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Numéro 35 - Le libraire

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Littérature québécoiseC LARA N ESSDans l’ombre de la familleAttrapée au vol alors qu’elle pliait bagages pour la Ville Lumière, Clara Ness m’a parlé avecenthousiasme de l’écriture de Genèse de l’oubli, son deuxième roman. Ce faisant, elle a aussiabordé la vie en France où elle poursuit des études en <strong>Le</strong>ttres, Arts et Pensée contemporaine, de mêmeque ses découvertes en marge de ses études et du Prix littéraire des collégiens, pour lequel elle était enlice pour une deuxième année d’affilée. À l’évidence, pour cette jeune écrivaine et <strong>libraire</strong> à ses heures,la littérature et les mots sont à la fois sources de bonheurs et d’enseignements.© Nicolas UrlacherCLARA NESSPar Benny VigneaultGenèse de l’oubli, paru en avril dernier, arrive unan à peine après Ainsi font-elles toutes, premierroman signé sous ce pseudonyme et qui a reçu unaccueil critique fort élogieux. Lancer un ouvragedans le sillon d’un autre qui a connu un certainsuccès comporte pour l’écrivain une part derisques, dont celui de chercher à être à la hauteurdes attentes de ses lecteurs. Mais, dans un mêmetemps, il propose aussi de nombreux défis dont, enpremier lieu, celui de rester fidèle à soi-même et dese dépasser tout autant que la fois précédente.« Avec ce deuxième roman, j’aivoulu faire quelque chose de radicalementdifférent, qui sortait de lasphère des fantasmes, explique ClaraNess en faisant référence au romanprécédent. Lorsque j’ai écrit le premier,je me suis beaucoup attardéeau style, je suis revenue sur chaquemot, un vrai travail de moine! <strong>Le</strong>deuxième, je l’ai abordé davantage enfonction du scénario, de la constructiondu récit, de la logique de l’action.C’est vrai que Genèse de l’oubli faitune coupure avec Ainsi font-ellestoutes. Mais je persiste à croire queces deux romans ne sont pas siéloignés l’un de l’autre, finalement. »© Louis DesjardinsSe libérer de la famille :un passage obligéGenèse de l’oubli raconte l’histoire de deuxamoureux qui arrivent, chacun à leur manière, àun moment charnière de leur existence. Hadrien,français d’origine, roule sa bosse de conducteur detaxi dans sa Ford Thunderbird. Onze ans plus tôt,il a quitté sa famille et un père aliénant pours’installer à Québec. Ariane, pour sa part, a quittésa famille bourgeoise de Sainte-Foy pour le quartierSaint-Roch et une vie plus bohème. Elle estcomédienne. Tous deux vivent avec leur petite Lilidans un appartement. Tous deux ont décidé unjour de se libérer de l’emprise familiale et de prendreen main leur destinée. Ils doivent maintenantadmettre la part cachée de leurs origines. Voilàl’autre grand défi de leur nouvelle vie.Ce nouveau roman de Clara Ness est le produit desrecherches de l’auteure dans deux champsd’intérêts : la question de la filiation, chère à beaucoupd’écrivains du XIX e siècle, et la psychogénéalogie,par le biais de certains de ses concepts.Dans cette perspective, et sous ces deuxéclairages, le roman place la question de l’identitémoins comme une quête que comme une entreprisede (re)construction.« Je me suis plongée dans Balzac, dans Zola, soulignet-elle.Après la révolution française, en ce qui a trait àla cellule familiale, une figure forte du père vient palliercelle du roi qu’on vient de décapiter. Au XIX e siècle,certains ont voulu briser cette figure. Mais il y avaitdes limites à cette idée de self-made man. On finittoujours par se demander d’où on vient. <strong>Le</strong> milieu quinous a vus naître nous rattrape toujours. La psychogénéalogie,pour sa part, s’intéresse aux relationsqu’on entretient avec des ancêtres un peu pluséloignés --- grands-parents, arrière-grands-parents etmême des générations qu’on n’a pas connues. Il y ades secrets de famille d’une grande importance (descas d’inceste ou encore des viols ou des enfantscachés) qui, parce que jamais révélés et assumés, setransmettent d’inconscient à inconscient et peuventexpliquer l’apparition de névroses chez certainsdescendants. »Il y a donc aussi en jeu dans ce roman de Clara Ness,qui constitue la rencontre de deux arbresgénéalogiques, ce que Jung appelle « l’inconscientcollectif ».L’oubli, point central du romanGenèse de l’oubli se divise en deux parties intituléestout simplement « Hadrien » et « Ariane ».Lorsqu’ils sont partis en exil loin de leurs famillesrespectives, les deux protagonistes se sont délivrés desliens qui entravaient leur liberté. Des événementsmajeurs vont les obliger à remettre en question lalégitimité même de leur éloignement : la mort dupère d’Hadrien et la naissance de leur enfant. <strong>Le</strong>s deuxparties du roman offrent le point de vue de l’un et del’autre alors que leur passé les rattrape. Selon l’auteurede Genèse de l’oubli, « Ariane et Hadrien réalisentqu’ils ne peuvent échapper à ce qui les renvoie à leurfamille, surtout parce qu’ils ont un enfant à leur touret qu’ils se demandent : Qu’est-ce que je vais luiléguer? Qu’est-ce que je vais lui cacher? Commentvais-je lui présenter mes propres parents? Comment, entant que parent, dois-je me positionner face à mon enfanten tant que propre enfant des grands-parents de celui-ci?C’est ce genre de questions qu’ils se posent en tant quejeunes parents. »Émile Cioran, dans l’un de ses essais, souligne que ce sontles défaillances de notre mémoire qui nous permettent decontinuer à vivre. Si Hadrien parvient finalement à prendrel’avion pour assister aux funérailles de son père aprèstout ce que ce dernier lui a fait endurer, si Ariane acceptede rendre visite à ses parents et de leur permettre demieux connaître leur petite-fille, c’est grâce autravail du temps et de l’oubli. L’appel de leurssouvenirs, qui ponctue çà et là le déroulementdu récit, montre l’évolution parcourue par lesdeux personnages sur le plan personnel. Làréside certainement leur « cure ». Hadrien,observateur des gens qu’il côtoie dans son taxi,et Ariane, par l’entremise des personnagesqu’elle incarne, sont à même de réaliser que lemonde ne s’arrête pas simplement au petitunivers dans lequel ils vivent.© Karel Appel et Pierre Alechinsky, <strong>Le</strong>s ancêtres chuchotent, 1976.« Oui, l’oubli est au centre de ce roman, maisc’est un oubli qui n’est pas naïf, explique ClaraNess. C’est un oubli qui opère une fois qu’onest au courant. Il ne s’agit pas juste d’ignorancecrasse ou d’indifférence à l’égard del’histoire avec un grand ou un petit « h ».L’oubli, pour Hadrien et pour Ariane, opère vraiment unefois seulement qu’ils savent qu’ils peuvent se permettred’oublier. Pour construire sa propre famille, il faut savoiroublier. »Voir un grand défi dans l’écriture du roman qui suit la réussited’un premier est un leurre : le véritable défi, c’est letroisième. Celui qu’on écrit avec les mêmes doutes et lamême angoisse que les précédents mais sans l’élanqu’avait insufflé le premier. Il faut y croire.Genèse de l’oubliClara Ness,XYZ éditeur,coll. Romanichels,116 p., 20$Ainsi font-elles toutesClara Ness,XYZ éditeur,coll. Romanichels,126 p., 20$J U I L L E T - A O Û T 2 0 0 610

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