Le rôle des sociétés d'Anatolie du sud-est dans la ... - IFEA

UNIVERSITE DE PARIS I – PANTHEON SORBONNE
Mémoire en vue de l’obtention du D.E.A.
d’archéologie du Proche-Orient
Le rôle
des sociétés
d’Anatolie du sud-est
dans la néolithisation du Proche-Orient
Volume I : Texte
Par Cédric Bodet
Sous la direction de Mr Jean-Daniel Forest.
Juin 2001
Volume II : index des figures en fin de volume
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Je tiens à remercier les personnes qui m’ont aidé et soutenu dans l’aboutissement
de ce travail: Jean-Daniel Forest, Barbara Helwing, Maud Lebreton, Aline Tenu, Canan
Cakirlar et mes parents.
Avant-propos
La terminologie et la chronologie des périodes en question sont en grande partie
fondées sur la typologie lithique en général et sur celle des pointes de flèche en
particulier. Cependant, il est plus difficile d'attribuer des datations absolues à ces périodes
et donc à cette séquence de pointes. Elles dépendent souvent entièrement des dates
radiocarbone des échantillons issus des couches stratifiées contenant le matériel lithique
qui y est associé. Celles-ci sont sujettes à d'importantes variations selon que ces dates
sont calibrées ou non et selon leur provenance géographique.
La calibration des dates est la conséquence récente de la découverte d’un
phénomène physique qui faussait les dates 14C, surtout pour les périodes anciennes,
telles que le Néolithique. En effet, la datation radiocarbone est fondée sur le calcul de la
radiation carbonique qui émane des corps organiques proportionnellement dans le temps.
Les scientifiques se sont aperçus par la suite que le champs magnétique de la terre s'était
considérablement modifié au cours des millénaires et qu'il fallait donc revoir certaines
dates anciennes à la hausse. C'est ici qu'intervient un ensemble de techniques, notamment
la dendrochronologie, appelé calibration, qui permet de réévaluer plus justement ces
dates. Cauvin est, dans l'édition 1997 (p. 11-12) de Naissance des divinités, naissance de
l'agriculture, l'un des premiers à en faire part.
Dans cet ouvrage, nous utiliserons donc uniquement les dates calibrées (indiquées
av. J.-C. ou B.C.) puisqu'elles sont plus proches de la réalité et plus conformes aux
techniques de datation modernes. Il faut cependant noter que ces méthodes de calibration
n'ont certainement pas pu être appliquées ou étendues à tous les sites. Par conséquent, j’ai
dû procéder, pour ceux-ci, à des calculs approximatifs afin d’obtenir une idée de la valeur
calibrée des dates qui ne l’étaient pas, à partir d'un tableau de périodisation (fig) établi par
la Maison de l'Orient (Lyon) mettant en parallèle les deux types de dates et publié
récemment par Stordeur (1999 : 34). Il semble qu'il ne s'agisse pas là d'une constante
mais que la variation est inégale selon la période considérée. De cette façon, 10200-
10000 BP (période khiamienne au Levant) donne les dates de 10000-9500 av. J-C.
Ainsi, les dates non-calibrées, souvent annoncées en "BP" (Before Present),
d'Hallan Cemi montrent selon Rosenberg (1999: 26; 1998:38) que l'occupation du site
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emonte à la fin du 11ème millénaire BP, ce qui donne donc une date calibrée beaucoup
plus large allant d'environ 10600 à 9300 av J-C . C'est très important car cela révèle, par
exemple, une affiliation plus ou moins directe, et même une partielle contemporanéité
entre le PPNA d’Hallan Cemi et celui de Cayönü, ce qui multiplie par deux le nombre de
sites PPNA connus dans la région.
2

I
-
Introduction
3

Le Néolithique est cette période au cours de laquelle l'homme, par le biais de
changements radicaux, va commencer à contrôler son environnement et établir les bases
communautaires qui sont les racines profondes de nos sociétés modernes. Ces
changements, selon la définition de Gordon Childe, acceptée par une majorité de
chercheurs depuis (Aurenche et Kozlowski 1999 : 36-7), concernent presque
exclusivement le domaine du mode de subsistance, c’est-à-dire de l’apparition de
l’agriculture, et c'est encore en ces termes que le Néolithique est traditionnellement
considéré.
Il est vrai que l'apparition de l'agriculture et de l'élevage forment une avancée
nécessaire et une base indispensable à toute société complexe. Il serait cependant trop
simpliste de réduire cette période de grands bouleversements à cette seule modification
économique. Comme le note Ozdogan (1997: 9 ; 1998 : 34) « le mode de subsistance ne
suffit pas à définir ni la néolithisation, ni les zones d’interactions culturelles ». La
sédentarisation, le développement de l'architecture, la spécialisation du travail, l'art, la
circulation à longue distance (notamment de l'obsidienne), les prémices de
l’institutionnalisation de la religion (construction de bâtiments somptuaires) et de la
centralisation du pouvoir sont autant d'éléments qui forment, aux côtés de l'agriculture, et
non comme une conséquence de celle-ci, un tout caractéristique des sociétés avancées.
L’agriculture n’est qu’un élément qui, pour reprendre les termes de Testart (1982 :
201), «s’insère dans le mouvement historique de cette époque ». En effet, contrairement à
ce qui a longtemps été cru, l'agriculture n'est pas l'élément déclencheur des autres ; la
sédentarisation, par exemple, lui est bien antérieure et son impact n’est pas moindre.
Celle-ci, accompagnée de la notion de stockage de denrées saisonnières, forme d’ailleurs
peut-être la vraie révolution que l’on appelle encore aujourd’hui « néolithique » ; mais
elle apparaît dès le Mésolithique. Il nous semble donc inapproprié de faire commencer le
Néolithique à l'apparition de l'agriculture (avec toutes les complications techniques que
ce terme implique) et nous préférons considérer cette période dans son déroulement
temporel (par rapport aux différentes innovations culturelles). Il est donc plus logique
pour nous de parler de "néolithisation", prenant pour point de départ la plus ancienne des
innovations concernées, la sédentarisation.
Au Proche-Orient, où la néolithisation est l’une des plus précoces au monde, la
succession et la chronologie de ces différents éléments nous sont connues dans les
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grandes lignes. La sédentarisation, avec, bien sûr, les débuts de l'architecture, mais aussi
ceux des échanges organisés à longue distance ouvrent donc, vers 12500 calibré av. JC,
la marche du processus néolithique, bien que cette période soit plus communément
connue sous le nom de Mésolithique. Elle représente donc logiquement pour nous la
Période 1 (voir Périodisation dans Cadre spatio-temporel). Ensuite, c'est le passage, à la
Période 2 (10000-8700 av. JC), à l'agriculture pré-domestique, à l'architecture
rectangulaire, à la production de lames sur nucléus bipolaires (remplaçant les lamelles du
"Mésolithique") et les premières attestations de travaux collectifs, tels que des remparts
et une tour massifs à Jéricho (Cauvin 1997 : 59) ou des bâtiments publiques comme à Jerf
el-Ahmar (Stordeur 2000 : 43). Enfin, à la Période 3 (8700-7000 av. JC), le sommet de la
complexité sociale néolithique est atteint avec des bâtiments aux dimensions
monumentales, et à la fonction hautement symbolique (religieuse) notamment à Göbekli
Tepe (Hauptmann 1999 : 78-81), une circulation de l'obsidienne et une production
lithique très organisées et uniformes impliquant une certaine spécialisation du travail,
ainsi que le confirme l'apparition de l’agriculture et de l’élevage domestiques, et, enfin,
celle de la poterie. Bien que de façon très relative (à l’échelle d’un village), à la fin de la
période, une hiérarchisation de la société se dessine et le pouvoir se centralise.
S'il subsiste, dans le domaine de la séquence chronologique et de la datation,
beaucoup d'éléments à préciser ou à réajuster, c'est, il semble, dans le domaine
géographique qu'il reste le plus de travail à faire. Le fil de tous ces événements se perd
quant à la région de leur apparition et à leur étendue d'influence, et donne lieu à de
nombreuses controverses souvent infructueuses entre différentes "écoles", parfois
influencées par un prestige national ou idéologique.
Il est aujourd'hui difficile d'estimer où, précisément, ces différents événements
culturels sont d'abord apparus et où ils se sont ensuite diffusés, car ce n'est pas aussi
simple et évident qu’on peut le laisser entendre. Voici donc l'intérêt de comprendre au
préalable l'importance de ne pas considérer le Néolithique comme évènement en soi,
mais comme une multitude de petites innovations fusionnant, et de décortiquer
suffisamment leur chronologie, par un système de périodisation simplifiée, sur lequel
nous reviendrons. Il semble bien en effet, après analyse de celles-ci, que tout ne soit pas
parti d'un seul et même endroit, et qu'ensuite le phénomène néolithique se soit diffusé
dans le reste du Croissant Fertile. On ne peut non plus imaginer, au contraire, que
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l'ensemble de ces innovations soit apparu dans l'ensemble de cette région au même
moment. La complexité du processus de néolithisation rend en effet impossible qu'une
telle succession d'évènements aussi primordiaux soit intervenue pareillement, avec une
même intensité et en même temps sur un si vaste territoire, ou bien qu'un seul petit
territoire en soit le seul centre novateur.
L'étude de l'apparition géographique des différents éléments de la néolithisation
du Proche-Orient, dont l’ensemble pourra être abordé ultérieurement (travail de thèse),
forme la trame de fond de cette problématique. Pour l'instant, sans, bien-entendu, ne
jamais perdre de vue son cadre et son référentiel nécessaire qu'est le reste du Croissant
Fertile, nous nous attacherons plus précisément à la région qui nous a d'abord beaucoup
intrigué et nous a, en premier, fait prendre conscience de ce flou géographique; il s'agit
d’une région trop souvent laissée pour compte mais dont l’importance des vestiges mérite
une place de choix au sein de cette étude: l'Anatolie du sud-est.
Le concept de Néolithique précéramique évoque l'idée de sociétés sédentaires
mais primitives, non complexes. Les photos de sites récemment fouillés, tels que Nevali
Cori et surtout Göbekli Tepe dans la région d'Urfa (Turquie du sud-est), datant de la
Période 3, provoquent invariablement une profonde remise en cause. C'est d'abord à la
vue des bâtiments monumentaux et des piliers monolithiques, allant jusqu’à 6 m de haut,
souvent décorés de bas reliefs (Hauptmann 1999 : 78-81) que nous nous sommes
interrogé sur la nature réelle de ces sociétés et leur place dans le processus de
néolithisation du Proche-Orient. Rien de semblable dans l’extravagance n'a encore été
trouvé jusqu'à une période beaucoup plus récente dans tout le Poche-Orient. Or, cette
unicité est accompagnée d'éléments tout aussi intrigants: on est amené à penser que la
complexité de la société qui a construit ces bâtiments est le résultat d'une longue tradition
locale, puisque rien de semblable n'est attesté aux alentours. Cependant, celle-ci n'existe
pas puisque ces structures ont été construites sur le sol vierge et la période précédente est,
sur l’ensemble de la région et selon nos connaissances actuelles, quasiment dépourvue
d’architecture. Il semble à présent que les seules origines possibles se trouvent sur le
Moyen-Euphrate Syrien à la période précédente (Période 2), mais à un stade de
développement moindre. La nature de l'émergence de ces sociétés reste donc un mystère;
s'agit-il d'une diffusion de population ou d'idées Des liens culturels peuvent-ils prouver
une relation quelconque avec les cultures avoisinantes
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Enfin, un autre élément vient semer la confusion, celui du problème de
représentativité. Si les prospections sur le Néolithique au Levant, spécialement en
Palestine, étaient déjà importantes dans les années trente (l’expédition de Garstang à
Jéricho) et que leur nombre n’a pas cessé de croître depuis (Ozdogan 1997: 8), le
Néolithique en Turquie a été découvert dans les années soixante (le projet Iraq Jarmo par
Braidwood) et n'a vraiment commencé à intéresser les chercheurs que depuis une dizaine
d'années. Auparavant, l’Anatolie n’a jamais été considérée que comme une zone
marginale ou un pont entre l’est et l’ouest, et souvent même ignorée en tant que point de
passage dans la diffusion du Néolithique du Proche-Orient vers l’Europe, car, jusqu’il y a
encore quelques années, beaucoup la croyaient vide de population jusqu’au 3ème
millénaire (Ozdogan 1998: 25-6)! Malgré la richesse des sites explorés dans cette région
depuis, on lui attribue encore trop souvent une importance mineure dans la séquence des
innovations néolithiques; on a beaucoup parlé de « néolithisation secondaire » pour
qualifier le Néolithique anatolien (Cauvin 1997: 118-121; Ozdogan 1998 : 37-38). Pour
400 sites explorés au Levant pour la période, il en existe à peine une quarantaine sur
l'ensemble de la Turquie qui couvre une surface beaucoup plus importante (Ozdogan
1999: 10-11). Et, au vu de la qualité des quelques sites retrouvés, on ne peut que supposer
qu'il en reste beaucoup d'autres. Il est donc difficile aujourd'hui d'établir une séquence de
développement fiable. Les recherches à venir devront ainsi nécessairement atténuer ou
modifier nos connaissances et nos hypothèses actuelles (voir infra). Cependant, les
données acquises durant cette dernière décennie sont si importantes et soudaines qu’elles
sont loin d’être bien exploitées. Il est impératif que ces données soient maintenant
étudiées dans le souci de leur donner un sens, de les intégrer dans un ensemble cohérent.
Elles méritent ainsi, non seulement une synthèse, mais également d'être analysées en vue
de formuler les questions auxquelles répondront les recherches futures.
En ce sens, il nous semble donc justifié de réhabiliter le statut de l'Anatolie du
sud-est dans le rôle qu'elle a joué dans la néolithisation du Proche-Orient. Découvrir les
régions géographiques de la néolithisation, c'est aussi, en d'autres termes, rechercher les
affinités culturelles des communautés qui les ont habitées, à travers l'uniformité ou la
variété qui apparaît dans leurs cultures matérielles. C'est en effet, dans un premier temps,
l'étude de celles-ci qui permettra de déceler des traces de traditions locales, d’échanges,
d'influences et de diffusions, de déclin et d'apogée, enfin, la mise en place de toute une
base de comparaison. A travers les principaux témoins de ces sociétés, nous essaierons
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de reconstituer le paysage culturel de cette région et de la replacer au sein de son cadre
proche-oriental. Ces principaux témoins sont déterminés par leur état de préservation,
leur quantité ou leur qualité de caractérisation de ces sociétés, et leur niveau de
développement respectif. Il s’agit, pour l’horizon culturel en question, de l'industrie
lithique, l'architecture et le mode de subsistance, et ils formeront les trois axes d’études
majeurs de cette recherche. Le domaine de l’art, tenant du symbolique et donc plus
délicat à interpréter, ne sera que brièvement abordé dans le cadre restreint de cette étude.
A partir de ces domaines, étudiés par période et en comparant les données des différentes
régions, nous viendrons à établir une vision de l’évolution des structures sociales et des
affiliations culturelles des communautés concernées. Enfin, il sera temps d’essayer de
dresser un portrait, un « modèle », du rôle des sociétés anatoliennes dans le mouvement
général de la néolithisation qui caractérise le Croissant Fertile à cette époque.
Sur les problèmes de représentativité
Nous avons déjà évoqué le problème de représentativité qui est sans doute l’un
des premiers ennemis d'un travail de ce genre. Comme nous l’avons déjà signalé, il y a de
fortes chances que, quelle que soit la vision établie, celle-ci soit modifiée, complètement
ou en partie dans les prochaines années. Cependant, dans un premier temps, un tel travail
n'est pas inutile, dans le sens où il permet de mettre en corrélation différentes régions sur
un espace assez large, et donc d’y voir plus clair et de disposer d’une base de données
plus facile à manipuler. Il est temps d’établir une synthèse et de mettre en perspective les
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avancées réalisées jusqu'à présent en ce domaine, afin de faire le point sur nos
connaissances et sur la direction vers laquelle il faut procéder pour mieux exploiter les
informations à l'avenir. De plus, il est incontestable que les nouvelles données des dix
dernières années dans de nombreuses régions (Anatolie, Zagros, Djézireh) où
pratiquement rien n'était connu auparavant suffisent déjà à radicalement changer l’idée
générale sur cette période. La petite dizaine de sites d’Anatolie du sud-est pèse déjà lourd
sur notre interprétation de la néolithisation de l’ensemble du Proche-Orient, malgré les
centaines de sites connus au sud Levant (Ozdogan 1999: 225). Le Levant sud n'est plus,
en dépit des décennies de recherche dans cette région, le centre novateur unique de la
néolithisation.
C'est d'ailleurs bien à cela que l'on reconnaît qu’il faut atténuer le problème de
représentativité du matériel. Malgré le grand nombre de sites connus au sud Levant de
toutes les périodes concernées, si celui-ci conserve sa notoriété sur la période natoufienne
en terme d'avancée culturelle sur les autres régions, les quelques sites du Moyen Euphrate
et d'Anatolie, aux PPNA et PPNB, suffisent à eux seuls à définir un mouvement
d'innovation vers le nord, alors que le sud stagne, avant de péricliter totalement à la fin du
PPNB (Rollefson 1989: 169, 173). Le nombre des prospections de terrain sur la période
en Anatolie est relativement élevé (Todd, Balkan Atli, Bennedict, Ozdogan, Cauvin,
Cambel, Braidwood, Howe, Kansu, Senyurek, Kökten, Bostanci, Whalon) pour n’en citer
que quelques-uns (Balkan-Atli 1994 : 47 ; Ozdogan, M. 1997 : 7). Même si l’Anatolie
souffre de problèmes d’érosion des sols entraînant l’enlisement de nombreux sites, le sudest
est particulièrement épargné par ce phénomène, à tel point que de nombreux sites
néolithiques sont localisés directement sous la surface (Ozdogan 1998 : 29). De plus, la
construction de plusieurs barrages sur le Tigre et l’Euphrate turcs durant les dernières
décennies a amené les équipes sur place à conduire un grand nombre d’opérations de
reconnaissance. Par exemple, Rosenberg, lors de la construction du barrage sur la rivière
Batman fait état de seulement deux sites précéramiques repérés sur toute la région
concernée (Hallan Cemi), bien que largement prospectée (Rosenberg et alii 1998: 35).
Enfin, les résultats concordent pour dire que le nombre de sites connus concernant les
Périodes 1 et 2 particulièrement reste très faible. La raison est facilement explicable
climatiquement (voir « environnement »). Tout ceci nous invite à penser que les
découvertes à venir ne viendront pas complètement bouleverser l’idée que nous pouvons
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nous faire de l’identité culturelle de la région, et que nos conclusions sont fondées sur des
faits, qui, très certainement, seront modifiés, mais pas entièrement remis en cause.
Ce tableau montre, à ce propos, le nombre de sites d’importance connus dans
chaque région. Celui-ci tend tout à fait à démontrer que, finalement, l’Anatolie n’est pas
plus mal lotie que les régions voisines en ce qui concerne le nombre de sites, et que la
base de comparaison semble extrêmement fiable.
Nombre de sites
par périodes et
régions
Période 1
Période 2
Période3
Levant Nord Anatolie du sud-est Djézireh
2: Abu Hureyra,
Mureybet
3: Mureybet,
Cheickh Hassan,
Jerf el Ahmar
8 : Dja’de, Halula,
Abu Hureyra,
Bouqras, Qdeir, El
Kowm, Sabi Abyad,
Assouad
3: Sögüt Tarlasi, Biris 2: Nemrick, Qermez
Mezaligi, Hallan Cemi Dere
3: Hallan Cemi, 4: Nemrick, Qermez
Demirköy, Cayönü Dere, M’lefaat, Deir
Base.(Nev.Cori,Göb ) Hall
8: Nevali Cori, 2: Nemrick,
Cayönü, Göbekli Tepe, Magzalia,
Gürcütepe, Cafer
Höyük, boytepe,
Hayaz Höyük, Gritille.
De plus, le nombre en soi des sites ne peut être un point de comparaison unique.
C’est bien la qualité culturelle présente dans chacune des régions qui nous permet de
parler de telle ou telle influence, diffusion, hégémonie…
Cette constatation est toute aussi valable à l'inverse: il est clair qu'au Levant sud,
les sites natoufiens sont beaucoup plus nombreux que ceux des périodes suivantes, PPNA
et PPNB (Bar-Yosef 1992: 14) et qu'ils ont été connus bien avant (Bar-Yosef 1992: 14,
1989: 57). Il serait donc logique de supposer que si un tel engouement avait existé dans
d'autres régions à cette époque, celui-ci aurait été montré de manière plus significative.
On peut donc penser avec une relative assurance que c'est bien le Levant sud, et
particulièrement la Galilée qui, à cette époque, concentre l'activité culturelle la plus
intense, qu'elle partage en partie avec le Zagros, alors que les régions intermédiaires,
même si elles ne sont sûrement pas vides, présentent sans doute moins de populations
sédentaires.
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II
-
Cadre
Spatio-temporel
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Environnement
Nous nous étendrons, en ce qui concerne le cadre géographique général, sur ce
qu'il convient d'appeler le Croissant Fertile, en se concentrant essentiellement sur son
extrémité septentrionale. Le Croissant Fertile forme un arc très vaste, qui s'étend de sa
pointe sud-ouest formée par le Levant, c'est-à-dire les pays actuels d'Israël, de la Jordanie
(occidentale), du Liban et de la Syrie (littoral et vallée de l'Euphrate), à sa pointe sud-est,
c'est-à-dire les pays actuels d'Iran et d'Iraq. Ces deux pointes se rejoignent en un croissant
septentrional au sud-est de la Turquie (carte ).
Pour parler en termes d'environnements naturels topographiques ou
hydrographiques, la branche occidentale du Croissant s’étend entre le littoral
méditerranéen du Levant et la section nord du Rift Africain, matérialisé par les vallées du
Jourdain et de l'Oronte. Le Croissant commence sa courbure à partir du coude de la
Vallée du Moyen Euphrate syrien et longe l'arc de cercle formé par la rangée
montagneuse du Taurus oriental, qui ensuite rencontre la chaîne du Zagros qu'il va suivre,
en même temps que le Tigre et l'Euphrate jusqu'au Golfe Persique.
Bien que le Croissant Fertile forme le cadre référentiel de cette étude, c'est la
région parfois appelée Hautes Vallées (du Tigre et de l'Euphrate), autrement dit l'Anatolie
du sud-est, qui nous intéresse plus particulièrement ici.
Selon une définition anthropologique, la culture est le moyen premier par lequel
les hommes s’adaptent à leur environnement naturel (Fagan 1994: 482). La néolithisation
comprend le passage à la sédentarisation, entraînant le fait que pour la première fois les
hommes se trouvaient confrontés en permanence aux mêmes conditions climatiques et
éléments environnementaux, facilitant ainsi les expérimentations et la compréhension des
phénomènes naturels. Cela favorise ainsi les innovations techniques comme l’adoption de
l’agriculture. On comprend donc la nécessité de bien connaître cet environnement en tant
que cadre d’élaboration de ces techniques. Cela est d’autant plus important qu’il s’agit là
d’une période de changements climatiques constants.
A la fin du Pléistocène, le Mésolithique est marqué par la fin de la période
glacière, ou tardiglacière, et le début d’une période de réchauffement, entrecoupée des
périodes plus rudes du Dryas II et Dryas récent (Aurenche-Kozlowski 1999: 15). Ainsi, le
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Kébarien est relativement froid, humide, le Levant est couvert d’un boisement léger, les
gazelles sont abondantes ainsi que les équidés. Le Natoufien récent présente une steppe
relativement sèche et plus chaude. Pour le Néolithique, il s’agit d’un climat similaire mais
plus chaud et plus sec (proche de l’actuel). La fin du Dryas III est marquée par une
ripisylve dense et sèche, plus aride dès le PPNB (Hemer et alii 1998 :14-7). Il est certain
que ces éléments ont joué un rôle décisif dans l’implantation au Proche-Orient des types
sauvages de céréales qui furent domestiquées par la suite au Levant et en Anatolie
(Hillman 1996: 195-6; Sherratt 1997: 278-81).
Or, il est intéressant de constater que ce réchauffement climatique, qui a d’abord
permis aux hommes de se sédentariser, est apparu au Levant beaucoup plus tôt qu’en
Anatolie, où le même climat froid et sec a perduré jusque vers 10000 BC, comme le
montrent les études des données palynologiques et géologiques (Van Zeist - Bottema
1991 : 65,118-125). Ceci serait dû à la position plus septentrionale et montagnarde du
sud-est anatolien, ainsi qu’à une différence du régime des vents (Balkan-Atli 1994 : 143).
C’est ainsi que Balkan-Atli (1994 : 17, 59) et Ozdogan (1998 : 34) expliquent l’apparent
vide de population, du moins sédentaire de plein air, à cette époque en Anatolie, alors
qu’au Levant sud florissaient les sites natoufiens. Ce n’est sans doute pas une coïncidence
si, d’ailleurs, les sites du Levant sud sont eux-mêmes beaucoup plus nombreux qu’au
Levant nord. Les sites de la Bozova près d’Urfa en Anatolie sud-orientale (Biris
Mezarligi et Sögüt Tarlasi) semblent bien attester une faible présence cependant, dans des
habitats de grotte, dès le Mésolithique, et d’origine probablement orientale, zarzienne ou
trialétienne, qui perdurera au PPNA d’Hallan Cemi et de Cayönü.
Ensuite, à la transition du Mésolitique et du PPNA, les améliorations climatiques
de l’Holocène gagne les hautes vallées anatoliennes favorisant la sédentarisation de la
population, avec un point d’orgue au PPNB. Si nous partageons l’avis de M. Ozdogan
(1998 : 34) sur le fait que les premières populations anatoliennes ne viennent pas du sud,
par la suite, l’optimum climatique de l’Holocène apportera à la région, au travers les sites
de la région d’Urfa en amont de l’Euphrate, les influences du Levant. A en croire la
capacité de stockage des céréales dans les structures des maisons des Périodes 2 et surtout
3, cet optimum climatique couplé à l’environnement montagneux d’Anatolie, sera
profitable non seulement à une chasse et une cueillette intenses, mais aussi à l’agriculture
pré-domestique puis domestique.
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Périodisation
Concernant la périodisation de l’époque néolithique au Proche-Orient, plusieurs
systèmes ont été essayés sans rarement parvenir à un accord général. Celui qui est le plus
utilisé jusqu'à présent est le système mis en place par Kathleen Kenyon dans les années
50 (Aurenche-Kozlowski 99: 36-37) à partir des données provenant de ses fouilles à
Jéricho. Devant des niveaux anciens contenant un matériel d'apparence néolithique mais
sans céramique, la notion de Pre-Pottery Neolithic fut introduite, ultérieurement séparée
en deux sous-phases, PPNA et PPNB.
Aujourd'hui, ces notions, surtout celle de PPNA, même si elles se prêtaient plus
ou moins bien au contexte de Jéricho, ne reflètent plus les réalités des recherches
récentes. Moore (1982) a proposé une périodisation en quatre phases (Néolithique 1 à 4)
suivant les innovations techniques de chaque époque. Si le concept est plus sain, les
recherches de ces vingt dernières années demandent que quelques modifications soient
apportées à ce système. Cauvin (1997) préfère, lui, parler de cultures que d'horizons
chronologiques; une méthode qui semble en effet plus en concordance avec les faits. C'est
ainsi qu'il parle de "culture PPNB du Taurus" (1997: 117-127) et qu'il remplace, au
Levant, le désuet concept de PPNA par les cultures khiamienne, puis sultanienne (au
sud), mureybetienne (au nord) et aswadienne (au centre) selon les régions concernées.
Enfin, la Maison de l'Orient à Lyon a proposé une périodisation de 1 à 5, publiée
dans leur Atlas des sites du Proche-Orient (Hours et alii 1994) et fondée sur une
terminologie de phases proto-néolithiques et néolithiques suivant l’industrie lithique, le
développement architectural et le mode de subsistance (chasseur-cueilleur ou agriculteuréleveur)
des groupes concernés.
La périodisation que nous utilisons est empreinte du type instauré par Cauvin en
essayant tant que possible d’imposer le concept de groupes culturels et d’apporter à ce
panorama des limites géographiques. Nous suivrons, en parallèle, Moore et la Maison de
l'Orient en adoptant un système numérique neutre (1à 3, puis subdivisé), qui s’appuie sur
les changements techno-économiques apparents, pour présenter une vision plus globale
du développement néolithique. Cela nous semble un procédé viable pour présenter la
complexité du phénomène.
15

