Littérature étrangèreNouveautésAprès le succès international de son premier roman, <strong>Le</strong>Bal des imposteurs, le jeune prodige de la littératureanglo-saxonne, Richard Mason, revient en force avec unsecond roman captivant, flirtant entre thriller psychologiqueet chronique de mœurs. Dans l’univers clos dela prestigieuse Université d’Oxford, un trio de trentenairesdésabusés se forme autour de Maggie, une adolescenteintransigeante et passionnée, les menant dans undangereux tourbillon de relations malsaines. Tantôt uniespar la complicité, tantôt indistinctes du fait de la tensiondramatique accrue, les trois voix, celles de Julian,d’Adrienne et de Jake, le frère, l’amie et l’amant, évoquentdans ce récit l’enchaînement tragique et douloureux de leur destinée à cellede la jeune femme, véritable mésadaptée sociale. Nous, c’est la démonstrationque « l’enfer, c’est les autres ».NOUSRichard Mason, JC Lattès, 381 p., 29,95$Daniel, haut comme trois pommes, vit au village avec samère et ses grands-parents. Hormis Julien, son aïeul, onne trouve plus d’hommes aux alentours. La guerre les aravis. Curieux grand-père, qui a décroché du monde etd’une carrière de professeur de géographie pour s’abandonnerà l’ésotérisme. Reste la grand-mère Germaine, quiporte dans son nom le caractère d’une solide paysanne.Dans ce monde sans papa, la mère de Daniel, la joyeuseRosalba, peuple sa désolation en lisant un gros livre rouged’où sortent des mots étranges comme Éros, Gaïa etOuranos. Devenu géographe, Daniel, en mission auMexique, retrouve Ourania, ce pays de l’enfance qu’il porte en lui, en visitantdeux utopies, Campos, avec sa langue, entre l’espéranto et les chantsd’oiseaux, et Emporio, communauté philosophique. C’est du <strong>Le</strong> Clézio.OURANIAJ. M. G. <strong>Le</strong> Clézio, Gallimard, coll. Blanche, 298 p., 29,95$« Qu’advient-il de l’amour quand l’être aimé disparaît? » :cette question angoissante constitue le cœur d’Un crid’amour au centre du monde. Vendue à 3 500 000 millionsd’exemplaires au Japon, adaptée au cinéma et sousforme de manga, cette histoire de passion pudique entredeux adolescents éblouit par sa subtilité, sa pureté et sadélicatesse. De plus, elle nous offre une vision intimiste dela société nipponne. Sakutaro et Aki se connaissent depuisla petite école. À l’adolescence, des sentiments amoureuxont naturellement germé. Mais au moment où les rapprochementsphysiques sont de mise et où les rêvesd’avenir se construisent, les tourtereaux voient leur bonheurdétruit par la maladie d’Aki, qui succombera à uneleucémie. Il y un avant et un après : comment continuer à vivre sans trahir lesouvenir de l’aimée? Douloureusement touchant.UN CRI D’AMOUR AU CENTRE DU MONDEKyoichi Katayama, Presses de la Cité, 233 p., 26,95$L’été de ses 9 ans, Eddie perd sa meilleure amie. Cettedernière n’est pas malade. Elle n’a pas déménagé non plus :Eddie est de la classe moyenne et la mère d’Amanda tientson rang. Trente ans passent. Eddie est ingénieurchimiste, marié à Tanya, brillante doctorante. Noussommes à la fin des années 80, au moment où la Bourseremplace la circulation aux bulletins télévisés. Tandis quele gouvernement québ... australien liquide le patrimoinepublic, le cours s’effondre brutalement. Eddie sera sauvépar Amanda… Dans cette charge contre le néolibéralisme,cette critique de l’approche-client des universités, ce discourssur la civilité, cet hymne à l’amour, bref, ce roman,il est aussi question d’Elvis et de Joy Division. Certains livres ont les défautsde leurs qualités. Boîte à surprises sur la vie ordinaire, Trois dollars, premierroman de l’auteur d’Ambiguïtés, a plutôt les qualités de ses défauts.TROIS DOLLARSElliot Perlman, Éditions Robert Laffont, coll. Pavillons, 403 p., 29,95$Ascension, chute et renaissance : L’Infortunée raconte lefabuleux destin de Rose, fille adoptive de Lord GeoffroyLoveall, l’homme le plus riche d’Angleterre. Londres, dansles années 1820. Recueillie dans un tas d’ordures, l’orphelineest élevée dans le plus grand luxe, vivant dans unmanoir