Campus - Le Monde
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Emploi Dossier<br />
Bizutage social<br />
CDD, intérim : bienvenue<br />
dans la jungle du monde du travail<br />
Avant d’atteindre le graal<br />
qu’est devenu le CDI,<br />
les diplômés doivent<br />
se résoudre à cumuler<br />
les contrats courts, parfois<br />
sous-payés et sous-qualifiés.<br />
<strong>Le</strong>s employeurs flirtent,<br />
sans risque, avec l’illégalité.<br />
<strong>Le</strong> CDI, moi je n’y pense même plus », assène<br />
Chloé, 25 ans. Elle souhaite garder l’anonymat,<br />
comme la majorité des jeunes travailleurs<br />
dans la galère. Diplômée depuis déjà trois<br />
ans, elle enchaîne les contrats à durée déterminée<br />
(CDD) dans un aéroport du sud de la France.<br />
<strong>Le</strong> cas de Chloé n’est pas unique : selon une étude<br />
du Centre d’études et de recherche sur les qualifications<br />
(Cereq), 64 % des premiers emplois des<br />
jeunes sortis de l’école en 2009 sont précaires.<br />
Crise oblige, missions d’intérim et CDD à répétition<br />
semblent être devenus un passage obligé<br />
dans la quête d’un poste stable.<br />
Selon Vanessa Di Paola, économiste au Laboratoire<br />
d’économie et de sociologie du travail du<br />
CNRS (LEST) et spécialiste des questions d’insertion<br />
professionnelle des jeunes, le cumul de<br />
contrats précaires en début de carrière est devenu<br />
«une norme ». «Commencer par un ou plusieurs<br />
CDD est maintenant un parcours standard pour<br />
tout le monde, constate l’économiste. C’est une<br />
phase de primo-insertion qui tend à s’allonger et qui<br />
touche de plus en plus les jeunes diplômés. »<br />
Dans ce contexte, Chloé s’estime chanceuse. Elle<br />
vient de décrocher un CDD de dix-huit mois.<br />
«C’est comme un CDI pour moi ! Ça va me permettre<br />
de voir venir. D’habitude, à peine est-on<br />
installé qu’on est déjà en train de penser à ce qu’on<br />
va faire ensuite !»,se réjouit la jeune fille pour<br />
qui un contrat, même précaire, est mieux qu’un<br />
stage. Car même les CDD sont parfois devenus<br />
difficiles à décrocher.<br />
«L’offre d’emploi évoque un poste en CDD mais,<br />
une fois à l’entretien, on vous parle de stage »,<br />
témoigne Alexandra, 29 ans. Titulaire d’un doctorat<br />
de droit, la jeune femme n’a toujours pas<br />
réussi à s’insérer durablement dans le monde<br />
du travail. Contrats courts et périodes de chômage<br />
se succèdent invariablement depuis six<br />
ans pour cette juriste que les employeurs potentiels<br />
jugent «surdiplômée ». «Je suis fatiguée, je<br />
ne sais pas combien de temps ça va durer », soupire-t-elle.<br />
Pour survivre, Alexandra effectue<br />
régulièrement des missions d’hôtesse d’accueil :<br />
«Je crois que je vais finir par définitivement me<br />
tourner vers ça : dans mon agence, ils m’offrent<br />
plus de perspectives que je n’en ai jamais eu<br />
ailleurs. » En désespoir de cause, la jeune juriste<br />
envisage une dernière candidature pour un<br />
poste en CDD « sous-payé»et «bien en deçà » de<br />
«<strong>Le</strong> statut d’intérimaire amène à accepter des conditions précaires »<br />
Sociologue spécialiste de l’emploi,<br />
Cathel Kornig vient de codiriger Visages<br />
de l’intérim en France et dans le monde<br />
(avec Rachid Belkacem et François<br />
Michon, L’Harmattan, 458 p., 40 €).<br />
<strong>Le</strong>s contrats en intérim concernent-ils<br />
aussi une population diplômée ?<br />
La plupart des premiers recrutements se<br />
font sur un statut précaire et un tiers de<br />
ceux-ci concernent l’intérim. <strong>Le</strong>s diplômes<br />
protègent toujours leurs titulaires sur<br />
le marché de l’emploi, mais avec des<br />
nuances. Car ils ne se valent pas tous :<br />
les jeunes qui viennent d’achever un cycle<br />
d’enseignement supérieur théorique<br />
et général à l’université sont plus touchés<br />
par l’intérim que ceux qui sortent<br />
de filières professionnelles, par exemple.<br />
L’industrie est aussi très demandeuse<br />
d’intérimaires diplômés. Au total, 19 %<br />
de la génération sortie en 2001 a eu un<br />
premier emploi en tant qu’intérimaire<br />
(parmi eux, 21 % sont non qualifiés, 36 %<br />
sont titulaires d’un BTS/DUT industriel,<br />
7%un 3 e cycle, 4%une école d’ingénieurs).<br />
Sans oublier le fait que, depuis<br />
la loi Borloo de 2005, les agences d’intérim<br />
ont le droit de placer des candidats en<br />
contrat à durée déterminée ou en contrat<br />
à durée indéterminée. S’y inscrire peut<br />
alors s’avérer intéressant.<br />
Quel est l’impact d’un passage par l’intérim<br />
sur la carrière d’un jeune diplômé ?<br />
Il n’est pas le même pour tous. Il est difficile<br />
de voir un effet tremplin propre à l’intérim.<br />
On constate par exemple que les titulaires<br />
de BTS ou de DUT accèdent plus facilement<br />
à un emploi stable en passant par l’intérim<br />
que les titulaires d’autres diplômes. Mais<br />
plus généralement le chômage est plus<br />
récurrent chez ceux qui ont connu l’intérim.<br />
<strong>Le</strong>ur insertion professionnelle a alors<br />
tendance à s’allonger.<br />
Comment expliquer cette mauvaise<br />
influence sur les carrières ?<br />
En France, comme ailleurs (Etats-Unis,<br />
Japon), l’intérim reste stigmatisé par les<br />
patrons, même s’ils y ont de plus en plus<br />
recours. Expérimenté en début de carrière,<br />
il amène les jeunes diplômés à accepter,<br />
à intérioriser des conditions de travail<br />
et d’emploi précaires : ils acceptent des<br />
postes et des conditions de travail qu’ils<br />
n’auraient jamais acceptés s’ils n’étaient<br />
pas passés par là. Ce qui influence les<br />
choix de carrière qu’ils font par la suite.<br />
Propos recueillis par S. B.<br />
38 /<strong>Le</strong> <strong>Monde</strong> <strong>Campus</strong> mardi 29 mars 2011