseigner, se documenter sur le<br />
pays en question. Et savoir que l’intégration<br />
dans une nouvelle culture<br />
suit une courbe en U:une «lune<br />
de miel » dans un premier temps,<br />
l’époque de la découverte, puis une<br />
phase de frustration, où l’expatrié<br />
continue de fonctionner selon sa<br />
propre culture et n’arrive pas à comprendre<br />
les réactions des autres.<br />
Enfin, un dernier stade où la satisfaction<br />
remonte car le nouvel arrivant<br />
a compris les règles du jeu du<br />
pays dans lequel il s’est installé. Malheureusement,<br />
c’est souvent à ce<br />
moment-là qu’il doit repartir…<br />
1990 Jean-Luc Cerdin obtient<br />
un Master of Science à la<br />
London School of Economics.<br />
1996 Doctorat en gestion à<br />
l’université de Toulouse.<br />
1998 Professeur en management<br />
à l’Essec Business School.<br />
2003 Habilitation à diriger<br />
des recherches. Codirecteur<br />
académique du Mastère<br />
spécialisé en management<br />
des ressources humaines<br />
(formation continue) à l’Essec<br />
Business School depuis sa<br />
création.<br />
2007 Publication de S’expatrier<br />
en toute connaissance de cause<br />
(éditions Eyrolles).<br />
Quels sont les écueils à éviter ?<br />
A l’Essec, nous organisons un séminaire<br />
«Mobilité internationale et<br />
expatriation » d’une semaine pour<br />
les étudiants en master. Nous leur<br />
disons de bien faire attention avant<br />
d’accepter un poste à l’étranger.<br />
Savoir précisément quelle sera sa<br />
mission, comment l’on sera évalué,<br />
etc. D’un point de vue pratique,<br />
il faut également que l’éventuel<br />
conjoint ait un véritable projet sur<br />
place et que les questions fiscales et<br />
administratives soient soigneusement<br />
étudiées. <strong>Le</strong>s diplômés comparent<br />
souvent les salaires bruts,<br />
mais il faut prendre en considération<br />
les impôts, les charges diverses<br />
comme le coût de la vie et du logement<br />
sur place ou la retraite.<br />
Quid du retour en France ? Est-il<br />
facile de trouver un emploi ?<br />
En soi, le retour ne pose pas de problème.<br />
<strong>Le</strong> principe en ressources<br />
humaines, c’est que toute expérience<br />
est revendable à partir du moment<br />
où elle est valorisée. Pour cela, il faut<br />
bien distinguer les compétences spécifiques<br />
des compétences transférables<br />
en France. Une personne qui a<br />
passé cinq ans en Chine parle mandarin<br />
ou cantonnais. Mais ce n’est pas<br />
forcément un plus pour une entreprise<br />
focalisée sur le marché européen.<br />
L’expatrié de retour est alors<br />
parfois perçu comme un spécialiste<br />
de la Chine, et ne se voit proposer que<br />
des missions en rapport avec ce pays.<br />
Attention à l’enfermement involontaire<br />
dans une carrière.<br />
Comment convaincre alors les<br />
recruteurs ?<br />
Un retour, c’est en réalité une vraie<br />
transition de carrière, un peu<br />
comme si l’on changeait de profession.<br />
Il faut donc faire un bilan de<br />
compétences, pour expliquer aux<br />
recruteurs français quelles aptitudes<br />
on a acquises à l’étranger. Cela<br />
pose parfois problème, car les expatriés<br />
ont tendance à raconter leur<br />
vécu et leur expérience personnelle,<br />
en oubliant l’aspect professionnel.<br />
Pourtant, c’est ce dernier aspect<br />
qui intéresse les recruteurs nationaux.<br />
Il faut donc parvenir à recontextualiser<br />
ses compétences, à se<br />
tourner vers le futur en France plutôt<br />
que vers le passé en Chine.<br />
Propos recueillis par<br />
Julien Dupont<br />
60 /<strong>Le</strong> <strong>Monde</strong> <strong>Campus</strong> mardi 29 mars 2011