Voici comment se présente la version simplifiée de notre système de périodisation
qui concilie terminologies et dates absolues calibrées:
12500-10000 av. JC Période 1 Mésolithique final
10000-8700 av. JC Période 2 PPNA (Pre Pottery
Neolithic A)
8700-7000 av. JC Période 3 PPNB (Pre Pottery
Neolithic B)
Il est à noter que nous avons décerné quelques différences dans la chronologie
utilisée par les archéologues travaillant en Anatolie, qui se réfèrent généralement à la
chronologie mise en place à Çayönü, ce qu’il faut garder à l’esprit pour éviter les
confusions. Ceci vaut en particulier pour la date de transition entre le PPNA et le PPNB,
comme en témoigne la comparaison de ces deux tableaux (fig. 2 et 8) pour lesquels les
mêmes dates BP n’ont pas la même désignation périodique ; la confusion apportée par la
calibration des dates pourrait bien en être la raison. Enfin, il est possible que ce décalage
provienne également d’un véritable fossé chronologie entre les deux régions. En d’autres
termes, il est évident que le fait d’appliquer une seule et unique périodisation à des
régions n’ayant pas connu le même développement historique aboutit forcément à
quelques approximations.
Ceci dit, nous choisissons ce système périodique unique ici pour des raisons
diverses : d’abord le cadre restreint de cette étude ne nous permet pas de nous étendre sur
des problèmes chronologiques trop long à résoudre et qui pourront intégrer la
problématique d’un travail de thèse à suivre ; d’autre part, nous considérons le Proche-
Orient comme une entité régionale, et l’adoption d’une seule chronologie, viable partout
dans ses grandes lignes, facilite les comparaisons et apporte une vision d’ensemble plus
claire sur le processus de la néolithisation.
16

III
-
L’industrie lithique
17

La poterie sert de référent principal pour les archéologues des périodes à
céramique afin de déterminer une certaine chronologie relative et le degré d’interaction
des cultures anciennes. Pour les périodes précéramique, ce rôle est rempli par le matériel
lithique, du fait de sa représentation dense et son état de préservation, même si l’arbitraire
culturel y tient moins d’importance que dans la production de la céramique.
L'état de la recherche sur le Néolithique précéramique du Proche-Orient souffre
aujourd'hui de certaines lacunes quant à la compréhension de son développement
chronologique et géographique. Il est donc primordial de se reporter aux assemblages
lithiques des différentes régions concernées - que l'on pourrait définir comme la moitié
nord du Croissant Fertile- pour essayer de restituer leurs correspondances
chronologiques.
Les préhistoriens, dès Leroi-Gourhan, ont montré que l'industrie lithique, étudiée
selon la méthode de la chaîne opératoire, recèle une mine d'informations très importante
sur la société productrice. Ici, nous nous attacherons à trois phases ou étapes de cette
chaîne qui sont, chronologiquement, l'acquisition, la production et le produit fini, car elles
révèlent au mieux, dans ce cas, des tendances caractéristiques de traditions culturelles.
Nous ne garderons pas cet ordre car c’est, tout d’abord, le produit fini qui s’est
établi comme véritable fossile directeur pour l'établissement d'un repère chrono-culturel
de ces régions. En effet, la meilleure arme dont dispose le chercheur pour la datation du
Néolithique précéramique, est celle d'une typologie de pointes de flèches. Celle-ci est
bien documentée et assez précise pour démontrer un cheminement, dans le temps et dans
l'espace, des différents types puisqu’elles sont présentes dans tous les sites néolithiques,
que leur développement est relativement rapide et qu’elles sont, par leur morphologie,
des marqueurs culturels clairs (Gopher 1989 : 44). Dès le début se distinguent, au Moyen-
Orient, deux grandes familles (Levant et Zagros), trop souvent étudiées à part, alors
qu’un grand nombre de corrélations montrent qu'elles doivent être mises en parallèle.
Ensuite, la question sera de savoir, à partir des assemblages proposés pour chaque site, où
se trouve la limite ou l’espace d'interaction de ces deux grandes zones principales et s'il y
a une fluctuation de celles-ci dans le temps.
Aussi, l'étude de l'acquisition et du transport de matière première a eu des résultats
étonnants. Les analyses géochimiques, en particulier, sur le matériel lithique de ces
régions ont permis d'identifier l'un des premiers exemples d’échange à longue distance
connus. En effet, au Levant une partie de ces pointes de flèches est taillée dans
l'obsidienne, dont la provenance exacte a pu être déterminée: la Cappadoce et le lac de
18

Van en Anatolie. Les produits de ces gisements ont été retrouvés à plusieurs milliers de
kilomètres jusque sur des sites du sud Levant.
Enfin, un marqueur temporel et géographique d'importance est constitué par
l'identification de l'adoption de techniques de débitage différenciées : uni- ou bipolaire,
laminaire ou lamellaire, percussion indirecte ou par pression.
La recherche sur le Néolithique s’est concentrée tout d'abord sur le Levant,
puisque c'est là qu'on pensait trouver ses origines, et notamment celle de l'agriculture
(Ozdogan 1997: 3-5, 1998: 26). Même si la tendance s'est récemment atténuée, en
particulier en faveur de l'Anatolie et du Zagros, il y a toujours aujourd'hui une banque de
données beaucoup plus importante sur le Levant. C'est donc pour cela que la typologie
des pointes de flèches y a été établie.
Il est intéressant de présenter cette typologie et de voir ensuite comment elle
s'adapte aux assemblages néolithiques voisins (du Zagros et du Taurus).
I-Typologie des pointes de flèches
De manière générale, on peut chronologiquement diviser l’ensemble de la période
en question en deux grandes phases:
- la phase microlithique impliquant la production de lamelles (souvent moins de 3
centimètres) qui caractérise la tradition mésolithique et le début du PPNA, que nous
préférons appeler les Périodes 1et 2a puisqu’elles constituent bien les premières étapes du
phénomène de néolithisation.
- la phase dénommée "Big Arrowhead Industry"(BAI) par Kozlowski
(Aurenche-Kozlowski 1999: 103), qui atteste la production massive de lames longues (de
5 à 10 centimètres) et régulières à partir de la deuxième moitié du 9ème millénaire (bien
que ses origines soient attestées dès la Période 2) et qui caractérise la deuxième moitié de
la Période 3 (PPNB Moyen et Final).
-On peut donc considérer le PPNA récent (2b) et le PPNB ancien (3a) comme des
périodes de transition.
19

A- le Levant
D’après O. Bar-Yosef (1981: 555-569), partisan et auteur d'une simplification
typologique et J.Cauvin (1999), voici une classification chronologique des pointes de
flèches (fig Gopher). Elle a été réalisée en prenant en compte et en confrontant les
artefacts stratifiés de dizaines de sites de tout le Levant, tels que Mureybet au nord,
Aswad au centre et Nahal Oren et Jéricho au sud. La typologie s'applique même au sud
du Sinaï (Ujrat Suleiman) à l'Anatolie du sud-est sans oublier le Liban pour les périodes
anciennes et finales du PPNB.
Période 1
Mésolithique final ou
Natoufien
les pointes de Harif, Halutza
et Abu Madi (fig)
Période 2a PPNA ancien ou Khiamien pointe d'el-Khiam (fig)
Période 2b
Période 3a
Période 3b
Période 3c
PPNA récent ou
Mureybétien
PPNB ancien
PPNB Moyen
PPNB récent
baisse de la pointe d’el-
Khiam, début de la
pointe d'Hélouan et de
Nevali Cori
pointe d'Hélouan et de
Nevali Cori
pointe de Jericho et pointe
de Byblos
pointe de Byblos et pointe
d'Amuq
Ce tableau est schématique et la réalité n’est pas, de toute évidence aussi rigide,
c’est cependant bien selon ce schéma que les pointes de flèches représentent l’indice
principal de caractérisation chronologique.
Ces pointes de flèches ont également fait l’objet d’une analyse scientifique,
fondée sur la méthode de la sériation, qui bâtit des chronologies relatives, sous forme de
courbes de popularité. La sériation s’appuie sur l’idée que tout type d’artefact connaît une
période d’invention comprenant peu de spécimens, de croissance de sa popularité,
d’apogée et de déclin jusqu’à sa disparition (Fagan 1994 : 89-92). Cette analyse menée à
20

partir de centaines d’assemblages, soigneusement choisis (notamment dans des sites unistratigraphiques),
totalisant quelques 15000 pointes, vient corroborer ces résultats
(Gopher 1989 : 43-6).
B- La typologie lithique du Zagros, qui peut plus difficilement se réduire à la
typologie d'un fossile directeur telle que celle des pointes de flèches, et qui s'étend sans
doute vers l'ouest (La Djézireh et les Hautes Vallées anatoliennes) présente les caractères
suivants (Aurenche et Kozlowski 1999: 84-88):
- Période 1 / Epipaléolithique: le Zarzien (12000-10300) est une production lamellaire à
percussion indirecte de microlithes géométriques (segments, triangles) et de lamelles à
dos rectilignes.
- Périodes 2 et 3/ PPNA - PPNB: le Mléfatien est la continuation directe du Zarzien, sauf
pour ce qui est du débitage à la pression (sur nucleus conique à un plan de frappe). La
pointe de Nemrik est absente.
- Périodes 2 et 3/ PPNA - PPNB: le Nemrikien s’installe dans la Djézireh (10200- 6500
av.JC.) et découle lui aussi du Zarzien et se distingue principalement grâce à la présence
de pointes de Nemrik (fig ) dans ses assemblages.
C- les Hautes Vallées anatoliennes
Nous pouvons dès à présent ajouter un troisième type régional, originaire du
Caucase, qui se retrouvera dans les Hautes Vallées anatoliennes dès la Période 1et
jusqu'au début de la Période 3; il s'agit de la tradition dite trialétienne, caractérisée par
un débitage lamino-lamellaire (c’est-à-dire de grandes lamelles) par percussion indirecte
d’éléments géométriques et d’outils de plus grande taille que ceux des deux autres
traditions (fig) (Aurenche-Kozlowski 1999: 21-22). En fait, bien qu’ils soient
traditionnellement rangés sous cette définition, notamment à cause de leur appartenance
chronologique au Mésolithique, il ne s’agit pas vraiment de microlithes car les outils
atteignent facilement 3 à 5 centimètres de hauteur. Aucun type de pointe ne caractérise
vraiment le Trialétien.
A partir du milieu de la Période 3 (PPNB moyen et récent), les pointes de Byblos
et d’Amuq (BAI) représentent, à l’instar du Levant, la quasi totalité de la production des
pointes, de manière particulièrement uniforme. Nous essaierons de comprendre comment
s’est opéré ce changement brusque d’un type de production mésolithique à celui de la
BAI. S’agit-il simplement d’une diffusion levantine
Pour y répondre nous allons regarder cette séquence de développement de la
production lithique plus en détail, par période, en étudiant d’abord la situation dans le
21

