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tr<strong>ans</strong>férés <strong>de</strong> divers points <strong>de</strong> l’empire où leur séjour avait paru<strong>com</strong>promettre les intérêts <strong>de</strong> la politique continentale. Lejeune captif qui promenait en ce moment son ennui matinalétait une victime <strong>de</strong> la puissance bureaucratique. Depuis <strong>de</strong>ux<strong>ans</strong>, un ordre parti du ministère <strong>de</strong>s Relations Extérieuresl’avait arraché au climat <strong>de</strong> Montpellier où la rupture <strong>de</strong> lapaix le surprit autrefois cherchant à se guérir d’une affection<strong>de</strong> poitrine. Du moment où ce jeune homme reconnut un militaired<strong>ans</strong> la personne du <strong>com</strong>te d’Aiglemont, il s’empressad’en éviter les regards en tournant assez brusquement la têtevers les prairies <strong>de</strong> la Cise.– Tous ces Anglais sont insolents <strong>com</strong>me si le globe leur appartenait,dit le colonel en murmurant. Heureusement, Soultva leur donner les étrivières.Quand le prisonnier passa <strong>de</strong>vant la calèche il y jeta les yeux.Malgré la brièveté <strong>de</strong> son regard, il put alors admirer l’expression<strong>de</strong> mélancolie qui donnait à la figure pensive <strong>de</strong> la <strong>com</strong>tesseje ne sais quel attrait indéfinissable. Il y a beaucoupd’hommes dont le cœur est puissamment ému par la seule apparence<strong>de</strong> la souffrance chez une femme : pour eux la douleursemble être une promesse <strong>de</strong> constance ou d’amour. Entièrementabsorbée d<strong>ans</strong> la contemplation d’un coussin <strong>de</strong> sa calèche,Julie ne fit attention ni au cheval ni au cavalier. Le traitavait été soli<strong>de</strong>ment et promptement rajusté. Le <strong>com</strong>te remontaen voiture. Le postillon s’efforça <strong>de</strong> regagner le temps perdu,et mena rapi<strong>de</strong>ment les <strong>de</strong>ux voyageurs sur la partie <strong>de</strong> lalevée que bor<strong>de</strong>nt les rochers suspendus au sein <strong>de</strong>squels mûrissentles vins <strong>de</strong> Vouvray, d’où s’élancent tant <strong>de</strong> jolies maisons,où apparaissent d<strong>ans</strong> le lointain les ruines <strong>de</strong> cette si célèbreabbaye <strong>de</strong> Marmoutiers, la retraite <strong>de</strong> saint Martin.– Que nous veut donc ce milord diaphane ? s’écria le colonelen tournant la tête pour s’assurer que le cavalier qui <strong>de</strong>puis lepont <strong>de</strong> la Cise suivait sa voiture était le jeune Anglais.Comme l’inconnu ne violait aucune convenance <strong>de</strong> politesseen se promenant sur la berme <strong>de</strong> la levée, le colonel se remitd<strong>ans</strong> le coin <strong>de</strong> sa calèche après avoir jeté un regard menaçantsur l’Anglais. Mais il ne put malgré son involontaire inimitié,s’empêcher <strong>de</strong> remarquer la beauté du cheval et la grâce ducavalier. Le jeune homme avait une <strong>de</strong> ces figures britanniquesdont le teint est si fin, la peau si douce et si blanche qu’on est20