entourée de domestiques. Elle remplace ensomme la sœur de Loveall, décédée en bas âge, un drameque l’homme n’a jamais pu oublié. Tellement que le faitque Rose soit en réalité un garçon n’a pas compté lors desa découverte… À l’instar de l’irrésistible Sugar, imaginéepar Michel Faber (La Rose pourpre et le Lys, Boréal,2005), la Rose de L’Infortunée séduira les lecteurs goûtantles héroïnes fortes et imprévisibles. Ce suspense victorien très maîtrisé signépar Wesley Stace, un premier roman pour ce musicien ayant accompagnéBruce Springsteen, a connu un succès considérable.L’INFORTUNÉEWesley Stace, Flammarion, 466 p., 39,95$Kath, Ruth et Tommy ont vécu ensemble dans un coinretiré de la campagne anglaise, dans un pensionnat paradisiaqueoù on leur donne affection et attention. Desannées après avoir quitté ce nid douillet, Kath s’engagedans les sentiers de sa mémoire pour parvenir petit à petità peindre la cage derrière les barreaux dorés. Kath est uneaccompagnante. Ses amis étaient en fait des clones cultivéspour leurs organes, que l’on berce hypocritementjusqu’à l’âge adulte. À quoi rêvent les poulets nourris augrain? À partir d’une histoire qui évoque à la fois laModeste proposition… de Jonathan Swift et le DoAndroids Dream of Electric Sheep? de Philip K. Dick, l’auteurbritannique d’origine japonaise Kasuo Ishiguro, lauréat du Booker Prizeen 1989 pour <strong>Le</strong>s Vestiges du jour, est issu de la meilleure tradition du romanpsychologique.AUPRÈS DE MOI TOUJOURSKazuo Ishiguro, Fides, 441 p., 29,95$Il y a trop longtemps que l’on n’avait pas eu la chance delire Alistair Mac<strong>Le</strong>od. Depuis le déchirant La Perte et leFracas, en fait (Boréal, 2001). Ayant peu publié bien qu’ilsoit traduit dans une douzaine de langues, Mac<strong>Le</strong>od est néau Cap-Breton en 1936 dans une famille d’immigrés écossais.Retraité de l’enseignement, il n’est certes pas leromancier qui fait le plus de vagues. Et pourtant... AvecChien d’hiver, un recueil de seize nouvelles écrites entre1968 et 1999, vous comprendrez que cet auteur à lalangue simple mais percutante remue l’âme comme peusavent le faire. À travers des personnages émouvants etdes récits modernes traversés par le spectre du passé,Mac<strong>Le</strong>od se penche sur le grand thème de son œuvre : la transmission de l’histoirelorsque deux cultures nous habitent. Littéralement magnifique.CHIEN D’HIVERAlistair Mac<strong>Le</strong>od, Éditions de l’Olivier, 390 p., 39,95$Pour grandir et s’épanouir, il faut nécessairement connaîtreses racines. Ce besoin absolu d’origines, ce« besoin de famille » insatiable et la solitude qui s’y rattachenourrissent, de livre en livre, Stéphanie Janicotdepuis Matriochkas. Autour de la figure du père, Ceteffrayant besoin de famille traite avec subtilité des relationsfamiliales alimentées de trahisons, de secrets et,heureusement, d’affection. À sa mort, Pablo Albaràn laisseun héritage plus complexe qu’une liasse d’euros : quatreenfants de trois femmes différentes, illégitimes etlégitimes, italiens et français. C’est Santa, dont la vie esten panne sur les plans professionnel et amoureux à l’aubede la quarantaine, qui cherchera, malgré la souffrance qu’engendre la vérité.Elle pourra, de ce fait, résoudre le mystère entourant ce foyer décomposépour, enfin, voir éclore sa vie.CET EFFRAYANT BESOIN DE FAMILLEStéphanie Janicot, Albin Michel, 252 p., 25,95$J U I L L E T - A O Û T 2 0 0 612
Littérature étrangèrele <strong>libraire</strong> CRAQUE<strong>Le</strong>s ConspirateursShan Sa, Albin Michel,281 p., 26,95$Dans ce nouveau roman, Shan Sanous livre une percutante histoired’espionnage. Ayamei est une militantechinoise qui, aprèsTiananmen, a obtenu l’asile politique en France.Jonathan est un Américain qui s’installe à Paris, prèsd’Ayamei. Philippe, un politicien français, veut s’assurerune retraite confortable. Alors que personne n’estce qu’il prétend être et que chaque mot prononcé estpesé, ces personnages évolueront et seront entraînésbien malgré eux sur une route imprévue. L’auteuremaîtrise