III – La métrique Si les morceaux de <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong> se distinguent souvent par une approche formelle complexe, cela s’explique en grande partie par le recours à des carrures métriques (qui correspondent à l'organisation de la pulsation) alambiquées. En effet, les musiciens de <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong>, forts de leur influence de styles musicaux dits sérieux comme le jazz ou la musique classique, font preuve d’un goût prononcé pour des métriques bien éloignées des modèles binaires en quatre, huit, douze ou seize mesures que l’on rencontre dans la plupart des œuvres de musique populaire. Ainsi, avec le <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong>, il est assez fréquent de rencontrer des compositions comportant des mètres asymétriques – c’est-à-dire groupant les temps par trois, cinq, sept, etc. – ou des intrusions plus ou moins régulières de mètres différents qui bouleversent la perception de la pulsation ; une organisation savante qui, encore une fois, apparaît avec des groupes pré<strong>progressif</strong>s comme les Beatles. L’album Close to the Edge, par exemple, ne comprend aucun titre construit à partir d’une métrique immuable, à l’exception du troisième mouvement de la plage titulaire, I Get Up, I Get Down, écrit en 4/4. Tous les autres morceaux (ou mouvements de morceaux) font effectivement appel à des mètres différents, à l’image des dernières mesures du premier mouvement de la pièce principale, The Solid Time of Change, dont les mètres (à 5’52’’) se succèdent comme suit : 3/2, deux mesures en 2/2, 5/4, 4/4, 3/4, 4/4, 3/4, avant de se stabiliser en 12/8 lors du deuxième mouvement. En outre, l’analyse de la partition de Close to the Edge – dont trois des quatre mouvements comportent des intrusions de mètres différents sur plusieurs dizaines de mesures, à l’image de Total Mass Retain, qui passe subitement en 3/2 alors que le morceau débute en 12/8 – nous permet de constater que les insertions de mètres étrangers à la carrure métrique de base possèdent, à l’inverse des premiers albums, une fonction structurelle et non pas pratique. De même, si Selling England by the Pound marque une complexification incontestable du vocabulaire métrique de Genesis – et ce, malgré quelques titres en 4/4 continu, comme I Know What I Like, ou qui ne font appel, comme Dancing With the Moonlit Knight ou After the Ordeal, qu’à de brèves contradictions métriques occasionnelles –, cela s’explique surtout par la présence de Firth of Fifth, dont l’introduction au piano fait appel à d’incessants changements métriques. Et ce qui intéressant de remarquer, c'est que ce passage, pourtant particulièrement complexe d’un point de vue métrique (et qui revient après le thème de flûte avec une instrumentation différente à 4’34’’), semble se développer de manière naturelle ; preuve que l’insertion de mètres alambiquées ou interpolés, du moins pour ce cas de figure, semble avant tout être mise au service de la musicalité du groupe et ne sert pas à exposer le savoir-savoir du claviériste Tony Banks ; qui d’ailleurs, comme son compère Steve Hackett, ne se lance que rarement dans de longs soli virtuoses, préférant mettre
en avant ses connaissances en matière d’harmonie. Citons enfin The Three Fates – dont l’introduction alterne des mètres de la manière suivante : 5/4, 7/4, 4/4, 5/4, 7/4, 4/4, 7/4, 3/4 et 5/4 (par deux fois) avant de passer en 4/4 pendant sept mesures – et surtout Tarkus, qui constitue sans aucun doute l’une des pièces les plus complexes du répertoire d’ELP, son premier mouvement, par exemple, ne contenant pas moins de vingt-neuf changements de mètres!