Proche Orient en général et au Levant et dans la Zagros en particulier pour pouvoir enfin
mieux comprendre et évaluer le développement du lithique en Anatolie.
II- La période 1 (Mésolithique) et 2 (PPNA)
L’industrie mésolithique est caractérisée par la production de microlithes (souvent
moins de 3 centimètres) et par sa forte proportion de pointes sur lamelles faites en
percussion indirecte, qui, emmanchés à 2 ou 3 pièces sur un support en bois ou en os,
servent d’armes, notamment de pointes de flèches ou d’outils tels que des faucilles (fig).
A- Au Levant, la production lithique sur lamelles du Mésolithique est d’abord
irrégulière à retouches fines au Kébarien ancien, à retouches abruptes au Kébarien
classique (19000-12500 BC) et elle est ensuite caractérisée par la production de trapèzes
et de rectangles au Kébarien géométrique. Ceux-ci disparaissent au profit des segments et
de triangles au Natoufien (12500- 10000 BC) (Valla 1988 : 316). La plus grande
concentration de sites se trouve en Galilée et près du Mont Carmel, mais ils se trouvent
également dans le Néguev au sud, à l’est du Jourdain et au sud Liban.
2a- L'industrie Khiamienne, qui domine la première moitié du PPNA, hérite encore
beaucoup de ses prédécesseurs natoufiens, occupant la même étendue géographique,
comme le montre son aspect microlithique, qui s’estompe cependant peu à peu au profit
de lamelles plus grandes. Les perçoirs se multiplient (Bar-Yosef 1981: 561-2). La pointe
d’el-Khiam (fig) qui tient son nom du site éponyme au Levant sud, est un des marqueurs
de cette période. Elle est généralement retouchée à la pointe et à la base qui, souvent
concave ou rectiligne, dispose d'une paire 'encoches latérales. Au Levant nord, cette
pointe est seulement connue sur le site de Mureybet.
2b- Le Mureybétien (fig) suit le Khiamien dans la deuxième partie du PPNA au
Levant nord (son équivalent au sud est le Sultanien). Le Mureybétien est reconnaissable à
une production de plus grande taille. Même si les pointes el-Khiam y persistent, elles sont
graduellement remplacées par les pointes d'Hélouan (fig ) que l’on peut considérer
comme le début du débitage de lames. Elles représentent le premier pas vers la BAI
(Aurenche-Kozlowski 1999: 139). Elles possèdent, en guise de base, un petit pédoncule
marqué (en épaulement) et conservent la paire d'encoches qui est même fréquemment
redoublée. Une autre pointe de flèche fait également son apparition à la fin de cette
période, la pointe de Nevali Cori, qui ressemble à une pointe d’el-Khiam sans encoche et
de taille bien plus grande. Les faucilles sur lames à dos, les haches polies ou affûtées par
22

frappes transversales du type tranchet sont prisées. Ce type d'industrie est présent non
seulement à Mureybet, mais également à Jerf el-Ahmar et à Cheikh Hassan.
Il est à noter qu’au Levant sud, le Sultanien (fig), ainsi qu’il est représenté à
Jéricho, accuse déjà un certain retard en ceci que les pointes d'el-Khiam domineront
jusqu'à la fin de la Période 2, certaines avec une légère modification formée par l'absence
d’encoche, ressemblant ainsi aux pointes de Nevali Cori sous un modèle encore
microlithique (Aurenche Kozlowski 1999 : 139). L’analyse de sériation sur les pointes de
flèches a également montré que la pointe d’Hélouan, qui annonce les grandes lames du
PPNB, se diffusait clairement du Moyen-Euphrate syrien pour se retrouver d’abord au
Levant central puis, encore plus tardivement, au Levant sud (fig ) (Gopher 1989 : 49-51).
Même si le Sultanien n’est plus une industrie mésolithique, avec quelques productions
laminaires tardives, des retouches bifaciales et de rares microlithes (Lechevallier et alii
1989 : 2), le début du phénomène BAI ne s'y fera sentir qu'à la période suivante.
B- La production du Zagros est unifiée sous le terme culturel et technologique
de Zarzien à la Période 1 sur tout l’est du Croissant Fertile, où la technique de percussion
indirecte donne des lamelles irrégulières à bords ondulés. Le site de Qermez Dere le
représente au mieux. Le Zarzien se divise, à la Période 2, en deux entités régionales
différentes. A l'est, le Zarzien devient Mléfatien, d'après l'assemblage lithique du site du
piedmont du Zagros, bien que cette transition soit surtout repérable à Zawi Chemi et dans
la zone montagneuse. La technique change; de débitage par percussion indirecte, on passe
au débitage par pression ; les segments et les géométriques en général se font donc plus
rares, pour laisser une place plus importante aux lamelles à dos rectilignes, qui s’en
trouvent moins larges. Tout ceci vaut également pour le Nemrikien à l'ouest, dans la
Djézireh, qui est seulement différencié grâce à la présence de pointes de Nemrik (fig ).
Elles sont de petite taille, avec quelques retouches sur les contours de la base et de la
lame, sans pédoncule, et de forme presque parfaitement losangique (Aurenche-Kozlowski
1999: 140, 2000: 84-5). Ce type de pointe, tout comme ces deux traditions lithiques,
auront une longue existence, jusqu'à la période céramique. Il atteste, à la différence de la
branche occidentale du Croissant Fertile à la Période 3, l'absence de débitage bipolaire.
Plusieurs pointes d'el-Khiam ont été retrouvées en contexte nemrikien (Kozlowski 1989:
32), et présentent une trace irréfutable de contacts plus ou moins soutenus dès la Période
2, et sans doute plus tôt, entre les deux régions. Cependant, la distance qui les sépare
conduit à envisager la présence de groupes sédentaires dans la région intermédiaire, c’està-dire
l'Anatolie (Watkins, Baird et Betts 1989: 23-4), qui a trop longtemps été regardée
23

comme inhabitée à cette époque. Les nouvelles recherches ont d’ailleurs montré qu’elle
était bien peuplée.
C- Les Hautes Vallées qui, jusqu'à très récemment, étaient perçues comme
dépourvues d’habitat au Mésolithique (voir l’Atlas des Sites du Proche Orient,
1994, « Période 0 ») et au PPNA, révèlent peu à peu leurs secrets. D’abord, de
nombreuses prospections ont permis de découvrir plusieurs campements saisonniers à
cette époque et sur lesquels nous reviendrons. Ensuite, depuis les fouilles de Rosenberg à
Hallan Cemi et Demirköy, l’absence de sites sédentaires entre Levant et Zagros est
partiellement comblée. L'industrie présente une origine vraisemblablement caucasienne
ou trialétienne (fig ). La production de grandes lamelles – on peut même peut-être
accepter le terme de supports laminaires - géométriques (segments, lamelles à dos arqué,
triangles scalènes et isocèles) par débitage en percussion indirecte la caractérise
(Aurenche-Kozlowski 1999: 146). Pour le Mésolithique et le PPNA, elle était, jusqu’à
récemment, toujours trouvée dans des campements tels que Dam Dam Cesme ou Belt.
A propos de ces sites de campement, il est d’abord important de noter que, dans
les sites de la Bozova comme Biris Mezarligi et Sögüt Tarlasi (Benedict 1980 : 179-81),
des outils microlithiques semblent faire remonter la présence de groupes locaux très tôt, à
la période mésolithique (Période 1) et montrent des signes qui les rapprochent également
des cultures de la Djézireh et du Zagros (Ozdogan 1998: 32). Hauptmann (1999: 68-9)
semble se contredire en proclamant une évolution lithique largement indépendante de
celle du Levant pour ces sites et en ajoutant que des éléments kébariens sont évidents
dans l’industrie du silex de Biris Mezarligi. La présence d'outils en obsidienne, à une
époque où on les trouve déjà au Levant sud, démontre non seulement que, dès cette
période ancienne, les populations locales s'adonnaient au commerce de ce produit, mais
surtout que ce commerce s’opérait avec le Levant. Aussi, selon Balkan-Atli (1994 : 49,
100), parmi les 2532 artefacts rassemblés par Benedict, ceux dits microlithiques sont en
fait des micro grattoirs doubles sur lames, mais les microlithes vraiment représentatifs du
Mésolithique, tels que les segments ou les triangles, y sont absents. Elle propose donc une
date plus récente, le Néolithique, pour ces deux sites. En fait, nous pensons qu’il s’agit
précisément de pièces de tradition trialétienne locale qui possèdent de fait des
caractéristiques très différentes du Natoufien qui était à l’époque de la publication de
Balkan-Atli, le seul référent mésolithique connu dans la région. En effet, ces pièces sont
bien plus grandes que leurs contemporaines du Levant et les géométriques (tels que les
segments et les triangles scalènes) sont absents. Benedict parle bien d’une abondance de
24

microlithes dans les sites de la Bozova. De plus, non seulement Hauptmann et Howe très
récemment (Hauptmann 1999: 69 note 29), mais aussi Cambel, ont opté pour une date
mésolithique. L’absence d’architecture, due aux conditions climatiques trop rudes,
interdisant l’adoption de la sédentarisation, semble également indiquer que ce soit la date
la plus probable. Aussi, d’autres sites de cette date sont connus un peu plus au nord tels
que Pinarbasi, Palanli ou Uluk (Hours et alii 1994 : « Période 1»). En 1994, avant les
fouilles de Hallan Cemi, Balkan-Atli ne pouvait soupçonner la présence de Trialétien en
Anatolie, mais c’est bien de ça qu’il s’agit. Cependant, nier toute influence avec le Levant
ne semble pas correct, surtout si l’on considère le commerce de l’obsidienne. Il est
également possible que Sögüt Tarlasi, selon Hauptmann, et peut-être Biris Mezarligi,
selon Bicakci (1998: 137), continuent d’exister jusqu’au PPNB, au vu de la présence de
certaines pointes de projectile, ce qui pourrait également expliquer la position tenue par
Balkan-Atli.
Ne faisant pas état du site de Hallan Cemi, qui commençait à peine à être fouillé
à l’époque, Balkan-Atli conclut à un vide quasi total de population à la Période 1 en
Anatolie du sud-est. Malgré les récentes découvertes, et la nouveauté des recherches, il
faut tout de même admettre une certaine disparité des sites, comme le confirment les
prospections de Todd, Benedict, Ozdögan, Kökten, Whallon, Bostanci et d’autres
(Balkan-Atli 1994 : 47), par rapport au Levant tout particulièrement. Ceci semble
s’expliquer climatiquement (voir environnement).
Ensuite, depuis les fouilles de Rosenberg à Hallan Cemi et Demirköy, l’absence
de sites sédentaires entre Levant et Zagros pour les Périodes 1et 2 (respectivement) est
partiellement comblée. Hallan Cemi présente, selon Rosenberg (1999 : 29), une
production sur lame, ce qui semble étrange pour une production mésolithique. Cela
pourrait par contre correspondre, selon la grande taille de la production qu’implique le
débitage de lames géométriques - le terme de grande lamelle est peut-être ici plus
approprié - par débitage en percussion indirecte, à la tradition trialétienne (Aurenche-
Kozlowski 1999: 146), ce que ne dément pas la présence ponctuelle de segments et celle
plus importante, de triangles scalènes. Il est intéressant de noter que tout élément
natoufien, comme les lamelles à dos et troncatures ou les pointes d’el-Khiam, est absent
de l’assemblage du site, écartant cette possibilité quant à son origine (Aurenche-
Kozlowski 1999: 167, 146). Cependant, une influence zarzienne du Zagros est également
25

très claire comme le montrent les pilons sculptés et polis d’Hallan Cemi (fig) qui
ressemblent beaucoup à ceux de Nemrik 9 (fig) (Rosenberg et alii 1998: 29 ; Rosenberg
1992 : 117).
Nous sommes donc désormais en possession de suffisamment d’éléments pour
affirmer la présence en Anatolie du sud-est à la période mésolithique d’une population
reconnue et dénommée trialétienne. L’origine de cette culture a été dite caucasienne sans
doute parce que c’est dans cette région qu’elle a d’abord été découverte, mais il ne nous
semble pas erroné de penser que cette culture englobe également à part entière la région
des Hautes Vallées et qu’elle peut donc être considérée comme locale. Les éléments
zarziens présents dans les sites anatoliens proviennent sans doute d’une interaction
commerciale, peut-être alimentée par l’obsidienne.
L’étude de la production lithique permet de discerner une certaine différence
chronologique entre Hallan Cemi et Demirköy. La plus forte présence et la plus grande
standardisation des pointes de Nemrik à Demirköy, ainsi que la moindre fréquence
d’obsidienne et de triangles scalènes, semblent indiquer une date postérieure (Rosenberg
et Peasnall 1998 : 195-6). Le fouilleur propose qu’il s’agit de la même population,
émigrée à 40 km en aval de la rivière Batman (Rosenberg et alii 1998: 35). Par exemple,
les fragments de bol en pierre chlorite, décorés de motifs identiques et réutilisés de la
même façon en tant que pendentifs retrouvés sur les deux sites témoignent d’une
appartenance culturelle commune. La chute de la présence d’obsidienne dans les
assemblages lithiques (de 58% à Hallan Cemi à 8% à Demirköy) étant conséquente, et les
lames de faucilles étant inversement plus nombreuses à Demirköy (avec notamment un
manche de faucille en corne) il propose un changement de type socio-économique pour
expliquer ce déplacement. L’obsidienne étant momentanément absente à la même époque
dans les sites du Zagros, on peut supposer une coupure dans le réseau d’échange entre ces
régions. Aussi, les fouilleurs (Rosenberg-Peasnall 1998 : 195-8) supposent que
Demirköy fait le lien chronologique entre la fin d’Hallan Cemi et le début de Cayönü. On
peut donc supposer, étant donné les dates que nous possédons pour Hallan Cemi
(ca.10600-9000 BC), que Demirköy s’étende sur le milieu et peut-être la fin du PPNA,
étendant la présence de la tradition trialétienne locale mésolithique à la Période 2.
Nous verrons plus loin qu’il se peut que Cayönü commence bien plus tôt et qu’il
soit contemporain, au moins en partie, à Hallan Cemi et Demirköy. Son industrie lithique,
qui date probablement de la 2 ème moitié du PPNA, est assez proche également du
26

Trialétien, sans oublier de noter la présence de pointes d’el-Khiam (A. Ozdogan 1999 :
44). En tous cas, les liens culturels entre Cayönü et Demirköy sont démontrés par la
présence dans les deux sites de meules et de pierres à rainures similaires. Seule la pointe
de Güzir Tepe semble différencier Demirköy des sites contemporains. La pointe de Güzir
Tepe est une variante de la pointe d’el-Khiam, produite sur lame unipolaire, mais avec
des encoches plus basses pour former une base en queue de poisson. En fait, elle se
rapproche plus de la pointe à base concave caractéristique de Cayönü ou de Nevali Cori.
L’influence avec le Levant est sans doute, encore une fois, à écarter (Rosenberg-Peasnall
1998 : 198).
De même, dans la région d'Urfa, Nevali Cori et Göbekli peuvent peut-être
remonter, mais dans des niveaux sans architecture, à la Période 1, comme l’indiquerait la
présence de microlithes sur le sol vierge. Il est donc possible que ces sites et ceux de la
Bozova décrits supra, proches dans l’espace, soient en partie contemporains durant cette
période. Aussi, Nevali Cori et Göbekli Tepe présentent des signes très clairs de leur
appartenance au PPNA: les assemblages trouvés dans les niveaux les plus anciens de ces
sites présentent des pointes d'Hélouan, de Nevali Cori et d'Aswad. Cela montre, dès cette
époque, une interaction commerciale d’abord (obsidienne), puis culturelle (éléments
lithiques kébariens) avec le Levant (Hauptmann 1999: 76, 78, 80). Nous tenons sans
doute là les racines d’un phénomène, qui, nous le verrons, s’accentuera de façon
uniforme par la suite. La population de ces sites est cependant locale ou trialétienne,
contenant également les indices d’une interaction avec le Zagros (comme le montre la
présence de pointes de Nemrik).
D- Le commerce de l’obsidienne et autres matériaux
Les sites anatoliens de cette époque, et en particulier Hallan Cemi, nous montrent
l’étendue des contacts entre les communautés sédentaires des différentes régions du
Proche-Orient tout entier. La circulation de l’obsidienne de Van et de Bingöl vers l’est du
Croissant Fertile et de la Cappadoce vers le Levant (paysage qui se modifie
progressivement avec l’obsidienne de Van qui va se retrouver de plus en plus au Levant
également) en est bien sûr l’exemple le plus flagrant. Aussi, la vaisselle en pierre
d’Hallan Cemi, caractérisée par des motifs en chevron et des doubles perforations sur ses
parois (pour suspendre le bol), possède des exemples très similaires à Nevali Cori
(Schmidt 1995 :9) et jusqu’en Syrie, notamment à Jerf el-Ahmar (M. Lebreton,
27

communication personnelle). On peut noter également l’importation de cuivre, de
quelques (5) coquillages méditerranéens et de pilons nemrikiens retrouvés à Hallan Cemi
(Rosenberg et Inal 1993 : 125). Allié à la présence de pointes d’el-Khiam à Nemrik et à
Cayönü, aux éléments levantins et zarziens présents dans les assemblages de la région
d’Urfa, aux vases en chlorite anatolienne tant à Hallan Cemi qu’à Jerf el-Ahmar, tout cela
présente des signes flagrants de la grande mobilité existante et un grand degré
d’interaction des populations du Proche-Orient à cette époque.
L’autre fait remarquable est qu’il ne s’agit jamais, aux Périodes 1 et 2, même
pour l’obsidienne, de grandes quantités de matériaux échangées mais plutôt de quantités
assez infimes. De plus ces matériaux et ces objets ont tous un point commun ; leur aspect
ou leur décoration les dote d’une certaine valeur. On peut donc conclure à la fonction non
utilitaire et prestigieuse de la plupart de ces objets que les simples villageois ne peuvent
obtenir et qui doivent donc appartenir à des privilégiés. S’agit-il des débuts de la
stratification sociale (Rosenberg 1995 : 13) Il est étonnant de s’apercevoir, à ce propos,
que ce sont exactement ces mêmes matériaux (cuivre, coquillage, obsidienne) sous forme
d’objets à petit module contenant une grande valeur, qui se retrouvent dans la littérature
ethnologique, sur la côte pacifique américaine par exemple, pour expliquer l’émergence
de la notion de prestige et donc de stratification sociale chez certaines sociétés de
chasseurs-cueilleurs sédentaires pratiquant le stockage (Testart 1982 : 42-3).
E- Synthèse
Pour résumer, au Mésolithique, l’Anatolie est peuplée de chasseurs-cueilleurs
nomades, dont les traces de production lithique suggèrent une appartenance locale
appelée trialétienne (faisant partie d’un plus grand groupe comprenant le Caucase). Ces
sites de campement sont notamment Biris Mezarligi et Sögüt Tarlasi. A la fin du
Mésolithique, le premier site sédentaire d’Hallan Cemi puis, à la fin du PPNA, Demirköy
et Cayönü à l’est font leur apparition, conservant les mêmes caractéristiques locales.
Cependant, notamment grâce à la circulation de l’obsidienne, les interactions et échanges
d’objets prestigieux à l’intention d’une classe avantagée se font jour. Enfin, à la toute fin
de cette période, l’intrusion de signes levantins distinctifs (pointes d’Helouân etc.)
montrent que déjà les sites de la région d’Urfa subissent une influence et même une
diffusion culturelle en provenance du nord Levant, qui est en avance technologiquement
28

