pour sentir <strong>com</strong>me elle l’horreur d’une caresse calculée, pourse trouver autant froissée par un baiser froid ; apostasie ducœur encore aggravée par une douloureuse prostitution. Ellese mésestimait elle-même, elle maudissait le mariage, elle auraitvoulu être morte ; et, s<strong>ans</strong> un cri jeté par sa fille, elle seserait peut-être précipitée par la fenêtre sur le pavé. Monsieurd’Aiglemont dormait paisiblement près d’elle, s<strong>ans</strong> être réveillépar les larmes chau<strong>de</strong>s que sa femme laissait tomber sur lui.Le len<strong>de</strong>main Julie sut être gaie. Elle trouva <strong>de</strong>s forces pourparaître heureuse et cacher, non plus sa mélancolie, mais uneinvincible horreur. De ce jour elle ne se regarda plus <strong>com</strong>meune femme irréprochable. Ne s’était-elle pas menti à ellemême, dès lors n’était-elle pas capable <strong>de</strong> dissimulation, et nepouvait-elle pas plus tard déployer une profon<strong>de</strong>ur étonnanted<strong>ans</strong> les délits conjugaux ? Son mariage était cause <strong>de</strong> cetteperversité a priori qui ne s’exerçait encore sur rien. Cependantelle s’était déjà <strong>de</strong>mandé pourquoi résister à un amant aiméquand elle se donnait, contre son cœur et contre le vœu <strong>de</strong> lanature, à un mari qu’elle n’aimait plus. Toutes les fautes, et lescrimes peut-être ont pour principe un mauvais raisonnementou quelque excès d’égoïsme. <strong>La</strong> société ne peut exister que parles sacrifices individuels qu’exigent les lois. En accepter lesavantages, n’est-ce pas s’engager à maintenir les conditionsqui la font subsister ? Or, les malheureux s<strong>ans</strong> pain, obligés <strong>de</strong>respecter la propriété, ne sont pas moins à plaindre que lesfemmes blessées d<strong>ans</strong> les vœux et la délicatesse <strong>de</strong> leur nature.Quelques jours après cette scène, dont les secrets furentensevelis d<strong>ans</strong> le lit conjugal, d’Aiglemont présenta lord Grenvilleà sa femme. Julie reçut Arthur avec une politesse froi<strong>de</strong>qui faisait honneur à sa dissimulation. Elle imposa silence àson cœur, voila ses regards, donna <strong>de</strong> la fermeté à sa voix, etput ainsi rester maîtresse <strong>de</strong> son avenir. Puis, après avoir reconnupar ces moyens, innés pour ainsi dire chez les femmes,toute l’étendue <strong>de</strong> l’amour qu’elle avait inspiré, madame d’Aiglemontsourit à l’espoir d’une prompte guérison, et n’opposaplus <strong>de</strong> résistance à la volonté <strong>de</strong> son mari, qui la violentaitpour lui faire accepter les soins du jeune docteur. Néanmoins,elle ne voulut se fier à lord Grenville qu’après en avoir assezétudié les paroles et les manières pour être sûre qu’il aurait la48
générosité <strong>de</strong> souffrir en silence. Elle avait sur lui le plus absolupouvoir, elle en abusait déjà : n’était-elle pas femme ?Montcontour est un ancien manoir situé sur un <strong>de</strong> ces blondsrochers au bas <strong>de</strong>squels passe la Loire, non loin <strong>de</strong> l’endroit oùJulie s’était arrêtée en 1804. C’est un <strong>de</strong> ces petits châteaux <strong>de</strong>Touraine, blancs, jolis, à tourelles sculptées, brodés <strong>com</strong>meune <strong>de</strong>ntelle <strong>de</strong> Malines ; un <strong>de</strong> ces châteaux mignons, pimpantsqui se mirent d<strong>ans</strong> les eaux du fleuve avec leurs bouquets<strong>de</strong> mûriers, leurs vignes, leurs chemins creux, leurslongues balustra<strong>de</strong>s à jour, leurs caves en rocher, leurs manteaux<strong>de</strong> lierre et leurs escarpements. Les toits <strong>de</strong> Montcontourpétillent sous les rayons du soleil, tout y est ar<strong>de</strong>nt. Millevestiges <strong>de</strong> l’Espagne poétisent cette ravissante habitation : lesgenêts d’or, les fleurs à clochettes embaument la brise ; l’airest caressant, la terre sourit partout, et partout <strong>de</strong> douces magiesenveloppent l’âme, la ren<strong>de</strong>nt paresseuse, amoureuse,l’amollissent et la bercent. Cette belle et suave contrée endortles douleurs et réveille les passions. Personne ne reste froidsous ce ciel pur, <strong>de</strong>vant ces eaux scintillantes. Là meurt plusd’une ambition, là vous vous couchez au sein d’un tranquillebonheur, <strong>com</strong>me chaque soir le soleil se couche d<strong>ans</strong> seslanges <strong>de</strong> pourpre et d’azur. Par une douce soirée du moisd’août, en 1821, <strong>de</strong>ux personnes gravissaient les chemins pierreuxqui découpent les rochers sur lesquels est assis le château,et se dirigeaient vers les hauteurs pour y admirer s<strong>ans</strong>doute les points <strong>de</strong> vue multipliés qu’on y découvre. Ces <strong>de</strong>uxpersonnes étaient Julie et lord Grenville ; mais cette Julie semblaitêtre une nouvelle femme. <strong>La</strong> marquise avait les franchescouleurs <strong>de</strong> la santé. Ses yeux, vivifiés par une fécon<strong>de</strong> puissance,étincelaient à travers une humi<strong>de</strong> vapeur, semblable auflui<strong>de</strong> qui donne à ceux <strong>de</strong>s enfants d’irrésistibles attraits. Ellesouriait à plein, elle était heureuse <strong>de</strong> vivre, et concevait la vie.À la manière dont elle levait ses pieds mignons, il était facile<strong>de</strong> voir que nulle souffrance n’alourdissait <strong>com</strong>me autrefois sesmoindres mouvements, n’alanguissait ni ses regards, ni ses paroles,ni ses gestes. Sous l’ombrelle <strong>de</strong> soie blanche qui la garantissait<strong>de</strong>s chauds rayons du soleil, elle ressemblait à unejeune mariée sous son voile, à une vierge prête à se livrer auxenchantements <strong>de</strong> l’amour. Arthur la conduisait avec un soind’amant, il la guidait <strong>com</strong>me on gui<strong>de</strong> un enfant, la mettait49
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moi, je ne connais maintenant rien
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jeunesse, un ciel pur, enfin toutes
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sourire de la marquise, qu’il imp
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vallée ? Vous me répondrez qu’a
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en s’apercevant qu’elle riait e
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fille, souvent impénétrables à l
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premier, trésor d’indulgence ; l
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de gens, et avait toute la saintet
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desquelles toute la vie se dresse,
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pour elle mille fois plus chère qu
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