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Numéro 35 - Le libraire

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Et tout le reste est littératureLittérature étrangèreLa chronique d’Antoine TanguayLa FièvreAvec le retour des beaux jours revient immanquablement la Fièvre, une étrange maladie qui, suivant les humeurs de DameMétéo, nous pousse à dénicher l’évasion sous d’autres latitudes ou, solution plus simple et plus économique, entre les pagesd’un bon bouquin. La Fièvre nous condamne à une irrésistible fuite en avant, au gré d’une prose tantôt placide, tantôt démontéecomme les mers les plus terribles des légendes. Embarquement, donc, pour un aller simple vers l’imaginaire, là où lesrivages se confondent avec le ciel.<strong>Le</strong> phare du bout du mondeJe l’avoue un peu honteusement : c’est seulement avec Garder laflamme de Jeanette Winterson que j’ai eu vent de l’existence deMelville, un éditeur au nom évocateur qui a eu l’idée de faire duvoyage, intérieur comme extérieur, sa spécialité, exploitant ainsi unfilon d’une extraordinaire richesse. Winterson, qui a fait ses premièresarmes chez Plon avec <strong>Le</strong> Sexe des cerises et Écrits sur le corps, puischez l’Olivier avec Powerbook, trouve donc un nouvel éditeur pour ceroman encensé par la critique anglo-saxonne, qui a salué la fraîcheurde son imaginaire et la grande maturité de sa prose.Si Garder la flamme s’inscrit dans la grande lignée des récits baroquesfleurant bon les embruns, précisons qu’on n’y voyage pas beaucoup.En fait, l’évocation de l’ailleurs nous parvient principalement grâceaux récits fabuleux de marins à moitié fous rapportés par Pew, le gardiende phare écossais qui, un jour, a recueilli la petite Vif-Argentaprès que celle-ci eut perdu sa mère. <strong>Le</strong>s circonstances de la tragédiesont assez singulières puisque sa « compagne de cordée » a fait unechute de la maison, perchée selon un angle audacieux sur le bord dela falaise, pour finir dans les flots. La petite Vif-Argent grandit donc encompagnie des légendes que lui raconte Pew et des histoires de genscélèbres qui auraient fréquenté ce coin de pays, balayé par les bourrasqueset oublié du reste du monde. Ainsi, un certain Charles Darwiny serait allé chercher des fossiles, tandis que Robert Louis Stevensony aurait trouvé l’inspiration. Il y a aussi ce superbe personnagenommé Babel Dark, qui a hésité longtemps entre l’amour des femmes,de Dieu ou de la science. Sur ce ton craquant d’une enfant qui ne voitpas encore la fragile frontière séparant le vrai du faux, le songe de laréalité, Vif-Argent narre les hauts et les bas de son existence et,incidemment, de sa quête amoureuse. Car c’est là que Winterson, enromantique désespérée, espère nous emmener. Pour ma part, j’aipréféré les récits de marins et la simplicité de la prose.L’enchanteur malgré luiCe sont à peu près les mêmes raisons qui m’attirent vers les eaux plustranquilles de l’œuvre de Maxence Fermine, écrivain français maintesfois comparé (à raison) à Alessandro Baricco. Il y a chez lui un sens del’enchantement, une imagination naïve auxquels seuls les esprits chagrinssavent résister. Après le plutôt décevant Tango Massaï, qui suivaitl’extraordinaire Amazone, restait à savoir si <strong>Le</strong> Labyrinthe du tempsallait être à la hauteur. Si la magie y est toujours, les références aux Milleet Une Nuits et aux légendes éternelles aussi, force est d’avouer qu’il nefaudra pas demander à ce court roman d’évasion d’être d’une grande profondeur.