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Face-au-FN

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De la crise à la « crise du sens »<br />

Bien sûr, la crise économique frappe les sociétés occidentales –<br />

et l’Europe en particulier – depuis le milieu des années 1970 ;<br />

le chômage, les déficits, la baisse sensible du pouvoir d’achat<br />

s’amplifie et la croissance a du plomb dans l’aile, à ce qu’en<br />

disent les économistes. Mais comment le Front national, qui<br />

proposait (depuis les années 1980) un programme pléthorique<br />

et ultra-libéral en matière économique et sociale, <strong>au</strong>rait pu<br />

répondre à cette crise « économique et sociale » ? Il ne l’a pas<br />

fait. Ses réponses se situent ailleurs, sur le terrain identitaire<br />

et symbolique.<br />

S’il profitait bel et bien d’un terre<strong>au</strong> que la crise économique<br />

renforce, il répondait en fait à une <strong>au</strong>tre attente, que les crises<br />

mettent en évidence : une « crise du sens ». Contrairement à<br />

certaines formations politiques, le <strong>FN</strong> n’a donc pas tenté de<br />

répondre <strong>au</strong>x problèmes économiques, soci<strong>au</strong>x, ou <strong>au</strong>tres. Il a<br />

dévié le regard pour proposer une <strong>au</strong>tre solution : la stratégie<br />

du bouc émissaire. Et, créant ainsi des adversaires et des<br />

coupables désignés (les communistes, puis les immigrés, les<br />

politiciens…), il a ouvert et rempli, dans le même mouvement,<br />

une attente essentielle : il a donné un « sens » à ce qui arrivait<br />

et proposé un combat pour y remédier. Et pour cela, il a utilisé<br />

des symboles et des discours.<br />

La force des symboles et des discours,<br />

pour rappeler des choses<br />

La politique est <strong>au</strong>ssi affaire de symboles, qui présentent<br />

et appuient une « vision du monde ». Mais c’est <strong>au</strong>ssi par<br />

le discours et la force des mots utilisés, voire martelés (la<br />

« bataille du vocabulaire ») que se fait la conversion des<br />

esprits : en répétant son message, reconnaissable, Le Pen a<br />

posé une marque dans le paysage politique. Au fil du temps,<br />

on reconnaît sa « touche » et son style. Et lorsque ses mots sont<br />

repris par d’<strong>au</strong>tres, il est légitimé, reconnu…<br />

Chaque camp politique cherche à conquérir l’espace médiatique<br />

et celui des représentations, par des mots et des images<br />

qui lui sont attribués ; il s’agit d’une bataille sémantique,<br />

que le <strong>FN</strong> mène depuis ses débuts en utilisant tous les relais<br />

possibles (médiatiques, partisans, culturels, etc.). Ainsi du<br />

« problème de l’immigration », ou de l’expression « la première<br />

des libertés, c’est la sécurité », ou de bien d’<strong>au</strong>tres encore, telle<br />

que « la France, si tu ne l’aimes pas, tu la quittes… », repris<br />

par Nicolas Sarkozy en 2007.<br />

Une posture « contre le système » :<br />

le parti des mécontents<br />

La réussite du Front national tient <strong>au</strong>ssi à sa capacité à attirer<br />

toute une part des mécontents de la politique, critique à la<br />

fois du système et des institutions, refusant la règle du jeu ou<br />

ses effets. C’est une constante de la droite populiste, que l’on<br />

peut retrouver à différentes périodes de l’histoire du pays : de<br />

Poujade à Tixier-Vignancour, dont Jean-Marie Le Pen fut très<br />

proche.<br />

Rien d’étonnant à ce que le Front national se soit toujours<br />

présenté comme le parti anti-système ; c’est sa marque de<br />

fabrique, son origine et son originalité, mais <strong>au</strong>ssi une force<br />

par temps de crise des représentations et lorsque la politique<br />

institutionnelle perd de son <strong>au</strong>ra. Au fil des ans, le lepénisme a<br />

su jouer de cette posture pour attirer des militants en rupture<br />

de ban, des aventuriers en politique et des électeurs déçus par<br />

les <strong>au</strong>tres partis.<br />

Un vote « contre le système »<br />

Mais c’est <strong>au</strong>ssi par la provocation que le lepénisme s’est fait<br />

remarquer et isoler par ses concurrents directs. Au cours des<br />

années 1980, le <strong>FN</strong> est devenu infréquentable. En le mettant à<br />

l’écart, les partis de gouvernement ont laissé le piège tendu par<br />

leur adversaire se refermer : ostracisé, le lepénisme attirait<br />

d’<strong>au</strong>tant plus. Son porte-parole pouvait crier <strong>au</strong> scandale,<br />

expliquer qu’il dérangeait par sa manie de dire « la vérité ».<br />

Ce fut alors son leitmotiv : dénoncer la « bande des quatre », le<br />

« système UMPS », « l’établissement »… Quelques dérapages<br />

plus tard, la rupture était totale et irrémédiable.<br />

Les années 1980 avaient été les « années fric » ; les années<br />

1990 ont vu s’étaler les affaires. Lorsque les premières<br />

révélations ont éclaté, Jean-Marie Le Pen n’a cessé de<br />

dénoncer la « Ripoublique » et les arrangements entre amis.<br />

Le Front national jouait sur l’air de « mains propres et tête<br />

h<strong>au</strong>te », donnant des leçons de morale et rappelant comment<br />

certains mis en examen avaient été de farouches adversaires<br />

du <strong>FN</strong>. Peu importait que Jean-Marie Le Pen fût lui-même<br />

un millionnaire, héritier d’un riche alcoolique dépressif et<br />

monarchiste (Hubert Lambert, héritier des ciments Lafarge).<br />

Au fil du temps, le vote <strong>FN</strong> est ainsi devenu un recours pour<br />

tous ceux qui voulaient marquer leur rejet d’un système<br />

politique qui montrait des signes de déviance manifeste.<br />

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