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Robert Maigne en parle lui-même presque avec reconnaissance : « Ceux que j’ai vu avaient<br />
apparemment un certain bon sens et un certain flair pour éviter les cas à risque. Comme vous<br />
le savez c’est loin d’être général. Les pratiques sont très diverses, certains sur de faux<br />
diagnostics font avec habileté des gestes parfois utiles, comme celui qui me montrait une<br />
entorse tibio-tarsienne où il prétendait que le péroné était déplacé de deux centimètres en<br />
arrière! Mais sa manoeuvre ultrarapide soulageait visiblement le sujet... d’autres font des<br />
mouvements qui s’apparentent avec un registre évidemment limité à certaines techniques<br />
manipulatives ou à des gestes orthopédiques, d’autres, apparemment plus rares, emploient des<br />
manoeuvres non traumatisantes portant sur les muscles ou les tendons. Certains font ainsi<br />
avec le pouce des frictions lentes, et peu répétées sur les muscles fessiers, les ischio-jambiers<br />
et les muscles du mollet, pour des sciatiques, ou des étirements bref des muscles para<br />
vertébraux pour des douleurs cervicales ou lombaires. Nous avons d’autres moyens de faire<br />
aussi bien et même mieux, mais cela amène à réfléchir sur le mécanisme de certaines de ces<br />
douleurs vertébrales courantes.» « De père en fils les secrets du reboutage se sont transmis,<br />
mais tellement enrobés de pratiques mystérieuses que l’exécutant ne sait plus discerner dans<br />
ce qu’il fait, l’acte utile. A vrai dire les rebouteux de tradition ne font pas de manipulations,<br />
au sens où nous l’entendons dans ce livre ; ils font des frictions, des pressions sur les muscles<br />
ou les tendons. Ces procédés curieux sont parfois d’une remarquable efficacité. On trouve<br />
dans les vieux traités certaines manœuvres qui ressemblent d’assez près à nos manipulations.<br />
Mais leur première utilisation systématique date des environs de 1840, où certains élèves de<br />
Ling, en Suède, poussant jusqu’au bout l’étude du mouvement analytique, étaient arrivés à<br />
pratiquer quelques mobilisations forcées du rachis. La manœuvre en Y de Tissié, par exemple,<br />
est une manipulation qui permet d’obtenir chez certains sujets un déblocage costo-vertébral<br />
donnant instantanément un gain de plusieurs centimètres d’ampliation thoracique.».<br />
Le Dr Pécunia lui aussi décrit cette profession : « jeune médecin, j’ai eu la chance d’exercer<br />
dans le périmètre d’un rebouteux célèbre. Célèbre à juste titre, il faut bien l’avouer car il<br />
reboutait si bien les entorses, foulures et traumatismes bénins, que les malades s’adressaient<br />
presque uniquement à lui pour ces sortes de lésions… et me le disaient. Après avoir vu courir<br />
le jour même plusieurs entorses sérieuses que j’avais « arrêtées » le jour même pour quinze<br />
jours, je suis allé lui rendre visite. N’attendez pas de description de l’homme ni de son antre.<br />
Sachez seulement qu’il m’appris que le corps humain est symétrique. Cet homme connaissait<br />
(il est mort maintenant) d’anatomie tout ce que le palper peut en laisser connaître. C’est<br />
énorme. Et il ignorait le nom de la styloïde radiale ou d’une malléole, il en connaissait bien le<br />
relief et le creux des vallées qui les entourent et c’est par comparaison palpatoire qu’il<br />
établissait ses diagnostics. Pour le traitement c’était d’un empirisme particulièrement simple :<br />
il forçait là ou les articulations jouxtant le segment intéressé jusqu’à ce qu’il puisse rétablir la<br />
symétrie. Ainsi ne faut-il pas s’étonner si une fois, une fois seulement à ma connaissance, il a<br />
fracturé un humérus en réduisant une luxation de l’épaule. La plupart du temps il rétablissait<br />
la symétrie et il rétablissait du même coup la fonction ». 20<br />
Ainsi, l’histoire des rebouteux a la vie dure. Tout l’esprit de la rebouterie se retrouve dans le<br />
parcours et le travail de Moneyron, qui de pharmacien devint rebouteux, puis entreprit ses<br />
études de kinésithérapeute.<br />
Ce n’est qu’au 19 ème siècle, avec les écrits de Claude Bernard, père de la médecine moderne,<br />
et les découvertes de Louis Pasteur, que la médecine scientifique va progressivement prendre<br />
le pas sur la rebouterie. Ils instaurent les règles de la médecine expérimentale ayant pour base<br />
la physiologie. Magendie avait coutume de dire : « j’ai des yeux, je n’ai pas d’oreilles » ; il<br />
disait aussi : « si nous chassions les médecins de l’Hôtel-Dieu, la mortalité serait peut-être<br />
moindre. »