avec l’adoption d’une industrie lithique purement néolithique, fondée sur une production
laminaire.
III- La période 3 (PPNB)
A- La production du Levant est caractérisée d’abord par la disparition des
lamelles et par l'adoption de la technique de débitage bipolaire du nucleus (fig),
commencée dès la phase III de Mureybet à la Période 2 (M.C. Cauvin 1988 : 28). Ainsi,
le nucleus est frappé bilatéralement et par côtés opposés pour obtenir des lames plus
grandes et plus résistantes, ce qui confère un aspect naviforme au nucleus (fig). Les silex
commencent à être chauffés pour permettre une plus grande maîtrise de la retouche. Ici,
les haches sont produites sur des éclats bifaciaux et les lames de faucilles sont de forme
plus allongée. Les lames sont, plus qu'avant, réutilisées et retouchées pour donner un taux
élevé d' "outils a posteriori" (Bar-Yosef 1981: 562).
A partir du PPNB moyen, c’est l’épanouissement de la BAI, fondée sur la
production de grandes lames régulières, avec l’apparition des pointes de Byblos et
d'Amuq.
3a (PPNB ancien): les pointes d'Hélouân continuent d'exister et celles de
Nevali Cori apparaissent sous des modules plus grands (Aurenche-Kozlowski 1999:
139) : Dja'de est le seul site connu de cette époque sur l’Euphrate syrien.
3b (PPNB moyen): la pointe de Byblos possède un pédoncule beaucoup moins
marqué, sans ailerons, formant presque un losange avec le reste de la pièce. Le corps de
la pointe est souvent en grande partie retouché ainsi que le pédoncule. Elle est présente
principalement à Halula et à Abu Hureyra.
3c (PPNB récent): la pointe d'Amuq ne possède plus de pédoncule, lequel est
venu se confondre dans la forme losangique, ellipsoïdale ou ovale ( en feuille) de la
pointe. Il arrive souvent que la pointe soit entièrement retouchée. Elle est présente à
Halula, Abu Hureyra, sur les sites du Balikh, à Bouqras, Qdeir etc.
Après l'apparition de la BAI et de la pointe d'Hélouân, produite à partir d'une
réduction prismatique ou bipolaire pour la première fois au début de la Période 3,
29

l’industrie lithique du Levant sud (fig) est caractérisée, pour le reste de la période, par la
pointe de Jéricho dotée d'un pédoncule et d'ailerons latéraux.
B- La production lithique de la Djézireh et du Zagros semble continuer celle
de la période précédente avec une séparation égale entre Nemrikien et Mléfatien, leurs
caractéristiques perdurant avec peu de changements (voir supra) et restant à peu près
imperméables à l’expansion du BAI. Cependant, après un court arrêt lors de la fin du
PPNA (horizon de Demirköy), le commerce de l’obsidienne reprend avec l’Anatolie. Il
semble bien que si la présence de la culture zarzienne a joué un rôle important dans la
formation d’une tradition locale en Anatolie au Mésolithique et au PPNA comme en
témoignent le matériel de Hallan Cemi et de Demirköy, le Nemrikien n’opère plus
vraiment d’influence au PPNB en dehors de sa propre zone originaire qu’est la Djézireh.
A ceci, il semble bon d’ajouter une précaution quant aux conclusions trop hâtives ; en
effet, une technique aussi spécifique que celle du débitage par pression, déjà présente
dans le contexte mléfatien et qui apparaît soudainement en Anatolie à la Période 3 peut
être interprétée comme le signe d’une diffusion interrégionale du Zagros vers les Hautes
Vallées encore à cette époque. De plus, aucun site PPNB, malgré les nombreuses
prospections dans cette région, n’est connu dans l’extrême orient anatolien, le site le plus
oriental étant Cayönü, ce qui laisse un étrange vide d’environ 300 km entre celui-ci et les
sites de Nemrik ou Magzalia en Djézireh. Les recherches à venir le combleront peut-être
partiellement mais toujours est-il que les sites anatoliens semblent arrachés
géographiquement et culturellement à la partie est de leur zone formative (le Zagros et le
Caucase), pour aller se rattacher au Levant, isolant ces derniers.
C- La production lithique des Hautes Vallées Anatoliennes est touchée à peu
près au même moment qu'au Levant par le phénomène BAI et suit un développement
parallèle avec les mêmes types de pointes de flèches. Il semble bien que ce phénomène
soit d'abord apparu au Levant, car ses origines peuvent être tracées jusque dans le
Mureybétien, avec, notamment, le nucleus naviforme et la pointe d'Hélouân qui
l'amorcent, alors qu'en Anatolie, rien de comparable n'a été identifié aussi tôt, à part peutêtre
quelques pointes de flèche dans la région d'Urfa, dont le fouilleur n’exclut pas une
date remontant au PPNA (Haupmann 1999: 69, 76, 78). C’est d’ailleurs les sites de la
région d’Urfa (Nevali Cori, Gobekli Tepe, Gürcü Tepe, Hayaz Höyük et Gritille) qui
subiront, du fait de leur position géographique en amont de l’Euphrate et au piedmont du
30

Taurus, l’influence du Levant nord en premier, comme le montrent, outre l’importation
de cette technologie lithique, celle d’aiguilles à chas incisés, de meules ouvertes, de
récipients en pierre et de pierres à rainures propres à la culture du Levant.
Cependant, plus au nord, dans les Hautes Vallées, subsiste, en certains endroits,
et jusqu'à une époque relativement récente, la tradition lithique locale trialétienne déjà
évoquée (Aurenche-Kozlowski 1999: 60). Les éléments de la persistance de cette culture
commune se retrouvent particulièrement dans les sites de Boytepe, de Cayönü et de
Cafer Höyük (Balkan-Atli 1994: 111). A Boytepe, site du PPNB moyen-final, 38 % des
277 outils lithiques ramassés sont des microlithes et le débitage est surtout lamellaire ou
sur éclats (305 pièces contre 152 lames) comme le montre la figure (Balkan-Atli 1989 :
87-90). On est tenté d’y voir là l’influence de la tradition trialétienne de type
mésolithique qui y perdure, aux côtés d’une tradition nouvelle qui s’uniformise. Cafer
Höyük montre également, tout au long du PPNB, que la tradition locale n’est que
graduellement remplacée par des caractéristiques nouvelles, plus uniformes. Celles-ci
sont communes au reste de la région et propres au BAI, incluant par exemple des outils
de Cayönü, lames à retouches abruptes probablement multi-fonctionnelles (fig), de
prédilection à l’époque, puisque sur ce même site, ils sont également fortement
représentés, avec 35% de la totalité des outils.
La tradition locale y est notamment reconnaissable par la persistance de la
technique du polissage, de la production de microlithes et de lamelles, de "pointes à dos
et crans", à quoi on peut ajouter une tradition ancienne du travail du marbre, ainsi que la
perte de la prééminence de l'utilisation du silex au profit de l'obsidienne, autre signe
d’uniformisation nouvelle (Cauvin et alii 1991: 6-7; Cauvin et alii 1999: 90-100). Aussi,
la technique du débitage par pression (fig), qui forme une grande nouveauté dans la
technologie lithique, et qui caractérise aussi le BAI, semble trouver son origine ici, à cette
période, en Anatolie selon Cauvin M.C. (1988 : 29), ou peut-être a-t-elle été importée du
Zagros où elle est déjà connue à la période antérieure, mais il s’agit, nous l’avons vu
entre le Zagros et l’Anatolie, d’un même dénominateur culturel commun. D’autre part, si
la tradition trialétienne est une tradition de type mésolithique, sa production est reconnue
pour la grande taille de ses produits, ce qui a sans doute grandement aidé le
développement technique et l’installation de la BAI (qui produit des lames) en Anatolie.
Il existe donc sûrement une interaction entre les sociétés locales qui non
seulement ne disparaissent pas, mais ne sont pas non plus, au moins jusqu'au PPNB
moyen et peut-être après, complètement englobées dans un "nouvel ordre" (Cauvin J. et
31

alii 1999: 100), lequel n’est d’ailleurs pas, comme Cauvin le décrit, un ordre entièrement
levantin. C’est cette confrontation des cultures en Anatolie qui a contribué à
l’élaboration, en tant que centre formateur, et à l’expansion de cet ordre, comme nous
venons de le soupçonner avec l’exemple de la tradition lithique trialétienne. Il reste
cependant tentant de penser que ce nouvel ordre, caractérisé par le BAI dans le domaine
lithique, est venu, du moins dans son concept original de production laminaire, d'un peu
plus au sud où il existait déjà à la période précédente.
D- La circulation de l’obsidienne
Il peut paraître difficile d'attribuer un centre d'invention à partir duquel les
différents types de pointes se seraient diffusés dans toute la région. Mais à partir du
moment où ces nouvelles techniques, surtout celle du débitage bipolaire, sont bien
installées dans la région des Hautes Vallées, il apparaît que la circulation de l'obsidienne
des sources cappadociennes et de Van prend désormais, vers 8200 av J-C (PPNB moyen),
une ampleur très importante et fait sans doute l'objet d'une spécialisation artisanale. On
sait que l'obsidienne arrivait au Levant sous forme de produits finis ou semi-finis
(Aurenche-Kozlowski 1999: 60), et que ceux-ci étaient par conséquent directement
travaillés sur leur lieu d'extraction; le site de Kaletepe a mis en évidence non seulement le
travail spécialisé mais aussi l'exportation de ces produits vers l'Anatolie du sud-est et le
Levant (Balkan-Atli et alii 1999: 142-3, Aurenche-Kozlowski 1999: 104). Il est donc
parfaitement envisageable que les nouvelles formes de pointes du PPNB moyen et récent
(Byblos et Amuq) aient été élaborées là où les matières premières étaient extraites et
directement travaillées ; il serait maintenant intéressant de déterminer l'origine de ces
artisans.
A ce sujet, aucun des types de produits fabriqués à Kaletepe, atelier lithique de
Cappadoce, n' a été retrouvé en Anatolie centrale, à Asikli Höyük par exemple, qui est
cependant beaucoup plus proche que les sites des Hautes Vallées (Balkan-Atli et alii
1999: 142-3). En outre, il s'agit sans doute plus d'artisans anatoliens que levantins, du fait
de la plus grande proximité et de la plus grande proportion d'obsidienne dans les sites
anatoliens, jusqu’à 94% du matériel de surface à Boytepe (Balkan-Atli 1989 : 87) et 95%
du matériel des niveaux supérieurs de Cafer Höyük (PPNB final), alors que les
pourcentages des sites levantins, nous le verrons plus loin, sont bien inférieurs. Cette
disparité s'explique donc par un déplacement des groupes d'artisans du sud-est anatolien
vers la région d'extraction. On peut même préciser encore la provenance de ces artisans
32

puisque les proportions importantes, voire le monopole, de l’obsidienne, dans les
mobiliers lithiques, ne se trouvent que dans les sites d’altitude du Taurus oriental qui sont
principalement Boytepe et Cafer. En comparaison, elle compte pour la moitié (45%) de
l’assemblage un peu plus au sud à Cayönü et elle est quasiment absente plus en aval de
l’Euphrate, au piedmont du Taurus, à Hayaz (4.5 %), Gritille et Nevali Cori (Cauvin
M.C. 1988 : 26-27). Voir fig/carte.
Cela tend à montrer qu'au cours de cette période, le centre de production et peutêtre
d'innovation majeur (peut-être même inventeur des pointes de Byblos et d’Amuq)
s'installe progressivement en Anatolie du centre est ou du Taurus, et profite d'abord aux
sites de Cafer, de Boytepe, et de Cayönü avant ceux de la région d’Urfa ou du Levant.
Il est intéressant de noter que, même si les sites anatoliens étaient plus proches des
mines d’obsidienne, les anatoliens n’ont utilisé cette matière que relativement tard,
comme le prouve ce diagramme (fig) de la proportion d’utilisation d’obsidienne dans
l’industrie lithique de Cayönü (Balkan-Atli 1994 : 69-70). En effet la disparité
géographique de l’utilisation d’obsidienne est aussi une disparité chronologique. Après
une forte consommation de cette matière première à Hallan Cemi au Mésolithique - début
PPNA (60%), on constate qu’elle est attestée de façon très parcimonieuse (8%) à
Demirköy au PPNA, et qu’au long du PPNB sa proportion varie grandement au sein des
mêmes sites. Ainsi, alors que le silex est largement majoritaire dans les niveaux inférieurs
de Cayönü (round et grill phases) et à Cafer, l’obsidienne l’égale à Cayönü, avec 45% du
mobilier lithique vers la fin de la séquence (PPNB Final), et elle compte pour la quasi
totalité des matières premières à Cafer à la même période (Cauvin M.C. 1988 : 26-27).
Tout ceci est peut-être à mettre en parallèle avec un changement de zone d’extraction;
alors que le Levant aux Périodes 1 et 2 s’approvisionne surtout en Cappadoce, les
analyses par actions neutroniques de l’obsidienne montrent que celle-ci provient, au
PPNB, de Bingöl, de Nemrut Dag et Süphan Dag (lac Van), beaucoup plus à l’est et plus
proches des sites de cette époque.
Tout cela montre une uniformisation dans les pratiques lithiques dont la plus
grande ampleur est attestée plus au nord qu’au sud, en amont de l’Euphrate où ce ne sont
pas seulement quelques lames, mais les principales catégories des pièces (en particulier
les pointes de flèches) qui sont réalisées dans ce matériau. C’est d’ailleurs à l’apogée de
la civilisation néolithique précéramique du Taurus que le commerce de l’obsidienne
33

ayonne, non seulement au Levant, avec, par exemple, 32% à Halula au PPNB récent
(Molist et alii 1996 : 5), mais aussi dans la Djézireh et au Zagros où les outils de Cayönü
taillés dans cette matière vont longtemps perdurer (Cauvin M.-C. 1988 : 31). Alors que
l’Anatolie semble avoir beaucoup emprunté à ses voisins durant des millénaires, elle leur
rend, à son apogée, les éléments de son propre développement culturel.
Si la diffusion du nord vers le sud s’opère jusqu’au début de la Période 3, c’est
donc, à la fin de cette période, l’inverse qui se produit. Pour montrer cela, il faut
comparer les données. La présence d’obsidienne au Levant est, jusqu’au PPNB récent,
infime. C’est également le cas pour les sites de la région d’Urfa, qui, bien que situés en
Turquie actuelle, sont plus proches géographiquement et culturellement du Moyen-
Euphrate syrien, comme le montrent les pointes de Byblos à retouches plates et les burins
quadruples (Schmidt 1988 : 161). C’est seulement à partir de la fin de cette période
(PPNB Final) que l’obsidienne représente une part bien plus conséquente des mobiliers
lithiques de ces régions. A Halula en Syrie, le pourcentage d’obsidienne dans
l’assemblage lithique passe de 6% au PPNB Moyen à 32 % au PPNB récent, avant de
retomber à des quantités négligeables à la période suivante (2% dans les niveaux préhalafiens)
(Molist et alii 1996 : 5). Aussi, alors que Göbekli Tepe et Nevali Cori, qui sont
assignés au PPNB ancien et moyen, comptent des taux aussi bas que 0.01 %
d’obsidienne, le site de Gürcü Tepe qui est la continuité et peut-être même la
délocalisation, dans la même région, des populations des premiers sites au PPNB final 1 ,
semble comporter beaucoup plus d’obsidienne, notamment pour la fabrication d’outils de
Cayönü (Schmidt 95 : 9 ; Hauptmann 1999 : 77). Cette hausse remarquable de
l’utilisation de l’obsidienne sur les sites de l’Euphrate moyen n’intervient donc pas avant
la fin de la période, alors qu’elle est déjà massivement attestée dans les sites des Hautes
Vallées dès le PPNB ancien (33%) à Cafer Höyük, et s’accentuant graduellement jusqu’à
l’hégémonie totale de l’obsidienne visible au PPNB récent dans cette région. Comment
donc s’expliquer ces chiffres autrement que par une diffusion des traditions des Hautes
1 A Nevali Cori, les pointes de flèches sont le groupe le plus important de l’industrie lithique, avec
2240 pièces, les pointes de Byblos en étant les plus représentatives (Haupmann 1999: 76).
L’absence de pointes d’Amuq indique que la séquence de Nevali Cori s’arrête avant le PPNB
récent, ce qui est en parallèle avec les résultats de Göbekli Tepe, alors que l’industrie de Gürcü
Tepe, dans la même région proche, montre une industrie plus tardive (PPNB récent avec pointes
d’Amuq et d’Ugarit) (Schmidt 1995 : 9). On peut donc conclure que les habitants des deux
premiers sites se sont ensuite déplacés vers ce dernier (entre autres), ce qui peut être analysé
comme une forme de prélude au déclin de la civilisation, au PPNB final, puisque les structures
architecturales montrent elles aussi des changements de type social (voir les chapitres
concernés).
34

Vallées vers le sud Il y a bien, à vrai dire, un autre aspect, de type social, qui peut
intervenir dans ce procédé (voir infra), mais qui n’enlève rien à l’évidence de la
diffusion.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de tous ces chiffres et éléments. La
diffusion qui se dirigeait jusque là du sud vers le nord, est, à partir du PPNB final,
inversée. Aussi, l’accroissement brutal de la proportion d’obsidienne au PPNB final
montre un changement de type socio-économique ; il ne s’agit plus de petite quantité non
utilitaire à la disposition d’une minorité mais d’une grande démocratisation du commerce
de l’obsidienne. Sachant que la disparition des bâtiments somptuaires (voir architecture)
correspond précisément à cette époque, on est en droit de penser à un bouleversement
social pour revenir à des sociétés plus égalitaires. Enfin, par la voie d’échange des
matières premières, les traces d’une diffusion culturelle sur l’ensemble du Levant sont
constituées par la présence massive dans cette région à cette époque, des pointes de
Byblos, du débitage par pression et des outils de Cayönü.
E-Synthèse
L’abondance des outils de Cayönü, celle de la proportion d’obsidienne, l’adoption
partout de la technique des nucleus bipolaires naviformes et de seulement deux types de
pointes de flèches différents (Byblos et Amuq) fabriqués de manière très standardisée
(forme, grandeur, retouches), ainsi que l’adoption du débitage par pression développé
localement (ou peut-être emprunté de ses voisins de la Djézireh) sont les éléments
marquants de l’industrie lithique anatolienne à la Période 3. Ils montrent, à notre avis,
l’uniformité et la complexité croissante de la culture du Taurus oriental, née de la fusion
de plusieurs traditions et qui, s’étendant au moins de Cayönü à Urfa, s’est finalement
forgée une identité. Ensuite, ce phénomène culturel, comprenant le BAI, mieux attesté et
plus tôt qu’ailleurs, dans le Taurus, s’étend plus au sud encore, dans presque tout le
Levant, où les pointes de Byblos connaissent également une popularité rare à cette
époque (90% des pointes de flèches ; Gopher 1986 :46). Cependant, il semble manifeste
qu’après s’être imprégnée des cultures voisines, l’Anatolie se trouve être un vrai foyer
d’innovation, mais aussi, à son tour, d’expansion de cette nouvelle culture. En d’autres
termes, la Culture de Cayönü forme, dès le PPNB moyen, un réseau établi et organisé de
sites qui rayonne par delà l’Anatolie, dans tout le Croissant Fertile, et dont celle-ci est le
centre novateur.
35

