perdue pour le mon<strong>de</strong> ; les autres voulaient savoir la cause <strong>de</strong>ses souffrances et <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> d<strong>ans</strong> laquelle elle vivait.– Eh ! bien, mon cher Ronquerolles, disait le marquis au frère<strong>de</strong> madame <strong>de</strong> Sérizy, tu enviais mon bonheur en voyant madamed’Aiglemont, et tu me reprochais <strong>de</strong> lui être infidèle ? Va,tu trouverais mon sort bien peu désirable, si tu restais <strong>com</strong>memoi en présence d’une jolie femme pendant une ou <strong>de</strong>ux années,s<strong>ans</strong> oser lui baiser la main, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> la briser. Net’embarrasse jamais <strong>de</strong> ces bijoux délicats, bons seulement àmettre sous verre, et que leur fragilité, leur cherté nous obligeà toujours respecter. Sors-tu souvent ton beau cheval pour lequeltu crains, m’a-t-on dit, les averses et la neige ? Voilà monhistoire. Il est vrai que je suis sûr <strong>de</strong> la vertu <strong>de</strong> ma femme ;mais mon mariage est une chose <strong>de</strong> luxe ; et si tu me crois marié,tu te trompes. Aussi mes infidélités sont-elles en quelquesorte légitimes. Je voudrais bien savoir <strong>com</strong>ment vous feriez àma place, messieurs les rieurs ? Beaucoup d’hommes auraientmoins <strong>de</strong> ménagements que je n’en ai pour ma femme. Je suissûr, ajouta-t-il à voix basse, que madame d’Aiglemont ne sedoute <strong>de</strong> rien. Aussi, certes, aurais-je grand tort <strong>de</strong> meplaindre, je suis très-heureux… Seulement, rien n’est plus ennuyeuxpour un homme sensible, que <strong>de</strong> voir souffrir unepauvre créature à laquelle on est attaché…– Tu as donc beaucoup <strong>de</strong> sensibilité ? répondit monsieur <strong>de</strong>Ronquerolles, car tu es rarement chez toi.Cette amicale épigramme fit rire les auditeurs ; mais Arthurresta froid et imperturbable, en gentleman qui a pris la gravitépour base <strong>de</strong> son caractère. Les étranges paroles <strong>de</strong> ce marifirent s<strong>ans</strong> doute concevoir quelques espérances au jeune Anglais,qui attendit avec patience le moment où il pourrait setrouver seul avec monsieur d’Aiglemont, et l’occasion s’en présentabientôt.– Monsieur, lui dit-il, je vois avec une peine infinie l’état <strong>de</strong>madame la marquise, et si vous saviez que, faute d’un régimeparticulier, elle doit mourir misérablement, je pense que vousne plaisanteriez pas sur ses souffrances. Si je vous parle ainsi,j’y suis en quelque sorte autorisé par la certitu<strong>de</strong> que j’ai <strong>de</strong>sauver madame d’Aiglemont, et <strong>de</strong> la rendre à la vie et au bonheur.Il est peu naturel qu’un homme <strong>de</strong> mon rang soit mé<strong>de</strong>cin; et, néanmoins, le hasard a voulu que j’étudiasse la46
mé<strong>de</strong>cine. Or, je m’ennuie assez, dit-il en affectant un froidégoïsme qui <strong>de</strong>vait servir ses <strong>de</strong>sseins, pour qu’il me soit indifférent<strong>de</strong> dépenser mon temps et mes voyages au profit d’unêtre souffrant, au lieu <strong>de</strong> satisfaire quelques sottes fantaisies.Les guérisons <strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong> maladies sont rares parcequ’elles exigent beaucoup <strong>de</strong> soins, <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> patience, ilfaut surtout avoir <strong>de</strong> la fortune, voyager, suivre scrupuleusement<strong>de</strong>s prescriptions qui varient chaque jour, et n’ont rien <strong>de</strong>désagréable. Nous sommes <strong>de</strong>ux gentilshommes, dit-il en donnantà ce mot l’acception du mot anglais gentleman, et nouspouvons nous entendre. Je vous préviens que si vous acceptezma proposition, vous serez à tout moment le juge <strong>de</strong> maconduite. Je n’entreprendrai rien s<strong>ans</strong> vous avoir pour conseil,pour surveillant, et je vous réponds du succès si vous consentezà m’obéir. Oui, si vous voulez ne pas être pendant longtempsle mari <strong>de</strong> madame d’Aiglemont, lui dit-il à l’oreille.– Il est sûr, milord, dit le marquis en riant, qu’un Anglais pouvaitseul me faire une proposition si bizarre. Permettez-moi <strong>de</strong>ne pas la repousser et <strong>de</strong> ne pas l’accueillir, j’y songerai. Puis,avant tout, elle doit être soumise à ma femme.En ce moment, Julie avait reparu au piano. Elle chanta l’air<strong>de</strong> Sémirami<strong>de</strong>, Son regina, son guerriera. Des applaudissementsunanimes, mais <strong>de</strong>s applaudissements sourds, pour ainsidire, les acclamations polies du faubourg Saint-Germain, témoignèrent<strong>de</strong> l’enthousiasme qu’elle excita.Lorsque d’Aiglemont ramena sa femme à son hôtel, Julie vitavec une sorte <strong>de</strong> plaisir inquiet le prompt succès <strong>de</strong> ses tentatives.Son mari, réveillé par le rôle qu’elle venait <strong>de</strong> jouer, voulutl’honorer d’une fantaisie, et la prit en goût, <strong>com</strong>me il eûtfait d’une actrice. Julie trouva plaisant d’être traitée ainsi, ellevertueuse et mariée ; elle essaya <strong>de</strong> jouer avec son pouvoir, etd<strong>ans</strong> cette première lutte sa bonté la fit suc<strong>com</strong>ber encore unefois, mais ce fut la plus terrible <strong>de</strong> toutes les leçons que lui gardaitle sort. Vers <strong>de</strong>ux ou trois heures du matin, Julie était surson séant, sombre et rêveuse, d<strong>ans</strong> le lit conjugal ; une lampe àlueur incertaine éclairait faiblement la chambre, le silence leplus profond y régnait ; et, <strong>de</strong>puis une heure environ, la marquise,livrée à <strong>de</strong> poignants remords, versait <strong>de</strong>s larmes dontl’amertume ne peut être <strong>com</strong>prise que <strong>de</strong>s femmes qui se sonttrouvées d<strong>ans</strong> la même situation. Il fallait avoir l’âme <strong>de</strong> Julie47
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sourire de la marquise, qu’il imp
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vallée ? Vous me répondrez qu’a
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en s’apercevant qu’elle riait e
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fille, souvent impénétrables à l
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premier, trésor d’indulgence ; l
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tombaient, leurs grimaces, leur der
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de gens, et avait toute la saintet
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desquelles toute la vie se dresse,
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pour elle mille fois plus chère qu
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