Je pense comme une filleenlève sa robe, de PerrineValli. Photo : DorothéeThébert.voilà Gilles Jobin propulsé « chef de file d'une nouvelle générationde chorégraphes <strong>suisse</strong>s indépendants ».En ordre disperséBien malin, pour autant, qui saurait reconnaître à la <strong>dans</strong>e <strong>suisse</strong>contemporaine des attributs identitaires, à l'instar de ce que fut, parexemple, la « nouvelle vague flamande » du milieu des années 1980 enBelgique. En ce sens, Gilles Jobin peut en effet passer pour « chef defile »… d'une file inexistante ! Quelles que soient <strong>ses</strong> qualités dechorégraphe, <strong>ses</strong> pièces hésitent à se poser <strong>dans</strong> un sillon. Franchementradicales, comme Blinded by Love (1998) réalisé avec le performeurLe projet d'uneMaison de la Danseà Genève va-t-il enfinse concrétiser?anglais Franko B, répondant à un principe de « mouvement organiquementorganisé » <strong>dans</strong> Two-Thousand-and-Three (créé en 2003 pour les 22<strong>dans</strong>eurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève), aimantées par lesnouvelles technologies <strong>dans</strong> Text to Speech (2008), ou encore délivréesde toute structure narrative avec Spider Galaxies (2011). Faute demieux, l'on dira que la <strong>dans</strong>e contemporaine <strong>suisse</strong> apparaît comme uneconstellation de singularités, que l'on ne saurait réunir sous unquelconque étendard esthétique.Imaginerait-on ainsi, non sans quelque coupable paresse intellectuelle,que la Suisse, pays de tradition horlogère, ait pu accoucher d'une <strong>dans</strong>echronométriquement réglée, indexée au tic-tac du métronome etajustée à la mécanique de précision de ballets mathématiques ? C'esttout le contraire qui s'affirme avec des chorégraphes de l'intime commePerrine Valli et Cindy van Acker. <strong>La</strong> première, <strong>dans</strong> Je pense comme unefille enlève sa robe, abordait délicatement le thème de la prostitution.« Plutôt qu'une reconstitution réaliste », elle choisissait « l'évocationabstraite du corps en liberté », écrivait Marie-Pierre Genecand (2) . Pour saprochaine création en solo, Si <strong>dans</strong> cette chambre un ami attend, PerrineValli s'inspire de tableaux de Balthus et Hopper pour « créer un espaceintérieur, tel une chambre ». De formation classique (elle a <strong>dans</strong>é au seindu Ballet Royal de Flandres puis de celui du Grand Théâtre de Genève),Cindy van Acker a opéré une mue complète à partir de 2002 et d'unpremier solo, Corps 00:00, qui « se concevait comme une explorationsystématique des jeux d'influences entre le mental et le physique ». En2007, Alexandre Demidoff parlait d'« état de grâce au ralenti » (3) pourqualifier la « grâce sidérale » de Kernel, un trio conçu avec Tamara Bacciet Perrine Valli.Forte d'un riche parcours international (formation à DasArts àAmsterdam, passage par le Cirque du Soleil en France, le WoosterGroup à New York, Sasha Waltz en Allemagne, et les Ballets C de la Ben Belgique), la Zurichoise Alexandra Bachzetsis appartient à unegénération qui se réclame plus volontiers de la performance que de la<strong>dans</strong>e stricto sensu. Une attitude très « pop » qu'elle a lancé à l'assautdes clichés de la féminité (Handwerk et Undressed, 2005), avant descène <strong>suisse</strong> / 22