IV- Conclusion
Dès la Période 1, on différencie trois traditions lithiques différentes: le Natoufien au
Levant, le Zarzien au Zagros et le Trialétien en Anatolie. Toutes sont cependant de type
épipaléolithique, c'est-à-dire avec une production importante de microlithes tels que les
segments. Alors que le Levant amorce avec la pointe d'Hélouân, à la fin de la Période 2,
un changement technique important - le débitage laminaire bipolaire - le Zagros, et
surtout la Djézireh désormais caractérisée par la pointe de Nemrik, restent fermement
ancrés dans la technique de débitage unipolaire. Cette transition vers le BAI semble assez
précisément avoir été commencée au Levant nord. En effet, la BAI ne semble s'implanter
au Levant sud qu'au courant de la Période 3a. Elle caractérisera la Période 3, à part dans
la partie orientale du Croissant Fertile, d’une façon particulièrement uniforme.
Les communautés de la région d'Urfa notamment semblent adopter le phénomène
BAI peut-être dès la transition entre les Périodes 1 et 2, ce qui pourrait montrer qu'une
partie des populations anatoliennes, la plus proche du Levant au piedmont du Taurus, fut
la première touchée et, peut-être pendant un temps, fit partie intégrante du centre
d'innovation et d'élaboration levantin de cette nouvelle technique. C’est plus tardivement
que celle-ci se déploiera sur les régions plus au nord, en altitude. Cayönü Base (A.
Ozdogan 1999: 44), Hallan Cemi et Demirköy (Rosenberg 1999: 29-30) sont, en effet, en
cette même Période 2, de facture locale, voire rattachés culturellement au Zagros ou au
Caucase, comme le seront Cayönü, Cafer et Boytepe jusque vers le milieu de la Période
3.
Les sites de la région d’Urfa ayant servi de ponts dans la diffusion technologique
de la BAI entre le Moyen-Euphrate et les Hautes Vallées, ce n'est que progressivement,
en remontant l’Euphrate, au cours de la Période 3, que la population locale d’Anatolie va
se détacher de sa tradition mésolithique trialétienne, montrant qu’elle reste présente tout
le temps et, en quelque sorte, prend en main sa propre néolithisation. C’est alors, en
alliant le nouveau concept (BAI) à ses propres innovations (le débitage par pression) et
ses traditions lithiques (production de grandes lamelles au Mésolithique qui facilite la
production laminaire), et en se rendant maître du commerce de l’obsidienne qu’elles vont
exporter en masse, que les populations anatoliennes vont développer une nouvelle
culture. Cette culture, appelée Culture du Taurus (orientale) ou de Cayönü, caractérisée
dans le domaine de la production lithique par les pointes de Byblos et d’Amuq, devient
36

dès lors un foyer novateur qui va s’étendre et se diffuser à son tour, à la fin du PPNB, sur
l’ensemble du Croissant Fertile.
Enfin, le commerce de l'obsidienne, commencé dès la Période 1, donne des
informations intéressantes. L'obsidienne extraite de régions aussi lointaines que la
Cappadoce, et retrouvée au Levant sud en quantité restreinte, suppose, puisque le silex
localement abondant offre des qualités utilitaires comparables, que ces populations lui
attribuaient une valeur de prestige véhiculée par son aspect brillant, vitreux et noir. C'est
ensuite au Levant nord qu'on la retrouve de façon plus significative à la Période 2,
provenant de Bingöl et du lac Van. A la Période 3, considérant les proportions
d'obsidienne dans l'industrie des sites et la moindre distance des sites d'extraction, il
semble que ce soient les sites anatoliens du Taurus oriental (comme Cafer Höyük), et non
pas ceux d'Anatolie centrale, qui dominent et à qui profitent cet échange, au point de
s’étendre, au PPNB final, jusqu’au Levant et au Zagros. La différence entre le commerce
des Périodes 1 et 3 est qu’il s’agit, pour la deuxième, d’un échange de masse, donc plus
accessible (et non pas restreint à une certaine catégorie sociale), contrôlé par les
populations des Hautes Vallées de l’Euphrate et non plus par celles du Levant. Les
premiers véhiculent désormais leur culture aux derniers et au-delà, comme le prouvent la
diffusion remarquable, du nord vers le sud, non seulement des matières premières mais
surtout des traits culturels caractéristiques tel que le débitage par pression et les pointes
de Byblos et d’Amuq.
En conclusion, il semblerait que le centre d'innovation de la production lithique se
soit déplacé, suivant à peu près les trois périodes considérées, du Levant sud et du Zagros
vers le Levant nord pour le premier, et peut-être vers la Djézireh pour le second, et qu'il
se soit enfin établi en Anatolie, sous sa forme vraiment néolithique, que l'on désigne par
le terme de BAI. De là, contrairement aux traditions lithiques précédentes, cette
technique s’est étendue bien au-delà de sa région d’origine et s’est uniformisée,
notamment par le biais du contrôle de la circulation de l'obsidienne.
Culturellement, l’Anatolie présente essentiellement, à la fin de la Période 1, des
éléments lithiques issus d’une tradition locale (Hallan Cemi) appartenant à la tradition
trialétienne du Caucase avec une influence nemrikienne du Zagros, et nous avons décelé
37

les débuts d’une interaction commerciale et culturelle avec le Levant qui, de son côté, a
déjà bien entamé sa course vers la néolithisation. Au cours de la Période 2, l’Anatolie
commence à subir de façon plus marquante, dans la région d’Urfa (Nevali Cori, Göbekli
Tepe), les influences du Moyen-Euphrate syrien, où furent élaborés les premières
expérimentations vers la BAI, alors que Cayönü et Demirköy et la fin de Hallan Cemi
continuent de montrer leurs appartenance à des traditions locales. A la Période 3, la BAI
semble s’implanter et s’épanouir sur l’ensemble du sud-est anatolien, même si les sites
plus au nord comme Cafer Höyük, Boytepe et Cayönü présentent les signes d’une
persistance de la tradition locale pendant assez longtemps, mais formant paradoxalement,
à la fin de la séquence PPN, le centre novateur et rayonnant de cette nouvelle culture du
Taurus (ou de Cayönü). Cette lente assimilation démontre parfaitement qu’il ne s’agit pas
là d’un mouvement de population du sud vers le nord, encore moins d’une colonisation,
mais plus d’une diffusion d’idées et de traditions, qui en outre s’explique très bien grâce à
l’intense circulation de l’obsidienne avec le Levant, qui, nous pensons, est passé sous
contrôle anatolien, au cours de la période. Cette tendance s’affirmera jusqu’à ce que, juste
avant le déclin des cultures néolithiques précéramique du Proche-Orient, l’Anatolie
devienne le centre de diffusion de sa propre culture vers le reste du Croissant Fertile et
notamment vers le Levant. Enfin, ce commerce et cette uniformisation sont, à notre avis,
les témoins d’un début de spécialisation du travail, les prémices de la hiérarchisation de
la société.
L’examen de l’industrie lithique nous révèle donc, à travers l’existence d’une
population locale qui s’épanouit, certes au contact du Levant, mais au point de former un
véritable centre novateur qui va ensuite se diffuser lui-même au Levant, une vision bien
différente de ce que la littérature traditionnelle, qui prône une « néolithisation
secondaire » de l’Anatolie, nous offre. Mais ce constat serait loin d’être satisfaisant et
complet si nous en restions aux seules preuves lithiques, parfois difficiles à interpréter.
L’examen du développement de l’architecture doit maintenant venir appuyer ces
observations.
38

V
-
Le mode de subsistance
57

Selon la définition de Gordon Childe, le Néolithique est la période de l'histoire
humaine qui se définit par l’adoption d’un mode de subsistance fondé sur la production,
c'est-à-dire la production agricole (Aurenche-Kozlowski 1999: 37). Ces considérations
matérielles et économiques ont eu un impact décisif dans la compréhension du
phénomène néolithique, mais elles ne reflètent plus la complexité ni les origines et les
causes du processus dans son ensemble. Cependant, s'il est vrai que le processus de
néolithisation ne peut se résumer au changement de mode de subsistance, il n'y a pas de
néolithisation complète sans recours à l'agriculture. Et si la néolithisation est un processus
très compliqué, il en est de même pour le procédé d’apparition de l'agriculture. Ainsi, il
faut, dans un premier temps bien comprendre les différentes étapes et le mécanisme
impliqué dans l’avènement de la production agricole pour ensuite pouvoir délimiter son
véritable impact sur le processus néolithique et déterminer le rôle joué, en ce domaine,
par les populations anatoliennes.
Il est tout d’abord nécessaire de définir le concept d'agriculture. L'agriculture est le
procédé qui permet de récolter des végétaux dont les graines sont semées par l'homme.
Cette intervention humaine est visible dans la morphologie desdites graines (fig). En effet,
lorsque elle est domestique (et donc sujette à l'agriculture) la graine subit quelques
modifications. Les plus évidentes sont un grossissement, un accroissement en nombre sur
chaque épis et le durcissement de son rachis, qui devient alors non-déhiscent, de sorte que
la graine est plus solidement attachée au reste de la plante (Jurmain et alii 1990: 498,
Willcox 2000: 132). Aujourd'hui, c'est cette transformation génétique qui reste pour nous
le seul témoin fiable du recours à la production agricole (Aurenche-Kozlowski 1999: 101-
2). Le principe est le même pour la morphologie animale dans l'optique de l'élevage.
I- L’agriculture prédomestique
Cependant, dès le début des années 90, des chercheurs tels que Gordon Hillman
ou Cauvin (1997 : 92) ont indiqué la possibilité de ce que le premier a appelé
l’agriculture pré-domestique, qui tendrait à comprendre le phénomène de transformation
morphologique comme un long procédé qui aurait demandé un temps d'adaptation moins
soudain que le supposait la "Révolution Néolithique". Pendant peut-être plusieurs siècles,
voire millénaires, les habitants sédentaires des villages natoufiens et de l'horizon PPNA
auraient, dans un premier temps, intensément cueilli, puis semé, les plantes alimentaires
disponibles à l'état sauvage dans leurs régions respectives (fig. ): le blé amidonnier à
58

Cayönü, le blé engrain à Nevali Cori, et l'orge dans la région d’Aswad (Helmer et alii
1998 : 27-9), sans que cela est d’incidence sur leur comportement génétique. Les derniers
travaux confirment l’hypothèse que ce n'est qu'à la suite de l’intensification de la pratique
agricole et de l’abandon de la cueillette qui perdurait au PPNA aux côtés de l'agriculture,
que la transformation morphologique aurait été possible dans des proportions
conséquentes. L’agriculture pré-domestique est bien sûr beaucoup plus difficile à
démontrer que l’agriculture domestique, mais de nombreux indices tendent à ça.
L’accroissement du nombre de lames de faucilles dans ces sites en est en soit un
indicateur. Ce phénomène est particulièrement visible en Anatolie, où la population
d’Hallan Cemi semble même avoir abandonné ce site pour s’installer un plus loin, sur les
terres plus fertiles et non boisées de Demirköy, où les lames de faucilles sont beaucoup
plus abondantes (Rosenberg et Peasnall 1998 : 200).
Il n’y a très probablement pas de pratique humaine consciente qui ait provoqué la
domestication des céréales; un rachis mutant n'est pas visible à l’œil nu et sa récolte
ciblée est, à cause de sa disparité, simplement inconcevable. C'est donc la faucille qui fait
cette sélection, car, sous son coup, les grains mutants restent plus fermement attachés à
leurs rachis non-déhiscents, et deviennent, au bout d’un certain temps, les plus
représentés parmi les grains cueillis (Anderson 2000: 105-6). Mais au bout de combien de
temps Ce procédé n'ayant pu être accéléré volontairement par l'homme et la proportion
de rachis naturellement non-déhiscents dans une population de céréales sauvages étant
très faible (un pour 2 à 4 millions), cela engendre donc plus que les quelques générations
supposées originellement pour obtenir une population domestique. De plus, on imagine
mal qu'une telle invention soit maîtrisée rapidement au point d'abandonner les anciennes
pratiques de suite, surtout si l'on considère que la chasse et la cueillette requièrent
beaucoup moins de travail que l’agriculture (Aurenche-Kozlowski 1999: 7). Ainsi,
puisque la cueillette était également pratiquée en parallèle de l'agriculture et que le
produit de celle-ci (constituée très majoritairement de grains sauvages) fut probablement
employé pour semer les champs, le procédé de domestication s'en est trouvé
considérablement ralenti. La même conséquence vaut aussi pour le fait que les champs
cultivés étaient sans doute souvent réutilisés et que les semailles étaient irrémédiablement
mêlées aux graines (toujours sauvages) tombées naturellement à la période de moisson
précédente. Aussi, la présence prépondérante d'adventices, qui sont des mauvaises herbes
proliférant en terres meubles, dans les restes archéobotaniques des sites de la Période 2
montrent que la terre fut sans doute travaillée. Enfin, tous ces faits théoriques s’appuient
59

sur les résultats d'une expérience unique, menée à Jalès par la Maison de l'Orient, sur un
champ de céréales sauvages identiques à celles qui furent l'objet des premières
domestications (Willcox 2000).
II- les origines de l’apparition de l’agriculture
Il semble logique de croire que l'agriculture, une fois inventée, est passée par une
longue période d'essai avant d'être utilisée à grande échelle. D'ailleurs, il me semble peu
probable que son invention ait eu lieu en contexte de pression extérieure et, sans discuter
ici la possibilité d'une révolution mentale, je suivrai Cauvin pour dire qu'il s'agit d'une
invention mettant en scène l'homme dans sa capacité intellectuelle à s'adapter à son
milieu. Si cette idée peut paraître banale, on a longtemps cru, et on croit encore, que
l’invention de l’agriculture était le simple produit des pressions extérieures, la
conséquence d’une nécessité dénuée de tout génie humain. L'homme vit, à cette époque,
dans le milieu d'abondance naturelle qui a suivi le dernier épisode glaciaire du Dryas. Il
est maintenant reconnu que l’homme préhistorique, vivait dans une relative abondance
(Sahlins 1976). Cependant, au Mésolithique et au Néolithique, cette abondance en
végétaux sauvages et en gibier au Moyen-Orient fut telle qu’elle a permis à l'homme
d’abandonner son mode de vie mobile, désormais inutile à l'obtention de nourriture. On a
longtemps cru que c'est à cause d'une certaine pression (climatique telle que dans l'Oasis
Theory de R. Pumpelly, ou démographique suivant le marginality model de Binford ) que
l'homme a été poussé à inventer l'agriculture (Bar-Yosef 1992: 11). Etant donné les
excellentes conditions naturelles qui régnaient partout à l'époque et la difficulté
d’inventer et de bénéficier d’une technique aussi complexe que l’agriculture en peu de
temps (sous la menace d’une pression), cette hypothèse est à sérieusement remettre en
cause. Ainsi, puisque rien ne semblait - et ne pouvait- presser l'homme à cette découverte,
le phénomène a dû prendre beaucoup plus de temps que la "Révolution Néolithique" ne
l'implique. Son invention est, à mon avis, à mettre au compte de la curiosité humaine
envers les mécanismes de la nature. L'hypothèse de l’accident n'est pas non plus à écarter
et peut être même complémentaire à la curiosité ; il est possible, par exemple, que les
nouvelles pousses, visibles chaque année autour des aires de battage, aient éveillé leur
attention (Willcox 2000: 135). Leurs observations se sont peut-être affinées du fait que,
depuis leur sédentarité, les hommes étaient en permanence confrontés au même
environnement. Une fois le procédé compris, l'homme a dû passer par de longues
60

périodes d'expérimentation pour bien le maîtriser, pour même s'apercevoir de sa réelle
utilité puisque, encore une fois, la cueillette suffisait, à moindre peine, à leurs besoins.
Cette période d'agriculture pré-domestique m' apparaît donc tout à fait plausible et
même nécessaire à l'élaboration d'une agriculture suffisamment intensive pour voir
apparaître des formes domestiques. Chronologiquement, cette période, où les adventices
semblent proliférer et où de véritables aménagements sont prévus pour le stockage des
récoltes (qui supposent eux aussi une emprise plus artificielle sur la récolte des céréales)
est estimée entre 9500 et 8000 av. J.-C., c'est-à-dire de la Période 2 au début de la Période
3.
III- L’agriculture domestique
C'est donc vers le milieu de la Période 3, qu'apparaissent les premières
agricultures domestiques à Halula sur le Moyen Euphrate (Molist-Faura 1999: 301) et
peut-être un peu avant, vers 8300 () en Anatolie, car c'est là que se situe l'ancêtre
génétiquement sauvage des premières graines domestiques (le blé engrain,) et c'est là
qu'elles sont d'abord domestiquées, comme le montrent des analyses d'ADN
d'échantillons de sites tels que Cafer Höyük ou Cayönü (Willcox 2000: 135 ; Aurenche-
Kozlowski 1999: 85).
Le cas de Cayönü, étudié en détail par Frédéric Gérard, est pour l’étude du mode
de subsistance, une mine considérable d’information. Le site, qui présente une longue
occupation, de la fin de la Période 2 et sur toute la Période 3, se trouve dans une zone
d'abondance optimale où figurent les individus sauvages des premières espèces de
céréales cultivées et, plus particulièrement, le blé engrain (Hillman 1996: 162). Dès la
phase en grill plans, au tout début de la Période 2, des aménagements sont mis en place
pour stocker les surplus céréaliers. Les sols sont surélevés pour la première fois, sur des
fondations complexes. Sur presque deux millénaires, jusqu'à la phase de plans en cellules,
les habitats, de dimensions assez impressionnantes (en moyenne environ 60 m² pour les
grill plan buildings) en comparaison avec la période précédente, présentent une
remarquable homogénéité fonctionnelle, malgré quelques améliorations techniques,
réservant près de la moitié de leur surface totale au stockage des grains (Forest 1996 : 7).
Il est intéressant alors de constater que la domestication des grains n'apparaît qu'à la
moitié de la phase en plan cellulaire et que la conception de l'architecture n’en est
aucunement modifiée. Il devient donc très difficile de nier l'existence d'une agriculture
61

pré-domestique pour les niveaux inférieurs. Cela constitue un autre exemple pour
minimiser l'importance que l'on doit apporter à la domestication du grain (Gérard 1996:
24, 41).
Si l'invention de l'agriculture se fait dans un contexte calme et prospère, il est
probable que son utilisation à grande échelle est due à certaines pressions. D’ailleurs, ce
n’est que vers la fin du PPNB, quand commence le déclin de la culture de Cayönü, que
l’agriculture domestique, qui implique une intensification, apparaît (Ozdogan 1997: 13).
La pression démographique a sans doute joué un rôle majeur, ce qui n’empêche pas
l’impact du changement climatique (aridité dont la région subit encore les conséquences
aujourd'hui), et des raisons écologiques: la pastoralisation naissante aurait érodé et
provoqué la déforestation de l'environnement (Rollefson 1989: 173). Mais peut-être audessus
de ces considérations, la possibilité d'un conflit social est à garder en mémoire,
étant donné la division très claire des villages en zones hiérarchiques, comme le montre
Cayönü (Gérard 1996: 25). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si cette nouvelle structuration
villageoise apparaît à peu près en même temps que les grains domestiques, c'est-à-dire
vers le PPNB moyen / récent. Cette époque amorce clairement une période de troubles à
venir, voire de désagrégation presque totale du système en place, comme c'est le cas au
Levant sud (Rollefson 1989: 169).
IV- Données ethnologiques et répercutions sociologiques
Si le rôle joué par l’agriculture lors de cette néolithisation n’est pas aussi important qu’on
a bien voulu le croire pendant longtemps, il faut essayer de définir ce qui a vraiment
changé et pourquoi. Un partie du fond du problème réside bien dans le mode de
subsistance et des stratégies adoptées pour le faire évoluer. L’ethnographie (Testart
1982 : 175) rapporte des cas non rarissimes, comme les Indiens de la côte ouest
d’Amérique du Nord, considérés comme une classe à part entière de chasseurs-cueilleurs,
à la différence de pratiquer le stockage (voir structures sociales), ayant constitué des
sociétés plus complexes que celles des chasseurs-cueilleurs traditionnels. Il semblerait
que les Natoufiens fassent partie de cette même catégorie. Ces chasseurs-cueilleurs
stockeurs possèdent tous la même particularité d’être sédentaires et d’avoir développé à
un niveau non négligeable des inégalités sociales, une stratification de la société et une
division sociale du travail. La cause commune de tout ceci est unique et primordiale ; il
s’agit de la pratique du stockage des ressources alimentaires sur une base saisonnière.
62