À partir du récit en apparence réaliste d’un chrétien partiévangéliser les Ottomans au début du XIX e siècle, Fermine dérape rapidementvers les territoires du fabuleux pour nous emporter sur une îlehors du temps, hors des cartes, où notre héros cherchera à trouver où ila échoué et, tant qu’à n’avoir que cela à faire de son temps, découvrir lesecret du « trésor de vérité ». Sans céder entièrement du conte moraliste,Fermine marche sur les traces de Gabriel García Márquez (pour larichesse de son univers) et de Luis Sepúlveda (pour le talent de fabuliste),ce qui s’avère déjà une réussite. À déconseiller aux lecteurs troppragmatiques, <strong>Le</strong> Labyrinthe du temps devrait être lu sur le bord d’uneplage, question de laisser errer son regard à l’horizon entre deuxparagraphes.Garder la flammeJeanette Winterson,Melville éditeur,249 p., 37,95$<strong>Le</strong> Labyrinthedu tempsMaxence Fermine,Albin Michel,247 p., 25,95$La Grande Île destortues-cochonsLiu Sola, Seuil,coll. Cadre vert,268 p., 36,95$<strong>Le</strong> MageJohn Fowles, AlbinMichel, 647 p., 34,95$Asie d’hier et demainL’écrivaine chinoise Liu Sola a elle aussi imaginé, dans LaGrande Île des tortues-cochons, une terre merveilleuse situéequelque part en Asie et dans un futur très lointain, en l’an 4000très exactement. La civilisation telle que nous la connaissons aété oubliée, et c’est à une relecture complète de nos originesque l’écrivaine nous convie à travers la saga d’un clan, les Ji.Réalisme, tradition et fantaisie abondent dans ce romanéchevelé qui se plaît à bousculer nos repères. Sola, qui parailleurs a vécu un temps à New York et à Londres avant derevenir à Pékin, emploie différents procédés narratifs, ajoutantà la perplexité d’un lecteur qui ne sait plus trop commentcataloguer cette histoire d’anticipation truffée de clins d’œil àl’actualité, mais qui emploie le ton historique, un bestiairefabuleux et un enrobage postmoderne pour parvenir à des finsqui ne s’éclairent que très lentement. Si vous appréciez l’imaginairedes contes ancestraux chinois ou la complexe alchimiedes êtres à l’œuvre au cœur du Rêve dans le pavillon rouge(Cao Xueqin, La Pléiade), il vous faut lire cet opus qui, à samanière, donne à voir ce que la Chine pourrait apporter à la littératuremondiale.L’île étrangeEt puisque les îles sont à l’honneur, soulignons en conclusion laréédition d’un grand livre d’un auteur qui nous a quittés l’annéedernière, non sans avoir laissé sur la littérature britanniqueune marque importante : <strong>Le</strong> Mage de John Fowles.Certes, pour bien digérer toute la portée symbolique et les jeuxde faux-semblants tendus comme autant de pièges au fil d’unenarration qui ne cesse de jouer avec nos certitudes, il faut avoirdu temps devant soi. Beaucoup de temps. Au début des années50, Nicolas Urfe est décidé à refaire sa vie et part pour l’îlegrecque de Phraxos, perdue au milieu de la mer. Là, il fait larencontre de l’énigmatique Maurice Conchis, propriétaired’une villa nommée la « Salle d’attente ». Petit à petit, la relationavec ce dernier, puis avec deux envoûtantes jumelles,devient de plus en plus étrange et la limite séparant le fantasmedu réel s’érode lentement. Au fil des hallucinations et desrécits contradictoires, le lecteur est appelé à comprendre ceque Conchis a derrière la tête. L’auteur de Sarah et le lieutenantanglais sait maintenir son suspense tout en décrivantde brillante façon l’étrangeté des lieux, théâtre d’un dramefreudien qu’on n’oublie pas de sitôt. Bref, un dépaysementtotal, dans tous les sens du terme. N’est-ce pas ce à quoi on s’attendde la Fièvre, au fond?Longtemps animateur d’émissions culturelles à la radio,Antoine Tanguay écrit (souvent à la dernière minute) dansdivers journaux et magazines. Outre les livres, Antoine atrois passions : la photographie, les voyages et ses deuxSiamois.J U I L L E T - A O Û T 2 0 0 614

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