Claude Ratzé, fluide antigelNe dites surtout pas à Claude Ratzé que son action pour la <strong>dans</strong>eà Genève pourrait être comparée au rôle qui fut celui d'un GérardViolette au Théâtre de la Ville à Paris, ou d'un Guy Darmet à laMaison de la Danse de Lyon : sa modestie risquerait d'en souffrir.Directeur artistique de l'ADC (Association pour la DanseContemporaine) depuis 1992, il n'a pas pris la grosse tête pourautant. Venu du théâtre et de la communication (il travailla authéâtre Saint-Gervais et fut attaché de presse du festival de <strong>La</strong>Bâtie), il rencontre la <strong>dans</strong>e au début des années 1990, en mêmetemps que Noemi <strong>La</strong>pzeson (lire ci-contre). Cela tombe bien :la <strong>dans</strong>e contemporaine est alors, à Genève, en train de sortirde terre. L'ADC est une structure associative, qui regroupe desspectateurs désireux de soutenir l'art chorégraphique. ClaudeRatzé va s'employer à professionnaliser son fonctionnement,et à l'ouvrir à des partenariats internationaux, notamment avecles Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, puis avec le réseau européen des Repérages. Présidentde le l'association nationale Reso- Réseau de <strong>dans</strong>e <strong>suisse</strong> de 2006à 2011, il va en parallèle s'efforcer de mener à bien le projet deMaison de la Danse à Genève : lequel, toujours <strong>dans</strong> les cartons,verra le jour au mieux en 2015. De quoi vous ancrer une fois pourtoutes <strong>dans</strong> le flegmatisme. Antidote, pour Claude Ratzé : ne pasmettre <strong>tous</strong> <strong>ses</strong> œufs <strong>dans</strong> le même panier. De 1994 à 2001, il estainsi le « Monsieur Danse » du festival de <strong>La</strong> Bâtie. Et l'an passé, ils'est lancé <strong>dans</strong> une nouvelle aventure, celle du festival Antigel, quientreprend de séduire les communes de l'agglomération genevoiseavec des formes hybrides et contemporaines. Cumul des mandats ?Non. Simple désir de faire partager, toujours davantage, unepassion chevillée au corps. J-M. A.malmener les lois et codes qui régissent l'espace de représentation <strong>dans</strong>A Piece danced alone (2011). Néo-Zélandaise d'origine anglaise,aujourd'hui installée à Zurich après avoir participé à trois créations deMeg Stuart, Simone Aughterlony cherchait elle aussi, <strong>dans</strong> son premiersolo, Public Property (2004), à mettre à l'épreuve les liens de connivenceentre scène et public. Dans We Need to Talk, qui sera créé fin mars auHebbel Theater à Berlin avant d'être présenté en mai à la Kaserne Basel,Simone Aughterlony glisse pour la première fois des élémentsautobiographiques. « Ses principales interrogations, écrit Julia Wehren,concernent la représentation et la feinte sur scène, la frontière entre fictionet réalité, l'authenticité des gestes et des émotions. » (4)Un maillage fédéralImpossible de tendre à l'exhaustivité <strong>dans</strong> ce rapide tour d'horizonde la scène chorégraphique <strong>suisse</strong> contemporaine. Citons encore JessicaHuber (qui crée fin mars à <strong>La</strong>usanne The Rebellion of The Silent Sheep),Pascal Gravat et Prisca Harch, le Brésilien de Genève GuilhermeBotelho et sa compagnie Alias, le collectif Delgado Fuchs, lescompagnies Linga et Da Motus, Nicole Seiler (dont on attend uneinstallation multimédia au Musée historique de <strong>La</strong>usanne à partirdu 22 mars, et un projet de performance cet été au Festival de la Citéà <strong>La</strong>usanne), sans oublier le très prolifique Foofwa d'Imobilité, énergiquesurvivant de la compagnie Merce Cunningham, qui a rallié la Suisse avecla besace pleine de désirs de création, comme on a pu en juger lors dudernier festival de <strong>La</strong> Bâtie. Le 5 avril à l'Usine de Genève, il vaparticiper à l'hommage rendu par l'Orchestre symphonique de Genève àJohn Cage, avant d'attaquer les répétitions d'un nouveau projet prévupour la Fenice de Venise, en juillet 2012.En Suisse, la <strong>dans</strong>e contemporaine ne manque donc pas d'artistes,fussent-ils « venus d'ailleurs ». Une quarantaine de théâtres et defestivals s'en font les promoteurs plus ou moins assidus. Entre 2002 et2006, Pro Helvetia et l'Office Fédéral de la Culture ont lancé le « ProjetDanse », d'envergure nationale, qui avait pour mission d'améliorer lasituation de la <strong>dans</strong>e contemporaine en Suisse. Plutôt que