Ce phénomène s’est mis en place très probablement grâce à deux facteurs. L’un
est l’amélioration des conditions climatiques à la fin de la période glaciaire, qui ont
favorisé l’abondance des ressources naturelles susceptibles d’être stockées, en
l’occurrence les graines céréalières, mais il ne peut s’agir du seul facteur, car la Terre a
connu bien d’autres réchauffements qui n’ont pas engendré de tels bouleversements.
L’autre facteur est le développement des techniques, car le stockage, ainsi que
l’exploitation intensive d’une ressource pendant une période restreinte, demandent une
maîtrise technique importante. Certaines de ces techniques furent développées dès la fin
du Paléolithique et ont continué tout au long du Mésolithique et ont rencontré, par
coïncidence () les améliorations climatiques de la fin du Pléistocène. Ces techniques
incluent un développement des traditions lithiques. Les meules de broyage apparaissent et
le microlithisme semble jouer un rôle important également. L’idée d’insérer des pièces de
très petits modules dans un manche en os ou en bois, comme pour la faucille, permet
d’avoir des outils beaucoup plus résistants, plus rapides à confectionner, plus faciles à
réparer (il suffit de changer la petite pièce hors d’usage plutôt que la lame entière) et,
surtout, plus tranchants, ce qui prend toute sa signification dans le cas d’une récolte
saisonnière intensive (Testart 1982 : 183-5, 190).
C’est ainsi que les Natoufiens forment une des premières sociétés au monde de
chasseurs-cueilleurs sédentaires stockeurs (Testart 1982 : 137). La technique du stockage
implique forcément celle de la conservation. Celle-ci pose peu de problèmes puisque les
denrées stockées sont les graines céréalières, dont le stockage nécessite peu de
préparation. En effet, les causes de dégradation des matières organiques sont la
combinaison, en partie, d’humidité et de chaleur, favorisant la division cellulaire. La
graine, en tant qu’agent reproducteur, bénéficie d’une durée de vie exceptionnellement
longue et sa teneur en eau est très basse. Un séchage préliminaire des graines et leur
stockage dans des silos au frais, au sec et ventilés suffisent à leur conservation (Testart
1982 : 105-1, 154, 158). On comprend ainsi la nécessité des habitants des Hautes Vallées,
ayant affaire à un climat plus humide, de construire leurs aires de stockage sur des grils
favorisant la ventilation et la conservation au sec des denrées. La relative facilité
d’adoption des techniques de conservation des graines, ajoutée aux conditions
climatiques méditerranéennes (sec et frais pendant l’hiver qui est la principale période de
stockage) ont probablement aidé la mise en place précoce et rapide de ces sociétés
sédentaires. Ainsi, une denrée, exploitable qu’une petite partie de l’année, doit être
63

stockée en grande quantité pour pallier aux périodes de pénurie. Ce stock qui ne peut être
déplacé et qui doit être gardé, implique la sédentarisation du groupe. Les graines étant
facilement stockables, la constitution de surplus est sans doute vite apparue comme la
possibilité d’appropriation des ressources par certains groupes sociaux comme en
témoignent certains écrits ethnographiques. Donc, les règles de partage en vigueur dans
les sociétés nomades égalitaires sont changées et, par un système complexe de
redistribution, de potlatchs 2 , de dons, de l’ostentation des richesses et du développement
de la notion de prestige à travers des objets de valeur, se met en place progressivement
l’idée d’une société fondée sur l’exploitation de la population au profit des élites (Testart
1982 : 40-3).
V- Le cas de l’élevage
L'élevage, c'est-à-dire le contrôle de la reproduction des animaux, pose des
problèmes comparables à ceux de la domestication des plantes, en ce sens qu'il est bien
difficile de trouver les traces d’un élevage pré-domestique, ainsi que sa durée et son aire
d'occupation, dans les restes archéozoologiques. Cette supposition reste cependant très
plausible. La domestication animale est elle aussi reconnaissable à différents traits
morphologiques tels que la diminution de la taille des os ainsi que la modification de leur
conformation (particulièrement les chevilles des cornes des caprinés). Ces deux critères,
les plus souvent utilisés pour reconnaître le mode de subsistance en vigueur dans un site,
bien qu'étant de bons indices, ne sont pas universels puisqu'ils supposent une bonne
connaissance de la morphologie de leurs ancêtres sauvages, et de savoir si ces
changements ne sont pas dûs à d’autres altérations de type climatiques par exemple. A
cela, on peut ajouter d'autres critères qui incluent la diminution de la diversité génétique,
la prédominance d'une espèce particulière au sein d'un même site, avec toutes les parties
de son squelette représentées, le choix de l'âge et du sexe des individus abattus, qui se
tourne souvent vers les jeunes mâles dans le cas de l'élevage bien que ces paramètres
soient parfois très bien imités dans le cadre d'une chasse bien maîtrisée. (Vigne 2000 :
147-8).
2 fêtes organisées par un groupe - généralement une unité familiale - consistant principalement
en la distribution de nourriture ou autres richesses dans le but de s’acquérir un prestige au sein
de la ou des communauté(s) impliquée(s) (Testart 1982 : 70-2, 207-8).
64

Les résultats de ces dernières années ont beaucoup changé l’avis des spécialistes
quant aux dates et au lieu de l’apparition de l’élevage, et ceci nous intéresse au plus haut
point. Malgré la quantité conséquente de données accumulées sur le Levant sud depuis
des années, les quelques nouveaux sites, notamment en Turquie, ont suffi à complètement
modifier l’opinion des chercheurs. Ce n’est plus du tout en Palestine qu’il faut chercher
les premières traces de domestication animale (à part celle du chien), mais bien en
Anatolie du sud-est, dès le PPNB ancien, à Nevali Cori pour les caprins et les ovins et à
Cayönü pour les suinés (sangliers) et peut-être même pour les premiers bovins. S’en
suivront, peu après et sur l’ensemble des sites anatoliens, les bœufs, porcs, chèvres,
moutons, dont les ancêtres sauvages se trouvent tous dans la région (Vigne 2000 :149).
Ce n’est qu’au PPNB moyen que ces formes domestiques apparaîtront sur l’Euphrate
syrien, à Halula et Abu Hureryra, à Chypre et dans le Zagros, et, plus tardivement encore,
dans le sud Levant (transition PPNB moyen-récent) (Vigne 2000 : 151-152).
Ces résultats sont quelques peu étonnants car ils remettent peut-être en cause
l’ordre d’apparition de l’élevage et de l’agriculture, du moins dans leurs formes
domestiquées, puisque cette dernière n’est pas reconnue avant le PPNB récent. En tout
cas c’est bien en Anatolie que les deux apparaissent, au cours d’une période faste, pour
ensuite se diffuser aux alentours. Ceci confirme non seulement l’idée d’un aboutissement
de la néolithisation en Anatolie et non au Levant mais aussi une diffusion inversée à
partir du PPNB d’Anatolie vers le Levant. Quant au contexte de ces innovations, comme
le note Vigne (2000 :151) « des bâtiments collectifs (…) témoignent d’une vie sociale
organisée. Il s’agit probablement là d’un indice de hiérarchisation de la société (…). Le
débitage du silex, extrêmement élaboré témoigne d’un niveau cognitif individuel et
collectif très avancé. L’innovation que représente l’apparition de l’élevage dans ces
sociétés n’est donc qu’une des expressions de leur excellente maîtrise collective des
ressources naturelles et de la production ».
E-Synthèse
Pour résumer les différentes étapes de l’apparition de l’agriculture, les Natoufiens
ont intensément cueilli les céréales et, probablement au début de la Période 2, ou peutêtre
avant, les Khiamiens et les Mureybétiens au Levant nord ont commencé à pratiquer
l’agriculture pré-domestique. Ceci implique les semailles des graines, mais de façon non
intensive et en pratiquant toujours la cueillette en parallèle, ce qui ralentit le processus
65

naturel de domestication des plantes. Ce n’est pas avant le PPNB moyen que l’on voit
apparaître, en Anatolie d’abord, puis au Levant et dans les régions voisines aux périodes
suivantes, les premières graines, ainsi que les premiers animaux (PPNB ancien), de
morphologie domestique. Cela indique, en fait simplement, une intensification des
pratiques existant à la période précédente et cela rejoint parfaitement les conclusions
établies dans les autres domaines étudiés ; l’Anatolie, après avoir emprunté certaines
techniques au Levant nord (ici, particulièrement celle de l’agriculture), les développe,
notamment grâce et à cause d’une population plus importante, si l’on en croit la taille
grandissante de sites, à gérer et à exploiter. Elle devient donc un centre novateur et qui
exporte à son tour cette nouvelle conception du mode de subsistance fondée presque
uniquement sur l’agriculture.
En conclusion, c’est certainement aux Natoufiens que l’on doit l’apparition des
inégalités sociales au Proche-Orient, (elles peuvent être déduites même si elles sont
encore invisibles dans le matériel), et le début d’un mouvement de l’histoire qui va
inclure l’agriculture. L’agriculture est un élément multiplicateur, certes, qui approfondit
les fossés entre les différents groupes sociaux (il est encore trop tôt pour parler de
classes), et sans lequel l’Etat est inconcevable, car il intensifie les surplus et donc la
richesse de celui qui se les approprie ainsi que la population exploitable. Même à
l’apogée de la civilisation néolithique, il est hors de question de parler d’Etat mais l’on
voit que les germes de l’institution étatique sont présents. En effet, « les inégalités
semblent être fonction croissante du stockage et de la sédentarisation » (Testart 1982 :
197-9). On comprend donc parfaitement, comme nous l’avons déjà indiqué, que
l’agriculture n’est qu’un élément dans le développement historique de la période, mais
n’est pas le déclencheur de la naissance des inégalités et de la complexité des sociétés.
66

VI
-
Structures sociales et affiliations
culturelles
des sociétés anatoliennes
67

Suite aux différentes innovations de type économique et technique, et aux
changements environnementaux et démographiques que nous avons traités, la
néolithisation entraîne un changement irréversible des structures sociales, qu’il nous faut
maintenant tenter d’établir et de comprendre. Pour cela, il faut essayer d’élucider les
modalités de cette transformation, afin de pouvoir identifier au mieux le type de société
correspondant à chaque période. Nous pouvons supposer d’emblée que ces structures
sociales évoluent par étapes, parallèlement aux autres innovations humaines du
Néolithique, et ainsi corroborer, ou non, nos conclusions. Parallèlement, nous résumerons
les affiliations culturelles de ces groupes, dans un but de reconstitution historique et
chrono-culturelle, et en les rattachant à ces types d’organisation sociale.
Les travaux des anthropologues évolutionnistes, notamment marxistes, ont
échafaudé des systèmes de lignée comprenant des phases d’organisation sociale très
strictes par lesquelles tout groupe humain doit, tôt ou tard, passer. Ces phases telles que la
bande, la tribu, la chefferie ou l’Etat sont attribuées à des concepts socio-économiques
comme l’esclavagisme, le féodalisme, le capitalisme ou le communisme (Trigger 1989 :
292). Nous savons aujourd’hui que ce schéma évolutif est beaucoup plus complexe et
doit tenir compte des déterminations environnementales, des diffusions culturelles
brutales etc. Si l’on peut cependant définir un type de société auquel les groupes étudiés
ici doivent appartenir, nous nous placerons dans une vision également évolutionniste.
Nous nous fonderons sur des travaux ethnologiques pour nous permettre de réaliser ces
identifications.
Pour la Période I, il est clair que, même parmi les sociétés les plus anciennes
étudiées ici, nous ne sommes déjà plus dans un cas de communisme primitif tel que
Testart (1985 : 84-5) le définit, c’est-à-dire dans un système de non-appropriation des
produits par le producteur, mais par la communauté. Nous sommes plutôt dans une
société de chasseurs-cueilleurs sédentaires et stockeurs où les inégalités commencent déjà
à apparaître (Testart 1982 : 136-7 ; Trigger 1989 : 399). Selon Testart, c’est le stockage et
le développement des techniques de conservation des denrées saisonnières qui sont à la
base de la sédentarisation et des inégalités, à travers l’appropriation du surtravail des
producteurs par un exploiteur.
68

Cette période est marquée par de grands bouleversements climatiques
(réchauffement global de la Terre), qui n’a pas encore d’emprise véritable sur
l’environnement anatolien, mais qui font du Levant une zone particulièrement abondante
en ressources naturelles. Ceci, ajouté à un développement technique qui prend ses
origines à la fin du Paléolithique et au Mésolithique, va donner, au Levant, les premières
sociétés de type chasseur-cueilleur sédentaire et pratiquant le stockage saisonnier de
graines ; ce sont les Natoufiens. Il s’agit là des éléments de base, sans avoir recours à
l’agriculture, de la première forme de complexification de la société, accompagnée du
début de l’inégalité sociale. L’importation d’obsidienne montre que les stratifications
sociales, la naissance d’une ploutocratie, a déjà commencé (Testart 1982 : 19, 20, 23-4).
Ceci dit, le cas anatolien est plus difficile à traiter. Nous ne disposons, à l’heure
actuelle, que d’un seul site sédentaire, celui d’Hallan Cemi, pour cette période. Pour les
sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades qui vivaient dans les environs, dans des
campements comme à Biris Mezarligi, les traces sont trop succinctes pour établir avec
précision leur mode de fonctionnement social. L’industrie lithique trouvée sur ces sites,
même si elle diffère de celle des sites natoufiens, est cependant de type mésolithique, ce
qui implique un développement technique des armes qui remplace, dans le vrai
communisme primitif, la chasse en coopération, suffisant pour que, selon Testart (1985 :
168-73), un certain sens de l’individualité soit déjà mis en place. Hallan Cemi n’est sans
doute pas le seul site de chasseurs sédentaires et stockeurs existant pour cette période, ce
que vérifieront probablement les recherches futures. Le choix de se sédentariser semble
cependant marginal et n’intervient qu’à la toute fin de la période, quand les améliorations
climatiques commencent à se faire sentir. De plus, il apparaît que les vestiges retrouvés
dans les campements et à Hallan Cemi proviennent de la même origine culturelle. Il s’agit
donc bien d’un choix et cette différence de type de production ne dicte pas une différence
culturelle mais environnementale.
Comme le montrent ces cartes (fig), la Période 1 en Anatolie du sud-est est
peuplée, bien que très modestement, par un groupe culturel local affilié ou pouvant faire
partie, d’un plus grand groupe appelé Trialétien (d’origine caucasienne ou locale ),
comme le montre la production lithique. Certains signes dénotent en parallèle une
influence très claire de la culture qui vient du Zagros, connue sous le nom de Zarzien.
69

A la Période 2, ce schéma culturel se retrouve, mais les sites sédentaires
se développent, non pas tellement en nombre mais en population. Si l’on considère l’idée
de Testart selon laquelle, c’est la sédentarité, et donc le stockage (des céréales, celui des
ressources animalières étant impossible dans ce contexte) qui est à la base des inégalités
sociales et donc d’une plus forte démographie, les données des villages PPNA du Levant
confortent bien cette idée. Gopher (1989 : 47) a en effet montré que ce sont les petits
sites, donc les moins peuplés et les moins développés (i.e. les moins enclins à la
stratification sociale) qui comptent le plus de pointes de flèches dans leurs assemblages
lithiques, alors que sur les plus grands sites, où l’on suppose une stratification sociale
plus forte, on trouve une moindre proportion de ces pointes, impliquant une activité
cynégétique moins importante et, par conséquent, une activité de stockage des céréales
plus significative.
Les villages du Levant nord, surtout dans la région du Moyen-Euphrate, qui s’est
entre-temps beaucoup développée, et ceux d’Anatolie qui sont désormais entièrement
sédentaires, commencent à s’organiser en communautés, ce qui implique d’importantes
modifications du système sociale comme le confirment les études archéo-ethnologiques
(Forest 1996: 1-2). Le besoin se fait sentir d’avoir un bâtiment spécifique, (peut-être la
maison d’un chef ), réservé au stockage commun, et à la redistribution, sous contrôle,
des produits de la chasse et de la cueillette de l’agriculture pré-domestique, ce qui
minimise les risques de pénuries alimentaires. Cette structure sert aussi à réunir certains
membres du village pour la prise de décisions communautaires, et à la pratique de rituels
symboliques de l’ordre du surnaturel. La production agricole (pré-domestique) qui
s’installe, au moins sur le Moyen-Euphrate et sans doute à Cayönü, voit s’accentuer la
sédentarisation, le nombre de sites (du moins en Anatolie) et leur densité démographique,
ainsi que le sentiment d’appartenance à la terre (Forest 1996: 5-6). Les anciens,
constituant le maillon le plus en amont de la chaîne de lignage familial et le plus proche
de ces ancêtres qui sont le témoin le plus éloquent de cette appartenance à la terre,
forment, sans doute, l’élément le plus respecté au sein de ces sociétés. Le partage de
toutes les productions de la société demande un régulateur, qui est généralement
l’ancêtre. C’est peut-être lui qui possède les objets de prestige importés de très loin et que
l’on retrouve dans ces sites en très petites quantités (objets en cuivre, mobilier lithique
finement décoré, obsidienne, coquillages…) prouvant ainsi sa différence par rapport au
reste de la communauté. Et cette différence s’accroît proportionnellement au fur et à
mesure que la population impliquée grandit. Les échanges, sous forme de petits objets de
70