magnifiquement l’art de dévoiler des secretsau compte-gouttes sans jamais forcer la note. Ceroman nous fait découvrir les changements qui se sontproduits et qui se produisent encore en Chine, demême que le combat perpétuel de ses habitants.Véronique Bergeron MonetDans la tête dufrelonJerome Charyn, Mercure deFrance, coll. Bibliothèqueétrangère, 372 p., 47,50$Seize écrivains se partagent lascène de Dans la tête du frelon,une anthologie de littérature juive américaine dirigéepar Jerome Charyn. L’ouvrage nous offre une brèveprésentation des auteurs, accompagnée d’extraits deleurs œuvres les plus marquantes. C’est le monumentalSaul Bellow qui ouvre les hostilités avec « <strong>Le</strong>saventures d’Augie March », inévitable point de départde ce recueil. Puis suivent ceux qui empruntèrent lemême chemin à leur façon : Philip Roth (Portnoy etson complexe), Allen Ginsberg (Kaddish), Henry Roth(L’Or de la terre promise), <strong>Le</strong>onard Cohen (<strong>Le</strong>sPerdants magnifiques), Herbert Gold (Pères) etJerome Charyn lui-même (Rue du Petit-Ange). Unelecture pleine de découvertes, bourrée de souvenirsagréables qui donnent envie de se replonger dans certainesœuvres. Ce livre ne prétend pas être une bible.Il ne s’agit que d’un survol, une petite fenêtre ouvertequi laisse entendre les mots qui bourdonnent dans latête du frelon. Charles Quimper PantouteJe viens de tuerma femmeEmmanuel Pons, Arléa,coll. 1 er mille, 155 p., 26,95$Découverte surprenante que ceroman paru dans la belle collection1 er mille! Dans un petitdébarras, le narrateur, las de sa vie conjugale où la passions’est éteinte, tue sa femme froidement. Convaincudu bien-fondé de son geste, il prévoit tout de même serendre aux gendarmes dès le lendemain. Mais au grédes rencontres et des conversations avec les habitantsde ce village de Normandie, il finit par avouer soncrime. Or, on ne le prend pas au sérieux, on ne s’émeutpas, on écoute même distraitement! L’effet salvateurque procure habituellement l’aveu se transforme enétau et se resserre de plus en plus… D’autres meurtressurviennent… Malgré la violence de cette histoireinsensée, Emmanuel Pons dresse le portrait d’une relationétouffante et blessante dans laquelle la communicationest inexistante. Il réussit aussi le double exploitde nous faire rire aux éclats et, subséquemment, denous donner froid dans le dos…Johanne Vadeboncœur Clément Morin<strong>Le</strong>s ProdigieusesAventures dessœurs HuntElisabeth Robinson,<strong>Le</strong>s deux terres, 345 p., 29,95$Ancienne scénariste et productriceindépendante, Elisabeth Robinson a puisé dans sesannées de galère professionnelle --- dont un projetavorté d’adaptation de Don Quichotte avec RobinWilliams ---le sujet de son premier roman. Olivia Hunt,33 ans, joue des coudes parmi les requins du cinéma.Elle vient de perdre un contrat et s’est fait larguée parson petit ami. Alors qu’elle touche le fond du baril,Olivia apprend que sa cadette est atteinte de leucémie.Commencent d’incessants va-et-vient entre L.A. etShawnee Falls, dans l’Ohio. Écartelée entre son travailet sa famille, préoccupée par sa copine qui tented’avoir un enfant et hantée par le souvenir de son ex,la jeune carriériste devra faire des choix importants.<strong>Le</strong>s Prodigieuses Aventures des sœurs Hunt oppose lafutilité hollywoodienne à l’existence d’une famille declasse moyenne, en montrant avec humour et tendresseque les épreuves imposées par la vie serventtoujours de leçons. Hélène Simard le <strong>libraire</strong>La Moitié de l’âmeCarme Riera, Seuil,coll. Cadre vert, 223 p., 39,95$<strong>Le</strong> dernier roman de l’écrivainecatalane est le premier à êtretraduit en français. Quel bonheur!Riera a un style riche combinanttous les genres littéraires, de la comédie à la roadstoryen passant par le polar, ce qui donne à son œuvredes airs labyrinthiques dans lesquels il fait bon se perdrepour mieux trouver son chemin. Il n’y pas que lelecteur qui soit en quête : Maria, la jeune protagonistede 18 ans, recherche ardemment sa mère, Carme,cette