effectivement <strong>dans</strong> certaines scènes à rendre tangible l'impensable.L'un des crimes les plus sombres des dernières décennies devient notreaffaire, à nous aussi.Politique et mécanique quantiquePar ce mélange d'immédiateté et de pertinence, les projets de théâtreusant de stratégies documentaires ont également contribué àrepositionner, au cours des dernières années, la notion de théâtrepolitique. A ce propos, l'on remarque qu'à côté de travaux traitant ensoi de thèmes politiques, les projets documentaires ont donné naissanceà un genre qui se révèle politique par la forme plus que par le fond,étant plus enclin à la présentation qu'à la représentation. En effet, que latransposition sur scène d'une enquête <strong>dans</strong> le monde dit réel ait conduità l'une des tendances les plus intéressantes de ces dernières années<strong>dans</strong> le théâtre de langue allemande n'est bien sûr pas sans rapport avecle malaise de nombreux praticiens de théâtre face à la mise en scèneconventionnelle de textes littéraires, <strong>dans</strong> le cadre de laquelle ce n'estpas la réalité mais l'art qui constitue le motif d'une soirée théâtrale.Fondé en 2006, le groupe bâlois Capri Connection se voue lui aussiau travail documentaire et joue à sa façon du matériel de <strong>ses</strong> enquêtes.Les acteurs récitent sur scène les textes trouvés lors de leurs recherches– dossiers, lettres, interviews –, composant sciemment des situationsthéâtrales aux limites de l'artificialité. Dans Ars Moriendi, spectacle invitéau festival Impulse 2011 (qui rassemble le meilleur de la scèneindépendante de langue allemande), ils confrontent par exemple lescomptes rendus d'un débat-fleuve mené à Tübingen en 1983 parquelques philosophes allemands autour de L'Echange symbolique etla mort de Baudrillard à de la musique baroque, pour une soirée touteen légèreté sur l'inexorabilité de la mort et notre rapport à celle-ci.Le thème de leur nouveau projet semble en revanche n'avoir rien dethéâtral, puisqu'il s'agit de recherche fondamentale en physique. PourDer Urknall oder die Suche nach dem Gottesteilchen (Le Big Bang ou lachasse à la particule divine), le groupe a enquêté au Centre européende recherche nucléaire, le CERN, à Genève, où les scientifiques tententà l'aide du plus grand accélérateur de particules de débusquer le bosonde Higgs (cette fameuse particule divine), qui n'a pour l'heured'existence que théorique. Ce que les scientifiques ont expliqué àpropos d'antimatière, de physique des particules ou de mécaniquequantique, les acteurs le racontent au public sur une scène dépouillée,meublée de tables de conférence, de vidéo-projecteurs et de panneauxd'affichage. Leur jeu reste, ce faisant, très proche du comportement despersonnes qu'ils ont rencontrées, que ce soit <strong>dans</strong> le geste duconférencier, mais aussi <strong>dans</strong> le cheminement de la réflexion ou <strong>dans</strong> lavolonté de convaincre. Au sérieux de cette attitude se mêlentl'étonnement et parfois le sourire, face à cette masse de connaissancesqui évolue aux frontières du savoir. <strong>La</strong> capitulation fait partie du projet,constitue peut-être même la condition préalable à l'émergence, au-delàdes explications scientifiques, de questions aussi existentielles quepersonnelles : qu'en est-il de nous les humains, <strong>dans</strong> cet univers dontnous savons tant de cho<strong>ses</strong>, mais pas (encore) tout, justement ?Ici encore, le théâtre documentaire est un théâtre construit, qui jouesur la corde raide entre pièce à conviction et artifice, à la poursuited'authenticité et de crédibilité. Il met en évidence – <strong>dans</strong> le meilleurdes cas – que l'art et la réalité ne se contredisent pas. Du moins pasau théâtre.Hate Radio, parl’International Instituteof Political Murder.Photo : Daniel Seiffertscène <strong>suisse</strong> / 42
Faire école/ Bruno TackelsLes « accords de Bologne », qui visentà l'harmonisation des diplômes à l'échelleeuropéenne, ont déclenché en Suisseune véritable mutation des établissementsde formation artistique. Approche d'unedynamique qui pourrait bien faire école…A <strong>La</strong>usanne, l'ancienne manufacture de taille de pierres précieu<strong>ses</strong>accueille depuis 2003 une école de théâtre atypique, qui expérimenteune nouvelle manière de concevoir la formation des artistes de la scène.