valeur, qui nécessitent un surplus accumulé et un contrôle centralisé des ressources, se
fait entre chefs de villages, peut-être lors de potlatchs, pour asseoir leur prestige et leur
richesse au sein des leurs. L’agriculture pré-domestique a probablement encore
relativement peu d’incidence économique sur ces sociétés, où sont cependant déjà bien
ancrées, en fonction du nombre de gens impliqués, les premières inégalités sociales et le
début de la spécialisation du travail (Testart 1982 : 43, 54)
Le Levant nord, héritier culturel direct des populations natoufiennes et
khiamiennes devient, à la Période 2, le centre d’innovation majeur. Les populations
anatoliennes gardent en règle générale et surtout au nord leurs traditions locales et leurs
influences orientales, sauf dans le sud où, à la fin de la période, le savoir-faire lithique du
Levant nord se répercute déjà sur les peuples de la région d’Urfa.
A la Période 3, l’Anatolie voit s’épanouir l’apogée de la culture néolithique.
Plusieurs éléments permettent de décrire la complexité sociale de ces groupes et de
placer celle-ci à un rang plus élevé que celui des premiers villages sédentaires. Aussi, la
culture de Cayönü a des caractères très spécifiques qui en font un faciès vraiment unique
de cette néolithisation (Ozdogan 1997: 9 ; 1998 : 35).
La présence d’une certaine stratification de la société, plus complexe que celle des
villages des périodes précédentes, enracinée dans le Mésolithique, est reconnue entre
autres grâce aux nombreux objets et structures de fonction purement ostentatoire et
nécessitant cependant le temps et la spécialisation d’artisans. Outre la décoration des
sanctuaires et la confection de leur sol en terrazzo (qui demande une grande maîtrise de
la pyrotechnologie), on trouve des objets de valeur, les mêmes qu’au périodes
précédentes, tels que les perles de cuivre, de l’obsidienne, des pierres semi-précieuses,
des coquillages marins etc. (Ozdogan 1997 : 10). Ces objets ne sont pas éparpillés de
façon hasardeuse, mais dans des habitations particulières, ce qui suggère une
hiérarchisation des différentes parties du village. Ainsi, après étude de l’organisation
spatiale de Cayönü, on trouve que ce sont souvent les maisons regroupées autour de ces
grands bâtiments somptuaires qui possèdent ces objets de prestige, et que ces maisons
sont plus vastes et mieux construites et délimitent un périmètre à l’est, séparé des autres
habitations du village (Gérard 1996 : 65-66). Si la présence d’une élite est reconnaissable
pour l’archéologue, il faut imaginer qu’elle était évidente pour les habitants du village; en
71

d’autres termes, cette disposition particulière des maisons reflète le besoin d’ostentation
de cette élite.
Le commerce de l’obsidienne renforce également ce point. Ce matériau est connu
depuis la Période 1 au Levant, provenant entièrement d’Anatolie. Comme le montrent les
travaux ethnographiques (Testart 1982 : 100-1), l’obsidienne doit donc être très appréciée
comme un matériau de valeur, de prestige, et non utilitaire étant donné les faibles
quantités en jeu et l’effort mis dans son obtention, alors que des grandes quantités de
silex étaient présentes sur place. Cela prend tout son sens quand on s’aperçoit, notamment
dans le mobilier funéraire natoufien, que c’est à cette époque qu’une certaine hiérarchie
sociale voit le jour. Ce concept étant presque inconnu des traditions trialétiennes,
populations, à très peu d’exception près (Hallan Cemi ), non sédentaire, il n’est pas
étonnant que l’obsidienne y soit peu présente à la fin de la Période 2 et au début de la
Période 3, où l’on utilisait le silex. Ensuite, après que l’utilisation de l’obsidienne se soit
généralisée en Anatolie, brusquement, au PPNB final, la quantité d’obsidienne augmente,
et il faut peut-être y voir plus qu’une simple diffusion culturelle. Renfrew (1975: 32-8)
explique théoriquement la diffusion du système de complexité sociale ainsi : en admettant
que cette complexité soit présente d’abord chez un peuple (émetteur), par l’obtention
depuis ces régions émettrices et l’ostentation des objets prestigieux par les élites des
régions voisines en contact avec celle-ci se font respecter au sein de leur propre
communautés et acquièrent un prestige fondé sur la richesse, le pouvoir et l’intimidation.
Ensuite, elles contrôlent la production de ces produits qui sont, par ailleurs, manufacturés
par des experts reconnus, induisant donc une division sociale du travail (Wattenmaker
1998 : 7-9), constats encore une fois appuyés par des faits ethnologiques (Testart 1982 :
100). La diffusion s’opère ensuite depuis les élites des groupes complexes vers celles de
groupes receveurs. Ainsi, l’obsidienne revêt la même importance de prestige au sein des
peuples de complexité secondaire. Il faut bien être conscient que la diffusion de la
complexité d’une société et de sa culture n’est possible que si les populations locales
disposent déjà d’une certaine organisation, ce qui fut le cas en Anatolie.
La complexité du système socioculturel est encore plus évidente au regard des
bâtiments somptuaires de Nevali Cori, Göbekli Tepe et Cayönü décorés de sculptures, de
bas reliefs et sans doute de fresques aux dimensions monumentales, ce qui distingue
clairement la culture de Cayönü des premières sociétés sédentaires (Ozdogan 1998: 34).
Il faut maintenant essayer de définir la cause de ce changement. Testart (1982) nous a
montré, par analogie avec des observations ethnographiques, que les premiers véritables
72

débuts de la complexité des sociétés ne naissaient pas avec l’agriculture mais avec la
sédentarité, même de chasseurs-cueilleurs qui peuvent stocker sur une base au moins
annuelle des ressources alimentaires ne nécessitant pas forcément l’apport de
l’agriculture. Ceci s’applique aux Indiens de la côte ouest de l’Amérique comme aux
Natoufiens et à leurs descendants de la Période 2 et même début de la Période 3. Testart
(1982 : 198) ne nie cependant pas que, pour toutes les sociétés étudiées jusqu’à
aujourd’hui, l’apparition de l’Etat ne peut se faire qu’avec l’apport de l’agriculture (et,
étrangement, uniquement avec la céréaliculture), ceci pour des raisons entre autres de
productivité, de surplus conséquents, d’accroissement démographique et de spécialisation
du travail (à travers, par exemple, l’irrigation). C’est en effet seulement chez les
agriculteurs céréaliers « que les inégalités se développent en opposition des classes et que
naît l’Etat » (Testart 1982 : 198), comme en témoignent les civilisations
mésopotamienne, égyptienne, chinoise, mexicaine, andine ou de la Vallée de l’Indus. Ce
rôle multiplicateur ou amplificateur (Testart 1985 : 174) des effets engendrés par la
naissance des sociétés de chasseurs-cueilleurs, sédentaires et stockeurs, que revêt la
céréaliculture dans le développement historique des sociétés semble s’affirmer, à mon
avis, dès le PPNB moyen anatolien. On trouve dans ces sociétés, appelées Communautés
domestiques agricoles (CDA) par Meillassoux (Forest 1996 :2), des signes de début de
stratification, une spécialisation accrue du travail, (notamment pour la fabrication de
produits de prestige, la spécialisation technique - terrazzo, lithique, architecture, art - et
les échanges à longue distance), une élite et donc un système d’exploitation de l’homme
par l’homme. Il en résulte, peut-être par manque d’expérience face à ce nouveau système,
l’éclatement de cette société au PPNB récent comme le suggèrent les nombreux
changements économiques et sociaux de cette époque, à savoir, la démocratisation de
l’obtention de l’obsidienne, qui perd ainsi sa fonction de prestige, l’effondrement de la
construction de bâtiments somptuaires et la désertification des grands sites au profit de
plus petits.
Cette complexité est, bien entendu, relative et est encore bien loin des débuts des
véritables formations étatiques mésopotamiennes qui requièrent une population beaucoup
plus importante et des mécanismes complexes de stratification sociale, lesquels sont
totalement absents de toute société néolithique. Cependant, l’élite contrôle déjà de façon
institutionnelle, et à sa propre échelle (il ne s’agit pas des grands bâtiments somptuaires
de l’«Eanna Precinct » du 4 ème millénaire !), les organismes économiques et spirituels de
73

la société. A savoir si le Néolithique anatolien est à la base de la formation étatique
mésopotamienne est une toute autre question, que je ne vais qu’effleurer. Cela pourrait
sembler évident, mais on ne peut complètement rejeter l’hypothèse d’un développement
autochtone. Il semble cependant difficile de concevoir que des quatre millénaires
nécessaires à l’épanouissement du Néolithique, rien ne nous soit parvenu, malgré
l’intensité des recherches dans la région, de son développement parallèle en
Mésopotamie, perdu, s’il a jamais existé, sous les alluvions du Tigre et de l’Euphrate.
Une certaine interaction avec la culture de Cayönü, à travers peut-être celle de Samarra
géographiquement et chronologiquement, semble inéluctable. Ozdogan (1997 : 11 ;
1998 : 35) va jusqu’à supposer que ce système anatolien «constitue les bases du modèle
économique contrôlé par le temple des cultures syro-mésopotamiennes des périodes
historiques ». Alors que d’autres voient un fossé énorme entre les sociétés néolithiques
pré-céramiques et les sociétés étatiques mésopotamiennes, sans être aussi radical
qu’Ozdogan, il nous semble que la seule grande différence avec Cayönü soit de l’ordre de
la densité de population impliquée, d’où le rôle multiplicateur, et non fondamentalement
différent, de la céréaliculture dont parle Testart (1985 : 174). Les institutions sociales et
culturelles, ainsi que le fonctionnement général de la société mésopotamienne se
retrouvent en grande partie, bien qu’à des degrés moindres mais avec un mécanisme de
base très proche, dans la culture de Cayönü. D’ailleurs, la culture de Halaf qui a suivi
celle-ci dans la région, bien que formant une communauté domestique agricole elle aussi,
restera à un niveau de complexité sociale bien inférieure (Forest 1996 : 3). Cela montre
que les sommets atteints par la culture de Cayönü ne « vont pas de soi », qu’ils sont
relativement exceptionnels et qu’ils traduisent la particularité de cet ensemble. Nous
pensons pouvoir dire que la complexité sociale d’un groupe est générée par le nombre de
gens impliqués.
Ce qui décide les gens à se regrouper est assez peu connu, mais il peut s’agir d’un
phénomène en corrélation avec le développement des inégalités issues de l’apparition du
stockage (Testart 1982 : 197). Forest (1996: 3-4) suppose que c’est le besoin
d’indépendance économique et de préservation de l’unité sociale (avoir des enfants pour
assurer ses vieux jours) ainsi que les problèmes de reproduction liés à l’endogamie et qui
impliquent la co-existence de plusieurs lignages, qui ont amené plusieurs centaines
d’individus à se rassembler à Cayönü ou à Nevali Cori. Cependant, ces sociétés ne vivent
pas, de toute évidence, isolées les unes des autres ; c’est ce que montre l’échange constant
de matières premières, ainsi que l’expansion de traits culturels et techniques
74

caractéristiques. Le site de Göbekli Tepe, comme nous avons déjà commencé à le voir,
peut nous en apprendre davantage quant aux contacts intercommunautaires.
Les nombreux et grands bâtiments communautaires de Göbekli Tepe ont peut-être
eu la même fonction que les salles de conseil villageois que nous avons vues
précédemment, ainsi que le montre la présence de banquettes le long des murs
(Hauptmann 1999 : 79), mais à une échelle régionale. Tout comme la communauté d’un
village a besoin de déléguer des représentants pour mener à bien les affaires publiques, il
est tout à fait envisageable de trouver une institution qui aurait ce même rôle, au niveau
intercommunautaire, où les principaux personnages de chaque village pourraient se
rencontrer dans le but d’assurer la stabilité, la paix, et la prospérité régionales (il est
encore trop tôt pour parler de stabilité politique et économique). Si l’est difficile de savoir
si les sociétés de ces époques connaissaient la paix ou les guerres intestines, à regarder
l’ampleur que prend les échanges interrégionaux, les tensions intercommunautaires
devaient être à la fois inévitables (convoitise) et contrôlées (puisqu’elle a perduré). Les
unions intercommunautaires, auraient pu être l’occasion de grandes réunions tenues dans
les bâtiments de Göbekli, pourrait, par exemple, contribuer non seulement à cette
stabilité, mais à l’enracinement du prestige des élites en démontrant par la même leurs
liens intercommunautaires (où l’appartenance à la classe supplante celle du clan) en plus
d’aider à enrayer des problèmes d’endogamie pour les villages trop petits. Ces
cérémonies, toujours placées en un même lieu pour des raisons d’ordre symbolique,
auraient pu de la même façon, aider à renforcer l’idée d’appartenance à un même groupe
culturel, en opposition avec les groupes de chasseurs-cueilleurs qui devaient continuer à
peupler les alentours, un peu comme la citée d’Olympe, sacrée dans la Grèce antique, qui
servait à des cérémonies régulières et organisées au cours desquelles les Grecs
affirmaient, malgré les tensions intérieures endémiques, leur appartenance au même
groupe culturel et leur différence par rapport au monde extérieur peuplé de barbares. En
effet, comme nous l’avons vu, le passage du mode chasseur-cueilleur à celui d’agriculteur
entraîne de profonds changements culturels au sein du même groupe ethnique; ainsi la
culture de Cayönü directement issue de la culture trialétienne présente des traditions
culturelles complètement différentes. Il ne serait pas étonnant de constater que ces
différences ont besoin de chercher une force et une justification dans une symbolique
intercommunautaire forte.
75

L’uniformisation de la culture de Cayönü est non seulement très étendue mais
également profonde. Les outils de Cayönü, les pointes de Byblos, les techniques lithiques
(la pression), l’architecture domestique et somptuaire, les thèmes symboliques et
artistiques montrent que de nombreuses communautés au Proche-Orient, au moins à
partir du PPNB moyen, partagent les mêmes affinités culturelles. Il est peut-être vrai que
le choix de l’endogamie a permis à ces sociétés de vivre indépendamment. Cela
n’empêche pas pour autant qu’un certain dialogue ou un contact soit instauré entre les
différentes communautés, ce qui est évident au vu de l’ampleur des échanges et de
l’uniformisation culturelle. D’autre part, comme nous l’avons vu, ce phénomène culturel
n’est pas originaire d’un seul lieu, mais, ce que j’ai appelé les centres novateurs, évoluent
géographiquement ; en d’autres termes, aucune de ces communautés ne serait assez
puissante pour contrôler politiquement tout ce réseau. Tous ces contacts nécessitent donc
forcément une sorte de consultation intercommunautaire. Göbekli Tepe, au carrefour de
nombreux villages PPNB dans la région d’Urfa (Lidar, Nevali Cori, Gritille, Hayaz, Yeni
Mahalle Mevki, Garoz Tepe), elle-même au centre des villages du Moyen-Euphrate et
des Hautes Vallées si l’on doit envisager une telle étendue, pourrait jouer ce rôle.
L’effondrement de la culture de Cayönü
C’est vers 7000 av. J.-C. que les sites du sud-est anatolien commencent à se
dépeupler, et c’est curieusement dans les siècles qui suivent que vont s’établir les
communautés complexes d’Anatolie centrale et de Mésopotamie (l’Obeid 0 commence
vers 6500 av. J.-C.). L’exode de la population, peut-être devenue pastorale mais qui n’est
sûrement pas revenue à un stade de chasseurs-cueilleurs, vers ces régions voisines peut
aujourd’hui paraître une possibilité. Tout d’abord, pour atteindre l’Europe, le phénomène
néolithique du sud-est anatolien a bien dû se diffuser à travers l’Anatolie centrale et
occidentale. De plus, il est difficile de concevoir, par exemple, que l’agriculture, base de
la société étatique, ait pu être découverte et mise au point dans une région nécessitant en
même temps l’invention et la maîtrise de l’irrigation. Il me semble raisonnable de penser
que l’agriculture a d’abord été expérimentée en culture sèche avant d’être exportée dans
les régions arides.
Les causes de la dépopulation ou de la disparition des sites de la culture de
Cayönü n’ont pas trouvé de raison claire. La détérioration du climat et l’impossibilité
pour la région de soutenir une population grandissante, ne sont sans doute pas les causes
principales du dépeuplement, même si l’essor du nomadisme a accéléré l’érosion du
76

terrain. Ozdogan (1998 : 335) note que les régions voisines se peuplent au fur et à mesure
que l’Anatolie du sud-est se dépeuple et que beaucoup de signes culturels semblent
prouver une affiliation certaine. Par exemple, le système symbolique de Catal Höyük est
à étendre à toutes formes de figurines, félins, rapaces, taureaux (représentant l’élément
féminin) et crânes de taureaux ou bucranes (élément masculin) qui se retrouvent sur de
nombreux sites PPNA et PPNB en Syrie et avec les têtes de vautours de Nemrik (Forest
1993 : 37). Cependant, ces sites montrent un agencement de leur architecture tout à fait
différent. Les sites de Asikli Höyük et de Catal Höyük sont les exemples les plus parlants.
Ces sites sont de type agglutinant (fig) et aucune différenciation de partie ou de quartier
au sein du village n’est visible. Même si une structure spécifique a été trouvée à Asikli,
elle reste accolée au reste du village et d’accès facile pour tous. Cela montre qu’il n’y a
pas de classe dirigeante dans ces sociétés ou bien elle jouit des mêmes droits et du même
confort matériel que le reste de la population. En un mot il s’agit de sociétés égalitaires.
La différence avec Cayönü et Nevali Cori est frappante. Ceci prouve notamment que la
relative complexité atteinte dans ces sites n’est pas naturelle, qu’il s’agit d’un phénomène
assez particulier. Aussi, Ozdogan (1998 : 35) propose judicieusement que la raison de ce
déplacement de population, qui garde ses affinités culturelles mais change son système
politique, vient peut-être de tensions sociales survenues des différences de condition entre
la classe dirigeante et le reste du village.
En fait l’étude de l’architecture, de la circulation de l’obsidienne et de la
production lithique nous apprend que le phénomène décrit ci-dessus prend sans doute ses
origines dans la transition entre le PPNB récent et final. Il semblerait que le PPNB du
Taurus oriental soit à diviser sociologiquement en deux grandes parties. Il y a d’abord,
une période de formation et de développement d’une société non égalitaire au PPNB
ancien et moyen, ce qui s’accentue au PPNB récent, avec l’apparition de l’agriculture
domestique (CDA) et est ensuite suivie d’une possible restructuration sociale, au PPNB
final. D’ailleurs, le PPNB final est caractérisé en architecture domestique par la phase des
grandes pièces (large room phase), sans subdivision intérieur, ce qui implique déjà en
soit, une conception plus égalitaire de la société. A Cafer Höyük, il semblerait que la
phase large room commence après la destruction par le feu, signe possible de tensions, de
la phase des plans en cellule du PPNB moyen (Cauvin et alii 1999 : 95-96). Le
phénomène que nous venons de décrire entre les sites où le pouvoir est centralisé et fort
au vu des édifices importants qu’elle produit semble donc se finir avant la fin de la
77