moitié d’elle-même dont elle ne connaît rien. <strong>Le</strong>temps d’un entretien, mère et fille se retrouventcoincées au creux d’un sofa, obligées de se raconter. <strong>Le</strong>tandem est charmant et la réconciliation, délicate :c’est ça, une relation mère-fille! Une écrivaine à suivreà la trace. Annie Mercier le <strong>libraire</strong>Connaissance dutempsLucio Mariani, Gallimard,coll. L’Arpenteur, 83 p., 25,95$Il y a bien quelques rares poètes quis’inscrivent dans une sorte d’intemporalitéet dont la voix pourrait êtreentaillée dans une poésie de tout temps. Lucio Marianiest de ceux-là. Il est fascinant de voir au fil de notrelecture comme tous les mots de ce recueil se trouventà leur place, comme ce bouquet d’odeurs méditerranéenneset de lumières est précis et ne demandequ’à être lu à voix basse. C’est que Connaissance dutemps, recueil élégant et discipliné, capte avec force,finesse et mesure ce qui pourrait ne nous apparaîtrenormalement qu’entre les lignes, qu’à l’angle mort desmots, et il découle de cette lecture une riche impressionde prise complète sur le monde. C’est bien à cemoment que nous savons que nous sommes enprésence de très grande poésie.Jean-Philippe Payette MonetRavelJean Echenoz, Minuit,123 p., 19,95$On peut parler ici d’un roman d’atmosphère,car il a bien une gueuled’atmosphère, ce Maurice Ravel.Echenoz nous raconte les dixdernières années de la vie du compositeur, dans lesannées 1930, en campant bien le personnage dans sontemps, dandy solitaire et caractériel, à l’époque desvoyages en transatlantiques. Ravel est au sommet desa gloire, avant de sombrer dans une période dedéchéance physique durant laquelle la maladie estaccélérée par un accident. <strong>Le</strong> roman se déroule doncen deux périodes bien marquées, l’avant et l’aprèsaccident,tracées avec une distance apparente par l’auteur.Où s’arrête la vraie vie, où débute la fiction? Celan’a aucune importance tant l’auteur parvient à nousattacher à ce personnage, si particulier soit-il.Yves Guillet <strong>Le</strong> FureteurL’HôteGuadalupe Nettel, Actes Sud,233 p., 34,95$Ana, la narratrice, sait depuis l’enfancequ’un hôte intérieur se terreen elle. Attendant le moment propicepour prendre définitivementpossession de son être, La Chosesurgit parfois des profondeurs. Elles’attaque ainsi à Diego, son frère cadet, lui laissant uneétrange cicatrice sur le bras. Ce n’est que plusieursannées après la mort de son frère qu’Ana en pénètre lesecret : c’est du braille. Comprenant qu’un lien existeentre les aveugles et La Chose, la jeune femme se faitengager comme lectrice dans un institut. La véritablenature de son hôte ne tarde pas à se révéler à elle. Àl’image de la narratrice de L’Hôte, le roman deGuadalupe Nettel a deux facettes : l’une, ensoleillée,faite de magnifiques phrases poétiques qui, dans sesentrailles obscures, en dissimule une autre, profonderéflexion sur le monde. Une œuvre inquiétante etfascinante. Mireille Masson-Cassista PantouteUn nom pourun autreJhumpa Lahiri, Éditions RobertLaffont, coll. Pavillons,<strong>35</strong>5 p., 34,95$Fin des années 1960, un hôpital dela Nouvelle-Angleterre, un coupled’immigrés indiens, une naissance :c’est un garçon! Quel nom donner? <strong>Le</strong>s Ganguliaimeraient bien respecter la tradition. Mais l’administrationaméricaine s’impatiente. Puisqu’il faut vite unnom, alors ce sera Gogol! Si lourd d’émotions pour lepère, ce nom n’appartient toutefois ni à la culture bengalieni à la culture américaine. Avec le temps, sonétrangeté dit même jusqu’à l’aversion le sentimentd’étrangeté qui envahit le protagoniste principal.Talentueuse nouvelliste (Pulitzer, 2000), JhumpaLahiri signe un premier roman d’une grande maîtrisestylistique. Peintre des nuances du malaise des expatriésdans une Amérique à la fois si exotique et si familière,son récit empreint de retenue n’en acquiert queplus de force. Pour Gogol comme pour <strong>Le</strong>rmontov,« la patrie est là où l’on nous aime ».Paul-Albert Plouffe PantouteJ U I L L E T - A O Û T 2 0 0 613