<strong>La</strong>boratoire destiné à construire une pédagogie en prise directe avec laréalité des métiers de la scène, ce projet novateur démontre clairementqu'il est possible de faire des contraintes une force, et que l'applicationdes accords de Bologne, si laborieuse en France (voire inquiétante, tantchaque école semble livrée à elle-même, sans aucune vision, ni boussoleministérielle), peut engendrer un processus dynamique, capable derenforcer largement les écoles. Tel est le défi relevé par la Manufacture,confiée dès sa création en 2003 à des artistes en activité : YvesBeaunesne, puis Jean-Yves Ruf, et aujourd'hui Frédéric Plazy, qui adécidé de faire de ce projet pédagogique, pour lui et pour l'école,un enjeu artistique à part entière.Devenant « Haute école spécialisée », la Manufacture a mis en placede nouveaux diplômes qui valorisent à la fois la dimension pratiqueet artistique, ainsi que la reconnaissance d'un véritable travail théoriqueet universitaire. Cette nouvelle situation est pleine de promes<strong>ses</strong> :comment les écoles artistiques peuvent-elles s'enrichir en délivrant uneformation de rang équivalent à celui de l'université ? Pour être à lahauteur de ce nouveau défi, les autorités <strong>suisse</strong>s ont su se donner lesmoyens de leur politique. L'école de la Manufacture est ainsi devenue« Haute école spécialisée », un statut qui lui a permis d'intégrer demanière harmonieuse les exigences des nouveaux diplômes de valeuruniversitaire. <strong>La</strong> formation de comédien en trois ans a ainsi pu devenirune licence en bonne et due forme, mêlant des cours pratiques etthéoriques, dispensés par l'équipe pédagogique de l'école.L'enjeu est considérable, mais pas sans embûches. Avec le risque de voirla règle l'emporter sur l'exception, et les artistes, essentiels <strong>dans</strong> lesécoles, relégués au rang de variable d'ajustement. Le moule desstructures européennes risque en effet de formater les différents projetsartistiques, et d'en assécher les contrastes. Ce risque, qui n'épargneévidemment pas la Suisse, semble trouver <strong>dans</strong> le paysage helvétiquel'amorce de quelques véritables répon<strong>ses</strong>, dont on souhaite qu'ellesse généralisent d'urgence en Europe. Comme celle-ci : les écoles d'artpeuvent produire et délivrer par elles-mêmes leurs diplômes deBachelor (licence) et de Master.Assumer les exigences d'un diplôme supérieur a donc permis à l'écolede la Manufacture de se doter d'un véritable pôle théoriqued'enseignement et de recherche, comme l'explique Frédéric Plazy :« <strong>La</strong> Manufacture est entrée <strong>dans</strong> le giron <strong>suisse</strong> des Hautes écolesspécialisées en 2008 avec pour mission d'accueillir d'autres disciplinesartistiques et de développer d'autres champs spécifiques comme laRecherche-création et la Formation continue notamment. » Cette ambitions'est traduite par l'inscription <strong>dans</strong> l'école d'un pôle « Recherche etdéveloppement », animé par Anne-Catherine Sutermeister,délibérément orienté sur la relation que la scène entretient avec l'autre :l'autre discipline, le monde, la science. A également été créé « Sinlab »,un laboratoire international, conduit par Jeffrey Huang, en partenariatavec l'Ecole Polytechnique fédérale de <strong>La</strong>usanne, la Haute école des artsde Zürich et le département des arts du spectacle de Munich. Cegroupe de chercheurs, notamment animé par le philosophe Jens Badura,vient de lancer un programme d'expérimentations <strong>dans</strong> le cadre duquelles nouvelles technologies seront mi<strong>ses</strong> au service de la scène, en liendirect avec les étudiants du nouveau Master « Mise en scène », quiouvre <strong>ses</strong> portes à la rentrée 2012.De nouveaux modesde transmissionet de coopération.Un tel projet permet d'imaginer de nouvelles relations entre le mondede la formation et celui de la recherche, celui de l'expérimentation, quipermet d'observer une même question depuis deux points de vuedifférents, celui de la création, et celui de la construction intellectuelle– l'ensemble au service de la transmission aux jeunes artistes enformation. Pour assumer un tel projet, il était nécessaire d'accueillir desartistes en résidence, comme c'est le cas pour Fabrice Gorgerat,actuellement en résidence avec un travail de recherche et de créationautour de Médée, transposée <strong>dans</strong> le contexte de Fukushima.Concrètement, ce contact direct avec des artistes porteurs de nouvellesformes d'écriture scénique permet aux élèves d'appréhender toute lacomplexité de la création contemporaine, en assumant de véritableschoix artistiques. D'où l'éclectisme des intervenants choisis par l'école,à charge pour le directeur de les coordonner pour faire apparaître« une véritable dramaturgie cohérente du cursus de formation ».Cette exigence de recherche pratique est également en train depermettre l'élaboration de nouveaux modes de coopération entre lesécoles, et même entre les zones linguistiques. C'est ainsi que les quatre
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