Période 3. Une cassure pour revenir à une société plus égalitaire se remarque dans cette
région dès le PPNB final. Nevali Cori et Göbekli Tepe sont abandonnés en plein apogée
pour donner naissance au village de Gürcü Tepe. Les imposants édifices publiques et
religieux ne sont pas reconstruits à l’exception d’un édifice à fonction collective mais pas
ostentatoire, aux mesures conformes au reste des maisons et de fonction sans doute
utilitaire, seulement reconnaissable aux orthostates le long de ses murs intérieurs
(Schmidt 1995 : 9). Il en est de même à Cayönü où la large room phase (PPNB final) est
la seule du PPNB à laquelle aucun bâtiment spécifique n’est associé.
En général, à cette période précise, le nombre de sites implantés en Anatolie
comme en Syrie grandit mais avec une population moins importante, des installations
moins développées (Molist–Stordeur 1999 : 400 ) comme en témoigne parfaitement les
prospections dans la vallée du Balikh où, pour un site PPNB moyen, on en dénombre pas
moins de 24 à la période suivante (Akkermans 1999: 524 ). Cela tend à montrer une
moindre centralisation du pouvoir, une plus grande démocratisation du neolithic way of
life . Tous ces points communs ne sont pas une coïncidence et montrent bien un
changement d’ordre social qu’appuient ainsi les sites d’Anatolie centrale comme Asikli
Höyük. Ceci est également montré par l’étude de la circulation de l’obsidienne que nous
avons déjà établie. Alors qu’au PPNB moyen et récent, seuls les sites des Hautes Vallées
présentent une parité entre l’utilisation de l’obsidienne et du silex, la première est peu
présente plus au sud, juste suffisamment pour contenter les besoins d’ordre ostentatoire
de ce qu’il convient d’appeler l’élite. Enfin, au PPNB final, l’obsidienne se propage en
des quantités telles (32% à Halula, 45 % à Cayönü, Gürcü Tepe) qu’elles permettent de
penser que non seulement la civilisation de Cayönü se répand, (jusqu’au Zagros où les
outils de Cayönü deviennent communs) mais aussi que la possession d’obsidienne est
devenue beaucoup plus démocratique, que sa fonction est utilitaire et que les échanges
sont plus fréquents et massifs et ne concernent plus l’élite.
78

Tableau de l’évolution chrono-culturelle et sociologique durant la
néolithisation du sud-est anatolien
Affiliations
culturelles
Type de structures
sociales
sites
Levant
Chasseurs-cueilleurs
Biris
Natoufien : Chass –
Période
1
Trialétien
nomades (communisme
primitif ) 3
Mezarligi,
Sögüt Tarlasi
cueill sédentaires et
stockeurs
Période
2
Trialétien 4
Chass –cueill sédentaires et
stockeurs
Hallan Cemi,
Demirköy,
Cayönü base
Mureybetien :
Transition CDA,
Agric. Pré-domestique
P. 3 a
PPNB
ancien
Transition :
Influence du
Mureybétien
Chass – cueill sédentaires
et stockeurs. Transition
vers CDA. Agric. Prédomestique
Cayönü grill,
Cafer
Dja’de
P. 3 b
PPNB
moyen et
récent
Culture de
Cayönü
Communautés
Domestiques Agricoles
Non-égalitaire
Cayönü
channel, cell
Nevali Cori,
Cafer, Göbekli
Culture de Cayönü ( )
P. 3 c
PPNB
final
Culture de
Cayönü
Communautés
Domestiques
Agricoles
égalitaire
Cayönü large
room,
Gürcütepe,
Gritille,
Hayaz
Culture de Cayönü ( )
3 Il y a une exception à l’extrême fin de la Période 1 avec le site d’Hallan Cemi qui a sans doute
une société de type sédentaire et stockeur.
4 Influence du Mureybétien sur la région d’Urfa.
79

Notes : _ L’appellation culture de Cayönü pour les sites du Moyen-Euphrate
syrien pour le PPNB moyen et récent peut surprendre. Il nous semble cependant, au vu
des analyses précédentes, que les éléments culturels qui caractérisent cette période, tels
que la pointe de Byblos et d’Amuq ainsi que la forte hausse de la présence d’obsidienne
anatolienne dans ces sites, montrent que c’est bien la culture des Hautes Vallées (de
Cayönü) qui prend un ton décisif quant à l’emprise culturelle régionale, même si,
paradoxalement, les origines de celle-ci se trouvent en Syrie.
_ Nous avons également décelé au cours de notre analyse de la dernière
partie du PPNB que la structure sociale et économique de ces sociétés, sans s’effondrer,
montrait de forts signes de changements, avec une possible disparition de l’élite (que
montrent la disparition des bâtiments somptuaires et la démocratisation des matériaux de
valeur comme l’obsidienne). Nous ne saurions ici décrire avec précision à quel type de
structure sociétale nous avons affaire mais il s’agit toujours de communautés domestiques
agricoles sans stratification sociale très marquée : un communisme secondaire (en
opposition avec le communisme primitif des chasseurs-cueilleurs nomades )
80

VII
-
Conclusion
81

La néolithisation est un phénomène très complexe qui est la transition d’un mode
de société à un autre. Les éléments de cette complexité sont la rapidité et la densité de
tous les changements occasionnés qui forment un point de non-retour; il s’agit non
seulement de modifications fondamentales du mode de vie et de la technologie, mais
aussi du bouleversement des bases culturelles de la société. Au Proche-Orient, tout cela
s’est passé en moins de quatre millénaires, c’est-à-dire très rapidement à l’échelle de
l’histoire de l’humanité. Cette intensité, telle qu’elle est montrée dans l’invention et le
développement de l’architecture, qui est restée d’ailleurs à la base de l’architecture
traditionnelle de la région jusqu’à nos jours, n’a d’égale que celle produite lors de la
formation de l’Etat ou de la révolution industrielle. Ce changement constant est en partie
dû à une attitude active de l’homme par rapport à la nature qui devient le laboratoire de
nombreuses expérimentations, et dont les résultats sont rapidement propagés dans
l’ensemble du Croissant Fertile, ce qui dénote un système efficace d’interaction entre les
différents groupes.
A la lumière de tous ces éléments, voici le "modèle" que nous proposons pour la
néolithisation de l’Anatolie du sud-est et, de manière plus globale, du Proche-Orient:
On peut tout d’abord discerner un mouvement géographique au fil des millénaires
qui correspond finalement une phase progressive de mise en place du phénomène
néolithique. Nous n’entendons pas parler de "diffusion" à proprement parler, car ceci
implique que le processus de néolithisation soit déjà épanoui et qu'il s'exporte tel quel
dans les régions périphériques. C'est ce qui se passera pour l'Anatolie centrale,
occidentale et ensuite pour l'Europe. Ici, tout le temps que durera cette période, le modèle
néolithique se met en place avec ce que cela comporte de temps d’expérimentation,
d'innovations et de découvertes pour parvenir à un fully developped Neolithic stage.
Le phénomène néolithique est inauguré par une période de sédentarisation et donc
par la construction d'habitats fixes qui se sont d'abord installés en masse à la Période 1,
surtout au Levant sud et plus particulièrement entre la Galilée et le Mont Carmel
(Mallaha) en Palestine. Ainsi que le montre l’Atlas des sites du Proche-Orient (Hours et
alii 1994), le Liban sud possède également de nombreux sites (Jiita, Saaidé, Beyrouth,
Yabroud etc.), bien que cette région se dépeuple drastiquement aux périodes suivantes
pour des raisons inconnues qui demandent une recherche approfondie (Yazbeck 2001 : 9-
10). En même temps, dans le Zagros, un phénomène très comparable se produit (Zawi
Chemi).
82

Si l’on en croit les travaux ethnographiques dont nous avons parlé, cette
sédentarisation serait le fruit de récoltes céréalières abondantes, de la pratique du
stockage et de la maîtrise des techniques de conservation des denrées. Ces innovations
auraient fait naître les toutes premières inégalités et forment pour nous le premier pas de
la néolithisation, dont le Levant sud et, dans une moindre mesure le Zagros, sont les
centres novateurs.
Le vide noté au sud-est de la Turquie au Paléolithique supérieur et au
Mésolithique, bien qu’il soit partiellement comblé à la fin de celui-ci, est un antécédent
très étonnant à l’apparition si soudaine de sociétés néolithiques aussi sophistiquées aux
périodes suivantes. Comme le note justement Ozdogan (1998 : 34 ; 1999b : 226), si une
culture sophistiquée avait vu le jour en Anatolie au Paléolithique supérieur, elle aurait été
découverte aujourd’hui. Un phénomène de déplacement de population à la fin du
Mésolithique vers l’Anatolie du sud-est est donc inéluctable. Plusieurs hypothèses ont été
élaborées quant à son origine : le sud avec le peuplement natoufien, l’est avec le Zagros
et le Caucase, et même le nord de la région pontique (Ozdogan 1999b : 227). A la lumière
des recherches de ces dernières années et des sites récemment fouillés tels que Biris
Mezarligi et Hallan Cemi, nous pouvons remarquer que l’industrie lithique montre une
appartenance, ou du moins un rapprochement des populations anatoliennes vers les
groupes zarzien et caucasien, avec notamment une influence très marquée des sites de la
Djézireh tels que Nemrik. Les cultures anatoliennes forment cependant une entité propre
appelée trialétienne, caractérisée par leurs microlithes de grandes tailles. L’hypothèse de
la diffusion levantine, qui a longtemps prévalue quant au peuplement de l’Anatolie, est à
écarter. Mais attention, si la diffusion de population levantine n’a plus lieu d’être, ou à
des effectifs restreints, il en est autrement pour une diffusion culturelle, ce que nous
avons démontré pour la période suivante.
A la Période 2, le phénomène néolithisant s'est déplacé du Levant sud vers le
nord-est, la région du Moyen-Euphrate syrien (Mureybet, Jerf el-Ahmar). Si un tel
mouvement peut être décelé depuis le Zagros vers la Djézireh (Qermez Dere, Nemrik) au
nord-ouest, l’influence de la Djézireh ne se fera désormais plus beaucoup sentir en
Anatolie. Ce déplacement est suivi de changements graduels dans la technologie lithique
fondée de plus en plus sur la production laminaire, dans l’invention de l’architecture
rectangulaire, et d’un mode de subsistance marqué par l’adoption de l’agriculture prédomestique.
Ces deux nouvelles régions novatrices, le Moyen-Euphrate syrien et la
83

Djézireh, ne forment pas nécessairement une même unité culturelle, mais des échanges
entre les deux sont bien documentés.
En Anatolie, à cette période, Hallan Cemi, Demirköy, Cayönü, et peut-être
certains sites de la région d’Urfa montrent que l’élément caucasien perdure sans autre
influence étrangère que l’échange de matières et d’objets précieux qui confirment la
progression relative de la stratification progressive de la société.
La culture du Moyen-Euphrate n’est plus simplement une société de chasseurscueilleurs
sédentaires, mais le mode de subsistance, la complexification de l’organisation
des villages et l’apparition d’un pouvoir de plus en plus unique et central (voir les
bâtiments communautaires de Jerf el-Ahmar) montrent qu’il s’agit d’une phase de
transition entre des chasseurs-cueilleurs stockeurs et des sociétés des communautés
domestiques agricoles.
Enfin, à la Période 3, le mouvement de la néolithisation se déplace vers le nord,
en Anatolie du sud-est. Ce sont les peuples locaux qui vont, en l’adoptant, le porter à son
épanouissement final, à un moment où le climat le permettait enfin. Le sud-est anatolien
hérite clairement des avancées réalisées par les cultures du Mureybétien. Il faut prendre
note qu’il ne s’agit pas d'une diffusion de la population levantine mais d’emprunts faits à
celles-ci par la population locale, qui garde les traits de sa culture trialétienne locale
même au contact des levantins jusque tard dans le PPNB, ainsi que le montre par exemple
la production lithique à Cafer Höyük. Le rôle joué par les populations locales dans de
telles transformations est primordial et ne peut être sous-estimé car elles doivent déjà
posséder les infrastructures nécessaires pour être capables d’en adopter de nouvelles
(Renfrew 1975 : 34-5 ; Wattenberg 1998 : 7-9). Cela se conforme aux sites anatoliens
locaux qui connaissaient déjà à la Période 2 des non egalitarian , complex forms of socio
economic patterns ainsi que le montre l’existence de bâtiments à fonction communautaire
à Hallan Cemi et à Cayönü Base (Ozdogan 1999b : 228).
Ces avancées sont visibles en matière de technologie lithique avec l’adoption
complète de la production laminaire, de l’architecture rectangulaire mis au point sur le
Moyen Euphrate syrien, notamment à Jerf el Ahmar (qui est constatée sans doute trop
brutalement à Cayönü, qui passe directement des fosses circulaires semi enterrées aux
bâtiments en grill très complexes, pour être une innovation locale, surtout qu’elle est déjà
présente à Dja’de à l’époque), et l’adoption des bâtiments
spécifiques.
84

Ces emprunts ne seront pas bouleversés dans leur concept, mais intensifiés à un
degré important qui ne sera égalé (et largement dépassé) que plusieurs millénaires plus
tard, lors de l’édification des premières sociétés étatiques. Cette intensification est
parfaitement à l’image des observations ethnographiques qui voient dans l’adoption de la
céréaliculture domestique, non pas un changement radical de la société mais une
amplification des phénomènes nés des sociétés de chasseurs-cueilleurs sédentaires et
stockeurs, notamment celui de l’inégalité. C’est principalement en cela que la fameuse
Révolution Néolithique de Gordon Childe a besoin, au moins à une échelle
macroscopique, de sérieuses révisions.
Cette amplification attribuée, comme nous avons essayé de le montrer, à la culture
de Cayönü qui devient à partir du PPNB moyen le nouveau centre novateur, est, par
exemple, celle de l’adoption du BAI c’est-à-dire, une production laminaire plus
importante par la taille de ses produits, aidée par l’invention (locale ou venant du
Zagros) du débitage par pression et du nucléus bipolaire naviforme, et remarquable par
sa quantité ainsi que son aire de diffusion. L’uniformité est un signe très clair : du nord
du Taurus au sud Levant les pointes de Byblos et d’Amuq régneront avec une
homogénéité sans égale. Il en va de même pour l’architecture domestique qui, dans son
développement, malgré les changements de plans au cours des siècles et leur grande
complexité, se retrouve chronologiquement de façon uniforme sur tous les sites
anatoliens et au delà. C’est cependant l’architecture somptuaire qui recèle les exemples
les plus remarquables de la démesure relative atteinte par cette culture. Les nombreuses
constructions monolithiques (juqu’à 4 mètres de haut) entièrement décorées de bas-reliefs
ne laissent plus de doute quant à la présence de la stratification de la société, l’émergence
d’une élite qui contrôle la vie spirituelle et économique de la communauté (Ozdogan
1999b 228-231). Celle-ci se développe essentiellement grâce à cette dernière
intensification importante : le mode de subsistance est maintenant fondé sur une
agriculture entièrement domestique (qui apparaît dans la phase du plan en cellule de
Cayönü) et sur la domestication animale.
Encore une fois, l’apparition de ces classes, de cette élite, n’atteint pas, et de loin,
ne serait-ce qu’à cause de l’importance de la population impliquée, les sommets de la
stratification du quatrième millénaire mésopotamien. Il n’y a pas dans le néolithique
anatolien de formation étatique. On doit cependant reconnaître qu’à cette époque, la
céréaliculture domestique a dû créer une surproduction qui a permis une semie
85

spécialisation d’une partie de la population ainsi qu’on le retrouve dans l’élaboration de
l’architecture, la fabrication d’objets précieux, la maîtrise de la pyrotechnologie
(terrazzo), le commerce à longue distance, l’uniformisation de la technologie, de
l’artisanat et des armes etc. La possibilité d’un surtravail amène forcément l’exploitation
du producteur par un non producteur, qui ici peut prendre une ampleur relativement
importante : il s’agit de villages de plusieurs centaines d’habitants et l’apparente
abondance des ressources le montre. « Relativement » est bien le mot car sans pouvoir
nier l’existence d’une élite qui contrôle les structures monumentales et en admettant qu’il
ne s’agit pas là de sociétés étatiques, il est bien difficile d’identifier le degré de
complexité auquel nous sommes confronté.
Un autre aspect que nous avons découvert est celui du changement social qui
semble se perpétrer en Anatolie durant le PPNB récent. Celui-ci pourrait être confondu
avec l’effondrement de la culture de Cayönü, mais il faut bien distinguer les deux
évènements. Il y a d’abord un arrêt brutal de la construction de bâtiments monumentaux
ou somptuaires, une démocratisation de l’obtention de l’obsidienne dans l’ensemble du
Proche-Orient ainsi que l’abandon ou le fort rétrécissement de grands sites tels que
Nevali Cori, Göbekli Tepe ou Cayönü. Cependant, ces populations ne disparaissent pas et
vont peupler de nouveaux sites perpétuant la culture de Cayönü, ainsi que la circulation
florissante de l’obsidienne l’illustre. Il est difficile de ne pas interpréter ces évènements
comme l’effondrement d’un système social (Ozdogan 1999b : 232) et des classes
dominantes pour donner un nouveau système qu’il n’est pas aisé de comprendre. Celui-ci
sera à la base des sociétés néolithiques d’Anatolie centrale à la période suivante et qui ont
un lien culturel indéniable avec les sociétés du sud-est ainsi que l’iconographie et le
domaine du symbolique, visibles à Catal Höyük, le laissent entrevoir (Forest 1993 : 32-3,
37, 40).
Enfin, on voit que le rôle des sociétés anatoliennes dans la néolithisation du
Proche-Orient a été celui de l’épanouissement final pour porter ce néolithique à un
summum insoupçonné il y a encore quelques années. Si l’on peut maintenant réfuter
l’idée de néolithisation secondaire de Cauvin concernant la néolithisation de l’Anatolie
du sud-est, impliquant que le Moyen-Euphrate avait en quelque sorte inventé le
Néolithique, on ne peut nier, comme nous avons essayé de le démontrer, que la culture de
Cayönü a beaucoup emprunté à ses voisines et tout particulièrement au Mureybétien, sans
oublier la région du Zagros. La néolithisation est avant tout un développement temporel,
86

géographique et social. Le point de non-retour atteint par ces sociétés n’est pas
simplement économique ; les bases de la stratification et de l’inégalité sociales sont
jetées ; alors se pose la question qui en découle inévitablement : l’Etat mésopotamien
prend-il ses racines à Cayönü
87

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Table des Matières
Le rôle des sociétés d’Anatolie du sud-est
dans la néolithisation
du Proche-Orient
Avant-Propos
I- Introduction
Sur le problème de représentativité
II- Cadre spatio-temporel
Environnement
Périodisation
III- L'industrie lithique
I- Typologie
A- Le Levant
B- Le Zagros
C- Les Hautes Vallées
II- Période 1 et 2
A- Le Levant
B- Le Zagros
C- Les Hautes Vallées
D- Les échanges interrégionaux
III- Période 3
A- Le Levant
B- Le Zagros
C- Les Hautes Vallées
D- Le échanges interrégionaux
E- Synthèse
IV- Conclusion
IV- L'architecture
I- Période 1
II- Période 2
A-Le Proche-Orient
B- la Djézireh
C- l'Anatolie du sud-est
III- Période 3
A- Le Proche-Orient
94

B- l'Anatolie du sud-est
IV- les Bâtiments somptuaires
V- Synthèse générale
V- Mode de subsistance
I- L’agriculture pré-domestique
II- Les origines de l’apparition de l’agriculture
III- L'agriculture domestique
IV- Données ethnologiques et répercussions sociologiques
V- Le cas de l’élevage
VI- Synthèse
VI- Structures sociales et affiliations culturelles
I- Période 1
II- Période 2
III- Période 3
IV- L’effondrement de la culture de Cayönü
VII- Conclusion
Bibliographie
Volume II : Index des figures
95

UNIVERSITE DE PARIS I – PANTHEON SORBONNE
Mémoire en vue de l’obtention du D.E.A.
d’archéologie du Proche-Orient
Le rôle
des sociétés
d’Anatolie du sud-est
dans la néolithisation du Proche-Orient
Volume II : Figures
Par Cédric Bodet
Sous la direction du professeur Jean-Daniel Forest.
Juin 2001
96

100

101