d'importer lemodèle français, centralisé, d'un Centre national de la <strong>dans</strong>e, il a étéchoisi de favoriser un maillage fédéral, en développant spécificités deslieux et esprit de coopération. Certains budgets pour la <strong>dans</strong>e ont étéaugmentés (Dampfzentrale à Berne, Kaserne à Bâle, Tanzhaus à Zurich,ADC à Genève), en même temps que certaines administrations localesétaient sensibilisées à la <strong>dans</strong>e contemporaine, ce qui a permisd'impliquer des régions rurales. En outre, une plate-forme communede travail, de réflexions et d'actions a été instaurée : Reso - Réseau<strong>dans</strong>e <strong>suisse</strong> (5) .Le projet d'une Maison de la Danse, porté depuis 1998 par l'ADCà Genève, reste pour sa part <strong>dans</strong> les starting blocks, après plusieursmalencontreux « faux départs » (6) . Une perspective semble enfinse dégager, autour d'un Pavillon de la <strong>dans</strong>e, inspiré du bâtiment duCentre chorégraphique de Rillieux-la-Pape conçu par Patrick Bouchain,qui s'immiscerait place Sturm, <strong>dans</strong> le centre historique de Genève.Un lieu resté résiduel après la destruction en 1850 des anciennesfortifications qui encerclaient Genève, <strong>dans</strong> la foulée de la Révolutionradicale de 1846. Tout au long du XX e siècle, divers projets prévus placeSturm (un musée d'Histoire naturelle, un Musée d'ethnographie, unHôtel des Archives) sont restés lettre morte. Dans le dernier journalde l'ADC (janvier-mars 2012), l'historien de l'art David Ripoll écrit :« <strong>La</strong> place Sturm mérite une palme, celle des lieux qui résistent auxaspirations sinon d'une ville entière, du moins de ceux qui travaillentà son avenir. » <strong>La</strong> <strong>dans</strong>e contemporaine réussira-t-elle, avec sonmodeste mais nécessaire Pavillon, à conjurer cette fatalité et à obtenirenfin un « droit de cité » que Genève ne lui accorde encore quetrès parcimonieusement ?/ Jean-Marc Adolphe est directeur et rédacteur en chef de la revue <strong>Mouvement</strong>.1 Hugo Loetscher, Der Waschküchenschlüssel und andereHelvetica (1983) - Si Dieu était Suisse, traduction parGilbert Musy, Fayard.2 Marie-Pierre Genecand, « Lignes abstraites pour corpsofferts », Le Phare, journal du CCS, mai-juillet 2010.3 Alexandre Demidoff, « Danseu<strong>ses</strong> en état de grâcesidérale », Le Temps, 7 juin 2007.4 Julia Wehren, « Les mots, à la source du mouvement »,Passages, magazine culturel de Pro Helvetia, n° 57, mars2011.5 www.reso.ch6 Voir, sur le site Internet de l'ADC, la chronologie préciseet détaillée des nombreu<strong>ses</strong> péripéties qui ont entravéjusqu'à aujourd'hui la concrétisation de ce projet de Maisonde la Danse. www.adc-geneve.ch
- Page 1: cahier spécialLa scènesuissedans
- Page 5 and 6: Le théâtre Equilibreà Fribourg.
- Page 7 and 8: Sous la glace, mise en scèneAndrea
- Page 9 and 10: Le théâtre de Genève :cet obscur
- Page 11 and 12: Les voitures renversées,installati
- Page 13 and 14: Domenico Billari, 2010.Photo : Nell
- Page 15 and 16: Cynthia Odier, âme de FluxPourquoi
- Page 17 and 18: Marges etfrontières,appartenances,
- Page 19 and 20: Sand de Sebastian Nübling.Photo :
- Page 21 and 22: Valaisans ont changé leur regard s
- Page 23: Foofwa d'Imobilité,Musings, 2009,
- Page 27 and 28: L'Avenir seulement, deMathieu Berth
- Page 29 and 30: Quartier Lointain,librement adapté
- Page 31 and 32: Comme unyoghourt nature/ Eric Demey
- Page 33 and 34: Plusieurs plates-formespermettent a
- Page 35 and 36: Quand jouer,c'est faire/ Anna Hohle
- Page 37 and 38: Glassed, de YannMarussich, Théâtr
- Page 39 and 40: « Nous voulionstordre les codesde
- Page 41 and 42: Fritz Hauser. Photo : PriskaKettere
- Page 43 and 44: Une redéfinitionde la notion de th
- Page 45 and 46: Faire école/ Bruno TackelsLes « a
- Page 47 and 48: Matthieu Fayette, FlorianeMésenge,